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7/23/2019 En quoi l http://slidepdf.com/reader/full/en-quoi-l 1/24 En quoi l’imagination, faculté du sujet souvent dépréciée dans la réexion philosophique et théologique, joue-t-elle un rôle dans la vie chrétienne et plus particulièrement dans la vie spirituelle ? ’importance prise par les images dans notre univers culturel, ainsi que la mise en évidence de la puissance du langage s!m"olique dans la vie sociale donnent une grande actualité aux recherches sur la place de cette capacité dans la construction du sujet et notamment du sujet cro!ant# ’o"jet de cette étude, issue d’un travail de séminaire au $entre %èvres autour de cette question, est d’examiner l’apport de &aul 'ic(ur ) cette pro"lématique# &our le dire en peu de mots, c’est le projet d’une * poétique + de l’existence qui permet, dans la pensée de &aul 'ic(ur, de souligner les liens entre imagination et vie spirituelle# a poétique de l’existence est l’inuence sur le lecteur de la dimension poétique du discours en particulier du discours religieux qui met en "ranle les capacités d’interprétation et d’appropriation s!m"olique du sujet par la médiation de l’imagination# e propre du religieux est pour 'ic(ur de toucher ce niveau fondamental de la restauration d’une li"erté devenue esclave d’elle-m.me et d’opérer une régénération des capacités éthiques fondamentales du sujet, en dépit de l’expérience du mal et de la faute# /r, l’imagination est le lieu o0 s’engendrent et se re1oivent des représentations qui permettent une inspiration fondamentale de l’homme, une création d’existence, et qui suscitent une nouvelle manière d’.tre au monde# Elle est donc le lieu o0 se joue en premier la * conversion + du sujet# 1 - La religion comme afrontement au mal 2

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En quoi l’imagination, faculté du sujet souvent dépréciée dans

la réexion philosophique et théologique, joue-t-elle un rôle dans la

vie chrétienne et plus particulièrement dans la vie spirituelle ?’importance prise par les images dans notre univers culturel, ainsi

que la mise en évidence de la puissance du langage s!m"olique

dans la vie sociale donnent une grande actualité aux recherches

sur la place de cette capacité dans la construction du sujet et

notamment du sujet cro!ant# ’o"jet de cette étude, issue d’un

travail de séminaire au $entre %èvres autour de cette question, est

d’examiner l’apport de &aul 'ic(ur ) cette pro"lématique# &our ledire en peu de mots, c’est le projet d’une * poétique + de

l’existence qui permet, dans la pensée de &aul 'ic(ur, de

souligner les liens entre imagination et vie spirituelle# a poétique

de l’existence est l’inuence sur le lecteur de la dimension

poétique du discours en particulier du discours religieux qui met

en "ranle les capacités d’interprétation et d’appropriation

s!m"olique du sujet par la médiation de l’imagination# e propre

du religieux est pour 'ic(ur de toucher ce niveau fondamental dela restauration d’une li"erté devenue esclave d’elle-m.me et

d’opérer une régénération des capacités éthiques fondamentales

du sujet, en dépit de l’expérience du mal et de la faute# /r,

l’imagination est le lieu o0 s’engendrent et se re1oivent des

représentations qui permettent une inspiration fondamentale de

l’homme, une création d’existence, et qui suscitent une nouvelle

manière d’.tre au monde# Elle est donc le lieu o0 se joue en

premier la * conversion + du sujet#

1 - La religion comme afrontement au mal

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2istoriquement la démarche de 'ic(ur commence par une

réexion sur la volonté, l’agir et la question du mal# 3l s’interroge

en premier lieu sur les structures fondamentales de la volonté Le

volontaire et l’involontaire# &uis il examine ce qu’il avait laissé de

côté par nécessité de méthode, ) savoir la fragilité humaine et

l’expérience du mal# 4près une Eidétique de la volonté, se

développe une Empirique de la volonté prise dans l’expérience du

mal# Et puisque la réexion pure est incapa"le d’accéder ) cette

racine inscruta"le du mal, il développe alors une méthode indirecte

qui consiste ) faire une herméneutique de la s!m"olique du mal

dans la littérature o0 cette expérience du mal s’est déposée#

35 l’origine, la catégorie de la * &oétique + vise che6 'ic(ur )

répondre ) la question fondamentale de l’existence humaine dans

son rapport ) laTranscendance# %i on prend le pro"lème dans sa

formulation initiale, telle qu’on la trouve dans l’introduction

méthodologique ) l’ensem"le du projet d’une * &hilosophie de la

7olonté + parue en 89:; dans Le volontaire et l’involontaire, il

s’agit de dépasser la méthode de phénoménologie descriptive des

structures fondamentales et actuelles de la volonté pour parvenir )rendre compte de la li"ération du sujet, esclave de sa faute# 4près

l’Eidétique de la volonté Le volontaire et l’involontaire et

l’Empirique d’une volonté serve La symbolique du mal, le

troisième tome devra, dit l’introduction, fournir * l’accès à une

sorte de “Poétique”  de la volonté  [1] [1]  73, p# =>, c’est l’auteur qui

souligne# + qui traite des relations paradoxales entre la

 ranscendance et la li"erté# * 4u sens radical du mot, dit 'ic(ur,

la poésie est l’art de conjurer le monde de la création# @AB $et

ordre de la création ne peut nous apparaCtre concrètement que

comme une mort et une résurrection# 3l signiDe pour nous la mort

du Soi, comme illusion de la position de soi par soi et ledon de

l’être qui répare les lésions de la li"erté# ous essa!erons plus tard

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de suggérer ces expériences radicales qui saisissent le vouloir ) sa

