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DUMÊMEAUTEURchezlemêmeéditeur
Etsic'étaitvrai...,2000Oùes-tu?,2001
Septjourspouruneéternité...,2003LaProchaineFois,2004
Vousrevoir,2005Mesamis,mesamours,2006LesEnfantsdelaliberté,2007
Toutesceschosesqu'onnes'estpasdites,2008LePremierJour,2009LaPremièreNuit,2009LeVoleurd'ombres,2010
L'ÉtrangeVoyagedeMonsieurDaldry,2011Sic'étaitàrefaire,2012
Unsentimentplusfortquelapeur,2013Uneautreidéedubonheur,2014
Elleetlui,2015
Retrouveztoutel'actualitédeMarcLevy
www.marclevy.infowww.facebook.com/marc.levy.fanpage
©ÉditionsRobertLaffont,S.A.,Paris,Versilio,Paris,2016Couverture:JoëlRenaudat/ÉditionsRobertLaffontPhotos:©Photo12/Alamy.©JasminSander/PlainpictureISBNnumérique:9782361321451
Àmesparents,àmasœur,
àmesenfants,àmafemme,
etàSusanna
«Rienn'estplusimminentquel'impossible.»
VictorHUGO
HOPE
Onentenditunesirènedanslelointain.Levisagecolléàlafenêtre,Joshinspiraprofondément.Sonregardseperdait
verslesfaçadesdebriqueduquartieroùHopeetluis'étaientinstallésunanplustôt.Unscintillementdelumièresbleuesetrougesapparutsurl'avenuedéserteet
se rapprocha, illuminant toute lapiècealorsque la fourgonnette s'immobilisaitdevantlaportedel'immeuble.Désormais,chaquesecondeétaitcomptée.–Josh,ilvafalloirquejeprocède...,suppliaLuke.Seretourneretcontemplerlevisagedelafemmequ'ilaimaitétaitau-dessus
desesforces.– Josh,murmuraHope alors que l'aiguille entrait dans sa veine, ne regarde
pas,cen'estpasnécessaire.Nossilencesnousonttoujourssuffi.Joshs'approchadulit,sepenchaversHopeetl'embrassa.Elleentrouvritses
lèvrespâles.–Cefutunprivilègedeteconnaître,monJosh,dit-elleenluisouriant,etelle
fermalesyeux.Onfrappaàlaporte.Lukeselevaetfitentrerl'équipe:deuxbrancardierset
unmédecinquiseprécipitaauchevetdeHopepourprendresonpouls.Iltiradesasacocheunentrelacsdecâblesetd'électrodes,lesdisposasursapoitrine,àsespoignetsetchevilles.Lemédecin observa les tracés sur la bande de papier et fit signe aux deux
brancardiers. Ilsavancèrent lacivièreet soulevèrentHopepour l'ydéposersurunmatelasdeglace.–Nousdevonsfairevite,ditlemédecin.JoshlesregardaemporterHope,ilauraitvoulupartiraveceuxmaisLukele
retintparlebrasetl'entraînaverslafenêtre.–Tucroisvraimentquecelapeutmarcher?soupira-t-il.
–Pourcequiestdufutur,réponditLuke,jen'ensaisrien,pourcesoir,nousavonsaccomplil'impossible.Joshregardalarueencontrebas.Lesbrancardierschargeaientlacivièredans
leurfourgonnette,lemédecinygrimpaàsontouretrefermalesportières.– Si ce toubib s'était rendu compte de quelque chose... je ne saurai jamais
commentteremercier.–Lesapprentissorciers,c'estvousdeux,monrôlen'aurapasétésiimportant.
Etpuislepeuquej'aifait,c'estpourelle.–Cequetuasfaitétaitessentiel.–Selonsathéorie...etseull'avenirnousledira,sinoussommestoujourslà.
1.
–Pourquoitedénigres-tutoujours?C'estfouqu'unefillecommetoimanqueàcepointdeconfianceenelle.Oualors,c'estunstratagème.– Quel genre de stratagème ? Il n'y a que toi pour dire des imbécillités
pareilles.–Peut-êtreest-ceunefaçondechercheràcequ'ontefassedescompliments.–Tuvoisquej'airaison!Sij'étaisjolie,tunepenseraispasquej'aibesoinque
l'onmefassedescompliments.–Tumefatigues,Hope.Etpuiscequiestirrésistiblecheztoic'esttonesprit.
Tueslafillelaplusdrôlequejeconnaisse.–Quandungarçonditd'unefillequ'elleestdrôle,c'estengénéralqu'elleest
moche.–Ahbon,parcequ'ellenepeutpasêtrejolieetdrôleàlafois?Sij'avaisosé
direça,tum'auraisaccusédesexismeetdemachisme.– Et d'être un crétin fini –maismoi, j'ai le droit de le dire.Alors, elle est
commentcetteAnita?–QuelleAnita?–Faisl'innocent!–Ellenem'accompagnaitpas!Nousétionsvoisinsdanslasalleetnousavons
justeéchangénosopinionssurlefilm.–Vousavezéchangédesopinionssurunfilmdontlescénarioserésumeàune
course-poursuited'uneheurevingtetuneembrassadepathétiqueàlafin?–Tum'empêchesdetravailler!–Çafaituneheurequetureluqueslabruneassiseaufonddelabibliothèque,
tu veux que j'aille plaider ta cause ? Je peux lui demander son numéro detéléphone, si elle est célibataire, et lui dire que mon camarade rêverait de
l'emmener voir un film d'auteur. La grande bellezza, ou un chef-d'œuvre deVisconti,oumêmeunvieuxCapra...–Jetravaillevraiment,Hope,etjen'ysuispourriensicettejeunefemmese
trouvedansmonchampdevisionquandjeréfléchis.– On ne peut pas reprocher à la force de la gravité que les gens tombent
amoureux,jetel'accorde.Etturéfléchisàquoi?–Auxneuromédiateurs.–Ah!Noradrénaline,sérotonine,dopamine,mélatonine...,récitaHopesurun
tonironique.–Tais-toietécoute-moiuninstant.Onleurreconnaîtlepouvoirdemobiliser
le cerveau sur des actions particulières, de potentialiser l'attention, lamémorisation, d'influer sur nos cycles de sommeil, nos comportementsalimentaires ou sexuels... La mélatonine, par exemple, joue un rôle dans ladépressionhivernale...– Si tu peux me dire quel neuromédiateur joue un rôle dans la dépression
estivale,aumomentdesemettreenmaillot,jeteproposepourleNobel.–Et si cesmolécules fonctionnaient àdouble sens ?Si lesneuromédiateurs
recueillaientdes informationssur leseffetsqu'ilsprovoquentaucoursdenotrevie ? Imagine qu'ils agissent comme des particules de mémoire vive quicollecteraient tout notre acquis, ce qui façonne et modifie notre caractère.Personnenesaitoùsesituedanslecerveaulesiègedenotreconscience,cequifaitdechacundenousunêtreunique.Alors,supposequ'àl'instard'unréseaudeserveursinformatiquesquicontiendraitunensemblefaramineuxdedonnées,lesneuromédiateursformentleréseauoùseraitlogéenotrepersonnalité.–Brillant!Génial,même!Ettuentendsprouvercelacomment?–Pourquoicrois-tuquejefaisdesétudesdeneurosciences?– Pour séduire les filles, et je suis certaine que le premier prof auquel tu
parlerasdetesidéesrévolutionnairesteproposeradebifurquerversledroit,oulaphilo,n'importequoiquiluipermettedeneplustecompterparmisesélèves.–Maissij'avaisraison,turéalisescequecelaimpliquerait?–Àsupposerquetathéoriefumeusesoitfondéeetenimaginantqu'onarrive
un jour à décrypter les informations contenues par cesmolécules, on pourraitaccéderàuninstantTdelamémoired'unêtrehumain.–Passeulement,nouspourrionsaussilarecopier,etpourquoipastransférerla
conscienced'unhommeversunordinateur.–Jetrouvecetteidéeépouvantable,etpuispourquoitumeparlesdeça?–Pourquetutravaillessurceprojetavecmoi.Hopepartitdansunéclatderirequeleursvoisinsdetableréprimandèrentdu
regard. Le rire deHopemettait toujours Josh de bonne humeur.Même quand
elleriaitàsesdépens,cequ'ellefaisaitsouvent.–Commenceparm'offriràdîner,chuchota-t-elle,etpasuntrucindigestelivré
àdomicile,jeteparled'unvrairestaurant.–Sicelapeutattendre...jesuisfauchéencemoment,maisjevaistoucherun
peud'argentàlafindelasemaine.–Tonpère?– Non, les cours de sciences que je donne à un attardé dont les parents
s'acharnentàcroirequ'ilferaunjourdesétudesdignesdecenom.–Tuessnobetméchant.C'estmoiquipaierail'addition.–Danscesconditions,d'accordpourt'inviteràdîner.
*
Josh avait fait la connaissance de Hope durant leur premier mois sur lecampus.C'était audébutde l'automne,Lukeet lui fumaientunecigaretted'ungenre pas très licite sur un coin de pelouse en partageant leurs déboiressentimentaux.Àquelquesmètres,Hoperévisaitsescours,adosséeautroncd'uncerisier.D'une voix haute et claire, elle avait demandé si quelqu'un était atteint d'un
malincurablequijustifiel'usagemédicinald'unpsychotropeenpleinair.Lukes'étaitredressé,tentantd'identifiersicettevoixétaitcelled'unprofesseur
oud'uneétudiante,et,tandisqu'ilscrutaitlesalentours,Hopeavaitagitélebras.Puis,soufflantsur lafrangequibarraitsonfront,elleavaitdévoilésesyeuxetLukeavaitétéenvoûté.– Tum'as l'air en forme, j'en conclus que c'est ton copain là-bas, vautré à
compter les étoiles en plein jour, qui doit être mourant, bien que votre tabacjamaïcainysoitsansdoutepourquelquechose,mêmemoijemesensbizarre.–Tuveuxtejoindreànous?avaitdemandéLuke.– Merci, mais j'ai déjà du mal à me concentrer. Grâce à votre brillante
conversationsurlagentféminine,jerelisdepuisunedemi-heurelamêmeligne.C'estfoucequelesgarçonsdevotreâgepeuventdirecommeimbécillitéssurlesfemmes.–Qu'est-cequetulisdesiintéressant?– Malformations congénitales du système nerveux central, du professeur
EugeneFerdinandAlgenbruck.–«C'estunejoliefille,minceetdésinvolte,tailléepoursurvivredespiedsàla
tête.»Parlez-moid'amourdeRaymondCarver.Àchacunsonlivreculte,n'est-cepas?Maissituveuxbiennouséclairersurlagentféminine,c'estunmystèreplusentierquelespathologiesducortexcérébral,etbienpluspassionnant.HopeobservaLukeaveccirconspection,refermasonlivreetseleva.
–Premièreannée?luiavait-elledemandéenlerejoignant.Joshs'étaitavancépourlasaluer,elles'étaittue,secontentantdefixerlamain
qu'il lui tendait. Surpris qu'elle ne lui tende pas la sienne en retour, il s'étaitrassis.Luken'avaitrienperduduregardqu'ilsavaientéchangé,delalumièreapparue
danslesyeuxdeHope,etsicetteinconnuelefascinaitdéjà,ilavaitcomprisquecen'étaitpassurluiqu'elleavaitjetésondévolu.HopenieraittoujoursavoirressentilamoindreattirancepourJoshcejour-là,
mais Luke n'en croyait pas un mot et rappelait, chaque fois que le sujetresurgissait,quelasuitedesévénementsluiavaitdonnéraison.Joshaussi jureraitn'avoir riennotédeparticulièrement séduisantchezHope
cejour-là,ajoutantmêmequ'elleétaitdecesfillesquel'onnetrouvebellesquelorsqu'onlesconnaîtvraiment.EtHopeneréussiraitjamaisàluifaireavouersic'étaituncomplimentouunsarcasme.Les présentations faites, ils profitèrent de la douceur d'un soir d'été indien.
Joshétantpeudisert,Lukes'efforçaitderépondreàsaplacedèsqueHopeposaitunequestionetJoshprenaitunmalinplaisiràvoirsonmeilleuramisedonnertantdemal.
*
Au milieu de l'automne, Hope, Josh et Luke formaient un trio d'amisinséparables. À la fin des cours, ils se retrouvaient sur l'esplanade de labibliothèque quand le temps s'y prêtait, en salle de lecture les jours froids oupluvieux.Des trois, Josh était celui qui travaillait lemoins et récoltait lesmeilleures
notes.Àchaqueexamen,Lukecomparait leursrésultatsetdevaitadmettrequeJoshpossédaituneintelligencescientifiquesupérieureàlaleur.Hopetempéraitson jugement, Josh était certesbrillant,mais il usait surtout à outrancede sonpouvoirdeséduction,tantauprèsdesprofesseursquedesesvictimesféminines.Aumieux,elleluireconnaissaitplusd'imaginationqu'eux,maisbeaucoupmoinsderigueur.Lukeaumoinsneselaissaitpasdistraireparlapremièrepairedejambesqui
passaitdevantlui,et,commeelle,ilavaitpourprioritéderéussirsesétudes.Unsoiroùilsrévisaientàlacafétéria,uneétudianteassiseàunetablevoisine
dévoraitJoshdesyeux,quineseprivaitpasdeluiretournerdesregardsencoin.Hope avait interrompu leur petit manège en lui proposant d'aller sauter cettedindedanssachambreaulieudefairesemblantdebosser.
–Trèsélégant,cetteremarque,avait-ilrétorqué.–Unpartout,avaitarbitréLuke.Unequestion...Pourquoiavez-vousbesoinde
vous chamailler en permanence tous les deux ? Vous devriez passer à autrechose.Etdevantleursilence,Lukeavaitajouté:–Sortirensembleparexemple.Il s'ensuivit une gêne mémorable et Hope se retira peu de temps après,
prétextant devoir réviser ses examens, cequi était scientifiquement impossibleenprésencededeuxcrétinscommeeux,avait-elleconcluens'enallant.–Qu'est-cequit'apris?demandaJosh.–Je suis fatiguédevousvoirvous tournerautourcommedeuxadolescents.
C'estagaçantàlafin.–Dequoijememêle!Etpuis,entreHopeetmoi,iln'yaquedel'amitié.–Tuespeut-êtremoinsintelligentqu'onledit.Ouvraimentaveuglepourêtre
àcepointàcôtédelaplaque.Joshavaithaussélesépaulesetquittélacafétériaàsontour.Deretourdanslestudioqu'ilpartageaitavecLuke,ils'étaitinstalléfaceàson
ordinateur portable afin d'entreprendre des recherches dont il était peucoutumier.Aprèsavoiressayétouslespseudonymesquiluipassaientparl'esprit,ilavaitdûserendreàl'évidence,Hopeétaitlaseulepersonnequ'ilconnaisseànepasapparaîtresurlaToile.Iltrouvacettediscrétionintrigante.Lelendemainilallal'attendreàlasortiedescours.Ilsparcoururentlesallées
ducampusetsestentativespouraborderlesujetrestèrentvaines.Hopes'amusaàcontournerlabibliothèquesansqueJoshserendecomptequ'ilsétaientrevenusà leur point de départ. Puis elle prit la directiondubâtiment où se trouvait sachambre.–Qu'est-cequetuveux,Josh?finit-elleparluidemander.–Tetenircompagnie,riend'autre.–Tuasprisduretardettuvoudraisquejet'aideàfairetesdevoirs?–Jenesuisjamaisenretard.–Commentarrives-tuàêtreà jouravec le tempsque tupassesà fumerdes
joints?Unmystèrepourlascience!–Jevaisàl'essentiel,j'optimisemesheuresdetravail.–Jepencheraisplutôtpourunearméedepetiteslaborantinesàtonservice.–Tum'énerves,Hope,àtoujoursmejuger.Pourquimeprends-tu?–Pourunsurdoué,etçam'agaceencoreplus,alorsj'aidumalàl'admettre.EtJoshsedemandasielleétaitsincèreouironique.Devantsarésidence,Hopeluirappelaquel'accèsenétaitinterditauxgarçons.
Àmoinsdeporteruneperruque,ilnefranchiraitpaslehalld'entrée.
Joshposaenfinlaquestionquil'avaitconduitjusque-là.–Commentsais-tuquejen'apparaispassurlesréseauxsociaux?luirépondit
Hope.–Jen'airientrouvé.–Donctuascherché!LesilencedeJoshavaitvaleurd'aveu.–Tunedisrien?persista-t-il.–Non,moiaussijecherchecequiabienputepousseràperdredetontemps
siprécieuxpourglanerdesinformationsàmonsujetsurInternet.Cen'étaitpasplussimpledemelesdemander?–Alorsjetedemande.–Affichertoutcequel'onfait,c'estvouloirmontrerauxautresquenotrevie
estplusbellequelaleur.Lamienneestjustedifférente,parcequec'estmavieetpascelled'uneautre,alorsjelagardepourmoi.Etpuistoinonplustun'espassurFacebook!–Ahoui ?Comment le sais-tu?demanda Josh, avecce sourirequi agaçait
Hopeauplushautpoint.–Unpartout,commediraitLuke,répondit-elle.–Jen'aimepaslesréseauxsociaux,jen'aimepaslesréseauxtoutcourt,lâcha
Josh,jesuisunsolitaire.–Queveux-tufaireplustard?–Dresseurd'éléphantsdansuncirque.–C'est ce genre de réponse quime fait penser que l'on ne couchera jamais
ensemble,lâchaHopesansmesurerl'énormitédecequ'ellevenaitdedire.Prisdecourt,Joshn'eutpasletempsderéagir.–Parcequetun'yasjamaispensé,peut-être?enchaînaHope.–Si,maisjesavaisquetunevoudraisjamaisd'undresseurd'éléphantsdans
tonlit,alorsjen'airiententé.–Pour les éléphants, je n'ai rien contre, après tout...Mais bon, tu ne serais
qu'une énième conquête à mon tableau de chasse, dit-elle en se moquantouvertementdelui.Etpuissongeaulendemain...Ceseraittellementpénibledet'avouer que tu ne dois pas te faire d'illusions et espérer que nous deux, çapourraitêtresérieux.Jemevoispartantàl'aubeencatiminipendantquetudorsetj'ensuisdéjàmortedehonte.Tuméritesmieuxquemoi,jetelejure...–C'estcommeçaquetumevois?l'interrompitJosh.Tucroisquejesuisce
genredetype,désinvolteetvulgaire?–Vulgairejamais,désinvoltesansdoute.Josh,l'airconsterné,s'éloignaetHopesedemandasiellen'étaitpasalléeun
peutroploin.Elleseprécipitaverslui.
–Regarde-moidanslesyeuxetjure-moiquetun'espascegenredetype.–Tueslibredepensercequetuveux.Joshaccéléralepas,maisHopelerattrapaetsecampafaceàlui.–Laisse-moilanuitaulaboetjemettraisaupointunepilulequejedissoudrai
discrètementdanstoncafédemainmatin,dit-elle.–Etquelsseraientleseffetsdecettepilule?questionnaJoshquin'avaitpas
encoredigérélecoup.–Effacer de tamémoire ce qu'on s'est dit depuis vingt-quatre heures, enfin
surtout ce que j'ai dit, mon humour douteux... et tousmes défauts.Mais soisrassuré,tutesouviendrasencoredemonprénom.Cefurentlesdeuxfossettesquivenaientdesecreuseràlacommissuredeses
lèvresalorsqu'elle lui souriaitqui firent chavirer Josh, tellesdeuxparenthèsesquiallaientencadrer lerestedesonexistence.Quelquechosedesingulierétaitapparu sur le visage de Hope. Était-ce une expression qu'elle n'avait encorejamaiseue,ouqu'iln'avaitencorejamaisperçue,maisilsentitàcetinstantqueplus rien entre eux ne serait comme avant. Aucune de ses conquêtes n'avaitjusque-là réussi à percer sa carapace, ce soir, Hope avait visé juste avec sesremarques.Il l'embrassa sur la joue, regretta cet empressementqu'il trouva terriblement
maladroitetfitleconstattoutaussiterriblequ'ilneréussissaitpasàalignertroismots,neserait-cequepoursouhaiterunebonnefindesoiréeàsonamie.– Tu veux qu'on reste là à compter les fenêtres encore éclairées ? suggéra
Hope.Jet'auraisbienproposélesétoiles,jesaisquetulesaimes,maislecielestcouvertcesoir.Hopesedemandacequipouvait lapousseràagresserJoshde lasorte.Elle
aussi avait le sentiment qu'une curieuse gêne flottait dans l'air. Le temps étaitvenu de baisser la garde. À force de le repousser, elle finirait par l'éloignervraiment. Vouloir se protéger était peine perdue, elle l'avait dans la peau ets'enferrerdansledénin'ychangeraitrien.Siellenemettaitpassaviesexuelleau premier rang de ses préoccupations, contrairement à beaucoup de sescamarades,illuifallaitbienreconnaîtrequ'uneabstinencecertaine,pournepasdiretotale,s'étaitimposéedepuisqu'elleavaitrencontréJosh,etcelan'étaitpeut-être pas une coïncidence. Pouvait-on être naïve au point de resterinconsciemment fidèle à quelqu'un avec qui il ne se passait rien ? Quellemoléculeimbécilepouvaitinciterlecerveauàselimiterainsi?Joshl'observait,perplexe.Hopeeutuneenviefurieusedel'inviterchezelle.À
cetteheurelehallétaitdésert.Gravirl'escalier,parcourirlesquelquesmètresducouloir jusqu'à la porte de sa chambre ne présenterait pas de grand danger, à
condition d'être discrets. Au pire, ils croiseraient une autre étudiante – laprobabilitéqu'unesainte-nitoucheaille ladénoncerétaitassezfaible.Elleavaitdéjà surpris certaines de ses voisines prendre ce genre de risque. Hope avaitimaginé tout cela en quelques secondes,mais la partie la plus délicate de sonplanconsistaitàenparleràceluiqui lafixaitdesyeux.Ilsuffisaitpourtantdedire quelque chose de simple, «Tu veuxmonter prendre un dernier verre ? »–sachantqu'iln'yavaitdanssachambrenialcoolniautreverrequesonverreàdents–,oualors,aussicompromettant,maispluscrédible,«Veux-tuquenouspoursuivionscetteconversationlà-haut?».Elleessayaàtroisreprises,etchaquefoislesmotsrestèrentcoincésdanssagorge.Joshcontinuaitdeladévisager,letempsfilaitetilfallaitpasseràl'action...ou
pas.Elleréussitàluisourireunpeuplusbéatementqu'ellenelefaisaitdéjà,puisellehaussalesépaulesets'engouffraseuledansl'immeuble.Josh, songeur, tenta d'évaluer l'étendue des dégâts que cette conversation
infligerait à leur amitié, considérant aussi le faitd'avoirpenséun instantopterpourlamonogamie.Cecil'inquiétapeut-êtreencoreplusquecelaetilsepromitdenepastirerdeconclusiondéfinitiveavantlelendemain,den'entirerd'ailleursaucune si tout était redevenu normal, et, dans tous les cas, de ne plus jamaisposersonregardsurlabouchedeHope.
*
Hopes'allongeasursonlit,fixaleplafond,attrapal'undeseslivresdecoursdontelletournalespagessansréussiràseconcentrer,regrettapourunefoisdenepasavoirdecolocataireet, sentantque le sommeilneviendraitpas, elle selevaetdécidadeserendreaulaboratoire.Lessoirsd'insomnie,elleaimaitytravailler.Lelaboducampus,uneimmense
pièceauxmursroses,décorationquipourHopetenaitdumystère,disposaitdetout le matériel dont un étudiant pouvait rêver. Microscopes, centrifugeuses,armoiresréfrigérées,caissonsstériles,etunetrentainedetablescomprenantunepaillasse,unévieretunordinateur.Maispouryparvenir, ilfallaitparcouriruncorridor qui lui fichait la trouille. Elle inspira profondément, songea qu'elleaurait pu passer le reste de la soirée avec Josh, si pour une fois elle avait suexprimersessentiments,etsortitdechezelle.Elle remonta une allée et atteignit le hall du bâtiment. Ses convictions
écologistes sur les économies d'énergie flanchèrent aumoment d'emprunter lecouloirplongédanslapénombredonnantaccèsaulabo.Elleaccéléraetsemitàfredonner.Enpoussantlaportedelasalle,elles'étonnad'ytrouverLuke.Penchésurun
microscope, il semblait ne pas l'avoir entendue entrer. Hope s'approcha à pas
feutrés,biendécidéeàluifairelapeurdesavie.– Ne sois pas idiote, Hope, finit-il par grommeler derrière le masque de
protectionquirecouvraitunebonnepartiedesonvisage,cequejemanipuleestfragile.–Etqu'est-cequetumanipulesàcetteheuretardive?questionnaHope,déçue
d'avoirratésoneffet.–Descellulesencoursderéchauffement.–Surquoitravailles-tu?–Quand tumedéconcentres, sur rien ! Jesupposequesi tuesvenue icien
pleinenuitc'estaussipourtravailler,non?–Charmant!répondit-elleennebougeantpasd'unpouce.Lukerelevalatêteetpivotasursontabouret.–Qu'est-cequetuveux,Hope?–Est-cequeJoshadel'humour?Jeveuxdiresoussonfauxsourireravageur,
est-cequ'ilavraimentlesensdel'humour?LukeconsidéragravementHope,etretournaàsonmicroscope.–J'aimebienparleràtondos,repritHope,maistupourraistoutdemêmeêtre
unpeupluspoli.Lukerefitpivotersontabouret.– Josh est mon meilleur ami, toi tu es nouvelle dans la bande, alors si tu
imaginesquejevaisteparlerdeluiensonabsence,tutetrompes.–Pourquoiréchaufferdescellules?–Noussommesd'accord,cettequestionestsansrapportaveclaprécédente?–Jecroyaisquelesujetétaitclos,alorsjepassaisàautrechose.–Bien!Pourtenterdelesréveiller.–Tulesavaisendormies?–Oui,enlesréfrigérant.–Maispourquoi?Lukecompritqu'ilnesedébarrasseraitpasd'ellecommeça.Ilétaitfatiguéet
sestravauxl'occuperaientencoreunebonnepartiedelanuit.Ilfouillalapochedesablouse,sortitdeuxpiècesdevingt-cinqcentsetlestenditàHope.–Lamachineàcaféestdanslecouloir.Long,crèmeetdoubledosedesucre
pourmoi;pourletien,tufaiscommetuveux.Hopeleregarda,amusée,mainssurleshanches.–Tumeprendspourqui?Lukelafixa,silencieux.–Tudevraisavoirhonte,dit-elleensedirigeantversledistributeur.Ellerevintquelquesinstantsplustardetposalegobeletsurlapaillasse.–Alors,surquoitubosses?
–D'abord,promets-moiquetunedirasrienàJosh.L'idée de partager avec Luke un secret, et quelle qu'en soit la nature, du
momentqueJoshl'ignore,comblaHopedejoie.Elleacquiesçad'unmouvementdetêteetluiaccordatoutesonattention.–Tuasdéjàentenduparlerdelabiostase?–L'hibernation?–Presque,c'estunétatsimilaireàl'hibernation,maisunpeupluspoussé.On
l'appelleaussi«arrêtréversibledelavie».Hopeattrapaunechaiseets'assit.–Certainsmammifèresontlapossibilitéderalentirleurmétabolismejusqu'à
un stade proche de la mort. Pour cela, ils abaissent graduellement leurtempératurecorporellequasimentàzéro.Danscetteléthargie,l'animaldiminuedrastiquementsaconsommationd'oxygène,diviseparcentsonrythmecardiaqueetsonfluxsanguin,c'estàpeinesi l'onpeutpercevoir lesbattementsdecœur.Poursurvivre,l'organismeproduitdepuissantsanticoagulantsquiempêchentlaformation de caillots. Les processus cellulaires sont, pour ainsi dire, stoppés.C'est assez fascinant, n'est-ce pas ? La question est de savoir si d'autresmammifèresjouissentdecemêmepouvoirsanssavoirlemettreenœuvre.Tuassûrement entendu parler des cas, rares,mais bien réels, de personnes tombéesdansdeseauxglacées,ouperduesenmontagne,secouruesaprèsuntempsassezlongetquiontpourtantsurvécuàunehypothermiemajeureetprolongée,sansséquellesneurologiques.Leurorganismearéagidefaçonsimilaire,ensemettantdans une sorte de veille extrêmepour protéger les organes vitaux, exactementcommelesanimauxdontjeteparlais.–OK,OK,jesaistoutça,maispourquoitutravaillessurlabiostase?–Nevapassivite.L'étatdebiostasepermettrait,enthéorie,etj'insistesurle
motthéorie,defigerunorganismeetdeleconserverindéfiniment.–Cen'estpascequ'onfaitdéjàaveclesspermatozoïdespourlafécondation
invitro?–Etmêmeavecdesembryonsàleurstadededivisionprécoce.Huitcellules
au plus,mais ce sont pour ainsi dire les seuls organismes que l'on réussisse àconserverainsietsurtoutàranimeràvolonté.Préserverestunechose,rameneràla vie en est une autre. La science, en l'état actuel, se heurte à un problèmephysique. Quand on s'approche du froid extrême, des cristaux de glace seformentàl'intérieurdestissusetdétruisentouendommagentlescellules.–Ettucherchesàprouverquoi,exactement?– Rien, je me contente d'étudier, c'est un domaine qui me fascine. La
cryogénisation est à la croisée de plusieurs disciplines, la médecine bien sûr,
l'ingénieriedufroid,lachimie,laphysique,maisleplusdifficileestdetrouverquelqu'unquisacheorchestrertoutescescompétences.–Tuaspiresàêtrecechefd'orchestre?–Unjourpeut-être...onaledroitderêver,non?–PourquoienfaireunsecretauprèsdeJosh?–J'aimesraisons,ettoitum'asfaitunepromesse,j'espèrequetut'ytiendras.–Franchement, jene trouve riendesensationnelàpasser sanuitàobserver
descellulescongelées.Tupeuxcomptersurmadiscrétion.Lukesepenchasursonmicroscopeethaussalesépaules.– Laisse tomber, tume prendrais pour un illuminé et puis je dois vraiment
travailler.Hope l'observa.Quelquechose la tracassait, elleétait certainequ'iln'yavait
pasqu'àJoshqueLukecachaitquelquechose.–Tusaispourquoij'aichoisidesuivrecesétudes?lâcha-t-elleaprèsquelques
secondesdesilence.–Non,etjem'encontrefiche!– Pour mettre au point la molécule qui préviendra le développement des
maladiesneurodégénératives.–Bentiens!Tuvaséradiquerlamaladied'Alzheimer,rienqueça?–Alzheimer et ses cousines, alors tu vois que dans la catégorie des grands
illuminés,j'aimaplace.LukeseretournaversHope.Sonregardpersistantlamitmalàl'aise.–Unjourjet'expliquerai,pascesoir;maintenantlaisse-moi,situesvenueici
c'estquetudoisaussiavoirduboulot.Hope sentit qu'elle n'en apprendrait pas plus, elle alla s'asseoir à une autre
table.Sespensées sebousculaient.Ressassant lesconnaissancesacquisesaucours
desapremièreannéed'études,ellecherchaitàdevinerenquoilacryogénisationpourraitbénéficieràlamédecine.Elleavaitluunarticlesuruneexpérienceencours auxurgencesde l'hôpitaldePittsburgh.Desblessés en situationcritiqueétaient placés en hypothermie profonde pour permettre aux chirurgiens degagner le temps nécessaire à réparer leurs lésions. Durant l'intervention, latempératurecorporelleétaitabaisséeàdixdegrés,plongeantl'organismedansunétatdequasi-mortclinique,avantqu'ilsoitréanimé.Aprèstout,pensa-t-elle,lefroidoffriraitpeut-êtreà l'avenird'autresavancées thérapeutiquesmajeures.Etelle voulut découvrir celles qui pouvaient conduire Luke à passer sa nuit encachettedeJosh.Ellerelevalatête,ilétaittoujourspenchésursonmicroscope.
–Onpourraitutiliserlefroidcommetechniquedeciblagedansl'attaquedescellulescancéreuses?dit-elle.Supposons,parexemple,qu'avantuneséancedechimio, on abaisse la température du corps. En toute logique, les cellulesmalignesdevraientêtreendormies,doncplusvulnérables.–Etdanscecas, lescellulessainesaussi,réponditLuke.Enfin, tuenparles
demainencours,onverrabiencequetediraleprof.–Sûrementpas,sij'aieuuneidéegéniale,jepréfèred'abordlacreuser.–Làoù tongénieest remarquable,c'estquepersonnen'yapenséavant toi,
lâcha Luke d'un ton détaché. Si tu te donnes la peine de faire quelquesrecherches sur les serveurs que la faculté met à ta disposition, et ce avant taprochaine découverte géniale, tu apprendras que l'on appose depuis plusieursannéesdescryosondessurdespetitestumeurspourfairechuterleurtempératureà moins quarante degrés. Des cristaux de glace se forment à l'intérieur descellulesmalignes, et quand elles se réchauffent, elles éclatent.C'est dingue cequelamédecineprogressependantquetumedéranges.–Cen'étaitpaslapeined'êtredésagréable.Jevoulaisjustediscuter.–Non, tucherchesàsavoirceque jesuisen trainde faireet jen'aiaucune
réponseàtedonner.J'expérimente.–Maisquelgenred'expériencefais-tu?–Ungenrequipeutmefairevirerdelafac,c'estpourcelaquejetravaillede
nuitetquejepréfèrenepast'endireplus.Tucomprendsmaintenant?–Jecomprendssurtoutquejesuisdeuxfoispluscurieuse.Ilfautcroirequetu
meconnaisvraimentmal.Bon,tulâchesl'infoouioumerde?Luke se leva et s'assit à côté d'elle. Il posa ses mains sur ses épaules et
rapprochasonvisagedusien.–Tuvasprendreletempsderéfléchir,parcequesijepartagecesecretavec
toi,quetuleveuillesounon,tuenserascomplice.–C'esttoutréfléchi!MaisLukeretournaàsaplaceetHopesutqu'ellen'obtiendraitplusriendelui
pour le moment. Elle attrapa ses affaires et quitta le labo. Elle ne ressentitaucunepeurenretraversantlecouloir,elleétaitbientropexcitéepourcela.Deretourdanssachambre,elles'étenditsursonlitetouvritsonportablepour
rédigerunmail.Ellerelutsaprose,hésitaetl'envoya.
2.
Lasonnerieduréveilretentit.Joshouvritl'œilets'étiraavantdes'extirperdeson lit. Il se frictionna les jouesà l'eau froide,observasaminedéfaitedans laglaceau-dessusdulavaboetdécidad'allerserasersousladouche.Toutcequil'aideraitàdissipersatorpeurétaitbonàprendre.Rasédefrais,ilsesécha,consultasamontreetaccéléralacadenceenenfilant
sesvêtements.Lespartielsserapprochaient,lajournéeallaitêtrelongue.Il fit l'inventaire de ses affaires de cours, vérifia que son téléphone était
chargé,sesclésbiendanssapocheetclaqualaportedustudio.Enchemin,ilrécupéraunexemplaireduquotidiengratuitducampusdansune
boîteàjournauxetfilaàpetitesfouléesverslacafétéria.Après s'être assis devant son petit déjeuner, il fit défiler les mails sur son
portablepours'arrêtersurleseulquiméritaitd'êtreluàjeun.
MoncherJosh,Autantallerdroitaubut:unepartiedemoncortexm'inciteàtedire:«Sansrancunepour
hier»,etl'autreignorepourquoijet'envoiecemessage.Jet'embrasse(surlajouebiensûr).Hope.
Il s'inquiéta de ne pas réussir à écrire une réponse qui la ferait sourire. Il y
pensaitencorependantsescours.Lorsque Luke lui demanda pourquoi il regardait le plafond en murmurant
depuisuneheure,Joshluirépondit:–Jecroisquej'aidéconnéavecHopehiersoir.Lukeneparlapasdumomentqu'ilsavaientpasséensembleaulabo.–Tuluiasditquelquechosesurnostravaux?poursuivitLuke.–Non, çan'a rien àvoir avec ça. Je l'ai raccompagnéeenbasde chez elle,
nousavonseuuneconversationétrangeetj'aicruqu'elleallaitm'inviterdanssa
chambre.Jenesaisplusoùj'ensuis.–Commentpourrais-tusavoiroùtuenesaumilieudetesvastesconquêtes?– Hope est différente, et puis arrêtons avec cette légende, je n'ai pas tant
d'aventuresqueça.Jedrague,maisjenecouchepas.–Question de point de vue, enfin c'est tout demêmemoi qui recueille les
doléancesdesfillesquetuéconduis.–Justementparcequejeleséconduis,etpuisosedirequeçanet'arrangepas,
peut-être!D'ailleurs,jepeuxsavoiroùtuasdormi?–J'aipassé lanuitau labo. Il fautbienque l'undenousdeuxfasseavancer
notreprojet.Dis-moilavérité,tuasl'intentiondelamettredanslaconfidence?demandaLuke.Joshfitminederéfléchiràlaquestiondesonami.Siçan'avaittenuqu'àlui,il
aurait convaincu Hope de se joindre à eux depuis longtemps, sa contributionserait précieuse... Mais connaissant Luke, il était plus habile de le laisser endécider.–Pourquoipas.Elleestbrillante,imaginative,curieusedetout,et...–Jepenseque tusais trèsbienoù tuenesavecelle,mais je tepréviens,si
nouslamêlonsànoshistoires,tudevrasmettreunmouchoirsurtessentiments.Ilesthorsdequestionqu'unedéconvenueamoureuselafasserenoncerencoursderoute.Sielleaccepte,sonengagementdevraêtreinconditionnel.
*
Hopeneretournapasaulabodelasemaine.Elleconsacraittoussesmomentslibres à potasser des ouvrages sur la cryogénisation. Elle avait l'esprit decompétition : lorsque Luke finirait par lui lâcher lemorceau, elle voulait êtreaussicaléequeluisurlesujet.Desoncôté,JoshréfléchissaitàlaconditionqueLukeavaitposéepourqu'elle
intègreleuréquipe.Ilyvoyaitunebonneraisondenerienchangeràsonmodedevie,maisétrangement,rienquilesatisfassepourautant.Lesamedi,aprèsavoirtouchélesoldedesescoursparticuliers,ildemandaà
Lukedeluiprêtersavoiture.–Pouralleroù?–Est-cequeçachangeratadécision?–Non,simplecuriosité.–J'aibesoindeprendrel'air,unepetiteviréeàlacampagne,jeseraideretour
cesoir.–Allons-ydemainensemble,moiaussiunepausemeferaitdubien.–J'aienvied'êtreseul.
–Uneviréeà lacampagneenvestonet chemisepropre... Jepeuxconnaîtresonprénom?–Tumedonnestesclés?Lukefouillalapochedesonpantalonetlesluilança.–Tupenserasàrefaireleplein!Joshdescenditl'escalieretattenditd'êtreinstalléauvolantdelaCamaroavant
de téléphoner àHope. Plus qu'une invitation, il la sommade le retrouver à lasortieducampus,devantlastationdemétrodeVassarStreet.Hopeprotestaparprincipe, elle avait du retard dans son travail, mais elle entendit Josh lui dire«Dansdixminutes»etilraccrocha.–Bon,lâcha-t-elleenenvoyantsonportablesurlelit.Ellearrangeasescheveuxdevantlaglace,enfilaunpull,l'ôtapourenpasser
unautre,serecoiffa,récupérasontéléphonequ'elleglissadansunsacetsortit.Arrivéesurlelieudurendez-vous,elleattenditqueleflotdesvoituress'arrête
au feu rouge et chercha Josh sur le trottoir d'en face avant d'apercevoir laCamarogaréeendoublefileàquelquesmètresducarrefour.–Qu'est-cequ'ilya?s'inquiéta-t-elleenprenantplaceàbord.–Ilfautqu'onparle, jet'inviteàdîner,etcettefoisc'estmoiquit'invite.De
quoias-tuenvie?HopesedemandacequeJoshavaitentête.Elleauraitaiméabaisserlepare-
soleilpourvérifiersonapparencedanslemiroirdecourtoisie,maisellerenonça.–Alors?–J'aicarteblanche?–Tantquec'estdansmesmoyens.–Pourquoipasdeshuîtresauborddelamer,emmène-moiàNantucket.–C'estàtroisheuresderoutesanscompterlatraverséeenferry,tun'asriende
plusprocheàmeproposer?–Non,dit-elle,dutacautac.Maisunepizzaferaaussibienl'affaire,etavec
cequel'onéconomiseraonpaieral'essence.Joshlaregarda,tournalaclédecontactetpritlaroute.–Nousdevrions roulervers le sudet tuaspris ladirectiondunord, fit-elle
remarqueralorsqu'ilssortaientdelaville.–Salemestàquarante-cinqminutes,onytrouverateshuîtresettonbordde
mer.–Va pour Salem, tume raconteras des histoires de sorcières.D'ailleurs, de
quoiveux-tumeparler?–Desorcellerieenquelquesorte,jet'endiraipluslorsquenousseronsàtable.Josh enfonça la cassette qui dépassait de l'autoradio et tourna le bouton du
volume.
IlséchangèrentunregardcompliceausondesvoixdeSimonandGarfunkel,
amusés de découvrir que les choix musicaux de Luke dataient d'une autreépoque. Hope passaMrs. Robinson en boucle, chantant à tue-tête, et Josh sefélicitaquelaroutenelesmènepasjusqu'àNantucket.Salemsedécoupabientôtsurlaligned'horizon.Joshyconnaissaitunbistrot
depêcheursurlepetitport,danslecentrehistorique.Àvraidire,leseulquartierquiméritait levoyage.Hopeavait émis l'enviede fruitsdemeretd'airmarin,pasd'unevisitetouristique.Ilgaralavoituresurunparkingetl'entraînaverslerestaurant.Ilfitunnumérodecharmeàl'hôtessequilesinstallaprèsd'unefenêtre.–Onpeuts'enoffrircombien?chuchotaHopeenregardantlacarte.–Autantquetulesouhaites.–Jevoulaisdiresansdevoirfairelavaisselle.–Douze.LeregarddeHopeseposasurunpetitaquariumoùrampaienttroishomards,
lespincescercléespardesélastiques.–Attends,dit-elleenluireprenant lacarte, j'aiuneautreidée.Onoublieles
huîtres.–Cen'étaitpaslebutdecevoyage?–Non,lebut,c'estletrucimportantquetudoismedire.Surce,elleattrapaleserveurparlebrasetleguidajusqu'àl'aquarium.Ellelui
montradudoigtlepluspetitdestroiscrustacésetluidemandadeleluiapporterdansunsacenplastique.Joshlalaissafairesansintervenir.–Vousnevoulezpasqu'onlecuised'abord?s'enquitleserveurqui,avecle
nombredebarjosvenantvisiterlavilledessorcières,pensaitvraimentavoirtoutvu,maisçapasencore.–Non,jelevoudraistelquel,avecl'additions'ilvousplaît.Josh régla la note et suivit Hope qui, après avoir récupéré son homard, se
précipita vers le petit port où quelques voiliers accolés flottaient sur les eauxcalmes.Elles'allongeaàmêmelequai,plongealesacdansl'eauetl'enressortitavant
deserelever.Ellefituntourd'horizonets'exclama:–Là-bas,lapointedelapresqu'îleconviendratrèsbien.–Jepeuxsavoircequetufabriques,Hope?Sans répondre, elle avançad'unpaspressé, laissant derrière elle une traînée
d'eaus'écoulerdusacdontl'étanchéitéétaitàrevoir.
Dixminutes plus tard, elle arriva essoufflée au bout de la jetée. Elle sortitl'animaletpriaJoshdeletenirfermement.Ellelibéradélicatementlespincesdeleursliensetfixalabêtedanslenoirdesyeux.–Turencontreraslehomarddetesrêvesetlorsquevousaurezpleindepetits
homardsensemble,tuleurapprendrasànepassefaireprendredanslesnassesdespêcheurs.Ilst'écouterontparcequetuesunsurvivant,etquandtuserastrèsvieux,tuleurraconterasqu'unecertaineHopet'asauvélavie.ElledemandaensuiteàJoshdelelancerleplusloinpossible.Lehomardfitunmagistralvolplanéavantdeplongerdansl'Atlantique.– Tu es complètement barrée, s'exclama Josh en regardant disparaître les
bullesàlasurfacedel'eau.–Venant de toi, je prends ça pour un compliment.Les huîtres, c'était foutu
pourelles,ellesétaientdéjàouvertes.–Alors, espérons que ton protégé s'en sortira et réussira à gagner le grand
large.J'ignorecombiendetempsilapassémenottédanssonbocal,maisilyadequoiêtreengourdi.–Jesuiscertainequ'ils'entirera,ilavaitunetronchedebattant.–Situledis!Etmaintenant,qu'est-cequ'onmange?–Unsandwich,sic'estdanstesmoyens.Ilsrepartirentparlaplage.Hopeavaitôtéseschaussurespourfoulerlesable
humide.–Qu'est-cequetuvoulaismediredesiurgent?demanda-t-elleàmi-chemin.
Joshs'arrêtaetsoupira.–Enfait,jevoulaissurtoutteparleravantqueLukenelefasse.–Maisdequoi?–Quifinancetesétudes,Hope?L'espoirqueJoshl'avaitconduiteicipourluiparlerd'euxs'éloignaaussivite
quel'océanemportéparlamaréedescendante.–Monpère,dit-elleenreprenantsesesprits.–Lesmiennes sont payées par un laboratoire, sous la formed'unprêt.Une
foismondiplômeenpoche,jedevraitoutleurrembourseroutravaillerpoureuxpendantdixans.–Ettudisaisquemonhomardétaitrestélongtempsmenotté?–Touslesétudiantsn'ontpasdesparentscapablesdelesaider.–Commenttut'esfaitrecruter?– Une sorte de concours, il fallait proposer un concept innovant, utopique
aujourd'hui,maisenvisageabledanslefutur.–Quelleétrangeidée!
–Laplupartdesavancéestechnologiquesquiontchangénotrefaçondevivreauraientétéjugéesimpossiblesilyatrenteans.Çalaissesongeur,non?–Peut-être,enfinceladépenddetescentresd'intérêt.EtLukeaussiavendu
sonâme?–Nousavonsconcouruensemble.–Etquelprojetinnovantavez-vousimaginé?–Établirunecarteinformatiquedel'ensembledesconnexionsducerveau.–Biensûr...Etvousaccomplirezcetexploitàdeux,enmenantdefrontvos
études.Tudevraispeut-êtreralentirlespétards.–C'esttrèssérieux.Nousappartenonsàuneéquipedechercheurs,uneéquipe
importanteàlaquelledessommesconsidérablessontallouéespourfaireaboutirceprojet.Lukeetmoiavonseulachancedeviserjusteetd'yêtreintégrés.–Biensûr...Etcommentavez-vousfaitpourviseraussijuste?demandaHope
dubitativeetunpeujalouse.–Jure-moiquecelaresteraentrenous.PasunmotàLukeets'ilvenaitàt'en
parlertudoismepromettredejouerl'étonnée.–Vas-y,jesensquejevaisl'être,étonnée.Josharboraungrandsourireetrépondit:–Enfaitc'estsimple,jesuisgénial!Hoperestalabouchegrandeouverte.–Etd'unemodestieàcouperlesouffle.–Aussi.– J'ai compris ! Comme tu penses quemon génie est supérieur au tien, tu
voudraisquejebosseavecvous!–Parfaitement,tuesbrillante,tuasl'espritouvertet,commenous,turêvesde
changerlemonde.–Admettons...Maisavantdeterépondre,jeveuxpouvoirdiscuteravecvous
deuxde la façondontvousexploiteriezvos travauxsivousarriviezàquelquechosedeconcret.Jetesoupçonned'avoiruneidéederrièrelatête.Etdis-moiunechosed'abord,pourquoitutenaisàm'enparleravantLuke?–Parcequ'ilaposéuneconditionàtacandidature.–Laquelle?–Queriennesepasseentrenous.Et tandis que la possibilité d'une histoire d'amour entre eux achevait de
s'éloigner,Hopesesentitdépitée,flattéequ'ilsl'aientchoisie,etenfinirritée.–Jenevoispasoùestleproblèmepuisqu'iln'yarienentrenousetqu'iln'y
aurajamaisrien.Etpuisdequoisemêle-t-il?Joshfitunpasverselleetlapritdanssesbras.
Hopen'avaitjamaisembrassélapremière,etlaplupartdesespremiersbaisersavaientétédevraisfiascos,lèvresfadesoufurieuses,maisceluiqu'elleéchangeaavec Josh fut... elle chercha le mot pour qualifier ce frémissement qui luiparcouraitledospours'acheverenmilleéclatsaucreuxdelanuque...sonbaiserétaitdélicat.Etladélicatesseétaitcequilarendaitlaplusheureuseaumonde,une qualité qu'elle vénérait entre toutes, qui témoignait d'un équilibre parfaitentrelecœuretl'esprit.Josh la regardait. Elle pria pour qu'il ne dise rien, qu'aucun mot ne gâche
l'ivressedecettepremière fois. Ilplissa lesyeux,cequi le rendaitencoreplusirrésistible,etcaressasajoue.–Tuesvraimentbelle,Hope, tellement jolie, et tu es la seule ànepas t'en
rendrecompte.Hopeseditqu'àcerythmeellefiniraitparseréveiller,onseraitundimanche
matin, il pleuvrait des cordes et elle se retrouverait dans sa chambre, dans unvieuxpyjamafroissé,avecunegueuledeboisterrible,oul'unedecesmigrainesquipouvaientluirendrelavieimpossible.–Pince-moi!dit-elle.–Pardon?–Fais-le,jet'enprie,parcequesic'estmoiquimepince,jevaismefairemal.Ils s'enlacèrent, s'embrassèrent encore, s'arrêtant de temps en temps pour
s'observerdanslesilencedespremiersémois.JoshpritlamaindeHopeetl'entraînaversleport.Ilsentrèrentdansunepizzeria.Lasalleàmangerétaittroptristeàleurgoût,et
ilsdécidèrentd'allermangerleurpizzaassissurlemuretquilongeaitlajetée.Aprèscedîner improvisé, ilsallèrentsepromenerdans les ruesde lavieille
ville. Josh tenaitHope par la taille quand, au-dessus de leurs têtes, l'enseigned'unbedandbreakfastsemitàgrésillerens'allumant.HoperelevalesyeuxetposasonindexsurleslèvresdeJosh.–Net'avisepasdepartirendouceaupetitmatinenmelaissanttouteseuleà
Salem.–Sinousn'avionspasdesexamensdansquelquessemainesetsijenerisquais
pasqueLukemetuepournepasluiavoirramenésavoiturejet'auraisvolontiersproposéderestericijusqu'àcequetunemesupportesplus.Hope poussa la porte de l'établissement et choisit la chambre la moins
onéreuse. En grimpant les escaliers jusqu'au dernier étage, ils sentirents'accélérerlesbattementsdeleurcœur.La piècemansardée n'était pas dénuée de charme.Un semblant de toile de
Jouy recouvrait lesmurs encadrant une lucarne qui donnait sur le port. Hope
l'ouvritetvouluts'ypencherpourrespirer lesembrunsde lanuit,maisJosh laretintetcommençaàladéshabiller.SesgestesétaientmaladroitsetHopetrouvaencelaquelquechosederassurant.Elle ôta son pull, découvrant sa poitrine et fit signe à Josh d'enlever sa
chemise.Leursjeansatterrirentsurlachaisetandisqu'ilsroulaientsurlelit.–Attends,dit-elleenprenantsonvisageaucreuxdesesmains.MaisJoshn'attenditpasetleursdeuxcorpss'unirentdanslesdrapsdéfaits.
*
Lejourentradanslachambrecommepareffraction.HopetiralacouverturepourcouvrirsonvisageetsetournaversJosh.Ildormait,lebrasposésurelle.Enouvrant lesyeux, ilpensaque la femmequise trouvaitàsescôtésétaitdecelles qu'on ne voit pas venir, dont on ne cesse de se demander à quoi ellespensent, si l'on est assez bien pour elle. De celles encore qui vous donnentl'espoirdedevenirquelqu'undemeilleur.–Ilesttard?grommela-t-il.– Je dirais huit heures,mais il pourrait êtremidi et je n'ai aucune envie de
vérifiersurmonportable.–Moinonplus,lemiendoitêtresaturédemessagesdeLuke.–Disonsqu'ilestl'heurequ'ilestetpuisvoilà!–Nousdevrionsêtreencours,j'aiunetrèsmauvaiseinfluencesurtoi.–Prétentieux!Cepourraitêtremoiquiaiunemauvaiseinfluencesurtoi.–Tonvisageestdifférent.Hopeseretournaetlechevaucha.–Différentcomment?–Jenesaispas...lumineux.–Monvisagen'estpas lumineux, ilest juste illuminéparcefoutusoleilqui
m'aveugle,d'ailleurssituétaisgalant,tuiraistirerlerideau.–Ceseraitdommage,cettelumièretevabien.–D'accord,jemesensbien.Maisnecroispasuninstantquecesoitparceque
tuesunamantmagnifique.Unenuitdesexeestàlaportéedequiveutbiensedonner.– Alors si je ne suis pas un amant magnifique, qu'est-ce qui te rend si...
lumineuse?–Quelqu'un qui vous garde dans ses bras quand il dort, qui vous sourit en
ouvrant les yeux, c'est comme une étincelle d'amour qui peut vous rendreheureuse.Etnevapaspaniquerparcequej'aiprononcécemot,c'étaitjusteunefaçondeparler.
– Jen'aipaspeur.Et toi, est-ceque tuauras le couragede répondreà cettequestion : tu crois que tu pourrais aimer un jour un homme qui a tous mesdéfauts?Hope regarda dans le miroir au-dessus du lit le reflet de la chaise où
reposaientleursjeansemmêlés.–Commentpourrais-jenepasaimerunhommequiasauvéunhomard?–Doncjenesuispasunamantmagnifique!–Peut-êtrequesi,mais jene te lediraipasmaintenant, jen'aimeraispas te
voirt'enorgueillirdecela,tuastropfréquentédefillesdontlecentredegravitésesitueauniveaudeleurpostérieur.Joshluilançaunregardnoiretplongealatêtedansl'oreiller.–Quoi,tuétaissérieux?ditHopeenluisoulevantlementon.Tunevaspas
essayerdemefairecroirequetuestombéamoureuxdemoicettenuit?–Quelqu'und'aussiintelligentquetoinepeutpasêtrenouilleàcepoint,c'est
consternant.–Nejouepasaveccegenredechose,Josh, jen'aiqu'uncœuret jen'aipas
enviequ'onmel'abîme.–Tucroisquejeteparleraisd'aimersijen'étaispassincère?–Jen'ensaisrien.–Bon,laissetomber,j'auraismieuxfaitdemetaire.Habillons-nous,dit-ilen
selevant,ilesttempsdepartir.Hopel'attrapaparlebrasetletiraverslelit.–Qu'est-cequetudirasàLukequandnousseronsrentrés?Lavéritéouque
savoitureesttombéeenpanne?–Jecroisquetuaspeurdubonheur,Hope.Peut-êtrequetucrainsd'ygoûter
et qu'il te file entre les doigts. Mais le bonheur, ça demande de prendre desrisques. Toi, quand tu veux te faire plaisir, le truc qui te vient à l'esprit, c'estd'aller au labo ou de potasser tes livres à la bibliothèque. Comment peux-tutravailleravecunetellerageaucœurdechangerlemondeettecontenterdelamonotoniedetavie?Maissitun'espasprêteàtoutpourrepousserlesmursdetonquotidien,alorspeut-êtrequetuneveuxpasêtreheureuse.–Tuesirrésistiblementsexyquandtut'énerves,Josh,etiln'yariendesexiste
àdireàunhommequ'ilestsexyquandc'estvrai.HopeplaquafougueusementseslèvressurcellesdeJoshetl'embrassaavant
deluifairel'amour.Elleresserrasesjambesautourdesesreins,s'accrochaàsesépaules tandisqu'ilallaitetvenaitentresescuisses.Ils jouirentensembleetselaissèrenttombersurlesoreillers.Hopeattenditquesonsoufflesecalme.–Ta grande tirade sur le bonheur était d'une naïveté pathétique, bourrée de
préjugésàlaconsurcequejefaisdemavie,maisc'estlaplusjoliedéclaration
d'amourquej'aientendue.Puis elle sauta du lit, attrapa son T-shirt sur le sol pour cacher sa poitrine
encore perlée de sueur, fit demême avec son jean pour cacher son sexe et seprécipitaverslasalledebainsoùelles'enferma.–Jeteconseilled'allert'acheterunjournalparcequejevaisprendreunbain
quivadureruntempsfou,cria-t-elleàtraverslaporte.
*
Ils oublièrent leurs cours, les appels de Luke, ils oublièrent même qu'ilsavaientbesoind'argentpourfinir lemois.Ilss'offrirentunegrassematinée,unvraidéjeuner,puischacunl'unpourl'autreunT-shirtarborantlenomdelavilleau-dessusdudessind'unesorcièrependueàunarbre,unetasseàcrayond'aussimauvaisgoûtpourLuke,etdeuxgaufresavantdeprendrelecheminduretour.Lacirculationétaitdenseauxabordsdelaville.–Tum'endisunpeuplussurcequevous traficotez,avecLuke?demanda
Hope.–Ilyaunmoisuneéquipedescientifiquesaréussiàrecréersurordinateur
unepartieducerveaud'unrat.Uneintelligenceartificiellevas'uniràcelledecepetit mammifère, s'enrichir de ses capacités cognitives, mémorielles,d'apprentissage,deprisededécisions,d'adaptabilité...–Génial,etçadonnequoi?UnMacquivamangerdugruyère?Joshrestademarbreetenchaîna.–Celaouvrelechampdespossibles.–Etquelestvotrerôledanstoutça?–Nous,nousréfléchissonsàl'étaped'après.–Recréerartificiellementlecerveauhumain?ricanaHope.–Cen'estpaspourdemain,maisc'esteneffetlà-dessusquenousplanchons,
enfinpourêtreunpeuplusmodeste,ceàquoinouscollaborons.–Maisàpartvous,quipourraitêtreassezdérangépourvouloirtransférersa
mémoiredansunemachine?– Tous ceux qui rêvent d'une forme d'immortalité... Imagine que la pensée
d'Einsteinnesesoitpaséteinteaveclui.–Onluidoitlabombeatomiqueettuvoudraisqu'uneintelligenceartificielle
disposedesongéniecréatif?–Ilasurtoutélaborélathéoriedelarelativité.– D'accord, mais duquel des deux pans de son cerveau ton intelligence
artificielledécideradefaireusage?
–Cen'estpaslesujet!L'hommeestconfrontéàsaproprefin.Laplupartdesreligionsaspirentàlaréincarnationouimaginentquemourirc'estlibérerl'espritdu corps. L'humanité a évolué dans le cadre de cette lutte perpétuelle avec lenéant, avec pour seul recours la vénérationdes défunts, la commémorationdeleur existence. Comment accepter la précarité de la vie si nous devionstotalement disparaître avec la mort. La technologie pourrait offrir un jour àl'hommelapossibilitéquelamémoiredesonvécunesoitplustransmiseparsesseulsdescendants,maisparlui-même.– Attends... votre projet consiste à faire en sorte que chacun d'entre nous
consignesaviesurundisquedur?–Non,ça,d'unecertainefaçon,beaucoupdegenslefontdéjàenpubliantleur
viesurlesréseauxsociaux.Jeteparled'établirlacartedetouteslesconnexionsducerveau,commed'autresont imaginéun jourétablir le séquençagecompletde l'ADN, ce qui semblait une tâche impossible. Lorsque nous aurons enfincompris comment agissent ces connexions, alors oui, nous pourrons transférernotre mémoire, non pas sur un support digital, ce qui ne serait jamais qu'unenregistrement figé à un instant T, mais au sein d'un réseau de neuronesartificiels,pourobtenirunvéritableclonedenotrecerveau.–Etdonccontinuerd'existerdanstonréseauinformatique,sanscorps,c'est-à-
diresansplaisir,sansnourritureetsanssexe?Vousêtesfous!–Avantdejuger,s'emportaJosh,essaiedepenserau-delàducadredéfinipar
lascience,ouparnotreignorance.Jet'enprie,accorde-toilalibertéd'esprit,oulanaïvetécommetuledisais,d'unJulesVernequandilaécritDelaTerreàlaLune,d'unOrwellquandilapublié1984,decesdouxdinguesquiprésageaientqu'un jour nous voyagerions dans l'espace, ceux qui sous les quolibets de lacommunauté scientifique évoquaient la possibilité qu'existent d'autres universquelenôtre;ouencorequel'ongrefferaituncœur,despoumons,desreins,quel'on pourrait opérer des fœtus dans le ventre de leur mère pour réparer desmalformations congénitales. Qui au siècle dernier aurait pu croire que nousserionscapablesde régénérerdesorganes àpartirde cellules souches?Alors,pourquoinepasimaginerquedanslestempsàvenirnouspuissionstransférerunespritcondamnéparuncorpsvieillissantoumaladeversunautreorganisme,neserait-cequeletempsdeleréparer?–J'ignoraisqu'unetelleferveurt'animait,d'unecertainefaçonc'esttouchant,
maiscequetudismesembleterrifiant.–Tunetrouvesriendechoquantàcequelasciencenouspermettedevivre
avecdesmembresoudesorganesartificiels,alorspourquoipasuncerveaus'ilétaitlacopieconformedel'original?–Parcequ'onnepensepasavecnosbrasounosjambes,quejesache.
–Notrecorpsn'estpasétrangeràcequenoussommesniànotrepersonnalité.Etpuisencoreunefois,làn'estpaslesujet.Cequej'essaiedetedirec'estquejenesuispasleseulàimaginerquecesiècle,oulesuivant,pourraitvoirlejouroùl'hommeauraenfinéradiquélevieillissementetlamort.–Etsinotremortétaitjustementlaconditionnécessaireaudéveloppementde
l'humanité,àsasurvie?–Vadirecelaàdesparentsdontl'enfantestatteintd'unemaladieincurable.Et
si je te suis, il aurait fallu renoncer aux antibiotiques, à la chirurgie, à laneurologie, à la recherche en général, à avoir tant œuvré pour allonger notreespérance de vie... Parce qu'il faudrait décider d'un âge auquel nous devrionsmourirpourlaisserlaplaceauxgénérationssuivantes?Les dernières lueurs du jour se faufilaient entre les gratte-ciel. Ils entrèrent
dans la ville comme au retour d'un grand voyage, le leur pourtant n'avait pasdurébienlongtemps.–Jen'auraisjamaisimaginéressentircela,confiaJoshengarantlavoiture.Hopeattendit,curieusedesavoiroùilvoulaitenvenir.–Tudormirasdanstachambre,etmoi,danslamienne,jenecesseraideme
remémorernotresoiréeàSalem.Jenesaispasbiendireceschoses-là,maisjen'aimepasl'idéequenousnedormionspasensemblecettenuit.Hopene lui réponditpas, sespenséesétaientailleurs.Si leurescapadeavait
comblétoussesespoirs,leurconversationsurlecheminduretourluilaissaitundrôle de vague à l'âme. Elle qui se targuait d'avoir l'esprit ouvert ne pouvaitaccepter sans réserve l'idée que l'homme dont elle s'était éprise mène desrecherchesdontlafinalitéluiparaissaitobscure.–Toiquimetraitaisdeséducteur...J'auraismieuxfaitdemetaire,grommela
Josh.–Jepourraisterejoindre,àconditionquetutedébarrassesdetoncolocataire.
D'ailleurs,qu'est-cequetuvasluidire?–Quevoudrais-tuquejeluicache?–J'aicrucomprendrequelefaitquenoussortionsensembleneleréjouissait
pas.–J'aicrucomprendrequenostravauxnet'emballaientpas,alorsjenevoispas
enquoinotrerelationleconcerne.HopeembrassaJoshsurlajoueets'enalla.Illaregardas'éloigner.Quandelledisparutderrièrelaportedesonimmeuble,
iltaparageusementsurlevolantavantderedémarrer.
3.
Josh jeta lesclés sur la tablebasse, se laissachoir sur lecanapéetannonçasansdétouràLukequ'iln'avaitpaspuremplirleréservoirdelavoiture.Ilpromitdelaissertrentedollarsdansletiroirdelacuisinelorsqu'ilenauraitlesmoyens,ce qui lui semblait très généreux étant donné qu'il n'avait pas roulé bien loin.Luke,allongésursonlit,nerelevapaslesyeuxdesalecture.Josh s'était préparé à une litanie de reproches, mais pas à ce que son ami
l'ignore. Ilne se laisseraitpasentraînerdanscepetit jeu. Ilpritunepartde lapizza achetée en route et qui commençait à refroidir et attrapa un journal aupassage.– Tu feras le plein toi-même ce soir, je ne suis pas ton larbin, lâcha enfin
Luke.–Cesoir?–J'aibosséfigure-toi,pendantquetueffeuillaislesmarguerites...Joshcompritquequelquechoses'étaitproduitensonabsence.–Tuasobtenuunrésultat?demanda-t-ilenselevantd'unbond.–Peut-être...–Çava,jenesuispartiquequelquesheures!–Tuasdisparuune journée,unenuit,et la journéesuivante,pendantque je
mecoltinaistoutleboulot.–Non,pendantquetumettaisenapplicationuneidéequejet'avaissoumise.–Si tuasfinide t'intoxiqueraveccettenourriture immonde,nouspourrions
allerfaireuntourauCentre,ditLukeenemportantunepartdelapizza.Une demi-heure s'était écoulée depuis qu'ils avaient quitté le campus, Luke
n'avait pas dit unmot durant le trajet. Il abandonna l'autoroute pour s'engagerdansletréfondsd'unebanlieuelointaine.
La Camaro déboucha dans une ruelle déserte bordée d'entrepôts sinistres.Luke ralentit en approchant d'un bâtiment aux bardages blanchâtres. Il lecontourna avant de s'arrêter devant un portail coulissant le long d'une clôturerehaussée de fils barbelés. Il abaissa la vitre, sortit un badge de sa poche etl'inséradans la fented'un lecteur.Unecamérapivota sur sonaxeavantque leportailnes'ouvre.Luke alla garer la voiture.Les deux compères se dirigèrent à piedvers une
lourde porte métallique, sécurisée par un lecteur d'empreintes digitales. Ils yposèrent la main à tour de rôle avant de pénétrer, via un sas, à l'intérieur dubâtiment.LeCentre,ainsiqu'on lenommait, étaitun laboratoireprivé,propriétéde la
sociétéLongview,elle-mêmepropriétéd'unenébuleuseéconomique.La centaine de scientifiques qui fréquentaient ce lieu yœuvraient en quasi-
autonomie.UneautredesparticularitésduCentrerésidaitdansladiversitédesesdomainesderecherches.Nanotechnologie,biotechnologie,biologiemoléculaire,informatique, robotique, intelligence artificielle, neurosciences, pour n'en citerque quelques-uns. Hormis le personnel d'encadrement, tous les chercheursavaientdeuxchosesencommun.Aucunn'avaitpassélatrentaineettousétaientdesétudiantsaucursusuniversitairefinancéparLongview.Maisl'originalitélaplus notable du Centre était d'avoir sélectionné exclusivement des projets derechercheque toute autre instance scientifique aurait qualifiés d'utopies, oudepures fictions. La philosophie de ceux qui détenaient et finançaient Longviewtenait à l'adage inscrit sur les murs des salles de repos : « Rien n'est plusimminentquel'impossible.»Josh et Luke, à l'instar de tous ceux qui collaboraient au Centre, n'avaient
jamais rencontré leur employeur, seulement l'intermédiaire qui les avaitcontactés pour leur annoncer que leur candidature avait été retenue. Leprofesseur Flinch les avait accueillis le premier jour, leur avait fait signer lerèglement, un contrat de confidentialité et l'acte de prêt qui finançait leursétudes,scellantleurdestinpouraumoinsdixans.Et tandis que Josh suivaitLukevers leur poste de travail, il eut unepensée
pourHope,illuisemblapresquel'entendreluimurmurer:«Lukeaussiavendusonâme?»Luke ouvrit une armoire autoclave, dont le contenu était maintenu à une
températureconstantede37,2degrés,ensortitplusieursrangéesdeporte-tubessurledevantdelaclayettepouratteindreuneboîteenverre,cachéederrièreeux.
