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1 DROIT DES AFFAIRES LICENCE 2 * TRAVAUX DIRIGES Amphi L-Z 2013-2014

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DROIT DES AFFAIRES LICENCE 2

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TRAVAUX DIRIGES Amphi L-Z 2013-2014

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Séance n° 1 Introduction (1/2)

I/ Définition

� P. Didier, « Remarques pour servir à une définition du droit

commercial » : D. 1962, p. 221 (document n° 1). A partir de l’étude du Professeur Paul Didier, vous répondrez aux questions suivantes :

− Le droit commercial constitue-t-il un système ? − Quels sont les critères susceptibles de définir le droit commercial ? − Dans son article, M. Didier cite plusieurs auteurs dont Thaller et

Ripert. Qui étaient-ils ? Quels furent leurs principaux écrits ? Cf. P. Arabeyre, J.-L. Halpérin, J. Krynen (dir.), Dictionnaire historique des juristes français XIIe – XXe siècle, PUF, 2007.

II/ Sources A) Les usages

� Cass. com., 13 mai 2003, n° 00-21555 : D. 2004, p. 414, note J.-M.

Bahans et M. Menjucq (document n° 2). A partir de l’arrêt et de la note, vous préciserez la distinction entre usage de fait et usage de droit.

� Cass. com., 10 janvier 1995, n° 91-21141, à propos de l’invalidation par

les tribunaux de l’usage contraire à la loi (document n° 3).

B) Le Code de commerce

� F. Terré, A. Outin-Adam, « Si l’on voulait un Code de commerce » : D. 2007, p. 1377 (document n° 4). A partir de l’article de M. Terré et de Mme Outin-Adam, vous répondrez aux questions suivantes :

− Quelle fut l’évolution de la codification du droit commercial depuis 1807 ?

− Quels sont les défauts du Code de commerce actuel ? − Quelles propositions font M. Terré et Mme Outin-Adam ?

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Document 1

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P. Didier, « Remarques pour servir à une définition du droit commercial » : D. 1962, p. 221

La définition du droit commercial est un problème qui reste posé. Périodiquement, des auteurs s'y essaient. Hier, la doctrine se partageait entre l'idée de circulation et celle de spéculation, celle-là soutenue par Thaller et celle-ci esquissée par Lyon-Caen et Renault. Aujourd'hui, c'est entre un système dit « objectif » et un système aussitôt qualifié de «subjectif» par opposition au précédent, que l'interprète hésite. Le doyen Ripert s'était fait le champion de cette seconde conception, combattu, jusque dans les Mélanges qui lui furent offerts, par le doyen Hamel qui voyait dans le droit commercial le droit commun des affaires. Un peu en marge, Escarra proposait la notion d'entreprise comme critère du droit commercial. Et un auteur, dans un brillant essai, déploya une dialectique qui fut jugée marxiste, pour démontrer en somme que le droit commercial était l'un des aspects juridiques du capitalisme moderne. Assurément, cette grande diversité de théories et l'éclat de leurs auteurs manifestent l'intérêt tenace que la doctrine porte au problème. Mais, le nombre même des thèses soutenues prouve qu'aucune n'a été véritablement acceptée par la commune opinion des juristes et que toutes, après un temps de succès, ont connu le sort qu'elles avaient d'abord infligé à leurs devancières. Nous voudrions, dans cette chronique, non point certes proposer une nouvelle théorie ou une nouvelle définition après tant d'autres, illustres, mais poser le problème, rappeler les opinions actuellement en circulation, indiquer en quoi elles ont échoué à rendre compte de la réalité et tenter de dire pourquoi, à notre sens, elles y ont échoué. L'énoncé du problème est connu et il est simple. Il existe dans le droit positif français un ordre juridique partiel, appelé droit commercial, qui régit à peu près les mêmes actes que le droit civil (par exemple les contrats de vente, de société, de gage, ou les voies d'exécution), mais les soumet à des règles qui diffèrent, plus ou moins, de celles formant le droit privé commun. Quel est le critère de la compétence législative de cet ordre juridique commercial ? De même, il existe dans le droit positif français des juridictions exceptionnelles, appelées tribunaux de commerce, qui connaissent de procès analogues à ceux soumis aux juridictions civiles ordinaires ; mais, les tribunaux de commerce sont organisés selon des principes et fonctionnent selon une procédure qui ne sont point ceux des tribunaux civils de grande instance. Quel est le critère de compétence juridictionnelle de ces tribunaux d'exception? Un premier point paraît acquis. Les juridictions commerciales sont apparues dans le même temps que le droit commercial ; elles sont chargées de l'appliquer et réciproquement celui-ci est souvent né de leur jurisprudence : l'opinion commune admet sans discussion - et nous admettrons avec elle - que les critères de compétence législative et juridictionnelle, distincts à l'analyse, coïncident dans les faits et que les deux problèmes énoncés ci-dessus peuvent être traités ensemble d'une manière indivise. Mais, les difficultés commencent aussitôt qu'il s'agit d'une part de déterminer, d'autre part de définir ces critères de compétence législative et juridictionnelle. La doctrine hésite pour savoir si le droit commercial est le droit des actes de commerce ou celui des commerçants et, ce premier choix fait, elle demeure incertaine sur le sens exact qu'il faut attacher aux mots d'acte de commerce ou de commerçant. Car le code de commerce est ambigu et cette ambiguïté a été exploitée de manière divergente par la jurisprudence et par la doctrine. Une lecture ingénue du code donnerait à penser tout d'abord... que celui-ci a retenu non pas un mais deux critères de la compétence législative et juridictionnelle : selon les cas, la nature de l'acte en cause ou la qualité de son auteur. Ainsi, l'article 109 du code de commerce vise

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explicitement un acte, l'article 437 une personne. De même la compétence juridictionnelle se détermine en considération soit de la nature de l'acte litigieux (art. 631, al. 3) soit de la qualité des personnes parties au litige (art. 631 - I°). Mais il n'y a là qu'une apparence, dit-on, et les deux critères aperçus n'en forment qu'un. En effet, dans le code de commerce, il existe, entre ces deux critères, une relation de subordination : l'une des notions est seule originaire, l'autre n'est que dérivée. Plus précisément, l'une se définirait par l'autre et c'est la notion mère qu'il importe seule d'isoler. Malheureusement, ici les choses se compliquent car l'analyse du code ne permet pas de discerner avec certitude quelle est la notion mère, quelle est la notion dérivée. Certaines dispositions semblent faire de la notion d'acte de commerce celle d'où se déduit l'autre. Ainsi, le code donne à l'article 632 une liste des actes de commerce et dispose par ailleurs que les commerçants sont ceux qui «exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle» (art. 1). Du rapprochement de ces deux textes il résulte que le critère de compétence est constitué par la nature de l'acte en cause et que cette nature se définit mécaniquement par référence à la liste légale considérée comme limitative, sinon comme d'interprétation stricte. Hélas ! Ce schéma ne rend pas compte de toutes les dispositions du code. Il en est d'autres qui s'inspirent d'un modèle apparemment

contradictoire. Ainsi, dans les articles 631, al. 1er, 632, in fine, 638, al. 1er, c'est la notion d'acte de commerce qui apparaît comme subordonnée à celle de commerçant. Il est vrai que pour être complet, ce système d'exposition devrait comporter au départ une liste des commerçants ou des activités commerciales, liste qui occuperait dans cette deuxième construction la position tenue dans la première par la liste des actes de commerce qui figure à l'article 632. Or cette liste manque au code de commerce et la deuxième méthode d'exposition ne se développe pas jusqu'à son terme. Il reste cependant qu'elle explique seule nombre de dispositions du code et que l'interprète ne peut la négliger. Et pourtant, c'est précisément un choix que la doctrine a voulu faire entre les deux systèmes législatifs et elle s'est aussitôt divisée. Une conception dite «objective» estime que la construction rationnelle du droit commercial devrait se fonder sur la liste des actes de commerce, d'où se déduirait ensuite la notion de commerçant, cependant qu'une conception dite «subjective» part d'une liste des professions commerciales pour définir ensuite l'acte de commerce comme celui fait par le commerçant pour les besoins de son activité. Et comme le code de commerce utilise tour à tour ces deux procédés ainsi qu'on l'a dit, l'une et l'autre théorie y puisent des arguments mais y rencontrent des objections et toutes deux s'accordent finalement à reconnaître que la matière est remplie «d'incohérences et d'obscurités». La querelle méthodologique se nourrit d'ailleurs d'arrière-pensées politiques. La théorie subjective, qui maintient ferme la distinction du droit civil et du droit commercial, rêve de restituer à ce dernier la forme d'un droit corporatif ou professionnel, qui fut la sienne, semble-t-il, sous la Monarchie. La théorie objective, au contraire, fidèle aux intentions du législateur révolutionnaire, veut ouvrir à tous ce droit devenu le droit des affaires et travaille finalement à réaliser à son profit l'unité du droit privé. Plus empirique, plus réaliste aussi et finalement plus hardie, la jurisprudence s'est refusée à tout choix explicite. Mais sur deux points essentiels, elle a innové ou, du moins, elle a su développer avec habileté certaines idées ébauchées par le code. D'une part, elle a jugé que des actes ne figurant pas dans la liste de l'article 632 pourraient être considérés comme des actes de commerce si leur auteur était commerçant et avait agi dans l'intérêt de son activité professionnelle. D'autre part et réciproquement, elle a estimé que des actes inscrits à l'article 632 pourraient être cependant traités comme des actes civils si leur auteur les avait fait accidentellement et sans avoir à l'ordinaire le comportement d'un véritable commerçant.

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Double innovation connue sous le nom de théorie de l'accessoire et qui apporte à l'ensemble du problème des lumières dont la doctrine n'a peut-être pas su profiter complètement. Telles sont les sources, avec leurs incertitudes, et ce sont ces sources qu'il nous faut analyser pour en tirer quelques remarques que nous voudrions faire servir à la détermination et à la définition des critères de la compétence législative et juridictionnelle du droit commercial et des juridictions consulaires. Donc, deux conceptions s'opposent en doctrine et leurs divergences portent sur deux points. La théorie «objective» enseigne que le caractère commercial d'un acte réside dans sa nature intrinsèque ou, si l'on préfère, qu'un contrat isolé peut être qualifié d'acte de commerce à raison du particularisme de ses éléments constitutifs. Au contraire, c'est dans les conditions extrinsèques de leur conclusion et plus précisément dans le fait que certains actes, unis à d'autres, sont les éléments d'une activité qui les intègre mais les dépasse, que la théorie subjective trouve la raison des différences de régime qui séparent les actes civils et les actes de commerce, dont elle affirme, au contraire, l'identité intrinsèque. A quoi il faut ajouter que la théorie objective conteste au droit commercial le caractère de droit professionnel que la théorie subjective lui reconnaît. C'est, à notre sens, l'immense mérite de la théorie subjective et du doyen Ripert que d'avoir établi solidement cette idée qu'il n'existe point d'actes de commerce par nature, mais seulement des actes de commerce par accessoire et d'avoir affirmé que les actes juridiques reçoivent leur qualification de leur appartenance à un ensemble d'actes ou, mieux, à une activité. Et, c'est la grande faiblesse de la théorie objective de n'avoir pas compris qu'une variation dans le nombre des contrats avait une incidence directe sur leur qualification ou, encore, que l'activité est une réalité d'un autre ordre que les actes qui la constituent. En vérité, les mêmes actes juridiques sont qualifiés d'actes civils ou commerciaux selon qu'ils sont isolés ou intégrés à une activité et ce n'est pas dans leur texte, mais dans leur contexte, que se trouve la raison des différences de leur qualification. Ce contexte, c'est précisément l'activité commerciale qui consiste au minimum dans la répétition d'un même acte, le plus souvent dans un ensemble d'actes variés et complémentaires et toujours dans une multiplicité sinon qualitative du moins quantitative. Cette notion d'activité commerciale, par rapport à laquelle

se définit déjà le commerçant (art. 1er c. com.), est aussi le véritable support de la notion d'acte de commerce. Aux arguments avancés par le doyen Ripert, qu'il nous soit permis d'en ajouter quelques autres. La théorie objective entend s'appuyer sur le code de commerce et plus particulièrement sur son article 632. Or, l'expression d'acte de commerce, dans cet article, est incertaine. Elle désigne parfois un acte juridique au sens technique et précis du terme : ainsi lorsque l'article 632 parle de courtage, de change ou de lettre de change. Mais les hypothèses où le mot d'acte est pris dans son sens étroit sont l'exception. Dans la majorité des cas, le mot est entendu comme synonyme d'activité. Cela est clair chaque fois qu'il est question d'entreprise, mais cela demeure vrai même dans d'autres cas. Ainsi, l'achat pour revendre n'est certainement pas un acte juridique au sens technique du terme : il est la somme de deux actes successifs, l'achat d'une part et la vente d'autre part, c'est-à-dire qu'il constitue un commencement d'activité, d'autant plus qu'entre l'achat et la vente peuvent intervenir d'autres contrats nécessaires à la transformation de la chose. De même, les opérations de banque s'analysent pour la plupart, soit en un dépôt soit en un prêt. Mais il n'y a opération de banque que si ces deux actes juridiques sont liés entre eux et si le montant du dépôt est utilisé pour l'acte de prêt. Et comme tous les économistes enseignent qu'une telle utilisation du dépôt n'est possible que dans la

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mesure où le nombre de ceux-ci est élevé, il en résulte très directement que les opérations de

banque impliquent une activité (Comp. la définition contenue dans l'art. 1er de la loi du 13 juin 1941). A quoi l'on pourrait ajouter, bien sûr, tous les articles du code qui se rattachent directement à la construction subjective et les réserves que l'incertitude des textes fait peser sur leur autorité. Mais laissons là ces querelles d'exégète. La jurisprudence dite de l'accessoire - qui n'est pas une jurisprudence accessoire - traduit cette idée qu'il n'y a d'acte de commerce ou d'acte civil qu'à raison de l'activité commerciale ou civile de leur auteur. Car la jurisprudence de l'accessoire ne juge pas, comme on a tendance à le dire quelquefois, que les actes sont civils ou commerciaux parce qu'ils sont faits par des commerçants ou par des non commerçants. Elle affirme avec beaucoup plus d'exactitude que la qualification d'un acte dépend de l'activité à laquelle il s'intègre, tout comme la qualité d'une personne dépend de l'activité à laquelle elle se livre. Aujourd'hui cette idée commence à être reçue dans la doctrine. C'est elle qui inspire à Escarra son critère tiré de l'entreprise. Un texte en fait foi : «La notion véritable, celle qui l'a toujours emporté traditionnellement, c'est la notion de profession, celle à laquelle même les rédacteurs du code n'ont pu renoncer. Cette notion beaucoup plus large que celle d'acte de commerce, se caractérise par l'existence de faits extérieurs attestant qu'un individu accomplit des actes de commerce, non pas à titre accidentel mais d'une manière habituelle et concertée, professionnelle, méthodiquement agencée». Et récemment M. Houin écrivait : «En réalité, la commercialité est liée à la répétition de l'acte et à l'activité professionnelle de l'auteur de cet acte ; les différents actes énumérés par l'article 632 du code de commerce ne sont commerciaux que s'ils sont faits habituellement par un professionnel ; la chose est certaine pour les entreprises, mais elle l'est aussi pour l'achat pour revendre ou pour les opérations de banque, de change ou de courtage ; seule la signature d'un effet de commerce peut être un acte de commerce isolé, mais l'article 632 le dit expressément en précisant que c'est un acte de commerce pour «toute personne». De même M. Rodière écrit : «Dans la conception objective, ces actes devraient conserver leur caractère commercial même s'ils étaient faits par un non commerçant. Telle n'est pas la solution.» Et l'éminent auteur ajoute : «D'une part, certains de ces actes qualifiés d'entreprises ou d'établissements par la loi supposent qu'ils sont faits à titre professionnel par des commerçants. D'autre part ceux pour lesquels cette condition n'est pas exigée... ne sont pratiquement jamais considérés comme actes de commerce quand ils sont faits à titre isolé par un non commerçant». Cette convergence de la loi, de la jurisprudence et de la doctrine se comprend aisément. Les différences de régime établies entre l'acte de commerce et l'acte civil, entre le commerçant et celui qui ne l'est pas, correspondent exactement aux différences qui séparent l'activité de l'acte isolé. Par exemple, la preuve écrite requise pour un acte civil, c'est-à-dire un acte isolé, devient trop lourde lorsque les contrats sont appelés à se multiplier. Et les précautions probatoires qui se justifient lorsque les parties sont inexpertes, n'ayant point l'habitude de passer des actes juridiques, deviennent inutiles lorsque ces mêmes parties font métier de contracter. Le doyen Hamel caractérisait l'esprit du droit commercial par le désir de rapidité et le besoin de sécurité. Mais le désir de rapidité naît du nombre des actes à accomplir et le besoin de sécurité des risques de la rapidité. Est-ce là donner son adhésion à la conception dite subjective ? A notre avis non. Tout d'abord parce que cette conception est mal nommée et n'a pris son titre que pour mieux s'opposer à la conception dite objective. Or, si le propre de la prétendue conception subjective est de substituer la notion d'activité commerciale à celle d'acte de commerce, cette théorie mérite le qualificatif d'objective autant et peut-être même plus que ne le méritait la théorie qu'elle combat. Et surtout, il y a dans la théorie du doyen Hamel, une idée politique qui nous paraît extrêmement forte : c'est que la plupart des personnes sont de nos jours gagnées à la vie des

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affaires, que le droit commercial pénètre «aujourd'hui dans toutes les activités économiques des pays civilisés» et qu'il n'est donc pas et ne doit pas devenir un droit professionnel. Le doyen Ripert prétendait le contraire : «Du moment que l'on admet l'existence d'un droit commercial distinct du droit civil, écrivait-il, on est nécessairement conduit à donner à ce droit le caractère d'un droit professionnel». L'affirmation est équivoque car elle n'a pas le même sens ni la même portée selon que l'on donne du droit professionnel une définition matérielle ou formelle. Si l'on retient une définition matérielle de la profession, l'affirmation précitée signifie simplement que le droit commercial régit les seules personnes qui se livrent à une activité commerciale d'une manière un peu suivie, par opposition à celles qui font un prétendu acte de commerce d'une manière accidentelle ou occasionnelle. Au contraire, si l'on prend la notion de profession dans son sens formel, le droit commercial devient en outre un droit corporatif réservé aux seuls membres de professions définies et juridiquement structurées. Corrélativement, le droit civil apparaît comme le régime propre aux professions civiles et la dualité actuelle de notre droit privé se trouve fortifiée par la dualité des types d'organisation professionnelle. La première de ces deux propositions nous paraît exacte comme nous l'avons dit plus haut et nous convenons volontiers que le droit commercial est un droit professionnel au sens matériel du terme. Mais c'est la seconde proposition qui traduit la pensée profonde du doyen Ripert et cette seconde proposition, qui n'est pas toujours très bien distinguée de la première et fait son chemin à la faveur de l'équivoque ainsi entretenue, nous paraît fort contestable, car elle ne correspond ni à notre droit positif (5) ni surtout au mouvement général de l'Histoire. La Révolution, en supprimant les corporations, a brisé le lien qui unissait peut-être, sous l'Ancienne Monarchie, le droit commercial au corporatisme et, de nos jours, le divorce est allé s'aggravant, malgré un certain renouveau de l'organisation professionnelle. Car le droit commercial n'a cessé d'étendre son empire. «Alors qu'il contenait seulement autrefois les règles de la profession de commerçant et des opérations que les commerçants étaient seuls à pratiquer, il a conquis un rôle prépondérant et tend à réduire par son expansion l'application des règles générales du droit civil... Il est aujourd'hui le droit de toutes les relations économiques. Il a imposé son esprit et sa technique au droit civil. On a pu dire que le droit civil se commercialise et qu'il faut désormais avoir la conception d'un droit nouveau qui a été dénommé «droit des affaires» ou «droit économique». C'est le doyen Ripert lui-même qui a écrit ces lignes magistrales dans sa préface au Répertoire de droit commercial dont il assurait, avec M. Vergé, la direction. Mais, s'il en est bien ainsi, il y aurait manifestement plus d'inconvénients que d'avantages à fermer la frontière qui sépare le droit civil du droit commercial. A l'instar des législations étrangères, c'est à l'unité du droit privé plus qu'à sa division qu'il nous faut travailler et pour cela il importe que le droit commercial ne devienne pas un droit professionnel au sens que le doyen Ripert donne à ce mot. C'était l'idée du doyen Hamel et, nous semble-t-il, la vérité de la théorie objective. Nous avons fait un long détour pour résoudre le problème de la détermination du critère de compétence. Ce détour nous a montré que les notions de commerçant et d'acte de commerce n'étaient pas en relation de subordination, comme l'affirmait la doctrine unanime sans d'ailleurs pouvoir préciser le sens de cette subordination. Ces deux notions nous sont apparues placées sur un même plan et subordonnées, l'une et l'autre, à une même troisième notion qui est celle d'activité commerciale. Dès lors le droit commercial peut être considéré indifféremment comme le droit des commerçants et comme celui des actes de commerce et l'on comprend que le code ait eu recours, selon les besoins, à l'un ou à l'autre critère, comme nous l'avons signalé plus haut. Il a retenu la notion de commerçant quand la règle édictée concerne l'ensemble de l'activité, ainsi des règles de faillite, car la personne du commerçant est le support de cette activité avec laquelle elle se confond pour partie. Au contraire, il a fait

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appel à la notion d'acte lorsque la règle, ainsi des règles de preuve, concerne telle ou telle manifestation juridique concrète. Et il a utilisé indifféremment l'un ou l'autre critère, ainsi dans l'article 631, lorsqu'il n'y avait aucune raison particulière de choisir. Reste alors à définir les concepts de commerçant et d'acte de commerce et, pour commencer, celui d'activité commerciale d'où les deux précédents dérivent. Une question se lève aussitôt. Tenter de définir le critère de compétence, c'est admettre implicitement que les actes de commerce obéissent à une idée d'ensemble et forment un système cohérent. Car, s'il en était autrement, toute tentative de définition serait vaine et il faudrait bien se contenter d'une liste par hypothèse arbitraire. Or, ce système cohérent existe-t-il ? La doctrine dans son ensemble en doute. Le doyen Ripert écrit : «Le domaine du droit commercial est délimité d'une façon arbitraire. Il ne saurait en être autrement. Le droit commercial n'est que la réunion des exceptions apportées aux règles du droit civil dans l'intérêt du commerce. Il est composé de pièces distinctes... La doctrine fait appel à des idées abstraites ; et comme elle propose de reconnaître les commerçants aux actes qu'ils font, elle a cherché dans tous les actes de commerce soit une idée de spéculation soit une idée de circulation. Mais ce sont là des notions économiques. Comment peut-on trouver la conception commune d'opérations si différentes que celles qui sont faites par des marchands détaillants, des banquiers ou des transporteurs ? Aucune idée générale ne couvre la vaste étendue des opérations commerciales. Il existe des opérations commerciales très variées mais pour lesquelles il n'y a pas de notion commune. Les articles 632 et 633 en donnent une énumération qui est fort mal présentée et fort incomplète. L'usage est d'un plus grand secours ; encore que parfois il soit lui-même indécis.» Une idée analogue se trouve chez Lyon-Caen et Renault. « (Il y a) des actes qui, peu différents les uns des autres au fond, sont considérés par la loi les uns comme des actes de commerce, les autres comme des actes civils ; la distinction ne s'explique que par l'utilité plus grande qu'il y avait aux yeux du législateur à soumettre les premiers aux règles du droit commercial». Au contraire, Thaller, qui seul se pose la question clairement, y répond par l'affirmative. Il le fait d'ailleurs en des termes remarquables car il admet à la fois l'existence d'une structure logique sous-jacente et qu'elle demeure inconsciente à tous et même au législateur qui l'officialise. «On a essayé de rattacher les actes multiples réunis dans cet article (art. 632) à une notion systématique... Quand il serait vrai que le législateur a été exempt de cette pensée et que l'énumération légale ne procède d'aucune idée générale dont ses rédacteurs aient été conscients, il reste néanmoins exact, à l'analyse, que tous les actes énoncés dans la loi se plient à (une) notion et qu'ils en remplissent entièrement le cadre». Cette dernière affirmation nous paraît, au départ, la seule acceptable et cela pour trois raisons au moins. En premier lieu, amputons par la pensée l'article 632 de la moitié de son contenu, par exemple de toutes les opérations de banque et de bourse qui seraient déclarées de droit civil. Chacun sent bien que la physionomie générale du droit commercial serait bouleversée. Supposons une opération inverse et qu'un contrat du droit civil, par exemple le contrat de donation, soit ajouté à l'article 632 : ici encore nous sentons confusément qu'une telle décision serait difficilement acceptable. Autrement dit, nous voyons bien que l'article 632 ne peut pas être modifié arbitrairement et, s'il en est ainsi, c'est qu'il n'est pas arbitraire lui-même, au moins dans son principe. Les activités commerciales constituent donc un système, mais dont nous avons si peu conscience que nous en venons à douter de son existence. C'est ce que Thaller disait, en d'autres termes. En second lieu, si l'article 632 était arbitraire, il resterait encore à expliquer cet arbitraire. Car l'article 632 n'est pas né de la fantaisie d'un homme : il est l'œuvre du temps. Lyon-Caen fait allusion à l'utilité qu'il y avait aux yeux du législateur à

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soumettre tel ou tel acte, aux règles du droit commercial. Mais ce n'est pas le législateur qui a décidé ces choses, c'est l'usage, comme dirait le doyen Ripert, ou plutôt la raison de l'usage, car par lui-même l'usage manifeste et impose mais ne justifie pas. Enfin, - considération générale - la science n'a progressé que parce que des hommes ont parié en faveur de la rationalité de l'objet étudié. Et il serait curieux que la raison ne se retrouve pas dans des constructions qui sont ses œuvres, alors qu'elle se meut à l'aise dans les phénomènes de la nature, qui lui sont extérieurs. S'il faut parier, c'est le pari de Thaller qu'il est fécond d'engager. La chose est si vraie que les auteurs, dans leur majorité, ont multiplié les tentatives, même sans y croire tout à fait, pour présenter un système où toutes les activités commerciales viendraient s'ordonner naturellement et d'où les activités non commerciales se trouveraient rejetées tout aussi naturellement. Trois tentatives méritent un examen particulier. La définition du droit commercial tirée de l'idée de circulation : Elle est l'œuvre de Thaller dont l'exposé, que nous suivrons pas à pas, nous paraît se décomposer en trois étapes. Thaller commence par écrire : «En droit comme en économie politique, le commerce consiste dans la circulation des produits, de l'argent, des titres fiduciaires. Le droit commercial est la branche du droit qui gouverne cette circulation. Chez le producteur le produit n'est pas encore dans le commerce. Chez le consommateur il n'y est plus. Entre ces deux hommes s'établit toute une filière d'actes. Ces actes constituent le commerce». Notons ici que Thaller avance le mot de circulation mais ne le définit point ? Il est vrai que ce mot peut paraître suffisamment explicite par lui-même. Ne chicanons donc pas, d'autant plus que si Thaller ne précise pas le sens qu'il donne au mot de circulation, il laisse très clairement apercevoir le rôle qu'il lui attribue. Pour Thaller, le critère de circulation traduit l'idée que le commerce se définit par la nature des tâches qui le constituent. Dans l'ensemble des opérations par lesquelles l'homme impose sa volonté à la nature et la soumet à ses besoins, Thaller isole celles qui consistent dans le transport matériel et le transfert juridique de la propriété de produits finis et, à cette première étape du raisonnement, prend le mot de commerce comme synonyme de «distribution» ou, si l'on préfère, de commerce par opposition à l'industrie. Ici Thaller se heurte à une difficulté : c'est que précisément le commerce au sens juridique du terme inclut l'industrie, et cela cause quelque gêne à l'auteur. «On est de prime abord surpris, écrit-il, de voir le commerce comprendre l'industrie dans son champ légal d'application : les économistes opposent plutôt entre elles ces deux formes d'activité.» Mais cette gêne avouée, Thaller s'empresse de surmonter l'obstacle. «Le désaccord entre le droit et l'économique politique n'existe qu'à la surface. D'abord quoique la nature du service rendu à la société ne soit pas identique chez celui qui échange le produit et chez celui qui le façonne cela ne les empêche pas tous deux de recourir au crédit.» On remarquera aussitôt que cette première raison, si elle était seule retenue, fausserait le système de Thaller. En effet ce système repose sur la considération de la nature des tâches à effectuer et pas du tout sur la manière dont ces tâches sont accomplies. Justifier l'intégration de l'industrie dans le commerce par la considération du recours au crédit, c'est évidemment changer de critère en cours de raisonnement. Mais Thaller poursuit : «Puis l'industriel ou le manufacturier a deux rôles. Cette fonction n'est pas la même lorsqu'on le suppose en rapport avec le marché du produit sur lequel son industrie s'exerce, ou bien avec le personnel de main-d’œuvre qu'il emploie. Au premier point de vue (le seul qui nous intéresse ici) il concourt à faire parvenir le produit à sa destination dernière : c'est une fonction de commerce non seulement parce que la loi le dit mais parce qu'il est logique de le décider ainsi.» Ce deuxième argument n'est pas négligeable ; mais il aurait besoin d'être précisé. Car s'il suffit à un producteur pour devenir commerçant de faire parvenir ses produits à leur destination dernière, on ne voit pas de producteurs qui ne

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méritent d'être appelés commerçants. Or Thaller n'ignore pas que les professions agricoles sont des professions civiles. Aussi, et c'est la troisième étape de son raisonnement, tente-t-il de justifier leur exclusion du monde commercial. «La vente cesse d'être un acte de commerce, écrit-il, lorsqu'elle n'a pas besoin d'un achat comme première partie. Il y a des personnes qui vendent des produits sans avoir à les acheter. Elles écoulent alors des produits de leur propre fonds. L'opération demeure civile. Il en est ainsi des exploitations agricoles. Le cultivateur, propriétaire ou fermier, qui vend ses récoltes, ses blés, ses produits d'industrie maraîchère, n'accomplit pas un acte de

commerce, il n'est pas commerçant (art. 638, al. 1er) ». On pourrait objecter tout d'abord qu'un agriculteur achète des semences et des engrais, tout comme un industriel achète des matières premières et que la description des faits présentée par Thaller est inexacte. Mais surtout, on observera que Thaller ne propose, en fait, aucune explication de l'exclusion des agriculteurs du monde du commerce ou plutôt l'explication consiste dans la référence à l'article 638. Cette démarche est surprenante de la part d'un auteur qui a commencé par affirmer que la liste des actes de commerce formait un tout cohérent : s'abriter derrière la lettre des textes après avoir admis que ces textes tiraient leur autorité de la nature même des choses est assurément l'aveu d'un échec. Thaller a commencé par donner une définition trop étroite du commerce, définition qui excluait l'industrie ; puis il lui a substitué une définition trop large qui inclut l'agriculture : la vérité finalement lui a échappé. La définition tirée de l'idée de spéculation. Elle a été proposée par Lyon-Caen et Renault : «D'une façon générale, écrivent-ils, au point de vue de nos lois, le commerce est l'ensemble des opérations ayant pour but de réaliser des bénéfices en spéculant sur la transformation des matières premières ou des produits manufacturés, sur leur transport ou sur leur échange. Le droit commercial est l'ensemble des règles juridiques applicables à ces opérations, les actes de commerce, et aux personnes qui font profession de s'y livrer, les commerçants». Le critère proposé par Lyon-Caen diffère profondément de celui suggéré par Thaller. Ce dernier définissait les opérations commerciales d'après leur fonction économique. Au contraire Lyon-Caen les caractérise par l'esprit dans lequel leur auteur les accomplit. Le critère de Thaller est économique, celui de Lyon-Caen est psychologique. C'est à notre sens une faiblesse car la psychologie des hommes est incertaine et offre un fondement peu solide à une construction aussi complexe que celle du droit commercial. Mais laissons parler Lyon-Caen. En effet, il écrit un peu plus loin : «On a souvent essayé d'indiquer les caractères distinctifs communs à tous les actes de commerce. On a dit que ce qui caractérise ces actes, c'est qu'ils sont des actes de spéculation, c'est-à-dire ayant pour but la réalisation d'un bénéfice en argent. Ce but se rencontre il est vrai dans presque tous les actes de commerce. Mais il n'y a pas là un élément essentiel se trouvant seulement dans les actes de commerce et se trouvant même dans tous les actes de commerce. D'un côté, il y a de nombreux actes n'ayant rien de commercial qui impliquent une spéculation. Ainsi le fermier, en prenant à bail un fonds rural, spécule en ce sens qu'il se propose de réaliser des bénéfices grâce à la différence entre ce qu'il est obligé de débourser pour le fermage et pour les frais d'exploitation, et ce qu'il retirera de la vente des produits de la terre. Il est pourtant certain qu'il ne fait acte de commerce ni en louant la ferme ni en vendant les récoltes. D'un autre côté, si presque tous les actes de commerce sont des actes de spéculation, il en est qui n'ont pas pour but la réalisation d'un bénéfice ; tels sont la souscription et l'endossement d'une lettre de change». Est-il utile d'entreprendre la critique d'une théorie qui reconnaît elle-même, avec de si bons arguments, son mal-fondé ? La définition tirée de l'idée d'entreprise. Elle est l'œuvre d'Escarra. Le souci de cet auteur est de déterminer un critère juridique de la commercialité, par opposition aux critères

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économique ou psychologique des auteurs précédents. Ce critère serait pour Escarra la notion d'entreprise, qu'il emprunte à l'article 632 du code de commerce et définit «en somme comme la répétition professionnelle d'actes de commerce, reposant sur une organisation préétablie». Escarra n'indique pas les raisons qui l'ont conduit à cette conclusion ; mais la démarche est claire. Escarra veut faire entendre qu'il n'y a d'acte de commerce que là où se rencontre une répétition de certains actes juridiques. L'idée «d'organisation préétablie» qui paraît d'abord comme une réserve destinée à exclure du droit commercial les activités de petite importance et qui, sous cette forme, ne trouverait aucun fondement dans notre droit positif, nous semble plutôt destinée à renforcer l'exigence d'une répétition sans y apporter réellement d'élément nouveau. Sur l'idée elle-même nous nous trouvons pleinement d'accord avec Escarra, comme nous l'avons dit plus haut. Mais, si cette idée nous a paru nécessaire à la détermination du critère de compétence, elle laisse sans solution le problème de définition qui nous occupe ici. En effet, il n'y a d'acte de commerce que par la répétition ; mais cette répétition n'est pas la répétition de n'importe quoi et toutes les entreprises humaines ne sont pas des entreprises commerciales. Il importe donc de définir avec précision les éléments constitutifs des activités commerciales. De surcroît, l'activité commerciale consiste-t-elle seulement en une somme d'actes ? Or, sur ces deux points, Escarra est muet. Il parle bien de répétition d'actes de commerce. Mais nous tournons dans un cercle vicieux, car les actes de commerce se définissent par leur répétition qui est précisément la répétition d'actes de commerce et le critère tiré de la notion d'entreprise est donc un critère, comme l'écrivait Escarra, dont «l'insuffisance n'échappe pas». Nous l'avons dit aussitôt : la définition du droit commercial est un problème qui reste posé et les trois opinions que nous venons de rapporter se retrouvent toutes dans une commune incapacité de le résoudre. Une idée - et parfois un simple mot - sont avancés sans que nous soyons toujours informés de la démarche intellectuelle qui y a conduit. L'accent est mis sur une fonction économique ou sur un élément psychologique, voire sur une institution encore à organiser, comme au hasard. Un scepticisme vrai nuance les prises de position et l'auteur ne paraît pas croire lui-même à ses propres affirmations. Tout se passe comme s'il considérait que le problème est extérieur aux préoccupations du juriste technicien ou que, la jurisprudence se tirant d'affaire tant bien que mal, il suffisait d'incriminer l'incohérence du code et de passer. Il est utile à notre sens, de chercher les raisons de ces défaillances et nous croyons les trouver principalement dans la méthode utilisée, qui prétend définir le droit commercial par rapport à lui-même, sans référence aucune aux autres parties de notre ordre positif. Or, le droit dit commercial n'est pas tel en soi. Si on le distingue par exemple du droit civil ou, plus exactement, si les relations commerciales constituent une catégorie particulière des relations humaines, c'est moins à raison de leurs propriétés intrinsèques que de l'ensemble des différences qui les opposent aux autres relations ou, d'une manière plus rigoureuse, leurs propriétés communes sont constituées par l'ensemble de ces différences dont le système constitue précisément la définition des relations commerciales. A notre sens, c'est par la méthode comparative que ce système pourrait être établi. Ainsi, par exemple, on comparerait, en les opposant, les relations commerciales et celles qui unissent, disons : un médecin et son client, relations qui sont de droit civil. Par quoi se distinguent ces deux catégories de rapports ? Risquons une hypothèse. L'industriel et le commerçant échangent des choses considérées comme équivalentes et le vendeur reçoit, en contrepartie de la chose livrée, un prix qui représente la valeur de la marchandise vendue. Au contraire, dans le contrat médical, le service rendu à son client par le médecin est jugé inappréciable en

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argent : la somme versée par le client prend le nom d'honoraires et elle est moins un prix que l'expression de la gratitude du client. D'une certaine façon, l'acte médical n'est pas un échange mais la succession de deux libéralités. Au contraire, on dira que les actes de commerce consistent ordinairement en échanges et, dans la très grande majorité des cas, en échanges monétaires. Mais ce caractère ne suffit pas à définir les actes commerciaux, car il se retrouve, par exemple, dans les rapports qui unissent à son client l'artisan même non commerçant. Il faut donc analyser ce nouveau couple d'oppositions. Est-ce parce que l'artisan civil, dont la condition est proche de celle du salarié, est sous la dépendance du maître de l'ouvrage qu'il échappe à l'empire du droit commercial ? Si tels étaient les faits, les relations commerciales apparaîtraient constituées par les seuls échanges égalitaires. Il faudrait alors opposer l'agriculteur et le commerçant, qui procèdent l'un et l'autre à des échanges égalitaires mais ne sont pas soumis au même statut. Et ainsi, de comparaison en comparaison, verrait-on sans doute se préciser peu à peu la définition des activités commerciales en même temps que se dessinerait la structure juridique de notre économie, avec son secteur capitaliste qui correspond à peu près au secteur commercial des juristes, et des secteurs que l'on qualifie les uns de précapitalistes et les autres d'anticapitalistes faute de mots meilleurs. Mais, une telle recherche outrepasse, sans doute, le cadre d'une simple chronique et assurément l'objet que nous avons assigné à celle-ci.

Document 2 Cass. com., 13 mai 2003, n°00-21555 : D. 2004, p. 414, note J.-M.

Bahans et M. Menjucq (extrait)

La Cour de cassation : Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Bordeaux, 18 septembre 2000), que la société d'Exploitation bureau de courtage d'Aquitaine, en sa qualité de courtier (le courtier), a proposé un lot de vin à la société Châteaux en Bordeaux (l'acheteur) et que cette offre a été confirmée par un bordereau de courtage ; qu'ultérieurement l'acheteur a dénoncé le contrat de vente et que le courtier a demandé le règlement de sa commission puis assigné à cette fin l'acheteur ; que la cour d'appel a accueilli la demande ; - Attendu que l'acheteur reproche à l'arrêt d'avoir ainsi statué alors, selon le moyen : - 1 / que l'usage conventionnel est supplétif de la volonté des parties ; qu'il s'applique, dès lors, que si la convention des parties ne l'a pas exclu ; que le libellé du bordereau que le courtier a émis, comporte, à côté d'un emplacement réservé à la signature du courtier, un emplacement pour la signature du vendeur et un emplacement pour la signature de l'acquéreur ; qu'en s'abstenant de rechercher si cette circonstance n'était pas propre à exclure l'usage qu'elle vise et qu'elle applique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale sous le rapport des articles 1134 et 1135 du code civil ; - 2 / que dans ses conclusions d'appel, l'acheteur faisait valoir, sous l'intitulé « sur l'application de l'usage allégué au cas d'espèce », que, le libellé du bordereau que lui a adressé le courtier comportant, à côté de l'emplacement réservé à la signature du courtier, un emplacement réservé à la signature du vendeur et un emplacement réservé à la signature de l'acquéreur, la seule signature du courtier n'avait pas pu rendre la vente parfaite ; qu'en ne s'expliquant pas sur ce moyen, la cour d'appel a privé sa décision de motifs ; - Mais attendu qu'après avoir relevé que le courtier a pour fonction de mettre en rapport un négociant-acheteur avec un producteur de vins pour négocier la récolte de ce dernier et qu'il agit en mandataire de l'une et l'autre parties, ce dont il résulte que l'acheteur comme le courtier étaient des professionnels exerçant dans le même secteur d'activité, l'arrêt retient que l'établissement et l'envoi, par le courtier au vendeur et à l'acheteur de la « lettre de confirmation » sans qu'il y ait de leur part un accord formel équivalait suivant l'usage ancien et constant en Bordelais, à une vente parfaite, sauf protestation dans un très bref délai fixé par les usages loyaux et constants de la profession à 48 heures de la réception

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de cette lettre dont l'envoi est à la charge du courtier ; que la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

--- Note : « Mercatorum stilus et consuetudo praevalere debent jure communi ». C'est un arrêt remarquable à deux égards que la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de rendre le 13 mai 2003. Remarquable par l'enseignement que l'on peut en tirer quant à la force obligatoire des usages commerciaux. Plus précisément, cet arrêt contribue à reconnaître l'existence d'une catégorie spéciale d'usages que l'on peut qualifier d'usages de droit par opposition aux autres usages qualifiés d'usages conventionnels ou d'usages de fait. Remarquable aussi sur le plan pratique pour la sécurité juridique qu'il vient apporter à la pratique des ventes de vins sur la place de Bordeaux en renforçant la valeur des bordereaux dressés par les courtiers en vins. Les faits et la procédure sont, en l'espèce, relativement simples. Le litige oppose un courtier en vins et un négociant au sujet du paiement de la commission du courtier. Pour s'opposer au paiement du courtier, le négociant soutient que le contrat de vente en cause n'est pas parfait, faute d'acceptation expresse de sa part. Le courtier avait servi d'intermédiaire entre un producteur et un négociant, et avait établi un bordereau (ou lettre de confirmation) confirmant les termes de leur accord. Ce bordereau, signé du courtier, avait été notifié par ce dernier aux parties, qui n'avaient pas protesté dans le bref délai de quarante-huit heures à réception de ce bordereau. En application d'un usage local, le contrat de vente pouvait donc être considéré comme parfait. Le négociant dénonça néanmoins la vente, dix jours après la réception de ce bordereau, ne s'estimant pas contractuellement lié. La cour d'appel donna tort au négociant, estimant que le courtier agit comme mandataire de l'une et de l'autre des parties lorsqu'il rédige le bordereau et que, en vertu de l'usage local, la vente doit être considérée comme parfaite en l'absence de protestation dans les quarante-huit heures de la réception de ce document contractuel. La Cour de cassation, relevant que l'acheteur et le courtier exercent dans le même secteur d'activité, rejette le pourvoi en se fondant sur l'usage dont l'existence avait été constatée par la cour d'appel, celle-ci ayant à ce titre « légalement justifié sa décision ». Par cette formulation, qui implique un contrôle de la Cour de cassation, cet arrêt confirme la valeur de l'usage commercial en cause en tant qu'usage de droit (I). Il apporte aussi des précisions utiles sur la mission du courtier en vins, dont le rôle est mieux défini (II). I - La valeur d'un usage de droit confirmée

L'importance de la place des usages en droit commercial est soulignée par la doctrine de façon séculaire. Historiquement, l'on sait que le droit commercial a été un droit essentiellement coutumier. Aujourd'hui, la multiplication des sources du droit, l'importance du droit écrit et la globalisation des échanges atténuent l'importance des usages. Ceux-ci n'ont toutefois pas disparu, la présente affaire en portant témoignage. Celle-ci est particulièrement remarquable dans la mesure où elle permet de préciser les conditions dans lesquelles un usage peut être qualifié de règle de droit. Pour quitter le champ du simple fait et devenir une règle de droit, l'usage doit correspondre à une pratique commerciale admise comme telle par les professionnels concernés. L'existence d'une place où agissent des professions commerciales, regroupées en syndicats ou en corporations, favorise la reconnaissance de la force des usages qui y sont pratiqués. Or cela correspond précisément aux circonstances de la présente espèce déférée à l'examen de la Haute cour. Le commerce du vin est un commerce de place, en ce

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sens que les vins de Bordeaux sont vendus à Bordeaux ou que les vins de Bourgogne sont vendus en Bourgogne. Bien sûr, il s'agit là du commerce en gros, intervenant en amont entre le producteur et le négociant, le commerce de détail étant, lui, assuré, en aval, aux échelons national et international, par les différents réseaux de distribution. Les transactions interviennent entre des professions bien précises : viticulteurs, négociants et courtiers, dotées de syndicats professionnels et regroupées en interprofessions. Les circonstances sont donc favorables à la reconnaissance d'usages pouvant être qualifiés de règles de droit. La distinction entre usages de fait et usages de droit n'est pas parfaitement établie en doctrine et en jurisprudence. La doctrine est relativement hésitante à l'égard de la terminologie et du régime juridique des usages commerciaux. L'hésitation la plus nette concerne avant tout la terminologie. Cette hésitation est en partie due aux difficultés que le juriste rencontre à catégoriser les règles issues de l'autorégulation des acteurs économiques. Les termes d'usages de fait, d'usages conventionnels, d'usages de droit, d'usages à caractère impératif et de coutumes commerciales sont notamment employés. Cette diversité terminologique correspond également à une certaine hésitation quant à la détermination du régime juridique des différents usages. A notre sens, la distinction la plus claire est celle qui est faite entre usages de fait et usages de droit. L'usage est toujours une pratique couramment admise dans un milieu commercial, mais cette pratique n'est pas nécessairement reconnue comme une règle par le milieu considéré. Ces usages, que l'on peut qualifier d'usages de fait ou usages conventionnels, n'acquièrent de caractère obligatoire qu'en étant incorporés expressément ou au moins tacitement dans une convention. En revanche, certains usages sont des véritables règles de droit et n'ont pas besoin d'être incorporés à une convention pour exister comme tels et posséder une force obligatoire pour les professionnels concernés. La valeur de ces usages est, en principe, celle d'une loi supplétive s'appliquant de droit aux conventions, à moins d'avoir été expressément écartée. Ces usages peuvent déroger à des lois ayant elles-mêmes une valeur supplétive mais ne peuvent, en revanche, déroger à une loi impérative. Certains usages ont pu toutefois s'imposer contra legem en vertu du principe selon lequel la loi spéciale déroge à la loi générale (lex specialia generalibus derogant). Ainsi, des usages de droit commerciaux ont pu déroger à des dispositions du code civil. Il faut souligner qu'en principe, en vertu de l'art. 1134 c. civ., affirmant le primat de la convention des parties, les dispositions du contrat peuvent expressément déroger à un usage, même s'il s'agit d'un usage ayant valeur de règle de droit (par exemple, la règle de la solidarité pour les actes de commerce ou l'anatocisme dans le compte courant). Il n'en va différemment que si une loi impérative reprend un usage ou y renvoie. C'est donc à ces seuls usages que devrait être réservée la qualification d'usages impératifs. En l'espèce, l'usage doit être qualifié de règle de droit non impérative, et c'est ce qui ressort des arrêts de la cour d'appel et de la Cour de cassation. L'usage en cause est précisément le suivant. Lorsqu'un producteur et un négociant décident de traiter leur transaction par l'intermédiaire d'un courtier en vins, celui-ci va dresser, au terme de la négociation, un bordereau ou une lettre de confirmation contenant les clauses du contrat. Le courtier signe lui-même ce document et le notifie aux parties. A défaut de contestation des termes du bordereau dans les quarante-huit heures de sa réception, le contrat est considéré comme parfait. Ici, la société de négoce a prétendu pouvoir refuser le marché dix jours après la réception du bordereau, mais ne pouvait pas prouver que les parties avaient expressément écarté l'usage en cause. La cour d'appel lui donna donc tort en se fondant sur cet usage local, qualifié de loyal et de constant. Il faut souligner qu'il s'agit, pour la jurisprudence de la Cour d'appel de Bordeaux, d'une position constante. L'on doit également préciser que les bordereaux dressés par les courtiers figuraient expressément dans les modes de preuve admis par l'ancien art. 109

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c. com. La loi du 12 juill. 1980 a choisi de substituer à l'énumération des modes de preuve que comportait l'art. 109 une disposition générale admettant la preuve par tous moyens en droit commercial. Or l'ancien art. 109 précisait que le bordereau admis comme preuve devait être « dûment signé par les parties ». L'on sait que cette précision ne figurait pas dans le projet initial du code de commerce de 1807 et n'avait été ajoutée qu'à la demande des tribunaux de commerce en raison des fraudes qui étaient légion au sortir de la Révolution. Par la suite, l'ordre revenant dans l'économie, les courtiers, notamment à Bordeaux en matière viticole, ont continué dans bien des cas à signer seuls leurs bordereaux comme cela se faisait par le passé dans toute la France. Le caractère ancien et constant de l'usage est donc, en l'espèce, fermement établi. La Cour de cassation retient trois critères permettant de considérer l'usage comme règle de droit : son application à « des professionnels exerçant dans le même secteur d'activité » (le viticulteur, le négociant et le courtier), le caractère « ancien et constant » de celui-ci et sa localisation sur une place commerciale ou un marché précis, celui des vins de Bordeaux en l'espèce. Ces critères ne sont pas en soi très novateurs et correspondent à ceux classiquement retenus en doctrine. Ce qui est nettement plus novateur, c'est l'utilisation par la Cour de cassation de la formule selon laquelle la cour d'appel « a légalement justifié sa décision ». La Haute cour ne s'est pas retranchée derrière le pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. Or, classiquement, la Cour de cassation n'exerce pas de contrôle de l'application ou de la violation des usages, sauf lorsqu'ils sont incorporés dans la loi ou lorsque celle-ci y renvoie, ce que la doctrine déplorait s'agissant des usages de droit. L'emploi dans le présent arrêt de la formule précitée implique que la Cour de cassation procède à un contrôle de l'application de cet usage de droit au cas d'espèce. Cette position de la Haute cour est importante et doit être saluée comme une confirmation d'une évolution déjà entreprise. L'usage de droit, en dehors de toute incorporation ou de tout renvoi exprès fait par une loi, accède ainsi au rang de norme dont l'application est contrôlée par la Cour suprême. II - La mission du courtier en vins précisée […]

Document 3 Cass. com., 10 janvier 1995, n° 91-21141

La Cour de cassation : - Attendu, selon l'arrêt critiqué (CA Paris, 20 sept. 1991), que le Crédit du Nord a clôturé le compte courant de la Sté Invitance à laquelle il avait consenti un découvert pendant plusieurs années ; qu'un litige est né entre les parties au sujet des conditions de la cessation de ce concours bancaire, des modalités de la fixation du taux des intérêts, de la capitalisation trimestrielle de ceux-ci, de l'application de dates de valeur différentes des dates d'inscription en compte et de la durée de l'année prise en considération pour le calcul de la dette d'intérêts ; qu'après avoir statué au fond sur certaines demandes, la cour d'appel a désigné un expert et dit que celui-ci devrait calculer, à partir du solde du compte de la Sté Invitance au 10 sept. 1985, les découverts successifs jusqu'à la clôture du compte en se conformant aux usages bancaires relatifs, notamment, à la capitalisation trimestrielle des intérêts, à l'année bancaire de trois cent soixante jours et à la pratique des jours de valeur ; - Sur le premier moyen pris en sa première branche : - Vu l'art. 1131 c. civ. ; - Attendu que, pour rejeter la prétention de la Sté Invitance faisant valoir que son obligation

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de payer des intérêts était partiellement dénuée de cause, dans la mesure où les sommes prises en considération pour le calcul de ceux-ci étaient augmentées, sans fondement, par l'application de dates de valeur, l'arrêt retient que la pratique des jours de valeur n'est prohibée par aucune disposition légale ou réglementaire, qu'elle est d'un usage constant et généralisé, qui se fonde sur le fait qu'une remise au crédit, comme une inscription au débit, nécessite un certain délai pour l'encaissement et le décaissement ; - Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les opérations litigieuses, autres que les remises de chèques en vue de leur encaissement, n'impliquaient pas que, même pour le calcul des intérêts, les dates de crédit ou de débit soient différées ou avancées, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; - Et sur le second moyen : - Vu l'art. 1er du décret du 4 sept. 1985 relatif au calcul du taux effectif global ; - Attendu que, pour décider que l'expert qu'il désignait devrait tenir compte de l'usage bancaire relatif à l'année de trois cent soixante jours pour calculer, à partir du solde du compte de la Sté Invitance au 10 sept. 1985, les découverts successifs jusqu'à la clôture du compte, l'arrêt retient que le calcul des intérêts doit être fait sur trois cent soixante jours et non trois cent soixante-cinq jours, l'année bancaire n'étant que de trois cent soixante jours, conformément à un usage qui trouve son origine en Lombardie, au Moyen Age, en raison de son caractère pratique en ce que le chiffre de trois cent soixante, à la différence de celui de trois cent soixante-cinq, est divisible par 12, 6, 4 et 2, ce qui correspond au mois, à deux mois, au trimestre et au semestre, et que cet usage a d'ailleurs trouvé son expression législative dans la loi du 18 frimaire an III, selon laquelle l'intérêt annuel des capitaux sera compté par an et pour trois cent soixante jours ; - Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte du texte susvisé que le taux annuel de l'intérêt doit être déterminé par référence à l'année civile, laquelle comporte trois cent soixante-cinq ou trois cent soixante-dix jours, la cour d'appel a violé ce texte ; - Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième branches du premier moyen : Casse et annule.