source# + VI, == 5 ce stade, la poétique prend l’allure d’une

philosophie religieuse proche d’une théologie fondamentale dont

l’o"jet est la réévaluation * des vieux dé"ats sur la li"erté et la

grFce ou la prédestination + VI, =:#4

4près avoir redonné ) la su"jectivité le privilège qu’elle mérite

dans l’anal!se des pouvoirs du vouloir sur la corporéité c’est

l’o"jet de l’Eidétique de la volonté, la poétique apparaCt donc

comme une * deuième révolution co!ernicienne + qui décentre

l’.tre et le soi vers le divin et examine les conditions de l’accueil

du don gracieux qui rend la li"erté ) elle-m.me#5

e projet initial n’a pas vu le jour sous la forme d’un ouvrage qui

ferait suite aux premiers tomes de la philosophie de la volonté,

mais c’est l’ensem"le des recherches herméneutiques,

linguistiques, narratives qui ont suivi qui peut .tre mo"ilisé pour ce

propos#

2 - Poétique de la volonté etreprésentation de la liberté

Géj) dans * a li"erté selon l’espérance + Le con"it des

inter!rétations, 'ic(ur reprend la perspective de Hant dans La

reli#ion dans les limites de la sim!le raison, qui fait de la religion le

lieu o0 l’espérance peut .tre pensée, ) défaut d’.tre connue# 4près

la méditation sur le mal radical, la li"erté humaine se découvreha"itée de ce penchant au mal devenu une * quasi-nature + et

qu’elle ne peut éviter# En termes philosophiques I le mal exige une

transformation non éthique et non politique de notre volonté, que

Hant appelle ré#énération# $’est la fonction de la religion dans les

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limites de la simple raison d’éla"orer les conditions de possi"ilité

de cette régénération#!

a restauration du pouvoir perdu dépasse nos idées J et en ce sens

la religion est un dehors de la philosophie# Kais la réplique de lareligion au mal s’opère par divers canaux qu’il est possi"le

d’expliciter# &our Hant le propre de la religion consiste ) donner une

* re!résentation + du * "on principe + dans un * archét!pe +# $e

que le théologien ordonne ) la cohérence interne du discours

christologique est pour le philosophe rapporté au désir  de la

volonté# a question est en eLet I * $omment une volonté est-elle

aLectée, dans son désir le plus intime, par la représentation de cemodèle, de cet archét!pe de l’humanité agréa"le ) Gieu, que le

cro!ant appelle Mils de Gieu ? + $I, =N;# a question touche au

schématisme du désir de la totalité, ) l’imagination Dgurative de ce

vers quoi la volonté aspire sans en .tre capa"le#"

'eprenant les termes d’une théorie Oantienne du schématisme et

de l’analogie, donc une théorie de l’imagination transcendantale,

'ic(ur précise ) sa manière I * &our le philosophe, le $hrist est leschème de l’espérance J il ressortit ) une imagination m!thico-

poétique, qui concerne l’ac%èvement  du désir d’.tre [2] [2]  $3, =N8,

voir aussi $3, N8: et * Pne herméneutique#### + a Dgure du $hrist

est un analo#on du souverain "ien, elle donne ) penser au

philosophe, non selon les catégories du devoir, mais en oLrant la

représentation d’une !romesse##

es conséquences pour la réexion éthique et religieuse sontimportantes# 3l s’agit de * penser, aussi loin qu’il est possi"le, le

rapport du Oér!gme, non point d’a"ord avec l’obli#ation, mais avec

le désir  dont l’o"ligation est une fonction seconde + $I, ==Q, c’est

moi qui souligne#1$

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5 un formalisme moral qui examine l’universalisme a"strait des

maximes de la volonté se su"stitue la pro"lématique concrète de

la genèse du désir# $ette genèse du désir, qui est aussi une

suscitation fondamentale de l’existence de l’homme dans le

monde, 'ic(ur l’appelle une * !oétique de la volonté +# En ce

sens, l’espérance parle non pas tant ) la volonté, qui est la

fonction de commander et d’o"éir, mais ) l’ima#ination qui, en

nous, est ce lieu o0 l’homme se crée ) partir des images, des

signes qui donnent forme ) son désir et conDguration ) son eLort#

* $’est l’imagination, déclare 'ic(ur, qui propose ce que &ascal

appelait les RDguratifsS, les RDguratifsS qui soutiennent et illustrent

la logique a"surde de l’espérance [3] [3]  * a foi soup1onnée +,'echerches et Gé"ats 89 89Q8### +# es s!m"oles et les récits

"i"liques sont par excellence les * Dguratifs + de notre li"ération#

3ls informent en profondeur notre désir et notre existence en

ouvrant un avenir ) la liberté réelle, en aTrmant

la !ossibilitéd’.tre homme, en dépit de la mort et de l’apparente

nécessité# $’est ) cet endroit que vient s’insérer l’herméneutique

"i"lique#11

En montrant l’importance renouvelée de l’espérance dans la foi

chrétienne et en précisant que l’imagination est le lieu o0

s’engendrent et se re1oivent les * représentations + qui suscitent

l’espérance, nous venons de toucher le no!au Oér!gmatique et

spirituel de l’éthique selon 'ic(ur# Kais il reste ) montrer par

quelle médiation langagière cette suscitation de la li"erté s’opère#

$’est en eLet le langage et la parole qui constituent l’élément,

le milieu, o0 des Dguratifs de l’espérance se disent# $e sont

spécialement les travaux de 'ic(ur sur la métaphore et les récits

qui nous instruisent sur une telle dimension de créativité du

langage#

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3 - La dimension poétique du langage et ler%le de l&imagination