À l'intérieur de celle-ci se trouvait une plaque recelant quatre-vingt-seizeréceptacles.Il la posa sur une table, s'empara d'une pipette à succion et soutira
délicatementlecontenud'unedizained'alvéolesqu'ilrépartitdefaçonégalesurdeslamelles.Aprèsavoirpréparéseséchantillons,illesplaçasurlaplatined'unmicroscope, se pencha au-dessus des tubes porte-oculaires, effectua quelquesréglagesetcédalaplaceàJosh.–Jetelaisseconstaterpartoi-même.Josh resta un long moment les yeux plaqués sur les optiques avant de se
relever.–Tupeuxregarderautantquetuveux,repritLuke,jen'aifaitqueceladurant
tonabsenceetj'aivérifiécentfois,aucunen'estidentique.Onnes'emballepas,nousn'ensommesqu'auxbalbutiements,maistuavaisvujuste,lesneuronesquej'ai extraits du cerveau de notre rat se sont agrégés sur chacune des puces desiliciumetontforméspontanémentunréseau1.–C'estcolossal!soufflaJoshenprenantLukedanssesbras.Est-cequ'elles
sontactives?–Jeneconnaisencoreriendeleurspropriétés,jevoudraislaisserlaculturese
poursuivre quelques jours, ensuite nous les essaierons toutes et nous verronsbien.–Tuenasparléàquelqu'un?s'inquiétaJosh.–Biensûrquenon,pourquoicrois-tuquejeteharcelaisautéléphone.– Et demain, à la réunion hebdomadaire ? questionna Josh en lançant un
regardversl'unedescamérasquifilmaientlasalle.Lessallesderéunion,lesespacesdetravailetleslaboratoiresétaientreliéspar
unréseau intranet,permettantàchacund'enrichiroudeconsulter lescomptes-rendus des expériences menées par l'ensemble des chercheurs. Mais aucunéquipementnedisposaitd'uneconnexionaveclemondeextérieur.Lemardisoir,un comité sélectionnait les avancements jugés les plus intéressants pour lessoumettre à la communauté des chercheurs qui avaient pour obligation de lesconsultersanstarder.« Il n'est pas de progrès scientifique aujourd'hui qui ne soit collectif et
interdisciplinaire»,avaitexpliquéleprofesseurFlinch,seul«patron»auquelilsdevaient rendre compte. « Ce que vous découvrirez ne sera peut-être d'aucunintérêtpourvous,maispourraapporterquelquechosed'essentielauxtravauxdel'undevoscollègues.Lacontrepartieauxmoyensetà la libertéquivoussontaccordésici,celled'osertoutimaginer,estdenelaisseraucuneplaceàvotreego.Longviewestuneéquipe,nousn'inventonspaslefutur,nousl'explorons.Cette
chanceexceptionnellequivousestofferteexigedevouslaplusgrandehumilité.Celuioucellequidérogeraàcetterèglen'apassaplaceici,nel'oubliezjamais.»Josh,lesyeuxrivéssurladioderougedelacaméra,croyaitl'entendreencore.–Nesoispasparano,soupiraLuke.Jenepensepasqu'onépietousnosfaitset
gestes.Etpuisnousnedissimulonsrien,jeveuxjustenousdonnerletempsdevérifierquenousavonsréellementaccompliuneprouesse.Jepréfèrecerisque-lààceluidemeridiculiserdevantlesautres.–Nous avons désagrégé par le froid quatremille neurones prélevés dans le
cerveaud'unrat,réussiàlesfaireadhéreràdesmicroplaquesdesilicium,nousles avons ramenés à la vie selon un cycle de réchauffement d'une minutieexemplaire, leur avons fourni des nutriments essentiels à leur réveil et à leursurvie, et ces neurones se sont spontanément reliés les uns aux autres pourcommuniquerentreeux,ettuaspeurdeteridiculiser?– Dans le labo voisin, chuchota Luke, six de nos camarades ont reproduit
l'expérience de Mussa-Ivaldi, mais cette fois avec des sondes acoustiques.Lorsqu'ils émettent certaines fréquences sonores, leur petit robot avance, ils lefonttourneràdroite,àgaucheoureculer.Leurandroïdeapourseulprocesseurlecerveaud'unbatracienmaintenudansunesolutionnutritive.Ilsvontannoncercelademain,jeneveuxpasquel'onsefassepiquerlavedette,c'esttout.–Jecroisquetuasunvraiproblèmedeconfianceentoi.Enfin,nousferons
commetupréfères.Ilsontvraimentréussicecoup-là,leszozosd'àcôté?–Jelesaientendussecongratulerdanslecouloir.–C'étaitpeut-êtrejustepourtefaireenrager.–Non,jet'assurequedansmonentourage,tuesleseulàadorerfairechierles
autres.JoshentraînaLukeversl'anglemortdelacaméra.–Demainnousintégreronsdixdecespucessuruneplaquepluslargeetnous
lesrelieronsentreelles.Onleurbalanceraunalgorithmesimpleetonregarderacequ'ellesexécutent.Ilfautquenouspuissionsmesurerleurpuissancedecalculet surtoutdécouvrir si, lorsqu'elles sont interconnectées, celle-ci croîtde façonlinéaire,logarithmiqueouexponentielle.–Etensuite?questionnaLuke.– Nous essayerons de copier ce que nous leur aurons appris à faire sur de
simplescomposantsélectroniques.Maintenant, rentrons, jesuisépuisé, j'aipeudormilanuitdernière.Dès que la voiture fut hors de portée des brouilleurs de fréquences dont le
complexe était équipé, Josh consulta son portable. Hope n'avait pas laissé demessage.
–Tuascouchéavecelle?demandaLukeens'engageantsurl'autoroute.Joshrangeasontéléphonedanslapochedesonblousonetbaissalavitre.–Donctuascouchéavecelle,conclutLuke.–Quiteditquej'étaisavecHope?–Tuviensdetetrahir,etpuisvousn'étieznil'unnil'autreencours.–Soisrassuré,elleneveutpastravailleravecnous,finitparconfierJosh.–Nousétionsconvenusquec'étaitmoiquidevaisluienparler,qu'est-ceque
tuluiasdit?– Rien de précis, juste une conversation d'ordre général sur mes centres
d'intérêt.–Vousn'avezparléquedesexe?–Parfois,t'escon,Luke;non,enfait,assezsouvent.–Situn'asrienbalancé,alorsàquoia-t-elleditnon?–Ellen'apasditnon, j'aisimplementsentiunehostilitédesapart,question
d'éthique,jesuppose.–Parcequetut'yespriscommeunmanche.Situm'avaislaisséfaire...–Ehbienconvaincs-lapuisque tuesplusmalinquemoi.Etpuis jecroyais
qu'ilfallaitquejechoisisseentrenotreprojetetmessentiments.–Enfin,onyarrive!–Àlavitesseà laquelle tute traînes,çam'étonneraitqu'onarriveoùquece
soit.–Jesavaisqu'unefoisquejet'auraisimposécetteconditiontun'auraisd'autre
idéeentêtequedel'enfreindre.Maintenantleschosessontclaires.–Pourtoipeut-être,pourmoic'estassezflou.Jepensaisqu'ellem'auraitlaissé
unmessage...Attendsuneseconde,tum'asmanipulé?–Hopeadessentimentspour toi,cen'estpaspossibled'êtrecrétinaupoint
d'en douter. Si vous avez passé la nuit dernière ensemble, je présume que cen'étaitpasparcequ'elleavaitjusteenviedes'envoyerenl'air.–Qu'est-cequetuensais?–Parcequec'étaittonintention?–Maisnon,s'emportaJosh.Pourunefois,jesuissérieux,vraimentsérieux.–C'estbiencequejedisais,enfinonyarrive!Jemeréjouisdevoirquejene
suispasleseulàavoirprogressécesdernièresvingt-quatreheures.–Jet'aidéjàditqueparfoistumetapesvraimentsurlesystème?–Souvent,etçanemegênepasdutout.–Nechangepasdesujet,cetteconditionc'étaitseulementpour...?–Combiendetempst'aurait-ilfalluavantdeprendrelerisquedet'inviterdans
sonlitsijen'avaispasmismongraindesel?Etmaintenantquetunepeuxplusdouterdemestalents, tuvasmelaisser lamanipulerelleaussipourluidonner
enviedesejoindreànostravaux.Nousavonsbesoinderenfortsinousvoulonsgagnerdutemps.–C'estmaladifcheztoicetespritdecompétition.–TucroisqueLongviewcontinueradepayerlesétudesdetousceuxquisont
auCentre?Àtonavis,quelpourcentaged'entrenousresteral'anprochain?Jevais te ledire,parcequemoi j'aieu l'intelligenced'interroger lesplusanciens.Autermedelapremièreannée,lamoitiédesentrantslaisserontleurplaceàdestalentsplusprometteurs,à lafinde ladeuxième,uneautremoitiéneverrapassoncontratrenouvelé.Alorsoui,nousavonsbesoinderésultatsconcretsetvite,avantquelesautresnefassentaboutirleursprojets.–D'accord,jetelaissetenterderallierHopeànotrecause,maisjet'interdisde
teservirdemoidanstescombines.–Moi,jet'interdisdelafairesouffrir,situlatrompesjenetelepardonnerai
pas!Etrangeceportable,laisse-launpeusouffler.Luke se gara au pied de l'immeuble et n'attendit pas Josh pour monter se
coucher.
1.CetteexpérienceaétéréaliséeparThomasDeMarseàl'universitédeFloride.
4.
Hope,déjeunaitd'unsandwichàlacafétériaenlisantunerevue.Àl'extérieur,Joshl'observaitdepuisunbonmoment,feignantdeconsultersesmailsjusqu'àcequ'untextos'affichesurl'écran.Tuvasresterplantédevantlavitrineencorelongtemps?
Il releva la tête etHope s'amusa lorsque leurs regards se croisèrent. Il entra
pourlarejoindre.–Çava?demanda-t-ilens'asseyant.–C'esttoutcequetuastrouvé?–Tuasbiendormi?–Demieuxenmieux...–Bon,qu'est-cequejesuiscensédire?–«Bonjour»seraitunbondébut,unbaiserunejoliefaçondepoursuivre,et...–Toiaussituasmaldormi,ondirait.–Non,aucontraire.Presquehuitheuresd'affilée,celafaisait longtempsque
çanem'étaitpasarrivé.–Ah,soupiraJosh.–C'étaitbien,Salem.C'estcequetuvoulaisentendre?–Oui.Jepeuxsavoircequitechiffonne?– Rien, à part une sale migraine, et puis j'ai eu mon père au téléphone, il
débarquevendredisoir.–Etcen'estpasunebonnenouvelle?Jecroyaisquetuadoraistonpère?–Jel'adorequandilnevientpasmeprésentersanouvellepetiteamie.–Jevois.
–Non,tunevoisriendutout.–Jalousiedefilleunique?–Çan'arienàvoir,jen'aijamaisétéjalouse,c'estjustequedepuislamortde
Maman,ilaundonpournefréquenterquedespétasses.–Silespétasseslerendentheureux,qu'est-cequeçapeutfaire?–Siencoreelleslerendaientheureux,maiscen'estjamaislecas.–Attendsdelaconnaître,laisse-luiunechance.– Comme si j'avais le choix... Tu as parlé à Luke ? Je pensais que tu
m'enverraisuntextocettenuit.–J'enattendaisaussiundetoi.–Commenta-t-ilprislachose?–Bien,ilestheureuxpournous.–Vraiment?–Tonpèrerestetoutleweek-end?–Probablement,pourquoi?–Parcequejesupposequel'onneseverrapasetçavaêtrelong.Jesaisqu'il
estencoretôtpourdirecegenredechoses,Lukemel'amêmedéconseillé,maisjesuistropcrevépourjoueràfairesemblant.–Remarque,puisquemonpèreveutmemontreràsanouvelleconquête,jene
voispaspourquoijeneluirendraispaslapareille.–Tuvoudraisquejesoistapétasse,enquelquesorte...Hoperecrachalagorgéeduthéqu'ellevenaitdeporteràseslèvres.–Luken'apasputedéconseillerdem'avouerqueleweek-endseraitlongsans
moi...–Ilestcommenttonpère?–Unpeuvieuxjeu,maisformidable,etnefaispascettetête,ilnevapaste
manger.Hoperegardasamontreetseleva.–J'airéfléchiànotreconversation.Jenecroispasquecesoitunebonneidée
qu'ontravailleensemble.–Sijetemontraisquelquechosedevraimentincroyable,tumelaisseraisune
dernièrechancedeteconvaincre?–Essaietoujours.–Tudoisd'abordmepromettreden'enparleràpersonne,jepourraisavoirde
sérieuxennuis.–Voussynthétisezdeladrogue?–Jesuistouchédel'estimequetumeportes.–Lukeavaitraisonsurunpoint,l'humourn'estpastaqualitépremière.–Parcequevousparlezdemoiderrièremondos?
–Toutcommenousparlonsdeluiencemoment.Bonjet'écoute,puisquec'estlasemaineoùjedoisdonnerunechanceàtoutlemonde.JoshsepenchaversHopeetl'embrassa.– Tu devras attendre ce soir, et je ne suis pas tout lemonde, dit-il en s'en
allant.
*
Aumêmemoment,Lukesortitdel'immeubleetsedirigeaversleparking.Ils'installaàborddesavoiture,passalamainsoussonfauteuilpourenextraireunpetitcarnetàl'intérieurduquelilsehâtaderédigerquelqueslignes,avantdeleremettreenplace.Ilrefermalaportièresanslaverrouiller,releval'antennefichéedansl'aileavantetfilarejoindrelegrandamphithéâtre.Le professeur Flinch y dispensait son cours depuis une demi-heure quand
Lukepoussalaporte.–Tuesenretard,chuchotaJoshenrelevantlesgenouxpourlelaisserpasser.Ils'assitsurlebancetsortitsatablette.–J'airatéquelquechose?–Non,pasvraiment.–OùestHope?Unbrasselevadanslarangéedevantlui.–J'aieudumalàmeréveiller,ajoutaLuke.Hope se retourna et lui lança un regard incendiaire. Luke lui fit un sourire
avantdeseconcentrersurFlinchquipianotaitsurleclavierd'unterminalreliéàunprojecteur.–Maintenantquenoussommesaucomplet,etaucalme,ditleprofesseuren
tançant vertement celui qui venait de perturber son cours, je voudrais vousprésenter une expérience aussi remarquable que prometteuse, réaliséerécemment par six de mes étudiants. Ils ont équipé la tête d'un petit singed'électrodes afin qu'un ordinateur enregistre les impulsions électriques de soncerveau.Enparticulierquandilsesertdesonbrasdroit.Unephotographieduouistitiapparutsurl'écransituéderrièreFlinch.Ilavait
l'apparencedecesprimatesquel'onenvoyaitdansl'espaceauXXesiècle.– À tous ceux qui s'inquiéteraient pour Mako, c'est le prénom de notre
charmantcandidat,soyez toutàfait rassurés,commevouspouvez leconstater,les électrodes se situent sur un casque amovible et ne le font en aucun cassouffrir.Unmurmuredesatisfactionparcourutlasalle.Flincharboraunlargesourire
avantdefaireclaquersalanguesursonpalaisetdepoursuivresonexposé.
–NousavonspuainsiapprendrecequefaisaitlecerveaudeMako,pourqu'ilbougesonbrasdedifférentesmanières...Une nouvelle image montra une série de graphiques correspondant à
l'encéphalogrammedusinge.– L'étape suivante consista à connecter ce même ordinateur à un bras
prothétique.Nouvelleimage,cettefoisd'unbrasmécaniqueetdesamainarticulée.– Nous avons installé cette prothèse dans une autre pièce. Très vite,
l'ordinateur a appris, en lisant les ondes émises par le cerveau du singe, àcontrôlercebrasmécanique,ouplutôt,devrais-jedire,àluifairereproduirelesmouvementsqueMakoeffectuaitavecsonvraibras.Derrière leprofesseur, l'écransescindaverticalementpour laisserapparaître
deux films simultanés.À gauche,Mako agitait samain ; à droite, la prothèseélectroniquel'imitaitàlaperfection.Lesapplaudissementsfusèrentdanslasalle.Flinch,lamineenjouée,fitsigneauxétudiantsdepatienterencoreunpeuavantdes'extasier.–Du calme, s'il vous plaît, lemeilleur reste à venir. Nous avons équipé la
pièce où se situait notre ouistiti d'un écran qui lui permettait de voir ce brasprosthétiqueetMakoaétéfasciné.L'air intrigué du singe provoqua un rire général. Sauf chez Hope qui ne
trouvaitriend'amusantàcequel'onfaisaitsubiràcetanimal.–Makon'apastardéàcomprendrequetoutcequ'ilfaisaitavecsonbras, le
robot le faisait aussi. Et ce jeu l'a beaucoup amusé. Comme vous pouvez leconstatersur les imagesquivoussontprojetées,Makon'aeudecessed'agiterson bras pour piloter le robot.Après tout, n'est-ce pas ce que petits et grandss'amusentàfaireavecdesjouetsradiocommandés?Nouveaugloussementdansl'assemblée,maissoudain,Makosefigeaettoute
la salle se figea aussi lorsque sur la partie gauche de l'écran le bras articulécontinuadegesticuleralorsquelesinge,lui,restaitparfaitementimmobile.– Absolument, vous avez bien vu ! s'exclama Flinch, dans un râle de
satisfaction.Notreouistiti réussitàactionnerunbrasprosthétiqueàdistance,àl'aidedesesseulesondescérébrales.Lesétudiantsselevèrentetsemirentàapplaudir.– Je vous laisse deviner ce que nous pouvons escompter des résultats d'une
telleexpérience,poursuivitFlinchd'unevoixtonnante.Cettefois,lasallel'ovationna.–Pensezaunombredenossoldatsayantperduunmembresurleschampsde
batailleetquiunjourprochainpourrontretrouverunevienormale,vociféra-t-il.
HopeseretournaversJoshetLuke.–Àcetrain-là,ceconbouffid'arrogancevabientôtnousdemanderdevoter
pourluiàlaprésidentielle,lâcha-t-ellelevisageserré.Et tandis que Flinch invitait ses étudiants à lire le rapport détaillé de
l'expériencequiseraitdistribuéparsesassistantsàlafinducours,Hoperamassases affaires et se dirigea vers la sortie de l'amphithéâtre. Les deux amiséchangèrentunregardétonnéavantqueJoshluiemboîtelepas.Illarejoignitsurleparvisetdutlaretenirparlebras.–Qu'est-cequit'apris?–Jenepeuxpascroirequetuaiesapplaudi.–C'esttoutdemêmeépoustouflantcequ'ilsontaccompli!Ettunepeuxpas
nier que ce soit prometteur.Tu penses aux personnes handicapées qui un jourbénéficierontdecesrecherches?–OnluiademandésonavisàMakoavantdeluigrefferunmembreenplus?
Tu viens de voir de tes propres yeux le premier mammifère à trois bras. Tupensesqu'ilss'arrêterontoù?TucroisquelefaitqueFlinchvoiedanslessoldatsles premiers bénéficiaires de ses recherches, comme tu dis, soit une purecoïncidence?Quifinancecegenredetravauxàtonavis?–Lafaculté,jesuppose,peut-êtredeslabosprivés,qu'est-cequeçapeutbien
faire,seullerésultatcompte,non?–Des laboscommanditéspar lamédecineoupar l'armée?Pour soignerou
pourdisposeràprofusiondechairàcanon?Tucroisquec'estl'enviederéparerleurs dégâts qui les motive ? Allez dézinguer la planète les enfants, si vousperdezunejambeonvousenoffriraunetouteneuve.Onpourraitmêmevousengreffer une avant que vous ne partiez au combat, vous seriez encore plusefficaces,bientôtmêmeinvincibles.–Pourquoifais-tudesétudesscientifiquessileprogrèstefaitpeuràcepoint?– Pas pour ça, Josh. Pour guérir lesmaladies, oui,mais pas pour que nous
transformions les hommes en des machines surhumaines, pas pour que noustorturionsdesanimauxquiaccomplirontcequenousnevoulonsplusfaire.Dis-moiqueFlinchnet'inspirepasentièrementconfiance,dis-moiquejenesuispaslaseuleàentrevoirlesexcèsdecefutur.–D'accord,Flinchn'estpas le type leplus sympathiqueque jeconnaisse, il
s'aimebeaucoup,maistudoisreconnaîtrequec'estunsacréprécurseur.Nevoispas lemalpartout, ceàquoinousvenonsd'assisterpeutvraimentbénéficieràl'homme,ilfautjustedonneruncadreéthiqueàlarecherche.C'estànousdeledéfinir.–Etàl'heureoùlemoindredenosmailsestépiéparlaNSA,dansunmonde
où la voix des marchands d'armes est toujours plus puissante que celle des
parentsdontlesenfantssefontflingueraufusil-mitrailleurdansleursécoles,tuvasmontersuruneestradeet leurdirehaltelà, ilfautqu'ondéfinisseuncadreéthique!Jetesouhaitebonnechance.Maisbon,jet'aimeencoreplusd'êtrenaïfàcepoint.–Tum'aimes?–MerdeJosh!Hope se tut, son regard fut alertéparunmouvement sur leparkingderrière
eux.–Qu'est-cequ'ilya?demandaJosh.–Là-bas,ondiraitqueletypeavecuncasqueestentraindelorgnerlavoiture
deLuke.C'estbienlasienne,non?LaCamarosetrouvaitàbonnedistance.JoshconfiasesaffairesàHopeetsemitàcourir.– Ne fais pas l'idiot, il a peut-être une arme ! hurla-t-elle en se précipitant
derrièrelui.Elleessayadelerattraper,maisaveclesbraschargés,lapartieétaitinégale.Joshserapprochaitquandl'hommeenfourchasamotoetdisparut.–Alors?ditHopeenlerejoignantàboutdesouffle.JoshfitletourdelaCamaroetnetrouvaaucunetraced'effraction.–Rien,toutestnormal.Décidément,tuvoislemalpartout.–Jet'assurequ'ilavaitl'airlouche,onl'afaitfuiravantqu'ilagisse.–IlallaitprobablementvolerlacaissepourriedeLukeetlaissersabellemoto
àlaplace.HopeouvritlaportièredelaCamaro.–Qu'est-cequejedisais,elleestdéverrouillée!Joshpassadevantellepours'asseoirauvolant.L'autoradioétaitenplace, le
désordre de la boîte à gants pareil à celui qu'il connaissait et les cassettes deLuke,toujourslà.–Ilnemanquerien,iladûoublierdelafermeràclé.Joshsortitdelavoituresansrepérerlepetitcarnetquidépassaitsouslesiège.Hopehaussalesépaules,luirenditsesaffairesetrepritlecheminducampus.–Sionsefaisaitunfilmcesoir?proposa-t-il.–Pourquoipas,çamechangeraitlesidées.–OnpourraitallerrevoirTerminator.Hopeluibalançauncoupdecoude.Joshlaserradanssesbrasetl'embrassa.–OK,jet'accompagneraiàcedîneravectonpère.Onfaitlapaix?–Ilfautquel'onaitunendroitoùseretrouverlesoir.Onnevapasjoueraux
adosquisevoientencachette.Etpuisj'aienviededormiravectoi.
–MaintenantqueLukeestaucourant,riennet'empêchedevenirdormirdansmachambrequandtulesouhaites.Notrestudion'estpassiloinqueça,iln'yapasderèglementquiinterdiselamixitédansnotreimmeuble.–EtLukevalatolérer,cettemixité?Demande-le-luiquandmême.HopeembrassaJoshets'enalla.
*
JoshrejoignitLukeàlabibliothèqueets'assitfaceàlui.–Tuasquelquechoseàmedire?questionnaLuke.–Tudevraisfermertavoiture.Jesais, tupensesà juste titrequepersonneà
parttoinevoudraitd'unetellepoubelle,maisenfintoutdemême.–Dequoituparles?–JeviensdepiquerunsprintderrièreuntypequirôdaitprèsdetaCamaro.
C'estHopequil'arepéré.–Laserruredébloque,jesuiscertaindel'avoirverrouillée,mercientoutcas.–Tuneveuxpassavoirsiont'avoléquelquechose?–Que veux-tu qu'on vole dans une poubelle ?Rappelle-le-moi d'ailleurs la
prochainefoisquetuvoudrasmel'emprunter.–Maisqu'est-cequevousaveztousàêtred'aussimauvaispoil?–Jesuisd'excellentehumeur.MaisencequiconcerneHope,aprèslenuméro
auquel nous avons eu droit dans l'amphi, ce n'est pas gagné pour qu'elle nousrejoigne.–Jel'aiinvitéeàpasserlanuitcheznouscesoir.–Tuasfaitquoi?demandaLukeenrelevantenfinlatête.–Souviens-toiquetuluidoisd'avoirencoreunebagnole.
*
Enguise de dîner en tête à tête,Hope dut se contenter de partager le repaschinoisqueLukeavaitcommandépartéléphone.Toustroisétaientinstallésdansla pièce qui faisait office de bureau, de salon et séparait les deux petiteschambresdeleurappartement.–Commentfaites-vouspourvousoffriruntelpalace?demandaHope.–Commetupeuxleconstater,onéconomisesurlanourriture,réponditJosh,
labouchepleine.–Onsedébrouille,coupaLukeavantquesonamin'endiseplus.–Elleestaucourant,poursuivitJosh.– Elle est au courant de quoi exactement ? insista Luke en posant ses
baguettessurlacaissequiservaitdetablebasse.–Rassurez-moi,intervintHope,vousvousêtesbienaperçusquej'étaislà?
– Que nous bossons pour une boîte qui finance nos études ainsi que cesublimeappartementdetrente-huitmètrescarrés,enchaînaJosh.–EtHopeestaussiaucourantqu'elledoitgardercelapourelle?questionna
Luke.–Hopeaimebeaucoupqu'onparled'elleàlatroisièmepersonneetHopetedit
d'allertefairevoirparcequeHopen'estpasunebalanceetquetudevraisdéjàt'enêtrerenducompte.HopepenseaussiqueLukeetJoshontledroitdefairecequ'ilsveulentdeleurvie,commedeleursnuits...Finalementc'estassezmarrant,onpourraitcontinueràparlercommeça,ounepasseparlerdutoutdepeurdetrahirdegrandssecrets,ajouta-t-ellepourmieuxsemoquerdelui.Lukerécupérasesbaguettesetpoursuivitsonrepasensilence.–D'accord,jen'auraispasdûm'imposer,net'inquiètepasLuke,jeneresterai
pasdormir,mercipourl'invitationàdîner,laprochainefois,c'estmoiquirégale.–Mais qu'est-ce que vous avez tous les deux ? Vous allez arrêter de vous
chamailler!s'emportaJosh.LukesoupiraavantdetendrelamainàHopeensignederéconciliation.–Pardon,j'aimanquédetact.–Excuses acceptées,mais jeme passerai d'une poignée demain à la sauce
soja.–Enattendant,ditLukeens'essuyantlabouche,cepetitmanègenepeutplus
durer.Ou tu te joins à nous, ou tu acceptes, quelle que soit la relation que tuentretiensavecJosh,deteteniràl'écartdenostravaux.– Par moments tu me fais peur, Luke, qu'est-ce que vous traficotez de si
secret?–Riend'illégal,mais lemondedans lequelnousévoluonsest suffisamment
compétitifpourquenousneprenionspaslerisquedevoirnoseffortsprofiteràd'autresàcaused'uneindiscrétion.–Jesaistenirmalangue.–Tulatiendrasd'autantmieuxsitunesaisrien.Hopeallaouvrir la fenêtre, les relentsde cuisine chinoise lui soulevaient le
cœur.– Vous allez me traiter de paranoïaque, chuchota-t-elle, mais la moto qui
rôdaitautourdetavoitureestgaréedanslarue.Joshselevaetlarejoignit.–C'estunmodèleassezcourant,dit-il,mais je reconnaisquec'est intrigant.
Viensvoir,Luke.–Voirquoi,undeux-rouesenpleineville?Jesuiscertainquec'estfascinant.
Jevouslaissejouerauxespions,j'aiduboulot,jemeretiredansmachambre.
Josh et Hope firent le guet encore quelques instants avant de refermer lafenêtre, presque déçus. Il y avait bon nombre de grosses cylindrées sur lecampusetlemotardn'étaitpeut-êtrequ'unnouveloccupantduquartier.
*
HopeseglissasouslesdrapsetseserracontreJosh.– Il est jaloux. Pour être à ce point sur la défensive, c'est qu'il est jaloux,
répéta-t-elle.–JenepensepasqueLukesoitamoureuxdemoi,sic'estlaquestionquetute
poses,ricanaJosh.– J'envahis son espace, jem'immisce dans votre amitié, ça ne doit pas être
évidentpourlui,chuchota-t-elle.Pourquoiest-cequ'ilestseul?–Lukeaeudesaventures,maisilatoujoursétéseul,c'estdanssanature.–Lanaturen'arienàfairelà-dedans,c'estunequestionderencontre,toiaussi
tuaseudesaventuresettuétaisseulavantdemeconnaître.–Pascommeluietpastoujours.J'aieuunehistoirequiaduré.–Cen'estpasunebonneidéequejereste,ditHope,laminerenfrognée.–Si,c'estuneexcellenteidée,répondit-ilenluiembrassantlesseins.Salanguedescenditverssonnombril,effleurasonsexeetsescuissesavantde
poursuivre,encoreplusaventureuse.–Excellente...C'estlemotjuste,gémitHope.
*
Le lendemain soir, Josh et Hope allèrent au cinéma. Luke rentrait seullorsqu'unemotoralentitavantdeserangeràsahauteur.Leconducteurluitendituncasque.Lukegrimpaderrièreluietlacylindrées'échappadanslanuit.Elles'arrêtavingtminutesplustarddevantunrestauranthuppéàl'autrebout
delaville.Lukedescenditdel'engin,renditlecasqueàsonpropriétaireetentradansla
salle.Ilreconnutlasilhouetteassiseaucomptoiretpritplacesuruntabouret.Flinch,d'unclaquementdedoigts,prialebarmandeservirsoninvité.–Votrecoursierdevraitsefaireplusdiscret,soufflaLuke.–Vu ce que vousm'avez rapporté, je ne suis pas sûr d'être celui qui doive
recevoir des leçons de discrétion. Je n'aime pas cette histoire, vous savez quej'attacheautantd'importanceaudévouementdemeséquipesqu'àleurdiscrétion.–Quevoulez-vousque j'y fasse? Ils sontamoureux. Jen'ai jamaisvuJosh
aussifragile.–Fragile?
–Ilestsoussacoupe.–Vousn'avezpas l'airde laporterdansvotrecœur.Àmoinsquecenesoit
tout le contraire... Mais j'ai d'autres préoccupations que de me soucierd'amourettesétudiantes,grommelaFlinchensirotantsonMartiniblanc.–Jevoulaisattendrequelquesjourspourvousenparler,maisnousavonsfait
desprogrès...remarquables.–C'est amusant, votre façon de changer de sujet de conversation.Mais qui
vousalaisséentendrequ'ilvousrevenaitdedéciderquandfaireounepasfaireétat de l'avancement de vos travaux ?Dois-je vous remémorer les obligationsauxquellesvousvousêtesengagés?Lukenetouchapasauverrequelebarmanvenaitdeluiservir.– Je vous écoute ! ordonna Flinch dont la curiosité avait pris le pas sur la
condescendance.Luke,lavoixcalme,presquetropcalme,luirévélacommentlesneuronesqu'il
avait désagrégés après les avoir prélevés dans le cerveau d'un rat s'étaientréassemblésspontanémentsurdesplaquesdesilicium.–Remarquable!sifflaFlinch.– Demain, le réseau neuronal sera suffisamment densifié pour que nous
commencionsàinstruiredescommandes.Flinch tapotade l'ongle sonverrevideafinque lebarman le resserve,geste
qu'il trouvait probablement plus adapté à son rang qu'une simple formule depolitesse.–Sicelafonctionne,votredeuxièmeannéeparminousvousseraacquise.– Si cela fonctionne, c'est la totalité de notre cursus universitaire que vous
devreznousgarantir,etàtouslesdeux.–Jevoussavaisprésomptueux,maisàcepoint...–D'ici unmois, reprit Luke, nous procéderons à une première tentative de
duplicationdesdonnéesversdesimplescoprocesseurs.–Vousêtessérieux?–Jevousaidéjàdéçu?–Admettons...Enfin, à ceciprèsquevousn'avezpas lamoindre idéede la
naturedesdonnéesquevosoriginauxcontiendront.Quepensevotreami?–Lamêmechosequemoi,réponditLuke,s'efforçantdemasqueràquelpoint
laquestiondeFlinchl'irritait.Sil'expérimentationvientconfirmernotrethéorie,noscomposantsbiologiquesdevraientmémoriserles instructionsquenousleuraurons fournies. Une fois le transfert réalisé, leurs équivalents électroniquespermettront à l'ordinateur de reproduire ces mêmes instructions. Exactementcommedansl'expériencequevousnousavezprésentée,maissansavoirrecours
aubonvouloird'unsinge.Nousnouscontentonsdescellulesprélevéesdanslecerveaud'unrat,enfinpourl'instant,conclut-ilfièrement.–Ne brûlez pas les étapes, je vous prie. Espérons déjà que cela fonctionne
avecunrat.Pourlereste,nousverrons.Ilestd'ailleurshorsdequestionquevoustentiezd'allerplusloinsansmonaval.Àcompterdecejour,jeveuxunrapportquotidien,etpasvial'intranetduCentre,vouscontinuerezd'utiliserlecarnet.–Et comment expliquerais-je à Joshquenousnepublionspasnos résultats
ainsiquevotrerèglementnousyoblige?Flinch se tut un instant, songeur, les yeux fixés sur le liquide sirupeuxqu'il
s'amusait à faire tournoyer dans son verre. Il le reposa lentement et se mit àsourire.– Prétendez que vous voulez faire un coup d'éclat, attendre d'être arrivé au
terme de votre expérience pour tenter de négocier avec moi deux années definancementcontrecerésultat.–Jecomptenégocierbienplusquecela.–Pourquoipas!Vouspouveztoujoursexpérimenteraussidececôté-là,ricana
Flinchenluitapotantsurl'épaule.Enattendant,veillezàcequesapetiteamienevienne pas troubler le bon ordre des choses. Je n'ai rien contre le fait qu'ils'amuseunpeu,vousnonplusd'ailleurs,celavousferaitleplusgrandbien,maisquerienneledistraiedesestravaux.Noussavonstouslesdeuxquesontalentest...bref,jesupposequevouslesavezmieuxquemoi.LukesifflasonMartinietseleva.–S'ilestvraimentsouslacoupedecettefille,ilfiniratôtoutardparluiparler
duCentre.Jen'aimepasça,repritFlinch.–Nouspourrionsluiproposerdetravailleravecnous?–Cen'estpasidiot,lâchaFlinchenobservantfinementLuke.– Je ne pensais pas que cette idée vous séduirait, je présageais même du
contraire.–Mais si, c'estmêmeuneexcellente idée.Les trios sont toujours sourcede
rivalités.Uncontredeux,deuxcontreun,chacunpoursoi,maisrarement troiscœurs battant à l'unisson et encoremoins trois esprits. La rivalité est rageuse,source de créativité, d'énergie augmentée. Bien sûr, si cette charmante jeunefemmeacceptait,nouspourrionsluioffrirlesmêmesavantagesqu'àvous.Ceci,enplusdessentimentsqu'elleéprouvepourvotreami,pourraitlamotiver.FlinchretintLukeenposantsamainsurlasienne.–Unconseiletj'aidelabouteille.Sil'initiativevientdevous,ceseratoutà
votreavantage,etsareconnaissancevousseraacquise.Vousmènerezl'équipeaulieudesuivrelemouvement.Maintenant,laissez-moi,onm'attendàdîner.Ah,etencorebravo, jesuis impressionnéparcequevousm'avezappris,et jenesuis
pasfacileàimpressionner.J'espèrequevousestimerezcecomplimentàsajustevaleur.–Jerentrecommentchezmoi?Flinchfouillasapocheetposaquelquesbilletsfroisséssurlecomptoir.–Entaxi,jesuppose.
Luke retraversa la ville, l'esprit aussi sombre que le ciel. Il demanda au
chauffeurdes'arrêteralorsqu'ilse trouvaitencoreàunecentainedemètresdechez lui. Il les parcourut sous l'averse qui venait d'éclater et entra dansl'immeuble trempédespiedsà la tête.Laseule satisfactionde sa soirée futdetrouverl'appartementvide.Ilabandonnasesaffairesdanssachambreetallaseréchauffer sous une douche brûlante. Il venait d'éteindre la lumière quand ilentenditdespas,suivisdegloussements.JoshetHopesefrayaientuncheminàtâtonsversleurlit,àtraversl'obscuritédusalon.Lelendemainmatin,quandilsselevèrent,Lukeavaitdéjàquittéleslieux.
*
Ensortantdecours,JoshtrouvaunmessagedeHopesursonportable:
JevaisdîneravecLuke,nem'attendspas.
Auquelilréponditaussitôt:
C'estmochedefairebandeàpart.
Ceàquoiellerépliqua:
Jecroisquec'estnousquifaisonsbandeàpartdepuisquelquetemps.Ettuasraison,c'estmoche.
Joshrangeason téléphonedanssapocheethaussa lesépaules.Hopen'avait
pas tort, il délaissait Luke depuis le week-end à Salem et leur amitié s'enressentait.Ils'envoulutquecesoitHopequiaiteul'idéedefairelepremierpas,oupeut-êtrequ'elleluimontreainsiêtreplusgénéreusequelui.
5.
Ellel'attendait,assisesurunemarche,aupieddeleurimmeuble.–Joshnet'apasencoreconfiéuneclé?demandaLuke.Hopeluitenditlamainpourqu'ill'aideàserelever.–Jenesuispastonennemie,Luke.Jen'aiaucuneintentiondetelevoler.– C'est très gentil de me le préciser et nous ne sommes plus au jardin
d'enfants.Vousfaitescequevousvoulez,laseulechosequejetedemandec'estdenepasaccaparertoutsontempslibre.Depuisdeuxsemaines,Joshn'enfichepasune,endehorsdescoursj'entends,quoiquejenel'aiejamaisvufairegrand-choseencours.Nosavenirssontliésetjenepeuxpascontinueràmetapertoutleboulotàsaplacepourlecouvrir.–J'yveillerai,réponditHope.Tuacceptesuneinvitationàdîner?Lukehésitaetl'entraînaverssavoiture.–J'aiquelquechoseàtemontrer,dit-il.Monte.Hope hésita à son tour et lui lança un drôle de regard. Elle s'installa sur le
siègepassagerets'étonnaqu'ilnedémarrepas.–Rassure-toi,jenevaispasteconduiredansunsous-bois.–Çanem'avaitpastraversél'esprit.Alors?–Jevaisessayerdetefairecomprendrequelquechose,repritLukeenlançant
lemoteur.La Camaro les emmena hors de la ville. Lorsqu'elle s'enfonça dans la
banlieue, Hope demanda à Luke où il la conduisait. Il n'avait pas dit unmotdepuisleurdépartetrestasilencieuxjusqu'àleurarrivée.Il s'arrêta devant le portail à l'entrée du Centre. Hope tenait toujours son
portableenmaineteutenvied'envoyerunmessageàJosh.–Pasderéseau,dit-elleunpeuinquiète.
–Non,lebâtimentestéquipédebrouilleurs.Impossibledecommuniqueravecquiconquedansunpérimètredecinqcentsmètres.–Qu'est-cequenousfichonslà,Luke?Pourquoitantdemystères,etquelest
cetendroit?–Lefutur,etlefuturpeutfairepeur,répondit-ilensetournantverselle.–Pourquoiferait-ilpeur?– Imagineun instantque toutes lesbonnesvolontés et talentsdecemonde,
chercheurs, médecins, artistes, artisans et bâtisseurs, s'unissent pour le rendremeilleur, plus beau, moins cruel, moins injuste. Quelle serait la premièreconditionnécessaireàlafondationd'untelespoir?–Jenesaispas,braverlapeurdel'utopie?–Non,ilfaudraitd'abordlesprotégerpourqu'ilspuissenttravaillersansêtre
menacés.Leurtrouverunendroitàl'abridespolitiques,delabureaucratie,desintérêtsparticuliers,deslobbies,despuissancesquin'ontniintérêtnienviequelemondechange.–Etcebâtimentest...– Oui, le Centre est un lieu autonome, coupé de tout, et surtout des
contingences du présent.Aucun de ceux qui y travaillent ne sait s'il en existed'autresetencoremoinsoùilssetrouvent.Questiondesécurité.–Àcepoint?s'enquitHope.–Ilesttrèsdifficiled'avoirdesidéesnovatricesettrèsfacilederenonceràles
mettre en œuvre devant l'ampleur de la tâche. Crois-tu que l'on découvreseulement maintenant les effets du réchauffement climatique ? Le mondeoccidentallesconnaîtdepuisdesdécennies,maispourdesraisonséconomiques,l'hommeveilleplusfacilementàsonintérêtimmédiatqu'àsonavenir.–Tunenoircispasunpeuletableau?Ilyapleindegensdebonnevolonté
quis'opposentauxdérivesdespuissants.–Jevoudraisteraconterunepetitehistoire.Ilyatrenteans,danslavilleoùje
suis né, des bébés semirent à souffrir d'une étrange infection pulmonaire.Uncertainnombred'entreeuxpérirentavantd'avoireuunan,lesautresconnurentde graves difficultés respiratoires. Devant ce qui prenait la tournure d'uneépidémie, on dépêcha unmédecin, un bravemédecin de campagne à qui l'onconfialatâchedetrouverlevirusoulabactériequicontaminaitlesnouveau-nés.Le toubibs'attelaauboulot,avec lesmoyensdubord. Ilcherchapartout,dansl'eau,lelait,lanourriture,allantmêmejusqu'àanalyserlesbiberons,lescoucheset les layettes.Etpuisunsoir,désespérédenerien trouver, ilsortit fumerunecigarettesurleperrondelapetitemaisonqu'onluiavaitprêtée.Ilavaitcessédefumer depuis longtemps et la première bouffée le fit tousser comme uncharbonnier ; c'est cettecigarettequi lemit sur lapiste. Il achetaunecartedu
patelinetdesesenvironsetcommençaàytracerdescroix.Bleueslàoùvivaientlesbébésmalades,rougeslàoùavaienthabitélesenfantsdécédés.Trèsvite,lescroixformèrentdeuxcercles,lebleud'undiamètreplusgrandquelerougequ'ilentourait.–Qu'est-cequ'ilyavaitaucentre?demandaHope.– L'usine d'extraction de méthane. En forant trop profondément, on avait
laissé s'échapper du monoxyde de carbone qui remontait dans le sol.Insuffisammentpourquelesadultesensouffrent,maisassezpourasphyxierdesbébés.–Ilsontfermél'usine?–Deuxjoursaprèsqueletoubibafaitcettedécouverte,onretrouvasoncorps
dans la rivière.Officiellement, ilpicolaitbeaucoupet se seraitnoyéaprèsêtreallésebaignerenétatd'ébriété.Nousétionsendécembre...Maisl'usineétaitlepoumonéconomiquedelarégionetsurtoutdelaville,laplupartdesfamillesendépendaient. Qui aurait pu parler aux ouvriers de ce patelin de reconversion,d'énergiespropresenleurdemandantdecommencerparperdreleursemplois?Tu vois, constater un problème est une chose, le résoudre en est une autre,surtout quand les intérêts économiques des uns se trouvent sur le chemin desautres. Voilà pourquoi les enjeux du futur sont si souvent prisonniers descontingencesduprésent,saufàl'intérieurdecebâtiment.Maintenantlaquestionestdesavoirsituveuxounonyentreravecmoi,situveuxparticiperàcefutur.–Alorsc'est iciqueJoshserendquandildisparaît lanuit,c'est làquevous
complotez?–Iln'yaaucuncomplot,c'estabsurdedevoirleschosesainsi.– C'était juste une façon de parler. Je suis flattée que tu me proposes de
m'associeràvous,maisj'aibesoinderéfléchiravantdemedécider.–Àcausedevotrerelation?–Jen'ensaisrien.Tuveuxbienmereconduiresurlecampus?Cetendroitme
fichelebourdon.–Pasavantdet'avoirfaitvisiterleslieux:jenesuispasvenujusqu'icipour
mecontenterd'unepetitediscussion,réponditLukeenactionnantl'ouvertureduportail.Une fois à l'intérieur, ne parle à personne, et pour toutes les questionsque tu voudraisme poser, tu les gardes en tête et tu attends que nous soyonsressortis.Hopecherchaitàcomprendrecequilafreinait,elled'ordinairesitéméraireet
curieuse.Elleouvrit laportièreet se forçaà fairebonne figureen sedirigeantversleCentre.Lukelasuivitdetrèsprès.Ilposalamainsurlelecteurd'empreinte,etpoussa
brusquementHopeenavantquandlaportes'ouvrit.
Elle pénétramédusée dans le sas. Luke lui fit signe de se taire. Lorsqu'unediodevertes'allumadevanteux,ilquittalesasetluiouvritlechemin.Ladimensionetlamodernitédeslieuxlafascinèrent.Ducouloir,elleadmirait
lesvastessalles,richementdotéesenéquipements.Cellesetceuxqu'ellevoyaittravaillerderrièrelesbaiesvitréesappartenaienttousàsagénération.Àsadroite,unpetit groupemenait une conversation animéedevantun tableaunumérique,unpeuplus loin,deux jeuneschercheusesmanipulaientun robotà l'apparencehumaine.Silaplastiquedesonvisagen'auraitabusépersonne,lesmouvementsde ses yeux étaient saisissants d'humanité. À gauche, quatre autres jeuneschercheurs actionnaient une étrange imprimante. Hope allait ouvrir la bouchequand le regard de Luke la convainquit de n'en rien faire. Elle sursautalorsqu'unemainseposasursonépaule:–Vued'ici,ditFlinchondiraituneimprimanteàjetd'encredesplusbanales.
Figurez-vous qu'il n'en est rien. J'ai toujours considéré, ajouta-t-il, qu'on nepouvait espérer obtenir la confiance de quelqu'un si on ne lui accordait pas lasienne.Jeprésumequevousnemecontredirezpas.Suivez-moi.Hope ne songea pas à discuter cet ordre. L'autorité du professeur qu'elle
n'avait jusque-làfréquentéquedansl'amphithéâtreoùildispensaitsescourssevoyait renforcéepar uneproximité à laquelle elle n'était pas habituée.Elle luitrouvad'ailleursbeaucoupplusdeprésencedeprèsquedeloin.Ilentradans lapièceets'approchade la tableoù leschercheurseffectuaient
desréglages.–Elleressembleen toutpointàunvulgairepériphériquedebureau, jevous
l'accorde,maisellen'estpasconçuepourreproduiredejoliesphotographiessurpapier glacé, ricana-t-il. Vous allez voir, c'est assez remarquable. Dans unpremier temps, un scanner, comme ceux que vous utilisez pour numériser desdocuments,balayeleslésionsdirectementsurlecorpsd'unblessé.Surunécranencastrédanslemur,Hopedécouvritensituationréelleceque
luidécrivaitFlinch.Unhomme,lebrasdroitbrûléautroisièmedegré,reposaitsursonlitd'hôpital.Unmédecinscannaitlemembreblesséàl'aided'unappareilidentiqueàceluiqu'ellevoyaitdevantelle.Àlasuitedequoi,uneimageentroisdimensionsde la lésionse formaitsur le terminal informatique.Flinchattenditquelepetitfilms'achèvepourcontinuer:–L'appareilanalyselaplaie,détaillelesprofondeursetcontoursdesstructures
endommagées, tissusosseux,musculaires, vasculaires, nerveux, et bien sûr lescouches épithéliales de la peau.Ces informations sont envoyées à l'ordinateurquilestraiteetlesrelayeversnotrefameuseimprimante.Puisqu'ellenecontientpas d'encre, que contient-elle ?me demanderez-vous. Eh bien chacune de sescartouches est remplie de cellules saines que nous avons prélevées chez notre
patient et mises en culture. Ces cellules saines, l'imprimante les projette, lespulvérisedevrais-jedire,exactementlàoùchacunedoitallers'implanterpoursereproduireet finirparcombler la lésion.Engros,nous imprimonsdirectementdes couches de cellules différenciées dans la blessure de notre patient.Remarquable,non?C'estencoreunprototype,mais lespremiersrésultatssontextrêmement encourageants1. Là-bas, enchaîna Flinch d'un ton grave endésignant une autre salle, nous travaillons à l'impression en trois dimensionsd'organes entiers. Si vous saviez le nombre de personnes qui décèdent chaqueannéeseulementparcequenousmanquonsdedonneurscompatibles.Jenevousdispasquenousfinironsparpouvoirimprimerunreinen3Ddansnotresalon,mais,àl'hôpital,unjourviendraoù...FlinchsetournaversHopeetplongeasesyeuxbleusdanslessiens.Ilinspira
profondément,l'airempreintd'unecertaineaffectation.–Vousvoyezmademoiselle,s'ilm'arriveparfoisd'êtreunpeutroparrogantau
goûtdecertainsdemesélèves,pasauvôtrej'ensuissûr,cen'estqueparexcèsdepassionpour cequenous entreprenons ici.Cecomplexe s'étale surplusdetrentemillemètrescarrés, jevous laisse imaginer lavariétédesdisciplinessurlesquelles nous travaillons. Luke va vous raccompagner et, la nuit portantconseil,vousluidirezdemainsivousavezenviedevousjoindreànous.Danslecas contraire, maintenant que vous connaissez les raisons de notre existence,nouscomptonssurvotresilence.Bienqueriendeceque jevousaimontrécesoirnesoitparticulièrementsecret.–Etcequevousnem'avezpasmontré?–Cela,ma chère, vousne le découvrirezqu'après avoir pris votre décision.
Maiscroyez-moi,c'estencoreplusextraordinaire.
*
–Tunedisrien?–Jeréfléchissais.–C'étaitbientondîneravecLuke?–Oui...Jecrèvedefaim,ilyaquelquechosedanstonfrigo?–Ah!ditJoshenselevantducanapé.IlfouillalakitchenetteàlarecherchedecequipourraitplaireàHope;vuce
quecontenaitleréfrigérateur,cen'étaitpasgagné.Joshpritlesdeuxyaourtsqu'iltrouva, un restant de salade de fruits acheté la veille, peut-êtremême l'avant-veille, se demanda-t-il avant de se raviser et de le jeter à la poubelle, et allapiocher dans sa réserve de céréales et de tablettes de chocolat entamées. Ildisposaletoutsurunplateauetregagnalachambre.Hope,assiseentailleursurlelit,sejetasurlaboîtedecorn-flakes.
–CommentLukeettoivousêtesconnus?–D'abord,tuenfilesunT-shirt.Leshommesontdéjàunmalfouàfairedeux
chosesàlafois,situpensesqu'avectesseinsàl'airjeseraicapabledeteparlerdequoiquecesoit...–Tuneseraispasunpeuobsédé?–Enfaitnon...oublieleT-shirt.MonadolescenceavecLukepeutattendre.JoshplaquaHopesurl'oreilleretl'embrassa.–Arrête, grogna-t-elle en se soustrayant à son emprise. J'aimerais vraiment
savoir.ElleattrapalachemisedeJoshaupieddulit,qu'ellerevêtit,avecunsourire
narquois.–Nousnoussommesconnusaucollège.Qu'est-cequeçapeutfaire?–Ilétaitcomment?–Unpeufêlé,c'estcequim'atoutdesuitepluchezlui.–Onatousdesfêlures,c'estparellesquelalumièreentre.–Alorsilétaittrèséclairé.Lukeetmoiétionsvoisins.Nousavonsgrandidans
une banlieue où les coups pleuvaient dès la tombée du jour. Le quartier étaitorganiséenbandes,etànousdeux,nousenformionsune.–Tuétaisbagarreur?–Nonjustement,c'estbienpourçaquejen'avaisrejointaucungroupe.Mais
Lukeétaitplutôtgrandpoursonâgeetcommeilsesentait trèsresponsabledesonpetitfrère,ilavaitapprisàsefairerespecter.Onafaitpasmaldeconneriesensemblejusqu'àcequ'unprofdesciencesnoussortedelà.–Vousaviezquelâge?–Onzeans.Katzenberg, ilsefaisaitappelerKatz,étaitun typepassionnant.
Grâceàlui,nousavonsdécouvertunautreunivers,enfinpasexactement,carcetunivers on le côtoyait déjà,mais nous le trouvions terne.Mon père travaillaitdansuneusinede composants électroniques, il triait lesbonsdesmauvais.LepèredeLuke,ingénieurdeformation,faisaitdelamaintenancedeclimatiseurs.Autant te dire que l'idée d'embrasser une carrière scientifique nous paraissaitaussiattirantequed'embrassermacousine.–Pourquoi,elleétaitmoche?–Ellel'esttoujours.Katznousadonnélegoûtdelalecture,etl'attentionqu'il
nous accordait a stimulé notre appétit de connaissances. C'était un drôle debonhomme. Quelle que soit la saison, il portait une veste en velours côtelécouleurcacad'oie.Jemedemandeencorecommentquelqu'und'aussifinpouvaitavoir un aussimauvais goût vestimentaire. Et sa voiture... une vieilleDatsun,d'une saleté repoussante.Étrangement, tout était vieux chez lui... sauf lui.Sonespritétaitd'unemodernitéincroyable.Àlafindesescours,ilselivraitparfoisà
unrituelquinousfaisaithurlerderire.Quandl'envieluiprenait,ilinvoquaitunmage,legrandKoudaïe,pourqu'ilnousprotèged'unetribumaléfiquequ'ilavaitbaptiséelasectedes«Impossibles»!Ilnousrebattaitlesoreilles,ànousjurerque nous rencontrerions énormément de gens dévolus à ce culte et il noussuppliait de ne jamais les écouter, de toujours leur donner tort. Un jour il estarrivéavecunpetitcitronnierdanslasalledeclasse.Ils'étaitmisentêtedefairepousser des citrons. Bien sûr, il avait fait en sorte que tout le monde soit aucourantet tout lemondes'étaitmoquéde lui,parceque lesseulscitronsqu'ontrouvait àBaldwin, c'était au supermarché et ils arrivaient de Floride. Bref, ilnous a fait construire une petite serre et nous avons découvert l'existence deslampesàrayonnementsolaire...laluminothérapie,tuconnais?–Non,j'airéussiàintégrerl'unedesmeilleuresfacsdesciences,maisjesuis
totalementidiote.–Désolé.Donc,onapassél'annéeàbichonnersoncitronnierethuitmoisplus
tard,nousfaisionsuneventedecitronnadeàl'école.C'estluiquiadétecténotrevocationpourlascience.Lukeetmoipassionsnotretempslibreàchaparderdespiècesdétachéesdans le fourbidenospaternels, justepour l'amusementet lesfrissonsquecelanousprocurait.Unjour,nousenavionstellementvoléquenospantalonsavaientdesairsdeculottesdecheval.M.Katzenbergnousafaitvidernospochesetnousavonsdûluiavouerlaprovenancedenotretrésor.Contrelapromesse de ne pas nous dénoncer à nos parents, il nous a forcés à en fairequelque chose. Alors, nous nous sommes mis à assembler et bricoler cescomposants. Notre première invention consista à transformer un vieuxclimatiseurenunhumidificateurquis'allumaitautomatiquementsousuncertaindegré hygrométrique. Évidemment, le modèle d'origine, comme la sonde,provenaitdustockdepiècesdéfaillantes...Donc ilaplutôtbienfonctionné lespremières vingt-quatre heures avant de prendre feu dans la remise du père deLuke. Heureusement qu'on était là pour limiter les dégâts. Un peu plus tard,toujoursavec lacomplicitédenotreprof,nousavonsmisaupointunsystèmequidéclenchaitlesessuie-glacesàlapremièregouttedepluie.Onl'ainstallésurlavoituredupèredeLuke,certainsqu'onallaitprendrelaroustedenotrevie.Cefuttoutlecontraire.Lelendemainsoir,ilnousattendaitprèsdesaremiseetcemoment adécidédenotre avenir. Il nousa félicités, etnousaditque sinotreinventionétaitgéniale,elleexistaitdéjàenbienplusperfectionnée.Noscellulesdéclencheuses d'essuie-glaces avaient le défaut d'occulter un bon tiers de sonpare-brise.Ilaajoutéquelaprochainefoisquel'onseserviraitdanssonatelier,ce serait pour inventer quelque chose d'original. Peu lui importait quoi, dumoment que l'on n'ait jamais à réparer de climatiseurs pour gagner nos vies.Luke et moi avons vu dans les yeux de son père une lueur d'espoir qui
ressemblait aussi à un appel au secours. Le père de Luke était tellementimportantpournousqu'onnepouvaitpasledécevoir.Lasuite,tulaconnais,ona bossé comme des malades et aujourd'hui encore on continue à bricoler destrucs pas très conventionnels,mais beaucoupplus prometteurs quedes essuie-glacesintelligents.–Delacultured'uncitronniersousserreàcelledecellulesnerveusessurdes
pucesdesilicium,c'esttoutdemêmeunsacréboutdechemin.–Onpeutvoirleschosescommeça.Donc,Luket'aparlédenosrecherches?–Ilm'amêmefaitvisitervotrehangarsecret.J'yairencontréFlinch,encore
plusalluméqu'encours.Enfait,j'avaisdécidédenepasmejoindreàvous,etjeviensdechangerd'avis.Jenesaispassicelasefaitde toperentreamants,ditHopeentendantlamain,maisl'intentionyest.–Àmonavis,c'estplutôtfairel'amourquiestindispensablepourscellerune
telle alliance. Attends une seconde, tu as visité le Centre et c'est moi qui t'aiconvaincuavecmonhistoiredecitronnier?–Toinon,mais tonprofesseuravecsavesteenvelourscôtelé,unpeu,et le
pèredeLuke,beaucoup,ajoutaHopeenôtantsachemise.
*
Lelendemain,HopeconvoquaLukeetJoshàlacafétériaetleurfitpartdesesconditions.Elleparticiperaitàleursrecherches,maisrefusaitl'aidefinancièredeLongview, comme de signer tout contrat, hormis un engagement deconfidentialité, et conserverait la liberté demettre un terme à sa collaborationquandellelevoudrait.Autredisposition,ellenedormiraitplusdanslachambrede Josh que les week-ends et le mercredi, afin de préserver leur amitié. Joshvoulutaussitôts'opposeràcetteclause,maisHopefutintraitable.Lesoir,ilsallèrenttoustroisfêtercetteunionsacréedansunbardelaville.Hope en ressortit si éméchéeque Josh etLukedurent la porter jusque chez
eux.Elledérogeaàsarègleenypassantlanuit,c'étaitunjeudi.
1.Cescanner-imprimanteestencoursdetestsauWakeForestInstituteforRegenerativeMedecinesousladirectionduprofesseurAnthonyAtala.
6.
Hopeseresservaitpourlatroisièmefois;ellereposalacarafe,butsonverred'eauetsoupira.–Respireetdétends-toi,jesuiscertainqu'ilnevaplustarder.–Qu'ILSnevontplustarder,rectifia-t-elle.Etpuisqu'est-cequetuensais,tu
neconnaispasmonpère,tunel'asjamaisvuet......etellesetutalorsquelaportedurestaurants'ouvrait.Unecréatureauxformesgénéreuses,perchéesurdestalons,latailleengoncée
dansunejupedroitefituneentréeremarquéedanslepetitrestaurant.– Il est d'amples poitrines qui, pour respirer à l'aise, n'auront pas assez de
l'univers,lâchaHope.–Comment?questionnaJosh,hypnotisé.–Rien, un vers de poésie que j'avais appris en cours de langues étrangères
vientdemereveniràl'esprit,vasavoirpourquoi.–Tucroisquec'estelle...–Oh,sansaucundoute.Papadoitêtreentraindesegarerpournouspermettre
defaireconnaissance,sanslui.Ilatoujoursbrilléparsoncouragedanscegenredesituation.–Cen'estpaslapremièrefois?–Numéro6...La femme scrutait la salle. Son regard se posa sur Hope et elle afficha un
grandsourire.–L'éléganceincarnée...çavaêtretrèslongcedéjeuner,chuchotaHopeàJosh
alors que sa nouvelle belle-mère se dirigeait vers elle. Si tu restes avec moijusqu'audessert,jet'épouse.– Amelia, déclara la belle plantureuse en tendant une main aux ongles
éclatants. Tu dois êtreHope, n'est-ce pas ? Tu es beaucoup plus jolie en vrai
qu'enphoto.Hoperestacoite.Ameliasepenchapour l'embrasser,offrantàJoshunevue
plongeantesursondécolletéet,par ricochet,uncoupdepieddeHopesous latablepours'yêtrenoyé.–Tonpèreestentraindegarerlavoiture,ilarrivetoutdesuite.–Ahoui?réponditHope.–Tunepeuxpassavoircommejesuiscontentedefairetaconnaissance,ilme
parletantdetoiquej'aiparfoisl'impressionquetuvisavecnous.–Parcequevousvivezdéjàensemblebiensûr...–Ilnetel'apasdit?Ànosâges,tusais,nousn'avonsplusdetempsàperdre.–Etçavousfaitquelâge?Cettefois,cefutHopequireçutuncoupdepiedsouslatable.–Josh!annonça-t-ilentendantsesjouesversAmelia.Jesuisenchanté.AutrecoupdepieddeHopesouslatable.–Quelbeau jeunehomme!s'exclamaAmelia.Vousêtes tellementmignons
touslesdeux.Jedistoujoursqu'uncoupledoitêtrebienassorti.–C'esttrèsaimabledevotrepart,réponditJoshd'untonbienveillant.–Jedoisdirequevousêtestrèsassortieàmonpère.–Vraiment?réponditAmelia,lavoixperchée.Tumefaisplaisir.Entrenous
je peux te l'avouer, je me demande parfois si ton papa n'est pas un peu tropsérieuxpourunefemmecommemoi.–Qu'est-cequivousfaitpenserunechosepareille?Monpèremédecin,vous
infirmière,siça,cen'estpasbienemboîté...–Mais je ne suis pas infirmière, je travaille dans lemarketing de produits
pharmaceutiques!SilenceconsternédeHope.–J'aicompris,ditAmeliaenriantdeboncœur,tumetaquinais.Tonpèrem'a
ditquetuavaisbeaucoupd'humour.–Moinsquelui,maisjemedéfends.– Et toi Josh, qu'est-ce que tu fais dans la vie ? interrogea Amelia en se
tournantverslui.Troisième coup de pied qui força Josh à reconsidérer l'altitude de sa ligne
d'horizon.–Jesuis...étudiantenneurosciences.Hopegriffonnaquelquesmotsàlava-vitesurunboutdepapierqu'elleglissa
discrètementsouslecoudedeJosh.Ilbaissalesyeuxetlut:«Bégayependantquetuyes!»–Qu'est-cequec'est?questionnaAmeliaquiavaitvu lemessagepasserde
l'unàl'autre.
–Rien,Hopemerappelaitquej'avaiscoursdansunquartd'heure.–Maistuvasleséchercecours,hein?dit-elleenluiserrantlepoignetsifort
quesamainblanchit.–Jeneseraispasétonnéequetonpèretraînevolontairementpournouslaisser
faireconnaissance,ditAmeliaenregardantparlavitrine.–Bravo,vousvenezdemarquerunpoint,vousleconnaissezmieuxquejene
l'imaginais.–Jenecherchaispasàmarquerdespoints. Je saisqu'iln'yaaucune raison
qu'unejeunefemmedetonâgeappréciecellequifréquentesonpère.–Jeunefemme,vraiment?– Le mien aussi était divorcé et je haïssais par principe toutes celles qui
tournaientautourdelui.Jenetedemanderaipasdem'aimer,nimêmequenousdevenionsamies,maissiaumoinsonpouvaitbiens'entendre,ceserait...–Monpèreestveuf!– Et en quoi consiste lemarketing de produits pharmaceutiques ? enchaîna
Josh.– Eh bien, je rends visite aux médecins pour leur présenter les nouveaux
médicaments développés par le laboratoire pour lequel je travaille. Je leurexpliquelesmiraclesdenosnouvellesmolécules.–Etleurseffetssecondaires...,ajoutaHope.–Également.D'ailleurs,c'estsouventdansleuratténuationquelesnouveaux
médicaments se distinguent. C'est comme cela que j'ai rencontré Sam, repritAmelia.–Leseffetssecondaires...,lâchaHope.Sonpèrearrivaenfin.– Impossible de trouver une place dans ce quartier, dit-il en s'asseyant.
Pourquoias-tuchoisiunrestaurantaussiéloignéducampus?–Pourrien,réponditHopeenfixantAmelia.SamconsidéraJoshetseraidit.–Tunemeprésentespastonami?–Maissi,papa,jeteprésentetongendre!Samavaladetraversettoussa,manquantdes'étouffer.–Josh,ditcedernierentendantlamain.Etrassurez-vous,jenesuisqueson
petitami.–Petitcomment?interrogealepèredeHope.–EnfinSam!intervintAmelia.Oùsontpasséestesmanières?SamacceptalapoignéedemaindeJoshetseplongeadanslemenu.–Qu'est-cequ'ilyadebon?J'espèrequelacuisinevautledéplacement,dit-
il.
–Enplatdujour,ilyadelapoitrinedeporc,elleestdélicieuse,lâchaHope.LavacheriedeHopeéchappaàAmeliaqui regrettadenepouvoirygoûter,
elleétaitvégétarienne,paramourdesanimaux,précisa-t-elle.–Comme je vous comprends, j'aime tellementmon père que je n'ai jamais
vouluenmanger,enfin,apriori...certainsfontdesentorsesàleurrégime.–J'aiuneidée,lançaJosh.–Uneseule?rétorquaSam.JoshsetournaversAmeliapournepluss'adresserqu'àelle.–Hopeetsonpèrenesesontpasrevusdepuisdesmois,nouspourrionsles
laisser seuls un moment. Que diriez-vous d'aller visiter la ville pendant unepetiteheure?Lezooestjusteàcôté.AmeliaregardatouràtourHopeetSam,etseleva.–J'endisleplusgrandbien.JoshsepenchaversHopepourl'embrasser.Elleluifitunegrimaceredoutable,
bienqu'ensonforintérieurellepensaitn'avoirjamaisétéaussiamoureusedeluiqu'àcet instant.Aupointmêmed'éprouverunepointede jalousieà l'idéequ'ilpasseuneheureenlaseulecompagniede«pétassenuméro6».Samnesavaitquoidire,maisleregarddesafillemitfinàtoutehésitation.–Sicelanetedérangepasmongarçon.–Jem'appelleJosh,monsieur,reprit-ilavantd'escorterAmeliaverslaporte.Pèreetfille,unpeugênés,lesobservèrentsortirdurestaurant.–Jesais,tunel'aimespas,ditlepère.–Jenevoispaspourquoi tupensesça,réponditsafilled'untonfaussement
innocent.–ÇasuffitHope,cettemaniequetuasdejugerlesgenssanslesconnaîtreest
insupportable.–Paslesgens,tesnanas,cen'estpaspareil.–Ameliaalecœursurlamain.–Aveclepoidsdesesseins,pasétonnantqu'ilsoittombésibas.Samobservasafille,elleéclataderireet ilneputrésisterplus longtempsà
l'enviedelaprendredanssesbras.–Mafille,tonrireestunremèdeàtouslesmaux.–Onpourraitproposeraulabodetafiancéedelemétaboliserpourenfaireun
médicament.–Ilestbien?–Lerôtideporc?–Non,tonJason.–Josh!Définis-moi«bien».–Ilterendheureuse?
–Çanesevoitpas?–Si,c'estbiencequim'inquiète.–Pourquoi?–Pourrien,jemesentaisobligédejoueraupèrejaloux.Enfin,peut-êtreparce
quejelesuisunpeu.Turessemblestellementàtamère.–Nedispasn'importequoi,jeteressemblecommedeuxgouttesd'eau.C'est
bienmaveine!–Jeparlaisdetoncaractère.–EtAmelia,est-cequ'elleterendheureux?–Autantquepossible.–Alorsjesupposequ'elleestbien.
Sam interrogea Hope sur ses études, ses projets, sa vie au quotidien. Ses
réponsesfurentévasivesetellelequestionnaàsontour.Sam s'accoutumait chaque année un peu plus à sa vie en Californie. San
Francisco était une ville au climat agréable. Il partageait son travail entre soncabinet et l'hôpital. Il y avait d'ailleurs fait la connaissance d'une jeune etbrillanteneurochirurgienneets'étaitpromisdelaprésenteràHope.Ellepourraitcertainement l'épauler dans ses études. À condition qu'elle renonce un jour àcette idée saugrenue de ne faire que de la recherche au détriment de la vraiemédecine.–Maisbonsang,qu'est-cequetupeuxêtrevieuxjeuparfois.Jen'aipasenvie
d'êtreaucontactdesmalades.Jenesaispascommenttufaispourrentrerlesoirsanslesrameneravectoi.Jenepourraipas,l'empathietucomprends?Jeseraismaladeaveceux,jesouffriraisdetouteslespathologiesdontilssouffrent...–Hope,cequiestarrivéàtamèren'estpashéréditaire.Mets-toicelaentête
unefoispourtoutesetsoignetonhypocondrie.–Alors,là,c'estlemondeàl'envers,moihypocondriaque?Quiest-cequime
faisaitpasserdesbatteriesd'examensdèsquej'avais38,2?–Etalors?Tuverraisuncordonniernepasressemeler leschaussuresdesa
fille?– J'aimepassionnément ceque je fais,Papa.Mais j'ai trouvémavoie, et je
voudraistellementquetul'acceptes.–Tucroisquejefinanceraistesétudessicen'étaitpaslecas?Jeprendsjuste
plaisiràtetaquiner.–C'estsérieuxavecAmelia?–Jen'ensaisrien,c'estunpeutroptôtpourledire.–Maisvousvivezquandmêmeensemble.
–C'estpluspratiqueainsi.Etpuis jen'ai jamaissupporté lasolitude.Et toi,c'estsérieuxavecceJason?–Tulefaisexprès?–Ilal'airconvenable,enchaînaSam,iladel'allure.–Oui,c'estsérieux,enfin,sis'aimerestconsidérécommesérieux,maisonne
vitpassouslemêmetoit.Tum'aslouéunechambredansundortoiroùlamixitéestinterdite,tut'ensouviens?–Vraiment, j'ai fait ça ?Bizarre, ça neme ressemble pas.Bon d'accord, si
vousêtestoujoursensembleaprèsl'été,tupourrastechercherunautrelogement.Jesupposequ'iln'apaslesmoyensdet'héberger.– Eh bien si figure-toi, c'est ce qu'il fait d'ailleurs. Mais il partage son
appartementavecuncopain,pournotreintimitécen'estpasidéal.–Jenesuispassûrdevouloirentendreautantdedétails.Et toi, tuneveux
riensavoirsurAmelia?–Non,maissiçatefaitplaisir...–Elleestdivorcée,elleaunefilletrèsgentille,Helena,quiadix-huitans.–Ellevitaussiavectoi?–Tunevaspasêtrejalouse?–Vousrestezlongtemps?–Non,noussommesattendusàuncongrèscesoir,àBoston,etnousrepartons
demainenfindejournée.–Jecroyaisquetuétaislàpourmoi.–Jen'aiacceptél'invitationquepourtrouverunprétextedefuirl'hôpitaletde
venirtevoir.–Tumemanques.–Toiaussitumemanques,mafille,àchaquemomentdemavie.Taphotoest
surmonbureau,surlemanteaudelacheminée,mêmesurmatabledenuit.–J'espèrequetularetournesquandAmeliaettoifaitesdesgalipettes.–Tusaiscequ'ilyadeplusbeauetdeplusterribledanslavied'unpère?–D'avoirunefillecommemoi?–Delavoirpartirvivresavie.
Aucoursdudéjeunerletempsremontaitsoncours,lesramenanttousdeuxà
une époque où, dans la cuisine d'unemaison à CapeMay, chacun racontait àl'autre sa journée. Hope avait l'impression d'avoir revêtu ses habits d'écolière,alors,elleparlaàsonpèredesesétudes,desonespoirdedécouvrirunjourunremèdeàlamaladiedel'oubli,maisellenementionnapassesprojetsavecJoshetLuke.
Sam,commeilavaitcoutumedelefairejadis,luiparladesespatients,desesaprès-midi à l'hôpital, de ce poste de chef de service qu'il n'était pas seul àbriguer,mais pour lequel il nourrissait de grands espoirs, et puis aussi parfoisd'Ameliaquandl'aiguilledutempsreprenaitsamarcheenavantalorsqueHopeévoquaitJosh.Cemoment complice fila sans qu'ils s'en aperçoivent,même siHope pensa
uneoudeuxfoisàJosh,peut-êtreparcequ'elleauraitvouluqu'ilsoitlà.IlschoisissaientundessertquandSamreçutunmessaged'Amelia.Elleavait
enviedefairedescoursesetlelaissaittoutentieràsafille.Ilsseretrouveraientàleurhôtelenfind'après-midi,lecongrèsnedébutaitqu'àdix-huitheures.–Tusécheraistescours?demandaSam.–C'estunequestionpiègepourtestermonassiduité?–Non, pour tester ton envie de passer unmoment avec ton père et pour te
dévergonderunpeu.–Jen'aicoursquelematin.–Alors,allonsnouspromener, jene le faisplus jamais,et tume raconteras
commenttuasrencontréJason.Hopesemorditleslèvres,etemmenasonpèremarcherlelongdelarivière.