Document 4 F. Terré, A. Outin-Adam, « Si l’on voulait un Code de

commerce » : D. 2007, p. 1377 Le début de l'année 2007 a été marqué, sous le pavillon du Bicentenaire du code de commerce, par un colloque de grande envergure correspondant à un congrès national des tribunaux de commerce. Le lien manifesté de la sorte entre la règle de droit et la juridiction ayant naturellement vocation à l'appliquer ne surprendra personne en France. La dialectique de la fonction et de l'organe a été depuis longtemps analysée. Elle relève d'une corrélation qui intéresse au premier chef la théorie générale du droit. Rien d'étonnant si on l'observe partout où la réflexion d'ordre processuel se développe. Il y a une interdépendance entre la loi applicable et le juge chargé de l'appliquer. Pourquoi ne pas s'interroger aussi en termes d'influences réciproques ? Est-ce le droit du négoce qui porte la juridiction consulaire ou le contraire ? La réponse s'impose, surtout aujourd'hui, où la juridiction fixe l'objet de la réflexion. Tant et si bien que les termes de commémoration ou de célébration semblent délibérément évités. Reconnaissons que le code de commerce de 1807 ne valait pas - et de loin - le code civil, bien que Napoléon n'y fût pas étranger et même si l'analyse historienne a montré qu'il ne fallait pas exagérer les critiques. Fut-il plus axé sur le recouvrement et l'endettement que sur l'aménagement rationnel des structures, des sujets et des actes ? Cela n'est pas douteux. Fut-il affecté dans son domaine par des corps importants de règles se développant hors codification ? Evidemment, flux et reflux, décodifications et recodifications ont, au XIXe et surtout au XXe siècle, illustré l'existence d'incertitudes fondamentales sur le sens du droit commercial, du droit des affaires, du droit économique... Pas plus que sa parente en droit civil, la Commission de réforme du code de

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commerce, instituée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, n'a laissé une trace durable dans l'esprit des juristes. Certains droits n'ont jamais connu de code de commerce. D'autres, comme l'Italie, qui en firent l'expérience l'ont écarté. La France, quant à elle, demeure fidèle à cette méthode. Si le code de 1807 appelait depuis des décennies une rénovation complète, il faut bien reconnaître que le nouveau code dû à l'ordonnance du 18 septembre 2000 a aggravé le mal bien plus qu'il n'y a remédié. Mais cela ne permet pas d'exclure désormais l'existence d'un code. Il arrive que les observations critiques des juristes soient prises en considération. Ce fut le cas à la suite d'un article que nous avions publié en 1994 dans les colonnes du Recueil Dalloz (« Codifier est un art difficile (à propos d'un... « code de commerce) » : D. 1994, p. 99). Diffusé auprès des parlementaires, il convainquit la Commission des lois de l'Assemblée nationale qui, en 1994, stoppa un projet de loi des plus défectueux « relatif au code de commerce », pourtant voté par le Sénat. Cette victoire de la raison fut éphémère. Les auteurs du texte attendirent des jours meilleurs. La divine surprise survint à la suite de l'alternance politique de 1997. Mais comme il pouvait subsister quelques objections d'ordre juridique, le pouvoir en place préféra procéder par voie d'ordonnance. C'est tellement plus commode. Les tiroirs furent vidés. Ce qui avait été écarté en 1994 fut propulsé six ans plus tard. Ce qui devait arriver arriva. Outre les défauts des codifications administratives dites « à droit constant » - bien qu'elles entraînent nécessairement des changements de fond, ce qui déborde du cadre du présent propos -, les critiques antérieures ne peuvent qu'être réitérées (V. not. D. Bureau et N. Molfessis, « Le nouveau code de commerce ? Une mystification » : D. 2001, p. 361. Indépendamment de multiples défectuosités que l'on observe en bien d'autres domaines, c'est le défaut de cohérence dans l'esprit technocratique qui explique la situation actuelle. Absence de délimitation de l'objet d'un code de commerce, ce qui aboutit à inclure dans l'ensemble nombre de règles de droit civil n'intéressant aucunement les commerçants et, à l'inverse, absence des dispositions les concernant directement. S'y ajoute une vision parcellaire, née du pullulement des codes, qui conduit à compliquer bien plus qu'à faciliter l'activité des usagers. En bref, le code de commerce souffre de deux maux contradictoires : on lui reproche d'être à la fois pléthorique et lacunaire. Contrairement à ce que l'on a souvent entendu, mieux eût valu, dans ces conditions, ne rien faire. Au demeurant, le Bicentenaire ne renvoie pas seulement au passé. Il est l'occasion de poser à nouveau deux questions : faut-il un code de commerce ? Si oui, quel code ? I - Faut-il un code de commerce ? L'existence même d'un code de commerce appelle trois réflexions. Premièrement, il n'est plus possible d'éluder l'option fondamentale entre deux approches : objective ou subjective. L'évolution permet-elle de mieux se prononcer qu'en 1807 ? D'un côté, le monde des affaires a dépassé depuis longtemps le milieu des seuls commerçants. S'il fallait encore s'en convaincre, il suffit de se référer à la Cour de cassation et à l'appellation, depuis 1986, de sa Chambre « commerciale, financière et économique » et non plus seulement « commerciale ». Ce dépassement lui-même ne contient-il pas nécessairement un mélange de plus en plus inextricable des activités civiles et commerciales ? On en vient alors à préférer la donnée subjective et à axer le code dit « de commerce » sur le rétablissement d'une cohérence

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en termes d'activité professionnelle, ce qui conduirait à remettre de l'ordre dans la matière, par rapport en particulier au droit de la consommation. Deuxièmement, il faut s'interroger sur le domaine d'un code de commerce digne de ce nom, à notre époque. De tous côtés il s'est produit un effacement des frontières existant entre le droit commercial et d'autres branches du droit : le régime des entreprises en difficulté a été étendu au monde civil ou adapté à celui-ci (1967, 1985, 2005) ; le monde rural s'est ouvert aux réalités des affaires ; les règles applicables aux sociétés civiles ont subi l'influence de celles retenues au sujet des sociétés commerciales ; les procédures devant les juridictions se sont rapprochées, sous l'influence du droit européen notamment, etc. Troisièmement, à supposer que l'on demeure fidèle à l'existence d'un code de commerce, le maintien de cet instrument doit répondre à des besoins spécifiques, être adapté à certaines finalités. Lesquelles ? Celle de l'accessibilité du droit n'est certes pas nouvelle... elle est pourtant toujours d'actualité. En revanche, la donne innovante est celle de la compétitivité dans un contexte de globalisation. Si, en 1807, l'enjeu international de l'œuvre de codification n'était pas indifférent, il relevait uniquement de considérations politiques. A cet égard, les codes napoléoniens ont participé au rayonnement de la France et largement inspiré les pays occupés sous l'Empire et bien d'autres au cours du XIXe siècle. Aujourd'hui, cette dimension internationale prend une tout autre acuité : les rapports du droit à la codification deviennent, de ce point de vue, radicalement différents. Ils se placent sur le terrain de la compétitivité. La dialectique du droit et de l'économie n'est plus ce qu'elle était. Tout système juridique constitue désormais un outil de régulation des échanges. Les acteurs économiques, tant nationaux qu'étrangers, arrêtent leurs choix stratégiques d'embauche et d'investissement, notamment, en fonction de l'attractivité et de la compréhension de l'environnement juridique. On y ajoutera qu'ils apprécient aussi la qualité d'un droit en fonction de sa capacité - voire de sa vitesse - d'adaptation aux évolutions du contexte économique. L'enjeu est de taille et la question posée est de savoir si la codification peut contribuer à la promotion de cette compétitivité. En d'autres termes, un code de commerce n'a de sens que s'il est une porte d'entrée sur l'économie moderne. II - Quel code ? Ce n'est pas un hasard si le principe de sécurité a été récemment consacré dans notre droit. En effet, un système juridique n'est au service de l'économie que s'il permet aux opérateurs de conclure rapidement leurs transactions dans un cadre sécurisé et prévisible. Or, la prévisibilité suppose la connaissance. Mais cette dernière se révèle aléatoire au travers de la codification à droit constant de la seule loi. En outre, les praticiens sont à la recherche, non pas du Graal juridique, mais d'outils permettant d'accéder au droit. En effet, le droit commercial codifié appelle, probablement plus encore que d'autres, une approche pragmatique. Dès lors, entre cette exigence et la nécessité de saisir tous les vecteurs porteurs de la matière juridique en ce domaine, comment concevoir ce code ? Les lacunes de notre codification interne par rapport au droit européen ne sont pas douteuses. Tandis que les directives accèdent à la codification via les lois nationales de transposition - au terme, d'ailleurs, d'un laps de temps plus ou moins conséquent...-, paradoxalement les règlements qui sont pourtant d'application immédiate sont exclus de nos codes. Tel est le résultat d'un raisonnement de nos pouvoirs publics, en extrême décalage avec les contingences de la vie économique, selon lequel « il ne peut être question de disjoindre la

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compétence pour édicter la norme de la compétence pour la codifier » (circulaire du 30 mai 1996 relative à la codification des textes législatifs et réglementaires). Ainsi, il reviendrait aux seules autorités communautaires de codifier elles-mêmes leurs propres normes. Toujours au regard de cette nouvelle réalité plurale, on ajoutera la nécessité de tenir compte des sources constituées, notamment, par les autorités administratives indépendantes, lorsqu'elles se sont vu légalement conférer un pouvoir normatif, comme en droit boursier où la réglementation de l'Autorité des marchés financiers est devenue incontournable. D'ores et déjà, à ce stade du recensement, la conclusion s'impose : la fragmentation - voire l'exclusion - de certaines sources affecte fondamentalement l'utilité de la codification à droit constant telle qu'elle est aujourd'hui conçue. Au-delà, le système juridique contemporain ayant considérablement enrichi sa palette normative, il ne serait pas illégitime de s'interroger sur la place des formes de régulation souples - dites de soft law - directement inspirées des droits européen et anglo-saxon, en particulier les recommandations émanant de la Commission européenne. Plus incitatives que directives, elles n'en viennent pas moins se juxtaposer aux normes « classiques ». Sans nul doute, il y a là, dans le contexte de ce nouveau pluralisme, une démarche inhérente à la remise en cause des activités traditionnelles de l'Etat, dans le temps comme dans l'espace, sous la pression de la mondialisation et de la complexité croissante des sociétés modernes. S'agissant de la conception de ce code, la pertinence même de son titre est remise en question du fait de la délimitation de son périmètre qui dépasse désormais - on l'a vu - le seul « commerce ». Les critères de référence tournent aujourd'hui davantage autour des notions d'activité économique et de but lucratif que d'acte de commerce. Les acteurs de la vie économique attendent d'un code qu'il constitue une règle, une clé, un langage. A cet égard, dans le sens de l'accessibilité d'un code modernisé, les considérations terminologiques sont importantes, ce qui doit conduire à clarifier et à coordonner les concepts et les termes. Il faut, à ce sujet, tenir compte de textes unifiés par l'effet de conventions internationales mais dont les interprétations jurisprudentielles ont pu, avec le temps, diverger. Là où le mouvement de rapprochement des droits n'est pas aussi avancé, la préoccupation d'ordre linguistique ne peut pas non plus être négligée. Par ailleurs, ce même objectif d'accessibilité ne sera atteint qu'au travers d'un fil directeur donnant une cohérence à la matière. Dans le souci d'un droit moderne ouvert à l'Europe et au monde, une codification de principes universellement reconnus dans les échanges internationaux donnerait le ton à ce nouveau code et assurerait un meilleur rayonnement de notre droit au-delà de nos frontières. D'ores et déjà, dans le sens de la compréhension structurelle et substantielle de la matière et en harmonie avec la préoccupation des autorités européennes de promouvoir l'esprit d'entreprendre (Livre vert de la Commission européenne de janvier 2003, COM 2003-27), les principes de la liberté du commerce et de l'industrie et celui, justement, de la liberté d'entreprendre pourraient être introduits dans le code. Il convient, par ailleurs, de rationaliser le bloc en le mettant à jour des réalités économiques et des exigences des affaires. Dans cette perspective, la création de deux sous-ensembles homogènes serait probablement moins ambitieuse, mais certainement plus judicieuse au regard de l'objectif de pragmatisme qu'il faut poursuivre. D'une part, un code de l'activité économique - vers lequel semblent d'ailleurs converger les esprits - décrivant les principes essentiels évoqués ci-dessus, les activités marchandes, leurs sources, leur organisation, leurs outils, leurs difficultés, leur fin ainsi que les règles de compétence judiciaire. D'autre part, un

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véritable code des sociétés - voire des groupements - dépassant les clivages traditionnels entre droit civil et droit commercial, entre droit privé et droit public. S'agissant de ce dernier sous-ensemble, il ne serait pas illogique que le champ de la rationalisation couvre une partie du code monétaire et financier, notamment concernant les valeurs mobilières ou l'appel public à l'épargne. Quant aux sources, y figureraient - bien entendu - les textes législatifs et les décrets portant sur la matière. Au-delà, une première annexe à valeur juridique contraignante comporterait les règlements communautaires et les autres normes émanant d'autorités créatrices de droit ; on pense ici aux autorités administratives indépendantes qui disposent d'un pouvoir normatif légal. Une seconde annexe non contraignante serait à prévoir, rassemblant les recommandations de la Commission européenne. Ces annexes seraient regroupées sous une forme cohérente et accessible. Les mésaventures du code de commerce ne sont-elles pas, au total, assez naturelles ? Elles tiennent probablement à la signification et à la portée du droit commercial par rapport à d'autres branches du droit et surtout à son raccordement au tronc commun, au droit commun, au droit civil. Loin est le temps d'un Code Napoléon qui faisait état des « règles particulières aux transactions commerciales établies par les lois relatives au commerce » (art. 1107, al. 2, c. civ.). Est-ce à dire qu'il n'existe pas, de plus en plus, une pénétration dans les matières traditionnellement considérées comme civiles, des structures et des règles nées du monde des affaires, national ou international ? Tout porte à le penser, comme tout porte à s'interroger, encore à l'aube du XXIe siècle, sur les destins convergents du droit civil et du droit commercial. A la fois plus bas et plus haut, la praxis du droit, autant sinon plus que ses axiomes, écoute les symphonies toujours inachevées.

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Séance n° 2 Introduction (2/2)

I/ Les juridictions commerciales A) Les tribunaux de commerce

� A. Bernard, « Le réforme des tribunaux de commerce : remises en ordre » : D. 1999, p. 403 (document n° 1). Une réforme des tribunaux de commerce est-elle opportune ?

� Cas pratique.

Guy Mauve, artisan-confiseur, met un point d’honneur à ne

vendre que les excellents bonbons et autres douceurs qu’il

confectionne lui-même et dont la renommée s’étend bien au-delà

de la Provence où il est installé à son compte, en parfaite

conformité avec la législation en vigueur. Comme tous les ans à la

même époque, Guy Mauve, qui s’attendait à une augmentation de

son activité, a passé et réglé une importante commande de sucre

en poudre de première qualité à la SARL Gluc’oz, dont le siège

social est à Rennes ; laquelle lui a livré avec retard du sucre en

morceaux de qualité inférieure ! Particulièrement mécontent, Guy

Mauve, qui regrette que ce litige n’ait pu se résoudre à l’amiable,

est décidé à demander en justice une indemnisation à son

fournisseur.

Guy Mauve croit que c’est le tribunal de commerce qu’il doit

saisir. Qu’en pensez-vous ?

� Cass. com., 10 juin 1997, n° 94-12316 : D. 1998, p. 2, note F. Labarthe et

F. Jault-Seseke, à propos de l’inopposabilité d’une clause attribuant compétence à un tribunal de commerce dans un acte entre un commerçant et un non-commerçant (document n° 2).

B) L’arbitrage

� Cass. 2e civ., 15 février 2001, n°98-21324 : D. 2001, p. 2780, note N. Rontchevsky (document n° 3).

II/ Réflexions d’ensemble

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� J. Paillusseau, « Le droit des activités économiques à l’aube du XXIe siècle » : D. 2003, p. 260 (document n° 4). En plus de la lecture de cet extrait, vous préciserez les traits essentiels de l’Ecole du droit des affaires de Rennes. Cf. C. Champaud, Le droit des affaires, PUF, Que sais-je ?, 1994.

***

Document n° 1

A. Bernard, « Le réforme des tribunaux de commerce : remises en ordre » : D. 1999, p. 403 (extrait).

Le dernier jeu à la mode, le tir forain sur les figures de l'Etat, procure une jouissance indéniable, provoque une grosse montée d'adrénaline. Mais, destruction d'une image paternelle, il s'accompagne aussi d'une bonne dose d'angoisse. Autant dire que le jeu de massacre, auquel nos princes eux-mêmes nous convient, évoque le succès cinématographique du siècle finissant : le naufrage du beau bateau. Dans cette lutte de tous contre tous, les tribunaux de commerce et les professions judiciaires satellites n'échappent pas aux critiques. Comment se déroule le film des événements ? Depuis le fond du Moyen Age, pour leurs affaires, les commerçants jugent les commerçants. Les magistrats, les juges consulaires, accèdent à ces fonctions par l'élection. Le caractère démocratique de la désignation leur sauve la tête à la Révolution de 1789. La réforme judiciaire napoléonienne ne touche pas aux tribunaux consulaires, le code de commerce leur consacre entièrement son livre IV et dernier. La contestation de cette juridiction de commerçants pour les commerçants viendra poindre dans la doctrine à la fin du XIXe siècle. Thaller utilise trois arguments pour justifier la charge. D'abord l'évolution réduirait le rôle des usages comme source du droit commercial alors que le droit se complique. Ensuite, les juges élus, simples amateurs, laissent la réalité du pouvoir à des auxiliaires qui n'offrent pas beaucoup de garanties. Enfin, de grands pays négociants, Angleterre ou Etats-Unis, ne connaissent pas la dualité de juridiction et s'en portent assez bien. En face, Esmein ou Lyon-Caen, par exemple, soulignent leurs atouts. Les juges connaissent bien et la pratique et le milieu. Ils rendent, depuis toujours, une justice rapide et peu coûteuse. Enfin, le recours devant la cour d'appel permet de réparer les erreurs éventuelles. Les termes du bilan coût/avantages sont clairement fixés et les flambées de fièvre réformiste puisent, au long du XXe siècle, dans ce répertoire. Ainsi au moment du retour des départements de l'est à la France. En 1871, l'Empire allemand y établissait l'échevinage. Autrement dit, la présence d'un magistrat de carrière chargé de présider la juridiction aux côtés de juges commerçants élus. Malgré le retour, le système perdure et la question se pose de l'étendre à la France entière. Montée de température encore au moment de la préparation des projets de réforme des procédures collectives au début des années 1980. Sous la menace d'une démission collective, le gouvernement temporise, tout comme il le fait chaque fois qu'il redoute plus d'inconvénients que d'avantages à la réforme, même jugée indispensable. Enfin, dans la période la plus récente, une série d'affaires liées, pour l'essentiel, aux procédures collectives, relance les idées de changement. Loin de rechigner, les magistrats consulaires eux-mêmes adhèrent au projet réformiste. La conférence générale des tribunaux de commerce réunie du 23 au 25 oct. 1997 consacre son rapport à la modernisation des juridictions consulaires. L'échevinage constitue le seul point d'achoppement et les magistrats brandissent à nouveau la menace de démission. Malgré tout, l'accord semble pouvoir se faire avec le gouvernement. La constitution d'une Commission

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d'enquête « sur l'activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce » par l'Assemblée nationale dépossède ces deux acteurs. La commission défraie la chronique par ses méthodes. Parallèlement, le ministère des Finances et celui de la Justice désignent une Inspection chargée d'établir un « Rapport sur l'organisation et le fonctionnement des tribunaux de commerce ». Connus l'un après l'autre en juillet 1998, les rapports dressent le tableau des insuffisances de cette institution et suggèrent une série de réformes. Dernier épisode en date, le 14 oct. 1998, le gouvernement rend public « un programme de réforme de la justice commerciale et de l'environnement juridique de l'entreprise ». Il promet la refonte de la carte judiciaire, la « mixité » dans les tribunaux de commerce et la réforme du statut des juges consulaires. Ainsi, les juridictions consulaires ont vécu des siècles d'existence paisible. Entre une droite qui ne trouvait rien à redire à cette justice discrète et une gauche indifférente à ce tribunal de patrons pour les patrons. Car ce qui frappe, au-delà des critiques attendues contenues dans les rapports - depuis un siècle, toujours le même refrain - c'est bien plutôt le désintérêt de l'Etat pour les tribunaux de commerce, voire pour le droit commercial. Le constat étonne à observer combien « l'Etat interventionniste » en matière économique occupe de place dans les discours et les représentations en France (I). Avec l'ouverture des frontières, le retrait de l'Etat du secteur industriel, la question de la réforme de la justice commerciale revient sur l'agenda politique (II). I. Le vil commerce

Par un étrange paradoxe, le capitalisme naît dans la société occidentale chrétienne où s'opposent Dieu et l'argent. Or, ce mépris de la richesse autorise l'épanouissement d'un ordre marchand (A). Par la suite, l'idéologie anticapitaliste devient la forme moderne de ce mépris. L'Etat et sa technocratie y contribuent en réservant leurs faveurs à l'industrie. Mais il se pourrait bien que l'ouverture des frontières renverse les hiérarchies, que, paradoxalement, la « crise » de la justice commerciale sonne la revanche et du commerce et du droit (B).

A) L'ordre marchand La société du Haut Moyen Age promet un destin tragique aux commerçants et aux usuriers, surtout : rôtir dans l'enfer éternel. Jacques Le Goff décrit l'Europe du Xe siècle comme « le monde de la violence sauvage ». L'Eglise tente de faire régner l'ordre par la terreur religieuse et répand l'idéal monastique : le contemptus mundi, le mépris du monde. La société des hommes s'organise en trois ordres. Les paysans assurent la subsistance de tous, les chevaliers les défendent, les clercs les gouvernent et les conduisent au salut. Cette société trifonctionnelle, décrite par Georges Dumézil, exclut tous ceux qui ne produisent pas de biens matériels. Les vieux tabous des sociétés primitives s'ajoutent encore. Tabou du sang, de la saleté ou de l'argent frappant les mercenaires, les prostituées et les marchands. Enfin, un autre critère de classement des professions honorables se fonde sur les sept péchés capitaux. Alors l'avarice condamne le négociant, comme l'homme de loi d'ailleurs, occupé à s'enrichir de la misère d'autrui. L'usurier, capitaliste de demain, connaît un destin particulièrement terrible : la damnation éternelle, car il vend ce qui n'appartient qu'à Dieu : le temps. De même, les « nouveaux intellectuels » de l'époque - en dehors des écoles monastiques ils enseignent à des étudiants dont ils reçoivent un paiement, la collecta - saint Bernard les fustige comme « vendeurs, marchands de mots ». Car ils vendent la science qui, comme le temps, n'appartient qu'à Dieu. La promotion du travail au XIIIe siècle les sauve les uns et les autres. Car les hommes du Moyen Age voient d'abord dans le travail une pénitence, le châtiment du péché originel. Les

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intellectuels, et tout particulièrement l'université de Paris, vont œuvrer au renversement des valeurs. Le travail devient instrument de rachat et de salut. Etonnement, l'opprobre jeté sur l'argent - il laisse ses traces dans les mentalités jusqu'à aujourd'hui - contribue à l'épanouissement d'un ordre marchand. En effet, dans les sociétés traditionnelles, l'économie s'encastre dans le social et l'enrichissement n'est pas un mobile d'action. Les propriétés rendent d'abord des services politiques : pouvoir de juger ou de battre monnaie par exemple ; ou des services sociaux : la possession du domaine noble anoblit ; accessoirement seulement, et comme par surcroît, des services économiques. La révolution de la société de marché va consister à ériger l'économie en sphère autonome du monde social. La haine de l'argent et de l'usurier, le mépris pour le commerce et le marchand contribuent puissamment à cette coupure capitale. L'exclusion hors des professions honorables prédispose à se sentir différent. […] Ainsi va l'histoire. L'ostracisme fulminé par la religion conduit à une autonomie forte des commerçants. Le contemptus mundi, la fascination et la haine pour l'argent marquent des frontières sociales et mentales et des hiérarchies inscrites dans les corps et destinées à perdurer.

B) Quelle crise ? La « crise » traversée par la justice commerciale, ne pourrait-on la lire comme une revanche et du commerce et du droit, du droit commercial en tout cas ? Depuis des lustres, les juristes constatent, et pour beaucoup déplorent, le développement d'un ordre public économique dirigiste. Ils décrivent un Etat omniprésent et tout puissant, diablement interventionniste. Or, les rapports officiels montrent plutôt des pouvoirs publics longtemps indifférents à la justice commerciale et sans grande prise sur le comportement des acteurs. Pour expliquer le paradoxe, il convient de se replacer dans le cadre de l'ouverture de l'économie et du désengagement d'une forme d'Etat, marquant la transition vers une autre forme de régulation. En effet, l'opposition libéralisme/interventionnisme renvoie à des notions trop globales pour qui veut dépasser les discours de propagande à la vertu explicative limitée. Il convient plutôt, avec Pierre Rosanvallon de désagréger cette notion d'interventionnisme et de distinguer trois formes d'Etat moderne. L' Etat souverain, de police ou de défense, pèse déjà sur l'économie ne serait-ce que par l'impôt destiné à financer la guerre. L' Etat protecteur vise à la conservation et ses interventions économiques poursuivent des objectifs sociaux ou politiques. Enfin, l' Etat régulateur de l'économie implique, lui, une politique macro-économique d'organisation industrielle, de contrôle monétaire et d'orientation générale en matière d'évolution des structures. Sous ce dernier aspect surtout, l'Etat s'appuie sur le vieux fonds anticapitaliste de la culture politique française. Depuis la fin du XIXe siècle revient de façon récurrente la dénonciation du malthusianisme patronal ou de l'insuffisante rationalisation de l'industrie française. Cette éthique anticapitaliste trouve un écho particulier dans les milieux de la technocratie. Le clivage moderne/archaïque donne une nouvelle vigueur à l'élitisme capacitaire qui triomphe avec les grandes écoles et permet de légitimer un interventionnisme incarné dans de « grands projets ». Ceux-ci s'inscrivent dans une vision hiérarchisée du tissu industriel, distinguant « secteurs de base » et « secteurs dépendants ». L'Etat définit des secteurs stratégiques où il entend jouer un rôle prépondérant et sur lesquels il concentre tous ses moyens. Cette frénésie de grands projets où s'incarnent de grands corps s'explique surtout par le spectacle d'efficacité qu'ils donnent de l'Etat. Il peut quand il veut et il le prouve : Concorde vole et le TGV roule. Peu importe qu'il s'agisse d'opérations non rentables commercialement, elles ne servent pas à ça. Pour les secteurs dépendants, l'Etat passe un compromis avec les professions organisées

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érigées en force d'autorégulation et il laisse survivre les structures existantes, dont les tribunaux de commerce, chargées des petites affaires et des petites restructurations. Mais l'ouverture des frontières provoque la remise en cause de cet arrangement fondé sur une administration de commandement. Or, cette mutation doit beaucoup aux privilégiés d'hier. Car l'ouverture de la France à l'Europe, puis au monde, s'explique largement par la volonté de ses dirigeants. Le détour international permet d'imposer la réforme au pays, réforme refusée par les corporations résistant à l'Etat modernisateur. D'autant qu'une profonde mutation culturelle affecte les rapports entre l'Etat et la société. Le paternalisme protecteur des élites perd sa légitimité, « la fonction publique hautaine et dominatrice est devenue positivement insupportable ». De plus, le commerce international échappe largement à l'Etat-Nation et à ses organisations professionnelles. L'ouverture des frontières rend les arrangements négociés « entre soi » impossibles. En outre, les groupes transnationaux - souvent d'origine américaine - imposent leurs méthodes comptables et juridiques, leurs comptables et leurs hommes de loi. Voilà la chance de la justice comme institution. Les « secteurs dépendants » de l'économie et les juristes tiennent leur revanche. Mais cette résurrection parallèle impose ses contraintes : l'impartialité et la compétence. Il faut juger la justice pour, éventuellement, la conformer à de nouvelles exigences. II. Juger la justice

Les mouvements, rapides et puissants, de l'économie contemporaine rappellent l'affirmation de Joseph Schumpeter : « le processus de destruction créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme ». Or, le droit, régulateur donc conservateur, éprouve des difficultés particulières à saisir le temps et le mouvement. Il se contente alors de définir des objectifs et se défausse sur le juge, tenu de quitter son rôle traditionnel d'arbitre et promu acteur de cette recomposition permanente. Sa mission ne se borne plus à un contrôle de légalité, à l'estimation de la conformité d'un comportement à une règle. Sur délégation du pouvoir politique, il tranche entre des valeurs. Cette mutation déstabilise la justice, sommée d'atteindre des objectifs et non plus de dire le juste dans une situation particulière. L'expertise du travail du juge devient délicate (A) car les valeurs ne s'estiment pas, elles se représentent (B).

A) Expertise ? Quand la loi enseigne des objectifs - « permettre la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi et l'apurement du passif », par exemple, selon l'art. 1er de la loi n° 85-98 du 25 janv. 1985 - l'efficacité devient la valeur cardinale du droit et son évaluation détermine le jugement porté sur lui et sur tous ceux qui en assurent l'application, juge en tête. De ce point de vue, le rapport de la Commission d'enquête de l'Assemblée nationale et celui de l'Inspection conjointe dressent un bilan des insuffisances des tribunaux de commerce et proposent l'un et l'autre l'échevinage. Certaines de ces critiques visent directement les tribunaux et les juges consulaires : le mode de désignation, plus proche d'une cooptation que d'une élection ; le caractère intéressé du dévouement du juge ; l'absence d'indépendance et d'impartialité des juges ; l'insuffisance de formation juridique et de disponibilité. Mais les supports dénoncent aussi des faits qui ne leur sont pas directement imputables : la carte judiciaire d'abord laissant subsister des tribunaux microscopiques ; l'insuffisance des dotations budgétaires ; l'absence de contrôle de la Chancellerie et du Parquet, démunis de moyens suffisants ; enfin, et surtout, l'opacité des procédures collectives - inscrite dans les textes votés par le législateur - et leur faible rendement pour les créanciers. Les résultats de toute cette activité n'offrent rien de très

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nouveau depuis la fin du siècle dernier. Mais les méthodes utilisées leur ont donné un écho particulier. Les membres de la commission parlementaire « ont choisi, non seulement d'entendre tous ceux qui le souhaitaient parmi les professionnels, mais aussi d'aller sur le terrain, de poser des questions, y compris celles qui parfois embarrassent, de soumettre à leurs propres contradictions les auteurs de certaines pratiques contestables et d'engager une véritable recherche de la vérité ». Ce faisant, les enquêteurs adoptent les méthodes du journalisme aux dépens d'une démarche évaluative d'allure plus scientifique. […] Constatons avec Jacques Chevallier que « la rigueur d'une évaluation est toujours aléatoire, en raison de l'enchevêtrement des facteurs, des difficultés d'appréciation des résultats (quels effets privilégier ?), de l'incertitude des objectifs, sur la nature desquels une certaine obscurité est, souvent à dessein, entretenue ». Déplorons toutefois que le travail accompli ne renseigne guère sur ce que devrait être une justice économique dans une démocratie moderne : expertises limitées mais pourtant pas travail inutile.

B) Représentation La rapide évocation des difficultés d'une expertise - dont les auteurs des documents officiels ont certainement conscience - ne doit pas conduire à conclure à l'inutilité de cette littérature. Elle sert à donner une représentation de la justice dans la grande perspective de la modernité occidentale, la distinction public/privé. Les représentations sociales fournissent des images simples d'une réalité sociale complexe, elles aident à comprendre le monde et à y agir. Par l'objectivation elles permettent de transformer une notion abstraite ou un phénomène complexe en une réalité simple et perceptible sous forme imagée. Les représentations, partagées par des groupes plus ou moins étendus, existent à propos de tout : les techniques ; l'économie - la bourse, l'entreprise ou la mondialisation, par exemple - ; la maladie ; les groupes humains ou les professions ; l'Etat et ses institutions. Ces opinions, relativement stables dans le temps et cohérentes dans le contenu, servent de grille de lecture du réel. Elles offrent un cadre de référence pour interpréter la réalité sociale et les situations nouvelles, en favorisant la réduction de l'incertitude. Elles jouent aussi un rôle politique, dans la mesure où elles permettent d'orienter l'action par le jugement, l'appréciation, qu'elles supposent. La « mondialisation » suscite répulsion, angoisse ou scepticisme, voire, au contraire, enthousiasme, attrait ou adhésion. Enfin, elles permettent de définir l'identité des groupes professionnels de façon valorisante en traçant des frontières entre les membres du groupe et les tiers. Les débats autour de la réforme des tribunaux de commerce, au-delà des exigences immédiates, renvoient, implicitement ou explicitement, à la coupure cardinale de nos sociétés occidentales modernes et qui fonde l'Etat, la distinction public/privé. Deux sphères distinctes, séparées par une cloison étanche, formeraient la société. Une sphère privée où l'individu s'épanouit dans l'intimité. La sphère publique concentre les rapports d'autorité et intègre l'ensemble des fonctions de direction et de gestion collective. Chacun des ordres se trouve soumis à des systèmes de valeurs et à des dispositifs normatifs différents. L'intérêt général - principe d'ordre et de totalisation qui permet à la société de réaliser symboliquement, au moins, son unité - commande dans l'ordre public. Les intérêts particuliers s'épanouissent dans la sphère privée. Une ligne de démarcation sépare les deux mondes et des rites de passage de l'un à l'autre, comme l'élection, permettent de la franchir. Le passage dans l'autre monde suppose de comprendre que la légitimité de l'autorité se fonde sur un total désintéressement, que les individus ne s'expriment plus comme personnes privées mais qu'ils s'effacent derrière la fonction de ministre, de professeur ou de juge.

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Or, de ce point de vue, les tribunaux de commerce offrent un arrangement très particulier où se mêlent public et privé au cœur même de la fonction primordiale de l'Etat, la fonction de juger. Cette situation, longtemps jugée constituer l'atout des tribunaux de commerce - lieu de connaissance, d'émergence et de légitimation des pratiques et usages professionnels et de leur accès possible à l'univers de la norme - est aujourd'hui objet de critique en raison, notamment, du déséquilibre que l'importance des intérêts économiques en jeu peut provoquer. Les rapports soulignent ainsi ce qu'ils dénomment le caractère de « survivance archaïque des charges publiques offertes par la royauté à des commerçants soucieux d'administrer en leur sein leurs affaires et leur propre déconfiture » et les « méthodes ancestrales » des juges. Ils dénoncent donc une série de pratiques qui méprisent la dichotomie cardinale. Ainsi le rite de passage de l'élection se trouverait perverti par « la cooptation » ; les magistrats consulaires importent de l'entreprise « la culture hiérarchique » ; les rouages de cette justice « obéissent à une logique d'entreprise privée » ; et, surtout, ce mélange provoque une « confusion des intérêts » aux dépens de « l'impartialité » (les exemples de cette dénonciation foisonnent dans les deux rapports). Les juges consulaires auraient beau jeu de répondre que l'exemple vient de haut. Que l'Etat régulateur de l'industrie se fait entrepreneur et que l'ensemble des agents économiques publics et privés donne parfois l'exemple de la confusion des ordres et des intérêts. Mais le fait que cette confusion intervienne dans un espace social, la justice, conçu comme neutre, distant des intérêts sociaux - de l'argent ou de la politique - constitue, pour les tribunaux de commerce, un facteur aggravant : l'ensemble du champ juridique court le risque d'une déstabilisation. Car l'organisation hiérarchique des professions du droit - du plus intéressé au plus théorique - contribue au mécanisme de coupure entre le privé, lieu de conflits d'intérêts privés, et le public où émerge l'intérêt général. Mais en même temps chacune de ces catégories d'agents se trouve reliée aux autres « par une chaîne de légitimité qui arrache ses actes au statut de violence arbitraire ». Avec la recomposition de l'économie mondiale, conséquence de l'ouverture des frontières, cette « chaîne de légitimité » se trouve partout contestée. Le droit et les professionnels des faillites connaissent partout bouleversement ou remises en ordre. A travers ces rapports, se trouve affirmée la nécessité de rétablir, à propos de la justice économique, la rigueur de cette dichotomie. A l'Etat et à ses agents, la fonction de juger. Aux acteurs privés - créanciers et débiteurs mais aussi professionnels de la gestion et notamment cabinets d'audit - la mise en œuvre du redressement, du retour de l'entreprise et du marché. Ainsi, derrière l'entreprise apparente de restauration de la rigueur de la justice, se profile la mise en place d'un véritable marché des entreprises en difficulté, marché que les grands groupes d'audit, en particulier, cherchent à investir. La spécificité française, se rapprocherait ainsi, par des chemins détournés, de la norme anglo-saxonne. Mais aucune uniformité n'émerge au plan international, au contraire. Si, en Grande-Bretagne, on assiste au renforcement des spécialistes des faillites, experts comptables souvent, et à la privatisation des affaires de moindre importance, aux Etats-Unis, en revanche, les pouvoirs des juges s'accroissent et l'administration prend en charge la gestion des faillites de peu d'ampleur. Au demeurant, ces réformes produisent souvent pour seul effet de déplacer les difficultés. Ainsi en Grande-Bretagne, experts comptables et cabinets d'audit choquent par l'énormité de leurs honoraires et par la confusion des rôles de comptable et de liquidateur qu'ils assument. Il faut donc conclure de façon optimiste, avec Georg Simmel, que si les conflits sociaux divisent, ils rassemblent aussi car ils constituent une force fondamentale et positive de toute socialisation. Si ces rapports officiels redisent officiellement la norme : la dichotomie public/privé, l'effectivité de cette représentation n'est pas l'essentiel. L'important c'est de permettre à leurs

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auteurs de marquer les distances. De restaurer l'ordre symbolique qui éloigne le droit et l'aristocratie du droit des intérêts matériels jugés avilissants. Mais dans cette tâche, il importe de ne pas méconnaître la recomposition réelle en cours de ces intérêts matériels, l'exigence d'acteurs nouveaux et la modification profonde des « marchés » en cause.

Document n° 2 Cass. com., 10 juin 1997, n° 94-12316 : D. 1998, p. 2, note F.

Labarthe et F. Jault-Seseke (extrait). La Cour de cassation : Sur le moyen unique : Vu l'article 631 du Code de commerce ; - Attendu qu'est inopposable à un défendeur non commerçant une clause attributive de compétence au tribunal de commerce ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Société d'importation et de compensation (SIC) a assigné M. Yves X... en paiement d'une somme représentant le prix de cession de droits d'exploitation d'une plantation d'ananas située en Côte d'Ivoire, qui lui auraient été cédés par convention du 24 août 1990 ; que M. X... a décliné la compétence du tribunal de commerce de Marseille au profit des juridictions civiles d'Abidjan, en soutenant que la clause du contrat attribuant compétence à cette juridiction devait être écartée puisque lui-même n'était pas commerçant ; que le Tribunal s'est déclaré compétent ; - Attendu que, pour rejeter le contredit formé par M. X..., la cour d'appel a retenu que la clause attribuant compétence au tribunal de commerce était valable, dès lors que l'une au moins des parties était commerçante, et que le litige ne relevait pas de la compétence exclusive d'une autre juridiction ; - Attendu qu'en se prononçant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;- Par ces motifs : Casse et annule. Note : La validité des clauses attribuant compétence au tribunal de commerce, en présence d'un acte mixte, soulève depuis longtemps des interrogations. L'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 10 juin 1997 formule une solution de principe qu'il est intéressant de relever. La société d'importation et de compensation (SIC) a cédé des droits d'exploitation d'une plantation d'ananas située en Côte d'Ivoire à M. Benet, par convention du 24 août 1990, laquelle contenait une clause attributive de compétence au Tribunal de commerce de Marseille. C'est donc en vertu de celle-ci que la SIC y assigna M. Benet en paiement du prix. Ce dernier déclina la compétence du tribunal de commerce au profit des juridictions civiles d'Abidjan. Il soutenait que la clause devait être écartée, n'étant pas lui-même commerçant. Le tribunal de commerce ne fit pas droit à son exception et la cour d'appel rejeta le contredit entrepris. Selon cette dernière, « la clause attribuant compétence au tribunal de commerce était valable, dès lors que l'une au moins des parties était commerçante et que le litige ne relevait pas de la compétence exclusive d'une autre juridiction ». Sur pourvoi de M. Benet, la Cour de cassation cassa la décision au visa de l'art. 631 c. com. Elle jugea « qu'est inopposable à un défendeur non commerçant une clause attributive de compétence au tribunal de commerce ». C'est donc avec une certaine fermeté que la Cour de cassation exclut la validité d'une clause attribuant compétence au tribunal de commerce opposée à un non-commerçant. Cette solution semble conforme, en droit interne, aux souhaits d'une partie importante de la doctrine (I). En revanche, elle peut paraître plus surprenante au regard du droit international privé. En effet, les données de l'espèce font apparaître, non un litige de droit interne, mais de droit international. Le défendeur est domicilié à l'étranger, et le contrat dont l'exécution est litigieuse est international par son objet, la cession des droits d'exploitation d'une plantation d'ananas située en Côte d'Ivoire. Or on affirme généralement que, dans les rapports

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internationaux, les clauses attributives de juridiction sont valables. C'est la raison pour laquelle, malgré l'absence de toute discussion sur ce point dans l'arrêt, l'aspect international du litige mérite de retenir aussi notre attention (II). I) En droit interne Alors que l'art. 48 NCPC consacre l'interdiction des clauses attributives de compétence territoriale, sauf entre commerçants, les clauses ratione materiae n'ont pas fait l'objet de réglementation, si ce n'est en ce qui concerne la prorogation de quantitate ad quantitatem prévue par l'art. 41 du même code. Il est cependant reconnu d'une manière générale que les clauses attributives de compétence d'attribution sont nulles car contraires à l'ordre public. Si le point est certain en ce qui concerne les prorogations relatives à l'ordre et au degré de juridiction, cela est plus complexe en réalité lorsque la prorogation a trait à la nature des juridictions. Dans cette hypothèse, la majorité de la doctrine considère que de telles conventions ne sont pas permises, exception faite de celle autorisée par l'art. 41 et, éventuellement, des clauses attribuant compétence au tribunal de commerce insérées dans un acte mixte. La Cour de cassation apporte une limite à cette validité dans ce dernier cas. Si la solution donnée est claire (A), elle laisse quelques interrogations en suspens (B). A/ En jugeant « qu'est inopposable à un défendeur non commerçant une clause attributive de compétence au tribunal de commerce », la Cour de cassation adopte une position ferme, de nature à satisfaire une partie de la doctrine qui depuis longtemps préconise une telle solution. Le raisonnement est le suivant. En présence d'un acte mixte, il existe une option de compétence, laquelle option ne figure pas dans le code civil mais est admise tant par la doctrine que par la jurisprudence. Seul le non-commerçant a le choix entre les juridictions civile ou commerciale. La doctrine a donc admis par la suite qu'une prorogation conventionnelle était valable lorsque ce dernier était demandeur, la clause ne dérogeant pas vraiment à la compétence du tribunal de commerce, celui-ci étant éventuellement compétent. Il y aurait simple renonciation à l'option. En revanche, une clause attributive ne saurait être admise lorsque le défendeur est civil, la juridiction civile étant normalement seule compétente. La jurisprudence, déjà ancienne car les arrêts sont à notre connaissance peu nombreux en la matière, s'est montrée beaucoup plus hésitante. Il a été jugé que « dans les conventions de caractère civil pour une partie et commercial pour l'autre, la partie non commerçante peut valablement s'engager, pour les litiges où elle serait demanderesse, à n'assigner que devant la juridiction commerciale ». D'autres arrêts ont cependant admis la validité des clauses attribuant compétence au tribunal de commerce lorsqu'ils étaient opposés à un défendeur non commerçant. L'arrêt étudié est à rattacher au premier courant. La solution est toutefois formulée de manière plus précise. Autrefois, elle ne s'induisait souvent que d'une lecture a contrario des arrêts admettant la validité de la clause lorsque le non-commerçant est demandeur, alors que l'arrêt énonce le caractère inopposable d'une telle clause. Demeurent toutefois des interrogations, notamment en ce qui concerne le fondement d'une telle inopposabilité. B/ L'arrêt est rendu au visa de l'art. 631 c. com. qui fixe la compétence d'attribution des tribunaux de commerce. Doit-on en déduire que celui-ci est d'ordre public ? On sait que les règles de compétence d'attribution sont généralement considérées comme telles. En conséquence, les parties ne sauraient y déroger. La décision est en ce sens, mais elle n'affirme pas le caractère d'ordre public de l'art. 631. Il faut dire que, « si les règles relatives au

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fonctionnement de la justice sont souvent d'ordre public, la jurisprudence ne fait appel à ce qualificatif qu'avec beaucoup de modération ». Les juges du fond, quant à eux, ont considéré que l'ordre public n'était pas ici en cause. Selon ces derniers, à partir du moment où l'une des parties était commerçante et que le litige ne relevait pas de la compétence exclusive d'une autre juridiction, la clause était valable. L'acte ayant un caractère partiellement commercial, le tribunal de commerce pouvait se déclarer compétent. A s'en tenir aux termes de l'art. 92 NCPC, toutes les règles de compétence d'attribution ne seraient pas d'ordre public. En effet, il est énoncé que « l'incompétence peut être prononcée d'office en cas de violation d'une règle de compétence d'attribution lorsque cette règle est d'ordre public... ». Le tribunal de commerce ayant vocation à connaître des affaires mixtes (encore que l'art. 631 n'évoque pas ce point, employant au contraire le pluriel pour désigner marchands et négociants), si l'ordre public n'est pas en jeu, alors on peut admettre renonciation de la part du défendeur à être jugé par un tribunal civil. La Cour de cassation a réfuté cette manière de voir. Il faut alors peut-être comprendre l'art. 92 différemment. Un auteur explique ainsi que, dès lors qu'elles ne sont pas exclusives, les règles de compétence d'attribution ne seraient pas d'ordre public à l'égard du tribunal de grande instance, mais le seraient à l'égard des autres juridictions. En d'autres termes, on pourrait déroger en faveur du tribunal de grande instance mais non des juridictions d'exception. Autre conséquence du caractère d'ordre public de l'art. 631 c. com., le juge pourrait soulever d'office son incompétence. Doit-on dès lors admettre en la matière que le défendeur ne puisse renoncer à se prévaloir de cette incompétence ? On sait qu'il s'agit pour le juge d'une faculté et non d'une obligation, mais s'il le fait contre la volonté du défendeur, la question est alors de savoir si sa décision pourra être ou non sanctionnée. La réponse est bien incertaine car une fois le litige né, et à défaut de compétence exclusive, on voit mal pour quelles raisons interdire au plaideur une telle renonciation. L'intérêt semble ici davantage privé que public. Quant à la jurisprudence, elle semble admettre la prorogation volontaire de compétence. Une fois encore, on se rend compte qu'il est difficile de déterminer si l'art. 631 est d'ordre public ou non. La prudence voudrait que l'on s'en abstienne, voir que l'on conclue négativement. L'ennui, c'est que l'inopposabilité de la prorogation conventionnelle se justifie dès lors moins bien, à défaut de texte en ce sens. Il faudrait alors admettre, comme le proposent des auteurs, que, d'une manière générale, est exclue toute clause attributive de compétence, hormis celle prévue à l'art. 41, al. 1er, NCPC. Toutefois, la Cour de cassation ne pose le principe d'inopposabilité qu'à l'égard du défendeur non commerçant, alors qu'elle aurait pu généraliser davantage. La doctrine explique cette dichotomie par l'option dont dispose le demandeur, à laquelle il pourrait valablement renoncer. Si l'on comprend en théorie cette position, on éprouve quelque difficulté à la saisir en pratique. Que le non-commerçant soit demandeur ou défendeur, si l'on estime qu'il doit être protégé, alors pourquoi ne pas le faire dans les deux hypothèses ? La Commission des clauses abusives ne s'y est pas trompée puisqu'elle recommande de tenir ces clauses comme abusives, recommandation (n° 91-02) qui ne vaut, on le sait, que pour les consommateurs, non pour les professionnels comme en l'espèce. L'interdiction des clauses attributives de compétence territoriale plaide également en faveur d'une prohibition généralisée. A défaut, il faut aujourd'hui se demander pour déterminer la valeur d'une clause prorogeant, par exemple, la compétence du Tribunal de commerce de Marseille, si le non-commerçant est défendeur ou demandeur, ce que l'on ne saura par définition qu'a posteriori, puis éventuellement s'il est ou non consommateur. Enfin, la clause pourra être écartée en ce qui a trait à la compétence territoriale et validée pour la compétence d'attribution. Un régime unifié serait souhaitable.

Document n° 3

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Cass. 2e civ., 15 février 2001, n° : D. 2001, p. 2780, note N. Rontchevsky La Cour de cassation : Sur le moyen unique : Vu les articles 1474 et 1484 du nouveau Code de procédure civile ; - Attendu que l'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit à moins que, dans la convention d'arbitrage, les parties ne lui aient conféré mission de statuer comme amiable compositeur ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que M. et Mme X... ont cédé à la société Elmac Jean Halbout, à laquelle s'est substituée la société Matenec, des actions composant le capital social de la société X..., par un protocole comportant une garantie de passif et une clause compromissoire investissant les arbitres d'une mission d'amiable composition ; que, des difficultés étant survenues entre les parties, les époux X... ont mis en œuvre une procédure d'arbitrage ; que les arbitres, statuant comme amiables compositeurs, ont déclaré irrecevable l'action en annulation de la cession au regard des règles légales tirées de la prescription et de l'autorité de la chose jugée ; - Attendu que, pour déclarer irrecevable le recours en annulation contre la sentence arbitrale l'arrêt retient que, si l'amiable compositeur peut s'affranchir de la règle de droit, il n'en a pas l'obligation ; - Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les arbitres, statuant comme amiables compositeurs, s'étaient prononcés sur la demande d'annulation exclusivement par application des règles de droit, sans s'expliquer sur la conformité de celles-ci à l'équité, ce qu'exigeait la mission qui leur avait été conférée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; - Par ces motifs : Casse et annule. Note : 1 - S'il est rare que les parties à un litige usent de la faculté offerte par l'art. 12, al. 3, NCPC de donner au juge étatique les pouvoirs d'amiable compositeur (faculté qui est qualifiée d'« arbitrage judiciaire ») (1), il est en revanche fréquent qu'une convention d'arbitrage confère à l'arbitre la mission de statuer en amiable composition (2). Il a d'ailleurs été souligné que la distinction opérée par le droit français (cf. art. 1474 NCPC) entre l'arbitrage de droit et l'amiable composition est telle qu'elle conduit à une véritable dualité de l'arbitrage (3). 2 - Les pouvoirs de l'arbitre amiable compositeur n'étant pas définis par la loi, ils sont un peu mystérieux. L'amiable composition a ainsi été qualifiée d'« auberge espagnole » (4). Ses contours ont cependant été précisés par la doctrine. Selon une analyse désormais classique et consacrée par la jurisprudence (5), la clause d'amiable composition confère à l'arbitre un pouvoir particulier car elle constitue une renonciation conventionnelle aux effets de la règle de droit : les parties abandonnent à l'arbitre les droits subjectifs nés de la relation litigieuse dont elles peuvent disposer (6). On déduit de ce pouvoir d'écarter la règle de droit que l'arbitre amiable compositeur a pour mission de trancher le litige en équité. 3 - « Pointe la plus aiguë de la justice concrète » (7), l'équité donne prépondérance aux circonstances d'espèce (8). L'amiable compositeur peut ainsi écarter, le cas échéant, la solution résultant de l'application stricte de la règle de droit lorsque les circonstances l'exigent. L'amiable composition apparaît donc comme un « correctif » (9) dans la mesure où elle suppose d'abord de déterminer et d'apprécier la solution juridique afin d'envisager, ensuite, si une correction doit s'opérer. Autrement dit, l'arbitre peut modérer, voire mettre à l'écart la règle de droit si elle conduit à une solution qui est contraire à son sentiment de l'équité. 4 - En matière contractuelle, l'amiable composition implique la reconnaissance à l'arbitre d'un pouvoir modérateur sur les obligations litigieuses (10). Bref, la liberté qui caractérise d'une manière générale l'arbitrage est ici « poussée à son paroxysme » (11). 5 - La place exacte de l'équité dans l'amiable composition a cependant été discutée et peut être source de confusion. A cet égard, l'arrêt rapporté, rendu par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation le 15 févr. 2001 (12), a le mérite d'être le premier à affirmer aussi clairement que l'arbitre investi des pouvoirs d'amiable compositeur manque à sa mission en ne confrontant pas à l'équité les solutions résultant de l'application de la loi ou du contrat.

