310
CORE Metadata, citation and similar papers at core.ac.uk Provided by Infoscience - École polytechnique fĂ©dĂ©rale de Lausanne

EPFL - Centre Midi, case postale 119 CH-1015 Lausanne

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

CORE Metadata, citation and similar papers at core.ac.uk

Provided by Infoscience - École polytechnique fĂ©dĂ©rale de Lausanne

Cet ouvrage est une publication des Presses polytechniques etuniversitaires romandes dont le but est principalement l’édition e ladiffusion des travaux de l’Ecole polytechnique fĂ©dĂ©rale de Lausanne,des universitĂ©s romandes et d’autres universitĂ©s francophones. Lecatalogue de leurs publications peut ĂȘtre obtenu aux:

Presses polytechniques et universitaires romades,EPFL - Centre Midi, case postale 1191015 LausanneSuisse

Vous pourvez Ă©galement consulter notre site internet Ă  l’adressewww.ppur.org

ISBN 2-88074-270-6PremiĂšre Ă©dition 1994© Presses polytechniques et universitaires romandesCH-1015 LausanneImprimĂ© en SuisseTous droits rĂ©servĂ©s.Reproduction, mĂȘme partielle, interdite sous quelque forme ou surquelque support que ce soit sans l’accord Ă©crit de l’éditeur.

iii

Table des matiĂšres

Liste des auteurs vCarte de visite de la C.E.A.T. vii

INTRODUCTION PremiĂšre approche du PPPJean RUEGG

1

Premiùre partie:ÉTAT DES LIEUX ET DÉFINITION

CHAPITRE 1 Remise en question de l'EtatJean-Daniel DELLEY

17

CHAPITRE 2 Conséquences de l'organisation post-fordiste sur le fonctionnement del'administrationLuigi BOBBIO

25

CHAPITRE 3 Dynamique territoriale et rĂŽle des milieuxDenis MAILLAT

41

CHAPITRE 4 Contexte du PPP en France:instabilité du droit et redistribution des rÎlesentre les secteurs public et privéVincent RENARD

57

CHAPITRE 5 Conséquences du PPP pour la productiondes projets d'urbanismeGuy HENRY

67

CHAPITRE 6 Formes du PPPJean RUEGG

79

Seconde partie:EXEMPLES

CHAPITRE 7 PPP dans la politique de gestion des déchetsPeter KNOEPFEL et Martin BENNINGHOFF

97

CHAPITRE 8 Planification d'ensemble d'Oberhauserrietdans la commune d'OpfikonMartin STEIGER

129

iv

CHAPITRE 9 Vers une conception plus dynamique del'aménagement du territoire: le projet «PDE»Rudolf BURKHALTER

139

CHAPITRE 10 Exemple de PPP entre l'Etat, une entrepriseintégrale et une banque:le projet du Zénith à GenÚveBernard BOURQUIN, François REINHARDet Bernard VERDIER

149

CHAPITRE 11 Louvain-la-Neuve: une opération complexeà partenaires multiplesJean REMY et Jean-Marie LECHAT

165

Troisiùme partie:CONDITIONS ET INSTRUMENTSDE MISE EN ƒUVRE

CHAPITRE 12 Participation du public à la préparationdes grands projets d'infrastructuresPhilippe WARIN

189

CHAPITRE 13 DĂ©finir l'intĂ©rĂȘt public:une mission impossible?Pierre MOOR

217

CHAPITRE 14 PPP et exigences du secteur privé:l'exemple du développement d'équipementscommerciauxCharles JOYE

237

CHAPITRE 15 Gestion du PPP:l'intĂ©rĂȘt d'une approche stratĂ©giqueStĂ©phane DECOUTĂšRE

245

CHAPITRE 16 PPP et marketing urbainPatrice NOISETTE

261

CHAPITRE 17 Convention et contrat:des outils de mise en Ɠuvre du PPPPierre Louis MANFRINI

283

SYNTHĂšSE Enjeux et limites du recours au PPPNicolas METTAN

293

v

Liste des auteurs

Martin BENNINGHOFF assistant, Institut de hautes études enadministration publique, Université deLausanne.

Luigi BOBBIO chercheur, COREP, Polytechnique de Turin.

Bernard BOURQUIN directeur régional, SA Conrad Zschokke,GenÚve.

Rudolf BURKHALTER économiste-aménagiste, Bureau Aarproject,Berne.

Stéphane DECOUTÚRE géographe, Communauté d'études pourl'aménagement du territoire, Lausanne.

Jean-Daniel DELLEY maßtre d'enseignement et de recherche,Département de droit constitutionnel,Université de GenÚve.

Guy HENRY urbaniste, Bureau Urbanisme & Architecture,Paris.

Charles JOYE Ă©conomiste, Retail & Development Services,Genthod.

Peter KNOEPFEL professeur, Institut de hautes études enadministration publique, Université deLausanne.

Jean-Marie LECHAT directeur, Administration des Domaines,Université Catholique de Louvain-la-Neuve.

Denis MAILLAT professeur, Institut de rechercheséconomiques et régionales, Université deNeuchùtel.

Pierre Louis MANFRINI avocat et professeur, Institut de hautes étudesen administration publique, Université deLausanne.

Nicolas METTAN économiste, Communauté d'études pourl'aménagement du territoire, Lausanne.

Pierre MOOR professeur, Institut de droit public, Universitéde Lausanne.

vi

Patrice NOISETTE directeur scientifique, Institut de l'Ă©conomieurbaine, Paris.

François REINHARD directeur, Section des bùtiments, Départementdes travaux publics et de l'énergie, Républiqueet Canton de GenÚve.

Jean REMY professeur, Service du plan urbain, UniversitéCatholique de Louvain-la-Neuve.

Vincent RENARD directeur de recherche au CNRS, Laboratoired'économétrie, Ecole polytechnique de Paris.

Jean RUEGG géographe-aménagiste, Communautéd'études pour l'aménagement du territoire,Lausanne.

Martin STEIGER architecte-urbaniste, Planpartner AG, Zurich.

Bernard VERDIER sous-directeur, Cellule de surveillance desrisques, Société de Banque Suisse, GenÚve.

Philippe WARIN chercheur, Centre de recherche sur lepolitique, l'administration et le territoire, Institutd'Ă©tudes politiques de Grenoble.

vii

Carte de visite de la C.E.A.T.

La C.E.A.T. (Communauté d'études pour l'aménagement du terri-toire) a été créée en 1975 par les cantons de Suisse romande sur pro-position de la CUR (Conférence universitaire romande).

Bénéficiant de l'appui et de la collaboration de l'EPFL (Ecole poly-technique fédérale de Lausanne) et des universités, la C.E.A.T. déve-loppe des activités d'enseignement, de recherche, de conseil et d'ex-pertise dans les domaines de la promotion économique, de l'aménage-ment du territoire et de la protection de l'environnement. Elle est égale-ment une plate-forme d'échanges et de discussions pour les spécia-listes, les professionnels, les responsables politiques et administratifsainsi que pour les scientifiques travaillant dans ces domaines.

L'organe de direction de la C.E.A.T. est le Conseil. Il est composĂ© dereprĂ©sentants des cinq Hautes Ă©coles de Suisse romande, des milieuxpolitiques, Ă©conomiques et de praticiens de l'amĂ©nagement des cantonsromands, de Berne et du Tessin. Il est actuellement prĂ©sidĂ© parMonsieur Serge Sierro, conseiller d'Etat du canton du Valais. Son or-gane exĂ©cutif est le secrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral formĂ© d'une Ă©quipe pluridiscipli-naire – amĂ©nagiste, architecte-urbaniste, Ă©conomiste, gĂ©ographe, in-gĂ©nieur, juriste, politologue – dirigĂ©e par Monsieur Michel Rey.

En matiÚre d'enseignement, la C.E.A.T. a organisé cinq séminairesde troisiÚme cycle sur les thÚmes suivants:

● le plan directeur cantonal (1981-1982);● la gestion des conflits intĂ©grĂ©e Ă  l'amĂ©nagement local (1984);● l'Ă©valuation des politiques publiques en Suisse (1988);● la nĂ©gociation en amĂ©nagement du territoire et pour la protection

de l'environnement (1991);● le partenariat public-privĂ©.

Ce livre rassemble les contributions au séminaire de troisiÚme cycletenu en automne 1993 sur le thÚme du partenariat public-privé. CethÚme s'inscrit dans un cadre plus large de réflexions que la C.E.A.T.poursuit à propos des problÚmes, programmes ou politiques à impactspatial.

1

Introduction

PREMIÈRE APPROCHE DU PPP

Jean RUEGG

Le thĂšme du PPP (partenariat public-privĂ©) s'inscrit Ă  la suite des tra-vaux que la C.E.A.T. (CommunautĂ© d'Ă©tudes pour l'amĂ©nagement duterritoire) mĂšne depuis plusieurs annĂ©es et qui sont liĂ©s Ă  l'analyse et Ă l'Ă©valuation des politiques publiques Ă  dimension spatiale. Dans uncontexte, marquĂ© par l'internationalisation des Ă©changes, les mutationsdes structures Ă©conomiques, l'accroissement de la concurrence entrevilles, rĂ©gions ou nations et la crise des finances publiques, le PPP paraĂźtincontournable. Mais que recouvre-t-il au juste? Est-il un concept nou-veau qui dissimule des pratiques anciennes? Est-il un phĂ©nomĂšne pu-rement conjoncturel qui disparaĂźtra avec la reprise Ă©conomique? VoilĂ quelques questions que la C.E.A.T. a voulu aborder lors du sĂ©minaire detroisiĂšme cycle qu'elle a organisĂ©, sous l'Ă©gide de la CUR (ConfĂ©renceuniversitaire romande), en automne 1993. Cet ouvrage rassemble la plu-part des contributions qui y ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es. Par ailleurs, et comme lePPP sous-tend souvent une forme de nĂ©gociation, ce livre peut ĂȘtreconsidĂ©rĂ© comme le prolongement des rĂ©flexions que la C.E.A.T. a pu-bliĂ©es rĂ©cemment sur ce thĂšme [Ruegg et al. 1992].

J. Ruegg

2

Dans les lignes qui suivent, nous précisons la problématique danslaquelle s'inscrit l'ensemble des textes qui sont réunis ici. Puis, nousprésentons la logique de leur agencement.

1. PROBLÉMATIQUE

Deux éléments constituent, en quelque sorte, des clés pour la lec-ture de cet ouvrage. Nous privilégions le point de vue de la collectivité,c'est-à-dire, le pÎle public du PPP. Et puis, notre réflexion s'inscrit dansun débat plus vaste qui est celui de la façon dont l'administration fournitdes biens et des services publics. Ce deuxiÚme point mérite quelquesdéveloppements.

1.1 Evolution des fonctions de l'administration

Dans la plupart de nos pays d'Occident, l'administration est mise enplace dĂšs le XIXe siĂšcle, d'abord pour exercer des fonctions de contrĂŽleet de police. L'action publique vise Ă  prĂ©venir certains maux liĂ©s Ă  l'indus-trialisation et Ă  l'urbanisation. Ensuite, petit Ă  petit, elle est dotĂ©e de ca-pacitĂ©s et de compĂ©tences supplĂ©mentaires. Pour pallier aux insuffi-sances de la rĂ©gulation par le marchĂ©, l'administration est chargĂ©e no-tamment de produire certains biens et services. DĂ©sormais, il est admisque cette entitĂ© joue un rĂŽle plus actif. Elle oriente le fonctionnementmĂȘme de la sociĂ©tĂ© civile. Bien Ă©videmment, cela ne va pas sans heurt.L'administration entre parfois en conflit avec des entreprises privĂ©esd'utilitĂ© publique, chargĂ©es par exemple de l'adduction d'eau ou de laplanification et de l'exploitation des premiers transports publics [LĂ©onardet LĂ©veillĂ©e 1990: 143]. Par ailleurs, ce nouveau rĂŽle confiĂ© Ă  l'adminis-tration va aussi profondĂ©ment modifier les relations entre le secteur pu-blic et les usagers. Pendant longtemps, ces derniers sont les produc-teurs des services de premiĂšre nĂ©cessitĂ© – pensons, par exemple, Ă  lacorvĂ©e d'eau. MĂȘme s'il s'accompagne souvent d'une amĂ©lioration duconfort d'utilisation1, le transfert de la production de ces services au seindu secteur public peut conduire Ă  un dĂ©sengagement des usagers.2

1 Eau courante dans les logements, écoulement dans les égouts puis appa-rition de l'électricité sont quelques exemples de ces changements quali-tatifs.

2 Il y a là sans doute quelques parallÚles intéressants à faire avec les thÚsesd'Ewald [1986] sur la déresponsabilisation des usagers liée à l'essor desassurances sociales au XIXe siÚcle.

PremiĂšre approche du PPP

3

Ceux-ci entretiennent, toujours plus souvent, une relation contractuelleet marchande avec le secteur public. Ils paient des impĂŽts pour obtenircertaines prestations en contrepartie [Monkkonen 1988: 143; Hamel etLĂ©onard 1992: 10].

L'histoire de notre siĂšcle peut alors aussi ĂȘtre vue sous l'angle del'histoire de l'administration. Cette derniĂšre ne va pratiquement pas ces-ser de s'Ă©toffer3 en concrĂ©tisant, au passage, la professionnalisation decertaines prĂ©occupations telles que l'urbanisme, le dĂ©veloppement rĂ©-gional ou la protection de l'environnement.

La critique de l'administration est sans doute aussi vieille que l'ad-ministration elle-mĂȘme. PrĂšs de nous, les travaux de Crozier et Friedberg[1977], consacrĂ©s Ă  la sociologie des organisations, suggĂšrent parexemple que les grands corps administratifs tendent aussi Ă  dĂ©velopperdes rĂšgles et des conduites visant Ă  leur survie et Ă  leur reproduction. Or,celles-ci peuvent nuire, parfois, Ă  la poursuite de la fonction du secteurpublic. Cette critique est fondamentale. Elle malmĂšne la perceptionnaĂŻve, qui voit dans l'administration l'organe d'exĂ©cution parfaitementtransparent et neutre au seul service du pouvoir politique et de l'intĂ©rĂȘtpublic.

Ce prĂ©ambule n'a Ă©videmment pas la prĂ©tention de vouloir retracerl'histoire du service public. Mais il permet peut-ĂȘtre de mieux comprendrecomment s'inscrit le PPP. En effet, avec la crise actuelle des financespubliques, la critique Ă  l'Ă©gard de l'administration est encore plus sĂ©-rieuse que par le passĂ©.

Les questions suivantes nous paraissent alors pertinentes pour ap-préhender le PPP:

● Comme le PPP, que d'aucuns associent Ă  la privatisation4, s'inscritclairement dans le contexte du «moins d'Etat», la premiĂšre ques-tion qui vient Ă  l'esprit est celle-ci: le PPP ne fait-il pas partie d'uncourant nĂ©o-libĂ©ral qui aurait pour finalitĂ© de rendre au privĂ© laproduction de biens et de services d'utilitĂ© publique? Autrementdit, le PPP n'est-il pas le rĂ©vĂ©lateur d'un retour au siĂšcle dernieroĂč de nombreux services Ă©taient produits, soit par les usagers,soit par des entreprises privĂ©es d'utilitĂ© publique?

● Le PPP est-il une formalisation des efforts de restructuration dessystùmes administratifs ou trahit-il plutît une sorte de fuite en

3 Au niveau fĂ©dĂ©ral, l'administration connaĂźt peut-ĂȘtre son apogĂ©e dans lesannĂ©es soixante-dix, en profitant de la croissance de l'aprĂšs-guerre et duphĂ©nomĂšne de la progression Ă  froid.

4 Nous verrons cependant que cette vision n'est pas unique (chapitre 6).

J. Ruegg

4

avant, parce que les financements publics nécessaires à la re-structuration ne sont pas là [Heinz 1993: 17]?

● Le PPP relĂšve-t-il d'un effet de mode, est-il un nouveau terme quiplaĂźt, ou concerne-t-il des changements plus profonds qui au-raient des effets structurels sur le fonctionnement et l'organisa-tion de nos sociĂ©tĂ©s?

Dans cette introduction, nous envisageons simplement quelquespistes qui permettent d'aborder ces questions. Ces pistes sont reprisesplus loin, pratiquement dans l'ensemble des textes que nous avons ras-semblés, et plus particuliÚrement dans ceux de la premiÚre partie(chapitres 1 à 6).

1.2 PremiÚre définition du PPP

Dans la littérature portant plus précisément sur l'AT (aménagementdu territoire) et sur l'urbanisme, la notion de PPP est souvent associée àla famille de réflexions et de pratiques qui sont développées sous le labeldu «nouvel urbanisme». Avec Ascher, nous pourrions situer le nouvelurbanisme entre la planification urbaine traditionnelle et la dé-planificationlibérale. Mais, il

«n'est ni un mélange des deux approches, ni à égale distanced'entre elles» [Ascher 1991: 119].Le nouvel urbanisme est pragmatique, opérationnel, flexible. Il est

rĂ©vĂ©lateur d'une approche oĂč● la consolidation technique et la validation politique d'un projet

sont menées conjointement, dÚs les premiÚres phases de sonélaboration;

● la qualitĂ© du processus de dĂ©cision est aussi importante que laqualitĂ© du produit.

Mais, la notion de PPP va au-delĂ  de ces seuls domaines d'applica-tion. On la retrouve Ă  la fois dans les rĂ©flexions portant sur la restructura-tion des organisations publiques, sur le renouvellement des politiquesde dĂ©veloppement rĂ©gional ou sur l'intĂ©gration des exigences environ-nementales. Dans tous ces cas, et en premiĂšre analyse, le PPP sembleĂȘtre une rĂ©ponse possible aux rĂ©ajustements rendus nĂ©cessaires par lanouvelle organisation «post-fordiste» de nos sociĂ©tĂ©s.5 Nous revien-drons plus loin sur les caractĂ©ristiques de cette nouvelle organisation.

5 En fait, il peut ĂȘtre utile de distinguer au moins deux approches. Avec lapremiĂšre, le PPP serait un ajustement rendu nĂ©cessaire par le «post-for-disme». Le PPP serait alors liĂ© Ă  un effort de restructuration visant Ă  dĂ©ga-ger au sein du secteur public des gains de productivitĂ© comparables Ă  ceux

PremiĂšre approche du PPP

5

Le terme de PPP concerne des processus oĂč les secteurs public etprivĂ© sont amenĂ©s Ă  travailler conjointement pour rechercher, Ă©laborer etsurtout mettre en Ɠuvre des solutions qui n'auraient pas de raisonsd'ĂȘtre ni de chances d'exister ou, plus simplement, qui ne prĂ©senteraientpas la mĂȘme qualitĂ©, si le secteur public et le secteur privĂ© se canton-naient dans une voie solitaire.

Ceci est une premiĂšre dĂ©finition. Elle suggĂšre que les acteurs pu-blics et privĂ©s ont un intĂ©rĂȘt commun Ă  travailler de maniĂšre concertĂ©e.Elle permet mĂȘme de concevoir que le PPP se dĂ©veloppe dans un es-pace de transaction dĂ©fini par cet intĂ©rĂȘt commun d'une part, et par la dif-fĂ©rence fonciĂšre qui perdure entre eux d'autre part. Les acteurs public etprivĂ© ne poursuivent pas la mĂȘme finalitĂ©. Ils ne doivent donc pas seconfondre. L'acteur public poursuit un «intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral» et l'acteur privĂ©un «intĂ©rĂȘt particulier». Il faut alors noter que, dans ce contexte, l'acteurprivĂ© peut ĂȘtre aussi bien:

● un agent qui produit ou qui consomme;● un acteur collectif ou individuel;● une entreprise ou un usager.

L'existence d'un espace de transaction n'est pas nouvelle. A l'intĂ©-rieur de celui-ci, les relations sont plus ou moins codifiĂ©es, notammentpar le biais de la lĂ©gislation et de l'appareil juridique. Dans ce contexte, lePPP doit ĂȘtre vu comme une disposition organisationnelle – parmid'autres – pour gĂ©rer, dans cet espace de transaction, les relations entreacteurs publics et privĂ©s. Sa caractĂ©ristique premiĂšre serait d'occuperune sorte de position intermĂ©diaire (fig. 1) entre l'Etat, qui a longtempsservi de forme d'organisation privilĂ©giĂ©e pour traiter des relations privĂ©es-publiques, et le marchĂ©, qui, par la privatisation, pourrait ĂȘtre l'autre pĂŽlepossible de la gestion de ces relations [Greffe 1990: 645]. Cet espaceintermĂ©diaire exprime aussi l'idĂ©e que nous ne vivons pas dans une si-tuation qui serait idĂ©ale et parfaite. Il n'y a ni d'un cĂŽtĂ© un marchĂ© parfait etun secteur public dĂ©passĂ©, ni de l'autre un secteur public, compĂ©tent etseul capable de dĂ©fendre l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, et des entrepreneurs, prĂ©da-teurs de notre sociĂ©tĂ©. Ce ne sont pas lĂ  les termes de l'alternative. Nousdevons plutĂŽt choisir des modes de fonctionnement en tenant compted'un secteur public perfectible et d'un marchĂ© imparfait. Ce sont lĂ , nous

du secteur privé. Avec la seconde, le PPP découlerait plus prosaïquementde la crise des finances publiques. Incapable de remplir tous ses engage-ments, obligé de fixer des priorités, le secteur public se résoudrait à la pri-vatisation et le PPP en serait une forme.

J. Ruegg

6

pensons, les caractéristiques de l'espace de transaction dans lequel lePPP entre en ligne de compte [Stephenson 1991, 113].

PPP

public

privé

FIG. 1 Position intermédiaire du PPP

Par ailleurs, le PPP n'est pas nouveau non plus. Plusieurs formesde PPP sont déjà pratiquées, en Suisse ou ailleurs, depuis plusieurs dé-cennies. Nommons par exemple:

● les politiques fiscales destinĂ©es Ă  attirer de nouvelles entrepriseset qui reposent sur l'exonĂ©ration ou le report de la fiscalitĂ©;

● le plan de quartier qui permet au dĂ©veloppeur d'obtenir d'autresrĂšgles que celles qui sont prĂ©vues dans les plans d'amĂ©nage-ment;

● les techniques pour financer des Ă©quipements centraux tels queles stations du mĂ©tro de Toronto.

La nouveautĂ© – si nouveautĂ© il y a – rĂ©side plutĂŽt dans l'adĂ©quation,qui paraĂźt structurelle, entre le PPP et les conditions-cadres qui prĂ©valentdans nos sociĂ©tĂ©s post-fordistes.

1.3 Caractéristiques de l'organisation post-fordiste

Prise en compte de la demande

Le systÚme fordiste était fondé sur la production de masse et la di-vision du travail (organisation taylorienne). Il s'agissait de générer uneoffre puis d'aller sur les marchés pour lui trouver des preneurs.

Avec le post-fordisme, il s'agit désormais d'organiser les modes deproduction de maniÚre à ce qu'ils serrent au plus prÚs les exigences de la

PremiĂšre approche du PPP

7

demande. D'oĂč la volontĂ© de compresser les stocks, de recourir au just intime, de simplifier les structures des organisations (simplification et rĂ©-duction des niveaux hiĂ©rarchiques), d'organiser diffĂ©remment le travail(travail de groupe, compĂ©tence transverse, flexibilitĂ© des horaires), deresponsabiliser et de rendre autonome les unitĂ©s de production [Heinz1993: 5-6]. Le mot-clĂ© est la flexibilitĂ©: il faut rendre l'offre flexible parrapport Ă  la demande.

Importance de la mondialisation de l'Ă©conomie6

La mondialisation de l'Ă©conomie se traduit notamment par:● la modification des critĂšres de localisation des entreprises: celles-

ci marquent une indépendance croissante à l'égard des distancesspatiales et du besoin de proximité entre leurs unités de décision,de recherche et développement et de production; par contre,elles tendent à valoriser des critÚres qualitatifs;

● l'accroissement de la compĂ©tition entre les pays, les rĂ©gions et lesvilles: nous observons, d'abord, une forte pression Ă  l'uniformisa-tion des lois et des contraintes lĂ©gales (cf. Eurolex) et, ensuite, unengouement certain pour le marketing territorial [Ashworth etVoogd 1990].

L'évolution des marchés locaux de l'emploi devient difficile à pré-voir. Le secteur public doit faire avec des forces économiques qui limi-tent la portée des pratiques volontaristes et planificatrices.

Modification de la pratique Ă©tatique

L'Etat est toujours plus sollicitĂ©, en raison notamment des exi-gences de la coordination et de la complexitĂ© des mĂ©canismes Ă  rĂ©guler,tandis que ses ressources tendent Ă  stagner ou Ă  diminuer. Pour faireface Ă  ses engagements, il doit fixer des prioritĂ©s, recourir Ă  des poli-tiques incitatives plutĂŽt que coercitives, se lancer dans des opĂ©rationsoĂč il doit pouvoir compter sur la participation d'autres acteurs issus:

● du secteur public; il s'agit des acteurs Ɠuvrant dans d'autres ser-vices au sein d'une mĂȘme administration, des acteurs relevantd'autres administrations de mĂȘme niveau ou d'autres administra-tions de niveaux diffĂ©rents;

● des entrepreneurs du secteur privĂ©; en Suisse par exemple, le fi-nancement de l'assurance chĂŽmage dĂ©pend notamment des em-

6 Cette mondialisation de l'économie n'est certainement pas sans relationavec la montée des revendications locales, régionales et nationales expri-mées par les usagers-citoyens. Mais ceci est un autre débat.

J. Ruegg

8

ployeurs tandis que la réalisation de logements d'utilité publiquerepose partiellement sur les promoteurs privés;

● des usagers; comme responsables du tri Ă  la source, ils consti-tuent un des maillons essentiels des politiques de recyclage desdĂ©chets.

Cette modification est lourde de consĂ©quences. Elle implique unerĂ©orientation des stratĂ©gies nĂ©cessaires Ă  la poursuite de l'action pu-blique. Les moyens ne sont plus lĂ  pour envisager un Etat qui planifieraittout. Mais elle requiert aussi un changement des modalitĂ©s de mise enƓuvre de l'action publique: planifier, contrĂŽler, sanctionner ne sont plusdes tĂąches suffisantes. Il faut envisager dĂ©sormais de conseiller, de par-ticiper, d'imaginer, de nĂ©gocier. Ceci exige des compĂ©tences nouvelles... que l'on rencontrerait plus frĂ©quemment dans le secteur privĂ©.7

Explosion des structures urbaines traditionnelles

Les limites des agglomérations définies en termes de marché del'emploi, de bassin de pendulaires, de consommation sociale ou d'utilisa-tion d'infrastructures sportives et culturelles ne coïncident plus avec leslimites administratives des communes-centres. Cette évolution est bienconnue. Elle se caractérise notamment par l'existence de spillovers etelle participe à la précarité des finances des communes-centres.

Par conséquent, les communes doivent veiller à s'insérer dans deshorizons plus vastes. Elles doivent faire l'effort de «penser région» lors-qu'il s'agit notamment de traiter des dossiers tels que la mise en placedes transports publics, le financement des équipements centraux (hos-pitaliers, sportifs ou socio-culturels) ou l'aménagement des espaces pu-blics ou de détente.

Mais...

Il serait faux de déduire de ce qui précÚde que le PPP ne profitequ'au secteur public. Le secteur privé est aussi intéressé à des formesde partenariat, notamment chaque fois que celles-ci permettent de cap-ter des «effets externes d'organisation»8 [Greffe 1990] et des externali-

7 Le conditionnel semble ĂȘtre de rigueur. En effet, par idĂ©ologie sans doute,nous avons souvent tendance Ă  prĂȘter les qualitĂ©s de souplesse et deflexibilitĂ© au secteur privĂ©, et celles de lourdeur et d'inertie au secteur pu-blic. Ceci est certainement un peu caricatural. Par contre, il est vraisem-blable de penser que les groupes privĂ©s, en cas de nĂ©cessitĂ©, prĂ©sententune plus grande capacitĂ© Ă  s'adapter Ă  des conditions-cadres nouvelles.

8 Les effets externes d'organisation renvoient Ă  la notion d'espace de sou-tien [Ratti 1993] ou Ă  celle de milieu innovateur [Maillat 1993].

PremiĂšre approche du PPP

9

tés. Parmi ces effets externes, il faut citer tous les processus dont laréussite dépend de la mise en commun, de façon concertée, de res-sources et de compétences détenues par des partenaires différents.Quant aux externalités, elles concernent, par exemple, l'ensemble deséléments qualitatifs que l'on range souvent sous le label d'«aménité» etqui vont de l'image de marque d'un lieu aux effets d'agglomération, enpassant par la qualité du cadre de vie et celle des équipements socio-cul-turels, sportifs, éducatifs ou sanitaires.

Il faut alors reconnaĂźtre que les motifs pour s'engager dans desformes de PPP sont multiples [F. de Closets 1989: 178]. Il peut s'agir,par exemple, de:

● faire Ă  moindre coĂ»t;● pallier les insuffisances des financements publics ou mobiliser

des moyens supplémentaires pour faire face à un programme àgrande échelle (cf. compétition entre villes ou entre régions pourdémarcher de nouvelles entreprises);

● mettre en commun des services, des savoir-faire ou des capacitĂ©sd'actions complĂ©mentaires, qui sont dĂ©tenus partiellement parl'Etat ou le secteur privĂ©;

● stimuler le renouveau du service public par une contribution extĂ©-rieure;

● faire face Ă  l'urgence, Ă  la diversitĂ© ou Ă  la nĂ©cessitĂ© d'actions Ă©pi-sodiques ou Ă©phĂ©mĂšres pour lesquelles l'administration, trop ri-gide, est dĂ©munie ou embarrassĂ©e;

● obtenir l'engagement et le soutien du secteur public pour la rĂ©ali-sation d'un projet privĂ©.

En résumé

Pour situer le PPP, nous pouvons retenir pour le moment qu'il estsouvent associé aux préoccupations suivantes:

● la volontĂ© de composer avec des ressources limitĂ©es;● le souci d'augmenter l'efficacitĂ© – mesurĂ©e en termes de mise en

Ɠuvre – des dĂ©cisions prises Ă  l'intĂ©rieur de nos systĂšmes so-ciaux, institutionnels, juridiques et politiques;9

● la volontĂ© de privilĂ©gier une approche transversale (plutĂŽt quesectorielle) afin de prendre en compte les dimensions sociale, po-litique, Ă©conomique, environnementale et technique d'un projet;

9 De ce point de vue, le PPP s'inscrit dans un contexte réformiste plutÎt querévolutionnaire.

J. Ruegg

10

● la recherche de pratiques plus contractuelles et plus flexibles,moins figĂ©es et moins procĂ©duriĂšres, qui intĂšgrent largement lanĂ©gociation et la planification stratĂ©gique [OEPR/ROREP 1992].

Le PPP est donc dans l'air du temps.

2. STRUCTURE DU LIVRE

Le livre comprend trois parties. Chacune poursuit un objectif parti-culier. Ainsi, la premiĂšre vise Ă  mieux camper le contexte et Ă  dĂ©velopperla notion du PPP. La seconde porte sur une sĂ©rie d'exemples de miseen pratique du PPP. La troisiĂšme est consacrĂ©e aux conditions et auxinstruments de sa mise en Ɠuvre.

2.1 Contenu de la premiĂšre partie

Les premiÚres contributions tentent de poser le cadre du PPP etd'expliquer pourquoi ce concept apparaßt dans nos pratiques. Ainsi,Jean-Daniel Delley essaie de repérer les changements qui concernent lestatut et le rÎle de l'Etat. Tout en plaçant ces changements dans lecontexte italien, Luigi Bobbio s'intéresse à leurs effets pour le fonction-nement de l'administration. Denis Maillat privilégie plutÎt le point de vuedu secteur privé. Il observe que les mutations actuelles conduisent à uneréorganisation qui table sur l'importance croissante des milieux inno-vateurs.

La contribution de Vincent Renard traite de la planification territorialefrançaise. Elle rappelle, d'abord, que l'expérience du PPP est déjà assezancienne et, ensuite, qu'elle n'est pas exempte de critiques. Traitantégalement du cas français, Guy Henry s'intéresse aux influences pos-sibles du PPP sur le passage, toujours délicat, de la planification à la réa-lisation d'un projet d'urbanisme.

Enfin, dans ce qui apparaĂźt comme une premiĂšre synthĂšse, JeanRuegg montre que le concept du PPP n'est pas encore trĂšs bien Ă©tabli. Ilest encore souvent compris de diffĂ©rentes façons en fonction ducontexte, du domaine d'application et du problĂšme Ă  rĂ©soudre. En outre,aux diffĂ©rentes formes du PPP correspondent des difficultĂ©s particu-liĂšres de mise en Ɠuvre.

2.2 Contenu de la seconde partie

La seconde partie expose une série d'exemples de mise en pra-tique du PPP. Ces exemples ont été choisis de maniÚre à rendre

PremiĂšre approche du PPP

11

compte, au moins partiellement, de la diversitĂ© des situations dans les-quelles le PPP est prĂ©sent. Ils ne sont pas de simples illustrations duPPP. Mais, ils visent Ă  en faire ressortir les enjeux et les difficultĂ©s demise en Ɠuvre. Ils annoncent ainsi la troisiĂšme partie oĂč les enjeux et lesdifficultĂ©s sont repris plus extensivement.

La gestion des déchets permet à Peter Knoepfel et MartinBenninghoff de montrer que ce domaine est un véritable laboratoirepour le PPP. En effet, la plupart des cantons suisses sont justement entrain de mettre en place des concepts de gestion des déchets qui repo-sent sur des pratiques partenariales. Or, cela pose souvent des ques-tions essentielles. Il apparaßt que, dans certains cas, le recours au PPPbloque la recherche de nouveaux procédés plus écologiques ouconduit à l'émergence de nouveaux monopoles qui sont apparemmentcontraires à l'économie de marché.

L'exemple suivant concerne la planification d'un quartier situé dansune commune de l'agglomération zurichoise. Martin Steiger en tire plu-sieurs enseignements utiles pour considérer le PPP.

L'exemple bernois des PDE (pĂŽles de dĂ©veloppement Ă©cono-mique), qui est en voie de concrĂ©tisation, nous intĂ©resse notammentpour le soin que les responsables de l'Ă©tude ont mis au management deleur projet, lequel soin est sans aucun doute une condition importantepour la mise en Ɠuvre du PPP.

Avec le ZĂ©nith, nous restons dans l'urbanisme. La prĂ©sentation dece cas est trĂšs riche. D'abord, elle permet de se familiariser avec la lo-gique d'un grand groupe de construction. Avec les compĂ©tences qu'ilrassemble, cet acteur est appelĂ© Ă  jouer un rĂŽle croissant dans les projetsd'urbanisme. Or, il y a lieu de se demander si, dans le cadre d'un PPP, legrand groupe de construction n'impose pas un rapport de force qui seraitpar trop dĂ©favorable au secteur public.10 Ensuite, elle met en parallĂšle lesperceptions de l'entrepreneur, Bernard Bourquin, du banquier, BernardVerdier, et du reprĂ©sentant de l'administration, François Reinhard. Cetexemple rend alors compte des nĂ©gociations, pas toujours faciles, quisont inĂ©luctables lorsque le PPP vise Ă  la rĂ©alisation d'un projet trĂšs prĂ©-cis tant de par sa nature que de par sa localisation. Il suggĂšre aussi, qu'unPPP «pur» – oĂč seul des «gains» seraient en jeu – relĂšve surtout de lathĂ©orie. Il n'est vraisemblablement pas possible de finaliser un projetcomme le ZĂ©nith sans faire de concessions.

Le dernier exemple est consacré à la réalisation de la ville nouvellede Louvain-la-Neuve. Jean Remy et Jean-Marie Lechat s'attachent à

10 Cette question est d'autant plus actuelle que de nombreuses municipalitĂ©ssuisses, mĂȘme de taille moyenne – Vevey, NeuchĂątel, par exemple – tra-vaillent dĂ©jĂ  avec ces nouveaux partenaires.

J. Ruegg

12

montrer comment les intĂ©rĂȘts public et privĂ© ont jouĂ©s ensemble etcomment ils ont Ă©tĂ© pris en compte dans le processus de planification,de rĂ©alisation, puis de gestion de Louvain-la-Neuve.

2.3 Contenu de la troisiĂšme partie

Cette derniÚre partie est organisée en deux temps.Dans un premier, elle est consacrée aux conditions qui sont néces-

saires avant d'envisager un PPP. En s'appuyant sur l'expĂ©rience fran-çaise, Philippe Warin se demande comment le secteur public prend encompte les demandes formulĂ©es par l'usager... qui est un acteur privĂ©.Bien sĂ»r, la situation française est diffĂ©rente de la nĂŽtre. Il n'empĂȘcheque son analyse met en Ă©vidence toutes une sĂ©rie de difficultĂ©s quenous rencontrons aussi dans notre pratique oĂč, trop souvent encore, lesgroupes d'usagers ou les associations ne peuvent pas participer Ă  l'Ă©la-boration d'un projet. Ils interviennent seulement en fin de parcours, et defaçon rĂ©active, lorsque le projet est bien dĂ©fini. Mais, ne serait-il pas sou-haitable qu'ils soient des partenaires dĂšs les premiĂšres phases de l'Ă©la-boration du projet? Et si oui, ne faudrait-il pas les doter de la capacitĂ© defaire des expertises et de proposer des solutions? Dans un autre do-maine, la thĂ©orie invite la collectivitĂ© publique Ă  Ă©viter un PPP si le risquede trahir l'intĂ©rĂȘt public est trop Ă©levĂ©. Les considĂ©rations de Pierre Moorsont alors centrales. En dĂ©veloppant une rĂ©flexion sur la dĂ©finition del'intĂ©rĂȘt public, il suggĂšre que ce dernier ne se laisse pas apprĂ©henderfacilement. L'intĂ©rĂȘt public n'est pas immĂ©diatement opĂ©rationnel et re-quiert, au contraire, d'ĂȘtre prĂ©cisĂ© avec humilitĂ© et honnĂȘtetĂ©. Cet en-seignement est d'autant plus important que, de son cĂŽtĂ©, Charles Joyelaisse entendre que l'intĂ©rĂȘt privĂ© est plus immĂ©diatement accessible. Lamise en Ɠuvre du PPP n'est alors pas chose aisĂ©e.

Dans un second temps, il est alors question des instruments quipeuvent favoriser la mise en Ɠuvre d'un PPP. L'approche stratĂ©giqueprĂ©sentĂ©e par StĂ©phane DecoutĂšre est assez conceptuelle. Mais, elleest une formalisation prĂ©cieuse qui offre une dĂ©marche et une mĂ©thodede «management» de projet. Elle permet ainsi, notamment, de repĂ©reret de faire prĂ©ciser les enjeux et les modalitĂ©s du PPP. La contributionde Patrice Noisette s'inscrit dans le mĂȘme cadre. En traitant du marketingurbain, elle prĂ©sente en outre un concept qui est appelĂ© Ă  jouer un rĂŽlecroissant pour concrĂ©tiser les jeux de «concurrence-complĂ©mentarité»,qui se dĂ©veloppent aujourd'hui dans le contexte de la mondialisation del'Ă©conomie. Et puis, Pierre-Louis Manfrini prĂ©sente le contrat et laconvention. En analysant plus spĂ©cifiquement le contenu, les avantageset les inconvĂ©nients du contrat et de la convention, il montre que ces

PremiĂšre approche du PPP

13

outils techniques sont particuliĂšrement adĂ©quats pour mettre en Ɠuvrele PPP.

Enfin, dans sa synthÚse, Nicolas Mettan établit une sorte de bilanentre les éléments remarquables qui ressortent des différentes contri-butions présentées ici et les questions qui restent à traiter pour pour-suivre la réflexion sur le thÚme du PPP.

REMERCIEMENTS

La publication d'un tel ouvrage serait impensable sans mettre enpratique quelques formules de partenariat. Nous souhaiterions alors pro-fiter de ces quelques lignes pour remercier ceux qui, dans cette opéra-tion, auront été des partenaires diligents, compréhensifs et stimulants.Nous pensons d'abord aux participants du séminaire, sans lesquelsl'aventure n'aurait tout simplement pas pu débuter. Ensuite aux interve-nants qui se sont pliés à une double exigence: préparer un exposé,puis, dans des délais toujours trop courts, rédiger un texte pour le pu-blier. A eux, nous devons cet ouvrage. Puis, à nos collÚgues de laC.E.A.T., et plus particuliÚrement à Lilli Monteventi, Michel Rey, DorisSfar et MichÚle Wehrli qui, à des titres divers, ont assumé des travaux né-cessaires à la réussite du projet. Enfin, aux Presses polytechniques etuniversitaires romandes pour leur confiance et à Olivier Babel, auquelnous tenons à dire notre reconnaissance pour son professionnalisme etsa compétence.

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

ASCHER, F. 1991. Les principes du nouvel urbanisme. Sociedade eTerritorio Juin, 13: 119-126.

ASHWORTH, G., et H. VOOGD. 1990. Selling the City. London: BelhavenPress.

CGQ. 1991. Partenariat et Territoire. Cahiers de Géographie du Québec.Numéro spécial 95, septembre.

DE CLOSETS, F. 1989. Le pari de la responsabilité. Paris: Payot.CROZIER, M., et E. FRIEDBERG. 1977. L'acteur et le systÚme. Paris:

Seuil.DTP-BERNE. 1992. Les pÎles de développement économique du can-

ton de Berne. Berne: DTP, rapport à l'intention du Conseil-exé-cutif du canton de Berne.

J. Ruegg

14

EWALD, F. 1986. L'Etat providence. Paris: Grasset.GREFFE, X. 1990. Economie du partenariat. Revue d'économie régionale

et urbaine 5: 643-652).HAMEL, P., et J.-F. LĂ©ONARD. 1992. L'avenir des services urbains dans

l'agglomération montréalaise. Trames 6: 7-14.HEINZ, W. 1993. Le développement urbain par le partenariat public-privé:

le point de vue allemand. Paris: MinistĂšre de l'Ă©quipement(document de travail).

LĂ©ONARD, J.-F., et J. LĂ©VEILLĂ©E. 1990. PrĂšs des yeux, prĂšs du cƓur: lagestion des services publics municipaux. In MORIN, R. et al. (Ă©d.).Gestion locale et problĂ©matiques urbaines au tournant des an-nĂ©es 1990: 143-154. MontrĂ©al: UQAM.

MAILLAT, D., M. QUéVIT et L. SENN (éd.). 1993. Réseaux d'innovation etmilieux innovateurs: un pari pour le développement régional.Neuchùtel: EDES.

MONKKONEN, E.-H. 1988. America becomes Urban: the Development ofU.S. Cities and Towns 1780-1980. Berkeley: University ofCalifornia Press.

MONTGOMERY, J., et A. THORNLEY. 1990. Radical Planning Initiatives.Aldershot Hants, UK: Gower.

OEPR/ROREP. 1992. A l'heure de l'Europe de 1993: propositions pourune approche stratégique de la politique régionale en Suisse.Berne: P. Lang.

RATTI, R., et M. BAGGI. 1993. Essai d'analyse dynamique et spatiale d'unréseau innovant dans le secteur des services. In MAILLAT, D. etal. (éd.). Réseaux d'innovation et milieux innovateurs: 259-276.Neuchùtel: EDES.

RUEGG, J., N. METTAN, et L. VODOZ. (éd.). 1992. La négociation; sonrÎle, sa place dans l'aménagement du territoire et la protection del'environnement. Lausanne: PPUR.

SMITH, M. 1988. City, State and Market. New York: Basil Blackwell.

PremiĂšre partie

ÉTAT DES LIEUX ET DÉFINITION

17

Chapitre 1

REMISE EN QUESTION DE L'ÉTAT

Jean-Daniel DELLEY

1. DÉBAT TRUQUÉ

Le débat qui actuellement tend à monopoliser la scÚne politique pa-raßt truqué. Il oppose, pour simplifier:

● ceux pour qui l'Etat doit ĂȘtre soumis Ă  une sĂ©vĂšre cure d'amaigris-sement au nom d'une foi aveugle dans le marchĂ© et ses mĂ©ca-nismes d'autorĂ©gulation (mots d'ordre: dĂ©rĂ©glementation, privati-sation); ceux pour qui l'action publique contribue plus Ă  asphyxierl'activitĂ© Ă©conomique qu'Ă  la dynamiser, Ă  Ă©touffer le sens desresponsabilitĂ©s qu'Ă  stimuler l'imagination et le goĂ»t du risque;ceux pour qui l'intervention de l'Etat est par nature liberticide;

● ceux pour qui toucher Ă  l'Etat et Ă  ses prestations, aux effectifs dela fonction publique, constitue une mise en cause du progrĂšs etde la justice sociale (mot d'ordre: prĂ©server les acquis).

La mauvaise foi et l'absence de rigueur intellectuelle caractérisentce débat. Chaque camp est sélectif dans sa critique dÚs lors qu'il s'agit de

J.-D. Delley

18

prendre des dĂ©cisions concrĂštes. A gauche, on invoque volontiers l'Ă©co-nomie de marchĂ© pour justifier le dĂ©mantĂšlement des cartels, dont on at-tend des avantages pour les consommateurs. A droite, cette mĂȘme Ă©co-nomie de marchĂ© est appelĂ©e Ă  l'aide pour exiger la dĂ©rĂ©glementationdes conditions de travail, dont on attend des avantages pour les entre-prises. Bref, chacun limite sa critique aux domaines dont la libĂ©ralisationdoit servir ses propres intĂ©rĂȘts. Pas trace dans ce dĂ©bat d'une perspec-tive gĂ©nĂ©rale, d'un projet cohĂ©rent susceptible de dessiner le rĂŽle del'Etat dans la sociĂ©tĂ© de demain.

2. GROSSEUR DE L'ETAT HELVÈTE

Nous sommes là dans le domaine du relatif. Comparativement,nombre d'indicateurs montrent que le secteur public helvétique estmoins développé que celui de la plupart des pays industrialisés.

Pour la quote-part des collectivités publiques au produit nationalbrut, la Suisse se place juste devant le Japon, queue de liste. Certes, àpartir des années soixante, les recettes et les dépenses publiques ontcrû plus rapidement que le PNB, reflétant une croissance économique etdémographique rapide et un besoin de rattrapage en matiÚre d'infra-structures et de prestations (réseau routier, épuration des eaux, ensei-gnement et recherche, aménagement du territoire, sécurité sociale no-tamment). Mais dÚs 1975, on observe un ralentissement du phénomÚnedont l'évolution devient plus faible que celle de la croissance écono-mique.

La pression fiscale en Suisse (impÎts et cotisations sociales) restemodérée: seuls le Japon et les Etats-Unis traitent plus favorablementleurs contribuables.

Les effectifs de la fonction publique connaissent une progressionmarquée à partir de 1960, suivant en cela l'évolution du secteur tertiaireprivé. Mais dÚs 1975, cette progression fléchit. La proportion des fonc-tionnaires par rapport à la population active reste trÚs inférieure à lamoyenne des pays de l'OCDE.

Certes la «juridicisation» de la société se poursuit: le volume desactes normatifs publics croßt, mais on ne peut parler d'explosion [Linderet al. 1985]. Ce phénomÚne n'épargne d'ailleurs pas les grandes entre-prises et les organisations professionnelles et économiques.

Contrairement à beaucoup d'autres pays industrialisés, la Suisse neconnaßt pas un secteur public productif important.

Enfin le systÚme politique suisse dispose de procédures spéci-fiques qui constituent des freins efficaces à l'enflure de la sphÚre éta-tique. Au niveau fédéral, la fiscalité directe relÚve toujours d'un ordre pro-

Remise en question de l'Etat

19

visoire et exige réguliÚrement l'assentiment populaire; par ailleurs lestaux d'imposition figurent dans la Constitution. La présomption de com-pétence en faveur des cantons impose à la Confédération d'obtenir l'ac-cord de la majorité populaire et des cantons pour toute tùche nouvelle.Et finalement le droit de référendum législatif permet au corps électoralde freiner les ardeurs étatiques.

Néanmoins, comparaison n'est pas raison, comme dit l'adage. La re-lativisation de l'importance de l'Etat ne dispense pas de porter un regardcritique sur la qualité de son action.

3. EFFICACITÉ DE L'ACTION ÉTATIQUE

Débattre abstraitement de la question de la quote-part de l'Etat auPNB, des effectifs de la fonction publique ou de la densité normative neconduit qu'à un affrontement idéologique stérile. La critique peut parcontre se révéler fructueuse si l'on prend la peine d'examiner l'action del'Etat dans la perspective des objectifs visés. Je me limite ici à développerrapidement deux exemples, le droit de la construction et le logementsocial.

3.1 Premier exemple: droit de la construction

Le droit de la construction est l'objet d'une critique nourrie de la partdes milieux professionnels et constitue l'un des domaines privilégiés surlequel s'exerce une forte demande en faveur de la déréglementation.Pour prendre une image géologique, le droit de la construction s'est dé-veloppé par addition de couches, au gré des préoccupations successi-ves de la collectivité (hygiÚne, sécurité, esthétique, aménagement duterritoire, économie d'énergie, protection de l'environnement), au pointqu'il constitue aujourd'hui un véritable maquis. Dans ce maquis, l'adminis-tration détient une position privilégiée car la multiplication des prescrip-tions lui confÚre un pouvoir considérable dans le cadre de sa fonctiond'application de la loi.

Prenons l'exemple des prescriptions en matiĂšre Ă©nergĂ©tique. CetteprĂ©occupation est nĂ©e il y a une quinzaine d'annĂ©es, Ă  la suite de la crisede l'approvisionnement pĂ©trolier. L'exigence d'Ă©conomies d'Ă©nergie etde substitution des agents Ă©nergĂ©tiques classiques s'est heurtĂ©e Ă  desprescriptions prĂ©existantes qui sont loin d'ĂȘtre toutes adaptĂ©es Ă  cetobjectif nouveau. Ainsi des normes en matiĂšre d'esthĂ©tique qui limitentl'installation de panneaux solaires, des indices d'utilisation du sol qui em-pĂȘchent l'adjonction de vĂ©randas ou encore des plans de quartier qui in-

J.-D. Delley

20

terdisent l'orientation optimale des immeubles. A ces difficultĂ©s se sontajoutĂ©es des normes ponctuelles et successives – isolation spĂ©cifiquedes diffĂ©rentes parties du bĂątiment, rĂ©gulation des installations, normesde fonctionnement et contrĂŽle pĂ©riodique des installations, dĂ©compteindividuel des frais de chauffage. A un point tel que les constructeurs ontpu lĂ©gitimement se sentir pris dans un carcan Ă©touffant: pour rĂ©aliserl'objectif d'Ă©conomies d'Ă©nergie, le lĂ©gislateur a cru bon de quadrillernormativement le chemin des architectes et des ingĂ©nieurs.

La revendication d'une dĂ©rĂ©glementation pure et simple ne tientpas compte de l'intĂ©rĂȘt public Ă  un usage mĂ©nager de l'Ă©nergie, puisquele prix de cette derniĂšre est tel qu'il n'induit pas les comportements adĂ©-quats au but visĂ©. Par contre le souci de simplifier le travail et de restaurerl'autonomie des professionnels de la construction devrait conduire Ă mettre l'accent sur le rĂ©sultat attendu plus que sur les moyens d'y parve-nir. Imposer une norme globale de consommation Ă©nergĂ©tique pour unbĂątiment dĂ©terminĂ©, c'est le rĂŽle de l'Etat; trouver les moyens de respec-ter cette norme relĂšve de la responsabilitĂ© des professionnels.

3.2 Second exemple: logement social

La politique sociale constitue un champ important de l'action del'Etat moderne. Elle est aussi l'une des cibles favorites des partisans dumoins d'Etat qui prĂ©conisent de freiner la progression des dĂ©pensesdans ce domaine, voire mĂȘme de fixer un plafond en forme de pourcen-tage du PNB Ă  ne pas dĂ©passer. Mais plutĂŽt que de dĂ©finir une rĂšgle d'orfinanciĂšre en la matiĂšre, ne serait-il pas plus judicieux de dĂ©finir d'abordles besoins Ă  satisfaire et d'examiner l'efficacitĂ© des moyens mis enƓuvre, de dĂ©terminer si les bĂ©nĂ©ficiaires rĂ©els sont bien ceux auxquelsl'aide est destinĂ©e?

La politique du logement social illustre bien les dĂ©rapages que peu-vent connaĂźtre les meilleures intentions initiales. La pĂ©nurie de loge-ments Ă  loyers modĂ©rĂ©s qui rĂšgne au dĂ©but des annĂ©es soixante dansles centres urbains est perçue comme un phĂ©nomĂšne conjoncturel.D'oĂč l'idĂ©e d'une aide publique Ă  la construction de logements de cetype, par le biais d'allĂ©gements fiscaux limitĂ©s dans le temps. Mais Ă  l'ex-pĂ©rience, le phĂ©nomĂšne s'est rĂ©vĂ©lĂ© ĂȘtre de nature structurelle, le mar-chĂ© ne parvenant pas Ă  rĂ©pondre Ă  cette demande particuliĂšre. C'est direqu'Ă  l'Ă©chĂ©ance de l'aide publique, les immeubles tombant dans le mar-chĂ© libre, il a fallu subventionner de nouvelles constructions Ă  caractĂšresocial. Une vĂ©ritable course-poursuite dont on ne voit pas la fin.ParallĂšlement, l'Ă©volution des revenus a conduit Ă  ce que les locatairesdes immeubles sociaux bĂ©nĂ©ficient d'une rente de situation, alors que

Remise en question de l'Etat

21

les plus démunis n'avaient pas accÚs à ces logements pourtant conçusen priorité pour eux.

On pourrait poursuivre encore longtemps la liste des dysfonction-nements de l'action publique, des effets pervers qu'elle engendre etdes dĂ©tournement d'objectifs dont elle fait l'objet, sans parler descontradictions qu'elle rĂ©vĂšle. Voir Ă  cet Ă©gard les investissements consi-dĂ©rables consentis par les collectivitĂ©s publiques en faveur de l'Ă©pura-tion des eaux usĂ©es et les subventions Ă  l'agriculture versĂ©es par cesmĂȘmes collectivitĂ©s, une agriculture dont les modes de productionconstituent une des sources importantes de la pollution des eaux.

Il n'est pas Ă©tonnant dĂšs lors que l'Etat soit soumis aux feux de lacritique et que son action souffre d'une perte de lĂ©gitimitĂ©. NĂ©anmoins,dĂšs que des difficultĂ©s se font jour, il reste l'instance de recours vers la-quelle on se tourne. Nous ne rĂȘvons que de lui rogner les ailes, mais Ă  lamoindre alerte nous lui demandons de dĂ©ployer ses ailes protectrices.Comment rĂ©soudre cette contradiction?

4. RĂŽLES DE L'ETAT

Ecartons le rĂȘve d'une sociĂ©tĂ© autorĂ©gulĂ©e qui pourrait se passerd'une structure propre Ă  exprimer des finalitĂ©s collectives. Quels quesoient les avantages indĂ©niables du marchĂ©, ce dernier n'est pas Ă  mĂȘmede rĂ©soudre les problĂšmes auxquels sont confrontĂ©es les sociĂ©tĂ©s mo-dernes complexes, de gĂ©rer la multiplication des interdĂ©pendancesentre les individus et les groupes. PlutĂŽt que de dĂ©battre sur le plus oumoins d'Etat et sur les avantages comparĂ©s des secteurs privĂ© et public,c'est Ă  l'invention de nouvelles modalitĂ©s d'action de l'Etat qu'il faut s'at-tacher.

4.1 Limites de l'Etat interventionniste

L'Etat libĂ©ral classique – l'Etat veilleur de nuit – assurait avant toutl'ordre et la sĂ©curitĂ© intĂ©rieurs et extĂ©rieurs. Son mode d'action privilĂ©giĂ©,le programme conditionnel, Ă©numĂšre les prescriptions qui assurent cetordre et les sanctions aptes Ă  le rĂ©tablir. Le programme conditionnel pos-tule que le comportement prescrit est directement adĂ©quat au but visĂ©:ainsi la prĂ©servation de l'aire forestiĂšre, objet de la loi fĂ©dĂ©rale sur les fo-rĂȘts, se rĂ©sume tout entiĂšre dans l'obligation de remplacer tout arbreabattu. Par ailleurs, l'administration agit selon la catĂ©gorie du comman-dement.

J.-D. Delley

22

L'Etat providence ou interventionniste se distingue d'une part parl'ampleur des tùches qu'il exerce et d'autre part par les finalités substan-tielles qu'il poursuit: le développement économique, le plein-emploi, lajustice sociale. Il est un agent actif dans le devenir et la transformation dela société. Sa maniÚre d'agir change: si la rÚgle juridique de type condi-tionnel subsiste, l'Etat est d'abord préoccupé par les objectifs à at-teindre. Les lois et les rÚglements ne sont que des moyens au servicede ces objectifs; leur respect ne garantit pas a priori la réalisation des butsvisés. C'est cette logique nouvelle qui explique la mobilité du droit,constamment adapté en fonction du résultat recherché. Ce phénomÚneest particuliÚrement visible dans le droit de l'environnement: la multiplica-tion et la révision des prescriptions traduisent l'effort constant de parvenirà une amélioration de la qualité de l'environnement.

De ce fait, l'Etat interventionniste se rĂ©vĂšle particuliĂšrement vulnĂ©-rable. Il prĂȘte le flanc Ă  la critique puisque les rĂ©sultats dont il peut se prĂ©-valoir sont rarement Ă  la hauteur des ambitions affichĂ©es.

Pour le sociologue du droit Luhmann [1983], les dĂ©sillusions en-gendrĂ©es par l'action de l'Etat interventionniste ne sont guĂšre Ă©ton-nantes, car l'instrument juridique est inadĂ©quat Ă  la fonction de pilotageincombant Ă  l'Etat moderne. En effet, l'action par le droit, le systĂšme juri-dique ont Ă©tĂ© conçus en rupture avec le mode de fonctionnement de lamonarchie absolue. Ils visent Ă  stabiliser les attentes, Ă  fixer les rĂšgles dujeu, Ă  assurer la prĂ©visibilitĂ© de l'action de maniĂšre Ă  favoriser lesĂ©changes entre les individus. Dans l'Etat moderne, ce n'est plus cecadre stable qui est premier mais les finalitĂ©s Ă  atteindre; le droit est auservice de ces finalitĂ©s et exige donc adaptation et souplesse. D'oĂč lesincessantes rĂ©visions lĂ©gislatives et rĂ©glementaires, les concepts juri-diques de nature indĂ©terminĂ©e et les dĂ©lĂ©gations de compĂ©tences quiconfĂšrent Ă  l'administration une large autonomie et une part non nĂ©gli-geable de la fonction lĂ©gislative. Une administration qui, pour parvenir Ă ses fins, cherche de plus en plus Ă  persuader plutĂŽt qu'Ă  imposer.

Mais du coup, c'est la stabilité et la prévisibilité du droit qui sont enquestion. L'édifice juridique se désagrÚge sans pour autant que l'actionpublique convainque. L'Etat, poursuit Luhmann, dans son ambition depiloter la société, se trouve confronté à des systÚmes trÚs complexes(l'économie, la science, la santé, l'éducation) qui ont développé des lo-giques propres, irréductibles à l'outil juridique.

4.2 Vers l'Etat pilote

Les thÚses néo-libérales de la primauté du marché comme principede fonctionnement de la société ne sont-elles alors pas confirmées?

Remise en question de l'Etat

23

C'est aller un peu vite en besogne. Les mĂ©canismes de la concurrencefinalisĂ©s par le seul optimum Ă©conomique ne rendent pas mieux comptede la complexitĂ© sociale que l'action par le droit. L'efficacitĂ© rĂ©ductricequ'ils postulent conduisent Ă  la dĂ©sintĂ©gration de la sociĂ©tĂ©. Luhmannpropose un nouveau mode d'action, le programme relationnel, oĂč l'Etatn'est plus le centre qui impose autoritairement ses dĂ©cisions mais un par-tenaire qui:

● organise la concertation entre les acteurs sociaux;● dĂ©finit des finalitĂ©s collectives;● laisse Ă  ces acteurs une large autonomie dans la rĂ©alisation.

4.3 Vers l'Etat catalyseur

Concluons en abordant la question sous un angle plus concret,celui choisi par deux auteurs amĂ©ricains dans le cadre d'une enquĂȘte surles nouveaux modes de gestion des collectivitĂ©s publiques [Osborne etGaebler 1993]. L'administration centralisĂ©e et hiĂ©rarchisĂ©e, l'action rĂ©-glementaire, la prioritĂ© accordĂ©e aux procĂ©dures plutĂŽt qu'aux rĂ©sultats,telles sont les caractĂ©ristiques principales de l'Etat interventionniste. LemodĂšle s'est rĂ©vĂ©lĂ© performant pour rĂ©pondre Ă  des besoins de base,uniformes, dans une sociĂ©tĂ© Ă  Ă©volution relativement lente et dans unenvironnement stable. La sociĂ©tĂ© contemporaine est diffĂ©rente: elleĂ©volue rapidement, son environnement est instable et les besoinsqu'elle exprime sont hĂ©tĂ©rogĂšnes. Les difficultĂ©s financiĂšres auxquellesont Ă  faire face les collectivitĂ©s publiques reprĂ©sentent Ă  la fois un risqueet une chance. Le risque de restreindre aveuglĂ©ment le rĂŽle de l'Etatsous prĂ©texte d'Ă©conomies et de sanctifier le secteur privĂ©; la chance derepenser la fonction premiĂšre de l'Etat et d'adapter sa maniĂšre d'agir.

L'Etat interventionniste s'est vu confier un grand nombre de tĂąches.Aujourd'hui, pressĂ© par les difficultĂ©s budgĂ©taires, il coupe dans les sub-ventions et rĂ©duit ses prestations sans trop rĂ©flĂ©chir aux prioritĂ©s qui re-lĂšvent de sa mission et sans faire l'analyse critique de son fonctionne-ment. Face aux problĂšmes collectifs auxquels sont confrontĂ©es les so-ciĂ©tĂ©s modernes, il n'est pas question d'affaiblir l'Etat. C'est bien aucontraire d'un Etat fort dont nous avons besoin, fort non pas de sa di-mension, de l'ampleur de son administration et de la multiplicitĂ© destĂąches qui lui incombent, mais fort de par sa capacitĂ© Ă  dĂ©cider et Ă  diri-ger. Pour prendre une image nautique, l'Etat interventionniste, trop oc-cupĂ© Ă  ramer, en a oubliĂ© le gouvernail. La rĂ©appropriation de cette ca-pacitĂ© de gouverner passe par des modalitĂ©s d'action oĂč l'Etat n'est pasobligatoirement le fournisseur monopolistique de prestations. L'Etat nes'affaiblit pas en laissant Ă  d'autres acteurs le soin de rĂ©aliser les objectifs

J.-D. Delley

24

qu'il a dĂ©terminĂ©s, en faisant le choix des solutions Ă  la fois les plus effi-caces et les moins coĂ»teuses, les plus aptes Ă  rĂ©pondre Ă  la demandesociale. Ce type de gouvernement, parce qu'il fonctionne plus commeun catalyseur que comme un service Ă  la clientĂšle, laisse aux citoyens unespace d'autonomie, une capacitĂ© de formuler leurs problĂšmes et departiciper Ă  leur solution. Bref, avec les mĂȘmes moyens, il peut fairemieux que l'Etat interventionniste.

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

BĂŒRGENMEIER, B. 1990. Plaidoyer pour une Ă©conomie sociale. Paris:Economica.

DELLEY, J.-D. 1993. L'Etat nouveau sera débureaucratisé, rationalisé,allégé: il sera complémentaire. Le Temps des affaires, mars: 34-49.

DELLEY, J.-D., et L. MADER. 1986. L'Etat face au dĂ©fi Ă©nergĂ©tique: Ă©tudede mise en Ɠuvre des mesures fĂ©dĂ©rales et cantonales en ma-tiĂšre d'Ă©conomies d'Ă©nergie. Lausanne: Payot.

DUPASQUIER, J.-N. 1986. L'Etat englobé. Lausanne: Réalités sociales.FREY, R., et R. LEU. 1988. Der Sozialstaat unter der Lupe. Bùle: Helbing

& Lichtenhahn.LINDER, W., et al. 1985. Inflation législative: une recherche sur l'évolution

quantitative du droit suisse. Lausanne: Institut des hautesétudes en administration publique.

LUHMANN, N. 1983. Die Einheit des Rechtssystems. Rechtstheorie 14.Berlin: Duncker & Humblot.

OSBORNE, D., et T. GAEBLER. 1993. Reinventing government: how theentrepreneurial spirit is transforming the public sector. New-York:Plume Book.

REY, J.-N. 1982. Trop d'Etat? Essai sur la mise en cause de l'Etat protec-teur en Suisse. Lausanne: Réalités sociales.

ROSANVALLON, P. 1981. La crise de l'Etat providence. Paris: Seuil.WEBER, L., et al. 1992. Les finances publiques d'un Etat fédératif: la

Suisse. Paris: Economica.WILLKE, H. 1991. Trois types de structures juridiques: programmes

conditionnels, programmes finalisés et programmes relationnels.In MORAND, C.-A. (éd.). L'Etat propulsif: 65-94. Paris: Publisud.

25

Chapitre 2

CONSÉQUENCESDE L'ORGANISATION POST-FORDISTE

SUR LE FONCTIONNEMENT DE L'ADMINISTRATION

Luigi BOBBIO

1. ADMINISTRATION POST-WEBERIENNE

Par de nombreux aspects, l'administration publique se trouve dĂ©jĂ dans une situation post-fordiste ou, dĂšs lors que l'on parle d'administra-tion, dans une situation post-weberienne. Au dĂ©but du siĂšcle, les bu-reaucraties publiques apparaissaient comme l'incarnation la plus parfaitede la rationalitĂ© occidentale; comme de grandioses machines rĂ©gies parun ensemble structurĂ© de rĂšgles aptes Ă  garantir la prĂ©visibilitĂ© des ac-tions complexes. Le mĂȘme modĂšle avait Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© dans la grande en-treprise fordiste. Au cours du XXe siĂšcle les bureaucraties publiques etprivĂ©es se sont dĂ©veloppĂ©es, sur la base de critĂšres homogĂšnes, jus-qu'Ă  la puissante synthĂšse du communisme soviĂ©tique.

A la fin de notre siÚcle, le panorama qui s'offre à l'observateur estd'un tout autre genre. L'administration publique se présente en fait com-

L. Bobbio

26

me une constellation de structures semi-autonomes, faiblement reliées,dotées de formes juridiques, de logiques d'action et de finalités profon-dément différenciées. Et je me demande si cela a encore un sens deparler de l'administration publique au singulier et s'il ne serait pas plusopportun de se référer aux administrations publiques. Il est certain quel'image de la machine du XXe siÚcle ne fonctionne plus.

D'autres images s'imposent: celles du macrosystÚme organisation-nel [Mayntz 1978], du systÚme d'action [Dupuy et Thoenig 1983], del'agrégat de structures [Cassesse 1988], de la fragmentation [Dente1985].

Nouveaux secteurs d'intervention ou

Nouvelles politiques publiques

Centres de gouvernement supra nationaux

Centres de gouvernement subnationaux

Etat

FIG. 1 Dilatation horizontale et verticale des pouvoirs publics

Le nouveau scénario est le résultat d'un lent processus, toujours encours, d'expansion et de diffusion des structures publiques. Ce proces-sus s'est développé selon deux directions:

Conséquences de l'organisation post-fordiste

27

● horizontale, à travers l'accroissement des fonctions publiques;c'est l'Etat social;

● verticale, Ă  travers la poussĂ©e vers la mondialisation et la rĂ©gionali-sation des pouvoirs publics (fig. 1).

1.1 Dilatation horizontale: le paradoxe de l'Etat social

L'acquisition progressive de nouvelles fonctions par l'Etat a impli-qué une prolifération de structures. Il s'est peu à peu spécialisé dans legouvernement et dans la gestion de nouveaux secteurs toujours plusnombreux. Le nombre des ministÚres et les articulations internes ontaugmenté. D'autres structures toujours plus détachées de la maison-mÚre (l'Etat-personne) se sont aussi constituées. Pourvues de res-sources propres, elles se sont rendues progressivement autonomes.Elles se caractérisent par des styles d'action et des logiques d'interven-tion spécifiques. En outre, le droit administratif s'est enrichi de nouvellestypologies organisationnelles: établissements publics institutionnels etéconomiques, entreprises publiques, hautes autorités, agences. Denouvelles classes professionnelles trÚs éloignées de la bureaucratieclassique, de par la formation et les dispositions personnelles de leursmembres, ont fait leur entrée dans les administrations publiques.

