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PRIX AU NUMÉRO : 10 r - ABONNEMENT 4 NUMÉROS : 40 r PRIX AU NUMÉRO : 10 r - ABONNEMENT 4 NUMÉROS : 40 r DIAGONAL n° 184 Q Grand prix de l’urbanisme Q Le logement étudiant Littoral : protéger terres et mer D O S S I E R diagonal

Dossier « littoral : protéger terres et mer

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PRIX AU NUMÉRO : 10r - ABONNEMENT 4 NUMÉROs : 40rPRIX AU NUMÉRO : 10r - ABONNEMENT 4 NUMÉROs : 40r

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fÉvRIER 2012/N°184 REvUE DEs ÉQUIPEs D’URBANIsME

diagonalEn décernant le Grand prixde l’urbanisme 2011 à MichelDesvigne, le jury a soulignél’importance de l’approchepaysagère dans les défisurbains contemporains.Illustrées par les nombreuxprojets auxquels il aparticipé, accompagnées detémoignages de partenairesde ces opérations, MichelDesvigne livre ici ses réflexionssur les parcs américains,la juste échelle, le paysagezéro, les transformationssuccessives, l’espace publicou la représentation… commeautant d’éléments d’une penséecohérente et féconde. JoanBusquets, Prix spécial 2011,élargit à l’échelle européennel’expérience barcelonaisequi a fondé l’urbanisme surla recomposition de l’espacepublic.

Comment les projets urbainsqui savent établir des liensentre les hommes, les espaceset les fonctions sont-ils capablesd’anticiper l’avenir et d’œuvrerà une meilleure équitésociale et territoriale ? Enquoi le renouveau des projetsurbains est-il un messaged’espoir face aux incertitudesenvironnementales,économiques et sociales ?Tel était le propos de l’atelierProjets urbains durables :stratégies restitué dans cetouvrage qui le prolonge.

Collection Grand prix de l’urbanismeministère de l’Écologie, du Développementdurable, des Transports et du LogementÉditions Parenthèses, 14 E

Collection Projet urbainministère de l’Écologie, du Développementdurable, des Transports et du LogementÉditions du Moniteur, 39 Ewww.librairiedumoniteur.com

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La tempête Xynthia et la proliférationdes algues vertes rappellent que la zone littoraleest doublement exposée et que milieux terrestre et maritimepeuvent mutuellement se mettre en périls. Et ceux-ci vont croissants. Les changements

climatiques influent sur le niveau de la mer comme sur la fréquence et la force des

tempêtes, augmentant d’autant le phénomène d’érosion et le risque de submersion.

Symétriquement, l’attraction qu’exerce le bord de mer se traduit par une densification

de la présence et de l’activité humaines au préjudice de l’espace qui l’accueille mais

aussi du milieu et des activités maritimes. Convoitées, précieuses et fragiles, telle est

l’équation à résoudre pour assurer le développement durable des zones côtières sans

compromettre ce qui en fait la richesse.

dossierZones côtières, zones fragiles p. 34Le littoral se définit comme la zone de contact entre la terre et la mer. Pourtantla gestion intégrée des zones côtières est une démarche récente, impulsée en2002 par l’Union européenne. De même en 2009, le Grenelle de la mer avait-ilpour ambition de briser le cloisonnement. De nombreuses propositions en ontdécoulé, reste la mise en œuvre.

Deux milieux, une seule cause p. 37Jérôme Bignon, président du Conservatoire de l’espace littoral et des rivageslacustres ainsi que de l’Agence des aires marines protégées, est par ailleursmembre du conseil d’administration de l’Agence de l’eau Seine-Normandie. Ilexplique le rôle de chacun de ces organismes dans la protection du littoral etdes milieux marins.

Bassin de ThauDu SMVM au SCOT p. 41Protéger de la pollution les eaux lagunaires est un enjeu vital pour le bassin deThau, réputé pour ses productions aquicoles. D’où la mise en place, en 1995,d’un schéma de mise en valeur de la mer. Devenu obsolète, ce schéma doitêtre remplacé par le volet maritime et littoral du schéma de cohérence territo-riale, élaboré avec tous les acteurs du territoire.

Évaluer la capacité d’accueil p. 45Sur la base des concepts du développement durable et de la gestion intégréedes zones côtières, les services de l’État et des chercheurs de l’université deNantes ont mis au point une méthode pour aider les collectivités locales àévaluer la capacité d’accueil d’un territoire, concept issu de la loi littoral.

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Le littoral, une frontière mouvante p. 48L’érosion touche 25 % du littoral métropolitain, mais ce phénomène, de même que lasubmersion marine, ont des amplitudes et des causes multiples. La ministre du dévelop-pement durable a proposé qu’une stratégie nationale de gestion du trait de côte, durecul stratégique et de défense contre la mer soit élaborée au sein d’un groupe de travail.Son président, Alain Cousin, en rend compte.

DunkerquoisPolders, dunes et digues p. 51Asséchés par un système d’évacuation des eaux remontant au Moyen Âge, les poldersde la région de Dunkerque sont exposés à un risque de submersion marine, aggravé parle réchauffement climatique. Un tiers des ouvrages de protection doit être renforcé. Lesservices de l’État sont attentifs à ce que la cartographie de l’aléa soit prise en comptepar les documents d’urbanisme.

Agglomération de NarbonneUn Scot enrichi d’un volet littoral p. 54Les quarante communes constituant l’agglomération de Narbonne ont décidé d’assortirleur Scot approuvé d’un volet littoral et maritime. Cette décision recouvre des points devue et intérêts divergents. Entre constructibilité limitée, risque de submersion ou déve-loppement économique…, la perception des enjeux dépend de ceux qui lesdéfendent.

Les élus du littoral p. 57L’application de la loi littoral, la lutte contre l’érosion et la submersion marine et lesnouvelles instances de décision créées à la suite du Grenelle de la mer ont été les prin-cipaux sujets de débats des journées d’étude de l’Association nationale des élus du littoral,courant octobre 2011.

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Zonescôtières,zonesfragilesLe littoral se définit comme la zone decontact entre la terre et la mer. Il est lelieu où ces milieux interagissent, oùtoute modification de l’un peut avoir desrépercussions sur l’autre. Pourtant lagestion intégrée des zones côtières estune démarche récente, impulsée en2002 par l’Union européenne. Et lesdifficultés ne manquent pas lorsque,entre terre et eau, les périmètrespertinents divergent autant que lespoints de vue, que les institutions et lescompétences sont strictement séparées.Aussi en 2009, le Grenelle de la meravait-il pour ambition de briser cecloisonnement. De nombreusespropositions en ont découlé, de ladéfinition d’une stratégie maritimenationale et locale, à celle des instancesde gouvernance à créer. Reste la miseen œuvre.

En zones côtières, tout projet a desimpacts sur le milieu récepteur ultime,la mer. Pourtant, les domaines ter-restres et marins s’ignorent superbe-ment et le clivage entre approches semanifeste à tous les niveaux. D’abordà celui des institutions, avec d’un côtéles collectivités territoriales et de

l’autre l’État, seul compétent en mer à l’exception dela Polynésie. Il se retrouve dans les activités écono-miques, souvent concurrentes pour l’appropriation desressources, ce qui engendre des conflits d’usage que ledéveloppement des énergies renouvelables utilisant le

vent ou les courants marins ne peut qu’intensifier.Quant au monde de la recherche, il n’échappe pas auphénomène : “La distinction entre les deux secteurs seretrouve mutatis mutandis dans les organismes scienti-fiques, le Bureau de recherches géologiques et minières(BRGM) pour la terre, l’Institut français de recherchepour l’exploitation de la mer (Ifremer) pour la mer”,déplorait Jean-Yves Perrot, directeur de ce dernierétablissement aux journées d’étude de l’Associationnationale des élus du littoral (voir p. 57). Enfin, lesschémas de mise en valeur de la mer (SMVM), outilsde planification spatiale, dont le champ d’action s’étendà la fois sur le littoral et sur la mer, se comptent sur les

Les Scotet schémasdirecteurs littorauxau 1er janvier 2011.

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doigts d’une main, tandis que les volets littoraux etmaritimes des schémas de cohérence territoriale, dontle rôle et les modalités d’élaboration se rapprochentde celui des SMVM, ne sont pas légion. Sans compterque la logique qui les sous-tend comme leur périmètrerépondent souvent plus à des enjeux terrestres, notam-ment ceux liés à l’application de la loi littoral, qu’à unevolonté d’intégration des politiques.Aussi, en 2002, l’Union européenne propose-t-elle,sous forme d’une recommandation de principe, unenouvelle démarche dont le nom, gestion intégrée deszones côtières, dit tout de ses ambitions. En 2005, cetteapproche est reprise par la Délégation interministéri-elle à l’aménagement du territoire et à l’attractivitérégionale (Datar). Celle-ci sélectionne alors 25 terri-toires expérimentaux. Malheureusement, les résultatsconcrets resteront décevants. Nulle part, le processusn’a été mené jusqu’à son terme logique, à savoir l’éta-blissement d’une instance de concertation regroupanttoutes les parties prenantes. De plus, le territoire cou-vert est trop limité, tant dans l’arrière-pays qu’en meroù il ne dépasse guère 300 mètres, alors que les zonesde souveraineté sont bien plus vastes (voir encadré ci-contre). Quand bien même la gestion est intégrée, elledemeure trop locale. “Analyser l’impact d’une porche-rie sur le territoire d’une seule commune ou d’une seulestructure intercommunale est insuffisant”, commenteXavier Marill, chargé de mission au commissariat géné-ral au développement durable. C’est le cumul des acti-vités qui peut se révéler catastrophique pour la préser-vation des écosystèmes.”

CENT TRENTE-SEPT mESURES ISSUESDU gRENELLE DE LA mER

En effet, entre les pollutions, algues vertes ou maréenoire, les risques naturels, érosion et submersionmarine, et l’artificialisation du sol engendrée par uneurbanisation intense et continue que la loi littoral n’afait que contenir (1), les franges côtières constituentdes espaces fragiles… de plus en plus fragiles, comptetenu des changements climatiques. Et ce, malgré l’ac-tion d’organismes comme le Conservatoire du littoral(voir p. 37) et l’étendue des milieux naturels protégésqui, tous dispositifs confondus, se montent à 25 % dela surface des communes côtières (2).“Afin de rompre avec ce comportement de chasseur-cueilleur”, qu’au dernier congrès de l’Anel, DominiqueDron, commissaire général au développement durableregrettait en faisant allusion à l’épuisement des res-sources naturelles, les pouvoirs publics, sur le métier,remettent leur ouvrage, d’abord en 2007, dans le cadredu Grenelle de l’environnement, puis en 2009, avec leGrenelle de la mer. Cent trente-sept mesures sont alorsproposées qui sont progressivement traduites dans destextes juridiques. Il en est notamment ainsi de cellesrelatives à la définition d’une stratégie maritime natio-nale et locale et aux instances de concertation.La loi portant engagement national pour l’environne-ment du 12 juillet 2010, complétée par la loi de moder-nisation de la pêche et de l’agriculture du 27 juillet 2010– codifiées aux articles L. 219-1 et suivants du Code de

l’environnement – instaure en effet deux nouveauxtypes de normes, la stratégie nationale de la mer et deslittoraux, cadre de référence destiné à fédérer toutesles politiques afférentes, et ses déclinaisons spatiales,les documents stratégiques de façade. Parallèlement,afin que l’État puisse recueillir les avis sur ces démarchesdont la conduite reste sa prérogative, il est créé deuxnouvelles instances de concertation : le Conseil nationalde la mer et des littoraux (3) et les conseils de façade,lesquels, outre-mer, prennent le nom de conseils mari-times ultramarins.D’où une première difficulté. Comment délimiter leurpérimètre ? Fallait-il se fonder sur des caractéristiquesgéographiques, au besoin en reprenant le zonage adoptédans les plans d’action pour le milieu marin pris en appli-cation de la directive européenne du 17 juin 2008, àsavoir celui de la convention Ospar (4) ? Devait-on aucontraire se caler sur des limites institutionnelles, cellesdes régions ou bien encore celles des directions interré-gionales de la mer, mises en place en février 2010, dontla double hiérarchie du préfet maritime et du préfet derégion devrait assurer une meilleure harmonisation despolitiques ? Chacune des solutions avait son intérêt etses défenseurs mais aussi ses détracteurs. Choisir lezonage Ospar permettait de se conformer plus stricte-ment à l’article L. 219-1 du Code de l’environnementqui dispose que la délimitation des façades est cohérenteavec la directive sur le milieu marin (5). La solution, dece fait, assurait une meilleure articulation des politiquesnationale et européenne : les plans d’action pour le

Mer et souveraineté

Avec 11 millions de km2, la France détient le deuxième espace maritime du monde, essentiellement en raison de ses possessionsd’outre-mer qui représentent plus des deux tiers de ses territoires marins.Le territoire marin sur lequel les états ont juridiction et la nature des droits qui leur sont conférés sont définis par une conventiondes Nations Unies sur le droit de la mer, dite de Montego Bay, en date du 10 décembre 1982, et entrée en vigueur le 16 novembre1994. Elle recense cinq catégories d’espaces, les eaux intérieures, les eaux territoriales, les zones économiques exclusives, le plateaucontinental, la haute mer. La souveraineté d’un état s’étend, au-delà de son territoire et de ses eaux intérieures, à la mer territoriale,qui couvre pour la plupart des pays, dont la France, douze milles marins, à la zone économique exclusive, soit au maximum 200 millesmarins et enfin au plateau continental, jusqu’à 350 milles maximum. Dans les zones économiques exclusives comme sur le plateaucontinental, l’État jouit des droits d’exploitation des ressources naturelles, des fonds marins et de leur sous-sol. I.B.

L’estran,un paysageremodeléen permanencepar les éléments.

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milieu marin, qui ont pour objet la préservation desécosystèmes, constitueront en effet un chapitre desdocuments stratégiques de façade. Mais reprendre lezonage de la directive-cadre aurait scindé la Bretagneen trois entités, inconvénient majeur aux yeux de cer-tains fonctionnaires d’État comme des élus locaux. Pourceux-ci, le critère institutionnel devait prévaloir puisqu’ils’agissait de la mise en œuvre de politiques publiques.Quoi qu’il en soit, si en outre-mer la question resteencore pendante(6), en métropole, un découpage fondéà la fois sur des caractéristiques géographiques et insti-tutionnelles l’a emporté. Le littoral français est diviséen quatre façades (7), Mer-du-Nord-Manche-Est,Atlantique-Nord-Manche-Ouest, Atlantique-Sud,Méditerranée, dont les périmètres recouvrent les airesde compétence des quatre directions interrégionales dela mer qui en assumeront le fonctionnement. Ce qui n’apas été sans susciter force protestations des élus bretons.Ceux-ci, probablement mécontents de dépendre d’unedirection interrégionale de la mer basée à Nantes, ontainsi exigé qu’une instance bretonne ad hoc, la commis-sion Mer et littoral, présidée à la fois par le présidentdu conseil régional, le préfet maritime et le préfet derégion, soit consultée sur tous les documents produitspar le conseil maritime de façade.

PéRImèTRES ET INSTANCES FONTL’ObJET DE DébATS

D’où encore d’autres interrogations. Cette pratiquen’introduit-elle pas une distorsion entre lesdits conseilsde façade, de nature à méconnaître la lettre et l’esprit dela loi qui les a institués ? Ne risque-t-elle pas de paralyserl’action d’un conseil, englué dans la nécessité d’en référersystématiquement à une commission régionale dont lesressources financières et humaines seront peut-être plusimportantes que les siennes ? Nicolas Chardin, chargédu dossier à la direction interrégionale de la merMéditerranée, observe en effet que, “si les ambitions de

cette politique sont colossales, les moyens mobilisés parl’État restent modestes. En outre, l’exemple breton risquede se diffuser. Les élus, notamment régionaux, pourraientrevendiquer dans les conseils de façade un rôle analogueà celui qu’ils exercent, dans les agences de l’eau où ils pré-sident le comité de bassin, observe Nicolas Chardin, aubesoinencréantdes instancesdeconcertationconcurrentes.Le président du Languedoc-Roussillon a ainsi fait part deson intention de constituer un Parlement de la mer” (8).En effet, si la moitié des soixante-dix membres duConseil national de la mer et du littoral est composéed’élus, en revanche, la composition des conseils mari-time de façade reflète davantage les principes retenuslors du Grenelle, relatifs au poids égal de chaque col-lège dans les instances de concertation. Ainsi, le pre-mier conseil maritime de façade opérationnel, celui deMéditerranée, prévoit un nombre quasi égal de repré-sentants de l’État, des élus et des associations d’usagerset de protection de l’environnement.

