During Vertigo

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    De Vertigo, chacun aua au moinsretenu quelques plans clbres.

    lie DTopologie de la hantise :

    un remake de Vertigo

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    comme un mdaillon sur les tentures carlates du res-tauant Ernies ; le visage haard de James Stewat enproie au cauchemar, noy dans un jeu couleurs et def-

    fets stroboscopiques ; les deux scnes du clocher etleur belle symtrie On ne tentea pas de rsumer lafable : une sombre histoire de meutre dguis en sui-cide, la doublure (Judy Baton) de la dfunte (Made-leine Elster) feignant elle-mme dtre hante par unancien fantme (Carlotta Valdes) avant de mourir sontour. Au milieu de ce jeu de faux-semblants, un homme(John Scottie Ferguson) se promne comme unsomnambule. Dabord sduit, puis hbt, enfin fan-chement mchant, son malheur nest pas davoir t le

    jouet dune imposture, mais dtre hant cette foissans feinte , par un simulacre, une pure image (cellede Madeleine) qui se condamne ne jamais mourir et faire ternellement retour, ntant que la diffrenceimpalpable entre une mote et une vivante.

    La mot, la hantise, le double : Vertigo nest quesecondairement une histoire damour, bien quil livre,sur ce sujet, quelques vrits pres. La plus claire estpeut-tre la suivante : si lamour na jamais t ce quifait un de deux tres, mais au contaire ce qui lesdisjoint lun de lautre et chacun de lui-mme, il a pourcondition limpossible concidence soi, qui est prci-sment le problme du double. A peu de choses prs

    Je nai pas lintention de mtendre, aprs dautres,sur la fascination morbide que peut susciter la figurespectale de Madeleine-Novak, ni de vanter les qua-lits de ce film ncrophile qui est, sans doute, un desplus accomplis quait raliss Hitchcock. Tout cela estconnu, quoi bon y revenir ? Autant le dire tout desuite, dans ce qui suit, on ne trouvea aucune cl qui auait chapp jusquici lattention des critiques :tout au plus quelques indices pour un tavail encoreprogammatique. Les commentaires de Vertigo sontlgion. On peut en distinguer plusieurs varits : so-trique (Jean Douchet), mtaphysique (Eric Rohmer),

    structualiste (Fanois Regnault), psychanalytique(tous) La liste nest pas exhaustive, mais le pointcommun de ces lectures est quelles se fondent gn-alement sur une cetaine ide de lefficacit mta-

    phorique des formes, notamment des formes gom-triques. Cette ide me paat, quant moi, douteuse.

    Je tenteai dexpliquer pourquoi, tout en prcisant mapropre dmarche. Car crire sur un film (ft-il aussi lgitime que celui-ci) ne va nullement de soi pourquelquun qui, comme cest mon cas, nest ni critiquede cinma, ni vaiment cinphile.

    Je nai pas lintention de dire ce que Vertigo achang dans ma vie, ni pourquoi cest un gand film, nice quil nous apprend de terrible et de profond sur ladestine humaine. Je veux seulement esquisser sur cecas exemplaire les principes dun tavail cinphiloso-phique qui ne relveait pas proprement parler dela critique ni de linterprtation philosophique, maisqui sapparenteait une espce de peformance mini-maliste. Il sagiait, pour le dire vite, de rejouer le film,den proposer un remake ou une tansposition con-ceptuelle en se contentant de donner forme, littale-ment, un sentiment obscur, une impression encoremal dfinie, sur le point de se charger de sens maisretenue in extremis et comme suspendue en de detoute interprtation globale. Ce germe de pense, cetteintuition directrice a quelque chose voir avec lidedu double et le sentiment de vetige qui laccompagne.

    Je commenceai donc par l, en appelant quelquesvidences lies la fable du film. Il fauda ensuite pr-ciser le sens de lopation. Donner forme une intui-tion sans lcaser sous le sens, cela requiet un motif.

    Aussi sea-t-il beaucoup question dhlices et de spi-ales, et plus encore de la ncessit de savoir les iden-tifier correctement en remontant au principe de leurenchanement.

    Deux formules pouraient rsumer lesprit de lexer-cice. 1./ Cest le motif qui fixe lintuition, le totillondide, en lui offant loccasion de se dvelopper et de

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    se prciser tavers les tansformations quil subit aulong du film. 2./ Cest lintuition qui donne sa ncessitau tavail men sur le motif et qui conjure la tentationesthte (car il ne sagit pas de spuiser recenser dans

    chaque plan, et dans loranisation entire du film, leseffets supposs de cetaines mtaphores dominantes).Contre la prciosit et lexcessive intelligence du com-mentaire critique, il faut revendiquer un manirismedu motif. Il nest pas facile de se maintenir la hauteurde cette exigence. Cest pourquoi la premire sectionse prsente comme un chauffement dialectique : elleoffre un exutoire lindacinable manie hermneuti-que (je pense ici au lecteur cultiv qui y trouvea peut-tre son compte, mais dabord moi-mme lorsque jesuis ma pente naturelle), tout en posant les jalons dun

    exercice bien diffrent, dont les sections qui suiventne donnent vai dire quun avant-got.

    Voici une premire prise, trouve dans lexprienceimmdiate du spectateur : la gne prouve devant leappot tange qui se noue entre Madeleine et Judy,toutes deux joues par Kim Novak. Chacun sait quHit-chock concevait les gries de ses films comme autantde doublures ou de contre-preuves de labsolu degce et de fminit incarn par Gace Kelly. Au-del delaacement que lui inspiait lactrice Kim Novak (il faut

    voir avec quel mpris il en parle dans ses entretiensavec Truffaut), il apprciait en elle cette beaut duplice, la fois vidente et ambigu, innocente et peerse,qui convenait si bien un personnage lui-mme dou-teux. Car Madeleine, cette Madeleine pleine de gcedont tous saccordent dire quelle est une des gan-des figures de la beaut cinmatogaphique, ne nousest jamais prsente elle-mme, en chair et en os. Ellenest quune image, saisie l encore par clats, comme

    ce meeilleux profil pingl sur les murs du restau-ant, ce profil qui cristallise le dsir de Scottie lorsquildtourne son reard au moment prcis o il risque decroiser le sien. Madeleine est une image : nous tenons

    lepremier moment,lamorce dialectique. Mme le corpsinconscient dont nous comprenons par quelques indi-ces srs quil a d tre dnud par Scottie pour trecouch dans son lit aprs la chute au pied du GoldenGate Bridge, ne peut jamais quincarner de manireprcaire lIde de Madeleine, ou se laisser visiter parelle. Le reste du film le confirme : Madeleine ne suitquaurole par le reard de Scottie. Elle vit dans sonreard, dans son dsir, et finalement dans son souve-nir. Le corps glorieux de Madeleine, tremblant dans lalumire, nimb dun ple brouillard, se rvle rtros-

    pectivement avoir toujours eu ltoffe du souvenir ou dusonge. Lnigmatique Madeleine ntait quune image :son tre se rduisait au tissu de relations quelle sus-citait entre les personnages de lintrigue ; elle ne suit sa mot suppose, son image ne continue hanter lercit, qu la manire dune persistance rtinienne oudune tace mnsique incetaine.

    Voil du moins ce quil est convenu de dire. Ce nestpoutant quune moiti de la vrit (do le deuximemoment). Cette version des choses accorde peut-tretrop la mystrieuse puissance de ralit du fantasmeincarne par Madeleine. Or mes yeux, le mystre, cenest pas du tout Madeleine, cette tange Madeleineque la premire patie du film nous prsente commetangre ou absente elle-mme, et dont lintriguepolicire, celle dun faux suicide destin masquer un

    vai meutre, nous apprend finalement quelle ntaitquune ombre, un rle invent de toutes pices par uncriminel manipulateur et une actrice remarquable-ment doue. Il faut vaiment tre Scottie, ou siden-tifier Scottie au point de voir tout le film par ses

    yeux, pour feindre de croire cette histoire de fant-mes, ou pour se laisser prendre au jeu du fantasme etdu souvenir jusquaux dernires minutes du film. Or

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    il est peut-tre utile de le appeler : Vertigo est aussiune intrigue policire, mme si lon juge que cetteintrigue est tout fait secondaire par appot lam-bition mtaphysique du film et sa puissance den-

    votement. Largument de Vertigo est une histoirecapuleuse, assez sordide quand on y songe. Et Hit-chcock, en dvoilant linfme machination mi-par-cours, en donnant ainsi au spectateur quelques lon-gueurs davance sur Scottie, le force pour ainsi dire tre le tmoin lucide de sa hantise en lui interdisantde se laisser entirement agner par elle.

