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55 Vivre le primaire | automne 2017 Enseigner dans le Québec pluriel d'aujourd'hui Dossier Le webdocumentaire Des racines et des ailes pour favoriser le passage de la classe d’accueil à la classe ordinaire _ À neuf ans, Karima, arabophone, arrive au Québec au mois de novembre avec sa famille. Elle est inscrite en classe d’accueil 2 afin d’apprendre le français comme langue seconde de manière intensive avant d’intégrer la classe ordi- naire l’année suivante. Karima est une bonne élève : elle apprend vite et devient, au fil du temps, une des meilleures de sa classe en français. Son enseignante pense qu’elle est prête à passer en classe ordinaire l’année suivante et approche une de ses collègues pour savoir si elle accepte de l’accueillir dans sa classe. Karima a très hâte, même si le fait de ne connaitre personne dans sa future classe lui fait un peu peur. Arrive la ren- trée : Karima intègre la classe ordinaire, mais réalise très vite que son niveau de français n’est pas aussi bon que celui des autres élèves. Elle ne comprend pas toujours les consignes et le contenu des activités. De plus, elle n’ose pas toujours dire à son enseignante qu’elle n’a pas compris pour lui demander de répéter. De son côté, son enseignante ne sait pas comment agir pour aider son élève. Elle essaie de simplifier certaines activités pour Karima, mais elle ne se sent pas tou- jours capable de l’impliquer autant que les autres élèves. Karima, qui réussissait en classe d’accueil, se trouve maintenant en difficulté scolaire provisoire, le temps que son français s’améliore. C’est notam- ment pour mieux accompagner les ensei- gnants qui font face à cette situation que le webdocumentaire Des racines et des ailes a été créé. _ Le passage des élèves allo- phones de la classe d’accueil à la classe ordinaire : une situation problématique Les statistiques montrent que les élèves comme Karima réussissent leur sco- larité aussi bien que les élèves franco- phones, avec toutefois des variations. Par exemple, les élèves de première génération (c’est-à-dire qui sont nés en dehors du Québec avant d’y immigrer) réussissent en moyenne moins bien que les élèves de seconde génération (c’est-à-dire qui sont nés au Québec de parents qui y ont immigré) et plus ils intègrent le système éducatif québé- cois jeunes, plus ils réussissent (MELS, 2014). Toutefois, les débuts en classe ordinaire sont difficiles pour la plupart des élèves allophones issus de l’immi- gration récente et peuvent affecter leur estime de soi et leur réussite scolaire à divers degrés. Cette situation probléma- tique s’explique par différents manques, Simon Collin Professeur et directeur de recherche 1 Université du Québec à Montréal [email protected] Sonia Fréchette Conseillère pédagogique Commission scolaire de Montréal [email protected] Réginald Fleury Conseiller pédagogique Commission scolaire de Montréal [email protected] Valérie Amireault Professeure, Département de didac- tique des langues Université du Québec à Montréal [email protected] Sonia Robitaille Conseillère pédagogique Commission scolaire de Montréal [email protected]

Dossier Le webdocumentaire Des racines et des ailes pour

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Dossier Le webdocumentaire Des racines et des ailes pour favoriser le passage de la classe d’accueil à la classe ordinaire_

À neuf ans, Karima, arabophone, arrive au Québec au mois de novembre avec sa famille. Elle est inscrite en classe d’accueil2 afin d’apprendre le français comme langue seconde de manière intensive avant d’intégrer la classe ordi-naire l’année suivante. Karima est une bonne élève : elle apprend vite et devient, au fil du temps, une des meilleures de sa classe en français. Son enseignante pense qu’elle est prête à passer en classe ordinaire l’année suivante et approche une de ses collègues pour savoir si elle accepte de l’accueillir dans sa classe. Karima a très hâte, même si le fait de ne connaitre personne dans sa future classe lui fait un peu peur. Arrive la ren-trée : Karima intègre la classe ordinaire, mais réalise très vite que son niveau de

français n’est pas aussi bon que celui des autres élèves. Elle ne comprend pas toujours les consignes et le contenu des activités. De plus, elle n’ose pas toujours dire à son enseignante qu’elle n’a pas compris pour lui demander de répéter. De son côté, son enseignante ne sait pas comment agir pour aider son élève. Elle essaie de simplifier certaines activités pour Karima, mais elle ne se sent pas tou-jours capable de l’impliquer autant que les autres élèves. Karima, qui réussissait en classe d’accueil, se trouve maintenant en difficulté scolaire provisoire, le temps que son français s’améliore. C’est notam-ment pour mieux accompagner les ensei-gnants qui font face à cette situation que le webdocumentaire Des racines et des ailes a été créé._