12

e discours religieux, les textes "i"liques en particulier, sont des

textes ha"ités de cette dimension s!m"olique, qui est le propre de

tout discours lorsqu’il ne s’enferme pas dans le pur concept#13

a dimension !oétique du langage, est la dimension ) la fois

créatrice et critique qui permet l’émergence de nouveaux mondes

possi"les# Elle n’est donc pas dirigée vers la vériDcation

scientiDque ou la communication ordinaire mais possède un

pouvoir révélant et expérimental sur le monde et sur nous-

m.mes [4] [4]  $f# * &oetr! and possi"ilit! +, in 4 'ic(ur 'eader I####14

$omme le suggère le terme * poièsis + qui signiDe production

d’une chose diLérente de son auteur, la poétique est la discipline

qui s’attache au caractère productif du discours, sans égard pour la

distinction entre la prose et la poésie# Kais cette puissance

d’invention et de création est d’em"lée dou"le J elle est ) la fois

une production de sens c’est-)-dire une extension interne au

langage lui-m.me et un accroissement de puissance de

découverte eu égard ) des traits proprement * inédits + de la

réalité, ) des aspects * inouUs + du monde# /n parle pour le

premier aspect d’innovation sémantique sémantique renvoie )

sens, pour le second aspect on parle de &onction

%euristique heuristique renvo!ant ) découverte ou invention# a

linguistique tend ha"ituellement ) séparer le sens interne aulangage et tout ce qui est extra-linguistique, comme la référence

au réel# Gans la poétique, cette distinction est purement

méthodique car il n’! a pas d’innovation sémantique sans fonction

de découverte# e * dedans + et le * dehors + du langage se

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renvoient l’un ) l’autre dans une m.me d!namique de médiation,

médiation entre l’homme et le monde, entre l’homme et l’autre

homme, entre l’homme et lui-m.me#

L&innovation sémantique

15

&our 'ic(ur, l’ima#ination est la clé du fonctionnement poétique

du langage# $’est elle qui médiatise la production de * l’innovation

sémantique +, phénomène commun ) la métaphore et au récit qui

sont très souvent utilisés dans le langage de la Vi"le et en général

de l’expérience spirituelle [5] [5]  * Vien que la métaphore relève

traditionnellement de####1

3l faut rappeler que la méta!%ore selon 'ic(ur n’est pas une

manière de donner ) une chose le nom d’une chose étrangère en

vertu d’une ressem"lance o"servée entre les deux choses c’est la

déDnition classique d’4ristote# ’innovation de la métaphore est

un d!namisme producteur qui consiste ) produire une nouvelle

pertinence sémantique par le mo!en d’une attri"ution

impertinente I * a nature est un temple o0 de vivants piliersA +,* la lune est une faucille d’or dans le champ des étoiles +, etc#

$’est sur les ruines d’une interprétation littérale impossi"le que

s’élève un sens nouveau dont le processus fait appel ) l’ensem"le

de la phrase, par le rapprochement soudain de champs

sémantiques a priori éloignés#1!

4vec le récit , l’innovation consiste ) inventer une intrigue qui, elle

aussi, est une opération de s!nthèse# &ar l’intrigue, des "uts, des

causes, des hasards, des circonstances sont rassem"lés sous

l’unité temporelle d’une action complète# $omme pour la

métaphore, de l’inédit apparaCt dans le langage, au mo!en d’une

s!nthèse nouvelle et fragile d’éléments hétérogènes# Gans les

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deux cas, c’est l’imagination qui médiatise cette s!nthèse, et cela

d’une triple fa1on#1"

W G’a"ord l’imagination est ce pouvoir de sc%ématiser  la nouvelle

pertinence sémantique# 3l ne faut pas voir ici l’imagination commel’image présente d’une réalité a"sente ou passée, un résidu

perceptif, mais comme le pouvoir productif du schématisme qui

selon Hant est la méthode pour donner une image ) un concept#

3maginer, dit Xittgenstein dans les Investi#ations !%iloso!%iques,

c’est * voir comme + I voir la vieillesse comme le soir de la vie, par

exemple# Ge m.me pour 4ristote, * faire de "onnes métaphores

c’est apercevoir le sem"la"le +# 3maginer, ici, c’est saisirsoudainement, voire m.me créer la ressem"lance qui fonde la

nouvelle pertinence de sens [] []  $f# * &oétique et %!m"olique +,

in 3nitiation ) la#### ’imagination rend proches des termes a

 !riori éloignés le temps est un mendiant# 3l en est de m.me pour

les récits# ’intrigue d’un récit est compara"le ) cette assimilation

prédicative qui * prend ensem"le + des éléments divers sous la

puissance de l’imagination et qui ainsi schématise la signiDcation

du récit pris comme un tout#1#

W a seconde fonction de l’imagination est liée ) sa dimension

 !icturale# ’innovation sémantique n’est pas seulement

schématisée, il lui est donné une image# $’est l’aspect iconique de

la métaphore, qui n’est pas ) confondre avec une image mentale,

con1ue comme la réplique d’une chose a"sente# ’image poétique

révèle des relations nouvelles sous un mode imagé, et elle est liée

au sens produit qui est ) lire dans l’épaisseur de l’image# orsquele poète dit I * Yuand je m’assoie près de mon c(ur solitaire Z et

que des pensées haUssa"les enveloppent mon Fme A +, nous

pouvons voir le chagrin comme ce qui enveloppe l’Fme ) la

manière d’un manteau# ’idée se présente sous la forme d’une

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image concrète et nous n’avons pas d’autre mo!en pour exprimer

cette ressem"lance que d’utiliser le langage métaphorique# 'ic(ur

parle ici du phénomène de * retentissement  + par lequel

l’imagination ravive et réactive des expériences antérieures,

réactive des souvenirs endormis et irrigue des champs sensoriels

adjacents [!] [!]  'ic(ur reprend cette expression de Vachelard, qui

lui-m.me#### &our ce qui concerne le récit, on peut dire que le

déroulement narratif donne une représentation imagée ) un

certain t!pe d’action et de rapport au temps#2$

W a troisième fonction de l’imagination est l’introduction dans le

processus de sens d’un moment de sus!ension etde neutralisation du réel# ’imagination joue ici le rôle d’un * li"re

