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UNIVERSITE MONTPELLIER I Faculté de droit Droit Civil Licence 1 ère Année Travaux dirigés semestre 2 – Personnes - Famille - Incapacités– Séance 3 Daniel Mainguy, Professeur à la Faculté de droit de Montpellier Vincent Cadoret, ATER Fleur Dubois Lambert, Doctorante Céline Frutoso, Doctorante Marion Murcia, Doctorante contractuelle Guillaume Zambrano, ATER – 2010 –

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UNIVERSITE MONTPELLIER I

Faculté de droit

Droit Civil Licence 1ère Année

Travaux dirigés semestre 2 – – Personnes - Famille - Incapacités–

Séance 3

Daniel Mainguy, Professeur à la Faculté de droit de Montpellier

Vincent Cadoret, ATER

Fleur Dubois Lambert, Doctorante Céline Frutoso, Doctorante

Marion Murcia, Doctorante contractuelle Guillaume Zambrano, ATER

– 2010 –

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SEANCE 3 LA PERSONNE PHYSIQUE : L’E TAT CIVIL Commentaire de la décision TGI Lille, 18 décembre 2003 (Méthode Mousseron, analyse et commentaire). Fiches d’arrêts NOM - PRENOM 1- Protection du nom - Cass. Com. 12 mars 1985 Bordas: D. 1985. 471, note J. Ghestin, JCP 1985. II. 20400, concl. Montanier, note G. Bonet, Gaz. Pal. 1985. 1. 245, note Le Tallec 2 – Dévolution du nom - Isabelle Corpart, La vision égalitaire de la dévolution du nom de famille, D. 2003, p. 2845 3- Changement de prénom - TGI Lille, 18 déc. 2003 : D. 2004, 2675, note X. LABBEE ; RTD Civ. 2005, 98, obs. J. HAUSER. Transsexualisme - A.-S. Chavent-Leclère, Des bouleversements du droit européen en matière de transsexualisme, D. 2003 p. 2032. - CEDH, 25 mars 1992 : D 1993, Jur. p. 101 ; RTD Civ. 1993, p. 97, note J. Hauser. - Cass. Ass. Plen., 11 décembre 1992 (2 espèces) : JCP G 1993, n° 5, p. 41, Concl. M. Jéol, note G. Mémeteau.

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II) Nom – Prénom 1- Protection du nom Cass. Com. 12 mars 1985 (D. 1985. 471, note J. Ghestin, JCP 1985. II. 20400, concl. Montanier, note G. Bonet, Gaz. Pal. 1985. 1. 245, note Le Tallec) ARRÊT " La Cour ; - Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches : - Vu l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article 1er de la loi du 28 juillet 1824 ; - Attendu que le principe de l'inaliénabilité et de l'imprescriptibilité du nom patronymique, qui empêche son titulaire d'en disposer librement pour identifier au même titre une autre personne physique, ne s'oppose pas à la conclusion d'un accord portant sur l'utilisation de ce nom comme dénomination sociale ou nom commercial ; - Attendu que M. Pierre Bordas a demandé qu'il soit ordonné sous astreinte à la Soc. anonyme Editions Bordas de cesser toute utilisation du nom Bordas dans sa dénomination sociale et à cette société et à la SARL Société Générale de Diffusion de cesser toute utilisation de ce nom dans leurs " dénominations commerciales " ; - Attendu qu'après avoir constaté que M. Pierre Bordas et son frère Henri avaient licitement choisi la dénomination " Editions Bordas " par acte sous seings privés du 23 janvier 1946 pour une société à responsabilité limitée dont ils étaient les fondateurs, ultérieurement transformée en société anonyme, la cour d'appel, pour accueillir la demande de M. Pierre Bordas, énonce qu'il n'y a eu aucune convention sur l'usage du nom Bordas par la société ou sur l'inclusion de ce nom dans la dénomination sociale et que le patronyme étant inaliénable et imprescriptible, l'incorporation du nom de Bordas dans la dénomination sociale ne peut s'analyser que comme une simple tolérance à laquelle M. Pierre Bordas pouvait mettre fin sans pour autant commettre un abus dès lors qu'il justifiait de justes motifs ; - Attendu qu'en se déterminant par ces motifs, alors que ce patronyme est devenu, en raison de son insertion le 23 janvier 1946 dans les statuts de la société signés de M. Pierre Bordas, un signe distinctif qui s'est détaché de la personne physique qui le porte, pour s'appliquer à la personne morale qu'il distingue, et devenir ainsi objet de propriété incorporelle, la cour d'appel (Paris, 1re ch., 8 nov. 1984) a violé les textes susvisés ; - Par ces motifs,... casse,... ". Observations 1 Bien que l'on puisse s'interroger à notre époque, plus que par le passé, sur les caractères du nom patronymique, il est encore admis que celui-ci est indisponible et imprescriptible. La Cour de cassation demeure, dans l'arrêt commenté, fidèle à cette

position : " le principe de l'inaliénabilité et de l'imprescriptibilité du nom patronymique, (qui) empêche son titulaire d'en disposer librement pour identifier au même titre une autre personne physique ". 2 Au principe de l'indisponibilité du nom, qui semble non seulement exclusif de tout accord, mais encore s'opposer à l'efficacité de tout acte juridique propre à entraîner altération de ce caractère, il existe pourtant des dérogations, et non des moindres. Ainsi, en cas de divorce pour rupture de la vie commune, la femme a le droit de conserver l'usage du nom du mari lorsque le divorce a été demandé par celui-ci (art. 264, al. 2 c. civ.), et, dans les autres cas de divorce, elle peut conserver l'usage du nom du mari avec l'autorisation du juge, ou l'accord du mari (art. 264, al. 3), celui-ci pouvant cependant user d'un droit de révocation au cas où il subirait un préjudice dû à l'usage abusif ou préjudiciable de son nom (Paris, 9 mars 1979, D. 1979. 471, note Massip ; 22 oct.1980, D. 1981, IR 68 ; TGI Paris, 10 févr. 1981, D. 1981. 443, note Lindon, JCP 1981. II. 19624, note D. Huet-Weiller) (rappr. art. 61-3 c. civ. réd. L. 8 janv. 1993). I.-Existence de la commercialisation 3 Encore ne s'agit-il dans les hypothèses précédemment envisagées que d'actes de disposition afférents à l'usage du nom. Mais l'atteinte au principe d'indisponibilité est plus profonde lorsqu'un commerçant exerce sa profession sous son nom patronymique : il fait alors de celui-ci un nom commercial, objet d'un droit de propriété incorporelle, qui, représentant une valeur patrimoniale, devient un élément du fonds de commerce et peut être cédé en même temps que lui. Ainsi en va-t-il d'un individu qui détache de sa personne son nom patronymique pour en faire un nom commercial. Dans la même perspective, il est logique d'admettre qu'une personne - ou ses héritiers - puisse reconnaître à autrui le droit d'user de son nom (nom personnel ou nom de famille) à des fins commerciales - la pratique est courante dans le monde du sport ou du spectacle - et, en l'absence de disposition contraire, que pareil accord puisse être tacite (Civ. 1re6 juill. 1965, D. 1965. 701, note Lindon, Bull. civ. I, no 453, p. 339, aff. Negresco). L'autorisation ainsi accordée peut cependant être contestée en cas de faute dans l'utilisation. Lorsque l'activité revêt une forme sociale, un nom patronymique peut être utilisé pour désigner la personne morale. Ainsi, aux termes de l'article 11 de la loi du 24 juillet 1966 (réd. L. 11 juill. 1985), " la société en nom collectif est désignée par une dénomination sociale, à laquelle peut être incorporé le

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nom d'un ou plusieurs associés et qui doit être précédée ou suivie immédiatement des mots " société en nom collectif ". Il en va de même en matière de société à responsabilité limitée (art. 34, al. 3, L. 24 juill. 1966) et de société par actions. Toutefois, dans la société en commandite par actions, le nom des associés commanditaires ne peut figurer dans la dénomination sociale (art. 70, L. 24 juill. 1966). 4 De ces observations, il est normal de déduire que l'insertion d'un nom patronymique par son titulaire dans la dénomination d'une société qu'il fonde - et on pourrait raisonner de manière analogue au sujet d'un apport du nom à une société déjà existante, surtout s'il s'ajoute à la qualité d'associé ou accompagne l'acquisition de cette qualité - produit, expressément ou tacitement, un effet semblable au détachement du nom commercial par rapport au nom patronymique (rappr. Com. 3 mars 1965, Grospiron, Bull. civ. III, no 166, p. 140 et no 168, p. 143 ; V. aussi, Civ. 1re 6 juill. 1965, Negresco, préc. ; rappr., sur l'incidence d'un long usage, Civ. 1re 26 mai 1970, Dop, Bull. civ. I, no 174, p. 140). Devenu élément, exclusif ou non, de la dénomination sociale, le nom accompagne le destin de la société, en particulier sa notoriété si l'activité de celle-ci est florissante. II.-Portée de la commercialisation 5 Néanmoins, parce qu'il s'agit tout de même d'un nom patronymique, l'utilisation de ce vocable comme nom commercial ou son incorporation dans la dénomination oblige à s'interroger sur la portée de tels comportements. Sans doute convient-il de tenir compte de l'existence de conditions ou de réserves auxquelles le propriétaire du nom aurait subordonné l'emploi de son nom à des fins commerciales ou sociales. Mais en l'absence de telles précautions, que faut-il décider ? Sensible à l'argumentation de M. Pierre Bordas, la cour d'appel avait estimé que l'incorporation dans la dénomination sociale de ce nom Bordas, qui comme tout patronyme est inaliénable et imprescriptible et demeure la propriété de son titulaire et de sa famille, ne peut s'analyser de la part de Pierre Bordas que comme une simple tolérance d'usage, tolérance à laquelle l'intéressé pouvait mettre fin sans pour autant commettre un abus dès lors qu'il justifiait de justes motifs. Dire que l'admission de l'insertion du nom patronymique dans la dénomination sociale relevait de la tolérance, et non de la cession, c'était minimiser singulièrement la signification et la portée de la dénomination sociale. Implicitement sensible à l'objection, la cour d'appel avait d'ailleurs pris soin de relever aussi " qu'il n'est nullement démontré que cette mesure aurait une incidence sur l'avenir de la société, lequel incontestablement dépend au moins en partie du succès ou de l'échec de la nouvelle politique suivie ".

6 En réalité, faute de clause contraire, la logique de l'utilisation d'un nom patronymique comme nom commercial ou de l'incorporation d'un tel nom dans une dénomination sociale conduit à reconnaître que le nom patronymique se détache alors de la personne pour devenir une marque ou un signe distinctif. En l'occurrence la cour d'appel avait donc inversé à tort le raisonnement : il ne s'agissait pas d'un pouvoir de mettre obstacle à la persistance d'une tolérance, en se fondant sur de " justes motifs " liés, en l'état, à des divergences de politique éditoriale attribuées à des changements de majorité ; il s'agissait du droit acquis par une société au maintien de sa dénomination sociale, en dépit de l'évolution dans la répartition du capital et de la perte d'influence du fondateur de la société qui avait laissé se perpétuer pendant longtemps l'incorporation de son nom patronymique dans la dénomination. Voilà pourquoi on comprend que la Cour de cassation ait cassé l'arrêt rendu le 8 novembre 1984 par la cour d'appel de Paris en décidant que le patronyme Bordas était " devenu, en raison de son insertion le 23 janvier 1946 dans les statuts de la société signés de M. Pierre Bordas, un signe distinctif qui s'est détaché de la personne physique qui le porte, pour s'appliquer à la personne morale qu'il distingue, et devenir ainsi objet de propriété incorporelle " (V. depuis Com. 27 févr. 1990, JCP 1990. II. 21545, note Pollaud-Dulian ; Paris, 29 oct.1990, D. 1993, Som. 118, obs. J. Burst ; V. aussi Paris, 22 juin 1988, D. 1989, Som. 135, obs. Burst). 7 Reste que c'est quand même le nom patronymique qui est au centre du débat, quel que soit l'usage commercial qu'en fait son titulaire. Et c'est en ce sens qu'il doit être protégé contre des utilisations abusives, spécialement dans le cadre des activités des maisons d'édition. M. Malaurie formule l'hypothèse d'une maison d'éditions universitaires, acquise par un tiers, qui " continue à porter le nom du fondateur et se met à publier des cochonneries " (Les personnes, 1re éd., p. 66, note 163). On comprend alors, qu'en cas d'abus, elle puisse être condamnée à cesser d'employer ce nom. Mais ce retrait serait fondé sur l'abus et non sur le caractère révocable ou précaire de l'insertion dans la dénomination sociale. 8 Plus généralement, il convient d'ajouter que, si le nom patronymique d'une famille donne à ses membres le droit de s'opposer à toute appropriation indue de celui-ci par un tiers au même titre de nom patronymique, il est nécessaire, lorsque le nom est utilisé à des fins commerciales, que le demandeur justifie de l'existence d'une confusion possible à laquelle il a intérêt à mettre fin (Civ. 1re 26 mai 1970, préc. ; Com. 21 oct. 1997, a contrario, Bull. civ. IV, no 278, JCP 1998. II. 10071, note Casey, RTD civ. 1998. 340, obs. J. Hauser ; Paris, 30 oct. 1998, D. 1998, IR 259, D. Affaires 1999. 165, obs. J. F., RTD civ. 1999. 61, obs. J. Hauser).

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Aux auteurs cités, adde : Carbonnier, t. I, Les personnes, p. 88 ; Cornu, Introduction, Les personnes, Les biens, no 619 ; Goubeaux, Les personnes, no 165 ; Malaurie, Les personnes, Les incapacités, no157 ; H., L., J. Mazeaud, F. Chabas, t. I, 2e vol., par Fl. Laroche-Gisserot, no 557 ; Terré et Fenouillet, Les personnes, La famille, Les incapacités, no 182 ; C. Colombet, Le nom et les propriétés incorporelles, D. 1989, chr. 31 et s. ; G. Loiseau, Le

nom objet d'un contrat, thèse Paris I, éd. 1997 ; F. Pollaud-Dulian, L'utilisation du nom patronymique comme nom commercial, JCP 1991. I. 3618 ; A. Viandier, Les conflits entre cédant et cessionnaire relatifs au nom, Rev. jurispr.comm. 1995. 1 et s. ; M. Vivant, Le patronyme saisi par le patrimoine, Mélanges Colomer, 1993, p. 517 et s. ; Christine Zanella, Les marques nominatives, thèse ronéot. Panthéon-Assas (Paris II), 1994.

2- Dévolution du nom Isabelle Corpart, La vision égalitaire de la dévolution du nom de famille, D. 2003, p. 2845

Marque de l'appartenance à une lignée, le nom de famille est aussi une institution de police civile permettant de distinguer les individus au sein de la société. Tout enfant reçoit un nom à sa naissance (1). Il est obligatoirement déclaré à la mairie dans les trois jours qui suivent.