DOCUmENT STRATégIqUE DE FAçADEET mULTIPLESTRADUCTIONS

Or, les enjeux sont considérables. Aux termes de l’articleL. 219-4 du Code de l’environnement, les documentsstratégiques de façade devraient être traduits dans ungrand nombre de plans, de programmes, de schémas etd’autorisations intéressant des domaines aussi diversque la pêche et l’urbanisme, les énergies et l’agriculture,le transport et la prévention des risques, la gestion dudomaine public et l’extraction de matériaux. De fait,quasiment tous les documents régissant de près ou deloin l’usage des espaces littoraux et marins ont été visés :les schémas de cohérence territoriale, les plans locauxd’urbanisme, les permis de construire, les projets soumisà étude d’impact ou d’incidence, les chartes de parcsnaturels régionaux, les programmes aquacoles et conchy-licoles… Mais outre le fait que leur liste définitive nesera arrêtée que dans le décret approuvant la stratégienationale de la mer et du littoral et que la nature précisede cette traduction, compatibilité ou simple prise encompte, reste encore à préciser, encore faut-il pour qu’unrapport s’instaure entre deux normes que leurs champsd’action respectifs se recouvrent. Or, si la section de côtecouverte par le document stratégique de façade estaujourd’hui connue, il n’en est pas de même de sa pro-fondeur terrestre. C’est en effet dans le décret approu-vant la stratégie nationale que sera défini le périmètreterrestre, sur la base de propositions des conseils mari-times de façade. “Aucune hypothèse n’a été exclue àpriori. Ce pourra être la bande des 100 mètres, le territoiredes communes littorales et de leurs intercommunalités,celui des régions littorales, voire le bassin versant, préciseDominique Colonna d’Istria, chargée de mission aucommissariat général au développement durable. C’estpourquoi, trois ou quatre scénarios vont être étudiés, aucours de l’année 2012, afin de tester les avantages pratiquesde telle ou telle limite. Cela dit, il est évident qu’un péri-mètre restreint ne reflète pas le principe de la gestion inté-grée qui est un des piliers du Grenelle de la mer.” EtXavier Marill d’ajouter : “En ce cas, le principal apportde ces conseils sera d’avoir donné aux élus le pouvoir de

(1) La densité des communes littorales en Métropoley est de 281 hab./km2 contre 120 en moyenne natio-nale. En revanche, dans l’arrière-pays la densité nedépasse pas 82 hab./km2. Néanmoins, si dans lescommunes littorales, la progression suit la mêmeévolution qu’au niveau national, entre 1968 et2006, elle a été deux fois plus élevée dans l’arrière-pays que sur le littoral. En Outre-Mer, la croissanceest par contre beaucoup plus forte.(2) C’est notamment le cas en Outre-Mer. 42 %de la superficie des communes réunionnaises sontsitués dans le cœur du parc national où la réglemen-tation est la plus stricte.(3) Ce conseil remplace le Conseil national du lit-toral. Ce dernier était administré par la Datar et lesecrétariat général de la mer, alors que le nouveauconseil se trouve également sous la houlette ducommissariat général au développement durable,qui en assurera le secrétariat. Les compétences duConseil national du littoral étaient, par ailleurs, stric-tement terrestres.(4) L’intitulé de la convention Ospar est conventionpour la protection du milieu marin de l’Atlantique-Nord. Elle est dite Oslo-Paris, abrégée en conventionOspar.(5) La directive-cadre sur le plan d’actions pour lemilieu marin a été transposée en droit français parla loi portant engagement national pour l’environne-ment du 12 juillet 2010.(6) Il est probable qu’en Outre-Mer chaque dépar-tement et chaque collectivité sera doté d’un conseilmaritime propre, tant leurs élus ont des points devue divergents.(7) Les conseils de façade ont été créés par un arrêtédu 25 septembre 2011. La première façade regroupequatre régions, le Nord-Pas-de-Calais, la Picardie,la Haute et la Basse-Normandie, la seconde deux,la Bretagne et les Pays de la Loire, la troisièmedeux, Poitou-Charente et Aquitaine la quatrièmetrois, Provence-Alpes-Côte d’Azur, la Corse, leLanguedoc-Roussillon.(8) Les départements se saisissent également dusujet. Ainsi le conseil général du Var a élaboré unschéma départemental de la mer et du littoral.

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Deux milieux,une seule causeJérôme Bignon, président du Conservatoire de l’espace littoralet des rivages lacustres ainsi que de l’Agence des aires marinesprotégées, est par ailleurs membre du conseil d’administrationde l’Agence de l’eau Seine-Normandie. Il explique le rôle de chacunde ces organismes et leur interaction dans la protection du littoralet des milieux marins.

Diagonal : Le Conservatoire de l’espace littoral etdes rivages lacustres existe depuis plus de trente-cinq ans.L’accent mis aujourd’hui sur les enjeux environnementaux,sur une approche globale des questions et sur la partici-pation des usagers et des professionnels au processus dedécision a-t-il eu des effets sur son domaine d’action ousur ses modalités d’intervention ?Jérome Bignon : Pas vraiment, car dès sa création en1975, le Conservatoire du littoral, établissement quiprésente de nombreuses similitudes avec le NationalTrust anglais (1), s’est inscrit dans une perspective dedéveloppement durable. Il s’agissait rien moins que

Profiter de l’attractivitésans compromettrece qui la constitue.Un guide du littoraldans son activitépédagogique.

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s’exprimer sur des domaines naguère hors de leurschamps de compétence.”Quoi qu’il en soit, cette recherche de cohérence semanifeste déjà chez certains acteurs. Le Conservatoiredu littoral, dont le président Jérome Bignon est égale-ment président de l’Agence des aires marines proté-gées, intervient sur le domaine public maritime. Troisparcs nationaux, dont celui tout récent des Calanques,comprennent une partie aquatique et la création desparcs naturels marins, dernier outil en date mêlant pro-tection et développement économique, pourra conduireà s’opposer à l’implantation d’activités polluantescomme l’élevage industriel d’animaux. Une stratégienationale de gestion du trait de côte a été définie ausein d’une mission animée par le député de la Manche,Alain Cousin (voir p. 48). Si aucun volet littoral et mari-time de Scot n’est encore approuvé, dans certaineslocalités, le processus est déjà très avancé (voir p. 41),bien que la prise en compte du risque de submersionmarine et des problématiques maritimes puisse encoreêtre jugée insuffisante (voir p. 50). De leur côté, lesservices de l’État, directions régionales de l’environne-ment, de l’aménagement et du logement, directionsdépartementales des territoires et de la mer et direc-tions interrégionales de la mer, se mobilisent, qui pourpromouvoir une méthode d’évaluation de la capacitéd’accueil dans les territoires littoraux (voir p. 45), quipour inciter les collectivités à mieux intégrer les risqueslittoraux dans leurs plans locaux d’urbanisme et lesschémas de cohérence territoriale (voir p. 51).“Il ne faut pas attendre de la loi ce qu’on ne peut attendreque des mœurs”, écrivait déjà Montesquieu.

Isabelle BERTHIER

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d’acquérir 30 % du littoral français, menacé par uneurbanisation débridée : la moitié de nos rivages étaitdéjà construite, dont 20 % de manière dense. Cetteappropriation collective – le Conservatoire du littoraldétient aujourd’hui 140000 hectares – garantit en effetà la fois le maintien du caractère naturel des espacescôtiers et leur ouverture au public (2). Le patrimoinede l’établissement public fait partie du domaine pu-blic ; comme tel, il est quasiment inaliénable. Pour êtrecédé, il faut obtenir l’autorisation des trois quarts desmembres du conseil d’administration et un décret enConseil d’État. La gestion peut ne pas être totalementsatisfaisante, le bien reste préservé de l’artificialisation.Par ailleurs, le mode de gestion du Conservatoire anti-cipait également les principes du développement du-rable, puisque les décisions sont prises de façon collé-giale au sein de conseils de façade associant État etcollectivités territoriales et que l’administration despropriétés du Conservatoire est confiée en priorité auxacteurs locaux.

Quels sont les grands principes de gestion et quien définit les conditions ?Les modalités précises sont débattues en conseil d’ad-ministration ; toutefois, certains principes restent intan-gibles. La gestion est accomplie à titre gratuit.Conformément à l’article L. 322-9 du Code de l’envi-ronnement, le gestionnaire est le plus souvent unecommune mais peut aussi être une association telle quela Ligue de protection des oiseaux, la Société nationalede protection de la nature ou encore une société dechasse ou de pêche. En échange de la mise à dispositiond’espaces récréatifs, celui-ci s’engage à apporter desmoyens en personnel, les gardes littoraux (3), commeà se charger de l’entretien courant desdits espaces. Enrevanche, comme dans un bail classique, la charge destravaux plus importants pèse sur le Conservatoire.

Comment ce patrimoine se constitue-t-il ?Principalement de trois façons : par donation, pardation en paiement, sous réserve dans ces deux casd’obtenir l’agrément du ministère des finances, et leplus souvent par acquisition. À cet égard, la fermetured’un établissement industriel, comme les Salins du midiou la fabrique de dynamite créée par Alfred Nobel àPaulilles dans les Pyrénées-Orientales, peut se révéler

une opportunité : la liquidation des Salins du midi alibéré vingt mille hectares en Camargue. C’est pour-quoi, en cas d’urgence, je suis habilité par le conseild’administration à procéder à un achat, sans qu’il aitété au préalable consulté. Par ailleurs, si dans 80 % descas l’acquisition s’effectue à l’amiable, il nous arrived’exproprier. Enfin, nous disposons d’un droit de pré-emption sur notre périmètre d’intervention, lequel,sans couvrir encore tout le linéaire côtier, s’agranditconstamment (4). Toute déclaration d’intention d’alié-ner nous est alors communiquée. Cela dit, nous neprenons pas la décision d’acquérir, si le bien bénéficied’autres protections, qu’il s’agit par exemple d’un siteclassé ou d’une réserve naturelle.

Les sites que le Conservatoire acquiert peuventêtre partiellement bâtis. Quelle est la politique duConservatoire en la matière ?Le Conservatoire a pour principe de base non seule-ment de proscrire les constructions sur ses sites maiségalement de leur redonner un aspect naturel. Des

Conservatoire du littoral…Le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres est un établissement public à caractère administratif. Son conseil d’administration, qui comprend unetrentaine de membres, est à parité constitué de représentants de l’État, de personnalités qualifiées, et d’élus nationaux, départementaux et régionaux, dont lesneufs présidents des conseils de rivage. Son président est traditionnellement un député. Localement, le Conservatoire est représenté par dix délégations régionales.Parallèlement, les Conseils de rivage, composés d’élus départementaux et régionaux, ont un rôle de consultation et de proposition sur la politique d’acquisitionet de gestion du Conservatoire.La zone d’intervention du Conservatoire, initialement limitée aux cantons côtiers et aux communes riveraines des lacs de plus de 1 000 hectares, s’est élargieaux communes d’Outre-Mer, aux communes littorales au titre de la loi de 1986, puis aux estuaires, au domaine public maritime et enfin aux zones humides descommunes et des cantons littoraux. Depuis 2006, l’essentiel de ses ressources provient du produit du droit de francisation et de navigation des navires,mais les collectivités territoriales, les agences de l’eau, l’Union européenne et des entreprises ou des fondations contribuent à presque un quart de son budgetde fonctionnement. Ainsi, l’article 33 de la loi du 23 janvier 2005 sur les territoires ruraux autorise les collectivités territoriales et les agences de l’eauà mettre du personnel à la disposition du Conservatoire du littoral. I.B.

Un parc marin protégé,quant à la côte…

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démolitions sont donc inévitables. Néanmoins, elles nesont pas systématiques et sont décidées selon diverscritères tels que l’état de l’immeuble, son utilité pourla gestion du site, son intérêt architectural, culturel ouhistorique. L’inventaire du patrimoine bâti duConservatoire a recensé quelque quatre cents ouvragestrès disparates, simples cabanes d’éclusiers, toursgénoises, abbayes, forts, roches gravées précolom-biennes en Guyane, villas – celle de Sarah Bernhardtà Belle-Île, celle d’Eileen Gray, près de Menton.Dernièrement le Conservatoire a acquis le domaine deRegnière-Écluse, 820 hectares de marais, de hêtraieset de champs, groupés autour d’un château restauré(5). À ceci s’ajoute un patrimoine plus ordinaire : case-mates, moulins, fours à chaux, murets. En matière deconservation des ouvrages, tout est donc affaire d’es-pèce. Parfois, nous procédons à des démolitions commeà Belle-Île, où nous redonnerons à un site son aspectsauvage, en abattant l’hôtel qui s’y était implanté.Parfois, l’édifice, par sa beauté ou son originalité,mérite d’être conservé. Par ailleurs, des bâtimentspeuvent être préservés et restaurés, voire agrandis,pour assurer le maintien de l’activité agricole ou sa

diversification, grâce à la création de gîtes, comme surl’île Milliau dans les Côtes-d’Armor, ou pour permettreun changement de pratiques culturales, un passage dela culture du maïs à la prairie pâturée par exemple,comme sur le site de la Prée Missottières.

Précisément, comment le Conservatoire intervient-il, lorsque le site acquis n’est pas naturel, mais occupé pardes activités telles la conchyliculture, la collecte de sel ouplus fréquemment l’agriculture ?Effectivement, un grand nombre de nos terrains –15 000 hectares, soit plus de 10 % du patrimoine duConservatoire – sont loués à des cultivateurs dans lecadre d’une convention d’occupation qui n’est pas unbail rural, en raison du caractère public des propriétésdu Conservatoire. La redevance est modeste, mais encontrepartie le Conservatoire s’assure que les pratiquesagricoles ne contribuent pas à la dégradation de l’envi-ronnement. Nous proscrivons donc l’élevage intensifou des cultures comme le maïs. Néanmoins, nous lais-sons un temps d’adaptation aux agriculteurs.

Quels sont vos rapports avec les autres acteursinstitutionnels tels que les établissements portuaires ou lescommunes sur lesquelles sont situés les terrains que vousachetez ?Notre mission foncière est menée après avis du conseilmunicipal intéressé. Le plus souvent du reste, nousintervenons à la demande des communes. Cela dit,certaines collectivités n’ont pas compris que le maintiend’espaces sauvages était un gage de développementpermanent, car un territoire préservé demeure attractif.De même, certains opérateurs publics, notamment lesgestionnaires de ports, sont tentés de se développer surles sites du Conservatoire.

Le littoral est le fruit d’une interaction entre laterre et la mer, tant du point de vue écologique que pay-sager. Comment le Conservatoire aborde-t-il la dimensionmarine ?Il dispose aujourd’hui de plusieurs moyens pourrépondre à l’objectif de gestion intégrée des zonescôtières. Depuis la loi du 27 février 2002 sur la démo-cratie de proximité (6), le Conservatoire s’est vu attri-bué des parties du domaine public maritime natureltelles 5000 hectares dans l’archipel de Chausey, le lidode Canet dans le Roussillon ou l’île aux oiseaux dansle bassin d’Arcachon. Or, le domaine public maritimenaturel, allant de l’estran (7) au fonds sous-marins, enpassant par la mangrove et les récifs coralliens enOutre-Mer, est par excellence le lieu de la rencontrede la terre et de la mer. De même, par un décret du 16octobre 2006, il a été habilité à faire des propositionsréglementaires au préfet maritime à la fois sur cedomaine public et sur les espaces adjacents dans lalimite d’un mille nautique de la laisse de haute mer.Enfin, le Conservatoire du littoral est représenté auconseil d’administration de l’Agence des aires marinesprotégées, de même que ladite agence l’est à celui duConservatoire.

… et des aires marines protégées

L’Agence des aires marines protégées a été instituée par la loi du 14 avril 2006 sur les parcs nationaux, les parcs naturels marinset les parcs naturels régionaux, afin d’animer le réseau des aires marines protégées et de susciter la création de nouvelles aires.Dans le cadre du programme international sur les aires marines protégées, adopté lors de la convention sur la diversité biologique,la France s’est fixée comme objectif la création de dix parcs naturels marins, dont deux en Outre-Mer. Il s’agit le plus souvent nonseulement de protéger les écosystèmes mais aussi de préserver les ressources halieutiques et conchylicoles et l’attrait touristiquedu territoire. Il existe actuellement trois parcs naturels marins : celui d’Iroise, en Bretagne, entre les îles de Sein et d’Ouessant ; celuide Mayotte et depuis octobre 2010, celui du golfe du Lion qui couvre 100 kilomètres de côtes et quelque 4 000 km2. Cinq autres sontà l’étude, le golfe normand breton, le bassin d’Arcachon, la côte d’Opale et les estuaires picards, l’estuaire de la Gironde et les Pertuischarentais et enfin les Glorieuses, dans l’océan Indien. Ces deux derniers devraient voir le jour très prochainement. I.B.

De vastesespaces “sauvages”préservéspar le Conservatoiredu littoral,tel celui d’Hatainvilledans le Cotentin.

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Précisément que recouvre leterme aire marine protégée ?Une aire marine protégée com-prend toujours un périmètre dontla partie littorale est bornée par lalaisse de haute mer, des orienta-tions de gestion et un conseil degestion. Néanmoins, il s’agit d’unterme générique qui recouvre demultiples appellations : les réservesnaturelles en mer, les parcs natio-naux incluant une partie maritime,les arrêtés de biotope, les zonesclassées au titre de la conventionde Ramsar, les parcs naturelsrégionaux, les espaces couverts parune convention de mer régionaleet la dernière catégorie en date, lesparcs naturels marins. Sont doncréunies derrière un même vocableplusieurs catégories de protectiondont l’étendue et les modalitésdépendent du moment où laditeprotection a été instituée. Ainsi, lavingtaine de réserves naturelles estadministrée à la mode des annéessoixante-dix – le directeur duconseil de gestion est nommé par le préfet – alors queles parcs naturels marins sont gérés de façon plusouverte et partenariale.