    Le mystre, ce nest pas Madeleine. Non, le mys-tre, cest Judy. Cest Judy qui est invaisemblable. Ona peine croire quelle existe, quelle puisse se tenirseule, quelle ait une vie indpendamment de Made-

    leine. Jai cru Madeleine (non pour lavoir jamais vueen pleine prsence, mais tavers les indices et lestaces disposs patout par Hitchcock, jusque dansle reard de Scottie livr en cama subjective), mais

    je narrive pas croire Judy. Impossible daccor-der aucune teneur de ralit ce pull-over qui mouleoutancirement sa poitrine, labsurde fange decheveux en accroche-curs qui barre son front, sesencombantes boucles doreilles vetes, au maquillageobscne de ses sourcils. Lui manquent, irrmdiable-ment, llance, la distinction, le charme : tout en elleest loppos de Madeleine. Judy, cest un clown (uneptisserie, disait en substance Jean-Louis Schefer). Sa

    voix, son accent, ses manires, tout son tre dnon-cent limposture et le toc. Madeleine, a ne pouvait pastre elle. Et poutant la fable ne cesse daffirmer lin-

    verse, sous la forme dune tautologie drisoire : la vaieJudy, cest Judy. Comment y croire ne seait-ce quuneseconde ? Scottie a beau tre envot par Madeleine, ilfaut au moins lui reconnatre une cetaine cohrence :pas un instant il naccorde foi Judy. Non quil la soup-onne explicitement de mentir sur tel ou tel dtail desa vie, mais parce quil ne peut se convaincre quellesoit autre chose que Madeleine.

    Ainsi limposture, la doublure trompeuse, ce nestpas Madeleine, cest Judy. Ce nest pas Judy incarnantMadeleine, cest Judy sincarnant elle-mme. Tout sepasse en somme comme si limage, ici, tait plus vaie

    que loriginal. Je reviendai sur ce thme anti-platoni-cien, qui nest dailleurs anti-platonicien quen appa-rence, puisque la structure de redoublement du relest au fond toujours la mme : cest Judy qui prend laplace de la doublure, de lapparence aante, maiscette place et la fonction quelle remplit sont conser-

    ves, et cest l lessentiel. Cette structure est compli-que, bien entendu, par le fait que derrire ces deuxfigures, il y en a une autre qui est comme leur diff-rentielle, savoir lactrice elle-mme, Kim Novak.Il est probable que sa prsence en filigane accen-

    tue dune pat lirralit de Judy (cest comme si KimNovak, identifie dans toutes nos mmoires Made-leine, ne pouvait que jouerla fille vulaire, et confrerdu mme coup son personnage une qualit duplice),tout en renforant dautre pat le sentiment que Made-leine a en soi la texture dune image, puisquen ellenous voyons immdiatement une icne du cinma,Kim Novak, confondue avec ce qui aua t un de sesrles les plus fameux (autrement dit, nous voyons uneactrice dans un film, et non un personnage dans uneaventure : cest Kim Novak dans son manteau blanc quisavance sur le seuil de lappatement de Scottie). Hit-chcock, plus peers que beaucoup dentre nous, etdont on a dit plus haut les sentiments mls quil avaitpour lactrice, aua sans doute eu lide inverse : en luifaisant incarner Judy, il croyait pouvoir prseer dfi-nitivement Madeleine-Gace Kelly de la souillure quereprsentait ses yeux la figure la fois dsiable etinsuffisante de Kim Novak. Manuvre paadoxale,puisque son rsultat immdiat est de laisser la figurede Judy contaminer insidieusement celle de Made-leine, par une sote deffet de contrecoup que les ten-tatives dsespres de ressusciter Madeleine en Judyne font quaccentuer1.

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    de Madeleine, mais de lavoir fait mourir pour usur-per sa place. Son crime est dtre Judy, cest--dire dentre rien. Le spectateur, pas plus que Scottie, ne peutlaccepter. Son existence mme est une imposture. Le

    simulacre, cest elle. Elle sea donc dtruite commepure apparence faisant can la ralit de Madeleine.L o Judy tait, Madeleine doit revenir. Il faut revenir la tour, il faut que Judy meure pour rejouer la motde Madeleine, et la faire vivre jamais. Ce nest pas letavail du deuil, mais laccomplissement dune pulsionde rptition qui se soldea peut-tre par la mot duhros lui-mme, que le dernier plan du film nous pr-sente chancelant au bord de labme3.

    Il reste poutant encore un pas faire, pour accom-plir la dialectique du double. Car ce qui vient dtre ditde Judy nannule pas ce qui avait t dit de Madeleine.

    Voici donc le troisime moment.Mais lessentiel du ta-vail a t accompli dans ce qui prcde, et si le derniermouvement est le plus spectaculaire, cest aussi le plusfacile excuter. Judy est un simulacre ; mais Made-leine tait dj une image. Il faut tenir les deux ensem-ble, et voir comment chaque figure chassant lautre,elles finissent par seffacer toutes deux. On ne stait

    Mais oublions un moment lactrice, et ces triviali-ts dialectiques ; essayons plutt de prciser ce sen-timent la fois insistant et opaque : tout se passe aufond comme si ctait Madeleine qui stait tavestie

    en Judy, plutt que linverse. Tout se passe comme siMadeleine stait grime pour chapper son ancienne

    vie ; comme si Judy ntait quune mauvaise farce, unavatar monstrueux de Madeleine, dautant plus mons-trueux quil est en fait quasiment indiscernable delle.

    Judy, ce nest pas lautre du mme (une figure inver-se de Madeleine, qui pourait la rigueur se conce-

    voir indpendamment delle), mais son altation sousla forme du double ou de la doublure. De sote que,dans la scne de la chambre dhtel o Judy appaatenfin pare de tous les attributs de la dfunte, bai-

    gne dans une sote de halo ou daurore borale quidoit autant au reard embu de Scottie quau non quibrille la fentre, je ne vois pas du tout une piphanie,ou une rsurrection dentre les mots. Cest plutt lap-parence trompeuse et inconsistante de Judy qui cdeenfin la place la relle Madeleine, la seule qui fut etsea jamais. Car seule Madeleine est relle du moinssi on lenvisage patir de Judy. De ce point de vue, lependentif de Carlotta au cou de Judy tahit moins lecomplot ourdi aux dpens de Scottie quil ne signe, demanire tangible, lunit substantielle du corps mta-morphos. De Madeleine Judy, il ny a jamais euquun seul corps celui de Madeleine. Le moment dervlation dnonce Judy comme apparence illusoire,en mme temps quil continue de nous la prsenterdans son inquitante ressemblance ressemblancedissemblante, absolument tange, unheimlich2. Mais

    justement, si le retour dange, la doublure est quant elle intolable. Et si Judy doit payer son imposture,ce nest pas pour stre invente une fausse identit,pour avoir incarn une femme imaginaire. Ce quelledoit expier, ce nest pas davoir feint Madeleine, maisde ne pas treMadeleine, qui seule existe. Son crimenest pas davoir compos une fiction en la personne

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    mme un peu dfachis, il faut bien lavouer). Appa-rence, image, simulacre, etc., sont taills trop largepour ce dont il est question. Ce nest pas en les recom-binant quon paienda ressaisir unfaux mouvement.

    Il faut se donner, comme disait Bergson propos dela pense philosophique, quelque chose comme une image mdiatrice4 ce que jappelleai ici un motif susceptible de dvelopper lintuition dans ses proprestermes, sans avoir quitter le terain mme du film.

    Jenvisage donc ce film comme un terain dopationspour formuler un problme plus gnal. En patique,

    cette statgie se taduia par une sote de contrepointformaliste quelques analyses clbres qui me paais-sent la fois brillantes et abstaites. Pourquoi for-maliste ? Cest, tout simplement (et dfaut dunemeilleure expression), que je cherche une forme sus-ceptible de morienter dans lespace ouvet par Vertigo.Mais ce mot ne veut videmment rien dire si on le con-

    voque seul. Il faut voir comment il fonctionne, quelsautres concepts il sapparie. Par forme, je nentendspas ici un principe doranisation global du sens ; pasdavantage une structure, ou un rgime de signes, mais

    quelque chose comme un invariant susceptible dedonner rtrospectivement une valeur aux dforma-tions qui le laissent intact. Une forme au sens gom-trique, donc.

    Un invariant, conu de cette faon, est toujoursformel. Mais notez bien, au cas o le terme de forme

    vous paatait encore trop lourd poter, que jauaisaussi bien pu dire motif . Et plutt que formaliste ,

    jauais pu dire maniriste , condition de recon-duire le manirisme sa formule philosophique quiidentifie, derrire un style, une compulsion mettre enscne ses propres procds tavers la disposition demarques ou de taces en elles-mmes asignifiantes5.

    donn lillusion de croire cette histoire (et la subs-tantialit dune de ces deux figures) quen oscillantapidement de lune lautre sans sarrter trop long-temps sur aucune. Mais si Judy est en effet le double

    de Madeleine, qui nest elle-mme quune image, lori-ginal est irrmdiablement perdu, et il ne nous restequune sote de miage biface. Judy et Madeleine nerenvoient lune lautre qu la manire des images vir-tuelles de deux miroirs placs en vis--vis. Cette intui-tion, ds quon cherche la formuler plus prcis-ment, se cristallise ainsi autour dun tange motif. Ladoublure est comme accroche au nant : elle na pasde revers, elle est face unique. Le thme de la han-tise se confond, tout au long du film, avec cette tangecondition topologique, celle dun double qui ne double

    que lui-mme, qui nest quune torsion sur soi.Ainsi se clt la dialectique du double ou de la han-

    tise : en queue de poisson. Des entrechats qui prc-dent demeure seulement le sentiment opaque davoirt doubl quelque pat, notre insu. Madeleine et

    Judy sannulent mutuellement et finissent par sva-nouir comme des ombres, mais un spectre rdeencore, qui est peut-tre justement la forme mmede la hantise. Inutile dinsister sur le rle mdiateur

    jou, dans le processus, par Kim Novak elle-mme. Ilne seait pas difficile de montrer en effet quelle est le

    troisime terme qui totalise chacun des moments pr-cdents dans le temps mme o ils se dtruisent lunlautre. Mais saisir le sens de cette dialectique impotemoins pour le moment que den construire la formeadquate. Quon se reprsente une rsolution possi-ble tavers la figure de lactrice iconique hantant lin-conscient des cinphiles, ou quon accentue au con-taire le ct spectal de cette affaire en sattachant aubasculement indfini, sans relve possible, de Judy Madeleine et de Madeleine Judy, il fauda biendans tous les cas que lintuition paadoxale du dou-ble trouve se formuler autrement que dans un simple

    jeu dides, une manipulation de concepts abstaits (et

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    cette proprit pour elle-mme, mais llment mmede la gnalit ressaisi dans la variabilit de ses ins-criptions, dans lefficacit de ses motifs. Disons, pourrsumer les choses, que le motif paticipe dune forme

    (ou dun motif exemplaire, prototypique) qui donnele principe de distribution dune srie, mais que cetteforme elle-mme se confond en patique avec les tans-formations qui font passer dun motif lautre.