Le code civil ne contenait originairement aucune indication relative au nom qui relevait de la coutume. Toutefois, le législateur est intervenu par touches successives. Outre les lois du 6 fructidor an II et du 11 germinal an XII, les règles relatives à l'attribution et au changement du nom se sont trouvées modifiées successivement par la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 quant au nom de l'enfant naturel, par la loi n° 85-1373 du 23 décembre 1985 autorisant l'usage des noms paternel et maternel, puis par la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 modifiant les possibilités de changement. Plus récemment, la loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille (2) est venue bouleverser les règles d'acquisition du nom. Elle a aussitôt été rénovée par la loi n° 2003-516 du 18 juin 2003 relative à la dévolution du nom de famille (3). Ces deux lois s'inscrivent dans un courant égalitaire qui entend donner à tous les enfants des droits identiques et à traiter sur un même plan les pères et les mères (4). Une idée semblable ressort de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 venue supprimer les restrictions propres aux enfants nés d'un adultère et de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 chargée d'uniformiser les droits des enfants et de renforcer la notion de coparentalité. Les réformes de 2002 et de 2003 ont également pour but de supprimer des règles de dévolution discriminatoires et contraires à l'idée de libre choix dans le droit de la famille. Si la loi de 2002 a égalisé les modes d'attribution du nom quelle que soit la nature de la filiation, elle a aussi mis fin à la suprématie du père(5). Entraînant une importante rupture avec la tradition et votée dans l'urgence, elle a fait l'objet de critiques et d'interrogations(6). Quant à elle, la loi de 2003 reporte au 1er janvier 2005 l'entrée en vigueur de la réforme fixée initialement au 1er septembre 2003, faute pour les

services de l'état civil d'être déjà opérationnels. Dans le sillage de cette mesure phare, elle retouche enfin le texte sur de nombreux aspects, tant pour conforter l'égalité entre les enfants que pour donner des prérogatives identiques à leurs parents. I - L'égalité entre les enfants La transmission égalitaire du nom de famille entraîne deux nouveaux principes. D'un côté, elle efface, pour l'essentiel, les différences entre les enfants, bien que quelques divergences subsistent en raison des particularités de la filiation naturelle et de la filiation adoptive. Il n'empêche que, symboliquement, la loi de 2002 a créé une nouvelle section intitulée « Des règles de dévolution du nom de famille » au sein du chapitre consacré aux dispositions communes aux filiations. De l'autre, il est précisé que tous les frères et soeurs germains porteront un nom de famille unique, quel que soit le moment de leur naissance. A - L'égalité réalisée indépendamment de la nature de la filiation Le nom de famille est immuable, cependant le code civil autorise quelques modifications exceptionnelles. Certaines sont liées à la nature de la filiation (7). Elles tiennent d'une part à la divisibilité de la filiation naturelle, d'autre part aux spécificités de l'adoption. L'égalité entre les enfants est réalisée lors de deux étapes : au moment de l'attribution du nom ou à l'occasion d'un éventuel changement. 1 - L'égalité quant à la dévolution initiale du nom Seul l'enfant légitime est nécessairement doté doublement d'un lien de paternité et de maternité en raison de l'indivisibilité de la filiation légitime. Pour les autres enfants, il importe de savoir comment la filiation est établie. Si elle l'est à l'égard d'un seul parent, le système de dévolution n'est pas modifié par la loi, l'enfant portant le nom de ce parent. Lorsque la filiation est établie à l'égard des deux parents, le nouvel article 311-21 du code civil prévoit une règle qui concerne l'ensemble des enfants. Il y a double établissement si le lien de droit est établi à l'égard des deux parents au

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plus tard le jour de la déclaration de naissance ou si elle l'est par la suite, mais simultanément à l'égard du couple. En fait, l'ordre des filiations importe peu. Il suffit d'une déclaration conjointe donc d'une manifestation volontaire pour déterminer le nom de l'enfant. Encore faudra-t-il en prévoir les modalités. Lorsque ces conditions sont remplies, l'enfant peut porter quatre noms différents, au choix de ses parents. Il peut s'agir du nom de son père ou de sa mère, du nom de sa mère accolé au nom de son père ou du nom de son père accolé au nom de sa mère. Les parents doivent seulement faire ensemble une déclaration devant l'officier de l'état civil. Conformément à la nouvelle rédaction de l'article 57 du code civil issue de la loi de 2002, le nom de famille choisi devra être mentionné dans l'acte de naissance de l'enfant. Le cas échéant, il sera suivi de la mention de la déclaration conjointe parentale quant au choix effectué. Jusque-là il n'y avait dans ce texte aucune référence au nom, tant il était évident que l'enfant devait porter un patronyme, seul le prénom devant être choisi. En revanche, à défaut d'accord parental, l'égalité entre père et mère sera rompue comme nous le verrons plus loin. De même, la dévolution du nom des enfants légitime et naturel reste différente. Le pluralisme des modes de preuve de la filiation met obstacle à une parfaite égalité. L'enfant doit obligatoirement prendre le nom du père si la filiation est établie simultanément à l'égard des deux parents (art. 311-21 c. civ.). C'est forcément le cas pour l'enfant légitime, mais pour l'enfant naturel il y a une alternative : pour une filiation établie simultanément à l'égard des père et mère, transmission du nom du père, pour une filiation instituée successivement, transmission du nom du parent qui a créé le premier lien de parenté. Enfin, si l'une des filiations est créée postérieurement à la déclaration de naissance, l'enfant acquiert le nom du parent à l'égard de qui sa filiation est établie en premier lieu (maintien de l'article 334-1 c. civ.). Toutefois, il est possible que l'enfant change de nom par la suite. 2 - L'égalité quant au changement de nom Il faut distinguer selon la date de naissance des enfants, car la réforme n'est pas applicable aux enfants nés avant son entrée en vigueur. a) Le cas des enfants nés après l'entrée en vigueur de la réforme - Le nom de famille d'un enfant né à partir du 1er janvier 2005 peut être modifié s'il s'agit d'un enfant naturel ou d'un enfant adoptif. Pour l'enfant naturel, des reconnaissances peuvent se succéder dans le temps et inciter les parents à changer son nom. Le législateur leur offre deux voies. Tout d'abord l'article 334-2 du code civil,

texte modifié à deux reprises. Il introduit une procédure particulière pour l'enfant naturel dont la filiation n'a pas été établie concomitamment à l'égard de ses deux parents. L'enfant qui n'aura pas bénéficié de la faculté de choix offerte par l'article 311-21 du code civil pourra prendre un nouveau nom de famille par substitution. Les parents pourront choisir soit de lui substituer le nom du parent à l'égard duquel sa filiation a été établie en second lieu, soit d'accoler leurs deux noms dans l'ordre qu'ils choisiront. Pour ce faire, ils doivent faire ensemble une déclaration devant l'officier de l'état civil et non plus devant le greffier en chef du tribunal de grande instance, pendant la minorité de l'enfant. Cette centralisation va assurer une meilleure cohérence du système. L'enfant âgé de treize ans doit consentir personnellement. La mention du changement de nom figurera en marge de l'acte de naissance. Quant à lui, l'article 334-3 prévoit une possibilité de changement de nom devant le juge aux affaires familiales. Il autorise une action judiciaire lorsque la déclaration prévue à l'article 334-2 n'a pas pu être réalisée. Or, en raison de l'élargissement de son champ d'application, les cas de procédure judiciaire vont se restreindre. On peut penser que l'article 334-3 sera cantonné aux actions postérieures à la majorité et à celles qui ne reposeront pas sur un consensus familial. L'action sera ouverte pendant la minorité de l'enfant et dans les deux années qui suivront sa majorité ou une modification de son état. Si l'intéressé a lui-même des enfants, cette procédure risque toutefois de rompre l'uniformisation du nom. En effet, si la substitution s'étend de plein droit à ses propres enfants mineurs, les majeurs devront, quant à eux, donner leur consentement à ce changement (art. 334-4 c. civ.). L'enfant naturel peut encore bénéficier d'une légitimation. Cette institution permet de donner aux enfants naturels les droits des enfants légitimes. S'agissant de ses effets sur le nom, elle aboutissait parfois à un changement de nom car l'enfant légitimé par mariage portait obligatoirement le nom du mari. Puisque désormais les règles d'acquisition initiale du nom sont les mêmes pour tous, la légitimation n'a plus d'incidence lorsque l'enfant était doté d'un double lien de filiation lors de la déclaration de naissance. Ses parents avaient effectivement déjà pu opter pour le quadruple choix. Une nouvelle option ne leur est pas ouverte. La légitimation conservera toutefois un intérêt lorsque l'enfant n'a pas bénéficié d'emblée du double lien ou à défaut de déclaration conjointe. En ce cas, qu'il s'agisse d'une légitimation par mariage subséquent ou d'une légitimation post nuptias, les parents pourront se prévaloir de l'article 311-21 du code civil. Conformément à l'article 332-1 modifié en 2002 et en 2003, il suffira qu'ils en fassent la demande par déclaration conjointe lors de la célébration des noces pour la légitimation par mariage subséquent ou

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devant le juge pour la légitimation post nuptias. Ce changement de nom est toutefois doublement limité. Premièrement, les parents verront leur demande rejetée s'ils avaient déjà usé de la faculté offerte à l'article 334-2 du code civil pour modifier le nom du mineur (renvoi à l'art. 311-23 c. civ.). Deuxièmement, la transformation du nom de famille d'un enfant majeur ne pourra pas être ordonnée sans son consentement. Enfin, un dispositif analogue est ajouté en 2003 pour la légitimation par autorité de justice. Si elle est prononcée à l'égard des deux parents, le nom de l'enfant est déterminé en application des articles 311-21 et 311-23 du code civil (art. 333-5 c. civ.). En revanche, demandée par un seul parent, elle n'emporte aucune conséquence sur le nom de l'intéressé, sauf décision contraire du tribunal (art. 334-4, al. 2, c. civ.). S'agissant à présent de l'enfant adoptif, les règles d'attribution du nom ne peuvent pas être similaires, car le droit français connaît deux formes d'adoption. Si les solutions retenues divergent, il ne s'agit pourtant pas de la traduction d'une inégalité entre les enfants, mais d'un pluralisme de statut. Lorsque l'enfant bénéficie d'une adoption plénière par deux époux, le nom de l'enfant est déterminé selon les mêmes règles que pour l'enfant légitime ou naturel (art. 357, al. 2, c. civ. qui renvoie à l'art. 311-21 c. civ.). S'il s'agit d'une adoption individuelle, le fait que l'adoptant soit marié peut avoir une incidence. Par principe, l'adopté reçoit le nom de famille de l'adoptant (art. 357, al. 1er, c. civ.). Cependant, il est possible qu'en cas d'adoption individuelle par une femme ou un homme mariés, on transmette le nom du conjoint à l'adopté ou encore les noms des époux accolés (art. 357, al. 4, c. civ.)(8). On peut sans doute regretter que l'abrogation de la dation de nom de l'article 334-5 du code civil en 2003 n'ait pas été accompagnée de celle de ce texte. L'idée qui y est soutenue est exactement la même, car la technique aboutit à transmettre un nom indépendamment du lien de filiation. On peut également relever que le législateur de 2002 a inséré un article 357-1 dans le code civil afin de tendre à égaliser la situation des enfants adoptés plénièrement en France et celle des enfants adoptés à l'étranger. Le texte prévoit en effet que l'article 311-21 du code civil est applicable à l'enfant qui a fait l'objet d'une adoption régulièrement prononcée à l'étranger ayant en France les effets de l'adoption plénière. C'est au moment de la demande de transcription du jugement d'adoption que les adoptants exerceront cette option par déclaration adressée au procureur de la République du lieu de la transcription ou lors d'une demande d'exequatur du jugement d'adoption étranger.

Lorsque l'enfant bénéficie d'une adoption simple cette fois, il y a ajout du nom de l'adoptant à celui de l'adopté (art. 363, al. 1er, c. civ.). Toutefois le tribunal peut à la demande de l'adoptant décider que l'adopté portera seulement le nom de l'adoptant (art. 363, al. 4, c. civ.). Cette même requête peut être formée postérieurement au jugement. Toutefois si l'adopté a plus de treize ans, il doit y consentir personnellement. Lorsque l'adoption est individuelle, le nom de l'adoptant est transmis à l'enfant et il s'ajoute à son nom d'origine. Toutefois si l'adopté et l'adoptant ou l'un d'eux portent un double nom, un seul de ces noms de famille peut être transmis à l'adopté. Le nombre de noms transmis dans l'adoption simple sera limité à deux. Le choix en revient à l'adoptant qui doit recueillir le consentement de l'adopté de treize ans (art. 363, al. 2, c. civ.). En cas de désaccord ou à défaut de choix, le nom de l'adopté résulte de l'adjonction du premier nom de l'adoptant au premier nom de l'adopté. L'intention du législateur est clairement de limiter le nombre de noms dévolus à une personne. En cas d'adoption par un couple, plusieurs situations peuvent se présenter. A la demande des deux époux, l'enfant portera son nom d'origine et celui de l'adoptant ou de l'adoptante dans la limite de deux noms au maximum (art. 363, al. 3, c. civ.). Si l'adopté porte un double nom, le choix du nom conservé appartient aux adoptants qui doivent recueillir le consentement du mineur de treize ans. Faute de consensus, le législateur opère une distinction. Si le désaccord porte sur le nom des adoptants, il décide que c'est le premier nom du mari qui est transmis à l'adopté. S'il porte sur le nom d'origine de l'enfant, il ajoute le premier nom de l'adopté au nom de l'adoptant, à savoir celui de l'adoptant ou de l'adoptante. Le tribunal peut néanmoins décider à la demande des adoptants de supprimer le nom de naissance de l'enfant. Le nom de famille de l'adopté sera alors celui de l'adoptant, celui de l'adoptante ou les deux noms accolés dans l'ordre choisi par le couple (art. 363, al. 4, c. civ.). L'adopté de treize ans doit consentir à cette substitution. Toutes les dispositions prévues par l'article 363 du code civil sont applicables à l'enfant qui a fait l'objet d'une adoption régulièrement prononcée à l'étranger ayant en France les effets d'une adoption simple, lorsque l'acte de naissance de l'adopté est conservé par une autorité française (art. 363-1 c. civ. inséré par la loi de 2002). Les parlementaires ont encore envisagé la situation de l'enfant né à l'étranger de parents français (art. 311-21, al. 3, c. civ. issu de la loi de 2003). En l'occurrence, il s'agit de donner aux parents vivant hors de France les droits ouverts par la réforme. Il n'est pas évident que l'enfant puisse être déclaré dans ces termes au moment de sa naissance à l'étranger. Les parents risquent d'être confrontés d'une part à un