À quoi répond la création de l’Agence des airesmarines protégées ?Elle répond à l’engagement pris par la France de pro-téger 20 % de ses espaces maritimes, engagement lourdde conséquences puisque l’espace maritime français estle deuxième du monde. Une loi de 2006 a ainsi instituéles parcs naturels marins et parallèlement prévu la miseen place d’un organisme chargé de définir une stratégiesur toutes les côtes françaises. Au demeurant, lesconnaissances du milieu marin s’avèrent encore som-maires. L’agence dispose donc d’un budget de 18 mil-lions d’euros, dont la majeure partie est consacrée àdes études sur le milieu marin, lesquelles peuvent êtreeffectuées en régie ou confiées à des prestataires exté-rieurs. En résumé, son action s’inscrit de façon trèsanticipatrice dans la mise en œuvre de la directive-cadreStratégie pour le milieu marin.

Dans quelle mesure, les champs d’intervention duConservatoire du littoral et de l’Agence des aires marinesprotégées coïncident-ils ?La coopération entre les deux organismes varie selonle thème ; étroite dans le domaine de la préservationde la biodiversité, elle l’est beaucoup moins dans lalutte contre la pollution marine, car s’il est vrai que80 % de cette dernière est d’origine terrestre, il n’estpas moins évident que ce ne sont pas les propriétés duConservatoire qui en sont à l’origine. À cet égard, lespartenaires essentiels de l’Agence des aires marinesprotégées sont plutôt les agences de l’eau.

Une partie du patrimoine du Conservatoire pour-rait disparaître par érosion ou submersion marine ? Quelleest votre position en matière de lutte contre la mer ?Bien que 25 % de notre patrimoine soit potentiellementconcerné par ces phénomènes, nous acceptons que nosterres soient érodées ou submergées. Au demeurant,les terres en question peuvent n’être submergées quequelques semaines par an et le phénomène ne se pro-duira peut-être que dans cinquante ans, soit un laps detemps considérable à l’échelle humaine. LeConservatoire ne consacre donc que peu de moyens àl’entretien des ouvrages de protection contre l’érosionet la submersion, sauf bien entendu s’ils assurent lapréservation de maisons.

Que préconiseriez-vous pour mieux prendre encompte les enjeux du développement durable sur lelittoral ?Le Conservatoire du littoral a un périmètre d’actioncroissant. Nous acquérons plus de 3 000 hectares paran et établissons quasi quotidiennement des actesd’achat. Depuis peu, il anime le réseau d’observationdes 100000 hectares de mangroves dont il vient d’ail-leurs d’établir l’état des lieux. Mais, son personnel,quelque 150 salariés permanents, reste restreint. Parailleurs, les coûts d’acquisition, de remise en état etd’ouverture au public des terrains s’élèvent constam-ment. Il faudrait donc à la fois augmenter ses moyenshumains – essentiellement à mon point de vue, parredéploiement d’agents de l’État – ainsi que ses res-sources financières, en agissant sur la fiscalité applicableaux activités marines et sur les redevances dues au titrede l’occupation du domaine public maritime.

Propos recueillis par Isabelle BERTHIER

(1) Le National Trust, fondé en 1895, regroupe plusde trois millions de membres. Il détient quelque250 000 hectares et 1 300 kilomètres de rivages.(2) Dans le même souci d’ouverture au public desespaces littoraux, la loi du 31 décembre 1976,dorénavant intégrée à l’article L. 160-6 du Code del’urbanisme, a prévu une servitude de passage surles propriétés riveraines du domaine public maritime.(3) Le terme recouvre plusieurs métiers : gérant,conservateur, agent d’entretien, autant d’emploisqui requièrent des niveaux de qualifications allantdu CAP à des études supérieures approfondies.(4) Jusqu’à la loi du 27 février 2002 le Conservatoirene pouvait préempter qu’à défaut du Départementet uniquement dans les zones classées par celui-cien espaces naturels sensibles. Dorénavant, il peutintervenir ailleurs, dès lors que la commune ne s’yest pas opposée.(5) Pour les bâtiments qui ne peuvent pas êtreutilisés pour la gestion du site, le Conservatoirea signé un accord avec le Landmark Trust, fonda-tion anglaise, qui les restaure et les transforme engîtes ou en hôtels. Le Conservatoire reste maîtred’ouvrage du projet. Les premiers chantiers ontconcerné le fort de l’île Madame dans l’estuaire dela Charente et la maison de maître de l’île Tristanprès de Douarnenez.(6) Cf . art ic le L. 322-1. I I du Code del’environnement.(7) L’estran est la partie du littoral comprise entre lalaisse de basse mer et la laisse de haute mer.

Deux milieuxse côtoientet parfois s’affrontent.

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BASSIN DE THAU

Du SMVM au SCOT

Courant 2012, le syndicat mixte dubassin de Thau devrait avoir approuvéson schéma de cohérence territoriale(Scot), lequel comprend un volet lit-toral et maritime.Cet outil est déjà ancien, puisqu’il aété instauré par la loi du 23 février2005 sur le développement des terri-

toires ruraux (article 295), mais il n’a pas encore reçud’application concrète. Le syndicat sera donc l’une despremières structures à avoir assorti son Scot d’un voletlittoral.Qu’en la matière l’agglomération de Sète montre la voien’a rien de surprenant. Le “chapitre individualisé d’unScot relatif au littoral”, pour reprendre la terminologielégislative, s’apparente à un schéma de mise en valeurde la mer (SMVM). Or, le territoire des neuf communesriveraines de l’étang de Thau est l’un des rares à en être

Protéger de la pollution les eaux lagunaires est un enjeu vital pour lebassin de Thau, réputé pour ses productions aquicoles. D’où la miseen place, en 1995, d’un schéma de mise en valeur de la mer.Devenu obsolète, ce schéma doit être remplacé par le volet maritimeet littoral du schéma de cohérence territoriale, élaboré avec tous lesacteurs du territoire. Il a pour objectif la préservation de la qualitédes eaux et donc l’encadrement de la croissance de certainescommunes. Il prévoit, en revanche, une concentrationde la construction sur les terrains portuaires en déshérence.

L’étang de Thauet les différents périmètresd’intervention.

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doté. Cet instrument de planification du littoral élaborépar l’État n’a en effet rencontré que peu de succès. Unequinzaine de projets ont été étudiés, mais à ce jour peud’entre eux ont abouti, probablement en raison de lalourdeur de la procédure – un décret en Conseil d’Étatet donc une consultation interministérielle sont néces-saires – et de la complexité des enjeux qu’il est impératifde concilier, protection des milieux d’un côté, dévelop-pement des activités liées à l’eau de l’autre (1). De fait,seules quatre localités sont couvertes par un SMVM (2),dont l’étang de Thau, depuis 1995.

UN EmPLOI SUR DIx LIé À LA PêCHE ET ÀLA CONCHYLICULTURE

Il faut dire que dans ce dernier cas les deux objectifsprincipaux assignés au document s’harmonisent : laprospérité économique dépend de la préservation del’environnement. Les 7 500 hectares de la lagune deThau et l’étang adjacent d’Ingril sont très poissonneux.Mèze, Bouzigues et Marseillan abritent également devastes parcs à huîtres et à moules, dont la croissanceest beaucoup plus rapide que celle des coquillages bai-gnant dans les eaux plus froides de l’Atlantique. Laproduction de l’étang représente plus de 9 % de laconsommation française. Avec 3000 salariés, auxquelss’ajoutent 2 000 emplois indirects, la pêche lagunaireet la conchyliculture comptent ainsi pour 10 % desemplois du territoire. Or, aucune des deux activitésne peut subsister si la lagune n’est pas pure.Malheureusement, entre les eaux de ruissellement pro-venant des sites industriels et des routes, la vidange descargos et des bateaux de plaisance, les résidus azotéset phosphorés de l’agriculture et les rejets domestiques,voire ceux de l’activité conchylicole elle-même (3), lerisque de déversement de substances nocives dans lebassin de Thau n’est pas anodin. Périodiquement d’ail-leurs, le secteur est frappé par une surmortalité desmollusques et des épidémies de salmonellose.L’installation de stations d’épuration a certes permis

d’améliorer la situation – une étude de l’Institut fran-çais de recherches et d’études pour l’exploitation de lamer (Ifremer), réalisée après l’épidémie de 1997, estimeainsi que “cet écosystème original n’est plus en voied’eutrophisation” – mais la menace n’a pas totalementdisparu (4). En février 2011, les huîtres furent interditesà la vente.Pourtant, depuis plus de quinze ans, le schéma de miseen valeur de la mer s’efforce de garantir la qualité deseaux de la lagune, indispensable à la préservation d’uneindustrie dont il a, avec la pêche et le port de commerce,affirmé la prépondérance. C’est en effet la principaleraison d’être de ce document étatique, élaboré à l’ins-tigation pressante des organisations piscicoles etconchylicoles, alarmées par un projet pharaoniqued’urbanisation des douze kilomètres du lido, de Sète àMarseillan, que soutenait le maire de l’époque, YvesMarchand. Aussi, après avoir stipulé que “l’ensembledes autres activités doivent organiser leur développementen fonction des contraintes particulières à la pêche etaux cultures marines”, le SMVM a-t-il défini l’usage desespaces lagunaires et terrestres des neuf communesriveraines. Non sans effets positifs. “Il a contenu l’urba-nisation dont la croissance eut, en son absence, été beau-coup plus forte, vu la proximité de Montpellier”, com-mente Jean-Jacques Taillade, chargé d’étude auSyndicat du bassin de Thau. Et Claire Dollé, qui suitle dossier pour la direction départementale des terri-toires et de la mer de l’Hérault, de confirmer : “L’activitéostréicole aurait disparu.”Le SMVM n’est pourtant pas sans défaut.Il en est d’abord ainsi pour la partie consacrée aux acti-vités portuaires, qu’il s’agisse de la plaisance, de lapêche professionnelle ou du port de commerce.D’un côté en effet, comme il s’agissait d’insister sur lavocation commerciale et halieutique des ports, plu-sieurs infrastructures de plaisance – les bases nautiquesde Sète et de Mèze, le canal du Barrou, le port desQuilles – ont été volontairement oubliées. En

La vocation des espaces terrestres

Les représentants du syndicat mixte du bassin de Thau devront faire preuve de grandes qualités de persuasion auprès des communesqui le composent.En effet, la capacité d’accueil du territoire définie par le Scot est faible. Avec 20 000 logements, soit 40 000 habitants supplémentaires àl’horizon 2030, elle est certes analogue au taux de croissance de l’Hérault (1,3 % par an), mais elle demeure largement inférieureà l’augmentation actuelle enregistrée dans les pourtours de la lagune.Par ailleurs, le développement doit être concentré autour de Sète et de Frontignan (9 200 habitants supplémentaires pour chacunedes villes), en particulier sur les espaces anciennement dévolus à l’activité industrialo-portuaire (1). En contrepartie, la capacitéd’accueil, hors renouvellement urbain, est très réduite dans certaines communes, telles Balaruc-le-Vieux, Mireval, ou Montbazin(respectivement 200, 400 ou 600 habitants), dont l’urbanisation est souvent assujettie à de multiples restrictions : zones inondables,sensibilité des milieux naturels, espaces remarquables, ressources en eau insuffisantes.Le volet littoral comprend deux cartes. La première porte sur les modalités d’application de la loi littoral : coupures d’urbanisation,espaces remarquables, urbanisation limitée… La seconde définit les cinq vocations des espaces, à savoir les cultures marines– les zones conchylicoles du SMVM sont intégralement reproduites et restent exclusives, bien que les pêcheurs y aient accès – la pêche,les activités portuaires, le tourisme/loisirs/navigation, et la protection des milieux et des équilibres biologiques terrestres et maritimes.Cette dernière vocation reprend de nombreux éléments de la carte d’application de la loi littoral et en particulier ceux relatifsaux espaces remarquables. Les vocations peuvent être exclusives ou simplement prioritaires. I.B.

(1) 500 hectares à Frontignan et 270 à Sète, inscrits par le SMVM dans la zone industrialo-portuaire, commerciale et artisanale, devraient être déclassés.Certains terrains sont frappés d’un risque de submersion. Néanmoins, ils devraient pouvoir être urbanisés sous certaines conditions.

L’activitéconchylicoledépendde la qualitéde l’eau.

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conséquence, le nombre d’anneaux figurant dans ledocument est quelque peu fictif. À Sète, plus de1000 bateaux n’ont pas été comptabilisés et la flotte duport de Marseillan est largement sous-évaluée.De l’autre, le SMVM n’opère aucune distinction entreles usages artisanaux, industriels, commerciaux et por-tuaires, probablement par souci de favoriser la recon-version des multiples parcelles trop imbriquées dans letissu urbain pour convenir vraiment à une utilisationportuaire. De très vastes emprises apparaissent souscette dernière rubrique (5) laquelle comprend la quasi-totalité des zones d’activité du territoire, qu’elles setrouvent à Frontignan, Marseillan, Poussans, Mèze,Balaruc ou à Sète. En plein centre de cette dernièrecommune, tout un quartier, contigu à l’avenue Victor-Hugo, où se succèdent hôtels, restaurants et même unthéâtre, est ainsi classé en zone industrialo-portuaire.Or, le déclin des industries portuaires, qui se faisait déjàsentir lors de l’élaboration du document, s’est accéléré.Divers accidents – les navires ont en effet de tropgrandes dimensions pour pouvoir manœuvrer aisément– ont précipité la chute. Conformément au zonage duSMVM, les raffineries, les usines chimiques et lescimenteries ont alors été remplacées par des ateliers etdes grandes surfaces ou laissé place à des friches.Aujourd’hui, des dizaines d’hectares jouxtant le portet la gare de Sète sont libres de toute occupation. Cequi constitue autant d’occasions perdues de reconquêteurbaine pour une ville, dont la population a décru, etqui aurait pu accueillir le surplus démographique liéau dynamisme de Montpellier.

L’éTALEmENT URbAIN À L’ExTéRIEUR DEL’AIRE DU SmVN

Faute de pouvoir s’établir à Sète ou à Frontignan, lesnouveaux habitants se sont alors fixés dans les petiteslocalités de la rive nord de l’Étang, puis, hors de l’aired’application, dans les communes du haut du bassinversant de Thau. C’est que par manque de suivi, la miseen conformité de certains plans d’occupation des solsavec les dispositions du schéma de mise en valeur dela mer s’est longtemps fait attendre. C’est surtout que,tout en limitant strictement l’urbanisation des com-munes, il ne réglementait pas la zone agricole et nefixait aucune norme de densité. À coup d’édificationde pavillons sur des parcelles de 1 500 m2 – l’habitatindividuel représente la quasi-totalité des logementsconstruits – les terrains disponibles se sont très vitetaris. “L’extension urbaine, relève Jean-JacquesTaillade, s’est donc effectuée sur les communes proches,Gigean, Montbazin, Villeveyrac… qui ont connu unecroissance extraordinaire. Outre l’impact regrettable quecet amas de lotissements a eu sur la perception visuelledes villages, le phénomène a eu des répercussions sur laqualité des eaux lagunaires, puisque les réseaux d’assai-nissement de ces communes se déversent dans l’étang deThau. L’objectif du SMVM n’a donc pu être totalementatteint.” Et Claire Dollé de résumer : “Le bilan qu’ontconjointement dressé, en 2008, l’État et le syndicat mixtedu bassin de Thau est sans appel : son zonage étaitdevenu obsolète.”

L’État a alors proposé aux collectivités locales de leremplacer par le volet maritime et littoral du Scot,lequel était alors en cours d’élaboration. Aux termesde la loi en effet, les deux documents ont la mêmevaleur juridique.Il reste que substituer au SMVM le volet littoral d’unScot était une affaire délicate. Non en raison de l’ab-sence de structures compétentes. Le syndicat mixte dubassin de Thau, dont le périmètre avait précisémentété arrêté en 2005 dans la perspective d’adoption duScot et qui intégrait un nombre élevé des communesdu bassin versant (14 sur 26), était à même de jouer cerôle (6). En outre, la longueur du processus n’était plusun obstacle. La procédure s’est de fait fortement allé-gée, puisqu’il n’est plus besoin de décret en Conseild’État et que désormais le préfet approuve le voletlittoral.Le contexte institutionnel était donc favorable.Toutefois, l’abrogation de l’actuel SMVM exigeait quesoient levées deux incertitudes, relatives, pour l’une, àl’accord des acteurs économiques, et pour l’autre, aucontenu du volet littoral et maritime ainsi qu’à ses liensavec le volet terrestre du Scot.Tout d’abord, il fallait rassurer les associations deconchyliculteurs et de pêcheurs. Celles-ci ne pouvaientque redouter le remplacement d’un document où l’Étatgarde la mainmise sur l’évolution du territoire par unautre plus hybride où la voix des collectivités locales,sans être exclusive, puisque le préfet et le préfet mari-time donnent préalablement leur accord, pèse biendavantage.Ces associations étaient d’autant plus légitimementinquiètes qu’entre les activités de loisir et le secteur pro-ductif, comme au sein des divers types de production,les conflits d’usage sont innombrables. Hier, les véliplan-chistes, aujourd’hui les kite-surfers, demain peut-être lesvoiliers, si les darses du port de commerce se mettent àaccueillir une foultitude de petits bateaux de plaisance,

Le Scot fixeun minimumde 100 logementsà l’hectare à Sèteet Frontignan.