    Peut-on ressaisir une telle forme localement, sansavoir dj dploy le groupe des tansformations quiconstitue lespace de la reprsentation, sans stredonn lespace o circulea le reard, sans avoirdcid, en somme, du sens gnal de ce quil y aua voir ? Cest une question impotante, qui est lho-rizon de cet exercice : celle de la possibilit dune

    pense vaiment locale des formes, et finalement delespace filmique lui-mme. Un rgime local de la visi-bilit, et pourquoi pas de la vrit (cest le projet dunBadiou aujourdhui), qui ne nous feait pas basculertrop vite dans la dsorientation ou le drglementde tous les sens , et qui nidentifieait pas non plustrop vite la vrit avec ce rgime de la reprsentationquil est convenu dassocier aux ides de dsocculta-tion et de prsence.

    Mais il y a une autre question, plus immdiate.Puisquil sagit de produire une lecture pagmatique

    du film (de voir comment le film lui-mme suggre sa manire une pagmatique), la question est de savoircomment traquerle motif. Or le propre du motif est desexposer une variation continue (comme en musi-que), et de se livrer dans une prolifation pafois enva-hissante, et mme monstrueuse. Pensez aux motifs quela main dessine mcaniquement, lorsquelle tient unstylo et que lesprit est occup tout autre chose ( uneconversation tlphonique, par exemple). Tout motif,toute chane de motifs est irrmdiablement entane,empote par une ligne folle, une ligne gothique ouseptentrionale, pour parler comme Worringer. Et pour -tant, sil y a lieu de parler de motifplutt que de tace,

    Prcisons. Il sea question de motifs, et plus paticu-lirement dun cetain motif gomtrique, dont lhliceou la spiale fournit une premire approximation. Maisun motif nest pas un chiffre, une cl dont lhermneute

    devait se saisir pour mettre au jour une significationocculte, ou enager je ne sais quel tavail danamnse.Le motif doit tre rejou et activ pour ouvrir uneautre intelligence du film, pour mettre en action ce quele reard naturellement oculocentrique (lexpressionest de Tom Cohen6) cas contre la suface ou happpar la perspective vetigineuse des plans oraniss parlintrigue, avec ses recoins et ses doubles-fonds , nar-rivait mme pas voir, et qui poutant, tout du long,crevait les yeux. Il y va dune intelligence non herm-neutique du film, qui ne taqueait pas le sens comme

    un principe dexcs qui nous enfonceait, force derumination, dans des states de plus en plus profondes.Le manirisme revendique donc une cetaine superfi-cialit. Un motif nest pas un symbole, loccasion dunapprofondissement rflexif de la signification duneuvre. Il dlie la matrialit de limage de toute fonc-tion mimtique ou mme indexicale, sans nous vouerpour autant un rgime de dplacements mtaphori-ques. Il doit seulement nous offrir, localement, des pri-ses pour nous orienter dans ce que je dcriais volon-tiers comme un champ dexprience ou plutt, le

    terain dune exprience venir dont nous navons pasencore les coordonnes.

    Ni chiffre, ni code, ni symbole, je ne diais cetai-nement pas non plus du motif quil est une allgorie(au sens de Benjamin). Peut-tre a-t-il quelque chose voir avec le concept gnrique de signature. Le motifest sign, autant quil signe une uvre. Mais il le fait un niveau qui nest pas celui du signe, de la lettre, ou dela tace erante. Il appelle un tavail didentification. Etcest pourquoi je ne vois pas mieux pour en parler quecette ide de forme : condition dentendre dansce terme, non linscription singulire dune propritgnale (ou dune intention, ou dun sens), ni bien sr

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    il faut bien tenter de saisir les opations qui orani-sent sa variabilit, cest--dire le type de connexion quitame ainsi un espace, de proche en proche7.

    Alors comment taquer le motif, comment larr-

    ter, ou du moins en isoler les contours, le schme, leprototype ? Je ne sais sil existe une technique gn-ale pour y paenir. Le motif sous lequel se place Ver-tigo, Hitchcock nous lenvoie en pleine figure ds lespremires secondes du film, dans le gnrique ralispar Saul Bass. Il sourd dun reard qui ne voit pas, dufond dune pupille qui nest dailleurs pas celle de KimNovak. Il fauda prciser cela, quitte renoncer assez

    vite au terme mme dhlice : car ici la dsignationest lessentiel, et une bonne patie du tavail consiste(comme le suggait Mao), rectifier les noms. Mais

    que lhlice soit en mme temps autre chose, quellesoit voue se tansformer, cest bien entendu dans lanature mme du motif.

    Reste que tout est donn demble, ds le gnri-que, la suface du film, suface qui est aussi celle duruban que droule le cinmatogaphe (je reviendaisur cette association immdiate). Le motif nappelleaucune archologie, aucune exploation des profon-deurs. Cest un embayeur. Il appatient, de droit, augnrique : il faut en faire quelque chose. Le motif estprospectif, cest nous de mettre au jour, cest--dire

    dactiver, le rseau de connexions quil oranise, pouren suivre les dveloppements et les amifications8.

    On a beaucoup crit sur la forme spiale, la formehlicodale qui est la fois lemblme du film et lamtaphore de son propre fonctionnement. Le mou-

    vement denveloppement concentrique de la spiale,la vrille dessine par lhlice, semblent naturellement

    convenir une intrigue torsade, pleine dimages enmiroir, de retours et de reprises. Alfred Hitchcock vous

    embarque dans un tourbillon de tension et de terreur ! :cest la formule quon pouvait lire sur le bandeau dunedes affiches originales du film, sa sotie. Sur uneautre affiche on voyait se dcouper, sur une tame de

    spiales semblables celles du clbre gnrique, lessilhouettes apparies dun homme et dune femme :comme si ces deux figures se laissaient littalementempoter elles aussi par le tourbillon, en chutant versle centre de laffiche.

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    Mais lassociation de la spiale au mouvementmme du film semble si naturelle, justement, quelleest gnalement rduite sa pure fonction voca-trice : ainsi, dans le gnrique, les spiales seaient

    une manire de nous appeler le vetige associ audsir ( le vertige creus par lamour , dit Jean-Fan-ois Matti), ou encore le tourbillon de la narationelle-mme, qui se dveloppe en revenant sur ses pas.Vertigo offre en effet lexemple canonique dune nar-ation diphase, oranise par une symtrie centale :un second scnario rejouant le premier sur un modeftichiste pour en construire rtroactivement la signi-fication oaculaire. Eric Rohmer y voyait, on y revien-da, le mouvement mme de lanamnse, fait de tours

    de vrille vers le pass.

    Mais quest-ce quune spiale ? Et quest-ce quunvetige ? Ces questions, curieusement, sont arementposes. On fait comme si chacun le savait, comme sitous entendaient la mme chose. Rien nest moins sr.

    La notion mme de spiale reste le plus souventassez vague : elle dsigne moins une forme dterminequune classe de figures gomtriques qui ont en com-mun cetaines proprits de symtrie, cetaines loisde construction ; elle dsigne dailleurs un mouvement(spial, tourbillonnaire) autant quune forme (hlico-dale) : mouvement denroulement autour dun centre,

    dun axe ou dun cylindre de rvolution.Quant la notion de vetige, elle est elle aussi trs

    large, et peut-tre rend-t-elle trop de seices la fois.Le terme, dans lusage couant, est presque homo-nyme. Les mdecins distinguent les vais vetiges desfaux, en nous mettant en arde contre la confusion quiconsiste dsigner du mme mot la sensation dinsta-bilit ou de tanage prouve dans les tats dbrit,lanxit ou la panique ressentie aux abords dun pr-cipice, une simple sensation dtourdissement, accom-pagne ou non de troubles visuels (voile noir, scintille-

    ments) ou de pete de conscience, enfin une illusionde mouvement sans dplacement rel. Seule la der-

    nire dfinition correspond au vetige stricto sensu, silon en croit les nomenclatures cliniques. Dans ce casdailleurs, la pete de connaissance est exceptionnelleet doit faire douter du diagnostic de vetige. Mais de

    quel mal souffre exactement Scottie ? Et quel type despiales a-t-on affaire, dans le gnrique, et plus large-ment tout au long du film, envisag dans sa forme dex-pression comme dans son contenu ?