Assissurunbanc, ilsévoquèrentsonenfance,et firent revivreune femmequileurmanquait.Ilestdessouvenirsquelesannéesn'effacentpas.–LorsqueMamanestmorte,j'ainourrienmoilechagrindesonabsence,jele
nourrisencore.Jenevoulaispasqu'ilm'abandonneaussi,celaauraitétécommelaperdreunedeuxièmefois.Jen'avaisplusquecettedouleurpourmerattacheràelle,confiaHopeàsonpère.Ilsetournaverssafilleetl'observaattentivement.–Tusais,àl'hôpital,avecquelquescollègues,nousavonsouvertuneclinique
pour ceux qui n'ont pas lesmoyens de se faire soigner. Enfin, clinique est ungrandmot,c'estunesortededispensaire.Cetteannée,nousavonsunenouvelleclientèle,desréfugiés,commeonlesappelleàlatélévision.Ceuxquipourfuirlaviolencedescartelsabandonnenttoutetfranchissentlafrontière.–Pourquoitumeracontesça?–Parcequ'ilestdesendroitsdecemondeoùlamortemportetantdegensque
letempsdudeuilnedurepasplusd'unjour,parfoisseulementuneheure.Etpuislamortestoubliée,parcequ'uneautreluisuccèdeetuneautreencore,etsil'onnedonnepastoutcequel'onaensoipoursurvivre,c'estvousqu'elleemporte.C'estlequotidiendeceuxquisubissentlaguerre,deceuxquimeurentdefaimousouslesballesdestyrans,alorsj'aifiniparpenserquec'étaitunprivilègequetamèrenousmanqueencoreautant.
Ilspoursuivirent leurpromenade jusqu'audéclindu jour.Hopepromità son
pèrede lui rendrevisiteà l'été.Sampromit à sa fillede revenir auprintemps,enfin,dèsqu'illepourrait.Ilsseséparèrentàuncarrefour.Samavaitoffertdelaraccompagner, mais Hope avait prétendu préférer rentrer par ses propresmoyens.C'étaitunfiermensonge.Etdèsquelasilhouettedesonpèredisparutauloin,HopepritsontéléphonepourappelerJosh.–Tuviendraismechercher?luidemanda-t-elled'unevoixpâle.
*
Sam retrouvaAmelia au bar de l'hôtel. Elle l'attendait, vêtue d'une robe dusoir.–Elletevabien,tuviensdel'acheter?–Cetterobeestunevieillechoseettum'asvuelaporteraumoinstroisfois.
J'aipassél'après-midiàappelermesclientsdepuislachambre.–Tun'espasalléefairedushopping?–Sam,nemesous-estimepasàcepoint.C'étaitbienavecHope?–Oui,c'étaittrèsbien.–Tuvasdétestercequejevaistedire,maisceJoshestungarçonformidable.–Confidencepourconfidence,Hopet'atrouvéedélicieuse.–Jen'encroispasunmot,maisc'estunjolimensonge,detapart...oudela
sienne.
*
Hope était retournée s'asseoir sur le banc.Un taxi vint se ranger le longdutrottoir.Joshluifitunsignedelamainpendantqu'ilréglaitlacourse.Puis,ilsepressadelarejoindre.–Tuasprisuntaxipourvenir?–Çaavaitl'airurgent.–Jetefaisfairen'importequoi,untaxin'estvraimentpasdansnosmoyens.–Toutdépenddesmoyensquel'onsedonne,etpuisn'exagéronsrien.–C'étaitcommentlezoo?– Il y avait des éléphants, des girafes, des lions, des tigres, et même des
zébufflons.–C'estquoiunzébufflon?–C'estquandunzèbreacouchéavecunbufflon.Nousnesommespasallés
au zoo. Je l'ai emmenée dans un fast-food végétarien près du campus. C'étaitabject,maiselleafaitsemblantd'aimer.Ameliaestunechicfille.–Tun'aspastropreluquésesseins?
–Tuestriste,Hope?–Jenepeuxpasmeplaindre,ilyaplusmalheureusequemoi.–Penserqu'onn'apasledroitd'êtretristeparcequ'ilyabienplusmalheureux
quesoiestaussistupidequedes'interdired'êtreheureuxparcequ'ilyabienplusjoyeux.–Monpèrem'ademandésic'étaitsérieuxentrenous.–Etqu'est-cequetuluiasdit?–Quesijet'aimec'estjustementparcequetun'espasquelqu'undesérieux.–Tuluiasditquetum'aimais!–Ettoi,tum'aimes?– Je vais te confier quelque chose,Hope, quelque chose que je n'ai encore
jamaisdit,pasmêmeàLuke.Jesuisuneimposture.Situsavaistousleseffortsquejefaispournepasdeveniradulte.Jeveuxresterémerveillécommequandj'avaisdouzeans,parunpèreetsafillequiéchangentleregardquej'aiaperçudanscerestauranttoutàl'heure,paruncouplequis'embrasse...–Quis'embrassecomment?interrompitHope.–Commeça, répondit-il en l'embrassant. Jeveuxêtre touchéenvoyantdes
vieuxcommeceuxqui sontassis sur lebanc là-basetqui sourientencoreà lavie,oudevantunchienquiaunebonnetêteetquiteregardecommesituétaisl'incarnation même du bonheur. Je t'ai déjà parlé de ce bâtard qui fut moncompagnond'enfance?–Non,maiscontinue.–Jeveuxresterémerveilléparunsecretquel'onéchangedanslesilenced'un
regardaumilieude tous,commeceuxquenouséchangeonssouventencours,êtreemportéparcesfousriresquivoussubmergentquandilnefautsurtoutpasrire, taspécialité,etmêmeparlapeurd'êtreabandonné,parcequej'ai toujourspeurquetutelassesdemoietquetut'enailles.Jecroisquel'onreconnaîtparmimille autres ceux qui aiment comme nous, ceux qui voient le monde avec lamêmeinnocence,ceuxquientretiennentl'espoir,ceuxquidoutentd'eux-mêmes,maispasdeceuxqu'ilsaiment.C'estunprivilègedeteconnaître,Hope.Ellesepenchaàsonoreilleetmurmuraqu'elleavaitenviedelui,maintenant.Joshnesefitpasprieret,fauchépourfauché,ilsifflauntaxiquipassaitpar
là.
*
Le lendemain, ils retrouvèrent un Luke d'humeur maussade. À l'intercours,c'est à peine s'il adressa la parole à Josh et il fallut àHope déployer tout sonhumourpourl'amadoueralorsqu'ilspartageaientunebièreunpeuplustarddans
l'après-midi.LukefinitparavouerquelespremiersrésultatsdesesexpériencesauCentre n'étaient pas concluants.Quelque chose ne fonctionnait pas et il enignoraitlacause.Hope proposa d'y passer la soirée et qu'ils revisitent tous ensemble le
protocole.Lukeaccueillitfavorablementcetteidée,ouplutôtlefaitqu'elleforceJoshàseconsacrerenfinàleurstravaux.
*
Les journées s'enchaînèrent, laborieuses, entre les cours, les révisions desexamens et les soirées qu'ils passaient au Centre, reprenant leur expérience àzérochaquefoisqu'elleéchouait.Ilsgrappillaientàtourderôlequelquesheuresdesommeil,parfoisauhasardd'uncoindetableou,quandlanuitseprolongeait,àmêmelesoldulabo.Les examens approchaient.Hope avait le visage émacié et les yeux cernés.
Josh avait renoncé à lamoindre cigarette, Luke ne touchait plus à une goutted'alcool,maiscelanesuffisaitpasà lesmainteniren forme.Leseuldimanchequ'ilss'accordèrentfutentièrementconsacréàdormir,dormiretdormirencore.Pour survivre à la semaine des examens, ils se gavèrent de boissons
énergisantes améliorées par les talents de chimiste de Hope. Ils réussirent àpasser brillamment leurs épreuves, non sans avoir connu trois crises detachycardiemémorablesdontl'unelesconduisitauxurgencesoùilspassèrentlanuitavantqueleurcœurnedaignesecalmeretqu'unmédecinleuradministreunsérieuxsavon.Leurdiplôme leur ouvrait les portes de l'annéeuniversitaire à venir,mais il
restait encore àLuke commeà Josh à en assurer le financement. Pour cela, ilfallait poursuivre leurs expériences au Centre et surtout rassurer Flinch quicommençaitàdoutersérieusementdeleurprojet.Hope,quin'avaitpasceproblème,nemanquapourtantpasà l'appelet tous
troiss'ydévouèrentcorpsetâme.Deux étapes avaient été franchies, les neurones continuaient de se relier les
uns aux autres sur les plaques de silicium, et les processeurs ainsi formésrépondaient de façon satisfaisante aux programmes simples que Josh leursoumettait. Ils avaient ainsi réussi à commander un interrupteur, à faire semouvoirunpetitrobotetmêmeàluifairetransporterunmorceaudesucrequ'ilsaisissaitàlademandeàl'aided'unepincearticuléeassembléeparLuke.Onétaitencoreloind'uneintelligenceartificielle,maiscommelerappelaitconstamment
Josh,toutcelaétaitréaliséàpartirdeneuronesprélevésdanslecerveaud'unrat.Laprouesserestantàaccomplirétaitdefairecommuniquercescomposantsavecceuxd'unordinateur.Une nuit, alors que la climatisation excessive dans la pièce la faisait
frissonner, Hope réchauffa ses mains sur le ventilateur d'un des serveursinformatiques. Ses doigts engourdis retrouvèrent leur couleur rosée. Elle seretournasubitementversJoshquis'évertuaitàfaireconversersespetitsprotégésavecleurscousinsélectroniques.–Ilssontfrigorifiés.Nostêtardssontparalysésparlefroid,cria-t-elle.C'est ainsi que Hope appelait les puces organiques. Il lui arrivait même
d'attribuerdesprénomsàcertainesd'entreelles.–Quand elles se relient, elles consomment de la chaleur et perdent de leur
énergie.Ilfautquenouslesréchauffionsau-delàdes37,2.–Toute l'industriechercheà refroidir sescomposants,et toi tuveux faire le
contraire?objectaLuke.–Lesnôtressontvivants!rétorquaHope,sansêtretotalementconvaincuedu
bien-fondédesonraisonnement.MaisellepensaquesiFlemingavaitdécouvertla pénicilline après avoir oublié des cultures dans son laboratoire alors qu'ilpartait en vacances, des nuits entières passées à se geler dans une pièce tropclimatiséeméritaientbienuncoupdepoucedudestin.JoshetLukeéchangèrentunregarddubitatifetHopevitqu'elleavaitréussià
lesfairedouter.–Aprèstout,pourquoipas?lançaJosh.–Parcequ'onrisquedelestuer,c'estunebonneraison,non?objectaLuke.–Alorsnousrecommenceronslesétapesunetdeux,répliquaHope.–Etnousperdronsdeuxàtroissemaines.JedoutequeFlinchnousenaccorde
autant.–Justement,tentonsletoutpourletout,enchaînaJosh,pousséparl'énergiedu
désespoir.–Uneminute!lançaHope,levantlebras.Noussommesbiend'accordquesi
çafoire,ceseralaconséquenced'unedécisioncollégiale?–Etsicelamarche,ceseraaussilefruitd'uneidéecollégiale?demandèrent
LukeetJoshdeconcert.– Jen'avaispaspenséàça,mais...une foisquevousm'aurez tous lesdeux
amplementremerciée...offertundînerroyal...etdeuxjoursdevacances...c'estd'accord!– Dis-moi, Fleming, balança Luke goguenard en lui posant la main sur
l'épaule,selontoiàquelletempératuredevrions-nousfairegrimperlesplaques?
Hopefitsemblantderéfléchir,sachantpertinemmentqu'ellen'enavaitpaslamoindre idée.Elleévaluaà troisdegrés l'écart thermiquequiavait ramenésesphalanges à la vie, ses petits têtards devraient certainement se contenter demoins,souspeinedes'offriruncoupdechaudfatal.Ellejouaàcomptersursesdoigts,mimaunesoustractionimaginaireets'exclama:–Trente-huitdegrés!Non,37,8,corrigea-t-elleaussitôt.–Tudisçaaupif!lâchaJoshensemoquantd'elle.–Cettepetiteremarqueestd'uneraregoujaterie,maispuisquetul'asdeviné,
j'ensuissoulagée.–Alors,commençonsà37,5,situleveuxbien.
Joshdéposaunéchantillonnagedeleurs«têtards»suruneplaquechauffante
etessayadecontrôler tantbienquemal l'élévationde leur températureà l'aided'unesonde. Ilseurentunegrossefrayeur lorsqu'ellegrimpad'uncoupau-delàdestrente-huitdegrésavantqueLuken'aitpuretirerlespucesorganiquesetseprécipitepourlesconnecterauxcâblesquipendaientdel'ordinateur.Toustroisretenaientleursouffle.
*
À six heures du matin, Luke, Josh et Hope faisaient la fermeture d'un baraprès avoir dignement célébré le premier transfert d'informations entre desprocesseursorganiquesetleurshomologuesélectroniques.Flinchn'enfutinforméparLukequelesurlendemain.Nonparcequ'ilsavaient
voulureproduirel'expériencepourlaconfirmer,cequ'ilsfirentnéanmoinsaprèsavoirannoncé leursuccès,maisparcequ'avantcelaaucundes troisn'auraitpuarticulerunephraseintelligible.Loindereprésenterensoiunapportsubstantielaudomainede l'intelligence
artificielle,leurréussiterésidaitdanslaglobalitéduprocessus.Aussipetitesoit-elle, une infime partie du vivant avait été transférée sur unemachine. Ce quiavait été accompli à moindre échelle pourrait l'être aussi un jour dans desdimensionsbienplusconséquentes.Raisonnementquin'échappaitpasàFlinchlorsqu'ilfitréglersur-le-champpar
LongviewlesfraisuniversitairesdeJoshetLukepourlesdeuxannéessuivantes.
*
Àlami-juillet,HopeetJoshseséparèrentpourlapremièrefois.HopetenaitsapromesseetpartaitrendrevisiteàsonpèreàSanFrancisco.Joshsacrifiaunegrandepartdesonbudgetmensueldansl'achatd'unforfait
téléphonique,qu'ilépuisaenhuit jours.Lukevintàsa rescousseetoffritde le
recharger contre la promesse d'un peu plus de retenue. Ce n'était pas tant lenombred'appelsqu'ilssepassaientquiavaitdilapidéleforfait.Lesoir,Hopeetluiseracontaientleurjournéeets'endormaient,leportableposésurl'oreiller,necoupantlacommunicationqu'aprèss'êtreditbonjouraumatin,etilenfutainsitouteslesnuits.Lorsque le père deHope partait à l'hôpital, elle sortait découvrir la ville, et
SanFranciscoluiplaisaitunpeuplusdejourenjour.Elleaimaitflânerdanslequartier de Castro, se promener le long de la marina, chiner dans les petitesboutiquesd'UnionStreet, et quand le brouillardnevenait pas draper la pointenorddelapéninsule,seprélassersurlesablenoirdeMarshall'sBeach.Hope, qui s'était d'abord résignée à la présence d'Amelia, finit par s'y
accoutumer.À table, elleavait leméritedecombler les silencesquiavaient sisouvent terni les soirées de son adolescence.Amelia avait toujours de bonneshistoiresàraconter.Anecdotesépiquestiréesdesesvoyages,portraitsdeclientsqu'elleimitaitàmerveille,ourécitsdesesbévuesquis'avéraientfameuses.Hopeluidécouvritunedrôlerieinsoupçonnéequilatoucha,peut-êtreplusencoreunesincéritéàl'égarddesonpère,etlorsqueAmelialeurannonçadevoirrepartirentournéeauxquatrecoinsdel'État,elleregrettapresquesondépart.Amelia s'en alla un matin. Hope et Sam l'aidèrent à charger sa voiture et
restèrentcôteàcôtesurleperronjusqu'àcequ'elledisparaisseaucoindelarue.SamretournalepremierdanslamaisonetappelaHopeduhautdesmarches.–Nemedispasqu'ellevatemanquer,entoutcaspasavantquejen'aiepris
unboncafé.– Jen'irai pas jusque-là,mais je ne serais pas contreunbon café.Onva le
prendreenville?– Je n'ai pas le temps, Hope, j'ai du travail, répondit Sam en enfilant sa
gabardine.Ilattrapasasacochedansl'entréeet,unefoisinstalléauvolantdesonbreak,il
abaissalavitreetsaluasafilled'ungestedelamain.Était-ce la vieille Ford ou ce geste qui avait soudain ravivé de lointains
souvenirs?Hope se précipita vers le bureaude sonpère. Profitant de son absence, elle
allait vider placards et armoires jusqu'à ce qu'ellemette lamain sur ce qu'ellecherchait.Oùpouvait-ilavoirrangélesreliquesdesonenfance?Elle revoyait son père, alors qu'elle s'apprêtait à quitter lamaison de Cape
Maymonter les remiser au grenier dans une boîte en carton, comme s'il avait
voululuimontrerqueluiaussisauraittireruntraitsurleurvie.Elleavaitsouritendrement,devinantquec'étaitlaseulechosequ'ilavaittrouvéepourmasquersonémotion.Ici,iln'yavaitnicomblesnigarageetelleavaitdéjàfouillélebureau,lesalon
etlesdeuxchambres.Elleregrimpaàl'étageetfilaversledressing.Lesaffairesd'Ameliaoccupaientdéjàlesdeuxtiersdespenderies.Hoperepoussalesvestesde son père, se hissa sur la pointe des pieds, maudissant la nature de ne pasl'avoirfaiteplusgrande,écartaunepiledepull-overssuruneétagèreetétouffauncridejoie.Laboîtesecachaitsousdevieuxdrapspliés.Ellelareconnutinstantanément
etemportasontrésordanslesbras.Elle s'assit en tailleur, souleva le couvercle et s'attela, fiévreuse, à démêler
l'imbrogliodesouvenirsquis'offraientàelle.Parmiquelquespeluches,unfauxtubederougeàlèvres,desbijouxdepacotille,descahiersdedessinsetunétuiàcrayons,unlivrepourenfantcaptasonattention.Elleleposasursesgenoux.Leconte illustré relatait l'histoire d'un petit singe qui découvrait émerveillé leslumièresdelaville.Hopeentournalespages,seremémorantlesintonationsdesamèrelorsqu'elleleluilisait.Ellel'approchadesonvisageetrespiral'odeurdupapier,espérantyretrouverunparfumoublié.Unetraceinfimeluiauraitsuffi,maislelivrerestamuet.Hopeétudialonguementchaqueobjetavantdelesranger,remitlaboîteàsa
placeetneconservaquelelivrequ'elleenfouitaussitôtdanssavalise.
*
Le jourdesondépart,elle futpourune fois levéeavant sonpère.Le tempsétaitvenuderejoindrelacôteEst.Ellen'avaitplusdenouvellesdeJoshdepuisquesonforfaitavaitexpirédeuxjoursplustôtetsavoixluimanquait.Elleavaittentédelejoindreparl'intermédiairedeLuke,sanssuccès,laissantàtouthasardsursaboîtevocaleunmessageindiquantsonhoraired'arrivée.Surletrottoirdel'aéroport,alorsqu'unagentordonnaitàSamdedéplacerson
véhicule, elle jura à son père qu'elle avait passé un merveilleux séjour. SampromitdefairetoutsonpossiblepourluirendrevisiteàNoël.–Tunem'enveuxpasdetelaisserseul?–Ameliarentrerabientôt.Jel'embrasseraidetapart.–Situveux.–Tuastrouvécequetucherchais?Hopepritunairétonné.
–Dansmes affaires... Tu aurais pu remettre les choses comme tu les avaistrouvées.–Jet'aivoléunvieuxpullquetunemetsplusjamais.Jeleporteraicethiver
enpensantàmonpapa,fétichismedefille.–Alorstuasbienfait.Prendssoindetoi,tuvasmemanquer.Hopesejetaaucoudesonpèreetluiditqu'ellel'aimait.Samluifitpromettre
del'appelerquandelleseraitarrivée.–Promis,cria-t-elleens'engouffrantdansleterminal.Ellemarchaversl'escalator,fitdemi-touretseblottitcontrelabaievitréepour
regarderlasilhouettedesonpèregrimperdanslevieuxbreak.
*
Cesoir-là,Samdécouvritsursatabledenuitundessind'enfant,aucrayondecouleur.Il le regarda longuement, alla chercher un cadre dans son bureau et ôta la
photooùonlevoyaitrecevoirunprixpourl'yglisser.–Pourquoies-tudevenueadulte,murmura-t-ilenreposantlecadre.
7.
Hope invoqua saint Chien, saint Dromadaire, saint Lion, sainte Baleine etsaintMortimer(unnuagequiressemblaitàfeul'undesesprofesseursd'anglais)pourqueJoshl'attendeàl'arrivée.Elle avait depuis longtemps la conviction que lorsqu'un nuage prenait
l'apparenced'unêtrevivant, il étaithabitépar sonâme.Cettedouce folieétaitnée un soir de cafard où elle avait aperçu dans le ciel deCaroline duSud lesformesd'unvisagequiluiavaitlaissécroirequesamèrevenaitàsarescousse.En sortant de la passerelle, elle pensa que les hublots d'avions étaient
hermétiquesauxvœuxet s'aventuradéçuedans la coursive.Unepairedebrasl'enserraetlasoulevadeterre,ellepoussaunhurlementquifitseretournerdeuxpoliciersenfaction.–Tuesvenu?–Bennon,tuvois,c'estmonhologramme.– Il sent drôlement bon, ton hologramme, dit-elle en plongeant son visage
danslanuquedeJosh.–J'aideuxgrandesnouvellesàt'annoncer,dit-ilaprèsqu'ilseurentéchangéun
longbaiser.–Tuesenceinte!–Trèsdrôle,réponditJosh.Hopel'entraînaversletapisàbagages.–Alors,quellessontcesnouvellesextraordinaires?–Flinchnousaoctroyéunlaboplusgrandetmieuxéquipé.–Enquelhonneur?–Ladeuxièmenouvelle!Nousavonsbeaucoupprogressédepuistondépart.
Nonseulementdesprogrammespluscomplexesfonctionnent,maisjecroisquenousavonsréaliséunevraieprouesse.J'aieuuneidéedegénie.
–Silabrigadedelamodestiepasseparlà,tuprendsperpète,monJosh.Joshluipromitqu'iln'exagéraitpas,ilmouraitd'impatiencedel'emmenerau
Centrepourleluiprouver.L'idéenesemblapasemballerHope.–Jen'aipasditquenousdevionsyallerdèscesoir,repritJosh.–Menteur,tuencrèvesd'envie,maisjevaisd'abordrécupérermavalise.–Jecrèved'enviedefairel'amouravectoi!s'écria-t-il.Autour du tapis à bagages, les passagers relevèrent les yeux de leurs
smartphones.–C'estréciproque!répondit-ellesurlemêmeton.Savoisineladévisagea,l'airinterdit...oupeut-êtreenvieux.
JoshavaitempruntélavoituredeLuke.Arrivésàl'appartement,ilsgravirent
l'escalierencourantetseruèrentverslachambre.LadouceurdeHopelesurprit,àmoinsquecefûtdesedécouvriràsontour
capabled'unetendressequ'iln'avaitencorejamaisexprimée.Illuienfitl'aveu,brasderrièrelatête,unpétardauborddeslèvres.– Tu ne comptes pas allumer ce truc-là dans ma chambre ? dit-elle en se
tournantverslui.–Auxdernièresinfos,c'étaitlamienne.– Pas quand je m'y trouve, mon Josh. D'ailleurs, jusqu'à ce que nous
emménagionsdansunlieurienqu'ànous,jeveuxpayermapartdeloyer.–Pasquestion,objectaJosh.Tuveuxvraimentqu'onprenneunappartement
ensemble?–Vunosmoyens,unstudioseraitdéjàpasmal.Joshse levapouraller inspecter lecontenudu réfrigérateuretelle l'entendit
luidiredepuislakitchenette.–OnvaauCentre?
*
À cette heure tardive, la plupart des salles du Centre étaient éteintes. Enparcourantlecouloir,Hopejetaunœilaurobothumanoïdequisemblaitdormirsursonsocle.Sonvisageenlatexétaitencoreplusréalistequelafoisprécédenteetcettevisionlafitfrémir.–OùestLuke?demanda-t-elleenentrantdansleurlabo.–Tyla.–Tyla?–Lafilleaveclaquelleilpassaitlasoirée...etlanuitaussi,ondirait.– Nous parlons du même Luke ? Comment l'a-t-il rencontrée ? Tyla, c'est
bizarrecommeprénom,non?
–Iltelediralui-même,etnonjetrouveçaplutôtjoli.–Ondiraitunnomdepoisson.DeuxfiletsdeTyla,s'ilvousplaît!–Tuneseraispasjalouse?–DeLuke?Tudébloquescomplètement.–Non,deTyla.Jusqu'àcejour,tuétaislaseulefilledelabande.–N'importequoi,protestaHopequisavaitbienqueJoshnes'étaitpastrompé.
L'arrivéed'uneintrusel'agaçait.–Alorsjedébloque!Tuneveuxpasquejetemontrenotreprouesse?–Etc'estdéjàsérieuxaveccettefille?Jenesuispartiequedeuxsemaines.–Pournous,cen'étaitpassérieuxdèslepremiersoir?–Bond'accord,jesuispeut-êtreunpeujalouse,maispasdeLuke.–Puisque tu ledis,concédaJoshensepenchant sur l'écranpourattirer son
attention.Lespremières imagesmontraientdescoupesd'uncerveau,queHopedevina
provenird'unPETscan.Deszonesdecouleur s'animaient sur l'écran,dansunanglelesmots«actions»et«cognition»sesuccédaient.–Àquiappartientcecerveau?demandaHope.–Tumetrouvescomment?–C'estletien?Jecomprends,enchaîna-t-elle.Tut'ennuyaissansmoietpour
techangerlesidées,tuaspasséunscanner...c'estladernièrefoisquejetelaisseseulsilongtemps.–Nousn'avonspasledroitàuncobayehumain,ilfallaitbienquel'undenous
s'ycolle,maistutetrompes,jen'aipasséaucunscanner.Hoperestaperplexe.–Nous avons placé des centaines d'électrodes surmon crâne, et durant des
heures,nousavonsenregistrél'activitéélectriquedemoncerveaualorsqueLukestimulaitmamémoire en faisant appel à des souvenirs communs.Nous avonsensuite codifié ces données et les avons envoyées à un calculateur qui areconstituécequetuvoissurcetécran.–Ce sont des représentations numériques de tamémoire ? interrogeaHope
époustouflée.– Oui, encore très imparfaites. Comme je te le disais, des heures
d'enregistrements pour seulement quelques secondes retranscrites, mais lerésultatestbienlà.Desfragmentsdemamémoiresontstockéssurundisqueduret nous pouvons les émuler en images. Un jour, nous pourrons les décryptercomplètement, recréer ce que j'ai vu, reproduire les sons que j'ai entendus,restituermessensationsetpourquoipasmesémotions?– Et je suis où dans cet arc-en-ciel de couleurs ? demanda Hope en se
penchantversl'écran.
–Là,ditJoshendésignantunezone.Regarde,c'esttoutchamarré.HopesetournaversJosh,etluijetasesbrasaucouavantdel'embrasser.–Vousêtesdeuxbeauxsalopsd'avoirréussiçasansmoi.– La caméra ! chuchota Josh en relevant les yeux vers la diode rouge qui
clignotaitsurlemur.Hopebranditsonmajeuretl'embrassaencoreplusfougueusement.–Alorscommeça,tumevoischamarrée?
*
L'arrivée de Tyla dans la vie du trio posa tout de suite un problème delogement.Même si un petit salon séparait les deux chambres, il était difficiled'envisagerunequelconqueintimitéàquatredansuntrente-huitmètrescarrés.SelonLuke,JoshetHopeavaienteuleurquotadesoiréesetilrevendiquason
tour. Dès lors, Hope occupa ses matinées à éplucher les petites annoncesimmobilières. Elle réussit à traîner Josh dans des visites qui restèrentinfructueuses. Aux annonces aguichantes correspondait toujours une réalitédécevante.Joshserésolutàdonnerplusd'heuresdecoursparticulierspourqu'ilspuissent
s'offrirunloyerplusélevé.Enattendant,Hopedormaitavecluilesjourspairs,etTylaavecLukelesjoursimpairs...Etl'ambiancen'étaitpasaubeaufixe.IlémanaitdeTylaunevoluptéexubérantequi,pourHope,frisaitlavulgarité.
Que ce soit par ses tenues vestimentaires ou ses attitudes, elle était l'érotismemêmeetHopesedemandaitvraimentcequ'unhommeaussibrillantqueLukepouvaittrouveràcettefille.Lalimpiditédelaréponselacrispaitencoreplus.Unmatin,HoperéveillaJosh.–Tu te senscapablede lui troquer l'appartement tout leweek-endcontre sa
voiture?–Luke!criaJosh,çatediraitdegarderl'appartementpourvousdeuxtoutle
week-end?–Oui,çamedirait!entendit-ondel'autrecôtédelacloison.–Alors, c'estOK, répondit Josh,nousprendrons lavoiture.Voilà, c'est fait,
dit-ilenseretournantversHope,etoùva-t-on?–ÀCapeMay.–Qu'est-cequ'ilyaàCapeMay?– Jecherchedepuisdeux semaines lenomduparfumdemamèreet çame
renddingue.–Tuassongéàledemanderàtonpère?–Sujettabou,horsdequestion.
–Etonneletrouvequelà-bas?–Messouvenirsd'enfancesontlà-bas,etj'aimeraislespartageravectoi.
Luke était à peine réveillé queHope entendait déjàTylagémir, et le regard
qu'ellelançaàJoshfutsansappel.Ilspréparèrentunsacàlahâte,passèrentchezHopepourqu'elleyglissequelquesaffairesetlaroutes'ouvritdevanteux.IlsarrivèrentàCapeMayaumilieud'unejournéeoùlachaleurétaitécrasante.
Leur voyage s'acheva au pied d'une dune qui dominait l'Atlantique. La plagepresquedésertes'allongeaitàpertedevue.HopeetJoshsedisputèrentlesvagues,etl'océanroulantsahoulelesramenait
chaquefoissurlesable.Alors que les heures chaudes laissaient enfin place à la douceur du soir, ils
récupérèrentleursvêtementsetHopeconduisitJoshverslequartieroùelleavaitgrandi.Les rues ensablées par endroits étaient bordées demaisonnettes en bois, les
plusmodestescoifféesd'unetoitureengoudron,lesautresdetuilesenShingle.Àl'avantdecesmaisonss'étalaientdescarrésdepelouse,piquésdebosquets
fleurisdontlescouleurstranchaientavecl'ocreduciel.Hopes'arrêtaprèsd'uneclôtureaucroisementdeSwanetdeWenohaAvenue
etpointadudoigtunpavillon.–Derrièrecettefenêtreàl'étage,c'étaitmachambre.–Tuveuxqu'onsonne?Lesgensquihabitentlànouslaisserontpeut-êtrela
visiter,suggéraJosh.–Non,j'aimemieuxlapréservertellequejel'aiconnue.–Dequoiestmortetamère,Hope?Laquestionlasurprit,ellehésitauninstantettiraJoshparlamain.–Viens,luidit-elle.IlsremontèrentMichiganAvenueàpiedetlongèrentlelacquis'étendaitentre
larouteetlesterrainsdetennispublicsdeCapeMay.–Ellen'apasvuunecamionnettequidébouchaitdecetterue,expliquaHope
ens'arrêtantàl'intersection.Elle avait dit cela d'un ton aussi détaché qu'un policier qui aurait fait son
rapportàsessupérieurs.Elles'enétonnaelle-mêmeetpoursuivitpourtantaveccettemêmefroideur.Sousl'impactduchoc,lavoitureavaitfaituneembardéeets'était couchée sur le flanc pour terminer sa course folle en s'enfonçantrapidementdansl'eausaumâtredupland'eau.–Jesuisdésolé,Hope.
–Nelesoispas,tun'yespourrien.Etpuisjeneveuxpasd'unhommedésolédansmavie.Pourquoitunemeparlesjamaisdetesparents?–Jelesadore,maisnousn'avonsrienànousdire.–Qu'est-cequ'ils'estpassél'annéedetesdouzeans?–Dequoituparles?–Laseulefoisquetuasévoquétonenfance,tum'asditvouloirrestertoujours
émerveillécommequandtuavaisdouzeans.–...C'étaitlesoirdemonanniversaire.Monpèremeregardaitdansleblanc
desyeux, l'airunpeupaumé,alors je luiaidemandécequin'allaitpas. Ilm'adit : «Quand est-ce que j'ai perdu cette lumière que je vois en toi ? » J'ai euenviedene jamaisvieillir. Il a fait de sonmieux,mais cen'était pas suffisantpourmamère.Jecroisqu'elleacessédel'aimertrèsjeune.Moinonplus,jen'aipassularetenir.–Moi,mesparentsétaient fous l'unde l'autre, repritHopeens'éloignantdu
lac.Delesavoirvuss'aimerautantplacelabarretrèshaut.Etilaurasuffid'unmomentdefaiblessepourtoutficherenl'air.–C'étaitunaccident,tunepeuxpasluienvouloir.–Jeparlaisdemoi.J'étaisenclassedesports,jemesuismiseàsaigner,j'ai
paniquéet j'ai demandéà ceque l'onappellemamèrepourqu'elleviennemechercher.Allons-nous-end'ici,c'estsonparfumquejesuisvenuechercher,pasl'odeurdelamort.Le soir tomba vite et l'obscurité les surprit en chemin. Ils retrouvèrent la
Camaroàlalueurdeleurstéléphonesportables.HopeindiquaàJoshladirectiondupetitportdeCapeMay.Aprèsledîner,ilssillonnèrentlavilleàlalumièredespharesetchoisirentun
petitmotelquisemblaitavoirpousséentredeuxdunessurleborddelaroute.Lachambre,auconfort rudimentaire,necomportaitqu'un lit etunesallede
douche,maisilsn'avaientbesoinderiendeplus.
*
CetteéchappéeàCapeMaymarquauntournantdansleurhistoire.Alorsquelalumièredumatinseposaitsur le lit,Hopeeut lacertitudeenregardantJoshdormirqu'ellenevoudraitplusjamaisd'autrehommequeluiàsescôtés.Joshéprouvalemêmesentiment,unpeuplustarddanslajournée.Hopeétaitheureuse,elledansaitsurlesableetriait,commesitouslessecrets
dumonden'étaientconnusqued'elle.Ilss'aimaient,maisplusencore,ilss'étaientchoisis.
Hope,ensortantdesvagues,luidit:
–TusaisquoimonJosh,lespetitsmomentsdelavie,ehbienilsnesontpaspetitsdutout.
*
Le lendemain, Joshpartit tôt fairedescoursesà l'épicerieducoin.Lorsqu'ilrevint,lesbraschargésdepaquetsdechips,d'uncakebonmarchéetd'unpackde bières, il trouva Hope, assise en tailleur, un livre sur les genoux et sonportableenmain.–UnmessagedeLuke?–Non,jechercheuntrucsurInternet.–Queltruc?– La façon dont s'altèrent lesmolécules de parfum, ou plutôt si un solvant
quelconquepeut lesréactiver.J'espéraisqueceseraitàmaportée,mais jesuismoinsdouéequejenelecroyais.Joshobservalelivreetposasespaquets.–Tuasessayédemouillerlepapieravantdetecompliquerlavie?Hoperelevalesyeux,ensedemandants'ilsemoquaitd'elle.Sanslequitterdu
regard,ellehumectasonindexetl'appuyasurlecoind'unepageavantd'ycollersonnez.Elleinspiraprofondémentet,lesyeuxpleinsd'émotion,s'imprégnadelaplus
bellehistoirequecontenaitl'ouvrage.Hopeavaitreconnuleparfumdessoirsoùelles'endormait,lajoueposéeaucreuxdelamaindesamère.Ellerefermalelivreetlerangeadanssonsac.Lebutdecevoyageétaitatteint,aprèsunedernièrepromenadesurlaplage,
ilsreprirentlaroute.
*
Le retour à l'appartement les ramena brusquement à la réalité. Luke lesaccueillitencaleçonetTyladanslepeignoirdeHope.Le lendemain matin, à peine levés, ils installaient leurs quartiers dans un
Starbucks.PendantqueHopeépluchait lesannonces immobilièressurInternet,Joshparcouraitcellesdesjournauxlocaux.Lesvisitess'enchaînèrenttoutaulongdelasemaine.Joshsedécidaàélargir
lepérimètrede leurs recherches et ils finirent par jeter leurdévolu surun loftspacieux et lumineux, ce qui contrastait en tout point avec le quartier où ilsl'avaientdéniché.Maisauprixqu'ilsavaientnégocié,iln'étaitpasquestiond'êtretropregardants.Unappelàsonpère,aucoursduquelilluiconfiavouloiremmenerAmeliaen
voyageàNoël,permitàHoped'obtenirsacaution.
Lebailfutsignéetilsemménagèrentlesurlendemain.
*
La finde l'été futhappéepar la rentréeuniversitaire. Joshquittait la facultédès la sortie des cours et rejoignait son élève, toujours aussi peudoué.Puis ilréenfourchaitlevéloqueHopeluiavaitoffertundimanchepasséàchinerdanslesbrocantespourmeublerleurloftetfilaitauCentreoùl'attendaitLuke.Hopelesyrejoignaitdèsqu'ellelepouvaitettoustroisconsacraientlaplupartdeleurssoiréesàdesrecherchesquianimaientbiendesconversations.Tyla se lassavitedecette situationet rompitavecLukeà lami-octobre, lui
préférant lecapitainede l'équipedebasket.Lukeencaissa lecoupetnoyasonchagrinenpassantencoreplusdetempsauCentre.Àlami-novembre,Flinchluiattribuaunposted'assistant.Lukefutflattédela
confiance que lui accordait son professeur et savourait d'être récompensé decetterelationprivilégiée.Tyla n'était plus qu'un souvenir et le trio se reforma comme aux premiers
jours.Sanslachargedetravailexcessive,sanslesproblèmesd'argentauxquelsJosh
etelleétaientconfrontés,sanslesmigrainesàrépétitionquil'obligeaientàporterdeslunettesdèsqu'elleposait lesyeuxsurunécran(lunettesqu'elletrouvaitsimochesqu'ellelesmettaitseulementlorsqu'elleavaitl'impressionquesoncrâneallait exploser), sans l'absence de son père qui ne quittait plusAmelia, la vien'auraitpuêtreplusbelleetl'avenirplusprometteur.Et les avancéesde leurs expériences auCentre l'étaient tout autant.Grâce à
une intervention de Flinch auprès du directeur de l'hôpital universitaire, ilsavaient obtenu le droit d'utiliser un scanner deux fois par semaine, une heureavantquel'équipedemaintenancen'arrivepourenvérifierlesréglages.Cetteautorisationdevantresterconfidentielle,uneprocédureavaitétémiseen
placeafinquesonutilisationrestelaplusdiscrètepossible.Ainsi, les jeudis et dimanches, la fine équipe entrait dans le CHU par la
morgue à 22 h 55, parcourait un couloir qui débouchait sur la chaufferie,accédaitdepuislààunmonte-chargeàbordduquellestroisadultesremontaientàl'étagesupérieurentredeswagonnetsemplisdelinge.Neleurrestaitplusqu'àfranchiruneportedeservicepouratteindrelesinstallationsducentred'imageriemédicale,ferméàcetteheure-là.Enrespectantscrupuleusementceprotocole,ilsavaient à leur disposition des équipements de pointe pendant cinquante-cinqminutes avant de devoir s'éclipser tout aussi discrètement. Cette petite heure
permettait àLukede comparer les images reconstruitesparordinateur à cellesobtenuesparlescanneroùilsoumettaitJoshauxmêmesstimulations.Auboutd'unmois,Hopes'opposafermementàcequeJosh,mêmeaunomde
la science, continue de s'exposer deux fois par semaine au champmagnétiqued'une machine dont Luke ne maîtrisait le fonctionnement que depuis peu detemps.Larecherched'unautrecobayefutjugéepréférable,maisilrestaitencoreàletrouver.Au début de l'hiver, Hope décida de profiter de temps en temps des
installations du Centre à d'autres desseins que ceux auxquels se vouaient sesamis.Dèsqu'ellelepouvait,ellelesabandonnaitdiscrètementpourallerseréfugier
dans la première salle vide qu'elle trouvait et se pencher sur ses propresrecherches.Un soir, alors qu'elle s'offrait une pause à la salle d'attente, elle fit la
connaissance de deux étudiantes, l'une allemande, l'autre japonaise. Ellesœuvraientauclonagedecellulescérébrales.Uncourantdesympathies'installaentre elles et elles prirent l'habitude de se retrouver quand le besoin d'uneboissoncaféinéesefaisaitsentir.Soir après soir, Hope leur posa mille questions et finit par entrevoir une
possiblecomplémentaritédansleurstravaux.Toutdumoinsentrelesleursetsondomainedeprédilection:lesmaladiesneurodégénératives.Elle suscita leur intérêt enémettant l'idéeque l'onpuisseclonerun jourdes
cellules saines et les réinjecter pour traiter certaines pathologies de ladégénérescence cérébrale. Pour étayer son raisonnement, elle se servit desrésultats obtenus par Josh et Luke. Les deux étudiantes ne tardèrent pas àcomprendrecequeHopepouvaitleurapporter.Ainsi,illuiarrivadeplusenplusfréquemmentdedélaisserlesgarçonspour
rejoindresesnouvellesamies.SiLukeetJoshmirentuncertaintempsàs'enrendrecompte,cequiconforta
Hopedans sadémarche, ce changementd'équipen'échappapas àFlinch.Toutd'abord, il ne sembla guère s'en inquiéter, mais alors que Noël approchait, ilconvoquaHope.Puisqu'elleavaittrouvéunvéritablecentred'intérêt,elledevraitse soumettre aux mêmes règles que les autres, tout du moins si elle voulaitcontinuer à bénéficier des avantages de Longview. Sa présence à la réunionhebdomadaireneseraitplusfacultative,elledevraitrendrecompterégulièrementdeson travail,eten fairebénéficier lacommunauté, fautedequoiellen'auraitplusaccèsauCentre.
Hopedemandaunsursispouryréfléchir.Flinchluiimposauneréponseavant
lafindel'année.Lorsqu'elle décida d'en parler à Josh, elle s'irrita qu'il ne l'écoute que d'une
oreilledistraite.Ce soir-là,Hope avait recouvert la caisse en bois qui faisait office de table
basse d'une jolie nappe blanche, achetée elle aussi au cours d'une expéditiondominicaleauxpuces,dresséuncouvert,unpeubaroquepuisqueaucuneassietten'étaitassortie,etserviàJoshsonplatpréféréetleseulqu'ellesavaitàpeuprèscuisiner.Mais pendant le dîner, Josh l'interrompit chaque fois qu'elle essayait de
prendrelaparolepourrevenirsursestravaux.– Ce que Luke a accompli cette semaine est prodigieux, s'exclama-t-il en
refusantqu'elleleresserve.–Autantquemonplat?–ÉcoutebiençaHope,nousavonspresquemappéletiersdemoncerveauet
stockévingttéraoctetsdemamémoire.–Ettoi,tum'écoutes,Josh?–Oui,c'estdélicieux,maislàjen'aivraimentplusfaim.–Tusaisquenousnesommespasencoremariés?–Tuveuxqu'onsemarie?–Jenecroispas,non...Tumeprendsdéjàpourtabonniche!–Maisqu'est-cequej'aidit?–C'estplutôtcequejen'aipasréussià tedire!Tuneparlesquedetoi,de
Luke,devosfoutuesrecherchesettunemeposespaslamoindrequestion.Ondiraitquedepuisunmoisjen'existeplus.Est-cequetut'esrenducomptequejenepasseplusjamaismessoiréesavecvous,quejetravailledansunautrelabo,quej'aiunevieendehorsdenotrecouple?–Tuasunproblème?demandaJoshsurprisparcetaccèsdecolère.–Endehorsdecesmigrainesquimerendentdingue,dufaitquenousn'avons
pas dix dollars en poche pour nos cadeaux deNoël... Tu sais que c'est après-demainouçaaussitul'asoublié?EndehorsdufaitquetupassestouttontempsavecLuke, que tu rentres dans la nuit si épuisé que tu en oublies de te serrercontremoi...– Ton père ne vient plus passerNoël avec nous ? interrompit Josh d'un air
avisé.–Ilestpartiavant-hieravecAmeliaàHonolulu,jetel'aidit,maisçaaussitu
nel'aspasentendu.
Josh se releva et se tint droit comme un soldat de bois, arborant un largesourire...–Puisqu'onenparle,est-cequetucroisencoreaupèreNoël?Nemeregarde
pascommeça,jenevoudraisenaucuncast'influencer.–T'esconparfois,monJosh.–Bon,j'enconclusquetun'ycroisplus,dommage,maisaumoinscequeje
vaisfaireneserapaslacaused'unedésillusiondonttumetiendraisresponsable.Il se renditvers l'armoire (unecantinemétalliqueéquipéed'étagèresauprix
d'unlaborieuxbricolagequil'avaitoccupétoutunsamediaprès-midi),passalamainsousunepiledevêtementsetensortitunepetiteboîteenrubannée.–JoyeuxNoël,dit-ilfièrementenl'offrantàHope.Ellerestademarbre,défitlenœud,soulevalecouvercleetdécouvritunepaire
de lunettes. Hope se souvenait très bien l'avoir vue dans la vitrine d'unantiquaire, près des docks où se tenait la brocante du dimanche. Elle s'étaitémerveilléedelalégèretédecettemontureenécaillevéritable.–Tuesfou,dit-elleenlesposantsursonnez,ellesétaienthorsdeprix.–Demain,nousironsvoirunophtalmo.Adieulesmigrainesetjeretrouverai
lafemmequej'aime,cellequiesttoujoursdebonnehumeur.– Et moi, est-ce que je retrouverai mon Josh ? Je l'ai perdu depuis des
semainesetjen'arrivepasàremettrelamaindessus.–Avecdebonneslunettes,ceseraplusfacile.Hopepassasesbrasautourdesoncouetl'embrassa.–Jen'aipasdecadeaupourtoi.–Çan'aaucuneimportance.Pardond'avoirétéabsentcesdernierstemps.Je
veuxyarriver,jeveuxpouvoirt'offriruneautreviequecelle-là,unappartementoùnousneseronspasobligésdeporterdeuxpull-oversquandilfaitfroid,unevieoùnouspourronsalleraurestaurantquandnousenauronsenvieetpartirenvoyagesansavoiràchoisirentreunpleind'essenceetunrepas.C'estpourcelaquejebossecommeunfou.–MaismonJosh,jeneveuxriendetoutça.Enfinsi,peut-êtreunjour,mais
aujourd'hui,cedontj'aienvie,c'estdedînerenfacedetoi,mêmeassiseparterre,mêmeavectroispullssurledos.C'esttoimonplusbeauvoyage.SesbraspesaientsursanuqueetJoshsentitcombienelleétaitépuisée.Il la
portajusqu'àleurlit.–Tu travailles trop,Hope, c'est aussi à cause de cela que tu as ces foutues
migraines.Ledocteurquej'auraispudevenirteprescritunebonnenuitderepos.Illadéposadoucementets'allongeaprèsd'elle.–Alors,dequoivoulais-tumeparler?
–Decequifaitquejenedorsplus,dit-elleenfermantlesyeux.Jedoisfaireunchoixetjen'arrivepasàmedécider.J'aibesoindetesconseils.–Quelchoix?–Cesoir,jevaisécoutermonmédecin,mêmesic'estunfauxtoubib,nousen
reparleronsdemain.Ellebâillalonguement,seretournaets'endormitpresqueaussitôt.Josh épia son sommeil. Le visage de Hope se crispa. Elle devait faire un
cauchemar. Elle en faisait fréquemment depuis quelque temps, le réveillantparfoisaumilieudelanuit.Illuicaressalefrontetsaprésencefinitparl'apaiser.Demainellenesesouviendraitderien.Etdemain,c'étaitlaveilledeNoël.
*
Unetempêteselevadanslanuit,leventsecouaitlabaievitréeduloftoùlatempérature avait chuté.Hope vit son souhait exaucé quand Josh frigorifié seblottitcontreelle.Lorsqu'ils se réveillèrent, elle se précipita à la fenêtre. Des flocons, gros
comme des houppes de coton, virevoltaient avant de s'agglutiner au manteauneigeux.LavilleétaitdéjàblancheetpourHoperienn'étaitplus joyeuxqu'unNoëlenneigé.Puisquelanatures'étaitdonnédumal,iln'étaitpasquestiond'êtreenresteet
Hopecherchacommentcélébrerdignementlasoirée.–Cequ'ilnousfaut,dit-elle,c'estunvrairepasdefête.–Etunradiateurd'appoint,ajoutaJoshenenfilantunautrepull.–Çaaussi!Ilvidalapochedesonjeanetcomptalesbilletsfroissés.–Vingt-cinqdollars,dit-il,c'esttoutcequej'ai.Monélèveestenvacances...–Etpendantquesafillesegèle, ilemmèneAmeliaàHonolulu!grommela
Hope.–Cen'estpaslafautedetonpèresinoshiverssontglacials.–Questiondepointdevue,répondit-elleenallantouvrir le tiroird'unvieux
meuble à clapetsdatantdes annéesquarante, lameilleure affairequ'ils avaientfaite.–Qu'est-cequetucherches?–Ça!ditfièrementHopeenmontrantunecartedecrédit.Ilm'aditenmela
confiant : « À utiliser en cas d'urgence. » Quand sa fille a froid, c'est uneurgence!–Onnepeutpasfaireça,Hope.
*
Ilscommencèrentparlouerunecamionnetteetprirentladirectiond'ungrandcentre commercial de la banlieue. Hope acheta deux radiateurs à huile. Elles'arrêtachezl'opticien,quidiagnostiquaunlégerastigmatismeetluicommandales verres correcteurs pour les lunettes que Josh lui avait offertes. Elle offritensuiteàJoshunmanteaulongetuneécharpeenlaine.Ils dévalisèrent un traiteur, faisant réserves de provisions pour le soir et la
semaineàvenir.–OnachèteaussiuncadeauàLuke?demanda-t-elleenpassantdevantune
librairie.–Tunecroispasquetuexagères?réponditJoshquiavaitrenoncéàcalmersa
frénésiedépensière.– Huit nuits dans un hôtel luxueux, les billets d'avion, les cocktails sur la
plage,lesrestaurants...non,jepensequ'onestencoreloinducompte.–Quetuleveuillesounon,dèsquejelepourrai,jeluirembourseraitoutesles
foliesquetuasfaitesaujourd'hui.–Aveccequel'ongagne,cen'estpaspourdemain.Enattendant,joyeuxNoël,
Papa.Onrentre?
*
Ilspassèrentl'après-midiàpréparerlasoiréedontHopeavaitrêvé.ElleavaitconviésesdeuxamiesduCentre,etJoshavaitinvitéLuke.Ce fut un beau soir de fête.Avantminuit, la tempête de neige fit un retour
remarqué, les bourrasques redoublaient de force. Depuis la baie vitrée, ondistinguaitàpeinelesvoituresgaréesdanslarueencontrebas.Hopesortitdescouverturespoursesinvitésquidormiraientlà.
8.
Lematin du 25 décembre, un événement d'apparence anodine plongea Joshdansuneréflexionquiseraitdéterminantepoursonavenir.Lapetitebanded'amiss'évertuaitdepuisuneheureàlibérerlavoituredeLuke
del'épaissecouchedeneigequilarecouvrait.Ilenétaittombéabondammentaucoursdelanuitetlepassaged'unedéneigeusequipropulsaitsurlestrottoirscequ'elleôtaitàlarueavaitempiréleschoses.Josh et Luke pelletaient sans relâche pendant que Hope et ses deux amies
creusaientautourdesrouesavecdesoutilsdefortune.Joshglissa suruneplaquedeverglaset tomba facecontre terre.Tandisque
Lukes'esclaffait,ils'essuyalevisageavecsongant.Soudain,l'odeurdeneige,leriredeHopeetlavoixdeLukequilepriaitdeseremettreautravailfirentsurgirunsouvenirdufonddesamémoire.L'hiver de ses onze ans, son père l'avait emmené dans leConnecticut. Ils y
passaient leurs premières vacances depuis que sa mère était partie faire descoursessansêtrerevenue...Sonpèreavaitlouéunemaisonmodestemaisconfortable,prochedel'estuaire
delarivièreSaugatuck.– Gray Creek, murmura Josh. Elle se trouvait à Gray Creek, au bout de
QuentinRoad.Etlesimagescontinuèrentdedéfilersoussesyeux.Il revit la moustiquaire devant la porte d'entrée, l'unique pièce au rez-de-
chaussée,sakitchenetteet lesdeuxfauteuilsaucuirpatinéqui faisaient faceàune télévision. À l'étage, deux petites chambres se partageaient une salle dedouche.Lamaison sentait levieuxbois et la cire.Uneguirlandeélectrique sepromenait sur la corniche du toit. Josh aimait sa faible lumière qui grignotaitl'obscuritéetlasolitudedesachambre.
Lesoir,avecsonpère,ilsserendaientàpiedjusqu'àuneépicerie,oùElvira,lapatronne,enfournaitdespizzasdansungrandfour.Joshregardaitlapâtedorersoussesyeux.Unmatin,ilavaitdûaidersonpèreàdégagerleurvoituredelaneigequiétait
tombéeaucoursdelanuit.Cequiavaitcommencécommeun jeuavaitviréaucauchemar.Sonpèrese
moquaitdeluiparcequ'ilnepelletaitpasavecassezdevigueur,etplusilriaitplusJoshsesentaitdiminué,humilié.Enluiarrachantlapelledesmainspourluimontrercommentfaire,sonpèreavaitglisséets'étaitblessé...«Tucomprendspourquoitamèrenem'aimepas.Jefaistoutdetravers.»Puis
sonpères'étaitexcusédel'avoirengueulé.Cematin-là,Joshavaitcomprisquesamèrenereviendraitjamais.–Commentai-jepuoubliercela?sedemanda-t-il.Etilpensaauxélémentsqui,ens'assemblant,avaientfaitresurgircesouvenir.
Sa chute, l'odeur de neige et lesmoqueries de Luke, trois éléments s'alignantcommeunecombinaisondechiffresquiauraitouvertlaported'uncoffre-fort.Hopen'avaitpastortendisantquelespetiteschosesdelavien'étaientpassi
anodinesqueça.Ilsongeaimmédiatementauxexpériencesqu'ilmenaitdepuisplusieursmois.
Jusqu'à ce jour, tout cequ'il avait réussi à stocker sur le serveurdeLongviewprovenait de sa mémoire immédiate. Il était arrivé que Luke lui rappellequelques souvenirs de leur adolescence au cours des séances d'enregistrement,maisilsn'avaientencorejamaiseul'idéed'allerplusloin.Et pour aller plus loin, il lui fallait accéder à la mémoire profonde, celle
enfouiedansl'inconscient.Maiscommentfairepourlastimuler?–Çava,Josh?Josh?LavoixdeHopeétaitlointaine.Ilemplitsespoumonsd'airetluisourit.–Oui,toutvabien.–Tut'esfaitmal?demandaLukeenl'aidantàserelever.Etilprofitadecettemaintenduepourluiglisserdiscrètementàl'oreilledele
retrouvercesoirauCentre.
*
Joshquitta le loftenfind'après-midi,prenant toutes lesprécautionspournepasréveillerHopequis'étaitendormie.Illuilaissaunpetitmotsurlacaissedusalonetsortitsurlapointedespieds.Ilenfourchasonvéloeteuttouteslespeinesdumondeàarriverjusqu'aubout
delarue.Lemacadamétaitgeléetlesrouespatinaientdangereusementdèsqu'ilappuyait sur les pédales. En tournant au carrefour, il fit une glissade
phénoménale et se rattrapa de justesse sous l'œil éberlué d'un passant quipromenaitsonchien.Troisruesplusloin,ilavaitgagnéunpeud'assurance.Lefroid lui mordait les joues, mais rien n'aurait pu l'arrêter dans sa course. Ilchangeadebraquetetaccéléra,gagnéparunsentimentdeliberté.Ilarrivajusteàtempsàlagareroutière,accrochasonvéloàunlampadaireet
sautadansunbus.Lukeavaitacceptédevenirlechercheràl'arrêtquisetrouvaitàdixminutes
duCentre.Ill'attendaitdanslaCamaro.–LejourdeNoël,onavaitvraimentbesoindebosser?–Tuasdéjàrêvédefaireuncasse?–Non,pasquejemesouvienne,réponditLuke.–Ehbienmoisi.Quandj'étaisgosse,j'ypensaischaquefoisquej'entendais
monpèrerâlerenouvrantsesfacturesetmedirequ'iln'arriveraitpasàbouclerlafindumois.–Rassure-moi...–Non,jenesuisjamaispasséàl'acte,jen'auraispasautantdeproblèmesde
fricsinon.–Tum'asdonnérendez-vouspourquoiexactement?– Tu vois, je ne pensais pas à un braquage à main armée, la violence n'a
jamais étémon truc.Ce quim'excitait, c'était l'idée d'un hold-up à l'ancienne,commedanslesfilmsdegangstersquemonpèreregardaitàlatélé.Ceuxoùlestruandspassaientpar leségoutsoudesgainesdeventilationpouraccéderà lasalleducoffreenfouieau tréfondsde labanque, làoùlevraimagotse trouve,celuiquipeutchangeràjamaislaviedesbraqueurs.–Oùtuveuxenvenir?–Depuis desmois, nous ne faisons que des petits larcins. Je crois que j'ai
trouvélemoyendefairelecassedusiècle.–Tuasencorefumé?–Jen'aipastouchéàunjointdepuisquejesuisavecHope!Enfinsi,unefois,
mais c'était avec elle pour lui faire essayer. Elle a passé la nuit au-dessus destoilettesetmoiàlasoutenir,depuisnada.Maiscen'estpaspourteparlerdecelaquenoussommeslà.–Tumerassures.–Alorsécoute,l'informationquisetrouvedanslamémoirelointainen'estpas
accessible à tout moment. C'est un peu comme le caissier de la banque quit'explique l'air désolé que le coffre est programmé pour ne s'ouvrir qu'à uneheurebienprécise.
–Tupourraisoublier toncaissier, tesbanqueset tes truandspour reveniraudomainequinousconcerne?–D'accord.Maistuverrasquemoncaissiervanousêtreutiledansquelques
instants.Faireremonternoslointainssouvenirsdemandecertainsefforts.Etplusnouspossédonsd'indicescontextuels,pluslerappeldevientfacile.Lamémoirefonctionne grâce à trois processus : l'encodage, le stockage et la récupération.L'encodage est influencépar la concentration.Mais àquoi sert de stockeruneinformationsionoubliequ'elleexiste.Notrecerveauutilisepleindestratégiespour rendre une mémoire durable, ou plutôt pour garder trace de ce qu'il amémorisé. Par exemple, toi qui n'arrives jamais à te souvenir du prénom desgensquetucroises,quelétaitceluidetadernièrepetiteamie?–C'estmalincommequestion,tucroisquej'aidéjàoubliéTalya?– Tyla pas Talya, andouille, et dire que ça ne fait que quelques semaines
qu'ellet'alargué!–Ma langue a fourché, c'est tout. Et pour ta gouverne, nous nous sommes
séparésd'uncommunaccord.– Commun accordmonœil, mais là n'est pas la question. Est-ce que tu te
souviendrasencoredesonprénomdansvingtans?– Je n'en sais rien, Josh, tu m'énerves avec ça, qu'est-ce que tu lui veux à
Tyla?– En ce qui concerne son QI j'ai toujours eu des doutes, elle n'était pas
l'intelligence incarnée, mais on doit reconnaître qu'elle avait une poitrinemagnifique.AvecHope,nousl'avionsbaptiséeBetty.–PourquoiBetty?–BenparcequeBettyBoobs.–Jenepeuxpascroirequevoussoyeztombéssibas.–Jen'auraispasdûutiliserl'imparfait,parcequesesseinsnesontpasperdus
pourtoutlemonde,jeconnaisunbasketteur...–Tuveuxfinir larouteàpied?s'énervaLukeenappuyantsur lapédalede
frein.– Roule, ordonna Josh. Tu vas comprendre. En t'énervant, j'ai créé un
événement particulier et inscrit dans ton cerveau une série de codes qui sontdésormaisliésàTyla.J'aiassociésonprénomàsapoitrine,évoquélesportifquienestmaintenant l'heureuxamantet jemesuismoquéd'elle.Ilsuffiraunjourquetuassistesàunepartiedebasket,ouquerepasseàlatéléundessinanimédeBettyBoop,ouencorequel'onsemoquedesformesd'unefemmepourlaquelletu éprouvesdes sentiments, et tu repenseras ànotre conversation, alors je suiscertainquetutesouviendrasqu'elles'appelaitTyla.–Tonraisonnementestconsternant.
–Attendsquej'arriveàsaconclusion.Lesélémentscontextuelssontautantdesources d'information permettant de mémoriser durablement un événement,comme des codes d'accès, des clés grâce auxquelles nous pourrons plus tardrouvrirdesportes.Sanscesindices,ilnousseraitimpossibledenoussouvenirdequoi que ce soit d'important. Mais pour qu'un souvenir se forme, il doit êtreracontable, nous devons être capables d'adopter un point de vue extérieur, denousraconterunehistoire.Etd'histoireenhistoire,notremémoirefaçonnenotreidentité.–Maisoùveux-tuenvenir,bonsang?–Même si l'hippocampe joueun rôle d'archiviste dans notre cerveau, reprit
Joshimperturbable,cen'estpasluiquistockel'information.Parcequ'iln'existepasunlieuuniquedestockage.Nosdifférentesmémoiressesituentpartout,ellescirculent, sous la forme de millions d'impulsions électriques. Pour qu'unsouvenirnousrevienne,ilfautquecesimpulsionsreproduisentunecombinaisonprécise à un instant donné. L'hippocampe n'est jamais que l'aiguilleur.Depuisdessemaines,nouspassonsnosnuitsauCentreàenregistrerdes fragmentsdemémoire,maisnoussommesàcôtédelaplaque.–Soit tuessousl'emprised'unedroguedure,cequiexpliqueraitpasmalde
choses,soitc'estmoiquisuisàcôtédelaplaque.–Nil'unnil'autre,j'aisimplementtoujoursfaitpreuved'uneintelligenceplus
brillantequelatienne.–Etdelamodestiequivaavec.–Tuvois,c'estexactementcequejesuggérais!Tuviensdemerappelerun
souveniravecHope,alorsquenousneparlionspasd'elle.–Bon,tuvasmedirecequenoussommesvenusfaireauCentre!–Nous allons affoler l'aiguilleur,mon vieux.Le bombarder de stimulations
quivontl'obligeràlâchertouslescodesqu'ilcontient.–Tuveuxperturberlecerveau?–AutantquelorsquetupelotaislesseinsdeTyla,peut-êtreunpeuplus,rigola
Joshensortantdelavoiture.Luken'eutd'autrechoixquedelesuivre.Ilsregagnèrentleursalledetravailet
Joshluiexpliquacequ'ilavaitentête.La première étape de son projet consistait àmettre au point un casque très
différentdeceluiqu'ilsavaientutiliséjusque-làpourcapterlesinfluxnerveuxducerveau. Le nouveau modèle ne serait plus seulement paré d'électrodes, maisproprementcomposéd'untissuneuronal.–Nous feronsproliférernosneuronesnonplus surdesplaquesde silicium,
maisdansun liquideconducteur.Cequi est à l'intérieurde laboîte crânienne,
nous allons le reproduire à l'extérieur. Dans un premier temps, expliqua Joshpossédéparsonsujet,nousallonsponctionnerleliquidecéphalorachidiendenosrats.Puisnousrépandronsceliquideentredefinesmembranes.–Quelgenredemembranes?demandaLukequicommençaitàcomprendre
cequeJoshavaitentête.–Desméninges!Nousmettronsenculturedescellulesdetissusméningéset
les laisserons se développer jusqu'à ce qu'elles s'agglomèrent. Puis, nous ydéposeronsnosneuronesetleslaisseronssereconnecterenréseau.Lorsquenousauronsobtenuunmaillaged'unedensitésuffisante,nousauronsdéveloppéuneinterfaceparfaiteentre l'ordinateuret lecerveau.Uneconnexionpointàpoint.DesmillionsdemicroélectrodesorganiquesquiassurerontunecommunicationentreleserveurduCentreetmoncortex.Cequireviendraàpasserdumodemdetongrand-pèreàlafibreoptique.–Tusaiscombiendetempscelaprendraitderéaliserunetelleprouesse?Si
nousyarrivonsunjour.–Est-cequ'ilyaseulementdeuxans tuauraiscrucelapossible !s'exclama
Joshenluimontrant lesplaquesdesiliciumoùscintillaientdanslalumièrelespucesbiologiquesdontLukeétaitsifier.–OK,ceque tu racontesprouveàquelpoint tuesdingue,maisadmettons,
pourleseulplaisirdel'exerciceintellectuel.Etensuite?–Ensuite,nousfaçonneronscecasquepourluifaireépouserlaformeexacte
d'un crâne. Le mien en l'occurrence. Et une fois que je le porterai, tu mesoumettrasàdesséancesdestimulationsintenses.Jem'équiperaidelunettesderéalité virtuelle et tu feras défiler en accéléré devant mes yeux des milliersd'images provenant de banques de données, en même temps que tu mesoumettras au travers d'écouteurs à une multitude de sons, tous les sonspossibles,lebruitduvent,delapluie,del'herbeoudugravierquel'onfoule,leclaquementd'uneporte,ungrincementdegond,leboisquicraque,unegommequiglissesurlepapier,etc.,breflessonsquel'onentendaucoursd'uneviesansyprêterattention,maisquisontautantdecodesquiagissentsurnotremémoire.–Etnouslestrouveronsoù?–Les bruiteurs au cinéma utilisent des banques de sons depuis des années,
ellessontillimitéesetonlestrouvesurInternet.–Turéalisesquetupourraistefairegrillerlecerveau.–Sansaller jusque-là,c'est toutdemêmeunpeucequejecomptefaire.En
confrontant l'aiguilleur à ces milliers de stimulations à une vitesse effrénée,j'espèrebienqu'ilperdralespédales.–Tuveuxfairedéraillertonhippocampe?Tuestotalementfou,Josh.–Déraillernon,maisl'obligeràouvrirtouteslesportesd'uncoup,oui.
–Etalors?–Alorsceseraleplusgrandcassedelascience,nouspourronspénétrerenfin
dansl'antredelamémoireprofondeetrecopierentièrementsoncontenuavantdenousenaller.TuserasBonnie,etmoiClyde.Lukesoupira,déroutéparlathéoriedeJoshaupointd'avoirenviederentrer
chezlui.Maisilentenditdesapplaudissementsdanssondosetseretourna.Flinchvenaitd'entrerdanslapièce.–Necroyezpasquejevousespionnais.Jetravaillaisjusteàcôté,j'aientendu
dubruitetjemesuisdemandéquipouvaitêtrelàunsoircommecelui-ci.–Unfou,réponditLuke,etunautrefoupourl'avoirécoutéjusqu'aubout.– Ah, je ne partage pas votre opinion, jeune homme. Ce que je viens
d'entendre est au-delà de la déraison, mais c'est exactement pour susciter cegenredefoliesquenousfinançonsvosétudes.Votrethéorieestaussilumineusequ'improbableetc'estd'ailleurspourcelaqu'elleaunechanced'êtregéniale.Nedit-onpasquerienn'estplusimminentquel'impossible?– Je vous remercie, lâcha Josh, sans cacher sa satisfaction d'avoir été enfin
compris.– Pour votre casque, nous avons peut-être ici de quoi vous faire gagner du
temps.Unedenoséquipesamisaupointunmatériauquipourraitvousêtrefortutile. Je vous mettrai en relation avec eux dans les plus brefs délais. Lacollaborationinterdisciplinaireestl'essencemêmedenotreorganisation,n'est-cepas?
*
–Nefaispascettetête,onnepouvaitpasdevinerqueFlinchrôderaitdanslesparages.–Etmoi, jenecroispasunesecondequ'il se trouvait làparhasard,objecta
Josh.–Qu'est-cequetusous-entends?–Quecontrairementàcequ'ilprétend,noussommesespionnés.–Tupensesqu'ilyaunmicrodanslelabo?–Jen'enseraispasétonné.–Pose-luilaquestion,répliquaLukealorsquelaCamaroquittaitl'autoroute.Il déposa Joshenbasde chez lui etpromitde réfléchir à leur conversation.
Rendez-vousfutprislelendemainauCentre.–Tucroisquej'aifaituneconnerieenlaissantpartirTyladanslesbrasd'un
autre?demandaLukealorsqueJoshouvraitlaportière.–Cen'estpaslaquestionquetudoisteposer,entoutcaspascommeça.–Alorscomment?
–Est-cequetul'aimaisvraiment?–J'étaisbienavecelleetj'avouequedepuissondépartlasolitudemepèseun
peu.–Jesuisdésolé,Luke.–C'estletempsquejepasseauCentrequiabousillénotrehistoire.Tun'yes
pourrien.–Cen'estpaspourçaquejesuisdésolé.JepensequetuaslaissépartirTyla
parcequecen'estpasellequetuaimes.EtavantqueLuken'aitletempsderépondre,Joshdescenditdelavoitureet
s'engouffradanssonimmeuble.
*
Hope était assise en tailleur à même le sol, un livre posé sur les genoux.Absorbéedanssalecture,ellen'avaitpasentenduJoshentreretilenprofitapourl'observer. S'il avait dû la dessiner, c'est exactement ainsi qu'il l'auraitreprésentée.Hoperévisaittoujourssescoursassiseparterre,uncrayonentreseslèvrescommeunecigarette,enroulantdesamaingaucheunemèchedecheveuxautourdesesdoigts.–J'aicruquetunerentreraisjamais,dit-ellesansreleverlatête.Joshpassadanssondosetl'embrassaavantdes'asseoirenfaced'elle.Hopeluijetaunregardmalicieux.–Qu'est-cequetuasencoretrouvé?–Pourquoidis-tuça?–Tufilesàl'anglaisependantquejedors,turevienstroisheuresplustardet
j'entends lavoituredeLukedans la rue.Tuas l'aird'unenfantàquionauraitpromis une semaine à Disneyland, et puis Luke et toi vous arrangez toujourspour faire une découverte quand je ne suis pas là. Je crois qu'en sciences onappellecelaunfaisceaud'élémentsconvergents.Maintenanttum'endisunpeuplusoutupréfèresallerdormirchezLuke?Joshsavaitàquoiils'exposaitenracontantsonprojetàHopeetsaréactionfut
conforme à ses attentes. D'abord elle le félicita. Son raisonnement étaitthéoriquementbrillant,etelle insistasurcepoint.Sibrillantqueseulunespritgénialauraitpul'élaborer.Elleexprimad'ailleurssonadmirationpourunetelleintelligence, enfin... une partie de cette intelligence, précisa-t-elle avantd'ajouter:–Parcequelamiseenpratiqued'unetelleidéenepeutreleverqued'unesprit
dérangé.Tuasperdulatête,Josh?Tuterendscomptedesrisquesquetucours?Etsitutebrûlaislecerveauenjouantauxapprentissorciers?