 jeu avec les possi"ilités +# Gans cet état de désengagement par

rapport au monde de la perception et de l’action, nous pouvons

essa!er de nouvelles idées, de nouvelles valeurs et de nouvelles

manières d’.tre au monde# [e vais ! venir dans un instant#21

$es trois fonctions de l’imagination poétique schématisation,

retentissement, désengagement ne sont cependant pleinementreconnues que lorsque la fécondité de l’imagination est reliée )

celle du lan#a#e# os images sont parlées avant d’.tre vues \ ous

ne vo!ons des images que dans la mesure o0 d’a"ord nous les

entendons# $ela veut dire qu’il faut renoncer ) la fausse évidence,

souligne 'ic(ur, que l’image serait une * scène + déplo!ée devant

quelque * théFtre mental + et de l’autre fausse évidence qui

consiste ) croire que cette entité mentale serait l’étoLe dans

laquelle nous taillons nos idées a"straites, nos concepts# ’imagen’est pas ) dériver de la perception mais du langage#

La 'onction (euristique

22

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$es diverses fonctions de l’imagination décrivent la manière dont

fonctionne le langage poétique au plan de l’innovation

sémantique ["] ["]  7oir aussi * he Ketaphorical &rocess as

$ognition,#### Kais la fonction poétique du langage, outre la

production de sens nouveau, a également une

fonction %euristique#23

a suspension de la référence directe et descriptive, que nous

avons vue ) l’(uvre comme troisième fonction de l’imagination,

n’est en fait que l’envers d’une &onction ré&érentielle seconde et

originale#24

a littérature de Dction conte, roman, théFtre comme la

littérature poétique sem"lent en eLet détruire le monde pour

célé"rer le langage en lui-m.me# $ependant 'ic(ur déclare I25

Ka thèse est ici que l’a"olition d’une référence de premier rang,

a"olition opérée par la Dction et par la poésie, est la condition de

possi"ilité pour que soit li"érée une référence de second rang, qui

atteint le monde non plus seulement au niveau des o"jets

manipula"les, mais au niveau que 2usserl désignait

par Lebens'elt et 2eidegger par celui d’être(au(monde [#] [#]  &aul

'ic(ur, * a fonction herméneutique de la distanciation +,####2

’herméneutique ne consiste plus ) rechercher les intentions que

l’auteur aurait dissimulées derrière le texte mais ) expliciter la

sorte d’.tre au monde que le texte lui-m.me déploie devant lui,

souvent ) l’insu de l’auteur# 3l s’agit de décr!pter la !ro!osition de

monde du texte, un monde que je puisse ha"iter, et par l) de

reconnaCtre de nouvelles possi"ilités d’.tre-au-monde ouvertes par

la Dction au sein de la réalité quotidienne [1$] [1$]  En cela

l’herméneutique de 'ic(ur reste Ddèle ) l’intuition#### a littérature

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opère sur le réel ce que 'ic(ur appelle, en reprenant un mot de

2usserl, * des variations ima#inatives +#2!

e texte comme poème porte au langage des aspects de la réalité

et de l’expérience qui ne trouvent pas ) se dire dans le langagedescriptif ordinaire par exemple, le chagrin comme un manteau

sur l’Fme# 'ic(ur se risque ) parler de * référence

métaphorique + pour signiDer en quoi l’énoncé métaphorique re-

décrit le réel# e * voir commeA + de la métaphore révèle un

* .tre comme + au niveau ontologique le plus radical# e 'o!aume

des cieux est compara"le )A# e c(ur du réel est atteint

analogiquement# Ge la m.me manière le récit, par sa fonctionmimétique, exerce un rôle parallèle ) la référence métaphorique#

* 5 vrai dire, précise 'ic(ur, la fonction mimétique des récits n’est

m.me qu’une application de la référence métaphorique ) la sphère

de l’agir humain [11] [11]  * &oétique et %!m"olique +, p# ]8, cf#

 emps et 'écit,#### + %ouvent redescription métaphorique

et mimèsis narrative sont m.me étroitement m.lées, comme le

cas des m!thes et des para"oles nous en donne des exemples

opposés# %e dessine ainsi l’unité d’une * vaste sphère poétique quiinclut énoncé métaphorique et discours narratif  [12] [12]   emps et

'écit, tome 8, p# 8=# +# a fonction poétique peut .tre vue comme

ce qui rassem"le les recherches de 'ic(ur sur le pouvoir de

création du langage, en relation avec notre enracinement éthique

le plus originaire#2"

$e qui peut .tre appelé désormais * poétique de l’existence + doit

donc .tre interprété comme un e)et de lecture, une réponse dusujet lisant ) la proposition de monde du texte pris comme poème#

$’est "ien parce que le processus métaphorique ainsi que le

processus de mimèsis narrative ne peuvent s’achever que par le

mo!en de l’imagination productive du lecteur que le discours

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poétique suscite des changements dans la manière de voir, de

sentir et d’agir de ce dernier# ’imagination est ) la charnière du

théorique et du pratique# Gans la poésie l!rique o0 dominent les

eLets de redescription métaphorique, ces inuences aLectent

essentiellement le champ des * valeurs sensorielles, pathiques,

esthétiques et axiologiques + T*+,8># $’est la manière d’ha"iter

le monde en son enracinement premier, pré-catégorial et pré-

o"jectif qui est atteint# Gans les récits ou la poésie dramatique, o0

domine la fonction mimétique de l’intrigue, les inuences aLectent

de préférence le champ de l’action humaine et les valeurs

temporelles# %ont touchées principalement notre vision des

relations inter-humaines et notre manière de nous rapporter autemps#

L&imagination narrative

2#

5 titre d’illustration, on peut montrer qu’au niveau du pouvoir-faire,

de la reDguration de l’agir dans le monde, l’imagination joue un

rôle essentiel tant au plan individuel qu’au plan intersu"jectif et

social#3$

a visée de la * vie "onne avec et pour les autres dans des

institutions justes + constitue pour 'ic(ur la visée éthique

fondamentale de tout sujet, avant m.me la considération des

normes morales [13] [13]  7oir %oi-m.me comme un autre, %euil,

899;, chapitre#### /r, cette visée qui oriente et intègre l’ensem"le

de nos actions vers une Dn ultime, ne peut en eLet manquer defaire appel ) l’imagination# 5 ce niveau, l’éthique est "ien une