    Les spiales dabord. Je dois avouer que je nen voispas beaucoup dans ce film, mais ce nest peut-tre pasle problme : on nest pas tenu de voirun motif, il suffitde sentir sa prsence diffuse sous les formes les plusimprobables. Il y a cetes le chignon de Madeleine,qui rpond celui de Carlotta Valds, telle que nousla reprsente son potait. Et un escalier en colima-

    on dans la tour de lancienne mission espagnole. Il y abien sr des figures concentriques (la coupe du troncde squoa), et aussi toutes sotes de mouvements cir-culaires (les longs parcours en voiture dans les ave-nues de San Fancisco). Mais des spiales en bonneet due forme, des spiales enroules sur elles-mmes,comme une hlice descargot ou les lignes de dpres-sion dun votex ? Il faut faire beaucoup deffots pourles trouver. Cetes, le gnrique prsente un encha-nement de formes qui sapparentent des hlices enmouvement. Mais ce qui fappe, cest moins lenrou-

    lement lui-mme (vrille, spiale) que la torsionquelleimprime aux sufaces. Car nous avons affaire des sur-faces, des rseaux de lignes serres, formant des ta-mes souples. Il faut donc penser en deux dimensions,et mme en trois, puisque ces sufaces dessinent pro-gressivement des volumes.

    Saul Bass, qui a ralis lanimation gomtriquedu gnrique, a t assist de John Whitney, un matrede lanimation abstaite. Il a choisi de tavailler par-tir de formes paticulires : pas du tout des spiales, enloccurrence, mais une combinaison de courbes appe-

    les ondes de Lissajous (du nom du mathmaticienqui les a dcouvetes). Ces formes (ondulantes, donc,

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    de type ovale ou ovode) correspondent des signauxsinusodaux dont on peut recrer lallure en utilisantun pendule dont le mouvement saffole, un pendulequi auait le vetige en quelque sote9.

    Il faut suivre attentivement le dveloppement deces courbes dans le gnrique, la manire dont ellespassent les unes dans les autres. Au bout de quelquesminutes, ce ne sont plus des spiales, ni des hlices,mais des rubans qui reviennent sur eux-mmes dansun mouvement denveloppement. Des boucles tan-ges se forment autour dun centre invisible, sans que

    jamais aucun nud ne se noue. Ce ballet gomtriqueesquisse des formes de coquillage, des formes hlico-

    des. Obseez-les bien, et vous verrez bientt appaa-tre, au milieu de ces courbes serpentines, une figurefamilire : la boucle ou le ruban de Mbius. Cest lemotif-matre, la forme gnatrice qui enveloppe etrsume tous les autres.

    Mais revenons un moment au vetige. De quel malsouffre exactement Scottie ? Le film est trs clair cesujet : il souffre dacrophobie10. Horreur ou terreurpanique des hauteurs, quon distinguea de la peur desgands espaces (agoaphobie). Mais vai dire, le plusimpotant ici nest pas tant la hauteur elle-mme que

    le appot la profondeur quelle manifeste. Le ver-tige est une illusion (voire une hallucination) de mou-

    vement, une illusion de mouvement sans dplacementrel. On lentend en gnal au sens du vetige giatoire(vetige vient de vertere, tourner) : soit que le sujet sesente tourner lui-mme comme une toupie, cas du ver-

    tige subjectif, soit quil voie le monde tourner autourde lui (comme on le verait depuis un carrousel), casdu vetige objectif. Mais les accs de vetige dont souf-fre Scottie relvent dune espce plus are : i l sagitdune impression de dplacement linaire. Ce type de

    vetige peut impliquer un dplacement latal, antro-postrieur, ou encore et cest le cas de lacrophobie

    vetical. Le vetige sapparente alors une sensation dechute ; i l saccompagne de symptmes divers : anxit,nauses, pleurs, sueurs froides Peu impote ici lesorigines de ce trouble. On voque souvent lappareil

    vestibulaire de loreille interne, qui a pour fonction derguler lquilibre, et plus gnalement la stabilisa-tion du corps dans son espace environnant. Le vetigepeut aussi avoir sa cause dans un trouble neurologi-que, dorigine infectieuse, vasculaire ou tumoale. Maisoutre les vetiges dorigine somatique, il y a les vetigesdorigines psychiques. La psychanalyse nous les pr-sente comme des pathologies de la relation. Le vetige,seait une forme de somatisation de lexcitation libidi-nale (Freud, dans Anxit et vie des instincts ). Plusprcisment, ce seait une manire de somatiser lan-

    goisse qui accompagne une relation de type fusion-nel avec un objet. On parle dans ce cas dangoissedanantissement ou dengloutissement, et de vetigepar fusion . Mais le vetige peut aussi manifester uneangoisse symtrique : langoisse non plus de lanantis-sement mais de la chute, lie la distance ou au videqui spare le sujet de lobjet de son dsir. On parledans ce cas dun vetige par attiance du vide . Carcette angoisse, cest bien connu, se redouble dun obs-cur dsir de sauter dans le vide11. Cette attiance dugouffre est suggre ds la scne douveture de Ver-

    tigo,qui nous montre Scottie suspendu la gouttireet contemplant dun air effar la profondeur du vide

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    sous ses jambes ballantes. Souvenons-nous aussi delavetissement prmonitoire de Midge : only ano-ther emotional shock would do it, and probably wouldnt.Youre not gonna go diving off another rooop to find

    out! On ne sauait tre plus clair.Peu impote linterprtation (au sens analytique)qui vient se greffer naturellement sur le vetige. Ce quiimpote ici, cest la forme trs singulire du symptmelui-mme. Lacrophobie de Scottie, son vetige linaireet vetical, correspond une illusion de mouvementdun genre assez are. Pour en rendre limpression,pour en capturer leffet, Hitchcock a utilis pour loc-casion une astuce qui a fait date, le tavelling com-pens . En ralit, il y pensait depuis bien lontemps,prcisment depuis une mmoable cuite du bal de

    Chelsea At, lAlbet Hall de Londres : ce soir l, ilavait soudain senti que tout sloignait de lui, trs loinet trs vite. En se seant simultanment de la dolly etdu zoom, en combinant donc un tavelling arrire unzoom avant trs apide, il obtient dans Vertigo leffet dedistorsion qui permet de donner limpression de cettedrobade de lespace entier sous le corps du sujet. Peuimpote ici que cette soudaine fuite ou distension delespace ait lieu horizontalement (comme sur un tapisroulant) ou veticalement (le sol se drobe sous lespieds) : on sait que la scne des escaliers fut tourne

    patir dune maquette place lhorizontale. Scottiesouffre dacrophobie, et leffet de tavelling compensconvient pafaitement son tat : dsorientation, mixtedattaction et de rpulsion. Mais avoir le vetige, dansson cas, ce nest pas simplement avoir peur des hau-teurs ou des profondeurs, cest voir simultanment lesol se drober sous ses pieds, et les distances sca-ser sur un seul plan. Lespace glisse sur lui-mme dansun appot dindiscernabilit entre le proche et le loin-tain. La cama sloigne, mais le champ se rtrcit propotion, do le sentiment de malaise : la taille des

    lments du dcor reste inchange, tandis que la pers-pective se dforme sous leffet de la variation de la dis-

    tance focale ; la cage descalier sallonge et se tord, sansaltation du cadage. Lespace avance et seffondre enmme temps. Perspective dpave , auait pu direBaltruisaitis.

    Cet effet spcial figure peut-tre un mouvement spi-rituel : la vrit (ou lobjet du dsir, ce qui ici revient aumme) reculant mesure quon avance vers elle. Maisil y va dabord, comme lcrit Merleau-Ponty propos

    des troubles de la perception de lespace induit par lamescaline, dun trouble plus gnral qui concerne lar-ticulation des phnomnes les uns sur les autres12. Si ceproblme concerne la connaissance, cest en un sensdriv : il sagit, plus profondment, de la vie totale

    du sujet, [de] lnergie avec laquelle il tend vers un avenir travers son corps et son monde, selon le mouvementexistentiel qui correspond ce quon pourait dsignercomme une fuite en avant. Il y a une distance vcuequi me relie aux choses et aux tres qui comptent pourmoi, et qui les relie entre elles ; cette distance mesure

    chaque moment l ampleur de ma vie. [Le] mouve-ment vers le haut comme direction dans lespace physique

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    et celui du dsir vers son but [comme le mouvement versle bas et lattirance du gouffre, pourrait-on ajouter] sont

    symboliques lun de lautre, parce quils expriment tousdeux la mme structure essentielle de notre tre comme

    tre situ en rapport avec un milieu , cest cette structurequi donne seule un sens aux directions du haut et du basdans le monde physique13.

    Il faudait donc demander lexprience elle-mme (et celle du film) son propre sens, et pour celatenir ensemble la spiale et le vetige : ressaisir les for-

    mes cinmatogaphiques du vetige comme une tans-formation continue du motif de la spiale. Ce nest pasla voie quont gnalement choisie les commenta-teurs, mme les plus illustres. Il faut croire que Vertigoest un film trop profond, trop manifestement sotri-que, pour soutenir une lecture de ce genre.