Josh s'efforça de la rassurer. Il faudrait des mois pour mettre au point leprototypeducasque,etpuisilavaitdéjàsongéàquelquesrèglesdesécurité.Lesséances de stimulation seraient progressives, elles ne dureraient au début quequelquesminutes,peut-êtremêmequelquessecondes,seraientespacéesletempsnécessaire à l'évaluation d'éventuels effets secondaires, et sil'électroencéphalogrammedecontrôleaffichaitlamoindreanomalie,ilymettraittoutdesuitefin.– La seule chose qui pourrait me rassurer serait que tu n'arrives jamais à
mettreaupointcefoutucasque,râlaHopeenreplongeantdanssalecture.Joshsegardabiendementionnerl'aidequeFlinchleuravaitproposée.
*
Le lendemain, en retournant au Centre, Luke réfléchissait aux différentesétapes nécessaires à l'élaboration de leur casque. De son côté, Josh avaitcommencéàcompilerlesbanquesd'imagesetdesonsdontilsauraientbesoin.Ilenavaitdéjàtéléchargébonnombresursonordinateurportable.Flinchpassadanslasalleetlespriadelesuivre.Il lesconduisitàtraversle
Centrejusqu'àuneportequ'ilsn'avaientencorejamaisfranchie.Ils découvrirent alors une aile du bâtiment où les espaces de travail étaient
plusvastes,leséquipementsbienplusimpressionnants.–Vous vous installerez bientôt ici, annonçaFlinch.Considérez cela comme
une promotion, seuls ceux de nos chercheurs œuvrant à des projets estimésprimordiauxontaccèsàcettepartieduCentre.Ilvadesoiquelasécuritéyestrenforcée.Icil'informationresteenvaseclos.–Qu'entendez-vouspar«primordiaux»?demandaJosh.Flinchs'arrêtaetsetournaverslui.–Vousaimezlire?–Oui,enfinquandj'enailetemps.–C'estlepointfaibledevotregénération,vousn'avezplusletempsdevous
poser devant un bon roman, et pourtant, si vous saviez comme souvent lalittérature présage les destinées de la science. Je me demande parfois si lesromanciers ne mettent pas plus d'entrain à user de leur imagination que lesscientifiques, à moins que ce ne soient les scientifiques qui ne lisent plussuffisammentpourstimulerleurimaginaire.Enfin,leschosessontainsi.Voyez-vous,ilyaunpeumoinsdesoixanteans,unjeunehommequirépondaitaunomdeKerouac écrivit un livre qui devint culte pour toute une génération,Sur laroute.Vousl'avezlu?–Non,avouaJosh.
–Vousdevriez.Kerouacmettaitenscèneununiversquicélébraitlavitesseetla liberté.Des jeunesdevotreâge traversaient l'Amérique,étreignant laviedetoutes leurs forces,n'ayantpour raisond'êtreque lavolontéd'aimer.Ceromanfutlelivredechevetdemonadolescence.Jesaiscequevouspensez,jen'aipasl'aird'avoirvouéuneadmirationeffrénéeàdesbeatniks,maisméfiez-vousdesapparences...Ilyaquelquesannées,unautregrandécrivainpubliaitàsontourunromanintituléLaRoute.CormacMcCarthy.–J'aivulefilmadaptédecelivre,annonçaJosh,soulagédenepasparaître
plusignorant.–Bienendessousduroman,maisbon,làn'estpaslesujet.Enfaitderoute,
celle de McCarthy est une autoroute post-apocalyptique, ses personnagessurvivent dans un monde recouvert de poussière, ils s'entretuent et pour toutmoyen d'évasion, le héros pousse un caddie de supermarché déglingué. Vousvous demandez où je veux en venir ? En cinquante ans, l'espoir en l'avenir adisparu.Jenepeuxpluscompterlesrécitsetfilmsquinousprédisentlafindumonde,desdémocraties,del'humanité.Quandcenesontpaslesguerresmenéespardesfanatiques,c'estunvirusoudesrobotsquinousanéantissent. Ici,nousentretenonsuneautrevisiondedemain,etnoustravaillonsàlamettreenœuvre.Alors, considérez cette zone du Centre comme une antichambre du futur. Unfuturpleind'espoir.Flinchseremitenmarche,LukeetJoshéchangèrentunregardintrigué.Ilspénétrèrentdansunesalleoùillesprésentaàuneéquipedesixchercheurs.
Luke remarqua tout de suite la complicité qui régnait entre Flinch et cesscientifiques.L'und'euxleurexposaleurprojet.–Neurolink, expliqua-t-il, avait pour objectif de développer une interface à
hautesperformancesentredesmicroélectrodeset lecortex,afind'effectuerdesmesuresélectriquesprofondesdanslecerveau.Lacompositionbiochimiquedenos électrodesnous apermisd'obtenir une liaison avec les signauxneuronauxd'une précision inégalée jusque-là. Les concepts développés dans notreprogrammesontvalidésdepuisplusieursmoissurlecortexd'unsinge.Etdepuisplusieurs mois, nos électrodes souples, dont les performances se révèlentsupérieures à toutes nos espérances, ont établi unevéritable interface cerveau-ordinateur.Ici,nousl'appelonsICO.–Vousavezréaliséuncloneinformatiquedel'encéphaled'unsinge?demanda
Joshabasourdi.Le chercheur adressa un regard à Flinch avant de répondre. Et comme ce
dernieracquiesçaitdelatête,ilsetournaversJosh.
–Exactement.Notre ordinateur est capable de simuler son cerveau.L'écrandevant vous est, pour ainsi dire, une sorte de primate électroniqueredoutablementintelligent.–Jecroisquevousavezmatièreàbienvousentendre,s'exclamaFlinchplus
satisfait que jamais. Vous pourrez collaborer à Neurolink d'ici une à deuxsemaines,letempsquej'officialisevosaccréditations.Un échange de poignées de main scella la promesse de cette coopération.
Lukeenévaluaitdéjàlesbénéficeset,pourpremierd'entreeux,letempsqu'elleleurferaitgagner.Ilressentaitunedélicieuseexaltationqueseulunsentimentdejalousievenaitcontrarier.Desoncôté,JosheutunepenséepourHope.Iljugeapréférablequ'elleignore
pour l'instant cette nouvelle situation. Lorsqu'elle viendrait au Centre, il luifaudrait trouver le moyen d'être discret. Il en parla à Luke sur le chemin duretour,etquandcelui-ciluiendemandalaraison,JoshluifitpartdescraintesdeHopequantauxeffetsdeleursrecherchessursasantémentale.Lukenesemblapass'eninquiéteroutremesureetilpromitdegarderlesilence.
*
Hopereçutunappeldesonpère.Ilvoulaitsavoirsielleavaitégarélacartedecréditqu'illuiavaitconfiée.–J'avaisbesoind'unepairedelunettes,répondit-ellepenaude.–Etlesverresdeceslunettesontétémontésdansunmagasindevêtementset
d'ameublement?–IlfaitchaudàHonolulu?répondit-elle.–Jenevoispaslerapport!–Ongèleici,nousavionsbesoindemanteauxetaussideradiateurs.–Tuauraispumedemander,Hope.–JenevoulaispastedérangerpendantqueturoucoulaisavecAmelia.–Netrahispasmaconfianceentoi,noussommesbienclairs?–Onnepeutplus,grommelaHope.–Nousrentronsàlafindelasemaine,jetetéléphoneraiquandnousseronsà
lamaison.Àpartça,tuvasbien?–Oui,pourquoi?–Parcequetuasunedrôledevoix.–Jesuisjustefatiguée.–Ehbienrepose-toi!Sam raccrochaetHope restaquelques instants immobile le combinécollé à
l'oreille.
Ellepensaàtoutcequ'elleavaitachetéavecl'argentdesonpèreetsesentitsoudain terriblement coupable. Elle avait envie de quitter le loft, de retrouverJosh pour se blottir dans ses bras. Son père ne s'était pas trompé. Elle ne sesentait pas au mieux de sa forme. Josh lui manquait et l'hiver qui ne faisaitpourtantquecommencerl'affectaitdéjà.Oùs'étaitégaréesajoiedevivre?Ellerefusa de se laisser aller plus longtemps et partit chercher dans ses papiers lenuméro de téléphone de sa camarade japonaise. Elle finit par le retrouver etl'appela.La chancevoulait qu'elle soit encore sur le campus, et qu'elle ait unevoiture.Ellessedonnèrentrendez-vous,Kazukoviendraitlachercherenbasdechezelledanslademi-heurepourallerauCentre.
*
Kazuko se rendit dans son laboratoire etHope se précipita dans la salle oùtravaillaitJosh.Ellen'ytrouvaqueLuke.–OùestJosh?demanda-t-elle.–AvecFlinch,jecrois,réponditLuke,embarrassé.Hopeseposasuruncoindetable.–Celafaitlongtempsquenousn'avonspasdiscutétoietmoi.– Tu nous as pas mal délaissés ces derniers temps et je crois que tu
n'appréciaisguèreBettyBoop.– Josh aurait pu tenir sa langue. Ce surnom n'était pas méchant, mais
reconnaisque...–Tuveuxquelquechose,Hope?–Josh,maisiln'estpaslà.–Dèsqu'ilreviendra,jeluidiraidepassertevoir.Tucontinuesdetravailler
avectesnouvellesamiesoutuasdécidéderentreraubercail?–Sivousvouleztoujoursdemoi...Joshmemanque,toiaussi.–Cen'estpasnousqui t'avonschassée.Maispuisque tu leproposes, tume
rendraisunservice?–Quelgenredeservice?–Jevoudraiseffectuerd'autresmesuresélectriquesquecellesducerveaude
Joshoudumien,pourétablirdescomparaisons.Situpouvaisjusteteprêteràunélectroencéphalogramme;çaneprendraquedixminutes,toutauplus.Hopeacceptadejoueraucobaye.Lukelafits'asseoirdanslefauteuil.Il lui
posa sur le crâneuncasque tapisséd'électrodes reliéespardescâbles à l'unitécentraledel'ordinateur.–Tuenasdéjàfaitun?demandaLukeenserrantlalanièresoussonmenton.–Non,c'estlepremier.
–Je tedemanderai justed'ouvriret fermer lesyeuxquand je te ledirai ;delever les bras, de penser à quelque chose qui te rassure,mais aussi à quelquechosequit'estdésagréable.Riendebienméchant,quelquesstimulationspendantquej'enregistrerail'activitéélectriquedetoncerveau.–Çamesembleàmaportée,réponditHope.Elleseprêtaaujeu,ouvritetfermalespaupièreschaquefoisqueLukelelui
demandait,seremémoradessouvenirsjoyeuxencompagniedesonpère,puissarencontre avec Josh, leur premier baiser, et chassa ce qui lui venait à l'espritlorsqu'elle s'interrogea sur ce que Luke pouvait précisément décrypter sur lestracés de lamachine qui enregistrait les ondes de son cerveau. Penché sur lescourbes,Lukeluiordonnadeleverlebrasgauche,àtroisreprises.–Maisj'aidéjàlevélebras,bonsang!râlaHopealorsqueLukeavaithaussé
letonenréitérantsademande.Ilsetournadanssadirectionetconstataqu'elleétiraiteneffetsonbrasversle
plafond.Ilserepenchasurlescourbesetfronçalessourcils.–Tupeuxlebaisser,s'ilteplaît?En soupirant, il fit rouler son tabouret jusqu'à elle. Il réajusta le casque et
resserraladragonne.–Hé,tum'étrangles!–Désolé,dit-ilenrelâchantunpeulalanière.Ilretournaàsamachineetluifitrépéterl'exercice.– Quelque chose ne va pas ? s'enquit Hope en voyant bien que Luke était
contrarié.–Cequinevapas,c'estquelematérielnefonctionnepas.Ondiraitquetoute
uneséried'électrodesalâché.–C'estpeut-êtremoncerveauquiatoutfaitsauter,plaisantaHope.–Neparlepasdemalheur.Jen'obtiendraijamaisuncasquederemplacement
avantleNouvelAn,unesemainedefichue.Etmerde!râlaLuke.–Situesentraindem'annoncerqueJoshauratoutessessoiréeslibres,béni
soitcecasquefoireux,dit-elleenl'ôtant.Ellepassasesmainsdanslescheveux,selevaetembrassaLuke.–Jepeuxyaller?s'enquit-elled'unevoixrieuse.–Benoui,grognaLuke.Merciquandmême.–Viensdînercheznousdemain,jeteprépareraidestraverscaramélisés,pour
mefairepardonner.–Dequoi?–Quemonintelligencehors-normeaitfaitsautertonmatériel.–Demain,c'estnotresoiréeauscanner,j'espèrequ'ilneserapasenpannelui
aussi.
–Tuveuxquejevienne?Laisse-moiunechancedeledéglingueraussi,riennemeferaitplusplaisir.–Àdemain,Hope,réponditLuked'untonpince-sans-rire.
*
Josharrivaau labounquartd'heureplus tard.Lukes'évertuaitàvérifier lesélectrodes,mais il n'en voyait aucune qui ne soit pas correctement soudée aucasque.–Hopen'estpaslà?s'inquiétaJosh.–Si,elleestcachéedansl'armoirefrigorifique.Joshleregardainterloqué.–Tuvoisbienqu'ellen'estpaslà.Tulatrouverasprobablementencompagnie
desesdeuxcopines.– En fait, c'est le jour où je te verrai de bonne humeur qu'il faudra que je
m'inquiète.Qu'est-cequinevapasencore?– Rien, j'aimerai juste bosser avec du matériel fiable. Assied-toi sur cette
chaise,j'aibesoindetesterquelquechose.LukeposalecasquesurlecrânedeJoshetluifitsubirlemêmeexamenqu'à
Hope.Lesstyletsquiétaientrestésinertestoutàl'heures'agitèrentnormalementquandJoshlevalebras.Lukeobservalescourbesattentivement,cherchantd'oùavait pu provenir la panne. Puisque tout semblait désormais fonctionnernormalement,ilpoursuivitl'expérience.Lesheurespassèrent.Joshétaitfatigué.–Nousenavonsassezfaitpourcesoir,dit-ilenôtantlecasque.Jevaisaller
chercherHope,tunousdéposes?Lukefitunesauvegardedesenregistrementsetéteignitlemoniteur.–Rejoignez-moisurleparking,etnetraînezpas.–Jeferaidemonmieux,réponditJoshsurlepasdelaporte.– Josh, j'ai un petit service à te demander. Fais en sorte que Hope
t'accompagnedemain.–Situveux,maispourquoi?– Parce qu'elle était là tout à l'heure, et en t'attendant j'ai fait quelques
enregistrementsavecelle,j'aimeraispouvoirlescompareràceuxduscanner.–Tuauraispum'enparler.–Jeviensdelefaire,non?J'aid'ailleursuntrèsbelenregistrementdujourde
votrerencontre.–Ahoui?Tumelemontres?
–Une autre fois, j'ai éteint le terminal et j'ai envie de rentrer. Sois rassuré,l'activité électrique témoignait d'unegrande intensité émotionnelle, les courbeszigzaguaientdanstouslessens.Allez,netraînepas.
*
–EtsinousretournionsàSalempourfêter leréveillon,suggéraHopeenseglissantsouslesdraps.–J'aimeraisbeaucoup,maisjenemevoispasdemanderàLukedenousprêter
savoitureenleplantantcesoir-là.–TuasraisonmonJosh,ceneseraitpastrèsdélicat.–Quandas-tucommencéàm'appeler«monJosh»?–Unjouroùj'aisuquej'étaistouteàtoi,ilfallaitbienquejetrouvelemoyen
deterendrelapareille.Hopesetournaversluietrepoussalesdraps,elleétaitnue.–Maisest-cequetoi,tuesvraimentàmoi?questionna-t-elleens'asseyantà
califourchonsurlui.Laréponsenesefitpasattendre.
*
AprèsledéménagementdeJosh,Lukeavaittransformélachambredesonamienunpetitbureau.Ilavaitpenséd'abords'yinstaller,maisHopeaussiavaitvécuentresesmursetilluisemblaitparfoissentirsaprésence.Pourtravailler,çanelegênaitpas,maispourdormir,c'étaitdifférent.Ilrécupéradanslapocheintérieuredesonmanteaulesdocumentsqu'ilavait
discrètement rapportés du Centre et s'assit à sa table pour les examinerattentivement.Les tracésétaientsinguliersetplus il lesétudiait,plus ildoutaitqu'un dysfonctionnement des électrodes en soit la cause. Ces anomalies letracassaientetilvoulaits'assurerauplusvitequesessoupçonsétaientinfondés.
*
Hope s'éveilla avec les premiers rayons du soleil. La lumière du matinenvahissaitleloft,traversantlagrandebaievitréepourseposersurleplancheren bois clair. Josh dormait profondément et elle sourit malicieusement en luipinçantlajoue.Ilgrogna,enfouitsatêtesousl'oreiller,qu'ellesoulevapourluichuchoter:–Fais-moidespancakes.–Hope,jet'ensupplie,grommela-t-il.–Avecdusiropd'érable.–Non.
–C'estnotreanniversaireaujourd'hui.Joshseretournaetlafixad'unœildubitatif.–Quelanniversaire?–Celuidenotrepremièrenuit.–Vraiment?–Jecroisquej'aimebiencepetitcôtémufleentoi.–Bienessayé,maisnotrepremièrenuit,c'étaitun10novembre.–Maintenantquetuesréveillé,tumelesfaiscespancakes?–Tuesimpossible,ditJoshenselevant.Ilenfilasonjeanetalladerrièrelecomptoirdelacuisine.–Quandmeprésenteras-tuàtonpère?demandaHopeenlerejoignant.– Est-ce que quelqu'un réussira un jour à décrypter le cheminement de la
penséed'unefemme?soupiraJosh.–Jepeuxsavoircequesous-entendcettepetitephrase?–Commentes-tupasséedespancakesàmonpère?–Lemienm'enfaisaitsouvent,tuaseulesmêmesgestesqueluienallumant
le gaz. Cette même façon de reculer la main comme si la gazinière allaitexploser.–Évidemment,c'estd'unelogiqueimparable.–Alors,oniraluirendrevisite?–Nousnenoussommespasvusdepuislongtemps.–Pourquoi?–Parcequenoussommesfâchés,Hope.Etlàj'aiautantenviedeparlerdelui
quedefairecespancakes.–Pourquoiêtes-vousfâchés?–C'estunevieilleetlonguehistoire.–Jeveuxquetuteréconciliesaveclui.–Sûrementpas.Etenquoicelateconcerne?–Siunjournousavonsdesenfants,jeveuxqu'ilspuissentaimerleurgrand-
père.Joshseretournaetlaregardad'undrôled'air.–Nefaispascettetête-là,repritHope.Ondiraitquejeviensd'annoncerlafin
dumonde.J'aidit«siunjour»,pasmaintenant.–Est-cequenouspourrionsattendred'avoirprisuncaféavantd'envisagerla
findumondeencompagniedemonpère?dit-ilenremplissantleréservoirdelacafetière.–Quandtum'auraspromisquejelerencontrerai,tum'asbienentendu,Josh?–Fortetclair.–D'oùsortcetteexpression?
–De lui, tu as réussi à le faire parler en son absence.Chaque fois qu'ilmepassait un savon, cela se terminait toujours par un « et j'espère que tu m'asentendu,fortetclair!».Hopesehissasurlapointedespiedsetattrapadeuxmugsdansleplacard.–J'aifaituncauchemarcettenuit,dit-elle.–Tuenfaissouventdepuisquenousvivonsici.C'estpeut-êtreceloftquine
te réussit pas ou les réverbères dans la rue qui éclairent trop la chambre.J'essaieraidebricolerquelquechosepourocculterlesfenêtres.–Tunemedemandespascequ'étaitcecauchemar?–J'enaiunepetiteidée.Tuparlesdanstonsommeil,Hope.–Etqu'est-cequej'aidit?–Quejesuisl'hommelepluspatientquisoit,réponditJoshendéposantdeux
pancakesdansuneassiettequ'iltenditàHope.–J'airêvéquenousmarchionsauborddel'océan,soudainjebifurquaispour
avancer vers les vagues, tu me laissais partir. Je me noyais sans la moindrerésistance.Jen'avaispaspeurdemourir,maissousl'eauj'étaisterrifiéeàl'idéedeteperdre.Joshlapritdanssesbras.– Tu nages mieux que personne et je cours plus vite que toi, alors ton
cauchemarnetientpaslaroute,jet'auraisrattrapéeavantquetuneperdespied.–Jemesensmerdiqueencemoment.–Merdiquecomment?–J'ail'impressiondenepasêtremoi-même.–Noustravaillonstrop.Tudoismanquerdequelquechose,demagnésium,ou
defer.Situveux,nousironsvoirunmédecin.–Nedispasdebêtise.J'aiunpèremédecin.–Parle-lui-en.Ilteprescrirapeut-êtreunmédicamentpourapaisertesnuits.–Jamais!Iln'yaplusrienderationnelchezmonpèrequandils'agitdema
santé. Je dois être la personne qui a reçu le plus grand nombre de rappel detétanosaumonde.Àlamoindrecoupure,j'yavaisdroit.–Alors,allonsfaireuntourauCHU,unepetiteprisedesangetonsaurace
quinevapas.–Certainementpas,j'aihorreurdespiqûres.–D'accord...JevaisvoircequejepeuxfairepourlavoituredeLuke.Nous
ironspasserdeuxjoursauborddelamer,tutereposerasetànotreretourtunetesentirasplus«merdique».–Qu'est-cequit'attirechezmoi...àpartmesseins?–Pourquoidis-tudeschosespareilles?
–Jedevraispeut-êtreleurdessinerdessourcils,commeçadetempsentempstucroiraismeregarderdanslesyeux.–EnfinHope,jelesregardaisparcequetuesnue.–Etalors,monvisagel'estaussi.–Commentveux-tuquejenesoispastroubléquandtuneportesriensurtoi?– En attendant, tu n'as pas répondu àma question. Qu'est-ce qu'un homme
commetoitrouveàunefillecommemoi.Joshattrapaletablierdecuisineetleluilança.–Parfois,dit-il,c'estimpossibled'expliquercequeturessenspourquelqu'un,
maistusaisquecettepersonnet'emmènelàoùtun'étaisencorejamaisallé.–Etoùn'étais-tujamaisalléavantdemeconnaître,JoshKepler?–C'estlapremièrefoisquejet'entendsprononcermonnomdefamille.–Peut-êtreparcequec'estlapremièrefoisquetumedisquelquechosed'aussi
joli.–Auprèsdetoi,Hope,etc'estleplusbelendroitquej'aiatteintdansmavie.
Etpourteprouverquecenesontpasdesparolesenl'air,sachequetuasaussilesplusbeaux seinsque j'aievus...maisparpitié, nevapas leurdessinerdessourcils.
*
JoshappelaLukepourleprévenirqu'ilnelerejoindraitqu'aurendez-vousdusoir,devantl'entréedelamorguedel'hôpital.Lorsqu'ilraccrocha,Hopeavaitretrouvélesourire.Ilss'assirentfaceàfaceet
dévorèrentleurpetitdéjeuner.Plus tard dans la matinée, ils grimpèrent à bord d'un autobus pour en
redescendreàunarrêtprèsdelarivière.Ilscoururentpendantuneheurelelongdesberges,profitantd'unejournéeoùlesoleilavaitenfindécidédesemontrer.Enfind'après-midi,sortantd'uneprojectiondeLagrandebellezza–HopeavaitréussiàentraînerJoshdansunesalledecinémad'artetd'essai–,ilspartagèrentleurs impressions autour d'une pâtisserie.Hope était certaine d'avoir vu brillerlesyeuxdeJoshàlafindufilm,cedontilsedéfendaitardemment.–Pourquoituneveuxpasavouerquetuasétéému?–Jenedispaslecontraire,maisdelààdirequej'aipleuré,non.–Leshommesaussiontledroitdepleurer,monJosh.Jevoudraisquetume
fassesunepromesse.–Pasavantdesavoirlaquelle.–Si,justement.Aimer,c'estnejamaisdouterdel'autre.Joshconsidéralemorceaudecakequirestaitdansl'assietteethochalatêteen
ledévorant.
–Auprintemps,ceseramontourdeconnaîtretonpère,nousironsluirendrevisite.Joshs'étouffaetrecrachasabouchéedecake.
*
Ils arrivèrent avec un peu de retard. Luke trépignait d'impatience devant lamorgue. Ils s'engouffrèrent dans le couloir, parcourant à la hâte le chemin quimenaitauscanner.Luke s'installa derrière le pupitre, inséra une clé USB dans la console et
transféralesdonnéesqu'ilavaitrecueilliesauCentre.Pendantcetemps,Joshsefaufilait dans le cylindre de la machine. L'examen commença, mais Lukel'interrompitauboutdevingtminutesetsetournaversHope.Elleétaitplongéedanssescoursdepuisledébutdelaprocédureàlaquelleellen'avaitprêtéqu'uneattentiondistraite.–Àtontour,ditLukeenluiôtantlelivredesmains.– Tu veux me faire entrer dans ce tube ? Jamais de la vie, je suis
claustrophobe.–Lecylindreestouvertdesdeuxcôtés,tunecrainsrien.–Dansunascenseurnonplus,enprincipe,etpourtantjeprendstoujoursles
escaliers.– J'ai besoind'uncoupdemain, insistaLuke, et onnepeutpasdireque tu
participesbeaucoupànosrecherchescesdernièressemaines,alorsfaisunefforts'ilteplaît.–Maispourquoias-tubesoindemoi?– Je te l'ai déjà expliqué la dernière fois, pour obtenir des données
comparatives.Onnepeutpassecontenterdecellesenregistréesdansnosdeuxcerveaux. Josh pourra rester auprès de toi, et si vraiment l'exercice t'estinsupportable,jeteprometsd'arrêter.Hope hésita, elle était consciente d'avoir délaissé ses partenaires pour se
consacrer aux travaux qu'elle menait avec Kasuko, surtout depuis que sacamaradeallemandeavaitétéviréeduCentre.Lukedésignalescannerdel'autrecôtédelavitreetlesouriredeJoshvintàboutdesesrésistances.Elleposaseslunettes sur la console et vérifia que ses poches ne contenaient rien demétallique.Lukeluidemandadepasserparlacabine,d'yôtersesvêtementsetd'enfilerla
blouse qu'elle trouverait accrochée à une patère. Hope haussa les épaules etobéit.Josh l'aida à s'installer sur le chariot, il cala des coussinets en mousse de
chaquecôtédesatêteetpromitdenepass'éloigneralorsqu'elles'enfonçaitvers
l'intérieurducylindre.Unanneausemitàtournerau-dessusd'elleetHopepréférafermerlesyeux.Lukeavait les siens rivés à l'écrandecontrôle.Quand lespremières coupes
apparurent,ilinspiraprofondémentetsemorditleslèvrespendantquel'examensepoursuivait.Vingtminutesplustard,ilregardasamontre.L'heuredepartirapprochait, il
recopia les données sur sa clé USB, fit ressortir le chariot de la machine etappuyasurleboutondumicropourprévenirHopequ'ellepouvaitserhabiller.–Tuaseucequetuvoulais?demandaJoshenlerejoignantdanslacabine.– Oui, dépêchons-nous, il faut filer d'ici avant que la maintenance arrive.
J'éteinslesécransetjevousrejoinsdanslecouloir.IlssortirentducentrehospitalieretmontèrentàborddelaCamaro.Hopeprit
placeàl'arrièreetJoshàcôtédeLuke.–Alors?questionna-t-elleensepenchantverseux.Çaamarchécettefois?–Oui,concédaLukelaconique.–Dequoiparlez-vous?demandaJosh.–Derien,réponditLuke.–Commentçaderien?Toncamaradequimeprendpoursonnouveaucobaye
m'a fait passer un électroencéphalogramme et la puissance demon cerveau adéglinguésesappareils,j'étaistrèsfièreetluiassezfurax.–Pourquoinemel'as-tupasdit?questionnaJosh.– Je l'ai fait, rétorquaLuke,mais tun'yaspasprêtéattention.Riendebien
méchant,unfauxcontactdanslecasquequej'avaisréparéavantquetuarrives.JoshseretournaversLukeetluijetaunregardsombre,luineregardaitquela
route.Ilsseséparèrentaupieddu loft.LukeredémarrasansattendreetJoshvit la
Camaros'éloignerdanslaruedéserte.–Quelquechosenevapas?demandaHope.–Non,montons,ilestdéjàtard.
*
De retour chez lui, Luke s'installa à son ordinateur. Il inséra la cléUSB etchargealesclichésduscannerdeHope.Ilselevapourallerchercherunouvragedans sa bibliothèque et compara les coupes encéphaliques qu'il trouva dans lelivreaveccellesaffichéessursonécran.Ilseconsacraàcetravailpendantunegrandepartiedelanuit,etverstroisheuresdumatin,ilenvoyaunSMSàJosh.
9.
Les berges étaient désertes. La brise glaciale avait découragé les joggeurs,seulsquelqueschiensetleurmaîtrebravaientlefroidmatinal.Luke,emmitouflédansuneparka,attendaitsurunbancprèsd'unsaule.Josh
arrivaàpetitesfouléesets'assitàcôtédelui.–Qu'est-cequ'ilyadesiurgent?Tun'espasretournéaulabo,j'espère?LukeposauneenveloppesurlesgenouxdeJosh.–Ne l'ouvrepas toutdesuite, lepria-t-il. Je t'aimentiàproposde lapanne
lorsdel'encéphalogrammedeHope.–Pourquoi?–Parcequ'aucoursdutien,ellenes'estpasreproduite.–Jecroyaisquetuavaisresserrédesélectrodes?–Josh,ellessontsoudées,pasvissées,tudevraislesavoirtoutdemême.–Bon,ellessontsoudéesetalors?– Alors, j'ai eu un doute sur la raison pour laquelle les enregistrements de
Hopedéconnaient.–Queldoute?demandaJoshensetournantverslui.–Jenevoulaispast'enparleravantd'avoirvérifié,c'estpourçaquej'aitenuà
cequeHopenousaccompagnehiersoir.– Vérifié quoi ? Qu'est-ce que tu es en train de me dire, Luke, merde,
explique-toiclairement.–Jenesaispascommentformulerçamonvieux,jen'aipasdormidelanuitet
j'ignorecommentonannoncecegenredechoses.Lesimagesduscannernesontpasbonnes.–Commentçapasbonnes?–Pas bonnes du tout. Je ne suis pasmédecin,mais j'ai vu assez de coupes
encéphaliquespoursavoirreconnaîtreunetumeur.
–Qu'est-cequetuasdit?–Josh,ilfautquetuconvainquesHopedepasserunautreexamen,etauplus
vite. J'ai pu faire une erreur hier, contraster un peu trop les images et faireapparaître une anomalie qui n'existe pas. J'espère de tout cœurm'être trompé,maisjesuisinquiet.Joshpritsatêteentresesmainsetcherchal'airquiluimanquait.–Àcombientuévalueslaprobabilitéd'uneerreurdetapart?–Cen'estpaslemomentdefairedesstatistiquesinutiles,emmèneHopefaire
uneIRMauprèsd'unspécialisteetsansl'inquiéteroutremesure.–Quelletaille,latumeur?–Uncentimètreetdemienviron.–Maisellepourraittrèsbienêtrebénigne?–Oui,c'estcequ'ilfautespérerdetoutesnosforces.–Situpensesqu'elleestmaligne,jeveuxquetumediseslavérité.–Jetelerépète,seulsd'autresexamensnouslediront.Jesuisdésolé...Tune
peuxpassavoiràquelpoint.JoshselevaetcommençaàfairelescentpasdevantLuke.–Attends,pasquestiondecéderàlapanique.D'abord,tuaspumerderavecle
scanner,ensuite,rienneditquecettetumeursoitcancéreuse,etsiellel'était,onl'opèreettoutrentreradansl'ordre.– Tu dois parler àHope, et sans perdre de temps. Si tu ne t'en sens pas le
courage,jepeuxlefaire.–Non,c'estàmoideleluiapprendre.J'ail'impressiondevivreuncauchemar.–Tul'asdit toi-même,necèdepasà lapaniqueavantquenousensachions
plus.Tupeuxcomptersurmoiàtoutmoment.– Comment lui annoncer ça sans la terroriser ? Et si nous montrions ces
imagesàFlinchavant.–JenecroispasqueHopeseraitd'accord,ettunepeuxpasluienparlersans
sonautorisation,c'estàelleseulededécider,pasànous.Siellelesouhaite,nousferonsappelàlui,ilpeutnousorienterverslesmeilleursspécialistes.Lukeseleva,pritJoshdanssesbrasetl'étreignitdetoutessesforces.–Jesuislà,nel'oubliejamais.
En regardant Luke s'éloigner, les mains jointes dans son dos, Josh eut
l'impressionquesonamiavaitvieillienl'espaced'unenuit.Luinesavaitoùaller,alorsilmarchadanslesrues,sanscompternilespasni
la fatigue. Il traversa la ville hagard, se demandant comment faire semblant,commentnepasdire lavérité sanspour autantmentir.Etpuis il voulut croirequeLuke s'était trompé,que riende cequ'il lui avait dit n'était vrai, nimême
possible.Une telle chosenepouvait pas arriver àHope.La terre était remplied'ordures,d'hommesquineservaientàrien,quinefaisaientquedétruire,maisHope...Hopedécouvriraitunjourunremèdeàlamaladied'Alzheimer,alorscen'étaitpaspossiblequ'ellesoitatteinted'unmalincurable.Elleavaitunemissionàaccomplir,etceseraitlapiredessaloperiesqu'unetumeurl'empêchedesauverdesmillionsdegens.Silamortvoulaituneâme,qu'elleenchoisisseuneautre,unebientordue,maispascelledeHopequiétaitsibelleetsirieuse.Au carrefour suivant, Josh se demanda pourquoi il avait pensé aux âmes,
parcequ'avantcetteconversationavecLukeilnecroyaitniauxâmesnienDieu,tout du moins plus depuis l'anniversaire de ses douze ans, et maintenant...Maintenant il ne savait plus quoi penser du tout. S'il baissait la garde, s'ilacceptaitdecroireenLui,est-cequ'IlsepencheraitsurlecasdeHopepourlasauver?Lorsqu'ilarrivadanssarue,deslarmesroulèrentsursesjouessansqu'ilpuisse
lesretenir.Ilfitdemi-tour,séchasonvisageetentradansunbar.Ils'interditdeflancher,cen'étaitpasluiquiétaitsouffrant,luiilsouffriraitensilence,ildevaitêtrefort,normal.Resternormal,voilàcequ'ildevaitàHope.Êtreparfaitementnormal.Normalitémoncul,sedit-ilenavalantunwhiskysec.Ilquittalebaretcherchauneépiceriepourtrouverunetablettedechewing-
gum.SiHopesentaitqu'ilavaitbude l'alcool,elle luiposeraitdesquestions...Resternormal.Il s'arrêta devant la vitrine d'un fleuriste et renonça à acheter un bouquet,
Hopeauraitétésurprise...Normal.Quatre jours passèrent sans qu'il trouve la force de parler à Hope, de lui
suggérerqu'ils aillentvoirunneurologue.Quatre joursà échangerdes regardsavec Luke, aussi furtifs que pesants. Luke aurait voulu y lire que tout étaitcommeavantalorsqueplusriennel'était.QuatrejournéesaucoursdesquellesJoshsesentaitdanslapeaud'unapprentiartificieràqui l'onauraitordonnédedésamorcerunebombe.Unebombequisetrouvaitdanslatêtedelafemmequ'ilaimait,maisdontletic-tacrésonnaitdanslasienne.EtchaquefoisqueHopeluiparlaitde sesmigraines, soncœur s'emballait, sabouchedevenait sècheet sesmainsmoites.À la veille du week-end, Hope lui demanda de l'inviter au restaurant. Elle
avaitenviedecuisine italienneetexpliquaàJoshqu'uneassiettedepâtesétaittoujours plus joyeuse au restaurant que chez soi. Il ne posa aucune question,enfilaunechemiseetunvestonetappelauntaxiquilesdéposadevantl'unedesmeilleurestablesdelaville.Tantpispourlanormalité.–Jepeuxsavoircommentnousallonsréglerl'addition?lança-t-elleaprèsque
leserveurl'eutinstalléesursachaiseenluidonnantduMadameàtourdebras.
– J'aimis un peu d'argent de côté ces dernières semaines, répondit-il en seplongeantdanslemenu.–Dequelcôté?– Ne t'inquiète pas, nous n'aurons pas à faire la vaisselle, dit-il pour la
rassurer.–Tuauraisdûmeprévenirquenousallionsfêterquelquechose,j'auraiprisun
insecte au labo et je l'aurais discrètement glissé dansmon assiette à la fin durepas.C'estuntrucqu'onfaitdanslesfilms.Laclientehurleetpartoutréesanspayer.–Jecroisquec'estaussiunpiègeéculédanslequellepersonneldecegenre
derestaurantnetomberaitpas.Hope commanda des linguines aux palourdes, Josh indiqua au serveur qu'il
prendraitlamêmechose.Ilsrefusèrentdeconsulterlacartedesvins,affirmantsanslamoindregênequel'eaudelavilleleurconviendraittrèsbien.Hope dégusta son plat sans prononcer un mot ; de temps en temps, Josh
relevaitlatêtepourl'observer.Quandelleeutfinisonassiette,elles'essuyadélicatementleslèvres,posasa
serviettesurlatableetregardaJoshdroitdanslesyeux.–L'autre soir, quandLukem'a demandé de jouer les cobayes, il y avait un
problèmesurmonscanner?Elle avait posé cette question d'une voix calme et Josh fut incapable de lui
répondre.–Surlecheminduretour,vousfaisieztouslesdeuxdestêtesdecentpiedsde
long,enchaîna-t-elle,etdepuisvostêtesn'ontcessédes'allongerchaquefoisquevousvousregardez.Alorsj'enconclusquesoittuasunemaîtresse,soit...–Cen'étaitriendeprécis,l'interrompitJosh.Unepetitetachederiendutout.
Luken'est pas radiologue et il y a toutes les raisonsdepenserqu'il a fait unemauvaisemanipulation.Parprécaution, ce serait bienque l'onaillepasseruneIRM,cettefoissouslecontrôled'unvraimédecin.–Donc,tuesinquiet?–Non,jetelerépète,cen'estqu'uneprécaution.–Nememenspas,JoshKepler,ditHopeenluiprenantlamain;parcequesi
tu recommençais ne serait-ce qu'une seule fois, je ne te le pardonnerais pas.Maintenantplusquejamais, j'aibesoindesavoirquelapersonnequej'aimeleplusaumondemediratoujourslavérité.Joshauraitvoulusejustifier,ilcherchaitlesmotsjustes,maisHopeneluien
laissapasletempsetpoursuivit.–Hiermamigraineétaitplusfortequed'habitudeetmavisions'esttroublée.
Celaaduréunbonquartd'heure,assezpourquejecommenceàrelierlespoints
entreeux.Est-cequetujouaisàcejeuquandtuétaisgosse?Moij'adoraisça,relierdespointsavecuncrayonpour faireapparaîtreune image,çam'amusaitcomme une folle. Remarque, à cette époque je n'avais pas une tumeur aucerveau.Elle avait prononcé cette phrase d'une voix détachée, avec une froideur
implacable.–J'airepenséauxsimagréesdeLuke,àtafaçondepuisquelquesjoursdefaire
semblantquetoutvabien,quetoutestmerveilleux,mêmemacuisine.Jecroisquec'estçaquim'afaitlepluspeur.Parcequefranchement,monJosh,iln'yapaspirequemoiderrièrelesfourneaux.J'aiappelémonpèreetjeluiaiditquejen'allaispas trèsbien,quejemesentaismerdique.Celaasuffiàcequ'il remueciel et terre pour que je passe une IRM dans la journée. Mon père esthorriblementhypocondriaqueàmonsujet.–Pourquoinem'as-turiendit?–Jeteretournelaquestion.–Parcequej'avaispeur,Hope.–Alors tuespardonné,parcequedésormais je saiscequec'estqued'avoir
peuretlapeurpeutnousfairefairen'importequoi.–Qu'aditl'IRM?demandaJoshd'unevoixmalassurée.– Glioblastome. Une protubérance maligne à laquelle on prête un mauvais
caractère.Ilparaitqu'elleestplutôtagressive.–ArrêteHope,jet'enprie.–Laseulebonnenouvelle,poursuivit-elleavec lamême ironie,c'estqu'elle
estencorepetiteetopérable.–Alorsonvat'opérerettoutredeviendranormal.Jetelejure.Hope sourit amèrement, elle sepenchapar-dessus la table et posaunbaiser
surseslèvres.–Jetecrois,puisqueaimer,c'estnejamaisdouterdel'autre.Enrentrant,Hopepritunelonguedouche.Ellesemitaulit,seblottitcontre
Josh et ils firent l'amour. Puis dans un silence que seules leurs respirationsvenaienttroubler,ilss'endormirentensetenantlamain.
*
Auréveil,JoshdemandaàHopelapermissiondeparlerdesoncasàFlinch.Ilconnaissait sûrement les meilleurs neurochirurgiens de la ville. Hope lui fitremarquerqu'ellen'étaitpasun«cas»,maisaccepta.Puisvint laquestiondesonpère.Ilfallaitlemettreaucourant.Hopes'yopposavivement.–J'aiinterditaumédecinauquelilm'avaitadresséedeluirévélerquoiquece
soit;Papaseraencoreplusmaladequemoietjeneveuxpasavoiràlegérer.
–Ilestmédecin,etc'esttonpère.Tunepeuxpasleteniràl'écart.– Il débarquera par le premier avion et il viendra forcément accompagné
d'Amelia.J'aibesoindecalme,demecentrersurmoi,ouplutôtnon,j'aibesoinde tout le contraire. D'abord tu vas me jurer de te débarrasser de cette têteconsternée.Tume l'asdit toi-même, ce seraunepetite interventionde riendutoutetlaviereprendrasoncoursnormal.Jeveuxqu'ilensoitainsi,Josh,nousallonscontinueràfairedesprojets,àtravaillerànosrecherches,àrire,àsortir,àfairel'amouretmêmeànousdisputer,commeuncouplenormal.–Maisonnesedisputejamais!–Iln'estpas troptardpourcommencer, jepeuxtrouverpleindesujetssi tu
veux.
*
IlsattendaientFlinchà lasortiedescours. Ils'étonnade les trouver tous lestrois devant son bureau. Il avait peu de temps, mais en voyant leurs minesdéfaitesilacceptadelesrecevoir.SansattendrelafindesexplicationsdeJosh,Flinch s'empara des planches d'IRM, lut le compte-rendu et reposa lesdocuments.Ildécrochason téléphone,appela lasecrétaired'unspécialistequ'ilcomptait
parmisesamisetinsistapourquecedernierlerappellesansdélai.–On va vous sortir de cemauvais pas, dit-il en raccompagnant le trio à la
porte. Je vous contacterai dès que j'aurai des nouvelles.Nous programmeronsl'interventionauplusvite. Ilyaurapeut-êtredesrayonsetunepetitechimioàfaire ensuite, la biopsie nous le confirmera, mais je ne suis pas inquiet. Enattendant,ménagez-vous,etnevousangoissezpas.VouspouvezremercierLuke,cettetumeuraétédétectéeàunstadeprécoce,toutirabien.Flinchsouhaitaconserver lesexamens, il s'occuperaitde les faireparvenirà
sonconfrère,pourgagnerdutemps.Surcesparolesapaisantes,ilrefermalaportedesonbureauetallareprendre
placedanssonfauteuil. Il rouvrit l'enveloppeetconsultaànouveau lescoupesencéphaliques,l'airgrave.
*
En fin d'après-midi, Hope reçut un appel de Flinch. Il lui avait obtenu unrendez-vous le lendemainmatinavec leprofesseurBergerdans son serviceauCHU.Ellenedevaitpassesoucierdescoursqu'ellemanquerait, ilconfieraitàLukelescomptes-rendus.Leursoiréefutlaplusnormalepossible.Hopeavaittenuàcuisineretsonplat
étaitimmangeable.Pourunefois,Joshn'essayapasdeprétendrelecontraire,il
jeta à la poubelle cequi sevoulait être ungratindemacaronis et qui d'aspectcommedegoûtressemblaitàunemélassedecoquillettes.Ilpréparaunesaladeetdesœufsbrouillésqu'ilspartagèrentenregardantunvieilépisodedeFriendssurl'ordinateurportabledeHope.
*
Au matin, ils s'habillèrent, normalement, prirent le bus pour rejoindre lecampus, normalement, se dirigèrent normalement vers le bâtiment qui abritaitl'amphithéâtre, avant de bifurquer à un croisement d'allées vers le centrehospitalieruniversitaire.C'estàcecroisementquelanormalitéfichalecamp.Ilsattendirentuneheuredansuncouloirblafard.Detempsàautrelasecrétaire
duprofesseurBergerpassaitlatêtehorsdesonbureaupourlesassurerqueleurtour allait bientôt venir. Hope s'était posée sur une chaise en plastique. Ellefeuilletaitunvieuxmagazinepeopleet s'étonnaitdene reconnaîtreaucunedespersonnalitésquiyfiguraientetdontlesfaitsetgestesfaisaientpourtantl'objetdetitresplussensationnelslesunsquelesautres.Josh,lui,necessaitd'arpenterlecouloir,jusqu'àcequeHopeluiordonnedes'asseoiràcôtéd'elle.–Est-cequenousvivonsdepuissilongtempscoupésdumonde?dit-elleen
continuantdetournerlespages.Jen'aipaslamoindreidéedequisontcesgens,ni des raisons pour lesquelles ils apparaissent dans cemagazine.Tu crois quel'und'entreeuxadécouvertlevaccincontrelesida?Joshsepenchasurlespagesattentivement.–Jecroisqueletypeenpage4couchaitaveclafilledelapage6etqu'ellel'a
trompéaveccellequiestenpage8avantdefairesoncomingoutenpage9.–Ça, c'est de l'actualité !Tiens, en voilà une qui a droit à une pleine page
parce qu'elle s'est fait refaire les seins. Avec mon opération, je mériterais aumoinsunedoublepage,tunetrouvespas?–Tesseinsmériteraientlacouverture.–J'aimequetusois toujoursaussiséduitparmonintelligence,quelquepart,
çamerassure.L'assistante mit un terme à leur conversation, le professeur était prêt à les
recevoir.L'entretienduraàpeineunquartd'heure.Lechirurgienexpliquaavoirdébattu
lematinmêmeavecsesconfrèresdelameilleurestratégie.Toutlemondes'étaitentendusurlamanièredeprocéder.Compte tenu de la localisation de la tumeur, l'intervention se ferait sous
anesthésielocale.Hopeneseraitendormiequependantlesphasesd'ouvertureet
defermeturedelacalottecrânienne;lerestedutemps,elleseraitéveillée.Elledevaitpouvoirréagirauxtestsquiseraientpratiquésdurant l'exérèse.Cemodeopératoire très ancien était tombé en désuétude avec l'arrivée de l'anesthésie,mais dans le cas d'une intervention au cerveau, il présentait de nombreuxavantages.– Il n'y a pas deux cerveaux identiques et leur plasticité est étonnante,
expliqua Berger d'une voix sentencieuse. La médecine ne dispose pas d'unecartographieuniversellequinouspermettededéterminerl'utilitédetelleoutellezone.Alors avant d'inciser lemoindre tissu, nous le stimulons électriquement.Pendantcetemps,nousvousinterrogerons,nousvousdemanderonsd'effectuerquelques mouvements, de faire appel à des souvenirs, de nous parler, ou deprocéderàde simplescalculsmentaux.Si l'inductionélectriquevousempêchede répondre correctement, nous marquerons immédiatement la zone à ne pastoucher. Jedevineque l'idéed'êtreéveilléepeutêtre inquiétante,maisvousnesouffrirezpas.Cettetechniqueréduitconsidérablementlesrisquesdeséquelles.Aujourd'hui nous sommes à moins d'un pour cent. Parce que vous êtesrecommandéeparmonbonamileprofesseurFlinch,j'airéussiàlibérerunblocopératoiresamedimatin.Iln'yaaucunintérêtàperdredutemps.Vousentrerezdans mon service la veille, afin que nous procédions à des examenspréliminaires.Enfin,et j'enterminerailà,aprèsl'intervention,vosmigrainesneserontplusqu'unmauvaissouvenir.Lechirurgiensefenditd'unpetitrictus,satisfaitdesonbonmot,etlessalua.
Ils ressortirent hébétés de l'hôpital. Hope n'avait pas beaucoup apprécié le
personnage.LukelesinvitachezluietHopeéprouvaunecertainenostalgieenentrantdans
l'appartement.Le loft lui offrait plus d'espace et d'intimité avec Josh, mais elle regrettait
parfoislessoiréesqu'ilsavaientvécudanscestudio.Elleavaitaiméêtrelepointd'orgued'uneamitiéqueLukeetJoshsedisputaient,aimélesdiscussionssansfinquilesmenaientparfoisjusqu'auboutdelanuit.Elleregrettaitl'insoucianced'untempsoùellen'auraitjamaisimaginédevoirsefaireouvrirlecrâneparunchirurgienaussiprétentieuxqueBerger.Lukecommandadespizzas,attrapatroisbièresdansleréfrigérateuretouvrit
sonordinateurportable.–Avantdeprendreunedécision,nousallonsvérifierlesétatsdeservicesde
cechirurgien,dit-ild'untonquisevoulaitrassurant.Josh regretta de ne pas y avoir pensé le premier, plus encore de se sentir
dépassé par les événements et il redouta que Hope s'en rende compte. Il
s'approchadel'écranetpriaLukedelelaisserfaire.Hopesourit,illuisemblaitparfoisconnaîtreJoshmieuxqu'ilneseconnaissaitlui-même.Elles'assitprèsdeluietluipassalebrasautourdelataille.–Etsinousregardionscelaensemble,dit-elle,aprèstout,c'estdematêtequ'il
s'agit.Versminuit,Luke sortit deuxoreillers et une couvertured'une armoirequ'il
posasurlecanapé.HopeetJoshdormiraientlà,commeaubonvieuxtemps,quifinalementn'étaitpassivieuxquecela.
*
Lelendemain,enrentrantchezelle,Hopes'offritunedoucheréparatrice.LecanapédeLukeluiavaitéreintéledos.Alorsqu'ellecherchaitdequois'habiller,unefurieuseenviederangements'emparad'elle.Ellecommençapartriersesaffaires,puislesvêtementsdeJosh,ceuxqu'elle
jugeait immettables finirentdansunsac.Elle trouva, sousunepiledeT-shirts,unecorrespondancequ'ilavaitentretenueavecunedesesexetallalamettreenlieu sûr dans la poubelle de la cuisine. Elle repéra les placards à vaisselle ets'attaqua aussitôt à leur réorganisation. Décidée à ne pas s'en tenir là, elledescenditaubazarducoin,etremontaillicoavecunseau,unbalaiépongeuretunbidondecire.Gantée de caoutchouc jusqu'aux coudes, elle briquait le parquet quand on
sonnaàlaporte.Joshavaitencoredûoubliersesclés.Elledécidadelefaireattendre,letempsquelesolsoitsec,maisrenonçaau
troisième coup de sonnette. Elle alla ouvrir la porte et trouva son père sur lepalier,unepetitevaliseàlamain.Samentrasansattendre,posasavalise,regardasafilled'unairquiendisait
longetlapritdanssesbras.–Dis-moiquetueslàparcequ'Ameliat'aplaqué!s'exclamaHope.– Non, nous sommes venus parce que ton père était mort d'inquiétude,
réponditAmeliaenentrantàsontour.Maissoistranquille,jeneresteraipas,jel'aiaccompagnéparcequ'iltremblaittellementenfaisantsavalisequ'iln'arrivaitmêmepasàlafermer.J'aieupeurqu'ilaitunaccidentsurlaroutedel'aéroportet, arrivée au comptoir d'enregistrement, j'ai eupeur qu'il ait un accident dansl'avion,qu'il se trompedeporteenvoulantalleraux toilettes,alors j'aiprisunbilletetjesuismontéeàbordaveclui,parcequ'envéritémoiaussijesuismorted'inquiétude.Ameliaavaitdittoutcelasansreprendreunefoissarespiration.Elleenavait
lesjouesempourprées,cequidéridaunpeuHope,presqueautantquel'idéequeson père aurait pu aller faire pipi dans la cabine de pilotage. Elle se détendit
davantageenvoyantqu'Amelias'était inquiétéepour lui,plusqu'ellene l'avaitfaitelle-même.–Commentas-tusu?demandaHope.–Qu'est-cequeçachange,grommelaSam.Tuallaistefaireopérersansavoir
prismonavis?Bonsang,Hope,jesuistonpère,etmédecin!–Tuespédiatre,Papaetjen'aipasuneangine.Samlançaàsafilleunregardincendiaire.– Justement, je suis pédiatre, et généraliste ! Et les généralistes n'ont pas
l'arrogance des chirurgiens qui ne voient chez leurs patients que de la chair àinciser.–Sam! intervintAmelia,calme-toi,cen'estpas lemomentderessasser ton
éternelcomplexe.Hopes'amusadelaremarqued'Amelia,quisemblaitmieuxconnaîtresonpère
qu'ellenel'avaitimaginé.–Etvousallezresterenvillejusqu'àl'opération?LaréponsesemblaitsiévidentequeSams'abstintdelaformuler.–Commenttesens-tu?s'inquiétaAmelia.–Comme je le peux,mais j'irais encoremieux simon père voulait bien se
détendre.S'ilcontinueàfairecette tête, jevaisvraimentfinirparcroirequejesuismourante.–Tun'esriendutout,s'emportaSam.C'estmoiletoubib,alorssijetedisque
cen'estpasgrave,cen'estpasgrave!Hopes'approchadesonpèreetpritsesdeuxmainsaucreuxdessiennes.–Papa,ledénidelamaladieestunsymptômeconnud'unetumeurcérébrale.
Maiscesymptômeestcensés'exprimerchezlemalade,pasdanslatêtedesonpère.Onentenditunbruitdeclédanslaserrure.Joshentra,essoufflé,s'arrêtantnet
endécouvrantlaprésencedeSametd'Amelia.–Surprise!grommelaHopeenlevantlesyeuxauciel.– Vous, j'ai deux mots à vous dire, s'écria Sam. Que ma fille soit assez
inconséquente pour ne pas appeler son père en pareilles circonstances est unechose,maisquevousnem'ayezpascontacté,c'estimpardonnable.–Bonjourmonsieur,réponditsèchementJoshenôtantsaveste.–J'aimeraisquetoutlemondesecalme,j'aibesoindecelaplusquedetoute
autrechose!ordonnaHope.Est-cequevousavezunendroitoùdormircesoir?demanda-t-elleens'adressantàAmelia.AmeliaavaitprissoinderéserverunechambredansunhôtelprèsduCHU.
Elleréussit,nonsansmal,àconvaincreSamdelaissersafillesereposer,elle-
mêmeétaitépuiséeparlevoyage,etobtintdeHopequesonpèrel'accompagneàl'hôpital.Il y eut des embrassades, timides de la part de Sam, franches de la part
d'Ameliaquisefenditd'unclind'œilàHope,commepourluifairecomprendrequ'ellegéreraitaumieuxleshumeursdesonpère.Josh leur appela un taxi et se fit un devoir de les escorter jusqu'au bas de
l'immeuble.Ilsattendirentdansleplusgrandsilencequelavoiturearrive.Amelias'yengouffralapremière.SamtenditlamainàJoshetleremerciade
l'avoir appelé, lui assurant que le petit acte qu'il avait joué dans le loftl'innocentaitcomplètement.JoshlesaluaàsontouretremontarejoindreHope.Ellel'attendaitdanslachambreetéteignitlalumièredèsqu'ilfutcouché.La
pâleurorangéedesréverbèresnetardapasàenvahirlapièce.– Il faut croire que l'esprit de corps chez les toubibs prévaut sur le secret
médical. J'aurais dûmedouter qu'il ne s'en tiendrait pas àme recommander àl'un de ses confrères. Il l'a probablement harcelé jusqu'à ce qu'il lui crache lavérité.–C'estmoiquil'aiprévenu,Hope.Tuasledroitdem'envouloir,maisnous
nepouvionspas le tenirà l'écart.Toiquimeparlaisd'avoirun fils, tun'auraispastenuàêtreauprèsdeluis'ilétaitmalade?–Quiaditqueceseraitungarçon?–Personne,maisnousauronsunjourunfils,j'ensuiscertain.–C'estmonstrueusementmisogyne.Situleveuxbien,attendonsdesavoirsi
je devrai subir une chimio avant d'envisager la fin du monde. Enfin, je tepardonnequandmême.–Jenesuispasmisogynedutout.–Jetepardonned'avoirappelémonpère,dit-elleenseretournant.
*
Hopefutopéréetroisjoursplustard,elleentraaublocà8h45dumatin.Samet Josh avaient obtenu l'autorisation, en dépit de l'horaire matinal, d'allerl'embrasserdanssachambreavantquelesbrancardiersneviennentlachercher.Lesnéonsducouloirdéfilaientau-dessusd'elle.Elleendénombratrente-sept
etpensaquesielles'ensouvenaitàsonréveilalorsl'opérationneluiauraitpaslaissédeséquelles.Lorsqu'onl'installasurlatable,ellefutsaisieparlefroidquirégnaitaubloc
opératoire.
L'anesthésiste lui rappela qu'il ne l'endormirait que pour un court instant ;lorsqu'ellerouvriraitlesyeux,elledevraitrestercalme,nepenserqu'àobéirauxinstructions du chirurgien et s'efforcer de répondre à ses questions. Si elle nepouvaitplusparler,unclignementdespaupièressignifieraitoui,deuxnon.Toutallaitbiensepasser,larassura-t-il,elleétaitentrelesmainsdumeilleurpraticienqu'ilconnaisse.Hopen'entenditjamaiscettephrase;pendantqu'illaprononçaitl'anesthésiste
luiinjectaitduPropofoletelleperditconnaissance.Elleressortitdubloccinqheuresplustard.Bienqu'ellefûtéveilléependantla
plusgrandepartiedel'intervention,Hopen'engardaqu'unsouvenirconfus.Laseconde phase d'endormissement, alors que le chirurgien refermait sa calottecrânienne,yétaitcertainementpourbeaucoup.Hopeaurait juréquel'opérationn'avait pas duré aussi longtemps. Sa famille, qui avait attendu dans le hall del'hôpital,auraitjuréqu'elleenavaitduréledouble.LeprofesseurBergern'avaitpasmenti,lamigraineavaitdisparu,etsiHopese
sentaitépuisée,ellejugeasonétatgénéralplutôtsatisfaisant.Joshentradanslachambre,Hopeétaitcoifféed'uncalotblancenmousseline.–Trente-sept!s'exclama-t-elleenlevoyant,cequiinquiétaunpeuJosh.C'est
justeunefaçondeteprouverquejenesuispasgaga,jet'expliquerai.Joshluipritlamainetluiconseilladesereposer.Hopeserendormitaussitôt.
Il tira le fauteuilquise trouvaitprèsde lafenêtrepour l'approcherdu litets'yinstalla.Ilnelequittaquedeuxfoisaucoursdelajournée,lapremièrepourcédersa
placeàSametlasecondequandLukerenditvisiteàHope.Il déclina l'invitation à dîner de Sam et Amelia et préféra retrouver Luke.
Autourd'unplatchinois,Joshluirelatalecompte-renduduchirurgien.Lamoitiédelatumeuravaitpuêtreenlevée.Tenterd'enôterplusauraitfait
courir à Hope le risque de sérieuses séquelles. Le professeur Berger portaitdésormaissesespoirsdanslesséancesderadiationsetdechimiothérapiequ'elledevrait subir. La gravité du visage de Sam quand il avait entendu cela laissaprésageràJoshqueplusriendorénavantneseraitnormal.Il demanda à Luke s'il pouvait passer la nuit sur le canapé, il se sentait
incapablederetournerseuldanslegrandloft.
*
Hope resta deux semaines à l'hôpital. Elle avait ordonné à Josh de ne luirendrevisiteque l'après-midi.Elle tenait à cequ'il suive ses cours lematin etreprenne lesoir ses travauxauCentreavecLuke.ElleavaitégalementsuppliéAmelia de ramener sonpère enCalifornie.D'autres petites têtes que la siennedevaientsouffrird'angines,devaricellesoudegastro-entérites.Unbonpédiatresetrouvaitauchevetdesespatientsetellen'étaitplusuneenfant.Sam finit par accepter, une plus longue absence pouvait lui coûter le poste
qu'ilbriguait.
*
Le jourdesasortie,elle tintàcequeJosh l'emmène fairedescourses.Elleressentaitlebesoind'allersepromenerdansunendroitpleindevie,etpourcelaelle ne connaissait rien de mieux que le mall de l'arsenal où les magasinsabondaient.Elle voulut d'abord qu'il lui offre une casquette.Lorsqu'elle la posa sur son
pansement,JoshtrouvaHopevraimentbelle.Sonteintpâlecontrastaitavecsonhumeurradieuse.Lajournéefutjoyeuse,maisparcourirlesalléesducentrecommerciall'avait
fatiguéeplusquederaison;avantquel'après-midinetoucheàsafinJoshdécidaqu'il était temps de rentrer. Hope insista pour aller manger une glace et rienn'auraitpulafairechangerd'avis.–Ilfaudraqu'onluitrouveunprénom.–Àqui?– À ma tumeur. Difficile de concevoir que tu vas te battre avec un
glioblastome,maisfoutreunebonneracléeàuneMarthaouàunTomestplusenvisageable,enfin,plusprobablesitupréfères.–TuasquelquechosecontrelesTom?– Un en particulier, mais bon, j'aimerais mieux qu'on choisisse un autre
prénom.–QuiétaitceTom?s'enquitJosh–Quedirais-tudeBarthélemius?–Pasmal,pourquoiBarthélemius?–Pourrien,enfinsi,jetrouveçacrétinetj'aimemieuxmefriteravecunidiot.–IldoityavoirpleindeBarthélemiusintelligents,enfin,aumoinsautantque
decrétins,maisc'estd'accord,vapourBarthélemius.–Tucroisquenosprénomsontuneinfluencesurnotrepersonnalité?– Je n'en sais rien, peut-être bien, je trouve que Hope te correspond
parfaitement,jenepourraispasimaginerdeprénomquitedéfinissemieux.
–Mouais,questiondepointdevue,parcequetum'accorderasqu'encequimeconcerne,s'appelerHopeparlestempsquicourentc'estfairepreuved'uncertainsensdel'humour.–Commenttedéfinis-tu?–Ouah,ça,c'estunequestionprofonde!Commeunefillequiadesjolisseins
etunetumeuraucerveau.–Arrêtetoutdesuite,Hope.Tuneferasjamaispartiedesgensquelamaladie
définit.Hope réfléchissait à la question que lui avait posée Josh. Ellemordillait sa
cuillèreenregardantleplafondducentrecommercial.Lalumièrequitraversaitla verrière la faisait cligner des yeux. Barthélemius avait pris la fâcheusehabitudedel'éblouir.– Alors, je me définirais comme une fille de taille insuffisante, un peu
faroucheetunpeusympathiqueetquifréquenteungarçonbeaucouptropbeaupourelle.–Moi,jesaisquetuvauxmieuxqueçaetjesaisquetulesais.Tupensesà
quoiquandtutelaissesaller?–Jenemelaissejamaisaller.–Hope,tusaisdepuiscombiendetempsnoussommesensemble?–Bon,d'accord!Jenevaisplusmelaisserallerparcequequandjelefais,je
penseàBart.JecroisqueceseraplusfacileàprononcerqueBarthélemius.–OK,maisavantqueBartnesoitlà?–Avant?Jepensaisqu'unjourjerencontreraisunhommecommetoi,même
si je ne l'imaginais pas comme toi. Je ne l'imaginais pas du tout pour êtrehonnête, mais je rêvais que je vivrais des moments comme ceux que nouspassonsensemble.– Je te parle de toi, Hope, pas de nous, cite-moi quelque chose qui te
ressemble,auqueltut'identifies.–Tumejuresdenepasrire?L'océan.–OKpourl'océan.Maintenant,tum'avouesquiétaitceTom?–Lepremierbaiserquiacompté.–Ah!lâchaJosh.–Tunevaspasmedirequetuesjalouxdupassé?–Alorsjenetelediraipas.–Maisenfin,Josh,lepasséestpassé,sansmauvaisjeudemots.–Tomn'estpascomplètementpassé,sinontun'enauraispasparlé.–Lequeldenousdeuxaditquelesblessuresdelavieétaientcequilaissait
entrer la lumière en nous. J'espère que c'estmoi parce que je trouve ça assezbrillant.
–C'étaitlesfêlures,paslesblessures.–Dommage,matêteauraitététrèséclairée.Jesuissûrequ'unefillet'abriséle
cœuravantquetumerencontres.Quelhommeauraittasensibilitésiunehistoired'amour ne l'avait pas fait souffrir ? Les plans d'origine chez les garçons sontbientropimparfaits,ilaforcémentfalluquetutereconstruises.–Brenda...,lâchaJosh.–Jenetecroispas!–Puisquejeteledis.–Jenetecroistoujourspas.–EnfinHope,jet'aijurédenejamaistementir.–Neplusjamaismementir,parcequetul'asfaitunefois,alorsleplusjamais
estindispensable,sinonceseraitencoreunpetitmensonge.–D'accord,plusjamais.–TuesvraimentsortiavecuneBrenda?–Vraiment.–Mince alors, comment peut-on faire un truc pareil ?Dis-moi qu'elle était
d'uneintelligencequidépassaitl'entendement.–Tuneseraispasjalousedupassé?
*
Hope commença son traitement au début dumois suivant. Sam fit un aller-retourpourvoir sa filleà la finde lachimiothérapie.Elleétait amaigrie,maisBartaussiavaitperdudupoidsetleprofesseurBergerétaitconfiant.Une,peut-êtredeuxsériesdechimiosupplémentairesauraientdebonneschancesd'assurerunerémissioncomplète.Au printemps, Hope se remit à courir avec Josh le long de la rivière. Jour
après jour, semaineaprès semaineelle regagnaitdes forcesquechaquenouvelépisode de traitements mettait à mal. Mais à peine les soins terminés, ellereprenaitlechemindesberges,poursespromenadesmatinales,puisceluidelafac.Jouraprèsjour,semaineaprèssemaine,lavieretrouvaitsoncours...presque
normal.Lesoir,dèsqueHopes'endormait, JoshrejoignaitLukeauCentre.Plusque
jamais,lesdeuxamiss'investissaientdansleursrecherches.Leurintégrationausein de la nouvelle équipe portait ses fruits. Une bonne entente régnait, leséchanges d'idées fusaient, les travaux progressaient et quelques avancées,«remarquables»pourciterFlinch,avaientétéaccomplies.Lesenregistrementsréalisés sur Josh avaient permis de gagner un temps considérable dans la
modélisationinformatiqueducerveauetleprojetNeurolinkavaitapportéàLukeun gain de temps plus considérable encore dans la mise au point du casqueneuronalimaginéparJosh.Début mai, un premier prototype sortit de l'imprimante 3D et les essais
pratiqués sur un singe stupéfièrent toute la communauté du Centre. En deuxsemaines, le casque avait permis de reproduire informatiquement 60 % desconnexionsducerveauduprimateetl'acquisitiondesdonnéescroissaitdefaçonexponentielle.Face à de tels résultats, Flinch s'engagea à présenter le projet Neurolink
devantlacommissiond'éthique.Sileursingecobayenemontraitaucundésordrecomportemental dans les douze mois, il se faisait fort d'obtenir l'autorisationd'expérimenterlecasquesurunêtrehumaindèsl'anprochain.Lorsqu'ilfitcetteannonce,LukeetJoshaffichèrentunairdeconnivencesans
mêmeseregarder.Le lendemain, au cours de la nuit, Luke imprima un second casque qui
épousaitparfaitementlesformesducrânedeJosh.Dèsqu'il futprêtàfonctionner,Joshcommençaà l'utiliseret l'expériencese
renouvelachaquesoir,aussitôtquelederniermembredel'équipequittaitlelabo.
10.
Unsoirdejuin,Josheutl'idéed'équiperleterminalduserveurd'unewebcam.Luke alla chercher la caméra-micro dans la réserve du Centre. En quelquesheures, ils ouvrirent une passerelle dans le programme deNeurolink, espérantqu'ilspourraientcommuniqueravecluiparcebiais.Selon leurs estimations, les nombreuses séances effectuées depuis qu'il
utilisaitlenouveaucasqueavaientpermisdecollecterunepartiesuffisantedelamémoire de Josh pour qu'ils tentent désormais d'accéder à son contenu. End'autrestermes,sauvegarderunequantitéphénoménalededonnéesneservaitàriensionnepouvaitpaslesconsulter.Luke avait baptisé cette phase « Restore », nom de code que Josh trouvait
aussipompeuxqueridicule.Lorsque les connexions furent vérifiées, Josh s'installa face au terminal et
s'adressaàNeurolink,pourlapremièrefoisoralement.–Bonsoir,dit-ild'unevoixhésitanteenfixantl'œildelacaméra.Aprèsuncourtinstant,lemotBonsoirs'inscrivitsurl'écran.–Tucroisqu'ilmerépondouqu'ilrecopiemesmots?–Jen'ensaisrien,lâchaLuke.Neurolinkécrivit:
Mesmots=mesmots.
–Qu'est-cequ'ilfait?demandaJosh.–Jen'ensaisrien,répétaLuke.–Ôte-moilecasque.–Non,tuserasdéconnectéduserveursijetel'enlève.–Peut-être,mais je veux savoir si cequi s'affiche émanede l'ordinateur ou
d'unsimpleéchodemavoix.
–Jedoutequel'ordinateurpense,rétorquaLuke.JoshdétachalalanièreducasqueetLukeseprécipitapourleluienlever.– Fais gaffe bon sang, il y a des milliers de connexions, c'est au-delà du
fragile.Laisse-moifaire.Lukeposadélicatementlecasquesursonsocleetrepritplacesurletabouret.
Joshserenditcomptequ'ilétaitaussinerveuxquelui.Chacunespéraitquecetteexpériencemarqueraitun tournantdans leurs travaux,un tournant remarquablecommel'auraitcertainementditFlinchs'ilavaitsucequisetramaitdansl'undeses labos. Mais il n'y avait aucun risque qu'il l'apprenne, les deux complicesavaientcrééunepartitiondansleserveuràlaquelleeuxseulsavaientaccès.–Etmaintenant?demandaLuke.–Tufaiscommemoi,turetienstonsouffle,réponditJosh.Ilseretournaverslacaméraetdemandad'unevoixcalme:–Est-cequetum'entends?
Fortetclair.
LevisagedeJoshsefigeaenlisantcela...L'écranrestainerteavantqu'uneétrangeéquations'affiche.
[1+1=1]
–C'estfaux,réponditJosh.
[1+1=1]
–Dansquellecirconstance?demandaJosh.
[1+2=2]
–C'estencorefaux,1et2font3!