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refus de l'officier de l'état civil étranger d'enregistrer leur déclaration, d'autre part à une opposition du pays de transmettre à l'enfant le nom de tel ou tel parent ou encore un double nom. Par suite, s'ils n'ont pas pu user de cette faculté originairement, ils sont admis à effectuer cette déclaration lors de la demande de transcription de l'acte en France. Le nom sera dès lors changé à cette occasion. Toutefois le législateur a réservé cette possibilité aux demandes faites avant le troisième anniversaire de l'enfant pour ne pas générer d'insécurité juridique. Modifiant complètement l'article 311-22 inséré dans le code civil en 2002, le législateur de 2003 a ensuite prévu un cas de changement spécifique à l'enfant mineur étranger acquérant la nationalité française en application des dispositions de l'article 22-1 du code civil. En effet, selon le nouvel article 311-22 du code civil, l'enfant mineur dont l'un des parents acquiert la nationalité française devient français de plein droit. Il fallait en tirer les conséquences quant au nom porté. Les dispositions précitées de l'article 311-21 lui seront applicables. Encore faudra-t-il que les conditions de ce changement de nom accompagnant l'acquisition de la nationalité soient fixées par un décret pris en Conseil d'Etat. En outre, la loi de 2002 prévoyait une procédure particulière pour les personnes majeures. Selon l'article 311-22 du code civil qu'elle avait mis en place, tout majeur à qui le nom de l'un de ses parents avait été transmis aurait pu adjoindre le nom de l'autre parent à condition d'en faire la déclaration écrite à l'officier de l'état civil du lieu de sa naissance avant la déclaration de naissance de son premier enfant. Cette disposition a été abrogée en 2003 et remplacée par un alinéa consacré au cas particulier de l'enfant qui devient français. La suppression de la possibilité offerte aux personnes majeures de supprimer un élément de leur état doit être saluée, car elle s'inscrivait en porte-à-faux au principe traditionnel de l'indisponibilité du nom. En l'occurrence, ce n'étaient plus les parents qui manifestaient leur volonté quant au nom, mais son titulaire lui-même. Une loi qui se voulait égalitaire ne pouvait pas tolérer une telle différence entre les enfants nés avant l'entrée en vigueur de la loi qui auraient pu modifier leur nom et ceux nés postérieurement qui se seraient vu fermer cette voie. Le législateur de 2003 a apporté une dernière précision. Pour éviter que les parents se décident trop à la légère, changent d'avis ou multiplient les procédures, il prévoit dans le nouvel article 311-23 du code civil que l'option ne peut être exercée qu'une seule fois. Cela vaut aussi bien pour l'article 311-21 que pour l'article 334-2. Il a choisi de rappeler ici le principe de l'immutabilité du nom de famille. Il était effectivement apparu que

la formulation retenue en 2002 n'interdisait pas formellement de revenir sur le choix effectué. b) Le cas des enfants nés avant l'entrée en vigueur de la réforme - Le nom de famille des enfants nés avant le 1er janvier 2005 est à mettre à part car le législateur a prévu des dispositions transitoires. Elles avaient été introduites en 2002 mais sont substantiellement modifiées par la loi de 2003. A compter du 1er janvier 2005 et jusqu'au 30 juin 2006, les parents exerçant l'autorité parentale pourront faire une déclaration conjointe à l'officier de l'état civil afin d'ajouter au nom de famille de l'enfant le nom du parent qui ne lui a pas transmis le sien à la naissance, et ce, dans la limite d'un seul nom de famille. En revanche, aucune procédure n'est prévue à défaut d'accord entre les père et mère. Le législateur a toutefois entendu encadrer strictement ce cas particulier, l'enfant devant avoir moins de treize ans au 1er septembre 2003 ou à la date de la déclaration. En effet, il n'a pas souhaité pénaliser les mineurs qui auraient atteint l'âge limite au 1er janvier 2005 alors que, âgés de moins de treize ans au 1er septembre 2003, ils auraient pu bénéficier du changement selon la loi de 2002. De plus, il doit s'agir de l'aîné de la fratrie pour uniformiser le nom de famille. Enfin, l'enfant de plus de treize ans doit consentir personnellement(9). B - L'égalité réalisée indépendamment de l'ordre des naissances Cette égalité est garantie sur le fondement de l'appartenance à une seule et même famille, les enfants devant être classés en deux catégories. 1 - L'égalité des enfants nés après l'entrée en vigueur de la loi Pour les enfants qui naîtront une fois la loi applicable, les parents devront mûrement réfléchir au moment de la naissance du premier nouveau-né. En effet, tous les enfants issus des mêmes père et mère devront porter un nom de famille unique. Le choix parental ne pourra pas fluctuer au fil des ans. Cette uniformisation pourra être vérifiée par la consultation du livret de famille qui comporte déjà les extraits de naissance. Or, le nom de l'enfant doit désormais y être aussi inscrit. Grâce à cette réforme, le sentiment d'appartenance à la famille va se trouver exacerbé. Le législateur évite des effets de mode et empêchera peut-être que des proches influent sur la décision parentale(10). Il est, en effet, expressément prévu par l'alinéa 3 de l'article 311-21 du code civil que le nom dévolu au premier enfant vaut pour tous les enfants communs. Grâce à ce principe général, toute demande de changement de nom faite sur le

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fondement des articles 334-2 ou 334-3 du code civil devrait répondre aux mêmes exigences. En cas de pluralité d'enfants, cette requête devrait être collective pour ne pas rompre cette égalité. Bien entendu ces dispositions n'ont aucun impact sur les familles recomposées puisque les demi-frères n'ont pas les mêmes parents. Néanmoins, le fait de leur permettre de porter le nom des père et mère permettra de créer un lien ostensible au sein de la fratrie. Issus de la même mère, ils pourront porter pour partie son nom et avoir un lien social avec leurs demi-frères ; issus du même père, ils seront unis entre eux de la même façon. Lorsque des personnes non parentes vivaient sous le même toit, le législateur autorisait une dation de nom. Il s'agissait de modifier le nom de l'intéressé pour lui donner celui du mari de sa mère et créer une certaine cohésion familiale. Cette dation de nom n'était envisageable qu'en l'absence de filiation paternelle établie. Simple étiquette sociale, elle permettait au mari de transférer son nom sans création d'un lien de droit. Voulant mettre hommes et femmes sur un pied d'égalité, le législateur de 2002 avait bilatéralisé la technique. L'épouse pouvait transmettre son nom de famille aux enfants de son mari, en l'absence de filiation maternelle établie. Le couple pouvait aussi conférer à l'enfant les noms accolés des deux époux. Cet article 334-5 du code civil remanié en 2002 a été purement et simplement abrogé en 2003(11). Nous pouvons noter aussi qu'avec bonheur, mais sans doute incidemment, le législateur de 2003 a corrigé un risque d'inégalité généré par l'article 311-22, alinéa 1er, du code civil mis en place en 2002. Les personnes majeures pouvaient effectivement faire une demande de changement de nom pour adjoindre au nom qui leur était attribué originairement le nom de l'autre parent. Elles devaient simplement faire une déclaration en ce sens à l'officier de l'état civil, lequel n'avait pas à tenir compte du nom de ses frères et soeurs. Grâce à la suppression de cet alinéa en 2003, l'unité du nom de la fratrie sera maintenue. 2 - L'égalité des enfants nés avant l'entrée en vigueur de la loi La seconde mesure concerne, nous l'avons vu, le droit transitoire. Pour ne pas créer d'inégalité entre les enfants selon la date de leur naissance, le législateur interdit tout changement de nom concernant les enfants nés avant l'entrée en vigueur de la réforme lorsque l'un des enfants de la fratrie a plus de treize ans. Admettre le contraire aurait rompu l'unité familiale. Le nom permet avant tout de rassembler tous les membres d'une même famille. Par suite, il s'agit, selon

l'article 23 de la loi de 2002 remanié par l'article 11 de la loi de 2003, de transmettre le nom ainsi modifié à tous les enfants nés et à naître du couple. Membres à part entière de cette entité familiale, les père et mère devaient eux aussi être dotés de droits similaires. C'est en ce sens qu'a oeuvré le législateur aussi bien en 2002 qu'en 2003. II - L'égalité entre les parents Depuis plusieurs décennies, la puissance maritale et la puissance paternelle s'étaient trouvées anéanties. Pourtant des zones d'ombre ternissaient encore le système donnant toujours une prépondérance aux hommes. Selon une tradition populaire la grossesse et l'accouchement font la mère alors que c'est la transmission du nom qui fait le père. Forte de cette idée, la coutume aboutissait à la dévolution exclusive du nom du mari aux enfants nés de sa femme. Balayant ces conceptions d'un autre temps, le législateur a donné raison aux rénovateurs qui voulaient parfaire l'égalité entre les parents. Certes il était impossible que les pères mettent des enfants au monde, en revanche, les femmes pouvaient donner leur nom. C'était déjà partiellement le cas pour la filiation naturelle : les enfants prennent le nom de celui qui les reconnaît en premier dans les textes encore en vigueur. Les mères qui élevaient seules leurs enfants ou étaient les premières à se manifester pouvaient ainsi transmettre leur propre nom. De même, depuis la loi du 23 décembre 1985, l'enfant identifié par le patronyme pouvait porter à titre d'usage le nom de sa mère. Selon l'article 43 de ce texte, il pouvait y prétendre une fois devenu majeur et les titulaires de l'autorité parentale pouvaient en faire la demande pendant la minorité. La réforme de 2002 est allée beaucoup plus loin. Le législateur a encore peaufiné son oeuvre en 2003 en modifiant quelques aspects dans le sens d'une égalité accrue. A - L'égalité entre père et mère opérée par la loi de 2002 Pour mettre sur un même pied les père et mère, il fallait revoir une terminologie inadaptée et supprimer la notion de patronyme. Il fallait surtout leur accorder des prérogatives identiques pour choisir le nom du nouveau-né. 1 - La suppression du nom patronymique La réforme est opérée à la fois pour réaliser l'égalité entre les parents et pour éviter le dépérissement des noms dans les familles privées d'héritier mâle. Il faut saluer une loi qui reconnaît la bipolarité de la famille et autorise un choix égalitaire entre le nom du père et de la mère ou, pour satisfaire les aspirations des deux parents, la constitution d'un nom

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composé. Par suite, il convenait de choisir aussi un terme adéquat. Le patronyme renvoyait précisément à la prééminence masculine, les enfants légitimes prenant selon une vieille coutume le nom du mari de leur mère et les enfants naturels dotés d'une double filiation portant dans les faits généralement le nom du père, a fortiori quand les parents vivaient en concubinage. Cette terminologie n'était plus adaptée : elle est remplacée par celle de « nom de famille » dans la loi du 4 mars 2002 dans une vision plus égalitaire et plus neutre. Certes, si les femmes ne profitent pas des réformes récentes pour refuser de porter le nom marital concomitamment au mariage, sans doute continuera-t-on de donner aux enfants le nom de l'époux. Toujours est-il que ce sera bien le nom de la famille entière, la mère y compris. Ce ne sera plus par obligation mais par choix, la nuance étant d'importance. L'unité familiale sera réaffirmée. Au-delà d'un changement de vocabulaire, il nous semble que c'est le souci de la coparentalité qui, comme dans la réforme du même jour relative à l'autorité parentale, est prégnant dans l'esprit du législateur (12). 2 - L'expression de la volonté parentale Le droit du double nom est instauré par la réforme. En effet, désormais, l'enfant pourra prendre le nom de son père ou de sa mère. Issu de deux lignées, par le choix de ce nom, les parents pourront traduire exactement cette dualité familiale. Cette réforme s'inscrit d'ailleurs dans le pluralisme qui caractérise bien la famille contemporaine. Surtout ce nom double sera transmissible par l'intéressé à sa propre lignée. Malheureusement, cette unité sera vite effacée, faute de perdurer sur plusieurs générations si les père et mère portent un double nom. La seule hypothèse autorisée à ce jour était l'adoption simple dans laquelle l'enfant voyait le nom de la famille adoptive s'ajouter normalement au nom de la famille d'origine. Au contraire, la Cour de cassation avait eu l'occasion de refuser le port du double nom aux enfants naturels pour ne pas créer d'inégalité avec les enfants légitimes dotés nécessairement du nom de leur père(13). Il n'y a toutefois aucune obligation : le couple peut décider de transmettre un seul nom, il faudra simplement que les deux parents s'accordent. On peut pourtant s'interroger sur la libre expression de la volonté de chacun et sur l'influence de l'un sur l'autre. De surcroît, si un parent porte un double nom, il peut parfaitement le raccourcir (art. 311-21, al. 4, c. civ.). Reste à savoir comment les décisions parentales seront perçues. Les sociologues s'interrogent déjà sur le point de savoir ce qu'il restera aux hommes si les femmes transmettent aussi leur nom(14). Surtout,

avant combien de temps l'enfant élevé au sein d'un couple marié mais portant exclusivement le nom de sa mère ne sera-t-il plus suspecté par l'entourage d'être l'enfant d'une liaison illégitime ? Les parents sont maîtres de la situation sous réserve de faire une déclaration commune à l'officier de l'état civil à la naissance(15) et que ce choix parental reste raisonnable. En effet, cette liberté n'est pas totale, le législateur voulant éviter des noms à rallonge. L'enfant portera au maximum un double nom. Si ses parents portent eux-mêmes un nom composé, ils devront trancher au moment de la naissance de leur enfant s'ils souhaitent accoler le nom paternel et le nom maternel. Ils pourront adjoindre leurs noms dans n'importe quel ordre, mais dans la limite d'un nom de famille pour chacun. Le cas de désaccord entre les parents était aussi envisagé par le législateur, toutefois une loi votée trop rapidement avait abouti à une bizarrerie juridique, pour ne pas dire une ineptie. En effet, alors que la prépondérance du père n'était inscrite expressément dans aucun texte, les parlementaires votaient un texte qui d'un côté abolissait cette suprématie et de l'autre introduisait pour la première fois le dictat du père dans les textes. En effet, il était mentionné dans l'article 311-21 du code civil qu'en l'absence de déclaration conjointe à l'officier de l'état civil mentionnant le choix du nom, donc faute d'accord entre les parents, l'enfant devait porter le nom de son père. Cette solution rétrograde est corrigée par la loi de 2003 qui centre davantage la solution donnée au litige sur l'égalité au sein du couple. B - Le renforcement égalitaire opéré en 2003 Refondant les textes, le législateur est allé plus loin dans le sens de la coparentalité, cependant l'effort d'égalisation entre les père et mère n'est toujours pas mené à son terme. 1 - La suppression de la suprématie paternelle à défaut d'accord parental Le législateur n'a pas attendu que la réforme soit applicable pour effacer d'un coup de plume ce qui avait été inscrit trop précipitamment dans le code. En effet, l'article 311-21 du code civil connaît une nouvelle rédaction qui entrera en vigueur le 1er janvier 2005. A défaut de choix par les parents ou, plus généralement, à défaut de déclaration conjointe faite à l'officier de l'état civil, c'est-à-dire également dans les cas d'empêchement du père ou de la mère de se manifester, voire de décès, le législateur abandonne la dévolution automatique du nom paternel. Deux hypothèses sont distinguées. Soit l'enfant porte le nom de celui de ses parents à l'égard duquel sa filiation est introduite en premier lieu, soit le nom de son père si sa filiation se trouve établie simultanément à l'égard de l'un et de l'autre. L'égalité entre père et mère n'est-elle pas quelque peu sacrifiée ?