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6 - En l'occurrence, une clause compromissoire en amiable composition avait été stipulée dans un protocole de cession de droits sociaux comportant une garantie de passif, matière dans laquelle elle est usuelle (13), même si les parties n'en perçoivent pas toujours la signification. Un différend étant apparu, les cessionnaires ont mis en œuvre la procédure d'arbitrage et ont demandé l'annulation de la cession. Les arbitres ont rejeté cette demande en déclarant l'action irrecevable aux motifs qu'elle était prescrite et heurtait l'autorité de la chose jugée. La Cour d'appel d'Aix-en-Provence a déclaré irrecevable le recours en annulation dirigé contre la sentence arbitrale en considérant que l'amiable compositeur pouvait s'affranchir de la règle de droit, mais n'en avait pas l'obligation. Cette motivation est censurée par la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation sous le visa des art. 1474 et 1484 NCPC au motif « qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les arbitres, statuant comme amiables compositeurs, s'étaient prononcés sur la demande d'annulation exclusivement par application des règles de droit, sans s'expliquer sur la conformité de celles-ci à l'équité, ce qu'exigeait la mission qui leur avait été conférée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ». 7 - Ce disant, la Haute Juridiction pose un principe selon lequel l'amiable compositeur a l'obligation de confronter à l'équité la solution tirée de l'application de la règle de droit. L'affirmation de cette obligation de statuer en équité (I) invite à en préciser la portée et à bien cerner la mission de l'amiable compositeur (II). I - L'affirmation de l'obligation de statuer en équité 8 - La Cour de cassation avait déjà jugé que l'arbitre qui statue en amiable composition en l'absence d'une clause en ce sens ne statue pas conformément à sa mission, de sorte que sa sentence doit être annulée (14). On pouvait en déduire que, symétriquement, l'arbitre qui a été investi des pouvoirs d'amiable compositeur méconnaît sa mission en n'en faisant pas usage et en statuant exclusivement en droit. Plusieurs arrêts d'appel avaient du reste déjà considéré que l'amiable compositeur ne devait pas se référer exclusivement aux règles de droit mais avait l'obligation de vérifier que la solution résultant de leur application était conforme à l'équité, sauf à encourir l'annulation de sa sentence (15). De plus, un arrêt de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation du 29 nov. 1995 (16) avait également affirmé que « statuant en qualité d'amiables compositeurs, les arbitres n'ont pas l'obligation de statuer uniquement au regard de l'équité », ce qui laissait déjà entendre qu'ils avaient l'obligation de se référer, au moins partiellement, à l'équité dans leur décision. 9 - L'arrêt commenté ne laisse plus aucun doute à ce sujet, le visa de l'art. 1484 NCPC (qui énumère les cas dans lesquels un recours en annulation peut être formé contre une sentence arbitrale) soulignant bien que l'arbitre amiable compositeur ne se conforme pas à la mission qui lui avait été conférée lorsqu'il ne fait pas intervenir l'équité dans sa décision et encourt, à ce titre, l'annulation de sa sentence. On ne saurait dire plus clairement que l'examen du litige sous l'angle de l'équité participe de la mission de l'amiable compositeur. Le lien entre l'amiable composition et l'équité est ainsi expressément consacré. 10 - Rendue sur le fondement des textes relatifs à l'arbitrage interne (art. 1474 et 1484 NCPC), la solution a vocation à être étendue à l'amiable compositeur statuant dans le cadre d'un arbitrage international (art. 1497 NCPC). Elle pourrait ainsi nourrir considérablement le contentieux postarbitral suscité par les recours en annulation exercés contre les sentences rendues en amiable composition (17) qui devront désormais être annulées lorsqu'il apparaîtra que les arbitres n'ont pas fait intervenir des considérations d'équité dans leur décision. La portée exacte de l'obligation de statuer en équité suscite cependant des interrogations et appelle des précisions. II - La portée de l'obligation de statuer en équité

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11 - L'arrêt commenté met en évidence l'« ambiguïté » (18) de la formule selon laquelle l'amiable composition n'est pour l'arbitre qu'une simple faculté de statuer en équité (19), mais ne la rend pas inexacte. A cet égard, un éminent spécialiste de l'arbitrage a souligné de longue date que « juger en amiable composition correspond tout à la fois à une faculté : statuer contra legem, et à un devoir : éliminer l'iniquité » (20). Ainsi, l'amiable compositeur ne s'affranchit pas de sa mission en retenant la solution dictée par la stricte application de la règle de droit si celle-ci correspond à sa conception de l'équité. Autrement dit, l'amiable composition n'impose pas à l'arbitre d'écarter ou de modérer l'application de la règle de droit lorsque celle-ci ne lui apparaît pas conduire, en l'espèce, à une solution inéquitable. L'amiable composition suppose seulement que l'arbitre justifie alors par des considérations d'équité sa décision de s'en tenir à l'application de la règle de droit. 12 - L'arbitre statuant en droit et l'arbitre statuant en amiable composition ont ainsi un « long bout de chemin à faire ensemble » (21) puisqu'ils doivent tous deux déterminer la solution dictée par la règle de droit, l'amiable compositeur ayant ensuite le devoir d'infléchir le cas échéant le jeu de celle-ci pour chasser l'iniquité. La plupart des sentences rendues en amiable composition prennent soin au demeurant de se référer à des règles de droit et ne les écartent que lorsque leur application normale engendrerait des conséquences excessives. Le risque d'arbitraire que l'on attache souvent à l'équité se réalise ainsi rarement car les amiables compositeurs usent souvent de leur pouvoir pour rendre une décision équilibrée qui ménage les intérêts des différentes parties en présence, à moins, bien sûr, que l'une ait manifestement tort et l'autre manifestement raison (22). 13 - Cela étant, l'amiable compositeur dispose d'une très grande liberté et d'un pouvoir modérateur plus étendu que celui que la loi donne parfois au juge étatique ou à l'arbitre statuant en droit (cf. art. 1135 et 1152, al. 2, c. civ. (23)), sauf à ce que les parties aient limité la portée de l'amiable composition à certains droits. Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt commenté, les arbitres auraient ainsi pu écarter la prescription extinctive, à condition toutefois que les pouvoirs d'amiable composition leur aient été conférés après l'écoulement du délai de prescription (cf. art. 2220 c. civ.) (24). 14 - Le devoir de l'amiable compositeur de statuer en équité et de composer avec le droit connaît cependant des limites. D'une manière générale, l'amiable compositeur est tenu de respecter des règles d'ordre public de fond et de procédure (cf. art. 1484, 6°, NCPC). Il est ainsi notamment assujetti à l'obligation de motivation et aux principes directeurs du procès, et il doit en particulier respecter le principe de la contradiction (25). Il est également lié par la chose précédemment jugée entre les parties (cf. art. 1351 c. civ.), à moins que la convention d'arbitrage l'ait invité à statuer à nouveau sur ce qui avait déjà été jugé (26). 15 - Dans le domaine contractuel, le pouvoir modérateur de l'amiable compositeur lui permet certes de remettre en cause, dans une certaine mesure, la force obligatoire d'un contrat, mais il ne peut pas en modifier la nature en substituant « aux obligations contractuelles des obligations nouvelles ne répondant pas à l'attente des parties » (27). On en déduit que c'est la notion de « bouleversement de l'économie contractuelle » qui permet de délimiter ses pouvoirs sur le contrat (28). 16 - En dépit de ces limites, les pouvoirs attribués aux arbitres par la clause d'amiable composition sont considérables et ont conduit à juste titre à s'interroger sur le point de savoir si l'arbitre n'avait alors à vérifier la conformité de sa décision à l'équité qu'en cas de conclusions en ce sens de l'une des parties (29). Le rattachement de l'obligation de statuer en équité à la mission de l'amiable compositeur conduit la Cour de cassation à admettre implicitement que celui-ci doit d'office faire usage de ses pouvoirs (30). 17 - La question se pose alors de savoir dans quelle mesure une sentence arbitrale rendue en amiable composition doit se référer à l'équité. On ne saurait à notre sens exiger des amiables

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compositeurs qu'ils multiplient dans leurs sentences les considérations d'équité sur chaque question litigieuse. Il ne devrait du reste même pas être nécessaire que l'équité soit expressément visée dans la sentence dès lors qu'il apparaît qu'elle est intervenue dans l'élaboration de la décision et que les arbitres ont ainsi statué conformément à leur mission (31). Cela étant, ce qui va sans dire va mieux en le disant et l'arrêt commenté devrait inciter les amiables compositeurs à insérer dans leurs sentences des motifs d'équité soulignant qu'ils ont fait usage de leur pouvoir particulier. 18 - En définitive, l'arrêt commenté s'inscrit dans un mouvement qui tend à conférer un rôle croissant à l'équité, notamment dans le droit des contrats (32). A l'heure où le législateur étend le domaine de la clause compromissoire (33) et où la jurisprudence rend la circulation des conventions d'arbitrage « toujours plus fluide » (34), il constitue une contribution importante au régime de l'amiable composition dont il renforce la spécificité. Si celle-ci présente d'incontestables attraits, elle est un appel à l'exercice du devoir de conseil par les praticiens qui rédigent les clauses d'arbitrage.

Document n° 4 J. Paillusseau, « Le droit des activités économiques à l’aube du

XXI e siècle » : D. 2003, p. 260 (extrait) 1 - Jamais, dans l'histoire de l'humanité, le monde ne s'est transformé aussi rapidement et aussi profondément qu'au siècle dernier. Deux guerres mondiales ! Mais, c'est surtout dans les cinquante dernières années qu'il s'est réellement métamorphosé. Les révolutions techniques et technologiques en sont la cause principale. Elles ont totalement changé le monde, qu'il s'agisse de la radio, de la télévision, de l'aviation, de l'électronique, de l'informatique, de la génétique, des satellites, de l'internet, des méthodes d'organisation et de management des entreprises, etc. Leurs conséquences sont innombrables. Elles ont permis la circulation de masse des personnes à travers le monde, celle des biens, des services et des capitaux, les transferts de technologie, le traitement et la circulation de l'information, la diffusion des systèmes de production et de commercialisation, l'internationalisation et la globalisation des entreprises, l'extraordinaire montée en puissance des mass-media, etc. C'est un bouleversement sans précédent ! C'est aussi l'effondrement du communisme et du marxisme, l'essor du libéralisme, l'envolée du capitalisme, l'explosion des marchés financiers (leurs folies et leurs krachs), la constitution de puissances financières impressionnantes (notamment celle des fonds de pension et des fonds d'investissement) qui investissent partout dans le monde, là où s'ouvrent des perspectives de profits. C'est encore la mondialisation et sa contestation ; une évolution profonde de nos sociétés, de nos cultures et de leurs conséquences sociétales. C'est l'affaiblissement du pouvoir et de la souveraineté des Etats. Tout y contribue : la mondialisation avec ses institutions (l'Organisation mondiale du commerce, par exemple) ; la montée en puissance des investisseurs internationaux ; la constitution de communautés, économiques, monétaires et politiques ; la concurrence des nations entre elles pour leur développement, pour attirer les capitaux et les investissements, pour vendre leurs produits et leurs services de manière compétitive aussi bien à l'étranger que sur le territoire national, pour accroître leur productivité et en améliorer les données ; l'interdépendance des Etats dans une société mondialisée. Ce sont autant de facteurs qui limitent l'efficacité de leurs décisions et de leurs actions. Comment ces événements pourraient-ils ne pas avoir d'influence sur le droit ?

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Mais, il y a surtout deux événements majeurs qui ont affecté le droit de manière considérable et irréversible. 2 - Le premier, c'est le développement sans précédent des activités économiques. En France, il est frappant. Partout à travers le monde, on le constate. Il devient planétaire. Les marchés - marchés des biens et des services, marchés financiers et marchés des capitaux - s'affirment à travers le monde de manière extraordinaire. Leur place, leur rôle, leurs fonctions et leurs conséquences ne cessent de s'accroître. Leur développement conduit à l'institution d'autorités de régulation et de contrôle chargées de missions particulières et dotées de pouvoirs spécifiques. La puissance des entreprises « globalisées » impressionne. Le monde est leur champ d'action. Elles peuvent investir et produire n'importe où dans le monde et vendre n'importe où en fonction d'opportunités et de multiples considérations, dont certaines ressortissent au droit, à la fiscalité, au droit social, aux coûts de production. Les relations économiques et financières entre les entreprises s'intensifient constamment. Elles deviennent plus complexes, plus internationales. Les entreprises s'organisent en réseaux de nature très variée. 3 - Les conséquences sur le droit de cette nouvelle situation sont considérables. La conséquence principale est, sans doute, qu'il est indispensable qu'il y ait une adéquation entre l'économie et le droit. Elle est impérative, qu'il s'agisse de l'organisation juridique des entreprises et des groupes d'entreprises. Qu'il s'agisse, aussi, de l'organisation juridique des relations économiques et financières entre les entreprises, de l'exploitation des droits de propriété intellectuelle et industrielle, de l'organisation des entreprises en réseaux de nature très diverse (concession, franchise, etc.) et, plus généralement, de la grande variété des modes de production et de distribution. Qu'il s'agisse, encore, de l'organisation juridique des joint-ventures, des filiales communes et des coopérations diverses. Qu'il s'agisse, enfin, de l'organisation juridique des marchés ainsi que des multiples autorités de régulation et de contrôle, nationales et internationales. 4 - Une deuxième conséquence est la mise en concurrence des droits entre eux (avec parfois des risques d'alignement par le bas). Les entreprises qui ont la possibilité de localiser leurs opérations dans différents endroits du monde vont tenir compte de l'état des droits pour effectuer leur choix. Indépendamment des avantages particuliers que les droits peuvent leur offrir, elles vont exiger que les règles juridiques qui vont régir leur vie et leurs opérations soient accessibles (une loi unique est préférable à des dispositions éparpillées dans une multitude de textes), lisibles (que les dispositions soient écrites dans une langue accessible), compréhensibles (que leur sens soit immédiatement perceptible), cohérentes (qu'elles ne se contredisent pas), adaptées (aux besoins en organisation juridique des entreprises, de leur structure, de leur fonctionnement et de leurs opérations), efficaces (notamment en sanctionnant la violation des obligations), stables (particulièrement quand elles investissent à moyen et à long terme) et qu'elles offrent la sécurité juridique nécessaire. 5 - La société a, elle aussi, des exigences à l'égard du droit et des règles juridiques. Pour une part, ce sont les mêmes que celles que recherchent les entreprises. Mais, pour une autre part, essentielle, c'est que les intérêts collectifs et individuels soient protégés. Tel est le cas, mais pas seulement, en matière de consommation, d'environnement, de santé et de sécurité. Le droit doit tenir compte des intérêts légitimes des uns des autres.

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6 - Une autre conséquence est aussi la diffusion à travers le monde des techniques, mécanismes et montages juridiques. Il est évident qu'à partir du moment où les entreprises rencontrent à peu près les mêmes problèmes dans tous les pays, elles - ou leurs conseils - recherchent naturellement les meilleures solutions pour les résoudre, peu importe que ces solutions soient nationales ou étrangères. C'est le cas, par exemple, des opérations à effet de levier, de la technologie des cessions d'entreprise (cession de contrôle, fusions, scissions, offres publiques), des modalités de financement d'activités, d'opérations et de projet, des pactes d'actionnaires, des opérations boursières, etc. Bien sûr, dans chaque pays, ces techniques, mécanismes et montages doivent être adaptés au droit national, mais bien des opérations sont réalisées dans des conditions similaires si ce n'est identiques pour certaines d'entre elles. 7 - On peut enfin observer que dans l'adaptation du droit à la complexité des activités économiques, c'est la pratique qui invente les nouveaux montages, les nouvelles manières de faire. En France, cette création juridique s'épanouit dans le cadre de la liberté contractuelle. Ces nouveaux montages et ces nouvelles manières de faire sont ensuite validés par le législateur ou, le plus souvent, par les tribunaux. Parfois même, et de manière croissante, le fond des litiges échappe aux tribunaux quand ils sont soumis à l'arbitrage en amiable composition et que les arbitres ont pour mission de juger en équité. Une partie importante du droit moderne des affaires est née de cette manière. 8 - Le second événement, c'est la constitution d'unités économiques et monétaires ainsi que la réalisation d'espaces juridiques communs à des blocs de pays. L'Europe a donné l'exemple en créant un marché commun par le traité de Rome du 25 mars 1957. Par l'Acte unique européen, elle s'est fixé comme objectif, en 1985 et en 1987, de réaliser un marché unique avant le 31 décembre 1993. Puis, par le traité de Maastricht du 7 février 1992, elle a créé l'Union européenne. Les pères fondateurs de l'Europe ont compris qu'un marché commun ne pouvait fonctionner que si les divers pays qui le composent ont, sinon un droit unique, au moins un droit harmonisé dans des domaines essentiels des activités économiques. Aussi ont-ils, par exemple, imposé une harmonisation du droit des sociétés commerciales par le moyen de directives. Dans certains domaines, il était essentiel que l'Europe ait, elle-même, un droit européen, notamment dans celui de la concurrence et de la concentration. Pour y parvenir ils ont conçu les instruments juridiques indispensables. Ils ont aussi institué une cour de justice. 9 - D'autres unions économiques, ou économiques et monétaires, ont été constituées dans le monde : l'ALENA, entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada ; le MERCOSUR, entre l'Argentine, le Brésil, l'Uruguay et le Paraguay ; l'ASEAN, entre des pays du sud-est asiatique ; le CARICOM, pour les pays des Caraïbes... 10 - L'Afrique a aussi constitué des communautés économiques et monétaires : la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (CEMAC) pour les Etats d'Afrique du centre et l'Union économique et monétaire de l'ouest de l'Afrique (UEMOA) pour les Etats d'Afrique de l'ouest. Toutefois, la réalisation la plus remarquable est celle de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (l'OHADA). […] 11 - Nous sommes aussi très dépendants d'autres conventions ou organisations. Tous les jours, on constate l'influence grandissante de la Convention européenne de sauvegarde des droits de

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l'homme et des libertés fondamentales et de la Cour de Strasbourg. Bien qu'elle soit moins visible, notre existence est aussi affectée par les décisions de l'Organisation mondiale du commerce. 12 - Que de bouleversements dans l'univers économique, social, politique et juridique ! Que de conséquences sur le droit ! La première est, certainement, l'émergence irrésistible et irréversible du droit des activités économiques ! Le XIXe siècle était celui du droit commercial. Les premières décennies du XXe siècle ont encore été celles du droit commercial. Puis, dans la seconde moitié du siècle, ce sont le droit des affaires, le droit de l'entreprise et le droit économique qui ont émergé et se sont affirmés. Ce ne sont que des aspects du droit des activités économiques. Il s'affirmera au XXIe siècle. Déjà, il est présent partout, même s'il n'est pas toujours perçu et identifié en tant que tel. Le cloisonnement des disciplines juridiques, le « compartimentage » du droit et la spécialisation des juristes s'opposent à l'appréhension d'une vision globale de son existence et de son unité. Ce n'est pas une notion purement nationale, le droit des activités économiques est aussi européen et international. Dans tous les pays, il émerge et s'affirme dans toutes ses dimensions. 13 - Mais d'abord, qu'est exactement le droit des activités économiques aujourd'hui ? Envisagé d'une manière très générale, il comprend le droit des marchés (marchés des produits, des services, des capitaux et de la finance), celui des relations entre les entreprises (contrats et réseaux dans leur grande diversité), et celui des acteurs de l'activité économique (les entreprises, les sociétés, leur organisation juridique). Ainsi, pour la France, la plus grande partie des contenus du code de commerce et du code monétaire et financier, par exemple, entre dans son domaine. 14 - Le droit des activités économiques constitue-t-il une branche du droit ? On peut en douter. Il semble qu'il ne soit ni une branche du droit, ni une nouvelle discipline juridique. C'est un système de droit, un système original de droit. 15 - Le droit, c'est en premier lieu le droit commun, dont le cœur, au moins dans le droit privé, est le droit civil, avec les parties essentielles relatives au droit des personnes, au droit des obligations et au droit des contrats. Aussi est-ce la raison pour laquelle le droit commercial a été considéré comme un droit d'exception. Un droit destiné à poser un certain nombre de règles particulières qui, par dérogation au droit civil, s'imposent dans la vie des affaires pour satisfaire les besoins spécifiques du commerce comme ceux, par exemple, du crédit, de la rapidité des opérations et de la publicité. 16 - Le droit des activités économiques est par essence différent. L'une de ses caractéristiques fondamentales est sa fonction organisationnelle. Elle est primordiale. Ici, le rôle premier du droit est d'organiser, sur le plan juridique, certains aspects essentiels des activités économiques et des acteurs des activités économiques (principalement les entreprises). Une autre caractéristique fondamentale, c'est l'objet de l'organisation juridique. Il est principalement constitué par les marchés des produits, des services et des capitaux, les marchés financiers, les relations entre les entreprises, et les acteurs de l'activité économique. Cet objet fonde l'unité du droit des activités économiques et lui imprime sa spécificité.

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Il poursuit des finalités, dont certaines sont d'imposer des règles de comportement et le respect de valeurs sociales et sociétales. Mais, d'autres n'ont pour seul objet que la recherche de la meilleure efficacité économique. Il emprunte ses concepts fondamentaux au droit commun. Mais, en s'en emparant, il les transforme. Tel est le cas des concepts de société et de personnalité morale. Il en invente d'autres, celui d'entreprise, de groupes de sociétés ou de régulation par exemple. De la même manière, il emprunte ses techniques au droit commun et surtout au droit des obligations et des contrats. Dans le même temps, il crée sans cesse des techniques nouvelles. Il constitue un ensemble original et cohérent avec une logique propre. C'est un système juridique spécifique. 17 - Comment peut-il alors s'intégrer dans le droit ? Le droit est constitué en système, avec une fonction, une logique, des finalités et une cohérence qui lui sont propres. Le droit des activités économiques constitue un autre système avec, également, une fonction, une logique, des finalités et une cohérence qui lui sont propres. Dans ce cas, l'intégration du droit des activités économiques dans le droit ne peut s'opérer qu'en provoquant un profond bouleversement du système traditionnel de droit. C'est une véritable révolution systémique. Le droit des activités économiques emprunte au droit commun ses concepts, ses notions et ses techniques. Mais, en les utilisant, il provoque, au moins pour certains d'entre eux, leur transformation, voire leur mutation. De plus, il crée de nouveaux concepts, de nouvelles notions et de nouvelles techniques. Là, aussi, c'est une véritable révolution conceptuelle et technique.

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Séance n° 3 Commerçants et non-commerçants

I/ Les commerçants A) Détermination

� L’exercice professionnel d’une activité commerciale. Exemple : Cass. com., 2 février 1970, n° 68-13575 (document n° 1).

� L’exercice personnel d’une activité commerciale. Exemple : Cass. com., 30 mars 1993, n° 91-11560 et 91-11763 (document n° 2).

B) Statut 1° Le RCS

� A propos du cas particulier où la présomption de la qualité de commerçant liée à l’immatriculation au RCS est irréfragable, cf. Cass. com., 9 février 1971, n° 69-13209 (document n° 3).

� Quelle est la situation du commerçant qui ne s’est pas fait immatriculer au RCS ?

2° La comptabilité

� Le rôle de preuve des documents comptables. Exemple : Cass. com., 18 février 1992, n° 89-10673 (document n° 4).

II/ Les non-commerçants A) Les associations

� Cass. com., 19 janvier 1988, Foyer Léo Lagrange, n°85-18443 (document n° 5).

� Cas pratique.

L’Institut musulman de la mosquée de Bretagne (association L.

1901) a ouvert en 2011 un magasin permettant à ceux qui le

souhaitent de se procurer de la viande préparée selon les

préceptes de la loi coranique. L’Institut s’approvisionne auprès

la boucherie de M. Sanzos. Seulement, l’Institut n’a pas payé

les livraisons entre le 19 novembre 2013 et le 5 janvier 2014

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d’un montant total de 3.125 euros. M. Sanzos peut-il prouver

sa créance en produisant ses livres de commerce ?

� M. Malaurie, « Plaidoyer en faveur des associations » : D, 1992, p. 274

(document n° 6). B) Les artisans

� Cass. com., 21 mai 1985, n° 82-16264 (document n° 7). Quels sont les critères qui permettent de distinguer les commerçants des artisans ?

C) La preuve des actes de commerce à l’égard des non-commerçants

� Cass. 1re civ., 18 mai 2004, n° 01-17007 : RTD com. 2004, p. 693, note B. Saintourens (document n° 8).

***

Document n° 1

Cass. com., 2 février 1970, n° 68-13575 La Cour de cassation : Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : Attendu que Traissac fait grief a l'arrêt confirmatif attaque (Aix, 1er juillet 1968) d'avoir dit qu'en dehors de son activité de notaire il accomplissait habituellement des actes de commerce et d'avoir prononce sa faillite, alors, selon le pourvoi, que, d'une part, les opérations dont les notaires sont chargés en raison de leur fonction comprenant le placement des fonds déposés par leurs clients et la réglementation notariale n'interdisant que les opérations de spéculation sur les dépôts à eux confies, la cour ne pouvait, sans méconnaître totalement la réglementation notariale et sans entacher sa décision d'un défaut de base légale, déduire du seul fait que Traissac avait procuré à des promoteurs immobiliers les fonds à lui remis par diverses personnes, et notamment dame Y..., avec mission d'en assurer, moyennant intérêt, le placement, l'accomplissement par le notaire de façon habituelle d'actes de commerce, aucun motif de l'arrêt, sinon des motifs purement hypothétiques et dubitatifs n'établissant que Traissac avait entendu faire fructifier à son seul profit les fonds confiés et en un mot le caractère spéculatif des opérations de prêt rentrant dans les attributions du notaire, que, d'autre part, la preuve de la qualité de commerçant, condition d'ordre public qui relève du contrôle de la cour de cassation, incombant a celui qui demande la faillite, la cour d'appel ne pouvait sans renverser la charge de la preuve décider qu'il incombait au notaire d'établir l'absence de toute idée de spéculation de sa part, et par suite que les actes à lui reprochés ne constituaient pas des actes de commerce ; - Mais attendu que la cour d'appel relève, en des motifs qui ne sont nullement hypothétiques, que Traissac recevait des sommes très importantes, hors la comptabilité de l'étude, de ses clients auxquels il servait un intérêt et qu'il prêtait en son nom personnel, à ses propres risques, et moyennant un intérêt les fonds ainsi obtenus, qu'il avait des intérêts communs avec ses emprunteurs qui se livraient a des spéculations immobilières ; - Que la cour d'appel en a déduit a bon droit, sans renverser la charge de la preuve et abstraction faite du motif visé à la seconde branche du moyen, que ces actes auxquels

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Traissac se livrait, contrairement aux règles de sa profession, constituaient des opérations de banque et qu'elle a pu, le caractère habituel de ces opérations n'étant pas contesté, estimer que Traissac avait exercé une activité commerciale ; - Que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ; […] ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

Document n° 2 Cass. com., 30 mars 1993, n° 91-11560 et 91-11763

La Cour de cassation : Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, de chacun des deux pourvois réunis : Attendu que MM. Michel et Daniel X... font grief à l'arrêt déféré (Douai, 29 novembre 1990) d'avoir prononcé leur propre redressement judiciaire à la suite de l'ouverture du redressement judiciaire de leur mère, qui exploitait un fonds de commerce de négoce de pommes de terre, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'associé personne physique d'une société créée de fait, qui est dépourvue de personnalité morale, ne peut, en cette qualité, faire l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ; que la cour d'appel, qui a prononcé le redressement judiciaire de MM. X... en leur qualité d'associés responsables indéfiniment et solidairement du passif d'une société créée de fait à objet commercial, a violé par fausse application l'article 178 de la loi du 25 janvier 1985 ; et alors, d'autre part, que la cour d'appel, qui a prononcé le redressement judiciaire de MM. X..., personnes physiques, sans rechercher s'ils avaient exercé personnellement le commerce à titre de profession habituelle, a privé de base légale sa décision au regard des articles 1er du Code du commerce et 2 de la loi du 25 janvier 1985 ; - Mais attendu que la cour d'appel a constaté que les deux frères avaient exploité en commun le fonds de commerce familial et en avaient assuré l'un et l'autre la direction effective en se substituant à leur mère âgée dans l'exercice d'une profession commerciale ; que, par ces seuls motifs, qui font apparaître que MM. X... étaient commerçants pour avoir, de manière indépendante, effectué des actes de commerce à titre de profession habituelle, la cour d'appel a justifié légalement sa décision ; que les moyens ne peuvent être accueillis ; - Par ces motifs : Rejette les pourvois.

Document n° 3 Cass. com., 9 février 1971, n° 69-13209

La Cour de cassation : Sur le moyen unique : Vu l'article 16, alinéa 2, du décret du 27 décembre 1958 [art. L. 123-8 C. com.], relatif au registre du commerce, applicable en la cause, aux termes duquel le commerçant inscrit qui cède son fonds de commerce ne peut opposer la cessation de son activité commerciale, pour se soustraire aux actions en responsabilité dont il est l'objet du fait des obligations contractées par son successeur dans l'exploitation du fonds, qu'a partir du jour ou a été opérée sa radiation du registre du commerce ; - Attendu que, selon les énonciations de l'arrêt infirmatif attaqué, Gillet a cédé son fonds de commerce à Leveque par acte notarié du 4 juillet 1964, qu'ayant appris que le notaire n'avait pas effectué la radiation de son nom au registre du commerce Gillet y fit procéder lui-même le 17 janvier 1967, que le règlement judiciaire de Leveque, converti par la suite en faillite, ayant été prononcé le 14 février 1967 avec report de la cessation des payements au 20 mai 1966, le syndic Gabrion a demandé que Gillet soit condamné à payer entre ses mains la somme représentant le total du passif commercial de Leveque et ce, par application du texte précité ; - Attendu qu'en rejetant cette demande au motif qu'en l'espèce les créanciers étaient parfaitement au courant de la cession intervenue en 1964, alors que la règle selon laquelle la perte de la qualité de commerçant ne peut être opposée aux tiers qu'à partir de la radiation ne souffre pas la preuve contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; - Par ces motifs : Casse et annule.

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Document n° 4

Cass. com., 18 février 1992, n° 89-10673 La Cour de cassation : Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches : Vu l'article 17 du Code de commerce ; - Attendu que, pour condamner M. X... à payer le prix de génisses que M. Y... prétendait lui avoir vendues et que M. X... contestait avoir achetées, l'arrêt attaqué retient que, si M. Y... ne produit aucun contrat ni aucun bon de livraison, et si les factures produites par M. Y... ne constituent pas une preuve suffisante de la vente en raison des circonstances de leur établissement, la preuve d'une obligation entre commerçants peut résulter de la comptabilité d'une partie, et que M. Y... produit le livre de ses ventes de bestiaux sur lequel figurent celles par lui alléguées ; - Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le livre comptable invoqué par M. Y... était régulièrement tenu, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; - Par ces motifs : Casse et annule.

Document n° 5 Cass. com., 19 janvier 1988, Foyer Léo Lagrange, n° 85-18443

La Cour de cassation : Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches :Vu les articles 4 et 11 de la loi du 20 mars 1956 ; - Attendu que pour déclarer valable le contrat du 8 juillet 1982 par lequel l'association dite Foyer Léo Y... (l'association) a donné en location-gérance à M. X... un bar-restaurant implanté dans les locaux où s'exerçaient les activités culturelles, de sports et de loisirs dont l'organisation constitue son objet social, l'arrêt infirmatif attaqué retient que, bien que n'étant pas inscrite au registre du commerce, l'association exploitait depuis 1947 ce bar-restaurant dont elle était propriétaire, qu'elle achetait des marchandises pour les revendre, grâce à un personnel adéquat, à des consommateurs qui étaient ou non ses membres, que la réalisation de ces actes de commerce constituait un point important de ses recettes et que M. X... avait signé la convention litigieuse en toute connaissance de cause ; - Attendu qu'en se déterminant ainsi alors que l'article 4 de la loi du 20 mars 1956 interdit la concession d'une location-gérance aux personnes morales qui ne justifient pas avoir été commerçants ou artisans pendant sept années et avoir exploité pendant deux années au moins le fonds ou l'établissement artisanal mis en gérance et alors que la nullité instituée par l'article 11 de ladite loi est d'ordre public, la cour d'appel, qui a relevé que l'association était régie par la loi du 1er juillet 1901, n'a pas tiré les conséquences légales s'attachant à cette constatation en ce qui concernait les droits revendiqués par ladite association ; - Par ces motifs : Casse et annule.

Document n° 6 M. Malaurie, « Plaidoyer en faveur des associations » : D. 1992, p. 274

Le rôle économique des associations est un fait incontestable, d'ampleur non négligeable. L'association peut déployer une activité commerciale ou économique. La consécration d'une telle évolution ne s'est pas faite sans difficulté ou résistance doctrinale. La jurisprudence hésite encore sur les critères de la commercialité ou sur la reconnaissance de la qualité de commerçant à l'association. Mais la licéité de l'activité économique de l'association est aujourd'hui admise par un certain nombre de textes. Le débat a rebondi sur un autre terrain. Licite, l'activité commerciale est-elle pour autant loyale ? Une association peut-elle exercer une telle activité sans risquer d'être poursuivie pour concurrence déloyale ? Le droit positif

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hésite car le particularisme de l'association (I) s'adapte mal à une structure où les partenaires économiques sont soumis à la même loi de l'économie de marché (II). I - Particularisme de l'association Le particularisme du statut associatif (A) est relatif puisque jurisprudence et loi pourchassent les privilèges et dans la mesure du possible assujettissent l'association au droit commun (B). A. - Un statut d'exception Un statut d'exception ne signifie cependant pas nécessairement un statut privilégié. L'association bénéficie d'un régime de faveur compensé par un régime de défaveur. La loi reconnaît à l'association la possibilité d'obtenir des subventions publiques ; loi, jurisprudence et Administration fiscale exonèrent de l'impôt sur les sociétés les associations qui exercent une activité non lucrative. Confortée par la jurisprudence, l'Administration fiscale a développé cinq conditions cumulatives d'exonération : l'activité exercée entre dans le cadre de l'activité désintéressée ou contribue par sa nature, et non simplement financièrement, à la réalisation de cet objet ; la gestion de l'association ne procure aucun profit matériel direct ou indirect aux fondateurs ; la réalisation de recettes ne doit pas être systématiquement recherchée ; lorsqu'ils existent, les excédents de recettes doivent être réinvestis dans l'œuvre elle-même ; l'activité doit présenter une certaine utilité sociale. Ainsi bénéficie de l'exonération fiscale l'association gérant un centre médical, social et culturel car cet organisme offre non seulement des prestations médicales mais également des prestations qui ne sont pas dans leur ensemble de la nature de celles qui sont généralement fournies par des entreprises commerciales. Les avantages fiscaux sont donc justifiés par la nature des services rendus : l'association offre des prestations atypiques de la vie des affaires (cours d'alphabétisation, gestion d'ateliers d'initiation, gestion d'une bibliothèque municipale ...). Le statut de l'association n'est pas que privilèges. L'association ne peut en principe (10) être immatriculée au registre du commerce et ainsi bénéficier de la propriété commerciale et des avantages fiscaux y afférents. Et surtout, l'association ne peut partager de bénéfices entre ses membres. C'est pourquoi l'activité économique des associations est et restera toujours en marge de la vie des affaires. Elle est nécessairement en porte à faux dans une structure économique de type capitalistique, fondée sur la recherche du profit. A juste titre peut-on parler de « para-commercialité ». Cette ambiguïté se retrouve en jurisprudence et en législation. Le droit positif admet et, dans une certaine mesure, accueille avec faveur le développement de la « para-commercialité » des associations. Mais, par un mouvement naturel, « l'association économique » tombe alors sous l'empire de la loi commune. B. - Une soumission au droit commun Le bénéfice du statut privilégié n'est accordé qu'exceptionnellement. Car dès lors que l'association exerce une activité commerciale régulière, les règles du droit commercial lui sont applicables : compétence du tribunal de commerce ; régime de la preuve ; protection du nom de l'association, au même titre que le nom commercial ; l'association peut faire l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire comme « toute personne morale de droit privé » (art. 2, L. 85-98 25 janv. 1985) ; les dirigeants peuvent être poursuivis sur le fondement de l'art. 180 (action en comblement de passif) ou des art. 181 et 182 (procédure d'extension du redressement judiciaire) de la loi de 1985 ; le droit des ententes s'applique.

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En vertu du principe de transparence fiscale, l'association exerçant une activité économique lucrative est soumise à l'impôt sur les sociétés ou peut faire l'objet d'un redressement fiscal. L'association qui, exerçant une activité commerciale tout en bénéficiant et d'exonérations fiscales et de subventions publiques, peut offrir des prix compétitifs, concurrencer les entreprises et désorganiser le marché, peut-elle être condamnée pour concurrence déloyale, ce qui conduirait à interdire toute activité commerciale aux associations jouissant d'un statut de faveur ? L'opportunité d'une telle mesure est contestable. II. - Para-commercialité et économie de marché L'économie de marché repose sur le libre exercice de la concurrence. Mais cette liberté fondamentale est limitée par un double principe : la loyauté de la concurrence (A) et l'égalité dans la concurrence (B). C'est sous ce double principe que sera étudiée la para-commercialité des associations. A. - L'activité économique associative, une activité déloyale ? Il est certain que l'activité économique d'une association est licite. Licite, la concurrence entreprise par l'association est-elle pour autant loyale ? La jurisprudence considère que « se rend coupable de concurrence déloyale celui qui exerce son activité sans respecter les règles fiscales ou de sécurité sociale, lui permettant de pratiquer des prix très bas ». A première vue, l'association qui bénéficie d'un régime de faveur (subventions, avantages fiscaux), tout en exerçant une activité économique, contrarie également le jeu de la concurrence car, en bénéficiant de tels avantages, l'association peut offrir des prix plus bas et préjudicier à l'économie générale. Et pourtant, la jurisprudence est divisée sur cette question. Certains arrêts rejettent l'action en concurrence déloyale pour des motifs divers. Les uns se fondent sur la théorie de l'accessoire : « l'association s'est maintenue dans les limites d'une activité restant dans l'objet social » (les bénéfices ont été versés à des œuvres charitables et n'ont pas été partagés entre les membres). Mais la théorie de l'accessoire a ses limites. Aussi avec plus d'audace, d'autres arrêts relèvent qu'« en dehors de tout détournement de clientèle déloyal ou de tout autre agissement illicite ou déloyal ou de toute autre faute imputable au centre, l'activité d'une association n'est pas en elle-même déloyale ». A l'inverse, la Cour d'appel de Rennes a accueilli, le 23 janv. 1980, l'action en concurrence déloyale au motif que l'association « s'est ainsi comportée comme un organisme commercial de droit privé tout en bénéficiant d'exonérations fiscales et de subventions publiques ... de tels faits aboutissent à un véritable détournement de clientèle constitutif d'une concurrence illicite ». On aurait pu penser que cette jurisprudence n'aurait pu se maintenir avec l'introduction de l'ordonnance du 1er déc. 1986 qui prévoit en son art. 37, al. 2, qu'« Aucune association ... ne peut, de façon habituelle, offrir des produits à la vente, les vendre ou fournir des services si ces activités ne sont pas prévues par ses statuts ». Cet article autorise de façon indirecte mais explicite l'exercice d'activités commerciales habituelles par les associations. Un auteur a même conclu à la lecture de ce texte qu'« il s'agissait d'une disposition très largement inutile ». Or, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 10 juin 1991, a approuvé la Cour d'appel de Toulouse d'avoir accueilli une action civile en concurrence déloyale sur le fondement de l'art. 37, al. 2, au motif que « le jeu de la concurrence se trouve faussé à son détriment (du commerçant) par l'activité para-commerciale illicite exercée dans le même

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secteur par l'association « Randonnée pyrénéenne », laquelle est exemptée de ses charges fiscales et reçoit d'importantes subventions ». Il faut trancher la controverse. Il est certain que celui qui, par ses manœuvres, obtient des avantages se rend coupable de concurrence déloyale. Ainsi, une entreprise ne peut frauder la législation fiscale et sociale et profiter de ces avantages pour offrir des prix plus bas ; de même un groupement, dont la finalité exclusive est la recherche du profit, ne peut revêtir le masque de l'association pour profiter des avantages du statut. En l'absence de manœuvres, peut-on considérer que l'exercice licite d'une activité commerciale est déloyal pour le seul motif que l'association jouit de privilèges ? Où est la faute dès lors que ces avantages sont consentis par l'Administration fiscale ou les collectivités publiques pour tenir compte du particularisme des services ou des produits offerts par l'association et pour compenser en quelque sorte les charges spéciales de nature sociale qui incombent aux associations. Il serait contradictoire de reconnaître aux associations la possibilité d'exercer une activité économique et de retenir que cette activité est constitutive per se de concurrence déloyale. Le problème de la « para-commercialité » ne doit pas être posé en terme de déloyauté mais de rupture de l'égalité. B. - L'activité économique associative et le principe de l'égalité Il ne peut y avoir de liberté du commerce sans égalité de chances. Le droit de la concurrence pourchasse les atteintes à la règle de l'égalité qui faussent le jeu de la concurrence (ex. : aides aux entreprises, pratiques discriminatoires ...). Mais le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel ont une compréhension intelligente du principe de l'égalité consacré par les art. 1 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme. « La règle de l'égalité de traitement des divers intéressés n'interdit pas les discriminations entre les différentes catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes ». Seules les entreprises offrant au public des produits similaires ou des prestations non substituables sont tenues de respecter entre elles le jeu de la concurrence. Le droit de la concurrence est en effet attaché aux notions de substituabilité et de « marché de référence ». Ainsi, par exemple, pour caractériser la pratique du prix d'appel, il faut qu'il y ait « discrimination entre le niveau de marge adopté pour ce produit [sur lequel porte la campagne de promotion] et celui pratiqué pour des produits substituables. En principe, la comparaison des marges pratiquées doit être effectuée entre produits substituables ; toutefois, ... elle pourra porter sur des produits comparables » ; ainsi le marché par rapport auquel est mesurée la puissance économique d'une entreprise est défini « en fonction de la substituabilité des produits ou services pour une clientèle déterminée ». Or, dans trois séries d'hypothèses, on peut dire que l'association se trouve dans une situation différente de celle de l'entreprise : en premier lieu, lorsqu'elle offre des produits ou des services spécifiques, non substituables à ceux offerts par une entreprise commerciale (ex. : l'organisation de pèlerinages par une association catholique n'est pas comparable à un voyage organisé par une agence de voyages) ; en second lieu, lorsque l'association est fermée et n'offre ses services ou ses produits qu'à ses membres ; en troisième lieu, lorsque l'association (ouverte ou fermée) développe une double activité, commerciale et désintéressée (ex. : association créée pour la conservation d'un site qui organise à titre principal la visite payante des sites et des spectacles ; association médicale qui mêle à ses activités médicales une activité sociale (prestations gratuites ; formation médicale ; enseignement gratuit ...). Certes, l'association évolue sur le marché mais son activité ne doit pas relever de la loi du marché car les bénéfices sont affectés à la réalisation d'un objectif désintéressé. C'est précisément la

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raison pour laquelle l'association peut alors bénéficier d'exonérations fiscales. Cette activité n'est pas comparable à celle d'une entreprise commerciale qui recherche exclusivement le profit. Dans ces trois séries d'hypothèses, l'association développe sur le marché une activité spécifique. Si l'on veut que le mouvement associatif survive, il faut respecter l'activité commerciale associative dans les conditions énoncées précédemment. La diversité des groupements est nécessaire. Elle répond à la diversité des aspirations humaines.

Document n° 7 Cass. com., 21 mai 1985, n° 82-16264

La Cour de cassation : Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : Vu les articles 1 et 632 du code de commerce ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaque que la société de gestion et de transports fluviaux, la compagnie générale de poussage sur les voies navigables et la société l'union normande ont fait assigner devant le tribunal de commerce de Rouen MM. B..., A..., C..., Y..., E..., X..., D..., Z..., Thery, Hourdeau, Robache, Delcourt, Delesalle et Foucart, patrons bateliers, aux fins d'obtenir la réparation des préjudices résultant d'un barrage établi sur la Seine par ces transporteurs, que ceux-ci ont soulevé une exception d'incompétence en contestant leur qualité de commerçant ; - Attendu que pour accueillir cette exception, l'arrêt énonce que bien que les contrats conclus par les mariniers soient des contrats de transport, on ne peut déduire de cette seule circonstance que les patrons bateliers sont des commerçants, que le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ne leur confère pas cette qualité mais institue au contraire pour eux un répertoire spécial distinct du registre du commerce et qu'en outre, l'article 167 de ce code attribue compétence aux tribunaux d'instance, à défaut de procédure arbitrale, pour les litiges concernant l'exécution des contrats de transport souscrits par des patrons bateliers ; - Attendu qu'en se déterminant ainsi sans rechercher l'importance du nombre des salariés dans chaque entreprise ni préciser si chacun des patrons bateliers assignés devant le tribunal de commerce tirait la plus grande part de ses revenus professionnels de son travail manuel, la cour d'appel n'a pas donne de base légale à sa décision ; - Par ces motifs : Casse et annule.

Document n° 8 Cass. 1re civ., 18 mai 2004, n° 01-17007 : RTD com. 2004, p. 693,

note B. Saintourens La Cour de cassation : Sur le premier moyen, pris en sa première branche : Vu l'article 1326 du Code civil, ensemble l'article 109, devenu l'article L. 110-3, du Code de commerce ; - Attendu, selon le premier de ces textes, que l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme en toutes lettres et en chiffres ; qu'il résulte du second que ce n'est qu'à l'égard des commerçants que les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens ; - Attendu que par acte sous seing privé du 29 janvier 1993, la société anonyme Sokoa s'est portée caution solidaire, à hauteur de la somme de 500 000 francs, du remboursement du prêt de la somme de 1 000 000 francs consenti par la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne à la société anonyme Sei ; qu'aux termes de quatre actes sous seing privés, en date, les trois premiers du 23 janvier 1993, le dernier du 26 janvier 1993, souscrits respectivement par M. X..., M. Y..., M. Z... et M. A..., salariés et actionnaires de la société Sei, chacun de ceux-ci a déclaré "contregarantir la société Sokoa (...) à hauteur de la somme

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maximum de 50 000 francs" ; qu'ayant exécuté son engagement de caution, la société Sokoa a assigné en garantie MM. X..., Y..., Z... et A... ; que l'arrêt attaqué a accueilli cette demande ; - Attendu que pour écarter le moyen de défense commun à MM. X..., Y... et Z... et à Louis A..., aux droits duquel viennent ses héritiers, Mme B... et M. Nicolas A..., qui faisaient valoir qu'aucun des engagements qu'ils avaient souscrits ne portait la mention exigée par le premier des textes susvisés, la cour d'appel a retenu que le cautionnement présentait un caractère commercial dès lors que la caution a trouvé dans cette opération un intérêt personnel de nature patrimoniale, que les intéressés exercent les fonctions de cadres au sein de la société SEI dont ils sont en outre actionnaires tout comme la société Sokoa ; qu'elle a encore retenu qu'en cette double qualité, alors que le prêt d'un million de francs accordé à leur société était destiné à permettre une restructuration financière, ils avaient un intérêt personnel de nature patrimoniale, distincte de celui de leur société, leur activité et leur emploi même étant en jeu dans le projet ayant conduit au cautionnement et à leur contre-garantie ; qu'elle en a déduit que la société Sokoa était recevable à prouver librement l'existence de l'engagement des intéressés sans que le formalisme prévu par l'article 1326 du Code civil dans le but de protection de la caution eût à être respecté ; - Qu'en se déterminant ainsi sans constater que lors de la souscription des engagements litigieux, chacun des souscripteurs avait la qualité de commerçant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; - Par ces motifs : Casse et annule.

Note : La règle de preuve figurant à l'article L. 110-3 du code de commerce pose à l'évidence toujours des problèmes de compréhension alors qu'elle constitue l'une des plus anciennes du droit commercial français. Elle fait partie des très rares dispositions survivantes du code de commerce de 1807. La présente décision de la Première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 18 mai 2004, vient fort opportunément rappeler que si les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens (sauf s'il en est autrement disposé par la loi), ce n'est qu'à l'égard des commerçants. En l'espèce, diverses personnes physiques, salariés et actionnaires d'une société, s'étaient portées caution pour le remboursement d'un prêt bancaire accordé à ladite société. Assignés, les protagonistes faisaient valoir qu'aucun des engagements qu'ils avaient souscrits ne portait la mention exigée par l'article 1326 du code civil (signature de celui qui souscrit l'engagement et mention manuscrite de la somme en toutes lettres et en chiffres). La Cour d'appel de Pau, par arrêt en date du 10 septembre 2001, a écarté le moyen de défense commun aux personnes concernées en retenant que le cautionnement présentait un caractère commercial dès lors que la caution a trouvé dans cette opération un intérêt personnel de nature patrimoniale. Effectivement, la nature commerciale d'un acte de cautionnement est habituellement retenue en jurisprudence lorsque la personne qui s'est portée caution a trouvé un intérêt personnel à l'opération à laquelle elle a ainsi contribué. Pour autant, la règle de la liberté de la preuve attachée aux actes de commerce, et qui pourrait ainsi s'appliquer à un cautionnement commercial, ne peut jouer que si la personne à laquelle elle est opposée relève, au moment de l'acte, de la qualité de commerçant. La Cour de cassation, à plusieurs reprises, a déjà rappelé que même si le cautionnement a la nature commerciale, l'article 1326 du code civil s'applique lorsque le souscripteur n'avait pas la qualité de commerçant (V. not. Com. 21 juin 1988, JCP 1989.II.21170, note Ph. Delebecque). Cette position a ainsi été appliquée à propos de l'engagement de caution pris par un associé détenant cinquante pour cent du capital de la SARL emprunteuse (Com. 2 avril 1996, Bull. Joly 1993.665, note Ph. Delebecque. V. aussi Com. 12 mai 1998, D. affaires 1998.1174, obs. J. F.). C'est donc très logiquement que la Haute Juridiction prononce, dans l'arrêt ici rapporté, la cassation, la Cour d'appel n'ayant pas constaté que lors de la souscription des engagements chacun des souscripteurs avait la qualité de commerçant. Il faut donc que soit clairement établi que la personne qui s'est portée caution,

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lorsqu'il s'agit d'un cautionnement commercial n'ayant pas respecté les exigences de l'article 1326 du code civil, accomplissait les actes de commerce à titre de profession habituelle, condition requise en droit français pour l'attribution de la qualité de commerçant (art. L. 121-1 c. com.). Dès lors qu'il s'agit bien de prouver un engagement pris par une personne ayant la qualité de commerçant, les dispositions de l'article 1326 du code civil ne s'appliquent pas.

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Séance n° 4 Le fonds de commerce (1/3)

I/ Généralités

� J. Monéger, « Emergence et évolution de la notion de fonds de commerce » : AJDI 2001, p. 1042 (document n° 1).

II/ Le nom commercial

� Commentaire de Cass. com., 12 mars 1985, Bordas, n°84-17163 : JCP 1985, II, 20400, note G. Bonet (document n° 2). L’arrêt est également commenté aux GAJ civ., n° 23 et au D. 1985, p. 471, note J. Ghestin.

III/ Cas pratique

� Mélaine Fasol (34 ans) a interrompu sa carrière de pianiste il y a six ans

pour se consacrer à l’éducation de ses jumeaux. Elle vient d’accepter

avec enthousiasme la donation que lui fait sa tante d’un fonds de

commerce d’instruments de musique évalué à 53.000 euros et connu

dans la région sous le nom de « Ritournelle ». Mélaine Fasol compte

bien exploiter elle-même cette affaire. Toutefois, elle doit trouver pour

cela un local à prendre en location car sa tante conserve, pour y

habiter personnellement, la propriété de la maison située en périphérie

de Rennes où était installé jusque là son magasin.

− 1° De quoi le fonds de commerce de Mélaine Fasol est-il

composé au jour de la donation ?

− 2° Mélaine Fasol peut-elle exploiter elle-même le fonds de

commerce qui lui donne sa tante ?

− 3° Quels conseils pouvez-vous donner à Mélaine Fasol pour

protéger le reste de son patrimoine des aléas liés à l’exercice

d’une activité commerciale ?