vision et une intuition de modèles d’action#31

e récit schématise l’agir humain en lui donnant la s!nthèse

hétérogène de la mise en intrigue [14] [14]  $f# emps et 'écit, tome

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8, chapitre >## Kais cette fonction n’est pas seulement

redescriptive I * l’imagination a une fonction projective qui

appartient au d!namisme m.me de l’agir [15] [15]  * ’imagination

dans le discours et l’action +, 4,### +# Elle assure le passage du

théorique au pratique#32

a ’agir individuel inclut donc l’imagination ) trois niveaux [1]

[1]  ous verrons la place de l’imaginaire au niveau de#### G’a"ord,

au sein d’un choix, on imagine le !ro,et  de l’action, ce qui suppose

une * certaine schématisation du réseau des "uts et des mo!ens +

ibid## Gans l’imagination anticipatrice de l’agir, nous * essa!ons +

divers cours d’action éventuels et nous * jouons + au sens précisdu terme avec les possi"les pratiques# e récit donne au projet sa

capacité d’uniDcation I je pourrais faire ceci qui entraCnera ceci et

cela ou "ien je pourrais faire cette autre chose qui aura d’autres

conséquences# &ar ailleurs, l’imagination contri"ue ) éclairer

les motivations de l’action# Elle fournit * le milieu, la clairière

lumineuse, o0 peuvent se comparer, se mesurer, des motifs aussi

hétérogènes que des désirs et des exigences éthiques +, elles-

m.mes diverses ibid## $’est la neutralisation de l’action eLectiveet la transposition h!pothétique propres ) l’imaginaire pratique qui

rendent possi"le un espace commun de comparaison,

indispensa"le pour la prise de décision# EnDn, troisième niveau,

l’imagination permet d’essa!er mon !ouvoir de &aire et de prendre

la mesure du * je peux +# $’est au travers des variations

imaginatives de mon pouvoir faire que je prends possession de la

certitude de ce pouvoir# * [e pourrais faire ceci ou cela, si je

voulais + ou "ien * j’aurais pu faire autrement, si j’avais voulu +# e

monde grammatical du conditionnel est très lié ) celui du pouvoir#33

a description précédente nous permet de comprendre en

quoi l’estime de sois’appuie sur les capacités de l’imaginaire mises

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en (uvre dans le récit# ’estime de soi repose sur la

reconnaissance de notre capacité d’agir intentionnellement et de

notre capacité d’initiative dans le monde# /r, c’est

"ien l’ima#ination narrative qui nous permet d’acquérir la certitude

de ces pouvoirs# &as de prise de conscience de nos motifs et de

nos projets sans mise en intrigue de ceux-ci au sein d’une Dction#

Ge m.me nous ne pouvons accéder ) l’idée d’initiative sans le

concours de cette fonction du possi"le pratique qui nous permet

d’imputer nos actions ) notre pouvoir d’agent# 'ic(ur déclare I34

$ette visée ne peut manquer, pour devenir vision, de s’investir

dans des récits ) la faveur desquels nous mettons ) l’essai diverscours d’action en jouant, au sens fort du terme, avec des

possi"ilités adverses# /n peut parler ) cet égard d’ima#ination

ét%ique- laquelle se nourrit d’ima#ination narrative [1!] [1!] %4,

89N-89:, note 8 c’est moi qui souligne# 'ic(ur####35

" Yuel est le rôle joué par les récits et l’imagination narrative dans

la constitution de la sollicitude, qui est la deuxième dimension de

l’éthique ric(urienne ? Pne première réponse tient ) notrecapacité de nous mettre ) la place de l’autre * en imagination et

en s!mpathie +# 'ic(ur anal!se ce point avec "eaucoup de

technicité, ) l’occasion de plusieurs écrits dispersés qui ont été

rassem"lés dans le livre .u tete à l’action [1"] [1"]  3l s’agit des

anal!ses qui touchent ) l’intersu"jectivité#### %ans entrer dans les

détails de la discussion, on peut dire que 'ic(ur s’appuie sur la

théorie de la su"jectivité telle qu’elle a été esquissée par 2usserl

dans la cinquième /éditation cartésienne et développée ensuitepar les travaux d’4lfred %ch^t6 [1#] [1#]  4lfred %ch^t6, $ollected

&apers, K# atanson, éd#,#### %elon cette théorie, l’expérience

historique est possi"le parce que mon champ temporel est relié )

d’autres champs temporels par une relation de couplage

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Paarun## $e ux temporel est lui-m.me inséré dans un ux

englo"ant qui est l’histoire et au sein duquel chacun a non

seulement des contemporains, mais aussi des prédécesseurs et

des successeurs# Kais la connexion interne de ce ux englo"ant

qu’est l’histoire n’est possi"le que parce qu’un !rinci!e

d’analo#ie est impliqué dans le couplage des champs temporels

des contemporains, des successeurs et des prédécesseurs# $e

principe d’analogie est un principe transcendantal# ’analogie

consiste en ceci I tous les autres avant moi, après moi, avec moi

sontcomme moi# $omme moi, ils peuvent exercer la fonction de

* je +, comme moi, ils peuvent s’imputer ) eux-m.mes leur propre

expérience [2$] [2$]  $f# * ’imagination dans le discours A +, 4, p#>>] J#### Gu fait de cette analogie, la deuxième et la troisième