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sont susceptibles de s’échouer sur les tables d’huîtres etde moules comme sur les filets des pêcheurs côtiers. Enréalité, tout équipement peut avoir des répercussionsfâcheuses sur l’aquiculture. C’est ce que pourrait biendémontrer le projet Aqua Domitia de transfert de l’eaudu Rhône, défendu par la compagnie du Bas-Rhône-Languedoc. S’il est mené à terme, il n’est en effet pasexclu que certains agriculteurs remplacent leurs peulucratifs plants de vignes par des céréales (7). Or, qui ditgrandes cultures dit abondance de pesticides et d’engraiset donc risque de dégradation de la lagune.Les associations de conchyliculteurs ont pu cependantexprimer leurs préoccupations, alors qu’elles ne sontpas normalement associées à l’élaboration d’un Scot.Une commission réunissant élus et représentants desprofessions de la pêche et de la conchyliculture a eneffet été instituée au sein du syndicat mixte du bassinde Thau.

VOLET mARITImE : qUEL CONTENU ETqUELLE ARTICULATION ?

Il fallait aussi lever un certain nombre d’interrogationssur le type de préconisations que doit contenir un voletlittoral et maritime et son articulation avec le Scot.L’article L. 122-8 du Code de l’urbanisme précise eneffet que le chapitre individualisé valant schéma demise en valeur de la mer comprend les “orientationsfondamentales de protection du milieu marin, de gestiondu domaine public maritime… ainsi que les dispositionsqui ne ressortent pas du schéma de cohérence territo-riale”. Dans ces conditions, pouvait-on inclure dans levolet littoral les dispositions relatives à l’application dela loi littoral et à son interprétation par l’État ? D’unepart, il est incontestable qu’il s’agit là d’un élémentclassique des Scot ; de l’autre, il n’est pas moins certainque le contrôle de l’utilisation du sol sur tout le bassinversant diminue le risque de pollution et donc assurela protection du milieu aquatique, en particulier dansun espace aussi fermé que l’étang de Thau. Aprèsmûres réflexions, les services de l’État comme le syn-dicat mixte résolurent d’inscrire dans le volet littoralet maritime du Scot les dispositions relatives à la loilittoral. De fait, aucun des facteurs contribuant à laqualité des eaux n’a été négligé. Les zones protégéessont élargies et comprennent désormais certaines par-ties du bassin de la Vène et du Pallas, l’étang de Vic etses berges comme les étangs de la Peyrade et desMouettes, dont le SMVM envisageait auparavantl’aménagement. En outre, les communes devront sedoter de schéma d’assainissement pluvial et l’accueilde population s’effectuera prioritairement dans lessecteurs dont les réseaux ne se déversent pas dans lalagune, cette exigence de répartition prioritaire dudéveloppement urbain étant assortie d’objectifs chif-frés. “Chacun des éléments du système hydrographiquesera surveillé. Toute artificialisation nouvelle y est pro-hibée”, souligne Jean-François Taillade. Par ailleurs,les périmètres des volets terrestres et maritimes serecoupent ou plus exactement, comme l’explique ClaireDollé, “ce dernier volet ne se limite pas à la mer et aulittoral mais s’étend à tout le Scot. À l’heure actuelle, la

(1) Les schémas de mise en valeur de la mer sontrégis par la loi du 7 janvier 1983 et le décret d’appli-cation du 5 décembre 1986.(2) Outre le bassin de Thau, il s’agit du golfe duMorbihan, du Trégor-Goelö et du bassin d’Arcachon.À ceci s’ajoutent les schémas d’aménagement ré-gional de quatre départements d’outre-mer et de laCorse, qui valent SMVM.(3) D’un côté, les ports ne sont pas équipés deréseau d’assainissement collectif ni d’installation decontrôle des équipements de récupération des eauxnoires et grises des navires. De l’autre, les cahiersdes charges de gestion des rejets issus des décan-teurs et des déchets des zones conchylicoles, prévuspar le SMVM, n’ont pas été rédigés.(4) En 2003, la préfecture a inscrit en zone de caté-gorie B l’étang de Thau, qui ne faisait auparavantl’objet d’aucun classement. Du fait de ce classe-ment, les huîtres doivent séjourner dans des bassinsavant la mise sur le marché. Il existe en effet quatrecatégories, du A (consommation immédiate) au D(impropre à la consommation).(5) Le zonage portuaire, artisanal, commercial etindustriel comprend 1 200 hectares terrestres aux-quels s’ajoutent 2 800 hectares de plan d’eau.(6) Le syndicat mixte du bassin de Thau est constituéde la communauté d’agglomération de Sète et dela communauté de communes du nord du bassinde Thau. Il a été créé sous l’impulsion de l’État quisubordonnait la signature du troisième contrat delagune à la création d’une structure intercommu-nale de planification et de gestion compétente surle pourtour du bassin. Outre l’élaboration du Scot, lesyndicat assure le secrétariat et l’appui technique detrois instances, le comité de lagune chargé de pro-grammer les travaux, la commission locale de l’eaupour l’élaboration du schéma d’aménagement et degestion des eaux, le comité de pilotage compétentpour les zones Natura 2000.(7) La vigne constitue 80 % des cultures maismalgré la présence de vins, tels que le Muscat etle Picpoul, l’activité n’est pas très florissante : cinqmille hectares de vigne sont en friche.(8) La procédure d’élaboration du volet littoralreprend celle du SMVM. Or, dans ce dernier cas,la loi précise que le préfet s’appuie sur un comitéde suivi. Ce comité a été initialement instauré en2005 par le préfet Francis Idrac pour suivre le bilandu SMVM ainsi que les contrats dont l’étang deThau fait l’objet. Il est coprésidé par le préfet etle président du syndicat mixte du bassin de Thau.Néanmoins, c’est le préfet qui le convoque et fixel’ordre du jour.

Les espaces maritimes

En intégrant les infrastructures de plaisance ignorées par le SMVM, le volet littoral du Scot entérine l’état de fait. Le développementde la flotte est cependant encadré. Aucune création ou extension de port de plaisance n’est ainsi admise. En revanche, les plans d’eaude grande profondeur du port de Sète, situés en zone urbaine, canal maritime et bassin du midi, pourront être utilisés pour la plaisance,bien que les navires au long cours, peu susceptibles de fréquenter la lagune, doivent être privilégiés. Le comblement du bassin, ditde la digue fluvio-maritime, a été autorisé, afin d’assurer le développement du port régional de Sète-Frontignan : la nouvelle airede carénage y sera installée. Enfin, dans la commune de Poussan, des terres agricoles proches de l’échangeur autoroutier ont étéclassées en vocation portuaire.Comme dans l’ancien SMVM, l’essentiel du volet littoral porte sur la lagune. L’espace maritime a été très peu étudié. Toutefois, la carterelative à l’application de la loi littoral ne se limite pas aux zones côtières mais protège le plateau des Aresquiers. I.B

question de la compatibilité entre le chapitre individua-lisé et le reste du Scot ne se pose pas, puisque les deuxparties sont élaborées conjointement. Le rapport deprésentation comme le projet d’aménagement et de déve-loppement durable seront ainsi communs. Mais il fautse prémunir contre une révision future du Scot”.Moult précautions ont cependant été prises pour empê-cher d’éventuelles dérives. Tout d’abord, au grand damde nombre d’élus qui se seraient parfaitement accom-modés d’une cartographie souple à base de grandesflèches, l’échelle des deux cartes que comprend le voletlittoral (voir encadré p. 42) est aussi fine que celles duSMVM. Ponctuellement du reste, l’analyse sera plusprécise. Ainsi, les zones stratégiques qui, comme àFrontignan ou Sète, devraient accueillir le maximumde population, feront l’objet de schéma de secteurs.Par ailleurs, le Scot fixe un nombre minimum de loge-ments à l’hectare, variable selon les communes – de30 logements en général, pour les plus petites d’entreelles, à 100 pour Sète ou Frontignan – les municipalitésse voyant par ailleurs imposer des règles de répartitionentre l’extension et le renouvellement urbains.Mais pas plus que le SMVM, le volet littoral du Scotne pourra à lui seul garantir la propreté des eaux etdonc assurer le maintien d’une industrie qui en est tota-lement tributaire. Il faut pour cela qu’il soit mis enœuvre. C’est d’ailleurs pourquoi, dans le cadre d’uneexpérimentation conduite par la Délégation à l’amé-nagement du territoire et à l’attractivité régionale(Datar) sur la gestion intégrée des zones côtières, il aété instauré un comité stratégique présidé par le préfetde l’Hérault et animé par le syndicat mixte du bassinde Thau (8). Ce comité qui réunit l’ensemble desacteurs du littoral, y compris les représentants despêcheurs et des conchyliculteurs sera non seulementresponsable de l’élaboration et de la mise en œuvre desdocuments de planification, Scot et schéma d’aména-gement et de gestion des eaux, mais également de ladétermination du programme de travaux afférents. Encela, les communes du bassin de Thau sont dans l’airdu temps. L’association de tous les acteurs à l’élabora-tion, à la mise en œuvre et à l’évaluation de l’actionpublique s’inscrit en effet dans la conception de la ges-tion des espaces littoraux et marins qu’a dégagéel’Union européenne dans divers textes dont la direc-tive-cadre du 15 juillet 2008 sur la stratégie pour lemilieu marin.

Isabelle BERTHIER

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Mer et littoral

Évaluer la capacitéd’accueil

Sur la base des conceptsdu développement

durable et de la gestionintégrée des zones

côtières, les servicesde l’État et deschercheurs de

l’université de Nantesont mis au point une

méthode pour aider lescollectivités locales à

évaluer la capacitéd’accueil d’un territoire,

concept issu de la loilittoral. Cette applicationest lauréate de l’appel à

projet “Quel littoral pourdemain ?”

de la Fondationde France.

Par ailleurs, les ressources varient d’une commune àl’autre, puisque ce sont les élus qui jugent que tel outel élément contribue à la richesse du territoire.L’évaluation s’effectue en trois temps.Lors de la première phase, chaque groupe d’acteurs,personnes publiques, associations d’usagers, commer-çants, organisations professionnelles, exprime sa per-ception des dysfonctionnements. Sur la base des désé-quilibres créés par la pression humaine (résidents etactivités) une liste des enjeux est alors établie : resterune ville de petite dimension, lutter contre le mitage,préserver l’agriculture… À la fin de cette premièrephase, les ressources à enjeux, celles qui risquent dedisparaître, sont répertoriées.Dans la deuxième phase, il s’agit de déterminer fine-ment les pressions qui s’exercent sur le territoire.Dans la troisième phase, un certain nombre d’indica-teurs destinés à suivre l’évolution (fragilisation, conso-lidation, accroissement) de ces ressources sont définis,ce qui permet de fixer une capacité maximum d’accueil,autrement dit de tester l’impact du projet et son oppor-tunité. Et comme il fallait que la méthode d’analysepuisse être utilisée quel que soit le contexte local,l’étude balaye donc toutes les questions que pose l’amé-nagement d’une commune littorale, en insistant sur lesliens entre les thématiques. C’est ainsi que 104 situa-tions de déséquilibre et 158 indicateurs sont répertoriésdans la grille d’évaluation. Les chercheurs ont en outrerecensé une trentaine de questions incontournablestelles que l’impact des nouvelles constructions surl’identité paysagère et architecturale ou les consé-quences du développement du tourisme sur le maintiendes savoir-faire locaux et des pratiques sociales.L’évaluation de la capacité d’accueil procède doncautant d’une confrontation entre les points de vue desdifférents acteurs du territoire que d’un calcul.

Isabelle BERTHIER

À la demande de la direction régio-nale de l’environnement, de l’amé-nagement et du logement (DREAL)des Pays de la Loire et du Plan urba-nisme, construction et architecture(PUCA) du ministère de l’écologie,du développement durable, destransports et du logement, trois

chercheurs de l’université de Nantes – un juriste,Jean-François Struillou, une économiste, AgnèsPouillaude et une géographe, Céline Chadenas, enca-drés par un quatrième universitaire, Patrick Pottier– ont réalisé une étude sur l’évaluation de la capacitéd’accueil dans les communes littorales. Il s’agit devérifier si l’accueil supplémentaire de population etd’activités que la collectivité locale envisage est com-patible avec ses objectifs et les ressources du terri-toire. Aussi, la méthode mise au point par les cher-cheurs repose-t-elle sur un recensement desditesressources que la pression anthropique peut mettre àmal. Les universitaires les ont regroupées en troistypes, environnemental, humain, économique, quireprennent les trois axes du développement durable,puis divisées en une soixantaine de rubriques tellesque l’eau, le sol, la faune et la flore, l’équilibre de lacomposition démographique, les rapports sociaux oule tissu économique. Au-delà de ces données de base,il en existe de transversales, constituées par unensemble de composantes en interaction les unesavec les autres. Ce sont les ressources complexes. Lefoncier rentre par exemple dans cette catégorie : toutchangement d’affectation peut avoir des effets surl’environnement comme sur le capital de la collecti-vité, sur le tissu économique comme sur le moded’habitat, le prix des terrains se répercutant sur lecoût des équipements publics tout autant que surcelui des bureaux et des logements.

Évaluer l’impactd’un projetsur les ressourcesd’un territoire.

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Paroles d’acteursl’aborde de façon très limitée : la capacité d’accueiln’est envisagée que sous l’angle spatial et se trouvecantonnée à la possibilité d’urbanisation ; elle est sou-vent confondue avec l’hébergement, les excursionnistesn’étant alors pas du tout pris en compte, alors que leurprésence peut être source d’importantes perturbations,comme le souligne Agnès Pouillaude, actuellementchargée d’études à la DREAL des Pays de la Loire, àpropos des dégâts causés par les pêcheurs à pied decoquillages sur les plages bretonnes. “Le sujet, résumecette dernière, est le plus souvent énoncé en terme quan-titatif et de manière sectorielle, ce qui ne permet pas defaire apparaître les conflits d’usage ni d’ailleurs touteautre tension. Le coût des équipements et des servicespublics qu’il faut implanter pour répondre aux nouveauxbesoins n’est ainsi jamais calculé. De même, la capacitédes milieux à absorber la pression humaine, en un motla notion de seuil critique au-delà duquel une ressourcedisparaît, est totalement négligée.”Diverses circonstances, notamment la diffusion duconcept de développement durable au sein de la sociétéfrançaise et la crainte du contentieux, ont modifié ladonne.Ainsi, il est apparu qu’une telle lacune faisait peser uncertain risque sur la validité juridique du documentd’urbanisme. En 2004, pour la première fois, un pland’occupation des sols, celui de l’île d’Yeu, a été annulépour erreur manifeste d’appréciation sur la capacitéd’accueil : l’urbanisation prévue, 800 logements en dixans, a été jugée disproportionnée à l’état des réseauxd’assainissement d’eau et de traitement des ordures (1).

Pour Alain Laville-Fournier, directeur adjoint de ladirection régionale de l’environnement, de l’aménage-ment et du logement (DREAL) des Pays de la Loire,le guide sur l’évaluation de la capacité d’accueil et dedéveloppement des territoires littoraux, que les serviceslocaux de l’État ont conçu avec l’aide de chercheurs del’université de Nantes, répond à un objectif précis : “Ils’agit de proposer aux communes une méthode qui leurpermette d’arbitrer plus facilement entre différents inté-rêts, entre divers modèles de croissance, tout ceci afin deconcilier le développement d’un territoire et la préser-vation des richesses qui en font l’attrait et sont donc àl’origine de ce développement. Et d’ajouter : Nousn’entendons pas proférer des injonctions sans aider lesélus à s’y conformer. Il s’agissait de faire preuve de prag-matisme. C’est pourquoi, nous avons vérifié dans deuxterritoires expérimentaux, l’île d’Yeu et le Pays de Retz,que les outils d’évaluation de la capacité d’accueil, etnotamment la grille d’analyse, correspondaient aux pra-tiques des collectivités locales.”Dans le droit de l’urbanisme, le concept de capacitéd’accueil est relativement ancien. Il a, en effet, étéintroduit par l’article 3 de la loi littoral de 1986. Ainsi,l’article L. 146-2 du Code de l’urbanisme, issu de cetarticle 3, dispose que pour déterminer la capacité d’ac-cueil des espaces à urbaniser, les documents d’urba-nisme doivent tenir compte de la préservation desespaces remarquables, de la protection des espacesnécessaires au maintien des activités traditionnelles etdes conditions de fréquentation par le public desespaces naturels. Là s’arrêtent toutefois les précisionsde la loi. Ce qui confère aux collectivités locales unemarge d’appréciation importante… probablement tropimportante. Cette liberté d’action n’a pas tant donnélieu à une pluralité des conceptions, dont l’hétérogé-néité aurait pu résulter de la variété des contextes géo-graphiques et sociaux, qu’à un certain désintérêt mani-festé par les autorités responsables de l’élaboration desdocuments de planification. “Les communes, commenteAlain Laville-Fournier, hésitaient souvent à s’emparerdu sujet, faute de savoir le traiter. L’État avait d’ailleursdu mal à répondre à leurs interrogations. Quand la ques-tion était abordée, c’était le plus souvent sous l’angle dufoncier disponible, plus rarement sous celui des équipe-ments publics nécessités par l’urbanisation projetée, maisjamais le problème n’était analysé dans son ensemble enintégrant l’effet de la pression humaine sur le paysage etla culture, le mode de vie des habitants et ladémographie.”Tel est bien le constat auquel ont abouti Patrick Pottier,Céline Chadenas, Jean-François Struillou et AgnèsPouillaude. Les universitaires font ainsi mention deschémas de cohérence territoriale (Scot) ou de planslocaux d’urbanisme (PLU) qui ignorent purement etsimplement la question. Le rapport de présentation seborne souvent à reproduire les dispositions de la loi ou

Le tropisme balnéairesoumet le littoralà une pressioncroissante.