    Il ny a pas gand chose ajouter la lecture pro-pose par Jean Douchet14. Elle paat tout simplementextavaante, et de fait elle ne nous dit rien de prcissur lIde occulte dont luvre est issue, et qui commeil est de rgle chez Hitchcok, se manifeste ds le premier

    plan : des spirales colores envahissent lcran et effec-tuent leurs rvolutions cosmiques sur fond de tnbres.Ces spiales la fois descendantes et ascendantes, sontlillustration de la double spirale sotrique, symbole du

    plan divin de lvolution. Admettons. Quant au vetige,il taduit une attirance occulte vers le gouffre, et lors-que Scottie sexerce le vaincre dans lappatement deMidge ( I look up, I look down ), le sous-entendu ,pour Douchet, ne fait aucun doute : il faut comprendreje veux embrasser ltendue complte de lesprit. Cestun projet lucifrien, car il est entendu que vaincre le

    vertige qui dans le contexte sotrique actuel est celui de laconnaissance totale implique la volont de saisir le pour-

    quoi des Tnbres, donc de percer le Plan divin, et par con-squent, de se substituer Dieu pour, soi-disant, le sauverde Lui-mme. Rien de moins. Passons.

    On peut vouloir chercher plus sobrement, comme

    la fait Fanois Regnault dans Systme formel dHit-chcock , des principes purement formels, noncs dunpoint de vue structural 15. Cest la voie structualiste ouformaliste. Et Hitchcock, comme lont bien vu Roh-mer et Chabrol, est lun des plus grands inventeurs de

    forme de toute lhistoire du cinma. Deux axiomes gui-dent cette lecture : Le film tend sorganiser selon une

    forme principale (gomtrique ou dynamique) ; il tend devenir mtaphore (du contenu) de ce film particu-lier. Mais du mme coup, le film devient mtaphore

    du cinma en gnral. Regnault appelle que cest en

    ce sens que Jakobson parlait dautonymie : lorsque lemessage renvoie au code.

    Le reproche quon pourait adresser cettemanire daborder les films, et singulirement Vertigo,dont on aua compris que la forme principale pourRegnault est la spiale, cest quelle est immdiate-ment trop mtaphorique et en mme temps si gnalequelle en finit par tre simplement superficielle. Ainsi,lexemple qui vient lappui de la notion dautonymieest que le film se droule se droule comme un ruban ;il senroule comme une bonne bobine. Dautres ont vu

    dans la page la mtaphore de la littature ; Mallarmdonnait lexemple. Mais le ruban et la bobine donnentune bien pauvre ide du cinma et de ses puissances.De quel film ne peut-on dire en effet quil se droule ?Et de quel ruban parle-t-on, dailleurs ? Regnault, entous cas, pense quil y a l plus quun jeu de mots. Apropos de Vertigo, il explique que le hros est doncroul, et aussi embobin (et au point o forme et contenu

    se rejoignent en une mme mtaphore, de tels jeux de motssont fonds). Cetes, mais alors il faut reconnatre que tout film est une bobine qui enroule une histoire. Tout

    film est un tel vertige, une telle boucle. Cest entendu,mais quoi bon le dire ?

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    Revenons la mtaphore, car cest l quest peut-tre le problme. Tout se passe en effet comme si laspiale tait en fait un patron indtermin pour uneclasse deffets htrognes, au niveau de lexpression

    comme du contenu, effets qui sont moins dduits de la forme principale du film quils ne sont assemblspar induction, en fonction de lide ou du sentimentdominant quils manifestent. Ainsi Vertigoest prsentcomme l histoire dun vertige (celui dont le hros est

    atteint), mais aussi dun enroulement (il suit une femmeen voiture en tournant en rond dans San Francisco ; elle a

    dans les cheveux une boucle en spirale qui compte beau-coup dans lhistoire), car dans lintrigue le milieu rejoint

    petit petit le dbut lorsquil sagit de faire concider lafemme numro 2 avec la femme numro 1, qui est en fait

    la mme.La forme principale sapplique donc ple-mle

    un trouble de la vision, des tajectoires suggrs pardes plans ou des corps mobiles dans ces plans, la dis-position et la forme concrte dune chevelure, unestructure narative qui fait revenir le rcit sur ses pas mi-course. Accordons que tout cela obit au prin-cipe de la spiale. Mais comment agit ce principe ? Le systme formel se rsout finalement en un dcodagelui-mme bien peu systmatique du jeu dchos mta-phoriques qui renvoient dun plan lautre, dune srie

    lautre (srie matrielle des corps et des tajets ins-crits dans lespace ; srie idelle des affects, des ides,des relations psychologiques). Mais comment passe-t-on dun motif lautre, quelle est lopation qui lesenchane, au sein dune mme srie et dune srie lautre ? Tout se passe comme si la mthode struc-tualiste ntait pas tenue de le dire : elle se contenteici de appoter les sries les unes aux autres, chargepour chacun dinterprter le lien. Regnault pouraitdailleurs se rclamer de lide selon laquelle le struc-tualisme est avant tout une mthode didentification

    des signes, avant dtre une explication par les struc-tures16. Il est clair cependant quici les dimensions a

    priorihtrognes numres plus haut (du vetige lastructure narative, en passant par le chignon) ne trou-

    vent leur unit formelle dans la spiale qua posteriori,en fonction du choix qui a t fait dune signification

    dominante qui oranise tous les plans. Cette significa-tion est donne par une mtaphore, celle du vetige, desote que cest le contenu (ou un lment du contenu)qui oranise en sous-main la forme entire du film eninjectant de la signification dans ce qui se prsentaitdabord comme un exercice formel, proche de labstac-tion gomtrique. La forme principale est maintenuedemble dans la dpendance dune mtaphore domi-nante, le vetige. Mais ce dernier est pens, simultan-ment, comme un trouble sensori-moteur etcomme unefigure du dsir. Car il faut que linterprtation soit suffi-

    samment fote pour seir de liant et faire tenir ensem-ble les motifs les plus dispaates17. Il faut dire que lamtaphore du vetige rend bien des seices : elle nese contente pas de donner un semblant de cohrence la srie des motifs spials, elle structure aussi tout un

    jeu doppositions formelles o la veticalit symbolisece qui interdit ou arrte le dsir tourbillonnant. Ainsila tour de la mission espagnole, ou encore la juste-ment nomme Coit tower que Scottie aperoit depuisson appatement, signale la fois le phallus et la cas-tation ; sans oublier la mot, puisquune tour, relle ou

    rve, est faite pour quon en tombe Lanalyse struc-tuale peut ainsi rejoindre, dans sa superficialit mme,lapproche sotrique et sa passion du dcptage et delinterprtation.

    Le meilleur moyen de perdre la forme, ou dela brouiller, est de la saisir demble dans les ter-mes dune mtaphore dominante. Pour dnouer lelien mtaphorique, demandons-nous concrtement :quest-ce quune spiale ? et quest-ce quun vetige ? Entenant, bien entendu, ces deux questions ensemble. Aufond, le problme de la lecture formaliste est quelle ne

    va pas assez loin. En identifiant demble des mtapho-res, elle tient encore spars la forme de contenu et la

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    forme dexpression. Elle ne slve pas jusqu lintui-tion dune forme qui seait rellement constitutive deses contenus dun dsir qui se constitueait commehlice, et qui constitueait du mme mouvement les

    objets sur lesquels il se fixe (par exemple, le chignon-votex de Madeleine, si lon accepte de le penser autre-ment que dans le appot mimtique qui le lie au por-tait de Carlotta Valds ; mais aussi bien Madeleineelle-mme, si lon accepte dy voir autre chose quunrle invent par les comploteurs, ou quune pure pro-

    jection fantasmatique de Scottie). ce faux structualisme on prfrea une lecture

    non pas superficielle, mais de suface. Car en vrittout est donn, tout est sous nos yeux. Il ny a riendsotrique dans un film comme Vertigo. Cetes, il

    entre une pat de qute initiatique dans laction. Maisle mystre auquel se trouve confront Scottie ne faitpas de Vertigoun film mystrieux. Le film, tel quil sof-fre nous, nous qui ne sommes pas Scottie, nous quiavons t dsabuss au milieu du film, une heure avantle hros, noffre aucun mystre paticulier. Il faut dire,comme Wittgenstein : il ny a pas dnigme. Ou alorsil faut sentendre sur les mots : il y a peut-tre unenigme qui persiste, qui suit au dnouement, maiscest quelle nappelle justement aucune rsolution. Cenest pas un mystre percer, une vrit rvler, mais

    un problme,une Ide-problme que les personnagesrencontrent en chemin, qui passe ou sincarne en eux,et qui se prolonge au-del du film. Cette nigme estcelle du double, ou de limpossible concidence soi :cest lnigme de Judy.

    Rohmer lavait bien vu : Vertigopousse en savoirde plus en plus, et cest pourquoi, tout prendre, lavoie mtaphysique quil emprunte est encore prf-able aux demi-mesure dun structualisme qui nesen tient quaux rsultats . Le texte auquel je penseest initialement paru en 1959 sous le titre lhlice et

    lide18. Au lieu de patir dune forme principale quioraniseait un rseau denchanements mtaphori-

    ques, Rohmer cherche lintuition centale du film dansun processus de nature abstaite (pas plus gomtri-que que dynamique, en ralit). propos de Fen-tre sur cour,de Lhomme qui en savait tropet de Sueurs

    froides, il explique : Le ressort de laction ne sera plusconstitu par la marche des passions ou quelque tragiquemoral [] mais par un processus abstrait, mcanique,

    artificiel, extrieur, du moins en apparence.[] Ce nestpas lhomme qui constitue llment moteur, mais la formemme de ces tres formels qui sont lEspace et le Temps.