[1+2+3=3]
–Quesignifientcescalculs?– Neurolink est peut-être en train de tester ses propres connaissances
mathématiques ? C'est la première fois qu'il communique, il est très jeune,suggéraLuke.L'ordinateureffaçacequiétaitsurl'écranetinscrivit:
[1=Josh]
– Il veut peut-être te dire que tu es unique à ses yeux, enfin à son œil,poursuivitLukeunpeumoqueur.
[Faux]–TurépondaisàLuke?questionnaJosh.
[TurépondaisàLuke]
Joshfixal'écran,songeur.Neurolinkavaitrecopiésaquestionennégligeantle
pointd'interrogation.Cepouvaitêtreunesimpleerreurdeponctuation,àmoinsqu'il n'ait fait cette omission délibérément, transformant la question enaffirmation.Uneidéetraversal'espritdeJoshetilsesurpritàhésiteravantdelaformuler.–Quies-tu?Surl'écranapparut:
[Quies-tu?]
Cettefois,lesdeuxphrasesétaientidentiquesentoutpoint.–Quandiln'estpas incohérent, ilsecontentederépéter tesparoles,soupira
Luke.Cen'estpastrèsprobantcommerésultat.Tuauraisdûm'écouteretgarderlecasque.
[2=Hope]–TuconnaisHope?demandaJosh,stupéfait.
[1+2=2]
–Jenecomprendspas.
[3=Luke]...[1+2+3=3]
–Définis4?
[Fortetclair]
JoshréfléchitàcequeNeurolinkvenaitdeformuler.–Monpèreest4?
[Vrai]
Josh et Luke se regardèrent abasourdis. Tous deux se sentaient gagnés par
l'excitationduchercheurquidevines'approcherd'unedécouvertemajeuredontil
ignoreencorelaportée.–Commentas-tudécidédecettenumérotation?demandaJosh.
[Commentas-tudécidédecettenumérotation?!]
–Ettoi,quelchiffrees-tu?
[1]
Joshfixait l'œilde lacaméra, tâchantdepercercequeNeurolinkvoulait lui
fairecomprendre.Etsoudain,cequeLuken'avaitoséespérerdanssesrêveslesplusfous,cepourquoiilavaitpristantderisques,passétantdenuitsdansdessallesdelaboratoire,sacrifiétoussesloisirs,supportéd'existerdansl'ombredeson meilleur ami, tous ses espoirs nourris de frustrations se virent enfinrécompensésquandNeurolinkrépondit:
[Jesuistoi,Josh]Ils comprirent alors le sens des équations que l'ordinateur avait posées. Les
chiffresqu'ilavaitaffichésdésignaientchacununepersonne,selonl'importancequ'ellerevêtaitauxyeuxdeJosh.Josh+JoshétaittoujourségalàJosh,alorsqueJoshetHopeformaientbien
deuxêtresdistincts.Plusstupéfianteencore,étaitlaportéedecetteconversation.Ce n'était pas une intelligence artificielle évoluant dans les serveurs deNeurolinkquiconversaitavecJosh,maisJoshquiétaitentraindecommuniqueravecunpandesaconscience.L'écrans'effaçaànouveau.–Prouve-le!s'exclamaJosh.Neurolinkrestamuetquelquesinstants,etsoudainl'écrans'illumina.Laroueavantd'unebicycletteapparut,sonpneutournaità toutevitesse.Au
loinonpouvait voirunhommedevant laported'ungarageque Josh reconnutaussitôt. La roue partit de travers et l'image se renversa. On vit l'homme seprécipiter, sa main trapue en attraper une autre, frêle et petite. Son visages'approchaencore,ilavaitlaminedéfaite,puisl'imageviraaurougeetdisparutsubitement.–C'était l'étédemescinqans,murmuraJosh, j'avais totalementoubliécette
chute, pourtantmémorable.Mon pèrem'a relevé, il a regardéma jambe, l'airterrifié,jepissaislesangetj'aitournédel'œil.J'aieudroitàdixpointsdesuture,dit-ilenremontantlajambedroitedesonpantalon.
Ilpassasondoigtsurlamarqueàpeinevisibled'unevieillecicatriceetLukesurpritl'émotiondanssesyeux.–Jecroisquecelasuffitpourcesoir,ditJosh,enéteignantl'écran.– Tu ne parles à personne de ce qui vient de se passer, et quand je dis à
personne,pasmêmeàHope.Tum'entends,Josh?–Fortetclair,répondit-ild'unevoixabsente.
*
Sur le chemin du retour,Luke et Josh furent incapables d'échanger unmot.Lukeappuyasurl'accélérateur,Joshvoyaitparlavitrelepaysagedelabanlieuedéfileraussivitequelespenséesdanssatête.– J'avais oublié cevisage, finit-il par dire. Je neme souvenais pasde lui si
jeune. Jeme demande si les enregistrements s'effectuent dans l'ordre. Ce quenousamontréNeurolinkcesoirestl'undemespremierssouvenirs.–Cequenousavonsvucesoirestsurtoutuntrucincroyable,s'exclamaLuke,
siexcitéqu'ilavaittapédupoingsurlevolantendisantcela.Josh,aucontraire,affichaituncalmesurprenant.Iljetaunœilàl'aiguilledu
compteurdevitesse.–Jenesuispassûrquetuterendesbiencomptedecequenousavonsfait,je
nesaismêmepassij'enmesuremoi-mêmelaportée.Nousdevrionsyréfléchirunpeuavantdecontinuer,dit-il.–Tuplaisantes?Cequenousavonsaccompliestgénial!Neurolinkarestitué
cinématographiquement un de tes souvenirs, un pan de ta mémoire que tun'auraispeut-êtrejamaisrevisitésanscela.–Justement,çam'afichuuncafardnoiretj'airessentiquelquechosedetrès
dérangeant.–Tuasrevutonpaternelaveclequeltun'espasentrèsbonstermes,pourne
pasdireaucun.C'estnormalquecelateficheunpeulebourdon.–RalentisLuke, tu vas trop vite.Quand nous nous sommes lancés dans ce
projet,notreambitionétaitderéussiràrecopier lecontenudelamémoired'unindividu sur une matrice numérique, mais nous n'avions pas songé à ce quepourrait impliquer le fait d'être plongédans les abîmesde sa propremémoire,encoremoinsque l'ordinateur s'accorderait la libertéd'ypénétrer sansqu'on leluiaitdemandé.–Alorslàmonvieux,c'estlasoiréedesgrandespremières.Parcequejevais
enfintedémontrerquemonintelligencepeutsupplanterlatienne.C'esttoiquiasinstruit le rappel de ce souvenir. Tu as demandé à Neurolink de te prouverquelquechose,et ilaobéiàtacommande.Quecroyais-tuquandtufantasmais
sur lapossibilitéde transférerun jour laconscienced'unêtrehumainversunemachine,quel'inconscientneviendraitpasavec?–Maisbordel,Luke,siNeurolinksemetàpenseràmaplace,c'esttoutautre
chose,tuterendscomptedecequecelasuppose?–Toutdoux,monvieux.Unordinateurnepensepas,ilréfléchit.Çan'arienà
voir.–Parceque tu trouvesque lafaçondont ilacommuniquéavecnousn'avait
riendeconceptuel?Unepluieorageusevint fouetter le pare-brise, lemacadammiroitait dans la
lumière des phares. La Camaro zigzagua un peu sur l'asphalte et Luke duts'accrocherauvolantpourlamaintenirdansl'axedelaroute.–Nousnelesauronsqu'enpoursuivantnosexpériences,dit-il.–Non,jesuisdésoléLuke,pastoutdesuite,j'aibesoind'yréfléchir.Toutça
vatropvite,nousjouonsaveclefeu.–Tuvoudraist'arrêteralorsquenoustouchonsdudoigtceàquoinousrêvons
touslesdeuxdepuisdesannées?Parcequetuaseuunpetitcoupdebluesenrevoyantlatêtedetonpère?Tutrouvesçascientifiquecommedémarche?Quelchercheur digne de ce nom n'a pas eu d'appréhensions en approchant de sonbut?Est-cequelamédecinegénétique,leclonage,l'intelligenceartificiellen'ontpassuscitédespeurs?– Probablement, mais je te le répète, ce que j'ai vécu tout à l'heure était
dérangeant, jemesuisconfrontéàunemachinequi jouaitavecmaconsciencepourm'instrumentaliser.–C'esttoiquivastropvite.Pourl'instant,nousavonsseulementrevisitéune
séquence demémoire, il est beaucoup trop tôt pour invoquer une quelconqueformedeconscience.–Ralentisbonsang,tuvasfinirparnoustuer.Lukebifurquasurlabretelledesortie.Quelquesminutesplustard,lavoiture
serangeaaupiedduloft.Joshendescenditets'enallasanssaluersonami.Luke,songeur,leregardaentrerdansl'immeuble.Saréactionl'exaspéraitetil
décidadefaireundétouravantderentrerchezlui.Ilabandonnasavoituresurleparkingducampusetcourutsouslapluievers
lebâtimentdesenseignants.Ilendétenaituneclédepuisqu'ilavaitéténomméassistant.Il parcourut le couloir, entra dans le bureau de Flinch et s'installa sur son
fauteuil.Puisilouvrituntiroir,attrapaunefeuilledepapier,rédigeaunpetitmotetleglissadansuneenveloppequ'illaissaenévidence.
*
UnenuitetunejournéeauprèsdeHopel'avaientaidéàmettredel'ordredansses idées. Le lendemain soir, Josh reprit le chemin du Centre... et sesexpériences.IlréussitàconvaincreLukedenepluscommuniqueravecNeurolinkpendant
uncertaintemps.Lukes'yrésolutàcontrecœuretdéconnectalawebcam.Unsoir,Flinchentradansleurlaboàuneheureoùlesautreschercheurss'en
étaientallésdepuislongtemps.Josh n'eut pas le temps d'ôter le casque et Flinch le considéra d'un air
circonspect.–Ainsiaccoutré,vousavezpresquel'apparenced'unsinge,monami,dit-ilun
rictusauxlèvres.JoshdéfitlalanièreetLukeallaposerlecasquesursonsocle.–Vouspensiezquoi?tonnaFlinch.–Nousnepensionsrien,monsieur,réponditJoshd'unevoixconfuse.– C'est bien ce que je vous reproche. Avez-vous une idée du coût des
équipementsquisontmisàvotredisposition?Jedevinequenon.Etvousvousêtesditquecen'étaientlàquedesjouetsquedespersonnesbienveillantes,maisirresponsables,mettaientàladispositiondegaminsencoreplusirresponsables?–Non,pasexactement,soufflaJosh.Luke rangeait les équipements dans le plus grand silence, comme si ça le
mettaitàl'abridusavonqueFlinchétaitentraindeleurpasser.– J'avais pourtant proscrit formellement l'usage de Neurolink sur un être
humain, alors maintenant que vous avez retrouvé une apparence normale, jevous le demande, êtes-vous un singe ? Fermez ce labo à clé et rejoignez-moidehors,ordonnaFlinchensortant.Luke et Josh, sans unmot, se hâtèrent vers le parking, restant circonspects
jusqu'àcequ'uncoupdeklaxonattireleurattention.Flinchlesattendaitàborddesavoiture,uneCadillacSedanauxchromeset
cuirs rutilants. Ils l'aperçurent derrière son pare-brise leur faisant signe demonter.Lukes'installaàl'arrière,laissantàJoshlaplacedumort.Leprofesseurdémarraetparcourutdeuxkilomètresavantdeserangersurle
bas-côtéd'uneroutedéserte.Ilsepenchapourouvrirlaboîteàgants,ypassalamainetattrapaunpaquetdecigarettes.–Sortons,dit-il,jenesuispascenséfumer.Laroutelongeaitdeschampsquis'étendaientàpertedevue.–Quefaisons-nousici?sehasardaJosh.–Çanesevoitpas?Nousprenonsl'air.D'un légercoupdepied,Luke fitcomprendreàJoshdes'en tenir là.Flinch
n'enavaitpasfiniavecsonsermonets'ilavaitsouhaitélesconduireàl'écartdu
Centre,c'estqu'ildevaitavoirsesraisons.–Cequevousavezaccompliestremarquable,etterrifiant,dit-ilenexhalant
unelonguevolutedefumée.Ilvadesoiquepersonnenedoitêtreaucourant.Jevous prierai de prendre les mesures nécessaires pour protéger plusconsciencieusementvotrebanquededonnéespersonnelle.Doit-onappelerainsileclonedevotrecerveau,jem'interroge?Enfin,qu'importe,procédezdefaçonàcequepersonned'autrequevous,etmoi,n'ensoupçonnel'existence.Si j'aipudécelervosmanigancesdansnosserveurs,d'autrespourraientaussilesdécouvriret je préférerais que ce ne soit pas le cas. Nul n'est en mesure aujourd'huid'imaginer les réactionsdenotreconseildesurveillance.Moi-mêmejen'arrivepas à savoir si j'admire cette incroyable percée scientifique ou si je ladésapprouve.–Qu'attendez-vousdenousexactement?demandaLuke.–Ignoranttoutdevosprojets,jenevoispascommentjepourraisrépondreà
cettequestion,quevousnem'avezd'ailleurspasposée.J'oseimaginerquevousêtes assez fous pour poursuivre vos expériences. Le contraire me décevraitgrandement.Vous vous êtes approchés si près de l'essence de la vie que vousavezpeut-être réussi à la saisir,maisn'allez surtoutpascroirequevous l'avezcomprise.Capturerunanimalsauvageestunechose,présagerlafaçondontilsecomportera en est une autre, et le domestiquer une troisième. Dois-je vousrappelerlespeursquesusciteencorel'intelligenceartificielle,alorsimaginezlapanique si l'on apprenait que deux apprentis sorciers viennent d'en doter uned'une conscience humaine. Et soyez très prudents, car vous n'avez pas lamoindreidéedelafaçondontelleévoluera.– Comment avez-vous trouvé notre partition dans le serveur ? questionna
Josh.–Demandez-vousplutôtcommentladissimulerauxyeuxdetous.
Flinch proposa de leur allouer une unité indépendante réservée au stockage
desprojetsinaboutis.Unesortedesalled'archivesdevenuesipoussiéreuseaufildutempsquepersonnen'auraiteu l'idéed'allerychercherquoiquecesoit. Ilsdevraient programmer le transfert de leurs données pour qu'il s'effectue entrevingtheuresetvingt-troisheures,momentoùleréseauinformatiqueétaitleplussollicité.Nedisait-onpasquelemeilleurmoyendesepromenerincognitoétaitdesefondredanslafoule?Après avoir écrasé sa cigarette, Flinch sortit un petit flacon de solution
désinfectante,dontilsefrottalesmainsavantderetourneràsavoiture.–Jevousredéposeouvouspréférezmarcheràtraverschamps?
*
Deuxsemainesplustard,latotalitédesdonnéesavaitmigrédansunserveuroù plus personne ne pourrait les repérer, sauf ceux qui en avaient laconnaissance.JoshetLukereprirentleursexpériences.Unsoirparsemaine,ilss'adonnaient à une séance au cours de laquelle Josh et Neurolinkcommuniquaient.Chaquefois, ilenressortaitaccablédefatigueet il lui fallaitplusieursjourspours'enremettre.
11.
Vint le soir du 4 Juillet. La ville s'était parée de guirlandes et de lampionstricolores.Unpeupartoutlesmâtsdeslampadairesétaientplacardésderéclamesvantant lesmenus des restaurants ou les programmesmusicaux des clubs quicélébraientlafêtenationale.MaisriennepouvaitrivaliseravecleconcertdonnésurlagrandeesplanadedevantlaCharlesRiver.Ilcommençaitinvariablementàvingt heures pour se terminer deux heures plus tard dans un roulement detambours qui annonçait le clou des festivités : un immense feu d'artifice, tirédepuisunebargeflottante.Depuis midi on voyait déambuler en ville touristes et citadins auxquels se
mêlaientcommerçantsetnotables,souventvêtusd'étrangestenuesquiarboraientfièrementlabannièreétoiléedelapatrielibéréedujougdesAnglais.JoshavaitpromisàHopequ'ilsnemanqueraientpasuneminutedelafêteet
dès dix-huit heures ils se joignirent à la foule qui commençait d'envahirl'esplanade.Lespremiersaccordsdeguitareélectriques'élevèrentdanslabrisedusoir.Le
brouhahadesspectateursfutrecouvertparleséclatsdelabatterieetl'orchestresaluépardesapplaudissements.Lesquatreamisétaientauxpremièresloges,àquelquesmètresdelascène.HopeavaitconviéKasukopourqueLukenefassepascavalierseul,espérant
secrètement que le courant passe entre eux. Kasuko était aussi studieuse ettaciturneque lui et elle refusait de considérer l'attirancedes contraires commeuneloidelanature.Cependant,Joshluifitremarquerquesesdeuxtourtereauxsetenaientàdistancemalgrélacompacitédelafoule.LeconcertduraitdepuisunebonneheurequandJoshsepenchaversHope.–Tusaisdanserlerock?luihurla-t-il.–Aussibienquejecuisine,cria-t-elle.
–C'estimpossible,hurla-t-ildeplusbelle.Illuipritlamainetlafittournoyeravantdelarameneràlui.– C'est facile. Pied gauche légèrement en arrière, pied droit sur place, un
chasséverslagauche,lesbrasàhauteurdesépaules,gauchedroitegauche,unchassé vers la droite, on fait une passe et on recommence. Je guide et tu tecontentesdesuivre.Hope rit auxéclatset se laissaentraîner.Elleavait acceptéde secouvrirde
ridicule,maisellesetrouvafinalementassezdouée.Joshaccéléralacadence,illa fit pivoter sur elle-même, une première fois, puis une deuxième et unetroisièmeenluidécochantundesessouriresravageurs.–Çatourne,dit-elleententantdefreinersonardeur.–C'estnormal,beugla-t-il,c'estunpeul'idée.–Non,jetejurequecen'estpasnormal,répondit-elleavantdes'effondrer.Josh se précipita pour la relever et vit qu'elle avait les yeux révulsés. Elle
tremblaitdetoutsoncorps.Il tenta de la réanimer, en vain, la prit dans ses bras et la souleva de terre.
Ceux qui dansaient près d'eux n'avaient pas remarqué ce qui se venait de sepasseretJoshpeinaitàs'extrairede la foule. Ilhurlade toutesses forcespourattirer l'attention des secouristes accoudés aux barrières qui protégeaient lascène,maislamusiquecouvraitsavoix.Àdeuxrangsdevanteux,LukefinitparseretourneretsaisitKasukoparlebras.Joshcontinuaitd'avancerpasàpas, il avait toutes lespeinesdumondeà se
frayerunpassageensoutenantlecorpsdeHopedontlatêteretombaitenarrière.Le sang de Kasuko ne fit qu'un tour, elle sortit de sa réserve habituelle etrepoussalesspectateurssansménagement,entraînantLukedanssonsillage.Dèsqu'ils parvinrent à sa hauteur, Luke soulagea Josh du poids de Hope en luiprenantlesjambes.–Plushaut!hurlaKasukoilfautlamaintenirau-dessusdelafoulepourque
lesgenscomprennent.Un secouriste les repéra, il donna des instructions dans son talkie-walkie et
deuxdesescollèguess'avancèrentpourleurouvrirunchemin.Quand ilsarrivèrentenfinàs'extrairepar lecôtéde lascène, lessecouristes
lesguidèrentjusqu'àl'ambulancequilesattendait.OnyinstallaHopesurunecivière,l'ambulancierposaunmasqueàoxygène
sursabouche.Sonvisage,d'unepâleureffrayante,semblaretrouverunpeudesacouleur. Josh grimpa à bord et les portes se refermèrent alors que la sirèneretentissait.Kasuko apprit d'un secouriste queHope serait évacuéevers les urgencesdu
GeneralHospital.EllepritlamaindeLukeetl'entraînaverssavoiture.
Lesgyropharesde l'ambulancegriffaient les ruesde leurhalobleuet rouge.Hoperecouvraitlentementsesesprits.Joshluitenaitlamain,nelaquittantpasdesyeux.Ilavaitlestraitssitendusqu'uneveinesaillaitsursonfront.Hopesoulevalemasqueetsourittimidement.–Sacrédanseur,murmura-t-elle.Tusaisyfaireaveclesdébutantes.Puisellesepenchaenavantetrégurgitaviolemmentdelabile.L'ambulancierlasoutintparlesépaules.Quandlesspasmescessèrent,ill'aida
àserallonger.–Nousnesommesplustrèsloin,dit-il.Toutvabiensepasser.
*
Luke et Kasuko déboulèrent une demi-heure plus tard dans le hall desurgences.IlstrouvèrentJoshassissurunbanc,latêteentrelesmains.–Qu'est-cequ'ilsontdit?demandaLuke.–Rien,ilsn'ontencoreriendit,justequ'ilyavaitunproblèmedanssonsang.
Jeleuraiparlédesesantécédentsmédicaux,ilsvontluifairepasserunscanner,maisilsnesaventpasencorequand.Àsixheuresdumatin,lanouvelletombacommeuncouperet.Bartavaitfait
songrandretourdanslecerveaudeHope.Illeuravaitoffertquelquesmoisdenormalitéapparentepourmenerperfidementsaconquête,lesmétastasesavaientenvahilecervelet.Bergerarrivaversdixheures. Josh,LukeetKasukoprirentconnaissancede
sondiagnosticàmidi.Hopeavaittoutauplussixmoisàvivre,peut-êtremoins.
Josh marcha d'un pas automate vers la cabine téléphonique avant de se
souvenirencherchantdelamonnaiedanssapochequ'ilavaitunportable.Alors, se raccrochant comme à une bouée de sauvetage à la promesse qu'il
avaitfaiteunsoir,ilappelaAmeliaenCalifornie.
*
Desheuresplustard,uneinfirmièrevintlechercher,onluiaccordaitenfinlapermissionderendrevisiteàHopeetilpensaquemêmedansl'antichambredunéantl'hommetrouvaitencorelemoyend'imposerdesrèglements.Josh la remercia poliment, après tout, ce n'était pas de la faute de cette
infirmières'ilavaitpassélanuitetlamatinéeàarpenterunesalledespasperdus.Ilpoussalaporteetentra,unsourirecousuauxlèvresetl'estomacnoué.
Hopeluiretournasonsourire.Elleétaitbardéedetubesquiluientraientdansles bras, de fils qui couraient sur sa poitrine, mais sous ces équipements desurvie,c'étaitbiensaHopequ'ilvoyait,saHopequivenaitdeluijouerunsaletour.Elleluifitsignedes'approcherdulit.–Tudevraispouvoirposertesfessesici,ilresteencoreunpeudeplaceentre
le fil vert et le fil bleu,mais fais attention ànepas sectionner le rouge, sinonj'explose.Elleavaittrouvélemoyend'êtredrôle,politesseexquise,pensaJosh.Elleluicaressalajoueetl'attiraverselleparlementonpourqu'ill'embrasse.
Ses lèvres étaient desséchées, mais elles avaient gardé le goût voluptueux deleurspremiersbaisers.–Net'enfaispas,jesaisdéjà.Bartestungrossalopardsournois.–Lemédecinestpassétevoir?demandaJosh.–Non,c'estmoiquiluiairenduvisite.Ilyaquinzejours,lesmigrainessont
revenues. Alors je suis allée faire un scan pour me rassurer. J'ai été trèscourageuse,tusais.Enfin,jen'aipaseuvraimentlechoix,leradiologuem'afaitclairement comprendre qu'il n'était pas question qu'il me tienne par le piedpendant l'examen. Je lui avais pourtant dit que j'étais prête à garder meschaussettes,maisc'esthorriblement têtu les radiologues. Je saisque tuvasmehaïrdetel'avoircaché.Jevoulaisunpetitsupplémentdenormalité.Jepensaisqueçadureraitpluslongtemps.Jetedemandepardondet'avoirmenti.Jeneleferaiplus.–Plusjamais?–Plusjamais.–D'accord,alorsnoussommesquittes,lâchaJosh.–En fait non, ditHope en faisant un peu lamoue. Jem'apprêtais à dire la
mêmechose,maisvenantdetoi,etdanslescirconstancesactuelles...jenesuispassûrefinalement.–Jedevraisapprendreàmetairequandj'ailedessus.–C'estpeineperdue,tun'asjamaisledessus.Tuasappelémonpère?–Oui,dèsquej'aiappris...–Alors,vavitefermerlaporteàclé, ilestcapabled'enjamberlepaysetde
débarqueràtoutmoment.–Lesmédecinsdisentquetunedevraispasresteràl'hôpitaltroplongtemps,
quelquesjoursetjeteramèneraiàlamaison.–Dansmonétat,«pastroplongtemps»estunenotionpleinedepoésieetde
subjectivité. De toute façon, il n'est pas question que je traîne ici. Les petitsdéjeunersenperfusion,cen'estpasmontruc,etpuistul'asdittoi-même,jene
seraipasquelqu'unquelamaladiedéfinit.Alorsjen'aiaucuneraisond'occuperlelitd'unvraimalade,ceseraitdégueulassedemapart.–Eneffet,jeteleconcède.–TucomprendsmonJosh,ilyaunmomentdanstoutmalheuroùlaquestion
deladignitésepose,elledevientmêmecruciale.JesuisbeaucouptropencolèrecontreBartpourlaisserquiconqueluiaccorderplusd'importancequ'àmoi.–Jecomprends.–Arrêtederépétertoutcequejedis,jevaisfinirparcraindrequelecancerdu
cerveausoituntruccontagieux...Jetedisaisquelquechosedetrèsimportantsurlemalheuretladignité.Ahoui,passonssurlesdoucesconneriesausujetdelaviequ'ilfaudraitprendrechaquejouràbras-le-corpssousprétextequ'onnesaitjamaiscombiendetempsilnousreste;moi,jesais.Enfinàquelquessemainesprès, j'ai ma petite idée, et quand le corps fout le camp, ça change tout,justement. Alors les beaux donneurs de leçons qui t'expliquent comment teréconcilieravec tonkarma, je lesemmerde–pour resterpolie. Jeneveuxpasqu'on rende lemoindrehommageàBart,nimaintenantetencoremoinsaprès.Leshommagessontpompeux,videsd'intérêtetilscélèbrentlesmortslàoùondevrait célébrer lavie.Voilà, jem'arrête là,maisnosplansàcourt termevontêtre très simples.Tume ramèneras chez nous, on se fera de bons petits plats,enfin surtout toi, parce que tu connaismon talent pour la cuisine.Nous ironsnouspromenerquandjeneseraipastropfatiguée,etsurtout,surtout,nousallonsignorerBart.Ceseramavictoire.–Nousferonstoutcequetuvoudras.– Ce que je suis en train de te dire, mon Josh, c'est qu'il n'y aura pas de
chimio, pas de rayons, rien qui me rende encore plus malade, rien qui fassedoucement rigolerBart.S'ilmeveut, ilmeprendradebout,pasallongée.C'estclair?–Non.–Commentça,non?–Tucroyaisquetuallaismepiégeraussifacilement?Sijet'avaisrépétéque
c'étaitclair,tum'auraisencoretaxéd'avoirunetumeuraucerveau.Hope réunit toutes ses forces, elle l'attrapa par la nuque et l'embrassa avec
passion.
*
Hopequittal'hôpitallesamedisuivant.Sam,quiétaitarrivélelendemainduconcert(ilétaitinterditdefaireréférenceàl'évanouissementdeHopeautrementque par ces mots), avait usé de son pouvoir de médecin pour que sa fillerecouvresesforceschezelle.Ilavaitsignélui-mêmeunedéchargeetJoshl'avait
rapatriée en ambulance. Dix jours après le « concert » elle commençait à selever, douze jours et elle semaquillait ; auquinzièmeelle s'habilla et, commec'était un dimanche, elle alla se promener en famille dans les allées de labrocante.Cefutunebellejournée.SametAmeliaavaientlouéunpetitappartementenville.Samseplaignaitde
sonexiguïtéetdubruitquefaisaientlesvoisins.Etpourtant,c'étaitfoucommecethommesidiscretétaitdevenubruyant.Maischaquefoisqu'ilpestait,Hopeavaitl'impressiondesesentirmieux.Unsoirellel'invitaàdîner,untête-à-têteentreunpèreetsafille.Saml'avaitconduitedansunrestaurantitalien,celuiqu'ellepréférait.Ledécor
étaitsuranné,maisenymettantdusien,onauraitpusecroiredansl'unedecestrattoriasquibordentlescanauxdeVeniseetqueseulslesVénitiensfréquentent.Ellechoisitunplatdepâtesauxcouleursd'automne,Samcommandaungrand
vin,parcequ'endetelsmomentsl'ivresseétaitundéfisublime.Hope lui prit la main et le força à reposer le menu pour qu'il affronte son
regard.–Tu avais raison, dit-elle, les spécialistes sont desmédecins beaucoupplus
dangereuxquelespédiatres.–Sûrement!Maispourêtrehonnête,peut-êtreavons-nousjusteunpeuplus
dechanceavecnosanginesetnosvaricelles.– Ne dis pas cela. J'ai entendu parler de varicelles mortelles et d'angines
foudroyantes. Je sais que tu vauxmieux que ça, et je sais que tu le sais. J'aitoujoursadmirétontravailetlemédecinquetues.Detoutefaçon,lagrandeurd'un toubib n'est pas de soigner, avec toutes vos années d'études, c'est leminimumquandmême.Cequi faitungrandmédecin,c'est sacapacitéànousconvaincrequ'onvaguérir.–Jenepeuxplusfaireçaavectoi,Hope,réponditSamenbaissantlesyeux.Hopeleresservitdevinetremplitsonverreaupassage.–Enfant,j'étaisjalousedetespatients,j'avaisl'impressionquetutesouciais
trop d'eux et pas assez de moi. Tu n'y es pour rien, les filles sont hyperexclusivesavecleurpère.Ilfautquejet'avouequelquechose.Cettepneumoniequej'avaisattrapéequandj'avaistreizeans,jecroisquejen'yétaispaspourrien.– Enfin Hope, nous ne sommes pas responsables des maladies qui nous
frappent.–Quandonpasselanuitàlafenêtre,lespiedsdansunebassined'eauglacée,
unpeuquandmême,non?–Tuasfaitça?Hopehochalatête.–Maispourquoi?
–Pourfairepartieduclubdetespatientsetqueturestesàmonchevet.Çaatrèsbienmarchéd'ailleurs, tuavaisfermétoncabinetpendant trois jours.Je tel'aidit,lesfillessonthyperexclusivesavecleurpère.–Jevaisresteràtonchevet,tupeuxcomptersurmoi.– Non Papa, justement, j'ai grandi. Tu dois aller t'occuper de tes petits
malades,ceuxque tupeuxencoreconvaincredeguérir, retournerhouspiller lepersonneldetonhôpitalquidoittrouverlaviebientropcalmesanstoi,etpuissurtouttudoispréserverAmelia.–Nedispasd'âneries.Tuesmafille,tupassesavanttout.–C'esttoi,l'âne.TuesencolèredepuissilongtempsaprèsMamandet'avoir
abandonnéquetunesaispluscommentêtreheureux.Tucherchesàteprouverquoi?Qu'elleétait la femmede tavie?Ellene l'estplus.Ceque tupeuxmeprouveràmoi,c'estquetuasétécapabledeluisurvivre,queturesterastoujourscethommefortquiestmonpère.LaisseAmelias'installerdanstavie,épouse-la,c'estquelqu'undebien,elletemériteautantquetulamérites.SamsepenchaversHopeetl'embrassalonguementsurlefront.–Tumedisçaparcequetuesentraindemourir.–Jet'enpriePapa,nemefaispasressemblerencoreplusàMaman.–Tuessonportrait,etlaperdredeuxfoisestau-dessusdemesforces.–C'estunpeupourcelaquejevoulaisquenousdînionsensemble.Tusaisqui
aencorepluspeurqu'unejeunefemmedemonâgedemourird'uncancer?Sonpère.Etjenepeuxpastevoirnourrircettepeurauprèsdemoi.Çamerappelleàchaqueinstantquejesuismaladeetjeveuxtoutfairepourl'oublierpendantletemps qu'ilme reste.Rentre à San Francisco.Quand j'irai vraimentmal, Josht'appellera.
*
Lelendemain,JoshetHopeaccompagnèrentSametAmeliaàl'aéroport.Sampleurabeaucoupenleurdisantaurevoir.AmeliarassuraHope,depuisquelquetempsSampleuraitmêmedevant un téléfilm.Elle lui ferait boirede la vodkapendanttoutlevol,etlesurveilleraitdeprès.Ils s'embrassèrent avec force et amour. Lorsqu'ils disparurent derrière les
portiquesdesécurité,Hopepoussaunlongsoupir.EllepritJoshdanssesbraset,dansunélandedignitésublime,luimurmura:«Noussommesenfinseuls.»
12.
Les semaines passèrent. Bart se tenait relativement tranquille. Quelquesmigrainessurvenaientsansprévenir,desétourdissementsauxquelsHoperefusaitd'accorder de l'importance. Quand la peur la gagnait, elle se lançait dans desrangements, modifiait la disposition des meubles, ou des bibelots glanés à labrocante.Lesoir,dèsqu'elle s'endormait, Josh retournaitauCentre.Elle le luiavaitordonné,réussissantàleconvaincrequel'entendrefairelescentpasdansleloft l'empêchait de se reposer.Or le sommeil était selon son père lameilleuremédecinedumonde.PourJosh,cesmomentsàl'écartétaientsalutaires,ilypuisaitdesforcesqui
luifaisaientparfoisdéfaut.Luke avait la délicatesse de ne lui poser d'autres questions que de simple
courtoisie. À un « Comment ça va ? » il se contentait de répondre « Plutôtbien ». On s'en tenait là, par pudeur, par crainte aussi de réveiller Bart enl'évoquant.Une nuit où la migraine fut trop violente, Hope se rendit à l'hôpital. Elle
n'avait pas pu joindre Josh, le Centre étant coupé de tout, et elle trouva lecouragedeprendreseuleuntaxi.Si elle en avait été capable, pensa-t-elle assise sur labanquette arrière, c'est
queBartauraitencoredumalàsedonneravantd'endécoudreavecelle.Enrentrant,Josh trouvaunpetitmotsurunsandwichqu'elle luiavait laissé
dansleréfrigérateur.IlappelaaussitôtLukequi l'avaitdéposéquelques instantsplus tôt.Lukefit
demi-touretleconduisitauchevetdeHope.Cette fois, le séjour fut de courte durée, Hope ne dormit que deux nuits à
l'hôpital, si onpouvait appeler ça dormir.Elle tint tête auxmédecins, refusant
toujourslemoindretraitementàlongterme,parcequelelongtermen'avaitplusaucunsens.Lessemainescontinuèrentdefiler.Ilyeutdesmomentsvidesetdesmoments
de panique. Josh avait horreur des silences parce qu'ils faisaient pousser lesregrets comme autant de fleurs fanées avant d'avoir vécu.Leurs conversationsfouillaientlesgreniersdeleursviesetdesbribesdebonheurfinissaienttoujoursparsurgirdescartonspoussiéreuxdeleurmémoire.Hope gardait le sourire comme un habit de dignité, précieux et rare en de
telles circonstances. Elle ne l'ôtait même pas pour s'endormir et ne le perdaitqu'aumilieude lanuitquandune insomnieavaitgagné labatailleetqu'ellesesentaitnue.Maisaumatin,dèsqu'ellesouriaitànouveau,laviereprenaitdesforces.Samavaitenvoyédel'argentàJosh,pourquesafillenemanquederien.Josh
avait retourné le chèque le jourmêmeoù il l'avait reçu.Hopenemanquait derienpuisqu'ilétaitlà.Quandseptembrearriva,Hopenerepritpaslescours.Bartl'obligeaitàdormir
deplusenplustard.En quittant l'amphithéâtre, Josh sautait sur sa bicyclette et pédalait à perdre
haleinepourlarejoindre.Ilsdéjeunaienttouslesjoursensemble.SiHopeétaitenforme,elles'asseyaitenamazonesurleporte-bagagesetJoshlaconduisaitenville. Ils s'installaient à une terrasse où il imitait Flinch durant son coursmagistral dumatin.Hope raffolait de cesmoments.Au retour, ils prenaient lebusetJoshychargeaitsonvélo.Unjourd'octobre,Hope,quiavaitdemoinsenmoinsd'appétit,manifestaune
enviedefruitsdemer.Depuisquelque temps,ellesesentaitavidedesel,Bartavaitsesgourmandisesetilfallaitlessatisfairepourprévenirsescaprices.Josh loua un break. Luke avait proposé de lui prêter sa Camaro, mais
l'habitacleétaittropétroitpourqueHopepuisses'allongeraucoursduvoyage.Ilpréparaunepetitevalise, résistaà toutes les injonctionsdeHopepour lui
faire avouer où il l'emmenait, et ne succombamême pas à la promesse d'uneséance de strip-tease s'il crachait le morceau. En rangeant ses affaires, elleremarquaquelesétagèress'étaientdégarniesdequelques-unsdesobjetschinésàlabrocante.ElleinterrogeaJoshquirestaévasif.Ilsprirentlarouteenfindematinéeetmirentcapausud.HopenedécouvritleurdestinationquelorsquelavoitureentradansCapeCod
pours'engagersurleferryquieffectuaitlanavetteversNantucket.
La traverséeallaitdurer troisheures etHopene tardapas à avoirunpeu lanausée.–J'aitoujourseulemaldemer,jura-t-elleavantqueJoshnes'inquiète.Ilsquittèrentlacabineets'enivrèrentdel'airmarinquifouettaitlescoursives.
Hoperegardait s'éloigner lacôte,elleagita lamainpoursaluerBart,elleavaitdécidédetoutessesforcesdel'abandonnercommeunevieillechaussettesurlequai.Au loin, les bancs demouettes pirouettaient au ras des flots, siminuscules
qu'on aurait cru voir des pétales de fleur de cerisier quand ils virevoltent parcentainesemportésparlabrisesurleseauxcalmesdelaCharlesRiver.Nantucket était une île magnifique, encore plus belle que Hope ne l'avait
imaginée.Joshleuravaitréservéunechambredansuncottagesurleport.Hopeavaitdéclaréquesespilotisplantésdansl'eauluidonnaientunairparesseux.Ils posèrent leurs bagages et repartirent après avoir consulté studieusement
autourd'unetassedethéundépliantempruntéàlaréception.Hope tenait absolument à visiter les trois phares de l'île et ils enprirent les
chemins sans tarder. Son préféré fut celui deBrant Point, à cause de sa bellecoursiveenboisetparceque luiaussiétaitenbois,assezcourtsurpattes,pasprétentieuxdu toutetqu'ilavaitde l'allure.Elle le trouvaitmoinssolitairequeceluideSankatavecsabanderouge.Quantautroisième,celuideGreatPoint,illui parut le moins gracieux, à cause de son embonpoint et de sa paroigrumeleuse.À la fin de l'après-midi, ils s'installèrent dans un pub, au plus loin d'une
estrade où se produisait un orchestre de jazz dont la renommée ne franchiraitjamaiscesmurs.JoshcommandaunebièreetHopesedemandasiBartverraituninconvénient
àcequ'ellefassedemême.Ensonabsence,elledécidades'accorderunécartdeconduitequ'elleestimaitbienmérité.L'orchestresemitàjouer«IWillStillBeDead»,cequifitsourireHope.En
faisant preuve d'un tout petit peu de bonne volonté, on peut voir de l'humourpartout.–Tucroisàunevieaprèslamort?questionna-t-ellependantquelechanteur
tentait unepercéehasardeusevers les aiguspour entamer son refrain, répétantinlassablement«Etjeseraitoujoursmort».–Oui,certainsjoursquandj'enaivraimentpeur.–Tuaspeurdelamort?
–J'aipeurdelatienne,réponditJosh,fidèleàsapromessedediretoujourslavérité.–Soyonsclairs, jevaismourir,monJosh.Aumoins j'auraiunavantagesur
toi,s'ilyavraimentunevieaprèslamort,jelacommenceraitrèsjeunealorsquetoi,tuyentrerasenclaudiquantcommeunvieillard.–Pourquoidevrais-jemourirtrèsvieux?–Parcequelavieestbelleetquejetel'ordonne.– On a dit pas de mensonge, je te le rappelle. Aussi, je suis au regret de
t'informerquequandtuneseraspluslà,lavieseradégueulasseetquejen'auraiaucuneenviedet'obéir.–Tuleferasquandmême,etjet'interdisdepenseràdetelleschosespendant
quenoussommesici,tum'entends?–Fortetclair.Hopeavalaunegrandegorgéedebièreenfaisantunepetiteprièrepourquele
chanteur s'écroule, victime d'un infarctus massif avant la fin de sa chanson.Quoiqu'unclaquagedescordesvocalesluiauraitsuffi.– Il faudraque tuailles levoir, tusais,dit-elleenposantsesyeuxsurJosh.
Bientôt,tonpèreserataseulefamille.Tuferaslepremierpas,c'estleplusdur,lesautressuiventsansquel'ons'enrendecompte.–Tunevienspasdedirequ'ilétaitinterditdepenseràçapendantquenous
sommesici?–D'accord, réponditHope,dèsquecettechansonsera terminée.S'il reprend
encore une fois son refrain, tu vas assister à un lancer de chope de bièremémorable.Tuasfaitdesplanspourcesoir?–Unrestaurantdefruitsdemer,tuenastoujoursenvie?–Pourneplusentendrecetype,jepourraismangeruncrabedanssacarapace.
Ilsretournèrentaucottageentraversantlevillageàpied.Auboutdelarue,on
devinait la plage.Hope aurait voulu être en juin,Bart n'avait alors pas encoreannoncésonretouretlecoucherdesoleilseraitencoreàvenir.Puiselleseravisaen pensant qu'un ciel rougeoyant au-dessus d'une plage dorée aurait faithorriblement carte postale, et rien de ce voyage à Nantucket, pas la moindreseconde,nedevaitêtrecliché.«Vivel'automne»,s'exclamasolennellementHopeetelleembrassaaussitôt
Joshsurlajouepourlerassurer.–T'inquiètepas,monJosh,c'estjusteuntrucentremoietmoi.
De retour dans leur chambre, elle ôta ses vêtements et alla se doucher.Elle
passa la têtepar le rideaupour faire remarqueràJoshqu'ilétaitdifficiled'être
plusnuequ'ellene l'était, end'autres termes, elle lui accordait trente secondespourlarejoindre,ellel'autorisaitmêmeàgarderseschaussettess'ilperdaittropdetempsàsedébarrasserdesonjean.
*
Aumomentdesortir,ellesefitlaréflexionqu'ilauraittoutdemêmepupasserunevestepourl'emmenerdînerenamoureuxsuruneîle.Elleavaitbienpenséàemporterune jolierobenoiredans laquelleellese trouvaitplusgrande.Onditquelenoirallongelasilhouette.Ellel'avaitglisséedanssonsac,aucasoù,onn'est jamais tropprévoyantequand l'hommequ'onaimevousproposedepartirenweek-endaumilieudelasemaine.Aussi,quandellelevitenfilersonjeanetunpullàgrossemaille,ellefutunpeudéçue.Josh l'observa dans sa jolie robe noire et lui dit qu'il la trouvait belle et
rayonnante.–Jesais,dit-elle,situnemeconnaissaispas,tucroiraisquejenesuismême
pasmalade,maistumeconnais,monJosh.–Onavaitdit...–Oui,onl'avaitdit, jesuisdésolée,c'estàcausedelabière, jedoisêtreun
peupompetteettoiaussipourêtrehabilléaussiélégamment.– C'est que..., balbutia Josh, l'air un peu penaud, ce serait bien que tu te
changespourquelquechosedeplusconfortable.« Confortable » était un mot qu'elle détestait, elle le trouvait ennuyeux au
pointd'endevenirpresquegrossier.QuandKasukoluiavaitconfiéunsoirrêverd'unevieconfortableavecunhomme,elleavaittoutdesuitepenséàlaprésenteràLuke.–Définis-moi«confortable»avantquenousentamionsnotrepremièrecrise
existentielle.ElleauraitpublâmerBartdecetexcèsdemauvaisehumeur,maisellesavait
très bien qu'il n'y était pour rien. Elle avait envie d'une soirée où Josh aurait,commeelle,faitl'effortd'êtreélégant.–Desvêtementsdanslesquelstupeuxtesalir,situpréfères.–Demieuxenmieux...– Très bien, dit-elle en faisant passer sa robe au-dessus de sa tête. Une
serpillièrenouéeautourdelatailleferaitl'affaire?Situasdécidédem'emmenerfairelatournéedesbars,jepréfère...–Malheureusement,celuioùnousavonsbucettebièrequit'aplutôtréussiest
le seul ouvert en cette saison. Est-ce que pour une fois tu pourrais me faireconfianceetnepasposerdequestion?
–Tupeuxpréciser«pourunefois»?Jesuispartiesuruneîledéserteavectoiettuasletoupetdeprétendrequejenetefaispasconfiance?– Il y a six mille habitants sur cette île, on ne peut pas dire qu'elle soit
vraimentdéserte.Hope songea que Bart s'était peut-être tout demême un peu immiscé dans
cette dispute idiote. Si ce petit vicelard croyait qu'il allait lui pourrir unmerveilleuxweek-endimproviséenpleinmilieudelasemaine,ilauraitintérêtàtrouverautrechose.Ellesecalmad'uncoup,plongealatêtedanssonsacetserappelaque son jeanet sonpull noir étaient aupieddu lit.Elle les attrapadubout de l'orteil et les fit valdinguer en l'air l'un après l'autre en les saisissanthabilement.–Jesupposequ'unetouchedemaquillageseraitsuperflue?–Non, répondit Josh, je n'y vois aucun inconvénient. Je t'attends enbas, je
croisquec'estpréférable.Hopedescenditl'escalierquelquesminutesplustard,ellepritJoshparlebras,
fitcommesileurrécenteconversationn'avaitjamaiseulieuetl'entraînadehors.–AlorsmonJosh,dansquelendroitprestigieuxm'emmènes-tudîner?Joshneréponditrienetsecontentad'unsourireencoin.Iln'yavaitpasbeaucoupd'établissementsouvertshorssaison,encoremoins
ensemaine. Joshn'avaitpasménagésespeinesetquand ilsentrèrenten tenuedébraillée dans une salle àmanger guindée où les rares convives étaient tousendimanchés,Hopepensaque l'airmarin avaitdûaiguiser chez luiun sérieuxgoûtdelaprovocation.Leserveurvintàleurrencontreetseravisaenfaisantunpetitsignedetêteà
Joshavantderepartiraussitôtencuisine.Joshpatientaitcalmement.Hopeleconnaissaittropbienpournepasvoirqu'il
jubilaitetellesedemandapourquoi.Dix minutes plus tard, le serveur réapparut portant une cagette en bois
surmontéed'unsacenpapier.–Votrecommande,monsieur,ditleserveurenluitendantlepetitcageot,les
rouladessontdanslesac,végétariennescommevousnousl'avezdemandé.Nousavonspris la libertéd'yadjoindredeuxpartsdenotreexcellentgâteaumaison,ellesvoussontoffertesbienentendu.JoshremerciapolimentleserveuretindiquaàHopequ'ilspouvaients'enaller.Elle attendit d'être dans la rue pour lui poser la question qui lui brûlait les
lèvres.–Qu'est-cequ'ilyadanscetteboîte?–Dequoifaireunmerveilleuxdîneràlabelleétoile.
Josh n'en dit pas plus et la guida à travers les ruelles jusqu'au-devant d'unpontonquiavançaitsurl'eau.– Le point de vue là-bas est encore plus beau, dit-il en désignant la plate-
formeauboutdelajetée.Arrivéàl'extrémitéduponton,JoshposalacaisseauxpiedsdeHope,sortitun
petitcouteaudesapocheetdéplialalameavantdeleluitendre.–Àtoil'honneurdit-ilenluimontrantlaficellequientouraitlacagette.Hopesoulevalecouvercleetdécouvritdanslaboîtesixhomardsvigoureux.–Qu'est-cequejet'aime,dit-elleencouvrantlesjouesdeJoshdebaisers.Ils rendirent leur liberté aux crustacés, Hope attribua à chacun un prénom
avantdelesremettreàl'eau.Quand la cérémonie fut achevée, Josh alluma les deux bougies qui se
trouvaientaufonddusac,lesposasurlesserviettesqu'ilavaitétenduesenguisedenappesurleslattesdupontonetinvitaHopeàs'asseoirpourquecedîneràlabelleétoilecommenceenfin.Lesrouladesétaientdélicieuses,lademi-bouteilledevincalifornienypassaet
ilnerestapasunemiettedugâteauauchocolat.Hope regarda les flots, là où le dernier homard avait disparu dans un
tourbillondebulles.Elleinspiral'airdusoiràpleinspoumonsetpritlamaindeJosh.– Jette-moi à la mer, mon Josh. Moi aussi je voudrais avoir une seconde
chance.Le vent du nord emporta son souhait vers le large etHope se blottit contre
Josh.
*
IlétaitpresquemidiquandHopeouvritlesyeux.Joshétaitassisdanslefauteuilquifaisaitfaceaulit.–Qu'est-cequetufaislààt'ennuyertoutseul?demanda-t-elleens'étirant.–Jenem'ennuiepasetjenesuispasseul,jeteregarde.–Aupetitmatin?C'estassezinélégantdefaireuntrucpareil.–Ilesttrèstard.– Peut-être, mais pas pour moi. C'était une soirée magnifique. On en fera
d'autrescommecelle-là,tumelepromets?–Jetelepromets.–Pasdemensonge,tut'ensouviens?–Non, pas demensonge,mais je nevois pas pourquoi les nuits auraient le
monopoledumagnifique,alors si tuveuxbienextraire ton joliderrièredeces
draps,unemagnifiquejournéenousattend.–J'aimebienquandtutelaissesemporterpardesélansdepoésie,monJosh.
Hope n'était pas au bout de ses surprises. Alors qu'ils sortaient du cottage,
Josh demanda à la réceptionniste de lui remettre la petite valise qu'il lui avaitconfiée.Ellesepenchaderrièrelecomptoiretlaluitendit.–Tucomptest'enallersansmoi?demandaHope.– Depuis le jour où tu m'as laissé t'embrasser, j'ai toujours eu peur du
contraire,réponditJosh.Et il s'en voulut d'avoir fait cet aveu.Hopen'y prêta pas attention, àmoins
qu'ellen'aiteul'élégancedenepasfairelelienaveclesortquilesattendait.Joshl'invitaàmonterdanslavoitureetrefermalaportièrederrièreelle.Ilsfirentletourdel'îleets'arrêtèrentdevantlepharedeBrantPoint.–Petitcommeilest,ilnedoitpaséclairerbienloin,dit-elle.–Netefiepasauxapparences.L'histoireestpavéed'hommesdepetitetaille
quifurentdegrandeslumières.C'estvraimentcelui-citonpréféré?– Tu vasme l'offrir ? Ce serait formidable de rapporter un vrai phare à la
maison.–Est-cequec'estbientonpréférédestrois?–Maisoui.Maintenant,tumediscequecontientcettepetitevalise?–Non.Suis-moi.ÀunecentainedemètresdupharedeBrantPoints'élèventtroismonticulesoù
foisonnent des bosquets d'hibiscus. Derrière le plus éloigné des trois, unebicoquebâtieenmoellonsrecouvertsdechauxaffrontecourageusementmaréesetventsdepuisdesdécennies.Joshsedirigeaverselled'unpasdéterminé.–Là,j'avouequejedonnemalangueauchat,soufflaHope.–Assieds-toi ici, luidemandaJoshendésignantuncoinoù l'herbesemblait
douce.–Qu'est-cequ'ellecontient?répétaHope.–Quelques-unsdesbibelotsquenousavonschinésensembleetunelettreque
jet'aiécrite.–Ettuavaisbesoindem'emmenerjusqu'icipourmeladonner?–Tunelaliraspasmaintenant.–Tuessûrquetoutvabien?–Non,maisnousfaisonsdenotremieuxn'est-cepas?–Qu'est-cequetumecaches?–Jesaisqu'ilyadegrandeschancesquetumeprennespourunfou.Maisje
veuxcroirequetum'aimesparcequejelesuisunpeu.
–Entreautres,oui.–Tum'asdonnétellementd'amourquetuasréussiàfairequelqu'undemoi.
Auxréunionsdesdésabusésanonymes, jediraiavoirétésauvéparunefemmequejen'imaginaispas.Nousavonsétéheureuxetcelaimpliquecertainsdevoirsàl'égarddubonheur.AuCentre,l'ordinateurm'aenseignéunechose.Quellequesoit l'équation que l'on pose, être deux, c'est annuler les soustractions et lesadditions.Moinsildemeureradel'unoudel'autre,plusilresteradenous.Tul'asditlapremière,Bartn'aurapasraisondetonesprit.Jeveuxbienlejeteràlamer,d'unecertainemanièrejem'ysuisbaignéavanttoi.J'aijouéausorcieretjem'enfélicite.–Jenecomprendsrienàcequetumedis,monJosh.– C'est pourtant simple. Nous partirons à la conquête du temps qui sera
nécessairepourtrouvercommenttesoigner.Dansleslaboratoiresdumonde,deschercheursanonymess'évertuentàmettrefinaurègnedeBartetdesesfrères.Ilsyarriverontunjourcommeilsontfaittairelavariole,lapolioetlapeste.Lavie,lamortcen'estjamaisqu'unequestiondetemps.Josh révéla à Hope la vérité sur l'expérience qu'il menait. Il lui parla des
prouesses de son casque, lui expliqua le projet Neurolink dans les moindresdétails.Quelquesmoissuffiraientpourycopierlecontenudesamémoire.Cesquelquesmois, ils lesavaientencoredevanteux.LaconsciencedeHopeseraitpréservéedansleserveurduCentre,etpourqu'ellerenaissevraimentunjour,lacryogénisationdesoncorpsferaitlereste.Dans un futur qu'il n'imaginait pas si lointain, les progrès accomplis par la
sciencepermettraientdelaréveiller,deréunirsoncorpsetsonesprit.Puisquelamortn'étaittoujoursqu'unequestiondetemps,iln'yavaitpasderaisonqu'iln'ensoitpasdemêmepourlavie.HopeconsidéralaperspectivededeveniruneBelleauboisdormantdansson
caissond'azote.Aussifantasquequ'elleluiparût,elleyvoyaitplusdepoésiequedereposerdansuncimetière.–EttoimonJosh,pendantcetempstuvivrasettuvieilliras?–Non,puisquejet'attendrai.–Etcettevalise?–Nousallonscachercesobjetsquenousavonsaiméspourqueplustard, tu
lesretrouves.Josh sortit le couteau de sa poche et s'agenouilla. Lorsqu'il eut arraché la
croûtede terre, ilposa lecouteauet continuadecreuseràmainsnuesun trouassezprofondpouryabriterleurstrésorsdudimanche.IlabandonnalavaliseaufondetHopesejoignitàluipourlarecouvrir.
Leur ardeur à combler cet abîme de tristesse prenait des airs de partition àquatremainsqu'accompagnaitlemurmuredelamer.Joshrepéraunegrossepierreblancheprèsdumuret.Illuifallutréunirtoutes
sesforcespourlasouleveravantdelaposerau-dessusdutrou.Ilygravaleursprénomsaveclalamedesoncouteau.–Etsijerevenaisvraimentunjouretquejenetetrouvaispas?–Tumetrouveras,j'ensuissûr,etsicen'estpasmoi,tumetrouverasdansle
regardd'unautre,danssoncœur,danssa jeunesseet tu l'aimerasde toutes lesforcesquejet'auraidonnées.Ceseratontourdem'offrirunmomentd'éternité.Tuluidirasquenousauronsétélespremiersassezfouspouravoirfaitunpieddenezàlamortetturirasdenosintelligences.Ceseralaseuleetdernièrefoisquetuluiparlerasdemoi,après,ilfaudraquetuluilaissesdelaplace.–Tuterendscomptedecequetudis?Tonhistoire,monJosh,c'estl'horizon
àl'envers.–Peut-être,maiscrois-moi,ilseraplusbeauqu'àl'endroit.Hopepromitde réfléchir à sonprojet,mêmesi ellen'ycroyaitpas.Mais le
regard de Joshmendiait un peu d'espoir et si l'idée qu'il soit encore plus fouqu'elle ne l'avait imaginé n'était pas pour lui déplaire, celle qu'il perde de sadignitéluiétaitinsupportable.–Rentronsà lamaison,dit-elle, j'aienviede teretrouvercheznous, loinde
cettetombesurcetteplage.J'espèrequelepetitavionenboisquejet'avaisoffertn'étaitpasdanscettevalise,ilm'avaitcoûtéunefortuneetjel'aimebeaucoup.
*
Ils reprirent le ferry en fin d'après-midi. SaintCheval et saintHippopotames'invitèrentaucoursdelatraversée.Delacoursive,Hopeavaitrepérélepremier,etJoshlesecond.BartavaitattenduHopesurlequai;ilavaitdûs'armerdepatienceenguettant
sonretour,cardèslesoirilluienfitpayerleprix.Hope se dressa dans son lit aumilieu de la nuit en poussant un hurlement
terrible.ElletenaitsatêteentresesmainsetJosheuttouteslespeinesdumondeà lui ramener lesbras le longducorps. Il attrapason téléphone,maisHope lesupplia de ne pas appeler l'hôpital. Elle allait dompter Bart, ce n'était qu'unequestiondeminutes.La crise dura une heure. Quand Hope cessa de gémir, elle était si épuisée
qu'elleselaissalittéralementtomberdanslesbrasdeJosh.Onditquelavieestparfoisdégueulasse,maisHopetrouvaitquemourirl'était
encoreplus.
Ellerecouvraunpeudeforce,selevaetallas'asseoirdanslesalon.Joshluiapportaunverred'eauets'installaàcôtéd'elle.Elleposasatêtesursonépaule,mentionnabrièvementleurdiscussionsurlaplageetluiditqu'elleétaitd'accord.
13.
JoshavaitpassélerestedelanuitàveillersurlesommeildeHope.Aupetitmatin, il s'était levé et avait emporté ses affaires dans le salon pour s'habillersansladéranger.Depuisunedemi-heure,ilpédalaitàtraverslescheminsdebanlieue,fonçantà
vive allure vers le centre-ville. Avant de quitter le loft, il avait envoyé unmessageàLuke,luidemandantdelerejoindreàlacafétériaducampusdèsquepossible.Quandilyarriva,Lukel'attendaitavecdeuxcafésetdeuxpainsauchocolat
surlatable.Joshluiexpliquasonprojet.Dès lafindescours,LukeserenditauCentreetcréaunenouvellepartition
dansleserveurqu'ilindexasouslenomdecode«SleepingBeauty»,cequ'ilsegardabiendedireàJosh.Josh,revenuauloft,consacral'après-midiàfaçonneruneempreinteducrâne
de Hope. Pour qu'elle soit la plus précise possible, il avait eu l'idée de luirecouvrirlatêtedeplusieursépaisseursdepapieraluminiumqu'ilavaitmodeléesjusqu'à ce qu'elles épousent parfaitement ses formes. Les cheveux de Hopeétaientsicourtsquecelaluiavaitfacilitélatâche.En se regardantdans lemiroir ainsi chapeautée,Hope s'étaitmoquéed'elle-
même,deJoshaussi,maisilétaitrestéimperturbableet,l'empreinteterminée,ill'avait bourrée de papier journal pour qu'elle ne se déforme pas durant letransport. Il l'avait rangée dans une boîte en carton, et s'était rendu en bus auCentre.Lukefitunscandel'empreinte.Auboutdelanuit,ledeuxièmeprototypedu
casqueNeurolinksortaitdel'imprimante3Davantd'êtreimmergédansunbaindeculturecellulaire.
*
Durant les jours qui suivirent, Luke contrôla de près le processusd'interconnexion des récepteurs organiques sur la paroi du casque, veillanthabilementàcequ'iln'yenaitaucunoutrèspeuquiprolifèrentàl'emplacementoùsesituaitlatumeur.JoshcraignaitquelesstimulationsélectriquesnerevigorentBart,quisemblait
paresser depuis la dernière grande migraine. Mais plus encore, il redoutait,quandLuke lui proposait de demander son opinion à Flinch, que celui-ci leurinterdisedemettreàexécutionsonprojet.SiFlinchdécouvraitcequ'ilsfaisaient,objectaLuke,cequiselon luin'étaitqu'unequestionde tempscompte tenudunombrede séancesnécessaires, il risquait fort denepas leur pardonnerde luiavoirmentiunesecondefois.Quand Josh lui demanda s'il avait plus peur pourHopeoupour sa carrière,
Lukedécidademettrecettequestionsurlecomptedelafatiguenerveuseetdefairecommes'iln'avaitrienentendu.
*
Le lendemainmatin, Flinch trouva une note sur son bureau ; une nouvelleréunionsetintlesoirsurlebordd'uneroute.Flinchallumasacigaretteetinhalaplusieursbouffées,songeur,avantdeleurrépondre.–Cequevousm'apprenezest toutà faitconsternant, soyezassurésque j'en
suisdésolé.Celaétant,jecrainsquevotreprojetnerelèvedel'utopie.–Peut-être,maismêmeenbonnesanté il fautbeaucoupd'utopiepourvivre,
réponditsèchementJosh.–Cen'estpasfaux,toutcommelefaitqueledésespoirnouspousseàcroireà
toutetn'importequoi.–Alorsledésespoirestuneaubainepourlarecherche.–Nesoyezpasinsolent.–Cen'estpasmoiquilesuis,c'estunetumeurdanslecerveaudelafemme
quej'aime.–Vousavezconsciencedecequevousprétendezaccomplir?–J'essaie.– Remarquez, il y aurait une certaine élégance à aider quelqu'un dans la
situationdevotreamiequandonestsoi-mêmecondamné.–Vousêtesmalade?demandaLuke.–Non,jemecontentedevieillir,maisvousverrezqu'àpartird'uncertainâge,
onnepeutplusfaireladifférence.–Jevoussuppliedenouslaisserfaire,professeur,repritJosh.
–Ahnon,pasdeças'ilvousplaît!Iln'yapasdeplacepourlessupplicationsdanslascience.Taisez-vousetlaissez-moiréfléchir.Flinchécrasa sacigarette sous la semellede sonmocassinet enallumaune
autre.–Soit!Aprèstout,sic'estsonchoix...Jeparledelacryogénisation,biensûr.
Quant au reste, puisque j'ignore tout de ce que vous traficotez dans votrelaboratoire,et jecomptebien resterdanscette ignorance,commentpourrais-jem'yopposer?–Alorsc'estd'accord?demandaJosh,lesyeuxpleinsd'espoir.–Jevaisvousdonnerunconseilprécieux.Neperdezpaslepeudetempsque
vousavezàposerdesquestionsdontvousconnaissezdéjàlaréponse.FlinchsetournaversLuke,commes'illuiportaitsoudainplusd'intérêtoude
considérationqu'àJosh.– Quant aux risques que la tumeur puisse être affectée par les ondes
électriques, je n'ai jamais entendu parler d'un tel effet au sujet desencéphalogrammes. J'interrogerais discrètement demain un autre de mes trèsbonsamisneurologues, jepréfèreneriendireàBerger.Maintenant,poursuivitFlinch,jevousprieraidanslamesuredupossibledenepasrendrecoutumièrescesréunionschampêtres,nonquevotrecompagniemesoitdésagréable,maissiçacontinue,jevaisfinirparmeremettreàfumer.Iljetasacigaretteauloin,etlesinvitaàremonterdanssavoiture.
*
Lesséancesquotidiennesdébutèrent.Dès que leur dernier collègue quittait le Centre, Josh prenait la voiture de
LukeetfonçaitchercherHopeauloft.Arrivéeau labo,elles'installaitsurunfauteuilbasculant,piquédans lasalle
derepos.Lukeajustaitlecasqueetlesenregistrementssepoursuivaienttoutaulong de la nuit. Il arrivait souvent que Hope s'endorme. Luke enregistrait sesrêves, songeant que plus tard, quand Josh reviendrait occuper ce fauteuil, ildevraitfairedemême,espérantdetoutcœur...quecesoitleplustardpossible.
*
Àlafindumois,Hoperefusad'allerpasserunscandecontrôle,commeJoshleluiavaitsuggéré.L'électricitéluifaisaitdubien,elleavaitmêmel'impressionqu'elle atténuait ses migraines. Luke assistait impuissant à la progressionirréversibledelatumeur,sescoloniess'étendaientdesemaineensemaineetdeszonesducerveaudeHopes'obscurcissaientsurl'écrancommeleslumièresd'une
villes'éteignent,quartieraprèsquartier, lesnuitsdepanne. Iln'enparlaitpasàJosh,gardantpourluiceteffrayantconstat.
*
Certains jours,Hopene trouvaitplus la forcedebouger soncorps.D'autressoirs, elle perdait l'équilibre. Il lui semblait que le loft naviguait sur la houled'une mer furieuse. Elle s'accrochait au premier meuble qui se trouvait prèsd'elle, s'agenouillait en attendant que la tempête passe, et rêvait à un canot desauvetage.
*
Elleconnutdeuxbellessemainesderépitquicoïncidèrentavecl'arrivéed'unété indien tardif.Hoperetrouva legoûtdurangement,etunpeud'appétit.Elleavaitbeaucoupmaigricesdernierstempsetdécidaenseregardantdanslemiroirqu'ilétaiturgentdesereprendreenmain.Elleachetatroislivresderecettesàlabrocantedudimanche,iln'étaitjamais
trop tard pour se débarrasser d'une tare qu'elle jugeait héréditaire, puisque samère,duplusloinqu'elles'ensouvienne,n'avaitjamaiscuisiné.Lespremiersdînersqu'elle servit à Josh furent improbables, les suivantsun
peuplusmangeablesetfinalement,unsoir,Joshenredemanda.Hope refusa qu'il se resserve. Après tout ce qu'elle avait entendu sur ses
talentsculinaires,elletenaitàgarderladernièreportionpourLuke.
*
Leweek-endsuivant,commeletempss'yprêtait,elleconviaLukeetKasukoàunpique-niqueetpassalamatinéeàlepréparer.Aumenu,uncakeauxolives,uneterrinedelégumes,unequiche,unesaladecoloréeetunetarteauxcoings.Pourmeneràbienceprojetambitieux,elles'offritunlivrederecettesdeJulieAndrieu,publié justeàpointpour lasaison.Et lesuccèsquerencontrèrentsesplatsdépassatoutessesespérances.L'heuredelasiesteréparatrices'annonçaitquandLukeposaunequestionqui
laissatoutlemondepantois.– Après la cryogénisation, tu voudras quand même d'une cérémonie
religieuse?Kasukoluibalançaunmagistralcoupdepiedaumollet,etsiJoshavaiteudes
revolvers à la placedesyeux,Luke serait tombé raidemort.Hope les regardatouràtouretéclataderire.–Siladélicatessedevaitchangerdenom,onpourraitluidonnerletien,dit-
elleàLuke.Celadit,c'estunebonnequestion,jen'yavaispassongé.
–Vouspouvezm'accuserd'êtrebrutal,maisjesaisqueJoshseraincapabledeprendrecegenrededécision,doncc'esttonpèrequilaprendra.– Tu as raison, reconnut Hope, il n'en est pas question, d'autant qu'Amelia
pourraitl'influencer.Jecroisquelemieuxseraitquenousallionsassisteràdesobsèques.Depuiscellesdemamère, j'aieu tendanceà fuir leségliseset jenesaisplusvraimentàquoiçaressemble,enfinenvrai,pascommeaucinéma.–Jetrouveçafranchementdemauvaisgoût,protestaJosh.–Jenecroispasquelamortaitbongoût.Unbaptêmealors?suggéraHope.–Nonplus,etpuisonnes'imposepasàunbaptêmeoùl'onn'apasétéconvié.– Pas sûr, si on allait expliquermon cas au prêtre. Je lui ferai part demes
doutesspirituels,et si lacérémonieestpleinedevie ilauragagnéunecliente.Donnant-donnant!–Jenepensepasquelesprêtresaienttoncynisme.–Alorsunemesse!Pasbesoind'unfaire-partpouryassister.Etpromis,pas
unmot au curé, c'estmieuxd'ailleurs, il serait capabledemettre lesbouchéesdoubles.Nefaispascettetête,jedétestequandtuperdstonhumour.Alors,noussommesd'accordpourunepetitemesseentreamisdimancheprochain?Ensuite,oniras'offrirunebonnepizza.Josh accepta, non sans avoir gratifié Luke d'un regard incendiaire auquel
celui-ci répondit par un simple haussement d'épaules. Il se sentait tout à faitinnocent.
*
Lesoir,gagnéeparlanausée,Hopefutincapabledes'approcherdelacuisine.Leplanchertanguaitdepuisqu'ilsétaientrentrésetlatempêtenesemblaitpassecalmer.Elleallaprendreplacedansunfauteuilprèsdelafenêtre,qu'elleentrouvrit,et
s'efforça de respirer lentement pour ne pas céder à la panique qui grandissaitaveclahoule.Joshs'étaitassoupidanslecanapéetHopenevoulaitleréveilleràaucunprix.
Elles'accrochaauradiateuretaffrontalamerterribleenmarinaguerri.Uneheureplustard,Bartrenonçaàsapetiteséancedetorture.Hoperécupéra
sesesprits,sonvisageunpeudecouleuretelletrouvalaforcedeseleverpourallerseblottircontreJosh.Ilouvritlesyeuxetluisourit.–Tuaslatêtedequelqu'unqui...–Quiafaitunecroisièreparjourdemauvaistemps,coupaHope.–Force8?–6,maisc'étaitdéjàpasmal.
Parcequ'elle avait sa fierté,Hopeminimisait les assautsdeBart, elle savaittrèsbienquec'étaitungros8pournepasdireun9.Josh se leva et alla lui préparer une infusion. Hope ne se faisait aucune
illusion quant aux supposées vertus de la potion qu'un acupuncteur lui avaitprescrite, mais la décoction à base de gingembre était revigorante et elle luireconnaissaitd'apaisersesvertiges.Joshposalatassesurlatablebasse.–L'indélicatessedontLukeafaitpreuvecetaprès-midi!Jen'arrivepasà...–Guetterlamortn'ariendedélicat,tusais.C'estcommeuneinsomnieatroce.
Tuteretrouvesaumilieudetonsalonentedemandantcequetufaislà,lecœurretourné ; il arrive qu'un filet d'urine coule le long de ta jambe sans que tupuisses rieny faireparceque lapeur te terrasse.Guetter lamort,c'estdevenirorphelindetout,parcequ'auboutducompteonsaitbienqu'ondoitmourirseul,autrement ce serait d'un égoïsme terrible, n'est-ce pas ? Chacun se bat à samanière,Lukeestparfoismaladroit,maisilfaitdesonmieux.–Pourquoiprends-tutoujourssadéfense?–Parcequeriennemerassurepluspourtonavenirquevotreamitié.