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Au demeurant, l’intégration dans le corpus législatiffrançais de notions issues du droit communautaire, tellela capacité de charges consacrée par le protocole du22 janvier 2008 relatif à la gestion intégrée des zonescôtières de la Méditerranée, signé par quatorze paysdont la France, ne peut qu’inciter les collectivitéslocales à ne pas aborder la capacité d’accueil sous leseul angle de l’espace disponible ou des équipementspublics nécessaires. Le concept de gestion intégrée deszones côtières repose en effet sur un principe fonda-mental : aucune ressource ne doit être sacrifiée à priori.La capacité de charges fait ainsi référence à toute unesérie d’éléments comme l’écologie, l’hydrologie, la géo-morphologie, l’économie et le système socioculturel.En résonance avec la multiplicité des questions qu’ilfaut aborder pour aboutir à une gestion intégrée dulittoral, le nombre de situations de déséquilibre etd’indicateurs identifiés dans la méthode d’évaluationde la capacité d’accueil est considérable. Dans le terri-toire test de l’île d’Yeu, quelque soixante-dix situationsde déséquilibre et une centaine d’indicateurs ont étérecensés, dont certains se sont d’ailleurs révélés inopé-rants faute de données. Ce qui rend l’utilisation de laméthode quelque peu complexe. Toutefois, la démarchea reçu un accueil favorable de la part des collectivitéslocales et des bureaux d’études auxquels la DREALdes Pays de la Loire l’a présentée. D’ailleurs, l’Agencede l’environnement et de la maîtrise de l’énergie(Ademe) a décidé que les évaluations de la capacitéd’accueil effectuées sur la base de cet outil seraientéligibles aux subventions qu’elle accorde pour l’élabo-ration des analyses environnementales del’urbanisme (2).Comme cela a été prouvé dans les deux territoires-ateliers, l’île d’Yeu et le Pays de Retz, l’évaluation dela capacité d’accueil permet en effet de révéler

certaines erreurs de diagnostic, tout en dépassionnantle débat public.S’il s’est ainsi avéré qu’en cas de rupture de la canali-sation sous-marine qui alimente en eau potable l’îled’Yeu, les réserves s’épuiseraient en quelques jours, ila également été démontré que ce n’était pas la pénuriede terrains constructibles qui fermait le marché dulogement – locatif ou en accession – à nombre d’habi-tants mais bien la disparité des moyens financiers qu’ilspouvaient y consacrer, au regard des ressources depersonnes originaires d’autres localités.“Le syndicat du Scot du Pays de Retz a accepté de testerla méthode d’évaluation de la capacité d’accueil,confirme Jean-Pascal Hébrard, chargé du suivi du Scotà l’agence d’urbanisme de la région nantaise, parcequ’elle permettait d’alimenter les débats sur le pland’aménagement et de développement durable alors enphase de concertation et de questionner la pertinence deses principes, tout en s’assurant que rien d’essentieln’avait été omis. Il ne suffit pas d’afficher un objectif dedéveloppement de l’activité économique, il faut encoreque les emplois créés puissent être pourvus localementet que les salariés puissent trouver à se loger.”Certes, il n’est pas exclu que l’évaluation de la capacitéd’accueil ne serve qu’à justifier des décisions déjà arrê-tées. Ce pourrait notamment être le cas si la démarchen’est entreprise qu’une fois le projet défini. Il est éga-lement possible que certaines communes renoncent àutiliser l’outil, par crainte de voir les associations sesaisir des indicateurs de fragilité pour étayer leurscontestations d’un projet.Il reste que l’évaluation de la capacité d’accueil ne metpas seulement en relief la mise à mal d’une ressourceet les menaces qui pèsent sur un territoire. Elle en faittout autant ressortir les atouts. Ainsi, la ville d’Asséracen Loire-Atlantique a pris conscience d’une particula-rité susceptible d’attirer certains touristes : toute lacommune, du centre-ville à la plage, en passant par leslogements, est accessible aux handicapés. “Il ne s’agitpas de régler telle ou telle question mais de changer leregard. C’est aux élus à se prononcer sur ce qui constituel’identité du territoire : beauté des paysages, patrimoinearchitectural, caractère insulaire, vigueur du tissu asso-ciatif, nature des relations sociales, type d’activités éco-nomiques, savoir-faire traditionnel. Mais la démarched’évaluation de la capacité d’accueil peut leur permettrede mieux appréhender les effets de tel ou tel projet. Il n’ya pas d’action anodine, résume Alain Laville-Fournier,avant de conclure : Quant aux services de l’État, l’éva-luation les aide à mieux argumenter les positions qu’ilssont amenés à défendre sur les projets communaux dansle cadre du porter à connaissance.”C’est pourquoi, la DREAL des Pays de la Loire a dis-pensé des formations sur cette méthode aux agents desdirections départementales des territoires et de la mer(DDTM) de Vendée et de Loire-Atlantique (3) Leflambeau doit prochainement être repris par les centresd’études techniques de l’équipement (Cete) de l’Ouestet de l’Est qui se chargeront de la diffuser aux autresDDTM.

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(1) Cf. le jugement du tribunal administratif deNantes du 29 juillet 2004.(2) De fait, la méthode mise au point par les cher-cheurs nantais et la DREAL se rapproche des évalua-tions environnementales instituées par les articlesL. 121-10 du Code de l’urbanisme et L. 122-4 duCode de l’environnement ainsi que de l’évaluationenvironnementale mentionnée dans l’article 19 duprotocole de 2008 sur la gestion intégrée des zonescôtières.(3) La formation s’échelonnait sur huit mois incluantplusieurs sessions de formation (au total 6 jours)ainsi que des travaux à effectuer entre les sessions(4 jours).

Des activitéscontradictoiresou concurrentesdoivent coexister.Ici, la pêche à pied.

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Diagonal : Quels enseignements tirez-vous de votre expérience ?Alain Cousin : Je dois tout d’abordfaire part de ma surprise. Malgré ladiversité des intervenants, élus, asso-ciations de protection de l’environne-ment, techniciens de l’État, conchyli-culteurs, associations de propriétaires

riverains, le constat a été unanime. La lutte contre lesphénomènes physiques qui peuvent modifier le traitde côte, c’est-à-dire l’érosion pour les côtes sableusesou les falaises et la submersion pour les côtes basses,n’est pas un sujet technique que des aménagements

ponctuels permettent de régler.C’est un problème politique quimêle des problématiques aussi di-verses que l’urbanisme, la gestiondu domaine public maritime, laprévention des risques, le type definancement mobilisable et la pré-servation des écosystèmes. Ainsi, larestauration du bon fonctionne-ment des écosystèmes côtiers,zones humides, cordons dunaires,limite l’érosion car ces écosystèmesconstituent des espaces de dissipa-tion de l’énergie de la mer. De fait,le traitement de la question exigede coordonner l’action de mul-tiples acteurs et d’articuler plu-sieurs politiques et différenteséchelles spatiales et temporelles.En effet, l’échelle des documentsde planification, qu’il s’agisse desplans locaux d’urbanisme, des sché-mas de cohérence territoriale oudes plans de prévention desrisques, n’est pas toujours cohé-rente avec celle du phénomènephysique, qui relève du périmètredes cellules sédimentaires.

Pourtant, l’histoire des mis-sions d’aménagement du Languedoc-Roussillon et de l’Aquitaine ne dé-montre-t-elle pas que la gestion dutrait de côte n’a longtemps été envi-sagée que de façon circonscrite ?En effet, les politiques de luttecontre l’érosion ont conduit à laconstruction d’ouvrages de géniecivil qui réglaient la question loca-

lement mais ont souvent aggravé l’érosion ailleurs. Ilfallait alors prévoir un autre dispositif de protection etpuis un autre et, de proche en proche, tout le littoral apu se trouver artificialisé. Aujourd’hui, un cinquièmedu littoral métropolitain est protégé par des ouvrages.Et pourtant la question n’est pas réglée, puisqu’unquart de celui-ci s’érode, que le niveau de la mer aug-mente depuis des décennies et que cette élévationpourrait s’intensifier, compte tenu du changement cli-matique en cours et de ses effets sur le régime des tem-pêtes et des marées (1). C’est pourquoi, les membresdu groupe de travail ont été unanimes sur un autrepoint : la volonté de protéger les biens et les activitéscontre le risque d’érosion ne peut se traduire par la

Le littoral,une frontière mouvante

Certains ouvragesrèglent des problèmesmais peuventen générer d’autres.

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L’érosion touche 25 %du littoral métropolitain,mais ce phénomène, demême que la submersionmarine, ont desamplitudes et des causesmultiples, variables selonla façade maritimeconcernée. Dans lesillage du Grenelle de lamer et de la tempêteXynthia, NathalieKosciusko-Morizet,ministre dudéveloppement durable,a proposé qu’unestratégie nationale degestion du trait de côte,du recul stratégique etde défense contre la mersoit élaborée au seind’un groupe de travailad hoc. Son président,Alain Cousin, député dela Manche,en rend compte.

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Mer et littoral

création de digues sur tout le littoral. Outre son absur-dité, une telle proposition est financièrement intenable.La côte est naturellement mobile et ne peut pas êtrefixée partout.

Pouvez-vous préciser ?Le choix des aménagements doit être fonction de ladensité des implantations. Il doit également être fondésur une analyse coûts/bénéfices. D’une manière géné-rale en outre, il faut privilégier les techniques réver-sibles. Les opérations de protection à base d’épis, dedigues ou de brise-lames ne peuvent ainsi être envisa-gées que dans des secteurs densément peuplés et encoredevraient-elles être précédées d’une étude d’impact àla bonne échelle géomorphologique, celle de la cellulesédimentaire. Certains ouvrages de défense contre lamer, implantés sur le domaine public, pourraient d’ail-leurs être démantelés. De même, si dans les communestouristiques, le maintien du trait de côte par desméthodes douces, du type rechargement de plages oudrainage des falaises, peut se concevoir, dans lesendroits plus sauvages ou peu denses, les autoritésdoivent composer avec les fluctuations du littoral,quitte à tenter de réduire l’érosion du sable par le ventpar des couvertures de branchages et des plantations.Cette méthode peu onéreuse a déjà fait ses preuves surles dunes de la côte atlantique. Enfin, et il s’agit dutroisième constat sur lequel le groupe de travail s’estaccordé sans difficulté – ce qui n’a d’ailleurs pas étésans m’étonner – il ne faudrait pas à l’avenir exclureun repli des implantations existantes derrière une nou-velle ligne de défense naturelle ou aménagée. Des tra-vaux de recherche menés à l’échelle européenne onten effet montré que le coût d’une protection classiqueavec des enrochements peut excéder largement lavaleur des biens à protéger.

Cette mesure qui, dans certains territoires, va àl’encontre d’une histoire millénaire de conquête sur la merpar poldérisation n’est-elle pas difficile à appliquer ?Sans aucun doute, cette proposition de déplacementdes activités et des biens est très audacieuse, ne serait-ce que parce qu’elle peut avoir un impact sur lesfinances communales, lorsque le déplacement s’effec-tue sur le territoire d’autres communes. Sa mise enœuvre suppose d’ailleurs de disposer de réserves fon-cières. La mesure suppose donc une évolution des per-ceptions qui, bien qu’elle soit déjà à l’œuvre chez ungrand nombre d’élus depuis le Grenelle de l’environ-nement, ne pourra gagner l’opinion publique avant denombreuses années. Il serait, dans ces conditions,opportun de lancer un appel à projet à une échelleintercommunale pour identifier les territoires volon-taires pour le déplacement des activités.

En attendant, quelles dispositions pourraientd’ores et déjà être prises ?La connaissance des mécanismes d’érosion et de leurévolution est incomplète, de même que celle de l’étatdes ouvrages de défense de la mer. Des outils d’obser-vation doivent donc être instaurés au niveau régional,

puis coordonnés à l’échelon national. Il est en outreindispensable de mieux prendre en compte le phéno-mène dans les plans de prévention des risques littoraux.Enfin, il s’agit de lier la prévention, les choix d’urba-nisme et les options techniques d’aménagement du traitde côte. Concrètement, il faut arrêter de construiredans les secteurs où les risques naturels sont forts et nepas négliger leurs perspectives d’aggravation au coursdu siècle.

Comment financer la protection ?Les risques d’érosion et de submersion doivent êtretraités par les programmes de prévention des inonda-tions ainsi que par le plan de submersion rapide. L’Étatne peut se désengager et c’est donc à lui qu’il incomberade déterminer, sur chaque façade maritime, les zonesà érosion forte, lesquelles concentreront les interven-tions publiques.

Et qu’en est-il des mesures réglementaires ?La gestion de la frange côtière doit constituer un élé-ment de la stratégie nationale de la mer et du littoralprévue à l’article L. 219-3 du Code de l’environnementet être intégré dans les documents stratégiques defaçade afférents.

Propos recueillis par Isabelle BERTHIER

Un financement multiple

Aux termes de l’article 33 du décret du 16 septembre 1807, le financement des opérations de défense contre la mer “dont la nécessitéest constatée par le gouvernement” est supporté par les propriétaires. La loi du 21 juin 1865 a complété le dispositif en permettantle regroupement des riverains en associations syndicales responsables de la réalisation et de la gestion des ouvrages de protection. Enpratique pourtant, les propriétaires n’assument quasiment jamais la totalité du coût des travaux. Conformément à l’article L. 211-7du Code de l’environnement, les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que les syndicats mixtes sont en effet autorisésà contribuer à l’exécution des dispositifs de protection. Deux cas se présentent alors ; soit des subventions sont octroyées par lescommunes, les départements ou les régions qui en diminuent la charge pour les propriétaires, soit la totalité des dépenses est assuméepar l’autorité publique. C’est notamment le cas pour les ouvrages de défense du littoral languedocien. I.B.

(1) Selon le Groupe d’experts intergouvernementalsur l’évolution du climat, le niveau moyen pourraits’élever en un siècle d’une hauteur comprise entre23 et 43 centimètres pour les scénarios les plusoptimistes et 20 et 53, voire un mètre pour les pluspessimistes. La traduction locale de ce phénomèneglobal doit encore être étudiée.

L’érosiondes falaisesmet en périlles constructionsaujourd’huiplus prochesdu rivage.

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Précisions sur l’érosionet la submersion marine

“Le littoral est modelé en permanencepar la mer et le vent. Sa mobilité est unmécanisme naturel et inéluctable quirésulte de l’action de la houle, des cou-rants, de la marée, et de facteurs clima-tologiques comme le vent, la pluie, et legel pour les côtes à falaises. Quand lelittoral est anthropisé, les conséquences

de cette mobilité naturelle sont néfastes, parce que lesconstructions ont souvent été implantées sur les cordonsdunaires et trop près de la ligne du rivage et que l’érosionles met alors en danger. Les risques sont de deux types :érosion et submersion marine”, déclare Michel Gautier,directeur adjoint de la direction régionale de l’environ-nement, de l’aménagement et du logement duLanguedoc-Roussillon, par ailleurs membre du groupede travail sur la gestion du trait de côte présidé par AlainCousin. Et Michel Gautier de préciser : “Les consé-quences négatives de l’érosion concernent principalementles côtes sableuses, basses et aménagées.”Les phénomènes d’érosion et de submersion marineont, certes, une intensité et des causes diverses, selonqu’il s’agit de la Côte d’Azur ou du Languedoc-Roussillon, des Landes ou de la Bretagne.D’un côté, l’érosion est particulièrement forte sur lelittoral atlantique ainsi que sur celui de la Manche etla mer du Nord. Dans ces dernières régions, elle affecteégalement les côtes rocheuses, mais en l’espèce, ce n’estpas tant la mer qui est en cause que le climat. En effet,les falaises des rivages normands, picards et flamandssont constituées de roches calcaires qui sont attaquéesautant par l’action de la pluie et du gel que par le travailde sape de l’océan.