personnes sont aussi des premières personnes# [e suis

historiquement relié ) tous les autres par un transfert direct de la

signiDcation * je + ) tous les autres#3

/r, ce que 2usserl appelle ainsi * l’aperception analogique +,

s’appuie sur un transfert en ima#ination# Gire qu’un autre pense

comme moi ou que j’éprouve comme lui, douleur et plaisir, c’estpouvoir imaginer ce que je penserais ou éprouverais si j’étais ) sa

place# $e transfert en imagination de mon * ici + dans son * l) +

est la racine de l’intropathie 0in&1%lun#, qui peut .tre amour ou

haine# Pne telle imagination qui est productrice de connexions

nouvelles, 'ic(ur la compare au schématisme Oantien I elle * est

le schématisme propre ) la constitution de l’intersu"jectivité dans

l’aperception analogique + T2, >>Q# En conséquence, c’est cette

imagination qui maintient vivantes les médiations qui constituent

le lien historique# ous verrons que cette propriété a des

conséquences importantes au plan des institutions, car c’est elle

qui évitera aux relations humaines de se transformer en relations

o"jectives et anon!mes#

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3!

3l n’est pas diTcile de passer de ce transfert en imagination au

plan de la narrativité# En eLet, un tel transfert prend appui sur

l’expérience historique nourrie par l’ima#ination narrative# $’est la

fréquentation des récits de toutes sortes qui m’invite ) considérermon action comme étant couplée ) celle des autres personnages

de l’intrigue# Ge manière plus particulière, nous nous laissons

enseigner, par exemple, par la tragédie qui * puriDe + nos

sentiments de terreur et de pitié, comme le dit 4ristote# En vo!ant

le malheur de Promét%éeenchaCné ) son rocher, ou celui

d’3t%ello prisonnier de sa jalousie, nous apprenons ) nous

reconnaCtre comme de possi"les sou)rants et non pas seulementcomme les a#issants de l’histoire# &ar la Dction ou l’historiographie,

la souLrance de l’autre révèle en nous des sentiments

spontanément dirigés vers autrui, aLection dont le mot

* sollicitude + porte encore la trace#3"

Pne autre manière d’exprimer l’entrée éthique de l’altérité dans

nos relations consiste ) rappeler l’anal!se faite de l’identité

narrative# ’unité narrative d’une vie intègre en elle-m.me ladispersion et l’altérité# es événements ) la fois contingents et

aléatoires sont tissés avec le Dl de l’intrigue de nos vies# Ensuite,

comme le souligne Xilhelm %chapp repris par 'ic(ur, l’histoire de

ma vie est un segment de l’histoire d’autres vies humaines# ous

sommes nous-m.mes * enc%evêtrés dans des %istoires +, celles de

ceux qui nous précèdent, de ceux qui sont nos contemporains et

de ceux qui nous succèdent# EnDn nous nous reconnaissons nous-

m.mes ) travers les histoires Dctives de personnages passés ouimaginaires# ’intégration de l’altérité ) notre désir est aussi le fruit

du récit, dont 'ic(ur dit qu’il est * le premier la"oratoire du

 jugement moral + S2, 8]Q#3#

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c EnDn au plan social des institutions et du vivre ensem"le

l’imagination permet d’a"ord de maintenir la personnalisation des

relations humaines# 'eprenant les anal!ses précédentes sur le

transfert en imagination qu’autorise l’analogie de l’e#o, nous

pourrions dire, avec 'ic(ur, que l’imagination productrice a pour

eLet de lutter contre l’anonymité des relations mutuelles dans les

sociétés "ureaucratiques# a spécialisation et la compartimentation

des tFches, le développement des médiations longues

institutionnelles, peuvent souvent nous faire croire que le

développement de la société est aux mains de force anon!mes,

assimila"les ) des lois de la nature# ous pouvons .tre également

de plus en plus indiLérents au sort des personnes qui ne sont pasdans notre cercle de relations directes# a force et la tFche de

l’imagination est précisément d’identiDer et de préserver la valeur

irrempla1a"le du * je + de chaque personne dans nos relations

avec nos contemporains, nos prédécesseurs et nos successeurs# e

cours de l’histoire n’est pas réducti"le au cours des choses et

aucune institution ne peut prétendre .tre une entité

hiérarchiquement supérieure ) la personne [21] [21]  $omparant

2usserl et 2egel ) propos de l’intersu"jectivité,####4$

$ette structure fondamentale de l’expérience historique est une

condition enfouie et ou"liée si "ien qu’elle constitue seulement un

idéal pour la communication humaine# e lien analogique qui fait

que tout homme est mon sem"la"le, ne nous est en fait

accessi"le, déclare 'ic(ur, * qu’) travers un certain nom"re

de !ratiques ima#inatives, telles que l’idéolo#ie et l’uto!ie + T2,

>>_# $ertes toutes les idéologies et utopies ne sont pas forcément

exprimées sous forme de récit mais il est fréquent que celles-ci

trouvent dans la forme narrative une médiation privilégiée, comme

le montre par exemple l’4to!ia de homas Kore# Gans ce cas, les

récits expriment, sous la forme d’une conDguration narrative,

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l’ima#ination d’une vie en commun# 3ci également, au niveau de la

constitution analogique du lien social et du vivre ensem"le,

l’imagination narrative alimente l’imagination éthique et

spirituelle#41

%elon 'ic(ur, reprenant une intuition de Harl Kannheim,

l’idéologie et l’utopie sont deux formes t!piques et antagonistes de

l’imaginaire social qui visent respectivement la justiDcation et la

su"version de la société [22] [22]  %ur l’idéologie et l’utopie voir

* ’idéologie et l’utopie I#### ’imaginaire social a une structure

essentiellement conictuelle# 4ussi fautil, une fois encore,

emprunter avec 'ic(ur le détour d’une anal!se critique de cetteam"iguUté pour retrouver l’imagination productrice ) la racine du