***

Document n° 1

J. Monéger, « Emergence et évolution de la notion de fonds de commerce » : AJDI 2001, p. 1042

Le fonds de commerce entre mythes et réalités. Voilà un thème qu'il eût plu au regretté professeur Jean Derruppé de traiter. Il était le maître en la matière. Il eût mieux que quiconque

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retracé les évolutions de l'institution dans l'enceinte du Sénat où, il y a bientôt un siècle, sous l'impulsion du sénateur Cordelet, son existence fut consacrée. Le Palais du Luxembourg est un lieu où l'on s'intéresse plus volontiers aux réalités qu'aux mythes, sauf à observer que les mythes fondateurs de la République y trouvent une place éminente pour que le droit français continue à régir au mieux les réalités économiques et donc le fonds de commerce. Jean Derruppé écrivait, il y a peu : « Fonds de commerce et propriété commerciale sont des notions contemporaines. Elles ont des sources communes. Elles sont unies par des liens étroits. Elles subissent les mêmes critiques et les mêmes attaques. Nées avec le siècle, lui survivront-elles ? » La question était suivie d'une réponse claire : le fonds de commerce et le bail commercial ne sont pas voués à la disparition. Le législateur, relayé par les juges, proposera les adaptations qui permettront de répondre aux besoins des commerçants. La sagesse devrait me conduire à cesser mon propos. Tout a donc été dit, bien dit. Certes, mais comme aimait à le faire l'éminent auteur : tout est dit, enfin, presque. Il y a encore à démythifier, démystifier, désacraliser, détromper. La notion de fonds de commerce serait-elle mal comprise, serait-elle autre que ce que les praticiens pensent ? Ils vendent, ils louent, ils évaluent, ils liquident des fonds de commerce et ceux-ci seraient autres que ce qu'ils croient ? L'idée est loin d'être étrange. Elle est inhérente à cette notion mouvante, incertaine, évolutive. En effet, le fonds de commerce est au nombre des choses connues que le droit a peine à nommer. Pour répondre aux exigences du commerce, le fonds de commerce est en mutation interne permanente, dans le temps et dans l'espace. Comme le législateur a dû en convenir en 1909, le fonds de commerce est rétif à une définition précise. Il est un tout. Il est une universalité de biens et de droits, en fait, en droit, mais il est un tout sans cesse unique, sans cesse différent. Son contenu varie : au fil du temps, en fonction des besoins, en raison des changements techniques et technologiques. Il est propre au croisement des contrats, au sein comme autour du fonds de commerce. L'examen de son émergence et de son évolution en droit français devrait permettre de faire la part du réel et de l'irréel. Chaque époque sécrète une notion de fonds de commerce dont le contenu change, dont la finalité évolue, selon les contrats et les biens qui participent au fonctionnement de l'entreprise dont il est le cœur. En recherchant dans le passé du fonds de commerce, en observant son présent, en s'interrogeant sur son avenir, une ligne de force se dessine. Elle est banale et ne manquera pas de décevoir ceux qui attendaient la révélation fondatrice d'un nouveau siècle de développement de l'institution. Le fonds de commerce, né il y a un peu plus de deux siècles, est passé d'une existence essentiellement matérielle à une existence largement, voire totalement immatérielle. Ce passage du corporel à l'incorporel est utile à la compréhension de la notion actuelle. Ce bien, cette universalité, ce mythe a ainsi acquis sa part de réalité. Mais le réel est vie, le réel est toujours autre. Les conditions technologiques, économiques, sociales et juridiques changent. Le fonds de commerce connaît une nouvelle mutation. Celle-ci renouvelle son contenu et sa nature. Le fonds de commerce devient, sous l'effet conjugué des mutations technologiques et du droit de l'entreprise, un bien totalement immatériel, un bien dont l'existence même est mise en cause. Il redevient à nouveau un mythe. Le fonds de commerce : d'une réalité corporelle à un bien incorporel

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Les commerçants aiment le réel. Il est donc normal que les premiers signes du fonds aient été décelés dans les éléments matériels servant à l'exercice de l'activité commerciale. Ce n'est qu'au fil du siècle dernier que le concept a été enrichi des éléments immatériels au fur et à mesure que ceux-ci vont prendre place dans le processus de production et de distribution. Il n'empêche que, très tôt dans le siècle, la clientèle a fait l'objet d'un intérêt particulier par les commerçants, ceux-ci découvrant que l'objet de leur activité professionnelle pouvait être valorisé lors de la transmission de leur fonds. C'est ainsi que progressivement on est passé de la matière à l'idée, de la réalité corporelle du contenu à la consécration, par la loi et la jurisprudence, d'un ensemble de biens, matériels et immatériels, en un bien autonome de nature incorporelle. L'émergence du concept au travers de son contenu « Une notion singulière », « un concept [qui] présente encore des contours indécis », « une notion moderne [qui] remonte à peine au début du XIXe siècle ». Les auteurs s'interrogent sur la notion, le concept. Les praticiens qui savent que le fonds existe cherchent aussi à le mieux connaître pour le mieux traiter dans leurs actes ou leurs conseils. Il y a quarante ans, les notaires apportèrent une belle contribution au débat, puis ce fut l'œuvre du CREDA au sein de la chambre de commerce et d'industrie de Paris. N'est-ce pas là le but de notre colloque ? La notion de fonds est elle-même très ancienne. Venue d'une duplication au profit des biens affectés à l'exercice du commerce du « fonds de terre », elle a été relevée par les historiens du droit dès l'époque médiévale et elle était fréquente au XVIe siècle dans le sud de la France. Le professeur Jean Hilaire, s'appuyant sur un ouvrage de 1603, indique sa présence « dans le cabal, d'origine médiévale, désignant le capital d'un marchand tout autant que sa boutique ». Cela est fort édifiant : l'idée de valeur est déjà là. La consistance du fonds est limitée aux marchandises et aux créances, mais très vite apparaît le « fonds de marchandises », le « fonds de boutique » ou de « magasin ». Une étude, très substantielle, des professeurs Jean Hilaire et Juliette Turlan fait découvrir que l'Encyclopédie méthodique. Commerce, publiée à Paris et à Liège en 1783, fournissait, dès le XVIIIe siècle, une synthèse très intéressante des différentes définitions reçues en pratique. Le fonds « signifie toutes les marchandises d'un marchand. Le marchand s'est retiré, il a vendu son fonds. Il se dit pareillement des machines, métiers, instruments et ustensiles servant à une manufacture [...]. Fonds c'est encore l'argent que les marchands et négociants mettent dans leur commerce, dans leur négoce. Il a la même signification dans les sociétés, dans les compagnies de commerce ». Au mot boutique, le même ouvrage indique : « Se dit aussi du fonds de commerce d'un marchand. Il a vendu, il a laissé sa boutique à son associé, à son garçon, pour dire qu'il a abandonné ses marchandises, son fonds ». Contrairement à ce que la lecture des ouvrages de droit du début du siècle dernier pourrait le laisser penser, le fonds de commerce existait bien avant l'abolition des corporations. Il était connu des praticiens. Il était une valeur qui se transmettait. Il n'est pas apparu ex nihilo au XIXe siècle. On le sent, l'approche était alors délibérément concrète, matérielle. Les historiens Jean Hilaire et Juliette Turlan écrivent qu'alors « la conception du fonds, en jurisprudence, n'a guère dépassé les éléments matériels ». Le fonds de commerce est constitué d'abord de biens tangibles, y compris l'immeuble dans lequel il est exploité, qu'il s'agisse d'un bien en pleine propriété ou d'un immeuble simplement possédé ou loué. Mais la présence des créances, de l'enseigne, des « habitudes » et des « pratiques » lui donne d'ores et déjà plus qu'une nature matérielle. L'incorporel est bien

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présent. Comme l'écrit Laurence Depambour-Tarride, « l'évolution du langage ne saurait précéder les changements ; au contraire, elle en souligne la profondeur. La substitution d'un terme à un autre est toujours l'indice d'une mutation précédente ». Il faudra donc attendre pour que le fonds de commerce soit reconnu pour ce qu'il était devenu. La reconnaissance du fonds de commerce par la pratique a été mise en évidence de manière claire par les historiens du droit à partir des actes notariés de vente du fonds, de la découverte de quelques jugements ou arrêts anciens ou encore plus récemment par le recoupement des jugements de faillites et des journaux d'annonces légales. Il est maintenant admis que la clientèle et l'achalandage ont dans les années qui précèdent la Révolution de 1789 une place autonome à côté des éléments matériels dans la valorisation du fonds de commerce. Mieux encore, un peu comme aujourd'hui il y a un engouement pour les « start up » dans le cybercommerce, les années du Consulat et de l'Empire avec le développement de la liberté du commerce et de l'industrie connaissent « un engouement pour la boutique ». Se lancer dans le commerce alors, c'est comme se lancer dans la cyber-économie aujourd'hui, c'est à la mode, c'est « branché » ; mais comme la mode économique ou linguistique, l'engouement est volatil et il ne se mue en situation pérenne que s'il y a une réalité indiscutable pour servir de fondations à l'édifice. Les faillites d'hier sont les « end down » d'aujourd'hui. Parmi les enseignements utiles à la réflexion sur la composition du fonds de commerce que fournit Laurence Depambour-Tarride apparaît la place du bail. L'auteur relève que dans les années qui précèdent la Révolution de 1789, le droit au bail apparaît rarement dans les actifs des faillis, « la pratique de céder son bail est devenue très fréquente... Toutes les annonces mentionnent l'existence du bail et la période restant à courir ». De même, et cela explique le rôle joué par les praticiens et les commerçants dans l'émergence et la structuration juridique du contenu du fonds de commerce, l'achalandage et la clientèle prennent une place croissante dans la justification du prix de cession demandé. Par un des paradoxes qu'explique bien l'analyse sociologique - et à cet égard, la relecture de l'œuvre de Balzac est édifiante -, les commerçants veulent, au cours du XIXe siècle bourgeois, faire reconnaître leur clientèle commerciale pour s'élever au rang des professions libérales civiles qui seules avaient des clients. La clientèle civile, qui vient d'être déclarée susceptible de cession directe par la Cour de cassation, était attachée à la personne et elle ne passait au successeur que par le truchement de la présentation et de l'association. Rapprocher la clientèle civile de la clientèle commerciale n'est pas sans intérêt. Aujourd'hui, alors qu'il y a capitalisation de l'attachement des clients à un cabinet, la clientèle civile n'est pas, au sens plein du terme, incluse dans le fonds civil. La clientèle commerciale est-elle un élément du fonds de commerce ou n'est-elle que l'expression d'une potentialité qui confine à la quasi-certitude ou à l'anticipation raisonnée d'un chiffre d'affaires futur, un droit, c'est-à-dire ici l'expression immatérielle d'une survaleur attachée aux moyens de convaincre les clients de le rester, voire de l'être plus encore. Lors de l'évaluation d'un fonds de commerce, les différences tiennent aux potentialités variables selon les acquéreurs. Selon qu'ils ajoutent un fonds nouveau à un ou des commerces existants ou qu'ils créent leur première activité, les acquéreurs mesurent différemment cette valeur, mais elle est de même nature ; elle est le « goodwill » des Anglais, c'est-à-dire la bonne volonté, la bienveillance, le bon vouloir des personnes qui avaient pour habitude de se fournir chez le commerçant cédant et qui devraient maintenir cette habitude au profit de l'acquéreur. Plus avant dans ce colloque, il sera dit que la clientèle est ou n'est pas un élément du fonds de commerce. Il semble qu'elle soit un élément pertinent de la valorisation du fonds. Cela explique pourquoi la consécration en droit positif du fonds de commerce l'a, de façon très pragmatique, prise en considération.

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La consécration du fonds de commerce en droit positif Le législateur va quasiment ignorer le fonds de commerce jusqu'à la fin du XIXe siècle et ce n'est que sous la pression des commerçants et des praticiens du droit qu'il se saisira de la question. Sa démarche pragmatique le conduira à renoncer à toute définition du fonds de commerce. Cela va conduire la doctrine et les juges à proposer les critères de reconnaissance du fonds de commerce. Il n'est pas certain qu'en 2001 les certitudes soient acquises. La réglementation par le législateur du fonds de commerce : l'approche fonctionnelle Le Code de commerce de 1807 a ignoré le fonds de commerce. Celui-ci, on l'a vu, était encore assez mal saisi par la pratique - le plus ancien formulaire retrouvé par les historiens date de 1807 - et le législateur n'avait ni l'expérience pratique ni l'imagination qui lui auraient permis de définir et de régir ce nouveau bien. Il lui a fallu continuer à fonctionner dans les habits du droit des biens issus de la codification civile. De son côté, la jurisprudence, au cours du XIXe siècle, n'a pas consacré l'existence du fonds de commerce comme universalité de droit. Il n'est pas d'ailleurs certain qu'elle en eût vraiment l'occasion. La première intervention législative date de la loi du 28 mai 1838 qui modifia le livre III du Code de commerce relatif aux faillites et aux banqueroutes. Le fonds de commerce apparaît dans les articles 469 et 470 de ce code, mais de manière tout à fait incidente. Une institution commerciale prend souvent place dans l'ordre juridique par la reconnaissance originale et autonome du droit fiscal. Le réalisme du droit fiscal a été l'accoucheur du fonds de commerce. La loi du 28 février 1872 est la consécration de l'existence d'un bien original, global, d'un bien synthétique qui se distingue des biens qui le composent. Les articles 7 à 9 de cette loi ont organisé l'enregistrement des mutations de fonds en copiant le mécanisme applicable aux mutations immobilières, mais ils ont eu cet effet novateur majeur consistant à soustraire le fonds de commerce à l'application des règles applicables aux meubles ordinaires. Ainsi était ouverte « la voie à une réglementation particulière du régime de cette universalité ». L'impulsion donnée fut insuffisante notamment à assurer la garantie du paiement du prix du fonds cédé ou du prêt accordé par un tiers à cet effet. Le nantissement du fonds de commerce était pratiqué, mais les juges ne savaient pas comment le valider au regard des dispositions des articles 2076 du Code civil et 92 du Code de commerce dès lors qu'il n'y avait pas dépossession. La Cour de cassation avait cependant su, dès 1888, valider l'opposabilité du nantissement du fonds de commerce dès lors que les dispositions de l'article 2075 du Code civil, relatives au gage des choses incorporelles, avaient été suivies. Toutefois, le caractère occulte du nantissement était un facteur de péril pour les autres créanciers ou les fournisseurs du commerçant concerné. L'intervention du législateur était réclamée. Une proposition de loi fut déposée dès le 1er mai 1893 par le député Millerand, puis à nouveau le 18 mai 1895. Légèrement amendée, elle devint la loi du 1er mars 1898. L'article 2075 du Code civil prévoit que la publicité du nantissement doit, à peine de nullité vis-à-vis des tiers, être faite sur un registre public au greffe du tribunal de commerce du lieu d'exploitation. Le texte n'était pas pleinement satisfaisant car rien n'était dit de la forme de l'inscription ou de l'application des autres dispositions de l'article 2075. En outre, le privilège du vendeur restait pour sa part occulte et inopposable à la faillite du commerçant. Il fallait compléter le texte et le gouvernement déposa, dès 1899, un projet de loi relatif à la publicité du nantissement du fonds de commerce. Ce texte sombra dans l'oubli.

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De son côté, la Société d'études législatives prépara un avant-projet de 29 articles sur le rapport de Percerou. A. Cohen précise dans son traité qu'il « ne s'agissait là que d'une œuvre purement scientifique ». Il fallut attendre que le sénateur Cordelet proposât une réglementation complète de la vente et du nantissement des fonds de commerce, le 21 mars 1905. Plusieurs années et plusieurs rapports après, le texte est voté par le Sénat en 1907, puis après amendement par le promoteur du texte le 13 mars 1908. Moins d'un an plus tard, la Chambre des députés vota le texte proposé par le Sénat et un ultime vote eut lieu au Sénat le 2 mars 1909. La loi sera promulguée le 17 mars de cette même année. La construction législative est de bonne facture. De nombreuses questions en suspens ou controversées sont résolues. Ainsi, le privilège du vendeur est publié comme celui du créancier nanti. Un droit de suite est créé et un système de purge mis en place ; la publicité est bien organisée et une procédure de réalisation forcée est instituée avec la faculté pour les créanciers de s'opposer au paiement du prix de vente et de surenchérir en cas de vente forcée. De 1913 à ce jour, de nombreux textes se sont succédé pour améliorer la loi de 1909 sur tel ou tel point. En dernier lieu, l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 portant partie législative du nouveau Code de commerce intègre de manière rationnelle l'ensemble des textes relatifs au fonds de commerce au titre IV, article L. 141-1 à L. 145-60. Cinq chapitres se succèdent : la vente, le nantissement, les dispositions communes à la vente et au nantissement, la location-gérance et le bail commercial. Cette codification, souvent injustement critiquée, est, s'agissant du fonds de commerce et des contrats qui lui sont attachés : bail commercial, vente et location-gérance, plutôt un progrès. Quelques traits peuvent être relevés à propos du fonds de commerce. D'abord, le législateur a gardé la faculté par le mode de numérotation choisi de compléter aisément le titre en insérant de nouveaux articles et pourquoi pas une définition qui viendrait s'inscrire dans un article L. 140-1. Ensuite, et cela est remarquable, le contrat de bail commercial, dont la nature civile est bien établie, fait son entrée dans le Code de commerce comme l'un des éléments majeurs du fonds de commerce. Il faut voir là un phénomène de reconnaissance du lien souvent vital entre l'une et l'autre des institutions ainsi que la place considérable que le droit au bail a prise au fil du temps dans l'existence et la valorisation du fonds. Est-ce là un signe du retour du fonds vers ses origines ? A nouveau, le fonds de boutique retrouverait sa place. Dans tous ces textes, seule une approche fonctionnelle est adoptée par le législateur : la protection de l'acquéreur du fonds et des créanciers. Finalement, aucune définition du fonds de commerce ne peut être trouvée dans la loi. L'impossible définition législative du concept n'a pas empêché le fonds de commerce de prospérer. Ce fut à la doctrine et à la jurisprudence de lui donner un contour. Là encore, si l'accord se fait sur une définition, le désaccord est patent lorsqu'il s'agit de s'assurer que le fonds existe. C'est tout le débat sur la clientèle. La constatation par le juge de l'existence du fonds de commerce : la quête du critère déterminant Le fonds de commerce est une propriété incorporelle consistant en une universalité à contenu variable dans le temps et, selon les cas, de biens meubles corporels et incorporels servant à l'exercice d'une profession commerciale. Ce bien global à contenu imprécis et hybride est donc un bien immatériel, alors même qu'il contient des biens matériels. A dire vrai, il est un ensemble réunissant des droits sur différents biens de nature corporelle ou incorporelle

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destinés à réaliser un profit par le développement de relations contractuelles avec les chalands et les clients. Edmond Thaller écrivait déjà en 1898, à propos de la vente du fonds de commerce : « La clientèle est attachée à l'établissement, dont le vendeur fait passer le profit à l'acheteur, en lui permettant d'en jouir et au besoin en le patronnant auprès d'elle ». Elle « est la convention des parties qui réunit entre elles, pour en faire l'objet de transmissions simultanées, des valeurs de condition différente. Ces valeurs sont rendues solidaires en fait par un intérêt d'exploitation ». La formulation est fort intéressante dans la mesure où elle souligne la finalité de l'ensemble. Elle explique la position adoptée par Ripert dans son Traité, reprise par les auteurs qui lui ont succédé, selon laquelle : « le fonds de commerce est une propriété incorporelle consistant dans le droit à la clientèle qui est attachée au fonds par les éléments servant à l'exploitation ». Elle est remarquablement illustrée par Yves Guyon qui distingue la clientèle captive par l'effet de contrats d'approvisionnement, de la clientèle attitrée provenant de la confiance dans les prestations ou d'un phénomène d'habitude et liant à celle-ci le chaland, comme le client, car il est attitré non à la personne du commerçant mais au lieu où il exerce. Yves Guyon ajoute, distinguant le marché et la clientèle, que « le marché est le terrain de chasse du commerçant. La clientèle est le gibier qu'il capture ». La clientèle apparaît plus comme une finalité, une cause de l'existence du fonds de commerce, que comme un élément, au sens étroit, de celui-ci. Elle est « une résultante, la destination commune » des éléments du fonds, selon l'expression de Michel Pédamon. Il est certain qu'il ne peut y avoir de fonds de commerce sans clientèle, mais celle-ci est en quelque sorte révélée par des éléments, matériels ou immatériels, indispensables à sa conquête par une exploitation. Ceux-ci n'en sont que les supports et c'est elle qui exprime l'existence du fonds de commerce. Elle est le principe qui transmute les éléments mobiliers réunis en fonds de commerce. La formulation classique de la Cour de cassation consistant à dire qu'il ne peut y avoir de fonds de commerce sans clientèle est exacte. Mais il est trompeur d'en déduire qu'elle est un simple élément ordinaire du fonds. Il faut aller jusqu'à dire qu'elle est de l'essence du fonds de commerce. C'est ainsi qu'il faudrait lire les décisions judiciaires qui la qualifient d'élément essentiel. Les premiers arrêts rendus par la Cour de cassation qui servent de références aux juges du fond et aux auteurs sont à lire en ce sens. D'abord, l'arrêt de la chambre des requêtes du 19 juin 1934, qui posait que « la clientèle constituant l'élément essentiel et indispensable à l'existence d'un fonds de commerce [...] le vendeur s'était interdit de solliciter et exploiter la clientèle [attachée] au fonds cédé », exprimait bien l'idée qu'elle était la finalité extérieure aux éléments corporels et incorporels mis en œuvre, et que si l'acquéreur en était privé ces éléments ne pouvaient se consolider dans un ensemble devenant un fonds de commerce. Ensuite, l'arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation du 15 février 1937, le plus souvent cité car il fut largement commenté à l'époque, contient un attendu encore plus évocateur : « De tous les éléments - qui peuvent servir à constituer un fonds de commerce - la clientèle représente le plus essentiel ». Cela explique aussi que l'on puisse prendre en considération parmi les éléments du fonds ceux qui résultent d'un savoir-faire créé par l'exploitant ou confié à un tiers par convention pour assurer le développement de son fonds. Cela fonde encore la jurisprudence qui veut que la clientèle soit réelle et personnelle à l'exploitant du fonds, mais aussi qu'elle puisse avoir une réalité à l'instant même où le fonds est créé. Il faut aussi lire les décisions judiciaires qui visent la transmission de la clientèle pour qualifier une cession d'éléments corporels et

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incorporels utiles à l'exploitation commerciale de cession de fonds de commerce, non comme la volonté des juges de la ramener à un élément ordinaire du fonds, mais au contraire comme la reconnaissance de la coloration, essentielle à sa conquête, du ou des éléments en cause. A partir du moment où l'on admet l'effet révélateur ou catalyseur du fonds de commerce de la clientèle, il est aisé de comprendre pourquoi, contrairement à ce que la lecture de la loi du 17 mars 1909, aujourd'hui les articles L. 141-1 et suivants du Code de commerce de 2000, laisse à penser, les éléments corporels et incorporels sont considérés avec plus d'aisance. Leur présence est souvent aisée à constater ; leur régime juridique aussi. Ce n'est que s'ils sont les éléments de rattachement majeur de la clientèle qu'ils appellent un examen approfondi ou, plus exactement, c'est le lien de rattachement à l'essence du fonds, la clientèle, qui va préoccuper les parties à l'acte de vente, de nantissement, d'apport, de location-gérance. La requalification en bail commercial prohibé du local d'une pseudo-location-gérance du fonds de commerce repose aussi sur l'absence du catalyseur que constitue la clientèle. En définitive, à ce stade de son émergence et de son évolution, le fonds de commerce est passé d'un concept flou et fonctionnel à un concept global qui absorbe des éléments variables dans le temps et selon les entreprises. Son existence est incontestable dès lors que les éléments qui le composent ont été affectés à l'exploitation de la clientèle. Faute de clientèle, les éléments en cause manquent d'une finalité révélatrice du fonds. La clientèle est bien alors de l'essence du fonds de commerce. Cette constatation correspond à l'apogée du fonds de commerce dans l'ordre juridique classique. L'évolution des méthodes de production et de distribution depuis une trentaine d'années provoque de nouvelles interrogations sur le fonds de commerce. Celui-ci, à supposer qu'il survive, subit une nouvelle mutation. Consacré en droit, il tend à l'immatérialité complète, en fait comme en droit, au point que l'on peut se demander si, dans quelques cas, il ne confine pas à l'inexistence. Le fonds de commerce : de l'immatériel à l'inexistant L'observation de l'évolution économique et de l'organisation des entreprises permet de constater un double mouvement : d'une part, les fonds de commerce sont composés d'un nombre dominant d'éléments incorporels ; d'autre part, l'incapacité du droit français à mener à bien la transformation du fonds de commerce en universalité de droit, en patrimoine d'affectation et la création parallèle de société unipersonnelle. Dans le premier cas, l'immatérialité est si forte que certains s'interrogent sur la disparition du fonds ; dans le second, la personnalisation du patrimoine implique l'effacement du fonds de commerce. Alors se posent les questions ultimes : Existe-t-il encore ? Si oui, a-t-il un avenir ? Le développement des éléments incorporels ou le passage au fonds intangible L'histoire du fonds de commerce est celle d'une progression permanente des éléments incorporels, et ce même dans les petits fonds de commerce de distribution. D'autres intervenants développeront cet aspect de la question. Seules de brèves observations seront faites ici. Le bail commercial, depuis 1926, mais plus encore depuis la mise en place d'un système drastique de régulation des loyers, est, en règle générale, l'élément dominant, voire unique, du fonds. La législation relative aux procédures collectives a renforcé le phénomène ; le bail

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commercial est l'ultime bien susceptible d'être réalisé pour rembourser les créanciers privilégiés. Le développement des nouvelles méthodes de distribution : franchise, concession, commission-affiliation, distribution sélective, fait que l'organisation de l'entreprise est à maints égards sous la tutelle des fournisseurs de produits ou services à distribuer. Jusqu'aux arrêts récents rendus en 2000 par la cour d'appel de Paris en matière de franchise, quelques auteurs inclinaient à penser que la clientèle étant attirée par des éléments extérieurs confiés par contrat conclu intuitu personae et à durée déterminée et non cessible avec le fonds ou l'entreprise, il ne pouvait y avoir fonds de commerce faute de relation directe et personnelle avec les clients. Jean Derruppé avait brillamment montré l'inanité de la tentative, et d'autres auteurs avaient souligné la mise en péril du système de distribution par la jurisprudence niant l'existence de la relation du commerçant franchisé, concessionnaire. Ce point sera développé par Olivier Binder. Toutefois, il est permis de dire, après Jean Derruppé, qu'il serait réaliste d'inverser le principe actuel concernant la transmission avec le fonds, donc l'inclusion dans le fonds de commerce, des contrats liés à l'exploitation ». Pourquoi la transmission n'existe-t-elle que pour certains contrats dont le bail, les contrats de travail ou d'assurance, les contrats de nettoyage ou d'édition ? Il n'y a pas d'argument dirimant imposant de rattacher à la personne de l'exploitant les conventions ayant pour objet l'organisation de l'entreprise, la mise en place de procédés particuliers de distribution ou de gestion ; bref, de l'exploitation du fonds de commerce. C'est au fonds que ces contrats doivent être attachés, comme le sont déjà d'autres signes de ralliement de la clientèle : l'enseigne, le nom commercial ou la marque. C'est d'autant plus nécessaire que la distribution contemporaine des produits a eu pour effet de banaliser ces méthodes, ce qui, par second ricochet, a redonné aux emplacements et à la personne des exploitants leur force d'antan. A défaut, si les juges devaient en rester au premier ricochet, il faudrait inscrire le fonds au nombre des espèces juridiques en péril grave. Il faudrait requalifier les conventions passées avec les entreprises qui fournissent ces éléments jugés déterminants. Il n'est pas certain que celles-ci y gagnent. S'agissant des centres commerciaux et des galeries commerciales, la tentation de ne voir de fonds de commerce que s'il y a autonomie de gestion et d'ouverture, que si le commerçant peut démontrer qu'il s'adresse à une clientèle personnelle qui ne se confond pas avec celle du centre ou de la galerie, emporte mise en péril, non de l'existence même du fonds de commerce, mais de la propriété de celui-ci par l'exploitant. Là encore, la désorganisation du système de distribution est engagée. Si, comme cela arrange parfois la SCI propriétaire des locaux, la clientèle est considérée comme appartenant à la société commerciale qui exploite le fonds dominant, cela implique la reconnaissance par le juge de l'existence d'une location-gérance ou d'un contrat de travail dissimulé. L'effet d'aubaine peut receler des inconvénients considérables pour le groupe de distribution dominant dans le centre commercial. L'existence d'une dualité de personnes juridiques, même lorsqu'elles dépendent du même groupe de sociétés, est régulièrement et légitimement avancée pour faire juger que le bailleur n'est pas tenu de garantir une bonne activité commerciale dans le centre ou que le preneur à bail n'a pas de fonds de commerce faute d'établir l'existence ou l'exploitation d'une clientèle propre par les moyens qu'il a réunis, pourrait se retourner contre la société, exploitante principale des lieux. En effet, elle pourrait être qualifiée de loueur de fonds de commerce ou d'employeur occulte. De plus, dans bien des cas, la galerie commerciale ou le centre commercial n'est qu'un succédané de rue ou de place couverte. La discrimination entre celles-ci et ceux-là n'est plus pertinente. Pour s'en convaincre, il suffit de constater que, dans les pays européens du nord de l'Europe et en Amérique du Nord, les rues couvertes sont si nombreuses qu'elles deviennent pour les clients des lieux équivalant à un centre commercial et pour les investisseurs une zone

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unitaire de chalandise. N'était-ce pas, n'est-ce pas, le cas des galeries commerciales dans les grandes villes françaises ? La disparition des valeurs matérielles d'exploitation au profit de droits de créances sur les biens appartenant à autrui prend d'autres aspects. Ils sont bien connus, mais méritent d'être rappelés. Il s'agit du phénomène de la disparition des stocks de marchandises, soit par l'effet d'une politique « stock niveau zéro », soit par le jeu des clauses de réserve de propriété. Il s'agit aussi de la tendance croissante à la location de l'ensemble des mobiliers nécessaires à l'exploitation du fonds de commerce. Pour s'en convaincre, il suffit de refaire aujourd'hui ce que Laurence Depambour-Tarride a fait hier sur les comptes de procédures collectives ou d'annonces légales de cession forcée pour constater l'immatérialité des fonds de commerce, même de boutique. Alors, que dire de l'arrivée du commerce électronique ? L'arrivée des outils informatiques et d'Internet va nécessairement renforcer la dématérialisation du fonds de commerce. C'est l'objet même du commerce électronique que de s'abstraire de toute localisation physique, de toute matérialisation forte. Le fournisseur d'informations commerciales et de produits ou de services sur Internet est situé sur un réseau immatériel dont les instruments matériels sont multiples et indéterminés dans leur forme et leur localisation. Si le service offert par un « cyber-commerçant » est lui-même dématérialisé, qu'il a loué les services de l'entreprise d'accès et d'hébergement de son site, ainsi que les machines informatiques, le fonds de commerce est totalement dématérialisé. A-t-il pour autant perdu son existence ? Cette dématérialisation ultime n'est sans doute pas encore en place, mais le commerce électronique croît en volume de jour en jour. Si elle devait être, le fonds de commerce même avec sa dématérialisation ne présenterait plus guère d'intérêt au sens où l'entendait le législateur en 1909. Si elle n'est que partielle, c'est-à-dire qu'elle reste une méthode de commercialisation qui se greffe sur les méthodes existantes, comme c'est le cas avec les grandes entreprises de distribution, elle provoquera un renforcement des effets de domination. Pour protéger les entreprises commerciales naissantes, il faudra vraisemblablement imaginer des protections légales pour les entreprises hébergées sur des sites, ou des bouquets, donner les clés des portails... Dans l'immédiat, un second phénomène tend à l'effacement du fonds de commerce, la personnalisation de l'entreprise individuelle. L'occultation du fonds au sein de la personne morale La reconnaissance de l'autonomie patrimoniale du fonds de commerce sous la forme d'un patrimoine d'affectation a échoué, alors que, selon la formule de Jean Calais-Auloy, l'entreprise individuelle « tend à se réduire à un ensemble de biens : le fonds de commerce ». Le législateur français a choisi de provoquer la mutation génétique du concept de société. L'article 1832 du Code civil, qui faisait du contrat une convention entre deux ou plusieurs parties, reconnaît aujourd'hui la société d'une seule personne. Le contrat entre deux personnes n'est plus qu'une des voies juridiques de création d'une personne morale. L'acte juridique unilatéral permet l'autofécondation ou la parthénogénèse. Nul ne peut contester l'existence d'un organisme juridique génétiquement modifié. Depuis 1985, l'entrepreneur individuel peut apporter son fonds de commerce à une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et, depuis 1999, à une société par actions simplifiée. La personne morale occulte alors le fonds de commerce pour l'entrepreneur individuel, comme il le dissimulait au sein du patrimoine de la

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société plurale. Paul Didier illustre cette idée en écrivant, pour rechercher ce qu'est le fonds caché au sein de l'entreprise, qu'il est « ce qui reste d'une entreprise quand on en a éliminé les éléments qui, pour des raisons diverses, ne peuvent être vendus, loués, nantis ou saisis avec elle ». Un tel phénomène juridique rend souvent la référence au fonds de commerce sans grand intérêt puisque la cession est plus simple par le truchement des opérations sociétaires : achat des parts ou des actions, scission, apport partiel d'actif... Sans grand intérêt, mais pas sans intérêt. En effet, le fonds reste l'un des biens de la personne morale comme il l'était de la personne physique. Pour une entreprise importante, il y a souvent pluralité de fonds de commerce et alors le régime juridique de celui-ci retrouve son intérêt et ses inconvénients, le droit des baux commerciaux impliquant un lien étroit entre l'existence, l'exploitation du fonds et les lieux, objets du bail, dans lesquels il est mis en valeur pour pouvoir bénéficier des prérogatives accordées par le Code de commerce aux articles L. 145-1 à L. 145-60 et les textes subsistants du décret du 30 septembre 1953. La jurisprudence relative à l'immatriculation du preneur personne morale au registre du commerce et des sociétés au titre de chacun des établissements et des lieux d'exploitation loués en est un exemple. La personnalisation du fonds de commerce n'exclut pas sa survivance, mais elle participe à sa mutation. Bien original dès son émergence, le fonds de commerce est le type même de l'institution juridique vivace et résistante à bien des évolutions de son environnement juridique, économique et technique. Cela montre que rétif à une définition rigide, concept flou, il est adaptable, malléable et il survit non comme un organisme juridique dont les gènes s'adaptent aux exigences du temps. C'est dire que la vision du professeur Jean Derruppé qui voyait un avenir pour le fonds de commerce est pertinente. Il semble cependant plus adapté à la structuration de l'entreprise personnelle et tout spécialement à celle des boutiques. En définitive, le fonds de commerce achève sa révolution, il se retrouve là où il était à l'origine. Il était et reste utile pour constater les droits qui permettent et procèdent de l'exploitation en boutique. Il faut constater la fin de la révolution et remettre de l'ordre. S'il ne sert que pour la boutique, il appelle la prise en considération du bail commercial. S'il est mis en péril par les méthodes de distribution, il réclame l'analyse croisée des notions conquérantes. S'il peut n'être que virtuel sur l'Internet, il faut rechercher s'il est encore. Toutes ces questions se traduisent par la variation des valeurs et des méthodes qui permettent de les appréhender. C'est là le programme de ce colloque.

Document n° 2 Cass. com., 12 mars 1985, Bordas, n°84-17163 : JCP 1985, II, 20400,

note G. Bonet La Cour de cassation : Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches : Vu l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article 1er de la loi du 28 juillet 1824 ; - Attendu que le principe de l'inaliénabilité et de l'imprescriptibilité du nom patronymique, qui empêche son titulaire d'en disposer librement pour identifier au même titre une autre personne physique, ne s'oppose pas à la conclusion d'un accord portant sur l'utilisation de ce nom comme dénomination sociale ou nom commercial ; - Attendu que M. Pierre Bordas a demandé qu'il soit ordonné sous astreinte à la société anonyme « Éditions Bordas » de cesser toute utilisation du nom Bordas dans sa dénomination sociale et à cette société et à la société à responsabilité limitée Société Générale de Diffusion de cesser toute utilisation de ce nom dans leurs « dénominations commerciales » ; - Attendu qu'après avoir

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constaté que M. Pierre Bordas et son frère Henri avaient licitement choisi la dénomination « Éditions Bordas » par acte sous seing privé du 23 janvier 1946 pour une société à responsabilité limitée dont ils étaient les fondateurs, ultérieurement transformée en société anonyme, la Cour d'appel, pour accueillir la demande de M. Pierre Bordas, énonce qu'il n'y a eu aucune convention sur l'usage du nom Bordas par la société ou sur l'inclusion de ce nom dans la dénomination sociale et que le patronyme étant inaliénable et imprescriptible, l'incorporation du nom Bordas dans la dénomination sociale ne peut s'analyser que comme une simple tolérance à laquelle M. Pierre Bordas pouvait mettre fin sans pour autant commettre un abus dès lors qu'il justifiait de justes motifs ; - Attendu qu'en se déterminant par ces motifs, alors que ce patronyme est devenu, en raison de son insertion le 23 janvier 1946 dans les statuts de la société signés de M. Pierre Bordas, un signe distinctif qui s'est détaché de la personne physique qui le porte, pour s'appliquer à la personne morale qu'il distingue, et devenir ainsi objet de propriété incorporelle, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ; - Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche du premier moyen ni sur le second moyen ; - casse et annule l'arrêt rendu le 8 novembre 1984, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Orléans.

Note : On se rappelle encore l'émoi de la grande presse après l'arrêt que la première Chambre de la Cour de Paris a rendu le 8 novembre 1984 dans l'affaire Bordas. Le 12 mars 1985, soit quatre mois plus tard à peine, la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de casser la décision de la Cour de Paris, renvoyant le litige devant la Cour d'Orléans.

Cette affaire - dont les journaux ont fait une relation souvent imprécise et quelquefois tendancieuse - présente un intérêt considérable du point de vue juridique.

En 1941, les frères Pierre et Henri Bordas ont crée la S.A.R.L. « Éditions de la France Nouvelle » dont M. Pierre Bordas était le gérant ; les deux frères se sont partagé les parts sociales à égalité. En 1956, la société a pris la dénomination sociale « Éditions Bordas », à la suite d'une décision adoptée en assemblée générale.

En 1967, une assemblée générale extraordinaire de la société a transformé la S.A.R.L. en société anonyme, tandis qu'une importante augmentation de capital était réalisée d'autre part. La famille Bordas conservait encore la maîtrise de la maison d'édition et la société anonyme gardait donc tout naturellement la dénomination sociale « Editions Bordas ». M. Henri Bordas décédait peu de temps après.

Sous la direction de M. Pierre Bordas, président-directeur général de la société anonyme, les Éditions Bordas ont joué le rôle considérable que l'on sait, dans le domaine des livres scolaires en particulier.

L'entreprise s'est rapidement développée et des concours bancaires se sont imposés. Un groupe financier — Paribas — est ainsi entré dans la société en acquérant la majorité du capital social. Au fur et à mesure des augmentations de capital, la part qu'en détenait M. Pierre Bordas s'est amenuisée peu à peu pour se réduire à 1% seulement.

En 1977, un différend grave a opposé M. Pierre Bordas au directeur général adjoint de la société, représentant le groupe bancaire, à propos de la politique d'édition de la société. Le conseil d'administration a désavoué M. Pierre Bordas qui, jugeant la situation intolérable, a préféré se démettre. Dans sa lettre de démission, il a manifesté expressément la volonté que son nom ne couvrit pas la politique d'édition qu'il désapprouvait au point de se retirer.

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En 1978, M. Pierre Bordas a créé une nouvelle maison d'édition : la S.A.R.L. Pierre Bordas et Fils.

Par ailleurs, indépendamment de la S.A. Éditions Bordas et de la S.A.R.L. Pierre Bordas et Fils, existe une société civile dénommée Les cours universitaires de France Bordas, créée en 1937, avant même la maison d'édition, et dont l'activité de cours par correspondance a toujours été indépendante de cette dernière. La société civile est présidée par M. Pierre Bordas et fait aussi constamment usage du patronyme Bordas pour l'exercice de ses activités ; elle a déposé en 1961 la marque « Les cours universitaires de France Bordas ».

A l'heure actuelle, par conséquent, le patronyme Bordas est utilisé par deux sociétés que dirige M. Pierre Bordas, en concurrence avec les Éditions Bordas dans lesquelles aucun membre de la famille Bordas n'exerce de responsabilité et dont M. Pierre Bordas ne détient plus qu'un nombre tout à fait infime d'actions, d'ailleurs invendables.

M. Pierre Bordas a considéré que cette situation ne pouvait pas durer car elle lui portait préjudice en raison de multiples confusions intervenant entre les entreprises dont il a la direction et la société des Éditions Bordas, qui utilisait d'ailleurs fréquemment le nom Bordas seul, dans sa publicité notamment. Selon M. Pierre Bordas, une telle confusion était d'autant moins supportable qu'elle induisait le public en erreur sur la paternité de la nouvelle politique d'édition de cette société.

Au printemps 1982, M. Pierre Bordas a assigné les Éditions Bordas devant le Tribunal de grande instance de Paris pour leur faire interdire l'utilisation de son nom en l'absence de toute convention d'usage, de cession ou d'apport en société. Par jugement du 14juin 1983, cette juridiction a débouté M. Pierre Bordas parce qu'aucun motif légitime ne justifiait sa prétention.

Saisie de l'affaire à son tour, la première Chambre de la Cour d'appel de Paris a infirmé le jugement en considérant que « cette incorporation dans la dénomination sociale de la société de ce nom Bordas qui comme tout patronyme est inaliénable et imprescriptible et demeure la propriété de son titulaire et de sa famille, ne peut s'analyser que comme étant de la part de M. Pierre Bordas une simple tolérance d'usage de son nom, tolérance à laquelle il pouvait mettre fin sans pour autant commettre un abus dès lors qu'il justifiait de justes motifs ». La Cour a estimé que les circonstances légitimaient la demande de M. Pierre Bordas. La dissension qui l'opposait au groupe financier majoritaire à propos de la politique d'édition l'avait amené à se démettre de ses fonctions de direction et, de surcroît, la fraction infime du capital qu'il détenait ne lui permettait pas d'exercer la moindre influence sur cette politique. L'usage de son nom par une entreprise qui lui était devenue tout à fait étrangère, pour désigner des objectifs qu'il réprouvait, constituait ainsi pour lui un inconvénient d'autant plus grave qu'il exerçait également de son côté une activité d'éditeur dans le même secteur scolaire et universitaire. Un risque de confusion évident en résultait qui justifiait la suppression du nom Bordas dans la dénomination sociale de la société Éditions Bordas ainsi que l'interdiction pour cette entreprise et sa filiale d'utiliser ce patronyme comme nom commercial. La Cour estimait que la société ne devait pas redouter la perte du nom Bordas pour l'avenir puisque sa politique d'édition n'avait de toute façon plus rien de commun avec celle que symbolisait ce patronyme.

En bref, appréciant souverainement les faits, la Cour d'appel a considéré que les frères Bordas n'avaient jamais conclu avec la société un accord conférant à celle-ci de façon définitive, à un titre quelconque, le droit d'utiliser le nom Bordas ; l'autorisation de l'insérer dans la dénomination sociale était essentiellement précaire, liée à la maîtrise de l'entreprise

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par les titulaires du nom. Dès lors que cette demande n'était pas arbitraire, le titulaire du nom pouvait ainsi reprendre l'usage exclusif du patronyme qu'il avait illustré, pour l'exercice de ses activités professionnelles.

Aussitôt après l'arrêt de la Cour de Paris, les journaux ont consacré à l'affaire une importance tout à fait exceptionnelle. Cette décision a suscité des passions et M. Pierre Bordas a même dû exercer son droit de réponse dans un quotidien (cf. « Le Monde » 18-19 novembre 1984). Résumant l'opinion de certains journalistes parmi les plus sérieux, le journal économique « Les Échos » titrait « Bordas : logique juridique contre réalité économique » ; il expliquait ainsi son sentiment : « Impeccable juridiquement, cette décision de justice paraît économiquement inique. C'est une logique contre une réalité qui implique la destruction de quatre à cinq millions de volumes, une perte d'identité et, au bout du compte, la disparition d'une société dont la réputation est étroitement liée au nom... En fait, chacun souhaite que les parties prenantes de cette affaire puissent aboutir à un compromis » (cf. « Les Échos », mardi 13 novembre 1984, première page).

M. Pierre Bordas s'est efforcé d'expliquer publiquement que la société n'était pas menacée de ruine pour la seule raison qu'elle changerait de nom. D'autres entreprises l'ont fait sans dommage pour elles et leur personnel : la Banque Saint-Phalle, est devenue la Compagnie Parisienne de banque, les Rothschild n'ont pas laissé leur nom à l'établissement nationalisé qui leur a succédé, les éditions Maspéro sont devenues les Éditions de la découverte après que François Maspéro eût fait don de ses actions à ses collaborateurs. Il n'était pas question, d'autre part, de mettre au pilon des millions de livres mais simplement de coller une étiquette sur la couverture, ce qui se fait souvent. Une transaction restait d'ailleurs possible.

Aucun compromis n'est cependant intervenu.

La société des Éditions Bordas s'est pourvue en cassation. La Chambre commerciale, désignée pour connaître de l'affaire, a cassé la décision de la Cour de Paris dans son arrêt du 12 mars 1985 (On aurait pu imaginer le renvoi devant une chambre mixte puisque le litige concernait le droit civil et le droit commercial ; cf. art. 131-2, al. 1er, Code de l'Organisation Judiciaire).

Très impressionnée certainement par les conséquences économiques communément attachées à l'arrêt de la Cour de Paris dans cette espèce, la Chambre commerciale a jugé plus prudent et équitable semble-t-il d'affirmer le droit pour les Editions Bordas de conserver sans réserve l'usage du patronyme Bordas ; elle a rejeté du même coup sans nuances toutes les prétentions de M. Pierre Bordas.

L'objet de la discussion dans cette affaire est la portée exacte de l'autorisation donnée en 1946 à la société d'édition d'insérer le nom Bordas dans sa dénomination sociale. Deux opinions s'affrontent à propos d'une importante question de principe qui dépasse le cadre de l'espèce ; l'une et l'autre résultent d'un raisonnement juridique, car il va sans dire que le juriste le plus favorable à la sauvegarde des entreprises ne peut se laisser enfermer dans l'alternative qui oppose logique juridique et réalité économique. Cette logique-là est le prix de la sécurité juridique dont les entreprises ont tout particulièrement besoin ; l'expérience montre qu'elle n'interdit ni les solutions raisonnables ni la progression du droit. Les parties sont d'ailleurs toujours libres de transiger si l'ordre public n'est pas en cause.

Quelque respect que l'on porte à la Cour de cassation, force est de reconnaître que l'analyse adoptée par la Chambre commerciale n'est pas conforme à la logique juridique dont une jurisprudence finalement assez abondante fournit les prémisses. L'opinion qu'a exprimée la

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première Chambre de la Cour de Paris dans l'arrêt du 8 novembre 1984 lui est incontestablement préférable et paraît bien la seule susceptible d'être retenue.

On exposera tout d'abord le raisonnement qui justifie cette opinion de la Cour de Paris (I), pour dire ensuite en quoi l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation paraît critiquable (II).

I. - Selon l'opinion que la Cour de Paris a consacrée dans son arrêt, les circonstances de l'espèce imposent — on l'a dit — de considérer l'incorporation du nom Bordas dans la dénomination sociale de la société des Éditions Bordas comme une tolérance précaire, révocable pour de justes motifs.

Pour de justes motifs par conséquent, le titulaire du patronyme peut obtenir que la société ne mentionne plus son nom dans sa dénomination sociale (A) et ne l'utilise pas davantage comme nom commercial (B). Ces deux aspects de la question sont étroitement complémentaires mais néanmoins distincts, ainsi qu'on le constatera.

Avant d'exposer les divers arguments sur lesquels se fonde cette opinion, on doit rappeler rapidement la distinction et les relations entre la dénomination sociale et la dénomination commerciale, ou nom commercial, afin de mieux saisir les circonstances de l'affaire.

On sait que, dotées de la personnalité morale, les sociétés ont un nom qui sert à les désigner, comme les personnes physiques, notamment dans la vie juridique. En principe, le nom des sociétés de personnes est une raison sociale formée des noms des associés personnellement responsables ou du nom de l'un d'entre eux avec la mention « & Compagnie » ; les sociétés anonymes et les sociétés à responsabilité limitée, au contraire, n'ont pas une raison sociale mais une dénomination sociale librement choisie par les associés. Ce nom désigne souvent la société non seulement dans la vie juridique mais aussi dans la vie commerciale, notamment dans la publicité destinée à la clientèle ; la société se sert alors de sa raison ou dénomination sociale comme dénomination commerciale également, c'est-à-dire comme nom commercial. Il arrive cependant que la société utilise comme nom commercial un vocable différent de son nom officiel, même s'il s'en inspire parfois.

En l'espèce, on a vu que la société anonyme des Editions Bordas a pour dénomination sociale « Éditions Bordas », conformément à l'article 3 des statuts. Par ailleurs, elle utilise souvent, pour sa publicité à l'égard du public en particulier, le vocable « Bordas » qui fait ainsi office de nom commercial.

A. — La dénomination sociale d'une société à responsabilité limitée ou d'une société anonyme peut comporter les noms d'un ou plusieurs associés, bien qu'ils ne soient pas personnellement responsables. La jurisprudence considère même « ... qu'il n'est pas illicite d'incorporer à la dénomination sociale le nom du fondateur ou de l'ancien propriétaire de l'établissement industriel dont la société continue l'exploitation » ; elle précise cependant que le nom du fondateur, ancien propriétaire, n'est pas susceptible de constituer la dénomination sociale à lui seul.

Il n'en reste pas moins vrai que la tolérance dont lait preuve le titulaire d'un patronyme à propos de l'insertion de son nom dans une dénomination sociale, est toujours révocable si l'intéressé invoque de justes motifs. Certains auteurs soutiennent même que, dans le cas où la dénomination sociale d'une société à responsabilité limitée comporte le nom d'un associé, cette dénomination doit être modifiée si cet associé se retire.

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La jurisprudence respecte le principe de la révocabilité de cette tolérance et s'attache essentiellement à vérifier la légitimité des motifs invoqués par le propriétaire du nom. Un arrêt de la Cour de Paris illustre bien cette position.Les faits étaient les suivants : les dirigeants de la société anglaise Aiton and C° Ltd ont participé en 1924 à la constitution de la société anonyme Société française des constructions Aitun ; John Aiton, président de la société anglaise, a été administrateur de la Société française des constructions Aiton dès l'origine de celle-ci et l'est resté jusqu'à une date proche du litige. L'objet de la société française était de reprendre et de continuer en France les installations commencées par la maison anglaise, en acquérant les biens et l'actif nécessaires à l'exploitation de l'affaire en France ; plusieurs accords de coopération industrielle ont été conclus entre la société anglaise et la société française. Le nom Aiton n'a cependant fait l'objet d'aucun apport ni d'aucune convention d'usage ou de cession au profit de la société française qui bénéficiait donc d'une simple tolérance pour l'inclure dans sa dénomination sociale constituant également sa dénomination commerciale. Pour des raisons qui n'apparaissent pas clairement à la lecture de l'arrêt de la Cour de Paris, la société anglaise et John Aiton ont demandé — 34 ans après la constitution de la société française — que cette dernière n'utilisât plus le nom Aiton dans l'exercice de son activité, et notamment dans sa dénomination sociale. Le tribunal, puis la Cour n'ont pas fait droit à leur demande parce que les motifs invoqués ne leur ont pas semblé justes. La Cour a reconnu tout d'abord que la présence du nom du fondateur dans la dénomination sociale d'une société est licite. Elle a ensuite admis justement que le propriétaire du patronyme et la société qui démontre un droit antérieur d'utiliser ce nom dans ses dénominations sociale et commerciale, puissent revendiquer l'un et l'autre la protection de leurs droits sur le nom litigieux au motif « qu'il est bien exact qu'en principe la tolérance de l'usage commercial par un tiers d'un nom patronymique, qui est inaliénable et imprescriptible, est toujours révocable ». Mais la Cour a néanmoins considéré qu'en l'occurrence la société française avait la faculté de garder l'usage du nom Aiton pour l'exercice de ses activités. Cette décision se justifiait parfaitement en raison des circonstances propres à l'espèce : la Cour a relevé que la société française a été créée par les dirigeants de la firme anglaise « qui en possèdent la plus grande partie du capital » ; elle a observé d'autre part que la firme française a reçu mission de poursuivre et de promouvoir en France l'activité de la firme anglaise, avec laquelle elle entretient des liens étroits de coopération industrielle ; elle a enfin retenu que « John Aiton était toujours actionnaire de la société avec d'autres membres de sa famille ». Dans de telles conditions, les prétentions de la société anglaise et de John Aiton d'interdire l'usage du nom Aiton à la société française étaient manifestement abusives et leurs motifs tout à fait injustifiés.

A contrario, le raisonnement adopté successivement par le tribunal puis la Cour de Paris dans l'affaire Aiton permet de soutenir que les prétentions de M. Pierre Bordas à l'encontre des Éditions Bordas se justifient tout à fait, elles, parce que les circonstances y sont en tous points exactement inverses de celles de l'affaire Aiton.

D'une part, en effet, M. Pierre Bordas ne détient plus aujourd'hui qu'une part infime d'actions non cotées en Bourse de la société des Editions Bordas ; ces valeurs sont invendables. La propriété d'une fraction aussi réduite du capital est négligeable pour la conduite de la société, le passé l'a montré. La situation de M. Pierre Bordas est donc inverse de celle de John Aiton et de la firme anglaise qu'il présidait : la Cour de Paris avait observé que la firme anglaise détenait la majorité du capital de la firme française et que John Aiton ainsi que plusieurs membres de sa famille en étaient d'importants actionnaires ; la famille Bordas au contraire n'est plus rien dans les Éditions Bordas.

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D'autre part, M. Pierre Bordas a quitté les Éditions Bordas parce qu'il n'était pas du tout d'accord avec la politique d'édition imposée à la société par le groupe financier. Le rôle de la société ne consistait donc pas à continuer et à développer l'exploitation en accord et en collaboration avec son fondateur dont le nom figurait dans la dénomination sociale, comme le faisait la société française dans l'affaire Aiton ; tout au contraire, elle entendait rompre avec la tradition qu'incarnait ce fondateur. Dès lors, l'inconvénient grave de voir la société des Éditions Bordas utiliser le nom de M. Pierre Bordas pour mener une politique qu'il réprouve au point de sacrifier sa situation apparaît clairement. Comme M. Pierre Bordas exerce toujours des activités dans l'édition scolaire et universitaire, que les sociétés qu'il préside aujourd'hui ont même déposé des marques dont son patronyme constitue l'élément essentiel, le risque de confusion est encore aggravé entre les entreprises portant son nom et qu'il dirige lui-même et l'entreprise qu'il ne dirige plus bien qu'elle porte son nom. Divers incidents ont montré que, aux yeux du public, la personne de M. Pierre Bordas symbolisait l'activité d'édition réalisée sous son nom, sans distinction entre ses entreprises personnelles et les Éditions Bordas, dont il n'a plus la responsabilité.

Le risque de confusion justifie bien par conséquent la suppression du nom Bordas de la dénomination sociale de la société des Editions Bordas, afin notamment que la politique d'édition qu'a choisie cette dernière ne soit pas automatiquement imputée par le public à M. Pierre Bordas, son concurrent désormais. Cette solution est conforme au droit positif qui s'efforce aujourd'hui d'écarter les risques de confusion, dans tous les domaines. La même conclusion s'impose, pour d'autres raisons juridiques encore, en ce qui concerne le nom commercial.

B. — Le nom commercial on l'a vu, sert à distinguer un fonds de commerce des fonds de commerce concurrents ; il peut être constitué par tout ou partie de la dénomination sociale d'une société.

Il va sans dire évidemment que l'interdiction d'insérer le nom Bordas dans la dénomination sociale de la société anonyme entraîne l'interdiction corrélative de l'utiliser de quelque façon que ce soit dans la dénomination commerciale, seul ou accompagné d'autres éléments. Le raisonnement qui précède devrait donc suffire. Mais d'autres arguments s'y ajoutent encore qui permettent aussi de conclure à l'interdiction de l'usage du nom Bordas dans la dénomination commerciale de l'actuelle société des Éditions Bordas, sans l'accord des propriétaires du patronyme.

L'étude de la jurisprudence montre en effet le souci constant des juges de ne pas permettre la confusion entre le fondateur et celui qui continue l'activité qu'il a créée ; ils respectent ainsi la fonction du nom commercial qui est bien de distinguer les entreprises industrielles ou commerciales aux yeux du public.

Les raisonnements qui suivent tiennent compte des circonstances de l'espèce ; c'est-à-dire que le nom Bordas n'a fait l'objet d'aucune convention relative à l'usage, ni d'une cession, ni d'un apport en société.

On verra en premier lieu que l'utilisation du nom Bordas seul comme nom commercial n'est pas conforme à la jurisprudence (a). En second lieu surtout, on constatera que l'usage du nom patronymique du fondateur comme dénomination commerciale constitue de toute façon une tolérance essentiellement précaire à laquelle le propriétaire du nom ou ses héritiers sont en droit de mettre fin lorsque aucun porteur du nom n'exerce plus de responsabilité dans l'entreprise (b).

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a) Indépendamment des arguments présentés précédemment à propos de la dénomination sociale, les Editions Bordas ne peuvent utiliser le nom Bordas seul dans leur dénomination commerciale, pour deux motifs.