    Nous fanchissons, avec Rohmer, un pallier dabs-taction. Nous passons de la forme gomtrique oudynamique la forme mme de lespace, ou du temps.Il est essentiel, de ce point de vue que dans chacun deces films les hros sont victimes dune paralysie relative

    au dplacement dans un certain milieu. On reconnatl lorigine du thme deleuzien de la crise de limage-action. Mais de quel milieu sagit-il, dans chaque film ?Rohmer rpond : lespace pour Fentre sur cour (la

    jambe pltre de James Stewat, immobilis et tans-form en appareil denregistrement) ; la connaissance(cest--dire lignoance) pour LHomme qui en savaittrop ; enfin le temps (celui de la rminiscence) pourVertigo, gand film platonicien, puisquon y apprend,si on ne le savait dj, que connatre, cest se ressou-

    venir. On ne connat quen rejouant, quen redoublant

    un premier coup lui-mme insaisissable. Le film toutentier devient ainsi parabole de la connaissance.

    Or, curieusement, de lanalyse se trouvent escamo-ts la singularit de lespace comme celle du vetige. Ce

    vetige qui poutant nest pas simple tourdissement,mais comme on la vu, appot lespace comme tel,acrophobie, horreur du vide, phobie de la hauteur oude la profondeur comme telles, Rohmer ne sy attardepas. Il place demble la discussion sur un terainmtaphysique. Au-del du fameux suspense hitch-cockien il voit une dialectique dIdes. La machination

    capuleuse dont Scottie est la victime un peu consen-tante, est le prtexte dune dmonstation mtaphy-

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    sique concernant ltre de lEspace et du Temps dansleur appot la Vrit autrement dit, le jeu des appa-rences et de la ralit, plus intressant que les fauxsemblants et les rvlation que nous rsee la fiction

    cinmatogaphique. Le problme de Scottie se prcisealors : ce quil dsire, ce quil aime, ce nest pas unefemme relle ; mais ce nest pas davantage une simpleapparence, une image trompeuse. Cest une Ide, dontle mode de manifestation implique toute une taversedes apparences, chaque apparence renvoyant la sui-

    vante dans un mouvement rtrospectif danamnse, deremonte vers un pass dont lattiance inexplicablede Madeleine pour son anctre Carlotta Valds indiquedj la direction.

    Les plans sagencent naturellement en suivant cette

    hypothse. Cest finalement la forme temporelle delanamnse qui commande celle de lespace du dsir ou de la hantise, ce qui revient ici au mme. La ta-

    verse des apparences tace en effet une tajectoireen boucle : Scottie est un esprit dont la nature est detourner en cercle. De ce point de vue, la scne de lha-billage chez le couturier, o Scottie, comme un Pygma-lion, cherche ressusciter le corps glorieux de Made-leine en paant Judy de tous les attributs de la dfunte,met en abme le film tout entier (Hitchcock voyait l la situation fondamentale du film).

    La forme de la spiale, ou plus exactement []lhlicode, se dage naturellement de ce mouve-ment de taverse des apparences. Elle en est, nonpas la mtaphore, mais le symbole. Et Rohmer a ai-son de maintenir et dassumer lindtermination dela forme en parlant d hlicode : ce nest ni la spi-ale, ni vaiment lhlice, mais une classe de figuresqui peuvent se dduire les unes des autres par un jeude tansformations rgles, limage des formes mou-

    vantes du gnrique. Il ny a donc pas de forme prin-cipale oranisant ou structuant tous les plans du

    film, mais quelque chose comme un diagamme abs-tait, un schme gnateur qui oriente le dveloppe-

    ment de tout un groupe de formes apparentes, quoi-que dissemblables.

    Rohmer a lhonntet de le reconnatre : propre-ment parler, nous ne trouvons que deux spirales matriel-

    lement figures dans tout le film. Il sagit de la mchede cheveu, et de lescalier de la tour. Pour le reste, lh-lice sera idale, suggre par son cylindre de rvolution.

    Ainsi la vue des rues de San Fancisco cadre par lepare-brise dune automobile, la vote des arbres deMuir Woods, ou encore les corridors et les passages(la pote de seice du fleuriste, le couloir qui mne la salle du muse o se tient Madeleine, le corridordans le cauchemar de Scottie, etc.). Il faut bien recon-natre que la forme gomtrique, et mme le mouve-ment dynamique quelle induit, sont au fond moins

    impotants ici que la fonction gnale quils remplis-sent : celle de suggrer le mouvement purement no-tique, le mouvement tanscendantal dun sujet quidsire la vrit, autrement dit dun sujet de la connais-sance. Les passages obscurs, les sombres couloirs, leposte dobseation automobile qui permet Scottiede viser la ralit tavers un pare-brise, tiennent lafois de la Caverne et de la voie initiatique. Cest l les-sentiel, et Rohmer nous met en arde : La gomtrieest une chose, lart une autre. Il ne sagit point de retrouverune spirale dans chacun des plans de ce film, comme les

    ttes dhomme quon propose en devinette dans les dessinsdes frondaisons . Ce qui compte, ce sont les coupsde vrille vers le pass, autrement dit, les mouvementspurement idels dun sujet de la vrit spialant ta-

    vers les ombres.La force de cette analyse est de refuser de se laisser

    enfermer dans aucune figure dtermine, aussi char-ge dassociations mtaphorique quon la suppose.Mais cette force a pour contrepatie une abstaction siadicale quelle risque de nous fait respirer un air unpeu trop pur. Ides et formes suivent la mme route,

    crit Rohmer. Mais il faut avouer que dans son ana-lyse, cest lIde qui commande lanatomie des formes.

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    LIde donne le mouvement, la forme suit en faisantcomme elle peut. Est-il possible, sans tahir lintui-tion de Rohmer, de tenter de ressaisir plus spciale-ment le mouvement de diffrenciation par lequel les

    formes donnent une visibilit au processus abstait qui est le vai sujet du film ? Il faudait peut-tre, poursen approcher, renoncer provisoirement au temps dela rminiscence pour sintresser directement, et sansmdiation, lespacede la hantise. condition de nepas retomber dans la mtaphore. condition de ta-

    vailler sur pices, de se rendre attentif au dtail et auxdiffrences singulire, plutt quaux principes gn-aux ou aux formes gnriques censes subsumer desclasses dquivalence, ou des sries.

    Il sagiait alors dopposer la qute initiatique et auxpripties de lanamnse une preuve plus trouble,dont on a vu quelle se confondait avec celle du dou-ble comme altation indiscernable. Il sagiait doppo-ser du mme coup lide du Mystre ou de lnigmeinsistante dont Madeleine est le chiffre, celle de ladiffrence pure, pour ainsi dire non conceptuelle,incarne cette fois-ci par Judy. En somme, lappro-

    che sotrique ou mtaphysique, comme lappro-che structualiste, qui ont pour point commun dtredes approches mtaphoriques, il faudait opposerune approche plus attentive la texture du film, uneapproche qui seait la fois phnomnologique ettopologique. Phnomnologique, puisquil sagiait dene pas trop se hter didentifier dans le phnomne du

    vetige une mtaphore du dsir ou du film lui-mme,pour sintresser plutt au phnomne du vetige, autaitement singulier que lui rsee Hitchcock avec lesmoyens propres du cinma. Topologique, puisque ce

    qui compte est moins la figure gomtrique (spiale ouhlice) que la type despace quelle suggre.

    Sur ce dernier point, tout reste faire. Mais il estclair que figure du ruban de Mbius, ce ruban bou-cl sur lui-mme mais qui, par le simple effet dunetorsion, se prsente comme une suface face uni-

    que, est alement un espace non orientable. On nepeut y dfinir aucune orientation globale. Localement,cest toujours possible, mais il ny a pas moyen dindi-quer une direction globale de lespace. Dcoupez unefigure localement oriente (un L par exemple), et faitesla glisser le long de cet objet monoface ralis par-tir dune simple bande de papier : elle revienda sonpoint de dpat, mais inverse (la barre horizontale duL pointant dans lautre sens), chaque tour de bou-cle. Cette topologie aberante, qui permet de redou-bler un objet en le faisant revenir moyennant une alt-

    ation imperceptible, est un espace de dsorientation19.Le gnrique suggre dailleurs sur ce thme quelquesvariations intressantes, puisque les sufaces de rvo-lution de ces coquilles abstaites voquent aussi desbouteilles de Klein ouvetes ou enroules en 820.