Dans ce contexte, la construction de l'Etat social s'est rĂ©vĂ©lĂ©e para-doxale. Au fur et Ă  mesure que la prĂ©sence de l'Etat dans la sociĂ©tĂ© de-venait plus «envahissante», le tissu qui liait ses structures s'est affaibli.Ainsi, l'Etat social ne s'est pas transformĂ© en «Moloch» omnipotent ouen «Grand FrĂšre» paternaliste, comme le craignaient les libĂ©raux. Il s'estplutĂŽt rĂ©vĂ©lĂ© ĂȘtre un Ă©norme assemblage d'institutions et de politiquessectorielles. Du reste, l'expression mĂȘme d'«Etat social» est en soi unecontradiction, un paradoxe. Et le phĂ©nomĂšne qu'elle dĂ©signe reflĂštebien cette contradiction intrinsĂšque: en s'Ă©largissant, l'Etat s'est morcelĂ©et en se socialisant, il s'est en quelque sorte mĂ©langĂ© Ă  la sociĂ©tĂ©.

De fait, tous les groupes (syndicats de branches, corporations, as-sociations, entreprises) se sont rassemblĂ©s en fonction de leur intĂ©rĂȘtspĂ©cifique autour des nouveaux compartiments, comme aimantĂ©s par lespolitiques qui y sont justement rattachĂ©es. La construction du consen-sus ou de la lĂ©gitimitĂ©, fonction essentielle de l'Etat, est devenue poly-centrique. Chaque domaine sectoriel a acquis une certaine autosuffi-sance Ă  travers la construction et la consolidation de policy communitiesou de policy networks spĂ©cifiques [Jordan et Richardson 1987; Jordan1990].

Bien sûr les fonctions de coordination, de supervision ou de planifi-cation n'ont pas disparu. Au contraire, l'élargissement des tùches de

L. Bobbio

28

l'Etat a requis un renforcement des politiques horizontales. Mais mĂȘmepour le dĂ©roulement de ces fonctions, des structures spĂ©cialisĂ©es sesont formĂ©es et se sont juxtaposĂ©es (et pas nĂ©cessairement surimpo-sĂ©es) aux structures prĂ©existantes. Les plans ou le budget de l'Etat sontle rĂ©sultat d'interactions complexes avec les secteurs qui gĂšrent les poli-tiques spĂ©cifiques. Lorsqu'ils sont imposĂ©s par le haut, ils Ă©chouentsouvent.

1.2 Dilatation verticale: la mondialisation et la régionalisation

La mondialisation de l'Ă©conomie, mais aussi de l'information et desrelations culturelles, n'est pas restĂ©e sans effet sur le plan institutionnel.De nouveaux centres de gouvernement se sont formĂ©s et renforcĂ©s surle plan mondial ou continental. ParallĂšlement, l'importance des gouver-nements subnationaux s'est accrue Ă  l'Ă©chelon des rĂ©gions, des com-munes et surtout des grandes villes. Le pouvoir politique qui, une fois,Ă©tait concentrĂ© en un point unique – l'Etat national – s'est dilatĂ© aussibien vers le haut que vers le bas, Ă  travers la multiplication des niveauxterritoriaux. Les Etats nationaux prĂ©sentent encore la plus forte densitĂ©des fonctions de gouvernement, mais ils n'ont plus le monopole absoludu politique et de l'administration.

Il se peut que ce phénomÚne soit peu pertinent pour la Suisse enraison d'une structure interne marquée par le fédéralisme et des relationsexternes caractérisées par la défense de l'indépendance et de la neutra-lité du pays. Mais ce phénomÚne est trÚs probant pour des Etats tradi-tionnellement unitaires et centralisés qui, comme la France ou l'Italie,sont pleinement insérés dans le processus d'intégration européenne.

2. ÉTAT PYRAMIDE ET ÉTAT RÉSEAU

Pour dĂ©crire les caractĂ©ristiques post-weberiennes de l'administra-tion publique, j'ai recouru Ă  des mĂ©taphores spatiales: horizontale et ver-ticale. Il peut ĂȘtre utile de poursuivre dans cette direction et de se de-mander quelle forme revĂȘt aujourd'hui l'espace occupĂ© par les pouvoirspublics. Dans le passĂ©, la rĂ©ponse Ă©tait simple: l'Etat pouvait ĂȘtre pensĂ©comme une pyramide. Mais actuellement cette image convient mal pourdĂ©crire ce que nous pouvons observer. Il est certain que l'autoritĂ© et lahiĂ©rarchie continuent d'exister. Mais elles ne sont plus disposĂ©es surune Ă©chelle harmonieuse allant du haut vers le bas. Pour rĂ©soudre unproblĂšme public, il arrive souvent que plusieurs chaĂźnes hiĂ©rarchiques

Conséquences de l'organisation post-fordiste

29

entrent en désaccord, ou que des conflits émergent entre des normesprovenant de diverses autorités.

Il peut ĂȘtre plus utile, parce que plus rĂ©aliste, de penser Ă  l'Etat entant que rĂ©seau. Un rĂ©seau formĂ© de structures, d'organes, d'institu-tions, d'offices ou d'agences qui entretiennent des rapports rĂ©ciproquesde nature trĂšs variable. Pour donner une idĂ©e de la forme que prend untel rĂ©seau nous pourrions considĂ©rer une matrice Ă  deux dimensions: enabscisse les domaines d'intervention ou les politiques et en ordonnĂ©eles niveaux territoriaux de gouvernement (tab. 1).

TABLEAU 1 Etat réseau

PolitiquesNiveau de gouvernement

A B C D E F G

Mondial

Continental

National

RĂ©gional

Local

La premiĂšre dimension montre comment l'espace de l'interventionpublique est conceptualisĂ©. Les politiques avec leurs subdivisions in-ternes, leurs limites et leurs variations dans le temps constituent le sys-tĂšme de base de l'Etat contemporain, auquel se conforment tous lesgroupes d'intĂ©rĂȘt, de pression, ou mĂȘme simplement le dĂ©bat public.Chaque politique a, outre ses structures et ses normes, ses propres as-sociations, ses revues spĂ©cialisĂ©es, ses experts.

L'autre dimension montre comment le pouvoir se déplace dansl'espace qui, cette fois, n'est plus métaphorique. Elle comprend désor-mais une série longue et croissante de niveaux décisionnels: mondiaux,continentaux, nationaux, régionaux et locaux.

Chaque maille du réseau, qui correspond dans le schéma à un pointd'intersection entre une politique déterminée et un niveau territorial (tab.1), est un lieu de densité organisationnelle et de décision. Les mailles ne

L. Bobbio

30

sont pas toutes identiques. Elles ne sont pas non plus reliĂ©es les unesaux autres de la mĂȘme façon. Il y a des politiques, comme la politique dedĂ©fense ou la politique monĂ©taire, qui sont dĂ©cidĂ©es essentiellement auniveau supra-national ou national. Il y a des politiques, comme les poli-tiques sociales, pour lesquelles les niveaux locaux sont particuliĂšrementadĂ©quats pour «modeler» la nature des services disponibles pour les ci-toyens. Il y a des points du rĂ©seau qui sont d'abord reliĂ©s dans le sensvertical. Par exemple, les politiques agricoles de tous les pays euro-pĂ©ens sont menĂ©es dans un canal distinct et autosuffisant, qui met encontact les associations locales des agriculteurs, les ministĂšres compĂ©-tents et la Commission de la CommunautĂ© europĂ©enne, mais qui ignorecomplĂštement les instances horizontales de gouvernement. Il y a natu-rellement des politiques plus importantes que d'autres, comme les poli-tiques budgĂ©taires. Mais, en l'occurrence, l'expĂ©rience montre combienles Finances publiques ont de la peine Ă  rĂ©sister aux poussĂ©es prove-nant des structures sectorielles de l'Etat.

Dans l'Etat réseau les instances gouvernementales sont fortementimpliquées dans la négociation et dans la médiation. Parfois, elles par-viennent à imposer une de leurs solutions. Souvent, elles arrachent desvictoires à la Pyrrhus parce que le réseau s'oppose à leurs directives oules déforme.

3. INTERACTIONS AU SEIN DE L'ÉTAT RÉSEAU

A l'intĂ©rieur de cet espace que j'ai dĂ©fini comme Etat rĂ©seau, les in-teractions sont plutĂŽt de type inter-organisationnel qu'infra-organisation-nel. Les politiques publiques sont dĂ©cidĂ©es et mises en Ɠuvre Ă  traversune nĂ©gociation incessante entre des structures publiques appartenantsoit Ă  divers secteurs d'intervention soit Ă  divers niveaux de gouverne-ment. Les normes juridiques constituent le cadre et fixent les limites.Mais c'est la nĂ©gociation qui donne leur contenu aux dĂ©cisions pu-bliques. A la rigiditĂ© bureaucratique, qui est typique de l'administrationweberienne, s'oppose ainsi une certaine flexibilitĂ© administrative [Dupuyet Thoenig 1983].

Cela dĂ©coule du fait que les structures spĂ©cifiques ne tirent pasuniquement leur lĂ©gitimitĂ© de la loi ou de l'autoritĂ© que leur confĂšre leurinsertion dans un ordre plus gĂ©nĂ©ral, Ă©tabli pas l'Etat. Mais elles jouissentĂ©galement d'une lĂ©gitimation substantielle car elles sont les interprĂšteset les dĂ©fenseurs d'intĂ©rĂȘts spĂ©cifiques qui, Ă  bon droit d'ailleurs, sontperçus comme relevant d'intĂ©rĂȘts publics: les intĂ©rĂȘts de la ville, de la na-tion, de l'Europe; les intĂ©rĂȘts de la santĂ©, de l'industrie, de l'environne-ment, de l'instruction, par exemple. Parfois ces diverses expressions de

Conséquences de l'organisation post-fordiste

31

l'intĂ©rĂȘt paraissent compatibles entre elles. Mais elles sont souvent enconflit. Elles ne peuvent alors ĂȘtre recomposĂ©es que par un processusde nĂ©gociation. Il est en effet impossible de retrouver dans les constitu-tions, dans les lois ou dans les documents programmatiques des gou-vernements une dĂ©finition certaine et partagĂ©e de l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Danstous les pays contemporains par exemple, des conflits Ă©mergent entreles ministĂšres qui traitent de l'environnement et ceux qui s'occupent del'industrie aux niveaux national, rĂ©gional et local.

3.1 Partenariat public-privé et partenariat public-public

Dans les Etats contemporains, les enjeux ne concernent pas seu-lement les rapports entre les secteurs public et privĂ©. Des problĂšmestout aussi complexes sont gĂ©nĂ©rĂ©s Ă  l'intĂ©rieur du secteur public. A cĂŽtĂ©du partenariat public-privĂ© (ou PPP1), il existe donc Ă©galement un parte-nariat public-public (ou PPP2) qui est sans doute aussi dĂ©cisif pour lesuccĂšs des politiques publiques. Etant donnĂ© que les deux types departenariats procĂšdent souvent de façon conjointe, nous pourrions direque la forme que revĂȘtent les dĂ©cisions publiques est normalement celledu partenariat public-privĂ© et public-public (ou PPPPP).

3.2 Partenariat public-public: deux exemples formels

La nĂ©gociation entre agences publiques s'Ă©tablit principalement defaçon informelle. Cependant, elle tend Ă  une reconnaissance officielle.Dans les Etats fĂ©dĂ©raux, il existe des bureaux officiels explicitement des-tinĂ©s Ă  la nĂ©gociation entre les Etats membres et l'Etat central. Par ail-leurs, le droit administratif commence Ă  admettre l'usage du contrat – ins-titution typique du droit privĂ© – dans les rapports entre administrationspubliques.

Je donnerai deux exemples tirés de la législation italienne.

Accord de programme

Au milieu des annĂ©es quatre-vingt on a introduit, par voie extraordi-naire, la notion d'«accord de programme». Depuis, celui-ci est devenuune pratique gĂ©nĂ©rale et ordinaire. L'«accord de programme» est concluentre plusieurs acteurs publics – l'Etat, les rĂ©gions, les communes ou lesinstitutions, par exemple – «pour la dĂ©finition et la mise en Ɠuvre d'ou-vrages, d'interventions ou de programmes d'intervention qui deman-

L. Bobbio

32

dent, pour leur pleine rĂ©alisation, l'action intĂ©grĂ©e»1 d'acteurs publics.L'«accord de programme» est donc un exemple formel de partenariatpublic-public. Son aspect le plus important est d'avoir des effets de droitpublic: il peut ĂȘtre contraignant. Il a par exemple le pouvoir de modifier lesinstruments urbanistiques en vigueur.

Conférence des services

La «confĂ©rence des services», a Ă©tĂ© introduite pour simplifier laprocĂ©dure administrative. La dilatation (horizontale et verticale) de l'Etat aeu un effet dramatique sur les procĂ©dures. Elle les a rendues infinimentplus complexes. Lorsque des dĂ©cisions de grande importance sont enjeu, qui impliquent plusieurs intĂ©rĂȘts publics, il est inĂ©vitable que la loisoumette la dĂ©cision Ă  une longue course d'obstacles.

MinistĂšre destransports

Chemins de fer nationaux

MinistĂšre del'environnement

Commune A

Commune B

Commune D

Archéologie

Protection du patrimoinenaturel et construit

MinistĂšre destravaux publics

PROJET

Province B

Province A

RĂ©gion

MinistĂšre desbiens culturels

Commune C

Agence nationale des routes nationales

FIG. 2 Procédure séquentielle: l'approbation d'un projet d'autoroute

Le droit d'intervention est reconnu à toutes les structures qui ontquelque compétence territoriale ou fonctionnelle sur le problÚme consi-

1 Article 27, «accords de programme», de la loi du 8 juin 1990, n° 142, intitulée«RÚglement des collectivités locales».

Conséquences de l'organisation post-fordiste

33

déré. A chaque fois, il faut demander des avis techniques ou juridiques,des autorisations, des observations, des assentiments. Les divers actesnécessaires pour arriver au résultat final sont en général organisés de fa-çon séquentielle de sorte que l'opposition, ou simplement le retard d'unacteur, produise des effets cumulatifs sur l'ensemble de la procédure. Ilfaut ajouter que, selon la tradition, les relations entre les acteurs impli-qués dans la procédure sont essentiellement bilatérales. En outre, ellesse déroulent sous forme écrite, sur la base du principe classique de ladépersonnalisation de l'administration (fig. 2).

Pour remĂ©dier Ă  cette situation, la loi italienne a prĂ©vu que «lorsqu'ils'avĂšre opportun d'effectuer un examen des diffĂ©rents intĂ©rĂȘts publicsimpliquĂ©s dans une procĂ©dure administrative»2, il est possible de convo-quer toutes les parties intĂ©ressĂ©es Ă  une «confĂ©rence des services»dont les dĂ©cisions – prises Ă  l'unanimitĂ© – ont l'effet de se substituer Ă tous les avis et autorisations requis (fig. 3).

MinistĂšre des travaux publics

Agence nationale des routes nationales

MinistĂšre destransports

Chemins defer nationaux

MinistĂšre del'environnement

Province B

Commune A

Commune B

RĂ©gion

Commune C Commune D

Conférence des services

Province A

Protection du patrimoinenaturel et construit

Archéologie

MinistĂšre desbiens culturels

FIG. 3 Procédure séquentielle: la «conférence des services»

2 Article 14 de la loi du 7 août 1990, n° 241, intitulée «Nouvelles normes enmatiÚre de procédure administrative et de droit d'accÚs aux documentspublics».

L. Bobbio

34

La «conférence des services» a été introduite la premiÚre fois parvoie extraordinaire en 1988, dans le but d'accélérer les procédures pourles ouvrages publics en vue des championnats du monde de football. En1990, elle a été étendue à toutes les procédures, bien que de façon fa-cultative. Actuellement le Parlement discute une proposition du gouver-nement qui consiste à rendre obligatoires les «conférences des ser-vices» dans de nombreux types de procédures.

L'innovation a pour l'heure connu une application limitée et a ren-contré de féroces oppositions. Il sera nécessaire de revenir sur ce pointparce qu'il révÚle combien il est difficile de passer du paradigme tech-nico-légal au paradigme «négocié-interactif».

3.3 Partenariat public-privé dans l'Etat réseau

Dans la culture occidentale, la sphĂšre publique et la sphĂšre privĂ©ese sont traditionnellement prĂ©sentĂ©es comme les deux termes d'une di-chotomie, s'excluant rĂ©ciproquement. Ce qui n'Ă©tait pas public Ă©tait for-cĂ©ment privĂ© et inversement. Chacune de ces sphĂšres possĂ©dait descaractĂ©ristiques bien distinctes et opposĂ©es Ă  l'autre (tab. 2). Par ailleurs,pendant plus d'un siĂšcle, la gauche socialiste et la droite libĂ©rale se sontfĂ©rocement combattues sur ce point, la premiĂšre pour Ă©largir la sphĂšrepublique, la seconde pour la contenir. Bien que le conflit ait Ă©tĂ© trĂšs Ăąpre,les deux parties possĂ©daient une dĂ©finition commune de la situation,dans le sens oĂč elles Ă©taient d'accord sur ce qui Ă©tait considĂ©rĂ© commepublic et ce qui Ă©tait considĂ©rĂ© comme privĂ©. Elles divergeaient radicale-ment sur les valeurs Ă  assigner Ă  l'un et Ă  l'autre, mais elles avaient lesmĂȘmes instruments analytiques et conceptuels.

TABLEAU 2 Public-privé: la dichotomie

PUBLIC PRIVĂ©

● Etat ● sociĂ©tĂ©â— lo i ● contrat● droit administratif ● droit civil● intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ● intĂ©rĂȘts particuliers

Dans l'Etat dilaté les deux sphÚres apparaissent profondément in-terconnectées. Public et privé ne représentent plus deux univers sépa-rés et opposés, mais plutÎt les deux pÎles d'un continuum (fig. 4). Ceciest évident si l'on considÚre la nature juridique des différents acteurs:entre le «public pur» et le «privé pur», toutes les nuances possibles sontprésentes sur scÚne.

Conséquences de l'organisation post-fordiste

35

EtatInstitutionspubliques

Entreprises nationales Bénévolat

Grandesentreprises

Petitesentreprises Privés

PUBLIC PRIVE

FIG. 4 Public/privé: le continuum

Le plus important est que la nature publique ou privée d'une institu-tion ne permet pas d'en prédire le comportement. Les institutions pu-bliques ne poursuivent pas nécessairement le bien public. Les institu-tions privées ne travaillent pas toutes pour le profit. Il y a des entreprisesprivées qui sont préoccupées par leur légitimité et par leur capacité à dé-gager des consensus. Ces préoccupations sont pourtant considéréescomme typiques du pouvoir politique. Les thÚmes d'efficience et decompétitivité, qui caractériseraient le secteur privé, sont toujours plussouvent «importés» dans les services publics. Sans compter qu'il existeun nombre croissant d'associations privées qui poursuivent des fins soli-daires et altruistes (bénévolat, par exemple), sans aucun mandat législatifni recours aux bureaucraties rationnelles.

La distinction entre public et privĂ© n'est certes pas enterrĂ©e, maiselle n'est plus garantie par aucune «marque de fabrication». Elle doit ĂȘtreredĂ©finie. Il est intĂ©ressant de noter, peut-ĂȘtre justement en raison d'uneincertitude croissante quant aux limites entre les deux sphĂšres, que l'onobserve un intĂ©rĂȘt grandissant parmi les chercheurs du policy processpour le problĂšme de l'argumentation dans les politiques publiques[Majone 1989]. Dans un espace d'interaction privĂ©e, les intĂ©rĂȘts se prĂ©-sentent sous une forme nue. Ils ne doivent pas ĂȘtre justifiĂ©s par unequelconque valeur supĂ©rieure. Dans l'espace de l'interaction publique,toutes les parties sont obligĂ©es de faire rĂ©fĂ©rence Ă  une dĂ©finition dubien collectif ou de l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Ce qui distingue les sphĂšres pu-blique et privĂ©e n'est pas tant la nature des acteurs ou des instruments(contraignants ou contractuels) Ă  leur disposition que les diverses stra-tĂ©gies d'argumentation qui sont utilisĂ©es dans l'une ou l'autre sphĂšre.

Ce critĂšre de distinction peut sembler trop faible, voire trompeur. Undiscours sur le bien collectif est souvent un simple camouflage d'intĂ©rĂȘtsĂ©goĂŻstes. Et «la fonction civilisatrice de l'hypocrisie» [Elster 1993] ne doitpas ĂȘtre sous-Ă©valuĂ©e.

L'imbrication entre public et privĂ© n'empĂȘche pas que le partenariatentre les deux secteurs se prĂ©sente trĂšs souvent Ă  travers une nettedistinction des rĂŽles dans lesquels les deux types d'acteurs, comme lesuggĂšre Ruegg dans l'introduction, «ne poursuivent pas la mĂȘme finalitĂ©

L. Bobbio

36

et ne doivent pas se confondre». Ces cas sont actuellement les plus frĂ©-quents, surtout dans les micro-interventions. Mais ils ne sont peut-ĂȘtrepas les plus significatifs.

Les cas les plus spectaculaires et les plus controversĂ©s de partena-riat public-privĂ©, comme ceux qui concernent l'urbanisme dans les gran-des villes, prĂ©sentent en fait une physionomie diffĂ©rente. Les opĂ©ra-teurs privĂ©s ne se prĂ©sentent pas dans l'arĂšne publique simplementcomme porteurs d'intĂ©rĂȘts Ă©goĂŻstes. Mais ils prĂ©tendent – souvent avecsuccĂšs – Ă©tayer leurs propositions Ă  la lumiĂšre d'une quelconque versiondu bien collectif. Ce phĂ©nomĂšne est Ă©troitement liĂ© au fait que lesgrands groupes privĂ©s sont toujours plus intĂ©ressĂ©s aux avantages of-ferts par les villes. Celles-ci leur servent d'espace de soutien et de lieu derelations. Ils sont, par consĂ©quent, disposĂ©s Ă  engager des ressourcespour contribuer Ă  les promouvoir. L'implication d'opĂ©rateurs privĂ©s dansle marketing urbain, dans l'Ă©laboration de plans stratĂ©giques ou dans laprojĂ©tation de parcs naturels ou de parcs scientifiques entre tout Ă  faitdans cette logique. En Italie, il existe de nombreux exemples allant danscette direction: le cas du Lingotto Ă  Turin [Bobbio 1990], celui des asso-ciations pour les intĂ©rĂȘts mĂ©tropolitains Ă  Milan [Fareri 1990] ou celui duprojet Fiat-Fondiaria Ă  Florence [Morisi 1990].

D'aucuns voient dans ces phĂ©nomĂšnes un danger pour la dĂ©mo-cratie, dans le sens oĂč des choix gĂ©nĂ©raux sont confiĂ©s Ă  des acteursprivĂ©s de lĂ©gitimation dĂ©mocratique. D'autres les perçoivent comme lesigne positif d'une nouvelle cohĂ©sion de la ville, qu'ils opposent d'ail-leurs assez souvent Ă  l'Etat central. Dans les deux cas, ces phĂ©nomĂšnesposent des problĂšmes nouveaux qui ne peuvent ĂȘtre traitĂ©s avec les ins-truments traditionnels dĂ©rivĂ©s de la dichotomie classique public-privĂ©.

4. RATIONALITÉS ADMINISTRATIVES

Les nouvelles conditions, dans lesquelles se développent les poli-tiques publiques dans l'Etat réseau, provoquent de fortes tensions surl'administration. Cette derniÚre doit agir simultanément selon des lo-giques profondément différentes, ou répondre à des légitimités di-verses. Elle doit:

● exĂ©cuter les lois selon une logique juridico-formelle;● produire des rĂ©sultats satisfaisants selon une logique technico-

professionnelle orientĂ©e vers le rĂ©sultat;● obtenir le consensus entre les partenaires publics et privĂ©s selon

une logique de négociation (tab. 3).

TABLEAU 3 Rationnalités administratives

Conséquences de l'organisation post-fordiste

37

LOGIQUED'ACTION

CRITĂšRED'Ă©VALUATION

DESTINATAIRE ACTIVITĂ©STYPIQUES

SPHĂšRE FORME PRO-FESSIONNELLE

JURIDICO-FORMELLE

Conformité àla loi

Titulairede droits

Mesuresunilatérales

Etat régulateur FonctionnaireJuriste

TECHNICO- -PROFESSIONNELLE

Efficacité Titulairede besoins

Organisationde services

Etat social Technocrate

NéGOCIATRICE Consensus Partenaire Accords Etat réseau Diplomate (?)

Les trois types de rationalité correspondent à diverses phases dudéveloppement de l'Etat moderne [Offe 1974; Freddi 1989]:

● l'Etat rĂ©gulateur, nommĂ© aussi Etat libĂ©ral;● l'Etat social, producteur de services;● l'Etat rĂ©seau.

Ces trois types de rationalitĂ© tendent Ă  poser des impĂ©ratifs contra-dictoires Ă  l'administration. Une action lĂ©gitime n'est pas nĂ©cessairementproductrice de rĂ©sultats efficaces et partagĂ©s. Une dĂ©cision dĂ©coulantd'un accord peut enfreindre les principes d'impartialitĂ© dĂ©fendus par laloi. Par ailleurs, les destinataires des politiques publiques prennent unephysionomie diffĂ©rente en fonction de la logique d'action dominante.Dans une administration juridico-formelle, ils sont essentiellement consi-dĂ©rĂ©s comme des titulaires de droits. La connaissance de leurs prĂ©fĂ©-rences effectives est nĂ©gligeable, puisqu'elles sont dĂ©jĂ  incorporĂ©es apriori dans les normes juridiques. Dans une administration de services,l'impĂ©ratif est de satisfaire les prĂ©fĂ©rences des citoyens, sans pour autantreconnaĂźtre Ă  ces derniers le droit d'ĂȘtre un interlocuteur. L'accent estmis sur les moyens techniques qu'il faut mettre Ă  disposition pour at-teindre un rĂ©sultat. Enfin, dans un contexte de nĂ©gociation, les destina-taires des politiques sont en mĂȘme temps les acteurs qui contribuentpleinement Ă  les dĂ©terminer dans un rapport bi- ou multilatĂ©ral avec l'ad-ministration.

La difficultĂ© de concilier ces logiques diffĂ©rentes est accentuĂ©eĂ©galement par le fait que les logiques de nĂ©gociation ont actuellementun statut incertain au sein des administrations publiques. Elles ne repo-sent pas sur des routines consolidĂ©es, des expertises Ă©prouvĂ©es oudes formes professionnelles spĂ©cifiques (exceptĂ© le cas des diplo-mates). La nĂ©gociation, entre secteurs public et privĂ© ou public et public,est omniprĂ©sente. Mais en mĂȘme temps, elle se dĂ©roule, le plus sou-vent, d'une maniĂšre obscure et occasionnelle. Elle produit frĂ©quemmentdes rĂ©sultats qui sont Ă  la marge des lois et du principe d'impartialitĂ©, etdont l'efficience est faible. Ainsi, plus une administration est dominĂ©e par

L. Bobbio

38

le principe de légalité, plus la négociation risque de se développer enfaisant tache d'huile, dans la confidentialité, et en générant des proposi-tions dont la légitimité est discutable.

Le cas italien reprĂ©sente une excellente illustration d'une situationoĂč tout paraĂźt nĂ©gociable, mĂȘme si toutes les dĂ©cisions administrativesse prĂ©sentent formellement comme des actes unilatĂ©raux. Le rĂ©sultat ex-trĂȘme est la diffusion de comportements «particularistes» ou la gĂ©nĂ©rali-sation de la corruption.

En Italie, l'actuelle réaction contre le systÚme de la corruption faitdes pratiques de négociation le bouc émissaire principal. Celui qui éva-lue l'administration du point de vue de la légalité ou de l'efficacité tendinévitablement à soutenir que «négocier c'est un peu trahir». Et souventil n'a pas tort. Il y a eu de vraies trahisons à travers des pratiques de né-gociation. Face au développement, objectivement impressionnant, dece qui en Italie est appelé l'intreccio politico-affaristico, l'opinion de ceuxqui voudraient simplement un «retour à la loi» ou au «professionnal-isme» tend à se renforcer.

Mais ce retour est illusoire face au dĂ©veloppement actuel de l'EtatrĂ©seau. Il semble plus rĂ©aliste de penser Ă  une administration dans la-quelle l'espace de la nĂ©gociation est explicitement prĂ©vu, rĂ©glĂ© et portĂ© Ă la connaissance de tous, et dans laquelle il est possible d'Ă©tablir uneligne de dĂ©marcation entre l'espace de la nĂ©gociation, celui de la loi etcelui de l'expertise technocratique. Ceci implique de faire quelque peureculer l'appareil juridico-lĂ©gislatif, en lui retirant partiellement les terri-toires occupĂ©s jusqu'Ă  prĂ©sent par des rĂ©glementations trop rigides etminutieuses. Cela libĂ©rerait de l'espace pour l'autorĂ©gulation des acteurspublics et privĂ©s, qui devrait ĂȘtre menĂ©e en recourant Ă  des instrumentsconsensuels et de nĂ©gociation.

Il s'agit d'un processus trÚs difficile à réaliser, surtout dans les admi-nistrations publiques marquées, comme en Italie, par l'existence d'uneculture juridique trÚs formalisée, d'une part, et par l'absence d'une cul-ture correspondante de la négociation3, d'autre part. Mais l'évolution despouvoirs publics en forme de réseaux ne laisse pas beaucoup d'alterna-tives.

3 La nĂ©gociation est prise ici dans le sens d'un rapport entre des acteurs quisont en mesure de se reconnaĂźtre rĂ©ciproquement et qui sont porteurs d'in-tĂ©rĂȘts lĂ©gitimes et parfois contradictoires.

Conséquences de l'organisation post-fordiste

39

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

BOBBIO, L. 1990. Archeologia industriale e terziario avanzato a Torino: ilriutilizzo del Lingotto. In DENTE, B. et al. (Ă©d.). Metropoli per pro-getti: attori e processi di trasformazione urbana a Firenze, Torino,Milano: 101-161. Bologna: Il Mulino.

CASSESE, S. 1988. Fortuna e decadenza della nozione di stato. In Scrittiin onore di Massimo Severo Giannini: 89-103. Milano: GiuffrĂš, vol.I.

DENTE, B. 1985. Governare la frammentazione. Bologna: Il Mulino.DUPUY, F., et J.-C. THOENIG. 1983. Sociologie de l'administration fran-

çaise. Paris: A. Colin.ELSTER, J. 1993. Argomentare e negoziare. Milano: Anabasi.FARRERI, P. 1990. La progettazione del governo a Milano: nuovi attori

per la metropoli futura. In DENTE, B. et al. (Ă©d.). Metropoli per pro-getti: attori e processi di trasformazione urbana a Firenze, Torino,Milano: 163-220. Bologna: Il Mulino.

FREDDI, G. 1989. Burocrazia, democrazia e governabilitĂ . In FREDDI, G.(Ă©d.). Scienza dell'amministrazione e politiche pubbliche: 30-65.Roma: La Nuova Italia Scientifica.

JORDAN, G. 1990. Sub-governments, policy communities and networks:refilling the old bottles? Journal of theoretical politics: 319-338.

JORDAN, G., et J.-J. RICHARDSON. 1987. Government and pressuregroups in Britain. Oxford: Clarendon press.

MAJONE, G. 1989. Evidence, argument and persuasion in the policy pro-cess. New Haven: Yale University Press.

MAYNTZ, R. 1978. Soziologie der öffentlichen Verwaltung. Heidelberg:MĂŒller Juristischer Verlag.

MORISI, M. 1990. Chi decide il futuro di Firenze: pianificazione urbanis-tica e conflittualitĂ  politica nel progetto Fiat-Fondiaria. In DENTE,B. et al. (Ă©d.). Metropoli per progetti: attori e processi di trasfor-mazione urbana a Firenze, Torino, Milano: 17-100. Bologna: IlMulino.

OFFE, C. 1974. RationalitÀtskriterien und Funktionsprobleme politisch-administrativen Handels. Leviathan, 3.

41

Chapitre 3

DYNAMIQUE TERRITORIALE ET RĂŽLE DES MILIEUX 1

Denis MAILLAT

1. APPROCHE DU DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL

La modification de la hiĂ©rarchie des rĂ©gions, observĂ©e au cours desvingt derniĂšres annĂ©es, est largement due Ă  des phĂ©nomĂšnes de dĂ©ve-loppement ayant pris naissance Ă  l'intĂ©rieur mĂȘme des rĂ©gions [Maillat etLecoq 1992; Benko et Lipietz 1992]. Le concept de milieu permet decomprendre ces phĂ©nomĂšnes et de les formaliser. On peut ainsi montrerqu'il existe des dynamiques territoriales spĂ©cifiques, qui fonctionnent detelle maniĂšre que le dĂ©veloppement d'une rĂ©gion n'est pas subordonnĂ©Ă  sa seule capacitĂ© d'attraction d'Ă©tablissements ou de filiales de grandesentreprises, mais qu'il dĂ©pend de son aptitude Ă  susciter des initiativeslocales, Ă  gĂ©nĂ©rer un tissu de nouvelles entreprises et Ă  mettre en Ɠuvre

1 Ce texte a été publié dans CEDRE. 1994. Le développement régional dansle contexte de l'intégration européenne. Série Territoires d'Europe, volume3, 1er trimestre 1994. Il est reproduit ici avec l'autorisation du CEDRE(Centre Européen du Développement Régional).

D. Maillat

42

une dynamique territoriale de l'innovation.Les recherches réalisées au cours des années soixante mettaient

en relief le rÎle prépondérant des grandes entreprises et des groupesmultinationaux dans le fonctionnement des économies des pays indus-trialisés. L'accent était porté sur l'organisation «fordienne» du travail, surla division spatiale des fonctions et sur l'opposition entre les régions cen-trales et les régions périphériques. Depuis la fin des années soixante-dix, l'augmentation du nombre des petites entreprises, les manifesta-tions de leur créativité et de leur capacité d'innovation ont relancé le dé-bat sur les nouvelles formes d'organisation de la production et sur lesmécanismes du développement territorial. Cette évolution a bien mis enévidence les deux processus fondamentaux du développement régio-nal: la logique fonctionnelle, qui conduit à l'éclatement de la productiondans l'espace et à la division spatiale des fonctions de l'entreprise (de lagrande entreprise notamment), et la logique territoriale, qui met en actionles interdépendances au niveau territorial.

Les entreprises qui obĂ©issent Ă  la logique fonctionnelle entretien-nent gĂ©nĂ©ralement peu de relations avec les autres agents de leur es-pace de localisation, et ils ne jouent que rarement le jeu de l'insertion lo-cale. Par exemple, dans la mesure oĂč les relations qu'elles ont avec leurssous-traitants ou leurs fournisseurs sont fondĂ©es sur le moindre prix,elles ne privilĂ©gient pas la proximitĂ©. En revanche, dans le cas de la lo-gique territoriale, les entreprises dĂ©veloppent des rĂ©seaux d'Ă©change etde coopĂ©ration dans leur territoire d'implantation. Elles participent ainsi Ă la constitution d'un environnement appropriĂ© qui leur permet de bĂ©nĂ©fi-cier d'externalitĂ©s et de ressources spĂ©cifiques.

Ainsi, au modÚle du développement venant de l'extérieur et diffusépar les grandes entreprises se substitue un modÚle, dans lequel les terri-toires n'apparaissent plus comme des supports passifs pour la localisa-tion d'éventuelles entreprises, mais comme des milieux actifs au seindesquels naissent l'innovation et la créativité.

2. TERRITOIRE COMME RESSOURCE

Pour appréhender le phénomÚne de la modification des hiérarchiesspatiales et du rÎle joué par le territoire dans la dynamique de la recom-position et de la transformation des activités, il a fallu développer un cer-tain nombre de concepts nouveaux.

En simplifiant, on peut dire que la réflexion s'est tout d'abord dérou-lée autour de l'analyse de l'évolution des disparités régionales. Celle-ci amis en évidence que la poursuite de la convergence des niveaux de re-venus entre régions, constatée dans les années soixante-dix, ne relevait

Dynamique territoriale et rĂŽle des milieux

43

plus d'un processus d'extension Ă  tout le territoire d'effets positifs issusdes rĂ©gions riches, mais d'une dynamique autonome propre Ă  certainesrĂ©gions jusque-lĂ  moins favorisĂ©es. Ainsi est nĂ© le concept du retourne-ment des hiĂ©rarchies spatiales [Aydalot 1984], basĂ© sur le fait que cer-tains systĂšmes territoriaux sont Ă  mĂȘme de se dĂ©velopper sans qu'uneredistribution de la croissance n'intervienne Ă  partir des rĂ©gions plusfortes.

Puis, la redécouverte par les économistes italiens du concept«marshallien» de district industriel a attiré l'attention sur le succÚs de cer-taines formes spécifiques d'organisation de la production, territoriale-ment intégrée, et sur leur capacité à se développer avec une relative au-tonomie. Les travaux sur les districts industriels ont fait ressortir l'impor-tance de la composante territoriale dans la dynamique industrielle[Becattini 1990; Garofoli 1992].

Enfin, la dĂ©marche du GREMI (Groupe de recherche europĂ©en surles milieux innovateurs), axĂ©e sur le concept de milieu innovateur, ad'emblĂ©e soulignĂ© le rĂŽle essentiel de la composante territoriale dans lesprocessus d'innovation, et plus gĂ©nĂ©ralement de crĂ©ations de nouvellesressources. PlutĂŽt que de mettre l'accent sur l'efficacitĂ© de facteurs rĂ©-gionaux de production, le GREMI a portĂ© l'attention sur les aspects terri-toriaux des diffĂ©rentes ressources mises en Ɠuvre dans les processusd'innovation. En fait, c'est Aydalot [1986] qui a posĂ© l'hypothĂšse du rĂŽledĂ©terminant jouĂ© par les milieux locaux, vĂ©ritables incubateurs de l'inno-vation. En relevant que l'entreprise n'est pas un agent innovateur isolĂ©mais qu'elle est partie du milieu qui la fait agir, il soulignait que le passĂ©des territoires, leur organisation, le consensus qui les structure Ă©taientdes composantes majeures de l'innovation. Dans la logique de cettedĂ©marche, il s'agit de considĂ©rer que les comportements innovateurs nesont pas nationaux, mais qu'ils dĂ©pendent de variables dĂ©finies au ni-veau territorial.

3. MISE EN ÉVIDENCE DES INTERACTIONS LOCALES

En considĂ©rant les milieux comme des incubateurs de l'innovation,on veut souligner qu'ils ne correspondent pas Ă  des territoires entenduscomme de simples supports d'activitĂ©s Ă©conomiques. Au contraire,chaque milieu se prĂ©sente comme une configuration d'agents et d'Ă©lĂ©-ments Ă©conomiques, socioculturels, politiques, institutionnels, possĂ©-dant des modes d'organisation et de rĂ©gulation spĂ©cifiques [Maillat etPerrin 1992]. Cette dĂ©marche se diffĂ©rencie de l'approche en termes defacteurs de localisation (prĂ©sence de main-d'Ɠuvre qualifiĂ©e, de centresde recherche, d'un aĂ©roport, d'amĂ©nitĂ©s culturelles et rĂ©sidentielles,

D. Maillat

44

d'un climat agrĂ©able), qui Ă©tait supposĂ©e expliquer le dĂ©veloppementdes nouvelles activitĂ©s, notamment l'Ă©mergence des activitĂ©s de hautetechnologie. Cette approche n'a pas donnĂ© les rĂ©sultats espĂ©rĂ©s car, enconsidĂ©rant le territoire comme un simple support de facteurs de locali-sation, elle ne permet pas d'expliquer la mise en Ɠuvre des processusde dĂ©veloppement. En revanche, en mettant l'accent sur l'organisationdes milieux dans lesquels des relations variĂ©es de coopĂ©ration se tissententre entreprises, clients et fournisseurs, centres de recherches et deformation, etc., on postule que ce n'est pas le territoire au sens banal quiest l'Ă©lĂ©ment essentiel: ce qui importe, c'est le regroupement d'acteursĂ©conomiques et de ressources immatĂ©rielles (formation, recherche) qui,par leurs interactions, dĂ©veloppent des compĂ©tences, des savoir-faire,des rĂšgles spĂ©cifiques.

En d'autres termes, il convient de ne pas considérer le territoirecomme une donnée a priori, mais comme le résultat d'un processus deconstruction (on parle de territoire construit), issu des stratégies organi-sationnelles des acteurs et des phénomÚnes d'apprentissage collectifs[Lecoq 1992]. Cette problématique est trÚs bien illustrée par Gaffard[1992] quand il écrit:

«Aujourd'hui, nous devons fonder notre analyse sur une so-lide théorie du changement, de telle façon que le territoiren'apparaisse plus comme un ensemble de facteurs de localisa-tion et d'institutions données, mais qu'il soit regardé commeune ressource spécifique en ce sens que sa construction de-vienne un élément essentiel du processus de changement».Par rapport à cette exigence, le concept de milieu prend tout son

sens car il souligne le rÎle des ressources immatérielles (savoir-faire no-tamment), de la proximité, du «capital relationnel», des diverses formesde coopération et d'apprentissage dans les capacités d'une région à pilo-ter son développement.

4. CONCEPTS DE MILIEU ET DE MILIEU INNOVATEUR

4.1 Concept de milieu

Le concept de milieu est fondé sur la notion de «territoireconstruit». C'est un ensemble spatial ayant une dimension territoriale,mais pas de frontiÚres définies a priori; il ne correspond donc pas à unerégion donnée au sens commun du terme, mais il présente une unité etune cohérence se traduisant par des comportements identifiables etspécifiques et une culture technique, entendue comme l'élaboration, la

Dynamique territoriale et rĂŽle des milieux

45

transmission et l'accumulation de pratiques, savoirs et savoir-faire,normes et valeurs liĂ©s Ă  une activitĂ© Ă©conomique. La culture technique aun fort ancrage territorial dans la mesure oĂč elle est Ă©laborĂ©e et transmisedans le cadre des relations professionnelles et socio-Ă©ducatives deproximitĂ©.

Ces différents éléments génÚrent des attitudes et des comporte-ments «codifiés» qui sont à la base de l'organisation du milieu et de sarégulation.

Au cours de leurs travaux, les Ă©quipes du GREMI ont mis en Ă©vi-dence trois approches de la notion de milieu qui ont concouru Ă  l'identifi-cation de ses composantes principales [Maillat et Perrin 1992].

Approche micro-analytique du milieu

Elle est essentiellement centrée sur la réduction de l'incertitude etdes coûts de transactions. Ainsi, pour Camagni [1991],

«le milieu est un opérateur collectif de réduction du degré sta-tique et dynamique d'incertitude auquel sont confrontées lesfirmes par l'organisation tacite et explicite d'interdépendancesfonctionnelles des acteurs locaux, en assurant de maniÚre in-formelle les fonctions de recherche, transmission, sélection,transcription, transformation et contrÎle de l'information».Dans cette perspective, le milieu se présente comme une structure

de gestion efficiente alternative au marché et à la hiérarchie, qui permet laréduction des coûts de transaction et le contrÎle d'une information spé-cifique.

Approche cognitive du milieu

Elle s'articule principalement autour des notions d'apprentissage,de savoir-faire et de culture technique. Selon Maillat, Crevoisier etVasserot [1992],

«le milieu regroupe dans un tout cohérent un appareil produc-tif, une culture technique et des acteurs. L'esprit d'entreprise,les pratiques organisationnelles, les comportements d'entre-prise, le savoir-faire, la maniÚre d'utiliser les techniques etd'appréhender le marché sont autant d'éléments qui sont à lafois parties intégrantes et parties constitutives du milieu. Le mi-lieu se présente comme un processus de perception, decompréhension et d'actions continuelles».Cette décision met en évidence deux éléments essentiels du mi-

lieu: d'une part, elle présente le milieu comme un processus et non

D. Maillat

46

comme un ensemble statique de ressources génériques; d'autre part,elle souligne l'importance du marché local du travail. Ce dernier assure lacirculation et l'échange des savoir-faire, la transmission et la reproductionde la culture technique locale et, par conséquent, il contribue à la repro-duction et à la transformation du milieu.

Approche organisationnelle du milieu

Elle a été principalement développée par Perrin [1991] et Quévit[1991]. Pour ce dernier,

«le milieu est un mix de formes d'organisation qui structure lesstratégie d'entreprise selon la double logique d'externalisationet d'intégration organique. La particularité du milieu innovateurest de générer des processus organisationnels, qui s'articu-lent sur ces deux logiques, pour permettre la rencontre deformes d'organisation territorialisées et de réseaux extra-terri-toriaux. Le concept de milieu se réfÚre à des systÚmes d'ac-teurs et à des structures appréhendées dans leurs interactionsréciproques. La composante organisationnelle qui structureces échanges est une variable essentielle à la compréhensiondes mécanismes qui constituent le milieu».

Ainsi, les propriétés principales de cet ensemble spatial qu'est le mi-lieu, outre sa dimension territoriale évoquée plus haut, sont les sui-vantes:

● la participation d'un collectif d'acteurs: ces acteurs (entreprises,institutions de recherches et de formation, pouvoirs publics lo-caux) doivent avoir une relative indĂ©pendance dĂ©cisionnelle etune autonomie dans la formulation des choix stratĂ©giques;

● la prĂ©sence des Ă©lĂ©ments matĂ©riels (entreprises, infrastructures),mais aussi des Ă©lĂ©ments immatĂ©riels (savoir-faire) et institutionnels(diverses formes de pouvoirs publics locaux ou d'organisationsayant des compĂ©tences dĂ©cisionnelles);

● une logique d'interaction qui relĂšve de la coopĂ©ration: les acteursdoivent agir en relation d'interdĂ©pendance afin de mieux valoriserles ressources existantes;

● une dynamique d'apprentissage qui se manifeste par la capacitĂ©des acteurs, constituĂ©e au cours du temps, Ă  modifier leur com-portement et Ă  mettre en Ɠuvre de nouvelles solutions en fonc-tion des transformations de leur environnement extĂ©rieur.

La logique d'interaction et la dynamique d'apprentissage portentsur:

● la formation de savoir-faire, qui permet la maütrise des processus

Dynamique territoriale et rĂŽle des milieux

47

de production et la création de nouveaux produits et de nouvellestechniques;

● le dĂ©veloppement de «normes de comportement», qui porte surla relation entre acteurs, notamment sur la recherche d'un Ă©qui-libre entre coopĂ©ration et concurrence, afin de construire un es-pace de travail collectif;

● la connaissance et la capacitĂ© d'identifier en tant qu'opportunitĂ©d'interaction les ressources spĂ©cifiques des diffĂ©rents acteursainsi que celles du milieu;

● la relation que les acteurs du milieu entretiennent avec l'environ-nement extĂ©rieur; le milieu n'est pas isolĂ©, il se situe dans uncontexte technique et de marchĂ© qui est international et Ă©volutif.

Au-delà des externalités spécifiques qui proviennent d'une culturetechnique commune, de l'interaction et de la mobilité des individus sur lemarché du travail, de la facilité des contacts personnels et de la transmis-sion des informations, le milieu se caractérise donc aussi par des coopé-rations plus directes entre les acteurs locaux (privés, publics et collectifs).Ces coopérations sont facilitées par la proximité des acteurs et s'effec-tuent généralement sous la forme de réseaux. Ainsi, le milieu est nonseulement régi par un systÚme d'attentes réciproques sur les compé-tences et les comportements attendus, mais il fonctionne comme opéra-teur de liaisons [Maillat, Quévit et Senn 1993]. C'est la raison pour la-quelle il suscite des organisations de type réticulaire.

4.2 Concept de milieu innovateur

Par rapport au concept de milieu, celui de milieu innovateur portel'attention sur le processus d'innovation et non plus simplement sur l'or-ganisation de la gestion efficace des ressources productives. Le milieuinnovateur est l'organisation territoriale oĂč prennent naissance les pro-cessus d'innovation. On peut dĂ©finir le milieu innovateur comme un en-semble territorialisĂ©, dans lequel les interactions entre agents Ă©cono-miques se dĂ©veloppent par l'apprentissage qu'ils font de transactionsmultilatĂ©rales, gĂ©nĂ©ratrices d'externalitĂ©s spĂ©cifiques Ă  l'innovation, etpar la convergence des apprentissages vers des formes de plus en plusperformantes de gestion en commun des ressources [Maillat, QuĂ©vit etSenn 1993; Perrin 1991]. L'innovation est donc, selon cette concep-tion, considĂ©rĂ©e comme un processus d'intĂ©gration d'Ă©lĂ©ments qui dĂ©-terminent et favorisent la dynamique et la transformation du systĂšmetechno-productif territorial. De ce fait, le milieu innovateur se caractĂ©risepar l'intĂ©gration de dynamiques internes et de changements survenus Ă l'extĂ©rieur. DĂšs lors, le milieu est innovateur lorsque:

D. Maillat

48

● Il est capable de s'ouvrir Ă  l'extĂ©rieur et d'y recueillir les informa-tions et les ressources nĂ©cessaires aux transformations du sys-tĂšme techno-productif territorial.

● Ses ressources sont organisĂ©es, coordonnĂ©es et mises en rela-tion par des structures Ă©conomiques, culturelles et techniquesqui rendent les ressources exploitables pour de nouvelles com-binaisons productives. L'innovation Ă©tant un processus complexeet incertain, elle est gĂ©nĂ©ralement mise en Ɠuvre de maniĂšrecollective sous la forme de rĂ©seaux d'innovation. Le milieu, en rai-son de ses caractĂ©ristiques, notamment la logique d'interaction etla dynamique d'apprentissage, est le contexte appropriĂ© Ă  leurformation, Ă  leur dĂ©veloppement et Ă  leur diffusion [Maillat, QuĂ©vitet Senn 1993; Perrin 1992].

4.3 Milieu innovateur et réseaux d'innovation

Un rĂ©seau d'innovation est«une forme d'organisation des relations entre les acteurs d'unprocessus d'innovation qui, par sa durĂ©e et son ouverture(pluralitĂ© des spĂ©cialisations, diversitĂ© des savoir-faire), met enƓuvre un apprentissage individuel et collectif dont l'effet sy-nergĂ©tique contribue de maniĂšre dĂ©terminante Ă  la crĂ©ativitĂ©de l'ensemble» [Perrin 1990].Le rĂ©seau d'innovation a donc une rĂ©alitĂ© pluridimensionnelle dont

on peut relever les caractĂ©ristiques suivantes:● Une dimension organisationnelle: le rĂ©seau d'innovation est un

mode d'organisation s'inscrivant, d'un point de vue théorique,dans un dépassement de la dualité firme/marché. Dans cetteperspective, l'argumentation des coûts de transactions justifieraitl'émergence de modes d'organisation spécifiques que sont lesréseaux.

● Une dimension temporelle: un rĂ©seau suppose un systĂšme derelations durables entre diffĂ©rents acteurs, basĂ© sur un systĂšmede confiance et de connaissance mutuelles, de rĂ©ciprocitĂ©s et deprioritĂ©s. Le rĂ©seau est un mode d'organisation des transactionsqui se dĂ©veloppent dans le temps. Il n'est pas figĂ© mais Ă©volutif.

● Une dimension cognitive: l'organisation rĂ©ticulaire est dĂ©positaired'un savoir-faire collectif supĂ©rieur Ă  la somme des savoir-faire in-dividuels des acteurs. L'intĂ©rĂȘt de ce mode d'organisation est depermettre le dĂ©veloppement de processus d'apprentissage col-lectifs.

● Une dimension normative: tous les rĂ©seaux se caractĂ©risent par

Dynamique territoriale et rĂŽle des milieux

49

un systÚme propre de rÚgles plus ou moins formalisées, définis-sant les obligations et contraintes des membres. Ces rÚgles per-mettent de délimiter un espace de travail collectif et d'en assurerune gestion plus cohérente vis-à-vis des turbulences de l'envi-ronnement.

● Une dimension territoriale: la constitution des rĂ©seaux d'innova-tion reprĂ©sente pour chacun des partenaires un avantage compa-ratif de compĂ©titivitĂ©, qui se territorialise dans des Ă©changes deproximitĂ© mais qui n'exclut pas des relations plus lointaines.

Le milieu innovateur participe à la constitution des réseaux d'inno-vation et intervient dans leur dynamisme. Réciproquement, les réseauxd'innovation enrichissent le milieu, ils contribuent à accroßtre les capaci-tés créatrices de celui-ci. En d'autres termes, il s'établit entre le réseaud'innovation et le milieu une interaction dialectique, qui fait que le milieu,par ses apports, représente un avantage comparatif et reçoit en retourdes retombées positives, qui agissent sur son processus de structura-tion et de constitution [Maillat, Quévit et Senn 1993].

En définitive, les concepts présentés ci-dessus mettent en évi-dence l'importance de la prise en compte de la dimension territorialedans l'analyse de la dynamique économique et de processus d'innova-tion. L'approche en termes de milieux innovateurs permet de com-prendre les mécanismes par lesquels un territoire devient une ressourcespécifique, dont la construction est un élément déterminant du proces-sus global de changement.

5. ÉVOLUTION DES MILIEUX

Jusqu'à présent, nous avons mis en évidence les conditions quipermettent de caractériser les milieux innovateurs. Mais il est évident quetous les milieux ne sont pas nécessairement innovateurs. En effet, l'ob-servation de la réalité montre qu'un milieu est plus ou moins conserva-teur ou plus ou moins innovateur, selon que les pratiques qui régulentson organisation sont orientées vers l'exploitation des avantages acquisou, au contraire, vers une logique et une pratique de renouvellementet/ou de création de nouvelles ressources [Perrin 1992; Peyrache1991].

Il s'agit donc de se poser la question du cycle de vie des milieux, deleur évolution au cours du temps. La clef du problÚme se trouve certai-nement dans la capacité qu'ont les acteurs d'un milieu à comprendre lestransformations de leur environnement technique et de marché, par rap-port à ce qui se passe dans leur milieu. Pour demeurer ou redevenir in-

D. Maillat

50

novateurs, ils doivent ĂȘtre capables de reconnaĂźtre les changements quiinterviennent dans leur environnement et de les maĂźtriser.

Au stade actuel des recherches [Crevoisier 1993; Maillat, QuĂ©vit etSenn 1993], il apparaĂźt que la dynamique des milieux est soumise Ă  l'en-chaĂźnement de deux phases: l'idĂ©ation (conception) et l'activation (miseen Ɠuvre).

L'idéation est la phase durant laquelle un ou plusieurs acteurs dumilieu recensent les différents savoir-faire et les différentes ressourcesdu milieu, qu'ils sont susceptibles de mobiliser, et les mettent en relationavec les contraintes et les opportunités, qui apparaissent sur les marchéset dans le développement des techniques. Au cours de cette phase,certains acteurs d'un milieu sont amenés, pour une raison ou une autre,à agir non plus dans le cadre de leur activité quotidienne, mais par rapportaux opportunités qu'offre l'environnement extérieur. C'est cette dé-marche d'appréciation des opportunités, qui se présentent dans l'envi-ronnement par rapport aux possibilités de la région, qui permet de dé-boucher sur l'élaboration de projets. Ainsi, suivant le degré de prise enconsidération des changements qui surviennent à l'extérieur ou suivantles possibilités réelles ou perçues de mobiliser des ressources à l'inté-rieur de la région, les acteurs vont poursuivre des projets existants, lesmodifier ou en lancer de nouveaux [Crevoisier 1993].

La phase d'activation consiste Ă  mobiliser effectivement les savoir-faire et les ressources pour dĂ©boucher concrĂštement sur la mise enƓuvre des projets et la rĂ©organisation de l'appareil productif. C'est aucours de cette phase que la capacitĂ© des acteurs Ă  interagir selon desrĂšgles de coopĂ©ration/concurrence (logique d'interaction) et la dyna-mique d'apprentissage exercent leurs effets et permettent au milieud'exploiter les expĂ©riences accumulĂ©es au cours du temps. En dĂ©fini-tive, la mise en Ă©vidence de la capacitĂ© d'idĂ©ation et de la faisabilitĂ© del'activation de nouveaux projets permettent de positionner le milieu parrapport Ă  son cycle de vie et Ă  sa capacitĂ© de faire face aux transforma-tions de son environnement, c'est-Ă -dire de gĂ©nĂ©rer des processus in-novateurs, susceptibles d'assurer l'adaptation du systĂšme territorial deproduction, de crĂ©er de la valeur ajoutĂ©e et de dĂ©velopper de nouvellescompĂ©tences (notamment des savoir-faire) et de nouvelles formes decoopĂ©ration.

6. POLITIQUE RÉGIONALE

6.1 Typologie des milieux

Le concept de milieu innovateur fut développé pour rendre comp-

Dynamique territoriale et rĂŽle des milieux

51

te, sur le plan théorique, du retournement spatial, c'est-à-dire de la modi-fication de la position de certaines régions moins développées dans lahiérarchie spatiale. D'aprÚs Aydalot [1984], ce retournement constaté audébut des années soixante-dix n'était pas explicable par les théories del'époque, comme la théorie de polarisation ou celle de la division spatialeet fonctionnelle du travail, tant il est vrai que ces théories expliquent lahiérarchie des espaces et non la transformation de cette derniÚre. Cetteconstatation amenait à la conclusion logique de l'existence d'une dyna-mique autonome à l'intérieur de certaines régions, leur permettantd'améliorer leur position dans la hiérarchie.

En considérant que le territoire n'est pas donné a priori, mais qu'ilest construit grùce à la dynamique des milieux, on peut dÚs lors considé-rer que les collectivités régionales ont la possibilité de promouvoir unevéritable dynamique locale fondée sur l'accumulation, dans leur territoire,des ressources collectives spécifiques nécessaires au dynamisme deleur appareil techno-productif [Perrin 1992]. Cela ouvre de nouvellesperspectives à la politique régionale.

Il faut dÚs lors mettre l'accent sur les phénomÚnes qui actionnent lemilieu. Pour cela, nous retenons deux caractéristiques qui sont géné-rales à tous les milieux: leur logique d'interaction (coopération pour l'in-novation débouchant sur la création de réseaux d'innovation, construc-tion d'un espace de travail commun) et leur dynamique d'apprentissagecollectif, caractérisée par la capacité des acteurs du milieu à adapter, aucours du temps, leurs comportements aux transformations de leur envi-ronnement (par l'innovation, la création d'entreprises, la production desavoir-faire spécifiques) [Maillat, Crevoisier et Lecoq 1991].

6.2 Logique d'interaction

C'est parce qu'ils coopĂšrent pour innover que les acteurs rendentun milieu dynamique et contribuent Ă  gĂ©nĂ©rer des externalitĂ©s spĂ©ci-fiques. Mais c'est Ă©videmment parce que ces derniĂšres existent que lesacteurs constituent des rĂ©seaux pour utiliser les ressources crĂ©Ă©es encommun. Ces rĂ©seaux caractĂ©risent l'organisation d'un milieu et peuventavoir des prolongations en dehors de ce dernier. Il importe de prĂ©ciserque les interdĂ©pendances dĂ©terminantes sont celles qui contribuent Ă mettre en Ɠuvre les processus d'innovation et les rĂ©seaux qui en dĂ©cou-lent, et non pas les simples relations marchandes.

On peut suggérer quelques indicateurs capables d'estimer ces re-lations déterminantes, qui sont autant d'exemples soulignant l'existencede diverses formes de coopération de nature territoriale: l'existence dejoint-venture entre entreprises locales (cet indicateur traduit la capacité à

D. Maillat

52

dĂ©finir des projets en commun), le chiffre d'affaires rĂ©alisĂ© dans l'espacelocal par les entreprises locales spĂ©cialisĂ©es dans le marketing et leconseil technique (les prestations de ce type d'entreprises impliquentgĂ©nĂ©ralement de fortes interactions entre les acheteurs), le taux de rota-tion de la main-d'Ɠuvre qualifiĂ©e entre les firmes de la rĂ©gion (cet indica-teur permet d'estimer les possibilitĂ©s de coopĂ©ration entre entreprises),l'existence de foires industrielles et rĂ©gionales (les foires industrielles lo-cales donnent l'occasion aux entreprises de la rĂ©gion de connaĂźtre leurscapacitĂ©s respectives et d'entamer des relations de coopĂ©ration).

Les liens dĂ©terminants doivent Ă©galement ĂȘtre apprĂ©hendĂ©s par lesrelations entre les entreprises et les institutions de recherche et de for-mation, ainsi qu'avec les autoritĂ©s publiques locales. Le chiffre d'affairesdes centres de recherche rĂ©alisĂ© dans l'espace considĂ©rĂ© (on Ă©valueainsi des relations dĂ©terminantes relatives Ă  la technologie), la capacitĂ©des entreprises d'engager de nouveaux diplĂŽmĂ©s (ceci donne uneimage de l'adĂ©quation entre les institutions de formation et le tissu local),l'existence de politiques technologiques des autoritĂ©s locales (ceci per-met de supposer une capacitĂ© Ă  dĂ©finir des projets communs entre lesacteurs publics et privĂ©s) et les actions conjointes dans le domaine de laformation adaptĂ©e au milieu (ces actions permettent d'indiquer si un cer-tain consensus en matiĂšre de formation, existe) sont alors autant d'indi-cateurs de la capacitĂ© d'interaction mise en Ɠuvre dans le milieu.

6.3 Dynamique d'apprentissage

Cette dynamique caractĂ©rise la capacitĂ© des acteurs du milieu Ă modifier, au cours du temps, leurs comportements en fonction des trans-formations de leur environnement (ce qui se passe en-dehors du milieu).Si on dĂ©compose analytiquement ce processus, on peut dire qu'il com-porte une phase de saisie et de comprĂ©hension des transformations del'environnement extĂ©rieur et une phase de mobilisation des ressourcesdu milieu pour crĂ©er des solutions adaptĂ©es Ă  la nouvelle situation(phase d'idĂ©ation et phase d'activation). Ces dĂ©marches peuvent ĂȘtreplus ou moins innovatrices suivant qu'elles rĂ©pondent au coup par coupaux changements de l'environnement, ou qu'elles les anticipent encrĂ©ant de nouvelles organisations techno-productives. Par exemple, unrĂ©seau d'entreprises peut faire Ă©voluer ses produits par petites adapta-tions successives. Elle peut aussi, par une politique technologique am-bitieuse, ĂȘtre Ă  la pointe du renouvellement des produits et ainsi imposerde nouvelles conditions de concurrence dans l'environnement.

ConcrÚtement, il s'agit de mettre en évidence la création de savoir-faire, de nouvelles rÚgles de régulation du systÚme, la reproduction des

Dynamique territoriale et rĂŽle des milieux

53

compĂ©tences spĂ©cifiques, les efforts de formation, la transformation destechniques, les changements dans la relation au marchĂ©. Il est clair qu'ils'agit d'Ă©lĂ©ments qui ne peuvent pas ĂȘtre mesurĂ©s directement. A titreindicatif, on peut retenir les indicateurs suivants pour caractĂ©riser la dy-namique d'apprentissage: le taux de crĂ©ation d'entreprises d'origine lo-cale (ce taux doit permettre d'Ă©valuer la capacitĂ© de crĂ©er de nouvellesformes organisationnelles dans le milieu), le nombre de brevets dĂ©posĂ©s(qui permet d'Ă©valuer la capacitĂ© Ă  trouver des solutions techniquesadaptĂ©es aux transformations de l'environnement), le nombre demarques/modĂšles dĂ©posĂ©s (afin de qualifier la richesse des relationsavec les marchĂ©s), la croissance des dĂ©penses de formation (qui indiquesi le savoir-faire est perçu comme une ressource stratĂ©gique), la propor-tion d'apprentis dans la population active (qui montre de quelle maniĂšrele savoir-faire est entretenu).

A l'aide des différents indicateurs décrits ci-dessus (et d'autres àdécouvrir), il est possible de mettre en évidence l'existence ou non d'ef-fets de milieu. On peut schématiquement combiner la logique d'interac-tion et la dynamique d'apprentissage pour obtenir quatre cas type (fig. 1):

– +

+

INDICATEUR D'ORGANISATION

INDICATEUR D'APPRENTISSAGE

Pas de milieuPas d'innovation

Milieu potentiellement

innovateur1.1 1.2

Innovation sans milieu

Milieu innovateur

2.1 2.2

FIG. 1 Typologie des milieux (source: IRER/1991)

● Un cas de rĂ©gion (case 1.1) oĂč il y aurait peu d'innovation et peude milieu actif. Il peut s'agir par exemple de rĂ©gions dont les sys-tĂšmes territoriaux de production sont essentiellement composĂ©s

D. Maillat

54

de succursales de production de grandes entreprises.● Un cas oĂč la valeur des indicateurs d'interaction et d'organisation

est Ă©levĂ©e (case 2.2). Il s'agit du cas type de milieu innovateur.● Un cas oĂč l'indicateur d'organisation est Ă©levĂ©, alors que l'indica-

teur d'apprentissage reste faible (case 1.2). Il s'agit d'un milieu po-tentiellement innovateur. On peut donner comme exemple lesrégions de type «district industriel».

● Un cas oĂč l'indicateur d'organisation est faible, alors que celuid'apprentissage est Ă©levĂ© (case 2.1). Ce cas correspond aux rĂ©-gions de type technopolitain naissant.

6.4 Nature de la politique régionale

L'approche prĂ©sentĂ©e jusqu'ici a montrĂ© qu'en combinant la logiqued'interaction et la dynamique d'apprentissage, il est possible de rĂ©partirles rĂ©gions suivant l'intensitĂ© des phĂ©nomĂšnes du milieu. En fonctionde l'influence plus ou moins grande de l'une par rapport Ă  l'autre, la poli-tique rĂ©gionale peut porter sur l'encouragement de formes organisation-nelles plus coopĂ©ratives. Ainsi, le passage d'un milieu potentiellementinnovateur (case 1.2) Ă  un milieu innovateur (case 2.2) requiert une ac-tion sur la variable «apprentissage». Une politique technologique territo-riale visant Ă  constituer ou Ă  stimuler la capacitĂ© d'apprentissage peut parexemple ĂȘtre utilisĂ©e. Le passage d'un espace qui innove sans qu'il y aitde milieu (case 2.1) Ă  un milieu innovateur (case 2.2) demande, en re-vanche, une politique locale d'animation car il s'agit de dĂ©velopper lescoopĂ©rations entre les acteurs.

En définitive, la politique régionale doit aujourd'hui de plus en plusutiliser le milieu, le créer ou le transformer afin que les régions créent lesressources et les externalités spécifiques nécessaires à un développe-ment, tant il est vrai qu'il ne suffit qu'elles se présentent comme desimples supports de localisations.

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

AYDALOT, P. 1984. La crise économique et l'espace: recherche sur lesnouveaux dynamismes spatiaux. Revue canadienne de sciencesrégionales, vol. III, 1: 9-31.

AYDALOT, P. (Ă©d.). 1986. Milieux innovateurs en Europe. Paris: GREMI.BECATTINI, G. 1990. The marshallian industrial district as a socio-econo-

mic notion. In PYKE, F. et al. (Ă©d.). Industrial districts and interfirmcooperation in Italy. GenĂšve: Bureau international du travail.

Dynamique territoriale et rĂŽle des milieux

55

CAMAGNI, R. 1991. Local milieu, uncertainty and innovation networks:towards a new dynamic theory of economic space. In CAMAGNI,R. (Ă©d.). Innovation networks: spatial perspectives. London:Belhaven Press.

CREVOISIER, O. 1993. Espace régional et recomposition des activitésindustrielles: l'émergence des milieux innovateurs dans l'Arc ju-rassien. Neuchùtel: ThÚse à l'Université de Neuchùtel.

GAFFARD, J.-C. 1992. Territory as a specific resource: the process ofconstruction of local systems of innovation. Nice: Mimeo-Latapses.

GAROFOLO, G. (Ă©d.). 1992. Endogeneous development and SouthernEurope. Avebury: Aldershot Hants.

LECOQ, B. 1992. Dynamique industrielle et territorialité. Eléments deproblématique sur la dynamique des systÚmes industriels locali-sés. Aix-en Provence: CER, note de recherche 134.

MAILLAT, D., et LECOQ, B. 1992. New technologies and transformationof regional structures in Europe: the role of the milieu.Entrepreneurship & Regional Development 4: 1-20.

MAILLAT, D., et PERRIN, J.-C. (éd.). 1992. Entreprises innovatrices etdéveloppement territorial. Neuchùtel: GREMI, EDES.

MAILLAT, D.et al. 1992. Innovation et district industriel: l'Arc jurassiensuisse. In MAILLAT, D., et PERRIN, J.-C. (éd.). Entreprises innova-trices et développement territorial. Neuchùtel: GREMI, EDES.

MAILLAT, D. et al. (éd.). 1993. Réseaux d'innovation et milieux innova-teurs: un pari pour le développement régional. Neuchùtel:GREMI, EDES.

PERRIN, J.-C. 1990. RĂ©seaux d'innovation: contribution Ă  une typologie.Aix-en-Provence: CER, note de recherche 115.

PERRIN, J.-C. 1991. Technological innovation and territorial develop-ment: an approach in terms of networks and milieux. In CAMAGNI,R. (Ă©d.). Innovation networks: spatial perspectives. London:Belhaven Press.

PERRIN, J.-C. 1992. Dynamique industrielle et développement local: unbilan en termes de milieux. In MAILLAT, D., et PERRIN, J.-C. (éd.).Entreprises innovatrices et développement territorial. Neuchùtel:GREMI, EDES.