De l’autre, en Méditerranée, l’absence de marée accroîtl’effet érosif de la houle. Celle-ci peut frapper le rivageavec la même violence et au même niveau pendant plu-sieurs heures, voire plusieurs jours, ce qui n’est pas lecas dans l’Atlantique, compte tenu du reflux. En outre,dans le Languedoc-Roussillon, pendant des décennies,les pouvoirs publics ont multiplié les aménagements surle rivage. “Avec la création des stations du littoral lan-guedocien, des cordons dunaires ont été arasés, des portscréés, des ouvrages en mer érigés et les profils des plagesse sont trouvés modifiés”, précise ainsi Michel Gautier.Or, certains dispositifs peuvent aggraver l’érosion.Ainsi les digues, ouvrages parallèles à la côte, ont àterme des effets négatifs sur les plages. Leur présencefavorise la réflexion des vagues, crée des remous, etainsi intensifie l’érosion des hauts de plage. Les épis,ouvrages perpendiculaires à la côte destinés à retenirles sédiments, sont plus adaptés à la protection desplages sous réserve que la direction de la houle resteconstante. Cependant, la protection est strictementlocale, et accentue l’érosion en aval.Les brise-lames en mer se distinguent des épis par leurorientation parallèle au rivage. Mais comme eux, ilsprotègent les côtes sableuses par accumulation de sédi-ments et en présentent certains des défauts : la protec-tion demeure locale, l’érosion peut s’aggraver en aval.Enfin, les techniques actuelles de nettoyage mécaniquedes plages favorisent l’érosion, en faisant disparaître leslais de mer, algues, débris de bois, coquillages, herbes,qui stabilisent le sable et apportent les nutriments indis-pensables à la croissance de la végétation dont la présenceassure le maintien du sable des dunes, qui concourentde manière importante à l’équilibre de la plage.Au demeurant, d’autres ouvrages implantés cette foissur les fleuves, ont encore aggravé le processus d’éro-sion côtière, comme le relève Michel Gautier : “Lesystème littoral est principalement nourri par les apportssédimentaires charriés par les fleuves. La multiplicationdes barrages a eu pour conséquence la diminution de lacapacité érosive des fleuves et le stockage en amont desmatériaux qui ne sont plus transportés jusqu’à la mer.”La submersion, est, quant à elle, la résultante de plu-sieurs facteurs : une élévation locale et temporaire duniveau de la mer, engendrée lors d’une tempête par ladépression atmosphérique, le vent et la houle. Elle peutse conjuguer, en particulier sur le pourtour méditerra-néen, à une crue des fleuves due à une abondante plu-viométrie, phénomène lui-même fréquent dans ce typede situation météorologique.Par ailleurs, le littoral présente d’autant plus de risquesgraves de submersion qu’il s’agit de terrains gagnés surla mer au cours des siècles.

Isabelle BERTHIER

La côte,naturellementmobile,ne peut êtrefixée partout.

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Mer et littoral

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DUNKERQUOIS

Polders, dunes et diguesAsséchés par un système d’évacuation des eaux remontant au Moyen Âge, les polders de la région de Dunkerquesont exposés à un risque de submersion marine, aggravé par le réchauffement climatique. Un tiers des ouvragesde protection doit être renforcé. C’est ce que démontrent diverses études menées par les services de l’État.Ceux-ci sont très attentifs à ce que la cartographie de l’aléa soit prise en compte par les documents d’urbanisme.

et constamment drainées par un système d’évacuationdes eaux unique en France. Le delta du fleuve côtier,l’Aa, couvrait naguère la région s’étendant de Saint-Omer à la côte, tandis que chaque marée submergeaitles plaines. Lors de la “transgression dunkerquienne”,au IVe siècle, les eaux de la mer du Nord s’élevèrentau point d’entraîner une émigration massive des popu-lations. Cette montée brutale des eaux et celles quisuivirent sculptèrent le paysage, arasant le “plat pays”et le parsemant de marais.

UNE LONgUE HISTOIRE DE PROTECTIONCONTRE LA mER

Au XIe siècle, Philippe d’Alsace, comte de Flandre,confia aux quatre monastères de Saint-Omer, deFurnes, des Dunes et de Bergues, la réalisation del’assèchement de la totalité de la plaine maritime géné-rée par la transgression. Les abbés, qui avaient la hautemain sur l’ensemble des travaux, découpèrent le terri-toire en wateringues, mot désignant tout autant unsecteur géographique que l’organisation mise en place

Le littoral de la mer du Nord, entre lecap Gris-Nez et la frontière belge, estnaturellement fragile, en proie àl’inexorable érosion du cordondunaire et battu par les tempêtes.Pourtant, près de 450 000 habitantsvivent dans le polder de la “zone deswateringues”, un territoire de 85 000

hectares en dessous du niveau de la mer, qui abrite ungrand port, de nombreux établissements industrielsclassés Seveso et la centrale nucléaire de Gravelines.Comme l’ont révélé les cartes d’aléas submersionmarine faisant la synthèse d’études menées par les ser-vices de l’État, la région serait directement touchée parla montée des eaux liée au réchauffement climatique,dessinant une situation inquiétante dont les consé-quences restent encore trop méconnues par les docu-ments d’urbanisme communaux, mais qui, en revanche,inspire certaines préconisations du schéma de cohé-rence territoriale de la région Flandre-Dunkerque.Le territoire dunkerquois s’est formé par la conquêtede terres immergées, défendues depuis par des digues

La double fonctionde barragecontre la meret d’évacuation de l’eaude la stationde pompage de Tixierà Dunkerque.

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La “transgressiondunkerquienne”au IVe siècle entraîneune émigrationmassive.

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pour procéder à son assainissement et les techniquesemployées pour le faire. Au fil des siècles, les petitsfleuves côtiers furent canalisés et dotés d’un systèmede pompes initialement actionnées par des moulins àvent. Aujourd’hui encore, la région est divisée enquatre secteurs – Calais, Gravelines, Dunkerque etBergues – gérés par l’Institution interdépartementaledes wateringues. Seuls les moyens ont évolué, lespompes sont électriques et des vannes et des éclusesplus sophistiquées ont remplacé les dispositifs instaurésau Moyen Âge sur les 1600 km de canaux.L’objectif de cette organisation d’une infinie com-plexité est simple et toujours le même : renvoyer versla mer, deux fois par jour à marée basse, l’eau accumu-lée quotidiennement dans le polder. Déjà délicates entemps normal, ces opérations deviennent vitales lorsde circonstances exceptionnelles (1). Durant lespériodes de crues dans les bassins de l’Aa et de la Lys(2) ou lorsque des marées au fort coefficient font bar-rage aux exutoires des canaux d’évacuation, c’est toutela région qui peut être paralysée. La conjonctiond’inondation et de submersion marine apparaît icicomme un risque majeur…

En préalable, les services de la DREAL firent procéderà des levers topographiques d’une précision inférieureà la dizaine de centimètres sur l’ensemble du littoral etdu territoire des wateringues. Le plat pays est réelle-ment plat… la présence de dénivelés, condition del’écoulement des eaux, est ici difficile à percevoir à l’œilnu. Ces relevés permettent de cartographier avec unegrande exactitude les zones susceptibles d’être inon-dées, compte tenu de l’élévation probable du niveaude la mer dans cinquante ou dans cent ans et sachantque des phénomènes météorologiques ponctuels etlocaux influent déjà sur cette élévation, supérieure icià la moyenne nationale.

mODéLISATIONS ET SImULATIONSSERVENT LA PRéVENTION

En effet, la région Nord-Pas-de-Calais est soumise à detrès violentes tempêtes. Dans la soirée du 31 janvier1953, des vents venus du nord, provoquant des vaguesde 2,50 mètres, se combinèrent avec la marée haute.Aux Pays-Bas, cet évènement causa la mort de1800 personnes et 160 000 hectares de terrains furentinondés. La catastrophe fut à l’origine des travaux tita-nesques du plan Delta destiné à protéger le sud-ouestdu pays par des digues. À Dunkerque, la tempête necausa aucune perte humaine, mais la ville et tout leterritoire du polder se retrouvèrent sous 40 cm d’eausalée. En cause, la destruction par les vagues de ladigue de l’Est, qui protège le canal exutoire par lequelles eaux des wateringues retournent vers la mer. LaDREAL a donc entrepris de visualiser les consé-quences d’événements de même nature et, pour cefaire, a eu recours aux services du bureau d’étude DHI,spécialisé en hydrologie, et d’un “houlographe”, simu-lant les effets de la houle, ce qui a permis de modéliserles surcotes en cas de tempêtes et de fortes marées etdonc les risques de voir la mer submerger les digues.L’étude de la résistance aux tempêtes des dispositifsde protection constitue naturellement le second voletdes travaux menés à bien par les services de l’État.Dans cette perspective, sur la base d’une méthode devisite simplifiée comparée, élaborée par le centred’études techniques de l’équipement (CETE) du Nord-Pas-de-Calais-Picardie, la direction départementale desterritoires et de la mer (DDTM) du Pas-de-Calais aobservé des ouvrages de toute nature, les digues, lesperrés, mais aussi les protections naturelles. Certainsd’entre eux ont de fait été construits, il y a deux siècles,par des particuliers, en application du décret du 16 sep-tembre 1807 “relatif à certains travaux à faire pour lapréservation du sol”. “Ainsi les dunes, lit-on dansl’étude de la DDTM, n’appartiennent pas à l’État maissont sous la responsabilité des communes. Le plus sou-vent, les ouvrages de protection ont été construits par lesriverains, même s’ils l’ont été sur le domaine publicmaritime.” Aujourd’hui, un tiers des ouvrages recensésdevraient faire l’objet de travaux mais les communes“n’ont pas les moyens financiers ni les capacitéshumaines pour refaire leur digue” ; toutefois, la réfec-tion des ouvrages pourrait être financée par le “fondsBarnier” (3).

La végétationprotège les dunesqui protègentde la mer.

Aussi, le tsunami dévastant l’océan Indien en décembre2004 et les travaux du Groupe d’experts intergouver-nemental sur l’évolution du climat, ont été, dès sep-tembre 2005, à l’origine d’une réflexion locale sur leseffets du changement climatique. “Un programme detravail a été proposé au préfet en avril 2006, préciseJulien Henique, chef de la division Risques naturels àla direction régionale de l’environnement, de l’aména-gement et du logement (DREAL) du Nord-Pas-de-Calais ; il mettait à contribution l’ensemble des servicesde l’État en Région.” Cette action, à laquelle étaientassociés les acteurs locaux concernés – au nombre des-quels l’Institution interdépartementale des wateringueset le syndicat mixte de la Côte d’Opale – s’insère dansune démarche globale qui s’étend à tous les pays rive-rains de la mer du Nord et s’appuie sur des réflexionsen cours en Grande-Bretagne, au Danemark, enBelgique et aux Pays-Bas, tous confrontés à des pro-blèmes similaires. Son principal objectif : déterminerles secteurs exposés à des submersions marines.

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“Et des vaguesde dunes pour arrêterles vagues […]”

(Jacques Brel)

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Mer et littoral

En octobre 2010 et en juin 2011, les cartes de l’aléa desubmersion marine ont été présentées aux élus lors deréunions publiques. Julien Henique souligne “qu’unporté à connaissance des cartes a été effectué par lespréfets des départements du Nord et du Pas-de-Calaisauprès des communes concernées (4).” Puis, les 13 et14 septembre 2011, deux plans de prévention desrisques littoraux ont été prescrits par le préfet du Nordet le préfet du Pas-de-Calais ; ils concernent les com-munes du littoral de Gravelines à Oye-Plage et deDunkerque à Bray-Dunes.Désormais, chacun sait donc à quoi s’en tenir et l’heuren’est plus à ce que d’aucuns appellent le “déni de laréalité du risque”. La diffusion des cartes d’aléas a tou-tefois causé une certaine émotion parmi les élus locaux,qui ont quelque peine à en transcrire le contenu dansleurs documents d’urbanisme. Ainsi, en avril 2011, dansson avis concernant le plan local de l’urbanisme (PLU)intercommunal de la communauté urbaine deDunkerque, le préfet du Nord a dû insister sur le “trai-tement nécessaire des risques sur un territoire hautementvulnérable” et noter que le principe de “rétention d’eauà la parcelle, énoncé par le projet de PLU, permet, certes,de limiter l’impact des rejets dans un système hydrauliquesaturé mais ne suffit pas à compenser les risques supplé-mentaires induits par l’ouverture à l’urbanisation de plu-sieurs secteurs sensibles”. Les mots “repli stratégique”,tabous s’il en est, furent prononcés ici et là, alors que larégion aspire à s’urbaniser davantage. Le littoral et leterritoire des wateringues ne sont pas seulement dessecteurs au cœur de multiples enjeux en matière de pro-tection de la biodiversité (5). C’est évidemment aussiune zone de développement économique et urbain.

LE SCOT DANS LA PERSPECTIVE DE LAmONTéE DES EAUx

Si la prise en compte du risque dans les documentsd’urbanisme communaux semble encore insuffisante,elle est, en revanche, un des fils conducteurs du futurschéma de cohérence territoriale (Scot) de la régionFlandre. Ce Scot, approuvé en 2007, qui couvre un bas-sin de vie de 272 000 personnes (6), recoupant engrande partie le territoire des wateringues, a été misen révision en 2010, précisément en raison “des nou-velles exigences d’intégration ou de mise en compatibilité[avec divers documents dont] le schéma d’aménagementet de gestion des eaux du delta de l’Aa.”Le Scot compose donc avec les prévisions alarmistes enmatière d’inondation. Xavier Chelkowski, chargéd’études à la Mission planification stratégique del’Agence d’urbanisme et de développement de la régionFlandre Dunkerque (Agur), affirme qu’il sera tenucompte du risque, mais “dans une approche dédramati-sée”. Ce qui ne revient pas à nier la situation. GérardBlanc, directeur de l’Agur, présente au contraire leswateringues comme l’un des “territoires à enjeux del’agglomération. Le polder constitue la trame de notreprojet de paysage”. L’eau, la mer, et les problématiquesqui leur sont liées, y sont donc omniprésentes. Lescanaux, en particulier celui de Bergues à Dunkerque,feront l’objet d’un aménagement de leurs berges en lieux

(1) Le sous-préfet de Dunkerque et la DREAL Nord-Pas-de-Calais, ont établi des protocoles de gestionsoumis à concertation, qui ont pour objectif l’amé-lioration du fonctionnement des wateringues, pourtoutes les situations (crue, normale, étiage et crise).(2) Le bassin versant de l’Aa fait l’objet de deuxschémas d’aménagement et de gestion des eaux(SAGE), celui de l’Audomarois et celui du Delta del’Aa. Le syndicat mixte de la Côte d’Opale assure lamaîtrise d’ouvrage de ce dernier.(3) Le fonds de prévention des risques naturelsmajeurs (dit fonds Barnier), créé par la loi du2 février 1995 relative au renforcement de la pro-tection de l’environnement, a pour but de financerl’expropriation de biens exposés à certains risquesnaturels menaçant gravement des vies humaines. Ilest alimenté par les primes payées au titre de l’assu-rance habitation. Un décret du 12 janvier 2005 aélargi son utilisation aux mesures de réduction dela vulnérabilité des biens situés en zone à risques,prescrites par un PPRN ainsi qu’aux études et auxtravaux de prévention contre les risques naturels,dont la maîtrise d’ouvrage est assumée par des col-lectivités territoriales dotées d’un plan de préventionprescrit ou approuvé.(4) Cartes consultables sur http ://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/ ?Cartographies-submersion-marine(5) Sylvie Menaceur, responsable des questions deprotection au sein de la DREAL, cite le cas des ridens,ces hauts-fonds rocheux situés près des côtes de lamer du Nord, qui abritent une importante réserve debiodiversité, des dunes hydrauliques – des dunes desable sous-marines – et trois sites Natura 2000, situésau large des caps Gris-Nez et Blanc-Nez.(6) Son aire d’application s’étend sur le territoire dela communauté urbaine de Dunkerque et les com-munautés de communes du canton de Bergues, dela Colme, de Flandre, du Pays de Cassel et de l’Yser,ainsi que les deux communes de Spycker et Watten.(7) Dans sa version de 2007, le Scot préconisait quel’ensemble des ouvrages des wateringues soientclassés en zones Acb – zonage agricole à corridorbiologique.

Des installationssensibles,facteurs de risquesspécifiques.

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de promenades et de circulations douces ou en corridorsécologiques (7). Mais le Scot étudie surtout les possiblesévolutions de l’ensemble du système dans la perspectivede la montée des eaux, avec, par exemple, l’ouvertured’un nouvel exutoire des wateringues vers la mer. Ungroupe de travail associant l’Institution interdéparte-mentale des wateringues mène actuellement le débat.L’une des questions à l’ordre du jour est le curetage descanaux encombrés de sédiments, ce qui permettrait dedégager un volume supplémentaire de stockage d’eauen cas de crue, mais pourrait également détruire de pré-cieux écosystèmes. La rétention des crues en amont estégalement l’une des réponses à la situation. L’un desobjectifs énoncés dans les travaux du Scot est donc lapréservation des zones humides qui remplissent tradi-tionnellement ce rôle, même si, selon Xavier Chelkowski,la prévention réelle des inondations se joue bien au-delàdu territoire dunkerquois et justifierait la mise en œuvred’un programme d’actions.Autre risque grave, l’érosion du trait de côte, particu-lièrement sensible localement, comme l’a montrél’étude de la DDTM sur l’état des ouvrages de protec-tion qui a démontré la fragilité du cordon dunaire.S’insinuant entre les petites stations balnéaires du lit-toral, les dunes constituent l’un des “secteurs priori-taires pour le maintien des habitats naturels et de labiodiversité” et l’un des corridors écologiques identifiéspar le Scot de 2007. Il n’est évidemment pas questiond’altérer un espace naturel classé comme remarquable.D’autant que le cordon dunaire constitue l’une desprincipales défenses contre la submersion. Aussi legrand projet de valorisation touristique de la Flandrelittorale, dénommé le Croissant vert, privilégie desaménagements et des circulations douces, implantésparallèlement à la côte, en retrait du cordon dunaire.Si la région doit donc composer avec les dangers révéléspar les cartes d’aléas de submersion marine, XavierChelkowski veut y voir “l’opportunité d’une mise envaleur solidaire du territoire”. Quant à l’urbaniste JoanBusquets, choisi par la Ville de Dunkerque pour ima-giner son futur, il a déclaré : “L’eau est une présencetrès importante à Dunkerque, ajoutant que l’eau reniéede ses canaux doit être révélée.” L’heure en effet n’estplus à renier la présence de l’eau en Flandremaritime.