Le passage des élèves allo- phones de la classe d’accueil à la classe ordinaire : une situation problématiqueLes statistiques montrent que les élèves comme Karima réussissent leur sco-larité aussi bien que les élèves franco-phones, avec toutefois des variations. Par exemple, les élèves de première génération (c’est-à-dire qui sont nés en dehors du Québec avant d’y immigrer) réussissent en moyenne moins bien que les élèves de seconde génération (c’est-à-dire qui sont nés au Québec de parents qui y ont immigré) et plus ils intègrent le système éducatif québé-cois jeunes, plus ils réussissent (MELS, 2014). Toutefois, les débuts en classe ordinaire sont difficiles pour la plupart des élèves allophones issus de l’immi-gration récente et peuvent affecter leur estime de soi et leur réussite scolaire à divers degrés. Cette situation probléma-tique s’explique par différents manques,

Simon CollinProfesseur et directeur de recherche1

Université du Québec à Montré[email protected]

Sonia FréchetteConseillère pédagogiqueCommission scolaire de Montré[email protected]

Réginald FleuryConseiller pédagogiqueCommission scolaire de Montré[email protected]

Valérie AmireaultProfesseure, Département de didac-tique des languesUniversité du Québec à Montré[email protected]

Sonia RobitailleConseillère pédagogiqueCommission scolaire de Montré[email protected]

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indépendamment de la bonne volonté des enseignants, des élèves et des directions d’école : 1. Malgré les balises apportées par le nouveau programme

d’Intégration linguistique scolaire et sociale, ainsi que les Paliers pour l’évaluation du français (2015), certains ensei-gnants éprouvent des incertitudes lorsque vient le moment de déterminer si un élève de classe d’accueil est prêt à passer en classe ordinaire. Ainsi, il arrive que des élèves intègrent trop rapidement ou trop tardivement la classe ordinaire, par-fois même une année ou plus inférieure à leur niveau âge.

2. Malgré les balises apportées par le nouveau programme d’Intégration linguistique scolaire et sociale, ainsi que les Paliers pour l’évaluation du français (2015), certains ensei-gnants éprouvent des incertitudes lorsque vient le moment de déterminer si un élève de classe d’accueil est prêt à passer en classe ordinaire. Ainsi, il arrive que des élèves intègrent trop rapidement ou trop tardivement la classe ordinaire, par-fois même une année ou plus inférieure à leur niveau âge.

3. De plus, les directions d’école manquent de formation sur les diverses possibilités de gérer le passage de la classe d’ac-cueil à la classe ordinaire. Il en résulte une grande disparité, d’une école à une autre, dans l’accompagnement des élèves allophones lors de leur passage.

Au final, ce sont les élèves comme Karima qui écopent de cette situation._

Dans le but de répondre à cette situation problématique, nous avons mené un partenariat de formation « UQAM-CSDM » autour de la question suivante : comment favoriser le passage de la classe d’accueil à la classe ordinaire ? _

Le webdocumentaire Des racines et des ailes – Favoriser la réussite des élèves issus de l’immigration au QuébecLe partenariat de formation s’est déroulé sur une période de quatre ans. Il a réuni, à raison d’une rencontre tous les deux mois en moyenne, les auteurs du présent article ainsi que des enseignants de classes d’accueil, de classes ordinaires et de soutien linguistique3 de quatre écoles primaires et d’une école secondaire : Barthélémy-Vimont, Lucien Pagé, Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours, Sainte-Cécile et Jean-Baptiste-Meilleur. En partant des besoins exprimés par les enseignants, nous avons collectivement conçu des ressources et des pratiques visant à soutenir le passage de la classe d’accueil à la classe ordinaire. Pour en garder trace, nous avons élaboré un webdocumentaire réalisé par la vidéaste Jacinthe Moffat et intitulé Des racines et des ailes – Favoriser la réussite des élèves issus de l’immigration au Québec4 ._

Des racines et des ailes est composé de six blocs principaux, qui suivent le parcours chronologique des élèves allophones issus de l’immigration récente (voir Figure 1) : l’arrivée au Québec, l’entrée dans le système scolaire québécois, l’élève en classe

d’accueil, le passage de la classe d’accueil à la classe ordinaire, les élèves plurilingues en classe ordinaire et la réussite éducative._

Chaque bloc commence par une introduction qui illustre le développement des compétences en français de Ricardo, un élève brésilien. L’introduction se termine par des questions « vrai ou faux » qui visent à démystifier certains aspects liés au parcours scolaire des élèves allophones. S’ensuivent des sous-blocs qui approfondissent la thématique de chaque bloc (voir Figure 2) au moyen de ressources pédagogiques, d’informa-tions factuelles, de ressources scientifiques et de vidéos témoi-gnant des pratiques expérimentées, qui permettent d’adopter le point de vue des enseignants et de recadrer les croyances de ceux qui les visionnent. Le webdocumentaire a donc ainsi été conçu pour aider les différents intervenants (enseignants de classes d’accueil, enseignants de classes ordinaires, enseignants de soutien linguistique, directions d’école, etc.) à accompa-gner les élèves allophones dans leur parcours scolaire et, plus spécifiquement, lors de leur passage de la classe d’accueil à la classe ordinaire._

Ainsi, la thématique du passage de la classe d’accueil à la classe ordinaire propose différentes pratiques permettant de soutenir les élèves allophones issus de l’immigration récente. Parmi ces pratiques, on retrouve le protocole d’intégration à la classe ordinaire qui est un document élaboré par chaque

Fig. 2 - Le passage de la classe d’accueil à la classe ordinaire.