PERRIN, J.-C. 1992. Innovations et régions en développement: troiszones de la région Provence-Alpes-CÎte d'Azur. In MAILLAT, D.,et PERRIN, J.-C. (éd.). Entreprises innovatrices et développe-

D. Maillat

56

ment territorial. Neuchùtel: GREMI, EDES.PEYRACHE, V. 1991. Le développement technologique régional. Paris.

IRES, document de travail 91.04.QUEVIT, M. 1991. Innovative environments and local/international lin-

kages in enterprise strategy: a framework for analysis. InCAMAGNI, R. (Ă©d.). Innovation networks: spatial perspectives.London: Belhaven Press.

57

Chapitre 4

CONTEXTE DU PPP EN FRANCE:INSTABILITÉ DU DROIT ET REDISTRIBUTION DES RîLES

ENTRE LES SECTEURS PUBLIC ET PRIVÉ

Vincent RENARD

L'expression «partenariat public-privé» n'est pas un ĂȘtre juridiquedĂ©terminĂ© par les lois et rĂšglements, c'est une expression synthĂ©tiquequi rassemble plusieurs traits marquants de l'Ă©volution des pratiques, no-tamment dans les domaines de l'amĂ©nagement et de l'urbanisme. Sicette expression a fait florĂšs depuis une dizaine d'annĂ©es, on doit souli-gner que ses origines remontent nettement plus loin dans plusieurspays, europĂ©ens en particulier.

Par exemple en France, la notion d'aménagement concerté a été unpoint clé du débat parlementaire qui a conduit au vote de l'importanteLOF (loi d'orientation fonciÚre de 1967) introduisant la figure juridique dela ZAC (zone d'aménagement concerté), et l'intervention des Sociétésd'économie mixte dans l'aménagement lui est encore bien antérieure.

Il nous faudra donc spécifier, à partir du cas français et de quelquesautres exemples européens ce qui, dans les évolutions récentes, ex-plique cette émergence du thÚme du PPP.

V. Renard

58

Cet examen nous conduira à nous interroger sur cette notion à tra-vers le jeu des différents acteurs publics et privés: l'aménageur-promo-teur (public, privé ou mixte), la collectivité locale, l'Etat, le juge... et les ci-toyens.

Ce jeu des acteurs se traduit par une organisation des pouvoirs etune codification juridique des comportements sur les marchés. Nousévoquerons les origines du PPP en France, avant d'examiner les évolu-tions récentes du PPP dans les rapports entre les différents acteurs etleurs conséquences en termes économiques, juridiques, urbanistiqueset sociaux.

1. SOURCE DU PARTENARIAT: LA FIN DU JACOBINISME

On sait le rÎle essentiel de l'Etat depuis des siÚcles dans le fonc-tionnement de la société française. Pour nous en tenir à la période ré-cente, l'Etat joue aprÚs la Seconde Guerre mondiale un rÎle central dansla reconstruction, rÎle explicité dans une loi de 1943 qui réorganise uncadre de planification urbaine bien malmené dans l'Entre-deux-guerres.

Jusqu'en 1958, c'est le MinistÚre de la Reconstruction qui impulse,finance, organise la reconstruction, directement ou à travers des socié-tés d'économie mixte et des municipalités. Ce n'est véritablement quedans les années soixante qu'émerge un secteur privé de la promotionimmobiliÚre, progressivement encadré sur le plan juridique. Mais l'Etat, àtravers son administration déconcentrée, joue le rÎle essentiel dans laréglementation, la planification urbaine, le financement de l'aménage-ment et la réalisation des infrastructures.

Le cadre législatif est profondément remanié par la LOF de 1967.Celle-ci dessine le cadre nouveau de la planification urbaine:

● les SDAU (schĂ©mas directeurs d'amĂ©nagement et d'urbanisme)dessinent, au niveau des agglomĂ©rations ou des petites rĂ©gions,les grandes Ă©volutions Ă  moyen terme; mais ils ne sont pas direc-tement opposables aux tiers;

● les POS (plans d'occupation des sols) fixent, au niveau de lacommune, le droit des sols (constructibilitĂ©, hauteur, densitĂ©s,protections, stationnement); et ils sont opposables aux tiers.

Dans l'élaboration conjointe des documents d'urbanisme se déve-loppe un certain partenariat entre l'Etat et les collectivités locales. Mais ledernier mot appartient encore à l'Etat, tant pour approuver le plan quepour délivrer le permis de construire.

La LOF de 1967 introduit également la ZAC, forme initiale du PPP.Décidée par la collectivité publique, avec la possibilité de recours à l'ex-

Contexte du PPP en France

59

propriation, la ZAC est mise en Ɠuvre par un opĂ©rateur public ou privĂ©dans le cadre d'un contrat nĂ©gociĂ© entre les partenaires, qui aboutit Ă  unPAZ (plan d'amĂ©nagement de zone), qui se substitue au POS aprĂšs sonapprobation.

L'accord de ZAC explicite également la rÚgle de partage du finan-cement des équipements publics entre public et privé, l'opérateur pre-nant au moins à sa charge la voirie et les espaces verts.

Enfin la LOF a voulu mettre un terme Ă  la vĂ©ritable jungle qui rĂ©gnaiten matiĂšre de relations financiĂšres entre promoteurs et collectivitĂ©s lo-cales en instituant, hors le cas des ZAC, la TLE (taxe locale d'Ă©quipe-ment) due par le constructeur pour financer les Ă©quipements d'infrastruc-ture; ceci dans l'attente de la mise au point de la «taxe d'urbanisation»qui serait un impĂŽt foncier assis sur les terrains constructibles non bĂątis.Cette derniĂšre n'a jamais Ă©tĂ© mise en place, et le blocage politico-admi-nistratif relatif Ă  la fiscalitĂ© fonciĂšre subsiste encore aujourd'hui. Quantaux participations des promoteurs au financement des infrastructures (etĂ  d'autres dĂ©penses), elles se sont rapidement dĂ©veloppĂ©es, au-delĂ  ducadre de la TLE, parfois aux franges de la lĂ©galitĂ©. Cette question desrelations financiĂšres entre promoteurs et collectivitĂ©s locales est au cƓurde la question du PPP.

1.1 Politique de décentralisation

Sur la base d'un train de rĂ©formes lĂ©gislatives intervenues entre1982 et 1985, le puissant mouvement de dĂ©centralisation a bouleversĂ©le paysage politico-administratif du pays. Si les instruments d'urbanismesont restĂ©s dans une large mesure les mĂȘmes (SDAU, POS, ZAC), la rĂ©-partition des compĂ©tences a Ă©tĂ© profondĂ©ment changĂ©e par la suppres-sion du contrĂŽle a priori exercĂ© par l'administration d'Etat et par la dĂ©volu-tion des pouvoirs essentiels en matiĂšre d'urbanisme aux communes, dĂ©-sormais responsables de l'Ă©laboration des POS, et de la dĂ©livrance dupermis de construire dĂšs lors qu'elles disposent d'un POS approuvĂ©.C'est le cas de 13'000 des 36'000 communes de France, et de toutesles villes importantes. En l'absence de POS s'applique une rĂšgle dite de«constructibilitĂ© limitĂ©e», c'est-Ă -dire que, sauf exceptions limitativementĂ©numĂ©rĂ©es, seules peuvent ĂȘtre autorisĂ©es, par l'Etat, des construc-tions Ă  l'intĂ©rieur des «parties actuellement urbanisĂ©es». Ce cadre de laconstructibilitĂ© limitĂ©e a Ă©tĂ© assoupli par une loi du 31 dĂ©cembre 1986qui avait pour objet une politique d'«offre fonciĂšre».

V. Renard

60

1.2 Politique de déréglementation

On doit souligner que le mouvement de décentralisation a étéconcomitant à une politique de déréglementation, amorcée dÚs la fin desannées soixante-dix, poursuivie puis renforcée au milieu des annéesquatre-vingts.

Simplification et rigidification du droit

Le constat de la grande complexité des rÚgles d'urbanisme suscitedepuis une quinzaine d'années la préoccupation de clarifier et simplifierle Code de l'urbanisme, mais force est de constater que la production delois et décrets ne s'est guÚre ralentie, et que les tentatives de simplifica-tion ont parfois conduit à une «complexification». Il est difficile de s'arra-cher à la logique du droit procédural écrit qui génÚre spontanément sonauto-accélération.

Déréglementation et flexibilité des procédures

Si la déréglementation formelle a largement échoué, la flexibilité apris d'autres voies, par l'assouplissement croissant des procédures, par-fois leur détournement, voire l'inapplication des décisions des tribunauxadministratifs. L'insécurité juridique qui en résulte, si elle a été unecondition du développement du PPP, constitue aujourd'hui un pro-blÚme majeur dans la pratique de l'urbanisme en France, de par lesconséquences économiques, urbanistiques et sociales induites parcette instabilité.

2. CƒUR DU PARTENARIAT: LES RAPPORTS ENTRE L'AMÉNAGEUR-PROMOTEUR ET LA COLLECTIVITÉ LOCALE

C'est le problĂšme central: le permis de construire, l'autorisation delotir ou l'accord de ZAC sont aujourd'hui dĂ©livrĂ©s par la collectivitĂ© locale –le plus souvent la commune – dans des conditions qui ont considĂ©rable-ment Ă©voluĂ©.

2.1 NĂ©gociation de la rĂšgle publique

La planification urbaine a changé de nature. Les SDAU, initiés, pré-parés et approuvés par les collectivités locales, sont aujourd'hui prati-quement au point mort. Quant aux POS, s'il en existe aujourd'hui plus de13 000, ils sont devenus d'une trÚs grande volatilité. La moitié environest en révision ou en cours de modification. Ceci crée un climat d'instabi-

Contexte du PPP en France

61

lité juridique qui a été souligné avec force par le récent rapport duConseil d'Etat:

«L'instabilité de la rÚgle locale d'urbanisme remet en cause lasécurité juridique de ses usagers» [Conseil d'Etat 1992].Cette flexibilité conduit à un changement dans le rapport entre l'au-

torité publique et l'opérateur. Dans la mécanique antérieure, le promo-teur se «calait» sur le document d'urbanisme pour monter son opération.C'est maintenant souvent le mouvement inverse qui se déroule: l'opéra-teur repÚre un terrain intéressant, entame sa prospection fonciÚre, né-gocie éventuellement une promesse de vente et se tourne alors vers lamunicipalité pour obtenir, le cas échéant, une modification ou une révi-sion du POS. Cette étape s'accompagne évidemment d'une négociationdans laquelle les participations en argent ou en nature versées parl'aménageur ou le constructeur tiennent une place importante.

2.2 Substitution du projet privé à la rÚgle publique

Il importe ici de faire une place Ă  part aux grands projets, aux opĂ©ra-tions importantes. Les acteurs privĂ©s et publics y sont dans un rapport deforce qui a Ă©voluĂ©. Dans les annĂ©es soixante-dix, l'interlocuteur publicĂ©tait l'Etat (dĂ©concentrĂ© au niveau dĂ©partemental des DDE – DirectiondĂ©partementale de l'Ă©quipement). C'est aujourd'hui la commune qui nĂ©-gocie, face Ă  un interlocuteur qui est souvent une trĂšs importante entre-prise (Bouygues, la GĂ©nĂ©rale des Eaux, par exemple) qui produit l'en-semble des services urbains, depuis les rĂ©seaux d'infrastructure jus-qu'aux logements et aux bureaux.1 C'est donc, dans une certaine me-sure, le projet de l'acteur privĂ© qui se substitue au plan de la collectivitĂ©publique. Le glissement comporte des aspects positifs: par leur sensibi-litĂ© Ă  l'Ă©volution de la demande et la qualitĂ© de leur gestion, les acteursprivĂ©s sont en mesure de produire des «morceaux de ville» mieux adap-tĂ©s aux besoins, au moins dans le court terme, que ce qu'aurait pu pro-duire une planification parfois Ă©laborĂ©e de façon procĂ©duriĂšre et figĂ©e.

Mais cette tendance conduit aussi Ă  plusieurs Ă©volutions pluscontestables, parfois dangereuses:

● Par une perte de vision du long terme (que l'on doit rapprocher duniveau des taux d'intĂ©rĂȘt rĂ©els), cette libĂ©ralisation (ou dĂ©planifi-cation, ou substitution du projet privĂ© Ă  la rĂšgle publique) produitune dĂ©rĂ©gulation Ă©conomique et une accentuation des cycles del'immobilier. La bulle immobiliĂšre de la seconde moitiĂ© des annĂ©esquatre-vingts en est une illustration nette. On doit prĂ©ciser ici que

1 Sur ce modÚle «ensemblier», voir [Campagnac 1992].

V. Renard

62

cette évolution n'est pas propre à la France, elle a également étéobservée à Tokyo, Londres... et GenÚve.

● Cette bulle est elle-mĂȘme gĂ©nĂ©ratrice d'une Ă©volution dualiste entermes de prix fonciers et immobiliers, et par suite de dĂ©sĂ©qui-libres sociaux, qui eux-mĂȘmes retentissent sur l'efficacitĂ© Ă©co-nomique. L'exemple du logement social dans la rĂ©gion Ile-de-France illustre bien ce point.

En l'absence d'une intervention régulatrice du secteur public sur lemarché foncier (comme en Hollande ou en SuÚde par exemple), le mar-ché foncier aggrave ces cycles en reflétant de façon hypertrophiée lahausse de la demande avant de freiner le processus d'ajustement à labaisse par un effet cliquet, dû autant à une attitude psychologique qu'àun raisonnement économique.

Sur le marché des bureaux, c'est aujourd'hui un gel des opérationsnouvelles (avec un stock de bureaux vacants estimé aujourd'hui à quatremillions de m2 pour la région parisienne). Sur le marché du logement,c'est une résistance à la baisse qui provoque une viscosité du marché,potentiellement annonciatrice d'une crise de pénurie dans quelquesannées.

Sans envisager le retour à la planification urbaine telle qu'elle étaitpratiquée dans les années soixante-dix, on parle beaucoup aujourd'huidu besoin de revenir à une forme rénovée de planification urbaine, pluséconomique dans ses objectifs, plus flexible dans son maniement, maisincluant une solide vision du long terme et des mécanismes régulateursdes marchés fonciers.

2.3 Financement des Ă©quipements par les promoteurs

En cette matiĂšre, la France oscille depuis vingt-cinq ans entre la ten-tation d'un systĂšme fiscal, oĂč le montant des participations dues par lepromoteur est prĂ©dĂ©terminĂ©, et la nĂ©gociation directe avec l'autoritĂ©publique, telle qu'elle est pratiquĂ©e dans les ZAC depuis vingt-cinq ans.2Le dĂ©veloppement du partenariat depuis quelques annĂ©es a accru lapart de la nĂ©gociation, parfois aux franges ou hors de toute lĂ©galitĂ©.

Planning gains

On retrouve ce problĂšme dans de nombreux pays, par exemple enAngleterre oĂč le gouvernement Thatcher avait tentĂ©, sur les recomman-

2 Pour une comparaison internationale sur cette question, voir [Alterman1991].

Contexte du PPP en France

63

dations d'un Planning Advisory Group, de limiter de façon nette les parti-cipations (planning gains) exigées des promoteurs au moment du permisde construire. Mais l'évolution douloureuse des finances locales enAngleterre a conduit à une nouvelle résurgence de ces participations.

Dans le cas français, une rĂ©cente loi de 1992 (loi «Sapin», du nomdu ministre des Finances de l'Ă©poque) a posĂ© un principe gĂ©nĂ©ral visantĂ  encadrer ces participations: seules seront admises les participationsdestinĂ©es Ă  financer des Ă©quipements rĂ©alisĂ©s «dans l'intĂ©rĂȘt principaldes habitants de l'opĂ©ration en cause». Plus question donc de financerainsi une salle polyvalente Ă  l'autre extrĂ©mitĂ© de la commune ou la rĂ©fec-tion d'un bureau de poste. Si ce principe gĂ©nĂ©ral paraĂźt sain, on imagineles difficultĂ©s pratiques de sa mise en Ɠuvre et les risques de conten-tieux qu'il ne manquera pas de dĂ©velopper.

Loi d'orientation sur la ville

Parmi ces «participations», on doit faire une place à part à la«participation à la diversité de l'habitat» introduite par la LOV (loi d'orien-tation sur la ville de 1991). Due, sous certaines conditions, par le promo-teur construisant des logements non subventionnés, elle est destinée àfinancer, par l'apport de terrains, de bùtiments ou d'argent, l'approvision-nement en terrains pour la construction de logements.

TrĂšs intĂ©ressante dans son esprit, elle avait pour objet de combattreles effets sĂ©grĂ©gatifs du boom immobilier des annĂ©es quatre-vingts, enprĂ©servant les Ă©quilibres sociaux dans les villes. Largement appliquĂ©eaux Etats-Unis sous le nom de linkage, elle pose un problĂšme dĂ©licat enindexant dans une certaine mesure la rĂ©alisation de logements sociauxsur la bonne santĂ© du secteur immobilier, l'aggravant du mĂȘme coup enpĂ©riode de crise. Si elle permet d'atteindre Ă  court terme des rĂ©sultats in-tĂ©ressants dans certaines situations, cette participation ne peut donc sesubstituer Ă  une action rĂ©gulatrice globale d'harmonisation entre les dif-fĂ©rents secteurs du marchĂ© immobilier.

2.4 Partenariat avec d'autres acteurs

Il existe d'autres partenaires que le promoteur et la collectivité localedans l'acte d'aménager. On peut penser à l'Etat, au juge et au citoyen.Nous nous limiterons ici à quelques points qui paraissent importantsdans l'évolution récente.

V. Renard

64

Juge, maire et Etat

La décentralisation initiée aprÚs 1982 modifiait le rapport Etat-col-lectivités locales. Supprimant la tutelle a priori, elle plaçait les collectivitéslocales sous le contrÎle du juge administratif (du Conseil d'Etat en appel),éventuellement saisi par le Préfet lorsqu'il constate une irrégularité. Le«contrÎle de légalité» avait suscité de fortes réserves, en particulier ausein de l'administration d'Etat, dénonçant à l'avance le «gouvernementdes juges» en évoquant l'hydre des lawyers américains.

Force est de constater que ces craintes n'Ă©taient pas fondĂ©es.Peut-ĂȘtre le contrĂŽle de lĂ©galitĂ© n'occupe-t-il pas assez le rĂŽle de contre-pouvoir qui aurait dĂ» devenir le sien. Cette faiblesse du contrĂŽle de lĂ©ga-litĂ© est nettement soulignĂ©e dans le rapport prĂ©citĂ© du Conseil d'Etat[1992]. En 1989, sur plus de 700 000 actes pris en application du Codede l'urbanisme et transmis au contrĂŽle de lĂ©galitĂ©, seulement 272 ont Ă©tĂ©dĂ©fĂ©rĂ©s au tribunal administratif, soit moins de trois par dĂ©partement etpar an...

Ceci peut certes traduire en partie une bonne autorégulation descommunes, et une concertation satisfaisante entre collectivités locales,mais il s'avÚre que de nombreuses irrégularités constatées ne sont pasdéférées. Une cause en est certainement l'imbrication des rÎles de jugeet partie joués par les DDE, qui assurent encore le plus souvent l'élabo-ration des POS et l'instruction des permis de construire. Le Conseild'Etat est sévÚre: «le contrÎle de légalité est exercé actuellement demaniÚre tout à fait insatisfaisante (...). La grande diversité de son exercicenuit considérablement au principe d'égalité des citoyens devant la loi. Ledroit de l'urbanisme y perd sa crédibilité» [1992: 54-55].

Citoyens et décision d'urbanisme

La participation des citoyens aux choix d'urbanisme, si elle fait l'objetd'un certain nombre de procĂ©dures de concertation et d'enquĂȘtes pu-bliques figurant dans le Code de l'urbanisme et dans le Code de l'expro-priation, joue un rĂŽle certainement moins important que dans plusieurspays voisins, par exemple en Suisse et en Allemagne [ADEF 1985].

Toutefois cette participation s'est trÚs sensiblement accrue depuisune douzaine d'années, en parallÚle avec la montée des préoccupationsd'environnement, et elle s'est traduite par un important développementdu mouvement associatif.

Elle s'est concrĂ©tisĂ©e dans des textes, d'abord par une importanteloi de 1983 qui a renforcĂ© le rĂŽle des enquĂȘtes publiques (choix ducommissaire enquĂȘteur, rapport d'enquĂȘte, sursis Ă  exĂ©cution), ensuitepar une obligation de mise en place d'une procĂ©dure de concertationpour les opĂ©rations d'urbanisme importantes.

Contexte du PPP en France

65

Cette participation accrue contribue sans doute Ă  remĂ©dier Ă  ce quiĂ©tait gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© comme une carence du systĂšme françaisd'amĂ©nagement. Mais elle soulĂšve aussi un dĂ©licat problĂšme d'insĂ©curitĂ©juridique qui rĂ©sulte de l'extrĂȘme complexitĂ© du Code de l'urbanisme ac-tuel: la multiplicitĂ© des rĂšgles de procĂ©dure contenues dans le Code del'urbanisme contribue Ă  fragiliser le systĂšme dĂšs lors que les requĂ©rantsont une bonne compĂ©tence juridique. On voit ainsi d'importants permisde construire, des ZAC parmi les plus importantes, annulĂ©s par le tribunaladministratif ou le Conseil d'Etat, souvent pour des vices de forme mi-neurs, sans considĂ©ration du caractĂšre gĂ©nĂ©ral du projet. En outre, il estfrĂ©quent que cette annulation intervienne alors que les travaux sont dĂ©jĂ fort avancĂ©s, voire terminĂ©s, conduisant alors dans la plupart des cas Ă  la«rĂ©gularisation» de l'opĂ©ration. C'est probablement cette dĂ©connexionfrĂ©quente entre le jugement du tribunal et le devenir d'une opĂ©ration quitend le plus Ă  saper la crĂ©dibilitĂ© du droit de l'urbanisme, en mĂȘme tempsqu'elle jette un voile de suspicion sur l'action des associations, souventsoupçonnĂ©es de n'agir que pour la dĂ©fense d'un intĂ©rĂȘt particulier, oupar simple acharnement juridique. Une association, dans les AlpesMaritimes, a mĂȘme Ă©tĂ© condamnĂ©e rĂ©cemment, pour recours abusif, Ă verser une somme importante (au regard de ses ressources) Ă  un promo-teur indĂ»ment attaquĂ©.

3. POUR TERMINER

Montée du PPP, flexibilité de la rÚgle de droit, faiblesse du contrÎlede légalité et hypercomplexité du Code de l'urbanisme ont ainsi conduit,depuis quelques années, à la fois à un dérÚglement en termes écono-miques et à une perte de crédibilité des rÚgles de droit. Une rude tùcheattend le gouvernement qui a annoncé son intention de déposer, à lasession parlementaire du printemps 1994, un projet de loi visant à simpli-fier et rendre plus efficace le Code de l'urbanisme.

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

ADEF (éd). 1985. L'intervention du public dans les choix d'aménage-ment. Paris: ADEF.

ALTERMAN, R. (Ă©d). 1991. Private supply of public services. New York:New York University Press.

CAMPAGNAC, E. (Ă©d). 1992. Les grands groupes de la construction: denouveaux acteurs urbains? Paris: L'Harmattan.

V. Renard

66

CONSEIL D'ETAT. 1992. L'urbanisme: pour un droit plus efficace. Rapportdu groupe de travail présidé par M. Daniel Labetoulle. Paris: LaDocumentation Française.

67

Chapitre 5

CONSÉQUENCES DU PPPPOUR LA PRODUCTION DES PROJETS D'URBANISME

Guy HENRY

1. INTRODUCTION

Etant moins chercheur que praticien, ce qui m'intĂ©resse dans lePPP (partenariat public-privĂ©) c'est moins d'effectuer l'analyse en elle-mĂȘme du processus gĂ©nĂ©ral Ă  travers lequel les projets d'urbanisme (etdonc la ville) se produisent aujourd'hui, que de mesurer les consĂ©-quences de ce partenariat sur la conception et la rĂ©alisation des projets.Ce qui m'importe, c'est d'apprĂ©cier ce qui, dans ce partenariat, encou-rage – ou au contraire freine – le renouvellement des pratiques et desidĂ©es qui servent de fondement aux projets d'amĂ©nagement.

Dans le cadre d'une activitĂ© professionnelle qui consiste principa-lement Ă  concevoir – et, lorsque cela est possible, Ă  rĂ©aliser – des pro-jets d'urbanisme, l'Ă©quipe que j'anime effectue quelques travaux de re-cherche sous contrat. Ainsi, entre 1989 et 1991, avec Ida Hounkpatyn,gĂ©ographe-urbaniste, nous nous sommes intĂ©ressĂ©s de trĂšs prĂšs Ă 

G. Henry

68

Barcelone, ville dans laquelle, d'ailleurs, le Village olympique fut, entre lafin des annĂ©es quatre-vingts et le dĂ©but des annĂ©es quatre-vingts dix, laplus importante opĂ©ration de partnership en Europe. MĂȘme si notre intĂ©-rĂȘt n'Ă©tait pas centrĂ© sur le partenariat, nous avons eu l'occasion de me-surer l'importance de ce thĂšme dans la dynamique urbaine qui a si pro-fondĂ©ment modifiĂ© cette ville en une dĂ©cennie [Henry 1992]. Ainsi, sil'on s'interroge sur l'incidence du PPP sur la production de cette vasteopĂ©ration, il semble clair que la morphologie urbaine rigoureuse adoptĂ©e(des Ăźlots Ă  la maniĂšre de CerdĂ  interprĂ©tĂ©s par la modernitĂ© architectu-rale) n'a pas eu pour seul motif des raisons culturelles visant Ă  ancrer l'ex-tension urbaine dans l'histoire de la ville. Ce choix et cette rigueur s'ex-pliquent aussi par des raisons d'ordre pratique en liaison directe avec lepartenariat: il convenait, au dire mĂȘme des concepteurs1, d'adopter unsystĂšme formel qui puisse permettre de contrĂŽler l'intervention, pendantun court laps de temps, d'un nombre important de partenaires privĂ©s(des promoteurs et leurs architectes, des entreprises de travaux publicset leurs ingĂ©nieurs) avec l'objectif affirmĂ© d'Ă©viter la cacophonie habi-tuelle des opĂ©rations construites Ă  neuf, un peu partout pendant lamĂȘme pĂ©riode en Europe, et dont on a pu voir, par exemple, l'affligeantspectacle dans les villes nouvelles françaises.2

Nos recherches sur le projet urbain barcelonais terminĂ©es, nousavons, en 1993, engagĂ© une expertise intitulĂ©e «2 fois 10 villes» danslaquelle nous nous sommes fixĂ©s pour objectif de repĂ©rer, Ă  traversl'analyse de dix grands projets d'urbanisme dans des villes françaises –puis, nous l'espĂ©rons, de dix autres projets dans des villes euro-pĂ©ennes –, les idĂ©es nouvelles qui les sous-tendent ou qu'ils gĂ©nĂš-rent, tant du cĂŽtĂ© de la maĂźtrise d'ouvrage que du cĂŽtĂ© de la maĂźtrised'Ɠuvre. Ces «grands projets», indiquons-le d'emblĂ©e, s'inscrivent tous,sous des formes diverses, dans le cadre du partenariat.

Avant d'entrer dans le vif du sujet concernant les conséquences duPPP sur la conception et la production des projets d'urbanisme, indi-quons en quelques mots d'une part ce qui, pour nous, se joue lorsquel'on parle de projets d'urbanisme et d'autre part sur quoi repose la nou-veauté de la situation actuelle.

1 L'équipe de conception du projet d'ensemble de Village olympique, les ar-chitectes Martorell, Bohigas, Mackay, Puigdomenech associés.

2 Pour une analyse fine du Village olympique, voir le bel ouvrage édité parHOLSA [1992], l'organisme aménageur, et notamment notre contribution:the olympic Village: a task of interpretation.

PPP et production des projets d'urbanisme

69

1.1 Sens du projet d'urbanisme

Les villes dans lesquelles nous vivons ont une forme particuliĂšre –assez souvent mĂȘme, elles paraissent informes, mais c'est leur forme Ă elles – et cette forme compte beaucoup dans notre maniĂšre de vivre.Certes, ce n'est pas la forme urbaine, architecturale ou paysagĂšre, quicrĂ©e de toutes piĂšces notre manifestation vitale (la forme architecturaledes grands ensembles, pour prendre cet exemple extrĂȘme, n'est pasl'unique responsable du drame qui s'y joue actuellement). Cependant,soit cette forme crĂ©e des possibilitĂ©s pour qu'une sociabilitĂ© et une crĂ©a-tivitĂ© se dĂ©ploient, soit, au contraire, elle leur oppose des rĂ©sistances.

Donner Ă  la forme de l'espace3 l'importance qui devrait toujours ĂȘtrela sienne, dans la conception des projets d'urbanisme, conduit Ă  perce-voir ces projets comme les lieux de la rencontre de deux mondes: lemonde palpable, visible des formes sensibles, et le monde immatĂ©riel,insaisissable des forces (politiques, Ă©conomiques, financiĂšres...) qui fontet dĂ©font les villes. DĂ©signer l'«espace du projet», de sa conception jus-qu'Ă  sa rĂ©alisation, comme le lieu de cette rencontre est peut-ĂȘtre laseule maniĂšre d'Ă©viter aussi bien le formalisme dans lequel s'enfermesouvent la pratique architecturale – qui rĂ©duit l'enjeu du projet Ă  sonseul dessin –, que l'Ă©conomisme – qui dĂ©termine si fortement, depuisune bonne dĂ©cennie, la maĂźtrise d'ouvrage publique et privĂ©e et qui neperçoit de la forme que le dĂ©cor qui fait vendre, choisissant comme ul-time critĂšre de validitĂ© de ses options un nombre d'emplois (soi-disant)crĂ©Ă©s ou un Ă©quilibre financier.

Les projets d'urbanisme auxquels nous avons choisi de nous inté-resser4 sont donc des projets qui revendiquent fortement une forme ar-chitecturale, paysagÚre et/ou urbaine. Affirmant une prise de position es-thétique forte, ils font de l'existence de cette forme un enjeu important,central, du processus de conception et de réalisation du projet. Ils se dif-férencient ainsi fondamentalement des opérations d'aménagement ur-bain ordinaire dont la forme n'est que le résultat «naturel», spontané, duprocessus de valorisation et d'occupation du sol urbain. Ils prennent fer-mement position contre cet urbanisme sans forme intentionnelle, réflé-chie, contrÎlée, qui constitue l'essentiel du paysage de nos villes, et no-tamment de leurs périphéries.

3 Nous parlons ici bien entendu de la forme au sens large: la forme sédimen-tée qui donne son poids d'histoire aux villes, la forme qui fait sens et rendpossible l'identification, qui donne existence à des lieux.

4 La liste de ces projets, qui n'est pas exhaustive, concerne les villes deLille, Dunkerque, Nantes-Atlanpole, La Plaine-StDenis, VĂ©nissieux-les-Minguettes, Strasbourg et NĂźmes.

G. Henry

70

L'engagement formel de ces projets, notons-le au passage, ne rĂ©-pond pas qu'au dĂ©sir d'architectes, d'urbanistes ou de paysagistes sou-cieux d'accomplir honorablement leur mĂ©tier. Il rĂ©pond aussi, de plus enplus, Ă  une attente du secteur privĂ©. Car l'incohĂ©rence, l'anarchie for-melle, l'illisibilitĂ© de la ville contemporaine poussent, semble-t-il, unnombre croissant d'investisseurs Ă  susciter la production de projets quifont de l'architecture, de l'environnement paysager et de l'insertion desbĂątiments dans cet environnement, des Ă©lĂ©ments importants de distinc-tion et de valorisation.5 Il reste Ă  savoir si cette attente, qui rend possiblel'existence d'un espace du projet en tant que lieu de rencontre – ce dontnous parlions prĂ©cĂ©demment –, est appelĂ©e Ă  se dĂ©velopper et Ă  mettreun terme Ă  la perte de sens et Ă  l'Ă©norme gaspillage des sites dont serend coupable la production urbaine contemporaine; ou s'il ne s'agit qued'un effet de surface qui ne remet pas en cause les structures profondesde la commande urbaine et architecturale.

1.2 Nouveauté de la situation actuelle

Concernant le second point, si l'on s'interroge sur ce qui fait la nou-veautĂ© de la situation actuelle, il importe d'abord de remarquer que cen'est pas d'aujourd'hui que les acteurs privĂ©s participent Ă  l'amĂ©nage-ment urbain mĂȘme si, pendant longtemps, les projets d'urbanisme rele-vaient essentiellement de l'initiative publique.6 L'amĂ©nagement entraitalors dans le cadre d'une planification urbaine et rĂ©glementaire aux pro-cĂ©dures bien dĂ©finies (les ZAC par exemple).

Partenariat et nouveaux modes de production de l'urbain

Si un changement se dessine depuis quelques années, il résultedu fait que l'anticipation du public est aujourd'hui moins solitaire et sonaction moins volontariste et donc davantage négociée qu'autrefois.Peut-on pour autant parler du partenariat comme s'il s'agissait d'un nou-veau mode de production de la ville? Sans doute non et il est probable-ment plus judicieux de s'interroger sur ce que ce changement introduitpar rapport aux idées et aux pratiques antérieures, qu'il s'agisse de laplanification urbaine, des montages financiers, des techniques d'élabo-ration et de validation des programmes, voire, plus globalement de s'in-

5 On sait l'importance qu'a pris, depuis quelques années, le discours de lapromotion immobiliÚre et du marketing urbain sur l'image.

6 Car il y en avait aussi d'initiative purement privée.

PPP et production des projets d'urbanisme

71

terroger sur l'idĂ©e mĂȘme que l'on se fait, aujourd'hui, de ce qu'est unprojet.

Partenariat et Ă©volution des pratiques des acteurs

Au fil de l'expertise que nous menons dans le cadre de notre pro-gramme actuel de recherche, il s'avĂšre que le thĂšme du partenariat af-fecte de maniĂšre sensible l'Ă©volution des pratiques des diffĂ©rents ac-teurs, maĂźtres d'Ɠuvre et maĂźtres d'ouvrage, qui contribuent au dĂ©ve-loppement urbain. Ainsi, pour ce qui concerne la maĂźtrise d'ouvrage pu-blique, on peut considĂ©rer que la nouveautĂ© principale rĂ©side dans le faitque les collectivitĂ©s, qui n'avaient aucune politique contractuelle avec leprivĂ© il y a encore dix ans, s'engagent actuellement dans cette voie. Alorsqu'une grande mĂ©fiance sĂ©parait jusqu'Ă  il y a peu le public du privĂ©, au-jourd'hui, les collectivitĂ©s cherchent Ă  discuter avec les reprĂ©sentants dusecteur privĂ©, Ă  les rencontrer. Il n'y a d'ailleurs pas que les investisseursimmobiliers qui les intĂ©ressent pour mettre en Ɠuvre les projets d'amĂ©-nagement qu'elles imaginent. Le dialogue avec les industriels se noueĂ©galement, notamment sous la pression de la crise de l'emploi. Dans lemĂȘme temps, les collectivitĂ©s n'hĂ©sitent plus Ă  confier au privĂ© la gestionde services qui, il y a encore quelques annĂ©es, Ă©taient perçus commerelevant uniquement de son domaine (collecte des dĂ©chets, transportscolaire, gestion d'Ă©quipements, par exemple).7 Globalement, on peutconsidĂ©rer que les nouvelles modalitĂ©s de production de l'urbain rĂ©sul-tent de la conjonction entre une volontĂ© de dĂ©veloppement, exprimĂ©epar les instances publiques, et une capacitĂ© technico-financiĂšre d'ac-teurs privĂ©s, qui interviennent trĂšs en amont dans l'Ă©laboration des pro-jets et s'impliquent fortement en aval dans leur mise en Ɠuvre opĂ©ra-tionnelle et leur commercialisation.

On peut donc penser que le schĂ©ma8 hĂ©ritĂ© de l'Ă©poque antĂ©rieure– qui voyait la production de l'espace urbain rĂ©sulter d'un mĂ©canisme li-nĂ©aire, dans lequel le maĂźtre d'ouvrage public dĂ©finissait d'abord ses in-tentions sous la forme d'un projet d'amĂ©nagement, que des groupes pri-vĂ©s concrĂ©tisaient ensuite en mettant en Ɠuvre leurs moyens tech-niques financiers et commerciaux – a en bonne partie vĂ©cu. La rĂ©alitĂ©semble dĂ©sormais beaucoup plus complexe. L'imbrication des acteurs

7 Parmi les raisons qui motivent cette évolution récente, en France, il y a laloi de décentralisation (loi Deferre du 7 janvier 1983) qui a transféré auxmaires des pouvoirs étendus. Celle-ci fait d'eux des agents plus respon-sables détenant des moyens financiers importants et disposant désormaisd'un réel pouvoir en matiÚre d'urbanisme.

8 Schéma qui perdure dans l'idéologie du «projet urbain».

G. Henry

72

se fait plus étroite dÚs les prémisses des opérations (à titre d'exemple,les tests de commercialisation interviennent trÚs en amont), la concep-tion devient plus interactive, les rapports entre acteurs publics et privésfonctionnent selon des rÚgles plus subtiles qu'autrefois.

2. CONSÉQUENCES DU PPP

C'est donc dans le cadre de ce nouveau contexte que se pose laquestion relative aux consĂ©quences du PPP sur la production des pro-jets d'urbanisme. Pour rĂ©pondre Ă  cette question, il convient d'abord deprĂ©ciser que, lorsque l'on parle de la conception du projet, deux niveauxse mĂȘlent et interfĂšrent qu'il importe de distinguer9:

● Celui de la conception pure, autrement dit le corpus d'idĂ©es quiest Ă  la base du projet: l'analyse et la prise de position adoptĂ©es Ă l'Ă©gard du site et du programme, les concepts architecturaux eturbains auxquels il est fait appel, l'interprĂ©tation plus ou moins cri-tique de la question posĂ©e par le maĂźtre d'ouvrage. Ce versantengage principalement la culture (l'idĂ©ologie) du concepteur quiproduit ces idĂ©es.

● Celui de la conception prĂ©-opĂ©rationnelle du projet, en entendantpar lĂ  tout ce qui – le projet contenant un fil directeur et l'affirma-tion d'une prise de position – concerne le passage Ă  la rĂ©alisation.Cela suppose la prise en compte des contraintes opĂ©rationnellesproprement dites et des options du maĂźtre d'ouvrage (montage,dĂ©coupage, phasage) et l'adaptation du projet aux exigences despartenaires institutionnels et privĂ©s (investisseurs, gestionnaires,privĂ©s et institutionnels).

C'est au second niveau que le partenariat intervient. Il est alors bienrare qu'il ne mette pas en cause la conception pure et qu'il ne conduisepas Ă  des modifications importantes (voire dĂ©chirantes). D'oĂč la questioncentrale qui ressort de l'expertise des projets auxquels nous noussommes intĂ©ressĂ©s: est-il possible d'intĂ©grer les contraintes partena-riales dĂšs la conception pure, dĂšs l'esquisse initiale du projet (Ă©tape ab-solument dĂ©terminante qui oriente la plupart du temps tout le processusprojectuel)?

9 La frontiÚre entre les deux niveaux n'est, certes, pas toujours facile à dé-limiter. Ainsi, tel maßtre d'ouvrage guidera le concepteur, dÚs la concep-tion, en vue de produire un projet adapté aux perspectives opérationnellespartenariales qu'il s'est fixées; lors d'un concours, il pourra préférer telprojet parce qu'il s'inscrit le mieux dans cette perspective. Il peut y avoirempiétement (par anticipation) d'un niveau sur l'autre.

PPP et production des projets d'urbanisme

73

2.1 Manque d'anticipation

La rĂ©ponse Ă  cette question est loin d'ĂȘtre simple. Ainsi, au vu desquelques projets sur lesquels porte notre expertise, on peut toutd'abord frĂ©quemment constater que les idĂ©es de la maĂźtrise d'Ɠuvre(bien que celle-ci soit d'excellente qualitĂ© sur les sites choisis) enregis-trent un certain retard sur le mouvement des rĂ©alitĂ©s. Nombre de projetsfont preuve, au stade de la conception initiale, d'un manque d'anticipa-tion sur les conditions que le partenariat leur imposera plus tard; nombrede projets raisonnent comme si la maĂźtrise d'ouvrage publique Ă©tait en-core en mesure d'exercer un contrĂŽle quasi total sur l'opĂ©ration d'urba-nisme, alors qu'elle est de plus en plus conduite Ă  nĂ©gocier. Ce manqued'anticipation entraĂźne parfois de grandes difficultĂ©s lorsque la rĂ©alisationse prĂ©pare et s'engage.

Cependant, s'en tenir Ă  cette constatation pourrait laisser penserque la maĂźtrise d'Ɠuvre est seule concernĂ©e par ce retard, et que la solu-tion simple consiste Ă  ce qu'elle s'adapte au nouveau contexte partena-rial. Une telle conclusion serait doublement fausse, voire dangereuse.Sans chercher Ă  disculper la maĂźtrise d'Ɠuvre de ses insuffisances(parfois criantes), il convient d'abord de faire observer que la maĂźtrised'ouvrage publique est tout aussi responsable de cette situation car,sauf exception, elle tarde tout autant Ă  dĂ©finir ses prĂ©rogatives dans lecadre du partenariat. Faute d'expĂ©rience et de rigueur, elle s'avĂšre sou-vent incapable, au moment oĂč elle formalise sa demande et interroge un(des) concepteur(s), d'Ă©noncer les contraintes qui s'imposeront au projetlorsque celui-ci entrera, au stade opĂ©rationnel, dans le champ du parte-nariat.

2.2 Omission du rapport de force entre intĂ©rĂȘts public et privĂ©

Mais plus fondamentalement, les constatations qui prĂ©cĂšdent sontinsuffisantes dans la mesure oĂč elles reposent sur un raisonnement quisous-estime la dimension Ă©thique du projet d'urbanisme et ramĂšne celui-ci Ă  la rĂ©solution d'un pur problĂšme technique. Alors que cette dimen-sion Ă©thique devient une composante essentielle dans le contexte Ă  lafois troublĂ© et riche de potentialitĂ©s qui caractĂ©rise la pĂ©riode que noustraversons.10 De plus, dans la continuitĂ© de cette conception, il est lo-gique que l'on gomme l'Ă©lĂ©ment qui joue de maniĂšre dĂ©terminante, sur-tout dans le domaine de l'urbanisme, dans le passage d'une idĂ©e Ă  sa

10 Une comparaison pourrait ĂȘtre faite avec ce qui se passe dans d'autres do-maines de l'activitĂ© intellectuelle: la mĂ©decine et l'ensemble des sciencesnouvelles, par exemple.

G. Henry

74

réalisation, à savoir le rapport de forces dont cette idée est immanqua-blement l'enjeu.

Aucun projet d'urbanisme digne de ce nom ne peut en effet s'abs-traire du rapport de forces (politiques, symboliques, Ă©conomiques) dontil est l'objet, qu'il le veuille ou non, et que son auteur le sache ou non. Or,si l'on admet que l'une des caractĂ©ristiques du partenariat est d'introduireplus tĂŽt dans le processus de conception le rapport de forces entre intĂ©-rĂȘts public et privĂ©, il convient alors de s'interroger sur les idĂ©es (le mes-sage) que vĂ©hicule ce que l'on pourrait appeler l'idĂ©ologie du partenariat.

2.3 Partenariat et aliénation de la pensée urbanistique?

Il est difficilement pensable que les idĂ©es, qui sous-tendent unprojet d'urbanisme, soient sans rapport avec l'Ă©tat de la pensĂ©e del'Ă©poque dans laquelle ce projet naĂźt. Sous cet angle, on peut peut-ĂȘtreredouter que le partenariat contamine le processus de conceptiond'idĂ©es moins gĂ©nĂ©reuses, moins ambitieuses que celles dont est por-teuse la culture urbaine et architecturale ancrĂ©e dans notre culture occi-dentale. En d'autres termes, le partenariat se gĂ©nĂ©ralisant, ne peut-oncraindre que la logique du marchĂ© occupe une place dĂ©terminante dansla production des projets urbains? Comment concilier l'expression de lacommande par la puissance publique (qui exprime les besoins, l'intĂ©rĂȘtgĂ©nĂ©ral et l'intĂ©rĂȘt Ă  long terme de la sociĂ©tĂ©) et l'intĂ©rĂȘt des partenairesprivĂ©s? En introduisant trĂšs tĂŽt la logique du marchĂ© dont sont porteursles investisseurs privĂ©s, en allant au-devant de leurs exigences, la com-mande publique ne court-elle pas le risque de se priver d'une part es-sentielle de sa libertĂ©?11

2.4 Partenariat et flexibilité

Examinons, pour finir, le thÚme de la flexibilité qui apparaßt commeune conséquence directe du partenariat.

L'argumentation qui s'est développée depuis quelques années enfaveur d'un «urbanisme de projets», le présentant comme l'alternativeradicale à la planification urbaine abstraite, n'est pas sans souleverquelques questions. Certes, sous la pression de nouveaux acteurs (no-tamment les «ensembliers» issus des grands groupes industriels et fi-

11 Comment ne pas remarquer la coĂŻncidence entre la privatisation des ser-vices publics et la perte d'intĂ©rĂȘt pour l'espace public, qui s'exprime dansles «produits» de l'amĂ©nagement contemporain: zones commerciales,parcs d'activitĂ©s, infrastructures de transport, par exemple.

PPP et production des projets d'urbanisme

75

nanciers), un urbanisme de projets se développe. Mais les projets res-tent le plus souvent ponctuels pour des raisons évidentes de maßtrise durisque propre au secteur privé. Si bien que, d'une certaine maniÚre, onrejoint les logiques précédentes, si fortement dénoncées, de sectorisa-tion et de fragmentation de l'urbanisme. La question se pose donc desavoir comment des projets d'urbanisme peuvent mobiliser l'initiative etle financement privés sur des logiques à plus long terme, s'insérant dansdes stratégies territoriales plus vastes. Pour cela, la réponse qui sembles'imposer est celle de projets offrant une flexibilité suffisante pours'adapter aux évolutions de la demande.

Le thĂšme de l'Ă©volutivitĂ© (ou de la flexibilitĂ©) du plan ou du projetd'urbanisme, bien qu'il ne soit pas formulĂ© explicitement par les auteurs,est cependant omniprĂ©sent dans presque tous les projets que noussommes en train d'expertiser.12 Or, ce qui frappe, c'est que tant qu'ellese cantonne dans le champ du programme ou du montage financier,cette flexibilitĂ© paraĂźt relativement discernable, tandis qu'elle semblel'ĂȘtre beaucoup moins dĂšs lors que la formalisation spatiale du projet in-tervient. La raison en est que le projet d'urbanisme naĂźt de la rencontrede deux mondes: celui du programme fait de chiffres et de mots, defonctions et de normes, de procĂ©dures et de financements, et celui de laforme fait de culture, d'histoire, de symboles, qui obĂ©issent l'un et l'autreĂ  des lois fort diffĂ©rentes.

Cette question de l'évolutivité est assurément l'une des plus com-plexes que le projet d'urbanisme contemporain ait à résoudre. On peut levérifier parfaitement avec le projet conçu par l'architecte Christian dePortzamparc (projet Atlanpole à Nantes) dans lequel le principe des «ßlesbùties» devait permettre une grande souplesse concernant la combina-toire des éléments construits, constituant les «ßlots ouverts» inscritsdans la trame de composition générale. Or ce principe, tout-à-fait valabledans le contexte de la ville dense, ne s'est pas révélé pertinent dans ce-lui de l'urbanisation d'un vaste territoire de grande périphérie urbaine.

On rétorquera que l'expression de cette flexibilité incombe principa-lement au maßtre d'ouvrage, ou qu'elle résulte de son insuffisance àmieux cerner et exprimer sa demande avant d'engager l'élaboration du

12 Il convient de noter que cette recherche de flexibilité n'est pas entiÚrementnouvelle dans l'histoire de l'urbanisme; à titre d'exemple, on peut citer lesrecherches réalisées à la fin des années soixante par l'Atelier deMontrouge à propos du Vaudreuil, pour tenter de définir une trame pouvantaccueillir indifféremment des équipements ou des ensembles de loge-ments. La différence réside dans le fait que cette recherche de flexibilitéémanait antérieurement de maßtres d'oeuvres soucieux de contrecarrer lesystématisme d'un mode de production (adoptant donc un point de vue cri-tique), tandis qu'elle émane aujourd'hui des maßtres d'ouvrages.

G. Henry

76

projet; ce qui est en bonne partie vrai. Cependant, il ne faut pas perdrede vue que, dans les opĂ©rations complexes, la formalisation spatiale aidele maĂźtre d'ouvrage – beaucoup plus qu'il ne le croit spontanĂ©ment lui-mĂȘme – Ă  mieux comprendre le contenu et les attendus de la demandedont il doit ĂȘtre l'interprĂšte, la dialectique forme urbaine/programmejouant souvent Ă  plein. Par ailleurs, force est bien de reconnaĂźtre quedans le climat d'incertitude que traverse l'amĂ©nagement urbain, la de-mande du maĂźtre d'ouvrage public devient assez souvent et rapidementcontradictoire, dans la mesure oĂč il doit simultanĂ©ment afficher un projetqui, par ses options spatiales (lisibles par son dessin, ses maquettes),traduise une volontĂ© claire et sĂ©duisante, tout en expliquant Ă  ses clientspotentiels que ce mĂȘme projet s'accommode du maximum de modifica-tions. Il en rĂ©sulte parfois un climat extrĂȘmement difficile Ă  gĂ©rer pour lemaĂźtre d'Ɠuvre, qui est placĂ© dans une position d'attente et d'incertitudecontraire au dĂ©veloppement et Ă  l'affirmation du projet.

Pour ĂȘtre approfondie, l'analyse de la signification profonde de lagestion Ă©volutive des projets d'urbanisme doit ĂȘtre resituĂ©e dans le sys-tĂšme du libĂ©ralisme dans lequel la ville occidentale se produit. Cette re-cherche d'Ă©volutivitĂ© a deux motifs principaux: le fait que les prĂ©visionsprogrammatiques sont beaucoup plus incertaines qu'elles ne l'Ă©taient il ya encore dix ans, et le fait que, malgrĂ© l'essoufflement du financementpublic, l'amĂ©nageur public – en France tout au moins – entend conti-nuer Ă  contrĂŽler le processus d'urbanisation.13

On le voit, la question de la flexibilitĂ© est liĂ©e directement Ă  celle dupartenariat, qui apparaĂźt de plus en plus comme une condition obligĂ©e del'amĂ©nagement. Or, en l'absence d'une rĂ©flexion sĂ©rieuse de la maĂźtrised'ouvrage publique sur la gestion de projets urbains Ă©volutifs, le risqueest grand que ce partenariat prenne la forme d'une dĂ©pendance Ă  sensunique, qui remette en cause le sens profond de sa vocation: la dĂ©fensede l'«intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral», l'articulation du futur immĂ©diat et du futur incertain.

13 Par contre, d'autres pays européens se sont nettement plus engagés dansla voie d'une privatisation de l'aménagement urbain. L'Italie, par exemple,s'est engagée assez loin dans ce sens avec la loi de 1988 qui permet deconcéder l'étude préalable et la réalisation de grandes opérations d'urba-nisme au secteur privé (voir notamment l'expérience des projets phares deFiat à Turin et de Pirelli à Milan).

PPP et production des projets d'urbanisme

77

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

HENRY, G. 1992. Barcelone, dix années d'urbanisme. Paris: éditions duMoniteur.

HOLSA. (Ă©d.). 1992. Olympic Barcelona, the renewed city. Barcelone:Gili.

79

Chapitre 6

FORMES DU PPP

Jean RUEGG

Plusieurs grands centres commerciaux situés dans nos villes offrentdes espaces «publics» tels que des cheminements piétonniers cou-verts, des surfaces de jeux pour les enfants, des terrasses pour les ca-fés. Ces espaces sont clairement produits par des acteurs privés.Pourtant, et au moins pendant les heures d'ouverture des commerces,ils sont accessibles à tout le monde. Des espaces «publics fournis par leprivé»sont-ils le fruit d'un PPP (partenariat public-privé)?

Une bonne part de la gestion des déchets ménagers dépend denotre motivation à effectuer le premier tri. Ce faisant, serions-nous les ac-teurs d'un PPP?

Un des piliers de notre politique pour lutter contre les disparités ré-gionales est toujours constitué par la LIM (loi d'aide aux investissementsdans les régions de montagne). Cette loi vise à aider le secteur public àréaliser les infrastructures (routes, équipements sportifs, centres cultu-rels, infrastructures techniques) qui inciteront les entreprises privées àvenir s'installer dans une région décentralisée. Cette politique est-elleune forme de PPP?

J. Ruegg

80

Nous pourrions multiplier les exemples. Ce n'est évidemment pas lebut. Nous aimerions simplement suggérer, par l'évocation de ces troiscas, la diversité des situations que d'aucuns associent au PPP.

Dans les pages qui suivent, nous n'allons pas chercher à trancher età distinguer le «bon» du «mauvais» PPP. Plus modestement, nous ten-terons de mettre un peu d'ordre dans la multiplicité des formes du PPP.Et puis, nous essaierons aussi de montrer que, dans la littérature tout aumoins, le PPP prend souvent des tours qui sont spécifiques à des situa-tions sociopolitiques et à des problÚmes à résoudre. Ainsi, mais ce n'estqu'un exemple, les conceptions nord-américaine et allemande du PPPdiffÚrent considérablement.

1. CONCEPTION ET FORMES DU PPP

Plusieurs points de vue sont possibles pour repérer des formesdistinctes de PPP. Nous en retiendrons trois: l'«agencement dans letemps des actions publiques et privées» (fig. 1), la «relation entre privati-sation et décentralisation» et la «finalité de l'acteur privé».

1.1 Agencement dans le tempsdes actions publiques et privées

Actions distinctes dans le temps

Cela correspond Ă  des formes relativement anciennes du PPP. EnmatiĂšre de politique Ă©conomique, la LIM dĂ©jĂ  citĂ©e en est l'exemple type.Au fond, la LIM recherche bien une conjonction entre les initiatives descollectivitĂ©s publiques et le comportement des privĂ©s. Aux premiĂšres demettre en place un certain nombre d'infrastructures afin d'attirer les se-conds qui, par le choix de la localisation de leurs activitĂ©s, contribuerontau dĂ©veloppement Ă©conomique rĂ©gional. Il est Ă  noter que, dans la plu-part de nos communes, la mĂȘme stratĂ©gie est adoptĂ©e pour gĂ©rer lazone industrielle ou pour amĂ©liorer l'attractivitĂ© du centre urbain. Or, danstous les cas, ce «PPP» souffre de travers identiques. Il peut s'Ă©couler uncertain temps entre l'action du secteur public et la rĂ©action du secteurprivĂ©. Parfois mĂȘme, cette rĂ©action ne se produit jamais. L'engagementdu secteur privĂ© est «ardemment souhaité» par le secteur public, mais ilne le recherche pas «trop» activement, ni ne le nĂ©gocie.

Formes du PPP

81

Situation 3: Les actions publiques et privées sont concomitantes

Les actions publiques et privées sont distinctes dans le temps

Situation 1:

transaction

Les actions publiques et privées se chevauchent partiellement dans le temps

Situation 2:

transaction

public

privé

FIG. 1 Agencement dans le temps des actions publiques et privées

Dans les exemples plus rĂ©cents de PPP, la conception qui prĂ©vautest diffĂ©rente: le PPP implique une collaboration dynamique et interac-tive entre des acteurs des secteurs public et privĂ© [Stephenson 1991:110]. L'interaction peut ĂȘtre plus ou moins importante. Mais elle doit ĂȘtretoujours prĂ©sente. Dans la plupart des cas, elle impliquera une nĂ©gocia-tion, laquelle pourra ĂȘtre concrĂ©tisĂ©e par un contrat.

Nous distinguerons deux types d'interaction.

J. Ruegg

82

Actions «entremĂȘlĂ©es»

Cette situation est caractéristique de PPP qui portent sur des pro-jets ou des objets précis. Une fois la phase d'interaction terminée, les ac-teurs reprennent leur mode de fonctionnement traditionnel, «chacundans leur coin».

Le droit de superficie qu'une collectivitĂ© concĂšde Ă  un privĂ© entredans cette catĂ©gorie, de mĂȘme que la concession ou le leasing.L'interaction a lieu au moment de l'octroi du droit, qui fait l'objet d'uncontrat. Puis, il peut alors y avoir Ă©valuation et renĂ©gociation du droit, unefois que ce dernier arrive Ă  Ă©chĂ©ance. Avec le droit de superficie, le casest Ă©videmment un peu particulier. En raison de la durĂ©e du droit – sou-vent Ă©gal ou supĂ©rieur Ă  cinquante ans –, ce ne sont plus les mĂȘmespersonnes qui sont amenĂ©es Ă  rediscuter d'une Ă©ventuelle prolonga-tion. L'Ă©valuation – qui devrait prĂ©cĂ©der la renĂ©gociation – est alors sou-vent trĂšs sommaire.

L'instrument du plan de quartier est relativement proche du principedu droit de superficie ou de la concession. Son élaboration implique qu'ily ait discussion et négociation entre le développeur et le secteur public,représenté ici par son administration. Cependant il n'y a cette fois prati-quement aucune évaluation ou renégociation possible. Une fois que leplan est accepté et légalisé, le secteur public perd l'essentiel du contrÎlede sa réalisation.1

Actions concomitantes

C'est le cas le plus pur, oĂč les secteurs publics et privĂ©s sont enphase parfaite pour Ă©laborer, rĂ©aliser et gĂ©rer un projet quelconque.Toute organisation qui comprend des membres issus des secteurs pu-blics et privĂ©s entretenant une relation durable entre dans cette catĂ©go-rie. Une sociĂ©tĂ© Ă  Ă©conomie mixte en constitue une forme particuliĂšre-ment aboutie. L'exemple de Ret SA, dans le canton de NeuchĂątel,montre bien jusqu'oĂč peut mener le PPP. En tirant une partie de sesressources de la vente de ses services Ă  ses bailleurs de fonds, cettesociĂ©tĂ© se trouve dans l'obligation de servir leurs intĂ©rĂȘts tout en Ă©tantcompĂ©titive.

D'autres exemples pourraient ĂȘtre mentionnĂ©s. Mais ce n'est pas lĂ le plus important. Il faut surtout retenir que l'interaction est une compo-

1 Ce propos doit ĂȘtre relativisĂ©. Par exemple, la collectivitĂ© publique peut as-sortir son accord d'une obligation de construire dans un certain dĂ©lai. Mais,il n'en reste pas moins vrai que ces moyens de contrĂŽle et de sanction sontfaibles.

Formes du PPP

83

sante importante du PPP. En général, notre conception du PPP intÚgrecette dimension.

1.2 Privatisation versus décentralisation

Dans la littĂ©rature consacrĂ©e au PPP, il nous semble que deux cou-rants existent. Certains, comme Heinz [1993], voient dans le PPP uneforme de privatisation du secteur public. D'autres, et c'est notamment lecas des auteurs nord-amĂ©ricains, inscrivent plutĂŽt le PPP dans lecontexte de la dĂ©centralisation et du transfert de certaines politiques duniveau fĂ©dĂ©ral ou rĂ©gional au niveau local. Ces deux courants ne sontpas trĂšs Ă©loignĂ©s: la privatisation peut ĂȘtre une forme de dĂ©centralisa-tion. NĂ©anmoins, il nous paraĂźt important de continuer Ă  les distinguerpour diffĂ©rencier d'autres formes de PPP.

Privatisation

Pour Heinz [1993: 10-12], le renouveau du service public s'appa-rente à deux objectifs stratégiques qui sont à la fois complémentaires etindépendants:

● l'amĂ©lioration et la modernisation interne des administrations pu-bliques, par l'introduction de techniques de management que l'onrencontre habituellement dans les entreprises privĂ©es(rĂ©munĂ©ration au mĂ©rite, responsabilisation des fonctionnaires,gestion par objectifs); le but visĂ© est de permettre une prise dedĂ©cision plus rapide, plus flexible et plus transparente;

● la rĂ©duction et l'externalisation de certaines fonctions; le but visĂ©est la privatisation.

Heinz toujours repĂšre trois types de privatisation:● la privatisation fictive: la collectivitĂ© publique transfĂšre des ser-

vices publics à une société de droit privé dont elle détient la tota-lité du capital;

● la privatisation effective: la collectivitĂ© publique transfĂšre des ser-vices publics Ă  des acteurs privĂ©s;

● la privatisation partielle par PPP: la collectivitĂ© publique transfĂšredes services publics Ă  une structure qui peut prendre toutes lesformes possibles de coopĂ©ration entre la fonction publique, desinvestisseurs et des exploitants privĂ©s.

A l'intĂ©rieur de cette privatisation partielle, Heinz va mĂȘme plus loin.Il distingue une conception française et anglo-saxonne, plus large, selonlaquelle la privatisation partielle et le PPP sont synonymes, d'une

J. Ruegg

84

conception germanique qui limite le PPP a une forme particuliÚre de pri-vatisation partielle: les sociétés à économie mixte.

A nouveau, ce ne sont pas ces dĂ©tails qui vont retenir notre atten-tion, mais plutĂŽt les consĂ©quences quant Ă  la dĂ©finition du PPP. Si noussuivons ceux qui associent le PPP Ă  la privatisation, nous observons eneffet qu'ils limitent leur analyse Ă  des formes bipartites de PPP, oĂč les in-teractions concernent seulement deux types d'acteur. D'un cĂŽtĂ©, il y a lesecteur public, et de l'autre, un acteur privĂ© qui peut ĂȘtre un dĂ©velop-peur, un investisseur ou un financier [Heinz 1993: 3].

DĂ©centralisation

La dĂ©centralisation renvoie Ă  un contexte diffĂ©rent, assez caractĂ©-ristique de la situation qui prĂ©vaut en AmĂ©rique du Nord. Ce contexte estmarquĂ© Ă  la fois par le dĂ©sengagement de l'Etat central,2 dont les pro-grammes qu'il abandonne ne peuvent pas toujours ĂȘtre repris Ă  l'Ă©chelonrĂ©gional ou local, et par les difficultĂ©s que rencontrent plusieurs grandesmĂ©tropoles (perte d'emplois et de ressources fiscales, chĂŽmage endĂ©-mique, paupĂ©risation de certains quartiers, dĂ©veloppement d'une so-ciĂ©tĂ© Ă  deux vitesses, accroissement de la compĂ©tition entre villes). LePPP devient alors, en quelque sorte, un dispositif de «dĂ©pannage» quin'est plus forcĂ©ment le fait des pouvoirs publics, mais plutĂŽt de groupesfortement engagĂ©s dans la vie des quartiers.3 Klein insiste alors sur lecĂŽtĂ© spontanĂ© du PPP. Pour lui,

«[...] sont partenariales les pratiques issues de collaborationsspontanĂ©es qui font suite Ă  l'initiative des communautĂ©s lo-cales [Klein 1991: 1].Cette vision est peut-ĂȘtre un peu trop spĂ©cifique Ă  un contexte.

Mais elle cadre parfaitement avec des situations oĂč certaines collectivitĂ©slocales sont confrontĂ©es Ă  l'absence de l'Etat pour faire face Ă  des pro-blĂšmes d'abord sociaux. En ce sens, les formes de PPP qui en rĂ©sultentse distinguent du projet de privatisation des services publics. Le PPPdevient plutĂŽt synonyme de mise en commun des ressources et des ini-tiatives des acteurs publics et privĂ©s pour soutenir l'entrepreneurship lo-

2 Voir les effets de la politique menée par le président Reagan, dÚs le débutdes années quatre-vingts.

3 Le PPP comme «dépannage» ou comme «palliatif» au manque de res-sources publiques est aussi présent en Allemagne par exemple. Suite à laréunification, le secteur public délaisse quelque peu la partie occidentalepour concentrer ses investissements dans la partie orientale. Heinz men-tionne alors que le PPP connaßt un essor important dans la partie occiden-tale pour compenser ce désengagement de l'Etat fédéral [1993: 14].

Formes du PPP

85

cal, la création d'emplois, l'amélioration du cadre de vie, la formation destravailleurs et la mise en place des mécanismes de réinsertion sociale[Hamel 1990: 47].

Ainsi compris, le PPP se caractérise essentiellement par des formestripartites. Il rassemble en effet les pouvoirs publics et deux types d'ac-teurs privés: les entrepreneurs et les groupes locaux constitués d'usa-gers ou de citoyens. En outre, il naßt souvent à l'initiative de ces derniers.Le programme «partenaires» élaboré par la Ville de Montréal rend biencompte de cette approche:

«Tout en poursuivant parallĂšlement nos efforts sur d'autresfronts, nous avons choisi de nous mettre au diapason desgroupes communautaires, dont les efforts nous apparaissentporteurs d'avenir, et nous avons optĂ© rĂ©solument pour uneapproche de dĂ©veloppement Ă©conomique local» [Ville deMontrĂ©al 1990: 1].Dans le mĂȘme document, l'«approche de dĂ©veloppement local» est

définie comme:«les efforts de concertation et de planification entrepris parl'ensemble des partenaires de tous les secteurs(gouvernement, privés, groupes syndicaux et communau-taires), afin de développer l'économie d'un micro-territoiresous la responsabilité de la communauté locale» [Ville deMontréal 1990: 17].4

1.3 Finalité de l'acteur privé

Recherche d'un profit

Il s'agit d'une forme classique, qui vient presque immédiatement àl'esprit lorsque l'on envisage le PPP. Elle n'amÚne par conséquent pasde commentaires particuliers, si ce n'est pour rappeler qu'elle concernesouvent la dimension marchande du service public [Léonard et Léveillée1990: 150].

4 Pour réaliser son programme, la Ville de Montréal s'appuie sur les groupescommunautaires, issus des quartiers, et sur les CDEC (Corporations dedéveloppement économique et communautaire) qui sont à la fois ...«desstructures d'action et de concertation qui regroupent l'ensemble des parte-naires d'un quartier: entreprises privées, groupes communautaires, syndi-cats locaux, résidents et institutions. [...]. Pour leur fonctionnement etleurs activités, les CDEC reçoivent une aide financiÚre de l'Office de plani-fication et de développement du Québec et de la Ville de Montréal» [Ville deMontréal 1990: 22].

J. Ruegg

86

Poursuite d'un but non lucratif

Cette situation survient notamment lorsque des usagers ou desgroupes communautaires sont parties prenantes d'un PPP. Elle est intĂ©-ressante dans la mesure oĂč elle permet de traiter de la coproduction, quiest un cas un peu particulier de PPP. La coproduction est la productionconjointe de services ou de biens par l'administration et les citoyens[LĂ©onard et LĂ©veillĂ©e 1990]. Plusieurs exemples intĂ©ressants relĂšventde la coproduction, tels les corps de pompiers volontaires ou les sys-tĂšmes de gestion des dĂ©chets mĂ©nagers qui reposent sur le tri par lesusagers-consommateurs. Le service, qui reprĂ©sente un bien collectif,est fourni sans Ă©change marchand ou monĂ©taire. Dans le contexte nord-amĂ©ricain, oĂč l'usager ne dispose pas des mĂȘmes droits que chez nouspour participer Ă  la vie publique, LĂ©onard et LĂ©veillĂ©e relĂšvent que la co-production renforce souvent l'intĂ©rĂȘt des particuliers pour la chose pu-blique. Elle accroĂźtrait le support au secteur public et pourrait mĂȘme ĂȘtreconsidĂ©rĂ©e comme une variante Ă  la participation [1990: 152-153].

Ce rapide tour d'horizon ne prétend pas à l'exhaustivité. Il nous pa-raßt cependant utile pour aborder un thÚme qui est plus directement lié àl'application du PPP. Aux différentes formes du PPP correspondent eneffet des difficultés variables de mise en pratique.

2. DIFFICULTÉS ASSOCIÉES à QUELQUES FORMES DE PPP

Si nous acceptons de ne traiter que des formes de PPP qui incluentune interaction entre les partenaires, alors nous pouvons considĂ©rerdeux catĂ©gories de difficultĂ©s. La premiĂšre est prĂ©sente dans tout PPP.La seconde rend compte de problĂšmes de mise en Ɠuvre qui sont spĂ©-cifiques aux formes de PPP bipartite et tripartite respectivement.

2.1 Difficultés communes aux formes de PPP

Quelques commentaires sur la négociation

Pour dĂ©velopper des PPP qui intĂšgrent une relation dynamique etcollaborationniste entre les partenaires, il faut envisager la nĂ©gociation.Le PPP ne se dĂ©crĂšte pas, ni ne s'impose. Mais il se nĂ©gocie entre desparties qui ont un intĂ©rĂȘt bien compris Ă  collaborer ensemble, au moinsmomentanĂ©ment, pour un objet gĂ©nĂ©ralement bien prĂ©cis. Par consĂ©-

Formes du PPP

87

quent, les rÚgles de la négociation sont largement transposables aucontexte du PPP.5 Mais, il n'y a pas lieu de les développer ici.