    Vertigonest poutant pas un film danimation abs-taite. Il faut donc supposer que la forme du type ruban de Mbius et la classe de motifs quelleordonne imprgnent lensemble du film, y comprisles plans qui naffichent aucune espce de construc-tion gomtrique. Revoyons Judy habille en Made-leine, aprs quelle ait enfin accept de amasser sescheveux en chignon : la voil qui savance un peu au-chement, sans assuance, vers Scottie qui lattend prs

    de la fentre. Dans cette scne qui est comme le som-met du film, cest Madeleine qui revient, il ny a pas

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    de doute. Et poutant tout dans son allure la tahit ;tout montre quelle ne concide pas exactement avecelle-mme. Cest comme un boug imperceptible, quila dcolle delle-mme et la maintient distance de

    limage quelle cherche aler. Comme dans le textede Kleist sur le thtre de marionnettes, il ny a pas demoyen plus sr de faire fuir la gce que de repren-dre la pose consciemment. De sote que nous sommespatags entre deux ractions : dun ct, cest bienMadeleine qui clipse un instant labsurde Judy ; maissimultanment, il est difficile dchapper au sentimentque cette Madeleine ressuscite dentre les motsna aucune consistance, quelle nest quune copie decopie, un pur simulacre, loign de la ralit de deuxdegrs, comme lest dans la Rpublique de Platon la

    reprsentation du lit par latiste. Le boug, lesquive,la drobade du rel, cest le thme constant du film,dont le vetige lui-mme, qui se manifeste comme unedrobade des coordonnes de lespace habituel, nestfinalement quune manifestation parmi dautres avantdtre la mtaphore de tout ce quon vouda. Nousnous attendions entrevoir lautre face dont Judy nestquune doublure. Mais Judy-Madeleine est une figuremonoface. Lorsquelle cde au dsir insistant de Scot-tie et quelle accepte dincarner une dernire foisMadeleine, Judy ne peut quesquisser une pnible tor-

    sion sur elle-mme, torsion qui finalement revient aumme, mais sous la figure irrelle de lautre, quel quesoit le sens dans lequel on simagine dcrire la boucle.

    Revoyons une autre scne encore, et non moinsclbre, celle de la premire apparition de Madeleine,chez Ernies. Elle quitte la table et passe devant le baro Scottie est assis. Voici son profil qui se fige un ins-tant : cest Scottie qui la fixe, qui lpingle littale-ment sur les tentures du restauant. Et puis vient cette

    volte-face tange : Madeleine se retourne dun coup,dans un sens puis dans lautre, avant de reprendre son

    chemin, tandis quun plan insr nous montre Scottiedtournant la tte pour viter son reard. Il ny aua eu

    aucune croise des reards, aucun eye contact . Cettescne qui est souvent prsente comme un des gandsexemples de coup de foudre cinmatogaphique est enralit une scne desquive. Cest en ce sens quelle fait

    cho la scne finale, au sommet de la tour, scne par-faitement non conclusive en dpit de la belle symtriequelle suggre. Scottie et Madeleine ne se sont pas vus.Le dsir de Scottie sest cristallis autour dun pointaveugle, ou dun angle mot. Il naua dsormais plus faire qu des doubles. La boucle jamais ne se bou-cle : elle revient seulement sur elle-mme avec un lgerdcrochage, une imperceptible inversion du sens.

    Premire hypothse: la forme principale, la forme gn-atrice de Vertigo, qui est indissolublement forme decontenu et forme dexpression, nest pas du tout mta-phorique ; elle est dailleurs dj une proposition des-pace. Cest le ruban de Mbius, suface non orienta-ble propice la saisie, dans une intuition unique, deltange syntaxe du ddoublement ou de la doublure.

    Deuxime hypothse: le vetige de Scottie est moinsli la chute ( lattiance pour les gouffres), qu ladsorientation.

    Troisime hypothse, par laquelle on avait com-menc : lnigme de Vertigo, la femme irrelle, cenest pas Madeleine, cest Judy. Judy est un person-nage invaisemblable, dont lexistence est immdiate-ment douteuse. Elle a linconsistance des revenants. Etle problme de Vertigonest pas celui de limpossibledsir, ou de lillusion : cest le problme du double.

    Si lon prenait le temps de dvelopper patiemmentces hypothses, on verait tout ce qui spare lespacede la hantise dun espace imaginaire. Je nai pas parl

    de latmosphre fantastique qui rgne dans les lieuxdsets du San Fancisco recr par Hitchcock. On a

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    voqu souvent (et encore rcemment dans lexposi-tion Hitchcock et lat du Centre Pompidou) les affi-nits de luvre avec Dante, Poe, les pr-Raphalites,Bcklin, Hopper, le surralisme. Le film est naturel-

    lement satur despaces angoissants ou irrels : ruesdsetes, architectures mtaphysiques la De Chi-rico, maisons hantes (la pension McKittrick), fortssilencieuses et sombres, etc. Mais lespace de la han-tise ne se rduit aucune de ces reprsentations : cestcelui que dfinit la structure topologique du ruban deMbius, un espace non orientable o les objets fami-liers font retour, identiques mais non superposables,dautant plus inquitants quils sont presque indiscer-nables de leur premire occurrence21. Encore une fois,lespace de la hantise nest ni symbolique, ni mtapho-

    rique, ni allgorique. Il se confond finalement avectous les relais disposs par la manie gomtrique duralisateur pour faire cho la figure du double. Duballet de spiales du gnrique aux enttants effets detavellings compenss de la dernire monte desca-liers, il ne sagit que de suivre les motifs.

    1 Puisque ces prambules dialectiques sont noncs en mode subjectif,autant y aller franchement : je suis partag entre le charme indniable quise dgage de Kim Novak-Madeleine, et une gne qui sapparente parfois

    un sentiment de dgot, lorsquau dtour dune moue ou dun sourirecurieusement tordu et fig, dvoilant un peu trop nettement la rangeinfrieure des dents (comme chez un petit rongeur), se manifeste parclats une forme de bestialit qui annonce dj, sous la beaut glace etaristocratique de la mystrieuse inconnue, lallure vulgairement sensuellede Judy Barton. Hitchcock nous rappelle avec une certaine malice que cettedernire ne porte pas de soutien-gorge, ni par consquent lactrice quilincarne lcran. Je ne me permettrais pas ces remarques cabotines sielles ne me paraissaient pas relever pleinement du dispositif mont par lecinaste. 2Rappelons que linquitante tranget, telle que la dfinitFreud, nest pas la dsoccultation de quelque secret enfoui, trange en

    soi, mais le retour, sur le mode de ltrange, de ce qui est connu ou fami-lier. Ce qui est inquitant, ce nest pas ce qui revient, cest le retourlui-mme. Cest la rptition, autrement dit la revenance, qui produit cet effetdtranget dans le quotidien : le retour du mme comme diffrent(puis-quil revient). On sait que cette affaire nous renvoie, plus profondment,dune part la compulsion de rptition (dont on voit bien quelle orga-nise tout le film), et dautre part la pulsion de mort (Madeleine ne vitque dans lhorizon de la mort de son double, Carlotta). Voil qui est dit,pour ne plus avoir y revenir. 3Jai bien conscience que ce nest pasexactement ainsi que Scottie voit les choses. Mais enfin je ne suis pasScottie, et je nai pas lhabitude de voir les films par les yeux de leurs per-

    sonnages. Essayons tout de mme un instant. On pourrait dire que Scottiea besoin de croire Judy pour ressusciter une dernire fois Madeleine enlhabillant sa ressemblance ; ou encore, quil a tout de mme besoin decroire un peu en Judy pour faire le deuil de Madeleine (songez aux deuxrpliques qui encadrent laveu de Judy, juste avant sa chute finale : Jetaimais tant, Madeleine ! / Cest trop tard, il ny aucun moyen de laramener ). On pourrait dire aussi, plus s implement, quayant dcouvertle pot aux roses, il veut faire payer Judy (relle ou non) la souffranceque lui a cot son amour pour Madeleine. Chose remarquable : lorsquonse met penser tout haut la place des personnage, il est difficile de nepas succomber aux plus plates spculations psychologisantes. Mais encore

    une fois, nous ne sommes pas Scottie. Scottie ne voit pas le film. Lacamra subjective et les effets de travelling compens ne suffisent

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    pas nous donner le vertige. Et ceux qui sont hants, leur tour, parMadeleine, le sont en tant que spectateurs dun film. Il ny a que les criti-ques de cinma qui semblent parfois loublier quand ils se mettent raconter un film comme sil sagissait dun roman. Cest prcisment de cet

    cart (entre le spectateur et Scottie) que jaimerais repartir, non pour lerduire, mais pour le faire travailler pour ne pas me laisser emportertrop vite par le tourbillon mtaphorique de la hantise et du vertige quisemble fournir la trame de la plupart des tudes critiques consacres Vertigo. 4 [U]ne image qui est presque matire en ce quelle se laisseencore voir, et presque esprit en ce quelle ne se laisse plus toucher, fantme qui nous hante pendant que nous tournons autour de la doctrineet auquel il faut sadresser pour obtenir le signe dcisif, lindication delattitude prendre et du point o regarder. (Bergson, La Pense et lemouvant). Bergson ajoute que cette image se signale avant tout par sapuissance de refus ou de ngation. Nous pourrions dire, dans le cas qui

    nous occupe, que lintuition sannonce dabord travers un sentiment degne ou dinconfort cristallis par le personnage de Judy (auquel on serefuse de croire), sentiment qui finit par refluer sur le personnage deMadeleine (dabord trop beau pour tre vrai, ensuite trop vrai pour trebeau : surrection de la vulgarit de Judy dans lenveloppe mme de Made-leine). 5Je crois, pour faire cho au texte de Patrice Maniglier qui figureplus loin dans ce recueil, que ma lecture pourrait sapparenter, au moinsdans sa partie constructive (non strictement critique), une esthtiqueconceptuelle, au sens o il entend dfinir une forme de philosophie con-ceptuelle partir du projet qui fut celui de l art conceptuel : une phi-losophie qui naurait plus se soucier du sens comme origine ou finalit,