Marc LEMONIER

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AGGLOMÉRATION DE NARBONNE

Un Scot enrichid’un volet littoral

Alors quel’agglomérationde Narbonne est dotéed’un Scot approuvé, lesquarante communes laconstituant ont décidéde l’assortir d’un voletlittoral et maritime.Cette décision, pourvertueuse qu’elle soit,n’en recouvre pas moinsdes points de vue etintérêts divergents.Entre constructibilitélimitée, préservationdes espaces, risquede submersion oudéveloppementéconomique…,la perception des enjeuxdépend de ceux qui lesdéfendent. Mais c’estaussi le pari de ce typede procédure où laconcertation à laquelleelle donne lieu n’est pasmoins importanteque le résultat.

Avec une façade maritime qui couvretout le département de l’Aude, desgraus, des étangs à la richesse écolo-gique reconnue, comme celui deBages (1), de nombreuses stationsbalnéaires et un port commercialdynamique, Port-la-Nouvelle, ilsemble naturel que les quarante com-

munes de l’agglomération de Narbonne assortissentleur schéma de cohérence territoriale (Scot) d’un voletlittoral et maritime. C’est d’ailleurs ce qu’ont préconiséles services de l’État en 2005, dès que la loi sur lesterritoires ruraux a instauré ce nouvel instrument deplanification. Mais le Scot était alors sur le point d’êtreapprouvé ; les élus déclinèrent donc l’invitation etreportèrent l’élaboration dudit volet. Néanmoins, l’idéene fut pas abandonnée et refit surface après les élec-tions municipales de 2008. Le volet littoral, dont le pland’aménagement et de développement durable a déjàété adopté (2), devrait ainsi voir le jour en juin 2012,soit trois ans à peine après l’arrêté le prescrivant. À cedélai aussi bref, Romain Prax, directeur du syndicat du

Scot de la Narbonnaise, voit deux causes principales :“Tout d’abord, le travail effectué à l’occasion de l’éla-boration du Scot a assis la légitimité du syndicat auprèsdes communes qui le composent. Raisonner à l’échelled’un ensemble plus vaste leur semble aujourd’hui per-tinent. Elles sont donc mieux prêtes à accepter qu’uneentité extérieure, comme le syndicat de Scot, leur imposedes prescriptions en matière d’urbanisme. Par ailleurs,le volet littoral ne crée pas plus de contraintes qu’il n’enexiste déjà. Loin d’être réticentes à l’adoption d’un dis-positif de ce type, les collectivités locales en sollicitaientdonc l’élaboration, ne serait-ce que par désir d’en finiravec l’insécurité juridique.”

LE VOLET LITTORAL EN RENFORT DE LASéCURITé JURIDIqUE

Selon le directeur du syndicat, les dix communes litto-rales de l’Aude sont en effet confrontées à une menaceimportante : quel que soit leur état d’avancement, leursprojets peuvent se voir remis en cause à l’occasiond’une action judiciaire. Or, le volet littoral permet declarifier la position des services de l’État, en particulier

Le vieux villagede Gruissan.

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Mer et littoral

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pour ce qui est de l’application de la loi littoral et, parlà même, de renforcer la sécurité juridique desopérations.En réalité toutefois, le risque d’annulation des projetsn’explique probablement pas à lui seul cet empresse-ment des communes à élaborer un volet littoral. Àl’instar de ce qui s’était passé lors de la rédaction duScot (3), la question de la constructibilité limitée dansles espaces proches du rivage a sans doute tout autantpesé que la crainte du contentieux. Le Scot n’envisageen effet que des opérations inférieures à 50 000 m2 desurface hors œuvre nette (shon). Or, certains projets,notamment ceux de Leucate et de Gruissan, dépassentlargement ce seuil. L’élaboration d’un volet littoral etmaritime, document dont les dispositions s’imposentau Scot, permet de contourner l’obstacle (4). “La dis-position du Scot qui limite l’urbanisation dans lesespaces proches du rivage est énoncée en termes pure-ment quantitatifs, regrette ainsi Romain Prax. Or, avecla même shon, on peut construire des pavillons ou desimmeubles collectifs, de l’habitat contigu ou des maisonsisolées et donc consommer plus ou moins de terrains.Pourquoi alors ne pas raisonner en terme de qualité etde forme urbaine, en un mot mettre le projet territorialau centre de la réflexion ?”Peut-on pour autant faire totalement l’impasse surl’aspect quantitatif des choses et laisser de fait les col-lectivités locales juger librement du caractère limité ounon d’une urbanisation ? Une telle option est-elle cohé-rente avec la nécessité, rappelée par Romain Prax, “deguider les communes, de leur faciliter les arbitrages enhiérarchisant les critères, car, si tout est important, rienne l’est et le flou est source de difficulté” ? En bref, neserait-il pas préférable de combiner critère qualitatifet quantitatif, comme le préconisent les services del’État ? “Fixer une consommation foncière maximumpermet de concilier le souci de la préservation desespaces sans perdre de vue l’importance de la morpho-logie urbaine”, précise Jean-Louis Tricoire, chargé desquestions d’aménagement des espaces littoraux à ladirection départementale des territoires et de la merde l’Aude.

LA CÔTE AUDOISE ExPOSéE AUx COUPSDE mER

Au demeurant, la réalisation de certains projets com-munaux suppose de résoudre au préalable une difficultébeaucoup plus grande que la fixation d’une limite àl’artificialisation du sol, à savoir la prise en compte durisque de submersion marine dans l’urbanisation durivage audois. Cinq communes, Port-la-Nouvelle,Gruissan, Leucate, Lapalme et Narbonne, y sont eneffet exposées. Toutefois, le Scot avait totalementnégligé la question ; de même, le volet littoral n’estguère pour l’instant plus prolixe sur le sujet, bien queréglementairement, il doive contenir un chapitre consa-cré à l’érosion et à la submersion marine. Il faudra bienpourtant que les collectivités locales intègrent lescontraintes imposées par le plan de protection desrisques littoraux, actuellement en cours d’élaboration(5). La côte audoise, le long de la mer mais également

en bordure des étangs, n’est pas exempte, malgré l’ab-sence de grandes marées, de ce qu’on appelle locale-ment un coup de mer. “Il s’agit, précise HélèneMathieu-Subias, responsable de l’élaboration du plande prévention des risques littoraux à la direction dépar-tementale des territoires et de la mer de l’Aude, d’undéferlement d’eau pouvant atteindre trois mètres qui setransforme en inondation au premier obstacle rencontré,cordon dunaire, parapet ou immeuble : le territoireinondé peut s’étendre sur des centaines de mètres enarrière du rivage, eu égard à l’absence de relief descôtes.” Or, ce phénomène engendré par la conjonctionde vents violents et de fortes pluies, aggravé parfois parun reflux au niveau de l’embouchure de l’Aude, lui-même lié à l’action des vagues, pourrait s’accentueravec le changement climatique. En se fondant sur lesprévisions du Groupe d’experts intergouvernementalsur l’évolution du climat (GIEC), les services de l’Étatont donc, dans un premier temps, élevé de 60 cm leniveau de l’aléa (6). Puis, conformément à la circulairedu 27 juillet 2011 du ministère de l’écologie, du déve-loppement durable, des transports et du logement, ilsont distingué entre les zones urbaines et celles encorevierges. Dans les premières, les terrains situés à unecote NGF (niveau général de la France), autrement dità une altitude inférieure à 1,50 m, sont réputés soumisà un aléa fort et ceux situés entre 1,50 m et 2 m à unaléa modéré ; dans les secondes, lieu d’accueil privilégiédes opérations des communes de Leucate ou deGruissan, les terrains dont la cote NGF est compriseentre 2,40 m et 1,90 m sont censés être exposés à unaléa modéré ; pour ceux dont l’altitude est inférieureà 1,90 m, l’aléa est déclaré fort ; donc la zone devientinconstructible.

Un pontonde promenadeau-dessus des étangsde Bages,là où d’anciensmarais salantsont été transformésen parc naturel.S

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“Homme libre,toujours tu chérirasla mer !La mer est ton miroir,tu contempleston âme.”

(Charles Baudelaire)

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Ces estimations ne sont pas sans conséquences urba-nistiques. Une grande partie des opérations envisagéesse trouvant dans le voisinage de la mer ou des étangs,elles pourraient modifier profondément nombre deprojets, telle l’opération du lido de Port-Leucate, voiresigner leur arrêt de mort, comme cela fut le cas ducentre de thalassothérapie que la mairie de Leucatesongeait à implanter sur le port. Au demeurant, bienqu’il n’en résulte pas systématiquement une interdic-tion pure et simple de bâtir, la prise en compte del’aléa a nécessairement des effets sur le type d’occupa-tion autorisé et donc la viabilité économique du projet.Ainsi, les rez-de-chaussée des immeubles, que la mai-rie de Gruissan entend bâtir dans le secteur dit desQuatre-Vents, ne devraient pas pouvoir accueillir deslogements mais seulement des garages et des com-merces. Dans ces conditions, ne peut-on craindre queles limitations édictées par le plan de prévention durisque de submersion marine combinées à d’autresrestrictions, en particulier celles découlant de l’inscrip-tion du massif de la Clappe et aux exigences de la loilittoral prohibant la construction en discontinuité desvillages existants, n’aient pour effet d’interdire quasi-ment tout nouvel immeuble dans certaines com-munes ? C’est pour conjurer cette menace que le syn-dicat de Scot a désiré être associé à l’élaboration de ceplan de prévention des risques littoraux. Bien quel’échelle de ce dernier ne soit pas celle des Scot maiscelle des plans locaux d’urbanisme, la légitimité de lademande n’est pas contestée par les services de l’État.La circulaire du 27 juillet rappelle d’ailleurs que l’asso-ciation des collectivités territoriales et la concertationavec les parties prenantes constituent une conditionnécessaire de leur élaboration (7). Mais, les points devue sont loin d’être unanimes. Outre des divergencesd’appréciation sur le classement d’un terrain en zoneurbanisée ou en site vierge et donc sur le niveau del’aléa, le syndicat n’a en effet pas caché son souhait devoir assouplies les exigences réglementaires dans

certains espaces potentiellement submersibles. “Dansles secteurs stratégiques, nous demandons que soit auto-risée une urbanisation limitée, sous réserve de prescrip-tions spécifiques”, explique Romain Prax. Il ne semblepas toutefois que ce souhait soit en passe d’être exaucétel quel. Pour l’heure, la doctrine de l’État est dépour-vue de toute ambiguïté : “Nous sommes conscients desimpératifs de croissance économique du territoire.Néanmoins, c’est au projet à respecter la règle, non à larègle de se conformer au projet, relève Jean-LouisTricoire. L’État est très attentif au risque de submersionmarine, dans son activité régalienne comme dans saqualité de gestionnaire du domaine public maritime.C’est pourquoi d’ailleurs, à l’occasion du renouvelle-ment des concessions de plages aux communes, actuel-lement en cours, la possibilité de réduire la durée d’ou-verture des restaurants de plage est étudiée (8)”. EtHélène Mathieu-Subias de préciser : “De même lescampings devraient aussi se voir imposer des mois defermeture.”

LES PRObLémATIqUES mARITImES PEUPRISES EN COmPTE

Un certain décalage sur la perception des enjeuxoppose donc les différents acteurs du territoire. Il n’esttoutefois pas certain qu’il perdure : en modifiant l’équi-libre des pouvoirs et le poids des différents domainesd’intervention, la dissolution du syndicat de Scot dansle futur établissement de coopération intercommunalen cours de constitution pourrait en effet changer ladonne (9).Il reste que le volet littoral du Scot de la Narbonnaises’est avant tout intéressé à l’urbanisation des zonescôtières, corollaire, selon le syndicat de Scot, du déve-loppement touristique. “Cette focalisation sur la ques-tion de l’urbanisation, observe Romain Prax, l’apparentedavantage à un schéma de secteur d’un Scot qu’à un voletlittoral stricto sensu.” À l’exception de la question desports de commerce ou de plaisance, les activités liées àla mer, que les volets maritimes et littoraux des Scotsont censés traiter, n’ont de fait guère été abordées. Demême, bien qu’une petite partie du littoral audois soitcomprise dans le projet de parc marin de Collioure, quel’immersion de récifs artificiels soit envisagée et que levolet maritime insiste sur l’intérêt d’une démarcheNatura 2000 en mer, les milieux sous-marins ont été fortpeu analysés. C’est qu’ils restent mal connus. Les étudessont en effet fort coûteuses, puisqu’il s’agit d’explorerles fonds et qu’il faut faire appel à des plongeurs. Etpuis, conclut Romain Prax : “Culturellement, nous nesommes pas tournés vers la mer. Nous ne sommes pasun peuple de pêcheurs mais de vignerons.”Il n’empêche que les volets littoraux et maritimes desschémas de cohérence territoriale se sont vu conférerla valeur juridique d’un schéma de mise en valeur dela mer pour que les collectivités locales puissent conci-lier développement économique et préservation desespaces et des milieux. Ils ne peuvent se réduire à unprocédé d’assouplissement des contraintes de la loilittoral.

Isabelle BERTHIER

(1) Les étangs de la Narbonnaise, dont celui deBages, sont classés zones humides au titre de laconvention internationale signée à Ramsar en Iran,le 2 février 1971, et contresignée par la France en1986.(2) Comme les Scot, les volets littoraux et maritimescomprennent un plan d’aménagement et de déve-loppement durable, un rapport de présentation, undocument d’orientations et d’objectifs.(3) En l’absence de Scot, l’État avait fait part de sonintention de s’en tenir, dans son interprétation de laloi littoral, à la définition très rigoureuse de la notiond’extension limitée de l’urbanisation donnée par cer-tains tribunaux, à savoir une opération ne dépassantpas quelques milliers de mètres carrés de shon.(4) Les volets littoraux et maritimes ont la valeurjuridique d’un schéma de mise en valeur de la mer.(5) Aux termes du plan national de prévention dessubmersions marines et des inondations rapides du17 février 2011, les plans de prévention des risqueslittoraux doivent être approuvés d’ici 2014.(6) L’aléa est un évènement auquel sont associéesune intensité et une occurrence spatiale et tempo-relle. La cartographie de l’aléa devrait être achevéedébut 2012 et le plan approuvé courant 2013.(7) L’article L. 562-3 du Code de l’environnementrelatif aux modalités d’élaboration des plans deprévention des risques naturels ne cite toutefois pasles syndicats de Scot dans les personnes consultées.(8) Les restaurants sont ouverts de mai à septembre,ce qui inclut donc la période où le risque est grand.(9) À l’exception de deux communes, la future com-munauté d’agglomération de Narbonne regrouperales communes membres du syndicat du Scot.

La difficileconciliationdu développementet de la protection.

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Les élus du littoralL’application de la loi littoral, la lutte contre l’érosion et la submersion marine, les nouvelles instancesde décision créées à la suite du Grenelle de la mer – le Conseil national de la mer et des littorauxet les quatre conseils maritimes de façade – ont été les principaux sujets de débats des journées d’étudede l’Association nationale des élus du littoral qui se sont tenues aux Sables-d’Olonne, courant octobre 2011.

confirmait le géographe Alain Miossec, lorsqu’il évo-quait “le tropisme littoral engendré à la fois par la mon-dialisation des échanges qui renforce le rôle des placesportuaires et par le développement du tourisme lié àl’enrichissement de certains pays”.La suite des exposés a toutefois montré qu’il conve-nait de nuancer le diagnostic, que le développementen question était avant tout celui des résidences secon-daires, occupées par une population plus aisée quecelle d’origine locale ; et d’ailleurs que certaines villes,

Le dernier congrès de l’Associationnationale des élus du littoral (Anel)ayant pour intitulé “Habiter le litto-ral”, il était naturel que l’évocationdes perspectives démographiques des885 communes littorales françaisesserve d’introduction aux débats.Ainsi, dans son discours inaugural,

Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement,a relevé qu’elles étaient peuplées par six millions depersonnes et connaissaient une forte croissance. Ce que

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En Guadeloupe,l’agence ditedes 50 pas géométriquesveille à la mise en valeurdes espaces urbaniséssur le littoral.