lien social# 5 vrai dire l’am"iguUté est dou"le, car chacune des

Dgures antagonistes présente elle-m.me un aspect positif et un

aspect négatif autour de leur fonction centrale# L’idéolo#ie, sous sa

Dgure négative, peut .tre une dissimulation et une distorsion de la

réalité sociale# $omme l’a anal!sé Karx dans L’idéolo#ie

allemande, grFce ) la métaphore de la camera obscura, elle donne

alors une image inversée de la réalité# Kais elle peut .tre aussi unpuissant facteur d’intégration de la société ou de la communauté,

comme le soulignent les cérémonies commémoratives qui

réactualisent les événements fondateurs# Gans ce cas l’idéologie a

une fonction essentiellement positive de relais de la mémoire

sociale collective et de constitution de l’identité narrative du

groupe# %i l’idéologie renforce le réel et préserve l’unité sociale,

d’une manière qui n’est pas forcément mensongère,l’uto!ie au

contraire projette l’imagination dans un ailleurs un * nulle part +

qui vient essentiellement su"vertir la réalité existante# Elle

possède également une fonction positive dans la constitution du

lien social, lorsqu’elle met en question le présent pour imaginer

une société alternative et opère des variations imaginatives sur

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l’organisation du pouvoir * un autre monde est possi"le +A# Kais

elle possède, comme l’idéologie, sa pathologie propre, toutes les

fois o0 son discours devient fou, voire sanguinaire, en refusant de

prendre en compte la logique de l’action# Gans ce cas, l’utopie

devient une schi6ophrénie meurtrière, préférant les schémas

perfectionnistes et les r.ves impossi"les ) touteproposition

permettant de faire les premiers pas en vue de leur réalisation#

4insi la fonction pivot de l’idéologie, sa fonction justiDcatrice de

l’ordre social, est entourée par une fonction positive d’intégration

du groupe et une fonction négative de dissimulation mensongère#

Ge m.me l’utopie a une fonction pivot de su"version de l’ordre

social, qui peut prendre la Dgure positive de critique du réelprésent et de proposition alternative, mais qui peut aussi prendre

la Dgure négative du r.ve t!rannique# Ge sorte que les trois

fonctions de l’idéologie et de l’utopie se renvoient l’une l’autre,

comme le montre le ta"leau suivant I

42

4vec ces deux Dgures de l’imaginaire social, nous retrouvons la

dou"le capacité de l’imagination au plan individuel I soit

reproductrice des images déj) existantes mais a"sentes, soit

productrice de formes nouvelles dans la Dction# ’idéologie et

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l’utopie sont des Dgures de l’imagination reproductrice et de

l’imagination productrice# 3déologie et utopie se renvoient l’une )

l’autre et veillent sur les risques pathologiques réciproques de

l’une et de l’autre#43

ul doute que pour 'ic(ur la dialectique entre idéologie et utopie

est essentielle ) la constitution s!m"olique du lien social et ) la

fondation imaginaire du pouvoir, toujours ) reprendre dans les

sociétés démocratiques

contemporaines#Tradition et innovation sont conditions l’une de

l’autre# ous en avons ici un nouvel exemple# a visée éthique de

la justice au plan social des institutions, ne peut que s’enracinerdans cette tension vivante de la conscience historique entre d’une

part l’hori6on d’attente dans lequel nous nous projetons et d’autre

part un espace d’expérience dans lequel nous nous trouvons

enracinés [23] [23]  %ur les concepts d’* hori6on d’attente + et

* d’espace#### Ptopies et idéologies donnent Dgure ) nos

espérances et ) notre mémoire# Kais elles montrent aussi leur

intrication mutuelle# En ce sens, il ne faudrait pas réduire la

tradition aux récits du passé, ni restreindre les utopies aux Dctionsdu futur# * Pne tradition, déclarait 'ic(ur dans une intervie`

au /onde, n’est vivante que si elle donne l’occasion d’innover, si

elle constitue une ressource ) réinterpréter et non une éternité

Dgée# + $’est toujours en fonction de nos attentes présentes et des

exigences nouvelles de l’histoire que nous devons les reprendre#

En m.me temps, l’examen de nos traditions multiples grecques,

latines, chrétiennes, humanistes, etc# lui fait dire I * ous avons

tellement de projets inaccomplis derrière nous, tellement de

promesses non encore tenues, que nous aurons de quoi construire

un futur par la reviviDcation de ces multiples héritages# &ar un

paradoxe tout ) fait étrange, les utopies les plus fortes ne peuvent

venir que de ce qui a été inaccompli dans nos traditions et qui

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demeure comme une ressource de signiDcations, une réserve de

sens# ’utopie ) venir ne peut surgir de rien# Elle ne saurait non

plus dériver en droite ligne du passé, mais elle serait sans force si

elle n’était pas en complicité avec ce qui, dans ce passé multiple,

n’est pas encore épuisé [24] [24]  * Pn entretien avec &aul 'ic(ur +,

e Konde du >Q octo"re#### +44

’imagination sociale issue de la dialectique entre idéologie et

utopie alimente le sens de la justice qui viviDe les relations

humaines équita"les au plan institutionnel# &armi les traditions

capa"les de nourrir de fa1on innovante l’imaginaire social d’une

vie "onne en commun, la tradition chrétienne a certainement pour'ic(ur une place privilégiée [25] [25]  &our plus de détail sur ce

point, voir 4lain homasset,####45

rFce au pouvoir de l’imagination, les récits sont donc des

médiateurs nous permettant de nous approprier d’une manière

créative les traditions de la vie "onne qui sont ) notre disposition#

3ls nous éduquent dans nos dispositions aLectives et morales le

processus métaphorique est non seulement un processus cognitifet imaginatif comme je l’ai déj) dit mais aussi un d!namisme qui