Eviter de mélanger les rÎles

Une collectivitĂ© publique n'a pas Ă  se supplĂ©er Ă  l'acteur privĂ© –l'inverse, d'ailleurs, est aussi vrai. Cette remarque ne concerne pas tantles mĂ©thodes de travail, qui sont largement transfĂ©rables, que la finalitĂ©.La collectivitĂ© publique doit rester un acteur qui poursuit un intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©-ral, malgrĂ© ou surtout en raison des difficultĂ©s Ă  nourrir cet intĂ©rĂȘt (chap.13).

Se préparer au PPP

Une collectivitĂ© publique ne peut pas se permettre d'aborder lePPP en dilettante. Elle doit s'y prĂ©parer en anticipant les problĂšmes etles opportunitĂ©s Ă  venir, compte tenu de ses objectifs et de l'intĂ©rĂȘtqu'elle poursuit.

Pour ce faire, il faudra qu'elle dĂ©veloppe toute une sĂ©rie de docu-ments prĂ©paratoires, qui lui permettront, le moment venu, de nĂ©gocierune formule de PPP avec un ou des acteurs privĂ©s. En matiĂšre d'urba-nisme ou d'amĂ©nagement du territoire, nous pouvons citer parmi ces do-cuments ceux qui constituent la planification directrice: projet ou desseinurbain, objectifs directeurs, plan de zones, cahier des charges.6 Ces do-cuments sont Ă  concevoir Ă  des fins stratĂ©giques. Ils ne seront pas figĂ©s– ils ne sont pas une fin mais un moyen –, mais ils tenteront de prĂ©ciserles marges de manƓuvre de la collectivitĂ© publique en s'attachant Ă  repĂ©-rer notamment:

● ce qu'elle peut offrir dans le cadre d'une relation de PPP;● ce qu'elle souhaite obtenir en contrepartie.

Il existe déjà plusieurs types de documents qui vont dans ce sens.S'ils ne sont pas forcément conçus dans l'optique du PPP, ils le rendentpossible (chap. 9 et 15, notamment).

5 Se prĂ©parer, Ă©couter l'autre, faire preuve d'engagement et de dĂ©termina-tion, savoir gĂ©rer les marges de manƓuvre, ĂȘtre capable de passer Ă  l'actesont quelques dispositions qui, pour Bellenger, sont requises pour nĂ©go-cier dans de bonnes conditions [Bellenger 1992: 211-219].

6 Il est intéressant de relever que le PPP semble aller de pair avec la «re-dé-couverte» de l'importance de la planification stratégique en urbanisme eten aménagement du territoire.

J. Ruegg

88

Exploiter une relation de dépendance-indépendance

La relation de partenariat met en scÚne un rapport fait de dépen-dance et d'indépendance entre les parties.

La dĂ©pendance est requise simplement pour que les parties aientquelque chose en commun qui justifie la recherche d'une formule dePPP. Par exemple, la collectivitĂ© publique peut ĂȘtre dĂ©pendante de l'ac-teur privĂ© parce que celui-ci dĂ©tient les moyens financiers qui lui font dĂ©-faut. A l'inverse, l'acteur privĂ© dĂ©pend de la collectivitĂ© publique qui dĂ©-finit des indices d'utilisation ou qui intervient largement dans le proces-sus d'approbation d'un projet. Autant d'Ă©lĂ©ments qui conditionnent lafaisabilitĂ© financiĂšre du projet.

L'indépendance est aussi nécessaire, mais pour définir et distin-guer les parties entre elles. Pour qu'il y ait recherche d'une formule dePPP, il faut des parties ayant quelque chose de spécifique et d'irréduc-tible que l'autre désire mais n'a pas. La présence de ce «quelque chose»indique que, dans un domaine au moins, chaque partie est indépen-dante de l'autre et qu'elle constitue, de ce fait, un partenaire potentiel.

C'est du couplage entre dĂ©pendance et indĂ©pendance que peutĂ©merger une plage, ou une intersection, dans laquelle les formules dePPP seront Ă  rechercher. La collectivitĂ© publique doit ĂȘtre consciente dela taille de cette intersection afin de pouvoir rester, tant que faire se peut,maĂźtresse de la relation qui s'instaure avec l'acteur privĂ©, dans le cadred'un PPP.

Mettre les ressources en commun

Pour ĂȘtre intĂ©ressante, une formule de PPP doit permettre Ă  toutesles parties de se retrouver gagnantes. Le PPP n'aurait guĂšre de sens siune partie se retrouvait finalement dans une moins bonne posture qu'audĂ©but des nĂ©gociations fixant le cadre et les Ă©lĂ©ments du PPP.

Il est aisĂ© de comprendre que la confiance est un ingrĂ©dient nĂ©ces-saire au PPP. Pour ce faire, il est admis que chaque acteur Ă  intĂ©rĂȘt Ă mettre en commun celles de ses ressources qui sont utiles au succĂšs duPPP.

Elargir le gĂąteau

Les thĂ©oriciens de la nĂ©gociation insistent souvent sur l'«élar-gissement du gĂąteau». Cette expression veut rappeler que les parte-naires doivent ĂȘtre soucieux d'intĂ©grer plusieurs Ă©lĂ©ments dans la nĂ©go-ciation. Cet Ă©largissement, qui va au-delĂ  des objets qui constituent lenoyau de la nĂ©gociation, est utile pour offrir de la marge de manƓuvre etaugmenter le champ des solutions. Il est intĂ©ressant de relever que le

Formes du PPP

89

PPP offre plusieurs exemples qui concrétisent cette exigence. De ma-niÚre générale, le PPP ne porte que rarement sur des éléments seule-ment monétaires. Il contient souvent d'autres dimensions dont la valeurest difficile à évaluer [Greffe 1990: 652].

Ainsi, dans le cas de la société mixte développée à Cologne pourrevaloriser les terrains de gare, Heinz [1993: 21] mentionne les termesde l'échange suivants:

● la Ville de Cologne est intĂ©ressĂ©e Ă  pouvoir participer Ă  la dyna-mique et Ă  profiter du professionalisme des acteurs privĂ©s, et ellecompte sur le profit que l'opĂ©ration devrait dĂ©gager pour fianancerd'autres Ă©quipements moins rentables;

● les acteurs privĂ©s sont intĂ©ressĂ©s Ă  coopĂ©rer avec la Ville parcequ'ils y voient des facilitĂ©s pour mettre en Ɠuvre leur projet etparce qu'ils espĂšrent amĂ©liorer la qualitĂ© des relations qu'ils entre-tiennent avec les instances publiques, dans le cadre gĂ©nĂ©ral deleurs activitĂ©s.

Ces Ă©lĂ©ments sont clairement non monĂ©taires. Ils contribuent Ă Ă©largir le gĂąteau puisque, mĂȘme si leur valeur est difficile Ă  estimer, lespartenaires en tiennent compte dans la nĂ©gociation.

L'exemple du tri des dĂ©chets mĂ©nagers par les consommateurs estĂ©galement assez probant. MĂȘme si d'autres formules sont disponibles,qui prĂ©sentent peut-ĂȘtre un bilan Ă©conomique comparable, la coproduc-tion gĂ©nĂšre un effet prĂ©cieux et fort recherchĂ© par les responsables de lapolitique de gestion des dĂ©chets. La coproduction contribue Ă  sensibili-ser les usagers qui, ainsi, seront plus rĂ©ceptifs aux objectifs gĂ©nĂ©raux decette politique et certainement plus enclins Ă  rĂ©duire leur propre produc-tion de dĂ©chets.

De l'importance du contrat

L'idée d'un contrat, qui est librement et volontairement consenti parles partenaires et qui est limité dans le temps, paraßt essentiel pour carac-tériser le PPP et le distinguer:

● des formes de coopĂ©ration qui seraient imposĂ©es ou prĂ©dĂ©termi-nĂ©es par une loi ou par une autre disposition rĂ©glementaire7 (voir,par exemple, la participation aux frais d'Ă©quipements prĂ©vue dans

7 Les formes de coopĂ©ration prĂ©vues dans une loi sont peut-ĂȘtre le fruit deprocessus oĂč des formes au moins partielles de PPP ont Ă©tĂ© utilisĂ©es. Maissi tel est le cas, ces formes sont spĂ©cifiques Ă  la phase de l'Ă©laboration dela loi. Elles ne permettent pas de dĂ©duire que le PPP sera aussi prĂ©sentdans la phase d'exĂ©cution.

J. Ruegg

90

le cadre de l'article 19 de la loi fédérale sur l'aménagement du terri-toire);

● des cas de privatisation totale oĂč le secteur public n'aurait plus lesmoyens d'influer sur le cours d'une prestation fournie seulementpar le secteur privĂ©;

En outre, le contrat réaffirme le lien étroit entre le PPP et la négocia-tion. Le contrat précise l'accord et formalise les modalités qui ont été né-gociés par les partenaires.

Le contrat traduit bien le cÎté spécifique, flexible et non directe-ment reproductible du PPP qui est seulement une mesure organisation-nelle, parmi d'autres, pour régler les relations entre des acteurs publics etprivés qui sont pris dans le contexte post-fordiste de nos sociétés.

Enfin, le contrat permet de rappeler que dans un PPP, l'acteur pu-blic et l'acteur privĂ© ont Ă  exercer des droits et des responsabilitĂ©s, etqu'ils doivent ĂȘtre sanctionnĂ©s en cas de non-respect de leurs enga-gements.

Partager les risques et les responsabilités

Un PPP est plus qu'une entente entre la collectivitĂ© publique et unacteur privĂ©. Il doit ĂȘtre durable et rĂ©sister Ă  l'Ă©preuve de la mise enƓuvre. Comme chaque partie engage sa responsabilitĂ© et sa crĂ©dibilitĂ©,elle devrait s'investir seulement pour les points qu'elle peut assumer. Encas d'incertitude, elle partagera les risques Ă©ventuels.

Une telle exigence a une double conséquence.D'abord, elle implique une certaine transparence entre les parties.8

Celle-ci est possible seulement s'il existe une confiance et un respectmutuels. A un certain degrĂ© de connivence, et dans un contexte un peuidĂ©al oĂč le contrĂŽle dĂ©mocratique par les citoyens serait possible, le PPPpourrait mĂȘme gĂ©nĂ©rer un Ă©largissement de la lĂ©gitimitĂ© politique. En ef-fet, une collectivitĂ© publique ne devrait s'engager que pour les projetsqu'elle estime pouvoir, ou savoir, dĂ©fendre face aux citoyens. A l'inverse,l'engagement de la collectivitĂ© publique pourrait ĂȘtre une garantie, pourl'acteur privĂ©, de la faisabilitĂ© politique du projet.

Ensuite, elle oblige les parties Ă  anticiper aussi les risques inhĂ©rentsĂ  l'Ă©chec de la formule de PPP retenue. Ainsi, toute «formule» de PPPdevrait avoir une base contractuelle qui formaliserait la maniĂšre de gĂ©rerl'Ă©chec, qui peut ĂȘtre dĂ» soit au manquement d'une partie (il faut alors

8 La transparence ne signifie pas que les parties se disent tout! Elles doiventseulement partager les informations qui conditionnent directement le suc-cĂšs ou l'Ă©chec du PPP. Et ce, mĂȘme si leur niveau d'information est dif-fĂ©rent.

Formes du PPP

91

prĂ©voir des sanctions) soit Ă  la mauvaise Ă©valuation d'un risque (il fautalors savoir comment partager les responsabilitĂ©s). Ces points sont d'au-tant plus importants que les litiges peuvent ĂȘtre complexes et difficiles Ă arbitrer. Ne relevant plus du droit public, leur rĂ©solution n'est plus prĂ©ci-sĂ©e ni dans une loi, ni dans un rĂšglement. Raison de plus pour soignerl'ensemble des travaux prĂ©alables Ă  l'Ă©laboration et Ă  la «signature» ducontrat de PPP.

A ce titre, il est intĂ©ressant de mentionner le cas des Docklands Ă Londres. Cet exemple fut souvent utilisĂ© pour dĂ©crire les tenants et lesaboutissants du PPP. Or, les consĂ©quences de la dĂ©confiture financiĂšrede l'acteur privĂ© permettent d'affirmer aujourd'hui que les Docklands nesont plus l'exemple Ă  suivre en matiĂšre de PPP. Dans cet accord, il Ă©taitquestion que l'acteur privĂ© construise une ligne de transports publicsentre la City et le nouveau quartier d'affaires des Docklands, en contre-partie de quoi le promoteur obtenait le droit de construire un nouveaucomplexe aux densitĂ©s impressionnantes. Aujourd'hui, le complexen'est pas terminĂ©. Il n'y a pas de demande. La fameuse ligne reste Ă  faire.Or, son absence rend d'autant plus prĂ©caire les chances de trouver desnouveaux utilisateurs que ceux-ci estiment les surfaces offertes auxDocklands trop chĂšres et trop Ă©loignĂ©es de la City! VoilĂ  une opĂ©rationde PPP oĂč l'occurrence d'un Ă©chec a certainement Ă©tĂ© sous-Ă©valuĂ©e.

2.2 Quelques difficultés spécifiques à des formes de PPP

Cas du PPP bipartite

Un des principaux enjeux de cette forme de PPP est lié au contrÎledémocratique. Contrairement au PPP tripartite qui admet que les usa-gers sont partie prenante, cette forme tend à privilégier seulement l'ac-teur public et l'entrepreneur.9 Sachant que les négociations appellentune certaine discrétion, voire la confidentialité, comment alors ne pastomber dans des pratiques qui échappent au contrÎle des citoyens?Cette question est d'autant plus importante que nous devons convenir,comme le suggÚre Weaver, que

«[...] les PPP donnent un pouvoir politique Ă  des dĂ©cideursqui, comme les bureaucrates, n'ont jamais Ă©tĂ© Ă©lus Ă  despostes publics et qui reprĂ©sentent, comme les groupes depression, les intĂ©rĂȘts fonctionnels de certaines portions de lacommunauté» [1990: 391].

9 Le terme d'entrepreneur est pris au sens large. Il est synonyme de finan-cier, d'industriel ou de développeur.

J. Ruegg

92

Par ailleurs, l'engagement de l'acteur public est difficile. Il doit tenterd'agir au nom d'un intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral qui ne se laisse pas toujours aussi faci-lement apprĂ©hender que l'intĂ©rĂȘt privĂ©. Il se retrouve ainsi, parfois, Ă  dĂ©-fendre des objectifs Ă  moyen ou long terme, contre ceux Ă  court termede l'entrepreneur. Il y a donc un risque rĂ©el que, par le biais du PPP, lesecteur public devienne le support du secteur privĂ© ou pire, son client[CGQ 1991: 424]. Il doit donc se garder de dĂ©velopper une pratique oĂč:

● il serait au service du seul secteur privĂ©;● il viserait la recherche du profit [CGQ 1991: 417];● il se retrouverait dans une situation de dĂ©pendance vis-Ă -vis du

secteur privé.

Voilà pourquoi, cette question du contrÎle démocratique est es-sentielle. Dans quelle mesure le contrat (chap. 17), le marketing urbain(chap. 16) ou l'approche stratégique (chap. 15) permettent de la traiter?L'enjeu en tout cas est de taille puisqu'il s'agit de renforcer le contrÎle dusecteur public par les citoyens, dans le but de responsabiliser et d'aug-menter la légitimité de l'action du secteur public plutÎt que de freiner oude figer ses initiatives.

Cas du PPP tripartite

Une des difficultĂ©s majeures rĂ©side dans la diffĂ©rence d'intĂ©rĂȘts quipeut exister entre les partenaires privĂ©s. Dans un cadre de redĂ©velop-pement Ă©conomique, il apparaĂźt assez frĂ©quemment que les industrielsont des objectifs de profit les incitant Ă  privilĂ©gier les projets intĂ©grant leshautes technologies – peu dĂ©pendantes d'une localisation mais plutĂŽtd'une main d'Ɠuvre trĂšs qualifiĂ©e –, tandis que les associations de quar-tier, qui poursuivent des buts non lucratifs, sont trĂšs sensibles aux ques-tions de rĂ©insertion sociale et de qualitĂ© de l'environnement physique[Hamel 1989: 49-59]. Ceci peut alors dĂ©boucher sur des PPP qui finis-sent par dĂ©vier de leurs modalitĂ©s premiĂšres vers des formes tradition-nelles d'aide au dĂ©veloppement Ă©conomique (voir ci-dessus, l'exemplede la LIM). L'expĂ©rience de Pittsburgh illustre bien les consĂ©quencespossibles de ce dĂ©calage entre plusieurs intĂ©rĂȘts privĂ©s. Jusque dansles annĂ©es soixante, les motivations des grandes aciĂ©ries et des com-munautĂ©s locales Ă©taient certes distinctes mais nĂ©anmoins compatibles.Au moins, chaque partie Ă©tait concernĂ©e par le futur de la ville. Mais cen'est manifestement plus le cas depuis les annĂ©es quatre-vingts. Lesgrandes aciĂ©ries, pour des raisons internes Ă  leur organisation, ont desintĂ©rĂȘts qui ne coĂŻncident plus avec ceux des communautĂ©s dePittsburgh. Pour survivre, les premiĂšres ont dĂ» se diversifier. Elles ontalors dĂ©veloppĂ© des activitĂ©s qui dĂ©pendent de moins en moins du tissuet des rĂ©seaux prĂ©sents dans l'agglomĂ©ration de Pittsburgh. Lorsqu'il

Formes du PPP

93

s'agit d'envisager le PPP, ce ne sont plus que les petites entreprises quise sentent concernĂ©es par les problĂšmes des communautĂ©s locales.Mais ces petites entreprises ont des moyens limitĂ©s. Les formules dePPP destinĂ©es au redressement de rĂ©gions en dĂ©clin sont alors souventmarquĂ©es par l'absence de l'investissement privĂ©. Par consĂ©quent, l'en-gagement du secteur public tend Ă  reprendre des formes classiques desubsides qui visent soit Ă  la crĂ©ation de nouvelles entreprises soit Ă l'amĂ©lioration du cadre physique [Weaver 1990: 386-388]. Il est certainque si de tels dĂ©veloppements se gĂ©nĂ©ralisaient, il faudrait revoir la por-tĂ©e innovatrice du PPP. Ces dĂ©veloppements pourraient mĂȘmeconduire Ă  des pratiques oĂč le PPP deviendrait une action publiquevouĂ©e seulement Ă  la dĂ©fense des intĂ©rĂȘts privĂ©s.

Là aussi, les éléments font défauts pour mesurer pleinement la por-tée de ce risque. Mais nous pourrions en retenir l'enseignement suivant:pour que le PPP soit un atout, il est nécessaire de l'associer à une re-structuration et à une rediscussion du rÎle de l'Etat. Sinon, le risque estgrand de déboucher sur une sorte de privatisation de l'action publiqueconduisant à d'autres travers tels que le renforcement de la société dualeou la quasi-impossibilité de produire des biens collectifs.

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

AMERICAN PLANNING ASSOCIATION. 1987. Public-private Partnerships inPittsburgh. JAPA 53, 4: 430-509. (Série d'articles présentés lorsd'un symposium tenu à Pittsburgh sur le thÚme du partenariatpublic-privé).

BELLENGER, L. 1992. Peut-on se former à la négociation? In RUEGG, J.et al. (éd.). La négociation: 211-219. Lausanne: PPUR.

CGQ. 1991. Partenariat et Territoire. Cahiers de Géographie du Québec.Numéro spécial 95, septembre.

FAINSTEIN, N., et S. FAINSTEIN. 1993. Le partenariat public-privé dans ledéveloppement économique aux Etats-Unis. Paris: MinistÚre del'équipement (document de travail).

GREFFE, X. 1990. Economie du partenariat. Revue d'économie régionaleet urbaine 5: 643-652.

HAMEL, P. 1989. Le développement local en milieu urbain: la nécessitéd'un partenariat privé-public? Coopératives et développement21, 2: 29-50.

J. Ruegg

94

HAMEL, P., et J.-F. LéONARD. 1993. Partenariat et politiques urbaines:Montréal, Toronto, Vancouver. Cahiers du Grétsé 12. Universitéde Montréal et Université du Québec à Montréal.

HAMEL, P., et J.-F. LéONARD. 1992. L'avenir des services urbains dansl'agglomération montréalaise. Trames 6: 7-14.

HEINZ, W. 1993. Le développement urbain par le partenariat public-privé:le point de vue allemand. Paris: MinistÚre de l'équipement(document de travail).

KLEIN, J.-L. 1991. Proximités spatiales et distances sociales: le partena-riat comme voie de développement local. Chicoutimi: Universitédu Québec à Chicoutimi (document de travail).

LĂ©ONARD, J.-F., et J. LĂ©VEILLĂ©E. 1990. PrĂšs des yeux, prĂšs du cƓur: lagestion des services publics municipaux. In MORIN, R. et al.Gestion locale et problĂ©matiques urbaines au tournant des an-nĂ©es 1990: 143-154. MontrĂ©al: UQAM.

MAILLAT, D., M. QUéVIT et L. SENN (éd.). 1993. Réseaux d'innovation etmilieux innovateurs: un pari pour le développement régional.Neuchùtel: EDES.

MONTGOMERY, J., et A. THORNLEY. 1990. Radical Planning Initiatives.Aldershot Hants, UK: Gower.

RUEGG, J., N. METTAN, et L. VODOZ. (éd.). 1992. La négociation: sonrÎle, sa place, dans l'aménagement du territoire et la protectionde l'environnement. Lausanne: PPUR.

SMITH, M. 1988. City, State and Market. New York: Basil Blackwell.STEPHENSON, M. 1991. Whither the Public-private Partnership: a critical

Overview. Urban Affairs Quaterly 27, 1: 109-127.VILLE DE MONTRéAL. 1990. Partenaires dans le développement éco-

nomique des quartiers. Publication de la Ville de Montréal.WEAVER, C. 1990. Développement économique local et partenariat pu-

blic-privé aux USA. Revue d'économie régionale et urbaine 3:377-401.

Seconde partie

EXEMPLES

97

Chapitre 7

PPP DANS LA POLITIQUE DE GESTIONDES DÉCHETS

Peter KNOEPFEL et Martin BENNINGHOFF

1. POLITIQUE DES DÉCHETS: LABORATOIRE DU PPP

Le but premier de la politique des déchets en Suisse est de dimi-nuer la pollution de l'environnement: réduction à un niveau acceptabledes charges polluantes (pollution du sol, de l'air, de l'eau, consommationd'énergie, volume des décharges et quantité des déchets) générées parla production, le traitement et l'élimination des déchets.

Quatre sous-objectifs ou stratégies permettent d'atteindre le but dela politique des déchets [OFEFP 1992: 5]:

● prĂ©vention des dĂ©chets Ă  la source;● rĂ©duction des polluants lors de la production et dans les produits;● diminution des dĂ©chets par la valorisation;● traitement et stockage respectueux de l'environnement.

Une évaluation intermédiaire de cette politique a permis à l'Adminis-tration fédérale de constater qu'elle n'a pas réussi à atteindre les buts

P. Knoepfel et M. Benninghoff

98

fixés dans la législation. Les problÚmes non résolus sont les suivants [CF1993:1378; Grundlehner et Knoepfel 1992: 29-30]:

● installations inappropriĂ©es Ă  certains types de dĂ©chets;● capacitĂ© de traitement des installations insuffisantes;● manque d'installations de traitement et de recyclage pour toutes

sortes de dĂ©chets;● mise en dĂ©charge sans tri prĂ©alable;● opposition de la population pour l'installation ou l'agrandissement

de certaines installations;● Ă©limination de certains dĂ©chets de maniĂšre Ă©conomique mais pas

forcément écologique.

Tel est le constat de l'Administration fédérale [OFEFP 1991] et duConseil fédéral [CF 1993] au début des années quatre-vingt-dix. La lé-gislation en vigueur ne répond plus aux nouvelles exigences de la ges-tion des déchets, et ne résout pas les tùches de la politique des déchets[CF 1993: 1378]. Ainsi, si les principes de cette politique et les objectifsqui y sont fixés (valorisation des déchets) sont incontestés, les diffé-rentes obligations qui en découlent posent des problÚmes d'exécution(organisation et financement).

A cet effet, la Confédération réagit en proposant une meilleure pla-nification de la gestion des déchets (définition de zones d'apport et attri-bution des déchets à des installations données) et suggÚre l'introduc-tion de nouveaux instruments économiques. De plus, elle envisage unenouvelle répartition des tùches entre l'Etat et les particuliers pour remé-dier aux différents problÚmes que nous venons d'évoquer [CF 1993:1378-1379].

Faisant Ă©cho aux caractĂ©ristiques des programmes relationnels prĂ©-sentĂ© par Willke [1991], la politique des dĂ©chets explore la richesse dufĂ©dĂ©ralisme d'exĂ©cution en intĂ©grant dans sa lĂ©gislation un «nouvel» ac-teur: le secteur privĂ©. Non seulement la ConfĂ©dĂ©ration dĂ©lĂšgue descompĂ©tences aux cantons et aux communes, mais elle sollicite les res-sources, le savoir-faire et la flexibilitĂ© du secteur privĂ©. RedĂ©fini en cestermes, le fĂ©dĂ©ralisme d'exĂ©cution s'enrichit de l'idĂ©e de «subsidiarité»[BĂŒtschi et Cattacin 1993: 144].

Ce principe de subsidiarité, qui servira de levier d'action au PPP(partenariat public-privé), se trouve inscrit dans le Message du 7 juin1993 relatif à une révision de la LPE (Loi fédérale sur la protection del'environnement):

«La répartition des tùches entre l'Etat et les particuliers en cequi concerne l'élimination des déchets fait l'objet d'une nou-velle réglementation. Le principe de subsidiarité y est pris enconsidération. C'est ainsi que les cantons ne doivent prendre

PPP dans la politique des déchets

99

des mesures, pour l'Ă©limination des dĂ©chets industriels parexemple, que si le but visĂ© ne peut pas ĂȘtre atteint autrement»[CF 1993:1379].Ce principe de subsidiaritĂ© ne rejoint pas l'idĂ©e habituelle de dĂ©lĂ©-

gation, mais s'apprĂ©hende de maniĂšre rĂ©flexive. En organisant la mise enƓuvre des politiques publiques Ă  l'aide de rĂšgles procĂ©durales, l'EtatdĂ©passe la simple dĂ©lĂ©gation de compĂ©tence de l'Etat libĂ©ral et s'inscritdans le principe de «subsidiaritĂ© rĂ©flexive», caractĂ©ristique d'un Etat«propulsif» [Morand 1991] et incitatif.

Bien qu'il ne s'agisse que d'un principe, la politique des déchetsdeviendrait, avec une telle orientation, un véritable laboratoire du PPP.Laboratoire, car le partenariat se réalise dans le cadre d'une politiquejeune et complexe et donc difficilement prévisible. Chaque déchet pos-sÚde son propre réseau, chaque canton ou commune décline et ap-plique le droit fédéral à sa maniÚre.

Ces considérations nous amÚnent à formuler toute une série dequestions sur la notion de PPP dans la gestion des déchets:

● Quelle est la structure du problĂšme des dĂ©chets et comment,dans ce domaine, le PPP s'applique-t-il?

● Comment se prĂ©sentent concrĂštement les rĂ©seaux publics-privĂ©sdans la rĂ©alitĂ© suisse?

● Quels sont les avantages et les inconvĂ©nients des rĂ©gimes re-tenus?

● Quelles sont, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les conditions de fonction-nement des rĂ©gimes du PPP dans le secteur des dĂ©chets?

2. APPLICATION DU PPP A LA POLITIQUE DES DÉCHETS

2.1 RÎle des secteurs privé et public

La prise en charge par le secteur privĂ© n'exclut nullement l'exis-tence d'interventions Ă©tatiques. Cependant, ces interventions n'ont pascomme objectif de prendre en charge la gestion des sections concer-nĂ©es des flux de matiĂšres par des activitĂ©s quasi physiques de l'Etat.Mais, elles se limitent Ă  fixer les conditions-cadres des activitĂ©s du sec-teur privĂ©. C'est ainsi que l'Osubst (Ordonnance sur les substances dan-gereuses pour l'environnement) contient toute une sĂ©rie de dispositionssur la production des biens de consommation (interdiction de mise surles marchĂ©s) et sur la consommation mĂȘme de ces biens (obligation desuivre les modes d'emploi). De mĂȘme, l'OTD (Ordonnance sur le traite-ment des dĂ©chets) stipule des principes susceptibles d'influencer lecomportement des gens consommant les biens qui deviendront des dĂ©-

P. Knoepfel et M. Benninghoff

100

chets (par exemple, obligation du tri Ă  la source). Ces dispositions mĂšne-ront le cas Ă©chĂ©ant, Ă  des instruments concrets lors de la mise en Ɠuvrepar les administrations fĂ©dĂ©rales et cantonales. NĂ©anmoins, ces activitĂ©sĂ©tatiques restent limitĂ©es aux conditions-cadres d'activitĂ©s principale-ment prises en charge par le secteur privĂ© (rĂ©gime d'autorisation).

Dans les schĂ©mas des pages suivantes, seules les activitĂ©s prisesen charge principalement par les agents de l'Etat sont encadrĂ©es.Comme l'implication de l'Etat est normalement beaucoup plus directedans les rĂ©gimes de concession (extraction de matiĂšres premiĂšres) quedans les rĂ©gimes d'autorisation, voire mĂȘme de «contrĂŽle autonome»(Osubst, art. 12 ss), nous considĂ©rons les premiers comme des activitĂ©sde l'Etat, bien que, selon les cas, les concessionnaires peuvent ĂȘtre dessociĂ©tĂ©s privĂ©es ou semi-privĂ©es.

2.2 Différents régimes

L'une des caractéristiques de la gestion des déchets repose sur laspécificité de chaque déchet. De maniÚre succincte voici, pour illustrercette diversité, six types de régime. Ces différents régimes se distin-guent les uns des autres par la prise en charge toujours plus importantedu secteur privé dans la gestion du déchet.1

Régime classique du traitement des déchets ménagers

Cette situation ne correspond plus à la nouvelle législation qui favo-rise la diminution des déchets à la source et leur valorisation. Avec unrégime classique, l'ensemble des ordures ménagÚres était soit entre-posé dans des décharges, généralement inadéquates, soit amené dans

extraction matiĂšre premiĂšre

production

consommation traitement

stockagetri des déchets

FIG. 1 Régime classique de la gestion des déchets

1 Dans la présentation graphique des différents régimes, les étapes entou-rées par un cadre correspondent à une activité importante du secteur pu-blic (qui dépasse la simple législation sur les conditions-cadres).

PPP dans la politique des déchets

101

une usine d'incinĂ©ration pour ĂȘtre brĂ»lĂ© (fig. 1). Pour les dĂ©chets mĂ©na-gers, l'OTD est souple, puisqu'elle encourage seulement la valorisationdes dĂ©chets comme le verre, le papier ou le textile (OTD, art. 6).NĂ©anmoins cette ordonnance exige l'incinĂ©ration des dĂ©chets (OTD,art.11).

Régime actuel des déchets ménagers (avec tri et valorisation)

De plus en plus les déchets urbains, c'est-à-dire les déchets pro-duits par les ménages, ainsi que les autres déchets de composition ana-logue (OTD, art. 3) sont triés et valorisés en fonction de leur type (fig. 2).Ainsi, l'OTD s'applique à la réduction et au traitement des déchets ainsiqu'à l'aménagement et à l'exploitation d'installations de traitement desdéchets (OTD, art. 2). Elle préconise le tri à la source pour le secteurprivé et centralisé pour le secteur public.

extraction matiĂšre premiĂšre

marché

consommation

production

tri des déchets

valorisation

traitement

stockage

FIG. 2 Régime actuel des déchets ménagers

Régime des boues d'épuration selon l'Ordonnance fédérale de 19812

Les boues d'Ă©puration sont Ă  considĂ©rer comme un produit prove-nant de l'Ă©puration des eaux usĂ©es. L'Ă©puration entraĂźne une grandeproduction de boues qu'il s'agit d'Ă©liminer ou de valoriser. Les bouesd'Ă©puration contiennent des matiĂšres organiques et des Ă©lĂ©ments fertili-sants, et peuvent ĂȘtre valorisĂ©es comme engrais par les agriculteurs, Ă condition qu'elles ne contiennent pas une quantitĂ© trop importante demĂ©taux lourds. Dans ce cas, les boues d'Ă©puration sont considĂ©rĂ©escomme des dĂ©chets qui sont «triĂ©s» par les stations d'Ă©puration (fig. 3).

2 Cette ordonnance date du 8 avril 1981. Elle fut intĂ©grĂ©e dans l'Osubst du 9juin 1986 – annexe 4.5 – (RS 814.013) par la rĂ©vision du 16 septembre1992.

P. Knoepfel et M. Benninghoff

102

Si elles ne sont pas valorisées comme engrais (50 %), les bouesd'épuration le sont par récupération (25 %) de leur valeur énergétique.Le solde (25 %) est mis en décharge aprÚs avoir été stabilisé à la chaux.L'élimination de déchets suit plusieurs chemins: l'incinération de bouesfraßches dans des fours à lit fluidifié; l'adjonction de boues aux orduresménagÚres dans des installations d'incinération; la mise en déchargeavec addition de produits solidifiants; la pyrolyse3 et l'incinération deboues séchées ou partiellement déshydratées dans des fours à ciments[Gex-Fabry et Ingold 1992: 184].

Les scories ou rĂ©sidus solides de l'Ă©puration des gaz doivent ĂȘtretraitĂ©s en vue de leur stockage dĂ©finitif (OTD). Les gaz Ă©purĂ©s terminentdans l'air.

extraction matiĂšre premiĂšre

consommation

productiontri des déchets

valorisation

traitement

stockage

marché ou utilisateur (agriculteur)

FIG. 3 RĂ©gime des boues d'Ă©puration

RĂ©gime des piles et des boĂźtes d'aluminium4

Dans ce type de régime, le tri s'effectue à la source par les consom-mateurs. L'annexe 4.10 de l'Osubst oblige le consommateur à déposerles piles usées5 à un point de collecte spéciale (chiffre 31), et les fabri-

3 Il s'agit d'une méthode qui décompose les boues d'épuration par la chaleur,sous vide.

4 Le régime des piles est régit par l'Osubst et son annexe 4.10 alors que ce-lui des boßtes en aluminium se trouve dans l'OEB (Ordonnance sur les em-ballages pour boissons).

5 Selon la LPE et ses diverses ordonnances d'application, les piles sontconsidérées comme polluantes et dangereuses pour l'environnement si«leur teneur en mercure et en cadmium dépasse 250 mg au total par kg depiles» (Osubst, chiffre 1), et elle sont considérées comme déchets spé-

PPP dans la politique des déchets

103

cants et commerçants ont l'obligation de reprendre gratuitement toutesles piles usées (chiffre 32). La récolte et le recyclage sont essentielle-ment pris en charge par le secteur privé. Malgré cette obligation, la moitiédes piles n'est pas triée et finit avec les ordures ménagÚres.6 Ces pilessont mises en décharge (actuellement une décharge contrÎlée ne tolÚreplus ce genre de déchets) ou traitées dans une UIOM (usine d'incinéra-tion).7 L'autre moitié des piles est recyclée par les firmes Recymet SA etBatrec SA. Les résidus sont mis en décharge.

extraction matiĂšre premiĂšre

consommation

productiontri des déchets valorisation

traitement

stockage

FIG. 4 RĂ©gime des piles et des boĂźtes d'aluminium

Le recyclage des boĂźtes d'aluminium repose sur le mĂȘme rĂ©gime.Mais, il se diffĂ©rencie par une plus grande prise en charge de la rĂ©cupĂ©-ration et de la valorisation par le secteur privĂ© (fig. 4). De plus, avec lesboĂźtes d'aluminium, la notion de cycle redevient pertinente puisque lesboĂźtes valorisĂ©es sont rĂ©introduites dans le marchĂ©, avec une rĂ©ductiond'utilisation d'Ă©nergie (85 % d'Ă©conomie d'Ă©nergie).

Régime des réfrigérateurs (réglementation privée)

Dans ce régime, le rÎle de l'Etat est peu important (la fonction decontrÎle constitue un rÎle important pour l'Etat mais elle n'est pas pré-sente dans le flux des matiÚres présenté ici). Dans un premier temps, et

ciaux quelle que soit leur composition (ODS – Ordonnance sur les mouve-ments de dĂ©chets spĂ©ciaux –, annexe 3, chiffre 21, catĂ©gorie 13).

6 La part des métaux lourds due aux piles est de 80 % pour le mercure et de13 % pour le zinc [Demierre 1992: 234].

7 Il faut savoir que l'incinération de déchets contaminés par les piles n'estsatisfaisante ni pour l'environnement (les métaux lourds transformés enoxydes, sels, et chlorure se retrouvent sous forme de poussiÚres en sus-pension), ni pour la gestion d'une UIOM (les métaux endommagent les ins-tallations) [Demierre 1992: 234].

P. Knoepfel et M. Benninghoff

104

jusqu'à l'introduction de l'Osubst (annexe 4.15), l'impulsion venait dusecteur privé. La stratégie de la gestion de ce type de régime repose surle principe du pollueur-payeur. Le consommateur, qui désire se débar-rasser de son réfrigérateur, doit payer une taxe.8 Les appareils munisd'une vignette (taxe) sont pris en charge par des entreprises d'élimina-tion [OFEFP 1992: 39]. L'élimination des appareils frigorifiques est ef-fectuée de maniÚre autonome (fig. 5). Le traitement des fluides réfrigé-rants est réalisé de maniÚre conforme à l'ODS et à l'OTD.

extraction matiĂšre premiĂšre

consommation

productiontri des déchets

valorisation traitement

stockage

FIG. 5 Régime des réfrigérateurs

Régime des déchets de chantier (réglementations cantonales)

extraction matiĂšre premiĂšre

consommation

productiontri des déchets valorisation

traitement

stockage

FIG. 6 Régime des déchets de chantier

Contrairement aux déchets urbains, la gestion des déchets dechantier est essentiellement l'affaire des professionnels de la branche(fig. 6). Ainsi, l'organisation sur le chantier en matiÚre de tri à la source(multibennes) et de récupération des diverses fractions de déchets estdévolue aux milieux de la construction. L'OTD exige dans son article 9

8 Le prix de la vignette (taxe) couvre tous les frais, du transport à partir d'uncentre de collecte officiel au recyclage ou au traitement des différentscomposants (métaux, matiÚres plastiques, verre, huile et CFC).

PPP dans la politique des déchets

105

que les déchets soient triés (déchets spéciaux ou non, déchets sto-ckables définitivement). Les fractions recyclables iront chez les récupéra-teurs et les déchets combustibles vers les usines d'incinération. Leséléments inertes et non valorisables iront en décharge [Benninghoff etal. 1993: 23].

2.2 Conception du PPP dans la gestion des déchets

Les premiers résultats de notre étude nous permettent de présen-ter les points suivants qui définissent et synthétisent la conception duPPP dans la politique des déchets.

Dans un premier temps, l'Etat doit identifier les flux des matiĂšresavec les boucles de recyclage et identifier les acteurs-clĂ©s, pour l'en-semble du cycle. En raison de la spĂ©cificitĂ© et de la complexitĂ© d'un dĂ©-chet, les acteurs, qu'ils soient du secteur privĂ© ou du secteur public, nesont pas toujours suffisamment puissants pour organiser la gestion et letraitement de ce dĂ©chet, ou mĂȘme pour transmettre l'information aux ac-teurs responsables de la mise en Ɠuvre et du contrĂŽle. Dans ces situa-tions, il peut ĂȘtre opportun de «crĂ©er» de nouveaux acteurs-clĂ©s telsque des associations de branches, des sociĂ©tĂ©s de ramassage et de trai-tement spĂ©cialisĂ©.

Une fois ce réseau constitué sur la base des exigences du flux desmatiÚres, un jeu de négociation et de partenariat entre trois catégoriesd'acteurs s'organise autour des enjeux de la gestion d'un type de dé-chet. La constellation de base se caractérise, de maniÚre métaphorique,par le «triangle de fer» [Knoepfel 1993a: 2] des acteurs de la politique del'environnement. Ce triangle est formé de l'Etat, des groupes cibles etdes organisations de la protection de l'environnement (fig. 7).

Si les acteurs de la protection de l'environnement participent Ă  desrelations d'Ă©changes de ressources, ils restent par contre, dans la plupartdes cas, en dehors des rĂ©seaux de gestion des dĂ©chets proprementdits. Ils participent Ă  des rĂ©seaux de mise en Ɠuvre comme acteurs cri-tiques, soit pour bloquer un processus dĂ©cisionnel, soit, au contraire,pour entrer en mĂ©diation avec d'autres acteurs afin de trouver unconsensus politique. Ainsi l'absence des acteurs de la protection del'environnement, dans certains rĂ©seaux, ne signifie pas qu'ils sont inac-tifs ou peu importants. Cela signifie, au contraire, qu'ils acceptent, demaniĂšre tacite, la politique menĂ©e par le rĂ©seau.

Une des dimensions possibles de l'analyse des réseaux est l'échan-ge de ressources (financiÚres, politiques, organisationnelles) entre lesacteurs. Le «triangle de fer» fonctionne sur ce principe. Il se définit ets'organise à l'aide d'une logique d'échanges entre trois partenaires.

P. Knoepfel et M. Benninghoff

106

L'échange de ressources s'effectue de deux maniÚres: soit l'acteur offreune ressource, soit il la reçoit.

Services de l'Etat

Acteurs-clés(associations prof.)

Organisations de protection de l'environnement

FIG. 7 «Triangle de fer» des acteurs impliqués dansla politique de l'environnement

Etat

Il offre de renoncer à une intervention hiérarchique et autoritaire, etgarantit le fonctionnement de la gestion d'un déchet en établissant desconditions cadres.

Il reçoit le soutien du secteur privé pour la résolution d'un problÚmepropre à un déchet; problÚme qu'il ne peut résoudre seul. Qui plus est,cette résolution du problÚme est conforme aux exigences de la protec-tion de l'environnement.

Acteurs-clés (associations des branches professionnelles)

Ils offrent l'infrastructure (investissement en équipement de ramas-sage, de recyclage et de traitement); ils cherchent des innovations tech-nologiques aux différentes étapes du flux des matiÚres, et acceptent l'in-troduction d'instruments économiques.

Ils reçoivent la liberté d'action et, éventuellement, des concessionsquant aux objectifs de recyclage ou aux modalités de traitement. Ils re-çoivent l'abstention d'éventuelles oppositions écologiques. De plus, lesconsommateurs adhÚrent aux actions de ces acteurs puisque ceux-ci of-frent une structure adéquate et souple. L'Etat, quant à lui, garantit, avecsa nouvelle LPE [CF 1993], l'approvisionnement des déchets (définitionet garantie de zones d'apport) par l'obligation de remettre les déchetsproduits dans une zone donnée dans l'installation correspondante(Révision de la LPE, art. 31a nouveau).

PPP dans la politique des déchets

107

Mouvements de protection de l'environnement

Ils offrent de renoncer à une politique de confrontation et de blo-cage, et diminuent leurs interventions sur le plan politique et judiciairecontre les choix technologiques et contre l'implantation de nouvelles ins-tallations de traitement prévues;

Ils reçoivent la résolution d'un problÚme environnemental important.

Une des consĂ©quences de ces Ă©changes de prestations dans lecadre de rĂ©seaux stabilisĂ©s est l'approbation d'un contrat de confiancepar les associations Ă©cologiques, passage obligĂ© pour une mise enƓuvre efficace et donc acceptĂ©e par les groupes concernĂ©s. Ces ac-cords entre associations spĂ©cialisĂ©es et responsables de la protectionde l'environnement, de type volontaire, permettent des succĂšs rapideset Ă©vitent des procĂ©dures administratives lourdes [OFEFP 1991: 138ss].

Ces contrats volontaires et spĂ©cifiques Ă  un cycle de dĂ©chet sontlĂ©gitimĂ©s d'une maniĂšre ou d'une autre par l'Etat. Dans le Message pourla nouvelle LPE [CF 1993], la ConfĂ©dĂ©ration offre davantage de compĂ©-tences et d'autonomie au secteur privĂ©, en dĂ©lĂ©guant («subsidiaritĂ© rĂ©-flexive») certaines tĂąches de mise en Ɠuvre. Cette lĂ©gitimation de l'Etatincite le secteur privĂ© Ă  devenir plus responsable dans la gestion des dĂ©-chets et Ă  intĂ©grer cet acteur dans la rĂ©solution de problĂšmes sociĂ©taux.Cette action de l'Etat dĂ©cloisonne les secteurs d'activitĂ©s en rĂ©seaux«transsectoriels».

3. ACCROISSEMENT DE LA COMPLEXITÉ DES RÉSEAUX:QUELQUES EXEMPLES DE LA PRATIQUE9

Les différents réseaux que nous présentons dans ce chapitre necorrespondent pas à une analyse technique [Sciarini 1993; Knocke etKuklinski 1986], mais ils constituent une «photographie» de la gestiond'un déchet particulier, réalisée à l'aide de quelques entretiens et de do-cuments écrits.

3.1 Déchets ménagers ordinaires

Le rĂ©seau le plus simple est celui des dĂ©chets mĂ©nagers ordinaires,puisqu'il n'intĂšgre que trĂšs peu les acteurs privĂ©s dans sa mise en Ɠuvre(fig. 8). Ce type de rĂ©seau est gĂ©nĂ©ralement mis en place par la com-

9 Ce chapitre reprend les résultats d'une étude réalisée dans le cadre ducours de Politiques publiques comparées du Professeur P. Knoepfel à l'ID-HEAP: voir [Benninghoff et al. 1993].

P. Knoepfel et M. Benninghoff

108

mune ou le canton, afin de pourvoir aux besoins élémentaires de la po-pulation en matiÚre de déchets.

Fédéral

Cantonal

Communal

1

2

3

4

56 7

1: OFEFP Acteurs institutionnels forts

2:

3:

SCPE

Service d'assainissement (avec Acteurs institutionnels faibles

4:

UIOM)

Stockage définitif des résidus Groupes cibles

5:

(ISDS)

Voirie communale (ramassage) Groupes concernés

6:

7:

MĂ©nages

Commerçants / producteurs

FIG. 8 RĂ©seau simple

3.2 Déchets ménagers ordinairesavec récupération et stockage par le secteur privé

Dans ce type de réseau, le secteur privé participe à la récupérationdes déchets (fig. 9). En fonction de la capacité financiÚre de la com-mune et des structures d'organisation du ramassage ou de la récupéra-tion des déchets ménagers, des entreprises privées en collaborationavec la voirie communale gÚrent une partie du flux des déchets.

PPP dans la politique des déchets

109

Fédéral

Cantonal

Communal

1

2

35

6 7

4

1: OFEFP Acteurs institutionnels forts

2:

3:

SCPE

Service d'assainissement (avec Acteurs institutionnels faibles

4:

UIOM)

Entreprise de récupération et de Groupes cibles

5:

stockage

Voirie communale Groupes concernés forts

6:

7:

MĂ©nages

Commerçants / producteurs Groupes concernés faibles

FIG. 9 Déchets ménagers ordinaires avec récupération et stockagepar le secteur privé

3.3 Déchets ménagers ordinaires avec tri à la source,collecte séparée et planification cantonale

Depuis 1991, avec l'entrée en vigueur de l'OTD, la Confédération,qui est peu satisfaite des premiers résultats de ses «lignes directricespour la gestion des déchets» établies déjà en 1986 [OFPE 1986],donne une impulsion en faveur d'une plus ample planification dans la po-litique des déchets. Elle souhaite ainsi responsabiliser les cantons et les

P. Knoepfel et M. Benninghoff

110

encourager Ă  mieux collaborer avec les communes. Les cantons devrontĂ©tablir chaque annĂ©e un inventaire des quantitĂ©s de dĂ©chets produitssur le territoire, en distinguant les types de dĂ©chet par commune, par ins-tallation de traitement et type de traitement (valorisation, incinĂ©ration,stockage). Ces rĂ©sultats devront ĂȘtre communiquĂ©s Ă  l'OFEFP (OTD, art.15). De plus, d'ici le 1er fĂ©vrier 1996 un plan de gestion des dĂ©chets de-vra ĂȘtre Ă©tabli (OTD, art. 16).

Fédéral

Cantonal

Communal

1

2

3

4

56 7

8

1: OFEFP Acteurs institutionnels forts

2:

3:

SCPE

Service d'assainissement (avec Acteurs institutionnels faibles

4:UIOM)Stockage définitif des résidus Groupes cibles

5:

6:

Voirie communale

Ménages Groupes concernés faibles

7:

8:

Commerçants / producteurs

Entreprise de collecte desdéchets triés

FIG. 10 Réseau local sous l'influence d'une planificationexigée par la Confédération

Cette tendance à une planification plus approfondie pour mieux ra-tionaliser la gestion des déchets se vérifie au niveau du réseau (fig. 10).

PPP dans la politique des déchets

111

La commune, si elle est Ă©paulĂ©e par le canton, deviendra elle aussi plusactive dans ce domaine et accroĂźtra sa collaboration avec le canton.Cependant, un rapport de force peut surgir entre une commune-ville(forte agglomĂ©ration) et le canton. Si ces deux entitĂ©s veulent garderune certaine autonomie et une marge de manƓuvre au niveau de la ges-tion, elles pourraient, le cas Ă©chĂ©ant, bloquer le processus de collabora-tion et empĂȘcher toute synergie institutionnelle.

3.4 BoĂźtes d'aluminium (Ă  l'exemple de la Ville de Lausanne)

Dans ce rĂ©seau nous sommes en prĂ©sence d'acteurs mixtes, oĂč lesgroupes cibles et les acteurs privĂ©s ont une influence plus importantesur la rĂ©alisation des objectifs fixĂ©s dans l'OEB. Cette politique des dĂ©-chets axĂ©e sur le recyclage des boĂźtes d'aluminium se joue surtout au ni-veau fĂ©dĂ©ral. La ConfĂ©dĂ©ration ayant nĂ©gociĂ© les objectifs fixĂ©s dansl'OEB avec le secteur industriel, la mise en Ɠuvre incombe aux acteursprivĂ©s. En raison peut-ĂȘtre de la spĂ©cificitĂ© de cette politique, le cantonet la commune ne se sentent pas trop concernĂ©s. Pourtant, le cantonconstitue la courroie de transmission entre la commune et la ConfĂ©dĂ©ra-tion (OTD, art. 15). Dans le cas des boĂźtes d'aluminium, cette tĂąche estdĂ©volue Ă  un acteur privĂ©, la SVUG (Association suisse pour les embal-lages de boissons respectueux de l'environnement), qui a Ă©tĂ© institu-tionnalisĂ© par l'Etat dans le cadre de l'OEB (art. 7, al. 4).

Ce réseau montre la tendance de la nouvelle politique fédérale enmatiÚre de gestion des déchets (fig. 11). Certains déchets spécifiquessont gérés de maniÚre presque autonome par l'industrie, sous lecontrÎle de la Confédération. Il peut en résulter un manque de collabora-tion des cantons et des communes. L'arrangement politico-administratif(acteurs institutionnels) n'a que peu d'importance dans la gestion du re-cyclage des boßtes d'aluminium.

3.5 DĂ©chets de chantier (Ă  l'exemple du canton de NeuchĂątel)

Ce rĂ©seau se distingue du prĂ©cĂ©dent par l'intĂ©gration des acteurscantonaux (fig. 12). L'arrangement politico-administratif est mĂȘme assezfort puisqu'on y retrouve l'OFEFP, l'OFAT, l'OFQC, le SCPE, le SAT.Ces cinq acteurs collaborent fortement avec les organisations profes-sionnelles et les associations des diffĂ©rents corps de mĂ©tiers (SIA, SSE).

P. Knoepfel et M. Benninghoff

112

Fédéral

Cantonal

Communal

3

7

4

8+

1

10+

5+

6

9

2

1: OFEFP Acteurs institutionnels forts

2:

3:

SVUG

SCPE Acteurs institutionnels faibles

4: 5:

Service d'assainissementEntreprise de récupération Groupes cibles

6:

7:

Igora (coopérative de recyclage)

Consommateurs Groupes concernés faibles

8:

9:

Grossistes / détaillants

Producteurs / importateurs+ Concernés bénéficiaires

10: Usine de recyclage Contacts ± réguliers

FIG. 11 RĂ©seau des boĂźtes d'aluminium

Si cette bonne collaboration provient de la spécificité du déchet,c'est aussi grùce à la création d'un concept cantonal qui favorise les rela-tions entre les groupes cibles et qui permet d'avoir une vision globale desa gestion: chaque rÎle est bien défini. Ces contacts sont sélectifs afind'établir des directives ou des normes techniques. Mais la recherche

PPP dans la politique des déchets

113

d'une plus grande efficacité risque d'introduire des situations de mono-pole (le canton privilégiant certaines entreprises au détriment d'autres).

Fédéral

Cantonal

Communal

2

3

4

75

+8

10 -11

-12

6

1

9

?

? ?

1:

2:

OFEFP

OFAT Acteurs institutionnels forts

3:

4:

OFQC

SCPE Acteurs institutionnels faibles

5:

6:

SAT

SIA, SSE Groupes cibles forts

7: Entreprises de construction, dedémolition, transporteurs Groupes cibles faibles

8: Entreprises de recyclage /traitement + Concernés bénéficiaires

9:

10:

Communes (décharges)

Communes (site de traitement)-

Concernés affectés

11:

12:

Concurrents (exclus)

Propriétaires et locataires ?

Contacts ± réguliers

Contacts Ă  venir

FIG. 12 Réseau des déchets de chantier

P. Knoepfel et M. Benninghoff

114

3.6 Appareils frigorifiques (Ă  l'exemple du canton de Vaud)

Fédéral

Cantonal

Communal

2

3

4

14

1

6

7

5

+13

-9

-12

-10

-8

+11

1:

2:

OFEFP

DFAE Acteurs institutionnels forts

3:

4:

SCPE

Service d'assainissement Acteurs institutionnels faibles

5:

6:

IGL

FEA Groupes cibles forts

7:

8:

S.EN.S.

Utilisateurs Groupes cibles faibles

9:

10:

Communes

Ferrailleurs+ Concernés bénéficiaires

11:

12:

Entreprises de récupération

Entreprises de récupération- Concernés affectés

13:

14:

exclus

Centres de collectes et detransports

Stockage définitif des résidus(ISDS)

Contacts ± réguliers

FIG. 13 RĂ©seau des appareils frigorifiques

PPP dans la politique des déchets

115

Si le point de dĂ©part ressemble Ă  celui des boĂźtes d'aluminium, lamise en Ɠuvre en est toute diffĂ©rente. Dans le cas des appareils frigori-fiques, la ConfĂ©dĂ©ration a laissĂ© un acteur privĂ© (IGL) Ă©laborer la stratĂ©gied'Ă©limination. La rĂ©alisation a ensuite Ă©tĂ© confiĂ©e Ă  la S.EN.S. (Fondationpour la gestion et la rĂ©cupĂ©ration des dĂ©chets en Suisse). La mise enƓuvre a Ă©tĂ© prise en charge par le secteur privĂ©, qui n'avait ni l'obligationlĂ©gale, ni la nĂ©cessitĂ© d'assurer la coordination avec les diffĂ©rentes ins-tances cantonales et communales. Les communes, de leur cĂŽtĂ©, se sontorganisĂ©es pour rĂ©cupĂ©rer ce type de dĂ©chet. De cette double impul-sion deux types de rĂ©seaux se sont crĂ©Ă©s, qui ne collaborent pas oupeu. La S.EN.S. coordonne la rĂ©cupĂ©ration des appareils frigorifiques, etassure Ă©galement le financement de leur Ă©limination. Cet acteur central adĂ©limitĂ©, avec IGL, huit zones d'apport pour toute la Suisse et signĂ© descontrats avec huit entreprises qui appartiennent Ă  IGL. Sur la base decette organisation privĂ©e, la crĂ©ation d'une organisation de type cartel-laire est possible. Faute de meilleure solution, la ConfĂ©dĂ©ration avalisecette dĂ©marche et ce rĂ©seau, au risque d'une relation conflictuelle avecle canton et la commune (fig. 13).

3.7 Piles (Ă  l'exemple du canton de NeuchĂątel)

Au dĂ©but de cette politique, la ConfĂ©dĂ©ration pĂ©nalisait les secteursprivĂ© ou parapublic qui s'occupaient de l'Ă©limination des dĂ©chets (UIOMet dĂ©charges). Elle les considĂ©rait comme des pollueurs. Les milieux in-dustriels s'organisĂšrent alors pour rĂ©soudre Ă  la source – et non pas enbout de course – le problĂšme liĂ© aux piles [Demierre 1992: 235].

L'AFIP (Association des fabricants et importateurs de piles) et l'OEP(Organisation d'entraide pour l'élimination des piles usagées) mirent enplace une infrastructure et un systÚme de financement pour la gestionde ce déchet. Des industries de recyclage comme Batrec SA ou Recy-met SA organisÚrent le recyclage des piles dans la région romande.

La mise sur pied de ce réseau s'est constituée par des phasesd'apprentissage successives de la part de la Confédération. Ce réseaun'est de loin pas encore stabilisé mais les solutions adéquates se dessi-nent. Seule la collaboration entre acteurs institutionnels de niveaux poli-tiques différents fait défaut (fig. 14).

P. Knoepfel et M. Benninghoff

116

Fédéral

Cantonal

Communal

1

2

3

4

10

5

+7

+9

6

8

1:

2:

OFEFP

SCPE Acteurs institutionnels forts

3:

4:

Communes

SAIOD Acteurs institutionnels faibles

5:

6:

OEP

Consommateurs Groupes cibles forts

7:

8:

Industries de recyclage

Petits détaillants Groupes cibles faibles

9:

10:

ThĂ©vĂ©naz–Leduc

Stockage définitif des résidus+ Concernés bénéficiaires

(ISDS) Contacts ± réguliers

FIG. 14 RĂ©seau des piles

4. REGARDS CRITIQUES

4.1 Avantages des solutions de PPP

Au stade oĂč en est notre Ă©tude et sur la base de nos documents, ilest difficile de prĂ©senter des donnĂ©es permettant d'Ă©valuer l'efficacitĂ© ou

PPP dans la politique des déchets

117

l'efficience du PPP de maniÚre précise. Les avantages de ces régimesseront présentés et illustrés à l'aide de données partielles ou sous formed'hypothÚses, qu'il conviendrait de vérifier d'ici quelques années.

Efficacité: le taux de récupération10

Nous avons présenté différents types de régimes selon le degré departicipation du secteur privé dans la gestion du déchet. La probléma-tique que nous avançons dans ce chapitre, sans pouvoir encore y ré-pondre, est d'évaluer l'efficacité du PPP dans la gestion des déchets paropposition à un régime plus «traditionnel» des déchets de type étatique.

● Les piles: avant l'arrivĂ©e (1991) d'entreprises de traitement, lespiles n'Ă©taient pas recyclĂ©es ou alors de maniĂšre marginale. Lecircuit traditionnel Ă©tait la mise en dĂ©charge ou l'incinĂ©ration. Unepartie des piles recyclĂ©es partait Ă  l'Ă©tranger (30%). Depuis 1992,trois entreprises en Suisse traitent ces piles. La quantitĂ© des pilesrecyclĂ©es est Ă©valuĂ©e Ă  53% de la quantitĂ© totale du marchĂ©. Lereste est Ă©liminĂ© avec les ordures mĂ©nagĂšres (mise en dĂ©chargeou incinĂ©ration avec les ordures mĂ©nagĂšres dans les UIOM). Il estprĂ©vu pour 1995 de recycler 70% des piles existantes sur lemarchĂ©.

● Les boĂźtes d'aluminium: depuis l'entrĂ©e en vigueur de l'OEB, lesdonnĂ©es sont rĂ©pertoriĂ©es par la SVUG. Celle-ci informe annuel-lement l'OFEFP de la quantitĂ© de boĂźtes d'aluminium rĂ©cupĂ©rĂ©es.Alors qu'en 1989 on ne comptait qu'un taux de 31%, en 1991 onatteignait 50%, en 1992 68% et en 1993 plus de 70%. En compa-raison, le taux de recyclage de l'aluminium mĂ©nager (rĂ©gime pu-blic) n'est que de 18% de l'ensemble de la «consommation»d'aluminium.

● Le verre: depuis quelques annĂ©es, le verre est de plus en plusrecyclĂ©, puisqu'en 1991 on comptait un taux de 65% et qu'actuel-lement il avoisine les 72% de la consommation totale et les 75%de la production.

● Le papier: le taux de recyclage du papier est constant depuisquelques annĂ©es et se situe aux environs de 50%. Des marchĂ©ssaturĂ©s, une plus forte concurrence (marchĂ© italien) et une baissedes prix Ă  la tonne expliquent ce taux relativement faible.

Une des hypothÚses, que l'on peut formuler sur la base des don-nées disponibles, serait de penser qu'une gestion des déchets en PPPpermettrait une élimination et un traitement plus respectueux de l'envi-

10 Les données nous ont été transmises par un collaborateur scientifique del'OFEFP.

P. Knoepfel et M. Benninghoff

118

ronnement qu'un rĂ©gime purement Ă©tatique. Les cas des piles et desboĂźtes d'aluminium tendent Ă  confirmer cette hypothĂšse. L'arrivĂ©e, dansle rĂ©seau de la gestion des piles, d'entreprises de traitement a eu deuxeffets profitables Ă  l'environnement. PremiĂšrement, ce rĂ©gime de PPPallĂšge considĂ©rablement les UIOM et Ă©vite d'endommager les installa-tions. DeuxiĂšmement, il rĂ©duit la quantitĂ© des mĂ©taux lourds qui sontprĂ©sents dans les dĂ©chets urbains et qui provoquent une pollution deseaux, des boues d'Ă©puration et des sols. Il diminue Ă©galement la pollu-tion atmosphĂ©rique. Le rĂ©gime appliquĂ© pour les boĂźtes d'aluminium vadans le mĂȘme sens, puisque le circuit de recyclage permet une rĂ©duc-tion de 85% de la consommation d'Ă©nergie nĂ©cessaire Ă  la fabrication dece produit.

De plus, la crĂ©ation de filiĂšres spĂ©ciales (zones d'apport) propres Ă un dĂ©chet permet de rendre plus rapide l'Ă©coulement (circulation du dĂ©-chet pour ĂȘtre rĂ©introduit dans le marchĂ© sous forme de produit recyclĂ©ou alors Ă©liminĂ©) qu'un rĂ©gime purement Ă©tatique et gĂ©nĂ©ral.

Efficience: le PPP, une solution moins coûteuse

Les régimes de PPP ont permis ou permettront de réduire les fraisd'assainissement des UIOM dus à une utilisation trop généreuse et doncinadéquate des usines d'incinération: création d'une multitude de ré-seaux répartis de maniÚre plus rationnelle pour la collecte et le traitementdes déchets. La proposition d'utiliser des instruments économiques(taxe d'incitation) par la Confédération internaliserait les coûts d'exploita-tion et de fonctionnement des entreprises de recyclage et de traitementdes déchets.

Dans le cas d'une bonne synergie avec les partenaires privés etd'une bonne répartition des tùches, l'administration publique peut réali-ser des économies. De plus, dans le Message relatif à la révision de laLPE, le Conseil fédéral concrétise le principe du pollueur-payeur pourles coûts d'élimination. Ainsi, «l'obligation faite au détenteur de déchetsde supporter ces coûts est indissociable de son obligation d'éliminer lesdéchets» [CF 1993:1391]. Par contre, une attention accrue en faveur dela politique des déchets aurait des conséquences sur l'effectif du per-sonnel des cantons et de la Confédération. La globalisation des mar-chés, avec l'introduction d'une ordonnance sur le mouvement des dé-chets spéciaux, entraßnerait de nouvelles tùches pour la Confédérationet augmenterait les charges financiÚres.

L'hypothÚse d'un prix pour le traitement à la tonne, plus avantageuxque sous un régime purement étatique, s'avÚre exacte si les acteurs desréseaux se trouvent en situation de concurrence. Par contre, en cas de

PPP dans la politique des déchets

119

monopole, un régime de type étatique permettrait un prix plus avanta-geux que celui appliqué en régime de PPP.

Sensibilisation et adhésion des milieux concernés

La nouvelle stratĂ©gie dĂ©veloppĂ©e par les pouvoirs publics intĂšgreles groupes cibles (secteur privĂ©) et les concernĂ©s (population), et lesrend responsables face Ă  la politique des dĂ©chets – en tant que pol-lueurs mais aussi en tant qu'acteurs de cette politique publique. Cet Etatdevenu «modeste» [Crozier 1991] entrevoit la possibilitĂ© de nĂ©gocier,de faire participer les acteurs privĂ©s dans la mise en Ɠuvre. Le secteurprivĂ© n'est plus le simple pollueur ou le groupe cible d'une politique pu-blique, mais il devient un partenaire Ă  part entiĂšre au mĂȘme titre quel'administration publique. Cette volontĂ© de gĂ©rer et de rĂ©soudre un pro-blĂšme ensemble, en synergie et en complĂ©mentaritĂ©, transforme la rela-tion de force et de hiĂ©rarchie en une relation de confiance et de respon-sabilisation. Cette nouvelle maniĂšre d'apprĂ©hender l'acteur augmenteindĂ©niablement la sensibilisation et l'adhĂ©sion des milieux concernĂ©s Ă une politique de dĂ©chets plus proche des citoyens.

De plus, cette mise à niveau des relations entre acteurs publics etacteurs privés rend visibles les acteurs en cause et exerce par là unepression sur les producteurs, les entreprises de recyclage et de traite-ment. Ces derniers veillent alors à devenir novateurs dans les tech-niques de production, de récupération et de traitement des déchets.Cette pression est augmentée par la logique du marché qui introduit lanotion de concurrence entre les entreprises s'occupant de la gestiondes déchets. De ces pressions naissent des produits moins polluants,des productions de biens avec moins de déchets et des installations detraitement plus respectueuses de l'environnement.

4.2 Inconvénients des solutions de PPP

Etatisation d'un nouveau secteur de l'économie (secteur «quaternaire»)

La tendance actuelle promeut le principe du pollueur-payeur dans lagestion des déchets, et tente de couvrir l'ensemble des frais et descoûts provenant du recyclage, du traitement et du stockage des dé-chets. Cette politique privilégie un régime des déchets privé ou en éco-nomie mixte.

L'introduction d'un régime économique mixte dans la politique desdéchets amÚne des transformations notables dans la gestion d'une acti-vité dite publique. Dorénavant, l'organisation de la gestion des déchets

P. Knoepfel et M. Benninghoff

120

se réalise selon les rÚgles de l'économie de marché, cherchant desmarges d'autofinancement et la réalisation de profits.

Avec la création d'une industrie de recyclage, de traitement et destockage des déchets surgit un nouveau secteur d'activité économiqueque l'on peut appeler secteur «quaternaire». Ce nouveau secteur né-cessitera un fort investissement des milieux industriels. En contrepartie,et pour diminuer les frais d'exploitation, l'Etat crée des zones d'apport etoblige les «producteurs» de déchets d'apporter ceux-ci aux installationsagréées pour ces zones, afin de garantir un flux minimum de déchets.Cette intervention de l'Etat dans une gestion et une organisation régiesselon les rÚgles de l'économie de marché conduit à une étatisation, aumoins partielle, de ce nouveau secteur de l'économie.

Les inconvénients de cette solution sont liés au paradoxe suivant:d'un cÎté l'Etat prÎne la diminution des déchets à la source et de l'autrecÎté, il encourage l'industrie du déchet à rationaliser et à valoriser sa ges-tion et ses installations (infrastructures). Ainsi, si une telle politique del'environnement est créatrice d'emplois (le secteur «quaternaire» consti-tue environ 2 à 4% de la population active) et diminue la charge finan-ciÚre de l'Etat, elle est également obligée de conserver ces emplois unefois créés. L'étatisation partielle conduira à court terme à la création d'unsecteur éco-industriel (industrie du déchet) gérant de maniÚre efficace lapolitique des déchets. Par contre, à moyen et à long terme, cette ten-dance provoquera une stabilisation des structures de production ac-tuelles, souvent trop polluantes et fondamentalement anti-écologiques[Knoepfel 1992b: 264].

De maniĂšre plus prospective, il y aurait aussi un risque, avec la crĂ©a-tion d'un secteur quaternaire, d'un glissement d'une politique environ-nementale (politique des dĂ©chets) vers une politique d'intĂ©rĂȘts secto-riels (entreprises de recyclage et traitement des dĂ©chets), dĂ» Ă  la«refĂ©odalisation» [Morand 1988] du processus de production desnormes dans lequel les groupes d'intĂ©rĂȘts jouent un rĂŽle dĂ©cisif(contractualisation des rĂšgles de droit public). Ce phĂ©nomĂšne ayantĂ©galement pu ĂȘtre constatĂ© dans la politique agricole, on peut craindreune «agriculturisation» de la politique du dĂ©chet.