*
Lesséancesreprirentlelendemain.Lasemainefutsupportable.Lemardi,ungraindeforce4,donc6.Mercrediet
jeudi,deuxmigraines successives.Vendredi,un rétrécissement subitduchampde vision de sonœil gauche lui colla une sacrée panique avant de s'estomperheureusementauboutdequelquesheures.BartétaitpleinderessourcesetHopesedemandaquelseraitleprochaintourqu'illuijouerait.Saml'appelaittouslesdeuxjours.Laconversationselimitaitàunéchangede
banalités,etdèsquesonpèreluiparlaitdutempsqu'ilfaisaitàSanFranciscooude ce qu'Amelia lui avait préparé la veille à dîner, Hope trouvait un prétextefumeuxpourluidirequ'elledevaitraccrocher.Sampoussaitalorsunlongsoupiretluidemandaitenfindesesnouvelles.Ceàquoiellerépondaitêtreaumieuxdesaforme,etqu'ilnedevaitpass'inquiéter.
*
Unmatin,JoshreçutuntextodeHopeenpleinmilieud'uncours.Viensmechercher,jesuischezAlberto,dépêche-toi.
Alberto était le propriétaire de l'épicerie où Hope aimait aller faire ses
courses ; depuis qu'elle s'étaitmise à cuisiner, elle était passée de la catégorie
« cliente sympathique et courtoise » à celle de « très bonne cliente trèssympathiqueetcourtoise».Hopen'achetaitpasàAlbertodegrandesquantitésdenourriture,àcausede
sescroisièresàrépétition,maisdepuisquelelivred'unecuisinièrefrançaiseétaitdevenucultissimepourelle,elleavaitledondedébarquerdanssaboutiquepourluidemanderdesépicesdontilignoraitjusque-làl'existence.Albertoconnaissaitl'état de Hope (un jour sa casquette était tombée alors qu'elle rangeait sesprovisionsdanssonpanier)etilmettaitunpointd'honneuràsatisfairetoutessesdemandes. Même si pour cela, il lui arrivait de devoir passer des heures surInternet.Josh sentit son portable vibrer dans sa poche, lut lemessage deHope et se
leva précipitamment. Il bouscula les étudiants assis dans sa rangée, s'arrêtadevant Luke, lui demanda les clés de sa voiture et quitta l'amphithéâtre encourant.Il traversa la ville à tombeauouvert et abandonna laCamaro endouble file
avantdeseprécipiteràl'intérieurdel'épicerie.Lasœurd'Albertos'occupaitd'uneclienteetluifitdiscrètementsigned'aller
dansl'arrière-boutique.Hopeétaitassisesurunechaise,lajambedroitetenduecommeunebarrede
fer,l'épiciersetenaitprèsd'elle,laminedéfaite.–C'esttoi,Josh?demanda-t-elleenhoquetant.Joshcompritaussitôt.– Je suis désolée. Je choisissais des asperges, je me suis retournée pour
demanderàAlbertoqu'ilmefasseunprixet...etjenel'aiplusvu,jusqu'àcequeje tournecomplètement la tête.Monœilgaucheestaveugle.Çafaitunedemi-heurequejesuislàcommeuneconne...etHopesemitàsanglotersanspouvoirterminersaphrase.Joshs'agenouillaetlaserradanssesbras.–Net'inquiètepas,jevaist'emmener...–Pasàl'hôpital,suppliaHope.– J'ai tout de suite voulu appeler une ambulance, expliqua Alberto, mais
mademoiselleme l'a interdit, alors je l'ai conduite dansma remise et ellem'adictélemessagequenousvousavonsenvoyé.Josh le remercia, aida Hope à se lever et l'amena jusqu'à la voiture. Ils
traversèrent lemagasin, précédés d'Alberto qui attrapa au passage un bouquetd'aspergesetlepanieroùHopeavaitdisposésesachats.Josh installaHope sur le siège avant et ne sut quoi faire du panier que lui
tendaitAlberto.
–Çaira,toutirabien,dit-illesouriretriste.Tenez,nevousinquiétezpas,jemettraisçasursanote,etc'estàprixd'amibiensûr.Josh le remercia encore, posa les courses sur la banquette et s'installa au
volant.–Nem'emmènepasàl'hôpital,Josh,jet'enprie.–Jen'enrevienspasquetunégocieslesprix,dit-ilendémarrantlemoteur.–Qu'est-cequetucroyais,c'estl'épicierlepluscherduquartier.
*
LukereçutunappeldeJosh,FlinchreçutunappeldeLuke,et leprofesseurBergerreçutunappeldeFlinch.Hope fut prise en charge dès qu'ils se présentèrent à la réception des
urgences;onluifitpasserunnouveauscan,Joshrestaprèsd'ellependanttoutl'examen,lesdeuxmainsaccrochéesàseschaussettes,puisBergerlesreçutdanssonbureauentredeuxpatients.–Latumeuracompriméunepartiedevotrecortexvisueldroit,dit-il.Ilpritunefeuilledepapieretsemitàfaireuncroquisducerveau.Lestoubibs
ontparfoisbesoindeseraccrocheràunstyloquandilsontdesinformationstrèsimportantes à vous communiquer ; ils doivent penser que leurs patients necomprennentpas le sensdesmots, alors ils se sentent obligésde leur faireundessin. Quand une tumeur est bien dessinée, elle a l'air beaucoup moinsméchantequ'envrai.Çamarcheaussiavecd'autresmaladies.– Les nerfs optiques se croisent au niveau du chiasma, poursuivit-il en
désignant ce qu'il avait esquissé sur la feuille de papier (un chiasma optiqueesquissé par le professeur Berger ressemblait à un gros X qui aurait pris unecuite)etdonc lamoitiédes informationsque transmet lenerfoptiqueenpâtit.Votreœilgaucheestintact,mais...–Maismoncorteximplose.–Unepartieseulement.–Combiendetemps?demandaHope.– Rien n'implique que cette cécité augmente. Il est même possible que les
suintementsserésorbentetquevotrechampvisuelredeviennenormal.– Je vous demandais combien de temps ilme reste, repritHope d'une voix
calmequiglaçaJosh.–Jen'ensaisrien,murmuraBergerenfixantsonbeaudessin.– Il faut que je vous dise pourquoi j'ai accepté que vous m'opériez sans
consulterunautrespécialiste.Parcequevousn'êtespasprévenant,pasdugenreà vous embarrasser demensonges ou de politesses inutiles. Alors si vousmerépondez,jen'ensaisrien,c'estquevousdevezêtresacrémentinquiet.
Berger échangea un regard avec Josh et comprit qu'il fallait s'en tenir à lavérité.–Latumeurabeaucoupévolué.–Etlabonne?s'enquitHopenonsansironie.–Labonne?s'étonnaBerger.–C'étaitunefaçondevousremercierdem'avoirditlavéritémêmesic'estune
mauvaisenouvelle,respirez,vousn'êtespasobligéd'eninventerunebonne.– Alors, la bonne nouvelle, reprit-il, est que les métastases ne se sont pas
répanduesdansd'autresorganes.–Génial ! Elles se sentent bien dansmon cerveau, elles doivent le trouver
superconfortable.–Peut-être,réponditBerger.–CombiendetempsavantqueBartn'aitmapeau?–Bart?–C'estleprénomquenousavonsdonnéàlatumeur,expliquaJosh.Bergerhochalatêtecommes'ilavaitcomprisl'idée.–Sinoustentionsunenouvellechimio...peut-êtreencorequelquesmois.–Etpeut-êtresanscela?–Quelquessemaines,jevousjurequenousn'ensavonspasplus.Chaquecas,
enfinchaqueêtrehumainestdifférent.Ilnefautpasperdrecomplètementespoir.–Vraiment?s'étonnaHope,d'untonarrogant.–Non,pasvraiment,réponditBergerentriturantsonstylo.Comme il avait l'air d'être à court d'imagination pour lui faire un autre joli
dessin,Hope le remerciaet se leva.Elle sedirigeavers laporte,manquantdepeudesecogneràunechaise.–Laisse-moi,jevaism'yhabituer,dit-elleàJoshquivoulutl'aider.Çaaussice
n'estqu'unequestiondetemps.Jen'aipeut-êtrepasencoreditmonderniermot.
*
Lesoir,elles'affairaencuisineàpréparerungratind'asperges,commesitoutétaitnormal,mêmesielledevaitsanscessetournerlatêtepouryvoirquelquechose.Joshdressalecouvertet lorsqueHopedéposasonplataucentredela table,
elleluidemandadel'emmenerdèslelendemainàl'institutdecryogénisation.Lemomentétaitvenudepréparerl'avenir.
*
Le sous-directeur de Cryogenix les reçut dans une salle de réunion aussipompeuse que lui. Longue table en bois verni, fauteuils en cuir épais, sol en
marbre, et murs dont les boiseries étaient parsemées d'encadrements précieuxd'articlesscientifiques,dediplômesetcertificats.Aprèsleuravoirditcombienilétait désolé, et vanté aussitôt les espoirs cryoniques qu'offrait sa société auxpersonnes dans la situation de Hope, il leur expliqua le déroulement de laprocéduredeneuropréservation.Lorsque viendrait le moment – Hope le reprit en l'obligeant à appeler les
choses par leur nom–, donc, lorsque les derniersmoments de la vie deHopeseraient imminents, il faudrait les contacter sur-le-champ. Une équipe seraitdépêchéeàl'endroitoùHopesemourrait.Dèsqu'unmédecinauraitsignél'actededécès,lespraticiensdeCryogenixla
mettraient sous assistance cardioventilatoire afin de restaurer sa circulationsanguineetd'oxygénersoncerveau.Soncorpsserait transportésurunmatelasdeglaceversleslocauxdeCryogenix.Commenceraitalors ladeuxièmephase.Oninjecteraitunanticoagulantdans
ses veines, puis une solution de vitrification qui protégerait l'intégrité de sescellules.Unefoiscetteétapeaccomplie,Hopeseraitplacéedansuncontaineroùsatempératurecorporellecontinueraitd'êtreabaisséejusqu'à-196°C.–Etlasuiten'estqu'unequestiond'optimismeetdetemps,dit-ellesèchement.
Une chosem'échappedansvotre raisonnement, comment espérer ramener à laviecequiestdéjàmort?Enadmettantquetoutcelafonctionneunjour,etjedisbienenadmettant,c'estavantmondécèsqu'ilfautmecongeler,pasaprès.– Cela mademoiselle, la loi nous l'interdit formellement, répondit le sous-
directeur,outré.Et pour la rassurer, il lui affirma que de nombreuses expériences avaient
prouvé lemaintiende l'intégritédesneuronescorticauxduratplusieursheuresaprès sa mort. Il y avait toutes les bonnes raisons de penser que l'endroit ducerveau où se trouvait le siège de la conscience disposait d'une résiliencetemporairepost-mortem.–Etlesmauvaisesraisons?demandaHope.Lesous-directeurpritunairmi-gravemi-condescendantpourluirépondrepar
uneautrequestion.–Quelleautrealternative,hélas?Puis, il les informa du coût de la procédure : cinquante mille dollars, une
sommequeniJoshniellen'avaientetnepourraientréunir.Hopetintnéanmoinsàvisiterlesinstallations;aprèstout,lorsqu'onchoisissait
son cercueil, les pompes funèbres vous autorisaient à voir la salle où il seraitexposé.Lesous-directeurleurmontraleblocopératoireet,depuisunevitre,l'entrepôt
oùsedressaitunecentainedesilospénétrésparlestuyauxquirégulaientl'azote
liquide.À l'intérieurdechacundeces silos reposaitunhommeouune femmecryogénisé.Deux mille personnes à travers le pays dormaient ainsi dans l'attente de
revenirunjouràlavie,précisafièrementlesous-directeur.
*
EnsortantdechezCryogenix,HopeproposaàJoshd'allerdégusterunebonneglace.Pourrienaumonde,elleneseseraitprivéed'unbonmot.EtJoshneputs'empêcherdesourire.– Je pourrais appeler ton père et lui demander dem'avancer cette somme ?
suggéra-t-ilensegarantdevantlavitrinedeSunnyDays.–Sil'undenousdoitleluidemander,c'estàmoidelefaire,réponditHopeen
sortantdelavoiture.Ilss'attablèrentdevantdeuxcoupesdeyaourtglacé.–Papacomprendraquel'échéanceserapprocheetilprendralepremieravion.
Flinch m'avait proposé un salaire quand il m'a recrutée au Centre, je l'avaisrefusé.Ehbienj'aichangéd'avis,cegenrededécisionpeutêtrerétroactif,non?–On parle de cinquantemille dollars,Hope, c'est loin de correspondre aux
défraiementsd'unétudiant.–Alors c'est à lui que tu devras emprunter cette somme, leCentre en a les
moyens,etjepeuxmêmeluiproposerqueLongviewsoit tuteurdemoncorps.Neurolink détiendra déjà les enregistrements de mon cerveau, ne faire que lamoitiédeschosesne seraitpas très scientifique.Etpuis reconnaisquedans ledomaine des recherches improbables, Flinch ne doit pas avoir beaucoupd'étudiantscongelésàsemettresousladent.Joshpromitdeluienparlerlesoirmême.–Ilyaunechosequejesouhaiterais,repritHope.Jesaisquetut'yopposeras,
maiscelacomptebeaucouppourmoi.Jepensaisvraimentcequej'aidit toutàl'heureàcecroque-mortenblouseblanche.–Qu'est-cequetuluiasdit?–Qu'onnepeutpasespérerrameneràlaviecequiestmort.–Ilnousaexpliquéquetaconsciencetesurvivraitquelquesheures...–Arrêteaveccesconneries,personnen'ensaitrienetluinonplus.J'aipassé
suffisamment de temps àmanipuler desmolécules pour que tum'accordes unminimumdecrédit.–EnfinHope,onnevapastecryogéniservivante!– Il arrivera un moment où la vie ne sera plus qu'une apparence... et une
questiondeminutes.
–Laloiinterditd'entamerlaprocédureavantqu'unmédecinn'aitattestédetamort.–Jeconnaisdesproduitspourpallierça.UnboncocktaildeVérapamiletde
Diltiazemdilateramesartèresetralentiramonrythmecardiaqueaupointdelerendreimperceptible.Etpuisdansmonétat,untoubibsecontenteradepeupourconstaterl'évidence.–Nemedemandepasdefaireça,Hope,c'estau-dessusdemesforces.– C'est à Luke que je comptais le demander, mais je voulais t'en informer
avant. Quand je sentirai que c'est vraiment la fin, tu appelleras Cryogenix, etjuste avant que leur équipe arrive, Lukem'injectera le cocktail. C'est la seulepetitechancequeçafonctionne,etencoreavouons-nousquecettechanceresteimprobable.
*
Flinchrefusacatégoriquement.IlrappelaàJoshsavolontéderesterendehorsde leurs travaux, ce qui était d'une hypocrisie rare puisqu'il épiait sans cesseleursfaitsetgestes.IlétaitsincèrementdésolépourHope,maisiln'étaitpasduressortduCentredefinancerlapréservationducorpsdel'undeseschercheurs,etencoremoinsdes'immiscerdequelquefaçonquecesoitdansleurvie.Josh lui répondit qu'en asservissant des étudiants avec des crédits qu'ils
mettraient des années à rembourser, Longview s'immisçait plus que de raisondans leurs vies. Flinch resta inflexible. Il voulait bien fermer les yeux surcertaineschoses,mais il s'en tiendrait là. IlacceptadefaireunchèquedecinqmilledollarssursesdenierspersonnelspourlesmoisdecollaborationdeHope.
*
Labandeseretrouvaauloftleweek-endsuivant.Chacunavaitpuisédanslefond de ses poches, et ensemble ils avaient réuni un dixième de la sommenécessaire.Manquaientencorequarantemilledollars.Entredeuxtassesdethé,Kasukoémitl'idéedelancerunechaînedesolidarité
sur leWeb. Des plate-formes offraient de soumettre un projet personnel à lacommunauté des internautes, dans l'espoir que de bonnes âmes auraient lagénérosité d'y contribuer. De jeunes artistes avaient pu ainsi financer unemaquette de disque ou un court métrage, d'autres un voyage d'études ou uneretraited'écriture,autantdeprojetspourselancerdanslavie,expliquaKasuko,alorspourquoipaspourlaquitter.Lukeneputs'empêcherdedemanderàHopeàquelleépoqueelleenvisageait
son réveil.Laquestionn'étaitpasdénuéed'intérêt,mais il reçut toutdemêmesoncoupdepieddeKasuko.Ilprotestaenajoutantqu'enmatièrederésurrection
ilaccordaitplusdechanceà lastratégieNeurolinkqu'àcelledeCryogenix.Etpuis leCentre ne leur coûtait rien.Nouveau coup de pied deKasuko, et Joshréussitàlefairetaireenluirappelantquedeuxoptionsvalaientmieuxqu'une.Kasuko etHope s'attelèrent à la rédaction du texte,Hope y glissa quelques
mots drôles, fit un selfie sans sa casquette et posta l'annonce sur le site definancementparticipatif.Puis,bienqueJoshaittentéjusqu'auderniermomentdel'endissuader,Hope
rappelasestroupespourquetoutlemondesedirigeversleparvisdel'égliseduCœurSacréafind'assisteràlamessedudimanche.Josh, Luke et Kasuko se bousculèrent pour prendre place au dernier rang.
Hope,comprenantqu'ilsavaienttousl'intentiondefileràl'anglaiseàlapremièreoccasion, alla s'asseoir sous la chaireoùofficiait frèreSebastian, suppléantducuréquiavaitétéfrappéparlagrippe.Lorsqu'ilannonça,littéralement,quepèreJesusétaitclouésursonlitparune
mauvaisefièvre,Hopesemorditlesjouespournepasrire.On commença par des chants afin de réunir l'assemblée dans une prière
commune, puis frère Sebastian rappela ses paroissiens à leurs devoirs etobligations...«aunomduPèrequiêtesauxcieux,duFilsetduSaint-Esprit»,dit-il.Illeurparlaensuitedelarésurrectionetdespéchésdontilsdevaientfairepénitence.Alors que frère Sebastian s'accordait une longue et profonde inspiration
– culpabiliser toute une assemblée demande d'avoir beaucoup d'air dans sespoumons–,Hopelevaledoigt.FrèreSebastianl'observafortétonné,c'étaitbienlapremièrefoisqu'unedeses
brebiss'aventuraitàinterveniraucoursd'unemesse.–Masœur?dit-illeregardpleindecompassion.–Monfrère,répondit-elle,pardonnez-moidevousinterrompre,maissivous
communiquez vraiment avec notre Père qui êtes aux cieux, pourriez-vous luisuggérer de redescendre pour venir réparer ce gigantesque bordel qu'Il nous alaissé?Çafaitdeuxmillénairesqu'Ilselacouledoucealorsquesonœuvreétaitloin d'être achevée quand Il a pris sa retraite. Dans le désordre, on pourraitévoquerlesguerres,lesfamines,lescatastrophesnaturelles,lesfousfurieux,etcroyez-moi,ilssontlégionparmilesfidèles.C'estbienjolidenousaccabler,decondamnernospéchés,maisilfaudraitaussiavoirl'honnêtetéd'alleraufonddeschoses.Dieuestbon?Dieuest juste?Tellementbonet justequelamoitiédesesdiscipless'entretuentensonnom.EtvouspourriezdemanderàvotrePèrequiêtes aux cieuxpourquoides enfantsoudes fillesdemonâgeontdes tumeursdanslatête?C'esttropfaciledenousraconterqu'ilasesraisonsetquecen'est
pas grave si nous ne les comprenons pas. Eh bien si, c'est grave ! dit-elle ens'emportant. Quelles bonnes raisons justifient que l'on meure avant d'avoirvécu ?VosDieux se saoulent dans leurOlympe en buvant notre sang.Alors,allezdiredemapartànotrePèrequiêtesauxcieuxquequandilcroiraenmoi,jecroiraienlui.Amen!Hope laissa frère Sebastian sans voix, ses paroissiens aussi.On entendit un
discret clappement de mains au fond de l'église, à l'endroit où Kasukoapplaudissait sous le regardmédusédeLuke.Hopequitta sonbancet sortit latêtehaute.–Tuasétémagistrale,s'exclamaJoshenluiouvrantlaportièredelaCamaro.–J'aiétéladernièredesconnes,maisçam'afaitunbienfou.Bon,onvala
manger,cettepizza,Bartabesoindeglucides.
14.
Soir après soir, Hope enchaînait les séances au Centre. Luke et Joshconstataientqu'elleallaitchaquefoisunpeuplusmal.Iln'étaitplusdejoursansmigraine,sansvertigeetsonchampvisuelrétrécissaitàvued'œil.Début novembre, écrasée par la douleur, elle finit par accepter les
médicamentsqueluiavaitprescritsBerger.Lemêmemois,ellerefitdeuxcourtsséjoursàl'hôpital,etenressortitépuisée.EnattendantdeserendreauCentre,ellepassait laplupartdeses journéesà
dormir.Josh renonça à suivre ses cours à la faculté pour demeurer auprès d'elle. Il
s'allongeaitentraversdulitetluitenaitlamain.Quandelleallaitunpeumieux,ellesetraînait jusqu'ausalon,s'asseyaitprès
delafenêtreetallumaitl'ordinateurdeJoshpourregarderàcombiens'élevaitlacollecte. Ilmanquait trentemille dollars et Hope en déduisit, compte tenu dutemps qu'elle estimait lui rester à vivre, qu'elle ne pourrait pas se fairecryogéniser.Elleallaitfermerlapagedusiteunefoispourtoutes,maisavant,ellesouhaita
queJoshposteunderniermessagequ'elleluidicta.Chersamisinconnus,Mercidevosnombreuxmessagesd'encouragement,decespetitsmotsquevousm'avezenvoyésetquiont éclairémes journées, votre générositéme touche tant. Vous êtes des êtres incroyables et j'auraisvraimentaimépouvoirtousvousrencontrer.Maisenyréfléchissant,sijen'étaispasentraindemourir,jen'auraisjamaiseulachancedesavoirquevousexistiez.Cequiprouvequ'ilyatoujoursdebelleschosesàdécouvrir,mêmedanslesmomentslesplusmoches.JeneseraibientôtplusenmesuredevousdonnerdesnouvellesdeBartcommej'avaisprisl'habitudedelefairecesdernièressemaines.Depuisquelquesjours,ilrefusequejemeservedemajambeetdemamaingauches.Jemerésumeàmonseulcôtédroit,maisJoshmeditquedesdeux,ledroitatoujoursétémonmeilleurprofil.Joshn'estplusdutoutlucide,maisilalagentillessedetapercemessagepourmoi,alorsjene
peuxpasluienvouloir.Nous n'avons pas encore atteint notre but, mais comme le dit mon cancérologue : on peut toujoursgarderespoir.Mêmesic'estunénormemensongedecancérologue.Jepourraisvoussortirdes tasdebanalitéssur l'importancedeprofiterdechaque journéeque lavienousoffre,maisjevaisvousépargnerça.Laseulechosedevrai,c'estqu'onsesentenvietantqu'ongardelapossibilitédes'émerveiller.Moi,çam'arrivechaquefoisquejeregardeJoshdemonœildroit.Avantjem'émerveillaisdesdeuxyeux,maisjevousassurequ'unseulsuffit.Hier,nousavonsregardélesphotosquenousavonsprisesdepuislejourdenotrerencontre.Nouslesavonsfaitdéfileràl'envers,nousremontionsletempsdephotoenphotoettoutredevenaitinsouciant.Onpeuttoujoursdéciderdelafaçondontonfaitfaceauxcoupsdurs,aveccynisme,colère,résignation,nousavonschoisil'humour.Vousquejeneconnaîtraijamaisautrementqueparceslignesquenouséchangeons,jevousgarderaitoujoursdansmoncœur,qu'ilsoitdemainpoussièreouglaçon.Vousêtesdesgensformidablesetcefutunprivilègedevousavoircommeamisvirtuels.Quelavievoussoitbelle.VotreHope,pourl'éternité.
*
Le lendemain, Josh ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil à l'ordinateur,comme il avait pris l'habitudede le faire en se levant. Il alla aussitôt réveillerHopeetellen'encrutpassonœildroitendécouvrantqu'unedonationanonymeavaitcomplétéàelleseulelasommeréclaméeparCryogenix.Ilspensèrentd'abordqu'ils'agissaitd'uneerreur,qu'undonateurs'étaittrompé
entapantlemontantsursonclavieretqu'ilnetarderaitpasàdemanderquel'oncorrigesabévue.Joshappelamêmelasociétéparlaquelletransitaientlesfonds,passadesheuresau téléphoneavantdepouvoirparleràunresponsablequi luiconfirma qu'une âme incroyablement généreuse avait financé le passeport deHopepourl'éternité.Joshachetaunfauteuilroulantet,chaquejour,ilemmenaHopesepromener
dans le quartier. Lorsqu'ils passaient devant la vitrine d'Alberto, l'épicier lessaluaitdelamain.Un dimanche ils poussèrent la balade jusqu'à la brocante. Hope repéra une
petitebagueetdemandaàJoshdelaluioffrir.Le soir, ils improvisèrent une cérémonie de mariage dans la plus stricte
intimité.LukeetKasukoendossèrentà laperfection leur rôlede témoin.Lukeassuraitaussiceluid'officierministérieletilleurfitprononcerleursvœux.Hopeet Josh les échangèrent enomettant lapartiequi stipulait« jusqu'à ce
que la mort vous sépare ». Hope avait fait remarquer que compte tenu de sacongélationfuture,celaengageaitJoshpouruneduréeincommensurable.Aprèsunlongbaiserquiscellaleuralliance,Hopeallas'allongersurlecanapé
etsesamisdînèrentauprèsd'elle.
*
Audébutdumoisdedécembre,lespremièresneigessemirentàtomber.Hopedutinterrompreuneséanced'enregistrement,elleavaitunmalfouàrespirer.Josh la ramena chez eux et Luke comprit en la voyant partir qu'elle s'était
assise pour la dernière fois sur le fauteuil de Neurolink. Après son départ, ilrangea le casquedansune armoire et éteignit le terminal, avec l'espoir d'avoirmappé la plus grande partie du cerveau de Hope. Il estimait que la copiecorrespondaitàaumoins80%del'original.
*
Le déclin de Hope s'accéléra et les promenades quotidiennes étaientmaintenantau-dessusdesesforces.Elle obligeait Josh à sortir prendre l'air pour se changer les idées. Elle ne
supportaitplusdelesavoirprèsd'elleàlaregarderdormir.Unsoiroùellesesentitunpeumieux,ellelerejoignitalorsqu'ildînaitseul
danslesalon.Ellesedéplaçaens'appuyantauxmeubles,traînantsajambefollecommeontiresurlalaissed'unchienquirefused'avancer,etquandJoshvoulutseleverpourl'aiderelleluifitsignederesteràtable.Elles'assitenfacedeluietleregardapresqueencolère.–J'aifaitquelquechosedemal?dit-ilenrelevantunsourcil.–Demalnon,maisdemalsain.–Situparlesdecegratindepâtes,dit-ilenbaissantlesyeuxsursonassiette,
jereconnaisqu'ilyaplusdefromagefonduquedepâtes,maisjesuistropjeunepourmesoucierdemoncholestérol.–Jeparledelatêtequetufais,decetteviequetumènes,desjournéesquetu
passesànerienfaired'autrequemeveiller.C'estçaquiestmalsain.Pourtoietpourmoi.TuesentraindeservirsurunplateauunedoublevictoireàBartetjenetelaisseraipasluifaireuntelcadeau.Pastoi,tum'entends!Situn'yarrivespas, je comprendrais très bien,mais, dans ce cas, prends ta valise et fiche lecamp.–Arrête avecBart, c'estdenousdeuxqu'il s'agit. Je fais ceque jeveuxde
montempset jeneveuxqu'unechose,profiterde toichaqueseconde,sansenperdreuneseule,m'emplirdetonodeur,delachaleurdetapeau,detonregard,des battements de ton cœur, alors il n'y a pas d'autre endroit aumonde où jevoudraisêtrequedanscelitdéfait.–Jenepeuxpastelaisserfaireça,monJosh.Cellequit'avaitbrisélecœur,
c'étaitBrendalasuperintelligente.Moi,jeveuxresterpourtoujourscellequitel'auraremplid'amour.Detantd'amourquecequetusauraslemieuxfairedansla vie, ce sera d'aimer. Tu sais, au bout du compte, tout se résume à deuxémotions:lapeuretl'amour.Aprèsmondépart,quandtuaurasétérassasiéde
peur, tu n'auras d'autre devoir que d'aimer de toutes tes forces, sans relâche,chaquejourquitereste.Jeveuxquetumelepromettes,parcequec'estlaseuleéternitédont jesoiscertaine.Et lorsqu'il t'arriveradetedisputeraveccellequimesuccédera,tuaurasunepenséepourmoi,tusaurasquejeteregardeetquesitunevaspasteréconciliersur-le-champ,jetenoieraisousdesaversesdepluie,parcequej'auraicepouvoir,méfie-toi.Emmène-moijusqu'àlafenêtre,dit-elle,etpromets-le-moidevantsaintCrocodile.Joshl'aidaetregardalecielpar-delàlabaievitrée.–Jecroisplutôtquec'estsaintBoa,dit-illagorgeserrée.– Tu es vraiment aveugle mon Josh. Depuis quand les serpents ont-ils des
pattes?Unstratusfiliformepassaitdevantlalune.–Demain,reprit-elle,ilfaudraquetuappellesAmelia.Jevoudraisrevoirmon
père.
*
Sampritlevoldenuitquitraversaitlepaysd'ouestenest.Quandilsonnaàlaporteduloft,HopepriaJoshdeleslaisserseuls,maisdenepass'éloignertroplongtemps.Joshserenditd'unpasmécaniquejusqu'àl'épicerie.Albertolefitentrerdans
saremiseetluioffrituncafé.Ilrepartitunpeuplustardsillonnerlesruesdeleurquartierets'arrêtadevant
la vitrine d'un magasin. Les yeux rivés sur un pull-over bleu ciel, il imaginaHope l'essayer, se regarder dans la glace avec un air faussement inquiet et luidemanders'iln'étaitpasunpeutropcher.Lebonheurserésumefinalementàdetoutespetiteschoses.
*
Saml'attendaitenbasdechezlui,sontaxiétaitgaréendoublefile.Lesdeuxhommeséchangèrentunregard.–Mendierpourenregistrerundisquepasseencore,protestaSam,maispource
quevousvousêtesmistouslesdeuxentête,c'estindécent.J'aieuenviedevouscasser la figure. Hope me l'a interdit. Vous savez que tout ça n'est qu'unegigantesquefoutaise.Lascienceestencoreàdesannées-lumièredecequecessociétés de cryogénisation prétendent possible. Vousm'avez privé du droit devenirmerecueillirsurlatombedemonenfant,ôtél'espoirdefaireunjoursondeuil, si tant est que cet espoir existe. Savoir qu'elle reposera dans un caissonsera pour moi une torture quotidienne, parce que c'est contre-nature. Nousdevons tousmourir un jour.Etmême en admettant qu'elle se réveille dans un
futurlointain,quellepartd'ellereviendraetquiseraencorelàpourelle?Vousl'êtes-vous seulement demandé ? Vous comprenez dans votre égoïsme que detelles questions laissées sans réponses soient terrifiantes pour unpère ?Enfin,soupira-t-il,c'estcequ'ellevoulait,jenepeuxquerespectersavolonté,c'estsavieaprès tout.Onélèvenosenfantsen leurdonnant toutnotreamour, sachantqu'un jour viendra où ils vous quitteront, qu'il faudra les laisser partir et seréjouir qu'ils fassent d'autres choix que les vôtres. Preuve douce et amère quenousauronsréussià les rendreadultesetautonomes.Enmêmetemps, jevousavouehumblementavoircrutoutemaviequ'êtreadultec'étaitsavoircequel'onveutetceàquoioncroit,aujourd'huijeneveuxplusrienet jenecroisplusàrien.Samsetut,ilhésita,sesentantmaladroit,etfinitparserrerJoshdanssesbras.–Mercideluiavoirdonnécedontj'étaisincapable.Nousgarderonsquelque
chosedeprécieuxencommun,l'amourquenousportonsàHope,ilestimmense,n'est-cepas.Sams'éloignasansluidireaurevoir.–Vousnerestezpas?– Non, elle me l'a interdit aussi, elle veut être seule avec vous. C'est
probablementmieuxainsi.Jereviendraiquandtoutserafini.LepèredeHopemontadanssontaxietJoshl'appelaunedernièrefois.–Sam,ladonation,c'étaitvous?–Non,c'étaitAmelia,répondit-ilentournantlatête.Lavoituredisparutaucoindelarue.
*
Joshremontal'escalier.Lukeétaitdéjàlà,ill'attendaitdanslefauteuil.Hope, allongée sur le lit, n'arrivait presque plus à respirer, ses poumons
sifflaientàchaqueinspiration.Ils'assitprèsd'elle,luipritlamainetcaressasesdoigts.Puisilretournavers
lafenêtre.Sonregardseperdaitàtraverslavitreverslesfaçadesdebriqueduquartier
oùHope et lui s'étaient installés un an plus tôt. Un scintillement de lumièresbleues et rouges apparut sur l'avenue déserte illuminant la pièce alors que lafourgonnettes'immobilisaitdevantlaportedel'immeuble.– Josh,murmuraHoped'unsouffleàpeineaudible,ne regardepas, cen'est
pasnécessaire,nossilencesnousonttoujourssuffi.JoshsepenchaversHopeetl'embrassa.Elleentrouvritseslèvrespâles.–Cefutunprivilègedeteconnaître,monJosh,dit-elleenluisouriant.
Cefurentsesderniersmots.
*
Lelendemainsoir,LukerenditvisiteàJosh.IlletrouvaassisdanslefauteuildeHope,prèsdelafenêtre.Lesbranchesnuesdescerisiersmontaientjusqu'auxvitres.La chanson de Simon and Garfunkel qu'on entendait en fond grignotait la
solitude.C'estterriblecommequelqu'unqu'onaimeestprésentquandiln'estpluslà.
MELODY
15.
LesspectateurssepressaientsurlesmarchesduSymphonyHall,lapluiequitombaitdepuisledébutdelasoiréen'enavaitdécouragéaucun,lasalleaffichaitcomplet.Ils étaientvenusdesquatre coinsde laNouvelle-Angleterre, duHampshire,
d'York,duMaryland,duRhodeIslandetduConnecticut.Des billets se revendaient à prix d'or sous lemanteau à quelquesmètres de
l'entrée.Depuis une heure, le défilé des taxis était incessant. Les voitures
s'immobilisaient sous l'auvent, laissant descendre leurs passagers avant derepartirdansunlégersifflementquiprévenaitdeleurprésence.Les tenues rivalisaient d'élégance, exubérantes, sensuelles, souvent
provocantes.Lesfemmesdelahautesociétéportaientlesdernièresimpressionsd'IrisvanHerpenoudeNoaRaviv.JohnTwain,présentateurduplusimportantnetworkduWeb, seprécipitapourposerquelquesquestionsaumaireet à sonépousequitraversaientlehall.Loindecetteagitation,MellyBarnettvérifiaitsonmaquillagediscretdansle
miroirpendantquel'habilleusenouaitseslongscheveuxenchignon.Cemomentcalmedans lesilencedesa loge luipermettaitdeseconcentrer.
Elle ferma les yeux, posa ses doigts sur la coiffeuse et répéta le délicatmouvementd'ouverturedes«Jeunesdanseusesàlalumièredusoir».Interpréterune œuvre de Jules Matton exigeait une virtuosité hors pair et une grandesensibilité.Mellysavaitquel'auditoireneluipardonneraitrien.Unepianistedesonniveausemettaitendangeràchaqueconcert.Lescritiquesseraientassisaucinquièmerang,làoùl'acoustiqueétaitlameilleure,etsonvraipublicattendraitd'elle une prestation exceptionnelle. On frappa à la porte. George Rapoport,
directeur du philharmonique, se tenait dans l'encadrement, de crainte de ladéranger.Illaprévintquelesportesétaientferméesetlesfauteuilstousoccupés.Mellyregardalamontredigitaleclignoterdanslecoindumiroir.–Vous avez encore quelquesminutes avant le lever de rideau, votre public
vousattend,annonçaledirecteur.Mellyrepoussasachaiseetseleva.– Surprenons-les et commençons à l'heure, répondit-elle pendant que
l'habilleuseréajustaitunedernièrefoissarobe.Elleprécédaledirecteurdanslecouloirquimenaitàl'arrière-scèneets'arrêta
quelques instants dans les coulisses pour s'imprégner dumurmure de la salle,cherchant à évacuer le trac qui l'étreignait. Il s'effacerait dès les premièresmesures jouées, quand elle serait coupée du monde et insensible aux yeuxbraqués sur elle. Chaque fois qu'elle s'apprêtait à entrer en scène, Melly sedemandait pourquoi elle avait choisi ce métier. Elle aurait pu exercer son artdans l'intimité familialeou le réserver àdes assembléesplusmodestesqui, aulieudeguetterunmoindrefauxpas,unesyncopetropenlevée,unearticulationratée, se seraient émerveillées de sa dextérité. Le destin en avait vouluautrement, ou plutôt son père qui, depuis son enfance, n'avait voulu quel'excellence.Nepascultiverledonquelavieluiavaitaccordéauraitétéindigned'uneBarnett.Mellypritunecourteinspirationets'élançasouslesfeuxdesprojecteursetles
applaudissements.Elles'installasursontabouret,attenditquelesilencesefasseetsesdoigtsse
mirentàdansersurleclavier.Lorsqu'elle joua les dernières notes, l'émotion se prolongea dans la plus
grandequiétudeavantquefusentlesacclamationsd'uneassembléesubjuguée.Lapianisteselevapoursaluersonpublic.Rapoportlarejoignitetluioffritun
bouquetderosesqu'elleallaposersurlepianoavantderevenirsaluer.Soncœurtambourinaitdanssapoitrine,elleétaitheureuse,lesspectateursdu
cinquième rangcontinuaientd'applaudir.Demain la lecturedes journaux seraitunvraiplaisir.Elleseréveilleraitdansuneautrechambred'hôtel,dansuneautrevilleetilenseraitainsijusqu'àlafindesatournée.Aucinquièmerappel,Mellydisparutpourdebonetleslumièresdelasallese
rallumèrent.Ellesechangeaentraversantlescoulisses,abandonnantsarobedeconcertau
brasdel'habilleusequil'aidaàenfilerunetenuedeville.Unevoiturel'attendaitdevantl'entréedesartistes.
Elleempruntalescouloirsprioritairesetgagnatrèsvitel'héliport.Dixminutesde vol suffiraient à rejoindre l'aéroport municipal de Lawrence d'où elleredécolleraitaussitôtàbordd'unavionprivé.EllearriveraitàChicagoversuneheuredumatinetpourraitenfinallersecoucher.Lerotorsemitàtournoyer,forçantMellyàsecourberendeuxpourmonterà
bord.Elles'installaàl'arrièreetposasursesoreilleslesécouteursqueluitendaitlepilote.– Très honoré de vous avoir à bord, mademoiselle Barnett. Serrez votre
ceinture, le vent se lève et ça risque de secouer un peu, annonça-t-il.Rien debien méchant, nous arriverons dans vingt minutes. Le vol sera plus long queprévu,maisaprèsvingt-troisheures je suiscontraintdepasserau-dessusde labaie,pournepassurvolerleszonesrésidentielles.Nousmettronscapàl'ouestàlaverticaledeSalemetnousposeronsquelquesminutesplus tard.Votreavionestdéjàsurletarmac.Le sifflement de la turbine était assourdissant. L'agent au sol vérifia que la
passagère était bien attachée avant de refermer la portière et de s'éloigner, lepouceenl'air.L'hélicoptère s'éleva dans le ciel et Melly observa les lumières de la ville
rétrécir,tissantdestoilesd'araignéejusqu'auxbanlieueslointaines.Lapluieétaitfine et la visibilité encore bonne. Sans le grondement des pales, ce spectacleauraitétéapaisant.La ville s'effaça devant l'océan noir, tacheté par l'écume des vagues qui
roulaientverslacôte.Une bourrasque fit tanguer l'appareil. Des trous d'air semblèrent vouloir
l'aspirerverslesflots,maischaquefois,lepiloteréussitàreprendredel'altitude.Le vent se renforçait, une giboulée frappa les vitres de la cabine, l'appareil
cahotaitsuruneligned'horizondevenueincertaine.–Lamétéosedégrade.Onvadevoirseposerletempsqueçasecalme,hurla
lepilotedanslemicro.Lamachinesemitàtanguer,louvoyaversladroite,s'inclinadangereusement
en avant et se redressa. Une violente rafale la chassa de travers. Dans lesmanègesdefêteforainequivoussecouententoussens,oncrie,ons'amuse,onespèrequeletournedurerapastrèslongtemps;dansl'habitacledel'hélicoptère,lesilencerégnait.Le pilote ne disait plus rien. Samain droite tenait fermement le manche à
balai, la gauche manœuvrait la commande du pas général et ses piedsactionnaient le palonnier.Melly hésita à se retenir à la dragonne. Si l'appareildécrochaitdansunnouveautroud'air,ellepourraitsetordreundoigt.
L'hélicoptèrerepartitenlacet.Lepiloteluidemandaitunsurcroîtdepuissancequelemoteurpeinaitàdélivrer.Ildécidadedescendre,lacôten'étaitpasloin,onvoyaitparinstantsleshalos
desréverbèreslelongdesberges.–NovemberQuatreZéroSeptLimaHectoràtourdecontrôleLogan,verticale
deThompsonIsland,capau330,sommesprisdansunsérieuxgrain,impossibledepoursuivre,j'essaiedemeposer,annonçalepiloted'unevoixcalme.–NovemberQuatreZéroSeptLimaHector, répondit la tour de contrôle de
Logan,déroutez-vousversnous,vecteur355.Le pilote comprit qu'il était trop bas, il n'arriverait pas à regagner assez
d'altitudedanscettetourmente.Avecdescentainesd'heuresdevolàsonactif,cen'était pas son premier coup de tabac, mais certainement le plus soudain. Latempêteétaitvenuepar lamer,sansprévenir,et ilnepourraitpassemaintenirencorelongtempsenl'air.Laturbinehurlait,lacarlinguevibraitdetoutepartetlescommandesnerépondaientplusnormalement.Unvoyantrougeclignotasurletableaudebord,lemoteurétaitenlimitede
puissance.–Négatif,réponditlepilote.AmerrissagePleasureBay.–N407LH,répétez,demandalecontrôleuraérien.Laradiorestasilencieuse.–NovemberQuatreZéroSeptLimaHector?réitéralecontrôleaérien.Pasderéponse.La voix du commandant de bord d'unAirbus en approche sur l'aéroport de
Loganannonça:– BA203 à tour de contrôle, il a indiqué vouloir tenter un amerrissage au-
dessusdePleasureBay.Le contrôleur aérien déclencha immédiatement la procédure de secours.
NovemberQuatreZéroSeptLimaHectoravaitdisparudesécransradars.
*
LescamionsdepompiersremontaientBroadway,sirèneshurlantes.LegardiendelapatinoiredeMurphyavaitappeléle911dixminutesplustôt.
Unhélicoptèrevenaitdes'abîmersur laplagedevantsapatinoire, ilavait toutvu,unspectacleeffrayant.Ilavaitd'abordentendulebruitd'unmoteur,unbruitqui témoignaitqu'unappareilvolait tropbas,c'estcequi l'avaitpousséàsortirparuntempspareil,histoiredevoircequisepassait.L'enginétaitmalmenéparl'orage,sonphareavantl'avaitmêmeéblouiplusieursfois.Ilétaitenvolquasistationnaireau-dessusdelabaie,commesilepiloteavaitcherchéàseposersurl'eau,etpuissoudainilavaitpiquédunez,s'étaitpenchésur leflancet ilétait
tombécommeuncaillou.Unevague l'avait ramenéd'un coupd'un seul sur lesable.Legardienn'avaitpasprislerisquedes'approcherdepeurquetoutexploseet
l'opérateur du service des urgences lui avait confirmé qu'il avait bien fait deresteràdistance,lessecoursnetarderaientplusàarriver.
*
Est-cequemesmainssontintactes?Ilfaisaitfroid,ellen'entendaitplusrien,unedouleurinsoutenablel'oppressait,
alorsàquoibonvouloirbougersesdoigts?Toutétaitflamboyant,elledistinguadesformesderrièreunrideaurougeetse
demanda ce que lui voulait cet homme qui s'approchait d'elle dans une tenueétrange.L'undesesaficionadospeut-être?Maispourquoilaregardait-ild'unairsisévère?Illuidemandasonprénometellen'ensavaitrien.Ellenepensaitqu'àcette terrible pression à l'arrière de son crâne. Elle avait dû se cogner, maiscomment et à quoi ?Où était-elle, et qui étaient ces gens qui s'agitaient ? Lerideau rougeviraaunoir,elleeutunhaut-le-cœur,et s'enfonçadansunabîmesansfin.
*
L'épave reposait sur le dos, patins en l'air.La poutre de queue s'était briséesousl'impact, lerotorarrièreétait immergé,maislacabineétaitcouchéesurlesable.Lepiloteavaitpérisur lecoup.Lehublotd'atterrissageavaitéclatésousses
jambes,lacérantsoncorpsdeblessuresmortelles.Lespompierss'acharnaientàdécouperlestôles,tentantdelibérerlapassagère
arrièredel'habitacledéformé.Unelongueentaillebiffaitsonfrontàlaracinedescheveux.Elleétaitinconsciente,levisageensanglanté,maisenvie.Lorsqu'ellefutdésincarcérée,onlaplaçasurunmatelasàbillesquiépousases
formesavantdeserétracterpourl'enserrerdansuncorsetprotecteur.On la chargea à bord d'une ambulance qui partit sans délai vers le City
Hospital.AlorsqueMellyentraitaublocopératoire,uneinfirmièreouvritlesacàmain
quelessecouristesavaientrécupérédanslacarcassedel'appareil.Elleytrouvadespapiersd'identitéappartenantàMelodyBarnett,cenomluidisaitvaguementquelque chose. Elle alla les montrer à une collègue qui informa aussitôt lasécurité de veiller à ce qu'aucun journaliste ou photographe ne traîne dans lesétages.
Un quart d'heure plus tard, Harold Barnett était prévenu que sa fille venaitd'êtrevictimed'unaccidentd'hélicoptère.Sonpronosticvitalétaitengagé.
16.
Melly était plongée dans un coma artificiel depuis seize semaines. Troisdécennies plus tôt, une sédation profonde aussi longue aurait sans doute étéirréversible.Deuxdécenniesplustôt,Mellyn'auraitpassurvécuàsesblessures.Sa cage thoracique avait été reconstruite, ses fémurs réparés, ses reins et sa
rate synthétiques avaient pris le relais des organes qui avaient éclaté etfonctionnaientàmerveillecommel'attestaientlestestssanguinsdujour.D'iciàla fin de la semaine, on achèverait d'imprimer sur ses lésions les dernièrescouchesdecellulesépithélialesdontlesculturesproliféraientdéjà.Lacicatriceàsonfrontavaitpresquedisparu.Le dernier examen encéphalique était encourageant. Le greffon sur le lobe
pariétaln'avait pas été rejeté, l'œdème frontal était entièrement résorbé.Si soncerveaucontinuaitderécupéreràcerythme,d'iciunmois,onpourraitrestaurersaconscience.L'équipemédicaleétaitconfiante,avaitassurélemédecin-chef.
HaroldetBetsyBarnett comptaient les joursavantque leur fille se réveille,
puisse rejoindre enfin la propriété familiale de Weston et y hâter saconvalescence.Depuis le tragiqueaccident, ils s'étaient installésdans les appartementsd'un
hôtel luxueux du centre-ville. La vie de Betsy était faite d'incessants allers-retours à NewYork où se trouvait le siège de sa revue d'architecture. Haroldavait muté ses plus proches collaborateurs dans les bureaux de la succursalebostonienned'oùilcontinuaitd'administrersonfondsd'investissement.Chaque jeudi, en fin d'après-midi, Harold et Betsy se retrouvaient dans un
salonprivéduLongviewHospitalpouryrencontrerlemédecindeMelly.
Ilseprésentaavecsatablettenumériquesouslebras,s'assitauboutdelatableenrésinedepalissandre,pritsonstyletdanslapochedesablouseetfitdéfilersurl'écranlecompte-rendumédicalhebdomadaire.–Deschiffresetdestermessavants,unjargondemédecin!Toutçaestbien
joli,mais la seulechosequim'intéresseestde savoirquandnous retrouveronsnotrefille,protestaHarold.–Vousme posez cette question depuis le jour de son admission,monsieur
Barnett,soupiralemédecin.–Ilyaquatremois!Dois-jevouslerappeler?–Etdois-jevous rappeler lagravitéde l'étatdeMlleBarnettquandelle est
arrivéecheznous?C'estunevéritableprouessed'enêtre là aujourd'hui.Votrefilleestunemiraculée,maisilfautvousarmerdepatience.–Mafillen'estpasunemiraculée,c'estunebattantecommetouslesBarnett!– Harold, faut-il que nous souffrions chaque fois tes gesticulations
autoritaires?Situl'avaisétéunpeumoinsavecMelly,nousn'enserionspaslà.–Jen'aijamaisétéautoritaireavecelle,seulementexigeant,etpoursonbien,
s'emportaHarold.–Situnel'avaispaspousséeàenchaînerlesconcerts...,soupiraBetsy.– Allons, allons... c'était un accident, il aurait pu se produire dans d'autres
circonstances, tempéra le médecin. Je comprends votre douleur, madame, etvotre impatience, monsieur, mais soyez tous deux assurés que votre fillebénéficie icidesmeilleurssoinspossibles.Sesprogrèssontencourageants.J'aibon espoir de pouvoir autoriser son transfert au Centre de Longview d'ici unmois.– Je sais que je vous ai posé cent fois cette question, mais est-ce qu'elle
souffre?Queressent-elleencemoment?demandaBetsy,leslarmesauxyeux.–Votrefilleestencomaprofond,madame,elleneressentrien.Surcesdeuxpoints,leneurologuedisaitlavérité.Melly était vivante, physiologiquement parlant, mais son cerveau, vide de
touteconscience.Un mois plus tard, une ambulance la convoyait vers une clinique d'une
banlieuelointaineavecunanesthésisteàsonbord.
*
Le ciel s'obscurcissait. Au-devant des maisons décrépies, des herbes follestapissaientcequiavaitétéjadisdemodestescarrésdepelouse.Lesbalançoiresrouilléesd'unparcàl'abandoncouinaientdanslabrisedusoir.Desplanchesdeboisbringuebalantess'accrochaientauxdevanturesdecommercesfermésdepuislongtemps.
L'ambulance remonta une avenue bordée d'entrepôts. Elle s'arrêta au-devantd'unportailquicoulissapourlalaisserentrer.L'intérieurdelacliniquedétonnaitdanslepaysagedecequartierdésaffecté.On transféraMellydansunechambresituéeauboutd'uneaile réservéeaux
patientsdanssonétat.Aumêmeétage,dansd'autreschambres,troisfemmesetunhommeattendaientleurtour.Unmédecinvint lui rendrevisite,accompagnéd'une infirmière.L'infirmière
vérifialesappareilsquisurveillaientlesconstantesvitalesdeMellyetdébranchala perfusion de solution anesthésiante. Le médecin prit connaissance desinformationsdontilavaitbesoin,attenditquelquesinstantslesyeuxrivéssurlesmoniteursetprogrammal'intervention.Lelendemain,àhuitheuresdumatin,ilrevintdanslachambre,escortécette
fois d'un technicien qui guida jusqu'au lit un chariot motorisé supportant uncaisson et un terminal informatique. Le technicien ouvrit le caisson, prit lecasquequisetrouvaitàl'intérieuretleplaçadélicatementsurlatêtedeMelly.Ce casque, d'une épaisseur avoisinant lemillimètre, semblait à des années-
lumièreduprototypequiavaitvulejourquaranteansplustôtdansuneautreaileduCentre.Sastructurecratériformeetélastiques'ajustaitspontanémentaucrânequ'ildevaitépouser.Le technicien s'assura qu'il était bien enplace, souleva le faisceaude fibres
optiques qui partait du sommet du casque et le connecta au terminalinformatique. Il entraune séquence chiffrée sur le clavier et l'écran s'illumina,laissantapparaîtreunereprésentationen troisdimensionsducerveaudeMelly,souslaquelleonpouvaitlire:«0%».Letechnicienseretiraensilence.Lemédecin vérifia une dernière fois les paramètres vitaux de sa patiente et
quitta les lieux à son tour. Il remonta le couloir et se rendit dans la salle decontrôleoùletechnicienl'attendaitdevantuneconsole.–Toutestprêt?demanda-t-il.–Leblocdesauvegardeestchargé,nouscommençonsquandvousvoulez.Lemédecinobservalestroismoniteursau-dessusdelaconsole.Celuisituéaucentrereproduisaitl'imageentroisdimensionsducerveau.Celuidegaucheaffichaitlesinformationssuivantes:
Patientno102
MelodyBarnett(Source)Âge29(10651jours)
Mémoire100%Transfertsortant0%
Celuidedroite:
Patientno102MelodyBarnett(Destination)
Âge30(10957jours)Mémoire–%
Transfertentrant0%~
Restauration0%Activitéélectrique0%
Vigilance0%Ilapposasasignatureélectroniquesurlaconsoleets'adressaautechnicien.–8h17,initiezlaséquencederestauration.Quandvousserezautiersdela
procédure,appelez-moipourmeteniraucourantdesonbondéroulement.Lemédecinquittalapièce,laissantletechnicienquin'avaitriend'autreàfaire
quedesurveillersesécrans.Neurolinksechargeaitdetout.Ilappuyasurunetoucheetlescompteurssemirentàtourner.À8h20,uneanomalieéchappaàsonattention.Sil'écrandedroiteaffichaitdésormais:
Patientno102
MelodyBarnett(Destination)Âge30(10957jours)Mémoire0,03%
Transfertentrant0,03%~
Restauration0,03%Activitéélectrique0,03%
Vigilance0,03%Celuiducentreaffichait:
Patientno2????(Source)
Âge??(????jours)Mémoire96%
Transfertsortant0,03%Un peu plus tard, le technicien finit par repérer l'erreur et resta perplexe,
s'interrogeant sur la conduite à tenir. Il tapotamachinalement sur la façade del'écran, geste qu'il savait lui-même être d'une inutilité absolue et décrocha letéléphone.Lemédecin ne répondit pas à son appel. Il devait être au chevet d'un autre
patientetletechnicienseretrouvalivréàsonseuljugement.
Laprocédureétaitentièrementautomatisée,sonrôleselimitaitàlamettreenpause dans deux cas seulement : si le pourcentage de l'activité électrique ducerveau différait de celui du transfert entrant, ou si Neurolink signalait unproblème.Ni l'uneni l'autredecesconditionsneseprésentaient.L'écrandelazone de restauration n'affichant que des paramètres normaux, il estima qu'ils'agissait probablement d'un simple dysfonctionnement du moniteur. Ilpréviendraitlamaintenancedevenirlechanger.Pourassurersesarrières,ilfitunecopied'écran,tapaunmémoetl'adressavia
lamessagerieinterneàlasuperviseusegénérale.Lasuperviseusegénéralepritconnaissancedel'incidentendébutd'après-midi,
imprimaunecopiedumémoet l'effaçaduserveuravantdequitter sonbureaupourserendredansceluidesonsupérieurhiérarchique.Kasukoentrasansfrapperdanslebureaududirecteurderecherche.–Jepensequetuvoudraslirececi,annonça-t-elle,radieuse.LukerelutdeuxfoislerapportetdévisageaKasuko.–Ilfautinterromprecetteprocéduretoutdesuite,dit-il.–Tuesfou?Nousavionsfaitunpacte!–C'étaitilyaquaranteans,ilestcaduc,objectaLukeenregardantlerapport
disparaîtredanslafentedudestructeurdedocumentsoùill'avaitglissé.–Unpacteestunpacte!–Peut-être,maispoursuivreseraitunefolie.LeprogrammeNeurolinkesten
voied'êtrereconnupartouteslesautoritésscientifiques,cen'estvraimentpaslemomentdeseprendreunprocèssurledos.–C'estd'unprocèsquetuaspeur?–Sinondequoi?–Queçanemarchepas...,supposaKasuko.–Sij'enétaiscertain,jelaisseraisNeurolinkallerjusqu'aubout.–Alors,tut'estrahietc'estencorepire,parcequec'estd'ellequetuaspeur.–Tudisn'importequoi.EtlafamilleBarnett,tuyaspensé?Sonpèreestun
denosplusgrosdonateurs.–À supposer que l'on stoppe la procédure, qu'est-ce que tu raconteras à la
familleBarnett?–Lavérité,qu'ilyaeuunbugdansleblocmémoire,c'estunrisquequifigure
danslecontratqu'ilsontsigné.–Flinchn'avaitqu'uneparole,tut'étaisengagéàlarespecter.–Jeluiaidonnélamoitiédemavie,etàtoil'autre.–Tusaisbienquecen'estpasvrai,réponditKasukoentournantlestalons.
Lukeselevapourlarattraper,maiselleluiclaqualaporteaunezavantqu'ill'aitrejointe.Ilretournaàsonfauteuil,entrasonmotdepassedansleterminalinformatique
et tenta d'arrêter la cent deuxième procédure de restauration. Neurolink nel'autorisapasàlefaire.
*
Ce fut une charge de lumières, un bombardement de sons, un kaléidoscoped'images diffusées si vite qu'il était impossible d'en retenir une seule. Undéferlementdevoixdistordues,undélugedemotsetdephrases,et lecycleserépétait.Cinquante heures après l'initialisation de la séquence, le corps deMelly fut
parcouru de légers soubresauts. L'indicateur du taux de restauration de samémoire franchissait le cap des 30 %. Son cerveau récupérait ses fonctionscognitives.Leterminaldesachambreenregistraitenpermanencesesparamètresvitaux.
L'activitéélectriques'élevaitnormalement,letauxdetransfertétaitconstant,lavigilanceévoluaitselonuneprogressionrégulière,toutsedéroulaitparfaitementpuisqueNeurolinkveillaitàtout.Letroisièmejour,à8h17,letauxderécupérationatteignait43,2%.À12h17, lequatrième jour, lespaupièresdeMelly s'agitèrentbrièvement.
Restaurationà60%.À21h37,lelendemain,soitcinqjours,treizeheuresetvingtminutesaprèsle
début des opérations, le médecin retira la sonde d'intubation trachéale. Lespoumons de Melly se remirent à fonctionner sans assistance respiratoire, larécupérationcérébraleatteignait80%.Ledimanche,à14h17,Mellyouvritlesyeux,sousleregardbienveillantdu
médecin.Illarassuraetluifitunepiqûrepourqu'elleserendorme.Restaurationà90%.Lelundi,à6h50,Luke,Kasukoetlemédecinentrèrentdanslachambre.À6h57,letechnicienconfirmaquelaséquencevenaitdes'achever.
Le médecin réveilla Melly. Elle ouvrit les yeux et observa en silence ces
visagesinconnusquilacontemplaient.Lukes'assitauboutdulitetluisourit.–Savez-vouscequivousestarrivé?questionna-t-ild'unevoixcalme.Mellysecoualatêtepourdirenon.–Riend'anormal.Vousavezeuunaccidentd'hélicoptèreetsubiunimportant
traumatismecrânien.Tout cela appartient aupassé,vous êtes enparfaite santé
maintenant.Mellyexaminasesmainsetremualentementlesdoigts.– D'ici quelque temps, ils retrouveront leur agilité, mademoiselle Barnett,
intervintlemédecinpourdevancersescraintes.Melly le regarda, intriguée. L'expression sur son visage laissait entendre
qu'elle n'avait pas la moindre idée de ce dont il lui parlait. Le médecin s'enétonnaets'approchadulit.–Vousvoussouvenezêtrepianiste?Melly afficha un air triste et détourna les yeux vers la fenêtre. Lemédecin
consultasatablette,cherchantàcomprendrepourquoisapatienteréagissaitainsi.–Savez-vouspourquoivousêteslà?EtcommeMelly restait silencieuse, il sepenchaà l'oreilledeLukepour lui
demanders'ilpouvaitendireplus.Lukepritlaparole.– Il y a dix ans, votre père a souscrit pour vous au programmeNeurolink.
Depuis,vousêtesvenueicichaqueannéesauvegardervotremémoire.– Celle que nous avons restaurée date de onzemois, reprit lemédecin. La
procédures'estdérouléeparfaitementetvousdevriezvousremémorertoutcequiprécède cet enregistrement. D'ordinaire, nos patients sont plus alertes à leurréveil,maisjenedoutepasqueleschosesseremettenttrèsviteenplace.–Àquandremontecetaccident?murmuraMelly.
*
LukeetKasukolaissèrentlemédecinauchevetdeMellypourallers'enfermerdansunechambrevoisineinoccupée.–Qu'est-cequetuasfait?luidemandaKasuko.–Nemeregardepasaveccetairaccusateur,jen'ysuispourrien.Neurolinka
prislecontrôledesopérationsetm'enainterditl'accès.Cettefoutueintelligenceartificiellen'enafaitqu'àsatête!– Et pourtant, bien que tous les résultats soient normaux, la patiente ne se
souvient de rien. Même les premiers candidats étaient plus au fait de leursituationàleurréveil.– Que veux-tu que je te dise, je n'ai pas la moindre idée de ce qui s'est
produit...etencoremoinsdecequinousattend.Jetelerépète,Neurolinkaagiseul.–Jenetecroispas,etjevaistedirecequit'attend.Demain,quandsafamille
l'auravue,tudevrasleurexpliquerqu'ilsontdépenséunmilliondedollarspourqu'onleurrendeleurfilleamnésiquealorsqu'ilsavaientjustementinvesticettesommepours'assurerquedansl'éventualitéd'unaccidentunetellechosenese
produiraitpas.C'estlaraisond'êtredenotreprogramme.Alorsjecrainsbienqueleprocèsqueturedoutaisnoustombedessus.–Pourl'instant,onnevarienleurexpliquer,sinonquelamémoiredeleurfille
estunpeuparesseuse.L'anomaliequetuasconstatéen'étaitpeut-êtrepascequetuasvoulucroire.–Çat'arrangeraitbien,n'est-cepas?–Tun'aspas ledroitdedireça,etpuis tuasentenducommemoi le toubib
expliquerqueleschosesseremettraientenplaceprogressivement.–Tunevasquandmêmepascroireàsesconneries?–Elle est arrivée chez nous en état demort cérébrale.Aujourd'hui, elle est
consciente, elle a récupéré samotricité, ellevoit, elle entend, elleparle et elleposemêmedesquestions,cequiprouvequesonintelligenceestopérationnelle.Nous allons attendre la fin de sa rééducation fonctionnelle et nous verrons oùelleenestàcemoment-là.– C'est moi qui ai reçu M. Barnett quand il a souscrit à notre assurance
«secondechance»,répliquaKasukod'untonpince-sans-rire.Delachance, jet'ensouhaitebeaucouppourallerluiraconterça.Etnecomptepassurmoipourt'aider.LukeretintKasukoparlamain.–Jesaisquetuesdéçue,croisbienquejelesuisaussi,soupiraLuke.–J'avaisattenducemomentdepuissilongtemps.
*
LorsqueHaroldetBetsyBarnettentrèrentdanssachambre,Mellysedemandaquiilsétaient,cequ'ilsfaisaientlà,pourquoilafemme,quis'agenouillaitdevantlefauteuiloùonl'avaitassise,étaitémueauxlarmes,etl'hommequiluicaressaittendrementlamain,aussibouleverséqu'elle,bienquesanslarmes.Chaquefoisquel'undesdeuxluiposaitunequestion,ellehochaitlatêtepourleursignifierouiounon,ânonnaitparfoisuneréponsequiluisemblaitlogiquesansqu'elleyaitvraimentréfléchi.Quandellenesavaitpasquoidire,ellesetaisait.Harolds'alarmadesonétatdèslafindelavisiteetBetsyluiordonnadefaire
preuvedeplusderetenue.Safilleétaitconsciente,elleluiavaitparléetilfallaitremercierlaviedecemiracleauquelellenecroyaitplus.–Ellen'estpasdanssonétatnormal,cen'étaitpascequ'onnousavaitpromis,
soutintHaroldquandilseurentregagnéleurhôtel,etj'aitrouvélesjustificationsdecemédecinpeuconvaincantes.–Enfin,est-ceque tu t'entends,Harold?Mellyest restéecinqmoisdans le
coma, tu veux bien lui accorder quelques jours avant qu'elle redevienne elle-même!s'emportaBetsyensifflantleDryMartiniqu'ellevenaitdeseservir.
–J'exigeraid'êtrereçupar ledirecteurduCentredèsdemain.Cequej'aivuaujourd'huiestloindecorrespondreàcequim'avaitétépromis.–Arrête!C'esttafillequetuasvueaujourd'hui.Tuaspulaprendredanstes
brasetl'embrasser.Tul'asvueselevertouteseuledecefauteuil,marcherjusqu'àsonlit,nousregarder tous lesdeux,noussourire,elleétaitaussibellequ'avantcethorribleaccident.Tudevraisteréjouiravecmoi,maistun'esqu'amertumeetcolère. Et tu voudrais blâmer ceux qui ont rendu ce miracle possible ? Je tepréviensHarold, si tunechangespas toutde suited'attitude, jepréfèreque turentres à New York et me laisses seule avec elle pendant sa convalescence,répliquaBetsyens'offrantundeuxièmeMartini.Harold fit les cent pas dans la suite d'hôtel.Dès queBetsy alla se détendre
dans unbain, il claquades doigts pour activer la commandevocale de l'écranmural.–HelloSkivy,appellemonassistante!dit-ilàhautevoix.–MonsieurBarnett, quepuis-je fairepourvous ? interrogea l'assistantedès
quelacommunicationfutétablie.Haroldluiordonnadeluiobtenirunrendez-voussansdélaiavecledirecteur
deLongview.
*
Kasuko le reçut le lendemainmatin. Il fallait prêter laplusgrandeattentionaux doléances de Harold Barnett et faire preuve de diplomatie pour ne pass'attirerses foudres.Lukeavaitpassé lanuitauCentreet ladélicatessen'avaitjamaisétésonfort.–Lorsquej'aisouscritàvotreprogramme,etilmesembleavoirétél'undes
premiersàvousavoirfaitconfiance,vousm'aviezassuréquesiunjourmafilleavait un accident, à condition qu'elle y survive, vous seriez en mesure de laguérir.Or,hier,c'estàpeinesiellenousareconnus!–MonsieurBarnett,soixantefamillesnousavaientfaitconfianceavantvous
ettantd'autresdepuis,aucuneneleregretteaujourd'hui.Vousétiezvenumevoiràl'époque,sijem'ensouviensbien,parcequeMellys'étaitamourachéed'unasde la voltige aérienne qui voulait l'initier à ce sport, un débilemental, disiez-vous. Ou était-ce un champion de kitesurf ?Mais je confonds peut-être avecd'autresparents.–Parachutisteacrobatiqueetchampionmonœil!–Absolument!Jemelerappellemaintenant...maisvousl'aviezbientraitéde
débilemental,n'est-cepas?Vousredoutiezqu'ilarrivequelquechoseàMellyetnous vous avions promis que dans l'éventualité d'un accident, le programmeNeurolinkpermettraitdepréserversonintégritécérébraleetdelarestaurer,que
d'unemanière plus générale, Longview serait enmesure de prodiguer à votrefillelessoinslesplusavancésdontlamédecinedispose.C'estexactementcequis'est produit, même si finalement, le débile mental ne fut pour rien dans ceregrettable drame.Votre fille revient de loin, de très loin, si l'on considère lesblessures dont elle souffrait à son arrivée. Son état de santé actuel estremarquable,conclutKasuko,enimaginant leportraitdeFlinchentraindeluisourire accroché au mur de la salle de réunion. Nous vous avions promis lemeilleurdecequelasciencepouvaitoffrir,pasunmiracle.Mellyretrouverasamémoire.Jetiensàvotredispositionlerapportdelaprocédurederestaurationetvouspourrezconstaterquetouts'estparfaitementdéroulé.Maisjevousenprie,soyezraisonnable,laissez-luiletempsdeseremettre.–Dutemps,toujoursdutemps,combienencore?– Il faut compter enmoyenne deux bonsmois de rééducation fonctionnelle
avant que le patient ne récupère complètement, d'un point de vue physique,j'entends.–Etellepourrapoursuivresacarrière?–Au termedecette rééducation,oui. Jenevoisaucune raisonpourqu'il en
soitautrement.– Et son intelligence, son caractère, et samémoire ? Tout cela faisait aussi
partiedevosengagements.–Mais son intelligence est intacte.Quant à lamémoire, permettez-moi une
petiteexplication.Vousdevezcomprendrequ'ilenexistedifférentessortes.Cinqd'entre elles sont liées à nos sens et trois autres se distinguent en fonction dutemps.Lamémoireimmédiategèreleprésent,celleàmoyentermepermetdeserappeleruneinformationouunévénementvieuxd'uneminuteàquelquesheures.CesdeuxmémoiresfonctionnentdéjànormalementchezMelly.Ellesesouvientdesonréveil,deceuxquisontvenusàsonchevetetdemainelleserappelleraparfaitement vous avoir vu. La mémoire du long terme est un peu pluscomplexe,n'oubliezpasqu'ilyauratoujoursuntroudanslaviedeMelly,entreladateoùnousavonsfaitsadernièresauvegardeetcelleducrash.Lamémoireprocédurale,cellequivousinquiètepourlacarrièredeMelly,estl'unedesplusperformantes.Jevousassurequevotrefilleretrouverasavirtuosité.Quantàsamémoireémotionnelle,elleresurgira,maisauprixdecertainsefforts.Iln'existepasdeuxcerveaux identiques,chaquepatient réagità samanière.Quandvotrefille rentrera chez elle et reprendra le cours de sa vie, elle sera de factoconfrontée à toutes sortes de stimulations qui réveilleront ses souvenirs. Enrésumé, plus Melly vivra, mieux elle se souviendra. Son seul ennemi est lestress, il est paralysant pour le cerveau. Alors, suivez mon conseil et nemanifestezsurtoutaucuneinquiétudedevantelle.
–Très bien.Deuxmois de rééducation et deux autres pour qu'elle reprenneuneexistencenormale.Jevousdonnedoncquatremoispourmerendremafilletellequejel'aiconnue.Après avoir conclu cet entretien d'une menace à peine dissimulée, Harold
Barnettseleva,dubitatif,maisnéanmoinsunpeurassuré.IlserralamainqueluitendaitKasukoets'étonnadelapoignedecettefemmequidevaitavoirdixansdeplusquelui.Avantderegagnersesbureaux,ilsouhaitaallervoirsafille.Lachambreétaitvide.L'infirmière informaHaroldqu'il trouveraitMellyen
sallederééducationàl'étageinférieur.Harold renonçaàprendre l'ascenseurqu'il jugeaitbien trop lentetdescendit
lesescaliersdesecours.Derrière les hublots d'une porte battante, il vit sa fille, un casque tapissé
d'électrodes sur la tête, s'exercer à la marche entre deux barres parallèlesauxquelleselles'accrochait.Iltapotasurlehublotpourattirersonattention,luifitunpetitgestedelamain
auquel elle ne put répondre autrement que par un sourire puisqu'elle avait lesdeuxmainsoccupées.Cesourire,aussisimplefût-il,provoquachezHaroldBarnettunesensationde
plénitudequ'iln'avaitpasconnuedepuislongtemps.Depuisquandd'ailleurs?songea-t-ilenmontantàborddesavoiture.Ilétait
incapabledes'ensouvenir.