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Morlaix ou Boulogne-sur-Mer, enregistraient plutôtun déclin démographique, les habitants quittant laville-centre pour les communes moins denses de l’ar-rière-pays, où il est plus facile de se loger à moindrecoût. En effet, le littoral reste une zone où “le gaspil-lage foncier”, dénoncé par Jean-Jacques Brot, préfetde Vendée, renchérit tellement le prix des terrains quede nombreux intervenants – dont Alain Miossec, Jean-Jacques Brot et Catherine Bersani, inspectrice géné-rale de l’équipement honoraire, – ont exprimé leurscraintes de voir les catégories sociales les plusmodestes purement et simplement évincées du bordde mer.

ESPACES PROTégéS ET CONVOITéS...UN RAPPORT DIALECTIqUE

Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que les res-trictions apportées à l’urbanisation de certains espacespar la loi littoral aient fort agité les esprits des congres-sistes. Si certains, à l’instar du président de l’Anel,Yvon Bonnot, par ailleurs maire de Perros-Guirec, sesont contentés d’appeler de leurs vœux des modifica-tions minimes d’une loi à laquelle ils rappelaient parailleurs leur attachement, d’autres élus, de l’île d’Yeuou de Corse, se sont montrés plus virulents, accusantla loi de bloquer tout développement des territoires etincriminant “le gouvernement des juges”. Réactionsextrêmes qui ont conduit certains représentants del’État, dont Anne-Sophie Leclerc, auparavant chargéedu suivi des schémas de cohérence territoriale littorauxau centre d’études techniques de l’équipementMéditerranée, à souligner que “la loi littoral n’avait passtérilisé les territoires mais protégé les espaces qui enfaisaient l’attrait, qu’il ne fallait pas tuer la poule auxœufs d’or et, sous couvert d’inconvénients mineurs,mettre à bas un dispositif qui avait fait ses preuves”.D’autres interventions sont venues corroborer ce plai-doyer. Ainsi, Jean-Loup Velut, adjoint au préfet mari-time de la Méditerranée, notait que de Barcelone àGênes, les rivages méditerranéens étaient urbanisés àplus de 85 %. De même, tout en déclarant redouterqu’en interdisant la construction hors des aggloméra-tions et des villages, la loi littoral ne bloque l’évolutiondes sièges d’exploitation isolés, Josiane Béliard, émis-saire de la Fédération nationale des syndicats d’exploi-tants agricoles (FNSEA), qualifiait-elle “d’extrava-gante” la perte de surface agricole dans les communeslittorales, citant la Vendée où elle atteint 2000 hectarespar an. De son côté, le représentant de la commune duLavandou indiquait qu’une visite in situ du tribunaladministratif de Toulon avait suffi pour résoudre uncontentieux sur le caractère urbanisé d’un espace.Enfin, les exposés de Ralph Monplaisir et MarcellinNadeau, respectivement maires de Case-Pilote et duPrêcheur et président et vice-président de l’agence descinquante pas géométriques de la Martinique (1), ontégalement confirmé la prise en compte du contextelocal par les autorités étatiques. L’établissement publica en effet entrepris de réaliser des réseaux d’électricité,d’adduction d’eau et d’assainissement, afin d’améliorerla vie quotidienne de personnes occupant sans titre des

logements édifiés illégalement sur le domaine publicmaritime de ce département d’outre-mer.De fait, davantage que d’un excès de mise en œuvre, laloi littoral, commed’ailleurs ledécretde1807sur lefinan-cement par les propriétaires des ouvrages de défensecontre leseaux, souffriraitplutôtd’une insuffisanced’ap-plication, estimait Jean-Jacques Brot, qui parlait à cepropos de la “nécessité d’une déchirante révision des poli-tiques publiques, avant de rappeler aux maires, qu’aveclespréfets, ils seront toujourscomptablesdevant l’opinionet la justice de ce qui se passe sur le littoral”.La mise en garde était difficile à ignorer dans un dépar-tement où les conséquences de la tempête Xynthia et lescritiques que l’action publique a suscitées ont été les plusviolentes, critiques dont se sont fait l’écho le sénateurBruno Retailleau et le député-maire de Chatelaillon,Jean-Louis Léonard, tous deux rapporteurs d’une mis-sion du Sénat et de la Chambre des députés. BrunoRetailleau a ainsi insisté “sur la défaillance collective,celle du législateur, des maires, du préfet et de l’adminis-tration centrale” ; Jean-Louis Léonard a relevé que“depuis trente ans, le littoral était totalement oublié dansles politiques de prévention des risques, au point que lesprogrammes d’actions de prévention des inondations(PAPI) des communes littorales transposaient les solu-tions adoptées pour les débordements fluviaux”.La question de la prise en compte du risque dans lesdocuments d’urbanisme et du financement des ouvragesde protection a donc été un des temps forts du col-loque… et, comme de juste, un objet de débats, tantles positions ont pu diverger, selon la fonction des ora-teurs et leur ancienneté dans le poste. Pour quelquesrares congressistes, tout semblait se résumer à un pro-blème de construction et de surveillance des ouvrages.Ainsi, Jacques Oudin, vice-président du conseil généralde Vendée, affirmait qu’il aurait suffi de dépenser100 millions d’euros pour économiser les deux milliardsd’euros de dommages causés, selon lui, par Xynthia.Mais d’autres participants, beaucoup plus nombreux,tout en ne niant pas le défaut de maintenance desouvrages, ont estimé que le sujet était beaucoup pluscomplexe.En premier lieu, les besoins financiers sont élevés– 40 millions pour entretenir les digues du seulBoulonnais – et les associations syndicales de proprié-taires, sur lesquelles pèse légalement cette charge,n’auraient ni la compétence technique ni les moyens

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Les conséquencesde la tempête Xynthiapointent les défaillancesde l’action publique.

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financiers d’y faire face. Quid en outre des effets duréchauffement climatique, de l’élévation du niveau dela mer et de ses éventuels effets sur l’érosion côtière ?“Si tous s’accordent sur l’élévation du niveau de la mer,la traduction locale de ce phénomène reste encoreméconnue”, observait à ce sujet François Gérard,expert auprès de l’Association française pour la pré-vention des catastrophes naturelles. De même, le recul,incontestable, des côtes prend une ampleur diverse,selon les caractéristiques géomorphologiques desrivages : “Quatre cents mètres en Hollande en trois centsans, selon Robert Slomp, chargé de la gestion desdigues aux Pays-Bas ; de un à trois mètres en moyenne,avec des pointes de six mètres, à l’horizon 2040 sur lelittoral aquitain, au vu de l’étude du cabinet Sogreah”,d’après Renaud Lagrave, président du groupementd’intérêt public littoral aquitain et par ailleurs vice-président du Conseil régional.À problème complexe, nécessité de solutions multiples.Ainsi, Bruno Retailleau indiquait-il “qu’il fallait régleren l’espèce trois défis, l’entretien des ouvrages, la culturedu risque et l’occupation du sol, après quoi il louait leplan national de prévention des submersions marineset des inondations rapides pour son approche globale,qui mêle alerte, prévision, protection et prévention.“L’ensemble des acteurs, et en particulier les habitants,doivent s’approprier la connaissance du risque et laculture de la prévention, a ajouté François Gérard, chosedifficile dans nos pays où le citoyen attend tout de l’État”,suggérant de s’inspirer d’autres pays, tels Madagascarou le Bangladesh. Le ministère du développementdurable, par la voix de Xavier Lafon, d’Agnès Vinceet de Laurent Michel, a alors énuméré les actions tech-niques, financières et réglementaires que mènent lesacteurs publics. Xavier Lafon, chargé de mission auConseil général de l’environnement et du développe-ment durable, mentionnait ainsi le déplacement decertaines infrastructures, telle la route du lido de Sèteà Marseillan ainsi que la dépoldérisation entreprise surles terrains du Conservatoire du littoral dans le bassind’Arcachon, s’attirant les foudres de Jacques Oudin,pour qui une généralisation de l’expérience interdiraitle développement des cultures marines. Ce derniers’opposait également à la proposition d’Agnès Vince,sous-directrice à la direction générale de l’aménage-ment, du logement et de la nature, laquelle, reprenantles conclusions de la mission du député Alain Cousin,

notait que “s’il fallait protéger totalement certains terri-toires que l’État et les collectivités auraient d’un communaccord jugés stratégiques, il n’était toutefois pas questionde fixer partout le trait de côte, avant de préciser quel’érosion côtière et la submersion marine ne devaient pasêtre dissociées et que restaurer le fonctionnement desécosystèmes permettait de réduire l’aléa”. Quant àLaurent Michel, directeur général de la prévention desrisques, après avoir déploré le nombre insuffisant desplans de sauvegarde communaux, il a évoqué l’appel àprojet national lancé en février 2011 sur le conforte-ment des digues ou les 303 plans de prévention desrisques littoraux que les services de l’État doivent éla-borer… dans un délai de trois ans.

RISqUES LITTORAUx ET PRINCIPE DEPRéCAUTION

Comme les réactions de la salle l’ont montré, la rédac-tion de ces plans s’avère en effet délicate, compte tenudes positions divergentes des uns et des autres. Toutd’abord certaines municipalités s’étonnent que l’exis-tence de digues ne fasse pas disparaître automatique-ment le risque. Le maire de Cabourg s’indignait ainsique dans sa commune le projet de plan de préventiondes risques littoraux semblait exclure toute extensiondu bâti, alors que protégée par des digues, la villen’aurait pas connu de submersion depuis cent trenteans. Face à ces critiques de l’État, accusé d’appliquerexagérément le principe de précaution, BrunoRetailleau, par ailleurs auteur d’une proposition de loiréduisant à un an le délai de mise en conformité dudocument d’urbanisme communal avec le plan de pré-vention des risques, expliquait que les petites com-munes ne peuvent faire prévaloir leurs points de vue,faute de disposer des compétences techniques néces-saires. Pourtant, comme l’a relevé Marcellin Nadaud,maire du Prêcheur, la solution serait parfois d’unegrande simplicité “puisqu’il suffirait d’interdire l’extrac-tion de matériaux sur le littoral de la Martinique pouren limiter l’érosion”.Encore faudrait-il pour cela en arriver à un traitementglobal des questions maritimes et terrestres, au lieu dela fragmentation des approches, soulignée tout au longdu colloque. Après avoir relevé l’imbrication des échelleset des sujets des multiples documents élaborés sur lelittoral – plan local d’urbanisme (PLU), schéma de cohé-rence territoriale (Scot), volet littoral et maritime desScots, schéma d’aménagement et de gestion des eaux,programme de conchyliculture… Anne-Sophie Leclerc,estimait ainsi que “sauf exception, le périmètre restreintdes PLU et des Scots – celui des Sables-d’Olonne ne couvreque six communes – interdisait la prise en compte desenjeux littoraux et maritimes à une échelle adéquate. D’oùla création par le législateur de la stratégie nationale de lamer et du littoral, des documents stratégiques de façade,du Conseil national de la mer et des littoraux et des quatreconseils maritimes de façade”.L’organisation et les attributions de ces dernières ins-tances, instaurées dans le sillage du Grenelle de la mer,ont donc constitué le troisième grand thème de

Un outil sur mesureEn exposant son sujet de thèse Du texte à la carte, la traduction spatiale de la loi littoral en Bretagne, Céline Eymeri a rencontré unfranc succès auprès des participants aux journées d’étude de l’Association nationale des élus du littoral. Dans cette réflexion, qui a faitl’objet d’une aide de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement de la Bretagne et du conseil régionalde Bretagne, la doctorante à l’université de Brest se propose d’aider les collectivités à construire un argumentaire sur leur interprétationde la loi littoral, en combinant des concepts géographiques (taille, distance entre constructions, coupure routière, parcelles) et desanalyses juridiques, provenant de différentes sources de droit (décrets, circulaires, jurisprudence). À cette fin, sur la base de territoiresd’études communaux et intercommunaux, elle s’est donnée trois objectifs : clarifier au travers d’une représentation cartographique, lesnotions issues de la loi littoral – la bande des 100 mètres, les espaces remarquables, les espaces proches du rivage, l’agglomération, leshameaux et les coupures d’urbanisation – ; développer des méthodes de représentation cartographique ; mettre en évidence les margesde manœuvre des élus en fonction de leur projet de territoire. I.B.

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discussion du congrès de l’Anel. Dominique Dron,commissaire général au développement durable, a ainsifait état des hésitations de l’État sur le nombre desparticipants au Conseil national de la mer et des litto-raux, passé de 90 membres à 40 pour finalement s’éta-blir à 70 personnes ; au grand dam de certains orateurs,tel Philippe Boënnec, député-maire de Pornic, pour quiune assemblée forte de 120 à 150 personnes auraitmieux assuré la représentation de tous les acteurs.Il est vrai que la composition de ces nouvelles institutions,en particulier celle du Conseil national de la mer et deslittoraux, n’a pas été sans inquiéter un certain nombrede congressistes, comme Antoine Pichon, secrétairegénéral du Conseil supérieur de la navigation de plai-sance et des sports nautiques, qui regrettait qu’on aitpréféré des associations environnementales aux associa-tions d’usagers. Ce à quoi Dominique Dron a réponduque “tant d’activités dépendaient des ressources naturellesqu’intégrer des associations centrées sur leur préservationpermettait de ne pas oublier des indicateurs importants”.Au demeurant, la suite des débats a montré que cesprofessionnels, dont Alain Miossec regrettait lui aussil’absence dans les projets retenus au titre de la gestionintégrée des zones côtières (2), participeraient enrevanche aux conseils maritimes de façade.

PéRImETRE ET COmPOSITION, ObJETSDE DébATS

La composition de ces derniers n’a pas manqué cepen-dant de susciter quelques remous, “car la logique géo-graphique a été préférée à la logique institutionnelle”,selon la formule d’Anne-Sophie Leclerc. Ainsi, la situa-tion spécifique de la Bretagne a été débattue dansdiverses tables rondes. “La Bretagne accepte mal lafaçade Nord-Atlantique-Manche-Ouest qui regroupe laBretagne et les Pays de la Loire, comme elle critique sonéclatement en trois sous-régions en application de la

directive-cadre sur le milieu marin”, constatait Anne-François de Saint-Salvy, préfet maritime de l’Atlan-tique et comme tel, futur co-président du conseil mari-time de façade Nord-Atlantique-Manche-Ouest.Effectivement, Isabelle Thomas, vice-présidente duconseil régional, s’inquiétait d’une possible remise encause de la conférence Mer et littoral (3) qui, par sacomposition et le rôle qu’elle entend jouer, s’affirmecomme un conseil maritime de façade bis… dont lechamp d’action serait limité à la seule Bretagne. Par lasuite, les contestations ont pris un tour plus général.Ainsi, Alain Boënnec estimait qu’en réduisant à 35 %le nombre maximum de représentants de chaque col-lège et donc d’élus au sein des conseils maritimes defaçade (4), le gouvernement avait méconnu l’esprit dulégislateur pour qui le collège des élus devait com-prendre la moitié des membres du conseil. Ce à quoiDominique Dron a répliqué qu’il “s’agissait d’un com-promis entre les souhaits du Parlement et la logique duGrenelle”, laquelle n’instaure aucune prééminenceentre les différents types d’acteurs.Les manifestations d’inquiétude, d’angoisse même, àécouter la synthèse des travaux qu’a réalisée AlainMiossec, n’ont donc pas manqué lors de ces journéesd’étude. À maintes reprises, les maires littoraux en ontd’ailleurs appelé à la solidarité nationale, pour faire faceà des charges qu’ils estiment disproportionnées, eu égardà leurs ressources. Pourtant, “leur croissance démogra-phique est une aubaine”, martelait Pierre Sallenave,directeur de l’Agence nationale pour la rénovationurbaine, lequel tempérait cependant son appréciation,en remarquant que, si la première richesse d’un territoireest résidentielle, encore fallait-il, pour que cette richessene soit pas un leurre, rompre avec le modèle du lotisse-ment : “En effet, seule une certaine densité permet d’assu-rer la prospérité des communes et des services.” (5).

Isabelle BERTHIER

(1) L’appellation “Les 50 pas géométriques” qualifiele statut juridique applicable aux terrains situés surle littoral des départements d’outre-mer, incorporésdans le domaine public maritime artificiel par la loilittoral, après avoir été déclassés dans le domaineprivé de l’État par une loi de 1955. La zone a unelargeur de 81,20 m à partir de la ligne des plushautes marées. La loi du 31 décembre 1996, qui acréé les agences des 50 pas géométriques, prévoitdes aménagements au principe d’une inaliénabilitédu domaine public. L’agence est un établissementpublic de l’État chargé de régler les problèmes liésà l’implantation des constructions non équipées surle domaine public maritime. Un autre établissementde ce type existe en Guadeloupe.(2) La gestion intégrée des zones côtières est unedémarche émanant de la Datar qui s’appuie sur unerecommandation de l’Union européenne du 30 mai2002.(3) La conférence Mer et littoral de Bretagneregroupe des experts, des élus, des représentantsde l’État, du monde économique et associatif et setrouve présidée par le préfet de Bretagne et le pré-sident du Conseil régional.(4) Les conseils maritimes de façade ont 80 membresmaximum.(5) Selon une étude de la Datar sur la gestion inté-grée des zones côtières, l’économie résidentielle(commerces-services) représente plus de 44 % desemplois dans les communes littorales contre 39 %dans le reste de la France.

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