Fig. 1 - Les six blocs chronologiques de Des racines et des ailes

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équipe-école en concertation et qui précise les étapes et les acteurs impliqués lors du passage. Le webdocumentaire en présente des exemples élaborés par les enseignants ayant participé au partenariat de formation et en explique les avan-tages. Nous retrouvons également la pratique de l’intégration partielle progressive, une autre pratique visant à faciliter le passage de la classe d’accueil à la classe ordinaire, qui consiste à intégrer progressivement un élève allophone dans sa future classe ordinaire de manière à ce qu’il puisse s’acclimater avant de l’intégrer en totalité lors de la rentrée scolaire suivante. Des racines et des ailes contient deux vidéos de pratique d’intégra-tion progressive partielle et un document présentant les degrés possibles d’intégration progressive. Également, les sections dédiées à la place des langues d’origine et à l’éveil aux langues soulignent l’importance de prendre en considération, même en classe ordinaire, la langue première des élèves allophones, car elle constitue une dimension affective et identitaire forte, et de sensibiliser tous les élèves, francophones y compris, à la diversité linguistique. Finalement, une dernière section fournit des outils pour différencier l’apprentissage de la langue et les difficultés d’apprentissage chez les élèves allophones. Autant de ressources visant à améliorer, in fine, la qualité de l’expé-rience scolaire des élèves allophones._

ConclusionLe passage de la classe d’accueil à la classe ordinaire représente une étape importante pour la réussite éducative des élèves allo-phones issus de l’immigration récente. Il est abordé de manière variable d’une école à une autre. C’est dans le but de mieux accompagner les enseignants et les écoles dans la gestion de

cet enjeu que le webdocumentaire Des racines et des ailes a été créé, en espérant qu’il saura répondre à leurs besoins._

Remerciements Conscients que Des racines et des ailes n’aurait jamais vu le jour sans la contribution inestimable des enseignants qui y ont œuvré, nous remercions vivement : Céline Benoît, Stéphanie Bouchard, Émilie Almontez-Fovez, Marie-France Lavallée et Annie Maltais (Barthélémy-Vimont) ; Maryse Carosi, Lynne Dwyer, Serge Gonat et Georgette Isidor (Lucien Pagé) ; Lorraine Dubois et Karine Chapleau (Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours) ; Marc Baudin et Thibault Ruiz (Jean-Baptiste-Meilleur) ainsi que leurs directions d’école. _

Notes

1. Le titre complet de monsieur Collin est le suivant : Professeur, Département de didactique des langues ; Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur une approche sociocritique du numérique en éducation ; Directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante - Université du Québec (CRIFPE-UQ).

2. La classe d’accueil, ou classe d’intégration linguistique, scolaire et sociale (ILSS), accueille des élèves qui ne possèdent pas une connais-sance suffisante du français pour intégrer la classe ordinaire (Legendre, 1993). Elle permet à ces élèves, d’origines linguistiques et culturelles diverses, « d’apprendre les rudiments du français et de s’intégrer dans leur nouveau milieu scolaire et leur nouvelle société » (MEQ, 1998, p. 19), avant de poursuivre leur scolarité en français en classe ordinaire. La classe d’accueil constitue ainsi « une étape de transition majeure pour faciliter le passage de l’élève à la classe ordinaire » (MEQ, 2006, p. 110).

3. Le programme de soutien linguistique s’adresse aux élèves déjà intégrés dans une classe ordinaire, et qui ont besoin d’outils supplémentaires afin de combler leurs lacunes en français. L’enseignant de soutien linguistique rencontre les apprenants individuellement ou en petits groupes, souvent de façon hebdomadaire, et doit s’adapter à leurs besoins linguistiques spécifiques (Proulx, 2013) dans le but de les soutenir dans leur apprentissage du français, langue de scolarisation.

4. Des racines et des ailes est en accès libre à : http://csdm.ca/autres-services/etudes-recherches/des-racines-et-des-ailes/

Références

_ Legendre, R. (1993). Dictionnaire actuel de l’éducation (2e édition). Montréal : Guérin.

_ MELS (2014). Cadre de référence : accueil et intégration des élèves issus de l’immigration au Québec. Québec : Gouvernement du Québec, ministère de l’Éduca-tion, du Loisir et du Sport.

_ MEQ (1998). Une école d’avenir. Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle. Québec : Gou-vernement du Québec, ministère de l’Éducation du Québec.

_ MEQ (2006). Programme de formation de l’école québécoise. Éducation préscolaire et enseignement primaire. Québec : Gouvernement du Québec, ministère de l’Éducation du Québec.

_ Proulx, J.-P. (2013). Lumière sur le soutien linguis-tique. Québec français, 168, 54-55.