Risque de bloquer des innovations technologiques

Bien que le souci de la Confédération soit de développer ou desoutenir une technologie de plus en plus performante et écologiquedans la gestion des cycles des matiÚres, un risque de blocage existe. Eneffet, si certaines entreprises ou cartels dominaient le marché du recy-clage et du traitement d'un déchet, elles pourraient racheter ces pa-tentes d'innovation et les faire disparaßtre dans un tiroir afin de ne pas

PPP dans la politique des déchets

121

perdre leur part du marché. Ainsi, des entreprises d'une certaine impor-tance, peu flexibles mais puissantes financiÚrement et gérant parexemple une zone d'apport, pourraient bloquer un processus d'innova-tion technologique.

Création d'entreprises monopolistiques

Pour optimiser et rationaliser la gestion des dĂ©chets spĂ©ciaux, etafin de rĂ©duire les frais d'exploitation souvent fort coĂ»teux, l'Etat garantitdes zones d'apport Ă  des entreprises. Mais le risque est grand de voirsurgir de vĂ©ritables monopoles. Dans son Message, le Conseil fĂ©dĂ©ralfait mention qu'une telle Ă©volution devra ĂȘtre empĂȘchĂ©e dans l'intĂ©rĂȘt del'Ă©limination des dĂ©chets.

«On veillera, par des dĂ©lais appropriĂ©s et par la clause de rĂ©si-liation, Ă  ne pas freiner la rĂ©alisation de solutions Ă©cologique-ment et Ă©conomiquement meilleures. Il conviendrait Ă©gale-ment de rĂ©gler (...) la question des tarifs, la vĂ©rification de lacomptabilitĂ© et les autres possibilitĂ©s d'interventions de l'Etat»[CF 1993: 1390].La ConfĂ©dĂ©ration et les cantons devront ĂȘtre vigilants car si cer-

taines entreprises monopolistiques gÚrent les déchets d'une maniÚreéconomique et écologique, il en existe d'autres qui cherchent avant toutun profit à court terme et ce, aux dépens de la protection de l'environ-nement.

DĂ©pendance de l'Etat Ă  l'Ă©gard de l'Ă©co-business

En poursuivant la thĂšse «catastrophiste» que nous venons de dĂ©-velopper, nous imaginons mĂȘme une dĂ©rive possible vers une «liaisondangereuse» entre l'Etat et l'Ă©co-business. A vouloir dĂ©lĂ©guer certainestĂąches au secteur privĂ©, Ă  vouloir rationaliser et trouver un financementsupportable, l'Etat, qui est pris dans la structure nĂ©o-corporatiste du sys-tĂšme politique suisse, ne se donne plus les moyens et la marge de ma-nƓuvre nĂ©cessaires Ă  la gestion des collaborations complexes qu'il veutentretenir avec le secteur privĂ©. L'Etat ne risque-t-il pas alors de finir dansles «pattes» de l'Ă©co-business («oekosozialer Komplex» selon Weidner[1993: 225ss])?

Risque de l'exclusivité

En créant un PPP, une relation privilégiée naßt entre le secteur pu-blic et certains acteurs du secteur privé. La négociation, la participation etla délégation sont certes des conditions nécessaires. Mais, elles ne per-

P. Knoepfel et M. Benninghoff

122

mettent pas d'empĂȘcher que la relation devienne exclusive. Or, cetteexclusivitĂ©, qui est «construite Ă  la pĂ©riphĂ©rie de l'administration», risquede manquer de transparence et de contrĂŽle politique et dĂ©mocratique.Dans le cas de la politique des dĂ©chets, la nature de cette relation mettra-t-elle en doute l'utilitĂ©, voire la nĂ©cessitĂ© du PPP?

Ces hypothÚses, formulées à l'emporte-piÚce et de maniÚre un peuprovocante, devraient suffire pour montrer que le PPP n'est pas forcé-ment une panacée pour la politique des déchets. Néanmoins, il permetd'envisager cette politique jeune sous un nouvel angle d'analyse. Dansce contexte, la gestion des déchets est un véritable laboratoire du PPP!

5. DIFFICULTÉ À TROUVER DES RÉGIMES FIABLES DE PPP

Notre Ă©tude nous a montrĂ© qu'il n'existe pas un type de PPP, que lePPP n'est pas la panacĂ©e et qu'il se dĂ©crit parfois comme un rĂ©seau d'ac-teurs conflictuels et parfois consensuels. Dans une rĂ©solution pragma-tique des problĂšmes liĂ©s Ă  la gestion des dĂ©chets, le PPP doit ĂȘtre fonc-tionnel. Ainsi, les rĂ©gimes Ă©tablis doivent tenir compte des intĂ©rĂȘts destrois groupes d'acteurs du «triangle de fer» de la politique de l'environ-nement.

Par ailleurs, la rĂ©alisation d'un PPP oblige souvent des acteurs auxintĂ©rĂȘts divergents Ă  collaborer au sein d'un rĂ©seau de gestion d'un dĂ©-chet particulier. Il est nĂ©cessaire de ne pas occulter la prĂ©sence d'intĂ©rĂȘtsdivergents.

Lorsque l'exigence d'un PPP fonctionnel et la prĂ©sence d'intĂ©rĂȘtsdivergents se cristallisent Ă  l'intĂ©rieur d'un rĂ©seau, il faut admettre que lePPP ne sera pas toujours rĂ©alisable. S'il se dĂ©veloppe nĂ©anmoins, ilrisque d'ĂȘtre peu fiable, inadĂ©quat voire mĂȘme inĂ©quitable. Ces Ă©lĂ©-ments peuvent clairement remettre en question l'opportunitĂ© du PPPpour la gestion des dĂ©chets. La mise sur pied d'un PPP constitue doncun jeu de triangulation entre trois points d'Ă©quilibre: il s'agit d'un vĂ©ritablesocial engineering. Rentrer dans ce jeu requiert la connaissance des in-tĂ©rĂȘts des trois acteurs en prĂ©sence. Le PPP va au-delĂ  d'un simple jeu Ă somme nulle, il introduit la notion de divergences et de complĂ©mentari-tĂ©s d'intĂ©rĂȘts entre trois acteurs en prĂ©sence.

● Les acteurs publics peuvent envisager un PPP si les conditionssuivantes sont remplies:– Une base lĂ©gale suffisamment large doit exister qui permette

notamment la prise en compte des acteurs privĂ©s, la garantied'une zone d'apport et l'obligation de dĂ©poser les dĂ©chets.Ces bases lĂ©gales doivent ĂȘtre conformes aux lĂ©gislations en

PPP dans la politique des déchets

123

vigueur dans d'autres domaines, telles que la loi sur les cartelsou le droit européen et international (GATT, UE).

– La gestion d'un dĂ©chet ne doit pas ĂȘtre une affaire entiĂšrementprivĂ©e. Ce peut ĂȘtre le cas pourtant, par exemple avec certainsdĂ©chets chimiques qui sont directement traitĂ©s par l'entreprisequi les gĂ©nĂšre. LĂ , la gestion de ces dĂ©chets «indigĂšnes» neconstitue pas, a priori, un problĂšme collectif. Elle ne nĂ©cessitedonc aucune intervention particuliĂšre de l'Etat, en dehors ducontrĂŽle gĂ©nĂ©ral des Ă©missions qu'il applique Ă  toutes les en-treprises industrielles.

– Le PPP doit offrir des solutions plus efficaces, plus efficienteset plus proche des milieux Ă©conomiques (chiffre 4, ci-dessus).

– Le PPP doit dĂ©boucher sur une solution Ă©quitable (Ă©quitĂ© so-ciale) que se soit dans le domaine du prix du traitement, de latarification ou de la protection des couches Ă©conomiquesfaibles, dans la prise en compte des exclus (groupes concer-nĂ©s et affectĂ©s) et des tiers (associations de protection de l'en-vironnement ou de locataires), et dans l'allocation appropriĂ©edes installations dans l'espace (Ă©quitĂ© spatiale). Cette conditiond'Ă©quitĂ© sociale, Ă©conomique et spatiale rejoint l'idĂ©e de lafonction de production du «bien-ĂȘtre», dĂ©veloppĂ©e par l'Etatprovidence.

– La solution offerte par le PPP doit ĂȘtre opĂ©rationnelle. Les rĂ©-seaux d'acteurs doivent ĂȘtre ancrĂ©s dans les milieux Ă©cono-miques et sociaux concernĂ©s et ĂȘtre peu nombreux. De plus,pour ĂȘtre opĂ©rationnel, le PPP doit offrir suffisamment d'ins-truments incitatifs aux diffĂ©rents partenaires, afin de mettre enƓuvre la politique des dĂ©chets.

● Les acteurs privĂ©s peuvent envisager un PPP si les conditionssuivantes sont remplies:– La formule envisagĂ©e doit ĂȘtre compatible avec leurs intĂ©rĂȘts

Ă©conomiques. Le bilan de leurs entreprises doit ĂȘtre Ă©quilibrĂ© Ă moyen et long terme. Les investissements doivent pouvoir ĂȘtreamortis, les frais de fonctionnement couverts et l'entreprise doitrĂ©aliser un bĂ©nĂ©fice. Le PPP sera lucratif ou ne sera pas.

– L'Etat doit offrir une sĂ©curitĂ© quant Ă  la garantie de zones d'ap-port Ă  long terme.

– L'Etat doit introduire la logique d'exclusivitĂ© mentionnĂ©e ci-dessus, mĂȘme si celle-ci conduit Ă  modifier les rĂšgles de laconcurrence Ă  l'intĂ©rieur d'une branche industrielle, en offrantun statut privilĂ©giĂ© au privĂ© qui se lance dans le PPP.

P. Knoepfel et M. Benninghoff

124

– La solution au problĂšme des dĂ©chets doit ĂȘtre rĂ©alisable tech-niquement et elle ne doit pas engendrer, dans sa gestion, derisques majeurs. Aucun privĂ© ne s'engagera dans un PPP im-pliquant la gestion d'un dĂ©chet extrĂȘmement dangereux.

– Un rĂ©seau, spĂ©cifique Ă  la branche professionnelle concernĂ©e,doit prĂ©-exister. En outre, le degrĂ© d'intĂ©gration du rĂ©seau doitĂȘtre suffisant pour que le networking ne devienne pas unecharge trop lourde.

● Les associations de protection de l'environnement constituent lepartenaire du PPP dont le comportement est le moins prĂ©visible.Cette caractĂ©ristique provient d'une dynamique sociale dans la-quelle cet acteur est amenĂ© Ă  louvoyer entre les diffĂ©rentes ten-dances politiques. Cela rend difficile toute Ă©laboration de PPPfiables. En raison de leur pouvoir de blocage, ces associationsconstituent en effet un acteur clĂ©. Si un PPP se dĂ©veloppe sanstenir compte de leurs intĂ©rĂȘts, il risque de mal fonctionner ou demanquer d'adĂ©quation sociale. Les associations pour la protec-tion de l'environnement peuvent vraisemblablement envisager unPPP si les conditions suivantes sont remplies:– La solution envisagĂ©e ne doit pas figer la production de dĂ©-

chets Ă  son niveau actuel. Cette condition est un point crucialdes revendications Ă©cologiques.

– Les tarifs fixĂ©s sur le tonnage de dĂ©chets Ă  traiter doivent ĂȘtreĂ©quitables. Dans cette mĂȘme logique, les mouvements Ă©colo-giques refuseront toute solution fortement concentrĂ©e dansl'espace.

– Le rĂ©gime des dĂ©chets doit s'inscrire dans une logique plusglobale que la seule gestion du dĂ©chet. Le PPP doit Ă©gale-ment agir Ă  la source de la production de dĂ©chets et tendre Ă  unĂ©quilibre entre les exigences de l'OTD et de l'Osubst. (CettederniĂšre privilĂ©gie justement des stratĂ©gies d'interventions surla production mĂȘme des dĂ©chets).

– Une formule de PPP doit impliquer des acteurs publics fĂ©dĂ©-raux. Un PPP purement local n'intĂ©ressera guĂšre les associa-tions Ă©cologistes.

Dans le cas oĂč les conditions Ă©noncĂ©es par les trois diffĂ©rents par-tenaires ne seraient pas remplies, les rĂ©orientations suivantes pourraientĂ©merger:

● choix d'un rĂ©gime hiĂ©rarchique plus traditionnel au lieu d'un PPP;

PPP dans la politique des déchets

125

● crĂ©ation d'un PPP Ă©cologiquement et/ou Ă©conomiquement peufiable – c'est-Ă -dire inefficace et inefficient – qui, aprĂšs peu detemps, serait vidĂ© de son sens11;

● retour Ă  une approche sectorielle (recherche d'une solution effi-cace et efficiente pour rĂ©soudre un problĂšme sectoriel des dĂ©-chets) au dĂ©triment d'une vision plus globale; cela pourrait surve-nir au cas oĂč un PPP efficient et efficace s'avĂ©rerait inĂ©quitable etne tiendrait pas compte d'autres prioritĂ©s politiques telles quel'Ă©quitĂ© sociale et spatiale.

Nous terminerons en affirmant, qu'Ă  notre avis, le PPP n'est pas unesolution du type nĂ©o-corporatiste oĂč l'Etat rĂ©soudrait un problĂšme encollaborant Ă©troitement avec des acteurs privĂ©s et puissants Ă©conomi-quement. Nous voulons plutĂŽt introduire l'idĂ©e que l'avantage du PPPest d'inciter Ă  considĂ©rer un troisiĂšme acteur: le «tiers» qui est rĂ©guliĂšre-ment exclu dans l'approche nĂ©o-corporatiste. Nous sommes en effetconvaincus que la globalisation des enjeux politiques, liĂ©s par exemple Ă la gestion des dĂ©chets, appelle en corollaire la globalisation de l'ap-proche dĂ©mocratique.

LISTE DES ABRÉVIATIONS

CF: Conseil fédéralDFAE: Département fédéral des affaires extérieuresFEA: Association suisse des fabricants et fournisseurs d'appa-

reils électroménagersGATT: Accord général sur les tarifs douaniers et le commerceOEP: Organisation d'entraide pour l'élimination des piles

usagĂ©esOFAT: Office fĂ©dĂ©ral de l'amĂ©nagement du territoireOFEFP: Office fĂ©dĂ©ral de l'environnement, des forĂȘts et du pay-

sageOFQC: Office fédéral des questions conjoncturellesSAIOD: Société anonyme pour l'incinération des ordures et des

déchets (canton de Neuchùtel)SAT Service de l'aménagement du territoireSCPE: Service cantonal pour la protection de l'environnement

(canton de Vaud)SIA: Société suisse des ingénieurs et des architectes

11 Ceci semble ĂȘtre le cas actuellement (dĂ©but 1994) pour le «systĂšme dual»allemand.

P. Knoepfel et M. Benninghoff

126

SSE: Société suisse des entrepreneursUE: Union européenne

BIBLIOGRAPHIE

BENNINGHOFF, M., M. CHARDONNENS, S. FORSTER, et A. JORDAN. 1993.Politique des déchets: les boßtes en aluminium, les déchets dechantier, les frigos, les piles. Chavannes: IDHEAP (non publié).

CF. 1993. Message relatif à une révision de la Loi fédérale sur la protec-tion de l'environnement (LPE) du 7 juin 1993 (RS 93.053).Feuille fédérale 32, II: 1337ss.

BUETSCHI, D., et S. CATTACIN. 1993. L'Etat incitateur: nouvelles pra-tiques de la subsidiaritĂ© dans le systĂšme du bien-ĂȘtre suisse.Annuaire suisse de science politique 33.

CROZIER, M. 1991. Etat modeste, Etat moderne: stratégies pour unautre changement. Paris: Seuil.

CSOE. 1993. Observation intégrée de l'environnement en relation avecles écosystÚmes. Projet d'introduction d'un nouveau systÚmed'observation de l'environnement. Rapport, version détaillée.Berne: CSOE.

DELLEY, J.-D. 1993. L'Etat nouveau sera débureaucratisé, rationalisé,allégé. Il sera complémentaire. Le Temps des Affaires Mars.

DEMIERRE, L. 1992. Un traceur de la problématique actuelle de la ges-tion des déchets spéciaux: le cas des piles. In GRUNDLEHNER, S.,et P. KNOEPFEL (éd.). Défis des déchets. Bùle: Helbing &Lichtenhahn.

DENTAN, J. 1991. Vers un recyclage structuré dans différents domaines.Gestion et service public 4: 25-27.

DFEP. 1993a. Documentation GATT. Berne: Service de presse, DFEP.DFEP. 1993b. L'Etat de la négociation de l'Uruguay Round fin août

1993. Berne: Service de presse, DFEP.DFI. 1988. Ordonnance sur les emballages pour boissons. Projet.

Commentaire. Berne: DFI.DFI. 1990. Modification de la loi sur la protection de l'environnement

(LPE). Commentaire. Berne: DFI.FREIBURGHAUS, D. 1989. Le développement des moyens de l'action

politique. Cahier de l'IDHEAP 59.

PPP dans la politique des déchets

127

GELBERT, M., et B. BOCHSLER. 1991. Déchets et recyclage. Zurich:Ligue pour la propreté en Suisse.

GEX-FABRY, R., et M. INGOLD. 1992. La valorisation des boues d'épura-tion dans l'agriculture suisse. In GRUNDLEHNER, S., et P.K N O E P F E L . (éd.). Défis des déchets. Bùle: Helbing &Lichtenhahn.

GRUNDLEHNER, S., et P. KNOEPFEL. (éd.). 1992. Défis des déchets.Réalités politiques et administratives de la Suisse romande. Bùle:Helbing & Lichtenhahn, coll. Ecologie et Société, volume 6.

KNOEPFEL, P., W. ZIMMERMANN, U. MUELLER, D. KOLLY, et L.DEMIERRE. 1989. DĂ©chets et environnement dans la vie poli-tique quotidienne. Quatre Ă©tudes de cas pour l'enseignement.Berne: EDMZ.

KNOEPFEL, P., C. LARRUE, et I. KISSLING-NÀF. 1992a. Politiques pu-bliques comparées (Notes de cours). Lausanne: IDHEAP.

KNOEPFEL, P. 1992b. Les six défis d'une politique des déchets innova-trice. In GRUNDLEHNER, S., et P. KNOEPFEL. (éd.). Défis des dé-chets. Bùle: Helbing & Lichtenhanhn.

KNOEPFEL, P. 1993a. Approaches to an effective framework for envi-ronmental management. Cahiers de l'IDHEAP 108a.

KNOEPFEL, P., et I. KISSLING-NĂ€F. 1993b. The transformation of publicpolicies through spacialisation – reflections on the changing rela-tionship between space and policy. Cahiers de l'IDHEAP 109a.

KNOEPFEL, P. 1993c. New institutionnal arrangements for the next ge-neration of environmental policy instruments: intra- and interpo-licy cooperation. Cahiers de l'IDHEAP 112.

KNOKE, D., et J. KUKLINSKI. 1986. Network Analysis. Londres: SAGEPublications.

KRIESI, H. 1992. SystÚmes politiques comparés, 1992/93 (Note decours). GenÚve: Université de GenÚve (Département de Sciencepolitique).

MORAND, C.-A. 1988. Le droit de l'Etat providence. RDS: 527-551.MORAND, C.-A. (Ă©d). 1991. L'Etat propulsif: contribution Ă  l'Ă©tude des

instruments d'action d'Etat. Paris: Publisud.OFEFP. 1988. Commentaire relatif Ă  la loi sur la protection de l'environ-

nement. Berne: Office central fédéral des imprimés et du matériel(OCFIM).

P. Knoepfel et M. Benninghoff

128

OFEFP. 1991. L'état de l'environnement en Suisse (rapport 1990 surl'état de l'environnement). Berne: Office central des imprimés etdu matériel (OCFIM).

OFEFP. 1992. Stratégie de gestion des déchets en Suisse. Objectifs,mesures, effets. OFEFP, Cahier de l'environnement 173.

OFPE. 1986. Lignes directrices pour la gestion des déchets en Suisse.OFPE, Cahier de l'environnement 51.

SCIARINI, P. 1993. Le systÚme politique suisse face à la Communautéeuropéenne et le GATT: le cas test de la politique agricole.GenÚve: ThÚse à l'Université de GenÚve (Faculté des SES).

W EIDNER, H. 1993. Der Verhandelnde Staat. Minderung vonVollzugskonflikten durch Mediationsverfahren. Annuaire suissede science politique 33.

WILLKE, H.. 1991. Trois types de structures juridiques: programmesconditionnels, programmes finalisés et programmes relationnels.In MORAND, C.-A. (éd.). L'Etat propulsif. Paris: Publisud.

129

Chapitre 8

PLANIFICATION D'ENSEMBLE D'OBERHAUSERRIETDANS LA COMMUNE D'OPFIKON

Martin STEIGER

1. PRÉSENTATION DU PROJET

1.1 Situation de départ

L’Oberhauserriet est un territoire essentiel pour le dĂ©veloppementde places de travail dans l’agglomĂ©ration zurichoise. En raison de sa si-tuation remarquable, il subit une forte pression pour ĂȘtre Ă©quipĂ© (fig. 1).Le plan de zones et le rĂšglement des constructions, partiellementadoptĂ© en 1987, autorisent une importante crĂ©ation de places de travailqui risque de s’accompagner de nuisances en termes de circulation et depollution de l’air et du bruit. Cependant, la rĂ©alisation du plan de quartieradoptĂ© en 1983 n’a pas Ă©tĂ© possible jusqu’ici: en 1988, une demandede rĂ©vision a exigĂ© une autre estimation des terrains suivie d'une initia-tive demandant que la partie non Ă©quipĂ©e du secteur soit affectĂ©e enzone de rĂ©serve. Ces problĂšmes ont amenĂ© la MunicipalitĂ© d’Opfikon Ă 

M. Steiger

130

entreprendre, sur une base partenariale, un rĂ©examen de la planificationd’ensemble d’Oberhauserriet.

FIG. 1 Situation d'Oberhauserriet dans l'agglomération zurichoise

1.2 RĂ©examen de la planification d’ensemble d'Oberhauserriet

Le rĂ©sultat principal de ce rĂ©examen, terminĂ© en Ă©tĂ© 1988, aconfirmĂ© que l’équipement et la construction selon le plan de zones et lerĂšglement en vigueur n’étaient pas adaptĂ©s au rĂ©seau routier prĂ©vu.Ainsi une rĂ©vision de la planification de cette zone industrielle s’avĂ©raitindispensable. La MunicipalitĂ© a donc donnĂ© le mandat d’élaborer unenouvelle planification d’ensemble de ce secteur et de rĂ©viser le plan dezone et le rĂšglement des constructions.

Exemple d'Oberhauserriet, commune d'Opfikon (ZH)

131

1.3. Nouvelle planification d’ensemble d’Oberhauserriet

Vers une nouvelle proposition

La nouvelle planification s’est dĂ©roulĂ©e en Ă©troite collaboration avecla MunicipalitĂ© (exĂ©cutif) et les propriĂ©taires fonciers concernĂ©s. La pro-position a reçu l’accord de principe de la ville de Zurich (principal propriĂ©-taire foncier) et des propriĂ©taires privĂ©s. Les propriĂ©taires se sont enga-gĂ©s Ă  financer une desserte supplĂ©mentaire par les transports publics, Ă crĂ©er un parc, et Ă  trouver une solution pour une rĂ©alisation par Ă©tapes.Les propriĂ©taires privĂ©s ont acceptĂ© de mettre Ă  disposition du terrain Ă bĂątir Ă  un prix prĂ©fĂ©rentiel pour la construction de logements.

AprĂšs la procĂ©dure de consultation d’octobre 1989, la MunicipalitĂ© aadoptĂ© le projet dĂ©finitif en janvier 1990 et l’a soumis au Conseil commu-nal (lĂ©gislatif). En date du 8 avril 1991, celui-ci accepta clairement la plani-fication sous rĂ©serve de modifications mineures. Un rĂ©fĂ©rendum futlancĂ© contre cette dĂ©cision. Lors de la votation populaire du 20 octobre1991, les citoyens d’Opfikon ont rejetĂ© le rĂ©fĂ©rendum et acceptĂ© lecontre-projet de la MunicipalitĂ©.

Contenu de la proposition

La nouvelle planification d’ensemble d’Oberhauserriet comprend:● le rapport sur les donnĂ©es de base qui rĂ©sume la solution de pla-

nification retenue;● l’étude sur l’environnement qui dĂ©montre que la planification

d’ensemble d'Oberhauserriet correspond aux prescriptions dudroit de l’environnement (dans la mesure ou les impacts de la pla-nification sur l’environnement peuvent dĂ©jĂ  ĂȘtre estimĂ©s);

● la rĂ©vision Ă  proprement parler du plan de zones et du rĂšglementde constructions, avec les prescriptions spĂ©ciales pour le territoired’Oberhauserriet.

Les objectifs essentiels de la nouvelle planification d’ensembled'Oberhauserriet peuvent ĂȘtre briĂšvement caractĂ©risĂ©s comme suit:

● MixitĂ© de fonction: la nouvelle planification d’ensemble prĂ©voit unquartier vivant, avec des logements et une grande diversitĂ© desactivitĂ©s, au lieu d’une citĂ© administrative. Par rapport aux concep-tions antĂ©rieures, le nombre de places de travail a Ă©tĂ© considĂ©ra-blement rĂ©duit. Il reste au plus 9 700 places de travail prĂ©vues cequi permet la crĂ©ation d’un quartier d’habitation pour au moins3 000 personnes.

● Desserte respectueuse de l’environnement: la desserte est es-sentiellement assurĂ©e par les transports publics. De ce fait, l’offreen places de parc, principalement pour les pendulaires, a pu ĂȘtre

M. Steiger

132

considĂ©rablement rĂ©duite. Le trafic automobile est dĂ©jĂ  interceptĂ©dĂšs les abords du secteur. A partir de deux grands parkings lequartier sera desservi par un moyen de transport public efficace etrespectueux de l’environnement. Pour cela un systĂšme de bus Ă grande frĂ©quence (en site propre), un tram ou un systĂšme detransport non conventionnel (monorail) pourrait ĂȘtre introduit.

● Conception urbanistique respectueuse des conditions locales:un plan directeur d’amĂ©nagement sert de base Ă  la nouvelle plani-fication. Des immeubles de bureaux sont prĂ©vus le long de laThurgauerstrasse, lĂ  oĂč les nuisances sont les plus fortes. Desconstructions mixtes (logements, bureaux, commerces pour lequartier) devraient ĂȘtre rĂ©alisĂ©s dans un espace de transition.Quant au quartier d'habitation, il sera localisĂ© dans la zone la pluscalme, situĂ©e dans la partie est d'Oberhauserriet. Cette zonetouche un grand parc qui fait partie d’une zone de dĂ©lassementexistante autour de l’Auholz et le long de la Glatt. Pour amĂ©liorerl’environnement des logements et des places de travail, le terri-toire est articulĂ© par de grands espaces verts et desservi par unrĂ©seau dense de chemins pour piĂ©tons et de pistes pour vĂ©los.La conception qui repose sur le principe de la construction enĂźlots permet la rĂ©alisation de constructions de grandes qualitĂ©s quisont respectueuses de l’environnement (fig. 2).

● RĂšglement: le nouveau rĂšglement prĂ©voit une zone Ă  bĂątir ordi-naire dont la densitĂ© permet une desserte «normale» par lestransports individuels et collectifs. Des prescriptions spĂ©cialescomplĂ©mentaires autorisent une densitĂ© plus importante pour au-tant que, parallĂšlement, la desserte soit assurĂ©e par un moyen detransport public Ă  grande capacitĂ© et que des exigences qualita-tives plus Ă©levĂ©es soient prises en considĂ©ration. Le plan direc-teur d’amĂ©nagement sert de rĂ©fĂ©rence pour la construction selonles prescriptions spĂ©ciales.

● Impacts sur l’environnement: l’étude sur l’environnement a dĂ©-montrĂ© que les exigences du droit de l’environnement sont res-pectĂ©es sauf dans le domaine de la protection de l’air. Cependantles immissions Ă  Oberhauserriet Ă©tant principalement causĂ©es pardes sources extĂ©rieures, le problĂšme doit par consĂ©quent ĂȘtrerĂ©solu Ă  une Ă©chelle plus large. Les dispositions prĂ©vues, rela-tives Ă  l’offre de places de parc et de transports publics, vont plusloin que les objectifs fixĂ©s par le Conseil d’Etat dans le cadre deson plan de mesures pour la protection de l’air. Ainsi on peut ĂȘtreassurĂ© que les Ă©missions, provoquĂ©es par la rĂ©alisation desconstructions, peuvent ĂȘtre gardĂ©es Ă  un niveau aussi bas quepossible. Cette planification d’ensemble d’Oberhauserriet provo-

Exemple d'Oberhauserriet, commune d'Opfikon (ZH)

133

quera moins de nuisances pour l’environnement que ne le ferait laconstruction d’un volume identique dans un autre lieu.

Zone industrielle

Zone d'activités tertiaires

Zone mixte

Zone d'habitation

Zone verte

Zone de bĂątiment public

FIG. 2 Affectations prévues

2. HISTORIQUE DU PROJET

Les premiÚres réflexions autour du site de l'Oberhauserriet remon-tent au siÚcle passé. Un concours international avait alors été organisépour définir l'avenir de l'agglomération zurichoise. A l'époque, ce terri-toire fut aménagé pour aider les agriculteurs à produire davantage maisaussi afin de stocker les déchets provenant de la canalisation d'Oerlikon.Lors de ce concours, on avait également projeté d'y construire un portqui aurait permis d'acheminer, via le Furttal, les bateaux en provenancedu Rhin. L'idée était d'en faire le centre du développement industriel dela région. Les autorités de la ville de Zurich jugÚrent utile d'acquérir duterrain à cet endroit, de maniÚre à pouvoir devenir, le cas échéant, unpartenaire du projet.

Ce projet n'a pas vu le jour. Néanmoins, il en est resté quelquechose puisque ce territoire devint en 1952 une zone industrielle senséeaccueillir les grandes industries zurichoises, loin du centre afin d'éviterles nuisances. Un premier plan de zone a vu le jour, puis en 1957, on acommencé à travailler sur le plan de quartier.

Celui-ci a été trÚs difficile à élaborer du fait de toutes les incertitudesentourant la mise en valeur de ces terrains. Ainsi de nombreux acteursn'ont cessé d'influencer les discussions, que ce soient les représentants

M. Steiger

134

des routes nationales ou la ville de Zurich avec ses projets autour de l'aĂ©-roport de Kloten ou ceux du mĂ©tro. En 1983, on est tout de mĂȘme par-venu Ă  Ă©tablir un plan de quartier limitant la part des bureaux pouvant ĂȘtrerĂ©alisĂ©s. Ce plan est entrĂ© en vigueur, mais peu de temps aprĂšs, il a Ă©tĂ©remis en cause par trois Ă©vĂ©nements:

● En 1984, la Ville de Zurich qui possĂšde de nombreuses parcelles,a fait recours. Avec le nouveau plan, une partie de ses terrains seretrouvait dans une zone oĂč les bureaux sont interdits. Cette atti-tude est intĂ©ressante. Elle montre qu'une collectivitĂ© publique –la Ville de Zurich, en l'occurrence – peut aussi parfois se compor-ter comme un acteur qui dĂ©fend des intĂ©rĂȘts strictement privĂ©s.

● Un deuxiĂšme problĂšme bien plus sĂ©rieux s'est posĂ© quasi-simul-tanĂ©ment: celui des Ă©quipements (routes, canalisation) nĂ©ces-saires Ă  cette trĂšs grande zone. Le plan initial prĂ©voyait en effetentre 15 000 et 22 000 places de travail, mais sans transportpublic adĂ©quat et avec un rĂ©seau routier incapable d'absorber letrafic qui serait gĂ©nĂ©rĂ© si tout le plan venait Ă  ĂȘtre concrĂ©tisĂ©.Cette situation Ă©tait de nature Ă  ruiner toute possibilitĂ© d'amĂ©na-gement sur le site. Il a donc Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© de revoir le plan de quar-tier. C'est alors qu'a commencĂ© le vĂ©ritable partenariat entre lacommune et les propriĂ©taires privĂ©s. Ceux-ci, bien que frustrĂ©spar ce nouveau contretemps, ont compris que commercialementparlant, il pouvait ĂȘtre intĂ©ressant de coordonner leurs actionsavec les intentions de la commune et de s'influencer mutuelle-ment. DĂšs lors les deux parties ont travaillĂ© conjointement Ă  l'Ă©la-boration du nouveau plan.

● Un troisiĂšme Ă©vĂ©nement est venu favoriser cette coopĂ©ration:l'initiative communale dĂ©posĂ©e en 1988 par un groupe de jeunesde tendance «rose-verte» qui visait Ă  placer les terrains non Ă©qui-pĂ©s de l'Oberhauserriet en zone de rĂ©serve.

Paradoxalement, cette initiative a créé la situation idéale pour faireavancer les travaux de révision du plan. Face à la menace de cette initia-tive, les propriétaires (y compris les représentants de la Ville de Zurich) etles autorités d'Opfikon ont ressoudé leurs liens pour faire corps contreleur «ennemi» commun. De plus, les initiants, issus d'un milieu écolo-giste sérieux, jeune et innovatif, sont parvenus à faire une peser unepression telle, que les propriétaires et les autorités ont fini par adopterdes solutions qu'ils n'auraient certainement jamais acceptées en d'autrescirconstances.

Exemple d'Oberhauserriet, commune d'Opfikon (ZH)

135

3. ASPECTS PARTENARIAUX DE LA DÉMARCHE

Le partenariat entre acteurs publics et privés a porté principalementsur deux types de questions:

● la redĂ©finition des objectifs et du type d'Ă©quipements nĂ©cessairesĂ  leur concrĂ©tisation;

● la rĂ©partition des tĂąches et des coĂ»ts.

Sur le plan des Ă©quipements, un effort particulier a Ă©tĂ© fourni pourĂ©tudier les possibilitĂ©s de desservir la zone, l'objectif Ă©tant de limiter letrafic privĂ© dans la zone et de connecter l'Oberhauserriet au nƓud detrafic autoroutier et ferroviaire (train, tram) situĂ© Ă  proximitĂ©. ParallĂšlement,les espaces verts ont Ă©tĂ© rĂ©Ă©tudiĂ©s et il a Ă©tĂ© proposĂ© de crĂ©er un parcurbain, avec un lac, dont la rĂ©alisation serait financĂ©e par les privĂ©s.

Restait à régler le plus important: la maniÚre de réaliser un tel planainsi que la répartition des tùches et des coûts.

La premiÚre innovation a été de négocier une modification du par-cellaire et de regrouper les propriétaires par groupes de quatre. Ils l'ontaccepté.

La seconde innovation a Ă©tĂ© de limiter la densitĂ© Ă  un indice comprisentre 0.6 et 0.71 afin de tenir compte des possibilitĂ©s rĂ©duites d'accĂšs.Toutefois, il a aussi Ă©tĂ© admis que la densitĂ© pouvait ĂȘtre augmentĂ©epour autant que les propriĂ©taires respectent les prescriptions supplĂ©-mentaires suivantes:

● que l'augmentation de densitĂ© ne gĂ©nĂšre pas de parkings sup-plĂ©mentaires;

● que des transports publics de capacitĂ© suffisante soient constr-uits pour absorber cette densitĂ© supplĂ©mentaire;

● qu'ils financent ces transports publics.

AprĂšs nĂ©gociation, les propriĂ©taires et les pouvoirs publics ont fixĂ©ces prescriptions supplĂ©mentaires d'un commun accord. Ils leur ont ad-joint tout un systĂšme de rĂšgles et de contrats, concernant par exemple lefinancement d'une Ă©tude sur l’environnement, qui dĂ©montre que la pla-nification d’ensemble d'Oberhauserriet correspond aux prescriptions dudroit de l’environnement. Les propriĂ©taires ont acceptĂ© de ne construirequ'avec ces prescriptions spĂ©ciales, de financer les transports publics Ă hauteur de 60 millions, de construire par Ă©tapes raisonnables et devendre le terrain pour les habitations Ă  des prix prĂ©fĂ©rentiels. Tous cescontrats sont aujourd'hui signĂ©s, sauf par la Ville de Zurich, qui n'est pasopposĂ©e au principe mais qui hĂ©site car elle a la possibilitĂ© de crĂ©er par

1 Cette indice signifie que pour 1 m2 de terrain, il est possible de construire0.6 Ă  0.7 m2 de surface de plancher.

M. Steiger

136

ses propres moyens un autre service de transport public, répondant àdes impératifs qui ne sont pas seulement ceux d'Oberhauserriet.

Résultat: avec ces prescriptions supplémentaires, le plan permet decréer 9 700 places de travail, d'accueillir sur le site prÚs de 3 000 habi-tants, tandis que les parkings sont limités à 4 700 places. Le plan initialde 14 200 places de travail aurait, selon la législation en vigueur, né-cessité 12 000 places de parkings, ce qui est inconcevable.

4. PROBLÈMES EN SUSPENS

Tout n'est pas réglé pour autant. Le problÚme aujourd'hui est dedéfinir comment il convient de procéder pour réaliser le plan adopté. Ils'agit notamment de financer:

● les Ă©tudes nĂ©cessaires au dĂ©veloppement du projet;● l'Ă©quipement des parcelles.

Cet Ă©quipement nĂ©cessite pour l'ensemble de la zone plusieurs di-zaines de millions. Il s'agit lĂ  d'un investissement prĂ©alable Ă  toute rĂ©ali-sation. Il ne peut ĂȘtre couvert puisqu'il ne dĂ©gage aucune rentabilitĂ©.

Pour contourner cette difficulté, il a fallu imaginer une forme origi-nale de financement. Il est proposé aux propriétaires de constituer uneparcelle commune, d'élaborer les plans particuliers et d'obtenir les autori-sations nécessaires, de l'équiper puis de la commercialiser avant toutesles autres. L'argent retiré de cette opération devrait servir à payer l'équi-pement de l'ensemble du périmÚtre (infrastructure de base), la créationdu parc et les surcoûts générés par les contrats signés avec la commune.En vendant les terrains au prix modéré de 1 000 francs le m2, il seraitainsi possible d'équiper le reste des terrains et de les proposer à d'éven-tuels investisseurs.

La Ville d'Opfikon soutient cette démarche. Elle laisse maintenant lesoin aux propriétaires de décider s'ils souhaitent travailler à partir du planconventionnel ou s'ils préfÚrent adopter ce plan de financement particu-lier pour le développement de la zone.

L'adoption de ce plan de financement prĂ©senterait un trĂšs grandavantage. En rĂ©alisant une parcelle commune, les privĂ©s disposeraientd'un terrain «vĂ©ritablement prĂȘt Ă  l'emploi» qu'ils pourraient proposer dĂšsqu'un investisseur en quĂȘte de localisation se manifesterait, sans aucunproblĂšme de dĂ©lais, ni risque de procĂ©dures interminables. L'Oberhau-serriet acquĂ©rrait ainsi un avantage comparatif indĂ©niable par rapport Ă d'autres zones dans lesquelles la planification prĂ©paratoire, pourtant in-dispensable Ă  toute mise en valeur, n'est pas aussi avancĂ©e. A longterme, le site est tellement bien placĂ©, en Suisse et au milieu de l'Eu-

Exemple d'Oberhauserriet, commune d'Opfikon (ZH)

137

rope, qu'il attirera forcĂ©ment des investisseurs Ă  la recherche de grandessurfaces bien situĂ©es, d'autant que de telles surfaces n'existent plus aucƓur des villes.

5. PRINCIPES À RESPECTER DANS LE CADRE DU PPP

Cet exemple de PPP (partenariat public-privĂ©) au niveau de l'Ă©labo-ration et de la planification d'un projet montre qu'il est possible d'aller del'avant, si on prend la peine de coordonner les intĂ©rĂȘts des diffĂ©rentesparties en prĂ©sence. MĂȘme s'il n'existe pas de «formule magique» ga-rantissant le succĂšs d'un PPP, on peut nĂ©anmoins dĂ©gager, sur la basede cette expĂ©rience, quelques principes de base qu'il vaut mieux res-pecter si l'on veut avancer dans ce type de projets dĂ©pendant de mul-tiples partenaires:

● Voir «grand» pour pouvoir rĂ©aliser «petit». Pour avoir quelquechance d'ĂȘtre rĂ©aliser, un plan doit ĂȘtre raisonnable. Mais pourplaire, il doit toujours comporter Ă  l'origine une grande rĂ©alisation.Si le plan initial est trop modeste, il devient trĂšs rapidement banal.Il finit par ĂȘtre nĂ©gligĂ©. Sans une idĂ©e fascinante au dĂ©part (mono-rail, lac), on a peu de chance de faire aboutir un partenariat public-privĂ©. Cependant, l'idĂ©e de base doit non seulement ĂȘtre por-teuse mais elle doit aussi pouvoir ĂȘtre adaptĂ©e aux circonstances,quitte Ă  ce qu'elle soit «revue Ă  la baisse».

● S'appuyer sur les opposants, au besoin s'en crĂ©er. Une luttecommune contre des opposants permet de regrouper les Ă©ner-gies et de hiĂ©rarchiser les prioritĂ©s.

● Donner toutes les information non confidentielles aux opposants.Il vaut mieux traiter avec des opposants qui connaissent bien leprojet plutît qu'avec des ignorants.

● Savoir que les interlocuteurs avec lesquels on travaille ne sontpas Ă©ternels. Un projet de PPP prend du temps. Par consĂ©quent,les interlocuteurs du projet risquent de changer: on discute avecl'un, puis il est promu ou dĂ©bauchĂ© par la concurrence. Il faut entenir compte dans la maniĂšre de nĂ©gocier. Cela vaut tant pour lesecteur privĂ© que pour le secteur public. Ainsi Ă  Opfikon, le pro-moteur de l'initiative contre la mise en valeur d'Oberhauserriet estaujourd'hui le municipal en charge de l'amĂ©nagement du territoire,donc du projet. Les bonnes relations entretenues alors qu'il Ă©taitun opposant profitent aujourd'hui au projet.

● ProcĂ©der par Ă©tapes et de maniĂšre itĂ©rative. Un PPP se prĂ©pareet se construit petit Ă  petit. Il commence nĂ©cessairement parl'harmonisation prĂ©alable des intĂ©rĂȘts des uns et des autres, en

M. Steiger

138

vue de dĂ©boucher sur des prescriptions, des contrats et enfindes rĂ©alisations. C'est pour parvenir Ă  une telle harmonisation queles GebietsrahmenplĂ€ne (sorte de plans directeurs) sont impor-tants. Ils n'ont pas de valeur lĂ©gale mais permettent aux parte-naires publics et privĂ©s de clarifier, prĂ©alablement aux procĂ©durestraditionnelles, les conditions-cadres qui gouverneront le projetqui les occupe. Ces documents condensent les accords obtenusentre le secteur privĂ© et le secteur public et constituent une sortede contrat ou de convention informelle indiquant le chemin qui vaĂȘtre suivi. Par exemple, dans un projet Ă  Dubendorf, des parte-naires publics et privĂ©s ont ainsi Ă©laborĂ© une premiĂšre esquissedes rĂšgles de construction qu'ils souhaitaient retenir pour leurprojet (densitĂ© notamment). Sur cette base, le Conseil de la Villeleur a accordĂ© un soutien de principe.

En travaillant de cette maniÚre, sur une base réellement partena-riale, on crée peu à peu une compréhension mutuelle entre les parte-naires concernés. Les partenaires privés peuvent s'engager et financerles travaux préparatoires. L'engagement du secteur public facilite le trai-tement du dossier tant au niveau des exigences techniques que procé-durales. Il devient alors vraiment un interlocuteur avec lequel on peutparler.

139

Chapitre 9

VERS UNE CONCEPTION PLUS DYNAMIQUEDE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE: LE PROJET «PDE»

Rudolf BURKHALTER

1. ORIGINE DU PROJET «PDE»

En décembre 1989, le Conseil exécutif du canton de Berne a dé-cidé de constituer un groupe de travail chargé d'élaborer un plan secto-riel des PDE (pÎles de développement économique) pour le canton.Pour mieux comprendre cette décision, il est utile de retracer les grandeslignes du développement de l'aménagement dans le canton de Berne.

1.1 Ressources limitées

A la fin des années soixante et au début des années septante,l'aménagement au niveau local, régional et cantonal a connu un en-gouement sans précédent. A cette période, les fameux pronostics dedéveloppement du professeur Kneschaurek de St. Gall projetaient uneSuisse de dix millions d'habitants. C'était dans cette optique qu'une

R. Burkhalter

140

grande partie des communes du canton de Berne, et en particulier lesplus importantes, Ă©laborĂšrent leurs premiers plans de zones. Ils prĂ©-voyaient une capacitĂ© presque sans bornes. Les projets de route etd'Ă©quipement public Ă©taient conçus avec le mĂȘme Ă©tat d'esprit.

1.2 Conflits entre l'aménagement du territoireet la promotion économique

La rĂ©cession au milieu des annĂ©es septante a mis brusquement finĂ  cette euphorie et la crise pĂ©troliĂšre nous a dĂ©montrĂ© que les res-sources Ă©taient limitĂ©es. La croissance ne pouvait pas continuer Ă©ternel-lement. L'amĂ©nagement a Ă©tĂ© rĂ©adaptĂ©: l'orientation vers l'extĂ©rieur et lefutur a Ă©tĂ© abandonnĂ©e au profit d'une orientation vers l'intĂ©rieur. La no-tion de croissance qualitative faisait son apparition. Des paysages furentprotĂ©gĂ©s, ainsi que des sites, des bĂątiments historiques, des forĂȘts oudes marais. Des standards minimaux furent exigĂ©s pour la grandeur deschambres d'enfants, la qualitĂ© de la construction, l'isolation, la protectioncontre le bruit, par exemple. Tous ces dĂ©veloppements de l'amĂ©nage-ment vers l'amĂ©lioration de la qualitĂ© ont Ă©tĂ© perfectionnĂ©s pendant lesannĂ©es quatre-vingts. Les amĂ©nagistes se concentraient, en gĂ©nĂ©ral,sur les problĂšmes de l'habitat, de la protection du paysage et de l'envi-ronnement. En revanche, trĂšs peu de personnes s'intĂ©ressaient alorsaux zones industrielles, au dĂ©veloppement du tertiaire, aux grandesconcentrations de bureaux, Ă  la rĂ©percussion des changements dans lesdistricts industriels sur l'organisation du territoire et aux exigences qui enrĂ©sultaient pour l'amĂ©nagement.

Les conflits entre aménagement et promotion économique devin-rent encore plus aigus, lorsque le canton de Berne décida au milieu desannées quatre-vingts de lancer une grande opération pour la sauve-garde des surfaces agricoles. Les meilleures zones agricoles coïncidantsouvent avec les zones industrielles, l'incompatibilité était manifeste.

C'est sur cet arriĂšre-fond de conflit entre l'amĂ©nagement et la pro-motion Ă©conomique – un conflit sans issue ni gagnant – qu'il faut com-prendre le dĂ©veloppement du projet PDE dans le canton de Berne.

1.3 Regain d'intĂ©rĂȘt pour les transports publics

A cela est venu se greffer un troisiĂšme Ă©lĂ©ment: l'intĂ©rĂȘt, qui semanifeste dĂšs le milieu des annĂ©es quatre-vingts, pour le projet Rail2000 des CFF, pour le RER zurichois et, d'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, pour ledĂ©veloppement de l'ensemble des transports publics. Le Grand Conseildu canton de Berne a dĂ©cidĂ© de dĂ©velopper son propre mini-RER pour

Vers une conception plus dynamique de l'AT

141

l'agglomĂ©ration de la ville de Berne. Ce projet consiste essentiellement Ă relier, au sein d'un mĂȘme rĂ©seau, quatre lignes de chemin de fer Ă  l'ouestet au sud de la ville avec quatre lignes en direction du nord et de l'est. LeRER bernois doit ĂȘtre capable d'absorber une plus grande partie du traficpendulaire. Il doit permettre aussi de dĂ©congestionner le systĂšme rou-tier. La premiĂšre ligne de ce RER est en service, la deuxiĂšme va suivreprochainement, mais la situation financiĂšre prĂ©caire du canton metactuellement des limites sĂ©rieuses Ă  ce projet.

ParallĂšlement, le Grand Conseil a exigĂ© du gouvernement qu'il rĂ©-dige un rapport sur les possibilitĂ©s d'adapter le dĂ©veloppement de l'ur-banisation en fonction de la localisation des lignes du RER, de maniĂšre Ă inciter les gens Ă  utiliser les transports publics. Dans ce rapport, le gou-vernement constatait que le meilleur moyen de rĂ©aliser ce but Ă©tait deconcentrer les places de travail, notamment du secteur tertiaire, dans lesnƓuds du futur systĂšme RER. Il a donc promis d'accompagner l'instaura-tion des lignes RER d'une politique d'amĂ©nagement, qui permettrait ledĂ©veloppement de l'habitat Ă  proximitĂ© des stations RER et la localisationdes places de travail aux nƓuds du transport public. Ce qui semblait ĂȘtre,Ă  premiĂšre vue, une politique logique, simple et facile Ă  exĂ©cuter s'estavĂ©rĂ© ĂȘtre, dans la pratique, une entreprise difficile Ă  mettre en Ɠuvre.

1.4 Passage à une activité cantonale de promotion

Au début des années quatre-vingt-dix, il a fallu admettre que lacroissance qualitative ne suffisait plus, pas plus que l'orientation vers l'in-térieur, zone par zone, village par village. Un canton qui souffre de plusen plus de grands problÚmes économiques a besoin de visions de déve-loppement. Il doit concentrer ses efforts et il ne peut plus se permettrede pratiquer des politiques sectorielles contradictoires.

Dans le domaine du développement industriel, le canton de Bernecommençait à sentir la concurrence des cantons voisins de Fribourg, duJura et de Soleure, notamment, mais aussi de l'Alsace et de la région deBaden-Baden, qui offraient des conditions de plus en plus favorables etattractives pour les industriels. Il fallait donc des visions et des stratégiesde développement qui soient en accord avec les exigences de la pro-tection de l'environnement, d'une part, et qui permettent de promouvoirl'attractivité économique du canton, d'autre part.

Aujourd'hui, nous vivons une Ă©poque oĂč une orientation vers l'ex-tĂ©rieur s'impose de nouveau. Il faut se demander continuellement si lesstructures Ă©conomiques et l'organisation du territoire, les infrastructuresde communication et l'attractivitĂ© des villes, des agglomĂ©rations ou des

R. Burkhalter

142

stations touristiques du canton sont encore compétitives aux niveauxsuisse et européen.

Pour aborder ces questions, il s'est tout d'abord agi d'instaurer unecollaboration entre des offices qui se sont combattus pendant une dé-cennie et de coordonner les décisions stratégiques de ces offices. Lemandat du gouvernement de 1989 était trÚs clair à cet égard: il exigeait laconstitution d'un groupe de travail devant réunir les représentants del'office de l'aménagement, du département de l'économie publique, dela direction des transports et de celle des finances, du délégué au déve-loppement économique ainsi que des associations patronales et dessyndicats.

Mais le conseil exécutif demandait encore davantage. Il voulait éla-borer un plan sectoriel pour les PDE qui précisait les secteurs de planifi-cation, les critÚres d'appréciation, les conditions-cadres des options dedéveloppement, une liste des personnes et des organisations concer-nées, les mesures d'accompagnement possibles, les instruments deplanification prévus, un plan d'action et un plan financier. Le plan secto-riel devait fournir une base pour les négociations avec les communes, lesrégions et les propriétaires fonciers concernés (tout particuliÚrement leschemins de fer), ainsi qu'avec des investisseurs potentiels. Le gouver-nement exigeait aussi que, parallÚlement à l'élaboration du plan sectoriel,un projet pilote aboutisse à la définition et à la réalisation d'un premierpÎle de développement dans la région de Berne.

Le groupe de travail n'avait donc pas les tĂąches habituelles propresaux commissions interdĂ©partementales qui, en gĂ©nĂ©ral, se constituentavec enthousiasme et s'endorment au cours des annĂ©es. Le gouverne-ment a exigĂ© que les premiers pĂŽles de dĂ©veloppement soient dispo-nibles vers 1997 et cela surtout dans la rĂ©gion bernoise, oĂč les pro-blĂšmes sont les plus aigus. C'est la premiĂšre fois que le canton de Bernea dĂ©laissĂ© aussi clairement une planification passive et restrictive pourune gestion active et valorisante du dĂ©veloppement du territoire.

Passons maintenant des grandes décisions et des belles déclara-tions d'intention aux premiers résultats. AprÚs presque trois ans d'activitéau sein du groupe PDE, quelles sont les expériences qui ont été faites?

2. PREMIÈRES EXPÉRIENCES AVEC LE PROJET «PDE»

Il a fallu tout d'abord trouver des sites qui correspondaient aux exi-gences du mandat gouvernemental.

Tous les membres du groupe furent Ă©tonnĂ©s de constater, aprĂšsles premiers travaux, qu'il y avait un grand nombre de sites qui se prĂȘ-

Vers une conception plus dynamique de l'AT

143

taient Ă  cette opĂ©ration et cela Ă  un moment oĂč la pression des milieuxĂ©conomiques et notamment immobiliers Ă©tait encore trĂšs forte, et la dis-ponibilitĂ© des terrains rĂ©duite.

En approfondissant un peu plus les travaux, il apparut que la grandemajoritĂ© des terrains, qui convenaient au dĂ©veloppement, faisaient l'ob-jet de travaux de planification depuis des annĂ©es. Le cas le plus typiquerelevait d'un vĂ©ritable cercle vicieux: la planification des routes bloquaitdes dĂ©cisions d'amĂ©nagement, lesquelles empĂȘchaient l'Ă©laboration deprojets de bĂątiments qui, Ă  leur tour, interdisait toute rĂ©alisation, y com-pris la planification des routes... Dans tous les cas, les dĂ©cisions nĂ©ces-saires Ă  l'avancement du dossier relevaient de la compĂ©tence d'institu-tions et d'offices trĂšs diffĂ©rents. Parfois mĂȘme, des offices, Ă  l'intĂ©rieurde l'administration cantonale, dĂ©fendaient des intĂ©rĂȘts contradictoires.Cela Ă©tait incomprĂ©hensible pour les communes concernĂ©es. De plus,les CFF Ă©taient souvent impliquĂ©s. Or, ceux qui ont dĂ©jĂ  travaillĂ© aveceux savent combien il est difficile d'obtenir des engagements et des dĂ©-cisions claires de la part de ce «dragon» aux multiples visages.

Tandis que l'aménagement traditionnel se contentait de définir leszones, les plans partiels ou les rÚglements de construction, il s'est avérénécessaire de passer à une promotion plus active, pour accélérer la prisede décisions qui s'imposait et pour dépasser les impasses qui bloquaientle développement de beaucoup de terrains.

2.1 VĂ©rification de l'existence d'une concurrenceentre les communes

La premiÚre prise de contact avec les communes concernées aconstitué une phase décisive. Les communes étaient habituées à uncanton-patron. Elles attendaient qu'il décrÚte la création de PDE. Mais ladémarche retenue fut bien différente. DÚs le début, les experts insistÚ-rent, auprÚs des communes et des autres agents et offices concernés,qu'ils n'étaient là que pour encourager les activités de coordination etpour apporter un soutien dans les questions de planification ou de pro-motion des sites. Ils précisÚrent aussi qu'ils n'interviendraient pas sansl'autorisation expresse, voire sans la demande, des communes con-cernées.

En général, les communes bernoises ne sont pas trÚs intéressées àla création de zones d'activités. Celles-ci ne rapportent pas de grands re-venus fiscaux. Chaque commune préfÚre laisser à ses voisines le soind'implanter une zone d'activités. Elle préfÚre offrir des zones d'habitatpour attirer les cadres et les chefs d'entreprises ou de bureaux.

R. Burkhalter

144

A cause de cela, il a fallu s'assurer de l'existence d'une certaineconcurrence entre les communes pour la promotion de sites d'implanta-tion prometteurs. Heureusement, le premier tour d'horizon montra que lecanton de Berne possĂ©dait plus de sites susceptibles d'ĂȘtre dĂ©veloppĂ©spar les communes que l'Ă©conomie bernoise ne pouvait en occuper. Il adonc Ă©tĂ© possible de faire des choix et de soutenir surtout les com-munes qui Ă©taient les plus motivĂ©es Ă  appuyer les objectifs du canton.Dans cette phase, le rĂŽle du canton a souvent consistĂ© Ă  lancer un projetet Ă  amĂ©liorer les processus de coordination en cours, en utilisant son in-fluence pour essayer de dĂ©bloquer des situations qui paraissaient sansissues depuis longtemps. Le canton offrait tout simplement ses bonsservices en participant au financement des Ă©tudes prĂ©liminaires et enprĂ©parant les dĂ©cisions Ă  prendre au niveau communal.

Pendant presque une année, les représentants du canton, c'est-à-dire le représentant du gouvernement ou un premier secrétaire d'unedes directions concernées, ont voyagé dans les communes les plus im-portantes pour expliquer le projet PDE et convaincre les responsablescommunaux de se joindre aux efforts du gouvernement.

AprĂšs quinze mois de travail, le gouvernement a pu tirer le premierbilan de ses activitĂ©s: il y a plus d'une trentaine de sites, susceptiblesd'ĂȘtre dĂ©veloppĂ©s, oĂč les communes sont prĂȘtes Ă  collaborer. Les res-ponsables communaux (en gĂ©nĂ©ral les prĂ©sidents communaux), qui par-ticipaient Ă  la confĂ©rence de presse du gouvernement, ont utilisĂ© ce fo-rum pour faire connaĂźtre et promouvoir leurs zones d'activitĂ©s. C'est ainsique, par exemple, les reprĂ©sentants de la ville de Berne ont constatĂ©qu'il y avait un grand nombre de communes prĂȘtes Ă  accueillir des officesde la ConfĂ©dĂ©ration, tout en sachant que celle-ci ne paie pas d'impĂŽts.Un premier but Ă©tait donc acquis: la compĂ©tition entre les communespour le dĂ©veloppement de pĂŽles de croissance Ă©conomique est unerĂ©alitĂ©. Il n'est donc pas nĂ©cessaire que le canton dĂ©crĂšte le dĂ©veloppe-ment de zones d'activitĂ©s stratĂ©giques. Mais, il peut offrir son soutien auxcommunes qui sont rĂ©ellement convaincues et motivĂ©es.

2.2 Formation de managers de projets complexes

AprÚs cette premiÚre tentative de faire démarrer le projet, les pro-blÚmes sont devenus plus concrets: comment maintenir une pressionsur les communes pour que l'opération continue? Comment surveiller leprogrÚs des projets particuliers dans les communes?

En raison des pressions politiques, il a fallu chercher des pÎles dedéveloppement dans chaque région du canton. Mais le canton n'a pasles moyens de promouvoir tous ces sites. On doit alors faire un choix. Et

Vers une conception plus dynamique de l'AT

145

les critÚres de ce choix ont été définis par le groupe de travail PDE de lamaniÚre suivante:

Il faut concentrer les efforts● sur les endroits stratĂ©giques;● sur les communes oĂč l'engagement est rĂ©el.

Mais le nombre de sites qui peuvent ĂȘtre dĂ©veloppĂ©s dĂ©pend es-sentiellement du personnel Ă  disposition. MĂȘme si des moyens illimitĂ©sĂ©taient disponibles et si les communes dĂ©bordaient toutes d'enthou-siasme pour le projet PDE, la restriction la plus sĂ©rieuse rĂ©siderait dans lefait qu'il y a trĂšs peu de personnes Ă  disposition, capables de faire dĂ©mar-rer et de guider un projet de cette envergure. D'aprĂšs notre expĂ©rience,une personne bien formĂ©e dans le domaine du management de projetscomplexes ne peut gĂ©rer que cinq ou six projets locaux. L'office del'amĂ©nagement du territoire ayant seulement deux personnes Ă  disposi-tion, le calcul est vite fait. Pour augmenter l'impact et les possibilitĂ©s del'opĂ©ration, il a fallu alors former et motiver d'autres collaborateurs de l'of-fice de l'amĂ©nagement. Ceci s'est avĂ©rĂ© assez difficile: qui a l'habitude,depuis des annĂ©es, de surveiller des planifications traditionnelles a degrandes difficultĂ©s Ă  adopter, du jour au lendemain, un rĂŽle plus actif.Dans les cours de formation qui ont Ă©tĂ© organisĂ©s, les collaborateurs ontclairement exprimĂ© les limites imposĂ©es par leur travail quotidien maisaussi leur peur de s'exposer.

Ce dernier Ă©lĂ©ment psychologique est trĂšs important. Le collabora-teur qui veut faire la promotion d'un site doit ĂȘtre personnellementconvaincu par le projet PDE. Il doit avoir une expĂ©rience professionnelleapprofondie et il doit avoir un certain plaisir Ă  faire bouger les choses. Ilest trĂšs dangereux de commencer un projet sans avoir Ă  disposition lesmoyens financiers nĂ©cessaires et le personnel rĂ©pondant aux exigencesd'une opĂ©ration souvent complexe.

Aujourd'hui, une bonne douzaine de projets sont en marche. Et denouveaux sont en train de démarrer.

Le premier objectif consiste toujours Ă  mettre sur pied un plan direc-teur pour chaque site local. L'exemple d'une planification concrĂšte, encours pour la gare de Berne, permettra d'expliquer pourquoi l'Ă©laborationd'un plan directeur est si importante.

3. EXEMPLE DE «PDE»: LA GARE DE BERNE

Le projet le plus important – c'est le projet pilote de toute l'opĂ©rationPDE – est le Masterplan (plan directeur) de la gare de Berne que j'ai

R. Burkhalter

146

l'honneur d'élaborer sous la direction de A. Wirth, délégué de la ville deBerne pour ce projet.

3.1 Organisation et cahier des charges

Tout projet commence avec une bonne organisation et un cahierdes charges précis.

En ce qui concerne l'organisation, nous sommes devenus assezstricts, suite Ă  de mauvaises expĂ©riences. Tous les projets PDE doiventavoir la mĂȘme structure organisationnelle, c'est-Ă -dire une direction poli-tique et un organe technique bien sĂ©parĂ©s. Nous ne voulons pas d'or-ganisation oĂč l'Ă©laboration technique est mĂȘlĂ©e aux dĂ©cisions politiques.

Le cahier des charges est le second élément qu'il faut régler rapi-dement. A l'intérieur d'un périmÚtre de planification, les compétencesdes différents partenaires de l'opération sont réduites. Le cahier descharges définit les compétences et les responsabilités des organes deplanification, et les limites à l'autonomie de chacun (y compris la com-mune). Ceci est trÚs important. Lorsque le cahier des charges n'est pasclairement établi, les risques sont grands de connaßtre par la suite desconflits de compétences. Le cahier des charge définit les libertés quidemeurent (par exemple, chaque partenaire peut continuer à faire desinvestissements qui s'amortissent en cinq ans), le fonctionnement desprises de décision, les rÚglements financiers, les responsabilités pour lesmandats. Des rÚgles simples, centralisées et facilement contrÎlablessont préférables. Sur cette base, les partenaires d'un aménagement par-ticulier peuvent se mettre d'accord sur un financement, un plan de travailet les délais.

3.2 Etude préliminaire

Pour la gare de Berne nous avons élaboré d'abord une phase pré-paratoire. Il s'agissait alors de connaßtre tous les problÚmes dans le péri-mÚtre de planification, avant d'envisager des solutions. Cette phase aabouti à un rapport qui comprenait tous les problÚmes existants dans lepérimÚtre et les options possibles pour un développement futur.

Ce rapport a servi à la discussion publique. La question posée auxpartis politiques ou aux organisations de tout genre était simple: voyez-vous la nécessité d'élaborer un Masterplan?

La rĂ©ponse fut nette: le conseil de la ville de Berne a dĂ©cidĂ© parsoixante-quatre voix contre zĂ©ro de libĂ©rer les crĂ©dits nĂ©cessaires. Lessix autres partenaires ont fait de mĂȘme et le 1er janvier 1992 nous Ă©tionsen mesure de commencer nos travaux. Un budget de 2,4 millions de

Vers une conception plus dynamique de l'AT

147

francs fut mis à notre disposition et nous avons promis que le plan direc-teur serait publié le 7 mai 1993, lors d'une conférence de presse. Cettepromesse fut tenue, évidemment.

3.3 Objectifs du projet

A partir des intĂ©rĂȘts des sept partenaires, les buts du Masterplan ontĂ©tĂ© clairement dĂ©finis:

● il s'agit de crĂ©er un PDE sur la gare de Berne offrant un nombresignificatif de places de travail;

● les problĂšmes rĂ©sultant de l'introduction de Rail 2000 et du RERdoivent ĂȘtre rĂ©solus et il faut amĂ©liorer sensiblement le fonction-nement de tous les moyens de transports publics;

● une solution doit ĂȘtre trouvĂ©e pour le trafic automobile afin decrĂ©er, par la suite, des espaces nouveaux pour les piĂ©tons et afind'amĂ©liorer la qualitĂ© urbaine autour de la gare.

AprÚs un an de travail intense avec une équipe de spécialistes, quicomprenait plus de cinquante mandataires, une solution a été dégagéequi semble répondre à tous ces buts.

Il ne s'agit pas ici de l'expliquer, mais plutÎt de montrer, dans cecontexte, quel a été le rÎle de la planification directrice dans cette opé-ration.

3.4 Importance de la planification directrice

Pour nous, le plan directeur, avec sa portée juridique bien définiedans notre loi cantonale, est l'instrument déterminant pour l'ensembledes travaux.

L'idée directrice qui guide l'élaboration du contenu des plans est dene jamais porter les efforts sur une seule carte. Les réalisations prévuesont été divisées en une dizaine d'éléments bien séparés. Si un de ceséléments est bloqué, ce n'est pas un désastre. Il en reste toujours neufautres!

Mais plus on divise un projet pour des raisons pratiques ou par op-portunité politique, plus on est obligé d'avoir la garantie que tous les par-tenaires respecteront la conception globale. Cette conception globaledétermine donc le contenu du plan directeur. Ce plan directeur, qui aune valeur contraignante pour les collectivités publiques, définit les élé-ments clefs du réaménagement prévu (par exemple, les nouveaux bùti-ments, le systÚme routier, les espaces libérés) et la suite des opérations(plan de réalisation).

R. Burkhalter

148

Le plan directeur devient ainsi un contrat entre les partenaires. Ilcomprend quatre éléments:

● la conception urbaine;● le plan de trafic (public et privĂ©);● le plan d'affectation;● le plan de rĂ©alisation.

Ces documents sont divisés en trois catégories d'une portée juri-dique différenciée:

● Information prĂ©alable: c'est la catĂ©gorie la moins contraignante.Les partenaires se limitent Ă  une information prĂ©alable en cas derĂ©alisation ou de changement de projet.

● Projet Ă  Ă©laborer: c'est la catĂ©gorie la plus importante. Il s'agit deprojets sur lesquels les partenaires se sont mis d'accord en prin-cipe, mais qui restent Ă  Ă©laborer. La valeur juridique de cette catĂ©-gorie porte essentiellement sur la dĂ©finition de la suite des travauxnĂ©cessaires et des responsabilitĂ©s engagĂ©es.

● Projet dĂ©fini: c'est une catĂ©gorie utilisĂ©e pour des projets dont lecontenu est clair et acceptĂ© par tous les partenaires. La suite destravaux est Ă©galement dĂ©finie.

Le plan directeur, tel qu'il est défini dans les lois fédérale et canto-nale, est l'instrument idéal pour promouvoir des projets complexes avecbeaucoup de partenaires. Le plan directeur, s'il est accepté par tous lespartenaires, est le seul instrument de coordination, prévu dans notre lé-gislation, apte à gérer des procédures trÚs différentes comme, parexemple, un plan partiel d'affectation de compétence communale et uneprocédure de droit fédéral relative aux voies des chemins de fer.

Une conception plus dynamique de l'aménagement est donc étroi-tement liée à l'utilisation de cet instrument de coordination magnifique,que le législateur a mis à notre disposition. De plus, nos législateurs onteu la générosité de nous laisser une grande liberté dans la conception etl'application de cet instrument tout en définissant clairement sa portéejuridique, contraignante pour les collectivités publiques. Il ne reste plusqu'à nous en servir avec imagination et persévérance.

149

Chapitre 10

EXEMPLE DE PPP ENTREL'ÉTAT, UNE ENTREPRISE INTÉGRALE ET UNE BANQUE:

LE PROJET DU ZÉNITH À GENÈVE

Bernard BOURQUIN, François REINHARD et Bernard VERDIER1

1. INTRODUCTION

Dans la période de réajustements organisationnels que nous vivonsau sein de notre société, de nouveaux espaces de transactions entrel'Etat et le secteur privé voient le jour. Ces nouveaux horizons octroientde nouveaux droits, impliquent de nouvelles responsabilités, et nécessi-tent de nouvelles rÚgles du jeu entre les acteurs des secteurs public etprivé. Ensemble, ils doivent développer de nouvelles relations de parte-nariat afin de tenter d'apporter des solutions originales à des problÚmesrestés jusqu'ici sans réponse. Parmi ceux-ci, certaines infrastructuressemblent présenter un premier espace de transaction prometteur. La

1 Le texte qui suit a été partiellement remis en forme par Philippe Bellwald,S.A. Conrad Zschokke, Région GenÚve.

B. Bourquin, F. Reinhard et B. Verdier

150

salle polyvalente de spectacles du Zénith à GenÚve, qui est présentédans les lignes qui suivent, en fournit sans doute une illustration signifi-cative.