*
–Etvousêtescertainquecethommeestmonpère?questionnaMelly.–Tout à fait, répondit le kinésithérapeute d'un ton affable, et la femme qui
l'accompagnaithierestvotremère.–J'aidesfrèresetsœurs?–Jen'ensaisrien,mademoiselle,jemerenseignerai.Maintenant,concentrez-
voussurvosexercices.Mellyrepéralepianodroitaufonddelasalle.–Jepourrail'essayerunjour?–Oui,unpeuplustard.
*
Melly noua une complicité avec son kinésithérapeute. Au cours del'entraînement du matin, elle lui faisait part des questions que ses parents luiavaientposéeslaveille.Questionsqu'ellemémorisaitsanslamoindredifficulté.
Lekinésithérapeutepartaitàlapêcheauxrenseignements,fouillantdanssondossier,interrogeantlemédecin,mettantsouventl'infirmièreàcontributionpourqu'ellequestionneBetsydelafaçonlaplusanodinepossible.Kasukofutmêléeàla combine et glana sur Externet unemultitude d'informations, tant sur la vieprivéequesurlacarrièredeMelly,dontlesjournaux,blogueursousimplesfansétaient friands. Melly consultait avidement ces dossiers que lui remettait lekinésithérapeute chaque jour à la fin de l'entraînement, dossiers qu'elledissimulaitdèsqueHaroldouBetsyluirendaientvisite.Jouraprèsjour,elleréappritquielleétait,assimilantlesvisagesetlesnomsde
ceux qu'elle avait fréquentés, amis, amants, collègues musiciens, chefsd'orchestre, journalistes, etmêmeparents éloignés.Constatantque samémoirelointaine lui faisait toujours défaut, Melly apprit au fil du temps à jouer lacomédie, interprétant de mieux en mieux le personnage de Melody Barnett,concertistederenom.SiHaroldétaitplusréservé,Betsyselaissaconvaincre,combléederetrouver
sa fille et plus encore quandMelody fut autorisée à quitter le Centre afin depoursuivresaconvalescencedanslapropriétéfamiliale.Huit mois après son accident,Melly allait reprendre le cours d'une vie qui
avait été écrite pour elle.Un nouveau chapitre s'ouvrait, dont la lecture seraitsansdouteplusrassurantequelespagesblanchesdesamémoire.Toutallaitbientôtredevenirnormal.
17.
Ledomainefamilials'étendaitsurlecomtédeWeston,oùvivaientlesfamillesaisées de la société bostonienne. Harold Barnett y avait fait construire sademeureàlafindesannées20.LesgisementsdegazdeschisteavaientfaitdesÉtats-Unis d'Amérique la première puissance énergétique du globe. En 2030,80%desvéhiculessortisdeschaînesdemontagedesconstructeursautomobilesroulaientà l'électricité.Labaisseduprixdubarildepétrolequis'échangeaitàmoins de dix dollars avait plongé les monarchies du Golfe dans une criseéconomiquequin'avaitpastardéàprovoquerleurchute.Lamaîtrisedel'énergiesolaire avait permis d'éclairer et d'irriguer le continent africain, devenu unvéritable eldorado. De l'Orient à l'Occident, vieilles démocraties et nouvellesoligarchies convolaient tranquillement en régnant sur un monde surveillé aumillimètrecarré,unmondemoderneoù leconsumérismeétaitplusque jamaisl'opiumdespeuples.HaroldBarnettavaitsusurfersavammentsur lesmarchésdesénergiespropres,s'assurantunefortuneconsidérable.Mais rien ne comptait plus pour lui que sa fille, à laquelle il vouait une
passion sans limites. Elle était sa fierté, son unique descendance et donc sonéternité. Depuis la naissance deMelody, Harold avait deux vies, la sienne etcelle de sa fille. Et pour lui plaire,Melly ne tarda pas à se rasseoir devant leBösendorferImperialquitrônaitdanslesalondemusique.Déjà,auCentredeLongview,encachettedetous,maisaveclaconnivencede
son kinésithérapeute, elle s'était exercée sur le vieux piano droit qui traînaitcontre unmur de la salle de rééducation.À sa grande surprise, ses doigts s'yétaientdéliéssansqu'elleeûtriend'autreàfairequedelesposersurleclavier.Sesmainsétaientagiles,maisellepeinaità lire lespartitionsetelles'attelaausolfègeaveclaplusgrandeferveur.
Quandellenerépétaitpas,Mellyoccupaitsontempsàinstruiresamémoire.L'impression d'être une étrangère dans cette grande maison engendrait unmalaisequinelaquittaitpas.Le personnel qui travaillait sur le domaine constituait une véritable mine
d'informations. Le majordome, la cuisinière, les servantes, les techniciens deménage,lesjardiniers,tousl'avaientvuegrandiretellesollicitaitchacund'euxàlamoindreoccasion.Ellesepromenaitdanslademeureets'arrangeaitpourquel'unoul'autreluiracontedesanecdotesàsonsujet.Unjour,Walt,lechauffeurdesamère,évoquaunegouvernantequil'adoraitet
avait tant de fois arrondi les angles avec son père.Nadia était la seule à fairepreuved'autoritédevantHarold,luiavait-ilracontégoguenard.Mellyfeignitdese souvenird'elleetobtintdeWaltqu'il laconduiseà lamaisonde retraiteoùNadiaVolenbergcoulaitsavieillesse.Mellychoisitde s'y rendreunmatinoùBetsyétait en réunionau journal et
Haroldenvoyaged'affairessurlacôteOuest.NadiaVolenberglisaitsurunbanc,à l'ombred'unaulne.Lorsqu'elleaperçut
Melly marcher vers elle, son regard se troubla de larmes qu'elle effaça d'unreversdelamain.Mellys'assitprèsd'elleetl'observaattentivement.–Ainsi,tuesenfinvenuevoirtavieillegouvernante.–C'estlapremièrefois?demandaMellyd'unevoixhésitante.–Autantquejem'ensouvienne,réponditNadiaenrefermantsonlivre.–Depuiscombiendetempsvivez-vousici?–Àtonâge,j'avaislulemerveilleuxromand'unécrivaind'originepolonaise,
commemoi, quoique nos destins aient divergé, lui est devenu français etmoiaméricaine. Il faut croire que nous, les Polonais, avions lamaladie de vouloirchangerdenationalité.Oùenétais-je?Ahoui,cemerveilleuxroman,Au-delàdecettelimitevotreticketn'estplusvalable.Jetel'avaisprêtéencachettedetonpère,letexteétaitassezcru.Tul'avaisbeaucoupaimé.Àl'époquejem'imaginaisdans le rôle de la jeune Brésilienne qui faisait tourner la tête de cet homme.Enfin,latête,façondeparler.Aujourd'hui,jepourraiêtresagrand-mère.Alorspour répondre à ta question, je vis dans cemouroir depuis quemon ticket estpérimé. Tu sortais triomphante du conservatoire et entamais tes tournées, jen'étaisplusd'unegrandeutilité.Maisjesuisreconnaissanteàtonpèredem'avoirtoujours bien payée, sans quoi je n'aurais pume permettre de finirmes joursdanscetterésidence.Mellybaissalesyeuxetrestasilencieuse.Ellesesentitsoudaindanslapeau
d'uneintruse,s'immisçantdansunpasséquineluiappartenaitpas.–J'auraisdûvousrendrevisiteplustôt,murmura-t-elleconfuse.
–Pourquoil'aurais-tufait?Tuavaislaviedevanttoi,unecarrièreàmeneretdes préoccupations bien plus passionnantes que de te soucier d'une vieilleemployée.–Jeleregrette,jesaisquevousm'avezélevée.–Cesonttesparentsquit'ontélevée,moijen'aifaitqueservir.–Pourquoiêtes-voussicruelleenversvous?–J'aiquatre-vingt-onzeansetpourseulsamismeslivres,tunetrouvespasça
cruel?–Nousavonsconnudesmomentscomplices,n'est-cepas?–C'estvrai,jeneleniepas.Quelestceluiquetuchérisleplus?–Etvous?Nadialevalatêtepourréfléchir.–Tous,jeleschéristous.Maisjet'aiposélaquestionlapremière.–Lorsquevousveniezmechercherauconservatoireetm'emmeniezvoirde
vieuxfilmsenvilleenracontantàmonpèrequenousavionspassélafind'après-midiaumusée.–C'estWaltquit'arappelécela,n'est-cepas?Mellyne répondit pas et lavieillegouvernante reprit le coursde sa lecture.
Ellehumectasondoigtpourtournerunepageetrelevalesyeux.–Tuasbesoindequelquechose?–J'avaisjusteenviedevousretrouver.–Tuétaisunepetitefillemerveilleuseetémerveilléedetout,pleinedepoésie.
Jen'aicessédemedemandercequej'aibienpuraterpourquetudeviennesunejeune femmeégoïste et carriériste.De jolie tu étais devenuebelle et la beautépeutfanerlesplusjoliesâmes.–J'aichangédepuisl'accident.Jenevousl'aipasdit,mais...–Jesais,l'interrompitlagouvernante,jelisaussilesjournaux;Waltvientme
voirchaquemoisetmedonnedetesnouvelles.–J'aiperdulamémoire,avouaMelly.– Non, rétorqua la gouvernante en plongeant ses yeux dans les siens, c'est
autre chose. Si je n'avais pas reconnu ce visage, je t'aurais prise pour unimposteurqui envoudrait à la fortunedeM.Barnett.Mais cequi sepasse audomaine ne me concerne plus. L'heure de mon déjeuner approche, tu feraismieuxdet'enaller.Mellyquittalapensiontroublée.Ellerestasilencieusetoutletrajet, jusqu'au
momentoùlavoiturefranchitlesgrillesdudomaine.–Walt,j'aibeaucoupchangédepuismonretour?–Jenesauraivousledire,mademoiselleBarnett,luirépondit-il.
Maislorsqu'illuiouvritlaportièreetqu'elledescenditdelavoiture,ilprofitadeleurproximitépourluichuchoter.–LavraieMelodyBarnettneseseraitjamaisassiseàcôtédemoi.
*
Haroldrentradevoyage,ilavaitorganiséunesurprisepoursafille.Lorsqu'ilsserendirentdansl'undesrestaurantslesplushuppésdelavillepourunbrunch,Melly découvrit que son père avait convié trois invités à leur table. Elle enreconnutdeuxsur-le-champ,grâceauxdossiersquesoncomplicedeLongviewlui remettaità la findesséancesderééducation.Àsadroitese trouvaitSimonBeaulieu,premierviolondel'orchestrephilharmoniquedeBoston,àsagauche,GeorgeRapoport et son épouseNina.Melly avait joué de nombreux concertsaccompagnée de l'un et sous la direction de l'autre. La conversation futentièrement dédiée à la musique, après des échanges mondains où furentévoqués quelques souvenirs des plus belles représentations qu'ils avaientdonnéesensemble.RapoportsetournaversMelody(ilnes'étaitjamaisautoriséàl'appelerautrement)etluidemandasiellesesentaitprêteàremontersurscène.L'embarrasdeMellyétaitsiévidentqueSimonvintaussitôtàsarescousse.–Pasenpublicbiensûr.Georgesuggèrequetureviennestravailleravecnous,
pour le plaisir et seulement pour cela.Nous pourrions commencer par répétertouslestrois,etsitutesensàtonaise,jesuiscertainqued'autresmusiciensduphilharmoniqueserontravisdesejoindreànous,maispasavantquetuenaiesexpriméledésir.Harold et George n'avaient pas prévu cette intervention et ils affichèrent le
mêmeregarddépité.LeurdésenchantementredoublaquandBetsypritlaparolepour dire combien Simon avait raison. Melly ne devait faire que ce qui luiplairait, que cela chante ou non à son père.Quimieux qu'elle savait combienchaquejourétaitimportant.Melly s'excusa auprès des convives, elle ne se sentait pas très bien et avait
besoin de se rafraîchir.Dès qu'elle quitta la table, Betsy pointa sonmari d'undoigt rageur, sans avoir besoin d'ajouter le moindre mot. Harold savait quequandBetsyfaisaitcegeste,unoragearrivaitàgrandspas.Simonposasaservietteets'excusaàsontour.Il traversa la salle à la recherche deMelly, ouvrit délicatement la porte des
toilettesetlavit,faceaumiroir,blême.–Jepensequecetendroitest réservéauxfemmes,suggéra-t-elled'unevoix
timide.–Toutdépenddescirconstances,répondit-ilens'approchant.Simonfermalerobinetd'eauquis'écoulaitets'assitsurleplandelavasque.
–Noussommesseuls?chuchota-t-il.–Jen'aientendupersonne,souritMelly,maisvouspouvezregardersousles
portessivousvoulezvousenassurer.– Non, je préfère encore courir le risque. Je suis désolé, j'ignorais que ce
brunchseraituntraquenard.Sijel'avaissu...–C'esttrèsdélicatdevotrepart,l'interrompit-elle.Etmercid'êtrevenuàmon
secours.–C'estunjolimot,jenet'avaisencorejamaisentenduleprononcer.–Quelmot?–Délicat.–C'estlepremierquimesoitvenuàl'esprit.–Commenttesens-tu?demandaSimon.–Perdue,réponditMellysansmêmeyréfléchir.–Jenesuisjamaistrès...délicat...quandjedoism'exprimer,maisjevoulais
quetusachesquejesuisheureuxquetut'ensoissortie.Jet'airenduvisiteunefoisàl'hôpital,audébut,maistunepeuxpast'ensouvenir,tuétaisdanslecoma.–Sic'étaitlaseulechosedontjenemesouviennepas,toutiraitbien.
MellynesavaitpaspourquoielleavaitsoudainenviedeseconfieràSimon.
Peut-être que la spontanéité dont il avait fait preuve en affrontant son père àtable l'incitait à lui faire confiance, ou simplement ressentait-elle le besoin departageravecquelqu'unlemensongedanslequelellevivaitetquil'étouffaitaupoint de s'être sentie au bord du malaise tout à l'heure. Comment imaginerremontersurscènequandlaseulecertituded'avoirjouédevantunpublicluiétaitapparueenvisionnantlacaptationdel'undesesderniersconcerts.Lepirec'estqu'ellenes'étaitmêmepasreconnue.–Tuesunemiraculée,tudoist'accorderdutemps.Essayedevoirdumonde,
vat'aérerl'esprit,renoueaveclavieetlerestesuivra.–M'aérerauprèsdequi?Jenemesouviensdepersonne.–Mêmepasdenous?–Nous...?–Nous!répétaSimond'unairespiègle.–Parcequenous...?–Biensûr!–Vousvoulezdirequenousavons...?–Chaquefoisquenouspartionsentournée,etquellesnuits!–Vraiment???–Non,pasvraiment.Jesuisdésolé,jetefaisaismarcher,avouaSimon.J'aime
passionnément les femmes, mais pas dans un lit. Ce qui doit rester un secret
entrenous,tuastoujoursétélaseuledenotretroupeàlesavoir,avecSamylemaquilleur.Bref,tul'aurascompris,jen'aipasfaitmoncomingout.–Monpèrene t'a rienditdecequ'ilappellemes troublespassagers?reprit
Melly.–Rien,jetelejure,seulementquetuétaisencorefragile.–Alors secret pour secret, je vais te révéler l'ampleurdumien, et personne
nonplusn'estaucourant,àpartceuxquim'ontsoignée.Jenemesouviensderien,nidemavie,nidenosconcerts,nideGeorge,pasmêmedemesparents.Mon intelligenceest intacte, jenesuispas retombéeenenfance,enfinc'estcequimesemble,jenemanquepasdevocabulaire,lesgestesusuelsdel'existencemeviennent sansque j'y réfléchisse, je jouedespartitionsavecvirtuosité sanssavoircomment,maistoutcequiaexistéavantcetaccidentacesséd'être,c'estunblancimmense.J'aivoulubienfaire,satisfairetoutlemonde,alorsjetriche.Ceque jesais, je l'aiapprisparcœur.Quandjedéambuledanscettemaison ilarrive parfois qu'une sensation de déjà-vu surgisse et avec elle quelquesfragmentsdemonadolescence.Mais est-cequece sontdevrais souvenirs, oudesréminiscencesquejemesuisfabriquées?Enrésumé,jesuisuneimposture,commemel'aclairementditmonanciennegouvernante.–Ne sois pas aussi exigeante envers toi et ne laisse pas ton père l'être à ta
place.Cetteamnésieatoutesleschancesd'êtrepassagère.Etsituasbesoindejouer la comédie pour te sentir toi-même, ne t'en prive pas, je sais de quoi jeparle.Jejoueàêtreunautredepuisquej'aiquatorzeans.Oh,j'aieudesamantsquim'ontaccusédenepasassumercequej'étais,ilssetrompaient,cen'estpasce que l'on est qui compte, mais qui on est. Maintenant, sur ces parolesprofondesquejeregretteraiprobablementtoutàl'heure,nousdevrionsrejoindrenoshôtes,ilsvontfinirparcroirequenoussommesentraindefairedeschosespastrèscatholiques.–Ons'enfout,HaroldestprotestantetBetsybouddhiste,répondit-elledutac
autac.Simonladévisageaetéclataderire.–Aumoins nous venons d'apprendre une chose à ton sujet quemêmemoi
j'ignorais,ditSimonalorsqu'ilsressortaientdestoilettes.Tuasdel'humour.
*
Haroldavaitauguréunorage,cefutunouraganquis'abattitsurlui.Betsynedécolérait pas.Après le déjeuner,Melly et Simon étaient allés se promener lelongdelaCharlesRiver.Harolds'étaitretrouvéseulavecsafemmedanslavoitureetiln'avaitdûson
salutéphémèrequ'àlaprésencedeWalt,quiavaittoutdemêmeconduitplusvite
qued'habitude.Àpeinearrivéeaudomaine,Betsypritvigoureusementsonmariparl'épaule
–ilavaitvoulud'unefemmeplusgrandequelui,illuifallaitparfoisenassumerlesconséquences–,etl'entraînasansménagementverslesalon.Lafemmedechambresegardabiendevenirleurproposeruncaféetrestaen
compagnieduvaletderrièrelaporte,cettefoisaucunbesoind'ycollerl'oreille,onentendaitl'engueuladejusquedanslescuisines.Àdes«Commentas-tupu faireunechosepareille...» succédèrent«Tune
reculeras donc devant rien... » puis « Elle n'est pas ta chose... », « Tu es uncaractérielobsessionnel...»etencore«Tudevraisavoirhontedetoi...»,etenfin«J'exigequetuluiprésentestesexcuses!».Haroldgardasoncalme,sachantquedansdetelsmomentstouteriposteserait
vaineetneferaitqu'envenimerlasituation.Ilencaissaensilence,affichant lamine repentied'usage,guettant les larmes
de sa femme qui finiraient bien par lui monter aux yeux. Elles annonçaientgénéralementlafindeshostilités.QuandBetsyattrapaunmouchoirenpapierdanslaboîteenargentposéesur
leguéridon,Haroldsutqu'ilallaits'ensortir.Ilsoupiralonguementets'excusa.– Je ne voulais pas la heurter, je n'ai pas songé une seconde que l'offre
généreusedeGeorgelamettraitdansl'embarras.–Dansl'embarras?Elleaétécontraintedequitterlatabletantelles'estsentie
mal!EttuvoudraismefairecroirequecetteidéegrossièrevenaitdeGeorge?–D'accord, j'aipeut-êtreétéunpeumaladroitenbrusquant leschoses,mais
j'avais la conviction qu'elle serait heureuse qu'il lui propose de rejoindre lephilharmonique.–Tun'aspasétémaladroit,monpauvreHarold,tueslamaladresseincarnée.
Etc'esttoi,ettoiseul,quiseraisheureuxqu'ellereprennesestournées.–EnfinBetsy!Melodynevapascontinueràerrerdanscettemaisoncomme
uneâmeenpeine.Combiendetempscemanègedoit-ildurer?–Jusqu'àcequ'ellesesenteprête.– Elle n'est plus elle-même, même les gens qui travaillent ici s'en rendent
compte,desproposmereviennentauxoreilles,tusais.– Quels propos ? Que son père, non comblé que sa fille ait survécu à un
accident d'hélicoptère, réclame encore plus ! Parce que la seule chose qui aitjamaiscomptépourcemonstred'égoïsmeétaitdebrilleràtraverselle,saseulejouissance,delavoiracclaméeparunpublic?Tuespathétique!Ilarrivaitqu'unedeuxièmesalve rageusesuccèdeà lapremière,encoreplus
meurtrière.Haroldlasentaitapprocheràgrandspasetchangeadetactique.
– Melody a toujours vécu pour la musique, j'espérais que renouer avec lascèneluiferaitdubien.Jemesuistrompé,etj'aicomprisàtablequ'ilétaittroptôt.Dèsqu'elleserarentrée,j'irailuiprésentermesexcuses.–C'estsonpèrequetudevraisluiprésenter,voilàcequipourraitluifairedu
bien!–Qu'est-cequecettephraseveutdire?s'indignaHarold.–Quedepuissesonzeans,lafigurepaternelleaétéremplacéeparcelled'un
précepteur, unmaîtredemusiqueobsessionnel etobstiné.Àquand remonte ladernière foisoù tuaspasséunmomentavecellesansqu'ellesoitassisesur letabouret d'un piano et toi à l'écouter jouer ? Je te parle de quelques heuresnormalesentreunpèreetsafille,undéjeunerentêteàtête,unepromenadepourqu'audétourd'uneconversationellepuisseenfin teparlerd'elle,unaprès-midioùvousseriezallésluichoisirunerobeouunobjetquiluiauraitfaitplaisir.Necherchepas,Harold, il n'y en a jamais eu.Vousn'avezpartagéquedes notes,c'est triste pour elle et consternant pour toi.Comment as-tu pu te priver d'unevraierelationavectafille?Haroldn'avaitpasvuvenirlaballeetillapritenpleinepoitrine.Ilselaissa
tomberdansunfauteuil,l'airtotalementperdu,etpourunefoisilnejouaitpaslacomédie.–Sansdoute,bafouilla-t-il.–Sansdoutequoi?–J'aidûmerderquelquepart.–Enlèvele«quelquepart».–Qu'est-cequejedoisfaire?soupira-t-il.–Jeviensteledire.–Ah?Ahoui...alors...ledéjeuner,lapromenadeoularobe?–C'estàellequ'ilfautledemander!
18.
Haroldlaissapasserquelquesjoursdurantlesquelsils'interditd'entrerdanslesalondemusiqueoùMellyrépétait.Ilsehasardaunefoisàentrouvrirlaportepours'assurerquetoutallaitbienet
uneautrepourluisuggérerd'allersepromener.De son côté, Betsy avait accepté une invitation au salon d'architecture
modernequiouvraitsesportesauJacobsCenteràNewYork.ElleavaitoffertàHaroldsadernièrechanceetelleespéraitqu'ilprofiteraitdesonabsencepourlasaisir.Haroldchoisitd'emmenerMellyfairedescourses,etpensaàluidemandersi
cela lui faisait plaisir alors qu'ils entraient dans la voiture. À nouvelle vie,nouvellegarde-robe,avait-ilajouté,affable,avantqu'elleneréponde.Depuis son retour à lamaison, il était arrivé àMellyde s'interroger sur ses
choix vestimentaires. Les tenues qu'elle redécouvrait dans son dressing luisemblaient intrigantes, inconfortables, et sans le moindre charme. Mais elleacceptasurtoutl'offred'Haroldpourlajoiequeluiprocuraitl'idéedepasserunmomentseuleaveclui.Haroldavaitdemandéàsonassistantedeluiétablirunelistedesmagasinsen
vogue.Walt en avait une copie, et il les conduisit sur Boylton Street, la ruecommerçante où l'on pouvait acheter les collections les plus élégantes, àconditiond'enavoirlesmoyens.Il n'y avait rien à dire, les créations d'Iris van Herpen étaient à couper le
souffle, dans tous les sens du terme, et les robes en fibres végétales de NoaRaviv,sublimes.–Maispourquoin'enchoisis-tuaucune?C'est laquinzièmeque tuessayes,
s'inquiétaHarold.
– Je n'en sais rien, pas encore eu de coup de foudre, je cherchais quelquechosededifférent,expliquaMelly incapablededéfinircequ'elleentendaitparlà.Elle affirma à son père qu'il lui faudrait plus de quatre saisons pour porter
toutes les robes, jupes et chemisiers accrochés dans sa penderie. Elle nemanquait pas de vêtements et préférait mille fois qu'ils aillent s'installer à laterrassed'unrestaurantpourparler.–Parlerdequoi?demandaHarold.EtpendantqueMelly sechangeaitdans lacabine, il enprofitapour joindre
Waltafinqu'illeurdégoteillicounetableenterrassechezMimi.
*
–...Demonenfance,réponditMellyenconsultantlemenu.–Quelledrôled'idée,s'esclaffaHarold.Tulaconnaismieuxquemoi,c'esttoi
quil'asvécue.–Questiondepointdevue.J'étaisquelgenredepetitefille?Harolddemandaauserveurdeluiapporterlacartedesvins.Iln'enbuvaitque
rarement,maisilavaitbesoindegagnerdutemps.– Discrète, lâcha-t-il en posant ses yeux sur un Château Gruaud Larose,
soulagéd'avoirtrouvéquelquechoseàdire.–C'esttout?–Réservée!–C'estunpeupareil,non?–Peut-être,maisc'estdéjàpasmal!Le regard deMelly fut attiré par une jeune femme qui traversait la rue en
dehorsdupassagepiéton.–Différentcommeça,dit-ellesoudainement.–Dequoiparles-tu?– De la façon dont cette fille est habillée, répondit-elle en la montrant du
doigt.–Tuplaisantes?Unjeanetunvieuxpull!–Jetrouveçacharmant.– C'est d'un vulgaire... Enfin qu'est-ce qui te prend, tu n'as jamais porté ce
genred'horreurs!–Ehbienmaintenantj'enaienvie.–Àtonâge?–Là,j'espèrequec'esttoiquiplaisantes!Haroldfronçasesépaissourcils.–Tumefaismarcher,c'estça?
–Bon,tuvoulaismefaireplaisir,maispuisquej'aisimauvaisgoût,oublions.L'ombre de Betsy plana au-dessus de la table. Harold bondit, alors que le
serveurs'approchaitpourprendreleurcommande.–Allons-y,netraînonspas!Ilattrapalamaindesafilleetmarchad'unpaspresséverslavoiture.–Dépêche-toi,nousallonslaperdredevue!–Etc'estsigravequeça?–Tuveuxquejet'offredesantiquités,soit,maisencorefaut-ilsavoiroùles
trouver.Quiporteencoredesjeansànotreépoque,àpartcettefilledéguiséeenhippie!Ilss'engouffrèrentdanslavoitureetHaroldmontraàWaltlasilhouetteauloin
quimontaitdansuntramwaypneumatique.Walt ledépassa,conduisit jusqu'auquartierdeSoWa,ausuddeWashington
Streetets'arrêtadevantleVintageMarket.En parcourant les allées de cemarché aux puces,Melly fut gagnée par un
sentimentdebien-êtrequ'ellen'avaitpasconnudepuissonréveilauCentre.– Voilà ce que je voudrais, dit-elle en désignant un pull bleu marine sur
l'étagèred'unfripier.Haroldlevalesyeuxauciel.Quelleéducationavait-ildonnéeàsafillepour
qu'àtrenteanselleaitenviedesevêtirenguenilles.MaisHaroldBarnettétaitenmission,iln'étaitpasquestiondedécevoirMellyetencoremoinssamère.Etiln'étaitpasauboutdesespeines...Lorsqu'ilsquittèrentSoWa,lesachats
deMelly remplissaient quatre sacs et, comme si cela n'était pas suffisant, elleavaitrefusécatégoriquementdelesconfieràWaltpourqu'illesporteàsaplace.
*
Betsyrentralelendemain.Elles'étonnadenepasentendrelepianoetfrappaàlaportedelachambredeMelly.Elleportaitunejupelongueenmousseline,uneblousesansmanchesetunpashminacamel.–Commenttumetrouves?–Radieuse,réponditBetsy.–J'aiundoutesurlepashmina.Betsytournaautourd'elle,etleluiôtadesépaules.–Jecroisquec'estlablousequinevapasavecl'espritbohèmedelajupe.Je
doisavoirunechemisequit'iraitàmerveille.Suis-moi.Betsyentraînasafilleverssesappartements,fouillasapenderieets'arrêtasur
uncardigantissédemotifsindiens.–Tiens,c'estencoremieuxetceseraparfaitementassorti.
–Tuasvraimentportéça?–J'aieuvingtans.–J'enaitrente.–Raisondepluspourt'habillerenfincommequelqu'undetonâge.Mellyôtalablouse,enfilaleT-shirtqueluitendaitsamèreetlecardigan.Elle
seregardadanslemiroiretfutraviedecequ'ellevoyait.–Oùvas-tu,sijolie?demandasamère.–RetrouverSimon.–Iltedrague?–Jenecroispas,s'amusaMelly.–Moijecroisquesi.Ilestassezbelhomme.Oùt'emmène-t-il?–Nousavonsrendez-vousàlasalledeconcert.–C'estencoreuneidéedetonpère?demandaBetsy.–Non, il n'y estpour rien, cette fois.C'estmoiqui ai appeléSimon.Après
tout,jenerisquerienàessayerdem'yremettreetpuisnousneseronsquetouslesdeux.–Ilyad'autreschosesquelepianodanslavie,Melly.–Pourquoidis-tuça?–Qu'as-tufaitdetesvingtansàpartdestournéesàtraverslepays?Jenet'ai
jamaisvueengagéedansunevraierelationavecunhomme.Jemedoutequetuasdûavoirdesamantsdevoyage,maisc'estdifférent.Peudetempsavant tonaccident,tum'asditunechosequim'aterrifiée.–Quoi?–Quetun'avaispasconnudechagrind'amour.–Etc'estgrave?–Sic'estvrai,c'estquetun'asjamaisétéamoureuse.–Tuenasconnu,toi,deschagrinsd'amour?–Biensûr,effroyables!Deceuxquitefontpenserquelaterres'estarrêtéede
tourner.Desmois à suffoquerde solitude, àguetter la sonneried'un téléphonecommesilavienedépendaitplusqued'unappeletquelerestedetonexistencene serait qu'un long hiver. Et puis le printemps revient, parce qu'il revienttoujours.Ilsuffitd'unregardpourseremettreàaimer.Etilyaeutonpère.–Commentvousêtes-vousrencontrésavecSam?–Sam?BetsyvitletroubledeMellydanssonregard.–Çanevapas,Melly?Tuestoutepâle.–Cen'estrien.C'estcerêvequej'aifaitlanuitdernière.Ilm'ahantéetoutela
matinée.–Dequoias-turêvé?
– Ça ressemblait à un souvenir d'enfance. J'étais dans ma chambre, je melevais aumilieude la nuit, etm'installais à la fenêtre. Je grelottais de froid etj'appelaisSampourqu'ilvienneàmonsecours.–Maisenfin,quiest-ceSam?–Jen'ensaisrien.–Es-tucertainequecesoitunebonneidéed'allerrépéteravecSimon?–Toutcequimepermetdesortirdecettemaisonestunebonneidée.Betsyajustalesépaulesducardigan,tiraunpeusurleT-shirtetcontemplasa
fille.–JenepeuxpascroirequetuaiesréussiàconvaincreHarolddet'offrirces
vêtements.–Jeneluiaipaslaissébeaucouplechoix.–Tonpèren'estpasunmauvaishomme,c'est justeunhomme.Derrièreson
orgueildémesurésecacheunêtreinquietetsifragile.Ilestautoritaire,exigeant,maisaufondilesttrèsgénéreux.Ilm'insupporteautantquejel'aime.Àl'époqueoùnousnoussommesrencontrés...maisjet'airacontécentfoiscettehistoireettuvasêtreenretard.BetsypritMellydanssesbrasetl'embrassatendrement.–File,maintenant,nousdéjeunerons toutes lesdeuxunautre jouret je te la
raconteraiànouveau.
*
Melly prit un taxi, aperçut en chemin le tramway qui se dirigeait vers sadestinationetdécidadel'emprunter,parcequeçal'amusait.Elleenredescenditdevant l'imposant bâtiment du Symphony Hall, érigé au début du siècle. OndevaitsonarchitectureàunélèvedePei.Simonétait seul sur la scène, il accordait sonviolonet tourna la têtequand
Mellys'approcha.Lepianotrônaitaumilieu,couverclerelevé.EllesaluaSimonetallaprendreplacesursontabouret,faisantbonnefigure.Simon lui proposa de commencer par le deuxième mouvement du dernier
concerto qu'ils avaient joué ensemble, et comme Melly le regardait d'un airinquiet,ilprécisaquelapartitionétaitsurlechevalet.Illalaissad'abords'exercerseuleetsejoignitàelledèsqu'elleinterprétales
premièresmesuresdesJeunesDanseusesàlalumièredusoir.GeorgeRapoport sortitde sonbureauet restacachédans lescoulisses.Une
demi-heureplustard,ilhaussalesépaulesetrepartitvaqueràsesaffaires.À la fin de l'après-midi, Simon jugea qu'ils avaient assez travaillé pour une
premièreséanceetl'emmenadînerdansunrestaurantduquartier.Quandilsfurentpartis,RapoportpritsontéléphonepourappelerHarold.
*
Melly emmenaSimon chezMimi.La salle était bondée et ils décidèrent dedîneraubar.Simoncommandadeuxcoupesdechampagne.–C'étaitintéressantpourunepremièrefois,dit-ileninvitantMellyàtrinquer.–Donctrèsinsuffisant,répondit-elle.–Nousauronsbesoinderépéterencorepourqueturetrouvestonjeu,maisje
t'assure,tut'enesbientirée.Nousn'avonspascommencéparuneœuvrefacile.– Tu mens mal et c'est dommage, car je ne peux m'en remettre qu'à ton
jugement.–Tun'exagèrespasunpeu?questionnaSimonenlataquinant.–Non,jelislapartitionetmesmainsfontlerestesansquejedécidederien,
c'estunesensationétrange,presquedérangeante.–Jeconnaisbeaucoupdepianistesquiaimeraientêtreaussidérangésquetoi.
Tun'asrienperdudetavirtuosité.–Alorsqu'est-cequinevapas?Simonluitenditlacartedesplats.–J'aiunefaimdeloup,qu'est-cequiteferaitplaisir?Tuesmoninvitée.
*
Betsys'étonnadenepasvoirHarolddanslasalleàmanger.Ilétait toujoursd'uneponctualitéexemplairequandils'agissaitd'alleràtable.Ellel'appeladanslecouloir,passalatêtedanssonbureau,montadanslachambreettéléphonaàWaltpourvérifierquemonsieurétaitbienrentré.Lechauffeur le luiconfirma,maisilignoraitoùilsetrouvait.Inquiète,Betsy inspecta les deux ailes de la demeure. Prise d'un doute, elle
rebroussa chemin et poussa la porte du salon demusique.Harold était avachidanslefauteuilqu'iloccupaittoujourspourécouterjouersafille,latêteaucreuxdesmains.Iln'entenditmêmepasBetsyentrer.–Çanevapas,Harold?Ilseredressa,laminedéfaite,etBetsyredoublad'inquiétude.–IlestarrivéquelquechoseàMelly?–Non,soupira-t-il.–Tumelejures?insistaBetsy.–Ellevatrèsbien,elledîneenville.Betsyleregarda,l'airinterdit.–Tuasunemaîtresseetellet'aquitté?–Nedispasdesottises.–Alorsqu'est-cequinevapas,Harold?
–Rapoport!–Georgeestsouffrant?–Non,clairvoyant.Etj'aidécouvertchezluiunsensaigudelacruautéqueje
neluiconnaissaispas.–IltrompeNina?–Arrêteavecteshistoiresd'adultère,c'estagaçantàlafin!Ilm'atéléphoné
tout à l'heure pourm'expliquer quema fille n'avait plus de talent. «Elle joueavecunedextéritéquin'estpascritiquable,moncherHarold.Après toutescesannées, c'est le minimum, mais l'émotion, Harold, où est passée l'émotion ?Melodyaperdusasensibilitéartistique,Harold.»Cetabrutisesentaitobligéderépéter mon prénom à chaque phrase, comme un marteau qui s'acharne àenfoncerleclouettapeencoredessusquandiladisparudanslemur.«Nousnepourrons pas la réintégrer dans le philharmonique, comprenez bien mon cherHarold,cen'estpasdegaietédecœurque...»–Quequoi?–Jen'ensaisrien,jeluiairaccrochéaunez.–Tuasbienfait.–Jedevraisracheterlephilharmoniqueetlevirer.–Réfléchisplutôtàlafaçond'annoncercelaàtafille.–Quelquechoseadéraillé,Mellyn'estpluselle-même.Tuasvusesnouveaux
goûtsvestimentaires?–Harold...–Ah,tunevaspast'ymettretoiaussi, jeconnaismonprénombonsangde
merde!– Calme-toi, je t'en prie, et écoute-moi. Nous avons failli la perdre et les
miraclesdelamédecinemodernenousl'ontrendue.Maisletempsestvenuquenousacceptionsdefaireledeuildelapersonnequ'elleétaitavantcetaccident.C'est vrai qu'elle a changé. Elle est plus insouciante, moins acharnée à samusique,elleaparfoisl'espritailleurs,parleunpeudifféremmentets'intéresseàd'autres choses.Aux autres notamment, ce qu'elle ne faisait jamais. Ses goûtsaussiontchangéetquandbienmêmedevrait-ellearrêtersacarrière,unechoseresteimmuable,elleestMelly,notrefille.–Ehbienmoi,jenelareconnaisplus!Etnemeregardepascommesij'étais
unmonstre.Jeneteparlepasdesesabsences,desesréponsesincohérentesoumaladroitesdèsquenousévoquonslepassé,desesmensongesnaïfspournousfairecroirequ'ellesesouvientdecedontnous luiparlons.C'estbienplusquecela,commesiellen'avaitjamaisvécudanscettemaisonnipartagéquoiquecesoit avec nous, d'ailleurs. Ne dis rien, je lis dans tes yeux ce que tu penses.
D'accord,jesuisunmonstreettoiunesainte,maisjesuisunmonstrelucideettoituesdansledéni.Haroldseleva,passadevantsafemmeetallas'enfermerdanssonbureau.
*
Betsynefermapasl'œildelanuit.Unoragegrondaitsurlarégion.Lapluiefrappaitauxcarreaux, leséclairs irradiaientune lumièreblanchedans lapièce.Betsysemoquaitbiendutonnerre,maisleshurlementsduventquicouraitentrelescimesdeschênesdudomainelafaisaientfrémir,laramenantàcettenuitoùsa vie avait basculé. Se retournant maintes fois sur l'oreiller, elle repensa aucauchemar de Melly. Ce n'était pas le premier. L'autre soir déjà, en passantdevantlaportedesachambre,ellel'avaitentenduegémir.Àcinqheures trentedumatin,Betsyse renditdans lacuisine.Lepersonnel
n'avait pas encore pris ses quartiers, peu lui importait, car elle se réjouissaitd'être seule.Elle se prépara un thé et s'installa à la table.Elle avait besoin deréfléchir.Àsixheures,prenantsoncourageàdeuxmains,elledictaunmessagevocal
qu'elleenvoyaaumédecindeMelly,luidemandantdelarappelerauplusviteetdelarecevoirdanslajournée.
*
Lerendez-vouseutlieuenmilieud'après-midi.Betsydutpatienterunedemi-heuredansunesalled'attenteavantd'êtrereçue.Lemédecins'excusa,ilavaitfaitdesonmieuxpourlacaserentredeuxpatients.Elleluisignifiapolimentqu'ellen'était pas une de ses patientes et lemédecin en profita pour rappeler qu'il nepouvaitévoquerlasantédeMellyensonabsence.Secretmédicaloblige.Mais Betsy lui rappela à son tour que son mari avait fait une donation
considérable àLongview.Et elle lui exposa ses doléances, ou plutôt celles deHarold.Le médecin avança sa tablette numérique et traça du doigt sur l'écran une
forme vaguement ovale. Elle était censée représenter un cerveau. Tous lesmédecinsnesaventpasfairedebeauxdessins.Ilmarquad'unecroixlapartiedulobe occipital qui avait été endommagée et réexpliqua que les chirurgiensl'avaient remplacée par un greffon. Il fallait se féliciter qu'il n'y ait eu aucunrejet.Avantd'autoriserMellyàquitterleCentre,onluiavaitfaitpasseruneénième
batteried'examens,ajouta-t-il.Entempsnormalcesinvestigationsfortcoûteusesauraient été jugées superflues, mais le directeur de recherche en personne lesavaitexigées,parprécaution.
Et elles s'étaient en effet avérées superflues, les résultats des imageriesatomiquesetbiologiquesconfirmaientunenouvellefoisl'intégritéducerveaudeMelly.Lestestscognitifségalement.Ses troublesmnésiques étaient unmystère,mais lemédecin ne doutait pas
qu'ilssoientlefruitd'uneaffectionpassagère.Betsy prit son courage à deux mains pour poser la question qui l'avait
empêchée de dormir toute la nuit. Était-il possible que sa fille souffre d'untrouble du comportement ? Le médecin lui demanda de préciser ce qu'elleentendaitparlà,etBetsyduts'yreprendreàdeuxfoisavantd'oserprononcerlemot«schizophrénie».L'aircondescendant,lemédecinluitapotalamainpourlarassurer.Mellyne
présentaitaucunsymptômequipuissepermettred'envisagerunetellechose.Maisalors,commentjustifiersestroubles, ledésarroiquisepeignaitparfois
sur son visage, cet air perdu qu'elle arborait si souvent, les cauchemars qui lahantaientlanuit?Le médecin prétendit que les cauchemars étaient bon signe. La mémoire
émotionnelle avait besoin de stimuli pour être réveillée. Le processus luisemblaittropcomplexepourqu'ilsedonnelapeinedeledétailleràBetsy,maisil le résuma en lui disant qu'au fil du temps Melly serait confrontée à desévénements anodins qui agiraient commedes commutateurs rallumant les fluxélectriques de son cerveau. Il s'en tint là, car ce n'était déjà pas très clair, etpréféra évoquer la fameuse brioche de Froust. Betsy le corrigea. L'écrivainfrançais auquel il faisait référence s'appelait Proust, et la brioche était unemadeleine.Lemédecin la remerciadecetteprécision, ilavait toujourscruqueMadeleineétaitsafemme.Soudain,ilrelevalatête,songeur,etBetsydétectauneétincelledanssesyeux,
commes'ilavaiteuenfinuneidéequidonnedusensàcerendez-vous.Compte tenudustress traumatiquequ'avaitsubiMelly, ilétaitpossible,et il
ajouta aussitôt que ce n'était qu'une hypothèse, que Melly ait un troubledissociatifdel'identité.Lessymptômesvariaient,maislemaladepouvaiteneffetprésenter des inaptitudes à une situation vécue. On parlait aussi d'amnésiedissociative ou de trouble de la dépersonnalisation. En résumé, le patient nesavaitplusbiensisessouvenirsétaientauthentiques,nimêmeparfoisquiilétait.Ce diagnostic, aussi hypothétique fût-il, satisfit immédiatement Betsy et le
médecin remonta en flèche dans son estime, qui était au plus bas quand il luiexpliquaitunpeuplus tôtquetoutétaitnormalalorsqu'ellesavaitbienquecen'étaitpaslecas.Dépersonnalisation, c'était exactement ce que Harold avait cherché à
exprimer.SacréHarold,quifinalementnemanquaitpasdebonsensderrièreson
côtérâleur.Melly avait donc perdu sa personnalité, et ce ne devait pas être bien grave,
parce qu'une personnalité, ça se retrouvait forcément. Surtout celle de sa fille,quioccupaittantdeplace.MmeBarnettsemblaitpluscalme,etlemédecinsentitqu'ilavaitmisledoigt
sur une explication rationnelle qui contenterait aussi Harold Barnett. Lamontagne de problèmes qu'il avait redoutée en apprenant que Mme Barnettsouhaitait lerencontrersansdélaiétaitentraindes'effondrercommeuntasdesable,alors tantpispour lerendez-voussuivantquiaccusaitdéjàuneheurederetard,ilallaitfaireensortequetasdesableellereste.Maintenantquel'onsavaitàquois'entenir,quefaire?questionnaBetsy.En temps normal, le médecin aurait recommandé des examens
complémentairespourvalidersondiagnostic,maispascettefois-ci.Ilgriffonnaune ordonnance sur sa tablette et prescrivit un traitement médicamenteux. IlabandonnaMmeBarnettletempsd'allerlechercheràlapharmacieduCentreetrevintluiexpliquerlaposologie.Aprèsunepoignéedemainémouvante,BetsyquittaleCentre,plusheureuse
que jamais. Et tandis que Walt lui ouvrait la portière, elle pensa que si desfemmescommeellerégnaientauxdestinéesdumonde,ilyauraitsurterreplusdesolutionsquedeproblèmes.
*
Cesoir-là,ledînerfutavancéd'unedemi-heure.Betsynetenaitplusenplaceetelleconvoquasafamilleàdix-huitheurestrentedanslasalleàmanger.Elleattenditquechacunsoitassisautourdelatableetannonçaavoirunedéclarationimportanteàfaire.Un peu plus tard, devant une Melly intriguée et un Harold stupéfait, elle
acheva le compte-rendu de son entretien avec le charmant et si compétentmédecinduCentredeLongview.– Donc ma chérie, tu prendras deux de ces cachets, matin et soir, et d'ici
quelquessemaines,tamémoiretereviendra.Alors,tupourraslaisserlibrecoursàtesémotions,ettasensibilitéartistiqueseréveilleraavecelle.– Je neme savais pasmalade, protestaMelly en faisant tourner le tube de
comprimésentresesdoigts.Haroldtoussotaàdeuxreprises,parcequepouruneraisonqui,mêmedansla
secondemoitiéduXXIesiècle,restaitunmystèrepourlascience,lalâchetéfaittoussoterleshommes,etBetsyvolaàsonsecours.–Ton père etmoi ne sommes pas aveugles.Nous savons que ça ne va pas
commetulevoudrais,noussommestesparents.Jetedemandejustedesuivrece
traitement pendant quelquesmois avec une régularité sans faille.Le docteur abieninsistélà-dessus.Betsysetrompaitsurunpoint,Mellyignoraitcequ'ellevoulait,àpartquitter
à tout prix cette salle à manger. Mais, soucieuse de rassurer ceux qui luitémoignaienttantd'amourelleavaladeuxcomprimésavecungrandverred'eau,sousleregardémerveillédesamère.
*
Aumêmemoment, lemédecin duCentre était convoqué dans le bureau dudirecteurderecherchepourluifaireunrapportdétaillédesonrendez-vousavecMmeBarnett.Lemédecinse félicitade laconclusionà laquelle il étaitarrivé,ajoutantqu'iln'yavaitplusàcraindreunéventuelprocès.Avant de se retirer, il ne put s'empêcher de demander à son supérieur
hiérarchique,pourquoiilavaittantvouluqu'ilprescriveunantidépresseuraussipuissant à sa patiente, surtout compte tenu de sa pathologie. On connaissaitdepuis longtemps les effets secondaires de ces médicaments, et la perte demémoireenétaitunnotoire.Pour seule réponse, Luke lui demanda s'il était un jeune médecin ou un
directeurderecherchequi,commelui,avaitconsacréquaranteannéesdesavieàl'élaborationetauperfectionnementduprogrammeNeurolink.Laréponseétaitévidente,mais ilprit lapeined'ajouterqu'il savait trèsbiencequ'il faisait.Larestaurationmémoriellepouvaitengendrerunétatdépressiflarvéqui,lui-même,pouvaitengendrerunblocagedelamémoire.Combattrelemalparlemaln'étaitpas une expression vide de sens. Jusqu'à ce que le vaccin soit découvert, onutilisaitbienlesrayonsXpourtantcancérigènespouréradiquerlecancer.Lemédecinréfléchitettrouvaunecertainelogiqueàceraisonnement.Ilsalua
Lukeetleremerciadel'aidequ'illuiavaitapportéedanscedossierdifficile.Unpeuplustard,enrentrantchezlui,lemédecinduCentresedemandatout
de même par quelle prescience son patron avait pu décider du traitementnécessaire,sachantqu'illuiavaitordonnésaprescriptionjusteavantlavisitedeMadameBarnett.Et il trouva pour seule explication logique que s'il occupait le poste de
directeur de recherche d'un des laboratoires les plus en pointe c'est qu'il étaitcertainementd'uneintelligencequiledépassait.Etletraitementnetardapasàporterseseffets.Mellyretrouvaunsommeilexemptdetoutcauchemar.Elledormaittardlematin.Sesentaitlégèrel'après-midi.Presquevaporeuseaprèslasecondeprisedusoir.
Surtout,ellesouriaitbeaucoup,cequiravissaitsamère.Travaillaitsansrelâcheàsonpiano,cequiravissaitsonpère.Enfin,ellenesesouciaitplusdesesouvenirdequoiquecesoit.
19.
Melly répétaitunconcertoquand la cuisinière frappaà laportedu salondemusique.ElleinformaMellyquequelqu'unlademandait.–Monpèreneveutpasqu'onmedérangependantmes répétitions,protesta
Mellylesyeuxrivésàsapartition.–Monsieurditcequ'ilveutdanssamaison,etmoijefaiscequejeveuxdans
macuisine.Doloresse tenaitdans l'encadrementde laporte, laissantentendrequ'ellene
s'étaitpasdéplacéepourrien.–Alorstransférezl'appelici,demandaMelly.–Quivousaparlédetéléphone?Venezetneposezpasdequestion.Lacuisinièrepassapar l'ailegauchede lademeurepouréviter lebureaude
Harold.Mellylasuivit.–Là,ditDoloresenluimontrantlaportedel'office.Danslapièce,elletrouvaSimon,assissurlereborddelafenêtre.–Qu'est-cequetufaisici?–Tunerépondsplusàmesappels,alorsmevoilà.–Personnenem'aditquetuavaischerchéàmejoindre.–Tun'écoutesjamaistamessagerie?–Quellemessagerie?–Bonsang,Melly,dansquelleépoquevis-tu?Elleestaccessiblepartout, il
suffitquetul'interroges.–Comment?–Jet'expliquerai,maisjenesuispasvenupourt'apprendreàteservird'une
commandevocale.–Alorspourquoies-tulà?
–Jet'emmèneenweek-endàBarnstable,jesuisinvitéchezdesamisetjeneveuxpasm'yrendreseul.Tuesbienplacéepoursavoirquejen'airienduprincecharmantdontunefemmepourraitrêver,maisjet'enlève,degréoudeforce.– En même temps, si j'étais d'accord, ce ne serait plus vraiment un
enlèvement.–Ehbiennesoispasd'accord,réponditSimonenlatirantparlamain.–Attends!Ilfautquejeprennequelquesaffaires.–Non,nouspourrionscroisertonpère,etsijemesuisdonnélapeinedegarer
ma voiture derrière les cuisines, c'est précisément afin de l'éviter. Il trouveraitmilleraisonspourqueturestescloîtréedanscettemaison.Melly n'eut pas le temps de réfléchir plus longtemps. Simon l'entraînait
dehors,sousleregardcomplicedelacuisinière,ravied'avoirjouécetouràsonpatron.ElleavaitvugrandirMellyetellen'aimaitpasdutoutcequisepassaitcesdernièressemaines.Elles'enétaitmêmeplainteauprèsdeWaltenluidisantquelapetiteétaitlittéralementemprisonnéeparsonpère,etWalt,quipartageaitsonavis,avaiteul'idée,deuxjoursplustôt,aprèsavoiraccompagnémadameàla gare prendre son train pour New York, de faire un petit détour vers leSymphonyHallavantderentrer.LecabrioletdeSimonfilaitverslesudsurlaMA-3S.Barnstableétaitàune
heure trente de route. Les cheveux deMelly giflaient sa figure, et Simon luiprêtasonfoulardpourqu'ellelesnoue.Iln'yavaitpasdenuagedansleciel,hormisquelqueslégerscirrusaperçusen
chemin, dont un qui avait pris la forme d'un chapeau, ou d'un boa qui auraitavaléunéléphant.
*
Perchée sur pilotis, lamaison tout en bois dominait la plage.La décorationintérieureétaitsimple,maispleinedecharme.Lesalonoblongbaignaitdanslalumièred'unegrandefenêtrequioffraitunevuespectaculairesurlabaiedeCapeCod.Piaet sonmari les accueillirent àbrasouverts.Mellyapprécia toutde suite
cette jeune femme. Son naturel semblait sincère et elle portait au visage unsourirequinelaquittaitpas.Simon leur présenta Melly, laissant planer un doute sur la nature de leur
relation.–Nemedispasquetum'asamenéeicipourquejeteservedecouverture?
chuchotaMelly,alorsquelamaîtressedemaisonlesguidaitversl'étage.Simonn'eutpasbesoinderépondrepuisquePialesinstalladansunechambre
oùungrandlitfaisaitfaceàl'océan.
–Vousverrez,dit-elle,ondort trèsbien, surtout encemomentoù lamaréemonteaveclanuit.Jeneconnaisriendeplusapaisantqueleressac.Reposez-vous,ouallezvouspromenersurlesablesilecœurvousendit.Onseretrouvevers dix-huit heures pour un apéritif sur la terrasse. Mais nous dînerons àl'intérieur.Ilfaitfraisdèsquelesoirtombe.PiaseretiraetMellyobservatouràtourSimonetlelit.–Jedormiraitrèsbienparterre,dit-il,etjeneronflepas.–Combiend'invitésserons-nous,ceweek-end?–Toi,moi,etnosdeuxhôtes.–EnfinSimon,sicesontdesamis,pourquoituneleurdispaslavérité?–ParcequelemaridePiaestunepipelette,etsesparentsdetrèsbonsamis
desmiens.–Jevois.Etjemetsquoicesoir?–Tacuisinièreaeulagentillessedetepréparerunsac,ilestdanslecoffrede
lavoiture.Allonsvoircetteplagedeplusprès,nouslerécupéreronsenrentrant.
*
Laplages'étendaitjusqu'àl'extrémitéseptentrionaledelabaie,roussecommeuncroissantdeluneposéaurasdesflots.Dèsqu'ilsfoulèrentlesable,Mellyôtaseschaussures,relevasajupeetfonça
verslesvagues.Simon s'assit au pied d'une dune et l'observa. Elle courait derrière une
mouette,aussirieusequ'elle,ets'enivraitdelatiédeurdecettefind'après-midi.Dès qu'elle s'approchait, le palmipède s'envolait dans un cri râleur, faisait unpetittourenl'airetrevenaitseposerobstinémentàquelquesmètresdesonpointdedépart.Etlemanègerecommençait,àcroirequeMellyn'étaitpaslaseuleàs'amuserdecepetitjeu.Àboutdesouffle,ellefinitparrejoindreSimon.Ils regardèrentensemble le
soleildontlacoursedéclinaitlentementàl'ouest.– Tu sais quoi, Simon, dit-elle en posant sa tête sur son épaule, les petits
momentsdelavie,ehbienilsnesontpaspetitsdutout.Deretourdanslachambre,Mellyfouillasonsacdevoyage.Elleytrouvaune
jupe longue et décontractée, un chemisier en coton, une paire de jeans, desdessous,desballerines,unechemisedenuitetunetroussedetoilette.Ellepensaqu'il lui faudrait remercier Dolores qui n'avait rien oublié, à part sesmédicaments. Comment aurait-elle pu y penser puisque Harold et Betsyn'avaientditàpersonnequeleurfillesuivaituntraitement.
*
LerepasdePiaétaitdélicieux.Aumomentdudessert,ellesetournaverssoninvitée et la bombarda de questions : sur la façon dont elle avait rencontréSimon,sursonmétier,safamille,sonenfance...QuandSimonnerépondaitpasàsaplace,ils'efforçaitdechangerdeconversation.Mellyseproposad'aideràdébarrasserlatable.Ellerapportaitdesassiettesà
lacuisinequandPialuifitsignedelasuivre.Ellessortirentparlaportearrièredelacuisineetseretrouvèrentsuruncoindela terrasseenboisquicintrait lamaison.–Tufumes?demandaPia.–Non.–Moisi,dit-elleensehissantsurlapointedespiedspourattraperunpaquet
de cigarettes caché au-dessus d'une applique. Fumer est mortel et bien plusencore quand tu es seule... Alors, Simon et toi jouez ensemble depuislongtemps?enchaîna-t-elle.–Uncertaintemps,réponditMellylaconique.Lesilencedurajusqu'àcequePiaexhalesadernièrebouffée.– Le petit sofa de votre chambre est convertible, dit-elle. Simon y dormira
mieuxquesurleplancher.Elleluifitunclind'œil,jetasacigaretteauloinetretournadanslacuisine.
*
Mellymontasecoucherlapremière.Simonlarejoignitquelquesinstantsplustard.Lecanapé-litn'étaitpasdépliéetMellytapotasurl'oreilleràcôtéd'elle.–Tupeuxcoucherlà,àconditionquetunedormespastoutnu.–Vraiment?Çanetedérangepas?– Pour être honnête, j'aimerais me souvenir de ce que l'on ressent en
s'endormantàcôtéd'unhomme.–Tamémoireestsivague?questionnaSimonens'allongeantprèsd'elle.–Cesdernierstemps,deplusenplus.Ils éteignirent la lumière, et lorsque l'obscurité se fit,Melly révéla àSimon
tout ce qui lui était arrivé depuis l'accident d'hélicoptère. La chirurgieréparatrice,lesgreffes,soncoma,sonséjourauCentredeLongview,sonréveil...Simonfutfascinéparcequ'elleluiavaitracontésurNeurolink.Ilsesouvenait
d'avoir parcouru un article à ce sujet, mais il avait pensé que la récupérationmémorielle n'en était encore qu'au stade expérimental.Melly lui affirma que,bienaucontraire,unecentainedepatientsavaientété«restaurés»avantelleetquelalisted'attentedesgensquivoulaientsauvegarderleurmémoirenecessaitdes'allonger.
Simon lui confia avoir entendu un ex se vanter dans un dîner qu'un de sesamis avait subi une interventionde cegenre aprèsun accidentdemoto. Il n'yavait pas vraiment cru, pensant que son ex faisait de l'esbroufe pourimpressionnerlagalerie.–Etilétaitcommenttonex?demandaMellyenbâillant.–Beauetinfidèle.
*
Enouvrantlesyeux,lelendemain,ilsdécouvrirentparlafenêtreuncielaussilimpidequelaveille.Melly contempla soudain d'un air étrange les affaires que Simon avait
abandonnéessurlachaise.–Tun'aimespascepantalon?questionnaSimon.Mellyneréponditpas.Elleauraitjuré,l'espaced'uninstant,avoirvusurleT-
shirtdeSimonledessind'unesorcièrependueàunarbre.Commeuneapparitionquin'étaitdéjàplus.Aprèsunpetitdéjeunercopieux,Pialeurannonçaqu'ilsavaientquartierlibre
jusqu'ausoir.Sileurappétitseréveillaitautourdemidi,Barnstablenemanquaitpas d'endroits charmants où déjeuner. Quoi qu'il en soit, elle leur conseillaitd'allervisiterlevillage,ilsytrouveraientpleindepetitesgaleriesd'art.Ils s'y rendirent d'un saut de cabriolet et parcoururent les ruelles en entrant
danslesgaleriesd'artaugoûttrèsrelatif.Leur promenade se poursuivit jusqu'au port et Simon proposa à Melly
d'avancervers la jetéeoùunmarchandambulantavait installésacarriole.Soncaféetsesmuffinsseraientlesbienvenus.–C'étaitcourageuxhiersoir,ditSimon.Unjeunehommegrattaitdesmorceauxrétrosursaguitare,auboncœurdes
promeneurs.AumomentoùMellypassadevantluiilfredonnait:«Andhere'stoyou,Mrs.Robinson...»–J'aijouélacomédieavecplaisir,reprit-elleaprèsuncourtinstantd'absence.
Lasoiréeétaitjoyeuseetj'aibeaucoupappréciéPia.–Jeparlaisdenotreconversationdanslachambre.Jesuistrèstouchéquetu
tesoisconfiéeàmoi.Ilfallaitducranpourmeraconterçaettut'esjetéeàl'eau.Depuis qu'ils avaient posé les pieds sur cette jetée,Melly se sentait bizarre.
EllesetournabrusquementversSimonetplantasesyeuxdanslessiens.–Embrasse-moi!Jesaisquetun'aimespaslesfemmes,maisembrasse-moi,
s'ilteplaît,murmura-t-elle.
Alors Simon l'embrassa. Ce fut un baiser délicat. Et soudain, un visage luiapparut, trop furtivement pour qu'elle le reconnaisse, mais elle se remémorad'autreslèvres,unparfumd'homme,uneodeurdepeau.Plusimportantencore,Mellysesouvintd'avoiraimé.Maintenant,elleenétait
certaine.Lorsquelebaisers'acheva,Simonl'observa,toutdemêmeunpeusurpris.–Jesuisconfuse,jenesaispascequim'apris,bredouilla-t-elle.–Surprenant,réponditSimon,maispasmal,pasmaldutout,ajouta-t-il.Tues
lapremièrefemmedemavie...Affreusementgênée,Mellyposaunemainsursabouchepourqu'ilenrestelà,
maisSimonl'écartagentiment.–...etladernière,dit-ilenéclatantderire.Etilsallèrentboireleurcaféauboutdelajetée.
*
Lesoir,alorsqu'ilsregagnaientleurchambre,aprèsledîner,Melly,quiavaitattendupatiemmentcemoment,interrogeaSimon.–Est-cequetum'asconnuunerelationsérieuse?–Non.–Jenet'aijamaisparlédequelqu'unenparticulier?–Pasquejesache,maistuastoujoursététrèsdiscrètesurtavieprivée.Au
pointquelesmusiciensdoutaientquetuenaiesune.Lepianoétaitleseulamantqu'ont'accordait,etsansmauvaisjeudemots.–À ce point ? Il n'est jamais arrivé qu'un hommeme rejoigne pendant nos
tournées?–Nonplus.Oualors,ilétaitluiaussid'unediscrétionremarquable.Qu'est-ce
quej'aidit?–Rien,unesensationétrangequandtuasdit«remarquable».–C'estpeut-êtrebonsigne,unmotmagiquequivaréveillertamémoire.EtSimons'amusaàrépéterplusieursfoislemot«remarquable»sansquerien
deremarquableseproduise.Cettenuit-là,Mellyseremitàrêver.Elleétaitdansunepetitechambred'hôtelauborddelamer.Lesdrapsétaient
défaits,unepairede jeans reposait surunechaiseprèsde la fenêtreoùelle setenait.L'airmarin lui fouettait levisage, elleavait lespiedscouvertsde sable,une vague avançait vers elle, sans qu'elle lui oppose la moindre résistance.Autantd'imagesétrangescommeilenapparaîtdanslesrêves.Maisplusétrange
encore,quandsonvisagesereflétadanslemiroiraccrochéau-dessusdulit,ellenesereconnutpas.Elleseréveillaensueur.Lepetitmatinperçaitlanuitetellefutincapablede
retrouverlesommeil.
*
Simon la raccompagnachezelleendébutd'après-midi. Ilvoulaità toutprixéviterlesembouteillagesdudimanche,ilrepartaitlesoirmêmeentournée.Ils'envoulutdeleluiavoirditetMellylerassura,ellen'avaitpaslanostalgie
desconcerts,niaucuneautred'ailleurs.L'amnésieavaitaumoinscetavantage.Enarrêtant lavoituredevant leperrondelademeuredesBarnett,Simonlui
promit de lui écrire régulièrement, puisqu'elle ne savait pas se servir d'unemessagerievocale.– Et tu as bien compris que le courrier électronique n'est pas livré par le
facteur?ajouta-t-il.–Ettoiest-cequetuesaucourantquetupourraisprendreunegiflequejete
donneraisdeboncœur.Mellyfitminedesepencherversseslèvresetdétournasonbaiseraudernier
momentpourleposersursajoue.–Jet'aifaitpeur,hein?–Non,avectoijepourraisyprendregoût.–Jenetecroispasuneseconde,maisj'aimequetusoisgalant.Mercipource
week-end, c'était un joli moment, sauf que maintenant, j'ai autant envie derentrerquedemependreàunecordedepiano.–Tusaisqu'àtonâgetupourraisenvisagerdequitterledomicileparental.–Jenecessed'ypenserdepuishier.Jen'auraisjamaisdûrendrel'appartement
quejelouaisquandnousavonscommencécettetournée.Enmêmetemps,unansurlesroutes...etpuisilparaitquejevoulaism'installerenToscane.J'aiappristoutçad'uneinterviewquej'avaisdonnéeàunjournalisteitalien.–Ets'ilavaitétéallemand,tuluiauraissûrementracontéqueturêvaisd'aller
vivreàBerlin.Jenerentreraipasavantplusieurssemaines,alorssi tuétouffesdanscetteimmensedemeure,monsoixantemètrescarrésestàtadisposition.Jepréviendraileportieretiltesuffiradeluidemanderledoubledesclés.Tupeuxt'yinstallercommesic'étaitcheztoi.MellyremerciaSimon,lecœurpincéàl'idéequ'ilpartesilongtemps.Lorsquelavoitures'éloigna,ellegrimpalesmarchesetentradanslamaison.Betsyl'attendaitdanslehalletlapritdanssesbras.–Alors,quiavaitraison?luidit-elledanslecreuxdel'oreilleenjubilant.–Toi,biensûr,soupiraMelly.
Elle se rendit à la cuisine pour embrasserDolores, et se souvint qu'on étaitdimanche.Betsyl'avaitsuivie,impatiented'entendrelerécitduweek-end.–Tuveuxunthé?Ilnedevaitpasfairechauddanscettedécapotable.Elle se proposa de le préparer. Melly s'assit à la table pour l'observer. Le
momentétaitpropiceàlaconfidence.–Jecroisquemamémoireseréveille,dit-elle,j'aientrevudeschoses.Jen'ai
pasvraimentpulesidentifier,maisellesmesontvenuescommedesflashs.C'estlapremièrefoisqueçaarrive.Betsyposalathéièreetlaserratendrementdanssesbras.– Je suis si heureuse pour toi. Je ne remercierai jamais assez ce médecin.
Surtout,pensebienàprendretesmédicaments.
20.
PendantqueMellyétaitàLongview,sonkinéluiavaitsuggéréd'épluchersesmailspouryretrouversesamis.Ilsavaientnécessairementdûchercheràobtenirdesesnouvelles.Commeilleluiavaitmontré,elleavaitclignétroisfoisdesyeuxfaceàl'écran
de la tablette et le logiciel de reconnaissance faciale l'avait immédiatementconnectéeàsamessagerie.Àdéfaut de vrais témoignages d'amitié,Melly n'avait trouvéquede vagues
billetsdesympathieoud'encouragementspostéspardescollèguesmusiciensetdesfans,principalementaucoursdes joursquiavaientsuivi l'accident.Etpuisplus rien, hormis quelques invitations envoyées par des agences de relationspubliquesignorantsonétat.Devantcevidesidéral,Mellyavaitenvisagéquesavie,entièrementdévouéeà
lamusique,n'aitétéqu'undésertdesolitude.Sonkinéluiavaitinterditdenourrirdetellespensées.Lesvraisamisn'étaient
pasvirtuels.Surcesbellesparoles,Melly lui avaitdemandé sidesamisétaientvenus la
voir,etlekinén'avaitpassuluirépondre.Pour toutescesraisons,ellen'avaitplus jamaisaccédéàsesmailsaprèsson
retouraudomaine.L'idéequeSimonluiécrivechangeaitladonneetlesoir,dèsqu'ellerejoignait
son lit, elle se connectait pour lire lesmessages qu'il lui envoyait de ville enville.Simon lui racontait comment s'étaient déroulés les concerts, l'accueil que le
public lui avait réservé, parfois les rencontres qu'il faisait au détour desrestaurants où il avait dîné, lui détaillant les ambiances, les menus et luipromettantsouventqu'ilsyretourneraientensemble.
Avant de s'endormir, Melly lui répondait toujours, même si le récit de sesjournéesn'avaitriendepalpitant.Unsoir,enallumantsatablette,elledécouvritunétrangemessageanonyme:
Neprendspascesmédicaments.Delapartdequelqu'unquiteveutdubien.
ElleenfitpartàSimonquiluijuranepasenêtrel'auteur.Alorsquiétaitcettepersonnequiluivoulaitdubien,etpourquoiluiavait-on
écritcemessage?Simonsepiquaaujeuetunéchangedemailsoccupacettenuitqu'ilsfinirent
parpasserensemblebienqu'àmillekilomètresdedistance.
Quelqu'unestaucourantquetusuisuntraitement?
Àpartmesparents,personne.
Quelqu'unauraitputrouverlaboîtedecomprimésdanstesaffaires?
Dolores,quandelleapréparémonsacdevoyage,maispourquoim'écrirait-elleça?
Jen'ensaisrien,interroge-la!
Quelleidéegéniale!Dolores,3petitesquestionsde riendu tout :Auriez-vous fouinédansmesaffaires,écrituncourrieranonymeetqu'est-cequevousnousavezpréparédebonàdînercesoir!
C'estjoli,Toronto?tachambred'hôtelteplaît?
Elleressembleàcelleoùjedormaishier,etavant-hieretavant-avant-hier...
TurepasserasparBostonavantlafindelatournée?
Peut-êtreàlafindumois.
Tum'emmènerasdîner?
Sijeviens,ceserapourtevoir.
C'estgentildem'écrireça.Tunem'aspasrépondu,c'estjoli,Toronto?
Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais à quoi servent cesmédicaments?
Pourmamémoire.
Elles'amélioredepuisquetulesprends?
Depuisquejeprendsquoi?☺
☺☺☺
Enfait,jenemesuisjamaissentieaussibienquependantcesdeuxjourschezPiaetpourtantjenelesavaispasavecmoi.
C'estparcequejesuistonmeilleurmédicament...
Possible.C'étaitvraimentbienceweek-end.
Nousyretournerons.Promis.
Tujouesoùdemain?
Relismonmaild'hiersoir.
Jesais...àSaint-Louis.
Alorspourquoitumeledemandes?
Pourquetuneraccrochespastoutdesuite.
Jenecroispasqu'ondise:raccrocherunmail...
Etbiensi,DrOxford1,maintenantonleditpuisquejeviensdelefaire.Bon,ilesttard,jetelaisse,ilfautquetusoisenformedemain.
Jemeconnecteraiversminuit,dèsquejeseraidansmachambre.
Oùça,déjà?☺Bonnenuit,monSimon,àdemain.Jet'embrasse.