1) Tout d'abord, l'usage même légitime du nom du fondateur — ancien propriétaire du fonds — dans la dénomination sociale de la société anonyme qui lui succède n'emporte pas le droit d'utiliser ce patronyme seul comme dénomination commerciale ; le nom ne doit pas être dissocié pour cette utilisation des autres éléments composant avec lui la dénomination sociale qu'il ne peut d'ailleurs pas suffire à constituer.

La Chambre civile de la Cour de cassation a eu l'occasion de l'affirmer clairement dans un arrêt du 7 mai 1956, qui rejette le pourvoi contre l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Lyon le 13 mars 1950 dans l'affaire Ricard. Ces deux décisions ont déjà été citées.

La Cour de cassation, après la Cour de Lyon, a rappelé les règles applicables à la dénomination sociale des sociétés anonymes et la licéité de l'usage du nom du fondateur. Mais elle a précisé aussitôt que « ... un tel nom fait alors partie intégrante de la dénomination sociale et qu'il n'en pourrait être détaché pour constituer la dénomination commerciale de la société sans créer dans le public la confusion que les textes susvisés du Code de commerce ont pour but d'éviter » (il s'agissait des art. 29 et 30, abrogés par la loi de 1966 qui ne modifie cependant pas la règle exprimée par ces textes selon laquelle une société anonyme n'a pas de raison sociale, cf. supra).La haute juridiction a donc jugé parfaitement fondée la décision de la Cour d'appel qui reconnaissait — en l'espèce contre les prétentions d'un homonyme concurrent — le droit de la société anonyme constituée pour exploiter le fonds créé par Joseph Ricard de prendre la dénomination sociale Distillerie Ricard, tout en lui refusant la propriété comme nom commercial du nom patronyme Ricard seul. Ce qui montre que le sort de la dénomination sociale d'une société et celui de son nom commercial ne sont pas inexorablement liés.

A supposer ainsi que les Éditions Bordas aient effectivement le droit d'utiliser cette dénomination sociale, contrairement à ce qui a été démontré précédemment, elles ne pourraient de toute façon pas revendiquer valablement le nom Bordas seul comme nom commercial.

2) En outre, il semble bien que la mention « successeur » ou tout autre mention équivalente doive accompagner le nom patronymique du fondateur inclus dans le nom commercial. Les tribunaux se sont fréquemment prononcés dans ce sens.

Dans un arrêt du 13 juin 1956, la Chambre civile de la Cour de cassation a jugé que, même dans l'hypothèse d'une cession expresse du nom avec le fonds, la mention « successeur » devait accompagner celle du patronyme du cessionnaire du fond « pour empêcher la clientèle de croire que le fonds appartient encore à la famille du fondateur », le nom du fondateur peut également être précédé des mots « ancienne maison ».La haute juridiction a considéré qu'il s'agissait là de l'une des « précautions d'usage nécessaires » pour révéler au public l'identité de la société qui a repris le fonds et sa qualité de successeur.

A l'occasion des deux arrêts précités du 3 mars 1965, rendus dans la même affaire Grospiron, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a affirmé également que, dans l'hypothèse d'une cession de fonds, l'autorisation donnée par le cédant au cessionnaire de se présenter comme son successeur lui permettait d'utiliser le nom du cédant avec l'indication de sa qualité de successeur.

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Dans l'affaire Aiton enfin, la Cour de Paris a aussi jugé, après avoir pris la position exposée précédemment à propos de la dénomination sociale, que l'usage du nom du prédécesseur dans la dénomination commerciale du successeur était possible « en présentant sa propre qualité de successeur ».

La dispense du mot « successeur » ou d'une mention équivalente ne se conçoit donc qu'en application d'une stipulation dans ce sens.

L'ensemble de cette jurisprudence illustre bien la volonté des juges d'éviter une utilisation du nom commercial qui engendrerait la confusion dans l'esprit du public, même lorsque la question a fait l'objet d'une convention : au-delà de l'intérêt des parties, c'est l'intérêt général qui est en cause.

En résumé, quand bien même les Éditions Bordas pourraient légitimement inclure le nom Bordas dans leur dénomination sociale, elles n'auraient pas pour autant la possibilité de l'utiliser comme nom commercial autrement que sous une forme telle que « anciennes Éditions Bordas société X... successeurs » ; à supposer évidemment que M. Pierre Bordas ne s'y oppose pas, comme on va le voir.

b) Enfin, un dernier argument essentiel mérite d'être développé : en l'absence de convention expresse portant sur le nom du fondateur, l'utilisation de ce patronyme comme nom commercial par la société des Éditions Bordas est essentiellement précaire. Sauf accord du propriétaire du nom patronymique, cette utilisation n'est possible en effet que pendant la période où le fondateur, ou des membres de sa famille porteurs du nom, restent véritablement associés.

Cette solution correspond, en ce qui concerne le nom commercial, à celle qui a été exposée précédemment à propos de la dénomination sociale.

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence s'est prononcée catégoriquement dans ce sens par un arrêt du 20 décembre 1949 ; la position qu'elle a adoptée n'a jamais été contredite depuis.

Dans cette affaire, plusieurs personnes, dont M. Isaac-Charles Bouchara, avaient créé en 1936 une société à responsabilité limitée ayant pour objet le commerce de tissus, dont le siège était fixé à Marseille, sous la dénomination sociale Azur-Soieries. Cette société devait notamment exploiter le fonds de commerce de tissus situé à Nice, qui fut immatriculé au registre du commerce en 1936 également, avec le nom Bouchara pour nom commercial et enseigne ; ce nom figurait aussi sur la façade du magasin. On sait que le patronyme Bouchara est très connu dans le commerce des tissus et que divers établissements commerciaux contrôlés par la famille Bouchara en font usage, son utilisation n'était donc pas indifférente pour attirer la clientèle dans le magasin de Nice. M. Isaac-Charles Bouchara avait admis tacitement l'usage de son patronyme par la société Azur-Soieries dont il était associé, mais sans qu'une convention expresse fût intervenue à ce propos. Tous les associés de la S.A.R.L. étaient gérants statutaires et la Cour d'Aix souligne que « ... la société ne comprenant que cinq associés, toute décision collective était prise d'un commun accord... ». Durant la guerre et l'occupation, tous les associés, qui étaient israélites, durent céder leurs parts à des prête-noms ; le magasin de Nice supprima le patronyme Bouchara de son nom commercial et de son enseigne. Après la Libération, tous les associés reprirent leurs parts, sauf Isaac-Charles Bouchara, décédé en 1943 ; les parts qu'il détenait furent rachetées à ses enfants par les autres associés, conformément aux stipulations de l'acte de société. Il n'y avait plus ainsi d'associé ou de responsable du nom de Bouchara dans la S.A.R.L. Azur-Soieries. Quelque temps après, Azur-Soieries a repris l'usage du patronyme

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Bouchara, ce qui a motivé le litige avec les héritiers porteurs du nom évidemment hostiles à cette utilisation de leur patronyme.

La Cour d'Aix a fait droit à la demande des héritiers Bouchara et interdit l'usage de ce nom par Azur-Soieries au motif qu'en l'absence de convention expresse, les représentants de la famille Bouchara, notamment Charles-Isaac, « ... n'entendaient autoriser la société Azur-Soieries à se servir du nom de "Bouchara" que tant que l'un des membres de la famille Bouchara, portant ce nom, en ferait partie et la dirigerait dans la ligne des autres filiales, toutes reliées entre elles par la centrale d'achats... ». La Cour a considéré très justement qu'on ne pouvait présumer que les Bouchara avaient donné gratuitement leur nom à la société.

En l'absence d'une convention expresse, l'usage d'un patronyme dans un nom commercial résulte donc d'une tolérance précaire, toujours révocable pour juste motif, même si ce nom est celui d'un fondateur de la société qui en use. De la même façon, une jurisprudence très abondante décide que la tolérance du titulaire d'une marque à l'égard d'un tiers qui en use sans son accord exprès ne manifeste jamais de sa part une renonciation quelconque à exiger le respect de son droit exclusif ; a fortiori, il faut en décider ainsi à propos du nom patronymique, qui est un droit de la personnalité sans doute plus digne encore de protection que la marque.

Le raisonnement suivi par la Cour d'Aix dans l'affaire Bouchara s'impose évidemment dans l'affaire Bordas : fondateur d'une maison d'édition qu'il dirigeait avec son frère, M. P. Bordas lui a tout naturellement donné le nom de la famille ; grâce à lui, ce nom a connu une large notoriété, devenant le symbole d'une maison d'édition de grande envergure. Lorsque des étrangers ont pénétré dans la société familiale pour des raisons financières, le fondateur a toléré — sans plus — que l'entreprise garde cependant le bénéfice du nom sous lequel elle était connue. Cette solution était avantageuse pour la société et sans inconvénient pour M. Pierre Bordas puisqu'il présidait toujours aux destinées de la maison. Et puis, M. Bordas a été évincé ainsi que sa famille ; il n'a plus exercé de responsabilité et la part du capital social qu'il détient encore ne lui donne aucun pouvoir pour orienter la maison. Le parallèle avec l'affaire Bouchara est manifeste. Comme les Bouchara, M. Pierre Bordas et sa famille ont cessé d'avoir une influence quelconque au sein de la société ; comme les Bouchara, M. Bordas est en droit d'en tirer les conséquences en faisant défense aux Éditions Bordas d'utiliser son nom dans leur dénomination commerciale. Cette utilisation ne se justifie plus depuis que la famille Bordas est étrangère aux Éditions Bordas ; elle a pour seul effet d'introduire une confusion anormale dans l'esprit du public, ce qui est contraire à la fonction dévolue au nom commercial en droit positif français.

En résumé, à supposer même que les Éditions Bordas puissent légitimement intégrer le nom Bordas dans la dénomination sociale de la société, à l'encontre de ce qui a été démontré, elles ne pourraient donc pas utiliser ce patronyme seul comme nom commercial mais devrait y ajouter les autres éléments de la dénomination sociale et la mention « successeur ».

Par ailleurs, l'usage du patronyme Bordas comme nom commercial par cette société résulte d'une tolérance essentiellement précaire de la part de son titulaire qui peut le faire interdire.

Au total, ainsi que l'a dit la Cour de Paris, M. Pierre Bordas justifie de motifs légitimes pour empêcher la société des Éditions Bordas d'insérer son nom dans sa dénomination sociale et il peut lui défendre de s'en servir comme nom commercial.

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La Chambre commerciale de la Cour de cassation a pourtant rejeté l'ensemble de ce raisonnement pour lui substituer une argumentation qui - à la lumière des explications précédentes - n'échappe pas à la critique.

II. — L'arrêt de la Chambre commerciale vise expressément les articles 1134 du Code civil (A) et 1er de la loi du 28 juillet 1824 (B).

A. — Sur le fondement de l'article 1134 du Code civil, la Chambre commerciale considère que l'insertion du patronyme Bordas dans la dénomination sociale, décidée par l'assemblée générale de la S.A.R.L. le 23 janvier 1943, avait définitivement transformé ce nom en signe distinctif, détaché de la personne physique de son titulaire « pour s'appliquer à la personne morale qu'il distingue et devenir ainsi objet de propriété incorporelle », c'est-à-dire droit exclusif au profit de la société.

La Cour de cassation a suivi ce faisant les conclusions de son Avocat général qui avait proposé, assez précautionneusement à vrai dire, que fût retenue l'opinion d'un auteur, établie semble-t-il à partir d'un arrêt de la Cour d'appel de Lyon du 9 mars 1933.

L'idée paraît intéressante mais ne résiste pas à l'analyse. Elle se heurte à la règle du droit des contrats selon laquelle le silence reste neutre à moins que des circonstances qui l'accompagnent le cas échéant n'éclairent le juge du fond — souverain pour l'appréciation des faits — sur le sens qu'il faut lui reconnaître (L'interprétation des contrats revient au juge du fond, la Cour de cassation vérifie seulement qu'il n'a pas dénaturé des clauses claires et précises. Ce problème de dénaturation ne pouvait se poser dans l'affaire Bordas puisqu'il n'existait aucune stipulation écrite et claire relative aux droits des Éditions Bordas sur le nom litigieux).

Il serait donc abusif d'interpréter la simple autorisation donnée par un dirigeant de société d'insérer son patronyme dans la dénomination sociale, sans autre précision, comme un transfert pur, simple, définitif et gratuit des droits sur son nom à la société pour une activité économique déterminée, même lorsqu'il aura cessé d'exercer un certain contrôle sur cette société ; comme on l'a vu, un important courant jurisprudentiel, plus récent que l'arrêt de la Cour de Lyon de 1933, a rejeté cette dangereuse interprétation du silence.

Un transfert aussi catégorique des droits sur le nom entre le titulaire du patronyme et la société ne peut en effet résulter d'une mystérieuse alchimie mais seulement d'une convention de cession du nom à titre onéreux ou bien d'une renonciation consentie à titre gratuit par l'associé titulaire du nom.

Dans l'affaire Bordas, la Cour de Paris n'a pas relevé l'existence d'une cession à titre onéreux et personne n'a jamais prétendu qu'un tel accord fût intervenu. Dès lors, l'arrêt de la Chambre des requêtes du 3 juin 1935, qu'invoque l'Avocat général pour démontrer le caractère définitif de l'acquisition du nom Bordas par la société, n'est pas du tout déterminant dans ce sens. Cette décision concernait une espèce très simple, qui n'avait rien de commun avec l'affaire Bordas puisque la Cour d'appel avait expressément relevé que « par l'acte constitutif et moyennant une rémunération », l'un des deux fondateurs « avait concédé à la société en commandite à titre exclusif et définitif » le droit d'insérer ses prénom et nom dans la raison sociale. Ces circonstances interdisaient le moindre doute sur la volonté exacte du fondateur titulaire du nom et le prix qu'il recevait justifiait parfaitement l'abandon de certains de ses droits sur son nom. Tel n'était pas du tout le cas dans l'affaire Bordas.

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La Cour de Paris n'a pas davantage relevé l'existence d'une renonciation gratuite de la part des frères Bordas, en faveur de la société, à reprendre jamais l'usage exclusif de leur nom pour l'exercice de leur activité professionnelle ; aucune de leurs attitudes ne peut même s'interpréter dans ce sens. Or, sauf disposition expresse de la loi qui n'existe pas en l'occurrence, la renonciation à un droit ne se présume pas et s'il est vrai qu'elle peut être tacite, une jurisprudence constante exige depuis longtemps que les faits positifs émanant du renonçant qui en sont la manifestation tangible ne comportent pas la moindre part d'équivoque ; ils doivent être « directement et à tous égards contraires au droit dont il s'agit. Un élément propre à l'espèce permet au contraire de présumer que les frères Bordas n'ont pas pu vouloir renoncer aux droits sur leur nom comme on le prétend. Il s'agit de la très grande importance du nom patronymique dans le monde de l'édition : en raison de cette considération, le silence des frères Bordas sur la portée de l'autorisation donnée à la société d'insérer leur nom dans la dénomination sociale ne peut pas être interprété comme le sacrifice définitif, sans contrepartie, d'un nom qu'ils ont su rendre célèbre.

Une dernière observation doit compléter ce qui précède. Une jurisprudence, fermement établie depuis longtemps elle aussi, applique en matière de renonciation le principe général déjà évoqué plus haut : elle reconnaît constamment au juge du fond un pouvoir souverain pour l'appréciation des faits dont la renonciation tacite peut être déduite. Or, dans l'arrêt du 12 mars 1985, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette en entier les constatations des juges du fond et apprécie elle-même les circonstances pour en déduire l'existence d'une renonciation conventionnelle gratuite et tacite de M. Pierre Bordas à reprendre l'usage exclusif de son nom pour de justes motifs ; elle tranche donc une question de fait. L'Avocat général n'a pas manqué d'apercevoir que cette objection constituait un obstacle important à son argumentation ; sans s'y arrêter véritablement, il l'a écartée en remarquant que s'il appartient aux juges du fond d'apprécier la volonté des parties, « ... il est essentiel que leur analyse soit faite à partir de principes exacts, faute de quoi la solution serait juridiquement erronée » ; cette formule très générale ne répond pas au problème posé, qui reste entier.

Il semble donc qu'on ait le choix en l'espèce entre deux interprétations de l'arrêt du 12 mars 1985 : ou bien la Chambre commerciale remet en cause la règle selon laquelle on ne présume pas la renonciation à un droit, ou bien elle renverse la jurisprudence qui reconnaît aux juges du fond le pouvoir souverain d'interpréter les faits, dans le cas de renonciation tacite spécialement. Mais on n'imagine pas cependant que la Cour de cassation ait entendu abandonner des principes d'une telle importance sans qu'ait été saisie l'Assemblée plénière dont le rôle est de se prononcer sur les questions de principe.

Le raisonnement que la Chambre commerciale a fondé sur l'article 1134 du Code civil incite plus à la perplexité qu'à la conviction.

B. — Quant à la référence que fait l'arrêt de la Cour de cassation à la loi du 28 juillet 1824, elle est moins probante encore. Cette loi, relative aux altérations ou suppositions de noms sur les produits fabriqués, est un texte pénal « destiné en fait à apporter à la contrefaçon de marque (lorsqu'elle était en même temps un nom commercial) une sanction appropriée à un moment où elle n'était punie que d'une peine criminelle, en pratique inapplicable. C'est dire l'aspect très particulier de cette loi de 1824 restée encore en vigueur alors que sa raison d'être a disparu tant en raison de la loi de 1964 sur la contrefaçon que la loi de 1905 sur les fraudes ». L'article 1er que vise l'arrêt de la Cour de cassation, dispose : « Quiconque aura soit apposé, soit fait apparaître par addition, retranchement, ou par une altération quelconque, sur des objets fabriqués, le nom d'un fabricant autre que celui qui en est

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l'auteur, ou la raison commerciale d'une fabrique autre que celle où lesdits objets auront été fabriqués, ou enfin le nom d'un lieu autre que celui de la fabrication, sera puni des peines portées en l'article 422 et suivants du Code pénal, sans préjudice des dommages-intérêts, s'il y a lieu. Tout marchand, commissionnaire ou débitant quelconque sera passible des effets de la poursuite, lorsqu'il aura sciemment exposé en vente ou mis en circulation des objets marqués de noms supposés ou altérés ».

On n'aperçoit pas immédiatement l'intérêt de ce texte en l'espèce. Peut-être la Chambre commerciale a-t-elle voulu dire qu'on ne pouvait interdire aux Éditions Bordas de vendre des livres portant leur nom commercial tel qu'il résultait de « l'accord » de 1946 ? Mais c'est une évidence si l'on attache à cet « accord » l'effet que lui a reconnu l'arrêt du 12 mars 1985.

L'incertitude demeure, d'autant plus que les conclusions de l'Avocat général ne suggèrent aucune explication à ce propos.

Au total donc, les arguments que la Chambre commerciale a tirés des articles 1134 du Code civil et 1er de la loi du 28 juillet 1824 ne peuvent pas emporter l'adhésion. L'arrêt qu'elle a rendu le 12 mars 1985 présente le danger de remettre en cause des principes juridiques très importants dans les domaines de la renonciation à un droit et du pouvoir souverain dont dispose le juge du fond pour apprécier les faits ; cela ne se conçoit guère de cette façon, compte tenu de la portée générale qu'un tel changement comporterait. Pour ce qui est de l'équité, puisqu'on en parle, l'arrêt sacrifie purement et simplement les droits du titulaire du patronyme qui, par ses qualités professionnelles incontestées, a su rendre son nom célèbre au point d'en faire un signe distinctif irremplaçable semble-t-il aux yeux de ceux qui l'ont évincé. Ce faisant, la Cour de cassation facilite ce que d'aucuns pourraient appeler la « politique du coucou » qui consiste pour un groupe financier à s'introduire dans une entreprise très connue, à l'occasion de difficultés de trésorerie, puis à évincer le fondateur contre son gré, d'une façon ou d'une autre, en gardant sans le dédommager l'usage de son nom pour des raisons purement commerciales, parce que ce patronyme constitue un symbole très connu du public. Cette technique banale est toujours déplaisante ; mais il faut surtout se garder de l'encourager dans un secteur tel que l'édition, où l'action — que symbolise le nom patronymique — exprime tout particulièrement des convictions intellectuelles et morales, c'est-à-dire une personnalité ; le résultat d'une telle combinaison semble là beaucoup plus choquant encore qu'ailleurs.

La qualité du raisonnement juridique de la Cour de Paris a, au contraire, été généralement admise, sauf par la Cour de cassation, et il ne semble en effet pas possible d'adopter une démarche différente sur le plan de la logique juridique. On a surtout fait grief à l'arrêt du 8 novembre 1984 d'avoir adopté une solution dangereuse pour la sécurité de la vie des affaires en encourageant un véritable chantage de la part de descendants ou de parents plus ou moins éloignés des fondateurs dont le nom est devenu une dénomination commerciale prestigieuse ; c'est oublier que la jurisprudence unanime ne prend en considération que les prétentions du titulaire du nom fondées sur de justes motifs, le pouvoir d'appréciation dont disposent les juges du fond à ce propos ne laisse sérieusement subsister aucun risque d'abus. On a également reproché à cet arrêt d'avoir méconnu l'équité, c'est-à-dire la réalité économique et les intérêts présumés vitaux de la société des Éditions Bordas ; mais cette critique ne condamne pas le raisonnement juridique de la Cour de Paris : rien n'interdit aux juges du fond de prendre en considération certains intérêts vitaux de l'entreprise, s'ils sont effectivement démontrés, pour fixer des modalités d'exécution de la décision qui en tiennent compte, sans parler de la possibilité laissée aux parties de réaliser une transaction. Du point

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de vue de l'équité d'ailleurs, l'arrêt du 8 novembre prend justement en considération les droits très légitimes du titulaire du patronyme qu'on ne doit jamais perdre de vue.

Il faut espérer que la Cour de renvoi ne décevra pas l'attente d'une solution raisonnable dans un conflit aussi lourd de conséquences diverses.

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Séance n° 5 Le fonds de commerce (2/3)

La clientèle : I/ La nécessité d’une clientèle

� Cass. com., 31 mai 1988, n° 86-13486 (document n° 1). � Cass. 3e civ., 10 septembre 2010, n° 09-68521 (document n° 2). � Cass. com., 10 juin 1986, n° 84-17711 (document n° 3).

II/ Les qualités de la clientèle A) Clientèle réelle et certaine

� Les stations-service neuves : Cass. com., 27 février 1973, n° 71-10797 (document n° 4) : D. 1974, p. 283, note J. Derruppé.

B) Clientèle propre 1° Les commerces enclavés

� L’arrêt de référence est : Cass. ass. plén., 24 avril 1970, n° 68-10914 (document n° 5). Cf. autre exemple : Cass. 3e civ., 1er décembre 1976, n° 75-14592.

� Par la suite, les tribunaux ont exigé des commerçants qui réclamaient le bénéfice de la propriété commerciale qu’ils justifient, en plus d’une clientèle personnelle, d’une « clientèle prédominante » par rapport à celle de l’entreprise qui les accueille. Cf. Cass. 3e civ., 27 novembre 1991, n° 90-15177. Mais, la jurisprudence a fini par abandonner cette exigence critiquée. Cf. Cass. 3e civ., 19 mars 2003, n°01-17679 : D. 2003, p. 2749, note H. Kenfack (document n°6).

2° Les commerces intégrés

� Cass. 3e civ., 27 mars 2002, Trévisan, n°00-20732 : D. 2002, p. 2400, note H. Kenfack (document n°7).

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Document n° 1

Cass. com., 31 mai 1988, n° 86-13486

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La Cour de cassation : Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : Vu l'article 1er de la loi du 17 mars 1909 ; - Attendu qu'il n'y a pas de fonds de commerce lorsqu'il n'y a pas ou lorsqu'il n'y a plus de clientèle qui s'y trouve attachée ; - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que les consorts X... ont donné à bail à la société Vernier et Compagnie (société Vernier) une boutique à usage de grossiste, commissionnaire en librairie et éditeur de livres et albums, par un acte sous seing privé du 18 octobre 1979 qui prévoyait que le bail ne pourrait être cédé qu'à un successeur dans son commerce ; que, par acte notarié du 22 avril 1983, la société Vernier, assistée du syndic de son règlement judiciaire, a vendu à la société établissements Sylemma-Andrieu (société Sylemma) son fonds de commerce de vente de livres et éditions, comprenant le nom commercial et l'achalandage y attaché ainsi que le droit au bail des locaux où était exploité le fonds ; que les consorts X... ont assigné la société Vernier et le syndic ainsi que la société Sylemma en résolution du bail du 18 octobre 1979, estimant que la cession intervenue, qui ne portait que sur ce contrat et non sur le fonds de commerce de la société Vernier, avait été faite en contravention à la clause susvisée ; - Attendu que, pour rejeter cette demande, la cour d'appel a considéré qu'en raison du genre et de la nature du commerce, exercé dans un quartier de Paris où sont exploités de nombreux fonds de même sorte, et qui bénéficie par là même d'un achalandage important propre à cette situation, la " clientèle " exclue de la vente, et qui est seulement celle figurant au fichier précédemment cédé, ne constitue pas un élément essentiel du fonds dont était propriétaire la société Vernier, et qu'il s'ensuivait que, nonobstant cette exclusion, la société Sylemma pouvait être tenue pour le successeur dans son commerce de la société Vernier ; - Attendu qu'en statuant ainsi, après avoir retenu que l'acte de vente du 22 avril 1983 mentionnait " observation étant faite que la clientèle, qui a déjà fait l'objet d'une cession, est exclue de la présente vente ", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ; - Par ces motifs : Casse et annule.

Document n° 2 Cass. 3e civ., 10 septembre 2010, n° 09-68521

La Cour de cassation : Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 19 mars 2009) que, par acte authentique du 9 mai 2006, M. Claude X..., venu en qualité d'héritier aux droits de M. Guiseppe X..., titulaire depuis le 1er janvier 1998 d'un bail portant sur des locaux à usage commercial, a donné en location-gérance à la société Multiprix le fonds de commerce qui y était exploité ; que cet acte a été notifié le 26 mai 2006 à la bailleresse, Mme Y... ; que, par acte du 27 juin 2006, cette dernière a délivré à M. Claude X... un congé portant refus de renouvellement sans indemnité d'éviction pour motifs graves et légitimes, puis a assigné M. X... et la société Multiprix en validation de ce congé et en expulsion ; - Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes et de dire que M. X... peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction et au droit au maintien dans les lieux alors, selon le moyen : 1°/ que le fonds de commerce disparait à la suite de la perte de sa clientèle et ne peut, alors, faire l'objet d'un contrat de location-gérance ; que la seule situation d'un local est impuissante à constituer une clientèle ; qu'en décidant néanmoins qu'au regard de la situation du local loué et de la nature du commerce qui y était pratiqué, le fonds de commerce disposait nécessairement d'une clientèle, comme tous les commerces de même nature exploités dans la ville, pour en déduire que la clientèle n'avait pu être perdue à la suite de la fermeture prolongée du fonds et que celui-ci avait pu faire l'objet d'un contrat de location-gérance, qui ne pouvait dès lors être requalifié en sous-location prohibée, la cour d'appel a violé les articles L. 144-I et L. 141-5 du code du commerce ; 2°/ que le bénéfice du statut des baux commerciaux ne peut être accordé à un locataire qui n'est pas immatriculé au registre du

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commerce et des sociétés à la date de la délivrance du congé par le bailleur ; que si, lorsque le fonds de commerce a été donné en location-gérance, le bailleur du fonds ne doit pas nécessairement être immatriculé, le locataire gérant doit, en revanche, être inscrit au registre du commerce et des sociétés à la date de la délivrance du congé, à défaut de quoi le preneur du fonds ne peut se prévaloir, à l'égard de son bailleur, du statut des baux commerciaux et prétendre au renouvellement du bail ; qu'en décidant néanmoins que, bien que n'étant pas immatriculé au registre du commerce et des sociétés, M. X... était en droit de se prévaloir du statut des baux commerciaux pour prétendre au renouvellement du bail, dès lors qu'il avait donné le fonds de commerce en location-gérance, sans rechercher si le locataire-gérant, la société Multiprix, était immatriculé au registre du commerce et des sociétés à la date de la délivrance du congé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 123-1, L. 144-2 et L. 145-I du code du commerce ; - Mais attendu, d'une part, que la cessation temporaire d'activité n'implique pas en elle-même la disparition de la clientèle ; qu'ayant relevé souverainement que l'interruption temporaire d'exploitation à la suite du décès de l'exploitant n'avait pas affecté l'achalandage attaché au fonds en raison de l'activité exercée concernant en quasi totalité la clientèle de passage constituée par les pèlerins venant à Lourdes et que, tout comme l'achalandage, la clientèle du fonds n'avait pas davantage pâti de l'interruption de l'exploitation, s'étant naturellement reconstituée dès la réouverture du fonds au public, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé l'existence d'une clientèle actuelle et certaine et non future ou potentielle, en a déduit, à bon droit, que le fonds de commerce litigieux n'avait pas disparu à la date de la conclusion du contrat de location-gérance ; - Attendu, d'autre part, que le défaut d'immatriculation du locataire-gérant d'un fonds de commerce au registre du commerce et des sociétés à la date de délivrance du congé au preneur à bail des locaux où est exploité ce fonds n'est pas de nature à priver ce preneur du bénéfice du statut des baux commerciaux ; que la cour d'appel a exactement retenu, sans être tenue de rechercher si le locataire-gérant avait effectué à la date de délivrance du congé les diligences lui incombant en matière d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, qu'en vertu de l'article L. 145-I-II du code de commerce, M. Claude X..., propriétaire du fonds de commerce donné en location-gérance, n'avait pas besoin d'être immatriculé pour bénéficier du statut des baux commerciaux ; - D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

Document n° 3 Cass. com., 10 juin 1986, n° 84-17711

La Cour de cassation : Sur le moyen unique du pourvoi : Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 septembre 1984) que M. X... qui exerçait la profession d'agent de sécurité, a cédé à M. Y..., pour une certaine somme payable pour une part comptant et le solde par mensualités, la clientèle constituée par la SNIAS, conservant pour lui-même une autre partie de la clientèle ; qu'il a mis à la disposition de M. Y..., contre une participation au loyer et aux frais, les locaux et le matériel qu'il continuait à utiliser, ainsi que la partie du personnel permettant d'assurer la continuité du service ; que des dissensions étant intervenues entre les parties, M. Y... a assigné M. X... en nullité du contrat ; que celui-ci a demandé reconventionnellement de faire défense sous astreinte à M. Y... d'utiliser le nom de X... ; - Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré valable la cession, alors, selon le pourvoi, que si la cession d'un ensemble d'éléments permet d'attirer et de retenir une clientèle globale et valable, en revanche, la cession isolée d'un seul client dont la liberté reste évidemment entière quant au choix de ses cocontractants, apparaît comme dépourvue de cause, le cédant n'ayant pas le pouvoir d'imposer son prétendu cessionnaire à ce client ; qu'en admettant la validité d'une pareille cession, la Cour d'appel a violé l'article 1131 du Code civil

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; - Mais attendu que l'arrêt a retenu que M. X... a facilité la cession de clientèle de la SNIAS à M. Navucet en mettant à sa disposition le personnel nécessaire à l'exécution de la tâche de surveillance et les moyens matériels de l'exercer ; qu'il a usé de ses relations personnelles avec cette société pour que celle-ci entre en rapport avec M. Y..., et l'a si bien introduit que ce dernier a conservé sa clientèle ; que la Cour d'appel a pu déduire de ces constatations la validité de la cession intervenue ; que le moyen n'est pas fondé ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

Document n° 4 Cass. com., 27 février 1973, n° 71-10797

La Cour de cassation : Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : Attendu que, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Lyon, 5 janvier 1971), la société Desmarais frères, aux droits de laquelle se trouve la compagnie française de distribution " Total " a, par contrat du 8 juillet 1958, donné en gérance libre à Jouenne une station-service neuve ; - Que, Total lui ayant notifié congé pour le 31 décembre 1969, Jouenne a prétendu qu'il avait crée le fonds de commerce, dont il avait été le premier exploitant et a soutenu que la convention de 1958, inexactement qualifiée de location-gérance, constituait en réalité une location de locaux à usage commercial, que, par suite, conformément aux dispositions du décret du 30 septembre 1953, il avait droit au renouvellement du bail ou, à défaut, à une indemnité d'éviction ; - Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel d'avoir débouté Jouenne de ses prétentions alors, d'une part, que la location-gérance d'un fonds de commerce suppose l'existence d'un fonds et qu'il ne peut exister de fonds sans clientèle préexistante, les conclusions de Jouenne faisant valoir que le caractère spécialisé d'un immeuble ne peut suffire à attribuer au bailleur la propriété du fonds installé dans cet immeuble, alors, d'autre part, que l'achalandage constitué par des clients de passage ne doit pas être confondu avec la clientèle fixe du fonds de commerce qui s'approvisionne toujours au même endroit, alors, enfin, que le droit de distribution exclusive des produits d'une marque donnée n'implique pas que la clientèle d'un fonds appartient au propriétaire de la marque ; - Mais attendu qu'après avoir relevé qu'aux termes du contrat du 8 juillet 1958, le fonds de commerce de distribution de carburant exploite sous l'enseigne " Azur - Desmarais frères ", donne en gérance à Jouenne, comprenait non seulement le matériel, les installations, les aménagements et les autorisations administratives nécessaires à l'exploitation, mais encore la clientèle et l'achalandage, la cour d'appel constate que Jouenne ne rapporte nullement la preuve de l'inexactitude de ces mentions, qu'au contraire, il est constant que tous les éléments y compris les éléments incorporels, appartenaient à la société Desmarais frères, que Jouenne n'a fait aucun apport personnel dans la création du fonds et qu'il ne peut prétendre n'avoir trouvé aucune clientèle à son entrée, que, dès le premier jour, des automobilistes se sont ravitaillés à la station-service, indifférents à la personnalité du gérant, que la clientèle existait déjà comme une réalité présente ; - Attendu qu'en déclarant dans ces circonstances et abstraction faite d'autres motifs critiques qui peuvent être tenus pour surabondant, que les prétentions de Jouenne étaient sans fondement, la cour d'appel a usé de son pouvoir souverain ; - Que le moyen ne peut être accueilli, en aucune de ses branches ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

Document n° 5 Cass. ass. plén., 24 avril 1970, n° 68-10914

La Cour de cassation : Sur le moyen unique pris en ses deux branches : Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt confirmatif attaqué que, par acte sous seing privé du 20 mars 1961, la société des courses rouennaises a donné à Bayait, pour une durée de trois années, la

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concession exclusive de l'installation et de l'exploitation des buffets-buvettes et comptoirs sur le champ de courses de Rouen; que Bayait, ayant reçu congé à l'expiration de la période fixée, a demandé le renouvellement de son " bail ", par application du décret du 30 septembre 1953 ; - Attendu qu'il est fait grief à la cour d'appel de l'avoir débouté de cette demande, au motif qu'il n'établissait pas qu'il avait une clientèle personnelle, élément essentiel de tout fonds de commerce, alors que, d'une part, dès lors que les termes du bail impliquaient la possibilité d'une clientèle et que, selon l'arrêt attaqué, le preneur avait une clientèle les jours de courses, il était fondé à invoquer le bénéfice du droit au renouvellement de son bail, et alors que, d'autre part, et surabondamment, dès lors que la société lui avait, par une lettre de 1962, reconnu le droit de traiter des clients en dehors des jours de courses, moyennant redevance et avis préalable, la cour, qui constatait que des banquets avaient été effectivement organisés en dehors des jours de courses, n'était pas fondée à écarter cette lettre au seul motif que ces conditions n'avaient pas été acceptées, sans préciser par qui et dans quelles conditions, le revirement postérieur de la société des courses ne pouvant être retenu après l'accord formel donne en 1962 ; - Mais attendu que la cour d'appel, appréciant souverainement le sens et la portée tant de la convention du 20 mars 1961 que de la lettre du 5 octobre 1962, par laquelle la société autorisait Bayait à servir des banquets mais sous condition de l'en aviser chaque fois et de lui verser une redevance, relève que, ces conditions n'ayant pas été acceptées, l'activité de Bayait devait être limitée, conformément à l'accord originaire, à l'enceinte du champ de courses et réduite aux seules journées de réunions hippiques ; qu'ayant constaté, d'une part, que le nombre des réunions prévues au contrat était de 6 a 7 par an et, d'autre part, que le public, qui était venu sur l'hippodrome et avait fréquenté les buffets-buvettes de Bayait, s'était rendu avant tout sur les lieux pour assister aux courses de chevaux, qu'ainsi Bayait ne s'était pas constitué une clientèle personnelle distincte de celle de la société des courses, la cour d'appel a pu en déduire qu'il ne remplissait pas les conditions exigées par l'article 1er du décret du 30 septembre 1953 ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

Document n° 6 Cass. 3e civ., 19 mars 2003, n°01-17679 : D. 2003, p. 2749, note H. Kenfack

La Cour de cassation : Sur le premier moyen : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 5 octobre 2001), rendu sur renvoi après cassation (Civ3 7 octobre 1998 n° 1517 D), que Mmes X... et Y... ont exploité depuis 1977 un chalet situé sur la commune d'Orcières, destiné à la vente de "casse-croûte" et boissons ; - Qu'à cette fin, la régie des remontées mécaniques d'Orcières Merlette, aux droits de laquelle se trouve la commune d'Orcières, leur a consenti des contrats successifs intitulés "location saisonnière", puis le 20 mai 1985, pour une durée de 6 ans à compter du 1er novembre 1984, un contrat dénommé "gérance libre de fonds de commerce", enfin le 22 décembre 1990 un contrat de "bail précaire à caractère saisonnier" pour la période du 15 décembre 1990 au 15 avril 1991 ; que le 7 août 1991, la régie des remontées mécaniques a refusé de renouveler le contrat et demandé la remise des clefs ; que Mmes X... et Y... l'ont assignée en revendication du bénéfice du statut des baux commerciaux et paiement d'une indemnité d'éviction ; - Attendu que la commune d'Orcières fait grief à l'arrêt de dire que Mmes X... et Y... sont titulaires d'un bail commercial régi par le décret du 30 septembre 1953 depuis le 20 décembre 1978 qui lui est opposable et de la condamner en conséquence à leur payer une indemnité d'éviction d'un certain montant, alors, selon le moyen : 1 / que le contrat de location portant sur un local faisant partie du domaine public d'une collectivité locale n'entre pas dans le champ d'application des dispositions des articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce ; que la cour d'appel a constaté que le Chalet, appartenant à la commune d'Orcières Merlette était situé sur son domaine skiable ; qu'il résultait ainsi des propres constatations des juges du fond que le Chalet appartenait au domaine public de la

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commune ; qu'en jugeant néanmoins que le contrat était soumis au statut des baux commerciaux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce ; 2 / que la seule immatriculation des locataires au Registre du commerce et des sociétés ne saurait faire présumer leur droit à bénéficier du statut des baux commerciaux, à charge pour le propriétaire de rapporter la preuve contraire ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du Code civil et L. 145-1 du Code de commerce ; 3 / que le locataire qui exerce son activité dans l'enceinte d'un autre établissement ne peut prétendre à la propriété commerciale qu'à la condition qu'il dispose d'une clientèle propre prépondérante par rapport à celle attachée à l'activité de l'établissement dans lequel il est installé ; qu'en jugeant en l'espèce que les locataires du Chalet de Rocherousse disposaient d'un bail commercial sans caractériser le fait que Mmes Z... bénéficiaient d'une clientèle propre prépondérante par rapport à celle de la Régie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce ; 4 / que, en tout état de cause, le contrat entre la Régie et Mmes A... le 22 décembre 1990, intitulé "contrat de bail précaire à caractère saisonnier" stipulait expressément que "cette location est faite à titre précaire et à durée limitée. En aucun cas, la société locataire pourra prétendre à un quelconque droit de propriété commerciale" ; qu'en estimant que le bail s'était "renouvelé par tacite reconduction, nonobstant la qualification des conventions", et que le statut des baux commerciaux devait s'appliquer, la cour d'appel a méconnu la loi des parties et a violé l'article 1134 du Code civil ; - Mais attendu, d'une part, que la commune d'Orcières n'ayant pas soutenu devant les juges du fond que le contrat de location portait sur un local faisant partie du domaine public, et comme tel exclu du champ d'application du statut des baux commerciaux, le moyen est nouveau de ce chef, mélangé de fait et de droit ; - Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que Mme Y... et Mme X..., régulièrement inscrites au registre du commerce et des sociétés depuis 1978 et 1979, exerçaient dans les lieux loués, dont elles avaient la libre disposition toute l'année, un commerce de vente de "casse-croûte" et boissons et qu'elles possédaient, en dehors de la clientèle de la régie des remontées mécaniques, une clientèle propre constituée par les amateurs de ski de fond, les randonneurs, les promeneurs en raquette et les amateurs d'équitation, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de rechercher si cette clientèle personnelle, dont elle constatait souverainement l'existence, était prépondérante par rapport à celle de la régie, en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que les preneuses bénéficiaient du statut des baux commerciaux ; - D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ; - Sur le second moyen, ci-après annexé : Attendu que la cour d'appel n'a pas prononcé l'anatocisme à compter du 21 octobre 1991 ; que le moyen manque en fait ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi. Note : 1 – […] En l'espèce, deux dames avaient exploité depuis 1977, dans un chalet faisant partie du domaine public de la commune d'Orcières, un commerce de vente de « casse-croûte » et de boissons. A cet effet, elles avaient conclu avec la régie des remontées mécaniques d'Orcières - aujourd'hui remplacée par la commune d'Orcières - plusieurs contrats successifs intitulés « location saisonnière », puis, en 1985, un contrat de « gérance libre de fonds de commerce » d'une durée de six ans à compter du 1er nov. 1984 et, enfin, le 22 déc. 1990, un contrat de « bail précaire à caractère saisonnier » pour une durée de moins d'un an allant du 15 déc. 1990 au 15 avril 1991. Ce contrat stipulait clairement que la « location est faite à titre précaire et à durée limitée. En aucun cas, la société locataire pourra prétendre à un quelconque droit de propriété commerciale ». A l'issue du contrat, le bailleur en a refusé le renouvellement et exigé la remise de clefs. Les locataires ont alors invoqué le bénéfice du statut des baux commerciaux. Jusqu'à cette affaire […], qui aurait pu parier un euro sur les chances de succès d'une telle demande fondée sur les art. L. 145-1 s. c. com. ? D'après ces

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articles, un commerçant exerçant son activité dans un local commercial en tant que locataire peut bénéficier du statut protecteur lui assurant une certaine stabilité : il a en effet un droit au renouvellement de son bail et à défaut, sauf exception, à une indemnité d'éviction, à condition notamment qu'il s'agisse du propriétaire du fonds de commerce exploité dans les lieux loués et qu'il soit immatriculé au registre du commerce et des sociétés. Cette dernière condition ne soulève en général pas de difficultés même si, en l'espèce, devant les juges du fond, une question de preuve s'était posée. La condition qui pose problème est celle de la propriété du fonds de commerce, le droit français considérant que la clientèle est l'élément central du fonds. Ainsi, dans l'espèce concernée, la question de fond est en principe de savoir si les exploitantes du chalet dans lequel fonctionne un restaurant de casse-croûte et de boissons ont une clientèle attachée à leur fonds. 2 - Elle se complique dans la mesure où le commerce est « intégré » dans un domaine skiable dépendant de remontées mécaniques. La situation est similaire pour tous les commerces qui sont exploités dans l'enceinte d'autres commerces ou d'une structure géographique plus importante, parfois appelés autrefois « commerces intégrés », « commerces dépendants » ou, aujourd'hui, « commerces satellites » comme les buffets, les restaurants, les bars, les fleuristes installés dans l'enceinte d'une gare, d'un théâtre, d'un hippodrome ou d'un centre commercial. Dans de tels cas, pour reconnaître à l'exploitant le statut des baux commerciaux, la jurisprudence a longtemps posé des conditions au-delà des textes légaux : elle exigeait non seulement une clientèle propre à l'exploitant, mais en plus que cette clientèle soit prépondérante par rapport à celle de la structure géographique dans laquelle il était intégré ou de l'établissement d'accueil. L'exploitant devait donc doublement prouver l'existence d'une clientèle personnelle et sa prépondérance. Comment apporter une telle preuve ? Ce durcissement des conditions d'application de la loi avait suscité de nombreuses critiques doctrinales. Outre le fait qu'il n'était pas prévu par le texte légal, il contribuait à dénier le statut des baux commerciaux à des commerçants qui exploitaient pourtant leur fonds de commerce en toute indépendance juridique. […]. C'est dans ce contexte qu'intervient l'arrêt annoté. Si on avait appliqué la jurisprudence antérieure - expressément invoquée par les demandeurs au pourvoi -, il aurait été difficile d'admettre que les exploitantes du casse-croûte bénéficiaient du statut des baux commerciaux. En effet, même si elles franchissaient l'obstacle de la clientèle personnelle, pouvaient-elles prouver que celle-ci est prépondérante par rapport à celle de la régie des remontées mécaniques ? 3 - Dans l'arrêt du 19 mars 2003, la Cour de cassation revient en partie sur sa jurisprudence antérieure et approuve une cour d'appel d'avoir décidé que les exploitantes, « régulièrement inscrites au registre du commerce et des sociétés depuis 1978 et 1979, exerçaient dans les lieux loués, dont elles ont la libre disposition toute l'année, un commerce de vente de casse-croûte et boissons et qu'elles possédaient, en dehors de la clientèle de la régie des remontées mécaniques, une clientèle propre constituée par les amateurs de ski de fond, les randonneurs, les promeneurs en raquettes et les amateurs d'équitation [...] ». Elle ajoute que « la cour d'appel, qui n'était pas tenue de rechercher si cette clientèle personnelle dont elle constatait

l'existence était prépondérante par rapport à celle de la régie, en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que les preneuses bénéficiaient du statut des baux commerciaux ». Cette heureuse décision n'est qu'une application de la loi. Outre qu'elle confirme le pouvoir de requalification du juge qui doit donner aux actes leur véritable portée sans se limiter aux seules stipulations contractuelles, elle traduit une évolution jurisprudentielle rendant inutile le critère de la prépondérance de la clientèle personnelle du commerçant intégré par rapport à celle de l'intégrant.

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4 - L'arrêt du 19 mars 2003 est important en ce qu'il décide de l'abandon de l'exigence d'une clientèle prépondérante. En réalité, cet abandon est logique tant cette condition avait été de toute pièce fabriquée par la jurisprudence. La loi impose simplement qu'un fonds de commerce ou artisanal soit exploité dans les lieux et qu'il appartienne à celui qui veut en bénéficier (art. L. 145-1 s. c. com.). Cette exigence jurisprudentielle ayant durci les conditions d'attribution du statut des baux commerciaux aux « commerces intégrés » était critiquable et pas vraiment justifiée, juridiquement ou même économiquement. Comme l'avait relevé la doctrine en critiquant son application à la franchise, elle conduisait les juges à une casuistique qui était incompatible avec la sécurité des transactions. En effet, il fallait, au cas par cas, rechercher si la clientèle de l'entreprise « dépendante » était prépondérante par rapport à celle de l'entreprise dite « dominante » géographiquement. En l'espèce, comment pouvait-on appliquer une telle position ? Dans l'arrêt annoté, la Cour de cassation approuve la cour d'appel d'avoir admis que le restaurant d'altitude bénéficiait du statut des baux commerciaux parce qu'il avait une clientèle propre. Certes, le chalet-restaurant dépendait largement du fonctionnement des remontées mécaniques. Mais la cour d'appel avait constaté que ce restaurant avait une clientèle personnelle constituée par « les amateurs de ski de fond, les randonneurs, les promeneurs en raquettes et les amateurs d'équitation », c'est-à-dire de personnes n'ayant pas besoin de remontées mécaniques. Désormais, l'existence d'une clientèle propre rend inutile toute recherche supplémentaire sur la prépondérance de cette clientèle. Il s'agit là simplement d'une application de la loi sans ajout de conditions comme l'avait fait la jurisprudence. 5 - La nouvelle position doit être approuvée. Elle a le mérite d'éliminer une preuve qui était quasiment impossible à apporter. Elle évite au juge d'évaluer au cas par cas s'il y a prépondérance de clientèle. En outre, elle est conforme à l'esprit de l'arrêt du 27 mars 2002 [cf. infra document n° 7] dans lequel la Cour de cassation abandonne la démarche casuistique consistant à analyser qui, du franchiseur ou du franchisé, a créé et développé la clientèle, en décidant que le franchisé bénéficie en principe de la propriété commerciale. Même si les situations sont distinctes, il est logique que, dans la franchise comme dans les « commerces intégrés », le texte de loi soit respecté sans ajout de condition. Il n'est pas besoin d'insister davantage sur cette application « normale » de la loi, ni même de donner une importance démesurée à ce retour à la légalité. Une comparaison peut d'ailleurs être effectuée entre cet arrêt et celui du 7 oct. 1998 sur la cause. En effet, après avoir exigé, contrairement aux termes de l'art. 1131 c. civ., qu'un contrat ne peut être annulé pour cause illicite ou immorale que si le motif impulsif et déterminant illicite ou immoral était connu de l'autre partie, la Cour était revenue sur cette dernière exigence et la doctrine avait salué ce simple retour au droit. Dans l'arrêt annoté, il s'agit d'une situation similaire car la Cour supprime une condition qui n'était pas légale et donne ainsi une bouffée d'oxygène aux « commerces dépendants », comme elle l'a fait en 2002 pour la franchise. En effet, comme on l'avait relevé pour la franchise, cette nouvelle position permettant d'attribuer un fonds de commerce aux exploitants des « commerces intégrés » a des conséquences économiques positives. Elle assure une certaine stabilité dans l'exploitation par l'octroi du statut protecteur. Elle favorise également le crédit, l'exploitant pouvant obtenir des crédits en donnant comme garantie son fonds, et, enfin, elle permet à l'exploitant de bien se concentrer sur ses affaires et de pouvoir en tirer profit en le cédant dans de bonnes conditions. 6 - Cet arrêt va-t-il entraîner une généralisation de l'assouplissement de toutes les conditions d'application du statut des baux commerciaux aux « commerces intégrés » et, surtout, de celle relative au caractère personnel de la clientèle ? Est-ce la naissance d'une jurisprudence

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favorable d'après laquelle les commerces intégrés sont nécessairement des fonds de commerce dont les exploitants bénéficient du statut des baux commerciaux ? Il est difficile de l'affirmer. L'analyse de l'arrêt annoté, pas plus que celle d'arrêts antérieurs, ne semble conduire inévitablement à une telle solution. Quelle aurait été la décision de la Cour de cassation si la cour d'appel avait constaté que « les amateurs de ski de fond, les randonneurs, les promeneurs en raquettes et les amateurs d'équitation » avaient nécessairement besoin d'emprunter les remontées mécaniques ? Un des critères importants pour la cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, avait été que l'exploitation pouvait être concevable en dehors du fonctionnement des remontées mécaniques. La question qui demeure posée par cet arrêt est celle de la clientèle personnelle des commerçants intégrés. S'agissant, par exemple, des buffets installés dans les gares, peut-on considérer qu'ils ont une clientèle personnelle parce que ceux qui y viennent n'empruntent pas nécessairement le train ou n'ont pas forcément besoin des services de la SNCF ? Cet arrêt peut constituer une lueur d'espoir car, dans un domaine skiable, il est tout à fait envisageable que des personnes soient amatrices de ski alpin, pratiquent le surf, la randonnée ou même le ski de fond. Dans ce cas, elles empruntent parfois, mais pas toujours, des remontées. Est-ce une raison pour les exclure de la clientèle de l'exploitant du commerce situé dans ce domaine ? En outre, même si des clients viennent faire leurs courses dans un supermarché, il n'est pas rare qu'ils achètent exclusivement leurs fleurs chez un fleuriste installé dans l'enceinte de la galerie marchande pour diverses raisons : professionnalisme ou sympathie du fleuriste, qualité du bouquet ou des fleurs... N'est-ce pas une clientèle « personnelle » ? On voit bien là réapparaître une question de fait où la casuistique a une importance considérable. Elle rappelle celle ayant existé dans le domaine de la franchise avant l'arrêt précité de 2002. Les mêmes raisons ne justifient-elles pas son abandon ? Comment savoir, sans don de divination, si la clientèle du fleuriste lui est personnelle ou si elle vient avant tout pour la grande surface ? Il est possible d'avancer une piste : la clientèle n'est-elle pas « personnelle » à tous les commerces qu'elle fréquente ? Il ne peut y avoir d'exclusivité dans la clientèle. Il est difficile d'admettre que les personnes qui fréquentent un « commerce intégré » sont simplement les clients de la structure d'ensemble et qu'ainsi le locataire exploite un fonds de commerce qui ne lui appartient pas, sauf à considérer qu'il appartient à un autre ou même qu'il n'y a pas de fonds de commerce. Est-il encore opportun pour la jurisprudence de maintenir une casuistique critiquable consistant à rechercher si le client vient d'abord pour le commerçant intégré ou pour l'ensemble d'accueil ? La question de l'application du statut des baux commerciaux au commerçant qui possède un fonds exploité dans un local inclus dans un ensemble immobilier plus vaste restera entière si la casuistique est intégralement maintenue. Elle se ramène à une question de preuve. Cette dernière incombant en principe au demandeur, c'est à l'exploitant qui souhaite en bénéficier d'apporter la preuve d'une clientèle personnelle, et une telle preuve n'est pas facile. Il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement la portée des éléments de preuve qui leur sont fournis et d'en tirer toutes les conséquences. Un élément important à prendre en compte est l'autonomie de gestion de l'exploitant. 7 - Enfin, l'arrêt du 19 mars 2003 ne met pas entièrement fin à la casuistique de l'arrêt de l'Assemblée plénière de 1970, mais, au moins, sous l'influence de celui du 27 mars 2002 sur la franchise, il supprime la preuve d'une clientèle propre prépondérante et constitue une évolution de la jurisprudence favorable aux « commerces intégrés ». Au début du XXIe siècle et alors que se pose la question du fonds de commerce virtuel, ne convient-il pas d'aller au-delà ?