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2 - L'appréciation critique de la réforme Le législateur a mis en place un double système. Il a choisi de donner à l'enfant, dont la double filiation est établie simultanément à l'égard du couple, le nom de son père. Pour diverses raisons, la déclaration conjointe n'a pas pu être faite originairement. Le législateur a pensé qu'il fallait maintenir ici la prépondérance du père. Il aurait été vain de transmettre à l'enfant le nom de la mère tout en sachant que des modifications du nom sont envisageables pour l'enfant naturel du moins. Pourtant il s'agit de la négation pure et simple de la coparentalité. Le poids de la tradition pèsera toutes les fois où les mères ne pourront pas convaincre les pères. Il suffira que ces derniers opposent leur veto et refusent de faire une déclaration conjointe. Nulle modernité dans le texte. Dans l'autre hypothèse, la transmission du nom se trouvant étroitement liée à l'établissement de la filiation, la solution paraît plus satisfaisante. L'enfant portera le nom du parent qui aura établi la filiation en premier lieu. Toutefois, à la réflexion, on peut se demander s'il ne s'agit pas d'une façon habile de perpétuer la situation actuelle. Dans la famille naturelle, en cas de dysfonctionnement, il est vrai que l'enfant est plutôt rattaché à sa ligne maternelle qu'à sa ligne paternelle. Il portera dès lors le nom de sa mère. En revanche, avec le jeu des reconnaissances prénatales, le système n'est nullement assuré. De plus, dans la famille légitime, il porte aujourd'hui le nom du mari. C'est ce même nom qui sera transmis puisque, si la filiation légitime est indivisible, elle est aussi instantanée. Les mères n'ont donc aucune chance de transmettre leur nom si elles se sont mariées avec le père de leur enfant et que celui-ci s'obstine à vouloir donner son nom, comme son père avant lui. Faute de consensus parental, seul l'enfant naturel pourra porter uniquement le nom de sa mère. Tout au plus les mères pourraient se prévaloir du nom d'usage, la loi du 23 décembre 1985 n'ayant pas été abrogée. La solution proposée par les députés lors du vote de la première réforme était vraiment plus égalitaire puisqu'elle reposait sur les hasards de l'alphabet. Sur le fondement d'une règle supplétive, on aurait automatiquement transmis à l'enfant un nom double dont la composition aurait été déterminée par l'ordre alphabétique. Fin d'un privilège masculin, expression de la coparentalité, traduction de la liberté parentale, la réforme du nom de famille peut aboutir à une véritable révolution. Encore faut-il savoir comment elle sera appliquée dans les faits. La loi du 23 décembre 1985 saluée en son temps comme une innovation est restée lettre morte. Les mentalités sont-elles aujourd'hui mieux préparées ? Seul l'avenir le dira. Il ne suffit pas d'insuffler une logique

égalitaire dans une loi pour effacer le poids des habitudes ancestrales de la transmission patriarcale. En attendant le droit devient abscons pour les non-initiés, car le code civil contient des dispositions non encore entrées en vigueur et, pour certaines, devenues même obsolètes avec la loi du 18 juin 2003. Il y a de quoi y perdre... son droit. (1) Article 7-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989. (2) JO 5 mars 2002, p. 4159 ; D. 2002, Lég. p. 1015. (3) JO 19 juin 2003, p. 10240 ; D. 2003, Lég. p. 1677. Sur cette loi, F. Bellivier, Dévolution du nom de famille, RTD civ.2003, p. 554 ; C. Brière, Dévolution du nom de famille, Petites affiches, n° 136, 9juill. 2003 ; T. Garé, La loi relative à la dévolution du nom de famille, JCP 2003,Actual. 370 ; T. Kéravec et E. Mallet, Nom de famille, JCP éd. N 2003, p. 141 ; F.-J. Pansier et C. Charbonneau, Présentation de la loi du 18 juin 2003 relative à la dévolution du nom de famille, Gaz. Pal. 6-8 juill. 2003, p. 8. (4) I. Corpart, Vers l'égalité juridique dans la famille ?, Les cahiers de la sécurité intérieure 1999, n° 35, p. 47 ; M. Gobert, L'attribution du nom : égalité ou liberté ?, Petites affiches, 23 mai 2002, n° 102, p. 4 ; P. Jestaz, L'égalité et l'avenir du droit de la famille, in L'avenir du droit, Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz 1999, p. 421 ; M. Herzog-Evans, Autonomie de la volonté et égalité dans le choix des noms, RRJ 1997/1, p. 45. (5) C. Bernard, Le nom de l'enfant né après l'entrée en vigueur de la loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille, Dr. fam. 2002, n° 16 ; C. Brière, L'attribution du nom de famille : entre modernité et tradition, Petites affiches, 21 mars 2002, p. 4 ; F. Dekeuwer-Défossez, Commentaire de la loi relative au nom de famille, RJPF 2002-7-8/10 ; L.-A. Devillairs, Le nom de l'enfant : de nouvelles perspectives, AJ famille 2002, p. 256 ; J.-J. Lemouland, Aperçu rapide, JCP éd. N 2002, p. 53 et 54 ; G. Loiseau, Le nom dans tous ses états, Droit et patrimoine 2002, n° 105, p. 106 ; J. Massip, La loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille, Defrénois 2002, art. 37563, p. 795 ; F.-J. Pansier et C. Charbonneau, Présentation de la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille, Petites affiches, 9 avril 2002, n° 71, p. 4 ; M.-C. Rivier, Question de noms : famille, patronyme, usage, naissance, mariage et jeune fille, D. 2002, Point de vue p. 1915. (6) En ce sens proposition de loi n° 205 (2002-2003) et rapport de H. de Richemont, au nom de la commission des lois, n° 231. Adde J. Massip, Suggestions pour une modification des règles du code civil relatives au nom et aux prénoms, Gaz. Pal. 1er et 3 déc. 2002, p. 3. (7) En plus de la procédure administrative par décret en Conseil d'Etat (art. 61 c. civ.), de la francisation ou de la loi sur le relèvement du nom des citoyens morts pour la France sans postérité. Par souci d'égalité entre hommes et femmes, la loi du 4 mars 2002 étend la loi du 2 juillet 1923 à tous, indépendamment de leur sexe. (8) Si le mari ou la femme de l'adoptant est décédé ou dans l'impossibilité de manifester sa volonté, le tribunal apprécie souverainement après avoir consulté les héritiers les plus proches (art. 357, al. 5, c. civ.). (9) Ce qui ne concerne que les enfants qui ont eu treize ans depuis le 1er septembre 2003.

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(10) On pourrait imaginer qu'un grand-père exige que le nouveau-né porte son nom, décision qu'il accompagnerait d'une donation faite à l'enfant ou à des parents obéissants. (11) Art. 9 de la loi du 18 juin 2003. (12) En ce sens, I. Corpart, L'autorité parentale après la loi du 4 mars 2002, éd. ASH, 2003. (13) La Cour de cassation avait indiqué qu'en l'absence formelle des textes il était impossible d'ouvrir à l'enfant naturel une voie fermée à l'enfant légitime : Cass. 1re civ. 16

nov. 1982, D. 1983, Jur. p. 17, note D. Huet-Weiller ; JCP 1983, II, 19954, note M. Gobert, rapport A. Ponsard. (14) Et l'on se demande même si les femmes n'ont pas « volé » la paternité aux hommes, L. Mucchielli, Famille et délinquance, quelles relations ?, in La famille en péril ?, Res Publica, mai 2002, n° 29, p. 19. (15) Le législateur est très soucieux des accords parentaux : V. déjà pour le choix du domicile, du prénom de l'enfant ou dans la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 pour l'exercice de l'autorité parentale.

3- Changement de prénom TGI Lille, 18 déc. 2003 : D. 2004, 2675, note X. LABBEE ; RTD Civ. 2005, 98, obs. J. HAUSER. Texte intégral : LE TRIBUNAL : - Après en avoir délibéré, statuant en Chambre du Conseil et en premier ressort, ordonne que l'acte de naissance de Mlle Mélanie Marie K... née le 12 juillet 2003 à S... (...), sera modifié en ce sens que le prénom Mélanie sera remplacé par celui de Cynthia de sorte qu'à l'avenir l'intéressée sera nommée Cynthia Marie K... ; dit que le dispositif du présent jugement sera mentionné en marge de l'acte de naissance de l'intéressée et sur les registres se trouvant à la mairie de S... ; dit qu'aucune expédition dudit acte de naissance ne pourra être délivrée sans tenir compte de la modification ordonnée ; Ainsi délibéré et jugé par Elisabeth Polle, vice-président, siégeant en qualité de juge aux affaires familiales au Tribunal de grande instance de Lille et prononcé à l'audience tenue le 18 décembre 2003, en présence du Ministère public et assistés de Mme Anne-Sophie Vibert, Greffier. REQUETE : - Madame Josette E..., commerçante, née à K... (Liban), demeurant [...] à Wattignies, et Monsieur K... Franck, formateur, né à R... (Liban), demeurant [...] à Wattignies, ayant pour avocat Maître L..., demeurant [...] à Lille, ont l'honneur de vous faire savoir : qu'ils se sont mariés le 18 mai 91 à La Madeleine et que de leur union est née à S... le 12 juillet 2003 un enfant à qui le prénom de « Mélanie » a été donné ; que ce prénom a été choisi dans la précipitation (la mère de l'enfant a dû accoucher bien avant terme... et les parents n'avaient pas encore réfléchi à la question du prénom). A peine le prénom fut-il attribué à l'enfant que les parents ont regretté immédiatement le choix de « Mélanie ». Et les parents ont engagé sur-le-champ des démarches, ainsi qu'il est prouvé aux fins de changer ce prénom qui n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant pour les raisons ci-après exposées : En effet : Les parents de l'enfant sont tous deux libanais et la mère est de confession orthodoxe. De telle sorte que l'enfant - qui sera baptisé selon le rite grec orthodoxe - évoluera inévitablement dans la communauté libanaise et grecque fréquentée par les parents. Or il apparaît qu'en grec, Mélanie est synonyme de malheur (Le mot vient du grec Mêlas qui veut dire « noir » et qui a donné le mot « Melania » qui signifie « noirceur, taches noires, excréments noirs, malheur ». La copie du dictionnaire est produite, ainsi qu'une attestation d'un ressortissant grec. De plus, dans la communauté libanaise, la prononciation du mot « Mélanie » par un libanais évoque le mot désignant une grosse femme. Le terme est péjoratif, comme le rappelle Monsieur Boutros Hayek, professeur de langues à Lille III. Il est évident que, lorsque l'enfant sera à même de parler et de comprendre le sens des mots, il sera incapable de porter ce prénom ridicule aux yeux des membres de la communauté dans laquelle il évolue et bien sûr de sa famille. Qu'en fait, le port d'un tel prénom constitue un handicap qu'il convient de lever. En matière de nom patronymique, constitue un motif légitime de changement l'homonymie avec un terme injurieux ou grossier (CE, 6 avr. 1979, Lebon p. 738). Le principe peut être transposé aux choix du prénom. Il est démontré par les pièces produites que le prénom « Mélanie » est synonyme pour la communauté grecque orthodoxe et libanaise de grossièreté, de malheur et peut-être d'injure. La volonté de ne pas vouloir porter un prénom évoquant une grossièreté dans la communauté confessionnelle que l'on est amené à fréquenter et dans la famille dans laquelle on est élevé constitue un intérêt légitime au sens de l'article 60 du code civil. C'est pourquoi : Les requérants vous prient qu'il vous plaise, Monsieur le Juge, bien vouloir ordonner la rectification de l'acte d'état civil de l'enfant et de changer le prénom Mélanie en Cynthia (nouveau prénom qu'ils ont choisi pour l'enfant et qui est plus convenable) Et ce sera justice. Transsexualisme

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A.-S. Chavent-Leclère, Des bouleversements du droit européen en matière de transsexualisme, D. 2003 p. 2032. Si les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de transsexualisme suscitent autant d'intérêt depuis quelques années, c'est à l'évidence moins en raison du nombre de personnes directement concernées par la solution rendue qu'en raison du fait que ce domaine apparaît très souvent comme le laboratoire d'expérimentation des avancées de la juridiction européenne, tant sur le fond du droit que sur les techniques juridiques employées pour en modifier le contenu. L'arrêt Goodwin, rendu par la Cour le 11 juill. 2002, illustre parfaitement cette dynamique par laquelle la Cour, en voulant faire progresser trop rapidement le rayonnement des droits garantis par la Convention, en diminue considérablement la portée, affaiblissant par là même sa propre crédibilité. Dans cette espèce, la requérante, Christine Goodwin, est une transsexuelle opérée en 1986, à la suite d'un traitement psychiatrique et hormonal suivi depuis le milieu des années 1960. S'estimant privée de son accès au droit, de sa pension de retraite, du droit de se remarier et limitée dans de nombreux actes de la vie courante par le seul fait de la mention sur son acte d'état civil d'un sexe en discordance avec son sexe cérébral et anatomique, elle réclame que soit remise en cause la législation du Royaume-Uni. Selon cette dernière, l'Etat britannique ne respecte ni le droit à sa vie privée, ni le droit au mariage tels qu'ils sont pourtant garantis par les art. 8 et 12 de la Convention européenne des droits de l'homme. Par une décision inattendue, la Cour fait droit à la demande de la requérante, reconnaissant ainsi un statut juridique au transsexuel (I), mais bouleversant en même temps le droit des justiciables à prétendre à une certaine stabilité et cohérence des arrêts rendus par la Cour (II). I - La reconnaissance explicite d'un statut juridique au transsexuel La Cour, qui avait déjà eu à connaître de ce même type de grief, avait implicitement accordé aux transsexuels le droit de changer d'identité sexuelle sur le fondement du respect nécessaire de la vie privée (1). Jamais, en revanche, elle n'avait estimé qu'une mise en oeuvre de la Convention impliquait en cette matière l'impératif pour les Etats d'établir un mode de document permettant à un transsexuel de prouver sa nouvelle identité sexuelle (2). De la sorte, la reconnaissance d'un véritable statut juridique pour les transsexuels devait nécessairement passer par une définition plus réaliste et plus proche des réalités médicales de la notion de sexe. L'arrêt Goodwin, ne se contentant pas d'attribuer une identité sexuelle au transsexuel (A), dicte également aux autorités nationales les obligations que cette exigence fait désormais peser sur elles (B). A - L'attribution d'une identité sexuelle au transsexuel