Mellyposasatablettesurlatabledenuitetéteignitlalumière.Dixminutesplustard,l'écrans'illuminaànouveau.
Étantd'unnaturelvaniteux,riennepeutmesatisfaireautantqued'êtretenupourseulresponsabledetonbien-êtredurantceweek-end.MêmesilacuisinedePiayétaitaussipourbeaucoup...(ànesurtoutpasrépéteràDolores).Maisenyréfléchissant,tudevraispeut-êtrearrêtercetraitementquelquesjoursetvoircommenttutesens.SurcesbonsconseilsduDrOxford,jevaisvraimentmecoucher.
*
Lelendemain,Mellyétaitàsonpianoquandelleentenditunbruissementdansson dos. Elle essaya de rester concentrée sur la partition, mais ne résista paslongtempsàl'enviedeseretourner.Quelqu'unavaitglisséunepetiteenveloppesouslaporte.Elleselevapourallerlachercheretladécacheta.
Mademoiselle,Vousêtesattenduedansmacuisine.VotredévouéeDoloresquiaautrechoseàfairequedejouerlesmessagères!
Melly relut le petit mot et se précipita vers la cuisine en passant par l'aile
gauchedelamaisonpourlesraisonsquel'onconnaît.Dolores,occupéeàsesfourneaux,secontentadetendrelebrasverslaporte
dujardin.Simonétaitadosséàlaportièrearrièred'untaxi.–Jet'ensupplie,nemedispas,«Maistun'espasàSaint-Louis?»,lança-t-il
envenantverselle.–Maistun'espasàSaint-Louis?– Tu peux croire que le concert a été annulé ! L'opéra a brûlé hier soir.
Heureusement,ilsnousontprévenusjusteavantquel'onmontedansl'avion.–Ettuesvenumevoir?–Tuavaisdroitàdeuxquestionsidiotes,c'estfait.Tumontes?Melly se retourna vers la porte vitrée de la cuisine où Dolores agitait un
torchonpourluiordonnerdedéguerpirillico.Ellemontadansletaxiquidémarra.–Oùva-t-on?– Je voudrais te présenter quelqu'un, répondit Simon. Je ne suis là que
quelques heures. La troupe s'est déjà envolée vers Atlanta où nous joueronsdemain.–Maispastoi...–Jetepréviens,si tut'acharnesàfairedesconstatsaussibrillants,c'estmoi
quivaisjetercesmédicaments.Jesuisvenuparcequej'aidunouveau.Figure-toiqu'ilm'a falludu tempspourm'endormiraprèsnoséchangesdemails.Sibienquej'aimismonamour-propredansunmouchoiretquej'aiappelémonex.–Aumilieudelanuit?–Ilfallaitbienquejetrouveunpetitplaisiràcela,etleréveillerenétaitun.
Etcessedem'interrompre.Jel'aiquestionnéausujetdesoncopainquiavaiteuunaccidentdemoto.Jeteparieraimonarchetqu'ilsonteuuneaffaireensemble,maisbon, passons.Alvin JohnsonhabiteBoston etmonex abienvoulunousmettreenrelation.Jel'aijointcematin,dèsmonréveil,jeluiaiparlédetoncasetilaacceptédenousvoir.Jepensaist'envoyerseuleaufront,maisquandj'aiappris que la représentation de ce soir n'aurait pas lieu, j'ai laissé partirl'orchestresansmoietj'aifaitcepetitcrochetpourt'accompagner.–Simon,jenesaispascommentteremercier.
–Ben,tudismerci,c'estcommeçaquelesgensfontengénéral.Oui,jesais,jesuisuntypeformidable.Tun'asqu'àmettreçasurlecomptedenotreamitié.Si tu penses que ta carrière de pianiste émérite a fait de ta vie un océan desolitude,sachequelavied'unpremierviolonn'estguèrepluspeuplée,sinonparles quelques cachalots que j'ai pu draguer au cours de mes tournées. Lepathétiqueestsanslimitesmachère,etmacuriositéencoreplus,alorsmevoilà.–C'estdrôlequetudisesça.–Qu'est-cequej'aiditdedrôle?–L'océan.–Etc'estdrôle?Bon,allez,donne-moicescompriméstoutdesuite!–QuandnousétionssurlaplagedevantlamaisondePia,jeregardaisl'océan
etj'avaisl'impressiondeluiressembler.–Tuavaisl'impressionderessembleràl'océan?–Tuvasarrêterdetemoquerdemoi?–Passitumerendslatâcheaussifacile.
Letaxiserangeadevantuncafé.Mellyobservalesclientsattablésenterrasse
etsedemandaaveclequelelleavaitrendez-vous.–Tuviens?Jen'aivraimentpasbeaucoupdetemps,râlaSimon.AlvinJohnsonavaitlatêtedeSteveMcQueenvisséeaucorpsd'AlvinAiley.
Les femmesassisesaux tablesvoisinesn'avaientd'yeuxquepour luietSimoneut unmal fou à bafouiller quelques syllabes qui, remises dans le bon ordre,auraientprobablementdonné:«Bonjour,est-cequevousseriezlibreàdînercesoir?»Alvinlessaluaet les invitaàs'asseoir.Ilhélaleserveur,commandad'office
trois cafés, et décocha un sourire àMelly. Simon, à peine remis d'une grosseboufféedechaleur,s'étonnaquesatempératurecorporellepuissechutersivite.–Alors,c'étaitcommentpourtoi?questionnaAlvin.–Commentquoi?demandaMelly.–L'accident,leréveil,onestlàpourparlerdeça,non?–Hélicoptèreetamnésie,répondit-elledutacautac,ettoi?–Motoetbizarre.–Bizarrecomment?–Jemesensdifférent.Ilsdisentquec'estnormal,jesuisun«Restore»,un
homme4.0àlaconsciencerestaurée.Çafaitchic,non?–Jen'avaispasvu leschosessouscetangle,maismaintenantque tu ledis.
C'estqui«ils»?–LesmédecinsdeLongview.–Différentcomment?repritMelly.
–Jemesuisréveilléavecunappétitdelecturequej'ignoraisjusque-là.Jenedis pas que je n'avais jamais bouquiné,mais dèsmon réveil, j'ai eu besoin dedévorerdes livres, tousceuxquimepassaientpar lamain,etpuisavant j'étaisvégétarienetmaintenantj'adorelaviande.C'estbizarre,non?–Oui,vraimentbizarre,réponditmollementMelly.UnpetitmomentdesilenceetAlvinreprit:–Alorstoi,tunetesouviensderien?–J'aieuquelquesflashs,maisriendeprobant.Alvintapotadiscrètementlemot«probant»sursonportable.–Probant,éloquent,concluant...jevoiscequetuveuxdire,soupira-t-il.Ettu
esrevenuedanstonproprecorps?–Commentçadansmonproprecorps?–Lemienétaitfoutuaprèsl'accident,jeneportaispasdecasqueet...–Épargnons-nouslesdétails,intervintSimon.– Ta mémoire a été restaurée dans un autre corps que le tien ? interrogea
Melly.–Oui,c'estcequejeviensdedire.J'aibénéficiédeceluid'unhommeenétat
demortcérébraleetquin'avaitpasfaitdebackup.J'yaigagnéauchange,enfinpourmagueule.Alvin leur raconta ce qu'il avait appris de ses médecins. Sa mémoire était
restéestockéedanslesserveursdeNeurolinkpendanttroisans,jusqu'àcequ'uncorpscompatiblesoitdisponible.Dans des cas comme le sien, Neurolink faisait un formatage complet du
cerveaududonneur,parunesériedepuissantesdéchargesélectriques,avantd'yréinjecterlaconsciencesauvegardéedureceveur.Mellyluidemandacequesignifiaituncorps«compatible».–Même sexe bien sûr, même âge et mêmes caractéristiques physiques. Ce
n'estpasobligatoire,maisc'estpréférable.Celaévitedescomplications«post-restoratoire»,surtoutencequiconcernetesémotionsettapersonnalité,àcausede lamémoirecorporelle,enfinc'estcequ'ilsm'ontdit.Si tuesunathlète,onattendra de préférence le corps d'un autre athlète.Mon donneur était danseur,commemoi.C'est trèsétrangedefairedespointessursespieds, j'aiparfois lasensation d'être un intrus. Mais je crois avoir compris que le plus important,c'étaitlacompatibilitédecertainescellulescorti...corticales,ouic'estlemot,dit-ilenmontrantsoncrâne.Enfin,c'estl'élémentdéterminantpourqueNeurolinkaccepteletransfert.SimonetMellyétaientsidérésparcequ'ilsentendaient.–Vousavez faim?Jegrignoteraibienquelquechose,proposaAlvinquine
doutaitpasdesefaireinviterenéchangedutempsqu'illeurconsacrait.
Sans le lâcher des yeux, Simon poussa vers lui le menu qui traînait sur latable.–Enfin,ilyaquandmêmeunhic.Ilyenatoujoursunquandonvousoffre
unesecondechance,n'est-cepas?Vousavezvucevieuxfilmoùuntypepasseplusieursannéessuruneîledéserteavantqu'unbateaunelerécupère?Ilrentrechez lui, tout content de retrouver la civilisation et sa vie d'avant... et sa vied'avantelleestbienderrière,parcequesafemmel'acrumortetellearefaitlasienne.Moi, j'ai passé trois ans dans un serveur, c'est un peu comme une îledéserteaveclesableenmoins.J'étaisfouamoureuxd'unedanseuseétoile,nousformionsunbeaucouple,maisilestrestédanslepassé.Quandjesuisretournéla voir, elle nem'a pas reconnu.Elle aurait probablement pu s'habituer àmonnouveauphysique...–Ouilauraitfalluqu'ellesoitparticulièrementexigeante,interrompitSimon.–Laquestionnes'estpasposée,entre-tempselles'étaitmariéeetavaiteuun
enfant. Je ne m'en vante pas, mais il m'arrive d'aller l'épier quand elle vacherchersafilleàlacrèche.Etchaquefoisquejelesvoiss'éloignerensemble,j'imaginequecebonheurauraitpuêtrelemien.Enfin,jesuisenvie.Totalementdéprimé,maisenvie.LepsyquejeconsulteauCentreprétendquec'estnormalsicettedéprimedure.Ilssontmarrantslespsys,tuleurdisqueçanevapasdutoutetilst'expliquentquec'estnormal.–Pourquoiest-cenormal?demandaMelly.– Il a dit que la mémoire émotionnelle était la plus complexe et la plus
résistantedetoutes.Jesuisdésolé,jenesuispassûrdet'avoirbeaucoupaidéeente racontantma vie,mais ça fait toujours du bien de parler. Peut-être que toiaussiçateferaitdubien.Si tuveuxsontéléphone...Jememoquaisunpeudelui,maisc'estunpsytrèsàl'écoute.–Jecroisqu'ilssontpayéspourça,ditSimon.Alvinnesemblapasavoirsaisiletraitd'humour.–Cen'est facilepour aucund'entrenous,maisune chose est certaine, nous
sommesdessurvivants.Mellyressentituneviolentedéchargeélectriqueluiparcourirlanuque.Satête
semitàtourneretsavisionsetroubla.Elles'accrochaàlatableetmanquades'évanouir.Simon la rattrapa de justesse en la retenant dans ses bras. Il la suppliait de
garderlesyeuxouvertsetluitapotaitlesjoues.Ellevitunpontons'étirersurlamer,sasilhouettes'ypromenait,unhommeà
côtéd'elle.Elletournalatêtepourapercevoirsonvisage,maisellerecouvrasesespritsavantdel'avoirvu.
–Çava?demandaAlvin.–Ellereprenddescouleurs,réponditSimon.–Toiaussi,ditAlvin.–Çavaaller,murmuraMellyenessayantdeseredresser.–Tum'asfaitunedecespeurs.– Une petite crise d'hypoglycémie, sûrement. Je n'ai rien mangé depuis ce
matin.Alvin prit trois sachets de sucre en poudre qu'il déchira avant de les verser
danslatassedeMelly.–Boisça,dit-il.
SimonremerciaAlvindutempsqu'illeuravaitconsacréethélauntaxi.Melly
luijuraqu'ellepouvaitrentrerseule,maisilinsistapourlaraccompagner.PendantqueSimonréglaitl'addition,Alvingriffonnalenomdesonpsysurun
boutdepapieretleluidonna.–Appelez-ledemapart.
*
–Etsijeretardaismondépart?proposaSimonenchemin.– Mais non. J'ai juste eu un petit étourdissement, ce n'était même pas un
malaise.–Tuétaispâleàfairepeur,leregardrévulsé...–C'étaitétrange,interrompitMelly,commeuneréminiscence.Etelleluiracontalabrèveapparitionqu'elleavaitvue.–Ilfautquejetrouveunmoyend'enquêtersurmonpassé.Aumomentoùle taxifranchissait leportaildudomaine,Simonlui tendit la
cartequeluiavaitremiseAlvin.–Cesoir,pasdemail, jeseraidansl'avion.Tudevraisallert'allongersurle
divandecepsy,peut-êtrequ'enluiparlanttutesouviendraisdequelquechose.Enfin,penses-y,aprèstout,c'estlebutd'unethérapie.MellypritlacarteetserraSimondanssesbras.–Net'inquiètepas,luidit-elle.Maissitujouesdemainenpensantàmoi,cela
meferaplaisir.Jeveilleraitardpourguettertonmail.Tumeraconterascomments'estpasséleconcert,jeveuxtoutsavoir,danslesmoindresdétails.SimonembrassaMellyetdemandaauchauffeurd'attendrequ'ellesoitrentrée
dans la maison avant de repartir. Elle fit un pas en arrière et se pencha à laportière.–Simon,mercid'êtrel'amiquetues.
*
Melly dîna avec ses parents. Elle ne leur adressa presque pas la parole ets'abstintdeleurracontersarencontreavecAlvin.Ellenementionnapasnonplusle petit malaise dont elle avait été victime, jura à sa mère avoir pris sesmédicaments,cequiétaitunmensonge,etprétextaêtre fatiguéepoursortirdetableavantqueledessertsoitservi.Pendanttoutlerepas,elleavaiteul'impressiontroublanted'êtreencompagnie
dedeuxétrangers.Etplussamèreluisouriait,pluscetteimpressiongrandissait.Dès qu'elle fut dans sa chambre, elle ouvrit son portable et se réjouit en
découvrantqu'unmessagel'attendait.
Troismillepiedsd'altitude,suisau-dessusdesnuages.Tuaurasunemétéoépouvantableàtonréveil.Jenemepenchepasauhublotàcauseduvertige.Repasinfect,maiscen'estpasgrave, l'espace pourmes jambes est si étroit que je vaismangermes genoux.Ma voisineronfle. Quelle idée de prendre un vol de nuit. J'espère que tu dormiras mieux que moi. Àdemainoùjet'écriraid'Atlanta.Simon
Melly garda les yeux posés sur l'écran. Elle repensa à sa journée, à son
vertige,àsonmal-êtreaucoursdudîner.Quelquechosenetournaitpasrondetcelanefaisaitqu'empirer.Ellefouillalapochedesonpantalon,pritlacartequeluiavaitconfiéeSimon
etenvoyaunmailpourprendrerendez-vousaveclepsyd'Alvin.
1.L'Oxfordestundictionnaireaméricain.
21.
Le docteur Schneider avait la soixantaine, les cheveux ramenés sur le côtépour masquer sa calvitie et une barbe châtain qui lui donnait une certaineélégance. Il était souriant, presque affable en invitantMelly à entrer dans unepetitesallederéunionquineressemblaitenrienaubureaud'unpsychanalyste.Illui expliquanepasêtreunadepteducanapé.Onvenaitpour luiparler etnonpourfairelasieste.Contrairementàlaplupartdesesconfrères,ilaimaitfairefaceàsespatientset
nonsecacherdansleurdos.Lesuccèsd'uneanalysedépendaitdelaconfiancequel'onaccordaitàsonthérapeuteetselonlui,cetteconfianceexigeaitquel'onpuisseconverserlesyeuxdanslesyeux.– Je reconnais, dit-il, qu'être assis autour de cette grande table peut être
déconcertant, mais j'ai besoin de pouvoir observer vos réactions autant qued'entendrevosmots.LedocteurSchneiderétaitoriginal,maisMellytrouvaquesafaçond'exercer
nemanquaitpasdebonsens.Durant leur première séance, Schneider se contenta de l'écouter. Melly lui
parladesonamnésieetluiavouasontroubleàsesentirparfoishantéeparuneautrequ'elle-même.Schneiderhochalatêteàplusieursreprisesetpritdesnotes.Lors de la session suivante, il lui demanda si elle pouvait essayer de lui
décrireplusprécisémentcetteautrepersonnalitéquil'habitaitparfois.Mellyenfut incapable.Mais elle lui confia sa certitude d'avoir aimé passionnément unhomme, alors que toutes les enquêtes qu'elle avait menées sur son passé luiaffirmaientlecontraire.Schneider émit l'hypothèsequ'elle ait personnifié sonart sous les traitsd'un
homme.Elleavaitdévouésavieàlamusique,lacomblantainsid'unecertaine
façon,mais créant un vide, et la nature avait horreur du vide.Melly douta des'êtreunjourpromenéesurunejetéeencompagniedesonpiano...Uneassistantefrappaàlaporteetsepenchaàl'oreilledudocteurSchneider
pour lui murmurer quelques mots. Il s'excusa auprès de Melly de devoirs'absenter.L'undesespatientsétaitauplusmaletilavaitbesoindes'entreteniravecluienvisioconférence.Schneiderpromitquecelanedureraitpaslongtempsetlalaissaseuledanslasalle.Dès qu'il fut parti, Melly fit un tour d'horizon et repéra le terminal
informatiquesurlaconsoledansl'angledelapièce.L'idéed'envoyerunmailàSimon lui traversa l'esprit,elle fit roulersachaiseetcligna trois foisdesyeuxdevantl'écranpouraccéderàsamessagerie.Rienneseproduisit.Elle recommença, sans plus de résultat, et pensa que l'ordinateur était en
panne.Elleallaits'entenirlàquandsoudainl'écrans'illuminaetafficha:
[1+1=1]
Mellyfixacetteéquationbizarre.Ellesepenchasurleclavierettapa:
[1+1=2]
L'écrans'effaçaetaffichaànouveau:
[1+1=1]
De toute évidence cet ordinateur déraillait. Melly haussa les épaules
lorsqu'apparut:
Hello–Hello,réponditMelly,sesurprenantelle-mêmed'avoirditcelaàhautevoix.
[1+2=1]
–Pourunordinateur,tun'espastrèsdouéencalcul.L'écranredevintnoiravantquenes'yinscrive:
Neprendspaslesmédicaments
Mellysentitsoncœurpalpiter.–Quiêtes-vous?demanda-t-elle.Quatrelettress'affichèrent:
HOPE
Despassefirententendredanslecouloiretl'écrans'effaça.Mellyrepoussasachaiseverslatable.L'assistanteentrapourl'informerquele
patientdudocteurSchneiderrequéraitplusd'attentionqueprévu.Ilpréféraitnepas la faire attendre et lui proposait, si elle n'y voyait pas d'inconvénient, depoursuivreleurséancelelendemain.Melly demanda à l'assistante si elle pouvait rester encore quelques instants,
prétendant vouloir réfléchir à chaud aux propos qu'elle avait échangés avec ledocteurSchneider.L'assistanten'yvitpasd'inconvénient, leprochainpatientn'arrivaitquedans
vingtminutes,Mellypouvaitdisposerdelasallejusque-là.Dèsqu'ellefutseule,elleretournadevantl'écranettapasurleclavier.–QuiestHope?
Toi
–Jenem'appellepasHope.
1=Hope
–Jenecomprendspas.
1+2=1
–Jenecomprendstoujourspas!
2=Josh
–Quoiouquique tu sois, arrête avecceséquations idiotes.Exprime-toide
façonintelligible!L'écrans'effaça.Seulunpointclignotantlaissaitsupposerqueleprogramme
étaitentrainderéfléchir.RépondantàlarequêtedeMelly,Neurolinkserésolutàécrire:
Hopeétaitunepromessedufutur,
tuesleprésent.Jenepeuxrient'apprendrequetunesachesdéjà.
–Maisjenesaisrien,s'emportaMelly.Alorsàquoirimentcesdevinettes?
Retrouve-la.Jet'aitoutrendu.
Aurevoir,Hope.
Mellysursautaquandl'assistanteentraenluidemandantdelibérerlasalle.Letempsqu'elleseretournepourluirépondre,l'écrans'étaitéteint.
*
La première chose qui lui vint à l'esprit en sortant du Centre fut d'appelerSimon.Elleregardasamontre,àcetteheureildevaitêtreenrépétitionsurscèneetloindesonportable.Waltl'attendaitdevantleportail.Ellemontadanslavoitureetluidemandade
laconduireencentre-ville.–Quelquechosenevapas,mademoiselle,vousavez l'aird'être soucieuse?
s'inquiétalechauffeurenl'observantdanslerétroviseur.Melly n'était pas soucieuse, mais perplexe et inquiète. Qui se jouait d'elle
derrièrecetécran?QuiétaitHope?Enquoilechiffre2pouvait-ilcorrespondreà unprénommasculin ?Et surtout, que savait-elle déjà ?Autant de questionssans réponses, auxquelles une autre vint s'ajouter : pourquoi son instinct luidictait-ildegardertoutcelasecret?Peut-êtreparcequesielleracontaitcequ'ellevenaitdevivreonlaprendrait
pourunefolle.Et comme elle restait silencieuse, Walt ouvrit la boîte à gants, sortit une
flasqueenargent,dévissalecapuchonetlatenditàMelly.–Allez-ydoucement,çanerigolepascetruc-là.Melly but une gorgée et toussa violemment.Walt sourit en lui reprenant le
flacondesmains.–Çadevraitsuffire,dit-elleentoussotantencore.– Ilmesembleeneffet,vousêtes rougeécarlate.Etmaintenant,oùvoulez-
vousaller?Quelquechosemeditquevousnesouhaitezpasrentrertoutdesuite.Waltavaitraison,ellen'avaitpasenviedereveniraudomaine,nimaintenant
etencoremoinscesoir.Ellerepensaàl'offredeSimonetpriaWaltdeladéposerau65,CommonwealthDrive.Leconciergedel'immeubleluiouvritlaportedel'appartementetluiremitles
clés.Mellyfitunrapidetourdeslieux,unechambre,unepetitesalledebainsetunsalonavecsoncoin-cuisine.Lesfenêtresdutroisièmeétagedonnaientsurunsquare.Àregarderlesfaçadesdesimmeublesenbriquerougeavecleurbow-window,
onseseraitcruàMayfair.Peuaprès,MellyredescenditetsuppliaWaltdeluirendreundernierservice.
Lechauffeurretournaaudomaine,gagnalacuisine,vérifiaquelemajordome
ne traînaitpasdans lesparagesetexpliquaàDolorescequemademoiselle lui
avaitdemandé.Unpeuplustard,ilrepritlechemindeCommonwealthDrive,aveclavalise
queDoloress'étaitchargéederemplir.Illaremitauconciergeetrepartit.Vers dix-neuf heures, au moment de passer à table, Dolores informa
M.Barnettquesafilles'étaitabsentéequelquesjours.Harolds'étonnaqu'ellenel'ait pas prévenu en personne, il s'en offusquamême etDolores lui fit un clind'œil pour qu'il la suive jusqu'à l'office.Harold se demanda ce qui lui prenaitpouragirdelasorte,maisDoloresletançaduregardetHaroldobtempéra.Surletondelaconfidence,etluifaisantjurerdenejamaislatrahir,ellelui
expliqua que mademoiselle Melly lui préparait une surprise. Elle était alléerejoindre ses amis musiciens dans l'espoir de renouer avec les tournées duphilharmonique.Haroldplaqualesdeuxmainssursabouchegrandeouverte,voulantsignifier
parcegestequ'ilseraitmuetcommeunecarpe.Ils'enallaverslasalleàmangerd'unpasguilleret,etDoloreslevitdedosleverlepouceenl'air,pourlaféliciter.Elle resta à le regarder s'éloigner dans le couloir, se demandant comment unhommepouvaitêtrecapabledebâtirunempireetêtreaussistupide.
*
Mellysesentitd'abordgênéeàl'idéedesefaufilerdanslesdrapsdeSimonetpuisellesesouvintqu'ilsavaientpartagéunlitdanslamaisondePia.Elleavaitpassé l'après-midiàdéambulerdanslesruespoursevider l'esprit,
maisauboutducompte,c'étaitellequiétaitvidée.Elleavaitfaitunehaltedansuneépiceriefinepours'acheterdequoidîneret
prit son repasdevantunvieux film.Elle lutta avec le sommeil jusqu'àminuit,heure à laquelle Simon devait avoir regagné son hôtel. Elle lui adressa deuxmessagesàdixminutesd'intervalle,dansl'espoirqu'ilréponde,etsupposaqu'ildevaitpasserunebonnesoirée.Avantdes'endormir,elleluiécrivitunmotpourleprévenirqu'elles'étaitinstalléechezlui,etluidirecombienellesesentaitlibrede ne plus être cloîtrée dans cette grande maison. Tout cela grâce à lui. Lespaupières lourdes, elle le remercia, l'embrassapar écrit,mais tendrement, et lemailfutàdeuxdoigtsdes'interromprenetaumilieud'unephrase.Ellel'envoyajusteavantdesombrerdansunprofondsommeil.
22.
Ens'éveillantdansce lit,Mellysesentitplus libreencoreque laveille,unenouvelle vie s'offrait enfin à elle. L'appartement de Simon était à peine plusgrandque sa chambredans lamaisonde sesparents,mais c'était justement sadimensionàtaillehumainequilamettaitàl'aise.EllereconnutleraffinementdeSimondansladécoration.Dechaquecôtéd'unecheminéeenboisclair, lesétagèresd'unebibliothèque
pliaientsousleslivres.Untapisenjoncrecouvraitpresqueentièrementlevieuxparquetqui craquait sous lespasdeMelly.Uncanapéetdeux fauteuils en linblanc se faisaient face autour d'une table basse couverte de livres d'art. Lesbranchesdesplatanesgrimpaient jusqu'auxdeux fenêtrespar lesquelles entraitunebelle lumière.Auxmurs,desaffichesélégantesapportaientdes touchesdecouleursàcetécrinblanc.MellyignoraitqueSimonaimaittantlireetellepensaque siAlvin s'était trouvé à sa place devant cette bibliothèque, il aurait été leplus heureux des hommes. Un bon nombre d'ouvrages d'illustrationsphotographiquestémoignaientdesvoyagesdeSimon.NewYork,SanFrancisco,Moscou, Shanghai, Berlin, Rome, Paris, Londres, autant de métropolesimmortaliséesdansceslivres,villesoùelleavaitdûmontersurscèneaveclui.MellychoisitceluisurHongKong,etallas'asseoirentailleursurletapis.Elle
le feuilletait quand son regard fut attiré par un autre ouvrage de la mêmecollection,posésur la tablebasse.Elleabandonnason livrepours'enemparer.Laphotographieencouverturemontraitunphare.Melly l'examinaavec laplusgrandeattentionetbrusquementdes larmes lui
montèrentauxyeuxsansqu'ellecomprennepourquoi,etpluselleessayaitdelesretenirplusellescoulaient.Sontéléphonesonna,etenentendantlavoixdeSimon,elleéclataensanglots.–Tupleures?
–Non,j'aiungrosrhume.–J'entendsbienquetupleures,tun'espasbienchezmoi?s'inquiéta-t-il.–Aucontraire,réponditMelly.–Alorsqu'est-cequit'arrive?–Jen'ensaisrien,balbutia-t-elle,c'estcelivre.–Jesuiscommetoi,certainsromansmefontpleurer.–Cen'étaitpasunroman,hoquetaMelly,etjen'aimêmepaseuletempsde
l'ouvrir.–Ahbon?Alorsquellivre?–Unrecueildephotos,avecunphareencouverture.–BrantPoint!–Quoi?–Surlacouverture,c'estlepharedeBrantPoint,l'undesplusconnusdupays.
Enété,lestouristesaffluentàNantucketpourallerlevoir.Maintenant,jepeuxsavoirpourquoicepharetebouleverseàcepoint?–Aucuneidée,jel'airegardéetjemesuismiseàpleurercommeuneidiote.–D'ordinaire,quandlesgenspleurentsansraison,onleurditdes'écouterun
peu moins, eh bien moi, j'aimerais que tu fasses tout le contraire et que tut'écoutesunpeuplus.Silaphotod'unpharetemetdansuntelétat,cen'estpasanodin.Maintenant,resteàsavoirpourquoi.–D'accord,maiscomment?–Enallantlevoirdeprès,peut-être?–Peut-être,murmuraMelly.– Dimanche prochain, nous faisons relâche. Je prends un avion et je t'y
conduis.–Oùjoues-tusamedi?–ÀVancouver.–Alors,horsdequestionquetupassesunenuitenavionàcausedemoi,et
puistuasraison,jedoisyallerseule.–Jenepeuxpasavoirraison,jeviensteproposerlecontraire.– Simon, tu crois qu'un jour je finirai par comprendre ce qui m'arrive.
Pourquoijen'aipasledroitd'êtrecommetoutlemonde?–Parcequelanormalitéestd'unennuiàmourir.–Tuasrencontréquelqu'un!–Qu'est-cequitefaitdireça?– Tu as la voix de quelqu'un qui a rencontré quelqu'un et qui appelle sa
meilleureamiepourluidirequ'ilestheureux,etcommeelleestégoïsteelleluiparled'elleaulieudel'écouteretdepartagersajoie.Comments'appelle-t-il?–Périlenlademeure.
–C'estunnomça?–Non,maisjepourraistomberamoureux.–Pourquoidit-ontomberquandils'agitd'amour?–Parcequequandçafaitmal,ilfautbienserelever.–Etquandçafaitdubien?–Jesupposequ'onnetombeplus,onaimetoutcourt.–Alorsc'estcequejetesouhaite,maisfaistoutdemêmeattentionàtoi,ou
plutôtnon,oubliecequejeviensdedire,vispleinementetnet'interdisrienet...–Etsijetombaisquandmême?–Tuasuneamiequitetendraitlesbras.–Melly,çavaaller,soispatienteettoutredeviendranormal.–Jecroyaisquelanormalitéétaitchiante.–Tumarquesunpoint.–Fileretrouver«périlenlademeure»,etnet'inquiètepaspourmoi.Jevais
aller rendre visite à ce phare et je te tiendrai au courant.Tu as ditNantucket,c'estça?–Lesclésdemavoituresontsurladessertedel'entrée.Elleestgaréedansle
parking de l'immeuble, il n'y a qu'un sous-sol, tu ne peux pas la rater. Roulejusqu'à Cape Cod, prends le ferry et appelle-moi sans faute de là-bas. Si tudécides de dormir sur place, je te recommande un bed and breakfast que tutrouverassurleport.C'estleplusvieuxdel'île.Del'extérieurilnepayepasdemine,maissitupousseslaportetudécouvrirasundesplusjolisendroitsquejeconnaisse.–Promis,jetetéléphoneraidèsquejeseraiarrivée.–J'ycomptebien.Etsoisprudenteavecmavoiture,c'estunevieilledame,et
commetouteslesgrand-mères,elleestbelleetfragile.Jet'embrasse,Melly.Mellyraccrochaetrepritlelivre.Elleregardalonguementlaphotographiedu
pharedeBrantPoint,etsiellen'avaitpaseupeurdepenserqu'elleétaitentraindedevenirfolle,elleauraitjuréqu'illuisouriait.Elle se dirigea vers l'entrée, trouva les clés de la voiture de Simon sur la
desserteetdescenditauparking.
*
Melly fit routevers le sud.Conduire lui semblaitaussiaiséquede joueraupiano, et beaucoupplus amusant avec les cheveux auvent.Elle arriva àCapeCodjusteàtempspourattraperleferryquis'apprêtaitàlarguerlesamarres.Dèsqu'ilsortitduport,ellesesentitnauséeuseetquittalacabinepourgagner
lacoursive.
Lenavirefendaitlahoulelégère,etMellys'enivraitdel'airmarinenregardants'éloignerlesbancsdemouettesquipirouettaientaurasdesflotsprèsdelacôte.
*
L'îledeNantucketétaitencoreplusbellequeMellynel'avaitimaginé.EllerepéralebedandbreakfastqueluiavaitrecommandéSimon.Perchésur
sespilotisquis'enfonçaientdans l'eau, ilavaituncôté langoureuxet joyeuxetelledevinatoutdesuitepourquoiilluiavaitplu.Unmarchanddesouvenirs lui indiqua lecheminpourserendreaupharede
BrantPoint.Delacoursiveenboisilluisemblapluspetitquesurlaphoto,maisilavaitde
l'allure.Ellesedemandacequ'ellefaisaitlàetsiellen'avaitpaseutortd'espérerquecevoyageluiapporteraitdesréponses.Mellys'accoudaàlabalustrade,emplitsespoumonsd'airetlaissasonregard
errerlesflots.Danslebruissementduvent,elleentendit:Jette-moiàlamer,monJosh.Moiaussijevoudraisavoirunesecondechance.Ellecherchad'oùpouvaitprovenircettevoix.–Tucroisàunevieaprèslamort?–Oui,certainsjoursquandj'enaivraimentpeur.
Uncouplebavardaitprobablementdel'autrecôtéduphare.Ellelecontourna
etrevintàsonpointdedépartsansavoirvupersonne.–Tuaspeurdelamort?–J'aipeurdelatienne.–S'ilyavraimentunevieaprèslamort,jelacommenceraitrèsjeune,toi,tu
yentrerasenclaudiquantcommeunvieillard.–Pourquoijedevraismourirtrèsvieux?–Parcequelavieestbelleetquejetel'ordonne.
Mellysupposaqueleventdevaitportercessonsjusqu'àelle,elleseretourna
pourscruterlaplage.À une centaine de mètres s'élevaient trois monticules où foisonnaient des
bosquets d'hibiscus. Derrière le plus éloigné des trois, elle aperçut les ruinesd'unebicoqueenmoellonsrecouverteàlachaux.Commeellevoulaitenavoirlecœurnet,elleremontalacoursiveetsedirigea
verselle.Lesvoixserapprochaient.
–Moinsildemeureradel'unoudel'autre,plusilresteradenous.Les alentours étaient déserts, seuls trois gamins jouaient sur la dune. Elle
compritquecesmotsnevenaientdenullepart etqu'elle les entendaitdans satête.Son cœur s'emballa, elle accéléra le pas et s'arrêta brusquement devant une
pierreblanchequireposaitsuruncoind'herbedouceaupieddelamaisonnette.Melly s'agenouilla, épousseta de la main la fine couche sableuse qui la
recouvraitetdécouvritdeuxprénomsgravéssurlapierre.Unedéchargeélectriqueluiparcourutlanuque,sesyeuxserévulsèrentetelle
perditconnaissance.
*
–M'dame?M'dame?Legaminluisecouaitlesépaules,sesdeuxcopainsleregardaientfaire.–Bon,Fred,faudraitpeut-êtreallerchercherdusecours?–AttendsMomo,jecroisqu'ellerouvrelesyeux.–Madame?Tudorsout'esmorte?
Melly se redressa en se tenant le crâne. Elle avait l'impression d'avoir été
frappéeparlafoudre.Ellerestaassisesurlesable,encoretropétourdiepourselever.–T'estombéetouteseule?–Jecroisbien,dit-elleensouriantàl'enfant.
Elleentenditencorelesvoixluimurmurer.
–Etsijerevenaisunjouretquejenetetrouvaispas?–Tumetrouverasj'ensuissûr,etsicen'estpasmoi,tumetrouverasdansle
regardd'unautre,danssoncœur,danssajeunesseettul'aimerasdetouteslesforcesquejet'auraidonnées.Ceseratontourdem'offrirunmomentd'éternité.Tuluidirasquenousauronsétélespremiersassezfouspouravoirfaitunpieddenezàlamortetturirasdenosintelligences.–Tuterendscomptedecequetudis?TonhistoiremonJosh,c'estl'horizonà
l'envers.–Moic'estFred,luic'estMomoetmoncopainaveclacasquettec'estSamy,
ettoi,commenttut'appelles,madame?
–Hope,jem'appelleHope,répondit-elle.
23.
–Alorsc'esttonprénomsurcettepierre?demandaMomo.–Oui.–Etc'estqui,Josh?–Monhorizonàl'envers.Momo,haussalesépaules,passûrd'avoircompris.–Pourquoielleestlà?–Parcequ'ellemarquel'emplacementd'untrésor.Vousm'aidezàcreuser?
*
Lestroisgaminsnesefirentpasprieretbientôtunepetitevalisenoireapparutsousleursmainsensablées.Hopeleurdonnadequoiallers'acheteruneglaceetilsdéguerpirenthilaresen
criantàceluiquiarriveraitlepremierchezlemarchand.Dèsqu'ellefutseule,Hoperepoussalesloquetsetsoulevalecouvercle.La valise contenait une lettre et des objets qui lui étaient familiers. Objets
chinésàlabrocantedudimanche,dontunpetitavionenboisquiluifitmonterleslarmesauxyeux.Elleinspiraprofondémentetdéplialalettre.
Hope,monamour,Situasouvertcettevalise,c'estquenousauronsaccompliuneprouesseimpossible.Quelétrangeparadoxed'avoirlecœursilourdenrédigeantcesmotsetpleind'espoirquetuleslisesunjour.Cequenouscroyonsapeud'importance,c'estlafaçondontnousaimonsquifaitdenouscequenoussommes.Jecroyaisquel'onaimaitadultecommeonavaitétéaiméenfant,jemetrompais,levéritableamourconsisteàdonnercedontonamanqué,sansretenuenicrainte,jel'aiapprisdetoi.
Lorsque les derniers soirs viendront, je serai là à te regarder respirer, j'écouterai les bruits de taprésencepournejamaislesoublier.Jeposeraimatêtesurtoipourm'imprégnerdel'odeurdetapeauetmesouvenirqu'auxjoursoùturiais,lorsquenousfaisionsl'amour,colléàlamoiteurdetesseins,j'étaisunalchimistedelavie.Lamortestunsacrilègequiestentrédansnosvies,lesemportantensemble.Après toi, je remuerai la terre à la recherche de quelques poussières d'amour et d'humanité, deuxinconnussetenantparlamainmerappellerontànous.J'iraiàlabrocantedudimancheretrouvernospas,nosdoutesetnosdésirs.Jesaisquetuaspluspeurpourmoiquirestequepourtoiquit'envas.Tumedemanderasdecontinueràvivre,d'aimerencore.J'aibienvuquetuluttaispourcela,quetuengageaistesdernièresforcespourmelaisserletempsd'apprendre,maiscommentregarderlemondesanstevoiràmescôtés,quelleclartéseposerasurmesjourssanstesrirespourleséclairer,quellivremériterad'êtrelusanspouvoirteleraconter?Ilparaîtquelesensdelavieestfaitdessensquelavienousdonne.Commentsentirsanstonodeur, entendre sans ta voix, voir sans ton regard, toucher sans tes mains et goûter sans ta peau.Commentvivresanstoi?Jesaisquetumeferaspromettredeneriencéderàlamort,denepasluifairel'offrandedetoutl'amourquetum'asdonné.Quandtuserasdanssesbras,demande-luiqueletempspassevite,quejepuisseremonteraupasdelavieillessecesruesoùnouscourrionsensemble,souriantàl'idéedeterejoindrebientôt.Dis-luiquenotreamourestplusfortqu'ellepuisqu'ilnoussurvivra.Tueslafemmequejen'avaisoséespérerdansmesrêveslesplusfous.Tuvois,finalement,c'esttoiquifusl'alchimistedemavie.J'ignorecombiend'annéesseserontécouléesdepuislejouroùnousavonsquittécetteîle,maindanslamain.Maissachequepasunmatinjen'auraisouvertlesyeuxsanstedirebonjour,etpasunsoirjenelesauraisferméssansavoirvutonvisage.Etsituliscesmots,àmontourdetedemanderdemefaireunepromesse.Aime,detouttoncœur,sansretenueetsansregret.Nousavonsétéheureuxetcelaimpliquecertainsdevoirsàl'égarddubonheur.Quetaviesoitbellemonamour,aussibellequecellequetum'asdonnée.Cefutunprivilègedeteconnaître.Jet'aime.TonJosh.
Hoperestajusqu'ausoirsurlaplage,lalettredansunemain,lepetitavionen
boisdansl'autre.Puis,ellelesrangeadanslavalisequ'elleemporta.
Il paraît que les gensqui vontmourir voient leur vie se dérouler à l'envers,
Hope,enressuscitant,venaitdevoirlasiennedéfileràl'endroit.SurleferryquilaramenaitversCapeCod,Hope,levisageauvent,regardant
s'éloignerNantucket, se souvint des derniersmots qu'elle avait échangés avecJoshsurcetteîleavantd'enfouirlavalisequ'elleserraitcontreelle.–EttoimonJosh,pendantcetempstuvivrasettuvieilliras?–Non,puisquejet'attendrai.
24.
IlétaitdeuxheuresdumatinquandHopeentradansl'appartementdeSimon.Elleposalavaliseaupieddulit,etl'appelaautéléphone.–Jeteréveille?–Outun'aspasregardél'heure,ouc'estlaquestionlaplushypocritequej'aie
entenduedelajournée.Maiscommejet'ailaissédixmessagesauxquelstun'aspasrépondu,jemefaisaisunsangd'encreetnon,jenedormaispas.–Pardon,jen'écoutejamaiscettefoutuemessagerie.–Bon, tuvasmeraconterouiounon!Jen'ai jamaisaussimal jouéquece
soir.Àcausedetoi,j'aieudroitàquelquesregardssévèresduchefd'orchestre.–Jepréféreraisd'abordquetut'asseyes.–Jesuisvautrédansmonlitetj'aibienl'intentiond'yrester.
Hopeluiracontatout.Ellen'étaitpasl'amieaveclaquelleilavaitparcourule
monde,cellequ'ilavaitaccompagnéedeconcertenconcertduranttantd'années.Lafemmequ'ilavaitconnueavaitpéridansunaccidentd'hélicoptère,cellequiétaitrevenueàlavieenétaituneautre.Elles'excusadecetteimpostureetluijuran'avoirsulavéritéqu'aupiedd'un
pharedontlalumièreavaitéclairésamémoire.SimonrestasilencieuxetHopeseconfonditànouveauenexcuses.Elles'en
iraitdemainetiln'entendraitplusjamaisparlerd'elle.– Je t'en supplie Simon, dis quelque chose, tu es la seule personne que je
connaisseunpeusurcetteterre,leseulquinemesoitpastotalementétranger.–Jetetrouveunpeuvachardeàl'égarddeWaltetDolores.Queveux-tuque
je tedise?Quejen'aid'autrechoixquede tecroireoutesuggérerde tefaireinterner?Je tecroiset jepenseaussique lesmédecinsqui t'ont ressuscitée tedoiventdesérieusesexplications.Etpuisvéritépourvérité,Mellyn'estvraiment
devenue ma meilleure amie qu'après l'accident. Enfin, Hope voulais-je dire,puisqu'il va falloir que jem'habitue à t'appeler par ce prénom. Il y a bien descoupsdefoudreenamour,alorspourquoipasenamitié?Restechezmoiautantquetuenaurasbesoin,etjedevinequetuenasencoreplusbesoinmaintenantqu'hier. Je rentrerai bientôt et dès mon retour, nous irons fêter cette folieensemble, parce que ne pas célébrer dignement une folie pareille serait uneinsulteàlavie.Maiscequicompteleplus,c'estcequetudoisfairemaintenant.–Jesais,jedoisaussiuneexplicationauxparentsdeMelly.–Pourça,jetesouhaitebonnechance,maisjeteparlaisdel'hommedetavie.–JeretrouveraiJoshoùqu'ilsoit,mêmesijen'aipasencorelamoindreidée
delafaçondontjevaism'yprendre.–Retournesurleslieuxducrime,c'estcequefonttoujourslesbonslimiers.– Simon, demain quand tu monteras sur scène, joue pour nous, tu me
promets?–Machérie,sijenemeretenaispasàcauseduchefd'orchestrequidortdans
lachambrevoisine, jepourraisprendremonviolonmaintenantetréveiller toutl'hôtel.Ne t'aviseplus jamaisdeme laisser sansnouvelles.Maintenant, laisse-moidormir.Simonl'embrassaetraccrochaaussisec.
*
Hope se présenta à la porte du domaine desBarnett le lendemain en fin dematinée.Harolds'étonnaquesafillesoitrentréesitôtetplusencorequ'elleluiaitparléd'untonsisolennelquandelleluiavaitdemandéd'allerchercherBetsyetdelaretrouverdanslesalondemusique.Elleleurrévélasonhistoireetletristedestindeleurfille.LavraieMelly,la
grandeconcertiste,n'avaitpassurvécuàl'accidentd'hélicoptère,ellen'étaitqueHope,uneétudianteenneurosciencesquiavaitresurgidupassé.Betsyl'accusad'avoirperdularaison,deneplussavoircequ'elledisait,avait-
elle arrêté son traitement ? Elle l'emmènerait au Centre voir ce formidablemédecin et tout rentrerait dans l'ordre. Comment accorder lemoindre crédit àune telleabsurdité,parqueldémonétait-ellepossédéepour lui raconterquesafilleétaitmortealorsqu'ellesetrouvaitlàdevantelle?Etpourlapremièrefoisenquaranteansdemariage,Haroldhurlaàsafemmedesetaire.– Elle dit la vérité et nous l'avons toujours su, poursuivit-il en se calmant.
Lorsqu'elles'estréveillée,cen'étaitpasleregarddeMelodyquej'aivudanssesyeux, mais celui d'une étrangère. J'ai essayé de t'en parler tant de fois, tu ne
voulais pas me croire et j'ai manqué de courage pour te le faire admettre.Quelquechoses'estproduitauCentre,ilsontdûégarerlamémoiredeMellyouladétruireparaccidentet ilsnousenontoffertuneautreà laplace.Depuis ledébutjesuspectaiscedirecteurderecherchedenousavoircachéquelquechosederrièresabarbe,seslunettesetsesmanièrestropdistantespourêtrehonnêtes.Toi,tuluiauraisdonnéleBonDieusansconfession,maisavecsonairhypocrite,je savais bien qu'il nous mentait. Et vous, mademoiselle, depuis combien detempsvousmoquez-vousdenous?Hopesortitdesapocheunenotequ'elleavaitrédigéelematinmême.Elley
reconnaissaitn'avoir aucun liendeparentéavec la familleBarnett, renonçait àtoutdroitetàtouthéritage.EllelaremitàHarold,luifitpartduchagrinsincèrequ'elleéprouvaitpourlui
etpoursafemmeets'enallasansajouterunmot.Betsy se précipita derrière elle, essayant de la prendre dans ses bras, mais
Haroldlaretintpourlaserreraucreuxdessiens.Hopepassaparlacuisine,embrassaDoloresetWalter,lesremerciadetoutce
qu'ilsavaientfaitpourelleetquittaledomainepourneplusjamaisyrevenir.
*
Dansletaxiquilareconduisaitversl'appartementdeSimon,Hoperepensaàunephrasequ'avaitprononcéeHarold.Iln'yavaitpasqu'aucoupleBarnettqueledirecteurderechercheavaitcaché
quelquechose.Elleseremémoracevisagequis'étaitpenchésurellelejourdesonréveil,etmaintenantquesamémoireétaitentière,ellereconnutceluiquisedissimulaitderrièresabarbeetseslunettes.ElledemandaautaxidechangerdedestinationetdelaconduireauCentrede
Longview.
*
Laréceptionnistefutcatégorique:ledirecteurderecherchenerecevaitjamaissans rendez-vous, et elle ajouta d'un ton sarcastiquequ'il ne recevait d'ailleursjamaispersonne.Raresétaientlescollaborateursquiavaientledroitd'entrerdanssonbureau.–S'ilvousplaît,appelez-leetdites-luiqueHopesouhaitelevoir.
La réceptionniste voyait passer le directeur de recherche devant sa banque
d'accueil depuis suffisamment d'années pour être certaine qu'un homme aussipsychorigide et taciturne ne pouvait avoir de maîtresse et de surcroît qui aitquaranteansdemoinsquelui.
–Jeneleferaipasparcequeje tiensàmontravail,etpuisçaneserviraitàrien,iln'estpaslàaujourd'hui.–Jedoislevoir,c'estimportant,insistaHope.–AllezvousinscrireàlafacultéduMIT,ensectionneurosciences,ilenseigne
là-bas.Hopenepritpasletempsdelasalueretcourutverssontaxi.
*
Le professeur dispensait son cours depuis une heure quandHope poussa laportedugrandamphithéâtre.Elle se faufila dans la dernière rangée où elle avait aperçu une place libre,
contraignantuneétudianteàreleverlesgenouxpourlalaisserpasser.–J'airatéquelquechose?demanda-t-elle.–Non,pasvraiment,réponditsavoisine.–Lecoursdureencorecombiendetemps?chuchota-t-elle.–Dixminutes,maisçava teparaîtreuneéternité.Tun'imaginespasàquel
pointils'écouteparler.Le professeur se retourna pour faire face à ses élèves etHope n'eut plus le
moindredoute.–Commevousl'aurezcomprisgrâceàmonexposé,leprogrammeNeurolink
estentrédanssaphasededéploiement,maiscelle-ciesthélasencorelimitéeetilnousseraimpossibledesatisfairetouteslesdemandes,dit-illevisagefermé.Laquestion qui se pose est de déterminer le nombre d'enregistrements auquel unêtrehumainauradroitaucoursd'unevie.C'estenlimitantcenombrequenouspourrons permettre à plus de gens de sauvegarder leur mémoire. Je vousl'accorde,cen'estpasunesolutionsatisfaisante.Ilnousresteducheminàfairepourquel'intelligencedeNeurolinksoitcapabled'unesimpleactualisationentredeuxsessionsaulieudedevoirréenregistrerl'intégralitédelamémoirecommenouslefaisonsactuellement.Nouspouvonsd'oresetdéjàestimerqu'unemiseàjourannuelleneprendraitquequelquesheures.– Qu'est-ce qui garantit que Neurolink ne se trompe pas au moment d'une
restauration?demandaHopeàhautevoix.Unmurmureparcourutlasalle,alorsqueleprofesseurtentaitd'identifierdans
lapénombredel'amphithéâtrequil'avaitinterrompu.–Nesetrompeenquoi,mademoiselledontjenevoispaslevisage?Sivous
aviezaumoinslacourtoisiedevouslever.–Decorps,parexemple.–C'estunequestionquenousavonsabordéeendébutd'année.Maispuisque
visiblement vous aviez de bonnes raisons de sécher mes cours, apprenez que
nousn'avonspaslaisséàNeurolinklalibertéd'initierunetelleprocéduresanslecontrôled'unopérateur.Ilnepeutdoncyavoird'erreur.–J'avaisunetrèsbonneraisondenepouvoirassisteràvoscours,professeur.
Je dormais depuis quarante ans dans les serveurs de Neurolink. Je suis lapremièredonttuasenregistrélamémoire.Lemurmures'amplifiaettouslesétudiantsseretournèrentverselle.Hopese
levaetsedirigeaverslasortiedel'amphithéâtre.Leprofesseurs'excusaauprèsdesesélèvesetluicourutaprès.Illarejoignitenhautdesmarches.Ellel'attendaitadosséeàunmuret.
–Tu as pris quelques rides, la barbe te change beaucoup,mais derrière ces
lunettes,c'estlemêmeregard.–Alorsc'estbientoi,tuesrevenue,soupiraLuke.Dieuquetuesjeune,etsi
différente.–LaisseDieulàoùilest.Tunesavaisrienquandtuesentrédansmachambre
auCentre?–Bien sûrquenon, commentpeux-tupenser le contraire...Pourquoin'es-tu
pasvenuemevoirplustôt?–Parcequejusque-là,j'étaisamnésique,çaaussitul'ignorais?–EnfinHope,dequoim'accuses-tu?–Oùest-il,oùestJosh?–Jen'ensaisrien,jetelejure.Aprèstondépart,iln'aplusjamaisétél'homme
quetuasconnu.IladésertéleCentreetnostravauxpoursecloîtrerdansvotreloft.J'ai tout faitpour l'ensortir, le ramenerà la raison,mais ilnevoulait rienentendre.Auboutd'uncertaintemps,ilrefusaitmêmedem'ouvrirsaporte.Laseule personne avec qui il échangeait quelques mots était ce vieil Italien quitenait une épicerie dans votre quartier. C'est par lui que j'obtenais de sesnouvelles.Joshallaitacheterdequoisenourriret ilrentraitchezvous.Etpuisun jour, il a vendu toutes vos affaires, il s'est offert une voiture et il est partirejoindresonpère.Moiaussiilm'aabandonné.Jen'aiplusentenduparlerdelui.–Ettuenesrestélà,tun'espasallélechercher?–Si,enfin,jeluiaiécritpourlesupplierderentreràBoston,maismeslettres
mesontrevenuesaveclamention«inconnuàcetteadresse».J'aimêmeappelélamairiedupatelinoùnousavionsgrandi et ilsm'ontditque lepèrede Joshavaitdéménagédepuislongtemps.Alorsoùvoulais-tuquejelecherche?–Etaprèssondépart,tuesdevenulegrandpatronduCentre,bravo.
–Non,seulementdirecteurderecherche,etbienplustard,àlamortdeFlinch.Qu'est-ce que tu vas faire,maintenant ? Si tu restes àBoston, nous pourrionsnousrevoir.–Jevaispartirleretrouver.–Turéalisesqu'ilamonâge?J'aifêtémessoixante-deuxanscetteannée.–Jememoquedutempsquiapassé,notreamourn'apasvieilli,puisqu'ilm'a
attendue.–Hope,réfléchisbien,tuaslaviedevanttoi.
Hopeneréponditrien.Ellefitquelquespasàreculons,seretournaets'enalla.
*
EnrentrantchezSimon,Hopetrouvalaforcedepasserunappelqu'elleavaitredoutédepuissonretourdeNantucket.EllecomposaunnuméroenCalifornieetretintsonsoufflequandunevoixféminineluidemandaquiétaitàl'appareil.–JevoudraisparleraudocteurSam...–Maismademoiselle,monmariestmortdepuisdixans.Hoperéussitàcontenirsonémotion.Elles'étaitpréparéeàentendrecela,mais
ladouleurqu'elleressentaitn'enétaitpasmoinsforte.–Pourriez-vousmedireoùilestenterré?Jevoudraisallermerecueillirsursa
tombe.–SamreposeaucimetièredeTiburon.Quiêtes-vous?–Quelqu'unquil'aconnuetl'atellementaimé.–Vousêtesunedesesanciennespatientes?–Non,même si celam'est arrivé aussi.Un jour viendra où je vous rendrai
visiteetjevousexpliquerai.Aurevoir,Amelia.Hoperaccrochaetlaveuvedupédiatresedemandatoutelajournéequiétait
cette personne qui ignorait que son mari était mort, mais qui connaissait sonprénom.
25.
Simon rentra de voyage. Hope épluchait les annonces pour trouver unappartementdans sesmoyens.Samavaitdéposésur lescomptesdeLongviewune petite somme d'argent, au cas où... et en quarante ans cette petite sommeavaitprospéré.Luke s'était arrangé pour qu'elle lui parvienne. Il avait aussi usé de son
pouvoirpourluitrouveruntravailàlabibliothèqueducampus,letempsqu'elledécidedecequ'elleferaitdesanouvellevie.Simon finit par la convaincre de rester chez lui. C'est elle qui lui rendait
service en entretenant son appartement pendant ses longues absences. Sesplantesvertesnes'étaientjamaisaussibienportéesquedepuisqu'elleétaitlà.Leconciergen'avaitpaslamainverte,c'étaitainsi.Pendantsonséjourquiduraunesemaine, il l'aidadanssonenquête,passant
desheuressurExternetàexplorer lesréseauxsociauxà larecherched'unJoshquiauraitpucorrespondreàl'hommequeHopeaimait.Ils eurent quelques espoirs qui firent battre leurs cœurs, le temps qu'un
complémentd'informationlesdéçoive.Simonrepritl'avionetleurséchangesdemailssepoursuivirent.Troismoiss'étaientécoulésdepuissonvoyageàNantucket.Hopepassaitson
tempsàchercherJosh.Elleavaitpostédesannoncesdanstouslesjournauxdupays,danslesmagazinesscientifiques,elleenavaitmêmeagrafédanslescafésduquartieroùilsavaientvécu,Simonluiavaitditdenejamaisnégligerleslieuxducrime.Unsoir,leconciergel'appelapourlaprévenirqu'unefemmeattendaitdansle
halletsouhaitaitlavoir.
–Quiest-elle?demandaHope.– Une dame d'un certain âge, chuchota-t-il dans le combiné, d'origine
japonaise,mesemble-t-il.LeconciergeavaitàpeineprononcécesmotsqueHopeétaitsurlepalier.
Kasukoeutunchocensortantdel'ascenseur.ElleexaminalonguementHope,
n'encroyantpassesyeux.–C'estvraimentinjustedit-elle,rieuse,enlaprenantdanssesbras.Hopelafitentreretluiservitunthé.Kasuko s'installa sur le canapé, incapable de détacher son regard de ce
nouveauvisage.–Pasétonnantquej'aieeutantdedifficultésàteretrouver,finit-ellepardire.–C'estmoiquiauraisdûteretrouver.Enfait, jen'imaginaispasquetusois
restée à Boston. J'ai un peu de mal à y voir clair, il s'est passé tellement dechosesenquelquesmois...–Jesais.–Etcommentm'as-turetrouvée?–Lukeafiniparmedirelavérité.DepuistonréveilauCentre,jeluiposais
desquestionsàtonsujetpresquequotidiennement.Cesdernierstemps,jevoyaisbien qu'il me mentait, je l'ai menacé de le quitter s'il s'enferrait dans sesmensonges,alorsilm'aavouéquelapatienteno102avaitfinalementrecouvrélamémoire,etquecettemémoireétaitlatienne.Etpuisilm'aditpourl'argentquetonpère t'avait laissé,et le travailqu'il t'a trouvéà labibliothèque.Jem'ysuisrendue et j'ai obtenu cette adresse. Sérieusement, Hope, la bibliothèque ducampus,avectonniveaud'étudesettescompétencesscientifiques?– J'ai bien peur quemes connaissances soient un peu datées.Avoir accès à
touslesouvragesscientifiques,lireetapprendretoutenétantpayée,cen'estpassimal.Quoiquejen'aiepasencoreouvertunbouquin,jepassetoutmontempslibreàchercherJosh.Alorstoiaussitusavais?–Non,laseulechosequejesavais,c'estqueNeurolinkavaitprislecontrôle
dutransfertdelaconsciencedupatient102.L'opérateuradétectéuneanomaliequim'alaisséespéreruninstantque...–Quequoi?–Que tu allais peut-être revenir. Luke a essayé d'interrompre la procédure,
maisj'aipuchangerlescodesd'accèsavantqu'iln'yarrive.Detoutefaçon,jenecroispasqueNeurolinkl'auraitlaisséfaire.Flinchavaitscellélepactedansleslignesdesonprogrammesource.–PourquoiLukea-t-ilessayéd'interromprelaprocédure,etquelpacte?
–C'estunelonguehistoire,Hope,etjesuisvenueicipourtelaraconter.Elleneconcernepasquetoi,maisJoshaussi.–Tusaisoùilest?–Ouietnon,c'estcompliqué.–Ilarefaitsavie?S'ilestheureux...–Tais-toiet laisse-moiparler,c'estsuffisammentdifficilecommeçaet jene
saismêmepasparoùcommencer.–Parcequileconcerne,iln'yaqueçaquim'intéresse.–Joshnes'est jamaisrésoluà l'idéed'êtreséparédetoi,niaprès tamort,ni
mêmeavantd'ailleurs.Ilavaitélaboréunplanredoutable,déraisonnableaussietill'avaitentêtebienavantquetumeures.Ill'amisenœuvre,encachantcequ'ilfaisaitàtoutlemonde,Luke,moiettoicompris.Souviens-toi,lorsquevousêtesrevenusdeNantucketavecleprojetdemappertoncerveau,alorsqu'iltecédaitcefauteuiloùils'étaitassispendantdesmois, lacaptationdesamémoireétaitpresqueachevée.Aulendemaindetondécès,ilestretournéauCentre.Lukeetmoiavionsdumalàcroirequ'ilsoitaussifort.Biensûr,onlevoyaitaccabléparlechagrin,maisildonnaitlechangeetnousl'admirionspoursoncourage.Àceciprèsqu'ilnousmenaittousenbateau.Quandlasauvegardedesamémoireaétéachevée, il est allé voir Flinch, ce bon vieux Flinch. Parce que pendant lessemainesoùilteveillaitjouretnuit,tonJoshn'avaitcessédemettresongéniescientifiqueàrudeépreuve.Personnen'ignoraitquedanslebinômequ'ilformaitavec Luke, il était la tête pensante. Luke en était jaloux et toutes sescompromissionspourêtrelepréférédeFlinchn'yontrienchangé.S'ilsavaientidentifiéensemblelemoyend'encoderlamémoire,c'estJoshquiavaittrouvélemoyen de la restaurer un jour. Sa découverte n'était encore qu'au stadeembryonnaireetilaurafallutrenteannéesdepluspourlamettretotalementaupoint,maisJoshavaitconçul'architectureprincipale,luiquienfutl'inventeuretluiseul.–QuelrapportavecFlinch?–Énorme,ettuvasbientôtcomprendrepourquoi.Joshapasséunpacteavec
Flinch.Illuicédaitsoninvention,nonseulementcequ'ilavaitdéjàconçu,maistoutcequ'ilviendraitàdécouvrirau longdesavie.Enscellantcepacte, JoshavaitdéfinitivementvendusonâmeàLongview.–Enéchangedequoi?– De deux promesses. Josh estimait que Neurolink serait un programme
abouti, ne présentant aucun risque à partir du centième patient restauré. Àcompterdecemoment-là,Longviewdevaits'engageràréinjectertaconsciencedanslepremiercorpscompatible.Joshn'ajamaiscruàlacryogénisation.Iln'ajouélejeuqueparamourpourtoi,maisenrevancheilcroyaitdurcommeferà
son programme. Et comme tout menteur qui se respecte, Josh ne faisaitconfiance à personne. Il fallait donc que Flinch lui donne accès au cœur deNeurolink,ouplutôtauxcodesdeprogrammationquiétaientàlasourcedecetteintelligenceartificielle.C'estsurcepointprécisquelepactefutconclu,unesortede donnant-donnant si tu veux. Flinch a accepté et Josh a pu instruire unecommandeindélébiledansNeurolink.Àcompterducentièmepatient,Neurolinkrestaurerait ta conscience dans le premier corps compatible. Ce fut le cas duno102.–Tuasditqu'ilyavaitdeuxconditionsàcepacte,quelleétaitlaseconde?–QueJoshsoitlesuivant...–Maisc'estimpossible,ilnepeutpasyavoirunemêmeconsciencedansdeux
corpsdifférents.–Non,eneffet,Neurolinkempêcheraitunetellechose.–Alorsjenecomprendspas.–Flinchaussis'estbienfaitavoirensignantcepacte.Joshamisonzemois
pourmodifier le programme sourcedeNeurolink.La sauvegardede sapropremémoireétaitachevéeetlogéedanslesserveurs.Ilavaitobtenucequ'ilvoulaitdepuisledébut.–Qu'est-cequ'ilvoulait?–Jepensaisque tuavaisdéjàcompris.Mourirpourrevivreenmêmetemps
quetoi.Joshs'estdonnélamortlejouranniversairedelatienne.Hoperestasilencieuseun longmoment.Elleétait incapabledeprononcer le
moindremot.Kasuko resta avec elle et lui prépara à dîner. Elles s'installèrentautourde la tablebasseetHope luiposa laquestionqu'ellen'avaitpasencoreoséformuler.–Combiendetempsavantqu'uncorpscompatible...leramèneàlavie?–Laprocédures'estachevéecematin,ilaouvertlesyeux.Jeconnaissaiston
adressedepuisquelquessemaines,maisj'attendaispourvenirtevoirdepouvoirterépondrequandtumeposeraiscettequestion.–Joshestici,àBoston?demandaHoped'unevoixsuppliante.–Non, depuis queNeurolink est entré en phase active, Longview a ouvert
plusieurs Centres dans le pays. J'ai usé de toutes mes ressources pour êtreinformée du jour commedu lieu où cela arriverait. Lamémoire de Josh a étérestauréeàSeattle.J'aiprislalibertédet'acheterunbilletd'avionetdetelouerunpetitappartementprèsduCentre.–Unappartement?
–Hope,voscas sont identiques,vousavez subi lesmêmesprocédures, à lamême époque, et tout laisse à penser que Josh s'est réveillé dans la mêmeconditionquetoi.Ilvafalloirquetufassespreuvedepatience,quetuattendesquesamémoireluireviennepourleretrouver.
*
KasukopassalanuitauprèsdeHope.Aumatin,ellel'accompagnaenvoitureàl'aéroport.Au moment de lui dire au revoir, elle lui demanda d'essayer un jour de
pardonneràLuke.–L'annéeoùtuesmorte,ilaperdulesdeuxpersonnesquicomptaientleplus
aumondepourlui.Sonmeilleuramietlafemmequ'ilaimaitdepuislejouroùilavaitcroisésonregardsuruncoind'herbeducampus.Nedisrien, jevoudraisqu'entre nous quatre, il y en ait au moins une qui n'ait jamais menti. Tu astoujourssuqueLuket'aimait,c'estpourpalliercetamoursansretourquetumel'asprésenté.Jelesavaisaussi,ilsuffisaitquejel'observeentaprésence.Maisjel'aiaimédetoutesmesforces,quandbienmêmeilm'aimaitaprèstoi,unepartdeluim'asuffiàêtreheureuseetjeneregretterien.Quandtut'esréveillée,ilaeupeur, je peux le comprendre,moi aussi j'ai eu peur. Filemaintenant, nos viess'acheminentdoucementversleurfinetlesvôtresnefontquecommencer,alorsfaisensortequetoutcelaenaitvalulapeine.Soyezheureux.KasukopritHopedanssesbrasetlaregardacourirversleterminal.
26.
JoshquittaleCentredeuxmoisaprèssonréveil.Hope était venue le voir tous les jours sans qu'il sache qui était cette jeune
femmequiluisouriait,assisesurunbancduparcoùilvenaitprendrel'airentredeuxséancesderééducation.Parfois,bravantsatimidité,ilvenaits'asseoirprèsd'elleetluisouriaitaussi.Luke s'était arrangé pour lui trouver un emploi de stagiaire dans une
pharmacieprèsdustudioqu'illuiavaitloué.Chaquejour,àmidi,Joshéchangeaitsablousecontreunpullqu'ilposaitsur
ses épaules et traversait la ruepour se rendredans l'unde ces cafésmodernesjolimentdécorés.Il y déjeunait invariablement d'un sandwich et d'un macchiato, installé au
comptoir en regardant les objets disposés sur les étagères en bois verni quicouraientsurlemiroirenfacedelui.Quelquefois, il lui était arrivé de croire reconnaître le visage d'une jeune
femmequibuvaitunthé,seuleàunetabledanslefonddelasalle,etilpensaits'êtretrompé.Unmatin,ileutenviedechangerseshabitudes,celaseproduisaitdeplusen
plus souvent depuis quelques semaines.Alors il se rendit dans lemême café,maiscettefoispourprendresonpetitdéjeuner.Lasalleétaitpresquevideetlepatronessuyaitdestassesderrièrelecomptoir.
Joshs'installaàunetable.Sonregardseposasurunpetitavionenboisquisebalançaitauboutd'une
ficelle pendue au plafond. En l'observant, il sentit une décharge électrique luiparcourirlanuque,satêtesemitàtourner,ettombantenarrière,Joshvittoutesaviedéfilerdevantlui.
Il recouvra ses esprits enentendant lavoixde l'hommequi étaitpenché surlui.–Çavamieux?Vousm'avezfaitunedecespeurs,vousvoulezquej'appelle
unmédecin?Josh ne voulait pas d'un médecin. Il se redressa et demanda au patron
commentcepetitavionenboisavaitatterridanssoncafé.–C'estamusantquevousmeposiezcettequestionseulementaujourd'hui. Il
est accroché làdepuis aumoinsdeuxmois.C'est une jeune femmequime l'aapportéenmesuppliantdeluirendreunimmenseservice.Ellevoulaitquejelemettebienenévidence,cequej'aifaitavecplaisir,ilestjolicepetitavion,n'est-ce pas ? Et puis elle m'a confié une enveloppe à vous remettre si vousm'interrogiez un jour sur sa provenance. Ellem'a expliqué que c'était elle quivousl'avaitoffertilyadesannéesetquec'estàcausedecelaquevousmettriezsûrementdutempsàlereconnaître.Lepatronpassaderrièresoncomptoiretrevintavecuneenveloppeàlamain.–Dites,vousn'allezquandmêmepasvousmettreàpleureravantde l'avoir
lu?Joshs'essuya lesyeuxetdécacheta l'enveloppeaudosde laquelle figuraient
uneadresseetunnumérodetéléphone.MonJosh,Jet'airetrouvé.Jet'aime.Hope.
Notedel'auteur
JevoudraisrendrehommageàKimSuozzietàJoshSchislerdontlesviesontinspirécettehistoire.Et puisque l'impossible n'est qu'une question de temps, j'espère du fond du
cœur queKim se réveillera de ce grand froid où elle repose depuis unmatinbrumeuxdejanvier2013,plusencorequ'elleetJoshserontunjourànouveauréunis.Écrire,c'estpouvoirtoutimaginer.Je remercie les chercheurs qui m'ont aidé de leurs conseils d'autant plus
précieux que mon niveau en neurosciences n'était pas fameux lorsque j'aiimaginéceroman.Pourêtrehonnête,ilnel'estguèreplusaujourd'hui.Mais laplupartdesavancées scientifiquesàpeine croyables évoquéesdans
cespagessontvéridiques,cellesquine lesontpas ledeviendrontpeut-êtreunjour,surtoutmaintenantqueJoshadonnéquelquesidéesàdesgensqui,commelui,sontvraimentgéniauxenneurosciences.Flinch me demandant de ne pas oublier son rôle remarquable, je rattrape
aussitôtcetoubli.ÀNewYork,le2janvier2016.MarcLevy
Mercià
Pauline,Louis,GeorgesetCléa.Raymond,DanièleetLorraine.
SusannaLea.EmmanuelleHardouin.CécileBoyer-Runge,AntoineCaro.Élisabeth Villeneuve, Caroline Babulle, Arié Sberro, Sylvie Bardeau, Lydie
Leroy,JoëlRenaudat,CélineChiflet,Anne-MarieLenfant,toutesleséquipesdesÉditionsRobertLaffont.PaulineNormand,Marie-ÈveProvost,JeanBouchard.LéonardAnthony,SébastienCanot,DanielleMelconian,MarkKessler,Julien
SaltetdeSabletd'Estières.KatrinHodapp,LauraMamelok,KerryGlencorse,JuliaWagner.BrigitteetSarahForissier.www.marclevy.infowww.laffont.frwww.versilio.com