2. STRATÉGIE ET POINTS DE VUE DES TROIS PARTENAIRES

2.1 Point de vue de l'Etat

Depuis un certain nombre d'annĂ©es, l'Etat connaĂźt des difficultĂ©s fi-nanciĂšres croissantes. On constate que ce phĂ©nomĂšne touche l'en-semble des collectivitĂ©s publiques (ConfĂ©dĂ©ration, cantons, com-munes). La diminution des revenus de l'Etat, liĂ©e Ă  la mauvaise conjonc-ture Ă©conomique et Ă  l'Ă©clatement de ses charges (intĂ©rĂȘts de la dette,indemnitĂ© chĂŽmage, aide aux personnes ĂągĂ©es, par exemple), acontraint les collectivitĂ©s publiques Ă  faire des Ă©conomies. Les investis-sements pour la construction d'ouvrages publics n'y Ă©chappent pas. Ilssont en nette rĂ©gression.

Se rendant bien compte qu'en période de mauvaise conjoncture,l'Etat devrait, au contraire, augmenter ses investissements pour faciliter larelance, il cherche alors d'autres sources de financement, en dehors dela «manne» fiscale.

Le PPP (partenariat public-privĂ©) est certainement l'un des moyensĂ  disposition pour dĂ©velopper de nouvelles infrastructures publiques,permettant par la mĂȘme occasion de relancer le monde de la construc-tion, actuellement en pleine dĂ©rive.

2.2 Point de vue du constructeur, la S.A. Conrad Zschokke

PionniÚre de l'«entreprise intégrale» en Suisse, la S.A. ConradZschokke veut se démarquer de ses concurrents en offrant une valeurajoutée plus élevée aux projets qu'elle développe. Pour ce faire, elleévolue en direction d'une combinaison de prestations de travaux et deprestations de services de qualité, afin de réaliser des ouvrages clé enmain dans les délais impartis et avec garantie de coût.

Par son approche du marché, en tant qu'«entreprise intégrale», laS.A. Conrad Zschokke aborde les projets trÚs à l'amont de leur réalisa-tion, lorsque les options retenues influencent encore considérablementle projet. Dans le cas du PPP, cette approche prend toute sa valeur. Ellepermet de trouver des solutions originales, spécifiques et appropriées àchaque projet. Ces solutions ne peuvent aboutir que si les acteurs en-tretiennent des relations de confiance mutuelle et que s'ils sont fiables,ce qui est sans aucun doute le cas de la S.A. Conrad Zschokke, dont la

Exemple de PPP entre l'Etat, une entreprise intégrale et une banque

151

compétence en pilotage de projets dÚs le début de la planification, lasanté et la solidité financiÚres en font un partenaire recherché et appré-cié. Sa filiale GEPA (Général Parking), spécialisée dans la réalisation deparkings clé en main, en est un exemple depuis plus de 20 ans.

2.3 Point de vue du bailleur de fonds, la SBS

Le PPP n'est pas un concept nouveau: les banquiers ont toujoursfinancé les gouvernements et, inversement, les gouvernements ontsouvent offert aux banques des possibilités de placement. Cependant,ce partenariat s'est toujours situé dans un cadre global: les banquiers eneffet prenaient un risque sur l'Etat et non sur les investissements quel'Etat entendait promouvoir avec des fonds empruntés.

Le PPP dont on parle aujourd'hui est plus ciblĂ© dans la mesure oĂčl'entitĂ© publique et la(les) sociĂ©tĂ©(s) privĂ©e(s) accepte(nt) de partager lesrisques de toute nature sur un investissement spĂ©cifique.

Comme il n'est pas dans la vocation de l'Etat, du moins en économiede marché, d'intervenir dans les domaines industriels et commerciaux,c'est essentiellement dans le domaine du développement des infrastruc-tures que ce partenariat va s'enraciner. Pour certaines écoles de pen-sée, cette intrusion du privé dans un domaine jusqu'alors contrÎlé ex-clusivement par l'Etat pose un important problÚme de philosophie poli-tique. En s'associant au privé, l'Etat n'abandonne-t-il pas une partie de sasouveraineté? A cela on peut répondre deux choses:

● la dĂ©cision de dĂ©velopper ou non ce type d'infrastructure conti-nue Ă  appartenir Ă  l'Etat;

● seul un certain type d'infrastructure, dont le caractĂšre de bienpublic est trĂšs diluĂ©, peut faire l'objet d'un partenariat.

Ce dernier point mĂ©rite quelques explications. Traditionnellement,pour identifier les biens (investissements) qui peuvent faire l'objet d'unfinancement public, on distingue les biens divisibles des biens indivi-sibles. Les biens indivisibles sont ceux du bĂ©nĂ©fice desquels personnene peut ĂȘtre exclu. Ainsi en est-il de la justice ou de la dĂ©fense. Aucun ci-toyen ne pouvant ĂȘtre exclu du bĂ©nĂ©fice de tels biens, personne nonplus ne paiera pour les utiliser. Ainsi donc la production de tels biens nepourra ĂȘtre financĂ©e que par l'impĂŽt. On peut Ă©tendre ce concept aux in-frastructures en considĂ©rant que personne ne peut ĂȘtre exclu de l'accĂšsĂ  l'Ă©ducation, aux soins hospitaliers, au rĂ©seau routier, par exemple.

Cette extension du concept devient cependant beaucoup plus dif-ficile lorsque l'infrastructure considérée ne bénéficie qu'à un groupebien ciblé de citoyens. Ainsi en est-il du tunnel sous la Manche parexemple, ou de Swissmetro si le projet voit le jour. On peut alors s'inter-

B. Bourquin, F. Reinhard et B. Verdier

152

roger sur l'opportunité, si ce n'est la légitimité, d'un financement exclusi-vement public de tels investissements. Laisser le financement partiel outotal de telles infrastructures au secteur privé ne devrait écorner en rien,dans une économie de marché, la souveraineté de l'Etat.

C'est donc exclusivement dans le cadre de ce type d'investisse-ment qu'un PPP pourra se développer, et cela d'autant plus que lesusagers de tels services d'infrastructure seront solvables et donc ca-pables de payer un prix qui permettra d'assumer les investissements.

Le dĂ©veloppement du PPP n'aurait cependant pu se concrĂ©tisersans le dĂ©veloppement parallĂšle d'une technique financiĂšre spĂ©cifique:le financement de projet. Sans entrer dans les dĂ©tails de cette tech-nique, il suffit de dire que la caractĂ©ristique essentielle de ce finance-ment est que les garanties sur lesquelles il repose sont apportĂ©es par lecash-flow qu'il gĂ©nĂšre. Au mĂȘme titre que le capital-risque, le finance-ment de projet est donc un pari sur l'avenir. Il ne peut en effet en ĂȘtre au-trement car, par essence, un projet tel que le ZĂ©nith ne peut avoird'«histoire financiĂšre» sur laquelle baser un jugement de crĂ©dit. Il n'aqu'un futur.

Pour limiter au maximum les risques liés à un tel pari, le bailleur defonds privé s'entoure donc de nombreuses précautions et va s'efforcer,autant que faire se peut, de ventiler les risques sur les participants auprojet qui sont les plus aptes à les assumer. Ainsi, le risque de construc-tion (dépassement de coûts) sera-t-il reporté sur le constructeur en luidemandant de s'engager sur les coûts, les délais et la qualité techniquede l'ouvrage, le risque administratif sur l'Etat en lui demandant de s'en-gager sur la bonne fin des procédures d'autorisation de construction,d'exploitation, etc., le risque géologique sur les compagnies d'assu-rance, le risque d'exploitation sur l'exploitant de l'ouvrage en lui deman-dant d'adhérer à des critÚres de qualité, de rendement et de solvabilitéfinanciÚre et ainsi de suite pour chaque risque identifié. Bien entendu, ilrestera toujours des risques résiduels que le bailleur de fonds privé de-vra assumer en dernier ressort.

3. HISTOIRE ET NATURE DU PROJET

3.1 GenĂšse de la proposition jusqu'Ă  fin 1992

DÚs 1984, des représentants d'une société organisatrice deconcerts en Suisse romande ont lancé publiquement l'idée de construireune salle polyvalente de type «Zénith» à GenÚve. A cette époque, au-cune salle n'était équipée tant quantitativement que qualitativement pouraccueillir, à GenÚve, des spectacles de variétés d'une certaine impor-

Exemple de PPP entre l'Etat, une entreprise intégrale et une banque

153

tance, à telle enseigne que ceux-ci étaient organisés, pour l'essentiel,en dehors du canton de GenÚve, en Suisse romande, et dans des infra-structures inadaptées (salles de congrÚs, patinoires, notamment).

Le problÚme le plus complexe consistait à trouver un terrain sur leterritoire du canton de GenÚve. Pour assurer la viabilité du projet, il étaitnécessaire que l'Etat mette à disposition un terrain en droit de superficie.

En 1986, une S.A. pour la promotion, la construction et l'exploita-tion d'une salle polyvalente (sports et spectacles) est crĂ©Ă©e, sous la rai-son sociale Pro-ZĂ©nith SA. En 1987, la presse genevoise annonce leprojet de crĂ©er une salle polyvalente de 8 000 places Ă  GenĂšve. LamĂȘme annĂ©e, un comitĂ© de soutien au projet se constitue. Il est com-posĂ© de nombreuses personnalitĂ©s locales et Ă©trangĂšres.

ParallÚlement, les autorités cantonales (Départements des travauxpublics et de l'intérieur et de l'agriculture) sont contactées en vue de re-chercher le site adéquat. Plusieurs lieux sont envisagés, sans succÚs.En été 1991, le Département des travaux publics mandate un bureaud'architectes pour faire une étude de faisabilité d'une salle polyvalentede spectacles sur un terrain, propriété de l'Etat de GenÚve, situé àproximité de l'aéroport de GenÚve-Cointrin et de Palexpo (Palais des ex-positions).

En automne 1991, le Grand Conseil genevois est saisi d'une de-mande de crédit pour l'étude de la construction d'une nouvelle hallepour Palexpo, d'un parking souterrain et d'une salle de spectacles.L'emplacement choisi est idéal, puisqu'il se situe à proximité immédiatede l'aéroport, de l'autoroute et de la gare CFF, dans une zone dépour-vue d'habitations. Il permet la réalisation:

● d'une halle d'exposition, dite «halle 7», pour rĂ©pondre aux be-soins de Palexpo – notamment pour lui permettre d'accueillir Tele-com 1995;

● une salle polyvalente de spectacles d'une capacitĂ© de 6 000places accolĂ©e Ă  la halle – mais sĂ©parĂ©e par une cloison amoviblepermettant d'exploiter les deux bĂątiments, soit indĂ©pendammentl'un de l'autre, soit en bĂ©nĂ©ficiant de la profondeur de la halle;

● d'un parking souterrain de plusieurs niveaux (environ 600 places).

Le 23 janvier 1992, le Grand Conseil genevois libÚre un crédit de Fr.3.85 mio. pour l'étude de ces trois ouvrages.

Lors des discussions devant les Commissions parlementaires, l'idĂ©ede trouver des professionnels pour exploiter la salle polyvalente despectacles et des investisseurs privĂ©s pour la rĂ©aliser est Ă©voquĂ©e Ă  plu-sieurs reprises. En effet, l'Etat de GenĂšve ne peut pas assumer seul lefinancement total d'un tel ouvrage et il n'est pas intĂ©ressĂ© Ă  exploiter lui-mĂȘme une salle de spectacles.

B. Bourquin, F. Reinhard et B. Verdier

154

La Commune du Grand-Saconnex accueille favorablement le projet,malgrĂ© les nuisances supplĂ©mentaires que cela risque d'engendrer. Elledemande toutefois de tout mettre en Ɠuvre pour la construction d'unparking d'environ 1 000 Ă  1 500 places.

Le 12 mars 1992, le Grand Conseil libÚre les crédits nécessaires à laconstruction et à l'équipement d'une nouvelle halle de Palexpo. Il est àrelever que la majorité du Conseil d'Etat s'oppose à la réalisationconjointe de la salle polyvalente de spectacles et refuse la demande duDépartement des travaux publics de présenter la participation de Fr.10 mio. au Grand Conseil, montant qui représenterait la part de l'Etat auprojet du «Zénith».2

Face au refus du Conseil d'Etat de présenter ce projet au GrandConseil, le monde politique genevois réagit rapidement et s'organise.

Tout d'abord, une motion, signĂ©e par de nombreux dĂ©putĂ©s, estadressĂ©e au Grand Conseil en septembre 1992. Elle invite le Conseild'Etat Ă  soumettre au Grand Conseil un projet de loi portant sur la rĂ©alisa-tion de la salle polyvalente de spectacles. Un autre groupe de dĂ©putĂ©sdemande, sous la forme d'une autre motion, de rechercher un autre siteplus appropriĂ©, notamment dans la rĂ©gion lĂ©manique, et d'Ă©tudierd'autres possibilitĂ©s de financement – soit par une sociĂ©tĂ© d'Ă©conomiemixte, soit par des fonds privĂ©s – qui n'entraĂźneraient aucune chargepour les finances cantonales.

Puis, une pétition, munie de plusieurs centaines de signatures, estadressée au Grand Conseil, en octobre 1992. Elle lui demande de toutentreprendre pour faire aboutir le projet de salle polyvalente de spec-tacles et de libérer les fonds nécessaires à cet effet.

Lors du dĂ©bat final devant le Parlement, le Chef du DĂ©partementdes travaux publics explique les diverses modalitĂ©s pour la construction,le financement et l'exploitation de cette salle de spectacles. Une struc-ture identique Ă  celle retenue pour Palexpo est proposĂ©e, Ă  savoir uneFondation immobiliĂšre mixte, propriĂ©taire du bĂątiment, qui serait mise aubĂ©nĂ©fice d'un droit de superficie, d'une part, et une sociĂ©tĂ© privĂ©e char-gĂ©e de l'exploitation de la salle, formĂ©e de professionnels du spectacleet du sport, d'autre part. Ainsi, Etat et secteur privĂ© collaboreraient pourmettre Ă  disposition des jeunes et des moins jeunes la salle dont ils rĂȘ-vent depuis longtemps. La majoritĂ© s'accorde Ă  trouver le lieu idĂ©al, vu laproximitĂ© des transports en commun par air, rail et route et l'absence devoisinage.

Lors de la discussion finale, les députés apprennent que la société

2 Il est assez cocasse de noter que les partis de droite, majoritaires auConseil d'Etat, s'opposent à cette salle de spectacles tout en prÎnant lemoins d'Etat et le recours à l'industrie privée.

Exemple de PPP entre l'Etat, une entreprise intégrale et une banque

155

qui exploite Palexpo, Orgexpo, est opposĂ©e Ă  la rĂ©alisation de la salle despectacles. Elle craint les difficultĂ©s, en termes d'accĂšs, de pĂ©riode demontage des expositions, de concurrence ou de nuisances, que pour-rait entraĂźner la cohabitation de deux Ă©quipements diffĂ©rents sur unmĂȘme site. De plus, la sociĂ©tĂ© de l'aĂ©roport de Cointrin est inquiĂšte de laprĂ©sence d'une telle activitĂ© Ă  proximitĂ© immĂ©diate de ses installations(risques de dĂ©prĂ©dations provoquĂ©es par la jeunesse venant auxconcerts, disparition d'un terrain de rĂ©serve pour une Ă©ventuelle exten-sion des bĂątiments aĂ©roportuaires).

Il est aussi Ă  relever qu'il n'existe aucun autre lieu oĂč construire unesalle de ce genre. Il est impossible de l'envisager en zone industrielle, nien zone agricole. En tout autre endroit, il faudrait crĂ©er des parkings etassurer une desserte par les transports en commun qui impliqueraientd'importants investissements.

Fort de ce qui précÚde, la majorité du Grand Conseil présente unamendement consistant à rajouter un montant de Fr. 10 mio. au créditde construction demandé par le Conseil d'Etat pour la halle d'exposition,afin d'y inclure la construction de la salle polyvalente de spectacles. Cettesomme permet de couvrir une partie des frais de construction et d'équi-pement de la salle polyvalente de spectacles. Il est admis que le soldeest à la charge de partenaires publics ou privés.

Le 2 octobre 1992, le Grand Conseil libÚre le crédit demandé. Ilpose toutefois deux conditions. Le crédit sera débloqué lorsque le soldeaura été trouvé auprÚs des différents partenaires, et lorsque leParlement aura reçu l'assurance que le budget d'exploitation sera équili-bré, sans que l'Etat n'intervienne.

Le 18 décembre 1992, une offre concrÚte de partenariat est adres-sée au Conseil d'Etat par la S.A. Conrad Zschokke, Daniel Perroud Orga-nisation, M. Michael Drieberg et la SBS (Société de Banque Suisse).

3.2 Présentation du périmÚtre de Palexpo

L'extension de Palexpo comprend:● une nouvelle halle d'exposition, dite «halle 7»;● une passerelle de liaison couverte, reliant la nouvelle «halle 7»

aux cinq halles existantes de Palexpo;● un parking souterrain.

Ces ouvrages sont situĂ©s Ă  proximitĂ© immĂ©diate de:● l'aĂ©roport international de GenĂšve-Cointrin;● la gare CFF de Cointrin;● l'autoroute (RN 1A).

B. Bourquin, F. Reinhard et B. Verdier

156

Sur le mĂȘme site, seront rĂ©alisĂ©s:● un musĂ©e international de l'automobile;● une salle polyvalente de spectacles, dite le ZĂ©nith.

Halle 7

MaĂźtre del'ouvrage:

DĂ©partement des travaux publics, direction desbĂątiments.

Dimensions etconstruction:

Surface d'exposition d'environ 16 000 m2 deplancher;hauteur libre d'environ 12 m;volume SIA d'environ 260 000 m3;façades et vitrages en acier et aluminium;toiture en bois avec 21 fermes en lamellé-collé.

Coût estimatif: Fr. 42.5 mio. environ, équipements y compris.Financement: Etat de GenÚve et Fondation de Palexpo.Durée des travaux: De février 1993 au printemps 1995.

Passerelle couverte

MaĂźtre del'ouvrage:

DĂ©partement des travaux publics, direction desbĂątiments.

Dimensions etconstruction:

Longueur de 100 m environ;largeur de 6 m;structure portante en acier;façades et toiture en verre et aluminium.

Coût estimatif: Fr. 5 mio.Financement: Etat de GenÚve.Durée des travaux: De mars 1994 au printemps 1995.

Parking

MaĂźtre del'ouvrage:

Fondation pour la construction et l'exploitation deparcs de stationnement, dite Fondation desparkings.

Dimensions etconstruction:

Construction en sous-sol sur 3 niveaux sous lapartie sud-ouest de la «halle 7» et sous la sallepolyvalente de spectacles;capacité d'environ 1 000 places.

Coût estimatif: Fr. 13 mio. environ.Financement: Etat de GenÚve et Fondation des parkings.Durée des travaux: De novembre 1992 à mars 1994.

Exemple de PPP entre l'Etat, une entreprise intégrale et une banque

157

Salle polyvalente de spectacles, dite le ZĂ©nith

MaĂźtre del'ouvrage:

Fondation mixte pour la création d'une salle poly-valente de spectacles.

Dimensions etconstruction:

Capacité maximale d'environ 10 000 personnes;volume SIA d'environ 100 000 m3.

Coût estimatif: Fr. 22.7 mio., y compris part d'équipement.Financement: Etat de GenÚve, Ville de GenÚve, SBS.Durée des travaux: De février 1994 à août 1995.

Musée international de l'Automobile

MaĂźtre del'ouvrage:

Fondation du Musée international del'automobile.

Dimensions etconstruction:

Construction sur 2 niveaux sous la partie nord-estde la «halle 7»;surface d'exposition d'environ 14 000 m2;volume SIA d'environ 75 000 m3.

Coût estimatif: Fr. 17.8 mio. environ.Financement: Fonds privés.Durée des travaux: De février 1994 au printemps 1995.

3.3 DĂ©veloppement du projet de la salle de spectacles

Généralités

L'offre conjointe de la S.A. Conrad Zschokke, de Daniel PerroudOrganisation, de M. Michael Drieberg et de la SBS a été retenue, en rai-son de la qualité de chaque partenaire. Le pilote est une grande entre-prise de la construction, financiÚrement solide, qui propose de réaliser leprojet en entreprise générale. La banque est en mesure d'assurer le fi-nancement du solde du coût de construction de la salle. Quand auxdeux autres partenaires, ils sont connus pour leurs compétences d'or-ganisateur, l'un pour les spectacles musicaux et l'autre pour les manifes-tations sportives. Tous deux apportent en outre leurs connaissances enmatiÚre de gestion de salle.

Le Conseil d'Etat est d'accord de concĂ©der un droit de superficiegratuit Ă  une Fondation mixte de droit privĂ©, pour une durĂ©e de 80 ans.Cette Fondation sera composĂ©e de reprĂ©sentants de l'Etat et de la Villede GenĂšve – cette derniĂšre a acceptĂ© d'allouer un crĂ©dit d'investisse-ment de Fr. 3 mio. pour le projet – et de reprĂ©sentants des partenairesprivĂ©s.

B. Bourquin, F. Reinhard et B. Verdier

158

La Fondation mixte sera liée à une S.A. d'exploitation et de gé-rance, constituée des partenaires privés, et à laquelle les pouvoirs pu-blics ne participeront pas, si ce n'est comme observateurs, au niveau duConseil d'administration.

Le coût total de construction, y compris les frais d'accompagnement(coûts annexes, frais financiers) est de Fr. 22.7 mio. Ce montant est fi-nancé comme suit:

Participation de l'Etat de GenĂšve: Fr. 10.0 mio.Participation de la Ville de GenĂšve: Fr. 3.0 mio.PrĂȘt de la SBS: Fr. 9.0 mio.Bonus Ă  l'investissement de laConfĂ©dĂ©ration:

Fr. 0.7 mio.

TOTAL: Fr. 22.7 mio.

En ce qui concerne la couverture du déficit éventuel de la Sociétéd'exploitation et de gérance de la salle, la SBS assure un fonds de rou-lement de Fr. 1 mio., avec en contrepartie un cautionnement non-soli-daire couvert de ses débiteurs.

Les charges d'exploitation tiennent compte des intĂ©rĂȘts dus encontrepartie du prĂȘt de Fr. 9 mio. de la SBS et d'un amortissement de1,5 %. Ainsi, les garanties financiĂšres exigĂ©es par le Grand Conseil, danssa dĂ©cision du 2 octobre 1992, peuvent ĂȘtre satisfaites, Ă  condition que:

● la S.A. Conrad Zschokke garantisse un prix de construction pla-fond de Fr. 20.4 mio. clĂ© en main, permettant ainsi un coĂ»t totalde rĂ©alisation de Fr. 22.7 mio. au maximum;

● les conditions de financement soient ratifiĂ©es par le siĂšge de laSBS.

Fort de ce qui prĂ©cĂšde, le Grand Conseil, en date du 25 juin 1993, avotĂ© une rĂ©solution, considĂ©rant que les conditions fixĂ©es par le GrandConseil Ă©taient rĂ©unies et que, par consĂ©quent, les Fr. 10 mio. sollicitĂ©spouvaient ĂȘtre libĂ©rĂ©s. Ceci a mis un terme au dĂ©bat politique liĂ© Ă  cetteaffaire.

Montage de la structure juridique du projet

L'Etat de GenÚve, propriétaire du terrain, concÚde un droit de su-perficie d'une durée de 80 ans, à une Fondation mixte de droit privé, ré-gie selon les articles 80 et suivants du Code Civil Suisse. La Fondationmixte est maßtre de l'ouvrage et propriétaire de la salle de spectaclesdestinée à des manifestations culturelles, sportives et de loisirs.

La Fondation mixte délÚgue la promotion, l'administration et la ges-tion de la salle à une Société d'exploitation et de gérance entiÚrement

Exemple de PPP entre l'Etat, une entreprise intégrale et une banque

159

privée et indépendante de la Fondation, moyennant le versement d'unloyer, d'une indemnité ou d'une redevance.

Le Conseil de la Fondation mixte est composé de cinq membres,dont trois sont issus des collectivités publiques et deux des milieux pri-vés:

● deux reprĂ©sentants de l'Etat de GenĂšve;● un reprĂ©sentant de la Ville de GenĂšve;● un reprĂ©sentant dĂ©signĂ© par la S.A. Conrad Zschokke;● un reprĂ©sentant dĂ©signĂ© par la SBS.

Si nĂ©cessaire, un reprĂ©sentant de la Fondation de Palexpo et/ou dela SociĂ©tĂ© d'exploitation et de gĂ©rance de la salle peut ĂȘtre invitĂ© Ă  assis-ter aux sĂ©ances du Conseil de Fondation, sans voix dĂ©libĂ©rative.

Quant à la Société d'exploitation et de gérance, elle est composéed'un Conseil de trois membres:

● deux reprĂ©sentants d'organisateurs de spectacles et de manifes-tations sportives;

● un reprĂ©sentant de Zschokke Immeubles Commerciaux.

Enfin, l'assemblée générale de la Société d'exploitation et de gé-rance désigne un comité consultatif constitué de quatre membres:

● un reprĂ©sentant de l'Etat de GenĂšve;● un reprĂ©sentant de la Ville de GenĂšve;● un reprĂ©sentant de la commune du Grand-Saconnex;● un reprĂ©sentant d'Orgexpo.

La Fondation mixte est chargée de conclure les actes juridiquessuivants:

● une convention avec la SociĂ©tĂ© d'exploitation et de gĂ©rance pourrĂ©gler les modalitĂ©s d'exploitation, de promotion, d'administrationet de location de la salle;

● un contrat d'entreprise gĂ©nĂ©rale Ă  prix plafond garanti avec l'en-treprise chargĂ©e de construire la salle;

● un contrat de prĂȘt hypothĂ©caire avec l'Ă©tablissement bancairechargĂ© de financer le solde du coĂ»t de la salle qui n'est pas pris encharge par les collectivitĂ©s publiques.

Un certain nombre de conditions particuliÚres sont fixées par l'Etatde GenÚve, à savoir :

● La salle polyvalente de spectacles ne pourra ĂȘtre utilisĂ©e pour desexpositions, foires ou congrĂšs qu'avec l'accord de la Fondationdu Palexpo.

● La salle devra ĂȘtre louĂ©e Ă  Palexpo lors de l'organisation degrandes manifestations telles que le Salon international de l'au-tomobile et Telecom.

B. Bourquin, F. Reinhard et B. Verdier

160

● La SociĂ©tĂ© d'exploitation et de gĂ©rance ne sera pas autorisĂ©e Ă organiser elle-mĂȘme des spectacles ou manifestations, mais de-vra louer ladite salle Ă  des tiers, sans discrimination.

● L'utilisation de la salle devra ĂȘtre compatible avec l'exploitation dela halle d'exposition voisine.

● La salle devra ĂȘtre mise gratuitement Ă  disposition de la Ville deGenĂšve durant 12 jours par annĂ©e pour une utilisation sans butlucratif.

● La SociĂ©tĂ© d'exploitation et de gĂ©rance devra s'engager Ă  couvrirtous les frais d'exploitation de la salle, y compris l'entretien courantainsi que les charges financiĂšres (intĂ©rĂȘts et amortissements) dĂ©-coulant du prĂȘt consenti par la SBS pour complĂ©ter le finance-ment du coĂ»t de la salle.; le non-paiement de ces charges consti-tue un motif de rupture du contrat de gestion.

● Les actionnaires de la SociĂ©tĂ© d'exploitation et de gĂ©rance s'en-gageront Ă  fournir un montant de Fr. 1 mio. destinĂ© Ă  couvrir lesbesoins de trĂ©sorerie de ladite SociĂ©tĂ© pendant les cinq pre-miĂšres annĂ©es d'exploitation.

● Une part de l'excĂ©dent des recettes servira au remboursementdes prĂȘts publics au prorata des sommes initialement avancĂ©es,respectivement de Fr. 10 mio. et de Fr. 3 mio. de l'Etat et de laVille de GenĂšve pour la construction de la salle. Le solde Ă©tantversĂ© aux actionnaires de la SociĂ©tĂ© d'exploitation et de gĂ©rancesous forme de dividendes.

● Une fois les prĂȘts de l'Etat et de la Ville de GenĂšve intĂ©gralementremboursĂ©s, l'excĂ©dent d'exploitation sera rĂ©parti entre les ac-tionnaires de la SociĂ©tĂ© d'exploitation et de gĂ©rance, d'une part,et entre l'Etat et la Ville de GenĂšve au prorata des prĂȘts initiaux,d'autre part.

4. PROBLÈMES RENCONTRÉS

4.1 Par l'Etat de GenĂšve

Les problÚmes, rencontrés par l'Etat de GenÚve pour mener àterme cette opération de partenariat, ont plusieurs origines.

Nature politique du dossier

Compte tenu du contexte difficile des finances cantonales, il a étédifficile d'obtenir qu'une participation financiÚre substantielle au coût duprojet soit votée par le Parlement. Il a été non seulement difficile d'obte-

Exemple de PPP entre l'Etat, une entreprise intégrale et une banque

161

nir cette part d'investissement, mais il a encore fallu faire la preuve que leprojet ne coûterait rien à l'Etat en termes de frais d'exploitation.

Le site retenu a certainement contribué aux difficultés rencontréespour ce projet. Malgré le fait qu'il soit idéalement situé en dehors d'unezone habitée et à proximité de l'aéroport de Cointrin, de la gare CFF et del'autoroute, il présentait les inconvénients suivants:

● L'aĂ©roport souhaitait conserver ce terrain pour une extensionĂ©ventuelle dans le futur. En outre la proximitĂ© du tarmac et de sesinstallations aĂ©roportuaires lui faisait craindre des dĂ©prĂ©dations dela part des usagers de la salle polyvalente de spectacles.

● Orgexpo voyait dans cette salle construite Ă  cĂŽtĂ© de la nouvelle«halle 7» une concurrente Ă  son centre de CongrĂšs; les pro-blĂšmes de vandalisme ont Ă©galement Ă©tĂ© invoquĂ©s. De plus, leterrain Ă©tait utilisĂ© comme aire de parking pour les poids lourds lorsdes manifestations Ă  Palexpo.

● La commune du Grand-Saconnex redoutait une trop grandeconcentration d'activitĂ©s dans un mĂȘme secteur, provoquant unsurcroĂźt de nuisances pour les habitants.

Présence d'un trÚs grand nombre de partenaires

De par la concentration des ouvrages rĂ©alisĂ©s sur le mĂȘme site(parking souterrain, halle d'exposition, salle polyvalente de spectacles,musĂ©e international de l'automobile, infrastructures routiĂšres, passerellede liaison par-dessus l'autoroute), qui impliquait des maĂźtres d'ouvrageset des utilisateurs diffĂ©rents poursuivant des intĂ©rĂȘts parfois divergeants,la coordination et la prise en compte des intĂ©rĂȘts de chacun a Ă©tĂ© trĂšsdifficile.

Complexité technique des ouvrages et délais d'étude et de réalisation

La mise au point conjointe des projets, pour la «halle 7» et pour lasalle polyvalente de spectacles, a constitué un gros travail. Il s'agit en ef-fet d'ouvrages particuliers exigeant beaucoup d'attention. L'exiguïté deslieux et la superposition de certains ouvrages (parking, salle polyvalentede spectacles), ou leur juxtaposition («halle 7», salle polyvalente despectacles), ont engendré des problÚmes techniques difficiles à ré-soudre.

De plus, certains dĂ©lais impĂ©ratifs – le parking et la «halle 7» doiventabsolument ĂȘtre achevĂ©s pour Telecom 1995 – ont impliquĂ© une ouver-ture du chantier rapide, alors mĂȘme que tous les problĂšmes de mise aupoint des projets et de coordination n'Ă©taient pas totalement rĂ©glĂ©s.

B. Bourquin, F. Reinhard et B. Verdier

162

4.2 Par le constructeur, la S.A. Conrad Zschokke

Agissant en tant que pilote du groupe des partenaires privés, laS.A. Conrad Zschokke a dû s'impliquer à différents niveaux (technique,économique, fonctionnel) afin que le projet puisse se développer aurythme dicté par le politique.

La toute premiÚre échéance fut de s'assurer que le projet étaitviable. Pour ce faire, il a fallu donner à la future salle les caractéristiquesopérationnelles exigées par les organisateurs de spectacles et de mani-festations sportives:

● une capacitĂ© de 10 000 places;● une excellente visibilitĂ© depuis la galerie principale, pour toutes

les activitĂ©s prĂ©vues et en particulier pour les activitĂ©s sportives;● des locaux techniques en suffisance – loges, vestiaires, rĂ©gie,

bureaux et stockage.

Ainsi, aprĂšs modĂ©lisation en trois dimensions de la salle, la capacitĂ©de la salle et la visibilitĂ© depuis la galerie principale ont pu ĂȘtre amĂ©liorĂ©esen augmentant l'inclinaison de cette derniĂšre. Mais ceci a nĂ©cessitĂ© unesurĂ©lĂ©vation du bĂątiment initial de quelque huit mĂštres. D'importantessurfaces ont Ă©tĂ© allouĂ©es sous la salle pour les locaux techniques, pourlesquels une grande fonctionnalitĂ© a Ă©tĂ© recherchĂ©e tout en apportantconvivialitĂ© et confort pour les futurs utilisateurs. Un local de stockage at-tenant Ă  la salle a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©; enfin le local de rĂ©gie et des bureaux ontĂ©tĂ© prĂ©vus sur un cĂŽtĂ© de la salle.

Du point de vue de l'exploitation de la salle proprement dite, laproximitĂ© immĂ©diate de l'aĂ©roport et de l'autoroute a nĂ©cessitĂ© la prise encompte d'un niveau de bruit extĂ©rieur Ă©levĂ©. Une protection phoniqueimportante a Ă©tĂ© mise en place pour isoler le bĂątiment, dans les limitesacceptables, pour le type de manifestations prĂ©vues. Ainsi une protec-tion de cinquante dĂ©cibels sera placĂ©e au niveau des façades et de la toi-ture pour se prĂ©munir du bruit gĂ©nĂ©rĂ©, par exemple, par les avions audĂ©collage. Des Ă©tudes trĂšs complĂštes ont Ă©tĂ© effectuĂ©es pour prendreen compte les besoins en lumiĂšre, en sonorisation et en Ă©quipementnĂ©cessaires Ă  une salle digne de celle du ZĂ©nith. MĂȘme si ces besoinsne pourront ĂȘtre totalement satisfaits dans un premier temps, pour desraisons budgĂ©taires, les exploitants ont Ă©tĂ© trĂšs soucieux des possibili-tĂ©s d'extensions et d'amĂ©liorations futures. La ligne de conduite a Ă©tĂ© derechercher une «flexibilitĂ© d'exploitation» maximale. Elle est en effet, lemeilleur gage d'une mise en place efficace et trĂšs rapide des Ă©lĂ©mentsnĂ©cessaires pour permettre d'organiser des manifestations trĂšs diverses.Or, cette diversitĂ© est le seul moyen qui permette d'augmenter le poten-tiel de rentabilitĂ© de la salle. Dans ce contexte, au-dessus du gril descĂšne, un rĂ©seau dense de passerelles a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ© en toiture pour

Exemple de PPP entre l'Etat, une entreprise intégrale et une banque

163

permettre la mise en place rapide d'Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires aux spectaclescomme des amplificateurs, des lasers ou des spots, par exemple. Enoutre, une liaison verticale a Ă©tĂ© mise en place au moyen d'un monte-charge reliant le sous-sol, oĂč se trouve le local de stockage, Ă  la salle etaux passerelles en toiture.

Dans la phase de consolidation du prix final de construction de lasalle, d'importants efforts ont été consentis pour optimiser le projet enfonction du montant final mis à disposition pour le financement (Fr. 22.7mio.). Cette phase a nécessité la révision radicale de certains conceptsinitiaux et la décision de procéder à des étalements dans les investisse-ments, notamment au niveau de l'équipement d'exploitation.

En dehors de tout aspect constructif ou d'exploitation, la S.A.Conrad Zschokke a piloté les travaux d'élaboration du document deconvention liant la Fondation à la Société d'exploitation et de gérance.L'élaboration de ce document a nécessité la participation de tous les in-tervenants au projet, tant publics (Etat de GenÚve, Ville de GenÚve) queprivés (la SBS, la S.A. Conrad Zschokke et la Société d'exploitation et degérance). Elle a permis de délimiter les responsabilités de chacun dans lefonctionnement du partenariat. Ce document, qui est en quelque sorteune charte de fonctionnement, est garant des engagements pris parchacune des parties afin d'assurer le bon fonctionnement de la salle etce, dÚs la premiÚre phase de construction.

4.3 Par le bailleur de fonds privé, la SBS

Le projet de la salle polyvalente de spectacles du ZĂ©nith est un bonexemple d'investissement par le biais d'un financement de projet. La po-pulation intĂ©ressĂ©e est bien ciblĂ©e. C'est une clientĂšle jeune ou pas-sionnĂ©e de musique, qui accepte de payer pour le spectacle de sonchoix. Un financement public intĂ©gral de cette salle par le biais de l'impĂŽtaurait pu ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme une inĂ©galitĂ© systĂ©matique, dans la me-sure oĂč les contribuables non intĂ©ressĂ©s par ce type de spectacles au-raient, malgrĂ© tout, contribuĂ© Ă  son financement. Un financement mixtepublic-privĂ© se trouve donc parfaitement fondĂ© et cela mĂȘme en dehorsde toute argumentation concernant la raretĂ© des fonds publics.

Pour se prémunir d'assurer tous les risques inhérents à cette opé-ration, la SBS s'est efforcée de faire endosser les risques par ceux quisont aptes à les assumer. Ainsi, elle a insisté tout d'abord pour que laconstruction de la salle se fasse sous forme de contrat à coût fixe sur le-quel le constructeur s'engagerait. De ce fait, la banque a voulu éliminertoute surprise de coût en limitant également à une somme forfaitaire lecoût des investissements d'accompagnement à la charge du projet. Est-il

B. Bourquin, F. Reinhard et B. Verdier

164

besoin de dire que la solvabilité du constructeur est aussi un élémentque la banque n'a pas manqué de considérer.

Ensuite la SBS a exigé que la Fondation mixte, qui est propriétairedu Zénith, n'établisse pas de relations exclusives avec la Société d'ex-ploitation et de gérance du Zénith constituée à l'origine. Pour ce faire, uncertain nombre de critÚres d'éligibilité des gérants et de performance fi-nanciÚre ont été définis et la Société d'exploitation et de gérance s'estengagée à les respecter. En cas de non-respect de tels critÚres, laFondation serait en droit de casser le contrat avec la Société d'exploita-tion et de gérance et de lancer un appel d'offre pour trouver de nou-veaux exploitants. Ce contrat permet ainsi de garantir une exploitationoptimale à travers l'appel toujours possible à la concurrence. Par ailleurs,en exigeant des garanties bancaires importantes de la part des action-naires de la Société d'exploitation et de gérance, la SBS a responsabiliséles exploitants.

Enfin la SBS a demandé à l'Etat une opinion juridique couvrant lesaspects réglementaires de la construction et de l'exploitation de cettesalle afin d'éviter tout problÚme administratif.

D'autres aspects de risque ont Ă©tĂ© couverts. La SBS est finalementconfrontĂ©e Ă  un risque de marchĂ© qui, lui, ne peut ĂȘtre Ă©vacuĂ©. Encoreque celui-ci a Ă©tĂ© minimisĂ© en s'assurant, d'une part, de la robustesse ducash-flow de la sociĂ©tĂ© exploitante qui louera la salle et, d'autre part,d'une contribution financiĂšre substantielle de l'Etat sous forme de fondspropres.

5. CONCLUSIONS

L'expérience vécue pour la réalisation de la salle polyvalente despectacles du Zénith à GenÚve a été passionnante, malgré toutes lesdifficultés politiques, techniques, juridiques et financiÚres qu'il a fallusurmonter.

Cette opĂ©ration est la dĂ©monstration qu'un PPP est tout Ă  fait pos-sible pour des constructions d'intĂ©rĂȘt public. Un tel PPP permet ainsid'allĂ©ger les dĂ©penses de l'Etat, de contribuer Ă  la relance de laconstruction et de mettre en commun les qualitĂ©s propres aux secteursprivĂ© et public.

La plupart des grands projets d'infrastructures sont susceptiblesd'un montage de ce type. On peut espérer que le succÚs du Zénith soitl'amorce d'une activation de ce PPP pour le bénéfice de tous les usa-gers. Ce projet, s'il se concrétise, servira certainement d'exemple àd'autres projets pour l'avenir.

165

Chapitre 11

LOUVAIN-LA-NEUVE: UNE OPÉRATION COMPLEXEÀ PARTENAIRES MULTIPLES

Jean REMY et Jean-Marie LECHAT

1. CONCEPTION ET RÉALISATION DE LOUVAIN-LA-NEUVE

1.1 Origine

L'origine de Louvain-la-Neuve s'inscrit dans les conflits politiquesentre les communautés flamandes et wallonnes. DÚs 1965, la pressionva en augmentant. En 1968, diverses tensions dans la vieille ville uni-versitaire de Leuven, et les divergences politiques qu'elles occasion-nent, provoquent la chute du gouvernement national de M. Van denBoeynants. Malgré l'opposition officielle des autorités universitaires, lacrise se résoudra par l'obligation, pour la section francophone de l'Uni-versité Catholique de Louvain, de quitter Leuven et le territoire flamand,pour s'établir en Wallonie.

J. Remy et J.-M. Lechat

166

1.2 Recherche du site

Par ailleurs, et indĂ©pendamment des problĂšmes entre communau-tĂ©s linguistiques, des travaux de recherche de site dĂ©butent dĂšs 1963pour permettre l'extension de l'UCL. Une loi de 1965 limite les sites oĂčun enseignement en français pourrait ĂȘtre dispensĂ© au territoire deWoluwe-St-Lambert et au canton de Wavre. Autrement dit, lorsque lasection francophone devra quitter Leuven, la recherche de sites seradĂ©jĂ  largement orientĂ©e. MalgrĂ© cela, les nĂ©gociations seront difficiles.D'abord, elles seront menĂ©es en privĂ© et dans le secret: officiellement lasection francophone ne veut pas dĂ©mĂ©nager.1 Ensuite, certaines com-munes comme Wavre et Bierges vont s'opposer Ă  l'implantation de l'UCL,par crainte d'un changement de majoritĂ© au sein des instances poli-tiques. Enfin, l'UCL est une universitĂ© privĂ©e, dont l'Etat finance les fraisde fonctionnement. Elle ne dispose donc pas des montants nĂ©cessairesau dĂ©mĂ©nagement de la section francophone. Comme, officiellement,ce dĂ©mĂ©nagement est voulu par les Flamands, l'UCL obtiendra alors, encontrepartie, la possibilitĂ© d'exproprier, ou d'acquĂ©rir sous menace d'ex-propriation, les terrains nĂ©cessaires.

Le terrain qui sera choisi est situĂ© sur le territoire de la communed'Ottignies, sur le plateau de Lauzelle. Il correspond au cahier descharges que l'UCL s'Ă©tait fixĂ©, Ă  savoir: un terrain consĂ©quent (850 ha se-ront acquis), peu construit, appartenant Ă  de gros propriĂ©taires ou Ă  desfermiers prĂȘts Ă  se retirer, et bien situĂ© par rapport aux principaux axes decommunication tant routiers (la route nationale 4 permet d'accĂ©der direc-tement Ă  l'autoroute E 411 Bruxelles-Luxembourg) que ferroviaires(depuis 1975, une ligne en cul-de-sac relie directement Louvain-la-Neuve Ă  la gare d'Ottignies2 qui occupe une position de carrefour entrela ligne internationale Bruxelles-Luxembourg et la ligne Leuven-Charleroi). Le site est situĂ© entre Namur et Bruxelles, Ă  environ 30 km decette derniĂšre ville.

1 Officieusement, depuis 1965, l'administrateur général cherche des terrainspour déménager mais ceci doit rester privé et secret sans quoi, il n'y aurapas moyen de négocier le déménagement et de le faire payer.L'administrateur général apparaßtra alors comme quelqu'un de particuliÚre-ment clairvoyant puisque, une fois la décision prise d'implanter l'UCL àOttignies, il sera trÚs tÎt capable de faire une proposition concrÚte pour unterrain adéquat.

2 Cette liaison sera encore amĂ©liorĂ©e Ă  l'avenir puisque Louvain-la-Neuvedevrait ĂȘtre dĂ©signĂ©e comme gare terminus d'un rĂ©seau RER.

Louvain-la-Neuve: une opération complexe à partenaires multiples

167

1.3 CaractĂšre du projet

L'UniversitĂ© se comporte comme un privĂ© qui gĂšre son budgetcomme une entreprise ayant un patrimoine mais capable de prendre desinitiatives Ă  caractĂšre public. Elle est reconnue service d'utilitĂ© publiquepuisqu'elle a le droit d'exproprier dans le cadre d'une loi particuliĂšre. Elleest aussi en liaison avec les milieux politiques qui lui permettent d'avoircertaines influences et c'est celles-ci qui vont ĂȘtre dĂ©terminantes pour lasuite des opĂ©rations, oĂč l'UCL va jouer le rĂŽle d'un opĂ©rateur synthĂ©-tique.

Un des principaux enjeux est de faire converger des initiatives etdes budgets d'origines publiques et privĂ©es, pour assurer la promotiondes 850 ha dont l'UCL s'est rendue propriĂ©taire, autour d'un plan globalconçu par l'universitĂ©. C'est en tant que propriĂ©taire que l'UCL veut valo-riser son bien, dans une perspective qui n'est pas le profit Ă  court termemais un objectif Ă  long terme qu'elle s'est fixĂ© pour elle-mĂȘme. Cet ob-jectif est le suivant: l'UniversitĂ© veut dĂ©velopper une ville diversifiĂ©e,avec sa vie sociale et son milieu de travail, pour se donner des espacesde libertĂ© et un dynamisme plus grand dans son insertion rĂ©gionale.L'enjeu majeur est de parvenir Ă  crĂ©er une ville qui serait le support Ă  unmilieu innovateur et ouvert. Le concept retenu rejette donc rĂ©solumentl'idĂ©e d'Ă©tablir un campus Ă  la campagne, en dehors de toute zone ur-baine.

Cet objectif est d'autant plus important que, parallÚlement, plusieurstextes juridiques laissent à penser que l'Etat estime que l'UCL ne réali-sera pas cela. Ces textes juridiques qui régissent l'UCL sont en effet simi-laires à ceux que l'on retiendrait pour réaliser un campus. Il y aura alorspendant plusieurs années un hiatus entre l'Université, et sa volonté dé-clarée de réaliser une ville nouvelle, et l'Etat, qui continue à considérer leprojet comme le campus d'une université privée. Pour dépasser cer-taines ambiguïtés liées notamment au mandat d'expropriation réservé audéveloppement d'une université, il a fallu trouver une série de formulesjuridiques qui permettraient à des activités non académiques de prendreplace sur le site. L'Etat a alors interdit à l'UCL de revendre ses terrains.Mais il l'a autorisée à les céder par le biais d'un bail emphytéotique.3 Cettedisposition se révÚle aujourd'hui fort utile pour permettre à l'UCL de pré-server sa maßtrise de l'ensemble de l'opération urbanistique. En effet,avant de recevoir une parcelle sous bail emphytéotique, le bénéficiairedoit faire la preuve que son projet de construction est conforme au plan

3 Le systÚme de l'emphytéose est largement répandu dans les pays anglo-saxons. Le droit d'emphytéose est accordé pour une période généralementtrÚs longue (27 à 99 ans).

J. Remy et J.-M. Lechat

168

TA

BL

EA

U 1

Org

anig

ram

me

de l'

adm

inis

trat

ion

des

dom

aine

s

CO

NSE

IL D

U D

Ă©VEL

OPP

EMEN

TU

RB

AIN

AD

MIN

ISTR

ATE

UR

-GĂ©N

Ă©RA

L

AD

MIN

ISTR

ATI

ON

DES

DO

MA

INES

Dire

cteu

r: J.

-M. L

echa

t

SER

VIC

E D

U P

LAN

UR

BA

INC

oord

inat

eur:

J. R

emy

SER

V. D

E C

OO

RD

. D

ES T

RA

V. U

RB

.C

hef d

e se

rvic

e: L

. Bou

let

SER

V. D

E G

EST.

& D

E PR

OM

O.

UR

B.

Che

f de

serv

ice:

J.-M

. Lec

hat

GES

T. D

U P

ATR

IMO

INE

PRIV

Ă© U

CL

M. G

odfri

aux,

C. P

into

n

TĂąch

es p

rincip

ales

:–

conc

eptio

n pl

ans

d'ur

bani

sme;

– Ă©t

udes

de

plan

ifica

tion;

– pa

rtici

patio

n Ă 

la p

rogr

amm

atio

ngl

obal

e;–

suiv

i de

cons

truct

ion

etd'

amén

agem

ent;

– gr

ande

s in

frast

ruct

ures

;–

pays

agis

me.

TĂąch

es p

rincip

ales

:–

Ă©tud

es te

chni

ques

;–

unité

des

sin

topo

grap

hiqu

e;–

gest

ion

tech

niqu

e de

s im

meu

bles

INES

U;

– ge

stio

ns d

iver

ses

(eau

x, to

pony

mie

,si

gnal

isat

ion,

pla

ntat

ion,

Ɠuv

re d

'art,

terre

s ag

ricol

es, p

ropr

eté)

.

TĂąch

es p

rincip

ales

:–

prog

ram

mat

ion

et p

rom

otio

n du

loge

men

t, de

s co

mm

erce

s, d

esbu

reau

x, d

es s

ervi

ces

et d

eséq

uipe

men

ts s

ocio

-cul

ture

ls;

– ge

stio

n ur

bain

e;–

INES

U;

– in

form

atio

n su

r la

ville

.

TĂąch

es p

rincip

ales

:–

gest

ion

adm

inis

trativ

e de

s im

meu

bles

et d

es lo

caux

aca

dém

ique

s;–

gest

ion

des

empy

théo

ses.

GES

T. D

U P

AR

C S

CIE

NTI

FIQ

UE

Res

p.: J

. Van

Eijs

TĂąch

es p

rincip

ales

:–

gest

ion

du p

arc

scie

ntifi

que.

INE

SU

J. H

auto

t, M

. Gro

let,

F. T

asia

ux

TĂąch

es p

rincip

ales

:–

gest

ion

finan

ciĂšr

e et

adm

inis

trativ

ede

s ré

alis

atio

ns u

rbai

nes;

– fin

ance

men

t des

réal

isat

ions

urba

ines

.

Louvain-la-Neuve: une opération complexe à partenaires multiples

169

d'urbanisme. Des nĂ©gociations entre le service d'urbanisme de l'UCL etles architectes ont donc lieu avant de requĂ©rir les autorisations deconstruire usuelles auprĂšs des instances communales. Sans ces nĂ©go-ciations prĂ©alables, qui doivent dĂ©boucher sur l'octroi du permis de bĂątir,l'UCL n'accorde pas le bail emphytĂ©otique. En outre, ce dernier est as-sorti d'une obligation de construire dans les 18 mois et de plusieursconditions liĂ©es Ă  l'affectation, par exemple. L'ensemble de cette stratĂ©-gie confĂšre alors Ă  l'UCL un puissant moyen de contrĂŽle urbanistique etde prĂ©vention de toute spĂ©culation fonciĂšre. Cela est indispensablepour assurer le succĂšs de la ville nouvelle. Le bail emphytĂ©otique pro-cure donc les moyens Ă  l'UCL, qui est une personne privĂ©e sans pouvoiren matiĂšre d'amĂ©nagement, d'en faire malgrĂ© tout en s'appuyant sur leprojet de ville nouvelle. Le recours au bail emphytĂ©otique pourrait d'ail-leurs ĂȘtre recommandĂ© aux collectivitĂ©s publiques puisque, outre lesmoyens de contrĂŽle qu'il accorde, il permet de procurer une rente Ă  longterme (sous forme de canon emphytĂ©otique) qui profitera Ă  plusieursĂ©quipes municipales, pendant toute la durĂ©e du bail.

1.4 Mesures organisationnelles

Comment l'UniversitĂ© a-t-elle dĂ©veloppĂ© une entitĂ© semi-autonomechargĂ©e du projet de dĂ©veloppement urbain? Il y a deux services quisont indĂ©pendants: le service du plan urbain ou d'urbanisme, dirigĂ© audĂ©but par le professeur R. Lemaire (depuis quelques annĂ©es la fonctionde coordination au plan urbain a Ă©tĂ© reprise par le professeur J. Remy), etle service de promotion, dirigĂ© par J.-M. Lechat. Ces deux services ontchacun leur indĂ©pendance. La promotion urbaine qui s'occupe Ă  la foisdes financements et de la recherche d'acquĂ©reurs de terrains ne peutpas s'engager dans une transaction sans avoir l'accord du service d'ur-banisme. C'est le service d'urbanisme qui vĂ©rifie que le projet architectu-ral est conforme au plan urbanistique. Sans le visa du service de l'urba-nisme, le service de promotion ne peut pas contracter de bail emphytĂ©o-tique (tab. 1). Et puis, Ă  cĂŽtĂ© de cela, il y a aussi une entitĂ© particuliĂšre quiest l'INESU. L'INESU est une ASBL (association sans but lucratif). C'estun outil financier que l'UCL utilise pour se donner de la marge de ma-nƓuvre lorsque ni les crĂ©dits de l'Etat, ni les financements de l'UniversitĂ©ne lui permettent de rĂ©aliser les travaux Ă  faire.

1.5 Principaux concepts du plan directeur

La conception urbanistique se dégage d'une lecture d'ensembledu plan directeur. Elle ne se limite nullement à des options sur la forme

J. Remy et J.-M. Lechat

170

du cadre bĂąti. Certes, ces derniĂšres en sont le point de dĂ©part, mais ellesse combinent Ă  d'autres prĂ©occupations. Leur ensemble fait la richessedu plan directeur comme outil de conception, de promotion et de ges-tion d'un espace urbain. Ces divers critĂšres dĂ©rivent d'une option debase: la ville doit devenir un lieu d'expĂ©rience de la diffĂ©rence qui multi-plie les possibilitĂ©s de rencontre. Cela suppose une certaine maniĂšred'entremĂȘler les populations et les activitĂ©s, et une rĂ©flexion portant surles diffĂ©rentes Ă©chelles grĂące auxquelles la mixitĂ© peut avoir lieu. Cinqgrands principes ont guidĂ© la conception de dĂ©part.

Morphologie de l'espace construit

L'option qui a été prise est un parti contre l'urbanisme et l'architec-ture moderne. Il s'agit de redonner sens à la rue et à la place, en exigeantdes architectes qu'ils composent leurs bùtiments à partir de l'espacepublic et qu'ils articulent les façades à partir du piéton. Par ailleurs, ils doi-vent aussi respecter une distinction du gabarit entre le centre urbain etles quartiers. Enfin, les bùtiments de l'Université sont distribués de ma-niÚre à ne pas apparaßtre comme ce qui fait le lien dans la ville.L'Université marque sa présence par la qualité et la force de son d'archi-tecture.

Par ailleurs, il y a aussi une distinction claire entre les quartiers et lecentre urbain, d'une part, et le parc scientifique, d'autre part. Dans lepremier cas, toutes les constructions sont contiguĂ«s. Dans le second, oĂčil s'agit d'offrir de la marge de manƓuvre aux entreprises, la rĂšgle est Ă  laconstruction dĂ©tachĂ©e. Toutefois, la stratĂ©gie va plus loin. Pour faireĂ©merger une image positive du parc scientifique qui est orientĂ© sur lachimie et les biotechnologies, l'importance est mise Ă  la fois sur la qualitĂ©architecturale des constructions et sur l'amĂ©nagement paysager.Chaque entreprise s'engage contractuellement Ă  consacrer 2% du coĂ»tde construction Ă  des Ɠuvres d'art qu'elle est libre d'implanter, soit sur saparcelle, soit ailleurs en ville. En plus, elle s'engage Ă  agrĂ©menter son ter-rain de plusieurs plantations. La conception gĂ©nĂ©rale de l'amĂ©nagementpaysagĂ© est rĂ©alisĂ©e par l'UCL avec la collaboration d'une firme spĂ©cia-lisĂ©e.

Structure socio-démographique

Les objectifs Ă  atteindre sont multiples. Parmi ceux-ci nous citerons:● un volume suffisant de population, 50 000 habitants Ă©taient prĂ©-

vus au dĂ©but de l'opĂ©ration;● une densitĂ© adĂ©quate de population, afin de pouvoir rĂ©aliser une

ville piétonne dont le rayon ne dépasserait jamais un kilomÚtre;

Louvain-la-Neuve: une opération complexe à partenaires multiples

171

● une population hĂ©tĂ©rogĂšne d'Ă©tudiants, de mĂ©nages et de travail-leurs (la proportion souhaitĂ©e Ă©tant un Ă©tudiant pour deux nonĂ©tudiants).

Pour réaliser la ville ouverte, il faut des habitants qui travaillent surplace et à l'extérieur, et des personnes occupées sur place mais qui n'yrésident pas. La ville devra aussi attirer des populations extérieures. Unetelle diversité devrait permettre d'éviter les effets négatifs d'une imbrica-tion trop étroite entre le milieu du travail, le milieu résidentiel et la vie so-cio-culturelle. Elle devrait aussi permettre de multiplier les liens entreLouvain-la-Neuve et ses alentours.

EntremĂȘlement de fonctions

L'objectif premier est d'Ă©viter le campus. Pour ce faire, les unitĂ©sacadĂ©miques sont fragmentĂ©es en fonction des diffĂ©rentes interactionsqu'elles ont entre elles ou avec des activitĂ©s qui se dĂ©veloppent dans leparc scientifique. L'intĂ©rĂȘt prioritaire pour l'acadĂ©mique doit stimuler lesactivitĂ©s de recherche, Ă  partir du parc scientifique, mais aussi des activi-tĂ©s culturelles pour l'animation du centre urbain. Ces activitĂ©s culturellescombinĂ©es Ă  des commerces viennent conforter le caractĂšre attractif dusite et se renforcer mutuellement. Elles doivent aussi se dĂ©marquer del'activitĂ© acadĂ©mique en acquĂ©rant leur propre autonomie. Divers typesde services et de bureaux complĂštent la gamme. Par lĂ , se crĂ©e un milieude travail diversifiĂ© et innovateur, et un espace de vie sociale prĂ©sentantde multiples opportunitĂ©s.

Infrastructure de communications

En matiÚre de communication, il y a lieu de séparer clairement lesvoiries automobiles et les voiries piétonnes. Les premiÚres doivent per-mettre une circulation fluide et sûre. Branchées sur le réseau autoroutier,elles permettent d'accéder à tous les quartiers de Louvain-la-Neuve, parle biais d'une rocade sur laquelle sont branchées les pénétrantes. Cetteconception décourage le trafic de transit. Quant aux voiries piétonnes,elles servent de trame à partir de laquelle se compose l'environnementbùti. Elles sont organisées à partir d'un centre et d'une série de radiales.

Il est intĂ©ressant de relever qu'aujourd'hui, les options diffĂ©rentespour ces deux rĂ©seaux de voirie laissent apparaĂźtre quelques difficultĂ©spour forger l'image de la ville. Celui qui arrive Ă  Louvain en voiture n'a pasla mĂȘme vision de la ville que celui qui arrive en train. Une des tĂąches ac-tuelles du service du plan urbain est de retravailler cela en cherchant unemeilleure intĂ©gration entre les quartiers et le centre urbain. Cet effort

J. Remy et J.-M. Lechat

172

passe par le développement du centre qui est resté pendant longtempsà l'état d'embryon.4

Quant aux liaisons avec l'extĂ©rieur, elles sont essentielles. Le dĂ©ve-loppement de ces relations passera par la valorisation des transports encommun. Louvain-la-Neuve espĂšre ĂȘtre bientĂŽt reliĂ©e au centre de Bru-xelles et aux institutions europĂ©ennes par un RER.5 Et l'autoroutepermet dĂ©jĂ  de se rendre au centre de Bruxelles ou Ă  Namur en 25 mi-nutes environ.

Style de sociabilité citadine

La sociabilitĂ© citadine doit stimuler une ouverture Ă  des contacts va-riĂ©s, tout en accordant Ă  chacun plus d'autonomie personnelle. Celasuppose que l'on soit attentif Ă  mĂ©langer les diverses composantes entermes de population et d'activitĂ©. Ces mĂ©langes supposent une optionsur les types de mixitĂ© souhaitables, sans quoi les incompatibilitĂ©s serontplus fortes que les complĂ©mentaritĂ©s. Il en va ainsi pour les mĂ©langesentre la population Ă©tudiante et non Ă©tudiante, entre la fonction de rĂ©si-dence et les activitĂ©s bruyantes, surtout la nuit. La solution supposeaussi de bonnes options quant au lieu oĂč ces mĂ©langes se font: unitĂ© devoisinage, lieu de convergence entre plusieurs unitĂ©s de voisinage. Enoutre, une ville doit favoriser la promenade, et particuliĂšrement au centreurbain. Il faut donc ĂȘtre attentif Ă  une bonne distribution spatiale des lieuxattractifs, de maniĂšre Ă  stimuler entre ceux-ci le dĂ©placement piĂ©ton et Ă constituer des ambiances de rencontre. Par exemple, la gare, les librai-ries et les restaurants – lieux de passage obligĂ©s – ne sont pas centrali-sĂ©s mais localisĂ©s de façon Ă  gĂ©nĂ©rer des dĂ©placements. Ces localisa-tions ont Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©es sur la base d'Ă©tudes d'ambiance de centre urbain.

Avec le plan d'occupation des sols, ces cinq objectifs permettentd'opérationaliser le plan directeur en aidant à la prise de décision. Ils luiconfÚrent sa dimension stratégique en servant aussi de critÚres pour te-nir le cap, lorsqu'il s'agit d'adapter le plan et de lui conférer une certainesouplesse pour composer avec l'incertain et l'imprévu. Enfin, ils fournis-sent des rÚgles utiles à la fois à la promotion et à la gestion du projet deLouvain-la-Neuve.

Il est intĂ©ressant de relever que le projet de Louvain-la-Neuve a Ă©tĂ©pensĂ© par l'UniversitĂ© libre en dehors de toute planification au niveau del'Etat et mĂȘme de la rĂ©gion. Ce n'est qu'aujourd'hui que l'UCL rĂ©intĂšgre

4 Aujourd'hui de grands espoirs sont fondés sur le projet d'un groupe de pro-moteurs qui se propose d'y impanter un centre commercial.

5 Il y a aujourd'hui quatre trains par heure entre Bruxelles et Louvain-la-Neuve.

Louvain-la-Neuve: une opération complexe à partenaires multiples

173

les plans des autres entitĂ©s, car la force mĂȘme de Louvain-la-Neuve estd'ĂȘtre un pĂŽle de dĂ©veloppement pour sa rĂ©gion qui a un effet d'induc-tion pour les communes d'Ottignies et de Wavre. Il est donc nĂ©cessairede se rĂ©insĂ©rer dans les structures existantes, quitte Ă  nĂ©gocier ou Ă  dis-cuter la façon dont l'UCL exerce son influence dans la rĂ©gion. Pour biencomprendre ceci, il faut aussi ajouter que Louvain-la-Neuve n'est pasune entitĂ© politico-administrative. Elle a le statut d'un quartier de la com-mune d'Ottignies. Cette situation n'est pas sans engendrer quelquesbesoins d'ajustement. Par exemple, l'UCL s'est rapidement dotĂ©e d'unservice d'urbanisme. Pour que la commune n'accorde pas automatique-ment les autorisations de bĂątir Ă  l'UCL, elle a dĂ» alors dĂ©velopper sespropres compĂ©tences en crĂ©ant son service d'urbanisme. En matiĂšre depolice, il y a aussi eu quelques difficultĂ©s. Pendant longtemps, la com-mune n'avait qu'un garde-champĂȘtre. Aujourd'hui, il y a vingt-cinq poli-ciers, mais le service d'ordre reste trĂšs discret et presque inexistant lanuit. Ces quelques cas montrent bien qu'il existe une phase de transitionet que la fin de cette phase passe par une rĂ©insertion de Louvain-la-Neuve dans le tissu local.

1.6 Liaisons entre projet urbain, réalisation et promotion

La finalité premiÚre du plan est de le réaliser. Pour ce faire, plusieursoptions ont été retenues.

D'abord, il s'agissait de faire admettre que le plan devait ĂȘtre vu danssa sĂ©quence temporelle. L'urbaniste doit discuter de l'agencement dansle temps des opĂ©rations afin de vĂ©rifier avec le promoteur que le plan estfinanciĂšrement rĂ©alisable.

Ensuite, le parti pris a été de surdimensionner le centre urbain afind'en faire un argument de promotion (ce qui n'a pas tout-de-suite fonc-tionné), et aussi afin d'obliger à le considérer comme le pÎle à partir du-quel on dicte le développement des différents quartiers et à partir duquelon organise les relations entre eux. Dans ce type d'opération, le risqueest toujours à partir d'un quartier puis de le laisser grandir. Or, une villen'est pas un grand quartier.

Enfin, en complément au processus de réalisation, il a été convenude fractionner les travaux, afin d'accroßtre la compétition entre des entre-prises moyennes, et d'obliger à choisir plusieurs architectes.

Fractionner les travaux

Cet élément a été proposé par les conseillers économiques. Ils ontbeaucoup insisté sur ce point, qui permet de casser la logique des

J. Remy et J.-M. Lechat

174

grandes entreprises qui s'entendent entre elles pour se mettre en situa-tion de monopole.

En outre, il faut aussi relever que le travail avec des grosses entre-prises aurait mal convenu. Il s'agissait de faire respecter une sĂ©quencetemporelle d'ailleurs largement dictĂ©e par l'organisation du dĂ©mĂ©nage-ment des facultĂ©s, dont le calendrier Ă©tait fixĂ© par l'UniversitĂ©. Or, lesgrosses entreprises ont leur propre stratĂ©gie. On ne peut pas leur impo-ser une sĂ©quence temporelle. Elles ne viennent pas pour travailler surune annĂ©e. Le dĂ©veloppement qu'elles font nĂ©cessite, d'un point devue commercial, d'ĂȘtre Ă©talĂ© sur plusieurs annĂ©es. Or, l'UCL ne voulaitpas que les rĂ©alisations soient menĂ©es en fonction des seuls critĂšrescommerciaux. Elle voulait que plusieurs opĂ©rations puissent ĂȘtre me-nĂ©es presque indĂ©pendamment les unes des autres. VoilĂ  pourquoil'UCL a prĂ©fĂ©rĂ© travailler avec des petites entreprises qui faisaient un im-meuble par annĂ©e et qui surtout Ă©taient prĂȘtes Ă  accepter la logique derĂ©alisation et de programmation de l'UCL. Si pendant longtemps, l'UCLs'est tenue Ă  cette façon de faire, cela change aujourd'hui puisque, pourrĂ©aliser un complexe commercial important pour le centre urbain, elle estjustement entrain de mener une expĂ©rience avec de gros promoteurs.

Multiplier les architectes

Comme l'objectif est de faire une ville ouverte et diverse, il est assezlogique d'appeler plusieurs architectes différents6. Cependant, ces ar-chitectes ont été orientés à travailler sur la base d'un canevas donné parl'urbaniste, R. Lemaire, qui a fonctionné un peu comme un chef d'or-chestre et qui a veillé au respect d'une certaine unité de la partition jouéepar les différents architectes.

1.7 Quelques problÚmes liés à la réalisation du programme

L'exemple du logement est assez intéressant. Il met en évidenceles conflits qu'il peut y avoir entre le court et le long terme. Or, ces conflitsparticipent à la complexité à maßtriser le plan, compte tenu du marché etde l'existence de la demande. Un des principes de Louvain-la-Neuve estde valoriser le logement collectif. D'abord, parce qu'il est important pourgénérer la ville diverse. Ensuite, parce qu'il permet d'optimaliser l'utilisa-

6 Il faut d'ailleurs relever que cette logique est parfaitement compatible avecle fractionnement des travaux mentionnés ci-dessus. En effet, les grossesentreprises ont l'habitude de travailler avec un seul bureau d'architectes eton ne peut pas leur demander de composer tout-à-coup avec plusieurs bu-reaux différents.

Louvain-la-Neuve: une opération complexe à partenaires multiples

175

tion des équipements d'infrastructure (réseaux viaires notamment). Enfinparce que lui seul permet de produire des densités vraiment urbaines.Or, il n'y a pas encore assez de logements collectifs, tandis qu'il y a uneliste d'attente pour le logement unifamilial. Donc, si la logique du marchéétait prépondérante, il faudrait libéraliser l'accÚs au logement unifamilial.Mais alors on ne pourrait sans doute plus réaliser l'objectif urbanistique:Louvain-la-Neuve ne doit pas devenir un «suburbain» amélioré. Voilàpourquoi le logement unifamilial est strictement contingenté et pourquoides efforts sont menés pour susciter l'expression de la demande poten-tielle pour le logement collectif.