met en "ranle l’émotion# 3ls contri"uent ) la constitution de nos

attitudes fondamentales et de nos convictions, aussi "ien au plan

de la relation ) nous-m.mes, ) celui de la relation directe ) autrui

qu’) celui de la relation ) chacun au sein des institutions sociales#

es récits inspirent notre visée éthique en alimentant le trésor de

notre imaginaire individuel, intersu"jectif et social#

)onclusion * la 'orce trans'ormatrice deste+tes bibliques

4

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es travaux de 'ic(ur sur la !oétique des tetes permettent de

mettre en évidence le pouvoir de reDguration des écrits "i"liques#

&ar leur dimension poétique, les textes du grand réseau

s!m"olique "i"lique ont la capacité de nous faire entrer dans un

monde qui leur est propre# &arler d’un * monde +, c’est dire que

l’appropriation interprétative que nous pouvons faire de ces textes

ne nous ouvre pas d’a"ord et avant tout ) la compréhension d’un

réseau conceptuel de notions a"straites, mais qu’au contact de

l’écriture s!m"olique c’est une nouvelle manière d’.tre au monde,

de vivre, de sentir et de voir les événements et les personnes qui

nous est oLerte# orsqu’un sujet décide d’exposer sa

compréhension de lui-m.me ) l’interprétation que lui présente letexte de la Vi"le, une poétique chrétienne de l’existence est

suscitée dans la réponse ) la poétique du discours# a Vi"le, en

eLet, ne nous rend pas seulement familiers d’4"raham, KoUse ou

 [ésus, elle induit che6 son lecteur des dispositions spéciDques

fondamentales qui concernent aussi "ien notre rapport au temps

que notre vision du monde et nos émotions#4!

Gans ce processus, 'ic(ur nous apprend que l’ima#ination joue unrôle central# 4ussi "ien dans le processus métaphorique que dans

le pouvoir reDguratif des récits, l’imagination est la capacité qui

permet d’opérer les s!nthèses faisant voir les ressem"lances

inattendues et nous permettant d’entrer dans un univers qui révèle

la réalité sous un jour nouveau# $omme le disait Kounier dans

son Traité du caractère, * le rôle de l’imaginaire @AB est de nous

replacer dans cet état de naUveté prophétique qui, au-del) de la

conscience et du sens, nous apparente ) la réalité totale par des

voies plus riches et plus sbres que celles de la perception close et

du concept solitaire [2] [2]  Emmanuel Kounier, raité du

caractère, dans uvres,### +# elles sont "ien les armes du

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narrateur "i"lique faisant appel aux ressources d’interprétation du

sujet lisant et de la communauté confessante#4"

&ar ailleurs, le développement d’une telle poétique de l’existence

chrétienne permet de renouer les liens, historiquement distendus,entre morale et s!iritualité# En eLet, parler de l’inuence des écrits

"i"liques mais aussi hagiographiques et spirituels, sur la

formation des dispositions fondamentales du caractère des

personnes, n’est-ce pas supposer le rôle éminent joué par les

attitudes spirituelles dans la manière de vivre la morale et la vie

chrétienne en général ? ous pourrions évoquer les attitudes de

patience, d’espérance, de foi, de charité, de pardon, d’hospitalité,etc#, ) l’occasion de l’examen de l’impact des para"oles et des

récits sur les attitudes aLectives# /r, le développement de la vie

spirituelle suppose l’apprentissage d’une expérience de prière o0

se noue une relation intime et personnelle du cro!ant avec Gieu,

expérience qui contri"ue considéra"lement au

* christomorphisme + du cro!ant dont parle saint &aul [2!] [2!]  * Et

nous tous qui, le visage découvert, rééchissons#### Gans

les 0ercices S!irituels de saint 3gnace de o!ola par exemple,mais aussi dans toute forme de prière "i"lique, le retraitant est

invité ) entrer dans une telle poétique aDn que, s’appropriant les

récits et les discours de la Vi"le, il puisse ordonner sa vie selon la

manière d’.tre au monde que le $hrist propose et qu’il a

incarnée [2"] [2"]  es Exercices %pirituels de saint 3gnace de

o!ola,#### &arcourant le chemin qui est celui du %eigneur lui-m.me,

le retraitant est invité, entre autres choses, ) s’approprier par le

regard, l’ouUe et le c(ur, les récits évangéliques de sa vie, sa mort

et sa résurrection#4#

En m.me temps, il n’est pas anodin de remarquer que l’o"jectif

des 0ercices, consiste ) * ordonner ses aLections +# /n appelle

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* exercices spirituels +, déclare saint 3gnace, * toute manière de

préparer et de disposer l’Fme pour écarter de soi toutes les

aLections désordonnées et, après les avoir écartées, pour chercher

et trouver la volonté divine dans la disposition de sa vie en vue du

salut de son Fme [2#] [2#]  3"id#, n =-N# +# &arler * d’aLections +,

depuis la tradition monastique, en particulier celle de saint

Vernard, puis celle de la devotio moderna, suppose de prendre en

compte la sensi"ilité dans la vie spirituelle aDn précisément de la

pénétrer de l’vangile# 4insi, les 0ercices accordent-ils une

grande place au * sentir + intérieur# 3l s’agit "ien d’acquérir, )

l’école du $hrist, une manière de voir et de sentir qui permet de se

li"érer des * aLections désordonnées +# $’est un chemin concretpour acquérir * les m.mes sentiments qui sont dans le $hrist

 [ésus + &h >,:#5$

Ge telles recherches, qui partent de la considération de la poétique

"i"lique et de son impact sur les dispositions du cro!ant, ne

peuvent que fortement rencontrer l’ensem"le des traditions

spirituelles qui, depuis les &ères de l’glise et /rigène, s’appuient

sur le développement de ce qui est appelé, par analogie aux cinqsens corporels, les * sens spirituels [3$] [3$]  7oir en particulier la

pu"lication d’articles issus### +# Pn vaste chantier est donc ouvert

aux théologiens et exégètes pour explorer cette inuence profonde

des écrits "i"liques sur la formation des sujets cro!ants par la

médiation de l’imagination#

,otes