L'identité sexuelle coïncide la plupart du temps avec l'identité civile de l'individu. Pour les transsexuels, la mise en concordance du sexe chromosomique avec le sexe psychologique aboutit, à l'inverse, à une distorsion entre l'identité d'origine, telle qu'elle est inscrite sur les registres d'état civil, et l'identité sexuelle, telle qu'elle résulte des transformations physiques. Sans être hermétique aux conditions de vie des transsexuels, la jurisprudence estimait jusqu'alors que si certaines conséquences juridiques pouvaient découler de cette situation, l'appartenance à un sexe était exclusivement fonction du critère chromosomique (1). L'arrêt Goodwin rompt totalement avec la jurisprudence antérieure puisqu'il en ressort que le sexe apparent devient un « critère déterminant aux fins de l'attribution juridique d'une identité sexuelle aux transsexuels » (3) (2). 1 - La longue prévalence du sexe chromosomique Dès l'arrêt Rees du 17 oct. 1986, la Cour indique, après avoir constaté la réalité du syndrome transsexuel, que l'opération de conversion sexuelle n'entraîne en aucun cas « l'acquisition de tous les caractères biologiques » (4) du sexe opposé. Pour cette raison, elle estime que l'art. 12 de la Convention européenne des droits de l'homme, protégeant le droit au mariage, n'est pas violé par l'Etat britannique dont le choix est de soumettre la validité de cette institution à la différence de sexe. Dans l'affaire Cossey, la Cour rejette sur le même fondement la demande d'une transsexuelle s'élevant également contre la non-conformité du droit anglais avec le droit au respect de sa vie privée tel qu'inscrit à la Convention européenne des droits de l'homme. Pour la Cour, l'art. 8 de la Convention implique éventuellement pour l'Etat l'obligation d'inscrire « une annotation dans le registre des naissances » du changement de sexe, mais non celle de revenir sur la mention d'origine, car si la requérante « appartient désormais à l'autre sexe », elle n'a pas pour autant acquis « chacun des caractères biologiques de cet autre sexe » (5). Même à la lumière de la seule décision de condamnation en matière de transsexualisme, il n'était pas permis d'affirmer que la Cour reconnaissait la nouvelle identité sexuelle des transsexuels. Si la Cour estime en 1992 que le système français ne permet pas d'assurer le respect de la vie privée de Mlle B... (6), ce n'est pas en raison du fait qu'il existe une évolution scientifique, voire sociale, qui lui permette de se positionner différemment au regard de la reconnaissance d'un nouveau sexe, mais simplement parce que, comparativement au nôtre, le système anglais est beaucoup moins inquisitoire. La portée de cette décision aurait pu être réduite si cette dernière n'avait pas conduit la France à modifier sa pratique judiciaire en la matière. Par deux arrêts du 11 déc. 1992 (7), la Cour de cassation a en effet répondu positivement aux implications pratiques que la Cour européenne a déduit de l'art. 8 de la Convention et a

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ainsi permis que la mention du sexe sur l'état civil puisse être modifiée afin de tenir compte d'une conversion anatomique sans heurter le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes, principe qui en interdisait jusqu'alors l'admission. En autorisant la rectification de l'état civil pour le transsexuel, l'Assemblée plénière a ainsi permis au transsexuel d'accéder au droit à sa vie privée et au droit de se marier (8), anticipant en quelque sorte « l'approche compréhensive de la notion de sexe » (9) du juge européen. 2 - Le choix actuel du sexe anatomique Dans sa décision du 11 juill. 2002, la Cour européenne suit une orientation, dans le domaine du transsexualisme, qui diffère singulièrement de celle qu'elle avait laissée entrevoir lors de ses arrêts précédents. « Frappée par le fait que la conversion sexuelle, qui est opérée en toute légalité, ne débouche pourtant pas sur une pleine consécration en droit » (10), la Cour s'essaye à différencier, sur le terrain médical, les caractéristiques biologiques d'un transsexuel de celles de l'individu qu'il tend à être. Elle en conclut que seul l'élément chromosomique compte parmi les différences, ce qui permet de l'assimiler à une « anomalie ». Il apparaît alors logique que ce critère ne puisse être l'unique révélateur du sexe de l'individu atteint d'un tel syndrome. Pour la première fois, la Cour considère qu'« il n'est pas évident que l'élément chromosomique doive inévitablement constituer - à l'exclusion de tout autre - le critère déterminant aux fins de l'attribution juridique d'une identité sexuelle aux transsexuels » (11), de telle sorte que le caryotype ne semble plus constituer qu'un facteur d'identification sexuelle annexe, ou du moins égalé. Si la redéfinition du sexe constituait le passage nécessaire à une évolution des Etats face à la situation des transsexuels, elle aurait néanmoins pu constituer un préalable suffisant. Ce ne semble pourtant pas être l'avis de la Cour qui préfère s'assurer de la pleine réalisation du droit consacré en précisant aux Etats la façon dont ils doivent concrètement en assurer le respect. B - La détermination d'obligations juridiques à la charge des Etats Consciente du fait que les revendications principales des transsexuels résident, d'une part, dans la modification de leur acte de naissance, d'autre part, dans l'accès au mariage, la Cour européenne précise explicitement, dans l'arrêt Goodwin, la façon dont le droit conventionnel au respect de la vie privée (1), ainsi que celui au mariage (2) sont en mesure d'être respectés. 1 - L'obligation positive de modifier l'acte de naissance Indépendamment du fait que la Cour ne reconnaissait pas jusqu'à présent une véritable identité sexuelle en faveur des transsexuels, elle avait néanmoins implicitement dégagé un certain nombre d'obligations à la charge des Etats sur le fondement du droit à la vie privée. En condamnant, par exemple, la France en 1992, la Cour signifie que la protection concrète et efficace de l'art. 8 de la Convention implique que les

Etats fassent apparaître le moins souvent possible la mention du sexe sur les documents obligatoires. Cette obligation, qui s'apparente à une obligation de discrétion, voire de réserve de la part des Etats, n'était cependant pas considérée par la Cour elle-même, ni par la doctrine d'ailleurs, comme une véritable « obligation positive » (12). Cette notion, telle que la Cour en consacre nommément l'existence depuis le début des années 1980 (13), signifie que, pour la réalisation de certains droits, l'Etat ne peut se contenter de ne pas « simplement » s'ingérer (14). Classiquement, la détermination de ce type d'obligation à la charge d'un Etat résulte d'un examen de proportionnalité, que la Cour nomme « recherche d'équilibre », entre les intérêts contradictoires présents. Au titre de chaque espèce, la Cour examine les intérêts étatiques invoqués, les confronte aux intérêts individuels en cause et détermine de quel côté doit résolument « pencher la balance » (15). Dans l'arrêt Goodwin, la Cour oppose les intérêts en cause et, ne relevant aucun « facteur important d'intérêt public [...] entrant en concurrence avec l'intérêt de la requérante en l'espèce à obtenir la reconnaissance juridique de sa conversion sexuelle » (16), elle estime que la simple abstention du Royaume-Uni de ne pas faire apparaître excessivement la mention du sexe d'un individu sur les documents officiels ne peut plus être considérée, au regard de la nouvelle définition du sexe préalablement donnée, comme protégeant de façon « concrète et effective » les droits des transsexuels. Elle en conclut à la violation de l'art. 8 de la Convention. Aujourd'hui, dans la mesure où il est reconnu préalablement que le transsexuel a changé de sexe, l'obligation qui en découle pour l'Etat a en même temps changé de nature et ne peut s'apparenter qu'en une véritable « obligation de faire » (17) correspondant à l'obligation d'accéder à la demande de rectification de l'acte de naissance. Dans une même logique, la reconnaissance de la conversion sexuelle du transsexuel allait emporter des conséquences sur un autre type de droit, peut-être encore plus controversé que celui au respect de la vie privée, le droit de se marier. 2 - L'obligation négative de ne pas empêcher le mariage Le mécanisme habituel de protection des droits de l'homme implique plus traditionnellement un contrôle de l'absence d'« ingérence active » (18) de la part des Etats parties dans les droits consacrés par la Convention. Dans l'arrêt Goodwin, la requérante fait valoir que la soumission de l'exercice du droit conventionnel au mariage à la seule discrétion du législateur britannique a pour conséquence de l'en priver, dans la mesure où ce dernier retient une conception restrictive, c'est-à-dire purement biologique, de la notion de sexe. Visiblement fermement décidée à donner à l'identité sexuelle du transsexuel une dimension qui dépasse la seule vie privée qui en a fondé la reconnaissance, la Cour estime en 2002 que, si l'Etat est libre de réglementer le droit au mariage, c'est à la condition de ne « pas le

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restreindre ou [le] réduire d'une manière ou à un degré qui l'atteindrait dans sa substance même » (19). C'est ainsi en se fondant sur la notion de « substantialité » d'un droit que la Cour réécrit en quelque sorte l'art. 12 de la Convention. Cet article a en effet une tout autre économie que celle de l'art. 8 de la Convention puisqu'il ressort de sa rédaction même une large marge d'appréciation à l'Etat qui est censé régir « selon les lois nationales [...] l'exercice de ce droit » (20). Pourtant, en estimant que l'Etat ne « peut aller jusqu'à interdire en pratique l'exercice du mariage » (21), la Cour réduit implicitement la souveraineté des Etats en la matière telle qu'elle résulte du texte conventionnel. Elle signifie, dès lors, non seulement que la notion de différence de sexe doit se lire à l'aune de critères qui ne sont plus « purement biologiques » (22), mais encore que la notion de mariage doit pouvoir aujourd'hui se détacher de celle de famille et, donc, de la capacité de procréer (23). On conçoit que la portée de l'arrêt Goodwin est bien supérieure à la reconnaissance d'un statut juridique pour une catégorie bien déterminée d'individus, voire à la modification d'une conception traditionnelle du mariage. Cet arrêt, qui met en lumière le type d'interprétation aujourd'hui utilisé par la Cour, signifie, au-delà même de son contenu, que le précédent européen ne représente qu'un fondement restreint de la jurisprudence de la Cour. Au regard du revirement opéré, il convient de s'interroger sur le fait de savoir si la sécurité juridique, instituée récemment comme un principe applicable aux autorités conventionnelles, n'est finalement pas un principe hiérarchiquement inférieur à celui d'effectivité européenne. II - La reconnaissance implicite d'une supériorité du principe d'effectivité sur le principe de sécurité juridique En reconnaissant un statut juridique au transsexuel, la Cour européenne étend indiscutablement le champ d'application des garanties conventionnelles à de nouvelles situations. Cependant, seule la certitude que l'un des critères conduisant jusqu'alors à exclure les garanties conventionnelles au profit des transsexuels a objectivement évolué permettra de dire si la jurisprudence n'est pas actuellement source d'imprévisibilité pour l'Etat et pour le justiciable. A - La formulation du principe de sécurité juridique par la Cour A l'instar de la Cour de justice des Communautés européennes (24), la Cour européenne contrôle depuis longtemps la conformité de toute ingérence étatique au principe de sécurité juridique qu'elle a dégagé des dispositions du traité (25). Ce principe, composante essentielle de l'ordre public européen, implique « l'accessibilité, la précision et la prévisibilité de la règle de droit » (26) fondant une restriction aux droits de la Convention (27). Depuis l'arrêt Chapman du 18 janv. 2001, le principe de sécurité juridique n'a cependant plus uniquement une dimension interne et implique aussi une certaine prévisibilité de la jurisprudence européenne. La Cour a en effet estimé pour la première fois en cette occasion que, « sans

être formellement tenue de suivre l'un quelconque de ses arrêts antérieurs », il était « dans l'intérêt de la sécurité juridique » qu'elle « ne s'écarte pas sans motif valable de ses précédents » (28). Sans consacrer « la règle du précédent avec la rigueur qui s'y attache dans les pays anglo-saxons » (29), la Cour semble néanmoins signifier qu'elle ne modifiera le sens de sa jurisprudence qu'en vertu d'une plus grande motivation et d'une plus grande précision. Rendant par là même non conforme au droit conventionnel l'attitude de la Cour de cassation qui estime aujourd'hui qu'elle détient « un droit au revirement » (30), la Cour européenne semble dégager dans cet arrêt les véritables incidences de l'autorité de chose interprétée. Elle répond aussi implicitement aux critiques récurrentes de la doctrine qui voit dans sa jurisprudence une source d'imprévisibilité (31). Dans son arrêt Chapman, la Cour affirme que la notion de « consensus » (32) compte parmi les critères qui l'obligent à « réagir » (33) à une solution dégagée dans le but d'assurer la mission de protection des droits de l'homme qu'est la sienne. B - La justification du tempérament au principe de sécurité juridique La conformité de la jurisprudence de la Cour au principe de sécurité juridique, et donc la légitimité d'un revirement de jurisprudence européenne semblant aujourd'hui pouvoir se mesurer à l'aune du constat d'un consensus, il convient de vérifier si l'on se situe bien dans le cas d'un revirement (1), puis si un consensus existe en matière de transsexualisme (2) afin d'en tirer les conclusions adaptées quant à la portée de l'arrêt Goodwin. 1 - La réalité du revirement de jurisprudence Un revirement de jurisprudence n'existe que lorsque, confrontée à une situation identique, une juridiction adopte une position contraire, et prend donc une décision opposée à celle qu'elle avait jusqu'alors l'habitude de retenir (34). Un revirement implique non seulement que l'on se situe dans un contexte factuel comparable, mais également la plupart du temps que l'un des fondements juridiques à l'appui de la solution ne diffère pas. Lorsqu'en 1992, la Cour européenne condamne la France pour son attitude à l'égard des transsexuels, alors que jusqu'alors elle ne l'avait jamais fait, elle estime elle-même qu'elle ne procède aucunement à un revirement en matière de transsexualisme tant les situations en cause sont différentes (35). Si dans les arrêts Rees et Cossey l'Angleterre n'est pas condamnée, ce n'est pas parce qu'elle admet la rectification de l'état civil des transsexuels, mais parce que son système limite en nombre les cas où apparaît la mention de leur sexe, contrairement au système français qui, en multipliant les documents obligatoires y faisant référence, augmente d'autant la gravité des désagréments subis par les transsexuels. En 2002, la situation semble tout autre. L'arrêt Goodwin s'inscrit dans un cadre factuel absolument identique à celui des arrêts qui n'ont pourtant précédemment pas retenu de violation de la Convention. La requérante est une transsexuelle