Document n° 7

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Cass. 3e civ., 27 mars 2002, n°00-20732 : D. 2002, p. 2400, note H. Kenfack

La Cour de cassation : Sur le premier moyen : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Agen, 12 juillet 2000), que les consorts Z..., propriétaires de locaux à usage commercial donnés à bail à la société Climatex, ont renouvelé le contrat de location le 19 août 1979 au profit de la société Confort Service qui, le 16 septembre 1986, a souscrit un contrat de franchise avec la société Conforama ; que le 29 mai 1987, les consorts Z... ont notifié à la société Confort service, aux droits de laquelle viennent désormais les époux X..., un congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction ; que les locataires ont assigné leur bailleur pour avoir paiement de l'indemnité d'éviction ; - Attendu que les consorts Z... font grief à l'arrêt de rejeter l'exception tirée de la péremption d'instance, alors, selon le moyen, que la constitution d'avocat par le demandeur à l'instance n'est soumise à aucune forme particulière ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a expressément constaté qu'un avocat, M. Y..., avait, après le décès du conseil des époux X..., continué d'assister ces derniers au cours des opérations d'expertise, c'est-à-dire qu'il avait eu des relations suivies avec les avocats des parties adverses, avec l'expert, avec le juge de la mise en état, devait en déduire que M. Y... s'était substitué à l'avocat décédé aux yeux des autres parties et de la juridiction saisie, ce d'autant plus qu'au décès de son prédécesseur aucun suppléant n'avait été désigné ; qu'en omettant de tirer les conséquences de ses propres constatations, la cour d'appel a violé les articles 751 et 814 du nouveau Code de procédure civile ; - Mais attendu qu'ayant relevé, à bon droit, que l'interruption d'instance, causée par le décès de l'avocat des époux X..., n'avait cessé que lorsque l'instance avait été reprise, ce qui ne pouvait être fait que par une constitution d'avocat, ou des conclusions contenant constitution d'avocat, notifiées à l'autre partie et remises au greffe de la juridiction, la cour d'appel en a exactement déduit que seules les conclusions de reprise d'instance notifiées à l'adversaire et déposées au greffe du tribunal au mois de juillet 1996 avaient été de nature à faire courir un nouveau délai de péremption de deux ans, de sorte que le moyen d'irrecevabilité soulevé par les consorts Z... ne pouvait prospérer ; - D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; - Sur le deuxième moyen : Attendu que les consorts Z... font grief à l'arrêt de faire droit à la demande d'indemnité d'éviction des époux X..., alors, selon le moyen : 1° que, pour qu'un locataire franchisé ait un fonds de commerce en propre, il faut qu'il justifie soit qu'il a une clientèle liée à son activité personnelle indépendamment de son attrait en raison de la marque du franchiseur, soit que l'élément du fonds qu'il apporte, le droit au bail, attire la clientèle de manière telle qu'il prévaut sur la marque ; qu'en se bornant à retenir de manière générale que la société franchisée, aux droits de laquelle viennent aujourd'hui les époux X..., disposait sur les éléments constitutifs de son fonds de l'" abusus ", ce même si l'intuitu personae nécessaire à l'exécution du contrat de franchise avait conduit les parties à stipuler au profit du franchiseur un droit d'agrément ou de péremption en cas de cession de capitaux de nature à modifier le poids des associés sans rechercher ni apprécier en quoi le franchisé avait une clientèle liée à son activité personnelle, indépendamment de son attrait en raison de la marque du franchiseur, ou en quoi l'élément du fonds qu'il avait apporté, le droit au bail, attirait la clientèle de manière telle qu'il prévalait sur la marque, la cour d'appel a violé l'article 1er du décret du 30 septembre 1953 ; 2° que si les parties ont la faculté de soumettre leurs rapports au statut des baux commerciaux même si le bail ne présente pas de caractère, encore faut-il que cette volonté soit clairement exprimée ; qu'en retenant, pour considérer que les époux X... pouvaient réclamer le paiement d'une indemnité d'éviction, que les bailleurs savaient lorsqu'ils ont délivré le congé avec offre de payer une indemnité d'éviction le 29 mai 1987 que la société locataire qui exploitait son fonds à l'enseigne Conforama était liée par un contrat de franchise souscrit au mois de septembre 1986, qu'ils ont, nonobstant ce changement dans la

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situation de leur locataire, continué de reconnaître à celui-ci le bénéfice du statut du décret du 30 septembre 1953 auquel s'étaient référés tous les actes antérieurs et renouvellement du bail et qu'un accord s'est par conséquent formé entre les parties, sans caractériser de manière précise et détaillée la volonté non équivoque des consorts Z... de soumettre le bail litigieux au statut des baux commerciaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du décret du 30 septembre 1953 ; Mais attendu qu'ayant relevé, à bon droit, d'une part, que si une clientèle est au plan national attachée à la notoriété de la marque du franchiseur, la clientèle locale n'existe que par le fait des moyens mis en œuvre par le franchisé, parmi lesquels les éléments corporels de son fonds de commerce, matériel et stock, et l'élément incorporel que constitue le bail, que cette clientèle fait elle-même partie du fonds de commerce du franchisé puisque, même si celui-ci n'est pas le propriétaire de la marque et de l'enseigne mises à sa disposition pendant l'exécution du contrat de franchise, elle est créée par son activité, avec des moyens que, contractant à titre personnel avec ses fournisseurs ou prêteurs de deniers, il met en œuvre à ses risques et périls, d'autre part, que le franchiseur reconnaissait aux époux X... le droit de disposer des éléments constitutifs de leur fonds, la cour d'appel en a déduit exactement que les preneurs étaient en droit de réclamer le paiement d'une indemnité d'éviction et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ; Sur le troisième moyen : (Publication sans intérêt) ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi. Note : 1 - Le franchisé bénéficie-t-il du statut des baux commerciaux ? Cette question est au centre de l'arrêt de la troisième Chambre civile de la Cour de cassation en date du 27 mars 2002 dont la griffe à elle seule justifie l'importance et qui sert de prétexte à ces brèves observations. Même s'il est de rejet, il s'agit d'un arrêt de principe. Le litige naît à propos d'une affaire classique : un bailleur notifie à son locataire franchisé un congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction. Le commerçant franchisé réclame alors sans succès le paiement de ladite indemnité et assigne son bailleur. Il convient d'avoir à l'esprit que, si aux termes de l'art. L. 145-14 c. com., le refus de renouveler un bail commercial donne au locataire évincé le droit, sauf exceptions, à une indemnité d'éviction, encore faut-il que ce locataire soit le propriétaire du fonds de commerce exploité dans les lieux loués (art. L. 145-8 c. com.). Par conséquent, la question se pose nécessairement de savoir si le franchisé remplit cette qualité. Or, en droit français, la clientèle est considérée comme l'élément central du fonds de commerce. On en vient ainsi à la question qui divise doctrine et juges du fond : le franchisé est-il titulaire de la clientèle attachée à son fonds ? 2 - Comment en est-on arrivé à cette interrogation conduisant parfois à refuser le statut des baux commerciaux à un commerçant indépendant alors qu'il est paradoxalement accordé à des professionnels civils ? Inspirée par des arrêts déjà anciens de la Cour de cassation à propos des commerces dits « satellites » et des stations-service, la Cour de Paris a refusé au franchisé le statut des baux commerciaux dans un arrêt de 1996 avant de le lui accorder dans deux arrêts du 4 oct. 2000. Ramené à l'essentiel, dans l'arrêt de 1996, elle a décidé que « ce qui attire la clientèle d'un prestataire de services franchisé ou concessionnaire, c'est la charte de la marque qui se traduit par la proposition de contrats types qui garantissent le principe d'une exécution dépourvue d'aléa ». Il ne peut en être autrement que si le franchisé prouve que « l'élément du fonds qu'il apporte, le droit au bail, attire la clientèle de manière telle qu'il prévaut sur la marque ». Ainsi, elle a posé le principe que, sauf preuve contraire apportée par le franchisé, la clientèle appartient au franchiseur. Dans les arrêts de 2000, ce principe a été renversé : la Cour de Paris a changé de jurisprudence et a décidé que le franchisé est propriétaire de son fonds de commerce, sauf s'il est dans un état de dépendance vis-à-vis du franchiseur.

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3 - Un arrêt de la Cour de cassation était attendu pour fixer la jurisprudence. La question posée est d'une telle clarté et d'une telle simplicité que la réponse doit être sans ambiguïté. La troisième Chambre civile de la Cour de cassation décide que, lorsqu'un fonds de commerce est exploité dans le cadre d'une franchise, c'est le franchisé qui a le droit d'invoquer le renouvellement du bail. L'attendu de principe mérite d'être entièrement cité : « [...] d'une part [...] si une clientèle est au plan national attachée à la notoriété de la marque du franchiseur, la clientèle locale n'existe que par le fait des moyens mis en œuvre par le franchisé, parmi lesquels les éléments corporels de son fonds de commerce, matériel et stock, et l'élément incorporel que constitue le bail, que cette clientèle fait elle-même partie du fonds de commerce du franchisé puisque, même si celui-ci n'est pas le propriétaire de la marque et de l'enseigne mises à sa disposition pendant l'exécution du contrat de franchise, elle est créée par son activité, avec des moyens que, contractant à titre personnel avec ses fournisseurs ou prêteurs de deniers, il met en œuvre à ses risques et périls, d'autre part, que le franchiseur reconnaissait aux époux Basquet le droit de disposer des éléments constitutifs de leur fonds [...] ». Cette décision emporte l'adhésion même si l'argument invoqué dans le « d'autre part » est maladroit. Il n'est plus utile de rechercher qui a créé la clientèle, ou même si le client est attiré par la marque du franchiseur ou par les qualités personnelles du franchisé. Dans l'arrêt du 27 mars 2002, le franchisé bénéficie du statut des baux commerciaux parce qu'il a une clientèle attachée à son fonds de commerce. Y a-t-il une seconde condition consistant au droit, pour le franchisé, de disposer de son fonds de commerce ? 4 - La clientèle est attachée au fonds de commerce du franchisé. Pour le décider, la Cour de cassation se fonde sur une argumentation économique proche de celle adoptée par les arrêts de la Cour de Paris du 4 oct. 2000. Cette approche économique n'est pas isolée en droit de la distribution, qu'il s'agisse des aspects contractuels ou concurrentiels, comme l'illustre le nouveau règlement relatif aux accords verticaux. Dans l'arrêt annoté, comme déjà dans ceux de la Cour de Paris, la prise en compte de l'exploitation « à ses risques et périls » est un élément déterminant dans l'attribution d'une clientèle au franchisé. Mais il n'est pas le seul. La Cour insiste également sur le fait que ce qui compte, ce n'est pas la propriété des éléments d'attraction de la clientèle, mais leur simple maîtrise juridique. Ce point de vue doit être approuvé. Sans remettre en cause la conception traditionnelle du fonds de commerce, cette position de la Cour est conforme à la nature de cette technique originale qu'est la franchise. Le franchisé paie un droit d'entrée et des redevances au franchiseur. En retour, il reçoit le droit d'utiliser une marque, une enseigne... des signes de ralliement de la clientèle, ainsi que la communication d'un savoir-faire et une assistance technique et/ou commerciale. Grâce à tous ces éléments pour lesquels il verse une rémunération, à son emplacement, à ses qualités personnelles, le franchisé, en son nom et pour son propre compte, de façon indépendante, met en œuvre une activité qui génère une clientèle. Comment a-t-il pu être décidé qu'il s'agit de la clientèle du franchiseur ? Cette clientèle est attirée par tous les éléments mis en œuvre par le franchisé, qu'ils proviennent ou non du franchiseur. En effet, pas plus que le bailleur qui loue un emplacement de qualité, l'inventeur qui concède une licence d'exploitation ou le publicitaire qui réalise une publicité particulièrement attractive de clientèle, le franchiseur ne peut être considéré comme bénéficiaire de la clientèle générée par les éléments organisés par le franchisé. La Cour de cassation opère, enfin, une distinction entre les clientèles, la clientèle locale étant attachée au fonds de commerce du franchisé alors que la clientèle nationale est attirée par la notoriété de la marque du franchiseur. Même si elle n'affirme toutefois pas que la clientèle du franchiseur est uniquement constituée de franchisés, cette idée du partage de clientèle est curieuse. Qui sont ces clients nationaux du franchiseur ? S'agit-il de personnes attirées exclusivement par la marque ou par l'enseigne du franchiseur ? Un franchiseur qui ne

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développe pas une activité à côté de la franchise, par exemple en possédant des magasins propres ou en commercialisation par d'autres canaux, aurait une clientèle différente de celle du franchisé. De tels clients seraient différents des clients locaux attirés par les éléments mis en œuvre par le franchisé. En d'autres termes, certains clients seraient exclusivement attirés par les moyens développés par le franchisé, et notamment par les éléments corporels de son fonds de commerce ou par l'élément incorporel que constitue le droit au bail, alors que d'autres seraient attirés par le franchiseur directement : par quels moyens ? Mal interprété, et malgré la formulation générale adoptée par la Cour de cassation, ce partage de clientèle peut marquer un recul : dans un réseau de franchise dont la marque est particulièrement notoire et attractive, un juge du fond pourrait-il décider que la clientèle locale n'existe pas ? Comme on l'a déjà dit, il est hasardeux d'essayer de déterminer la part de chacun des éléments de la franchise dans l'attraction et la fidélisation de la clientèle. Il n'est pas besoin d'opérer un partage entre une clientèle locale et une clientèle nationale pour attribuer au franchisé la titularité de la clientèle de son fonds de commerce. Il suffit, comme le décide d'ailleurs la Cour de cassation dans l'arrêt annoté, de se fonder sur la nature de la franchise en relevant que c'est le franchisé, certes avec l'aide du franchiseur, qui exerce, à son nom et pour son propre compte, une activité qui, grâce aux moyens qu'il met en œuvre, attire une clientèle. Peu importe qu'elle soit locale, nationale, de passage ou fixe. C'est bien le franchisé qui, de manière indépendante, livre le produit ou fournit le service au consommateur. Il est logique qu'il soit titulaire d'une clientèle. Il a par conséquent un fonds de commerce et bénéficie du statut des baux commerciaux. C'est ce que décide l'arrêt annoté et cette décision doit être approuvée. Le second élément de l'argumentation de la Cour laisse perplexe. 5 - La Cour de cassation se fonde également sur le droit, pour le franchisé, de disposer de son fonds de commerce. Après avoir accordé le statut des baux commerciaux au franchisé parce qu'il a, d'une part, une clientèle attachée à son fonds de commerce, la Cour de cassation ajoute, d'autre part, que le franchiseur reconnaissait au franchisé le droit de disposer de son fonds de commerce. Ce « d'autre part » superflu et inutile contribue à obscurcir l'arrêt. L'absence d'une stipulation contractuelle conférant au franchisé le droit de disposer de son fonds de commerce entraîne-t-elle qu'il n'a pas de clientèle et n'a pas droit au statut des baux commerciaux ? La solution de l'arrêt du 27 mars 2002 pourrait-elle être exclue en l'absence d'une telle clause ? Il est d'ailleurs permis de se demander dans quels cas un franchisé peut ne pas avoir le droit de disposer de son fonds de commerce. Il n'est pas discutable que le contrat de franchise est intuitu personae. Toutefois, comme l'a décidé la Cour de cassation, ce simple caractère n'empêche pas la cessibilité du contrat mais exige simplement le consentement du cocontractant cédé. L'agrément du franchiseur doit donc être obtenu avant toute cession. Un tel agrément n'est pas en principe discrétionnaire, et il est possible que la jurisprudence qualifie d'abusif un refus d'agrément sans motif ou alors une succession de refus d'agrément. De plus, il ne concerne que le seul contrat de franchise et non tout le fonds de commerce, même si l'essentiel du fonds repose sur le contrat de franchise. Il est permis d'espérer qu'il ne s'agit pas d'une véritable seconde condition. Par ce « d'autre part » sans intérêt, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation a peut-être simplement voulu indiquer que le franchisé ne doit pas être entièrement dominé par le franchiseur et qu'il doit avoir une certaine indépendance, comme l'avait déjà exigé la Cour de Paris dans les arrêts du 4 oct. 2000. En réalité, une telle précision est superflue : ou bien il s'agit d'un franchisé et il est indépendant, au moins juridiquement, ou bien il est dépendant et ne peut avoir une telle qualité. La Cour de cassation a d'ailleurs procédé à des requalifications de contrat de franchise en contrat de travail ou même simplement appliqué les dispositions du code du travail à des relations qualifiées par les parties de franchise. Dans de telles hypothèses, le « franchisé » ne bénéficie pas du statut des baux commerciaux. Par conséquent, il peut être logique de penser

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que le « d'autre part » ne constitue pas une véritable condition et qu'en l'absence de clause conférant au franchisé un droit de disposer du fonds, la solution reste inchangée. 6 - En définitive, cet arrêt accroît l'importance des éléments corporels du fonds de commerce et celle de l'activité du franchisé. Il apporte à la question de la clientèle du franchisé une réponse qu'on espère définitive. En mettant entre parenthèses les interrogations relatives essentiellement au droit du franchisé de disposer de son fonds de commerce, par sa formulation générale, l'arrêt du 27 mars 2002 marque un coup d'arrêt à la casuistique inaugurée par l'arrêt de l'Assemblée plénière de 1970 et poursuivie par celui de la Cour de Paris du 6 févr. 1996. Désormais, le franchisé (et la solution vaut pour le concessionnaire) est propriétaire de son fonds de commerce. Encore faut-il qu'il s'agisse d'un franchisé, la tâche des juges devant se limiter à cette qualification.

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Séance n° 6 Le fonds de commerce (3/3)

I/ Les opérations relatives au fonds de commerce A) La vente

� L’erreur : Cass. com., 18 juin 1996, n° 93-19645 (document n° 1). � Le dol : Cass. com., 19 février 2008, n° 06-22014 (document n° 2). � L’immatriculation de l’acheteur au RCS : Cass. 1re civ., 13 décembre

2005, n° 03-19217 : RTD com. 2006, p. 46, note J. Monéger (document n° 3).

� Les mentions obligatoires : Cass. com., 1er décembre 1992 (document n° 4).

� La protection des créanciers du vendeur : Cass. com., 24 mai 2005, n° 01-15337 (document n° 5).

B) La location-gérance

� Cas pratique. M. Castorp est un ancien commerçant aujourd’hui à la

retraite. Ayant eu des ennuis de santé aux poumons, il a

décidé de mettre son fonds de commerce en location-gérance.

Il se repose après trois décennies d’activité professionnelle. Il

a conclu un contrat de location-gérance le 1

er

novembre 2013

avec M. Davos. Seulement, aujourd’hui, M. Carstorp a reçu

d’un fournisseur de M. Davos une demande de règlement de

1486.54 euros relative à une commande de marchandises

passée par M. Davos le 1

er

décembre 2013. M. Carstorp refuse

de payer et vous consulte.

� Les restitutions à l’expiration du contrat : Cass. com., 6 mai 2002, n° 11569 : JCP E 2002, II, 1509, note L. Leveneur (document n° 6).

II/ Les propriétés industrielles A) Le principe de spécialité de la marque

� Cass. com., 28 avril 1987, n° 85-13864 (document n° 7). B) La protection élargie des marques notoirement connues

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� Cass. com., 9 novembre 1987, n° 85-12261(document n° 8).

***

Document n° 1 Cass. com., 18 juin 1996, n° 93-19645

La Cour de cassation : Sur les deux moyens réunis, pris en leurs diverses branches : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (CA Orléans, 29 juin 1993) que M. Dumarest, qui exploitait un fonds de commerce de fleuriste à Amboise, a créé en décembre 1986 un établissement secondaire dans la même ville à l'enseigne de « l'Herbier » ; que, par acte du 21 décembre 1987, il a cédé cet établissement aux époux Coulon, sous la désignation de « partie d'un fonds de commerce » ; que les acquéreurs, estimant avoir été trompés par M. Dumarest, l'ont assigné en nullité de la vente ; - Attendu que M. Dumarest reproche à l'arrêt d'avoir accueilli la demande des époux Coulon, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'inexactitude des mentions obligatoires de l'acte de vente du fonds de commerce ne peut donner lieu qu'à l'action en garantie prévue par l'article 13 de la loi du 29 janvier 1935 ; que la cour d'appel, qui constate que l'acte de vente consenti par M. Dumarest aux époux Coulon mentionne le chiffre d'affaires et les bénéfices pour la période écoulée entre la date de la création du fonds par le vendeur et la date de la vente, et retient, pour annuler la vente, que l'inexactitude de ces mentions a vicié le consentement des acquéreurs, a violé les articles 12 et 13 de la loi précitée du 29 janvier 1935 ; alors, d'autre part, que la cour d'appel, qui, pour prononcer la nullité de la vente, retient cumulativement l'inexactitude des mentions de l'acte de vente concernant les bénéfices et le chiffre d'affaires et l'absence d'une clientèle propre, éléments qui, s'ils avaient été connus d'eux auraient dissuadé les acquéreurs de passer l'acte, n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de sa décision au regard de l'article 1110 du code civil ; alors, encore, qu'ainsi qu'il était rappelé dans les conclusions de M. Dumarest, l'exercice comptable de son fonds de commerce va du 1er juillet au 30 juin ; qu'en visant « le bilan général de 1987 » tandis que la pièce versée au débat porte « au 30 juin 1987 » et en regard « 30 juin 1986 », pour en déduire l'inexactitude des chiffres concernant l'exploitation de la boutique l'Herbier figurant à l'acte de vente pour les périodes du 15 décembre 1986 au 30 juin 1987 et du 1er juillet au 30 novembre 1987, la cour d'appel a dénaturé le document sur lequel elle se fonde, en violation de l'article 1134 du code civil ; alors, de surcroît, que l'acte de vente désigne la chose vendue comme « une partie d'un fonds de commerce » ; d'où il suit que la cour d'appel, qui retient pour annuler la vente qu'il y a lieu de s'interroger sur la qualification de « fonds de commerce » donnée par M. Dumarest à la chose vendue aux époux Coulon, dans la mesure où une clientèle spécifique est l'élément essentiel du fonds et que le fonds vendu ne disposait pas d'une telle clientèle, a statué par dénaturation de l'acte de vente, en violation de l'article 1134 du code civil ; alors, au surplus, qu'ayant constaté « qu'il était bien précisé à l'acte que M. Dumarest poursuivait son activité dans l'établissement de la rue Jean-Jacques Rousseau », ayant relevé que la clientèle du fonds, après s'être partagée entre les deux boutiques, était repartie avec M. Dumarest vers la rue Jean-Jacques Rousseau, sans même attendre la fermeture de l'Herbier par les époux Coulon, et ayant déduit que le consentement de ces derniers avait été vicié parce qu'ils avaient cru à l'existence d'une clientèle propre à la boutique l'Herbier, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres énonciations, dont il résultait que les époux Coulon avaient été avertis de l'exacte situation de la partie du fonds de commerce acquise, les conséquences légales qui en découlaient, en violation des articles 1110 et 1628 du code civil ; et alors, enfin, qu'ayant retenu que des chiffres inexacts concernant les recettes prévisionnelles avaient été fournis par

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l'association Cecoper, la cour d'appel, qui en a déduit que cette inexactitude avait vicié le consentement des époux Coulon, a violé l'article 1116 du code civil ; - Mais attendu qu'après avoir relevé le caractère erroné des énonciations fournies par les vendeurs concernant les résultats d'exploitation du bien cédé ainsi que l'absence de clientèle propre de celui-ci, malgré sa désignation à l'acte comme « une partie d'un fonds de commerce », la cour d'appel a estimé que ces éléments avaient vicié le consentement des acquéreurs, au point qu'ils n'auraient pas contracté s'ils en avaient eu connaissance ; qu'à partir de ces constatations et appréciations dont il résultait que l'erreur des époux Coulon portait sur les qualités substantielles de la chose vendue, elle a pu prononcer la nullité de la vente litigieuse sans encourir les griefs des moyens ; d'où il suit que ceux-ci ne peuvent être accueillis ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

Document n° 2 Cass. com., 19 février 2008, n° 06-22014

La Cour de cassation : Sur le moyen unique : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 14 septembre 2006), que le 28 décembre 2000 la société LGA a acquis de M. et Mme X... un fonds de commerce à usage de bar et de restauration, situé sur le front de mer à Villeneuve-Loubet, comprenant le droit au bail des locaux dans lequel ce fonds était exploité ; que l'acte de vente stipulait que le cessionnaire fera son affaire personnelle du renouvellement ou du non-renouvellement du dernier arrêté municipal de sous-traitance de la plage naturelle d'une superficie d'environ 400 mètres carrés au droit du fonds de commerce situé en front de mer, l'acquéreur déclarant s'être parfaitement renseigné auprès des services compétents au sujet de cette occupation précaire du domaine public, laquelle n'étant pas comprise dans la vente ne permettrait aucun recours contre le cédant ; que l'acte stipulait également que le cédant déclarait que rien dans sa situation juridique ne s'opposait à la libre disposition du fonds vendu et à la jouissance paisible dudit fonds par l'acquéreur ; que le 2 novembre 2001, Mme X... a notifié à la société LGA un jugement du tribunal administratif du 24 septembre 2001 ayant ordonné la démolition et la remise en état sous astreinte des terrasses attenantes au fonds de commerce construites sur le domaine public maritime ; que la société LGA a assigné M. et Mme X... en diminution du prix de vente et en paiement de dommages-intérêts ; que ces derniers ont appelé en garantie les rédacteurs de l'acte de vente, MM. Y... et Z... ; - Attendu que M. et Mme X... font grief à l'arrêt de les avoir condamnés in solidum à payer à la société LGA représentée par son liquidateur, M. A..., la somme de 31 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2005 et d'avoir rejeté leurs demandes à l'encontre de MM. Y... et Z..., alors, selon le moyen : 1°/ que pour exclure toute réticence de leur part quant aux caractéristiques du fonds qu'ils avaient vendu, M. et Mme X... soutenaient dans leurs écritures qu'ainsi que cela résultait clairement du paragraphe 2 des conditions particulières de l'acte de vente du 28 décembre 2000 et comme l'avaient retenu les premiers juges, la concession de la plage sur laquelle se trouvaient les terrasses litigieuses et au sujet de laquelle la cessionnaire avait déclaré s'être parfaitement renseignée auprès des services compétents ne faisait pas partie du fonds de commerce vendu ; que dès lors, en se bornant à affirmer, pour leur imputer une réticence dolosive, que la configuration des lieux et la description des éléments du fonds de commerce dans l'acte de vente ne permettaient pas à la société cessionnaire d'être nécessairement informée sur l'illicéité des infrastructures aménagées sur la plage et que les vendeurs auraient induit la société LGA en erreur en prétendant faussement que rien ne s'opposait à la libre disposition et à la jouissance paisible du fonds de commerce, sans répondre à ce moyen duquel il ressortait que les structures litigieuses sur lesquelles la cessionnaire était parfaitement renseignée ne faisaient pas partie du fonds vendu, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ; 2°/ qu'en statuant ainsi après avoir elle-même rappelé les stipulations de l'acte de vente, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les

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conséquences qui s'évinçaient de ses constatations, a violé l'article 1116 du code civil ; 3°/ que la réticence dolosive implique la dissimulation volontaire d'un fait qui, s'il avait été connu du cocontractant, l'aurait empêché de conclure ; que dès lors, en considérant, pour retenir la réticence dolosive de M. et Mme X..., qu'ils auraient volontairement dissimulé le fait que les terrasses risquaient de devoir être démolies, quand bien même les vendeurs avaient pris soin de préciser dans l'acte de vente que les terrasses situées en front de mer ne faisaient l'objet que d'une occupation précaire soumise à une autorisation laissée à la discrétion de la commune et, partant, susceptible de ne pas être renouvelée, ce qui excluait toute dissimulation quant aux perspectives de conservation en l'état de ces ouvrages, la cour d'appel a violé l'article 1116 du code civil ; 4°/ que l'obligation de démolir des constructions édifiées sans autorisation sur le domaine de l'Etat ne peut résulter que d'une décision définitive du juge administratif ; que dès lors en retenant, pour considérer que, bien qu'il ne fussent, à la date de la signature de l'acte de vente, qu'en possession d'un procès-verbal constatant une infraction de grande voirie et non d'une décision définitive du juge administratif, l'intention du préfet de porter l'affaire devant ce dernier ne leur ayant d'ailleurs été communiquée que postérieurement à la vente, M. et Mme X... savaient que les terrasses devaient être démolies et n'en avaient pas informé l'acquéreur et pour les condamner en conséquence pour réticence dolosive, la cour d'appel, qui a déduit de ce seul procès-verbal une obligation de démolir les terrasses qu'il n'emportait pas par lui-même, a violé ensemble les articles 1116 du code civil et L. 28 du code du domaine de l'Etat ; - Mais attendu que l'arrêt retient que la configuration des lieux, la description du fonds de commerce dans l'acte de vente auquel n'était pas annexé de plan et de cahier des charges et les renseignements obtenus des services administratifs, ne permettaient pas à la société LGA d'être informée de l'illicéité des infrastructures aménagées sur la plage ; qu'il relève, qu'au contraire, les vendeurs savaient que les terrasses devaient être démolies et les lieux remis en état aux frais de Mme X... à l'encontre de laquelle une procédure venait d'être engagée aux termes d'un avertissement dressé le 22 décembre 1998 et d'un procès-verbal de contravention de grande voirie établi le 27 avril 1999 mentionnant clairement que ces infrastructures devaient être démolies ; qu'il retient enfin que l'impossibilité de pouvoir servir des couverts sur des terrasses d'une superficie de plus de 200 mètres carrés se trouvant sur la plage était de nature à réduire fortement la rentabilité du fonds de commerce ; que par ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a ainsi répondu aux conclusions prétendument délaissées et caractérisé une réticence dolosive ayant affecté le consentement de l'acquéreur et faisant échec à la clause de non-garantie insérée dans l'acte, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

Document n° 3 Cass. 1re civ., 13 décembre 2005, n° 03-19217 : RTD com. 2006, note

J. Monéger La Cour de cassation : Attendu que, suivant acte reçu le 18 décembre 1996 par M. X..., notaire, la société Hôtel de la Madeleine a cédé à M. Y... un fonds de commerce d'hôtellerie, comprenant un droit au bail ; que le 24 décembre 1997, le bailleur, la société Madeleine accueil, a délivré congé à M. Y... pour défaut d'immatriculation de l'intéressé au registre du commerce et des sociétés ; que M. Y... a, dans ces conditions, engagé une action en responsabilité contre M. X..., reprochant au notaire de ne pas avoir procédé aux formalités d'immatriculation ; - Sur le moyen unique, pris en sa première branche, tel qu'énoncé dans le mémoire en demande et reproduit en annexe au présent arrêt : Attendu que le grief du moyen ne saurait justifier l'admission du pourvoi ; - Mais sur la seconde branche du moyen : Vu l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 27, 2 , du décret du 30 mai 1984 relatif au registre du commerce et des sociétés ; - Attendu, selon le dernier de ces textes, que le notaire

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qui rédige un acte comportant, pour les parties intéressées, une incidence quelconque en matière de registre est tenu de procéder aux formalités correspondantes dont le client se trouve alors déchargé ; - Attendu que pour limiter l'indemnisation du préjudice subi du fait de la perte du fonds de commerce consécutive au congé délivré par le bailleur, l'arrêt confirmatif attaqué, après avoir, par motifs propres et adoptés, relevé que M. Y... n'avait pas régularisé sa situation au regard du registre du commerce et des sociétés, retient que le dommage ne résultait pas du seul manquement du notaire, mais avait pour principale cause la faute de M. Y... ; - Qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; - Par ces motifs : Casse et annule. Note : L'arrêt doit retenir l'attention. Non parce qu'il serait révolutionnaire et poserait un nouveau principe ; mais parce qu'il est à comparer avec un arrêt rendu par la troisième Chambre civile le 12 juin 1996. Cette décision avait posé, au visa de l'article 1382 du code civil et de l'article 1 du décret du 30 septembre 1953 (L. 145-1 c. com.) : « que l'immatriculation au registre du commerce constitue une obligation légale qu'un commerçant ne peut ignorer... ». La Cour avait cassé l'arrêt de la cour d'appel qui avait retenu pour fonder la responsabilité du notaire chargé des actes, un défaut d'information d'un client qui n'était pas un professionnel averti, sur la nécessité de l'immatriculation (JCP E 1996, Pan. p. 779, obs. crit. B. Boccara et JCP N 1997, II, 241, note M. Nanzir). L'arrêt de 1996 repose sur une appréciation de l'obligation d'information et sur la connaissance que devrait avoir tout commerçant des normes qui régissent l'exercice de la profession. L'arrêt, aujourd'hui cassé, de la Cour d'appel de Bordeaux du 31 mars 2003 (inédit) l'avait, si l'on en juge par les termes de la seconde branche du moyen, pris en considération pour déclarer un partage de responsabilité entre le notaire rédacteur des actes et le client locataire évincé sans indemnité lors d'un refus de renouvellement sur ce fondement. La première Chambre tranche apparemment en sens inverse. Le client du notaire ne peut avoir à partager la charge du dommage lorsque le notaire est tenu de procéder par lui-même à l'immatriculation au RCS. Le visa, en sus de l'article 1382 du code civil, de l'article 27-2° du décret du 30 mai 1984 relatif au registre du commerce et des sociétés ne laissait que peu de place à la mansuétude. L'arrêt est ferme : « attendu, selon le dernier de ces textes, que le notaire qui rédige un acte comportant, pour les parties intéressées, une incidence quelconque en matière de registre est tenu de procéder aux formalités correspondantes dont le client se trouve déchargé ». Si la première partie de l'attendu est la reprise de l'article 27-2° du décret dans sa rédaction issue du décret n° 95-374 du 10 avril 1995, sa fin lève toute hésitation quant à la portée que la chambre entend donner à l'arrêt. L'obligation professionnelle dérogatoire de procéder, imposée au notaire rédacteur de l'acte, implique nécessairement que le client n'a pas à agir à cet effet. Les deux arrêts sont conciliables dans la mesure d'abord, où le texte applicable au rédacteur dans l'affaire jugée en 1996 était différent ; ensuite où le pourvoi en 1996 visait le manquement à un devoir d'information sur la nécessité d'une immatriculation qu'un commerçant ne saurait ignorer alors qu'ici est visé un texte qui impose une obligation légale de résultat dans le prolongement strict de la rédaction des actes ; enfin, parce que la place de l'équité dans la modération des obligations du notaire est inexistante face à l'ordre impératif de la loi alors qu'elle peut être correctrice des excès dans le cas où l'obligation qui pesait sur le responsable était d'informer. L'arrêt a sans doute le mérite de la rigueur juridique et ne saurait être critiqué en ce qu'il renforce par ricochet la confiance qui peut être mise dans l'action du notaire rédacteur. Il conduit cependant à s'interroger sur le laxisme de certains locataires commerçants qui exercent leurs activités commerciales sans procéder à leur immatriculation au RCS et sans en

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faire état sur leurs documents commerciaux lorsqu'ils nouent des relations avec les clients et les fournisseurs ou avec les administrations fiscales et sociales. L'ignorance d'une obligation aussi impérieuse d'être immatriculée au registre dans les quinze jours à compter de la date du début de l'activité commerciale (décr. préc., art. 1) mérite sanction tout autant que l'ignorance de l'obligation spéciale qui pèse sur le notaire. L'arrêt rendu en 1996 avait eu le mérite de dire que le commerçant qui ignore la loi est aussi responsable. L'arrêt cassé avait le mérite de l'équilibre dans le partage de responsabilité. La Cour de cassation applique le droit à la lettre et sans partage.

Document n° 4 Cass. com., 1er décembre 1992, n° 90-14578

La Cour de cassation : Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Amiens, 8 mars 1990) que les époux Y... ont acquis des époux X..., selon un acte notarié du 1er septembre 1987, un fonds de commerce d'hôtel-restaurant-débit de boissons ; que, le 21 août 1988, les époux Y... ont demandé l'annulation de la vente en soutenant que les mentions figurant à l'acte et relatives au chiffre d'affaires et aux bénéfices des trois dernières années étaient fragmentaires et inexactes ; - Attendu que les époux Y... reprochent à l'arrêt de les avoir déboutés de leur demande en nullité de l'acte de vente, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, s'il est exact que c'est à l'acquéreur qu'il appartient de démontrer l'inexactitude des déclarations du vendeur, la charge de la preuve est renversée lorsque l'acquéreur établit, par la production de documents émanant du vendeur lui-même, que le chiffre d'affaires déclaré a été majoré par rapport aux recettes encaissées, telles qu'elles figurent sur le livre les comptabilisant ; qu'en l'espèce, en laissant aux époux Y... la charge de la preuve de l'inexactitude des mentions afférentes au chiffre d'affaires, tandis qu'il appartenait aux vendeurs de s'expliquer sur la différence existant entre le livre des recettes et le chiffre d'affaires déclaré, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du Code civil et 13 de la loi du 29 juin 1935 ; alors, d'autre part, qu'en énonçant que la différence de plus de 50 000 francs entre le chiffre d'affaires déclaré dans l'acte et le montant des recettes versées à la banque " peut " s'expliquer par le montant des achats payés en espèces pour l'exploitation du fonds, la cour d'appel s'est fondée sur une simple hypothèse, et ce d'autant plus que les vendeurs s'étaient abstenus de verser aux débats la moindre facture pour justifier ces prétendus achats ; qu'en statuant ainsi, par l'énoncé d'une simple hypothèse, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, que, dès lors qu'à l'appui de leur demande en annulation, les acquéreurs invoquaient non seulement les inexactitudes mais également des omissions, les juges ne pouvaient se dispenser de vérifier si les inexactitudes constatées n'avaient pas contribué à vicier le consentement de l'acquéreur ; que la cour d'appel a ainsi violé les articles 12 et 13 de la loi du 29 juin 1935 ; - Mais attendu, en premier lieu, que l'omission dans l'acte de cession d'un fonds de commerce des diverses mentions rendues obligatoires par l'article 12 de la loi du 29 juin 1935 ne suffit pas à entraîner la nullité de l'acte ; qu'après avoir énoncé qu'il ne peut être reproché aux époux X... de n'avoir pas donné d'élément concernant la période durant laquelle le fonds avait été donné en location-gérance, la cour d'appel relève que l'omission des énonciations prescrites ne porte que sur les quatre derniers mois de l'année 1984 et que le compte de résultats de l'exercice 1984 a été annexé à l'acte de cession, de sorte qu'elle a pu retenir que le consentement des acquéreurs n'avait pas été vicié par l'omission invoquée ; - Attendu, en second lieu, que la cour d'appel a énoncé à bon droit que l'inexactitude des mentions obligatoires ne pouvait donner lieu qu'à l'action en garantie prévue à l'article 13, alinéa 1er, de la loi du 29 juin 1935, sans pouvoir entraîner, à la différence de leur omission,

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l'annulation de la vente du fonds de commerce, seule demandée par les époux Y... ; - D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

Document n° 5 Cass. com., 24 mai 2005, n° 01-15337

La Cour de cassation : Statuant tant sur le pourvoi principal de la société Fiduciaire auxiliaire du commerce et de l'industrie (FACI) que sur le pourvoi provoqué de la société Holemans, rédigés en termes similaires ; - Sur le moyen unique des pourvois : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 mai 2001), que, par acte du 5 juin 1998, la société Au 2 Place Vendôme (la société) a vendu son fonds de commerce à la société Holemans et que le prix de 1 000 000 francs a été payé comptant au vendeur le jour de la vente ; que l'acte de vente a été publié le 2 juillet 1998 au Journal spécial des sociétés et, le 26 juillet suivant, au BODACC ; que la société a été mise en liquidation judiciaire le 7 juillet 1998, Mme X... étant nommée liquidateur ; que, par acte du 9 novembre 1998, cette dernière a assigné la société Holemans aux fins de condamnation au paiement du prix de vente du fonds ; que la société Holemans a demandé que la société Fiduciaire auxiliaire du commerce et de l'industrie (FACI), rédacteur de l'acte de vente, et M. de Y..., président et directeur général de la société, soient condamnés à la garantir de toutes condamnations pouvant être prononcées au profit de Mme X..., ès qualités ; - Attendu que la société FACI et la société Holemans font grief à l'arrêt d'avoir condamné la seconde à payer à Mme X..., ès qualités, la somme de 1 000 000 francs et d'avoir condamné la première à garantir l'acheteur de toute condamnation prononcée à son encontre au profit de Mme X..., ès qualités, alors, selon le moyen : 1 / que les publications de l'acte de cession d'un fonds de commerce suivant les formes prescrites par l'article 3 de loi du 17 mars 1909, désormais codifié aux articles L. 141-12 et suivants du Code de commerce, font valablement courir le délai d'opposition, quand bien même elles auraient été effectuées après l'expiration des délais prévus par la loi ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 3, dernier alinéa, de la loi du 17 mars 1909, désormais codifié à l'article L. 141-17 du Code de commerce ; 2 / qu'en l'absence d'opposition formée dans le délai, le paiement du prix de cession d'un fonds de commerce au cédant est, quelle que soit la date à laquelle il intervient, valable et opposable aux créanciers et au mandataire-liquidateur du cédant, qui ne peuvent dès lors exiger un nouveau paiement ; qu'en affirmant par des motifs inopérants que l'action du représentant des créanciers de la société Holemans fondée sur l'article 3, dernier alinéa, de la loi du 17 mars 1909, pouvait être exercée après l'expiration du délai d'opposition, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette action n'était pas mal fondée dès lors qu'aucune opposition n'avait été formée dans le délai prévu par la loi, le paiement d'ores et déjà intervenu, étant en conséquence opposable aux tiers, quelle que soit sa date, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des alinéas 5 et dernier de l'article 3 de la loi du 17 mars 1909, désormais codifiés aux l'articles L. 141-14 et L. 141-17 du Code de commerce ; - Mais attendu qu'en vertu de l'article 3, alinéa 8, de la loi du 17 mars 1909, devenu l'article L. 141-17 du Code de commerce, n'est pas opposable aux créanciers du vendeur d'un fonds de commerce le paiement fait à ce dernier avant l'expiration du délai accordé à ces créanciers pour faire opposition par l'article 3, alinéa 4, devenu L. 141-14 du Code de commerce ; - Attendu qu'après avoir relevé que l'acquéreur avait versé le prix au vendeur avant l'expiration du délai pendant lequel les oppositions pouvaient être faites, la cour d'appel a retenu que le paiement était inopposable aux créanciers du vendeur, peu important qu'ils aient ou non fait opposition au paiement du prix, et que le liquidateur de la société, agissant au nom de l'ensemble des créanciers de la société venderesse était en droit de réclamer à l'acquéreur les sommes qu'il avait versées prématurément ; qu'elle a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ; - Par ces motifs : Rejette les pourvois.

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Document n° 6

Cass. com., 2 mai 2002, n° 00-11569 : JCP E 2002, II, 1502, note L. Leveneur

La Cour de cassation : Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, par acte du 23 mars 1995, la société AAST a donné en location-gérance à la société JB Semaphot trois fonds de commerce dont elle était propriétaire ; que l'un des baux commerciaux ayant été résilié, la société JB Semaphot a poursuivi l'annulation du contrat ; que la société AAST a demandé reconventionnellement le paiement du stock ; que, par jugement du 28 mai 1996, le tribunal de commerce a prononcé la résolution du contrat de location-gérance ; que la société JB Semaphot ayant été mise en liquidation judiciaire, son mandataire-liquidateur a repris l'instance ; que, reprochant à la société JB Semaphot d'avoir provoqué la " destruction " du fonds de commerce, la société AAST a demandé, à titre additionnel, sa condamnation au paiement du prix du fonds ; que, par arrêt du 20 mai 1998, la cour d'appel a infirmé le jugement et refusé d'annuler le contrat, a fixé la créance de la société AAST au titre du paiement du stock et ordonné la réouverture des débats pour permettre au mandataire-liquidateur de conclure sur la demande de la société AAST au titre de la disparition du fonds ; que, par l'arrêt attaqué, elle a rejeté la demande de la société AAST ; - Sur le moyen unique, pris en sa première branche : Vu les articles 1er et 10 de la loi du 20 mars 1956, devenus les articles L. 144-1 et L. 144-9 du Code de commerce, ensemble l'article 1134 du Code civil ; - Attendu que, pour rejeter la demande de la société AAST, l'arrêt énonce qu'elle ne saurait éluder les conséquences de l'article 1er de la loi du 20 mars 1956 selon lequel le locataire-gérant exploite le fonds à ses risques et périls ; - Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le locataire-gérant, tenu, à l'expiration du contrat, de restituer le fonds en tous ses éléments, doit répondre de la perte de valeur de celui-ci lorsqu'elle est survenue par sa faute, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; - Et sur le même moyen, pris en sa cinquième branche : Vu l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article 10 de la loi du 20 mars 1956, devenu l'article L. 144-9 du Code de commerce ; - Attendu que, pour rejeter la demande de la société AAST qui reprochait à la société JB Semaphot d'avoir cessé l'exploitation du fonds, le fermant du 5 au 26 août 1996, en période de forte activité pour les commerces de photographie en gros, puis s'interdisant tout acte de développement avant de déposer le bilan le 13 décembre 1996, l'arrêt relève que, par jugement du 28 mai 1996, le tribunal avait prononcé la résolution judiciaire du contrat de location-gérance, ordonné la restitution des locaux et matériels loués, condamné la société AAST à rembourser les sommes perçues au titre des loyers et ordonné l'exécution provisoire avec constitution d'une garantie bancaire à concurrence du montant des condamnations prononcées, qu'il s'en est suivi une période d'incertitude quant au caractère exécutoire au non de cette décision qui justifie que la société JB Semaphot n'ait pas restitué le fonds et qu'elle se soit bornée à expédier les affaires courantes avant de mettre fin à son activité commerciale, pour éviter de prendre des commandes dont elle avait tout lieu de penser qu'elle ne serait pas en mesure de les honorer ; que la cour d'appel en déduit que la société JB Semaphot, qui n'a commis qu'une " erreur fort ténue " au regard de l'ambiguïté du jugement, a pu croire de bonne foi qu'il était de saine gestion d'arrêter son activité commerciale à partir du prononcé du jugement du 28 mai 1996 ; - Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la résolution judiciaire du contrat n'était pas assortie de l'exécution provisoire, la cour d'appel, qui n'a relevé aucune autre circonstance de nature à justifier le défaut d'exploitation du fonds par le locataire-gérant, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ; - Et sur le même moyen, pris en sa huitième branche : Vu l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article 10 de la loi du 20 mars 1956, devenu l'article L. 144-9 du Code de commerce ; - Attendu que pour rejeter la demande de la société

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AAST, l'arrêt retient aussi que la faute de la société JB Semaphot n'a pas eu de conséquence sur la valeur du fonds, les actes de gestion courante auxquels elle a procédé ayant sauvegardé l'essentiel du fonds, dès lors que le chiffre d'affaires à prendre en considération pour une cession de fonds ou une indemnité d'éviction est celui de l'exercice précédent, l'interruption exceptionnelle d'activité pendant six mois consécutifs étant sans influence sur l'estimation de la valeur du fonds, les experts comme les tribunaux procédant alors à un calcul par extrapolation ; - Attendu qu'en se déterminant ainsi, par un motif inopérant, alors qu'elle avait constaté un défaut d'exploitation pendant plus de six mois, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ; - Par ces motifs : Casse et annule. Note : Le locataire-gérant d'un fonds de commerce ayant trait à la photographie interrompt son exploitation pendant une période de forte activité dans ce secteur, puis s'interdit tout acte de développement, avant de déposer son bilan quelques mois plus tard. Le loueur lui reproche la disparition du fonds et demande sa condamnation au paiement d'une somme d'argent à ce titre. Pour rejeter cette demande, la cour d'appel se fonde sur l'article 1er de la loi du 20 mars 1956 (devenu C. com., art. L. 144-1), selon lequel le gérant exploite le fonds, dont la location lui est concédée, "à ses risques et périls". Cette idée n'a pourtant guère de rapport avec l'objet de la demande. Elle a trait au succès ou à la déconvenue que le locataire-gérant rencontrera dans son exploitation : il fera les résultats siens, car, à la différence d'un gérant salarié, c'est pour son propre compte qu'il exploite le fonds, moyennant le paiement d'une redevance au propriétaire. Ainsi, que d'aventure il perde de l'argent lors de son exploitation, cette perte sera pour lui. Mais la question ici posée est différente. Elle porte sur la "destruction" du fonds reprochée au locataire-gérant. Sont en jeu la restitution du fonds, que doit indubitablement le locataire lorsque le contrat prend fin, ainsi que, dans cette perspective, la conservation du bien loué qu'il doit assurer. Et c'est en énonçant, à juste titre, que "le locataire-gérant, tenu à l'expiration du contrat, de restituer le fonds en tous ses éléments, doit répondre de la perte de valeur de celui-ci lorsqu'elle est survenue par sa faute", que la Cour de cassation casse la décision attaquée. On remarquera que les textes propres à la location-gérance ne traitent pas à proprement parler de cette question. La location-gérance étant une variété de louage d'un bien meuble, il conviendrait dès lors de remonter aux règles applicables à toutes les locations mobilières... s'il y en avait sur ce point. Or l'on sait que si le Code civil consacre de multiples textes aux baux immobiliers, il est pour le moins discret s'agissant du louage de meubles (à l'exception du bail à cheptel...). La jurisprudence contemporaine refusant de plus en plus nettement d'appliquer, en tout cas à la location-gérance de fonds de commerce, les règles des baux d'immeubles - et tout particulièrement l'article 1732 du Code civil relatif à la responsabilité du locataire quant aux dégradations survenues pendant sa jouissance de la chose -, c'est en définitive vers le seul droit commun des contrats et des obligations qu'il faut se tourner, en tant que de besoin, pour préciser les contours des obligations des parties. Ainsi, l'article 1135 du Code civil peut justifier la mise à la charge du locataire-gérant d'une obligation de conservation (dans le prolongement de la nature même du contrat, qui n'étant que temporaire, oblige à restituer la chose : or pour pouvoir la rendre, il faut commencer par la conserver), dont l'article 1137 permet de dire que ce n'est qu'une obligation de moyens : le locataire peut ainsi avoir à répondre de la "destruction" ou perte de valeur du fonds, si le loueur établit que celle-ci est survenue par sa faute.

Document n° 7 Cass. com., 28 avril 1987, n° 85-13864

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La Cour de cassation : Attendu que, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 mai 1985), la société Hôtel Negresco a demandé la condamnation de la société Nestlé et de sa filiale, la Société de produits alimentaires et diététiques (société SOPAD), pour contrefaçon ou usage illicite de sa marque X..., usurpation de son nom commercial et concurrence déloyale, et que Mme X... est intervenue volontairement dans l'instance pour atteinte à son nom patronymique X... ; que les sociétés SOPAD et Nestlé ont fait valoir que cette dernière avait acquis le 2 juillet 1980 la marque pour des produits de confiserie de la société de Confiseries réunies du Nord, déposée le 23 juillet 1965 par cette société alors dénommée " Le Géant gourmet " ; […] ; - Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : Attendu qu'il est également fait grief à la cour d'appel d'avoir refusé d'admettre une pratique parasitaire de la société SOPAD qui aurait dû être sanctionnée par l'annulation du dépôt de la marque de l'entreprise qui s'y livrait, alors que, selon le pourvoi, d'une part, le but d'une manœuvre parasitaire est de bénéficier de la notoriété du signe distinctif d'une autre entreprise même non concurrente ; qu'ainsi en se bornant à estimer que " le choix final " de X... n'aurait pas été motivé par la volonté de bénéficier de la réputation de ces nom commercial et enseigne, sans rechercher si le renom de l'Hôtel X... n'avait pas été étranger au choix de la dénomination " X... " par la société SOPAD, ce qui pouvait suffire à caractériser la volonté de bénéficier de la réputation du signe distinctif d'autrui, la cour d'appel a statué selon des motifs inopérants et, partant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, et alors que, d'autre part, en déduisant " le choix final " de la dénomination X... d'une comparaison entre deux thèmes (la négritude, l'Hôtel X...) qui, loin d'être en concours, étaient, au contraire, convergents, thèmes qui, en réalité conjugués, avaient déterminé le choix de la dénomination X... et avaient exclu par conséquent toutes les autres dénominations, la cour d'appel a derechef statué selon des motifs inopérants et, partant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; - Mais attendu qu'après avoir examiné une étude sur plusieurs appellations, dont X..., envisagées par la société SOPAD et l'impression que ce dernier terme produisait sur le public, la cour d'appel a souverainement apprécié le caractère concurrent ou convergent des thèmes évoqués et l'absence de volonté de la société SOPAD de bénéficier de la réputation du nom commercial et de l'enseigne X... ; qu'en l'état de ces constatations, elle a pu en déduire que l'activité de cette société n'était pas constitutive de faute ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; - Sur le quatrième moyen : Attendu qu'il est également fait grief à la cour d'appel d'avoir refusé d'admettre l'indisponibilité du signe distinctif X... en raison de sa haute renommée, alors que, selon le pourvoi, la haute renommée d'une marque, d'un nom commercial ou d'une enseigne permet de reconnaître au signe distinctif une notoriété et une valeur intrinsèques indépendantes de sa fonction d'origine de nature à la rendre indisponible même pour des activités non concurrentes ; qu'ainsi, en se bornant à considérer que le signe X... n'aurait été notoirement connu que dans le domaine de l'hôtellerie et que la société X... n'aurait pu invoquer cette notoriété en dehors de ce domaine spécifique sans rechercher néanmoins si la réputation du signe X... n'était pas suffisante pour lui conférer une notoriété et une valeur intrinsèques indépendantes de sa fonction d'origine, de nature à le rendre indisponible même pour une entreprise exerçant une activité distincte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1964 et de l'article 1382 du Code civil ; - Mais attendu que la cour d'appel, qui n'était pas saisie d'agissements constitutifs de faute portant atteinte au signe distinctif en cause, a fait application à bon droit de la règle de la spécialité des marques, du nom commercial et de l'enseigne en ne déclarant pas indisponible l'appellation X... ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; […] ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

Document n° 8

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Cass. com., 9 novembre 1987, n° 85-12261 La Cour de cassation : Sur les deux moyens réunis : Attendu que selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 mars 1985) M. Edouard Leclerc, titulaire de plusieurs marques comportant le mot Leclerc, a demandé que soit prononcée la nullité d'une marque complexe déposée postérieurement par son frère M. Michel Leclerc et comprenant le même nom et qu'il soit fait interdiction à M. Michel Leclerc d'utiliser son nom à titre de marque ; - Attendu qu'il est fait grief à la cour d'appel d'avoir accueilli la demande alors que, selon le pourvoi, d'une part, la Cour d'appel ne pouvait se borner à constater qu'Edouard Leclerc et Michel Leclerc, issus du même père, portaient le même nom et que leur activité se recoupait partiellement au niveau de la distribution d'essence avec la même finalité : la baisse du prix de l'essence, pour en déduire la nullité de la marque litigieuse ; que le dépôt de marques complexes comportant le nom du déposant n'interdit pas à un homonyme de déposer ultérieurement et d'utiliser des marques complexes composées avec son nom patronymique dès lors qu'il a soin d'y ajouter un " élément distinct " qui évite la confusion ; qu'il appartenait dès lors à l'arrêt de rechercher si conjointement les caractères distinctifs des marques d'Edouard Leclerc et de Michel Leclerc permettaient une confusion ; que l'arrêt qui ne compare, ni l'ensemble des termes des marques déposées " Centre distribution Leclerc - Leclerc service ", ni leur lieu d'utilisation, ni leur mode, ni le caractère visuel des marques et panonceaux : lettres, dimensions, couleurs notamment, est entaché d'un manque de base légale au regard de la loi du 31 décembre 1964, et alors que, d'autre part, si l'article 2 de la loi du 31 décembre 1964 permet l'interdiction de l'usage d'un nom patronymique par un homonyme, il ne permet pas d'interdire au profit de l'aîné de deux frères, l'usage du nom que le cadet tient de son père, fût-ce à titre de marque, dès lors qu'il l'assortit de son prénom, seul élément distinctif au sein d'une même famille ; - Mais attendu, d'une part, que par motifs propres et adoptés, après avoir comparé les marques complexes en cause tant en leurs différents éléments dénominatifs et figuratifs pris isolément que par une appréciation d'ensemble et avoir examiné les conditions d'utilisation de ces marques, la cour d'appel a souverainement retenu que le mot Leclerc, par sa notoriété, en constituait la partie attractive et avait provoqué des confusions ; qu'en l'état de ces énonciations et constatations la cour d'appel a légalement justifié sa décision sur la nullité de la marque de M. Michel Leclerc ; - Attendu, d'autre part, qu'après avoir constaté les risques de confusion et les confusions survenues entre les marques de M. Edouard Leclerc et la marque postérieure de M. Michel Leclerc, la cour d'appel, sans se référer à aucun droit d'aînesse, n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 2 alinéa 2 de la loi du 31 décembre 1964 en interdisant à celui-ci d'utiliser son nom à titre de marque ; - D'où il suit qu'aucun des moyens n'est fondé ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

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Séance n° 7 Le bail commercial

I/ Généralités

� Lecture conseillée : J. Monéger, « Baux commerciaux : statut ou liberté contractuelle » : AJDI [Actualité Juridique Droit immobilier] 2000, p. 484 (disponible par l’ENT → Bibliothèques → Ressources électroniques → Dalloz).