Il y a un autre point de tension qui est lié à l'option d'un centre urbainpiétonnier. Pour réaliser cette option, il est nécessaire d'avoir en sous-sol plusieurs niveaux de parkings. Or, la réalisation des dalles de parkingsrenchérissent considérablement le prix du terrain. Pour s'en sortir finan-ciÚrement, il est alors nécessaire de prévoir des commerces et des bu-reaux, au moins au niveau des premiers étages. En revanche, si l'on veutfaire du logement, il faut trouver des astuces pour le financer. Or, l'un desobjectifs pour renforcer le poids du centre urbain est justement d'y déve-lopper la fonction d'habitat, de maniÚre à mieux équilibrer les relationsentre le centre urbain et les quartiers. Il y a donc là un gros défi que leservice du plan, guidé par des impératifs urbanistiques, a lancé au ser-vice de la promotion de Louvain-la-Neuve.

2. COMMENT L'UNIVERSITĂ© A JOUĂ© LE RÒLE D'OPÉRATEURSYNTHÉTIQUE

Cette partie tente de mettre en Ă©vidence deux aspects :● comment l'UCL a articulĂ© des financements et des initiatives di-

verses autour de son projet;● comment l'UCL, en tant qu'opĂ©rateur privĂ©, a travaillĂ© avec le

public.

2.1 Origines du financement

Pour l'ensemble de l'opĂ©ration de Louvain-la-Neuve, le finance-ment du privĂ© est lĂ©gĂšrement supĂ©rieur Ă  53%. L'impact des investisse-ments publics est surtout apparu au dĂ©part avec un organisme public quia prĂȘtĂ© de l'argent, par le biais d'un prĂȘt cautionnĂ© par l'Etat. Ceci reprĂ©-sente 28% des investissements totaux. Cette somme est pratiquementun subside de l'Etat. Elle correspond en fait au coĂ»t du transfert de lasection francophone de Leuven Ă  Louvain-la-Neuve. Ce montant a Ă©tĂ©

J. Remy et J.-M. Lechat

176

consacrĂ© Ă  la construction des bĂątiments nĂ©cessaires Ă  l'UniversitĂ©. Il y aun autre subside de l'Etat – plus de 7% des investissements – qui a Ă©tĂ©destinĂ© Ă  la rĂ©alisation des programmes sociaux (restaurants et logementdes Ă©tudiants, essentiellement). Les investissements de l'UCL-patri-moine et de l'ASBL-INESU reprĂ©sentent plus de 3%. Ces investisse-ments sont «qualitativement» importants, car ils constituent l'instrumentfinancier auquel l'UCL recourt pour financer certaines opĂ©rations liĂ©esaux infrastructures ou aux commerces par exemple, opĂ©rations nĂ©ces-saires pour mettre en relation des investissements imputĂ©s Ă  dessources de financement diffĂ©rentes (par exemple terminer une routedont un partie est prise en charge par un privĂ© et l'autre par le public, autitre du transfert de l'UniversitĂ©). Enfin, 8% des investissements provien-nent des pouvoirs publics (rĂ©gion) pour le chemin de fer, les routes na-tionales des alentours et, mais dans une faible proportion, pour subven-tionner un centre sportif et des logements sociaux pour les habitants(fig. 1).

8.06% 3.15%

28.13%

53.26% 7.40%

Patrimoine UCL &INESU

AcadémiqueUCL/CGER

Logement Ă©tudiantUCL/CGER

Investissements privés

Pouvoirs publics

FIG. 1 Investissements à Louvain-la-Neuve(chiffres de décembre 1993)

Louvain-la-Neuve: une opération complexe à partenaires multiples

177

2.2 Trois exemples pratiques

Voiries

Le plan des voiries est marquĂ© par un seul dessein, qui est l'Ɠuvred'un seul urbaniste. Et pour concrĂ©tiser le plan il y a une coordinationunique. Mais dans la rĂ©alisation, il a fallu composer avec une multiplicitĂ©de financements (plus de 12) et de maĂźtres d'Ɠuvre (jusqu'Ă  5 - 6 parmoment). Pour faire face Ă  cette complexitĂ©, qui pouvait entraver la cohĂ©-rence de l'ensemble, il a fallu que l'UCL utilise ses marges de manƓuvreen faisant jouer les vases communicants.

Complexe sportif

Il fallait rĂ©aliser un centre sportif pour assurer la formation des licen-ciĂ©s en Ă©ducation physique. Or, pour le service du plan urbain, l'objectifĂ©tait que ce centre puisse aussi servir aux Ă©tudiants et aux habitants deLouvain-la-Neuve. LĂ , c'est par le biais d'un haut-fonctionnaire, soucieuxde promouvoir la pratique du sport parmi les universitaires, que le projet apu aller de l'avant. Il y voyait en effet un moyen pour dĂ©velopper une po-litique nationale du sport pour la jeunesse. Il s'est alors impliquĂ© dans lecas de Louvain, allant mĂȘme jusqu'Ă  le faire figurer comme un pĂŽle rĂ©gio-nal dans un plan de dĂ©veloppement des Ă©quipements sportifs. Le sou-tien de ce haut-fonctionnaire a Ă©tĂ© gagnĂ© contre l'engagement de l'UCLĂ  soutenir d'autres projets de centres sportifs dans les universitĂ©sbelges. La maĂźtrise de l'ouvrage a Ă©tĂ© prise en charge par l'UCL, ce quiest assez inhabituel. En gĂ©nĂ©ral, ce type d'ouvrage est pris en chargepar la rĂ©gie des bĂątiments de l'Etat. Mais cette disposition particuliĂšre cor-respondait Ă  une volontĂ© d'efficacitĂ© et de respect des dĂ©lais. Or, avec laconception de Louvain-la-Neuve, les services spĂ©cialisĂ©s de l'UCL dĂ©te-naient l'expĂ©rience et les compĂ©tences nĂ©cessaires.

Le centre sportif est le plus grand du Benelux. Il comprend, dans unseul complexe, à la fois un centre pour les besoins pédagogiques et uncentre pour ceux du public. Chaque centre a sa piscine. Le centre a étéfinancé selon une clef de répartition assez complexe selon qu'il s'agit ducomplexe sportif ou des piscines. Disons que l'Etat, via des subsides, laCommunauté française, l'UCL, et la commune d'Ottignies, pour la piscinenotamment, ont participé avec des parts variables. Les propriétés et lescharges immobiliÚres, liées à l'entretien notamment, sont réparties enfonction de la clef de participation financiÚre. Quant à la gestion du com-plexe et à l'éventuelle extension du centre, elles sont organisées sur labase d'un montage assuré par une association sans but lucratif (ASBL)de statut privé, nommée Association de gestion du centre sportif deBlocry.

J. Remy et J.-M. Lechat

178

Cette ASBL a une assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale qui est composĂ©e dequinze personnes. Une majoritĂ© des deux tiers est requise pour quel'assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale modifie les statuts de l'ASBL. L'assemblĂ©e gĂ©nĂ©-rale est Ă©galement compĂ©tente pour accepter des nouveaux membres,pour approuver le budget annuel et pour nommer le directeur (cela se faitau bulletin secret). Le conseil d'administration est composĂ© des quinzemĂȘmes personnes. Il s'occupe de la gestion courante de l'ASBL et faitles amĂ©nagements non propriĂ©taires. La composition de l'assemblĂ©egĂ©nĂ©rale et du conseil d'administration est la suivante: cinq reprĂ©sen-tants de la CommunautĂ© française (dont un reprĂ©sentant du ministre),cinq membres de la ville d'Ottignies (dont trois de la majoritĂ© et deux del'opposition), cinq membres de l'UCL (trois administratifs et deux acadĂ©-miques). Quant Ă  la direction, elle a les mĂȘmes pouvoirs que dans lecadre d'une sociĂ©tĂ© privĂ©e.

Le mode de travail de l'ASBL est assez direct. Et cela nĂ©cessite par-fois quelques accommodements avec les reprĂ©sentants du secteur pu-blic. En effet, les dĂ©cisions sont prises Ă  la majoritĂ© et tout le monde doits'y plier avec les consĂ©quences financiĂšres qui parfois en dĂ©coulent.Alors toutes les sĂ©ances sont prĂ©parĂ©es, sur la base d'un ordre du jourtrĂšs prĂ©cis. Ainsi tous les partenaires ont le temps de consulter les mi-lieux qu'ils reprĂ©sentent avant la prise de dĂ©cision. Ce type de mesuresorganisationnelles est surtout important pour permettre aux fonction-naires, qui pourraient ĂȘtre parfois pris dans la logique des politiques, degarder de la marge de manƓuvre.

Le souci de la marge de manƓuvre du fonctionnaire est presqueune constante dans l'ensemble de l'opĂ©ration de Louvain-la-Neuve. Ilfaut en effet prĂ©ciser qu'au sein de l'Ă©quipe qui a conçu la ville nouvelle,un gros effort a trĂšs tĂŽt Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ© pour connaĂźtre, comprendre etsavoir utiliser les filiĂšres administratives.

La façon dont les rubriques sont prĂ©sentĂ©es dans le budget et lacomptabilitĂ© du centre sportif sont rĂ©vĂ©latrices de cet Ă©tat d'esprit (tab.2). Elle tĂ©moigne de cette volontĂ© de concilier des usages marchandsavec l'utilisation d'un centre Ă  des fins pĂ©dagogiques et non mar-chandes. C'est peut-ĂȘtre Ă  Louvain-la-Neuve, qu'on rencontre le meilleurexemple de participation mixte, privĂ©e et publique, oĂč tous les parte-naires trouvent leur compte. Et cela a notamment Ă©tĂ© rendu possibleparce que chacun fonctionne finalement avec une logique propre ausecteur privĂ©, mais dans un environnement et selon des modalitĂ©s spĂ©-cifiques Ă  leur propre culture.

Louvain-la-Neuve: une opération complexe à partenaires multiples

179

TABLEAU 2 Rubriques des budgets et des comptes du Centre sportif

A. DĂ©PENSES DE PERSONNEL

DĂ©PENSES DE FONCTIONNEMENT

DĂ©PENSES D'AMĂ©NAGEMENT ET AMORTISSEMENT DE CES

DĂ©PENSES

B. RECETTES DES PARTICULIERS

RECETTES DES CLUBS COMMUNAUX

RECETTES DES AUTRES CLUBS

PARTICIPATION FORFAITAIRE VILLE D'OTTIGNIES - LOUVAIN-LA-NEUVE

RECETTES DIVERSES (LOCATION CAFĂ©TĂ©RIA)

C. DIFFĂ©RENCE (PERTE) DĂ©PENSES-RECETTES

D. NOMBRE D'HEURES-UNITĂ©S UCL

NOMBRE D'HEURES-UNITéS COMMUNAUTé FRANçAISE

TOTAL DES HEURES-UNITĂ©S

RATIO «C/D» DONNE LE COûT DE L'HEURE-UNITéRÚGLE: CHAQUE PRIORITAIRE PARTICIPE à LA DIFFéRENCE

DĂ©PENSES-RECETTES AU PRORATA DE SES HEURES

Parc scientifique

La problématique du parc scientifique met à nouveau en scÚne unproblÚme de montage. La zone du parc scientifique est dotée d'une ex-cellente accessibilité et d'une bonne desserte interne. Elle est située surle territoire de deux communes différentes (ce qui offre l'avantage depouvoir faire jouer la concurrence entre elles si besoin était). Un despremiers enjeux était d'obtenir que l'Etat subsidie le zoning industriel, cequ'il fait habituellement. Mais l'Etat ne peut le subsidier que si les terrainsappartiennent à une intercommunale de développement économique.La commune de Mont-St-Guibert a alors vendu à l'IBW (Intercommunaledu Brabant Wallon) une partie des terrains du parc scientifique situés surson territoire. L'UCL, elle, a pu se contenter d'une promesse de vente àl'IBW d'une partie de ses terrains. Elle y a alors réalisé les voiries, avec lessubsides de l'Etat. Ces voiries irriguent l'ensemble du parc scientifique.

Qu'en est-il de la gestion du parc scientifique? Le comité de gestiona été mis en place par l'Etat national en 1970. La répartition des pouvoirsen est la suivante: l'IBW, la seule à pouvoir obtenir des subsides (jusqu'à

J. Remy et J.-M. Lechat

180

80% du coût des travaux), réalise les voiries et les réseaux divers sur sesterrains; l'UCL doit donner son accord pour toute implantation dans leparc, tandis que les communes de Mont-St-Guibert et d'Ottignies -Louvain-la-Neuve ont un pouvoir consultatif.

En matiĂšre d'implantation, le conseil d'administration de l'UCL a dĂ©-veloppĂ© une stratĂ©gie assez prĂ©cise qui permet de renforcer l'image duparc scientifique. L'UCL cherche Ă  attirer les sociĂ©tĂ©s Ă  haute valeur ajou-tĂ©e, dans les secteurs de la chimie, de la pharmacie et des technologiesĂ  haute prĂ©cision. L'UCL pratique alors une vĂ©ritable sĂ©lection. Commel'IBW gĂšre d'autres zones industrielles, l'UCL la met en relation avectoutes les entreprises qui ne conviennent pas au parc scientifique. Encontrepartie, l'IBW oriente sur Louvain-la-Neuve les entreprises qui lacontactent et qui conviendraient au parc scientifique. Par exemple, lors-qu'il fut dĂ©cidĂ© de rĂ©aliser le premier grand centre de tĂ©lĂ©communica-tions en Belgique (tĂ©lĂ©port), les premiĂšres discussions envisageaient dele localiser Ă  Wavre sur un site propriĂ©tĂ© de l'IBW. L'UCL tenta alors defaire valoir l'intĂ©rĂȘt d'une localisation dans son parc scientifique, et pro-posa que le promoteur puisse au moins choisir entre un site Ă  Louvain-la-Neuve et un autre Ă  Wavre. L'IBW accepta cette proposition et le promo-teur choisit de venir Ă  Louvain-la-Neuve.

La force de l'UCL est certainement d'avoir réussi ce qu'elle a entre-pris: aujourd'hui, c'est un must d'avoir son siÚge à Louvain-la-Neuve. Enplus, l'UCL est assez positive face au développement de toute la régionet elle peut faire valoir assez d'expériences et de compétences pour ex-primer son point de vue, et éventuellement suggérer des maniÚres defaire à d'autres acteurs régionaux impliqués dans le développement éco-nomique.

Il faut cependant relever que cette stratĂ©gie trĂšs sĂ©lective est relati-vement rĂ©cente. Entre 1972 et 1985, l'accueil fut assez large et l'accentpeu portĂ© sur la qualitĂ©. C'est vraiment Ă  partir de 1988, avec l'arrivĂ©e ducentre de recherche de Shell, que l'UCL a pu adopter une stratĂ©gie ri-goureuse. En devenant trĂšs sĂ©lective, l'UCL a immĂ©diatement pu attirerla qualitĂ©. Aujourd'hui, le parc scientifique de Louvain-la-Neuve mĂ©rite letitre de technopole, dans la mesure oĂč on observe maintenant la crĂ©ationde nouvelles entreprises (des spin-offs), qui naissent des interactions etde la rencontre entre des entreprises dĂ©jĂ  prĂ©sentes sur le site.

3. GESTION DE LA VILLE NOUVELLE

Il s'agit maintenant de gérer Louvain-la-Neuve. Cela implique desnégociations permanentes. Par exemple, l'UCL aimerait remettre à la villed'Ottignies l'entretien de certaines infrastructures. La ville veut bien les

Louvain-la-Neuve: une opération complexe à partenaires multiples

181

accepter si, en contrepartie, elle peut rĂ©cupĂ©rer un impĂŽt. Par contre,elle ne voit pas l'intĂ©rĂȘt de reprendre des voiries liĂ©es uniquement Ă l'acadĂ©mique notamment parce que lĂ , il n'y pas de substance taxableprĂ©visible.

3.1 Quelques enjeux

Différentes formes de négociation

Pour mener ces nĂ©gociations, l'UCL a dĂ©veloppĂ© diffĂ©rentesformes de nĂ©gociation qui impliquent diffĂ©rents partenaires dĂ©lĂšguantun nombre dĂ©terminĂ© de reprĂ©sentants. Les nĂ©gociations bipartitesconcernent la ville et l'UCL. Les tripartites rassemblent la ville, l'UCL etl'association des habitants. Les quadripartites les mĂȘmes et le mouve-ment des Ă©tudiants. La gestion de ces rĂ©unions est organisĂ©e sur labase d'un calendrier trĂšs dĂ©taillĂ©, spĂ©cifique Ă  chaque type de nĂ©gocia-tion. Ces rĂ©unions n'ont pas de valeur juridique. Officiellement, aucunedĂ©cision n'y est prise. Mais dans les faits, et au vu de la qualitĂ© des reprĂ©-sentants, il n'est pas rare que ces rĂ©unions dĂ©bouchent sur des quasi-dĂ©cisions. Ce fut le cas, par exemple, avec les problĂšmes d'amĂ©liorationdes piĂ©tonniers lorsque la ville a finalement acceptĂ© en sĂ©ance de mettre1 mio de FB par an pour rĂ©amĂ©nager les piĂ©tonniers, parce que l'UCLvenait d'offrir le mĂȘme montant devant l'association des habitants.

Equilibre interne Ă  la commune d'Ottignies

Il y a un autre enjeu liĂ© au domicile des Ă©tudiants. Beaucoup ont en-core leur domicile lĂ  oĂč habite leurs parents. Le poids Ă©lectoral deLouvain est donc relativement faible et ce d'autant plus que les Ă©tudiantsĂ©trangers, qui ont l'obligation d'Ă©lire leur domicile Ă  Louvain, n'ont pas dedroit de vote. Mais cela est entrain de changer assez rapidement. Pourgarder la majoritĂ©, la commune veut alors poursuivre une stratĂ©gie de dĂ©-veloppement afin de prĂ©server un diffĂ©rentiel qui lui est favorable.Toutefois, les autoritĂ©s n'ont pas de stratĂ©gie de dĂ©veloppement Ă©co-nomique. Ainsi c'est l'UCL qui s'implique dans les commissions localespour aider Ottignies. En effet, les possibilitĂ©s d'Ă©tendre l'UCL dĂ©pen-dent aussi du dĂ©veloppement du reste de la ville. L'imbrication entreLouvain-la-Neuve et Ottignies est considĂ©rable. Toute une sĂ©rie de me-sures et de contreparties se dĂ©veloppent entre les deux entitĂ©s, au pro-fit de l'ensemble de la commune. Car il y a une convergence des intĂ©rĂȘtsglobaux entre l'UCL et Ottignies. Pour l'anecdote, c'est d'ailleurs un peugrĂące Ă  l'importance de la premiĂšre que la seconde sera certainementchoisie comme chef-lieu de la province. Pour ce faire, et Ă  titre provisoire,

J. Remy et J.-M. Lechat

182

Louvain-la-Neuve fournira les bùtiments administratifs nécessaires. Encontrepartie, elle aura le soutien du reste de la commune pour qu'uncentre commercial vienne s'y localiser.

3.2 Centre commercial

Sur le plan urbanistique, il s'agit maintenant de renforcer le centreurbain afin d'Ă©viter que les composants du site ne se tournent le dos.Pour le moment les habitants ont l'impression d'ĂȘtre dans un«suburbain» amĂ©liorĂ©, les Ă©tudiants perçoivent leur «domaine» commeun campus amĂ©liorĂ© et les entreprises du parc scientifique sont satis-faites de leur environnement. Mais, il n'y a pas vĂ©ritablement d'intĂ©grationentre ces trois entitĂ©s. D'oĂč l'enjeu de renforcer le centre et de lui don-ner un seuil Ă  partir duquel l'intĂ©gration des composants serait possible.C'est dans ce contexte qu'il faut situer l'intĂ©rĂȘt du projet de rĂ©alisationd'un centre commercial.

GenĂšse du projet

Il y a environ trois ans un groupe de promoteurs a contactĂ© l'UCL.BasĂ©e sur plusieurs Ă©tudes de marchĂ©, la proposition Ă©tait d'implanter uncentre commercial sub-urbain de 30 000 m2 dans un site trĂšs bien situĂ©par rapport au rĂ©seau de routes, mais en dehors du centre de Louvain-la-Neuve. L'UCL redoutait qu'une telle localisation ne nuise aux com-merces implantĂ©s au centre de Louvain-la-Neuve. Elle proposa un autresite immĂ©diatement dans le centre urbain. Cette solution avait l'avantagede renforcer ce dernier. Mais les promoteurs n'en voulaient pas.Plusieurs nĂ©gociations s'engagĂšrent. L'UCL insistait pour que l'Ă©pi-centre du centre commercial soit sur la place de l'UniversitĂ© et qu'unautre commerce important donne sur la Grande Place. En contrepartie,elle Ă©tait prĂȘte Ă  autoriser que les autres surfaces soient accolĂ©es Ă  lagare, Ă  proximitĂ© des parkings. Les promoteurs acceptĂšrent d'abordd'examiner cette contre-proposition, Ă  laquelle ils finirent par donnersuite.

Suite des négociations

A partir de ce moment, d'autres problÚmes furent discutés. Pour cefaire, l'UCL élabora un document qui précisait ses exigences urbanis-tiques. Ce document a servi de base aux négociations ultérieures qui nefurent pas toujours faciles. Par exemple, l'UCL souhaitait que le centrecommercial puisse améliorer les relations entre deux quartiers d'habita-tion. En outre, elle voulait un centre intégré avec un tiers de logements,

Louvain-la-Neuve: une opération complexe à partenaires multiples

183

un tiers de commerces et un tiers de bureaux. En contrepartie, les pro-moteurs exigĂšrent de pouvoir rajouter la surface nĂ©cessaire Ă  la rĂ©alisa-tion d'un complexe de cinĂ©mas (KinĂ©polis). Enfin, elle posait une sĂ©riede conditions liĂ©es Ă  la rĂ©alisation: construction de l'ensemble de la dalle,mĂȘme si les logements sont rĂ©alisĂ©s par Ă©tape, et obligation de rĂ©aliseren parallĂšle les parties du complexe qui concernent directement la struc-turation du centre urbain.

Dans l'ensemble de ces nĂ©gociations, l'UCL avait certes un pouvoirassez important. Mais sa position Ă©tait dĂ©licate. Si toutes les Ă©tudesd'opportunitĂ© faites par les promoteurs Ă©taient positives, elles montraientaussi que d'autres localisations, en dehors de Louvain-la-Neuve, Ă©taientparfaitement envisageables. En exigeant trop, l'UCL risquait alors deperdre le projet dont l'enjeu pour la structuration du centre urbain Ă©taitconsidĂ©rable. Cette situation permet d'ailleurs d'ouvrir une parenthĂšsequi concerne la maniĂšre de mener ce type de nĂ©gociation. On ne peutpas exiger de fonctionnaires publics qu'ils aient les compĂ©tences pournĂ©gocier des projets oĂč le risque est grand, soit de casser la nĂ©gociationparce que l'on exige trop, soit de rester en-deçà de ce que les promo-teurs accepteraient de fournir en contrepartie. C'est pourquoi l'UCL amandatĂ© un urbaniste spĂ©cialiste des centres commerciaux pour lui indi-quer les marges dans lesquelles la nĂ©gociation Ă©tait possible. Dans lecadre des partenariats public-privĂ©, cette question des compĂ©tences estessentielle pour pouvoir nĂ©gocier Ă  «armes Ă©gales». Le public doit ĂȘtrecapable d'aller chercher les compĂ©tences ailleurs, mĂȘme si celles-ci sontseulement disponibles dans le privĂ©.

Une fois que le projet eut gagné en maturité, par le biais de négo-ciations relativement secrÚtes, l'étape suivante fut d'amener le projet auconseil d'administration de l'UCL puis devant les autorités d'Ottignies.Celles-ci s'intéressÚrent au projet tout en demandant que le promoteuraide la municipalité à remettre à flot un projet qui peinait dans un autrequartier de la commune.

Les interlocuteurs suivants furent l'association des habitants deLouvain-la-Neuve, les représentants des commerçants, les étudiants quisouhaitaient obtenir des locaux pour une salle polyvalente. Les diffé-rentes séances qui eurent lieu avec ces groupements font partie d'unestratégie plus large de communication qui est nécessaire pour former unconsensus suffisant autour d'un projet. Il fut alors possible de discuter ducertificat d'urbanisme, dont l'obtention est nécessaire pour tout projetcommercial, et qui correspondait à un accord de principe de la commune.

Pour bien montrer la précarité de ce type de processus et malgré lesmultiples séances d'information, il faut mentionner que tout ne s'est pasdéroulé sans problÚme. Ainsi, à la fin du mois d'octobre 93, un commu-niqué de presse de l'association des habitants annonçait que, sans re-

J. Remy et J.-M. Lechat

184

mettre en question l'ensemble du programme, elle contestait l'implanta-tion d'une partie du projet et souhaitait que tout cela soit renégocié. Lespromoteurs, pressés par les délais, se remirent alors au travail et propo-sÚrent une série de concessions pour répondre aux exigences des habi-tants. Les négociations en sont là. Il est toutefois intéressant de releverque toutes les parties sont d'accord sur le programme du complexe,d'une part, et que les promoteurs, malgré cet imprévu, ne sont pas sortidu jeu et retravaillent à une autre solution, d'autre part.

4. QUELQUES ENSEIGNEMENTS

4.1 importance des personnes

Qualité de ceux qui ont porté le projet

Bien sûr, tous les montages sont importants sur un plan technique,mais ce qui est resté primordial dans l'expérience de Louvain-la-Neuve,c'est la qualité des gens, la capacité de quelques personnes à prendredes décisions et à les assumer dans une situation qui, dans le cadre de laséparation entre les unités francophone et néerlandophone de l'Univer-sité de Leuven, était une situation d'urgence (emergency).

Qualité des membres des associations

Dans les comitĂ©s de quartier, le niveau socio-culturel des leadersd'opinion est trĂšs Ă©levĂ© et la tenue des discussions-nĂ©gociations estgĂ©nĂ©ralement trĂšs bonne. De plus, ces comitĂ©s fonctionnent souvent Ă des Ă©chelles diffĂ©rentes. Ils peuvent ĂȘtre prĂ©sents pour des projets quiconcernent un bĂątiment et ils peuvent aussi revendiquer des objets quiintĂ©ressent l'ensemble de Louvain-la-Neuve. Cela est important pour larĂ©ussite de l'ensemble du projet. Par exemple, les promoteurs ont Ă©tĂ©trĂšs agrĂ©ablement surpris par la pertinence des questions posĂ©es lorsdes sĂ©ances d'information. Cette qualitĂ© contribue Ă  ce que ces comitĂ©ssoient pris au sĂ©rieux. Elle oblige aussi les autres parties Ă  rĂ©pondre cor-rectement. Il se crĂ©e lĂ , de nouveau, une synergie qui au fond bĂ©nĂ©ficieĂ  l'ensemble du projet.

4.2 Reproductibilité de l'expérience

RĂ©aliser une ville nouvelle est une chose que l'on ne peut recom-mander Ă  personne. Il est possible de faire, avec moins d'engagement,

Louvain-la-Neuve: une opération complexe à partenaires multiples

185

des développements à partir de noyaux urbains déjà constitués. C'étaitd'ailleurs le projet initial. Mais le bourgmestre de Wavre a eu peur que l'ar-rivée de l'UCL ne modifie l'équilibre de sa commune. Et c'est pourquoi leprojet s'est développé sur un plateau pratiquement libre de touteconstruction, situé sur le territoire de la commune d'Ottignies.

Sur un plan économique, l'UCL a peu de disponibilité financiÚrepour investir dans le projet urbain. Une université qui vit essentiellementde subsides n'a pas, à proprement parler, de valeur. Elle a une notoriété,mais elle ne produit pas de la valeur. Or, sans avoir levé ni taxe ni impÎt eten recourant peu à l'Etat, on peut dire que l'UCL a permis de créer unpÎle de développement régional à un coût relativement faible pour lacollectivité.

A cÎté de cela, il faut reconnaßtre que l'expérience de Louvain-la-Neuve est difficilement reproductible. En voici quelques raisons.

Adhésion au plan directeur

Parce qu'il s'agit d'une ville nouvelle, le recours au plan directeur esttrĂšs important. D'abord, il est utilisĂ© pour informer ceux qui viennents'Ă©tablir Ă  Louvain-la-Neuve du projet qui est en cours et auquel on leurdemande d'adhĂ©rer. Ensuite, il est la rĂ©fĂ©rence Ă  partir de laquelle sontexaminĂ©s tous les nouveaux projets. Dans ce contexte, il est parfoisfrappant de relever que l'association des habitants reproche au servicedu plan urbain de prendre trop de libertĂ©, Ă  son avis, par rapport Ă  l'espritdu plan directeur. Enfin, le plan directeur qui prĂ©cise plusieurs enjeuximportants est un document qui est discutĂ©, nĂ©gociĂ©, parfois durement,par les diffĂ©rents groupes. Il devient alors presque un outil oĂč les asso-ciations et l'UCL finissent par avoir des positions qui sont certes indĂ©-pendantes mais qui, au moins sur les points essentiels, sont largementconvergentes. Cette vision un peu idĂ©ale ne doit cependant pas dissi-muler d'abord des tensions rĂ©elles et ensuite des conflits assez sĂ©rieux.Par exemple, il y a eu des dĂ©bats au sein de l'association des habitantsentre ceux qui souhaitaient la poursuite du projet de ville et ceux qui es-timaient qu'il fallait maintenant s'opposer Ă  toute croissance et refuser lecentre commercial. Ce conflit semble ĂȘtre maintenant dĂ©passĂ© puisquele communiquĂ© de presse de l'association stipule qu'elle accepte le pro-gramme et que ses rĂ©ticences concernent des options urbanistiques.N'empĂȘche qu'il a pesĂ© sur les discussions et les nĂ©gociations liĂ©es aucentre commercial.

Il est certain que cette situation est particuliÚre. Dans la plupart desvilles, le plan directeur est établi aprÚs coup. Il ne peut pas alors servir desupport à l'adhésion des différents groupes d'habitants à un projet com-mun de gestion ou de reproduction de la ville.

J. Remy et J.-M. Lechat

186

Structure institutionnelle

L'expĂ©rience de Louvain-la-Neuve est difficilement transposable aupouvoir communal. Par contre, on pourrait envisager un transfert pour unĂ©tablissement public constituĂ© de la rĂ©gion et des communes voisines.L'UCL a tentĂ© cela, notamment pour accroĂźtre sa lĂ©gitimitĂ© dĂ©mocratique.Mais ce sont les autoritĂ©s politiques proches de l'universitĂ© qui trouvaientcette voie suicidaire, car elle aurait empĂȘchĂ© une prise de dĂ©cision rapideet la prise de risques.

L'avantage de la structure de Louvain-la-Neuve est alors certaine-ment de ne pas ĂȘtre liĂ©e au problĂšme de rĂ©Ă©lection que connaissenttoutes les autoritĂ©s communales. Avec la logique de l'Ă©lection le court-terme tend Ă  prendre le pas sur le long terme. Or, cette logique est diffici-lement compatible avec le long terme qui est nĂ©cessaire pour concilier cequi est marchand, et qui relĂšve du dĂ©veloppement Ă©conomique donc ducourt terme, avec ce qui est non marchand et qui relĂšve plutĂŽt de l'urba-nisme et du long terme. Dans ce contexte, nous retrouvons bien un desenjeux du partenariat public-privĂ©. Le PPP n'est-il pas potentiellementriche s'il est un des lieux de rencontre entre les impĂ©ratifs de l'Ă©conomieet de la promotion Ă©conomique, d'une part, et les prĂ©occupations del'amĂ©nagement et de l'urbanisme, d'autre part?

TroisiĂšme partie

CONDITIONS ET INSTRUMENTSDE MISE EN ƒUVRE

189

Chapitre 12

PARTICIPATION DU PUBLIC À LA PRÉPARATIONDES GRANDS PROJETS D'INFRASTRUCTURES

Philippe WARIN

1. BESOIN DE RAPPROCHEMENT DE L'ADMINISTRATION

Le thÚme de la relation entre l'administration et son public a faitl'objet d'une importante production de lois, de circulaires ministérielles,de textes réglementaires, au cours des années quatre-vingts en France.Que ce soit dans le cadre de politiques sociales, comme celles relativesau DSU (développement social urbain), ou de politiques réglementaires,comme par exemple celles qui organisent la réalisation des grands pro-jets d'équipements routiers ou ferroviaires, on observe une préoccupa-tion constante du législateur pour développer l'information, la consulta-tion et parfois la concertation avec le public et les associations autourd'objectifs précis, visant à améliorer les actions ou les services rendus.Les lois les plus importantes, votées ces derniÚres années dans ces dif-férents domaines, se sont toutes efforcées d'introduire au moins une

P. Warin

190

obligation de consultation des destinataires ou des utilisateurs finaux del'action publique.1

Les raisons qui expliquent ce besoin actuel de l'administration de serapprocher de ses usagers sont multiples, et un vrai travail de recherchereste à faire pour en cerner toute la complexité. Mais deux raisons parmielles forcent l'attention:

● l'aspiration des services publics vers une logique concurrentielle,sinon commerciale, oĂč la satisfaction des exigences des usagers-clients met Ă  rude Ă©preuve le respect des obligations du servicepublic;

● la dĂ©gradation de l'image du monde politique, qui oblige Ă  dĂ©ve-lopper des nouveaux modes de participation politique autourd'activitĂ©s de consultation sur des sujets qui intĂ©ressent directe-ment les citoyens.

Aujourd'hui en France, ce thĂšme a pour principal cadre d'expres-sion le mouvement de modernisation de l'administration publique [Warin1992]. La consultation des usagers (qui permet l'expression des pointsde vue), voire la concertation (qui introduit la phase de nĂ©gociation), pa-raĂźt dĂ©terminante au moment oĂč les services publics, soumis de plus enplus Ă  une rĂ©gulation par le marchĂ©, sont amenĂ©s Ă  diffĂ©rencier davan-tage les services rendus au public. L'usager est devenu la rĂ©fĂ©rence ul-time de l'action publique, et sa satisfaction le point de passage obligĂ© detout discours sur l'administration. Autour de lui doivent s'organiser leschangements structurels et culturels dans l'administration. Ainsi aujour-d'hui, la RATP (RĂ©gie autonome des transports parisiens) organise des«comitĂ©s spĂ©cialisĂ©s» qui associent les reprĂ©sentants des usagers pouraborder, sous l'angle de la concertation, diffĂ©rents sujets intĂ©ressant di-rectement les voyageurs (tarification, pĂ©age, signalisation, contrĂŽle).

A cela, il faut probablement ajouter une autre raison qui est lebrouillage des repĂšres de l'action publique. Elle conduit Ă  rendre l'opi-

1 Sans tous les Ă©numĂ©rer, nous pouvons mentionner les textes rĂ©glemen-taires du DSU, qui demandent qu'une consultation soit organisĂ©e lors de ladĂ©finition des programmes d'actions. La LOV (loi d'orientation pour la villedu 13 juillet 1991) institue un «droit Ă  la ville» et impose dans son article 4une consultation obligatoire lors de toute opĂ©ration intĂ©ressant les condi-tions de vie des habitants. Dans le domaine des grands projets d'Ă©quipe-ment et de l'amĂ©nagement du territoire, la mĂȘme prĂ©occupation apparaĂźt.La loi Bouchardeau du 12 juillet 1983, portant sur la dĂ©mocratisation desenquĂȘtes d'utilitĂ© publique, vise Ă  constituer un cadre obligatoire deconsultation applicable Ă  toutes les enquĂȘtes publiques. Les rĂ©sultats decette loi Ă©tant, entre autres, jugĂ©s insuffisants, une circulaire du 15 dĂ©-cembre 1992, relative Ă  la conduite des grands projets nationaux d'infra-structures, cherchera Ă  instaurer les conditions d'un large dĂ©bat.

Participation du public

191

nion publique plus mĂ©fiante. Ce brouillage, qui a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© observĂ© au ni-veau des moyens et des rĂ©gimes juridiques [Pisier-kouchner 1982], estaccentuĂ© aujourd'hui avec l'essor des politiques contractuelles qui sem-blent entraĂźner une rapide confusion des responsabilitĂ©s, Ă  cause des fi-nancements croisĂ©s et de la complexitĂ© du partenariat institutionnel queces politiques nĂ©cessitent. On le constate aussi bien pour des politiquesurbaines [Guillemot 1992] que pour des projets d'amĂ©nagement d'en-vergure nationale [Millon 1992]. On ne sait plus de qui dĂ©pend quoi. Leschoix effectifs des Ă©lus deviennent de moins en moins lisibles, quand ilsn'Ă©clatent pas en «affaires». Cette situation n'est vraisemblablement pasĂ©trangĂšre au retour sur le devant de la scĂšne politico-mĂ©diatique de laquestion de la moralitĂ© en politique. Dans ce contexte, le renforcementdes relations de proximitĂ© avec les citoyens ou les usagers est une façonde satisfaire cette demande de transparence et de clartĂ© de l'action pu-blique et de l'activitĂ© politique. Ainsi, avec la loi de dĂ©centralisation de1982, le lĂ©gislateur a-t-il nourri l'objectif d'instaurer davantage de transpa-rence pour effacer les consĂ©quences nĂ©gatives, Ă  bien des Ă©gards, del'imbrication des compĂ©tences entre les diffĂ©rents niveaux de gouver-nement [GrĂ©mion 1992]. De la mĂȘme façon, les mesures prises pourmoderniser les services publics sont prĂ©sentĂ©es comme devant contri-buer Ă  rĂ©affirmer le «respect de la sociĂ©tĂ© civile».2 La transparence del'action administrative, telle qu'elle est dĂ©finie dans la rĂ©cente Charte duservice public, constitue la condition essentielle de la concertation descitoyens ou du public destinataire de l'action publique.3 Mais aux doutesdu public devant le brouillage des repĂšres traditionnels s'ajoutent desdemandes de politiques plus articulĂ©es autour des principes du servicepublic ou des valeurs d'environnement, de qualitĂ© de vie, de pouvoirdans l'entreprise, de droits des minoritĂ©s. Ces demandes sont formulĂ©espar des populations mieux Ă©duquĂ©es, qui s'Ă©mancipent des filiĂšres clas-siques de la participation politique et rejoignent de nouveaux groupes

2 Le respect de la sociĂ©tĂ© civile est un thĂšme majeur dans la circulaire du 27mai 1988 du Premier ministre Rocard. Elle instaure un «code de dĂ©ontologiede l'action gouvernementale» dont le principe de base est exprimĂ© commesuit: «... si la finalitĂ© de notre action est l'amĂ©lioration des conditions de viede nos concitoyens, elle n'est certainement pas de leur façonner un modede vie dont ils ne voudraient pas. Aussi devons-nous ĂȘtre constamment Ă l'Ă©coute des aspirations et contribuer, si faire se peut, Ă  leur rĂ©alisation».Cette idĂ©e est reprise dans la circulaire du 23 fĂ©vrier 1989 sur le renouveaudu service public qui propose d'associer plus Ă©troitement les associationsd'usagers Ă  l'amĂ©lioration des services publics.

3 «La transparence doit ĂȘtre conçue comme une condition du dialogue et dela concertation mais Ă©galement comme un instrument du contrĂŽle de l'ac-tion des services publics par les usagers» [MinistĂšre 1993: 13].

P. Warin

192

d'intĂ©rĂȘt (c'est le phĂ©nomĂšne de «mobilisation cognitive» dĂ©crit parInglehart [1977] et Dalton [1988] notamment).

Le bilan de ces efforts pour développer une concertation du publicn'est cependant pas bon, loin s'en faut. De nombreux exemples permet-tent de l'attester.

Dans le domaine du génie urbain, le directeur de l'INGU-L (Institutnational du génie urbain de Lyon) notait lors d'un colloque récent:

«il n'y a pas vraiment de concertation, en France, dans le do-maine du gĂ©nie urbain. Quand les usagers sont consultĂ©s,cela porte trop souvent sur les solutions techniques. Alors quepour ĂȘtre vĂ©ritablement efficace, il faudrait les associer dĂšsl'origine et s'accorder bien souvent un temps plus long de rĂ©-flexion et d'Ă©laboration».4

En ce qui concerne le dĂ©veloppement social urbain, les rapportsd'Ă©valuation rendent compte d'un Ă©chec Ă  propos de la concertation etmĂȘme, plus simplement, de la consultation tentĂ©e auprĂšs des destina-taires des programmes d'actions [Delarue 1991, Floch 1991 et Nasse,1992]. Personne ne le contredit. En 1992, le PrĂ©sident de laCommission des affaires sociales, familiales et culturelles de l'AssemblĂ©enationale reconnaĂźt que:

«l'un des grands défauts de la politique des villes, son granddrame, c'est que l'on n'a que trÚs peu d'occasions de faire ré-agir en vérité, et non de façon publicitaire, les utilisateurs fi-naux de ces politiques sur leurs attentes».5

Les raisons de cet échec sont nombreuses. Il apparaßt avec une cer-taine évidence que chaque commune définit librement son mode d'ac-tion, faute d'une formulation de l'action avec les habitants plus élaboréeet imposée comme cadre de référence, à partir duquel se négocieraitavec l'Etat la convention d'un programme de DSQ (développement so-cial de quartier). La décision de mettre en place un dispositif DSQ est unacte politique qui relÚve principalement de la volonté municipale. La vo-lonté des organismes logeurs (HLM) n'est pas décisive à ce niveau-là,tandis que l'Etat ne peut pas modifier le projet contre la volonté munici-pale. Il peut essayer de négocier une orientation différente, en argumen-tant une meilleure conformité du projet avec les textes et les directives

4 Propos de B. Archer, cité dans Senebier [1993: 61].

5 Extrait d'un entretien avec J.-M. Belorgey [1992]. J.-M. Belorgey a présidéla Commission des affaires sociales, familiales et culturelles à l'Assembléenationale, le groupe interministériel Habitat et Vie Sociale et le Comitéd'évaluation de la politique de la ville.

Participation du public

193

qui rĂ©glementent le DSQ. Mais si la commune s'obstine, il n'a que la pos-sibilitĂ© de refuser la convention qui officialise le partenariat institutionnelet dĂ©clenche les procĂ©dures de financement.6 Dans ces conditions, laplace de l'habitant dans un cadre contractuel ne peut ĂȘtre attribuĂ©e quepar la volontĂ© municipale, en fonction du modĂšle dĂ©mocratique qui ins-pire l'action de la municipalitĂ© concernĂ©e [Dion 1984, Jacquier et Warin1985 et Jegouzo 1992]. La consultation prĂ©vue par la LOV est de laseule initiative du conseil municipal. Par consĂ©quent, il n'y a rien qui nesoit de nature Ă  inquiĂ©ter les tenants de l'exclusivitĂ© de la dĂ©mocratie re-prĂ©sentative. Cela conduit Jegouzo Ă  suggĂ©rer que, dans ce domaine,

«seule l'introduction d'un rĂ©fĂ©rendum d'initiative populaire au-rait Ă©tĂ© de nature Ă  bouleverser les Ă©quilibres institutionnels».De mĂȘme, dans les projets d'amĂ©nagement ou d'Ă©quipement, qui

peut forcer un maĂźtre d'ouvrage puissant (un «grand» maire, un prĂ©si-dent de conseil gĂ©nĂ©ral ou une entreprise publique comme la SNCF) Ă organiser les conditions d'une concertation avec les usagers, les futursutilisateurs ou les groupes d'intĂ©rĂȘt concernĂ©s par la rĂ©alisation du projet(associations de riverains, professionnels)? La concertation avec le pu-blic paraĂźt donc subordonnĂ©e Ă  une volontĂ© politique ou administrative.Dans ce cas, l'information et la consultation du public seraient utilisĂ©escomme des recettes de gestion politique ou Ă©conomique. Elles servi-raient Ă  lĂ©gitimer un projet et Ă  Ă©viter le surcoĂ»t d'une contestation troptardive.

Ce point de vue critique a sa pertinence, mais il est sommaire. Leschoses paraissent en effet plus complexes. On observe que certainesinstances acceptent une politisation des projets par le public, c'est-Ă -direun rapprochement de problĂšmes ou de conflits jusque-lĂ  considĂ©rĂ©scomme indĂ©pendants, et qu'elles cherchent Ă  rendre plus contradictoirela procĂ©dure consultative. Dans un pays oĂč la tradition jacobine persisteencore, les efforts rĂ©alisĂ©s pour rendre compte du pluralisme social sontfragiles [Hall 1992] et interrogent, par consĂ©quent, lorsqu'ils proviennentdu sommet de l'Etat. Aussi, nous proposons d'illustrer cette tentatived'organisation de la concertation avec le public par l'administration cen-trale, avant d'essayer d'en examiner le sens. A cette fin, nous allons indi-quer comment des hauts fonctionnaires français, en l'occurrence desinspecteurs gĂ©nĂ©raux du MinistĂšre de l'Ă©quipement, ont rĂ©cemment dĂ©-fini les principes d'une consultation souhaitable dans le cas de grands

6 Le bilan des opérations de DSQ montre que si de tels refus ne sont pas ex-ceptionnels, les partenaires parviennent généralement à un accord sur unprojet revu et corrigé.

P. Warin

194

projets routiers et ferroviaires, à partir de leurs expériences des avatarsde la consultation, dans les projets de tracés des lignes TGV.

2. CONSULTATION ET CONCERTATION DANS LA CULTUREDU MINISTÈRE DE L'ÉQUIPEMENT

La notion de concertation n'est pas absente de la culture de ce mi-nistĂšre technique, et en particulier de celle des ingĂ©nieurs des Ponts etChaussĂ©es. La question du rapport aux usagers, telle que la pose au-jourd'hui une administration devenue soucieuse de son avenir, ne peutpas en effet ĂȘtre abordĂ©e sans tenir compte aussi de la thĂ©matique plusancienne de la participation des citoyens au dĂ©veloppement urbain, qui aconnu son apogĂ©e au milieu des annĂ©es soixante-dix. L'administrationpublique française, et celle de l'Equipement en particulier, conserve decette pĂ©riode une vision pour le moins stratĂ©gique de la nĂ©cessitĂ© d'uneconcertation avec les collectivitĂ©s locales et les associations d'usagers.

DĂšs le dĂ©but des annĂ©es soixante, on assiste en France Ă  un mou-vement en faveur d'une participation des usagers ou des habitants Ă  laproduction de leur ville. Ce mouvement naĂźt des craintes grandissantesliĂ©es au dĂ©veloppement d'un urbanisme technocratique, et de la remiseen cause de la planification urbaine comme mode de globalisation desproblĂšmes et d'intĂ©gration des intĂ©rĂȘts en jeu, qu'expriment des intellec-tuels n'occupant pas de position d'expertise proche du pouvoir politiqueen place [Chombart de Lauwe 1953, Lefebvre 1968 et 1972, Castells1973, Coing 1973 et Ragon 1977]. Les analyses abondantes sur les-quelles s'appuie ce mouvement sont souvent inspirĂ©es d'expĂ©riencesĂ©trangĂšres, en particulier canadiennes [Castells 1972 et Alexander1976]. Elles servent aussi au renouvellement de la problĂ©matiquemarxiste sur l'Ă©tude du politique. Ainsi, va-t-il exister dans ce pays, jus-qu'au dĂ©but des annĂ©es quatre-vingts, une intense rĂ©flexion sur lesformes de la dĂ©mocratie locale, dans laquelle on s'interroge beaucoupsur les modalitĂ©s de la participation des citoyens.7

7 Un point culminant de cette rĂ©flexion est le colloque «Urbanisme et liber-tĂ©s» de 1977, au cours duquel personne ne contesta plus la nĂ©cessitĂ©d'associer le plus grand nombre de citoyens Ă  la politique de l'urbanisme.Mais les interrogations sur les modalitĂ©s de la participation et sur ce quel'on peut raisonnablement en atteindre sont plus que jamais prĂ©sentes.Plusieurs expĂ©riences montrent que le langage peut-ĂȘtre un obstacle es-sentiel Ă  la participation. En outre, les associations qui aspirent Ă  reprĂ©-senter la population se heurtent aux Ă©lus dĂ©tenteurs lĂ©gitimes du pouvoirde dĂ©cision. Enfin, les associations ne sont pas toujours reprĂ©sentatives.Elles n'expriment parfois que de simples intĂ©rĂȘts privĂ©s.

Participation du public

195

Cette réflexion critique débouchera sur peu d'expérimentationssociales8 et n'amÚnera qu'une timide transformation du droit en matiÚrede participation.9 Le déclin du paradigme urbain et l'émergence au milieudes années soixante-dix de références nouvelles - le cadre de vie etl'environnement - produisent un glissement des préoccupations vers lesusages sociaux de l'espace et de l'habitat, vers une micro-sociologie dela vie quotidienne qui éloigne alors la «recherche urbaine» des explica-tions globales, qui postulaient un changement de société dans la trans-formation des rapports sociaux urbains [D'Arcy et Prats 1985]. Cette ré-flexion sur la participation des citoyens aux politiques urbaines s'assoupitau début des années quatre-vingts, tant la difficulté de réaliser cet idéalqui s'oppose aux pouvoirs en place est grande. Un autre élément expli-catif est sans doute aussi fourni par l'application de la loi de décentralisa-tion qui transfÚre aux collectivités locales des prérogatives de l'Etat cen-tral en matiÚre d'urbanisme. Avec la décentralisation, le législateur avoulu instaurer de la clarté dans les rapports qui lient les citoyens auxdécisions qui les concernent. De la sorte, la revendication d'une démo-cratie participative perdait un peu de pertinence. Dans un domainecomme l'urbanisme, le maire devenant responsable de ses actes devantles électeurs, la démocratie était supposée gagner en proximité. Mais dixans aprÚs, le bilan paraßt plutÎt mitigé, et il n'est pas certain que dans ledomaine particulier de l'urbanisme, l'action publique ait vraiment acquisplus de transparence [Grémion, 1992, Moussé 1993].

Cela Ă©tant, les cadres de l'Administration de l'Ă©quipement (qui de-vient en 1976 le MinistĂšre de l'environnement et du cadre de vie) ne tra-versent pas ce mouvement de revendication sans ĂȘtre concernĂ©s, ni at-teints dans leurs schĂ©mas de pensĂ©e. DĂ©jĂ  en 1969, Thoenig etFriedberg signalent l'engagement des ingĂ©nieurs des Ponts etChaussĂ©es dans ce mouvement. Le caractĂšre politique de l'amĂ©nage-ment urbain amĂšne ces acteurs Ă  prĂ©coniser une transformation des rap-ports entre l'administration et les collectivitĂ©s locales, et Ă  Ă©tendre la par-ticipation en y faisant entrer des professionnels locaux et des associa-tions:

«pour agir efficacement, il faut susciter les interlocuteurs né-cessaires tout en codifiant les rapports avec un environnement

8 Les expĂ©riences les plus innovantes ne se rĂ©pĂštent pas. Aujourd'hui, lesrĂ©fĂ©rences sont toujours les mĂȘmes: l'Alma Gare Ă  Roubaix, les Groupesd'action municipale Ă  Grenoble ou les conseils municipaux ouverts auxĂ©trangers rĂ©sidant dans la commune de Mons en Baroeuil.

9 On identifie deux lois: celle du 31 décembre 1976 sur l'urbanisme qui re-connaßt le rÎle des associations agréées, et celle du 3 janvier 1977 qui ins-titue les Conseils en Architecture et Urbanisme.

P. Warin

196

mal connu et mouvant. La participation en constitue l'instru-ment indispensable» [Thoenig et Friedberg 1969].MĂȘme si les grands services qui s'occupaient des domaines de l'ur-

banisme et de l'aménagement du territoire ont fondu avec la décentrali-sation, il reste des agents de l'Etat, qui ont vécu cette période et qui, dis-séminés dans d'autres services et notamment dans les services du«transport» et de l'«habitat», ont véhiculé ces modÚles de participationtrÚs fortement centrés sur les collectivités locales et les associations.

Cependant, la perception stratĂ©gique de la concertation (utile pourconstituer des interlocuteurs et des partenaires) ne va pas se rĂ©pandredans l'Administration de l'Ă©quipement. L'Ă©tude des expĂ©riences d'audi-tions publiques, entreprises au cours des annĂ©es quatre-vingts Ă  l'initia-tive du MinistĂšre de l'environnement, souligne comment des ingĂ©nieursreconnus essentiellement pour leur compĂ©tence technique se sontspĂ©cialisĂ©s dans des techniques de relations humaines pour initier desdĂ©marches consultatives [Defrance 1988]. De la mĂȘme façon, des re-cherches plus rĂ©centes ont montrĂ© la prĂ©sence d'ingĂ©nieurs-militantsdans les services extĂ©rieurs de l'Equipement, et en particulier dans lesservices directement impliquĂ©s dans des actions partenariales liĂ©es Ă  la«politique de la ville». Ces ingĂ©nieurs s'impliquent fortement dans lesĂ©quipes opĂ©rationnelles et initient des processus de consultation de lapopulation. Cette attitude n'est pas majoritaire parmi les agents del'Equipement. Mais son existence met bien en lumiĂšre la dimension stra-tĂ©gique du partenariat avec les habitants. Il s'agit de mieux se positionnerdans le partenariat institutionnel Ă  partir d'une forte implication dans laconduite d'opĂ©rations dans le cadre de programmes DSQ [PĂ©raldi 1991et Favrot-Laurens 1993]. Cette attitude est celle d'ingĂ©nieurs subdivi-sionnaires qui ont souvent pratiquĂ© la conduite d'opĂ©rations dans le do-maine des constructions publiques, et qui portent un intĂ©rĂȘt personnel Ă l'amĂ©nagement urbain et Ă  l'Ă©change entre habitants et acteurs de ter-rain. Leurs efforts sont d'autant plus remarquĂ©s par les observateurs quedans les textes10, dans les dispositifs mis en Ɠuvre [Ion 1991] et dans

10 Si l'on s'en tient aux textes officiels, la participation des habitants au pro-cessus de dĂ©veloppement de leur quartier reste une prĂ©conisation Ă  carac-tĂšre gĂ©nĂ©ral, justifiĂ©e par ses effets pratiques dans le changement socialespĂ©rĂ©. La volontĂ© de faire participer les habitants paraĂźt avant tout pĂ©da-gogique et normalisatrice. Ainsi, pour la Commission nationale pour le dĂ©-veloppement social des quartiers, elle est destinĂ©e Ă  «changer les mentali-tĂ©s comme la façon d'agir de chacun» et Ă  opĂ©rer un «redressement». Pourle ComitĂ© d'Ă©valuation de la politique de la ville, ce n'est pas sans dĂ©s-abusement qu'il se demande «si les habitants ont vĂ©ritablement trouvĂ© leurplace dans le DSU, alors que dans l'esprit des pionniers de cette politique,ils devaient ĂȘtre les garants de sa rĂ©ussite», (voir l'Evaluation de la poli-

Participation du public

197

les discours politiques11, le partenariat avec les habitants reste une in-tention floue, davantage centrée sur l'assistance que sur l'intégrationdes habitants.

3. POLITISATION DES PROJETS TGV

La question de la consultation dans les projets TGV est, elle aussi,chargée d'enjeux stratégiques pour l'administration centrale. Avec la po-litique TGV, la SNCF procÚde à une redéfinition complÚte de sa politiqued'exploitant du réseau ferré national. Le TGV est le moyen de définir unnouveau concept de service ferroviaire (rapidité sur de grandes dis-tances et valorisation du temps de voyage grùce aux horaires et auxaménagements des rames qui facilitent l'articulation entre le déplace-ment et le travail), d'assurer le développement et la promotion à l'étrangerd'une technologie moderne, de restructurer l'espace national et euro-péen en modifiant les perceptions des distances, et de renouvelerl'image du transport ferré auprÚs du public et du personnel de l'entre-prise. Cette politique reçoit bien sûr le soutien et l'aval du gouverne-ment, mais aussi de la puissante FNAUT (Fédération nationale des asso-ciations d'usagers des transports) qui adhÚre à son programme d'exten-sion du réseau.12 Cela étant, la réalisation de nouvelles lignes pose des

tique de la ville, document cadre pour la préparation des notes de synthÚserégionale du 25 mai 1992).

11 Par exemple, le ministre Besson évoque les relations de l'Equipement avecles habitants et les usagers de la façon suivante: «Ils n'attendent certespas tout de l'Etat; mais l'information, l'accueil, le service, l'aide, la protec-tion qu'ils sont en droit d'espérer, c'est notre responsabilité à nous de lesorganiser, de les susciter, de les améliorer et de les développer, en nousappuyant, le cas échéant, sur les réseaux compétents de partenaires. Ceshommes et ces femmes sont aussi, en tant qu'usagers, en droit d'exigerune pleine efficacité de l'Etat, une bonne utilisation des deniers publics etun service ouvert, lisible et proche» (allocution sur la modernisation dans lesecteur de l'habitat faite le 12 mars 1991).

12 Les associations d'usagers réunies au sein de la FNAUT 2000 ont toujoursconsidéré que l'«équipement crée l'usage», et qu'un effort vigoureux d'in-vestissement ferroviaire devait permettre à la SNCF d'élargir sa clientÚle etcontribuer ainsi à réduire les coûts sociaux du systÚme de transport. Ellesont donc, dÚs son émergence, soutenu le projet TGV Sud-Est et combattuceux qui, vers 1975, parlaient à son sujet de «concorde du rail», de«catastrophe écologique». Aujourd'hui encore, conscientes des dangersde l'explosion des trafics routier et aérien, les associations sont favorablesà la poursuite du programme TGV. Elles ne sont que plus à l'aise pour fairepart de leurs critiques concernant aussi bien les méthodes d'exploitation

P. Warin

198

difficultĂ©s politiques au gouvernement. La dĂ©finition de leurs tracĂ©s estparticuliĂšrement conflictuelle et la SNCF n'a pas toujours su organiserune consultation suffisante. Les collectivitĂ©s locales et les groupes d'in-tĂ©rĂȘt locaux (associations de riverains et de dĂ©fense de l'environnement,les chambres de commerce et d'industrie) font alors pression pour quetoutes les consĂ©quences des projets de tracĂ© soient mesurĂ©es, dĂ©bat-tues et prises en compte.

La politisation du projet est particuliĂšrement forte dans le cas duTGV Sud-Est. Le projet concerne beaucoup de collectivitĂ©s et d'intĂ©rĂȘtslocaux: les rĂ©gions RhĂŽne-Alpes, Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-CĂŽte d'Azur, cinq dĂ©partements et plus de cent communes. Maisaussi, l'histoire du projet montre que le projet initial de la SNCF, qui datede 1989, ne rencontrait pas d'opposition majeure, jusqu'Ă  ce que le 14juillet 1990, le PrĂ©sident de la RĂ©publique, au cours de la traditionnellegarden party de l'ElysĂ©e, ne fasse allusion au TGV devant les journa-listes, en affirmant notamment que le tracĂ© risquait de condamner des vi-gnobles rĂ©putĂ©s. Avant ces propos les deux tiers des personnes inter-rogĂ©es se dĂ©claraient favorables au TGV Sud-Est. La tendance s'inverseĂ  la suite de cette dĂ©claration prĂ©sidentielle. AussitĂŽt les viticulteurs lo-caux, dĂ©jĂ  inquiets, se mobilisent et entreprennent des actions de pro-testation, parfois spectaculaires. Ces groupes d'intĂ©rĂȘt entraĂźnent cer-tains Ă©lus locaux dans leur mouvement. Les rĂ©sultats des commissionsd'enquĂȘte sont contestĂ©s, la neutralitĂ© des commissions ou des com-missaires-enquĂȘteurs est mise en cause, des actions directes parfoisviolentes sont commises, des groupes d'intĂ©rĂȘt qui s'ignoraient jusque-lĂ  conjuguent leurs efforts.Le passage de la contestation Ă  la protesta-tion, avec le recours Ă  l'action directe, et le rapprochement des conflits,avec l'apparition de collusion entre groupes d'intĂ©rĂȘt bien distincts, sontles signes apparents d'une politisation locale forte du projet TGV.13

Le gouvernement est donc amenĂ© Ă  arbitrer entre les intĂ©rĂȘts dumaĂźtre d'ouvrage et des collectivitĂ©s locales. Celles-ci posent de nou-veaux problĂšmes Ă  la fois Ă©cologiques, avec le respect de l'Ă©quilibre d'unsite ou la prise en compte de sa dangerositĂ©, et Ă©conomiques, avec laprise en compte des effets de recentralisation des entreprises et des ac-tivitĂ©s de service [Bonnafous 1990]. De nouvelles missions d'expertise,

du TGV que de ses effets pervers [SivardiÚre 1990]. (J. SivardiÚre est se-crétaire général de la FNAUT 2000 et administrateur de la SNCF.)

13 Dans la vallĂ©e du RhĂŽne, les Ă©cologistes et les vignerons se prĂȘtent atten-tion et assistance, et rassemblent parfois leur «potentiel protestataire»; dela mĂȘme façon, les groupes Ă©cologistes n'effraient plus certains Ă©luslocaux.

Participation du public

199

d'enquĂȘte et de conciliation sont organisĂ©es.14 Mais sous la pression decette politisation, par ailleurs fortement mĂ©diatisĂ©e, et dans le souci derespecter une opinion publique qui aspire Ă  plus de transparence et qui,de surcroĂźt, manifeste dans les sondages sa prĂ©fĂ©rence pour une maĂź-trise par l'Etat des projets TGV15, le gouvernement BĂ©rĂ©govoy dĂ©cide demodifier le contexte dans lequel le maĂźtre d'ouvrage dĂ©signĂ© prĂ©pare etrĂ©alise les projets de lignes de TGV.

La circulaire n° 92-71 du 15 décembre 1992 relative à la conduitedes grands projets nationaux d'infrastructures, signée par J.-L. Biancoalors ministre de l'Equipement, du Logement et des Transports, répondà cette attente. Son objectif est d'instaurer les conditions d'un «largedébat auquel doivent participer tous les partenaires concernés», dans lecadre de la procédure d'utilité publique dans laquelle doit s'inscrire for-mellement la recherche du meilleur tracé. Pour ce faire, la circulaire pro-pose d'améliorer la consultation préalable et d'organiser le suivi desprojets.

La parution de cette circulaire suscite un émoi au sein du corpsd'inspection générale du ministÚre. Depuis quinze mois, des membresdu CGPC (Conseil général des Ponts et Chaussées)16 développent uneréflexion sur les procédures consultatives nécessaires aux grands pro-jets d'infrastructures. La circulaire stoppe net le travail en cours. Dans

14 Avec la montĂ©e de la contestation des viticulteurs et de certains Ă©luslocaux, le ministre de l'Equipement demande Ă  l'inspecteur gĂ©nĂ©ralQuerrien de rĂ©flĂ©chir Ă  un tracĂ© Ă©vitant les fameux vignobles. Ce nouveautracĂ© passe au Tricastin, Ă  proximitĂ© de la centrale nuclĂ©aire. D'oĂč un tollĂ©des milieux Ă©cologistes. Une fois le rapport Querrien rendu public dĂ©but1991, le gouvernement demande Ă  un collĂšge de huit experts, prĂ©sidĂ© parC. Quin, de lancer une consultation auprĂšs des Ă©lus et des associations.Le collĂšge fait alors appel Ă  un bureau d'Ă©tudes britannique pour voir si leTGV Sud-Est ne peut pas utiliser les voies existantes. D'autres Ă©tudes se-ront Ă©galement commandĂ©es sur le passage au Tricastin. Ce qui fait quel'enquĂȘte d'utilitĂ© publique dĂ©butera avec plus de trente kilos de rapports etd'expertises.

15 Selon les rĂ©sultats d'une enquĂȘte OIP de 1991, 45% des personnes inter-rogĂ©es se dĂ©clarent favorables Ă  ce que ce soit l'Etat qui dĂ©cide du tracĂ©des TGV [Percheron 1992].

16 Le CGPC assure l'inspection générale des ministÚres chargés de l'équipe-ment, des transports, de l'environnement et de la mer. Les ingénieurs desPonts et Chaussées représentent l'élite administrative de ces ministÚres.Comme pour les autres «grands corps», «leur suprématie est à la foisfonctionnelle et culturelle: ils détiennent les postes clés soit dans l'appareilministériel proprement dit, soit dans les cabinets ministériels, et ils bénéfi-cient d'une réputation de compétence technocratique qui assure la légiti-mité de leur incontestable contrÎle du policy-making» [Mény 1991].

P. Warin

200

une note d'avril 93, un des membres de ce groupe de travail exprime sadĂ©sapprobation, au nom du groupe pour le texte de la circulaire (et ladĂ©marche du cabinet), ainsi que son intention de profiter de l'alternancepolitique et du changement de ministre pour reprendre l'initiative sur lesujet.17 Cette note sera diffusĂ©e et dĂ©battue lors du sĂ©minaire de re-cherche organisĂ© au CGPC.18 Hormis le cĂŽtĂ© anecdotique de cette situa-tion, elle rĂ©vĂšle le souci d'un grand corps de prĂ©server sa place dans lesystĂšme de dĂ©cision. Les dĂ©bats qui eurent lieu dans le cadre du sĂ©mi-naire, que ce soit Ă  propos de la circulaire Bianco ou Ă  propos de travauxde recherche relatifs aux enquĂȘtes publiques [Tripier et al. 1993,BarthĂ©lĂ©my et QuĂ©rĂ© 1993], rendent compte de la construction, au seind'un corps d'inspection gĂ©nĂ©rale, d'une conception normative de laconsultation du public, qui illustre cet effort pour organiser une forme departicipation du public sans refuser la politisation des projets. Dans le casdes grands projets d'infrastructures, la notion de public est particuliĂšre-ment extensive et demande quelques prĂ©cisions. Sans revenir sur l'en-semble des problĂšmes de dĂ©finition que cela pose, deux aspects sont Ă considĂ©rer. D'une part, «le public» est constituĂ© d'une diversitĂ©d'agents, allant des utilisateurs supposĂ©s aux riverains concernĂ©s enpassant par les simples contribuables, les groupes professionnels, lesassociations et les collectivitĂ©s locales. L'enquĂȘte d'utilitĂ© publiques'adresse Ă  cette diversitĂ©. Mais d'autre part, la principale ligne de clivageentre ces diffĂ©rents publics passe entre ceux qui participent Ă  une

17 Les élections législatives de mars 93 marquent le retour aux affaires d'unetrÚs forte majorité de droite et donc un changement de gouvernement.

18 Ce sĂ©minaire a Ă©tĂ© co-organisĂ© par le CGPC, le ministĂšre de la Rechercheet le ministĂšre de la Fonction publique. D'octobre 92 Ă  mai 93 il a servi delieu de prĂ©sentation et de discussion des recherches rĂ©alisĂ©es dans lecadre du programme de recherche L'administration de l'Equipement et sesusagers. Outre les Ă©quipes de recherche, ce sĂ©minaire a rĂ©uni de nom-breux protagonistes des commissions d'enquĂȘte des TGV Sud-Est, Est,Atlantique, en la personne des inspecteurs gĂ©nĂ©raux, responsables descommissions d'enquĂȘte, de l'ancien prĂ©sident de la Compagnie nationaledes commissaires enquĂȘteurs, et du principal animateur du groupe de tra-vail du CGPC sur les procĂ©dures de consultation. Le programme de re-cherche et ce sĂ©minaire ont Ă©tĂ© dirigĂ©s par l'inspecteur gĂ©nĂ©ral C. Quin,ancien prĂ©sident de la RATP, et ancien membre dirigeant du PartiCommuniste Français. La «mission Quin» a remis un rapport au ministre fin93. Outre la recherche que nous avons rĂ©alisĂ©e dans le cadre de ce pro-gramme, nous avons participĂ© au comitĂ© de pilotage du sĂ©minaire et contri-buĂ© Ă  ce titre Ă  la rĂ©daction des synthĂšses des dĂ©bats des diffĂ©rentessĂ©ances, ainsi qu'Ă  l'organisation du colloque final L'administration del'Equipement et le citoyen en tant qu'usager qui a eu lieu Ă  Paris en mai1993.

Participation du public

201

consultation prĂ©alable, plus ou moins officielle, oĂč se dĂ©finissent lesorientations du projet et ceux qui sont invitĂ©s Ă  s'exprimer une fois dĂ©-terminĂ© le projet initial.