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opérée légalement dans son pays qui fait valoir l'insuffisance du droit anglais à assurer le respect de sa vie privée et le droit au mariage, le droit positif n'a pas évolué. L'arrêt Goodwin représente à cet égard un arrêt de revirement que seule l'invocation de motifs distincts des précédents permet de justifier pleinement si l'on suit à la lettre la logique de la Cour. 2 - La référence à un consensus discutable Après avoir rappelé l'obiter dictum posé dans l'arrêt Chapman, selon lequel elle n'est en mesure de s'éloigner de ses décisions antérieures que si est constatée « une évolution de la situation dans les Etats contractants » (36), la Cour s'essaye naturellement à justifier sur ce terrain les violations constatées au droit au respect de sa vie privée et au droit au mariage. Elle souligne en premier lieu que, concernant le droit à la vie privée, s'il n'existe pas « d'éléments indiquant un consensus européen », elle constate néanmoins des « éléments clairs et incontestés montrant une tendance internationale continue [...] vers une acceptation sociale accrue des transsexuels » (37), dont elle avait déjà laissé entrevoir les conséquences que cela impliquait à l'occasion de la dernière affaire concernant le Royaume-Uni (38). Elle constate que cet « avertissement » ne semble avoir eu aucune portée dans l'Etat en cause qui ne s'est senti obligé de modifier un aspect de sa législation que sous l'impulsion d'une décision de la Cour de justice des Communautés européennes (39). En second lieu, la Cour s'attache à mesurer le « climat » européen face au problème du mariage des transsexuels. Bien qu'observant une absence d'évolution du nombre d'Etats européens reconnaissant pleinement la conversion sexuelle, comme celle du nombre d'Etats reconnaissant le mariage des transsexuels, elle estime, par une motivation pour le moins succincte, pouvoir néanmoins constater « une grande adhésion » (40) autour de cette question. Si l'idée d'un consensus européen semble effectivement progressivement se profiler à travers les recommandations de la Cour et la jurisprudence communautaire (41) sur le principe de la rectification de l'état civil, il n'est en tout état de cause pas encore totalement réalisé. Il est de surcroît totalement inexistant concernant le droit au mariage, ce qui renforce la première impression que la Cour procède plus à une interprétation de nature constructive qu'à une interprétation vraiment consensuelle. Dans la mesure où cette dernière interprétation implique que, pour revenir sur les choix fondamentaux préalablement posés par la Cour, il soit constaté une convergence de normes applicables et que cette convergence n'est avérée, du propre aveu de la Cour, ni sur le fondement de l'art. 8, ni sur celui de l'art. 12, se pose la question de la pertinence de la méthode employée, et donc de la consistance du principe de sécurité. Il est vrai que l'interprétation évolutive à laquelle est très attachée la Cour, et qui permet incontestablement d'assurer une protection effective des droits de l'homme, s'accorde mal avec une conception stricte du précédent judiciaire. La mise en oeuvre d'une véritable interprétation consensuelle des dispositions de la Convention,

prenant appui sur « des principes juridiques communs aux législations internes » (42), permettrait en revanche de laisser une place au principe de sécurité juridique. L'arrêt Goodwin constituait à cet égard une merveilleuse occasion pour la Cour de confirmer (43) qu'une cohabitation était possible entre le principe de l'effectivité et celui de la sécurité juridique sur un plan européen. En admettant la conformité du droit anglais sur le fondement des art. 8 et 12 de la Convention, en faveur desquels aucune convergence n'est véritablement démontrée, la Cour aurait permis de dissiper toute crainte quant à la prévisibilité de sa jurisprudence et quant à l'objectivité du critère consensuel dégagé. Tel n'a cependant pas été son choix, puisqu'en ne prenant pas en considération le constat de l'absence d'évolution dans les droits internes relativement à la situation des transsexuels la Cour privilégie discrétionnairement les droits d'une minorité au détriment du « droit au droit » (44). En désirant devancer la réalisation d'un jus commune dans une matière aussi sensible que celle du transsexualisme, la Cour rompt en quelque sorte la chaîne juridique et permet alors que « le droit crée le besoin, le besoin crée le droit et parfois même [que] le droit tue le droit » (45). (1) CEDH, 17 oct. 1986, Rees c/ Royaume-Uni, Série A, n° 102, § 47 ; 27 sept. 1990, Cossey c/ Royaume-Uni, Série A, n° 184, § 42. (2) Rees c/ Royaume-Uni, préc., § 37 ; Cossey c/ Royaume-Uni, préc., § 37 ; 30 juill. 1998, Sheffield et Horsham c/ Royaume-Uni, Rec. p. 1998-V ; D. 1998, Somm. p. 370, obs. J.-F. Renucci. (3) CEDH, 11 juill. 2002, Goodwin c/ Royaume-Uni, req. n° 289/57, § 82, in fine ; D. 2003, Somm. p. 525, obs. C. Bisan . Dans le même sens, V. l'arrêt rendu le même jour : CEDH, 11 juill. 2002, I... c/ Royaume-Uni. (4) Rees c/ Royaume-Uni, préc., § 42, in fine. (5) Cossey c/ Royaume-Uni, préc., § 38. (6) CEDH, 25 mars 1992, B... c/ France, Série A, n° 232-C ; JCP 1992, II, n° 21955, note T. Garé ; RTD civ. 1992, p. 540, note J. Hauser ; D. 1993, Jur. p. 101, note J.-P. Marguénaud (7) Cass. ass. plén., 11 déc. 1992, JCP 1993, II, n° 21991, concl. Jéol, note Mémeteau ; D. 1993, IR p. 1. (8) L'empêchement au mariage lié à la différence de sexe étant supprimé dès lors que la rectification de l'état civil est permise, « force est de constater que la conception française de l'institution du mariage ne s'oppose pas à l'admission du mariage des transsexuels » : A. Debet, L'influence de la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit civil, Dalloz, 2001, n° 363. (9) M. Lévinet, Commentaire n° 38, in F. Sudre et alii, Grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, PUF, 2003. (10) Goodwin c/ Royaume-Uni, préc., § 78 (11) Ibid., § 82. (12) Sans pour autant estimer qu'il existe une « obligation positive à la charge des Etats d'établir un document permettant à un transsexuel de prouver sa nouvelle identité sexuelle », la Cour « reconnaît implicitement le droit de changer d'identité sexuelle » : F. Sudre, Droit international et européen des droits de l'homme, PUF, coll. « Droit fondamental », n° 162. (13) Pour la plupart des auteurs, cependant, l'arrêt X et Y c/ Pays-Bas du 26 mars 1985 marque le véritable essor de cette jurisprudence. V. F. Sudre, Les « obligations positives »

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dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme, RTDH 1995, p. 363. (14) La notion d'obligation positive se distingue ainsi de celle d'ingérence, qui fait également l'objet d'un contrôle de la part de la Cour, mais qui consiste, à l'inverse, à vérifier si l'Etat n'a pas attenté, positivement, à un droit protégé par la Convention. Sur la distinction, V. J.-P. Marguénaud et J. Mouly, note sous CEDH, 29 févr. 2000, Fuentes Bobo c/ Espagne, D. 2001, Jur. p. 574, spéc. p. 578 ; J.-P. Marguénaud, La Cour européenne des droits de l'homme, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 2002, p. 53. (15) Goodwin c/ Royaume-Uni, préc., § 93. (16) Ibid. (17) J. Velu et R. Ergec, La Convention européenne des droits de l'homme, Bruylant, 1990, n° 535. (18) F. Sudre, Les « obligations positives » dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme, préc., p. 369. (19) Goodwin c/ Royaume-Uni, préc., § 99. (20) Art. 12 Conv. EDH. (21) Goodwin c/ Royaume-Uni, préc., § 103. (22) Ibid., § 100. (23) La voie avait d'ailleurs été largement ouverte en ce sens par la Commission, Van Oosterwijck c/ Belgique, req. n° 7654/76, rapp. 1er mars 1979, DR 11, p. 194. (24) Ce principe de sécurité juridique, auquel fait souvent référence le juge communautaire, est considéré comme une règle de droit s'appliquant tant aux institutions communautaires qu'aux Etats membres (CJCE, 6 avr. 1962, De Geus en Uitdenborgegerd c/ Bosch et a., aff. 13/61, Rec. CJCE, p. 89). (25) Depuis l'arrêt Marckx de 1979, la Cour affirme que le principe de sécurité juridique est « nécessairement inhérent au droit de la Convention » (§ 58). En 1999, le principe de sécurité juridique a intégré les droits protégés par la Cour au titre du droit à un procès équitable (28 oct. 1999, Brumrescu c/ Roumanie, Rec. p. 1999-VII). (26) F. Sudre, Existe-t-il un ordre public européen ?, in P. Tavernier (sous la dir. de), Quelle Europe pour les droits de l'homme ? La Cour de Strasbourg et la réalisation d'une « union plus étroite », Bruylant, Bruxelles, 1996, p. 39, spéc. p. 56. (27) Sur la signification du principe, V. M. De Salvia, La place de la notion de sécurité juridique dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, Cah. Cons. const. 2001, n° 11, p. 93 ; A. Cristau, L'exigence de sécurité juridique, D. 2002, p. 2814, n° 37. (28) CEDH, 18 janv. 2001, Chapman c/ Royaume-Uni, Rec. CEDH, p. 2001-I, § 70. (29) J.-F. Renucci, Droit européen des droits de l'homme, 3e éd., LGDJ, 2002, n° 414, reprenant les propos du juge Matscher à propos du « stare decisis » pratiqué dans les pays de common law, in Quarante ans d'activités de la Cour européenne des droits de l'homme, RCADI, 1997, t. 270, p. 274. (30) C. Atias, Nul ne peut prétendre au maintien d'une jurisprudence constante, même s'il a agi avant son abandon, D. 2000, Jur. p. 593. Après avoir procédé dans le passé à une limitation des conséquences de la rétroactivité de ses arrêts de revirement (Cass. com., 12 avr. 1988, Bull. civ. IV, n° 130 ; D. 1988, p. 309, concl. Jéol ; JCP 1988, II, n° 21026, note C. Gavalda et J. Stouffet ; RTDH 1988, p. 475, obs. M. Cabrillac et B. Teysse ; RTD civ. 1988, p. 733, obs. J. Mestre), la Cour de cassation « change son interprétation

» (C. Mouly, Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et de revirement ?, Petites affiches 1994, n° 53) le 9 févr. 1988 (Bull. civ. I, n° 34). (31) V., par ex., J. Callewaert, La Convention européenne des droits de l'homme entre effectivité et prévisibilité, in Les droits de l'homme au seuil du troisième millénaire, Mélanges P. Lambert, Bruylant, 2000, p. 93 ; M. Delmas-Marty et M.-L. Izorche, Marge nationale d'interprétation et internationalisation du droit, RID publ. 2000, n° 4, p. 753 ; P. Rolland, Existe-t-il un contrôle de l'opportunité ? Le contrôle de l'opportunité par la Cour européenne des droits de l'homme, in D. Rousseau et F. Sudre (sous la dir. de), Conseil constitutionnel et Cour européenne des droits de l'homme, Droit et libertés en Europe, Actes du colloque de Montpellier, 20 et 21 janv. 1989, éd. STH, 1990, p. 71 ; F. Sudre, Droit international et européen des droits de l'homme, préc., n° 109 (pour qui « la jurisprudence européenne sur la marge d'appréciation est loin [...] d'être pleinement cohérente » et « confine parfois à l'appréciation de l'opportunité »). (32) Chapman c/ Royaume-Uni, préc., § 70. (33) Ibid. (34) Sur la notion de revirement, V. C. Mouly, Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ?, Petites affiches 1994, n° 33 ; Le revirement pour l'avenir, JCP 1994, I, n° 3776 ; également P. Morvan, Le principe de droit privé, éd. Panthéon-Assas, 1999, n° 519 (« Le juge du droit déduit expressément l'abandon d'une règle, qui composait jusqu'alors le régime juridique d'un principe ou d'un corps de principe, de ces mêmes principes »). (35) B... c/ France, préc., § 63 : « La Cour en arrive ainsi à conclure, sur la base des éléments susmentionnés qui distinguent le présent litige des affaires Rees et Cossey [...], que celle-ci se trouve quotidiennement placée dans une situation globale incompatible avec le respect dû à sa vie privée. » (36) Goodwin c/ Royaume-Uni, préc., § 74 (37) Ibid., § 85. (38) Sheffield et Horsham c/ Royaume-Uni, préc., § 92. (39) A la suite d'une décision de la Cour de justice des Communautés européennes du 30 avr. 1996 qui avait assimilé une discrimination fondée sur le changement de sexe à une discrimination fondée sur le sexe pour condamner le licenciement d'un transsexuel, un règlement a été pris en 1999 relatif à la discrimination sexuelle en cas de conversion sexuelle. (40) Ibid. (41) V. D. Simon, Des influences réciproques entre CJCE et CEDH : « Je t'aime, moi non plus » ?, Pouvoirs 2001, n° 96, p. 31. (42) F. Sudre, A propos du dynamisme interprétatif de la Cour européenne des droits de l'homme, JCP 2001, I, n° 335 (43) Dans l'arrêt Chapman, préc., la Cour avait refusé de prononcer une violation sur le fondement de l'art. 8 de la Convention au motif que le consensus constaté n'était pas « suffisamment concret » pour imposer une obligation positive à l'Etat partie, § 94. (44) F. Sudre, Existe-t-il un ordre public européen ?, préc., p. 56. (45) P. Malaurie, La Convention européenne des droits de l'homme et le droit civil français, JCP 2002, Etudes, n° 143.

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CEDH, 25 mars 1992 : D 1993, Jur. p. 101 Défendeur : France Texte(s) appliqué(s) : Code civil art. 9 Convention européenne des droits de l'homme du 04 novembre LA COUR : [...] II. - Sur le fond : - A. - Sur la violation alléguée de l'art. 8 : - 43. - Selon la requérante, le refus de reconnaître sa véritable identité sexuelle enfreint l'art. 8 de la Convention, ainsi libellé : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. - 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». - Faute de consentir à corriger la mention de son sexe tant sur le registre d'état civil que sur ses pièces officielles d'identité, les autorités françaises la contraindraient à révéler à des tiers des informations d'ordre intime et personnel ; elle rencontrerait aussi de grandes difficultés dans sa vie professionnelle. 44. - La notion de respect » inscrite à l'art. 8, la Cour le rappelle d'emblée, manque de netteté. Il en va surtout ainsi quand il s'agit, comme en l'occurrence (arrêts Rees et Cossey c/ Royaume-Uni des 17 oct. 1986 et 27 sept. 1990, série A, n° 106, p. 14, § 35, et n° 184, p. 15, § 36), des obligations positives qu'elle implique, ses exigences variant beaucoup d'un cas à l'autre selon les pratiques suivies et les conditions régnant dans les Etats contractants. Pour déterminer s'il existe une telle obligation, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu (V. notamment l'arrêt Cossey, préc., p. 15, § 37). 45. - Selon Mlle B..., on ne saurait considérer sa requête comme identique, en substance, à celles de M. Rees et de Mlle Cossey, dont la Cour a eu à connaître précédemment. - Tout d'abord, elle s'appuierait sur des éléments scientifiques, juridiques et sociaux nouveaux. - En outre, il existerait en la matière une différence fondamentale entre la France et l'Angleterre quant à leur législation et à l'attitude de leurs pouvoirs publics. - Dès lors, l'application même des critères retenus dans les arrêts précités des 17 oct. 1986 et 27 sept. 1990 devrait amener à condamner la France dont le droit, contrairement à celui de l'Angleterre, irait jusqu'à méconnaître l'apparence que les transsexuels se donnent légitimement. - La requérante invite d'autre part la Cour à pousser son analyse plus avant que dans les deux affaires susmentionnées : elle souhaite voir juger qu'un Etat contractant viole l'art. 8 s'il nie de manière générale la réalité du sexe psychosocial des transsexuels.