II/ Champs d’application des baux commerciaux A) Les locaux

� Les locaux accessoires : Cass. 3e civ., 19 mars 2008, n° 06-21752 (document n° 1).

� Les emplacements dans les grandes surfaces : Cass. 3e civ., 5 avril 1995, n° 93-14864 & Cass. 3e civ., 24 janvier 1996, n° 94-10322 : D. 1997, somm. p. 306, note L. Rozès (document n° 2).

B) Le locataire

� Cf. supra : Séance n° 5 - Le fonds de commerce - Document n° 5. III/ Exécution du bail A) Les loyers : la révision triennale des loyers 1° La révision spéciale des loyers indexés

� Cass. 3e civ., 6 janvier 1993, n° 91-13182 (document n° 3). � Cass. 3e civ., 15 janvier 1992, n° 90-15876 (document n° 4).

2° L’absence de révision judicaire des clauses-recettes

� Cass. 3e civ., 10 mars 1993, Théâtre Saint-Georges, n° 91-13418 (document n° 5). Cf. également la critique de B. Boccara, « Le renouvellement des baux à loyer variable » : AJDI 1994, p. 278.

B) La déspécialisation

� Déspécialisation partielle et clause de non-concurrence : Cass. ass. plén., 26 janvier 1973, n° 71-10583 (document n° 6).

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IV/ Fin du bail A) L’acceptation du renouvellement

� Les parties sont d’accord sur le principe du renouvellement, mais pas sur le contenu du nouveau bail : Cass. 3e civ., 6 mars 1991, n° 89-20452 : RTD civ. 1992, p. 137, note P.-Y. Gautier (document n° 7).

B) Le refus du renouvellement

� Les conséquences de l'obligation de motivation d'un congé sans offre d'indemnité d'éviction : Cass. 3e civ., 28 octobre 2009, n° 07-18520 & Cass. 3e civ., 25 novembre 2009, n° 08-21029 : JCP E 2010. 1155, note M. Roussille (extrait) (document n° 8).

� Le repentir du bailleur : Cass. 3e civ., 30 novembre 2005 : RTD com. 2006, p. 43, note J. Monéger (document n° 9).

***

Document n° 1

Cass. 3e civ., 19 mars 2008, n° 06-21752 La Cour de cassation : Sur le moyen relevé d'office après avis donné aux parties : Vu l'article L. 145-1-I-1° du code du commerce ;- Attendu que les dispositions du chapitre V du titre IV du code de commerce s'appliquent aux baux de locaux ou d'immeubles accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et qu'ils appartiennent au propriétaire du local ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal ; qu'en cas de pluralité de propriétaires, les locaux accessoires doivent avoir été loués au vu et au su du bailleur en vue de l'utilisation jointe ;- Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 16 mai 2006), que, par acte du 9 août 1999, Mme X... a donné à bail à la société Thor un appartement ; que, par acte du 22 février 2002, M. Y..., venu aux droits de Mme X..., a délivré à la locataire un congé pour reprise à effet du 1er septembre 2002, puis l'a assignée en validité de ce congé ;- Attendu que pour rejeter cette demande et dire que le bail liant les parties est un bail commercial, l'arrêt retient que, suivant acte notarié du 2 juillet 2001, Mme X... a vendu à M. Y... l'appartement, qu'il était stipulé à cet acte que l'entrée en jouissance aura lieu par la perception des loyers selon les conditions de location consentie par l'ancienne propriétaire à la société Thor et parfaitement connue du nouveau propriétaire, que parmi les documents annexés à l'acte de vente figure un procès verbal en date du 13 mars 2001 de l'assemblée générale des copropriétaires de l'immeuble, que dans sa résolution n° 21, il est indiqué "il est fait état des nuisances résultant de l'appartement Argyropoulos lequel sert aussi bien d'entrepôt que de location au personnel du locataire en titre, le renouvellement constant de ces "sous locataires" entraînant une difficulté de gestion des étiquettes de la boîte aux lettres", que les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 ne régissent pas les locations consenties à des personnes morales, le fait d'avoir utilisé pour la rédaction du contrat un document pré-imprimé visant cette loi ne suffisant pas pour démontrer une volonté non équivoque des parties de soumettre le bail à ces dispositions législatives, que

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la société Thor justifie que l'appartement loué servait à l'hébergement de son personnel, que cet hébergement était connu des copropriétaires suivant le procès-verbal de l'assemblée générale susvisé, la société utilisant aussi l'appartement comme entrepôt, que, par ailleurs, compte tenu de la nature de ses activités, de l'emploi d'un personnel en majorité d'origine étrangère travaillant pour de courtes périodes et de ce que la fourniture d'un logement constitue un avantage en nature consenti aux employés et artistes recrutés, il s'avère que ce local accessoire à l'exploitation est nécessaire à celle-ci, étant relevé que cette nécessité d'avoir un local accessoire doit s'apprécier sans considération de relogement en d'autres lieux ; - Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir que l'appartement avait été loué au vu et au su du bailleur originaire en vue de son utilisation pour l'activité principale exploitée par la société locataire dans d'autres locaux appartenant à un propriétaire différent, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;- Par ces motifs : Casse et annule.

Document n° 2 Cass. 3e civ., 5 avril 1995, n° 93-14864 & Cass. 3e civ., 24 janvier

1996, n° 94-10322 : D. 1997, somm. p. 306, note L. Rozès 1/ Cass. 3e civ., 5 avril 1995, n° 93-14864.

La Cour de cassation : Sur le moyen unique : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 5 avril 1993), statuant sur renvoi après cassation, que la société Union lainière, locataire d'un emplacement dans un centre commercial appartenant au groupement d'intérêt économique (GIE) Le Trident, fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction, alors, selon le moyen, 1° qu'un " centre commercial ", qui ne constitue que le regroupement géographique de commerces indépendants, n'exploite pas un fonds de commerce et n'a pas de clientèle propre, distincte de celle des commerces qui y sont exercés ; qu'ainsi, la cour d'appel ne pouvait, pour dénier à la société Union lainière le droit au statut des baux commerciaux, énoncer qu'elle ne bénéficiait pas " d'une clientèle personnelle significative par rapport à celle qui fréquentait le centre commercial " (manque de base légale au regard des dispositions de l'article 1er du décret du 30 septembre 1953) ; 2° que le fait que la société Union lainière ait été tenue de respecter diverses contraintes, notamment d'horaires, imposées par le règlement intérieur du centre commercial, ou de communiquer son chiffre d'affaires au GIE Le Trident, n'était pas de nature à la priver de toute autonomie dans la gestion de son commerce et n'était nullement incompatible avec le statut des baux commerciaux (violation de l'article 1er du décret du 30 septembre 1953) ; 3° que l'illicéité de la clause du bail permettant au bailleur de déplacer l'emplacement occupé par le preneur n'avait d'autre conséquence que de permettre à ce dernier d'en invoquer la nullité et ne suffisait pas à exclure le statut des baux commerciaux (violation de l'article 1er du décret du 30 septembre 1953) ; 4°) que la cour d'appel, qui constatait, par ailleurs, que le bail consenti, le 1er octobre 1973, par le GIE Le Trident à la société Union lainière l'avait été " à titre provisoire et précaire " conformément aux dispositions de l'article 3-2 du décret du 30 septembre 1953, ne pouvait, sans méconnaître les conséquences de ses propres constatations, énoncer qu'il ne résultait pas des pièces produites la volonté des parties de soumettre leurs rapports locatifs aux dispositions du décret du 30 septembre 1953 (violation de l'article 1134 du Code civil) ; - Mais attendu qu'ayant relevé que le contrat conclu entre les parties prévoyait la possibilité pour le bailleur de modifier l'emplacement, d'une superficie de 28 mètres carrés, occupé par le preneur, que la société Union lainière bénéficiait essentiellement de la clientèle du centre commercial, éloigné des habitations, comprenant notamment un " hypermarché " d'une surface de vente de 4 000 mètres carrés et que, soumise au règlement intérieur du GIE pour les heures d'ouverture et de fermeture, elle devait lui adresser, chaque mois, un état de

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son chiffre d'affaires quotidien qui pouvait entraîner des rappels à l'ordre de la part du bailleur et qu'elle ne bénéficiait d'aucune autonomie de gestion, la cour d'appel, qui a constaté qu'il ne résultait pas des pièces produites une volonté clairement exprimée par les parties de soumettre leurs rapports locatifs aux dispositions du décret du 30 septembre 1953, a pu en déduire que la société Union lainière ne pouvait prétendre au bénéfice du statut des baux commerciaux ; - D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

2/ Cass. 3e civ., 24 janvier 1996, n° 94-10322. La Cour de cassation : Sur les deux moyens, réunis : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 10 décembre 1993), que, par acte du 6 octobre 1986, la société Migros, aux droits de laquelle se trouvent la Société européenne de supermarchés et la société Match Alsace, a donné en location à M. X..., suivant un contrat intitulé " contrat de location d'emplacements ", divers locaux à usage commercial pour une durée de 15 jours ; que cette location, utilisée par M. X... pour le commerce de fleurs, a été régulièrement renouvelée pour une durée variant de 7 jours à un mois et, pour la dernière fois, le 18 décembre 1989, pour une durée de 7 jours ; - Attendu que la Société européenne de supermarchés et la société Match Alsace font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande aux fins d'expulsion de M. X..., alors, selon le moyen, 1° que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, et ne peut fonder sa décision sur des moyens de droit qu'il a relevés d'office, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en se fondant, pour juger que le locataire pouvait se prévaloir d'une clientèle propre distincte de celle du supermarché, sur une autonomie de gestion du locataire, et sur une clause contractuelle non invoquée par les parties et non débattue contradictoirement, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; 2° que les contrats de location d'emplacements stipulaient aux conditions générales que : " 3-1 Le preneur agira à ses risques et périls. Il devra prendre toutes les mesures nécessaires, en vue d'assurer les objets exposés, ainsi que le matériel, contre les sinistres pouvant survenir (incendie, vol, dégâts des eaux, chute et choc, bris, etc.). La responsabilité du bailleur ne pourra en aucun cas être recherchée lors des sinistres ou dommages quelconques " ; qu'en déduisant de cette clause, qui ne concernait que l'obligation d'assurance, que les sociétés bailleresses avaient entendu accorder au locataire une pleine autonomie de gestion, la cour d'appel a dénaturé ladite clause et violé l'article 1134 du Code civil ; 3° que, pour pouvoir bénéficier du statut des baux commerciaux, le locataire, qui exploite son commerce dans un local dépendant d'une grande surface, doit démontrer qu'il est titulaire d'une clientèle personnelle, laquelle se déduit des efforts du locataire pour attirer une clientèle spécifique distincte de celle de la grande surface ; que, dès lors, en déduisant l'existence d'une clientèle propre du locataire du seul emplacement du local et de l'autonomie de gestion dont bénéficiait le locataire, sans caractériser les efforts entrepris par ce dernier pour attirer une clientèle spécifique, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1er du décret du 30 septembre 1953 ; 4° que le locataire peut toujours renoncer valablement à son droit acquis au renouvellement du contrat de bail pour 9 ans en signant une nouvelle convention dérogatoire ; que M. X..., locataire, a toujours signé des conventions de location d'emplacements d'une durée de 8 à 30 jours ; que, dès lors, en jugeant que le locataire ne pouvait pas renoncer au bénéfice de la propriété commerciale en raison du contrat en cours qui liait les parties pour une durée de 9 ans et qui venait à expiration en 1995, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil, 3-2 et 35 du décret du 30 septembre 1953 ; 5° que seules des conventions de location d'emplacements d'une durée de quelques jours ou d'un mois liaient les parties ; que, dès lors, en déduisant le caractère équivoque de la renonciation du locataire à l'existence d'un bail de 9 ans en cours, lors de la signature de la dernière convention en date du 18 décembre 1989, la cour d'appel a violé les articles 1134 du

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Code civil, 3-2 et 35 du décret du 30 septembre 1953 ; - Mais attendu qu'ayant constaté, sans dénaturation et sans violer le principe de la contradiction, qu'il résultait des éléments de preuve qui lui étaient soumis que les lieux loués ne constituaient pas un simple emplacement mais des locaux commerciaux disposant d'une vitrine et d'une entrée indépendante, que les contrats litigieux précisaient que le preneur agirait à ses risques et périls et n'imposaient aucune contrainte horaire à M. X... qui avait une pleine autonomie de gestion et que ce dernier avait une clientèle propre, distincte de celle du supermarché, la cour d'appel, qui a souverainement retenu qu'en suscitant la conclusion de quarante baux successifs pendant une durée de plus 3 ans et en louant des locaux commerciaux qualifiés faussement d'emplacements, les sociétés bailleresses avaient commis une fraude en vue d'éluder les dispositions du décret du 30 septembre 1953, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

3/ D. 1997, somm. p. 306, note L. Rozès. Note : Les deux décisions rapportées sont relatives aux conditions dans lesquelles le statut des baux commerciaux s'applique à un commerce situé dans le cadre d'un centre commercial ou d'un supermarché ; leur intérêt est précisément de rappeler les éléments retenus pour écarter le décret de 1953 dans la première affaire, et au contraire, pour en faire application dans la seconde ; une double exigence doit être satisfaite : il faut que l'activité commerciale soit exercée dans un local ; ensuite qu'elle attire une clientèle propre et autonome. L'existence d'un local est requise par l'art. 1er, al. 1er, du décret du 30 sept. 1953 ; la jurisprudence le rappelle fréquemment ; ainsi considère-t-elle que ne constitue pas un local des cabines mobiles, une clôture édifiée sur un terrain loué nu et utilisé pour les besoins d'une activité commerciale d'exposition et de vente de remorques et caravanes, en l'absence de la volonté des intéressés de soumettre la convention aux dispositions du décret ; ou des aires de stationnement données à bail à une société qui exploitait un hôtel. On a pu rappeler, que les dépendances même non bâties d'un local loué à titre commercial relèvent du même régime que le local principal ; en revanche le terrain nu loué de manière indépendante, serait-ce pour faciliter une activité commerciale exploitée ailleurs, ne sera une location commerciale que si de véritables constructions ont été élevées et si elles constituent un authentique local. La question de savoir si l'occupant d'une grande surface occupe un local s'avère difficile. Dans le premier arrêt cela n'a pas été admis car le contrat prévoyait la possibilité pour le bailleur de modifier l'emplacement concédé dans le centre commercial ; en effet la jurisprudence a déjà eu l'occasion de décider que ne peut être considéré comme un local un emplacement dont le découpage, la situation et la surface sont contractuellement laissés à la discrétion du bailleur. La solution a été différente dans la deuxième espèce ; le contrat portait sur des locaux commerciaux qualifiés faussement d'emplacements, alors qu'en réalité ils bénéficiaient d'une vitrine et d'une entrée indépendante ; la fraude destinée à éluder les dispositions du décret a été retenue. Il avait déjà pu être estimé qu'une construction permanente située à l'extérieur d'un supermarché, adossée au mur de celui-ci et ouverte, pouvait bénéficier du statut des baux commerciaux. Mais la question la plus délicate est de savoir si le commerce exploité dans le local dispose d'une clientèle propre et autonome. L'autonomie de la clientèle a paru faire défaut dans la première décision ; selon les juges du fond le preneur bénéficiait essentiellement de la clientèle du centre commercial éloigné des habitations, comprenant notamment un hypermarché d'une surface de vente de 4000 m2, il était soumis au règlement intérieur du GIE propriétaire du centre commercial pour les heures d'ouverture et de fermeture, il devait lui adresser, chaque mois, un état de son chiffre d'affaires

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quotidien qui pouvait entraîner des rappels à l'ordre de la part du bailleur et il ne bénéficiait d'aucune autonomie de gestion. La jurisprudence avait déjà retenu, dans d'autres affaires, l'absence d'autonomie de gestion et de clientèle distincte de celle du supermarché. Mais ces critères qui supposent l'autonomie de la clientèle et sa prépondérance par rapport à celle du centre commercial présentent des dangers, car ils sont de nature à priver fréquemment le locataire du bénéfice du statut des baux commerciaux ; il sera souvent difficile de démontrer l'existence d'une clientèle propre et autonome ; aussi cette appréciation a-t-elle paru discutable, notamment si on l'applique à d'autres secteurs de la distribution tels que la concession ou la franchise ; et il est vrai qu'une décision récente est de nature à soulever des inquiétudes sur l'existence de la propriété de la clientèle du franchisé. Aussi, l'arrêt du 24 janv. 1996 apporte-t-il une solution qui peut paraître opportune ; il relève, après la cour d'appel, que selon les contrats le preneur agissait à ses risques et périls, que ces contrats n'imposaient aucune contrainte horaire au locataire qui avait une pleine autonomie de gestion et que ce dernier avait une clientèle propre. Il en résulte que, dans de telles circonstances, comme en droit commun, le bailleur ne doit pas être tenu, à défaut de stipulation particulière, d'obligations renforcées ; ainsi dans un centre commercial, il n'est pas tenu d'une obligation de résultat, mais seulement de moyens quant à l'ouverture à une date déterminée de tous les commerces prévus ; dans le même sens et par application de l'art. 1719 c. civ., le propriétaire d'une galerie marchande n'est pas tenu, en l'absence de stipulation particulière, d'obligations renforcées. Aussi est-il permis de se demander si cette solution, écartant la garantie du bailleur relativement à la gestion du local, peut s'appliquer dans les hypothèses où, précisément, le locataire ne dispose pas d'une autonomie de gestion et d'un véritable local susceptible de permettre l'application du décret de 1953 ; on devrait admettre alors la garantie du bailleur en ce qui concerne cette location à des fins commerciales, ne relevant pas du statut, comme c'était le cas dans la première affaire évoquée ; elle devrait être admissible lorsque le bailleur a, par son fait personnel, troublé la jouissance commerciale du preneur en lui faisant perdre les revenus de son exploitation ; il est vrai que les termes du contrat peuvent être de nature à délimiter le domaine de la garantie de jouissance et à écarter certains troubles prévus d'avance ; mais l'obligation figurant à l'art. 1719 c. civ. est fondamentale, et le bailleur ne saurait s'exonérer de toute garantie de jouissance des lieux ; par ailleurs la jurisprudence se montre plutôt restrictive dans l'interprétation qu'elle donne des clauses limitatives de garantie. Aussi lorsqu'il n'y a pas autonomie de gestion de l'exploitation du preneur, il conviendrait d'admettre une garantie de jouissance pesant sur le bailleur plus lourde que dans le cas où le fonds de commerce est autonome. Il devrait y avoir une opposition ; lorsque le preneur dispose d'un local avec une clientèle autonome justifiant l'application du statut des baux commerciaux, les risques de l'entreprise resteraient à sa charge et l'obligation de garantie du bailleur serait limitée ; dans le cas contraire le preneur ne bénéficierait pas du décret, mais, en revanche il devrait pouvoir beaucoup plus facilement mettre en œuvre la garantie de jouissance du bailleur.

Document n° 3 Cass. 3e civ., 6 janvier 1993, n° 91-13182

La Cour de cassation : Sur le moyen unique : Vu l'article 28 du décret du 30 septembre 1953 ; - Attendu que, par dérogation à l'article 27, si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision pourra être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouvera augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire ; que le juge devra adapter le jeu de l'échelle

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mobile à la valeur locative au jour de la demande ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er février 1991), que la société La Mondiale est propriétaire de locaux à usage commercial donnés en location à la société Reynoird, en vertu d'un bail assorti d'une clause d'échelle mobile ; que le loyer ayant, en application de cette clause, augmenté de plus du quart, la société bailleresse a demandé que le loyer soit fixé à la valeur locative ; - Attendu que, pour écarter cette demande, l'arrêt retient que les dispositions de l'article 28 du décret du 30 septembre 1953 sont sans effet lorsque la valeur locative est plus élevée que le loyer résultant de l'indexation ; - Qu'en statuant ainsi, alors que cet article ne comporte aucune disposition de nature à restreindre le pouvoir d'appréciation de la juridiction saisie et que, dès lors que la demande de révision est recevable, le loyer révisé doit être fixé judiciairement et non par référence aux stipulations contractuelles, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; - Par ces motifs : Casse et annule.

Document n° 4 Cass. 3e civ., 15 janvier 1992, n° 90-15876

La Cour de cassation : Sur le premier moyen : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 20 mars 1990), que la société civile immobilière (SCI) l'Eygala, propriétaire de locaux à usage d'hôtel, les a donnés en location à la société Porte de France, à compter du 1er janvier 1979 ; que le loyer annuel, initialement fixé à 300 000 francs, ayant été porté, à compter du 1er mai 1986, à 505 294 francs par le jeu d'une clause d'échelle mobile, la société locataire en a demandé la révision ; - Attendu que la SCI l'Eygala fait grief à l'arrêt de fixer le loyer annuel à 272 000 francs à compter de cette demande, alors, selon le moyen, que, s'agissant d'une révision consécutive à une hausse de l'indice contractuellement choisi, la valeur locative fixée par le juge ne peut être qu'une limite à l'augmentation du loyer résultant de l'application de l'échelle mobile, mais ne saurait avoir pour effet la fixation d'un loyer inférieur au loyer initial librement choisi avant le jeu de cette indexation et que la cour d'appel n'a pu fixer le montant du loyer annuel révisé à un chiffre inférieur au loyer initial, qu'en violation de l'article 28 du décret du 30 septembre 1953 ; - Mais attendu que la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef, en retenant exactement que l'article 28 du décret du 30 septembre 1953 ne comporte aucune disposition de nature à restreindre le pouvoir d'appréciation de la juridiction saisie, et que, dès lors que la demande de révision était recevable, le loyer révisé devait être fixé judiciairement et non par référence aux stipulations contractuelles ; - Sur le second moyen : (sans intérêt) ; - Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

Document n° 5 Cass. 3e civ., 10 mars 1993, Théâtre Saint-Georges, n° 91-13418

La Cour de cassation : Sur le premier moyen : - Vu l'article 1134 du Code civil ; — Attendu que pour fixer à une certaine somme le montant du loyer minimum afférent au bail, renouvelé à compter du 1er mai 1986, de locaux à usage commercial consenti à la société Théâtre Saint-Georges par la société Compagnie foncière Saint-Dominique et stipulant un loyer constitué par une redevance de 4% sur le montant des recettes nettes et un loyer minimum, quelles que soient les recettes du théâtre, indexé sur le montant de la jauge brute du théâtre, l'arrêt attaqué (Paris 11 déc. 1990) retient que les parties reconnaissent le caractère monovalent de l'utilisation des locaux et que si dans un but de nouvelle expansion du théâtre à laquelle était nécessairement associée la bailleresse, des conditions inférieures à la norme ont été prévues, il n'apparaît plus justifié de perpétuer une telle situation des preneurs jusqu'alors privilégiée par rapport à celle des autres responsables de théâtre ; — Qu'en statuant ainsi, alors que la fixation du loyer renouvelé d'un tel bail échappe aux dispositions du décret du 30 septembre

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1953 et n'est régie que par la convention des parties, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; - Par ces motifs : - Casse et annule.

Document n° 6 Cass. ass. plén., 26 janvier 1973, n° 71-10583

La Cour de cassation : Sur les deux premiers moyens réunis :Vu l'article 1134 du code civil et l'article 35-1 du décret du 30 septembre 1953 dans sa rédaction découlant de la loi du 12 mai 1965 ; - Attendu qu'aux termes du second de ces textes, dont les dispositions sont d'ordre public, est réputée non écrite toute convention, clause ou stipulation ayant pour effet d'interdire à l'exploitant d'un fonds de commerce d'adjoindre à l'activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires ; - Attendu qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que l'office HLM de Firminy a procédé, en 1960, par adjudication, à la location de divers locaux commerciaux de la cité de Firminy-Vert, que l'activité commerciale à entreprendre dans les différents lots était précisée au cahier des charges et qu'un additif a celui-ci portait que la vente de pain, réservée au lot n. 5 affecté a une boulangerie-pâtisserie, était interdite au supermarché prévu pour le lot n. 11 ; Que la société des établissements Guichard-Perrachon, adjudicataire du droit au bail sur ce dernier lot, a notifié à l'office, le 5 mai 1966, en invoquant les dispositions de l'article 35-1 du décret du 30 septembre 1953 dans sa rédaction résultant de la loi du 12 mai 1965, son intention de vendre du pain ; Que cette société a passé outre à l'opposition de l'office et que Robert, ayant cause de Collard, l'adjudicataire du lot n. 5, a demandé à justice qu'il lui soit interdit d'exercer une telle activité - Attendu que, pour faire droit à cette demande, l'arrêt attaqué énonce, en son dispositif, que, " par l'effet de la stipulation pour autrui, imposée par l'office public d'habitation à loyer modéré de Firminy le 22 octobre 1960 et acceptée par la société Guichard-Perrachon, avant tout agrément en sa qualité de locataire de l'office ", ladite société " s'est engagée à ne pas vendre du pain dans le local dont elle soumissionnait le droit d'entrée ", que " la société Guichard-Perrachon a renouvelé envers Robert son engagement le 7 novembre 1962 ", et " que ces engagements, extérieurs au bail, ne sont pas affectés par la loi du 12 mai 1965, qui ne règle que les rapports entre bailleurs et locataires " ; - Attendu qu'en statuant de la sorte, alors, d'une part, que l'interdiction invoquée par Robert découlait d'une stipulation inséparable des conventions intervenues entre bailleur et locataire, et que, d'autre part, par sa lettre du 7 novembre 1963, dont les termes sont clairs et précis, la société Guichard-Perrachon n'avait fait que rappeler ladite interdiction, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; - Par ces motifs : Casse et annule.

Document n° 7 Cass. 3e civ., 6 mars 1991, n° 89-20452 : RTD civ. 1992, p. 137, note

P.-Y. Gautier La Cour de cassation : Sur le moyen unique : Vu l'article 1134 du Code civil, ensemble les articles 4 et 29 du décret du 30 septembre 1953 ; - Attendu que le renouvellement du bail commercial s'opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation du prix ; - Attendu que, pour fixer le prix du bail renouvelé d'un local commercial appartenant aux consorts X... et donné en location à la société Les Experts réunis, l'arrêt attaqué (Paris, 27 juin 1989) retient que l'offre de renouvellement stipule que le locataire devra prendre en charge " tous les travaux nécessaires y compris ceux énumérés à l'article 606 du Code civil, toiture et gros murs " et qu'il s'agit là d'une modification non négligeable des charges et des conditions du bail antérieur ; - Qu'en statuant ainsi, sans constater l'accord de la locataire sur cette modification et alors qu'aucune

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juridiction n'a le pouvoir de modifier les clauses mêmes accessoires du bail commercial à renouveler, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; - Par ces motifs : Casse et annule. Note : L'article 1737 du code civil, selon lequel « le bail cesse de plein droit à l'expiration du terme fixé... », de sorte que le locataire souhaitant se maintenir dans les lieux, devra négocier un nouveau contrat, conformément à l'article 1134 du code civil, est, on le sait, battu en brèche dans de nombreux secteurs, comme les baux ruraux et commerciaux ; ce n'est pas vraiment récent, car les Romains pratiquaient déjà le renouvellement des baux à ferme, quod congruit equitati, parce que conforme à l'équité ; mais encore faut-il savoir, le principe du consentement forcé étant acquis, comment le nouveau contrat sera garni. Un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 6 mars 1991 (Bull. civ. III, n° 77), apporte une réponse qui peut apparaître excessive : le propriétaire d'un local donné à bail en vertu du décret de 1953, se voit contraint, selon le mode de pression mis en place par ce texte (renouveler ou payer très cher le départ) d'accepter le renouvellement de la location ; l'on sait qu'en ce cas et à défaut d'accord des parties sur le nouveau prix, c'est le juge des loyers qui tranchera (art. 29) ; c'est ce qui se passe en l'espèce ; mais le juge du fond ne se contente pas de cela, il prend en outre en compte une nouvelle clause, proposée par le bailleur, aux termes de laquelle ce sera désormais le preneur qui devra régler les grosses réparations. Cassation, au visa de l'article 1134 du code civil : « Attendu que le renouvellement du bail commercial s'opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation du prix ». En d'autres termes, la Haute juridiction procède comme si le bail était purement et simplement reconduit, à la seule exception du prix, recevant un nouveau taux selon l'arbitrage du juge ; mais celui-ci ne pourrait aller plus loin dans le renouvellement du contrat, en l'absence d'autorisation expresse des textes ; ou encore, il y aurait un panachage, dosé et intangible, de reconduction et de renouvellement. Remarquons que cette décision s'inscrit dans un courant, en train de se former. N'est-ce point trop de rigueur à l'endroit du propriétaire ? En effet, que le contrat soit imposé est une chose, mais que le juge, qui a pourtant reçu mission de le diriger, soit lui-même aussi « ligoté » que le cocontractant qui subit le forçage, en est une autre. Et pourquoi ce visa de l'article 1134 ? Parce que les juges du fond auraient dû, avant d'accorder la modification, « constater l'accord de la locataire, alors qu'aucune juridiction n'a le pouvoir de modifier les clauses, mêmes accessoires, du bail... ». On a du mal à déceler la commutativité, dans tout cela : le locataire peut imposer le renouvellement au bailleur, le juge, décider du nouveau prix et en contrepartie, celui-là ne peut même pas demander à celui-ci de se prononcer sur une modalité du nouveau bail ; brandir l'article 1134, alors qu'il y a intervention judiciaire, principalement au bénéfice d'une des parties (car le nouveau prix est on le sait, plafonné), n'est pas satisfaisant. Nous ne rentrerons pas dans les savantes exégèses des versions successives des dispositions applicables, sur le point de savoir si le décret autorise ou non la modification des clauses accessoires du contrat et par quelle formation du tribunal civil, mais voudrions simplement et de façon plus générale revenir à un temps où la Cour de cassation manifestait l'esprit d'équilibre dans lequel elle excelle en temps normal ; à cet effet, nous évoquerons un arrêt de la chambre des requêtes, du 21 mai 1935 : il était également demandé au juge de modifier une des modalités du bail renouvelé ; la décision admet ce pourvoi (sous l'empire de textes, certes moins rigides), après avoir relevé que le système légal de renouvellement « a pour but la protection des fonds de commerce et ne porte atteinte au droit du propriétaire que dans la mesure indispensable pour assurer l'exploitation du fonds ; que dans cette limite, les juges du fond ont plein pouvoir pour insérer de nouvelles clauses dans le bail ou pour modifier les

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anciennes, dans l'intérêt légitime des deux parties » ; or, la clause litigieuse (retrait d'un local accessoire) ne remet pas substantiellement en cause la jouissance des locaux. En d'autres termes, puisque le droit au renouvellement n'est pas entravé et que le juge reçoit une mission de re-confection du contrat, qu'on le laisse apprécier les modifications nécessitées par l'évolution des choses et l'écoulement des ans (rappel : durée minimum du bail, 9 ans) ; aller au-delà, comme le fait aujourd'hui la troisième chambre (qui pouvait toujours relever que l'attribution au preneur des charges de grosses réparations constitue une clause par trop essentielle), c'est accorder au locataire plus que ce que la loi a voulu lui octroyer : la stabilité de son droit de jouissance ; c'est aussi manifester une inutile méfiance à l'endroit des juges.

Document n° 8 Cass. 3e civ., 28 octobre 2009, n° 07-18520 & Cass. 3e civ.,

25 novembre 2009, n° 08-21029 : JCP E 2010. 1155, note M. Roussille (extrait)

1/ Cass. 3e civ., 28 octobre 2009, n° 07-18520.

La Cour de cassation : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 27 juin 2006) que, par acte du 15 mars 2002, M. Jean Lucien E., propriétaire de locaux à usage commercial pris à bail par les époux T., a fait délivrer à ces derniers un congé sans offre de renouvellement et de paiement d'une indemnité d'éviction pour motifs graves et légitimes ; que les époux T., aux droits desquels se trouvent les consorts T., ont assigné M. Jean Lucien E. aux fins de voir annuler le congé et, subsidiairement, obtenir paiement d'une indemnité d'éviction ; - Sur le moyen unique : Vu l'article L. 145 17 du code de commerce, ensemble l'article L. 145 14, alinéa 1, du même code ; - Attendu que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'aucune indemnité s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant ; que toutefois, s'il s'agit soit de l'inexécution d'une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l'exploitation des fonds, compte tenu des dispositions de l'article L. 145 8, l'infraction commise par le preneur ne pourra être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser ; - Attendu que, pour dire que le bail se trouve renouvelé pour une durée de neuf ans qui a pris effet le 1er mai 2002, l'arrêt retient que le bailleur ne précise pas dans la mise en demeure les remises en état dont il demande l'exécution, que les preneurs ne sont pas en mesure de connaître qu'elle est la faute ou la violation aux clauses du bail qu'il leur est demandé de réparer dans le délai imparti et que le refus de renouvellement de bail sans offre d'indemnité d'éviction n'étant pas motivé, le bail se trouve renouvelé ; - Qu'en statuant ainsi, alors que l'absence ou l'insuffisance de motivation d'un congé avec refus de renouvellement pour motifs graves et légitimes sans offre d'indemnité d'éviction laisse subsister le congé et le droit pour le preneur de prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; - Par ces motifs : Casse et annule.

2/ Cass. 3e civ., 25 novembre 2009, n° 08-21.029. La Cour de cassation : Sur le moyen unique : Vu l'article L. 145-17 du code de commerce ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 septembre 2008), que la société MA Le Welcome, locataire de locaux à usage commercial appartenant à la société Transimmeubles, aux droits de laquelle est venue la société Richard Lenoir Invest, a, par acte notifié le 26 novembre 2003, demandé le renouvellement du bail venu à échéance le 30 septembre 2003 ; que le 10 décembre 2003, la bailleresse à délivré à la locataire un commandement d'avoir à

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exploiter et, par acte notifié le 25 février 2004, a refusé le renouvellement du bail sans offre d'une indemnité d'éviction pour motifs graves et légitimes ; que la société MA Le Welcome a présenté une demande subsidiaire en paiement d'une indemnité d'éviction ; - Attendu que pour dire que le bail avait été renouvelé à compter du 26 février 2004, l'arrêt retient que le commandement du 10 décembre 2003 avait été délivré de mauvaise foi et que le refus de renouvellement du bail n'était pas fondé puisque consécutif à ce commandement ; - Qu'en statuant ainsi, alors que le bailleur est toujours en droit de refuser le renouvellement d'un bail venu à expiration en payant une indemnité d'éviction, la cour d'appel, a violé le texte susvisé ; - Par ces motifs : Casse et annule.

3/ JCP E 2010. 1155, note M. Roussille (extrait). Note : Quel risque le propriétaire qui entend reprendre ses locaux court-il à ne pas offrir d'indemnité d'éviction, alors même qu'il ne justifie pas de motifs graves et légitimes ? Deux arrêts récents de la Cour de cassation réaffirment une réponse qui, bien que constante, peut paraître surprenante : rien d'autre que d'avoir à payer ce qu'il doit légalement, l'indemnité d'éviction. Le congé sans offre d'indemnité délivré de mauvaise foi ou sans indication de motifs graves et légitimes produit tout de même son effet et met fin au bail, le locataire ne pouvant alors prétendre rester dans les lieux. « Le bailleur est toujours en droit de refuser le renouvellement d'un bail venu à expiration » (Cass. 3e civ., 25 nov. 2009, n° 08-21029) et « l'absence ou l'insuffisance de motivation pour motifs graves et légitimes sans offre d'indemnité d'éviction laisse subsister le congé » (Cass. 3e civ., 28 oct. 2009, n° 07-18520 et 08-16135). Ainsi, les irrégularités entachant le congé ne font pas perdre au propriétaire son droit de rompre le bail. Pour autant, il devra assumer le coût de sa décision en indemnisant le preneur, dès lors qu'il ne justifie pas de motifs graves et légitimes. Tel est le rappel qu'a entendu largement diffuser la troisième chambre civile de la Cour de cassation en publiant deux décisions récentes, rendues les 28 octobre et 25 novembre 2009. Les deux espèces présentaient d'importantes similarités : le propriétaire de locaux commerciaux avait refusé le renouvellement du bail sans offrir au preneur d'indemnité d'éviction. Il invoquait des motifs graves et légitimes, mais sans avoir précisé dans son congé, dans la première espèce, quelle était la faute ou la violation des clauses du bail reprochée au preneur (arrêt du 28 octobre), et, dans la seconde, en étant de mauvaise foi, l'état sanitaire déplorable de l'immeuble ne permettant pas au commerçant d'exploiter le fonds dans les lieux (arrêt du 25 novembre). Quoique nés dans des contextes différents, ces deux litiges ont conduit les deux cours d'appel saisies (Pau dans l'affaire du 28 octobre et Paris dans celle du 25 novembre) à rendre une solution similaire : en l'absence de motivation ou de légitimité des motifs invoqués, le congé ne pouvait, selon les juges du fond, produire l'effet attendu et le bail devait être renouvelé. C'est pourquoi, dans ces deux espèces, la Cour de cassation était amenée à trancher une question similaire : les irrégularités de fond entachant le congé sans offre d'indemnité d'éviction privent-elles totalement le bailleur de son droit à résilier le bail ou l'obligent-elles seulement à indemniser le preneur ? En fait, il lui était donc demandé de préciser les sanctions attachées à l'obligation de motivation d'un congé sans offre d'indemnité d'éviction. Par des formules différentes, mais dont le sens est identique, la troisième chambre rappelle une solution déjà bien établie : malgré l'inexistence, l'insuffisance ou le défaut d'indication de motifs graves et légitimes, le congé avec refus de renouvellement subsiste, mais le propriétaire est tenu de payer une indemnité d'éviction à son locataire.

Document n° 9

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Cass. 3e civ., 30 novembre 2005, n° 04-19703 : RTD com. 2006, p. 43, note J. Monéger

La Cour de cassation : Sur le premier moyen : Vu l'article L. 145-58 du Code de commerce ; - Attendu que le propriétaire peut, jusqu'à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l'indemnité, à charge par lui de supporter les frais de l'instance et de consentir au renouvellement du bail dont les conditions, en cas de désaccord, sont fixées conformément aux dispositions réglementaires prises à cet effet ; que ce droit ne peut être exercé qu'autant que le locataire est encore dans les lieux et n'a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 16 septembre 2004), que par acte d'huissier de justice du 24 décembre 1997, la société Hegeald, propriétaire de locaux à usage commercial donnés à bail aux époux X..., leur a délivré un congé portant refus de renouvellement et refus d'indemnité d'éviction pour motifs graves et légitimes, puis les a assignés en expulsion et fixation d'une indemnité d'occupation ; qu'en cours de procédure, la société bailleresse a déclaré exercer son droit de repentir en application de l'article L. 145-58 du Code de commerce, a offert le renouvellement du bail et a demandé la fixation du loyer à la valeur locative ; - Attendu que pour dire qu'à défaut d'exercice par la société Hegeald d'un droit de repentir statutaire, la renonciation au congé pour motif grave et légitime a emporté renouvellement du bail à compter du 1er janvier 1999 aux conditions antérieures, y compris de loyer, l'arrêt retient que le droit de repentir institué par l'article L. 145-58 du Code de commerce permet au propriétaire de se soustraire unilatéralement au paiement de l'indemnité d'éviction ; que ce texte ouvre au bailleur la faculté de revenir sur sa décision de ne pas renouveler le bail jusqu'à la fixation judiciaire définitive de l'indemnité, c'est-à-dire jusqu'au moment où il est en mesure de connaître avec exactitude l'incidence financière de l'éviction du locataire ; que ce droit statutaire est donc nécessairement lié au refus de renouvellement de l'article L. 145-14 du Code de commerce et ne peut être étendu aux hypothèses de non-renouvellement sans indemnité ; - Qu'en statuant ainsi, en ajoutant à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; - Par ces motifs : Casse et annule. Note : Au visa de l'article L. 145-58 du code de commerce, la troisième Chambre civile casse, pour violation de la loi, un arrêt de la Cour d'appel de Grenoble du 16 septembre 2004 (inédit), pour avoir « ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas ». La cour d'appel considère que « le droit de repentir statutaire ouvre au bailleur la faculté de revenir sur sa décision de ne pas renouveler le bail jusqu'à la fixation judiciaire définitive de l'indemnité d'éviction du locataire » et qu'il « est donc nécessairement lié au refus de renouvellement de l'article L. 145-14 du code de commerce et ne peut être étendu aux hypothèses de non-renouvellement sans indemnité ». Parmi, les droits reconnus au propriétaire, lors ou en suite de la délivrance d'un congé, coexistent : celui de refuser le renouvellement en payant une indemnité d'éviction égale au préjudice subi par le preneur évincé (art. L. 145-14, al. 1, c. com.) sauf à convaincre les juges que le refus est fondé sur un motif grave et légitime au sens de l'article L. 145-17-1° du code de commerce et celui de se repentir en offrant finalement le renouvellement au locataire resté dans les lieux pendant la procédure, en payant l'ensemble des frais de l'instance et, à défaut d'accord avec le preneur sur le montant du loyer, a accepté sa fixation par le juge (art. L. 145-58 c. com.). L'exercice du droit de repentir est définitif et irrévocable quelle que soit l'infraction au bail ou le manquement à la loi qui viendrait à être découvert ultérieurement (par ex. un défaut d'immatriculation au RCS à la date du congé ou au jour de son effet). Repentir sur repentir ne

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vaut. Le locataire est resté locataire sans avoir à répondre au bailleur. Si celui-ci ne sollicite pas la fixation du loyer par le juge dans le délai de deux ans, il est prescrit et le loyer antérieur vaut loyer pour le bail renouvelé, sauf à obtenir sa révision triennale ultérieure. Il y a fort longtemps que la jurisprudence est fixée sur le point de savoir comment il convient d'appliquer l'article L. 145-58 du code de commerce (Décr. de 1953, anc. art. 32). Une lecture rapide du texte avait pu laisser penser dans les années qui ont suivi la publication du décret du 30 septembre 1953 (aujourd'hui largement incorporé aux art. L. 145-1 à L. 145-60 c. com.) qu'il ne visait que le cas où le propriétaire était engagé dans une procédure relative à la fixation du montant de l'indemnité d'éviction due au locataire. C'est cette analyse qui avait convaincu les juges de Grenoble. La maladresse permet à la Cour de cassation de réaffirmer très clairement le sens, donné il y a près de cinquante ans, aux textes relatifs au refus de renouvellement, notamment pour motif grave et légitime comme en l'espèce, mais l'arrêt n'est pas limitatif, bien au contraire. Dès la fin des années cinquante, les juges du fond et, en 1962, la Cour de cassation ont considéré qu'il n'était pas nécessaire d'attendre une condamnation passée en force de chose jugée pour autoriser le bailleur à exercer son droit de repentir. La solution avait été maintenue à propos de la distinction entre le congé refusant le renouvellement avec et sans offre d'indemnité d'éviction, dans un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 6 novembre 1998. En l'espèce, les juges de la Cour d'appel de Grenoble s'inscrivaient en opposition avec ceux de la Cour d'appel de Paris et au-delà de la Cour de cassation. C'était là une démarche qui ne pouvait raisonnablement prospérer en cas de pourvoi. En effet, ainsi que le demandeur au pourvoi l'observe dans les moyens présentés à son appui, d'une part, l'article L. 145-58 du code de commerce se limite à fixer une date butoir à l'exercice de la prérogative qu'il confère au bailleur (quinze jours à compter de la date à laquelle est passé en force de chose jugée la décision fixant l'indemnité d'éviction) et à enserrer celui-ci dans des conditions restrictives ; d'autre part, ne distingue pas entre les cas de refus de renouvellement selon qu'ils sont ancrés ou non sur un motif grave ou légitime au sens de l'article L. 145-17, I, 1° du code de commerce. Il en serait de même si le motif invoqué était celui de la démolition et de la construction ou reconstruction visé aux articles L. 145-17, I, 2° et L. 145-18 du code de commerce. Un dernier argument dans le sens de la cassation qui n'a pas été proposé à la Cour de cassation, est celui de la lettre de l'article L. 145-12 du code de commerce, dernier alinéa qui traite quant au point de départ du nouveau bail de la même manière les cas où le bailleur ayant notifié un congé comportant un refus de renouvellement ou exprimant l'intention de ne pas l'offrir, décide par la suite de le renouveler. Le point de départ du bail issu du renouvellement quels que soient la cause et le moment de la décision du bailleur est celui du jour de la notification par acte extrajudiciaire au locataire, de celle-ci. L'arrêt met fin à l'hésitation des juges du fond et des praticiens. Derruppé, Brière de l'Isle, Maus et Lafarge écrivaient en 1979 : « ... on peut regretter que le législateur, en modifiant, par la loi du 16 juillet 1971, le texte de l'article 32 (L. 145-58 c. com.) n'en ait pas profité pour assimiler au repentir après condamnation au paiement d'une indemnité d'éviction l'offre d'un nouveau bail en cours de procédure en fixation de cette indemnité, ou même avant l'introduction de celle-ci, après un simple refus ». Le regret reste fondé. Le législateur avait sans doute pensé alors que la logique des textes s'imposait et que l'économie des mots était toujours une qualité légistique à préserver. La Cour de cassation continue ainsi à sortir de la gangue des évidences obscures, le sens vrai des textes. A défaut d'une formation grammaticale et linguistique satisfaisante, ne faudrait-il pas envisager une véritable réforme des baux commerciaux pour pallier l'inflation des litiges ? Une ébauche existe depuis dix-huit mois. Elle mérite plus que le dédain du placard.

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Séance n° 8 Concurrence et distribution

I/ Concurrence A) La validité des clauses de non-concurrence

� Cass. com., 24 novembre 2009, n° 08-17650 : JCP E 2010. 1220, note N. Dissaux (document n° 1).

B) La concurrence déloyale

� P. Le Tourneau, note sous CA Paris, 15 décembre 1993 : D. 1994, p. 145. (document n° 2).

II/ Distribution A) L’annulation d’un contrat de franchise pour erreur sur la rentabilité de l’activité économique

� Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-20956 : D. 2011, p. 3052, note N. Dissaux (document n° 3).

B) Les ventes sur internet dans le cadre de la distribution sélective

� CJUE, 13 octobre 2011, aff. C-439/09, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique : Contrats conc. consom. 2011, comm. 257 par M. Malaurie-Vignal (document n° 4).

***

Document n° 1

Cass. com., 24 novembre 2009, n° 08-17650 : JCP E 2010. 1220, note N. Dissaux

La cour de cassation : Sur le moyen unique du pourvoi principal : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 7 mai 2008), que, le 1er juillet 1999, la société FLJ a conclu avec la société Medis, aux droits de laquelle vient la société Distribution Casino France (la société Casino), un contrat de franchise pour l'exploitation d'une superette sous l'enseigne SPAR, dont le terme, initialement fixé au 14 juin 2004, a été reporté au 31 mars 2009 ; que, se plaignant du manquement de la société Casino à ses obligations contractuelles, la société FLJ lui a indiquée, par lettre du 27 septembre 2006, qu'elle constatait l'acquisition à son profit de la clause résolutoire insérée au contrat puis l'a assignée afin de voir constater ou prononcer à ses torts exclusifs la résolution de celui-ci ; que la société Casino l'a alors assignée en exécution

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forcée du contrat jusqu'à son terme et, subsidiairement, en résolution de celui-ci à ses torts exclusifs et en indemnisation de son préjudice ; que ces deux procédures ont été jointes ; - Attendu que la société FLJ fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Casino une somme de 12 000 euros à titre de dommages-intérêts pour la violation de la clause de non-concurrence post-contractuelle insérée au contrat de franchise, alors, selon le moyen :1°/ qu'une clause de non-concurrence, même limitée dans l'espace et le temps, est nulle si elle prive celui qui y est soumis de la possibilité d'exercer son activité professionnelle ou lui fait perdre son fonds de commerce ; qu'en jugeant dès lors que la clause litigieuse était valable, laquelle ne permettait pourtant pas à la société FLJ d'exercer quelque activité concurrente que ce soit et la contraignait à la fermeture de son fonds, la cour d'appel a violé l'article 1131 du code civil, ensemble le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;2°/ que la société FLJ avait soutenu dans ses écritures qu'à supposer que la clause de non-concurrence fût valable, la demande de dommages intérêts présentée contre elle était sans fondement dès lors qu'elle avait poursuivi son activité, comme le principe fondamental du libre exercice d'une activité professionnelle l'y autorisait, sans que cette exploitation fût faite sous aucune enseigne ; que pour décider de la condamner pourtant de ce chef, la cour d'appel a retenu que cette circonstance était inopérante et que la société FLJ était fautive, en violation de la clause de non-concurrence, par le fait qu'elle avait enfreint l'obligation qui lui était faite, dans le local concerné, d'exercer quelque activité commerciale concurrente que ce soit, même de nature indépendante ; qu'en se déterminant de la sorte, par des motifs faisant de l'exercice libre de cette activité professionnelle, hors toute enseigne, une faute de nature à justifier une sanction, la cour d'appel a violé le principe fondamental du libre exercice d'une activité professionnelle, comme celui de la liberté de commercer, ensemble l'article 1131 du code civil ; - Mais attendu que la validité d'une clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans un contrat de franchise n'est subordonnée qu'à la condition que cette clause soit limitée dans le temps et dans l'espace et qu'elle soit proportionnée aux intérêts légitimes du franchiseur au regard de l'objet du contrat ; que l'arrêt constate l'existence d'une telle limitation et relève que le franchiseur avait apporté au franchisé un savoir-faire dont celui-ci avait reconnu la réalité et la valeur ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu retenir que la clause interdisant au franchisé d'exercer, même de manière indépendante, une activité commerciale concurrente dans le local concerné était proportionnée à la protection des intérêts visés par cette stipulation et a pu déduire de la violation de cette clause l'existence d'une faute ; que le moyen n'est pas fondé ; - Et attendu que le moyen invoqué à l'appui du pourvoi incident ne serait pas de nature à permettre l'admission de ce dernier ; - Par ces motifs : Rejette les pourvois.