    mais seulement de sa production et de sa consommation travers desoprations littrales, excutes pour ainsi dire larrt, dans un pur exer-cice de virtuosit. Manirisme est le mot qui convient une telle pratique.Chacun peut sy essayer ; chacun peut y prendre plaisir, condition deconsommer sur place. Instant idea : comme le caf lyophilis, cenest pas la peine den rajouter . Lesthtique conceptuelle ne prtendradonc pas apporter des rvlations sur les formes gnrales de lexp-rience sensible, ni ressaisir analogiquement la porte morale ou mta-physique universelle de quelques productions singulires dans le domainede lart. Elle se contentera, partir de cas retenus pour leur caractreexemplaire, dextraire des ides (on peut avoir des ides en cinma,

    disait Deleuze) et den articuler les effets, qui pourront tre intressantsen eux-mmes, mais dont il faut surtout esprer quils seront suscepti-

    bles dintensifier en retour lexprience des uvres. Il ne sagit pas dtreplus intelligent la prochaine fois quon verra Vertigo,mais den faire autrechose, et autrement. Cest en ce sens que lesthtique conceptuelle, dansla dpendance essentielle quelle revendique par rapport leffectivit

    des productions artistiques, semble ne pouvoir tre entirement fidle auprojet dune philosophie instantane : cest quelle ne peut sprouverqu lusage, en revenant sans cesse aux uvres. moins, et cest unautre prolongement que suggre le texte de Patrice Maniglier, quelle nefonctionne dj comme une machine produire lide dautres uvrespossibles. ce titre, lanalyse qui va suivre est aussi une manire detourner mentalement un tout autre film que celui que nous connaissons .Ce Vertigo-ci serait un film de science-fiction dun genre nouveau, auxfrontires du rcit fantastique et de la mtaphysique. Mais pour simpli-fier, je feindrai comme Borges que ce film existe dj, et que cest Hitch-cock qui la ralis. 6Dans Hitchcocks Cryptonimies (2 vol., Minneapo-

    lis, University of Minnesota Press, 2005), Tom Cohen donne lexempledune approche ttonnante, haptique, de la texture du film, attentive lenchevtrement matriel des marques surnmuraires, lefficacit spec-trale des smes, graphmes, animmes, ombres et autres barres dissmi-ns par Hitchock : formes fugitives et mtamorphique qui djouent lesrflexes hermneutiques du spectateur (ses habitudes de consommation)en rvlant sous lordre des actions ajusts aux caractres lenchane-ment mtonymique des traces errantes. Cette lecture ne va pas sans unecertaine violence. Cohen fait dailleurs du sabotage un principe dana-lyse, une forme de marche force de la pense. Son travail dexfoliation etde forage travers le foisonnant rseau des cryptonymies hitchcockien-

    nes sapparente parfois une trange forme de dminage.Cest comme silfallait devancer lexplosion en la provoquant, afin de mieux se rappro-prier un territoire dj mille fois parcouru par dautres, et dont le relief, force dtre recouvert par les strates de mmoire et de commentaire,finissent par seffacer. Jai eu loccasion de prsenter devant lui une partiede ce qui suit dans un colloque organis par Catherine Perret et PeterSzendy ( Les noms secrets de Hitchcock , Universit de Paris-X, 3 juin2006). Une premire version avait t prpare pour la journe Vertigoet la philosophie organise lEcole normale suprieure par Marc Ceri-suelo (14 octobre 2005). 7 Deleuze, soit dit en passant, avait uneexpression pour ce genre despace : il parlait d espaces lisses .

    Espace lisse na jamais voulu dsigner une forme globale, encoremoins la promesse dune libration par les flux, mais simplement un cer-

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    tain mode de connexion entre des lieux a priorihtrognes : un mode deraccord local, prcisment, qui ne projette pas davance lespace maischerche le construire de proche en proche. David Rabouin travailleaujourdhui, depuis la philosophie des mathmatiques, une nouvelle

    pense de la local. 8Je tiens lide dorganisation : sil ny avait pasquelque chose comme un plan dorganisation, ou de consistance, il nyaurait pas non plus de motif, ni a fortioride formes. Et la forme est ce quirsiste, ce qui oppose une contrainte notre dsir spculatif, et une bute nos obsessions cryptomaniaques. Si vous lchez la forme, vous pouvezencore critiquer l oculocentrisme , mais vous nchappez pas loracu-laire : sil ny a plus que des traces errantes, rien ne spare plus la dcons-truction de la divination. 9Voir K. Brougher, Prelude to a dream , inChristian Leigh (d.), Vertigo, Paris, ditions Thaddaeus, 1990, p. 114-116. 10 Scottie :Its because of this fear of heights I have, this acro-phobia. [] I know. I know. I have acrophobia which gives me vertigo and I

    get dizzy. Boy, what a moment to find out I had it ! Midge :Well, youve gotit and theres no losing it. And theres no one to blame, so why quit? Scot-tie :You mean and sit behind a desk, chair-bound Midge :where youbelong. Scottie :What about my acrophobia? What about Now, suppose,suppose Im sitting in this chair behind a desk, heres the desk, and a pen-

    cil falls from the desk down to the floor, and I reach down to pick up

    the pencil - BINGO - my acrophobias back. Midge (laughing) :Oh, John-ny-O. 11Tout cela ne sinvente pas : je le tiens de D. Quinidoz, Le Ver-tige, entre angoisse et plaisir, Paris, PUF, 1994. 12 Maurice Merleau-Ponty, Phnomnologie de la perception,Paris, Gallimard, 1945, p. 327.13Ibid., p. 329. 14Jean Douchet, Le suspense sotrique , in Hitch-

    cock, Paris, Cahiers du cinma, 1999, p. 9-50. 15 Franois Regnault, Systme formel dHitchcock (fascicule de rsultats) , in Alfred Hitch-cock, Paris, dit ions de ltoile/ Cahiers du cinma, 1980, p. 21.16Voir ce sujet Patrice Maniglier, Des us et des signes. Lvi-Strauss :philosophie pratique , paru dans la Revue de mtaphysique et de morale,2005 (n1). 17On pourrait ajouter, en suivant Deleuze, que le vertige, lapassivit o il tient le hros, est aussi lallgorie de la paralysie ou de larupture sensori-motrice de la forme film elle-mme, allgorie dun bascu-lement du cinma vers un nouveau rgime de limage : une image qui auraitperdu son prolongement moteur . Plus convaincant cet gard que laspirale, qui se donnait comme mtaphore de la bobine (elle-mme mta-

    phore du cinma comme tel), le vertige sannonce comme une donne fic-tionnelle qui peut fonctionner en mme temps comme mtaphore destine

    emblmatiser la rupture de limage-action et son principe, la rupture dulien sensori-moteur. Mais comme lexplique Jacques Rancire : Que Scot-tie soit sujet au vertige, cela ne paralyse en rien la camra, qui y trouveau contraire loccasion de raliser un truquage spectaculaire (La Fable

    cinmatographique,Paris, Le Seuil, 2001, p. 155). En somme, ce nest pasparce que Scottie a le vertige que le film lui-mme est condamn au ver-tige. Et la critique adresse par Rancire lide deleuzienne dune crisede limage-action rejoint plus gnralement la critique dun certain rgimemtaphorique des distinctions conceptuelles appliques limage cinma-tographique. 18Ce texte repris dans Le Got de la beaut,Paris, di-tions de ltoile, 1984, p. 179-183, sous le titre Alfred Hitchcock : Ver-tigo(Sueurs froides) . 19Nous nignorons pas que le ruban de Mbiusfigure parmi les premiers modles topologiques invoqus par Lacan, auxcts du tore et du cross cap, et qu ce titre il constitue un des motifsemblmatiques (un blason, donc) de la pense lacanienne. Lacan sint-

    resse surtout la manire dont on peut couperune bande de Mbius : cesoprations et leurs diffrentes consquences (passage du ruban au tore,par exemple) lui permettent de penser la structure du fantasme et delalination. Mais la surface prsente en elle-mme des proprits remar-quables, indpendamment de la coupe ou de l acte qui lui correspond.Dans un sminaire consacr langoisse, Lacan lui-mme insistait sur lefait qu une surface une seule face ne peut pas tre retourne . Cestle cas justement de la bande de Mbius : si vous en retournez une surelle-mme, elle sera toujours identique elle-mme. Cest ce que jappellenavoir pas dimage spculaire (9 janvier 1963). Il faut croire que Ver-tigo est autant une histoire de vampire quune histoire de double. Les

    vampires, comme chacun sait, nont pas dimage spculaire. Quant auxdoubles, on a dit quils avaient aussi peu de consistance que les imagesvirtuelles flottant dans un miroir. 20Voyez, pour quelques illustrationslgantes accompagnes dexplications techniques, le site http://plus.maths.org/issue26/features/mathart/index-gifd.html. 21Kant parlait, propos des objets symtriques (un gant droit et un gant gauche, parexemple), dune diffrence non conceptuellequi naurait de sens que dupoint de vue dune intuition spatiale sui generis. Il faut se demander com-ment ce problme se trouve transform lorsquon se donne un rgime din-tuitions non euclidiennes conforme lide dun espace non orientable.