1. - Sur l'évolution scientifique, juridique et sociale : - 46. - a) Dans son arrêt Cossey, la Cour a déclaré « n'a [voir] connaissance d'aucun progrès scientifique significatif accompli » depuis son arrêt Rees : « il demeur[ait] vrai, notamment (...), qu'une opération de conversion sexuelle n'entraîn[ait] pas l'acquisition de tous les caractèresbiologiques du sexe opposé » ( loc. cit., p. 16, § 40). - Or, d'après la requérante, la science paraît apporter deux éléments nouveaux dans le débat relatif au contraste entre l'apparence (sexe somatique transformé, sexe gonadique « bricolé ») et la réalité (sexe chromosomique inchangé mais sexe psychosocial opposé) du sexe des transsexuels : d'un côté, le critère chromosomique n'aurait rien d'infaillible (cas des personnes pourvues de testitules intra-abdominaux dit féminisants, ou dotées de chromosomes XY malgré leurs dehors féminins) ; de l'autre, les recherches en cours donneraient à penser que l'ingestion de certaines substances à un stade donné de la grossesse, ou dans les premiers jours de la vie, déterminerait un comportement transsexuel, et que le transsexualisme pourrait découler d'une anomalie chromosomique. Le phénomène pourrait donc avoir une explication non seulement psychique, mais matérielle, si bien que l'on ne saurait invoquer aucun prétexte pour refuser d'en tenir compte sur le plan du droit. - b) En ce qui concerne les aspects juridiques du problème, Mlle B... s'appuie sur l'opinion dissidente du juge Martens, jointe à l'arrêt Cossey(série A, n° 184, p. 35-36, § 5.5) : les dissemblances qui subsistent entre les Etats membres du Conseil de l'Europe quant à l'attitude à adopter envers les transsexuels (ibidem, p. 16, § 40) seraient, de plus en plus, contrebalancées par l'évolution de la législation et de la jurisprudence de nombre de ces Etats. Des résolutions et recommandations de l'Assemblée du Conseil de l'Europe et du Parlement européen iraient dans le même sens. - c) L'intéressée souligne enfin la rapidité des mutations sociales que connaissent les Etats européens et la diversité des cultures représentées par ceux d'entre eux qui ont adapté leur droit à la situation des transsexuels. 47. - Le Gouvernement ne conteste pas qu'au XXe siècle, et surtout au cours des trente dernières années, la science a réalisé des avancées considérables dans l'utilisation des hormones sexuelles, tout comme en chirurgie plastique et prothésique, et que la question de l'identité sexuelle reste en pleine évolution sur le plan médical. Néanmoins, les transsexuels conserveraient leur sexe chromosomique d'origine ; on ne réussirait à modifier que leur apparence. Or le droit devrait s'attacher à la réalité. En outre, on ne saurait banaliser des opérations qui présentent des dangers certains. - Les droits nationaux évolueraient eux aussi et beaucoup d'entre eux auraient déjà changé, mais les nouvelles lois ainsi promulguées ne consacreraient pas des solutions identiques. - Bref, on se trouverait dans une période de flottement juridique, moral et social.

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48. - La Cour estime indéniable que les mentalités ont évolué, que la science a progressé et que l'on attache une importance croissante au problème du transsexualisme. - Elle note cependant, à la lumière des études et travaux entrepris par des experts en la matière, que toute incertitude n'a pas disparu quant à la nature profonde du transsexualisme et que l'on s'interroge parfois sur la licéité d'une intervention chirurgicale en pareil cas... Les situations juridiques qui en résultent se révèlent en outre très complexes : questions de nature anatomique, biologique, psychologique et morale liées à la transsexualité et à sa définition ; consentement et autres exigences à remplir avant toute opération ; conditions dans lesquelles peut être autorisé un changement d'identité sexuelle (validité, présupposés scientifiques et répercussions juridiques du recours à la chirurgie, aptitude à vivre avec la nouvelle identité sexuelle) ; aspects internationaux (lieu de l'intervention) ; effets juridiques, rétroactifs ou non, de pareil changement (rectification des actes d'état civil) ; possibilité de choisir un autre prénom ; confidentialité des documents et renseignements relatant le changement ; incidences d'ordre familial (droit de se marier, sort d'un mariage existant, filiation), etc. A ces divers égards, il ne règne pas encore entre les Etats membres du Conseil de l'Europe un consensus assez large pour amener la Cour à des conclusions opposées à celles de ses arrêts Rees et Cossey. 2. - Sur les différences entre les systèmes français et anglais : - 49. - Selon la requérante, le sort des transsexuels apparaît, à l'examen, beaucoup plus dur en France qu'en Angleterre sur une série de points. La Commission souscrit en substance à cette opinion. 50. - Pour le Gouvernement au contraire, la Cour ne saurait s'écarter, dans le cas de la France, de la solution adoptée par ses arrêts Rees et Cossey. Sans doute la requérante peut-elle subir, dans son existence quotidienne, des « distorsions » propres à la gêner, mais elles ne revêtiraient pas une gravité suffisante pour enfreindre l'art. 8. A aucun moment les autorités françaises n'auraient dénié aux transsexuels le droit de mener leur vie à leur guise. L'histoire de l'intéressée en fournirait la preuve : nonobstant son état civil masculin, Mlle B... aurait réussi à passer pour une femme. Du reste, un transsexuel souhaitant que les tiers ignorent son sexe biologique se trouverait dans une situation analogue à celle d'une personne désireuse de préserver d'autres éléments de son intimité (âge, revenus, domicile, etc.). En outre, et d'une manière générale, la marge d'appréciation laissée aux Etats contractants porterait sur le choix tant des critères d'acceptation d'un changement de sexe que des mesures d'accompagnement dans l'hypothèse d'un refus. 51. - La Cour constate d'emblée qu'il existe entre la France et l'Angleterre des différences sensibles quant à leur droit et à leur pratique en matière d'état civil, de changement de prénoms, d'emploi de pièces d'identité, etc. (§ 19-22 et 25 ci-dessus, à rapprocher

du § 40 de l'arrêt Rees précité). Elle recherchera ci-après les conséquences qui peuvent en résulter en l'espèce sur le terrain de la Convention. a) L'état civil : - i) La rectification des actes de l'état civil : - 52. - La requérante trouve d'autant plus condamnable le rejet de sa demande de rectification de son acte de naissance que la France ne peut, à l'égal du Royaume-Uni, se prévaloir d'obstacles majeurs liés au système en vigueur. - A propos de l'organisation de l'état civil en Angleterre, la Cour aurait relevé que les registres avaient pour objet non de noter l'identité actuelle d'un individu, mais de relater un fait historique et que leur caractère public rendrait illusoire la protection de la vie privée si l'on consentait à les remanier ou compléter après coup de la sorte (arrêt Rees préc., série A, n° 106, p. 17-18, § 42). Or il n'en irait pas de même en France. Les actes de naissance auraient vocation à être mis à jour tout au long de la vie de la personne concernée (§ 19 ci-dessus) ; on pourrait donc fort bien y signaler un jugement ordonnant de modifier l'indication du sexe d'origine. En outre, seuls y auraient directement accès les agents de l'Etat habilités à cet effet et les personnes munies d'une autorisation du procureur de la République ; leur publicité serait assurée par la délivrance de copies intégrales ou d'extraits. Partant, l'Etat français pourrait accueillir la revendication de la requérante sans réforme législative ; un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation y suffirait. 53. - D'après le Gouvernement, la jurisprudence française en la matière n'est pas figée ; le droit semble traverser une phase de transition. 54. - Pour la Commission, le Gouvernement ne présente aucun argument donnant à penser que la Cour de cassation accepterait de voir porter au registre de l'état civil le changement de sexe d'un transsexuel. En l'espèce, elle a rejeté le pourvoi au motif que la situation de la requérante découlait de son choix délibéré et non de données antérieures à l'opération. 55. - La Cour commence par relever que rien n'aurait empêché, après jugement, d'introduire dans l'acte de naissance de Mlle B..., sous une forme ou une autre, une mention destinée sinon à corriger, à proprement parler, une véritable erreur initiale, du moins à refléter la situation présente de l'intéressée. Du reste, de nombreuses juridictions de première instance et d'appel ont déjà ordonné pareille insertion dans le cas d'autres transsexuels et le ministère public n'a presque jamais attaqué de telles décisions, désormais définitives dans leur grande majorité (§ 23 ci-dessus). Quant à la Cour de cassation, sa doctrine va dans le sens opposé mais elle pourrait évoluer (§ 24 ci-dessus). La requérante, il est vrai, a subi son intervention chirurgicale à l'étranger, sans bénéficier de toutes les garanties médicales et psychologiques désormais exigées en France. L'opération n'en a pas moins entraîné l'abandon irréversible des marques extérieures du sexe d'origine de Mlle B... La Cour estime que la détermination dont a témoigné l'intéressée constitue, dans les circonstances de la

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cause, un élément assez important pour entrer en ligne de compte, avec d'autres, sur le terrain de l'art. 8. ii) Le changement de prénoms : - 56. - La requérante rappelle que la loi du 6 fructidor an II (§ 22 ci-dessus) interdit à tout citoyen de porter un nom ou prénom différents de ceux qui figurent sur son acte de naissance. Au regard de la loi elle se prénommerait donc Norbert ; toutes ses pièces d'identité (carte d'identité, passeport, carte d'électeur, etc.), ses chéquiers et son courrier officiel (téléphone, impôts, etc.) la désigneraient ainsi. Quant à la possibilité de changer de prénom, elle ne dépendrait pas comme au Royaume-Uni de sa seule volonté : l'art. 57 c. civ. la subordonne à une autorisation judiciaire et à la démonstration d'un « intérêt légitime » propre à la justifier (§ 22 ci-dessus). Or Mlle B... ne connaîtrait aucune décision qui ait vu dans le transsexualisme la source d'un tel intérêt. De toute manière, le Tribunal de grande instance de Libourne puis la Cour d'appel de Bordeaux avaient refusé de lui attribuer les prénoms de Lyne Antoinette (§ 13-15 ci-dessus). Enfin, le statut des appellations d'usage serait fort incertain. - La Commission souscrit en substance à cette thèse. 57. - Selon le Gouvernement au contraire, il existe en la matière une jurisprudence positive, abondante et soutenue par le parquet. Elle se bornerait à exiger le choix d'un prénom « neutre » comme Claude, Dominique ou Camille ; or la requérante avait demandé des prénoms exclusivement féminins. - D'autre part, beaucoup de personnes se serviraient couramment d'un « prénom d'usage » différent de celui que consigne leur acte de naissance. Le Gouvernement concède pourtant que cette pratique n'a aucune valeur légale. 58. - Les jugements et arrêts communiqués à la Cour par le Gouvernement montrent bien que la non-reconnaissance du changement de sexe n'empêche pas forcément l'individu concerné d'obtenir un nouveau prénom destiné à mieux refléter son apparence physique (§ 23 ci-dessus). - Toutefois, cette jurisprudence ne se trouvait pas établie à l'époque où ont statué le Tribunal de Libourne et la Cour de Bordeaux ; en réalité, elle paraît ne l'être pas même aujourd'hui car la Cour de cassation semble n'avoir jamais eu l'occasion de la confirmer. En outre, elle n'ouvre qu'une porte fort étroite : le choix entre les quelques rares prénoms neutres. Quant aux prénoms d'usage, ils ne jouissent d'aucune consécration juridique. - En conclusion, la Cour estime que le refus d'accorder à la requérante le changement de prénom souhaité par elle constitue lui aussi un élément pertinent sous l'angle de l'art. 8. b) Les documents : - 59. - a) La requérante souligne que les documents officiels indiquant le sexe se multiplient : extraits de naissance, cartes d'identité informatisées, passeport des Communautés européennes, etc. Partant, un transsexuel ne saurait franchir une frontière, subir un contrôle d'identité ou accomplir l'une des multiples démarches de la vie quotidienne qui impliquent une justification

d'identité, sans révéler la discordance entre son sexe légal et son sexe apparent. - b) La mention du sexe se trouverait aussi sur toutes les pièces où apparaît le numéro d'identification attribué à chacun par l'INSEE (§ 26 ci-dessus). Or ce numéro serait d'un usage systématique dans les rapports entre les caisses de sécurité sociale, les employeurs et les assurés ; il figurerait en conséquence sur les bordereaux de versement des cotisations et sur les feuilles de paye. Un transsexuel ne pourrait donc cacher sa situation à un employeur potentiel et à son personnel administratif, ni dans les multiples occasions de la vie quotidienne où l'on doit prouver la réalité et le montant de son salaire (conclusion d'un bail, ouverture d'un compte en banque, demande de crédit, etc.). Des difficultés en résulteraient pour l'insertion sociale et professionnelle des transsexuels. Mlle B... en aurait elle-même été la victime.le numéro de l'INSEE servirait également pour la tenue, par la Banque de France, de la liste des chèques volés ou sans provision. - c) Enfin, la requérante traverserait des épreuves quotidiennes dans sa vie économique en ce que ses factures et ses chèques indiqueraient son sexe d'origine en sus des nom et prénoms. 60. - La Commission souscrit en substance à la thèse de l'intéressée. D'après elle, celle-ci subit, en raison de la nécessité fréquente de révéler à des tiers des éléments relatifs à sa vie privée, des perturbations trop graves pour que le respect des droits d'autrui puisse les justifier. 61. - Le Gouvernement répond d'abord que la fiche d'état civil et de nationalité française, le permis de conduire, la carte d'électeur et la carte nationale d'identité traditionnelle ne signalent pas le sexe. - Sans doute n'en va-t-il pas de même du passeport communautaire, mais sa création découle de règlements de Bruxelles ; il ne s'agit donc pas d'une obligation de source française. Au demeurant, la requérante jouirait de la liberté de circulation indépendamment de son identité sexuelle et certains des exemples qu'elle cite manqueraient de pertinence ; ainsi, la déclaration d'un accident automobile ou d'un autre sinistre n'exigerait nullement l'indication du sexe de l'assuré. - Quant au numéro de l'INSEE, créé après la deuxième Guerre mondiale à des fins de statistique démographique, on l'aurait utilisé par la suite pour identifier les bénéficiaires de prestations de la sécurité sociale française. Il ne servirait guère qu'à cela et ne figurerait ni sur les cartes d'identité, ni sur les passeports ou autres documents administratifs. De toute manière, les organismes publics auxquels on le communique seraient tenus au secret. Les employeurs, eux, auraient besoin de le connaître pour acquitter une partie des cotisations sociales de leurs salariés. - A ce sujet, Le Gouvernement exprime l'opinion que si Mlle B... n'a pu trouver un travail rémunéré en dehors du monde du spectacle, la chose peut s'expliquer par beaucoup d'autres raisons que sa qualité de transsexuelle ; nombre de transsexuels exerceraient d'autres professions également honorables. Bien mieux : l'art. 416-1 c. pén.