Note : Chicaneau en aurait probablement fait son miel ! Incomparable nid à contentieux, la clause de non-concurrence aurait à tout le moins fasciné le célèbre plaideur de Racine. Tiré à hue et à dia, son régime est constamment travaillé par des vents contraires. L'interprète se tient ainsi à l'affût de la moindre décision susceptible de lui apporter quelque repère. Et quoique non publié, l'arrêt du 24 novembre 2009 semble bien en faire partie. Invoquant plusieurs manquements de son partenaire, un franchisé avait fait valoir une clause résolutoire au soutien d'une cessation anticipée de son contrat. Prévoyant, il avait ensuite assigné son franchiseur afin que la résolution fût avalisée. À la demande du franchiseur, la cour d'appel de Lyon condamnait toutefois le franchisé au versement de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence post-contractuelle stipulée au contrat de franchise. Celle-ci portait interdiction d'exploiter un fonds ayant une activité identique ou similaire à l'unité en franchise pendant un an dans un rayon de trois kilomètres du magasin. Elle était donc limitée dans le temps et dans l'espace. Pour le reste, le franchisé reconnaissait dans un courriel avoir bénéficié d'un savoir-faire. De sorte que la clause était également jugée

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proportionnée aux intérêts du franchiseur. En somme, la cour d'appel n'avait fait qu'adopter une démarche classique. Trop classique au goût du franchisé ! La clause, défendait-il dans son pourvoi, même limitée dans l'espace et le temps, est nulle si elle prive celui qui y est soumis de la possibilité d'exercer son activité professionnelle ou lui fait perdre son fonds de commerce. En validant une clause qui l'empêchait d'exercer quelque activité concurrente que ce soit et le contraignait à cesser d'exploiter son fonds, la cour d'appel aurait donc violé l'article 1131 du Code civil, ensemble le principe de la liberté du commerce. À supposer même que la clause fût valable, la cour d'appel n'en aurait pas moins violé les mêmes règles dans la mesure où, soutenait encore le pourvoi, la demande de dommages-intérêts présentée contre le franchisé était sans fondement dès lors que ce dernier avait poursuivi son activité sans appartenir à aucun réseau concurrent. Que la Cour de cassation ne prenne pas soin de répondre à ce second argument, rien de plus normal : soit la clause est valable, et sa violation est nécessairement fautive ; soit elle est nulle, aucune violation ne pouvant alors être caractérisée. Le problème de droit tenait bien exclusivement aux conditions de validité de la clause. Une fois n'est pas coutume, la Haute juridiction refuse cependant de céder aux charmes de la cause. Le pourvoi est rejeté aux motifs que « la validité d'une clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans un contrat de franchise n'est subordonnée qu'à la condition que cette clause soit limitée dans le temps et dans l'espace et qu'elle soit proportionnée aux intérêts légitimes du franchiseur au regard de l'objet du contrat ». Or la cour d'appel avait constaté l'existence d'une telle limitation et relevé que le savoir-faire du franchiseur n'était pas contesté. Ce dont il suivait qu'elle avait « pu retenir que la clause interdisant au franchisé d'exercer, même de manière indépendante, une activité commerciale concurrente dans le local concerné était proportionnée à la protection des intérêts visés par cette stipulation et a pu déduire de la violation de cette clause l'existence d'une faute ». Ce faisant, la Cour de cassation ne se borne pas à rappeler les conditions nécessaires à la validité de la clause (1) ; elle précise au surplus que celles-ci sont suffisantes (2). 1. Les conditions nécessaires à la validité de la clause

L'arrêt commenté rappelle clairement qu'une clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans un contrat de franchise n'est valable qu'à condition d'être limitée, d'une part (A), proportionnée, d'autre part (B). A. - Une clause limitée L'exigence d'une clause limitée est la plus ancienne (Cass. req., 2 juill. 1900 : DP 1901, 1, 294). Elle s'apprécie d'un point de vue temporel et spatial. Une clause de non-concurrence peut-elle cependant n'être limitée que dans le temps ou dans l'espace ? La question du caractère alternatif ou cumulatif de la limitation pouvait diviser les commentateurs. Certes, plusieurs décisions avaient nettement opté pour un caractère alternatif (Cass. soc., 27 juin 1984, n° 81-42.932 : Bull. civ. 1984, V, n° 269). L'arrêt commenté n'en consacre pas moins la solution inverse. Son chapeau ne souffre aucune ambiguïté : « la validité d'une clause de non-concurrence post-contractuelle insérée dans un contrat de franchise n'est subordonnée qu'à la condition que cette clause soit limitée dans le temps et dans l'espace ». Cette question n'était pas directement posée à la Cour de cassation ? Soit ! On ne saurait toutefois postuler l'innocence de la formulation choisie. Qui emporte du reste une pleine adhésion. Une clause de non-concurrence illimitée dans le temps ne contrevient-elle pas à la prohibition des engagements perpétuels ? (Cass. 3e civ., 18 mars 1987, n° 85-16.171 et 85-16.265). Et la clause illimitée dans l'espace n'est-elle pas excessive au regard du principe de liberté du

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commerce et de l'industrie ? (Cass. com., 18 déc. 2007, n° 05-21.441). Au demeurant, la double limitation est expressément exigée s'agissant des clauses insérées dans un contrat de travail (Cass. soc., 10 juill. 2002, n° 00-45.387), ou d'agent commercial (C. com., art. L. 134-14). En droit de la distribution, l'influence du droit communautaire conduit d'ailleurs la plupart des juridictions internes à exiger que la clause soit limitée et dans le temps, et dans l'espace. À supposer que le doute fût encore permis, la prudence commanderait dès lors aux rédacteurs de contrat de prévoir cette double limitation. B. - Une clause proportionnée

S'agissant de l'exigence d'une clause justifiée par l'intérêt du créancier, elle fut initialement posée en matière de franchise au niveau européen (CJCE, 28 janv. 1986). Les juridictions internes ont ensuite emboîté le pas. En 1995, la Cour de cassation décidait ainsi qu'une clause de non-concurrence n'était valable que si la consistance et la technicité du savoir-faire transmis au franchisé le justifiaient (Cass. com., 14 nov. 1995, n° 93-16). L'avènement d'un principe de proportionnalité était en marche. La Cour de cassation l'a confirmé depuis lors (Cass. com., 12 mars 2002, n° 99-14.762). L'arrêt du 24 novembre 2009 n'a donc apparemment rien que de très classique sur ce point : même limitée dans le temps et dans l'espace, une clause de non-concurrence n'est valable qu'à condition d'être « proportionnée aux intérêts légitimes du franchiseur au regard de l'objet du contrat ». Tout au plus relèvera-t-on que le contrôle opéré de ce chef s'avère très léger : la cour d'appel « a pu retenir que la clause interdisant au franchisé d'exercer, même de manière indépendante, une activité commerciale concurrente dans le local concerné était proportionnée à la protection des intérêts visés par cette stipulation et a pu déduire de la violation de cette clause l'existence d'une faute ». Il est vrai que le pourvoi pouvait ici paraître, lui aussi, très léger. Ne suggérait-il pas que la clause ne pouvait empêcher le franchisé d'exercer une activité concurrente « de manière indépendante », c'est-à-dire sous sa propre enseigne ? Ce qui revenait à confondre clause de non-concurrence et clause de non-affiliation. Cela étant, la Cour de cassation accepte que la proportionnalité de la clause litigieuse ne soit appréciée qu'au regard du savoir-faire du franchiseur. La méthode correspond peut-être à une tendance chez les juges du fond ; elle n'en est pas moins critiquable. Car elle ne s'embarrasse guère de l'effet de la clause de non-concurrence sur le franchisé. 2. Des conditions suffisantes à la validité de la clause

Par la formule restrictive de son attendu, la Cour de cassation consacre le caractère limitatif des conditions classiques de validité d'une clause de non-concurrence. Vainement le pourvoi soutenait-il la nullité de la clause aux motifs qu'elle empêchait le franchisé d'exercer son activité professionnelle, d'une part (A) ; qu'elle lui faisait perdre son fonds de commerce, d'autre part (B). A. - Le maintien de l'exercice d'une activité professionnelle

Le premier argument semblait directement tiré de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation. Au nom du principe de proportionnalité, plusieurs décisions ont en effet posé que le salarié débiteur d'une clause de non-concurrence ne devait pas être empêché d'exercer une activité conforme à sa formation et son expérience (Cass. soc., 18 sept. 2002, n° 00-42.904). Le critère est même prépondérant dans la mesure où, comme l'écrivait Yves Serra, « en cas de conflit entre la nécessaire protection des intérêts légitimes de l'entreprise et la sauvegarde de la liberté professionnelle du salarié, c'est cette dernière qui doit être préférée ». Pourquoi dès lors cantonner cette exigence au droit du travail ? Le régime que

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celui-ci réserve aux clauses de non-concurrence n'est-il pas transposable en matière de franchise ? Après tout, l'exigence de proportionnalité se rattache à celle, plus générale, d'une cause licite de l'obligation de non-concurrence. Pourquoi donc une même cause n'appellerait-elle pas un même traitement ? On dira qu'il n'appartenait pas à la Cour de cassation, juge du droit, de s'immiscer dans l'appréciation des conséquences que la clause avait eues pour le franchisé. Et qu'en tout état de cause, il demeurait loisible au franchisé de poursuivre son exploitation ailleurs. Ces réserves ne sauraient toutefois convaincre. En pratique, il est d'abord douteux qu'un franchisé de la grande distribution alimentaire puisse réellement changer d'implantation. Et comme son local est hautement spécifique, ne se prêtant nullement à l'exploitation d'un autre type de commerce, il n'aura le plus souvent d'autre choix que de céder son fonds à bas prix. En théorie, il est ensuite tendancieux de n'apprécier l'exigence de proportionnalité qu'au regard des intérêts du franchiseur. Car enfin le principe que contrarie la clause de non-concurrence reste celui de la liberté du commerce. Or exiger d'une telle clause qu'elle soit proportionnée aux intérêts du franchiseur, c'est en éprouver la validité à l'aune d'un autre principe : le respect dû à la propriété du savoir-faire. C'est donc peut-être se tromper de référentiel. L'appréciation devrait, comme en droit du travail, se tourner du côté du débiteur. S'en tenir au point de vue du franchiseur, c'est réduire la proportionnalité à la nécessité. Une clause nécessaire au franchiseur n'est pourtant pas forcément proportionnée à la restriction pesant sur le franchisé. On ne peut confondre les deux sans faire prévaloir la propriété sur la liberté. Rétorquera-t-on que l'une ne va pas sans l'autre ? Et qu'un franchiseur hésiterait à entreprendre s'il ne pouvait stipuler une clause nécessaire à la protection des investissements requis par la mise au point d'un savoir-faire ? Le contrat de franchise lui assure toutefois des compensations. Ne serait-ce que parce qu'il oblige le franchisé, pendant toute la durée du contrat, à verser régulièrement des redevances en contrepartie de la transmission dudit savoir-faire. La propriété du franchisé sur son fonds de commerce ne semble pas aussi bien protégée. B. - La perte du fonds de commerce

Reconnu, ce droit de propriété l'est certes officiellement depuis le célèbre arrêt Trévisan (Cass. 3e civ., 27 mars 2002, n° 00-20.732). Suffisait-il à remettre en cause la validité d'une clause de non-concurrence post-contractuelle ? La Cour de cassation le refuse ici catégoriquement. Le débat était-il néanmoins bien engagé ? En sollicitant la nullité de la clause sur le fondement de la cause, le franchisé le situait en effet au stade de la formation du contrat. Dans ces conditions, il pouvait paraître hasardeux pour lui d'invoquer la perte de son fonds, nécessairement postérieure à cette conclusion. Sans doute la Cour de cassation fait-elle parfois jouer un rôle à la cause lors de l'exécution d'un contrat (Cass. 1re civ., 30 oct. 2008, n° 07-17.646). Il n'en reste pas moins difficile de justifier la nullité d'une clause par ses effets. C'est ainsi de manière bien plus satisfaisante qu'un arrêt du 9 octobre 2007 a suggéré d'arbitrer le conflit entre la propriété d'un franchisé sur son fonds et une clause de non-concurrence par le biais de la théorie de l'enrichissement sans cause. Au visa de l'article 1371 du Code civil, la Cour de cassation avait censuré une cour d'appel ayant refusé d'indemniser un franchisé qui se voyait privé d'une partie de sa clientèle alors même que les contrats de franchise litigieux, stipulant une clause de non-concurrence, avaient cessé à l'initiative du franchiseur (Cass. com., 9 oct. 2007, n° 05-14.118 : JurisData n° 2007-040801 ; JCP G 2007, II, 10211, nos obs. ; Contrats, conc. consom. 2007, comm. 298, obs. M. Malaurie-Vignal ; D. 2008, p. 388, note D. Ferrier ; RJDA 2008, p. 335, note H. Kenfack ; RTD civ. 2008, 136, obs. P.-Y. Gautier). Il est vrai qu'un tel arrêt ne pouvait être invoqué en l'espèce ; car c'est ici le franchisé qui avait pris l'initiative de la rupture. Or ce qui prive de cause l'éventuel enrichissement du franchiseur

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ne tient pas seulement dans l'application d'une clause de non-concurrence valable. Mais aussi dans une cessation du contrat provenant du franchiseur. Dit autrement, la clause de non-concurrence a beau être valable, elle n'est pas une cause suffisante à l'enrichissement du franchiseur qui ne saurait s'en servir afin de faire main basse sur le fonds de ses franchisés. Par où la théorie de l'enrichissement sans cause présente toutefois un avantage : elle est un outil plus fin que la cause afin d'introduire un peu plus de justice dans la résolution des conflits liés à la cessation du contrat de franchise.

Document n° 2 P. Le Tourneau, note sous CA Paris, 15 décembre 1993 : D. 1994, p.

145 Voici une appellation prestigieuse, Champagne, sans doute la plus célèbre du monde, le « sourire de la France », qui évoque immédiatement dans l'esprit du public, comme par réflexe, un produit de grande qualité, le compagnon des jours de joie et des fêtes de la vie. Incontestablement, une association d'idées relie psychologiquement et inconsciemment le mot champagne à quelque chose de rare, de précieux et d'heureux. Si ce mot venait à se répandre, en étant utilisé par n'importe qui pour des produits divers, même de bonne qualité, son pouvoir évocateur et accrocheur diminuerait. Une appellation d'origine n'appartient pas à une personne, ni même à une personne morale, à une société, elle appartient à une communauté, à une collectivité de personnes, en l'espèce les producteurs de champagne, qui ont réussi à la créer et à la maintenir. Ce trait est tout à fait original dans le droit et témoigne du particularisme des appellations d'origine, particularisme qui implique une protection spéciale. Créée par l'effort des producteurs, consacrée par la clientèle, l'appellation d'origine est reconnue par l'Etat comme un monopole, qu'il protège dans l'intérêt des bénéficiaires, de la clientèle et de la Nation tout entière. En effet, une appellation d'origine, et singulièrement celle de Champagne, est un élément du patrimoine national, inaliénable et à vocation de perpétuité. Il était nécessaire de rappeler ces données : elles constituent le décor dans lequel s'est déroulé le litige ayant donné lieu à l'arrêt rapporté ci-dessus, dans une affaire qui a connu un large retentissement médiatique. Malgré plusieurs mises en garde du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) et de l'INAO, la Sté Yves Saint Laurent Parfums lança avec fracas en 1993 un parfum baptisé Champagne, après avoir acquis une marque déposée antérieurement pour la classe des parfums. Sur assignation de l'INAO, du CIVC et de trois producteurs de champagne, le Tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 28 oct. 1993, prononça notamment l'interdiction d'utiliser l'appellation d'origine Champagne pour désigner un parfum. Tout en adoptant une motivation légèrement différente, la Cour de Paris, première chambre, sous la présidence de Mme le Premier président, confirma le jugement par arrêt du 15 déc. 1993. Quels textes pouvaient être invoqués dans le débat ? La Cour relève que les textes de droit européen, mis en avant par la Sté Yves Saint Laurent, sont tous sans emport, soit parce que, spéciaux, ils n'ont aucun rapport réel avec la question débattue en l'espèce (règl. CEE 823-87 du 16 mars 1987 ; règl. CEE 2081-92 du 14 juill. 1992), soit parce que, général comme l'art. 30 du Traité de Rome, il est avancé à tort : le parfum Champagne, étant fabriqué et distribué en France, l'interdiction de le commercialiser sur le territoire national n'a aucun effet direct ou indirect sur les importations.

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En droit interne, l'art. L. 711-4 c. propr. intell. traite du conflit entre une appellation d'origine et une marque : « Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : ... d) A une appellation d'origine protégée ». Mais cette disposition, que nous avions appelée de nos vœux (Proposition pour une réforme du droit des appellations d'origine, Gaz. Pal. 1984.1. Doctr. 107), ne date que de la loi du 4 janv. 1991 sur les marques et était donc inapplicable en l'espèce, la société Yves Saint Laurent Parfums ayant racheté une marque antérieure, qui avait été valablement déposée. La loi du 6 mai 1919 avait été modifiée par la loi du 2 juill. 1990 pour trancher un éventuel conflit entre une appellation d'origine et une autre utilisation. La règle figure aujourd'hui à l'art. L. 115-5, al. 4, c. consomm. : « Le nom géographique qui constitue l'appellation d'origine ou toute autre mention l'évoquant ne peuvent être employés pour aucun autre produit similaire... ni pour aucun autre produit ou service lorsque cette utilisation est susceptible de détourner ou d'affaiblir la notoriété de l'appellation d'origine ». Cet article s'applique assurément en l'espèce, non point dans sa première partie (un parfum n'étant pas semblable à un breuvage), mais dans sa seconde. La loi n'exige pas du demandeur la démonstration d'un détournement ou d'un affaiblissement réalisé de la notoriété, mais seulement la possibilité ou le risque de tels effets, mieux valant prévenir que guérir. L'arrêt observe encore que cette interprétation est en parfaite cohérence avec le droit des signes distinctifs, puisque aussi bien l'art. L. 713-5 c. propr. intell. protège aussi le titulaire d'une marque jouissant d'une renommée contre l'emploi de celle-ci pour des produits ou services non similaires, lorsqu'il constitue une exploitation injustifiée du signe. Néanmoins, la cour, après avoir admis en principe l'applicabilité de l'art. L. 115-5 c. consomm., l'écarte en fait, faute par les intimés d'avoir démontré le risque d'affaiblissement de la notoriété par l'utilisation de l'appellation Champagne pour un parfum. La défaillance des intimés sur ce point est d'autant plus surprenante que la démonstration du péril d'affadissement et de vulgarisation était aisée. Quoi qu'il en soit, elle est indifférente quant à la protection de la célèbre appellation. En effet, la cour, après avoir écarté les textes du droit spécial (des signes, appellations et marques), est revenue au droit commun, plus particulièrement au droit de la responsabilité civile et encore, au sein de celle-ci, à sa figure la plus récente, les agissements parasitaires, issus eux-mêmes de la concurrence déloyale. L'arrêt Yves Saint Laurent Parfums est l'illustration parfaite, d'école, de l'intérêt de la théorie des agissements parasitaires, qui permet de protéger un opérateur de la vie économique lorsqu'il ne dispose d'aucune autre voie de droit pour protéger une valeur économique, contre un usurpateur avec lequel il n'est pas en concurrence. Grâce à ce moyen juridique, il va pouvoir obtenir la suppression de la cause du péril, celui-ci n'aurait-il pas encore eu de conséquences fâcheuses. Tout récemment, nous avons formulé l'état présent de la question, en droit positif (puisque adopté par la jurisprudence), dans la proposition suivante : « Quiconque, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire sensiblement ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements, commet un agissement parasitaire fautif. Car cet acte, contraire aux usages du commerce, notamment en ce qu'il rompt l'égalité entre les divers intervenants, même non concurrents, fausse le jeu normal du marché et provoque ainsi un trouble commercial. Celui-ci est, en soi, un préjudice certain dont la victime peut demander en justice la cessation et la réparation, s'il ne dispose pas d'une autre action spécifique » (Le parasitisme dans tous ses états, D. 1993. Chron. 310, n° 13).

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Revenons à l'espèce : selon les juges, outre l'utilisation du mot champagne, le flacon du parfum litigieux, reproduit sur l'emballage, évoque à l'évidence, à l'endroit comme à l'envers, par sa forme de champignon et ses détails (capsules métalliques, muselet et stries), le bouchon caractéristique des bouteilles de vin de Champagne. Sa publicité utilisa l'image et les sensations gustatives de joie et de fête qu'évoque la célèbre boisson. Ainsi, la Sté Yves Saint Laurent Parfums avait bien eu la volonté, manifestée par ces actes adventices, de se placer dans le sillage de l'appellation d'origine Champagne, ce qu'elle ne conteste d'ailleurs pas. Autrement dit, elle créa « un effet attractif emprunté au prestige de l'appellation litigieuse ». Par ce fait, « constitutif d'agissements parasitaires », elle a « détourné la notoriété dont seuls les producteurs et négociants en champagne peuvent se prévaloir pour commercialiser le vin ayant droit à cette appellation ». L'usurpation d'une notoriété est l'exemple type de l'agissement parasitaire : c'est même à son propos que cette théorie vit le jour. D'où la cour confirma le jugement en ce qu'il avait interdit d'utiliser le terme Champagne pour désigner un parfum : ce faisant, elle supprima l'état de chose illicite. Statuant sur l'usurpation de notoriété, la cour écarte d'un mot l'argument de l'appelant selon lequel sa société est réputée depuis trente ans tant pour les parfums que pour la haute couture : il n'eût été éventuellement relevé que sur le fondement de l'art. L. 115-5 précité. De même, c'est en vain que l'usurpatrice fit état de la tolérance dont auraient bénéficié d'autres utilisateurs du signe Champagne. La tolérance antérieure d'un usage, même contestable, n'implique aucun droit et ne saurait entraîner aucune atténuation de ce droit, sauf loi contraire (tels les art. L. 714-3, al. 3, et L. 716-5, al. 4, c. propr. intell., au domaine bien limité). L'art. 2232 c. civ. suffirait à justifier cette règle : « Les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription ». Toutefois, plus fondamentalement, c'est la nature du droit des appellations qui sous-tend son maintien malgré la tolérance antérieure des bénéficiaires du signe. En effet, l'appellation est un droit lié au sol, à un terroir géographique déterminé et, comme tel, imprescriptible et perpétuel (cf. c. consomm., art. L. 115-5, al. 3). Si le droit de propriété ne se perd pas par le non-usage en droit commun, à plus forte raison en va-t-il de la sorte pour ce droit particulier et collectif qu'est l'appellation d'origine. Enfin, la Cour prononça la nullité du dépôt de la marque Champagne. Entendons-nous bien : elle a été déposée valablement. Mais son acquisition par la Sté Yves Saint Laurent Parfums a été frauduleuse (ce qui est une forme de l'abus de droit), en ce sens qu'elle n'a eu lieu que dans le dessein de faciliter l'usurpation de la notoriété de l'appellation Champagne, en donnant une apparence de régularité et de légalité à cet agissement parasitaire. De même que, selon une jurisprudence constante, le dépôt frauduleux d'une marque est nul, l'acquisition frauduleuse d'une marque rend celle-ci nulle : fraus omnia corrumpit. C'est essentiellement sur ce fondement que la SEITA avait été condamnée en 1984 pour avoir mis sur le marché une cigarette sous la marque Champagne (TGI Paris, 5 mars 1984, PIBD 1984.III.200). En définitive, l'arrêt rendu par la Cour de Paris le 15 déc. 1993 dans l'affaire Yves Saint Laurent Parfums montre une nouvelle fois, de façon spectaculaire, l'intérêt de la théorie des agissements parasitaires et applique heureusement quelques règles classiques en matière d'abus de droit et de tolérance.

Document n° 3 Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-20956 : D. 2011, p. 3052, note N.

Dissaux

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La Cour de cassation : Sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche : Vu l'article 1110 du code civil ; - Attendu selon l'arrêt attaqué, que la société Equip'buro 59 a conclu avec la société Sodecob un contrat de franchise pour l'exploitation de son fonds de commerce sous l'enseigne "Bureau center", impliquant l'adhésion à une coopérative de commerçants détaillants indépendants, constituée par la société Majuscule ; que les résultats obtenus, très inférieurs aux prévisions transmises par le franchiseur, ont conduit rapidement à la mise en liquidation judiciaire de la société Equip'buro 59, M. X... étant désigné liquidateur ; que ce dernier, agissant ès qualités, a demandé la nullité du contrat de franchise et la condamnation solidaire des sociétés Sodecob et Majuscule au paiement de dommages-intérêts, en invoquant, notamment, l'insuffisance de l'information précontractuelle fournie au franchisé ; - Attendu que pour rejeter la demande d'annulation fondée sur l'erreur commise par le franchisé lors de la conclusion du contrat, l'arrêt retient que les insuffisances ponctuelles dans la documentation fournie ne peuvent être regardées, à les supposer établies, comme un élément essentiel dont la révélation eût été susceptible de conduire la société Equip Buro 59 à ne pas conclure le contrat, qu'en sa qualité de professionnel averti du commerce qui avait exercé pendant plus de vingt ans dans le domaine de la grande distribution, son dirigeant se devait d'apprécier la valeur et la faisabilité des promesses de rentabilité qui lui avaient été faites dans la mesure où celles-ci ne pouvaient comporter de la part du promettant aucune obligation de résultat, que le seul fait qu'un écart soit effectivement apparu entre les prévisions de chiffre d'affaires telles qu'indiquées par le franchiseur et les résultats concrets nés de l'exploitation poursuivie par la société Equip'buro 59 ne saurait être démonstratif, à lui seul, de l'insincérité ou du manque de crédibilité des chiffres et documents fournis par le franchiseur, lequel n'avait pas à garantir la réalisation de quelconques prévisions comptables et qu'il s'ensuit que M. X..., ès qualités, ne rapporte la preuve d'aucun dol ni d'aucune erreur de nature à justifier sa demande ; - Attendu qu'en se déterminant ainsi, après avoir constaté que les résultats de l'activité du franchisé s'étaient révélés très inférieurs aux prévisions et avaient entraîné rapidement sa mise en liquidation judiciaire, sans rechercher si ces circonstances ne révélaient pas, même en l'absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d'information, que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l'activité entreprise, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; - Par ces motifs : Casse et annule. Note : La théorie générale des contrats de distribution puise l'une de ses principales sources au droit commun des obligations. Il n'est toutefois pas douteux que, en retour, celui-ci s'enrichisse au contact de ceux-là. Cause, action de in rem verso, cession de contrat : autant de notions vivifiées, bousculées ou simplement précisées, qui par une « convention de création d'un point club vidéo », qui par un contrat de distribution de téléphonie mobile, qui, enfin, par un contrat de franchise dans le secteur de la distribution alimentaire. Serait-ce désormais le tour de l'erreur sur la valeur ? Voilà en tout cas ce que suggèrent ces deux arrêts du 4 octobre 2011 rendus à propos de l'une des questions les plus sensibles du droit de la franchise : à quelles conditions la nullité d'un contrat peut-elle être obtenue lorsqu'il y a loin des chiffres prévisionnels établis en amont de sa conclusion à ceux réalisés en aval ? Dans les deux cas, le franchisé invoquait une erreur sur la rentabilité de l'activité entreprise en s'appuyant sur un tel écart. Accueillie dans le premier, sa demande était rejetée dans le second. Ici, la cour d'appel de Paris (19 mai 2010) retenait que les insuffisances ponctuelles dans le document précontractuel fourni par le franchiseur ne pouvaient être regardées comme un élément essentiel dont la révélation eût été susceptible de dissuader le franchisé de s'engager, et qu'il appartenait à celui-ci d'apprécier la valeur et la faisabilité des promesses de rentabilité qui lui avaient été faites ; là, celle de Dijon (8 juin 2010) estimait que le caractère

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approximatif et imprudent des études réalisées, ainsi que le manque de sincérité et de loyauté des informations transmises relatives au développement réel du réseau et au succès du concept justifiaient l'annulation du contrat de franchise pour dol, une erreur provoquée donc. Que le pourvoi formé contre l'arrêt dijonnais soit rejeté, rien de plus classique : l'appréciation des manœuvres dolosives ressortissait au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond ; la Cour de cassation le rappelle expressément dans son principal attendu. La censure de l'arrêt parisien présente, en revanche, un potentiel plus subversif. Visant l'article 1110 du code civil, la Cour de cassation casse, en effet, l'arrêt entrepris aux motifs qu'« après avoir constaté que les résultats de l'activité du franchisé s'étaient révélés très inférieurs aux prévisions et avaient entraîné rapidement sa mise en liquidation judiciaire, sans rechercher si ces circonstances ne révélaient pas, même en l'absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d'information, que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l'activité entreprise, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ». C'est dire que l'erreur sur la rentabilité peut être retenue lors même qu'elle n'aurait pas été provoquée par une information mensongère de la part du franchiseur. En somme, les manquements du franchiseur à son obligation précontractuelle d'information peuvent justifier la nullité du contrat de franchise pour dol, mais leur absence n'empêche pas d'obtenir cette nullité pour erreur au sens strict. Certes, aucun des deux arrêts n'est publié. Comment néanmoins nier leur intérêt ? Les deux règles qui s'en évincent sont aussi importantes en pratique que stimulantes en théorie : l'erreur sur la rentabilité de l'activité entreprise peut être une erreur déterminante des engagements du franchisé, d'une part (I) ; elle peut être indépendante des manquements du franchiseur, d'autre part (II). I - Une erreur déterminante des engagements du franchisé Lorsque les résultats de l'activité d'un franchisé se révèlent « très inférieurs » aux prévisions, ce dernier peut invoquer une erreur sur la rentabilité de l'activité entreprise afin de solliciter l'annulation de son contrat de franchise. Une telle erreur doit être précisée non seulement dans sa nature (A), mais encore dans son objet (B). A - C'est l'un des « dogmes » du droit des contrats : l'erreur sur la valeur ne justifie pas la nullité d'un contrat ; elle ne tombe pas « sur la substance même de la chose qui en est l'objet » (art. 1110 c. civ.). Il n'en va autrement que lorsqu'elle a été provoquée par l'autre partie (art. 1116 c. civ.) ou que la valeur avait intégré le champ contractuel. Cependant, l'erreur sur la valeur est traditionnellement définie comme « une appréciation économique erronée, effectuée à partir de données exactes ». De sorte que la question vient naturellement à propos de l'erreur sur la rentabilité d'une activité entreprise : n'est-elle rien d'autre qu'une erreur sur la valeur, qu'il conviendrait dès lors de tenir pour indifférente à la validité du contrat ? Evidemment, le problème ne se posait pas dans « l'affaire dijonnaise » : en remettant au candidat à la franchise des comptes annuels peu significatifs et des informations déloyales sur le développement réel du réseau et le succès du concept, le franchiseur avait commis un dol, lequel permet classiquement de sanctionner l'erreur sur la valeur par la nullité du contrat. Il était, en revanche, au cœur de l'autre affaire. Ce que la cour d'appel de Paris avait d'ailleurs bien vu : pour elle, le candidat était un professionnel qui « se devait d'apprécier la valeur et la faisabilité des promesses de rentabilité qui lui avaient été faites ». Sa décision n'en est pas moins censurée : pour la Cour de cassation, les magistrats du second degré auraient dû rechercher si l'écart entre les prévisionnels et les chiffres réalisés ne révélait pas que « le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l'activité entreprise ».

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On dira que la cassation est fulminée pour manque de base légale. Par où la haute juridiction ne se prononce nullement sur le point de savoir si oui ou non une telle erreur avait déterminé, en fait, le consentement du franchisé. Reste que, en droit, elle range ici l'erreur sur la rentabilité dans la catégorie de l'erreur substantielle. Qu'en déduire ? Deux interprétations, au moins, sont possibles. L'une, maximaliste, consisterait à y voir l'abandon du dogme de l'indifférence de l'erreur sur la valeur. D'un arrêt non publié, il serait toutefois téméraire de tirer une telle conséquence, aussi souhaitable soit-elle. L'autre, minimaliste, y verrait une solution propre au contrat de franchise. Elle semble plus indiquée. Après tout, ce type de contrat roule sur la réitération d'une réussite économique. Les perspectives de rentabilité participent ainsi de sa nature, de sa substance. Même ainsi cantonnée, la solution n'en serait pas moins originale. C'est en effet de manière générale que, en 2005, la troisième chambre civile de la Cour de cassation approuvait les juges du fond d'avoir « retenu, à bon droit, que l'appréciation erronée de la rentabilité économique de l'opération n'était pas constitutive d'une erreur sur la substance de nature à vicier le consentement de la SCI à qui il appartenait d'apprécier la valeur économique et les obligations qu'elle souscrivait ». Sans doute cet arrêt ne signifiait-il pas que la nullité d'un contrat ne pouvait jamais être prononcée en raison d'une erreur sur la rentabilité. Encore fallait-il, toutefois, que celle-ci fût « saisie à travers l'un de ses facteurs déterminants par le biais d'une erreur classique se rapportant directement ou indirectement à l'objet de l'une des prestations contractuelles et affectant une qualité convenue de celui-ci ». Or la chambre commerciale, dans l'arrêt du 4 octobre 2011, n'évoque aucune autre erreur « classique ». Avant d'y voir l'amorce d'une admission plus large de l'erreur sur la rentabilité, il convient néanmoins de préciser l'objet de l'erreur ici fustigée. B - Alléguer une erreur sur la rentabilité, soit ! Mais qu'entendre au juste par rentabilité ? De fait, la notion s'avère aussi envahissante qu'évanescente : elle innerve la plupart des discours tout en restant très floue. Désignant généralement la capacité d'un capital à produire un revenu satisfaisant, un bénéfice appréciable, elle se pare au surplus d'une dose de subjectivisme : ce qui est satisfaisant, appréciable, rentable pour un tel ne l'est pas pour un autre. Où placer le curseur ? Plusieurs ratios sont proposés par les sciences économiques et financières : résultat net/capitaux propres ; excédent brut d'exploitation/actif économique ou encore résultat d'exploitation/chiffre d'affaires hors taxes. Un juriste aura toutefois quelque mal à choisir... Et risque fort de s'en tenir à une approche intuitive et négative, préférant aborder la question par son revers : l'absence de rentabilité. A cet égard, les prévisionnels établis en amont de la conclusion du contrat de franchise représentent, évidemment, un utile point de référence. L'écart avec les chiffres effectivement réalisés est-il significatif ? Le défaut de rentabilité est caractérisé. La simplicité de l'équation peut séduire. Elle soulève pourtant deux problèmes. Premier problème : quand l'écart est-il significatif ? La Cour de cassation, dans l'un des arrêts commentés, prend soin de rappeler que « les résultats de l'activité du franchisé s'étaient révélés très inférieurs aux prévisions et avaient entraîné rapidement sa mise en liquidation judiciaire ». Peut-être cette liquidation rapide cristallisait-elle une bonne part de la ratio decidendi. Quoi qu'il en soit, la ruine était évidente. A tel point que l'on peut même se demander si, au cas particulier, l'erreur n'était pas fongible avec une absence de cause. Pour le reste, la question demeure toutefois entière : quand les résultats effectifs sont-ils « très inférieurs » aux résultats escomptés ? Faut-il un écart de 66 % ? De 50 % ? Impossible de le prévoir. Casuistique oblige, jamais un pourcentage n'abolira le hasard ! Mais voilà justement le second problème : l'appréciation de la rentabilité d'une activité n'est-elle pas toujours aléatoire ? Or l'aléa chasse l'erreur. Tant et si bien que l'erreur alléguée, résultant de l'indication jugée trop optimiste d'un chiffre d'affaires annuel à réaliser par le franchisé, n'aurait pas un caractère déterminant dès lors que l'exercice du commerce est, par

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essence, sujet à des aléas et que la rentabilité espérée par un commerçant n'est pas toujours atteinte pour de multiples raisons. La cour d'appel de Paris le suggérait ici en rappelant que « la valeur et la faisabilité des promesses de rentabilité [...] ne pouvaient comporter de la part du promettant (sic) aucune obligation de résultat ». L'argument n'est-il pas néanmoins réversible ? Certes, « en jurisprudence comme en doctrine, tout le monde semble au moins d'accord sur un point : le franchiseur n'est pas Madame Soleil ! Il ne peut être tenu par une obligation de résultat dans la réalisation des prévisionnels, c'est-à-dire qu'il ne peut pas prévoir l'avenir avec une totale exactitude ». L'aléa doit-il pour autant être invoqué de manière sinon incantatoire, du moins exagérée ? Car celui qui s'affilie à un réseau de franchise entend précisément réduire cet aléa, lequel n'empêche donc pas de tenir l'erreur sur la rentabilité de l'activité entreprise pour déterminante des engagements du franchisé. Au demeurant, l'absence de manquements du franchiseur à son obligation d'information précontractuelle n'est pas davantage un obstacle à l'annulation du contrat de franchise. II - Une erreur indépendante des manquements du franchiseur Une erreur sur la rentabilité de l'activité entreprise sous contrat de franchise peut être retenue comme cause de nullité de celui-ci, « même en l'absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d'information ». La Cour de cassation a beau le préciser au détour d'une incise, voilà qui pose avec force l'indépendance de l'erreur sur la rentabilité à l'égard des manœuvres dolosives du franchiseur. Une telle affirmation mérite d'être examinée dans ses tenants d'abord (A), ses aboutissants ensuite (B). A - Lorsque les conditions d'application de l'article L. 330-3 du code de commerce sont remplies, le franchiseur est tenu d'éclairer le candidat à la franchise sur « l'état et les perspectives de développement du marché ». Malgré les termes compréhensifs de ce texte, la Cour de cassation refuse d'imposer au franchiseur l'élaboration et la remise au candidat de chiffres prévisionnels. Tout au plus la jurisprudence exige-t-elle de celui qui en remet spontanément ou s'y engage contractuellement une étude sérieuse et réaliste. Par où le principe est clair : c'est au franchisé qu'il revient d'établir ses prévisionnels. Et la commission d'une éventuelle erreur d'appréciation, fût-ce sur la base de données exactes, peut bien être appréhendée indépendamment de tout manquement du franchiseur. La question se pose toutefois nécessairement : une telle erreur ne doit-elle pas être tenue pour inexcusable ? C'est en effet l'une des pierres de touche des régimes juridiques du dol et de l'erreur au sens strict. Parce qu'il est un délit civil, le dol ne permet pas seulement de solliciter l'annulation du contrat et l'allocation de dommages et intérêts. L'erreur qu'il provoque est également toujours jugée excusable. Raisonner en termes d'erreur spontanée oblige, en revanche, à passer le comportement de l'errans sous les fourches caudines d'une appréciation d'ordre moral. Or l'argument est connu : « Le "prévisionnel" est l'affaire du franchisé qui en sa qualité de commerçant indépendant, titulaire de son fonds de commerce, doit être le maître de son projet commercial et pour commencer, de l'établissement du prévisionnel ». Il n'en demeure pas moins contestable : outre qu'il ne dispose pas forcément des chiffres réalisés par les autres unités du réseau, le candidat qui s'apprête à signer un contrat de franchise n'est bien souvent précisément pas encore commerçant. Invoquer l'erreur plutôt que le dol invite ainsi peut-être à perdre l'habitude de raisonner à partir d'une figure monolithique du franchisé. L'aboutissant serait aussi juste qu'utile.

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B - Certains candidats sont rompus aux affaires ? Assurément. Victime de son succès, la franchise draine cependant aussi toute une armée d'anciens salariés en reconversion ou de néophytes. A telle enseigne qu'une distinction imaginée en droit bancaire mériterait ici d'être importée : aux franchisés avertis s'opposeraient les franchisés non avertis. De ces deux arrêts du 4 octobre 2011, les franchiseurs pourraient être tentés de conclure qu'il est décidément trop risqué de remettre quelque prévisionnel que ce soit aux candidats qui se présentent à eux. Le slogan est connu : « Toute la loi Doubin mais rien que la loi Doubin ! » Etrangement, la protection des franchisés en ressortirait amoindrie... Le calcul serait-il judicieux ? Pas sûr. Dès lors que l'erreur sur la rentabilité est susceptible d'emporter la nullité du contrat sans même avoir égard aux manquements du franchiseur, celui-ci devrait, en effet, se montrer beaucoup plus vigilant. En assistant davantage les candidats non avertis dans la réalisation de prévisionnels notamment. Mieux : la menace d'une telle erreur ne l'incitera-t-elle pas à vérifier que les candidats non avertis ne s'engagent pas sur la foi de prévisionnels exagérément optimistes ? De l'obligation d'information au devoir de mise en garde, le chemin n'est pas saugrenu.

Document n° 4 CJUE, 13 octobre 2011, aff. C-439/09, Pierre Fabre Dermo-

Cosmétique : Contrats conc. consom. 2011, comm. 257 par M. Malaurie-Vignal

À l'évidence, les institutions européennes souhaitent le développement de la revente en ligne. Le Règlement n° 330 du 20 avril 2010 sur les restrictions verticales (Comm. UE, règl. n° 330/2010, 20 avr. 2010 concernant l'application de l'article 101, § 3 du TFUE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées : JOUE n° L 102, 23 avr. 2010, p. 1) ne traite pas de la question, car la Commission européenne considère que tout traitement spécifique de la revente en ligne aurait pour effet de la singulariser et d'en restreindre le développement. C'est pourquoi, la distribution en ligne doit être appréhendée de la même manière que les modes traditionnels de distribution. Une façon de justifier le silence du Règlement d'exemption n° 330/2010. La revente en ligne ne constitue pas un marché distinct de la vente traditionnelle (T. com. Nanterre, 4 oct. 2000 : D. 2001, p. 1317, obs. C. Manara). Une telle position traduit une réalité, car les consommateurs ont développé ce que les économistes qualifient de comportement multicanal. La question est reléguée dans les lignes directrices qui, en toute logique, énoncent, au point 52, que tout distributeur est libre de recourir à internet pour faire la publicité des produits ou les vendre. Le fournisseur ne pourrait interdire de façon générale à ses distributeurs de revendre en ligne. La question de la revente en ligne est d'une telle importance que la cour d'appel de Paris, saisie par les laboratoires P. Fabre, a interrogé la CJUE sur la compatibilité avec le droit européen d'une interdiction formulée par la tête de réseau de revendre par internet des produits parapharmaceutiques (CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 29 oct. 2009, RG n° 2008/23812 : JurisData n° 2009-013725 ; JCP E 2009, act. 571, aperçu rapide C. Vilmart ; Contrats, conc. consom. 2009, comm. 287 et nos obs.). On se souvient qu'à la différence des autres laboratoires qui avaient, dans des décisions d'engagement, accepté de modifier leur contrat de distribution sélective pour autoriser leurs distributeurs sélectifs à vendre en ligne, les laboratoires Pierre Fabre avaient refusé de modifier leurs contrats, pour voir la question traitée au fond. Par décision n° 08-D-25 du 29 octobre 2008, le Conseil de la concurrence avait enjoint aux laboratoires de supprimer de ses contrats de distribution sélective la clause interdisant aux distributeurs agréés de vendre sur Internet ses produits cosmétiques et d'hygiène corporelle. Sur recours, la cour d'appel, dans l'arrêt précité, a posé la question

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suivante à la Cour de justice : « l'interdiction générale et absolue de vendre sur Internet les produits contractuels aux utilisateurs finals imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d'un réseau de distribution sélective constitue-t-elle effectivement une restriction caractérisée de la concurrence par objet au sens de l'article 81, paragraphe 1, du Traité CE échappant à l'exemption par catégorie prévue par le règlement n° 2790/19991, mais pouvant éventuellement bénéficier d'une exemption individuelle en application de l'article 81, paragraphe 3, du traité CE ? ». Par le présent arrêt, la Cour de justice s'aligne sur les conclusions de son avocat général rendues le 3 mars 2011 (V. Contrat, conc. consom. 2011, focus 21). Plus précisément, la Cour commence par requalifier la question en énonçant que le problème est celui de savoir si la clause litigieuse constitue une restriction par objet au sens de l'article 81, § 1 du Traité CE (devenu article 101 du TFUE) et non une restriction caractérisée (pts 32 et 33). Il est vrai que la notion de restriction caractérisée relève de l'exemption catégorielle (plus précisément des lignes directrices du Règlement sur les accords de distribution, à l'époque des faits, le Règlement n° 2790 (abrogé par le Règlement n° 330/2010, non applicable à l'espèce). La notion de « restriction par objet » relève de l'article 81, § 3 du Traité CE (devenu article 101 du TFUE). Cette requalification, d'ordre sémantique peut paraître importante. Elle peut vouloir dire que la Cour de justice refuse de tenir compte des lignes directrices pour se prononcer sur la question. Or, dans l'analyse des « motifs légitimes » (V. infra), on n'est guère éloigné de la vision des lignes directrices de 2010 qui, au point 60, admettent des motifs « objectivement nécessaires » pour autoriser une interdiction de la revente en ligne au regard de l'article 101, § 1 ou 102, § 3 du TFUE. L'essentiel du débat est donc de fond et non d'ordre sémantique. Il est celui de la compatibilité d'une clause d'interdiction de revente en ligne stipulée dans un contrat de distribution sélective avec le droit européen de la concurrence. La motivation de la Cour de justice n'est pas claire et sa solution très contestable. La Cour procède par généralités successives pour retenir une solution qui, en réalité, n'est pas motivée. La Cour rappelle que : 1) la clause d'interdiction de revente en ligne « est susceptible de restreindre la concurrence » (pt 38). Cette observation est incontestable. Faut-il en conclure que la clause litigieuse constitue une restriction par objet ? L'expression : « est susceptible », semble démontrer une certaine prudence et une absence de réponse catégorique. 2) Puis la Cour énonce le droit applicable au contrat de distribution sélective, mais sans que l'on comprenne le rapport avec la question posée à la Cour de justice : un contrat de distribution sélective constitue une restriction par objet, à défaut de justification objective (pt 39), mais il peut être justifié par la nature du produit méritant une distribution par des revendeurs spécialisés (pt 40). De même, la Cour appelle les conditions de licéité concurrentielle d'un contrat de distribution sélective (pt 41). Certes... mais quel rapport avec la question posée ? Elle est plus précise puisqu'elle porte sur la clause d'interdiction de revente en ligne (V. supra). Ce n'est qu'au point 42 de l'arrêt que la Cour répond à la question en affirmant que la clause litigieuse peut être justifiée par un « objectif légitime », mais renvoie cette question à la juridiction de renvoi, qui a précisément renvoyé l'affaire devant la Cour de justice ! La Cour verrouille, néanmoins, la question sur deux points – ce qui laisse peut-être une porte ouverte, mais étroite (V. infra). En premier lieu, la Cour précise que la présence d'un pharmacien permettant de fournir un conseil personnalisé au client n'est pas un motif légitime pour justifier l'interdiction de revente en ligne (pt 44). Et pourtant, l'argument fondé sur la nécessité de délivrer des conseils en direct au client avait été, jadis, retenu comme motif légitime permettant de valider une clause d'interdiction de revente en ligne (une fois encore, dans une affaire mettant en cause les laboratoires Fabre : CA Versailles,

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2 déc. 1999 : Contrats, conc. consom. 2000, comm. 43, et nos obs. ; D. 2000. p. 92, obs. E. Manara : « la commercialisation sur internet ne remplit pas les objectifs de sécurité, de santé, de mise en valeur des produits, exigés du réseau de distribution sélective mis en place »). L'interdiction se justifiait lorsque le site ne permettait pas de délivrer des conseils, ce qui dépréciait l'image de marque et nuisait à l'ensemble du réseau. Ces solutions semblent aujourd'hui obsolètes, car la réactivité immédiate d'internet permet des échanges instantanés entre consommateur et vendeur et donc la délivrance de conseils. Par ailleurs, la Cour de justice s'appuie sur une solution récente relative à une question de libre circulation de la marchandise qui a admis la vente en ligne, dans un domaine voisin, celui de la vente de lentilles de contact, susceptible d'avoir des effets sur la personne (comme les produits parapharmaceutiques) (CJUE, 2 déc. 2010, aff. C-108/09, Ker-Optoka bt c/ANTZ Dél Dunantuli Regionalis Intézete). En second lieu, la Cour affirme, sans aucune démonstration, que « l'objectif de préserver l'image de marque ne saurait constituer un motif légitime » (pt 46). Et pourtant, la protection de l'image de marque constitue un motif légitime pour admettre des réseaux de distribution portant sur des produits de marque (pt. 41 du présent arrêt soulignant que le réseau peut permettre de « protéger la qualité et [...] assurer le bon usage » des produits). La jurisprudence avait admis la licéité de réseau afin de protéger l'image haut de gamme d'un produit (Cass. com., 11 janv. 2005, n° 02-10.566, SA Levi Strauss, inédit). Ce qui vaut pour le contrat de distribution ne vaudrait-il pas pour une clause contractuelle ? Et la Cour de justice de conclure que la clause litigieuse constitue une restriction par objet (pt 47). On observera une évolution dans le raisonnement de la Cour. Au point 38, la clause est « susceptible de porter atteinte à la concurrence ». Au point 47, elle constitue une restriction par objet. Mais entre-temps, aucune démonstration du caractère anticoncurrentiel par objet de la clause n'est faite par la Cour. Celle-ci ne se prononce que pour réfuter les deux motifs légitimes invoqués par les laboratoires pour justifier la clause. La Cour est d'une fausse prudence. Elle affirme, sans démonstration, que la clause a un objet anticoncurrentiel. Mais elle renvoie aux juridictions nationales le soin de vérifier in concreto si, « eu égard aux propriétés des produits en cause, cette clause n'est pas objectivement justifiée » (pt 47, in fine). Leur marge de manœuvre est néanmoins fort réduite, puisque la Cour a verrouillé la question (pts 44 et 47). Le point 60 des lignes directrices cite des exemples d'interdiction possible, mais précise que ces cas sont exceptionnels. Une interdiction est possible si elle est nécessaire pour assurer le respect d'une interdiction de vendre des substances dangereuses à certains clients pour des raisons de sécurité ou de santé. Par exemple, les médicaments soumis à prescription médicale ne peuvent être vendus en ligne. Dès lors que l'image de marque n'est pas considérée par la Cour de justice comme un motif légitime, la clause d'interdiction en ligne a toutes les chances d'être analysée comme constitutive d'une restriction par objet. Une telle affirmation revient à poser une interdiction per se. Dans un droit de la concurrence où l'analyse économique est grandissante, où la preuve de gains d'efficience permet de justifier des pratiques anticoncurrentielles, pourquoi ne pas admettre la liberté économique de tout fournisseur d'organiser le réseau comme il l'entend, ou à tout le moins, l'autoriser à justifier, par un motif économique, d'une telle clause d'interdiction ? Si fournisseur prend le risque économique d'exclure le recours à la vente en ligne, il devrait assumer les conséquences de son choix. La libre concurrence impose de reconnaître une liberté de choix aux opérateurs qui assument le risque concurrentiel. La question posée par la présente affaire fait penser à un conflit ancien opposant la grande distribution à des laboratoires pharmaceutiques, qui, par le jeu d'une clause imposant la présence d'un pharmacien d'officine ou d'autres clauses, entendaient exclure la grande distribution de la commercialisation de produits parapharmaceutiques. Ce conflit a été

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gagné par la grande distribution, car un fabricant ne pouvant exclure a priori une catégorie de distributeurs (Cass. com., 21 oct. 1997 : Bull. civ. 1997, IV, n° 271). Il y a, à première vue, une certaine similitude de circonstances avec la présente affaire, mais, en réalité, les différences sont profondes. Le présent conflit n'est pas celui opposant un fabricant à la grande distribution. Il n'est pas, non plus, malgré les apparences, celui opposant la vente traditionnelle (en magasin « dur ») à la vente en ligne. En effet, comme les autorités de concurrence et les lignes directrices sur les restrictions verticales le soulignent, la revente en ligne n'est pas un mode particulier de vente. La revente en ligne ne constitue pas un marché distinct. Elle ne constitue qu'une modalité de la vente traditionnelle. L'affirmation, sans démonstration, du caractère anticoncurrentiel par objet de la clause d'interdiction de revente en ligne stipulée dans un contrat de distribution sélective traduit une volonté politique de la Cour de justice, s'alignant sur la position de la Commission de Bruxelles, de favoriser le développement de la vente en ligne. Cette décision s'inscrit dans un mouvement de régulation directive, visant à imposer un modèle économique, même contre le gré de certains des opérateurs économiques. À défaut de reconnaître une vraie liberté du fournisseur, ne peut-on admettre un modèle économique acceptant, au titre de motifs légitimes, le refus d'internet pour des produits de niches, rares et coûteux) ? Ou encore, un produit de haute technicité ou un produit répondant à une demande particulière devrait constituer un motif légitime justifiant l'interdiction de revente en ligne (ex. : robe sur mesure ; bijou d'exception ou encore motif fondé sur la rareté du produit). La Cour de justice n'écartant que deux motifs légitimes, l'un lié à la présence d'un pharmacien et l'autre lié à la protection de l'image de marque, laisse la porte ouverte pour d'autres arguments, non dénués de rationalité économique. La Cour se prononce également sur la question d'une éventuelle exemption par catégorie ou d'une exemption individuelle fondée sur l'article 101, § 3 du TFUE. La Cour, faute d'éléments, renvoie à la juridiction de renvoi la question de l'exemption individuelle, sans donner d'indications. La porte est ouverte pour les laboratoires P. Fabre : ils auront à démontrer des gains d'efficience économique justifiant la clause litigieuse. Quant à l'exemption par catégorie, la Cour de justice, en se fondant sur l'ancien Règlement applicable aux faits de l'espèce, le Règlement 2790/1999 du 22 décembre 1999, écarte l'article 4, c. qui autorise le fournisseur à interdire à un distributeur d'opérer à partir d'un établissement non autorisé –les laboratoires Fabre en concluant qu'ils peuvent refuser l'ouverture d'un point de vente en ligne. La Cour donne une solution correcte à la question mais en la motivant maladroitement. Pour la Cour, l'article 4, c doit être interprété restrictivement, car tout opérateur bénéficie d'une exemption individuelle. L'argument n'est pas pertinent. Ce n'est pas parce qu'une règle existe, qu'une règle d'une autre nature doit être interprétée restrictivement. La question est autre : l'ouverture d'un site en ligne est-elle équivalente à l'ouverture d'un magasin « en dur ». Or, la Commission comme les autorités de concurrence et les juridictions admettent que la vente en ligne n'est qu'une modalité de la vente en « dur » et ne constitue pas un marché à part. En bref, un site en ligne n'est pas un « lieu de vente ». Cette solution peut surprendre puisque des auteurs (X. Linant de Bellefonds, Clientèle et nouvelle technologie de l'information : CREDA 2000, 34) ou des praticiens se sont intéressés au fonds de commerce virtuel. Mais, dans l'hypothèse d'une distribution sélective avec magasin en dur, il est artificiel de distinguer clientèle attachée au magasin en dur et clientèle attachée au magasin en ligne. Cette unité traduit une réalité économique. Les consommateurs ont développé un comportement multicanal (V. supra).Le site en ligne n'est pas un « lieu de vente » distinct du lieu de vente physique. À ce titre, le point 58 du présent arrêt doit être approuvé.