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réprimerait toute discrimination à l'embauche fondée sur le sexe ou les moeurs de l'intéressé ; or aucun transsexuel ne l'aurait jamais invoqué. - Rien n'empêcherait non plus de demander aux banques que seuls apparaissent sur les chèques les nom et prénoms du tireur, non précédés de « M. », « Mme » ou « Mlle » (§ 27 ci-dessus), et elles ne vérifieraient pas la concordance des prénoms indiqués avec ceux qui figurent à l'état civil. De même, les factures ne mentionneraient pas d'ordinaire le sexe ni les prénoms du client, mais uniquement son nom (§ 28 ci-dessus). Les transsexuels disposeraient ainsi des moyens de préserver leur vie privée. 62. - La Cour ne juge pas cette thèse convaincante. Avec la Commission, elle estime que les inconvénients dont la requérante se plaint dans le domaine en question atteignent un degré de gravité suffisant pour entrer en ligne de compte aux fins de l'art. 8. c) Conclusion : - 63. - La Cour en arrive ainsi à conclure, sur la base des éléments susmentionnés qui distinguent le présent litige des affaires Rees et Cossey et sans avoir besoin d'examiner les autres arguments de la requérante, que celle-ci se trouve quotidiennement placée dans une situation globale incompatible avec le respect dû à sa vie privée. Dès

lors, même eu égard à la marge nationale d'appréciation, il y a rupture du juste équilibre à ménager entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu (§ 44 ci-dessus), donc infraction à l'art. 8. - Plusieurs moyens d'y remédier s'offrent au choix de l'Etat défendeur ; la Cour n'a pas à lui indiquer le plus adéquat (V. notamment les arrêts Marckx c/ Belgique du 13 juin 1979, série A, n° 31, p. 25, § 58, et Airey et Irlande du 9 oct. 1979, série A, n° 32, p. 15, § 26) [...]. Par ces motifs, la Cour : 1. - dit, par seize voix contre cinq, qu'elle a compétence pour connaître des exceptions préliminaires du Gouvernement ; 2. - les rejette à l'unanimité ; 3. - dit, par quinze voix contre six, qu'il y a violation de l'art. 8 ; 4. - dit, à l'unanimité, qu'il ne s'impose pas d'examiner aussi l'affaire sous l'angle de l'art. 3 ; 5. - dit, par quinze voix contre six, que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 100 000 F français pour dommage moral et 35 000 F pour frais et dépens ; 6. - rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Cass. Ass. Plen., 11 décembre 1992 : JCP G 1993, n° 5, p. 41, Concl. M. Jéol, note G. Mémeteau ; RTD Civ. 1993, p. 97, note J. Hauser.

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ARRÊT N° 1 Sur le moyen unique : Vu l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 9 et 57 du Code civil et le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes ; Attendu que lorsque, à la suite d'un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d'origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l'autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son Etat civil indique désormais le sexe dont elle a l'apparence ; que le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes ne fait pas obstacle à une telle modification ; Attendu que M. René X..., né le 3 mars 1957, a été déclaré sur les registres de l'Etat civil comme étant du sexe masculin ; que, s'étant depuis l'enfance considéré comme une fille, il s'est, dès l'âge de 20 ans, soumis à un traitement hormonal et a subi, à 30 ans, l'ablation de ses organes génitaux externes avec création d'un néo-vagin ; qu'à la suite de cette opération, il a saisi le tribunal de grande instance de demandes tendant à la substitution, sur son acte de naissance, de la mention " sexe féminin " à celle de " sexe masculin " ainsi qu'au changement de son prénom ; que le Tribunal a décidé que M. X... se prénommerait Renée, mais a rejeté ses autres prétentions ; que l'arrêt attaqué a confirmé la décision des premiers juges aux motifs que la conviction intime de l'intéressé d'appartenir au sexe féminin et sa volonté de se comporter comme tel ne sauraient suffire pour faire reconnaître qu'il était devenu une femme, et que le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes s'opposait à ce qu'il soit tenu compte des transformations obtenues à l'aide d'opérations volontairement provoquées ; Attendu, cependant, que la cour d'appel a d'abord constaté, en entérinant les conclusions de l'expert-psychiatre commis par le Tribunal, que M. X... présentait tous les caractères du transsexualisme et que le traitement médico-chirurgical auquel il avait été soumis lui avait donné une apparence physique telle que son nouvel état se rapprochait davantage du sexe féminin que du sexe masculin ; qu'elle a énoncé, ensuite, que l'insertion sociale de l'intéressé était conforme au sexe dont il avait l'apparence ; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, elle n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s'en déduisaient ; Et attendu qu'il y a lieu, conformément à l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, l'arrêt rendu le 15 novembre 1990, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; DIT n'y avoir lieu à renvoi ; DIT que Renée X..., née le 3 mars 1957 sera désignée à l'Etat civil comme de sexe féminin. MOYEN ANNEXÉ Moyen produit par M. Choucroy, avocat aux Conseils, pour M. X... MOYEN UNIQUE DE CASSATION Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté René X... de sa demande en rectification de son acte de naissance ; AUX MOTIFS QUE la Cour devait rechercher si le sexe masculin attribué à René X... à sa naissance était faux ou devenu faux, c'est-à-dire si l'intéressé était devenu femme ; que René X... s'était toujours senti plus fille que garçon ; qu'il avait subi une intervention chirurgicale ; que si son caryotype était masculin, ses caractères secondaires sexuels étaient féminins, et qu'il s'agissait d'un " transsexuel vrai " ne relevant ni du délire ni de la perversion morale, mais seulement d'une névrose apaisée par le passage à l'acte ; que, dans la vie sociale, René X... avait un ami, était coiffeuse, se comportait comme femme et passait pour femme ; qu'il n'était pas admissible qu'un individu puisse se prévaloir d'artifices provoqués par lui-même pour prétendre avoir changé de sexe, ce qui serait violer la règle de l'indisponibilité de l'état des personnes ; que ces artifices ne transformaient pas un homme en femme, mais en créaient seulement l'illusion plus ou moins réussie ; que la seule conviction intime de l'appelant ne pouvait suffire à considérer que l'intéressé était devenu femme ; ALORS QU'il résultait des constatations mêmes de l'arrêt que René X... était un " transsexuel vrai ", c'est-à-dire ne relevant ni d'un délire ni d'une perversion morale, que dans la vie sociale il se comportait comme femme et passait pour telle, qu'il avait la conviction intime d'appartenir au sexe féminin et une volonté, affirmée et appliquée, de se comporter comme tel dans la vie personnelle et sociale si bien qu'en refusant de tenir compte d'une modification morphologique réalisée à des fins et sous contrôle thérapeutique, et d'un changement vrai d'identité sexuelle, affirmé personnellement et reconnu socialement, la cour d'appel n'a pas assuré le respect de la vie privée de l'exposant, et son droit d'établir et d'entretenir des relations avec d'autres êtres humains, notamment dans le domaine affectif, pour le développement et l'accomplissement de sa propre personnalité au sens de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, et a fait fausse application de l'article 99 du Code civil. ARRÊT N° 2 Attendu que M. Marc Y..., né le 5 mai 1968, a été déclaré sur les registres de l'Etat civil comme étant de sexe masculin ; que, s'étant dès l'enfance considéré comme une fille, il a, à l'âge de 21 ans, subi une intervention chirurgicale consistant en l'ablation de ses organes génitaux masculins, avec confection d'un néo-vagin, et s'est soumis à un traitement hormonal ; qu'il a, ensuite, saisi le tribunal de grande instance de demandes tendant à la substitution, sur son acte de naissance, de la mention " sexe féminin " à celle de " sexe masculin " ainsi qu'au changement de son prénom en celui de Claudia ; que le Tribunal n'ayant accueilli que cette dernière prétention, M. Y... a relevé appel du jugement en ce qu'il avait refusé de

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modifier la mention de son sexe sur l'acte de naissance et a demandé à la cour d'appel de désigner des experts ayant mission de décrire et d'expliquer le processus de féminisation dont il avait été l'objet et de constater son transsexualisme ; que l'arrêt attaqué a estimé cette mesure inutile et a confirmé la décision des premiers juges ; Sur le moyen unique, pris en sa première branche : Vu les articles 9 et 57 du Code civil ; Attendu que, pour refuser la mesure d'instruction sollicitée par M. Y... dans le but de faire constater la réalité du syndrome transsexuel dont il se déclarait atteint, la cour d'appel a estimé que les caractères du transsexualisme de l'intéressé étaient suffisamment démontrés par les documents médicaux que celui-ci produisait ; Attendu cependant, que si l'appartenance apparente de M. Y... au sexe féminin était attestée par un certificat du chirurgien ayant pratiqué l'intervention et l'avis officieux d'un médecin consulté par l'intéressé, la réalité du syndrome transsexuel ne pouvait être établie que par une expertise judiciaire ; qu'en s'abstenant de prescrire cette mesure et en considérant comme démontré l'état dont se prévalait M. Y..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; Et sur le moyen unique, pris en ses deuxième et cinquième branches : Vu l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 9 et 57 du Code civil et le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes ; Attendu que, pour rejeter les demandes de M. Y..., l'arrêt attaqué énonce encore que le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes s'oppose à ce qu'il soit tenu compte de transformations obtenues à l'aide d'opérations volontairement provoquées, et que la conviction intime de l'intéressé d'appartenir au sexe féminin ainsi que sa volonté, reconnue et appliquée, de se comporter comme tel, ne sauraient suffire pour faire reconnaître qu'il est devenu une femme ; Attendu, cependant, que lorsque, à la suite d'un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d'origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l'autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son Etat civil indique désormais le sexe dont elle a l'apparence ; que le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes ne fait pas obstacle à une telle modification ; d'où il suit qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du moyen : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 novembre 1990, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ; MOYEN ANNEXÉ Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocats aux Conseils, pour M. Y... MOYEN UNIQUE DE CASSATION Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté une personne (Marc, devenu Claudia, Y..., l'exposant) de sa demande tendant à la rectification de son Etat civil par la substitution de la mention " sexe féminin " à la mention " sexe masculin " ; AUX MOTIFS QUE le sexe était une notion complexe comportant plusieurs éléments : le sexe anatomique (constitué par les organes génitaux et par des caractères secondaires tels que seins, pilosité et voix), le sexe chromosomique (XX chez la femme, XY chez l'homme), le sexe hormonal (caractérisé par la sécrétion prépondérante d'hormones mâles ou femelles), le sexe psychosocial (consistant en la conviction pour un individu d'appartenir à l'un ou l'autre sexe et de vouloir se comporter comme tel) ; qu'il résultait en l'espèce suffisamment de l'attestation d'un chirurgien anglais et du rapport officieux du docteur Haquette, sans qu'il fût nécessaire de recourir à une mesure d'instruction, que Marc Y... possédait à l'origine les attributs génitaux masculins auxquels s'étaient adjoints à la puberté les caractères accessoires de la masculinisation (barbe, muscles, voix) ; que son caryotype était également masculin (XY) ; qu'à l'âge de 21 ans, il avait subi une opération chirurgicale consistant en une castration totale et en la création d'une cavité ayant une apparence de vagin devant permettre des rapports sexuels de type féminin, suivie par une prise d'hormones femelles ; qu'au plan psychologique, il s'agissait d'un " transsexuel vrai ", c'est-à-dire ne relevant ni d'une perversion morale ni de la pathologie psychiatrique ; que l'exposant était donc déterminé génétiquement comme un homme ; que ses organes génitaux et ses caractères sexuels secondaires étaient typiquement masculins jusqu'à ce qu'il les fît modifier artificiellement par des interventions hormonales et chirurgicales ; qu'il n'était pas admissible qu'un individu pût se prévaloir de ces artifices provoqués par lui-même et hors de toute contrainte extérieure pour prétendre avoir changé de sexe, ce qui aurait été violer la règle légale de l'indisponibilité de l'état des personnes ; que, par ailleurs, ces artifices ne transformaient pas un homme en femme, pas plus au plan des organes génitaux qu'à celui de la sécrétion hormonale réelle mais en créaient seulement l'illusion plus ou moins réussie ; qu'il restait donc uniquement la conviction intime de l'exposant d'appartenir au sexe féminin et sa volonté affirmée et appliquée de se comporter comme tel dans la vie professionnelle et sociale ; que cependant ce seul élément subjectif ne pouvait suffire à considérer que l'intéressé était ou était devenu femme ; que ce n'était pas parce qu'il avait la conviction intime d'être une femme qu'il l'était ; ALORS QUE, de première part, les juges sont tenus d'ordonner la mesure d'instruction sollicitée lorsque le fait offert en preuve est de nature à modifier la solution du litige et que la partie n'a pas les moyens d'accomplir personnellement les investigations nécessaires ; qu'à titre subsidiaire, l'exposant avait demandé qu'une expertise médicale fût confiée à trois experts : un psychiatre, un endocrinologue et un géniticien, avec mission notamment de vérifier son caryotype et de donner toutes explications médicales sur son processus de féminisation et le rôle joué par le cerveau en ce qui concerne son identité sexuelle féminine ; qu'en se refusant à ordonner cette expertise, la cour d'appel a violé l'article 146 du nouveau Code de procédure civile ;

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ALORS QUE, de deuxième part, le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes ne signifie pas que cet état soit intangible ; que sa modification peut parfaitement se produire et intervient le plus souvent à l'initiative de l'intéressé lui-même ; qu'en déclarant qu'il n'était pas admissible qu'un individu pût se prévaloir d'artifices provoqués par lui-même hors de toute contrainte extérieure pour prétendre avoir changé de sexe, ce qui aurait été violer la règle légale de l'indisponibilité de l'état des personnes, et en refusant en conséquence la modification sollicitée, la cour d'appel a violé les articles 57 et 99 du Code civil ; ALORS QUE, de troisième part, ayant constaté que le sexe psychosocial était l'une des composantes du sexe dont les autres étaient le sexe anatomique, le sexe chromosomique et le sexe hormonal, puis relevé que le sexe psychosocial de l'exposant était féminin, ce dont il résultait, selon sa propre définition, que l'exposant ne pouvait être considéré comme de sexe masculin en l'absence de l'une de ses composantes, en sorte qu'était erronée la mention de l'acte de naissance qualifiant l'exposant de sexe masculin, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, partant, a violé les articles 57 et 99 du Code civil ; ALORS QUE, de quatrième part, les juges ne peuvent se prononcer par des considérations abstraites et de portée générale ; qu'ayant donné du sexe une définition précise en constatant qu'il était composé de quatre éléments : anatomique, chromosomique, hormonal et psychique, la cour d'appel ne pouvait ensuite déclarer que le quatrième élément (psychique) ne pouvait suffire à faire admettre que l'exposant était devenu de sexe féminin, bien qu'il eût perdu ses attributs du sexe masculin, par cela seul que cette composante psychique, n'étant que subjective, ne pouvait être prise en considération ; qu'elle se devait de préciser les raisons, nécessairement tirées de la science médicale, pour lesquelles elle considérait que cette composante psychique du sexe ne reposait sur aucune donnée objective ; qu'en s'abstenant de le faire, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 57 et 99 du Code civil ; ALORS qu'enfin le transsexuel, qui a perdu certains caractères de son sexe d'origine sans acquérir ceux du sexe opposé, ne peut en conséquence plus être rattaché à l'un ou l'autre des sexes ; que, dans ce cas, l'ordre public, dont la finalité est d'assurer l'harmonie et la paix sociales, comme la nécessité de porter secours à l'intéressé commandent, au juge de consacrer l'apparence en attribuant au transsexuel le sexe dont, à l'égard des autres, il a désormais l'aspect ; qu'en refusant d'accéder à la demande de l'exposant sous prétexte que les artifices qu'il avait provoqués, et qui lui avaient fait perdre ses caractères sexuels masculins d'origine, ne l'avaient pas pour autant transformé en femme mais en avaient seulement créé l'illusion plus ou moins réussie, la cour d'appel a violé les articles 57 et 99 du Code civ