4. CONSTRUCTION D'UNE CONCEPTION NORMATIVEDE LA CONSULTATION DU PUBLIC ET DES ASSOCIATIONS

Le partenariat avec les usagers dans le domaine des grands Ă©qui-pements est Ă©troitement liĂ© au dĂ©part Ă  la question de la propriĂ©tĂ©. LarĂ©alisation de ces Ă©quipements exige en effet une utilisation massive del'expropriation. Or dans un pays qui a sacralisĂ© le droit de propriĂ©tĂ©, ladĂ©possession ne pouvait ĂȘtre admise, comme l'indique l'article 17 de laDĂ©claration des droits de l'Homme, que «lorsque la nĂ©cessitĂ© publique,lĂ©galement constatĂ©e, l'exige Ă©videmment». De ce fait, dĂšs le dĂ©but duXIXe siĂšcle, le lĂ©gislateur va essayer d'accommoder deux objectifs pourmener Ă  bien l'expropriation nĂ©cessaire: d'une part, donner aux propriĂ©-taires une garantie de procĂ©dure, d'autre part, assurer la lĂ©gitimitĂ© del'action de dĂ©possession. Ces deux objectifs sont indissolublement liĂ©s.L'expropriation ne peut trouver de lĂ©gitimitĂ© sans que les expropriĂ©seux-mĂȘmes ne soient sensibles aux garanties qui leur sont accordĂ©es.La procĂ©dure administrative qui cherche Ă  rĂ©pondre Ă  cette double exi-gence est l'enquĂȘte d'utilitĂ© publique. Ses traits essentiels ont Ă©tĂ© des-sinĂ©s en 1833 et 1841, aprĂšs que la loi de 1810 sur l'expropriation eutinstituĂ© l'enquĂȘte parcellaire. Cette procĂ©dure est toujours appliquĂ©e denos jours, sans grand changement, puisque la rĂ©forme de 1976, qui viseĂ  amĂ©liorer les conditions de la consultation du public et des associa-tions, n'a pas portĂ© ses fruits, sauf dans un nombre rĂ©duit d'enquĂȘtespubliques oĂč les directives de la rĂ©forme ont Ă©tĂ© respectĂ©es.

La fonction de lĂ©gitimation de l'action de dĂ©possession recherchĂ©edans l'enquĂȘte d'utilitĂ© publique s'est progressivement effacĂ©e. A caused'une utilisation massive de l'expropriation aprĂšs 1945, la procĂ©dure asubi une sorte de banalisation qui s'est traduite par une multiplication desfinalitĂ©s possibles de l'expropriation et, par consĂ©quent, par une diffi-cultĂ© croissante Ă  faire naĂźtre le consentement lors de l'enquĂȘte. Dansces conditions, l'enquĂȘte d'utilitĂ© publique est apparue de plus en pluscomme une garantie contre l'action de l'administration.

«Garantie du propriétaire avant tout: l'utilité publique sera dis-cutée et appréciée en fonction des atteintes à la propriété pri-vée. Garantie du contribuable aussi: celui-ci appréciera, àl'aune de ses impÎts, l'utilité publique des opérations envisa-gées. Garantie essentiellement individuelle enfin: la focalisa-

P. Warin

202

tion de l'enquĂȘte sur les atteintes Ă  la propriĂ©tĂ© tend Ă  atomiserle «public» et conduit Ă  la dĂ©fense d'intĂ©rĂȘts particuliers face Ă une administration qui, par principe, incarne l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral.Ce trait est d'autant plus sensible que l'enquĂȘte d'utilitĂ© pu-blique Ă©tend son champ d'application, en particulier aux POS(plans d'occupation des sols» [Toulemonde 1982].Cette conception façonnĂ©e par la pratique perpĂ©tue l'antagonisme

entre l'administration et les administrĂ©s. L'enquĂȘte d'utilitĂ© publique neporte presque jamais sur les choix du dĂ©veloppement urbain et del'amĂ©nagement du territoire, elle se focalise sur l'exercice du droit depropriĂ©tĂ©. Face Ă  cette dĂ©rive, la rĂ©forme de 1976 s'efforce de restaurerla fonction de lĂ©gitimation de l'enquĂȘte d'utilitĂ© publique.

L'intention principale de la rĂ©forme du 14 mai 1976 est de redĂ©finirla procĂ©dure autour de l'information et de la consultation du public et desassociations. Le dĂ©roulement de la procĂ©dure d'enquĂȘte est alors revude façon Ă  mieux les intĂ©grer. Trois Ă©tapes sont envisagĂ©es:

● avant mĂȘme l'ouverture de l'enquĂȘte, une information doit ĂȘtreorganisĂ©e tant auprĂšs du public que des associations, portant surles grandes orientations du projet;

● au sein des dossiers soumis Ă  l'enquĂȘte, toutes les informationssusceptibles d'Ă©clairer le public sur la nature, le coĂ»t et les consĂ©-quences du projet doivent ĂȘtre fournies: les conditions d'inser-tion du projet dans l'environnement et les mesures de prĂ©serva-tion prĂ©vues, les diffĂ©rentes solutions envisagĂ©es (les «partisd'amĂ©nagement») Ă©laborĂ©es par l'administration et en dehorsd'elle, notamment par les associations;

● au cours de l'enquĂȘte, les conditions d'accĂšs du public Ă  l'en-quĂȘte sont amĂ©liorĂ©es (modification de la nature et multiplicationdes supports; amĂ©lioration de la collecte des observations, no-tamment auprĂšs des associations; publicitĂ© des rĂ©sultats de l'en-quĂȘte), le commissaire-enquĂȘteur doit ĂȘtre le catalyseur d'un dia-logue entre le public et les associations d'une part, et la collecti-vitĂ© expropriante d'autre part.

Produite en pleine pĂ©riode de rĂ©flexion sur la dĂ©mocratie participa-tive, cette rĂ©forme de l'enquĂȘte d'utilitĂ© publique correspond Ă  uneconception de la participation qui dissocie nettement la consultation duprocessus de dĂ©cision. Le dĂ©roulement envisagĂ© cherche essentielle-ment Ă  amĂ©liorer l'information du public, mais ne vise pas pour autant Ă  luidonner accĂšs au processus de dĂ©cision. En permettant cette informationdu public et son expression, l'enquĂȘte d'utilitĂ© publique est conçuecomme un moyen d'informer les pouvoirs publics de la pertinence et dela viabilitĂ© des projets qu'ils dĂ©cident. Les attentes du public Ă  l'Ă©gard de

Participation du public

203

cette procédure sont donc forcément limitées. La consultation du publica ses limites, que le gouvernement de l'époque sait rappeler pourcontrer les tenants d'une démocratie participative. Le gaulliste R. Galley,ministre de l'Equipement et du Logement déclare que

«le public et les associations ne doivent se substituer ni auxélus locaux, ni à l'Etat, à qui il appartient de prendre les déci-sions finales»19

Et il est dit que la consultation n'est pas toujours souhaitable, etqu'une relative opacité est parfois nécessaire pour que les projets puis-sent prendre forme. Ainsi, M. Ligot, secrétaire d'Etat à la Fonction pu-blique et maire de Cholet, considÚre-t-il que

«mettre sur la place publique l'ensemble des étapes d'un pro-cessus d'action risquerait de jeter le trouble dans l'opinion etde provoquer des blocages».20

Les dĂ©bats du CGPC confirmeront les deux principes: la fermeturedu champ de la dĂ©cision au public; la possibilitĂ© de limiter la consultationprĂ©alable Ă  un public restreint et pour certains projets, afin de ne pasrendre impossible leur gestion. Ils seront rappelĂ©s par C. Quin, trĂšs net-tement et sans discussion possible, au moment d'introduire la discussionsur l'enquĂȘte d'utilitĂ© publique. De la sorte, le dĂ©bat sur la consultationsouhaitable avec le public ne peut rĂ©pondre qu'Ă  un objectif d'amĂ©liora-tion des conditions de la consultation, en tant qu'Ă©tape distincte decelles de la concertation et de la dĂ©cision. La consultation ne permetdonc pas une nouvelle dĂ©finition des positions sociales ni en particulierune rĂ©Ă©valuation de la place du public. Que cela soit affirmĂ© par deshommes aux convictions politiques aussi dissemblables, que R. Galleyou C. Quin, tend Ă  montrer qu'au-delĂ  des appartenances politiques etidĂ©ologiques il existe une reprĂ©sentation commune du politique, qui dis-socie les processus de consultation et de nĂ©gociation. Une reprĂ©senta-tion qui se trouve Ă  la base mĂȘme de la dĂ©mocratie reprĂ©sentative, quifonde la sociĂ©tĂ© française depuis deux siĂšcles.

A partir de ces principes, les débats du CGPC vont chercher à défi-nir les conditions d'une politisation des projets acceptable pour l'Etat. Ladiscussion va porter alors sur deux aspects: l'information du public et desassociations, et l'exercice de l'expertise.

Avant de dĂ©velopper l'un et l'autre de ces aspects, rappelons Ă grands traits le dĂ©roulement d'une enquĂȘte d'utilitĂ© publique, puisque

19 Revue Urbanisme 153-154, juin 1976.20 Le Monde du 28 septembre 1976.

P. Warin

204

c'est dans cette procédure que s'effectue la consultation du public etdes associations.

Au dĂ©part, un maĂźtre d'ouvrage, entitĂ© investie des prĂ©rogatives dela puissance publique, prend l'initiative d'un projet. Il prĂ©sente dans un«dossier d'enquĂȘte», sous une forme comprĂ©hensible par tous, la syn-thĂšse des Ă©tudes techniques menĂ©es sous sa responsabilitĂ©, et en par-ticulier celle de l'Ă©tude d'impact sur l'environnement. D'autres partenairesinstitutionnels, par exemple des industriels et des chambres de com-merce, peuvent ĂȘtre associĂ©s Ă  la prĂ©paration du dossier, lorsqu'il s'agitd'un projet Ă  dimension locale.

L'enquĂȘte d'utilitĂ© publique s'effectue ensuite sous l'autoritĂ© et laresponsabilitĂ© d'une commission d'enquĂȘte ou d'un commissaire-en-quĂȘteur. Celui-ci est appelĂ© Ă  Ă©mettre un avis d'ensemble en faveur ouen dĂ©faveur du projet. DotĂ© thĂ©oriquement d'un pouvoir contraignantsur le maĂźtre d'ouvrage et sur l'autoritĂ© appelĂ©e Ă  prendre la DUP(dĂ©claration d'utilitĂ© publique), cet avis est formulĂ© aprĂšs qu'aient Ă©tĂ© re-cueillis et Ă©tudiĂ©s les arguments du maĂźtre d'ouvrage et du public. Lescommissaires sont dĂ©signĂ©s par le prĂ©sident du Tribunal administratif, Ă partir de listes officielles.21

Le dĂ©roulement de l'enquĂȘte suppose une information du public etdes associations sur le dossier, et une consultation pour recueillir leuravis.22 Il incombe au commissaire-enquĂȘteur ou Ă  la commission d'en-quĂȘte de faire connaĂźtre et de faire comprendre le projet et d'organiserles conditions de la consultation. Quand un projet est soumis Ă  enquĂȘtepublique, deux phases sont donc officiellement prĂ©vues pour permettrel'information et l'expression directe de la population: la consultationprĂ©alable et l'enquĂȘte d'utilitĂ© publique (rĂ©forme du 14 mai 1976). Maisl'histoire effective des projets montre que les choses sont plus com-plexes. Ainsi pour des projets locaux, les agents de la DDE (DirectiondĂ©partementale de l'Equipement) chargĂ©s du dossier complĂštent parfoisces deux sĂ©quences par un travail d'information qui rĂ©pond Ă  des de-

21 Les conditions de choix et de nomination des commissaires-enquĂȘteurs etla dĂ©finition de leurs fonctions font l'objet de critiques [Toulemonde 1982].

22 Le «public» compte tous ceux qui sont appelés à recevoir le projet, c'est-à-dire à en prendre connaissance à l'aide des documents mis à leur disposi-tion et à faire part de leurs observations, que ce soit pour l'accepter enl'état, proposer des modifications ponctuelles, demander des précisions,ou encore, faire part de leur opposition globale, en l'assortissant éventuel-lement d'une contre-proposition. Toutes ces remarques n'ont qu'une valeurinformative. Rassemblées, elles expriment une certaine disposition géné-rale du public à l'égard du projet.

Participation du public

205

mandes individuelles ou par des séances d'échange et de discussionavec les associations.

L'intĂ©rĂȘt du public et des associations pour la procĂ©dure consulta-tive est variable. D'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, leur intervention a pour effetde construire l'objet de l'enquĂȘte publique, c'est-Ă -dire de dĂ©signer lesenjeux sociaux locaux [BarthĂ©lĂ©my et QuĂ©rĂ© 1993]. En ce sens, cetteprocĂ©dure dĂ©bouche nĂ©cessairement sur un processus de politisation,puisque le public replace le projet technique dans un contexte histo-rique et social et le met en relation avec des conflits ou des clivages prĂ©-existants. Le projet soumis Ă  la consultation est ainsi dĂ©fini par rapport Ă un passĂ©, mais il est Ă©galement qualifiĂ© par rapport Ă  ses consĂ©quencesprĂ©visibles et ses incertitudes.23

Cette dĂ©finition sociale de l'objet de l'enquĂȘte fournit au commis-saire-enquĂȘteur un domaine d'investigation. Il va Ă©valuer, sous l'aspectde l'intĂ©rĂȘt public gĂ©nĂ©ral, ce qui se prĂ©sente Ă  lui comme un problĂšmepublic local, ou comme une divergence de points de vue quant au carac-tĂšre appropriĂ© des solutions techniques contenues dans le projet. Unefois la consultation achevĂ©e, le travail du commissaire-enquĂȘteurconsiste Ă  rendre un avis sur l'orientation souhaitable du projet, en te-nant compte des critiques entendues lors de l'enquĂȘte publique et enrecherchant l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et non la satisfaction d'un intĂ©rĂȘt particulier.L'avis du commissaire-enquĂȘteur doit, par consĂ©quent, suggĂ©rer unschĂ©ma de rĂ©alisation du projet suivant une dĂ©finition de son objet ac-ceptable par les partenaires institutionnels qui en ont l'initiative. C'est surla base de cet avis que l'autoritĂ© responsable dĂ©clare le projet commeĂ©tant ou non d'utilitĂ© publique. Lorsque c'est le cas, la mise en Ɠuvre duprojet peut commencer. Le public et les associations disparaissent denouveau du cadre de la consultation, sauf s'ils restent mobilisĂ©s et ten-tent des recours en justice pour stopper ou inflĂ©chir la rĂ©alisation duprojet.

Ce n'est pas le public qui donne sa signification au projet, mĂȘmelorsque la consultation est effective et la critique bien vivante. Mais, c'estle commissaire-enquĂȘteur qui, comme acteur intermĂ©diaire essentiel,traduit toujours les exigences et les craintes du public dans un avis globalqui porte in fine sur le sens du bien collectif ou de l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, dontla dĂ©finition n'appartient Ă  personne en particulier. Le commissaire-en-quĂȘteur est le maillon qui permet de ne pas modifier les rapports entre lemaĂźtre d'ouvrage et le public. La consultation du public peut faire surgirl'expression de colĂšres, de craintes, de dĂ©saveux, mais il ne peut y avoir

23 Cela confirme l'intuition sociologique déjà ancienne de Thomas [1923], se-lon laquelle «Quand les hommes considÚrent certaines situations commeréelles, elles sont réelles dans leurs conséquences».

P. Warin

206

de solution sans l'arbitrage final d'une instance supĂ©rieure, seule compĂ©-tente ou lĂ©gitime pour dire le sens de l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral (le gouvernementdans le cas des tracĂ©s TGV). La rĂ©interprĂ©tation par le commissaire-en-quĂȘteur des points de vue exprimĂ©s localement permet ce passage versl'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral.

Dans ce schĂ©ma, la consultation du public est possible au momentoĂč le projet est soumis Ă  enquĂȘte publique, c'est-Ă -dire une fois qu'uneautoritĂ© politique ou administrative dĂ©cide d'un projet, qu'un dossiertechnique est prĂ©parĂ© et qu'un partenariat institutionnel est instaurĂ©.Beaucoup d'obstacles proviennent de cette situation. L'intervention troptardive du public, en «aval», oĂč bon nombre de choix ne peuvent plusĂȘtre remis en cause, sauf de façon marginale, est perçue depuis long-temps comme problĂ©matique. La rĂ©forme de 1976 cherchait Ă  corrigercette situation. Les recherches rĂ©alisĂ©es pour le CGPC attestent querien n'a changĂ© sur ce plan, si bien qu'au cours des dĂ©bats des proposi-tions rĂ©Ă©ditent Ă  peu de chose prĂšs les recommandations de la rĂ©formede 1976, et notamment celle prĂ©voyant une information du public prĂ©a-lable Ă  l'enquĂȘte d'utilitĂ© publique. Parmi les exemples discutĂ©s, celui duTGV Atlantique (Paris-Bordeaux), oĂč les inquiĂ©tudes relatives au «maraispoitevin» n'ont surgi qu'au moment de l'enquĂȘte publique, avec l'inter-vention d'associations Ă©cologistes et de protection de l'environnement.Dans ce cas, comme dans beaucoup d'autres, il est admis que la procĂ©-dure consultative aurait gagnĂ© en simplicitĂ© et en efficacitĂ©, si les asso-ciations avaient Ă©tĂ© consultĂ©es avant de lancer l'enquĂȘte d'utilitĂ© pu-blique.

La rĂ©flexion collective menĂ©e au CGPC n'a cependant pas niĂ© lesproblĂšmes que pouvait poser une consultation prĂ©coce des usagers etde leurs associations. Une autre conception est apparue qui remet encause la nĂ©cessitĂ© d'une information du public avant l'ouverture de l'en-quĂȘte. Elle admet qu'une consultation organisĂ©e sur les schĂ©mas natio-naux directeurs des infrastructures routiĂšres et ferroviaires Ă©viterait dedĂ©couvrir de nouveaux problĂšmes, qui auraient pu ĂȘtre traitĂ©s plus faci-lement s'ils avaient Ă©tĂ© pris en compte plus tĂŽt. Mais surtout, elle consi-dĂšre que les premiĂšres Ă©tudes qui envisagent les diffĂ©rentes variantesd'un projet concernent obligatoirement un grand nombre d'individus oude collectivitĂ©s, si bien que le maĂźtre d'ouvrage chargĂ© d'organiser la pro-cĂ©dure consultative risque d'ĂȘtre rapidement dĂ©bordĂ©. Or, il est rappelĂ©que le maĂźtre d'ouvrage a aussi pour fonction de maĂźtriser les incertitudesdu projet et, par consĂ©quent, de contrĂŽler le processus d'information endirection des diffĂ©rents partenaires et du public. Aussi paraĂźt-il prĂ©fĂ©rablede limiter l'information sur l'initiative d'un projet et sur les Ă©tudes en coursĂ  un premier cercle de partenaires institutionnels. Il s'agit, en l'occur-rence, d'Ă©viter l'affolement de l'opinion et des surenchĂšres bien souvent

Participation du public

207

improductives, mais aussi de préserver la maßtrise du projet au maßtred'ouvrage.

Finalement, le principe retenu est de ne pas demander la gĂ©nĂ©rali-sation d'une consultation prĂ©alable dĂšs la genĂšse du projet, avant mĂȘmel'ouverture de la procĂ©dure consultative (comme le demande la rĂ©formede mai 1976). Implicitement, il s'agit de limiter l'accĂšs Ă  la prĂ©paration duprojet initial Ă  des partenaires institutionnels choisis en fonction deconsidĂ©rations juridiques, Ă©conomiques, stratĂ©giques. Ainsi, est-il pos-sible de rĂ©guler dans un premier temps, Ă  l'abri de l'opinion publique etmĂȘme de certaines collectivitĂ©s locales, les enjeux politiques et politi-ciens d'un projet. Dans le cas du TGV Nord, la pression est venue rapi-dement de certaines collectivitĂ©s locales qui s'estimaient Ă©cartĂ©es du«premier tour de table», alors que la logique gĂ©ographique et Ă©cono-mique du tracĂ© (le plus court pour le plus rapide) aurait voulu qu'elles bĂ©-nĂ©ficient de facto du passage de la ligne, et donc qu'elles soient asso-ciĂ©es aux premiĂšres nĂ©gociations. G. de Robien, maire UDF d'Amiens, a,dans cette affaire, dĂ©noncĂ© la collusion politique entre le gouvernementsocialiste et d'autres collectivitĂ©s du nord de la France.

Partant de lĂ , le dĂ©bat s'est ensuite orientĂ© sur la question de l'opa-citĂ© du dossier soumis Ă  l'enquĂȘte publique.

L'Ă©tude d'impact a toujours Ă©tĂ© la piĂšce maĂźtresse de l'enquĂȘtepublique. Ceci s'explique au regard de sa fonction, qui est formellementde prĂ©senter les diffĂ©rentes variantes Ă©tudiĂ©es ainsi que les Ă©lĂ©mentsqui justifient le parti finalement privilĂ©giĂ© par le maĂźtre d'ouvrage parmi lesdiffĂ©rentes options envisagĂ©es, sous un jour comprĂ©hensible et doncĂ©valuable par chacun. Le principe qui Ă©merge de la discussion sur la qua-litĂ© des dossiers d'enquĂȘte publique est de renforcer le contrĂŽle descommissaires-enquĂȘteurs sur le maĂźtre d'ouvrage, pour que celui-ci selivre Ă  la restitution la plus complĂšte et Ă  la diffusion la plus large de toutesles Ă©tudes prĂ©alables, afin de permettre une comparaison des diffĂ©rentstracĂ©s. L'objectif est de rendre la phase de consultation du public la pluscontradictoire possible. La confrontation, mĂȘme conflictuelle, des pointsde vue est Ă©rigĂ©e en principe d'action. Le problĂšme, esquivĂ© pendantles dĂ©bats, est qu'en l'Ă©tat actuel, la lĂ©gislation ne confĂšre pas Ă  laconsultation du public une place telle pour que son absence, dans uneenquĂȘte, suffise pour frapper de nullitĂ© la dĂ©cision prise Ă  son terme.

L'information du public pose un autre problÚme qui est celui de sacapacité à analyser les documents soumis à son appréciation. Le pro-blÚme est ancien et a déjà reçu des débuts de réponse. Pour s'en teniraux années soixante-dix, on peut rappeler que la réflexion sur les modali-tés d'une démocratie participative n'était pas dépourvue d'une optiqueéducative. C'est dans cette perspective, par exemple, que la loi du 3janvier 1977 institue les Conseils en architecture, urbanisme et environ-

P. Warin

208

nement, «dont le rÎle est la promotion d'une véritable pédagogie du ci-toyen». Sur cet aspect, les débats du CGPC ne débouchent pas sur despropositions concrÚtes. Mais de nouvelles dispositions prises dans lecadre de la politique de la ville sont citées comme des exemples à étu-dier. En l'occurrence, il est fait mention implicitement de l'avis du ComitéInterministériel à la Ville du 3 mars 1992, qui propose d'affecter des cré-dits d'Etat aux associations locales d'habitants des quartiers DSU, et de lacirculaire du 18 décembre 1992 sur la consultation des locataires sur lesprojets de réhabilitation d'immeubles à l'aide de financement PALULOS(Prime à l'amélioration des logements à usage locatif social), qui attribuedes moyens financiers aux associations pour répondre à la consultation.Cela étant, s'il semble intéressant d'allouer des fonds aux associationsdans le but de les aider à participer plus activement à la consultation, legroupe de travail retient comme principe que ces fonds servent aux as-sociations pour commander des études, mais ne soient pas destinés àdoter les associations d'une capacité autonome d'expertise.

Ce principe ne sera pas adoptĂ© sans difficultĂ© car certains partici-pants, n'appartenant pas au corps de l'inspection gĂ©nĂ©rale mais Ă  desinstances de programmation de la recherche contractuelle, trouventdans des exemples Ă©trangers, et en particulier nord-europĂ©ens, quel'autonomisation de l'expertise et son appropriation par les associationsserait une bonne chose pour la dĂ©mocratie. L'argument dĂ©veloppĂ© estque de la sorte, on pourrait retrouver de vĂ©ritables lieux de contre-pou-voir, dont la fonction principale ne serait plus d'exprimer des revendica-tions mais de proposer des vĂ©rifications, peut-ĂȘtre des modifications etĂ©ventuellement des solutions alternatives au projet initial.

A l'inverse, d'autres pensent que cĂ©der une partie de l'expertiseaux associations serait une opĂ©ration «contre nature», puisque cela re-viendrait Ă  les instituer dans un rĂŽle d'expert Ă©quivalent Ă  celui du maĂźtred'ouvrage et Ă  rĂ©duire leur potentiel protestataire. Cela priverait le projetde son principal contradicteur. Par contre, ils admettent facilement queles associations aient besoin d'informations et de connaissances nou-velles pour exprimer des contre-propositions. Cela fait partie du rĂŽle as-signĂ© au «public» par l'ensemble de textes (loi du 12 juillet 1983), por-tant sur la dĂ©mocratisation des enquĂȘtes publiques et la protection del'environnement. La crainte implicite est d'assister de cette façon Ă  unetransgression des rĂŽles Ă©tablis et Ă  un accroissement des risques de blo-cage des initiatives publiques.

Cette discussion sur le partage de l'expertise a un enjeu plus précis.Sans que cela ne soit vraiment annoncé, on s'aperçoit, en reprenant lestravaux d'une séance ultérieure du séminaire, que c'est l'usage d'unedes propositions de la circulaire Bianco qui est en cause. La circulaireprévoit en effet d'instituer une «commission de suivi des débats» de

Participation du public

209

l'enquĂȘte publique. Cette commission a pour objectif de veiller Ă  la qua-litĂ© des informations et au pluralisme de la consultation. Il s'agit d'unecommission de suivi des dĂ©bats et non pas de conduite du projet.24 Lacirculaire ne prĂ©cise pas les modalitĂ©s de composition de cette commis-sion. Mais on apprend par l'animateur du groupe de travail du CGPCqu'en l'Ă©tat actuel de la rĂ©flexion au ministĂšre, cette commission devraitĂȘtre composĂ©e d'experts indĂ©pendants, recrutĂ©s selon une double fi-liĂšre. La premiĂšre est celle des experts nationaux, personnalitĂ©s indĂ©-pendantes, reconnues pour leur capacitĂ©s d'expertise dans diffĂ©rentsdomaines et inscrites dans le fichier national des experts nationaux(totalement distinct du fichier des commissaires-enquĂȘteurs). La se-conde est celle d'experts locaux, recrutĂ©s sur des critĂšres comparablesau premier, aprĂšs avis du PrĂ©fet, en vue de complĂ©ter la commission desuivi. Si la premiĂšre filiĂšre est interdite d'accĂšs aux associations locales, laseconde par contre peut leur ĂȘtre ouverte Ă  condition que des membresd'associations soient reconnus comme experts par le PrĂ©fet. On peutsupposer que dans le cas oĂč les associations dĂ©tiendraient un pouvoird'expertise reconnu, elles pourraient investir, par le biais de ces com-missions de suivi des dĂ©bats, le cƓur mĂȘme du dispositif de la consulta-tion prĂ©vu dans la circulaire. Or, dans la partie que les inspecteurs gĂ©nĂ©-raux jouent avec le cabinet du ministre, il ne peut ĂȘtre question d'ad-mettre l'idĂ©e d'un partage de l'expertise avec les associations, car unetelle proposition risquerait d'apparaĂźtre comme une ineptie aux yeux dupouvoir politique.

5. LIBÉRER L'EXPRESSION, REFUSER L'ÉMANCIPATION

Le débat du CGPC a abordé la question de la consultation du publicen retenant ses aspects les plus évidents. Les principes avancés ne se

24 «Cette commission veillera Ă  la qualitĂ© et Ă  la pertinence des informationsportĂ©es Ă  la connaissance du public et Ă  l'existence de dĂ©bats ouverts etpluralistes. Elle pourra faire des suggestions pour la conduite des Ă©tudeset de la concertation. Elle veillera Ă  ce que les questions posĂ©es par lespartenaires de la concertation reçoivent en temps utile des rĂ©ponses ar-gumentĂ©es. Elle pourra proposer d'engager des expertises externes quiseront financĂ©es par le maĂźtre d'ouvrage. A l'issue du dĂ©bat, le prĂ©fet coor-donnateur en Ă©tablira un bilan et me proposera un projet de cahier descharges. Au terme de cette phase de dĂ©bat, le gouvernement arrĂȘtera lecahier des charges de l'infrastructure qui sera rendu public. Ce documentd'information accompagnera le dossier soumis Ă  l'enquĂȘte prĂ©alable Ă  ladĂ©claration d'utilitĂ© publique. (...) C'est Ă  partir de ce cahier des chargesque seront engagĂ©es les Ă©tudes de tracé» [Circulaire Bianco du 15 dĂ©-cembre 1992].

P. Warin

210

distinguent pas par leur nouveauté. Ils sont à l'image de ce qu'est laconsultation du public aujourd'hui en France, c'est-à-dire tout d'abord undiscours bien intentionné mais général et flou.

Cela Ă©tant, cet Ă©pisode montre que le thĂšme de la consultation dupublic est utilisĂ© pour ouvrir une «fenĂȘtre» dans un processus dĂ©cision-nel en vue de contraindre un acteur central (le maĂźtre d'ouvrage) Ă  tenircompte d'autres logiques que les siennes. Alors que l'attitude plutĂŽt ha-bituelle de l'administration est de disqualifier le comportement ou l'actiondes groupes d'intĂ©rĂȘt en leur dĂ©niant toute lĂ©gitimitĂ©, on a affaire ici Ă une dĂ©marche inverse. Le CGPC procĂšde en fait Ă  la constitution d'unesorte de «communautĂ© politique» en agrĂ©ant les associations de cadrede vie et de riverains qui sont concernĂ©es par les tracĂ©s des lignes TGV,en reconnaissant l'importance de leur point de vue dans la dĂ©finition del'utilitĂ© publique d'un projet. En souhaitant organiser la confrontation despoints de vue, le CGPC cherche implicitement Ă  faire pression sur lemaĂźtre d'ouvrage, perçu en l'occurrence comme appartenant Ă  une«baronnie technocratique».25 En ce sens, on peut se demander si laquestion de la consultation du public ne sert pas de prĂ©texte Ă  l'adminis-tration centrale, et Ă  la direction des transports en particulier, pour retrou-ver son autoritĂ© dans la dĂ©finition de la politique des transports ter-restres, face Ă  une entreprise nationale qui a pu en partie la lui subtiliser.

La structure tripartite de la consultation publique (maĂźtre d'ouvrage,commissaires-enquĂȘteurs, publics) n'apparaĂźt donc pas comme une«fausse structure» de discussion parce qu'elle vise effectivement laconfrontation la plus large des points de vue. Les principes retenuscrĂ©ent les conditions d'une consultation contradictoire, voire conflic-tuelle, que le maĂźtre d'ouvrage serait tĂŽt ou tard amenĂ© Ă  considĂ©rer sousla pression des groupes d'intĂ©rĂȘt.26 Mais en mĂȘme temps, on prĂ©serve,grĂące au travail de mĂ©diation du commissaire-enquĂȘteur, la supĂ©rioritĂ© del'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral sur les particularismes locaux. Par consĂ©quent, cettestructure sert aussi, comme bien d'autres comitĂ©s ou commissions adhoc, Ă  Ă©puiser les vellĂ©itĂ©s rĂ©formatrices de groupes que le pouvoir poli-tique refuse de considĂ©rer comme les interprĂštes lĂ©gitimes de l'intĂ©rĂȘtpublic.

25 Selon Jacoud [1993], l'attitude de la SNCF est celle d'une «baronnie tech-nocratique», et c'est là en partie que réside «la crise du service publicSNCF».

26 La FNAUT demande à la SNCF de renforcer l'articulation entre le réseau àgrande vitesse et le réseau classique et de ne pas privilégier le dévelop-pement du TGV au détriment des autres activités ferroviaires. On trouveune opinion similaire du cÎté des responsables syndicaux des agents de laSNCF [Andouard 1993].

Participation du public

211

La maniĂšre de traiter la question du partage de l'expertise nous pa-raĂźt centrale dans l'approche normative de la consultation dĂ©veloppĂ©epar les inspecteurs gĂ©nĂ©raux. Elle permet Ă  la fois d'organiser la politisa-tion du projet et de maintenir intact le processus de dĂ©cision. En souhai-tant une meilleure information du public, voire la possibilitĂ© pour les as-sociations de commander des contre-expertises, le CGPC permet d'unepart au public de mieux mesurer les consĂ©quences du projet au niveaulocal et de mettre ainsi en Ă©vidence ses inconvĂ©nients. Mais, en refusantque les associations se dotent de leur propre capacitĂ© d'expertise, leCGPC les empĂȘche d'autre part d'assurer plus en amont un contrĂŽle surla dĂ©finition du projet proposĂ©. Il les prive d'un moyen essentiel pour ac-croĂźtre leur connaissance des dĂ©terminants non seulement locaux maisaussi globaux du projet et de la politique publique des transports. Ce re-fus tient Ă  une raison simple. Pour les dirigeants politiques et administra-tifs, il ne saurait ĂȘtre question de concĂ©der une partie de leur pouvoirdĂ©cisionnel au public. S'il est souhaitable que les citoyens ou les asso-ciations contestent une proposition de projet et exigent son amĂ©liora-tion, il est par contre inconcevable qu'ils puissent remettre en cause l'uti-litĂ© mĂȘme du projet. Autant il paraĂźt nĂ©cessaire d'Ă©couter les associationslorsqu'il s'agit de dĂ©terminer d'une façon optimale les avants projetssommaires, les projets dĂ©taillĂ©s, les tracĂ©s de 100 mĂštres et de 300mĂštres, autant il est hors de question d'entendre qu'elles prĂ©fĂ©reraientau TGV un tranquille omnibus s'arrĂȘtant de village en village.

C'est lĂ  une condition incontournable, quelle que soit la mĂ©thodo-logie employĂ©e pour dĂ©velopper la consultation. Ainsi, invitĂ© Ă  commen-ter les alĂ©as de l'amĂ©nagement du TGV Sud-Est et du projet de tunnelroutier franco-espagnol du Somport, C. Leyrit, directeur des routes auministĂšre de l'Equipement affirme la nĂ©cessitĂ© de bien sĂ©parer les dĂ©-bats sur l'opportunitĂ© de l'Ă©quipement et sur le tracĂ©.27 En d'autrestermes, il ne saurait ĂȘtre question pour l'administration de tutelle d'entrerdans une dĂ©marche de consultation, avant mĂȘme que l'idĂ©e du projet nesoit admise et acceptĂ©e par les acteurs censĂ©s reprĂ©senter des intĂ©rĂȘtssuffisamment importants. L'attente est claire mais pose nĂ©anmoins pro-blĂšme: comment engager, dans les meilleures conditions, une consulta-tion sur un projet dĂ©jĂ  formalisĂ©, sans imaginer une consultation prĂ©a-lable portant sur l'intention initiale du projet?

L'analyse des politiques publiques montre bien comment desgroupes d'intĂ©rĂȘt peuvent agir sur l'identification d'un problĂšme et surson inscription sur l'agenda d'une autoritĂ© publique. Aussi pour Ă©viter cecas de figure, pour laisser le public et les associations dans une connais-

27 Propos relevés dans la revue Le Moniteur du 5 février 1993.

P. Warin

212

sance partielle du projet, la meilleure solution est encore de renforcerleur connaissance des effets locaux du projet.28 Autrement dit, en ac-croissant la connaissance du public mais sans lui laisser la maßtrise d'uneproduction de connaissances, on peut libérer l'expression du publicsans l'émanciper de sa position d'assujetti.

La question qui se pose est alors de savoir dans quelle mesurecette organisation de la consultation peut ĂȘtre acceptĂ©e par le public etles associations. La structure de l'enquĂȘte publique est-elle adaptĂ©epour supporter une politisation accrue des projets? Ne risque-t-on pasd'accroĂźtre la mĂ©fiance des associations si, d'un cĂŽtĂ©, on leur assure lesconditions d'une expression la plus franche possible et, de l'autre, on lestient Ă  l'Ă©cart de la construction de l'avis final?

C'est le problĂšme sur lequel vient buter le CGPC. Les dĂ©bats ontpermis de rĂ©affirmer le rĂŽle central des commissaires-enquĂȘteurs dansl'animation de la procĂ©dure consultative. Mais, ils n'ont pas introduit depropositions visant Ă  modifier le recrutement des commissaires ou lacomposition des commissions. Devant le risque d'un rejet, par les asso-ciations, d'une procĂ©dure dans laquelle elles seraient invitĂ©es Ă  s'enga-ger, mais qui leur Ă©chapperait une fois que la commission d'enquĂȘteprĂ©pare son avis, le CGPC s'est montrĂ© trĂšs attentif Ă  la proposition de lacirculaire Bianco d'instituer autour de chaque prĂ©fet, «avec les respon-sables locaux concernĂ©s (Ă©lus, forces sociales, Ă©conomiques, associa-tions locales), un comitĂ© de suivi de la mise en Ɠuvre des engagementsde l'Etat». AprĂšs le renforcement de la consultation dans le cadre de laprocĂ©dure d'enquĂȘte publique, c'est l'Ă©largissement de la consultation Ă d'autres Ă©tapes de la mise en Ɠuvre du projet qui devrait permettre d'or-ganiser et de canaliser la participation du public dans le processus d'Ă©la-boration de la dĂ©cision politique et administrative. Autrement dit, on peuttout Ă  la fois Ă©viter la participation du public Ă  la prise de dĂ©cision et amĂ©-liorer le fonctionnement dĂ©mocratique de l'administration en amĂ©na-geant des processus de consultation avant, pendant et aprĂšs la mise enƓuvre d'un projet, au cours de processus de consultation prĂ©alable, desuivi ou d'Ă©valuation.

Dans ces conditions, on ne peut pas vraiment parler de partenariatavec le public, dans la mesure oĂč il n'y a pas d'Ă©galitĂ© des positions. Eneffet, quel que soit l'effort pour faciliter l'information et l'expression despoints de vue, la construction de l'avis final, la concertation et la nĂ©gocia-tion qui prĂ©parent la dĂ©cision, restent toujours des actes unilatĂ©raux qui

28 Schumpeter, il y a plus de cinquante ans, notait que si les citoyens ont uneconnaissance incertaine des problÚmes publics, c'est qu'ils ne connais-sent bien que ce dont ils mesurent les conséquences à leur niveau local[Leca 1992].

Participation du public

213

ne concernent pas directement le public, mais les acteurs dits«compĂ©tents». Dans l'administration française aujourd'hui, il y a cettetendance Ă  vouloir Ă©tablir de nouveaux espaces d'information et deconsultation du public tout autour de la sphĂšre de la dĂ©cision, mais sanschercher Ă  rendre celle-ci moins Ă©tanche. Dans ce schĂ©ma, l'explicationen termes d'administration technocratique ou jacobine n'est pas Ă  reje-ter, mais elle n'est peut-ĂȘtre pas la plus intĂ©ressante, puisque dans cer-tains cas (en particulier dans des projets d'infrastructures de plus petitesdimensions concernant une commune ou une agglomĂ©ration) des ob-servations montrent que des associations parviennent tout de mĂȘme Ă participer Ă  la prise de dĂ©cision.29 Plus pertinente paraĂźt ĂȘtre la questiondu coĂ»t de ce partenariat et des processus d'apprentissage rĂ©ciproques,qui sont nĂ©cessairement Ă  l'Ɠuvre et qui permettent un rapprochemententre les cadres cognitifs, temporels, culturels de chacun des protago-nistes.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ALEXANDER, C. 1976. Une expérience d'urbanisme démocratique. Paris:Seuil.

ANDOUARD, M. 1993. SNCF, service public en panne. Le Monde desDĂ©bats, octobre.

BARTHĂ©LĂ©MY, M., et L. QUĂ©RĂ©. 1993. Les enquĂȘtes publiques: uneproduction collective? Paris: CEMS.

BELORGEY, J.-M. 1992. Entretiens avec... Economie et Humanisme322, juillet-septembre.

CASTELLS, M. 1973. Les luttes urbaines. Paris: Maspéro.CASTELLS, M. 1972. La question urbaine. Paris: Maspéro.CHOMBART DE LAUWE, P.-H. 1953. Des hommes et des villes. Paris:

Payot.COING, H. 1973. RĂ©novation urbaine et changement social. Paris: Ed.

OuvriĂšres.DALTON, R. 1988. Citizen politics in western democracies. London:

Chatham House Publishers.D'ARCY, F., et Y. PRATS. 1985. Les politiques du cadre de vie. In LECA,

J., et M. GRAWITZ (éd.). Traité de science politique. Paris: PUF,tome 4.

29 Sur cette question se reporter aux travaux de [Tripier et al. 1993].

P. Warin

214

DEFRANCE, J. 1988. Donner la parole: la construction d'une relationd'Ă©change. Les Actes de la recherche en sciences sociales 73.

DELARUE, J.-M. 1991. Banlieues en difficultés: la relégation. Rapport auministre de la Ville et de l'Aménagement du Territoire. Paris:Syros alternatives.

DION, S. 1984. Politiques municipales et concertation: néo-corporatismeet démocratie. Sociologie du Travail, 2.

FAVROT-LAURENS, G. 1993. Point de vue des usagers et procédurespartenariales dans le domaine du logement et de l'habitat.Rapport de recherche pour le CGPC (polycopié).

FLOCH, J. 1991. Participation des habitants à la ville. Rapport du groupede travail du CNV-DSU (polycopié).

GRéMION, C. 1992. Région, département, commun: le faux débat.Pouvoirs 60.

GUILLEMOT, A. 1992. L'Ă©volution rĂ©cente du rĂŽle de l'Etat dans la miseen Ɠuvre des politiques publiques: le cas de la politique de laville. Paris: Ecole Nationale des Travaux Publics de l'Etat.

HALL, P.-A. 1992. Pluralisme et groupes de pression. In HALL, P.-A., J.HAYWARD, et H. MACHIN (éd.). L'évolution de la vie politique fran-çaise. Paris: PUF.

ION, J. 1991. La fin des petits clercs. Gestion sociale urbaine et travail-leurs sociaux. In DONZELOT, J. (éd.). Face à l'exclusion, le modÚlefrançais. Paris: Ed. Esprit.

INGLEHART, R. 1977. The silent revolution. Princeton, NJ: PrincetonUniversity Press.

JACOUD, R. 1993. La SNCF, au service d'elle mĂȘme. Le Monde desDĂ©bats, octobre.

JACQUIER, J., et P. WARIN. 1985. La gestion urbaine à Echirolles.Rapport de recherche pour le Plan Urbain (polycopié).

JEGOUZO, Y., et al. 1992. Chroniques de l'administration. RevueFrançaise d'Administration Publique 61, janvier-mars.

LECA, J. 1992. Sur le rÎle de la connaissance dans la modernisation del'Etat et le statut de l'évaluation. Paris (polycopié).

LEFEBVRE, H. 1972. Espace et politique. Paris: Anthropos.LEFEBVRE, H. 1968. Le droit Ă  la ville. Paris: Anthropos.MĂ©NY, Y. 1991. Formation et transformation des policy communities:

l'exemple français. In MéNY, Y. (éd.). Idéologies, partis politiques.Paris: Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

MILLON, C. 1992. L'imbrication des pouvoirs, limite pour la démocratie.Pouvoirs 60.

MINISTÚRE. 1993. La Charte du service public. Paris: MinistÚre de lafonction publique et des réformes administratives.

Participation du public

215

MOUSSĂ©, J. 1993. Corruption, Ă©thique et travaux publics. Etudes avril.NASSE, P. 1992. Exclus et exclusions: connaĂźtre les populations, com-

prendre les processus. Rapport du groupe technique«Exclusion». Paris: Commissariat Général du Plan, LaDocumentation Française.

PéRALDI, M. 1991. Ingénieurs et militants. In L'envers des métiers: com-pétences politiques et pratiques professionnelles dans les direc-tions départementales de l'Equipement. Dossiers des séminairesTTS, 15-16.

PERCHERON, A. 1992. L'opinion et la décentralisation, ou la décentrali-sation apprivoisée. Pouvoirs 60.

PISIER-KOUCHNER, E. 1983. Le service public: entre libéralisme et col-lectivisme. Esprit 12, décembre.

RAGON, M. 1977. L'architecte, le prince, et la démocratie. Paris: AlbinMichel.

SENEBIER, G. 1993. GĂ©nie urbain: des usagers citoyens? Urbanisme261: 60-61.

SIVARDIĂšRE, J. 1990. Le TGV vu par les usagers. Les Annales desMines octobre.

THOENIG, J.-C., et E. FRIEDBERG. 1969. Politiques urbaines et straté-gies corporatives. Sociologie du travail 4.

THOMAS, W. 1923. The unadjusted girl. Boston: Little Brown & Co.TOULEMONDE, B. 1982. Les enjeux d'une forme désuÚte de consulta-

tion: l'enquĂȘte d'utilitĂ© publique. Les Annales de la rechercheurbaine 16.

TRIPIER, P., et al. 1993. L'administration de l'Equipement et l'usage deses réalisations. Paris: ADA.

WARIN, P. 1992. Le devoir d'évaluation des politiques publiques: étudede la circulaire du 23 février 1989 sur le renouveau du servicepublic. Lyon: Séminaire de recherche CEOPS/CERIEP/CERAT.

217

Chapitre 13

DÉFINIR L'INTÉRÊT PUBLIC: UNE MISSIONIMPOSSIBLE?

Pierre MOOR

1. INTRODUCTION

Si dĂ©finir l'intĂ©rĂȘt public Ă©tait une mission impossible, ce texte n'au-rait pas lieu d'ĂȘtre. Il y a donc bien quelque chose Ă  dire, bien que, bizar-rement, il n'y ait guĂšre de littĂ©rature juridique d'importance sur ce sujet:les auteurs, pour la plupart, se contentent d'assez brĂšves analyses oudĂ©crivent les finalitĂ©s propres Ă  telle ou telle politique publique ou lesmotifs justificatifs des restrictions aux droits constitutionnels. Toutefois,mĂȘme si la notion ne fait pas l'objet d'une explicitation systĂ©matique, elles'Ă©tend, comme une nappe phrĂ©atique, sous tout le territoire du droitpublic, puisqu'elle constitue la condition nĂ©cessaire Ă  toute interventionde la collectivitĂ©. Pour poursuivre la mĂȘme image, on rencontre donc Ă maints endroits des surgissements: ces points Ă©pars, on va chercher ici Ă les mettre en perspective.

P. Moor

218

Ce relatif dĂ©sintĂ©rĂȘt des juristes s'explique. Ils ne sont ni philo-sophes, ni thĂ©ologiens: ils n'ont donc rien Ă  faire d'une thĂ©orie de l'intĂ©-rĂȘt public en soi, ni Ă  plus forte raison de ce qui devrait ĂȘtre considĂ©rĂ©comme un pur concept, en dehors de toute rĂ©fĂ©rence Ă  une organisa-tion constitutionnelle concrĂšte. Ils n'ont mĂȘme pas dĂ©veloppĂ© une mĂ©-thodologie propre Ă  rĂ©vĂ©ler ce qui, dans un Etat donnĂ©, peut ĂȘtre consi-dĂ©rĂ© en gĂ©nĂ©ral comme de l'intĂ©rĂȘt public. Le plus couramment, ils se rĂ©-fĂšrent Ă  un titre quantitatif: le nombre de personnes intĂ©ressĂ©es, et auprincipe de subsidiaritĂ©: la collectivitĂ© n'a pas Ă  se prĂ©occuper de ce queles administrĂ©s sont en mesure de rĂ©aliser eux-mĂȘmes.1 Ou bien ilsconsidĂšrent que seule une analyse domaine par domaine peut ĂȘtre utile[HĂ€felin et MĂŒller 1993: 104].

Il est vrai que, dans la pratique, la notion provoque moins de contes-tation qu'on pourrait le penser. Lorsqu'il s'agit d'examiner la validitĂ© d'unerestriction Ă  un droit constitutionnel, la jurisprudence se fonde sur descritĂšres qui bĂ©nĂ©ficient d'une longue tradition: sĂ©curitĂ© de l'Etat, despersonnes, des biens, santĂ©, moralitĂ©, tranquillitĂ© publiques – des no-tions suffisamment bien circonscrites pour que l'on puisse s'Ă©pargner lerecours Ă  la notion plus abstraite d'intĂ©rĂȘt public [Moor 1988: 337 ss]. Parrapport Ă  la libertĂ© Ă©conomique, le Tribunal fĂ©dĂ©ral a ajoutĂ© Ă  ces valeurs(dites d'«ordre public») celle de politique sociale, de mĂȘme qu'en ma-tiĂšre de restrictions Ă  la propriĂ©tĂ©, il emploie les notions d'utilisation ra-tionnelle du sol et d'occupation judicieuse du territoire. C'est sans douteen cas d'expropriation que les cas d'«utilitĂ© publique» sont les plus lar-gement dĂ©finis; mais les contestations sont en gĂ©nĂ©ral rĂ©solues par rĂ©fĂ©-rence aux tĂąches Ă©tatiques couramment reconnues. On peut en rĂ©sumĂ©affirmer que la dĂ©finition de ce qu'est l'intĂ©rĂȘt public fait l'objet d'unconsensus, lequel s'exprime, dans les ouvrages qui se penchent sur laquestion, par une Ă©numĂ©ration de ce qui est reconnu comme tel [Grisel1984: 345 ss, HĂ€felin et MĂŒller 1993: 105-106, Knapp 1991: 30 ss, etMoor 1988: 333 ss].

Ce terme de consensus permet d'Ă©clairer un aspect fondamental duconcept qui, si on l'analyse dans sa fonction – justifier l'intervention del'Etat – doit faire rĂ©fĂ©rence moins Ă  la quantitĂ© de gens «intĂ©ressĂ©s» qu'Ă la lĂ©gitimitĂ© de l'objectif poursuivi: est d'intĂ©rĂȘt public une tĂąche dont onpense gĂ©nĂ©ralement qu'il est lĂ©gitime que l'Etat s'en occupe. Or, souscet angle prĂ©cisĂ©ment, il existe des procĂ©dures de lĂ©gitimation, organi-sĂ©es par l'ordre constitutionnel, qui assurent la transmutation du plombdes demandes sociales en or de l'intĂ©rĂȘt public: cette alchimie est Ă 

1 Voir par exemple [Grisel 1984: 339 ss].

DĂ©finir l'intĂ©rĂȘt public: une mission impossible?

219

l'Ɠuvre, d'une part dans la pratique constitutionnelle, d'autre part dans leprincipe de la lĂ©galitĂ©.

En effet, tout d'abord, la Constitution consacre des intĂ©rĂȘts publics:protection de l'environnement, de la nature, des eaux, sĂ©curitĂ© sociale,par exemple. Elle exclut aussi l'Etat de certains domaines: ainsi, il lui estinterdit en principe de pratiquer une politique Ă©conomique planificatrice,alors mĂȘme que cela paraĂźtrait souhaitable Ă  une majoritĂ© d'hommes poli-tiques. Toutefois, la Constitution reprĂ©sente un systĂšme ouvert puis-qu'elle est modifiable, en particulier par initiative populaire.

En second lieu, et dans les limites tracĂ©es par la Constitution, il ap-partient au lĂ©gislateur de consacrer un intĂ©rĂȘt comme Ă©tant public, en fai-sant de tel ou tel secteur un domaine oĂč l'Etat intervient: il y a ici aussiouverture du systĂšme aux demandes sociales. Cette consĂ©cration lĂ©gis-lative est un passage nĂ©cessaire, puisque, en vertu du principe de la lĂ©-galitĂ©, l'administration n'est pas en droit d'agir tant qu'il n'existe pas unfondement lĂ©gal Ă  son action. Elle n'est pas suffisante, parce qu'on peutconcevoir que le lĂ©gislateur adopte une loi pour la satisfaction dequelques intĂ©rĂȘts purement privĂ©s – ce qui serait anticonstitutionnel:hypothĂšse peu probable, Ă©tant donnĂ© que la loi est par dĂ©finition unenorme gĂ©nĂ©rale et abstraite, et que la publicitĂ© de la procĂ©dure lĂ©gislativesert de garantie Ă  la rationalitĂ© de ce qu'elle produit – il faudrait alors queles dĂ©putĂ©s soient singuliĂšrement habiles dans l'art du camouflage.

Il y a donc un rapport Ă©troit entre les Ă©volutions sociales, Ă©cono-miques et idĂ©ologiques et les divers intĂ©rĂȘts publics. Les juristes l'expri-ment souvent, en disant que la conception de l'intĂ©rĂȘt public varie dansle temps. Effectivement, en observant l'Ă©mergence, depuis le dĂ©but duXIXe siĂšcle, de tĂąches Ă©tatiques nouvelles, les juristes ont cru pouvoirconstater la constitution de trois catĂ©gories qui, apparues successive-ment, se juxtaposent aujourd'hui: on les qualifie d'administration de«police», de «prestation» et, enfin, de «gestion». Ces trois catĂ©goriesne correspondent pas seulement Ă  des groupes de tĂąches qui onttoutes une finalitĂ© relativement commune (ce qui sera exposĂ© souschiffre deux); en outre, elles se caractĂ©risent par l'emploi de techniquesde mise en Ɠuvre qui leur sont plus ou moins spĂ©cifiques – ce qui nedevrait pas surprendre, Ă©tant donnĂ© la circularitĂ© de la relationbuts/moyens (chiffre trois). Il ne faut pas pour autant les concevoircomme Ă©tanches les unes par rapport aux autres; et, en ce sens, lors-qu'on dit qu'elles sont aujourd'hui juxtaposĂ©es, l'image ne correspondque partiellement Ă  la rĂ©alitĂ©. Elle est exacte, parce que les tĂąches carac-tĂ©ristiques de l'Etat au siĂšcle passĂ© sont encore aujourd'hui les siennes.Mais elle est fausse, dans la mesure oĂč la mise en Ɠuvre de chacune descatĂ©gories, reprenant d'abord la panoplie des instruments existants, les aconservĂ©s tout en dĂ©veloppant certains jusqu'Ă  les faire changer de na-

P. Moor

220

ture. Sous cet angle, la juxtaposition, progressive, est Ă©galement une fi-liation, dont l'observation devrait permettre de mieux comprendre lemode de fonctionnement de la norme juridique comme instrument degestion.

2. CATÉGORISATION DES INTÉRÊTS PUBLICS

2.1 Administration de police

Dans sa fonction classique, la notion d'intĂ©rĂȘt public sert Ă  dĂ©limiterla sphĂšre Ă©tatique et la sociĂ©tĂ© civile, Ă  une Ă©poque, le XIXe siĂšcle, oĂčune frontiĂšre nette pouvait censĂ©ment ĂȘtre tracĂ©e entre les deux. C'estdire en mĂȘme temps qu'un certain contenu lui Ă©tait assignĂ©, celui de ladĂ©fense de l'ordre public – on dit aussi les biens de «police»: sĂ©curitĂ© del'Etat, des personnes, des biens, hygiĂšne et salubritĂ©, moralitĂ©, tranquil-litĂ© publiques. Ces diffĂ©rentes valeurs peuvent ĂȘtre lues de deux ma-niĂšres: l'Etat ne peut pas intervenir dans la vie sociale pour d'autres rai-sons, d'une part, et d'autre part, il n'y a pas de vie sociale assurĂ©e si cesvaleurs ne sont pas garanties. En d'autres mots, l'Etat ne peut aller au-delĂ , mais il doit aller jusqu'Ă  ce point, de telle maniĂšre que les conditionsessentielles auxquelles la «vie» de la sociĂ©tĂ© civile est subordonnĂ©esoient rĂ©alisĂ©es. Par un systĂšme d'ordres et de dĂ©fenses, l'Etat veille Ă ce que les individus n'abusent pas de leur libertĂ© au mĂ©pris de ce quel'on pourrait appeler la «nature humaine»: ainsi la sociĂ©tĂ© civile peut sedĂ©ployer selon les rĂšgles qui la rĂ©gissent «naturellement», Ă  savoir leslois du marchĂ©; on qualifie souvent cette relation entre l'Etat et la sociĂ©tĂ©civile comme Ă©tant d'extĂ©rioritĂ© rĂ©ciproque.

Cet Etat gendarme manifeste son pouvoir – exerce sa fonction – parl'Ă©diction de lois. En effet, non seulement le concept de norme (rĂšglegĂ©nĂ©rale et abstraite) Ă©tait parfaitement en synergie avec l'idĂ©al de ratio-nalitĂ© propre Ă  cette Ă©poque, lequel gouvernait Ă©galement l'apprĂ©hen-sion des phĂ©nomĂšnes socio-Ă©conomiques par la pensĂ©e Ă©conomiqueet sociologique: il Ă©tait donc normal que l'Etat soit de mĂȘme gouvernĂ©,dans son organisation et ses tĂąches, par des «lois». Mais aussi cettetechnique d'intervention Ă©tait parfaitement, et logiquement, adaptĂ©e Ă  ladĂ©fense de l'ordre public: pour dĂ©finir les limites que tout individu doitrespecter s'il ne veut pas se mettre «hors-la-loi», pour dĂ©finir ce qui s'ex-clut de la sociĂ©tĂ© en tant que telle, il est nĂ©cessaire, mais aussi suffisantde dire ce qui est «en soi» interdit ou ordonnĂ©, et ce qui est valable pourtoute personne et en toute circonstance. En d'autres mots, puisqu'ils'agit de «nature» et de «raison», le passage entre ce qui est normal et

DĂ©finir l'intĂ©rĂȘt public: une mission impossible?

221

ce qui ne l'est pas, entre sociĂ©tĂ© et non-sociĂ©tĂ©, en mĂȘme temps devaitet pouvait se dĂ©crire en termes gĂ©nĂ©raux et abstraits.

2.2 Administration de prestation

Il faut rappeler ici le paradoxe qui est consubstantiel Ă  la pensĂ©e libĂ©-rale, qui a eu besoin de rĂ©volutions pour faire triompher ses idĂ©es, et quidonc a utilisĂ© l'histoire contre l'histoire afin de fonder une organisation ra-tionnelle (naturelle) de la sociĂ©tĂ©. La pensĂ©e libĂ©rale a crĂ©Ă© l'Etat pourpermettre la sociĂ©tĂ© civile, et, comme celle-ci prĂ©suppose des individus(formellement) libres, l'Etat doit ĂȘtre nĂ©cessairement ouvert. De lĂ  le pa-radoxe d'une institution «volontariste» garantissant une structure auxrĂ©gulations (censĂ©ment) «spontanĂ©es»: en effet, ce qui est rendu pos-sible, c'est qu'une «volonté» collective puisse ainsi se former au sein dela sociĂ©tĂ© civile pour agir d'abord sur l'Etat et, en cas de succĂšs, par l'Etat– ainsi la sociĂ©tĂ© civile se retourne sur elle-mĂȘme, et se transforme parl'action collective, transformation qui est en contradiction avec l'idĂ©emĂȘme de la sociĂ©tĂ© civile comme donnĂ©e auto-rĂ©gulĂ©e. C'est par ce jeuque l'Etat a peu Ă  peu modifiĂ© sa position, et que s'est constituĂ©e la se-conde catĂ©gorie d'intĂ©rĂȘts publics, dont la commune dĂ©finition est: intĂ©-rĂȘts dont la rĂ©alisation consiste Ă  produire des prestations, lesquellessont dites positives (par opposition aux «prestations nĂ©gatives» propresĂ  la protection de l'ordre public) et qui ont pour finalitĂ© de promouvoir lebien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral au-delĂ  de ce qu'assure l'Ă©conomie de marchĂ©.Intervient ici l'idĂ©e de solidaritĂ© sociale ou, selon une terminologie idĂ©o-logique, l'Etat providence.

Il est vrai toutefois que, mĂȘme dans la plus grande orthodoxie libĂ©-rale, l'Etat fournissait dĂ©jĂ  des prestations positives: il n'y a donc pas rup-ture entre deux systĂšmes opposĂ©s, on l'a dĂ©jĂ  dit, mais bien plutĂŽtĂ©mergence ou, si l'on veut, Ă©volution dialectique, ou encore instabilitĂ©structurelle de tout systĂšme libĂ©ral. Le paradoxe auquel on vient de faireallusion le montre. Ainsi, il Ă©tait normal, ou pour le moins non hĂ©rĂ©tique,que l'Etat s'occupe du rĂ©gime des communications: routes, chemins defer, services de messagerie (postes, tĂ©lĂ©phones), scolaritĂ© (en tantqu'accession Ă  une communication laĂŻque rationnelle). Mais du fait despressions sociales de plus en plus fortes, d'autres rĂ©gimes de presta-tions se sont ajoutĂ©s, dans le but (et c'est ce qui est nouveau) de corrigerau nom de la justice les effets des inĂ©galitĂ©s: rĂ©gimes de la santĂ© pu-blique, de la sĂ©curitĂ© sociale, des loisirs et de la culture. Certes, ces in-terventions Ă©tatiques n'ont pas Ă©tĂ© radicalement antinomiques Ă  la lo-gique libĂ©rale et elles ne doivent donc pas forcĂ©ment ĂȘtre considĂ©rĂ©escomme des concessions de la «bourgeoisie» au «prolĂ©tariat»: on peut

P. Moor

222

également les interpréter comme moyens de coproduire la force de tra-vail ou d'augmenter le dynamisme du marché par une politique des reve-nus. On peut d'ailleurs observer le développement d'autres politiquespubliques, tendant à fournir des prestations à vocation plus écono-mique, moins sociale: ainsi en matiÚre énergétique, dans le domaine dela formation professionnelle et de la recherche. La politique agricole ytrouve sans doute aussi sa place.

Du point de vue des instruments de l'intervention Ă©tatique, la normecontinue d'ĂȘtre le mode de gestion le plus courant, en tout cas lorsque laredistribution sociale se fait selon des critĂšres gĂ©nĂ©ralisables, Ă  savoiressentiellement lorsque les prestations publiques se fournissent en ar-gent (sĂ©curitĂ© sociale); l'Ă©galitĂ© de traitement est ainsi assurĂ©e.Toutefois, sur le plan de l'importance matĂ©rielle de l'interventionnisme,deux phĂ©nomĂšnes vont prendre une importance spectaculaire. Le pre-mier se traduit sur le plan des chiffres: la quote-part de l'Etat dans le pro-duit national brut – constatation triviale – s'est accrue dans une propor-tion considĂ©rable, ce qui manifeste l'inadĂ©quation grandissante du schĂ©-ma de l'extĂ©rioritĂ© de l'Etat par rapport Ă  la sociĂ©tĂ© civile. L'autre phĂ©no-mĂšne ne constitue qu'un aspect particulier: c'est l'augmentation des in-vestissements lourds, due notamment aux besoins accrus en moyensde communication et en Ă©nergie. Pendant de nombreuses annĂ©es, ilsont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s sans trop de difficultĂ©s politiques et administratives, jus-qu'Ă  ce que la conscience de leur multiplication et de leurs impactsĂ©merge.

Du point de vue de l'organisation, on relĂšvera que les tĂąches carac-tĂ©ristiques de ce second «ùge» ne requiĂšrent l'exercice de la puissancepublique que de maniĂšre limitĂ©e. Certes, il faut exproprier, prĂ©lever descotisations obligatoires ou limiter des importations: mais ce ne sont lĂ  queles moyens nĂ©cessaires Ă  la mise Ă  disposition des prestations publiques(rĂ©seaux de communication, rentes de sĂ©curitĂ© sociale, subventions, ga-ranties de prix des produits agricoles, par exemple). Contrairement Ă  lapolice, la fourniture de ces prestations ne doit donc pas nĂ©cessairementpasser par l'appareil administratif Ă©tatique; elle peut ĂȘtre dĂ©lĂ©guĂ©e. Il suf-fit que l'Etat rĂ©glemente la redistribution des revenus et en contrĂŽlel'exĂ©cution. Les exemples de collaboration entre les bureaucraties pu-bliques et privĂ©es foisonnent d'ailleurs dans les secteurs de la sĂ©curitĂ©sociale et de la politique Ă©conomique agricole, et ce sont peut-ĂȘtre lesplus connus; mais on en trouve tout autant dans la politique du loge-ment, dans celle de l'Ă©nergie, dans celle des transports. Ici, l'obsoles-cence du modĂšle d'extĂ©rioritĂ© Etat/sociĂ©tĂ© civile devient manifeste. Ellel'est davantage encore si l'on observe que, de plus en plus, et de par laforce des choses, un nouveau critĂšre apparaĂźt qui permet de juger lesactivitĂ©s publiques: celui de l'efficacitĂ©. Et c'est normal, puisque l'Etat in-

DĂ©finir l'intĂ©rĂȘt public: une mission impossible?

223

vestit dans le secteur productif et Ă©labore des programmes sociaux,c'est-Ă -dire qu'il affecte des ressources Ă©conomiques. On verra mĂȘmeque l'instrument classique de gestion des tĂąches publiques – la normejuridique – va subir une profonde mutation.

Cette pĂ©riode peut se rĂ©sumer dans les termes de l'«Etat de droitsocial» – on voit assez, par l'accolement de ces mots, qu'il ne s'agit pasd'un concept qui opĂ©rerait une synthĂšse, mais plutĂŽt d'une maniĂšrecommode de dĂ©crire une rĂ©alitĂ© mouvante, prise entre l'idĂ©ologie Ă©co-nomique libĂ©rale dominante et les exigences de la gestion de valeurs etde biens collectifs. Mais on a nĂ©anmoins cherchĂ© Ă  articuler les Ă©lĂ©mentscaractĂ©ristiques des activitĂ©s Ă©tatiques dans leur double dimension deprestations nĂ©gatives et positives. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, l'Etat s'esttrouvĂ© libre d'Ă©tendre ses tĂąches, dans le sens d'un intĂ©rĂȘt public positif,dans la mesure oĂč, ce faisant, il ne dĂ©rogeait pas Ă  la dĂ©finition limitativede la portĂ©e des libertĂ©s publiques; et il faut immĂ©diatement ajouter que,dans le domaine des libertĂ©s publiques Ă©conomiques, le champ ouvert Ă des restrictions admissibles aux droits constitutionnels s'est durablementĂ©largi. C'est ainsi que le Tribunal fĂ©dĂ©ral a considĂ©rĂ© que des motifs depolitique sociale, et non plus seulement de police, autorisaient la restric-tion de la libertĂ© du commerce et de l'industrie.2

2.3 Administration de gestion

Les premiers signes d'une troisiĂšme pĂ©riode sont apparus il y a undemi-siĂšcle. Sans doute pourrait-on y voir les balbutiements initiaux del'amĂ©nagement du territoire. Cette troisiĂšme pĂ©riode se dĂ©veloppe avecl'installation des politiques spatiales et la mise en Ɠuvre de la lĂ©gislationsur les eaux, pour atteindre (provisoirement?) un point culminant dans lalĂ©gislation sur l'environnement. En fait, il s'agit d'interventions publiquessuscitĂ©es par les conflits sociaux, Ă©conomiques et politiques sur l'utilisa-tion des ressources communes. Par ces termes, on dĂ©signe ici les biensqui doivent ĂȘtre Ă  la disposition, d'une maniĂšre ou d'une autre, de toutacteur Ă©conomique, de telle sorte que chacun puisse les exploiter de fa-çon privative: l'espace, l'air, l'eau, le silence, le paysage. Or, il est patentque, l'une aprĂšs l'autre, ces diffĂ©rentes ressources se sont rĂ©vĂ©lĂ©es ĂȘtreen pĂ©nurie, soit quantitative, soit qualitative: d'oĂč l'apparition de conflitset la prise de conscience de la nĂ©cessitĂ© d'une gestion collective. Desbiens plus abstraits se sont d'ailleurs ajoutĂ©s Ă  la liste: la santĂ© (voire la

2 On pourrait ajouter que la thĂ©orie des droits constitutionnels a Ă©voluĂ© demaniĂšre correspondante; elle a intĂ©grĂ© une dimension constitutive, ce quisous-entend que l'Etat a Ă©galement Ă  charge de veiller Ă  ce que ces droitspuissent ĂȘtre exercĂ©s effectivement; voir Ă  ce sujet MĂŒller [1987: 21 ss].

P. Moor

224

survie: que l'on pense non seulement à la politique des coûts de lasanté, mais aussi à la drogue et au Sida), la transparence du marché desidées (législation sur les moyens de communication de masse, dévelop-pement de la recherche scientifique).

Ces nouveaux domaines, oĂč l'Etat s'est engagĂ©, ont Ă©tĂ© abordĂ©sen un premier temps par les techniques hĂ©ritĂ©es. Les rĂ©glementationsse sont succĂ©dĂ©, avec un caractĂšre de plus en plus technique (et trĂšssouvent issues du secteur privĂ©). Les investissements publics se sontmultipliĂ©s (stations d'Ă©puration des eaux, usines d'incinĂ©ration, parexemple). Toutefois, il est rapidement apparu que cela Ă©tait sans doutenĂ©cessaire, mais de plus en plus insuffisant.

On s'est en effet vite rendu compte qu'on ne pouvait remĂ©dier Ă une pĂ©nurie sans en crĂ©er une autre, ni rĂ©soudre un conflit sans en sus-citer d'autres. Toute intervention provoque une multiplicitĂ© de consĂ©-quences, qui doivent toutes ĂȘtre prises en considĂ©ration pour obtenir unrĂ©sultat globalement positif, et exige aussi d'autres mesures, souventmĂȘme prĂ©alables, pour dĂ©ployer pleinement son effet. Il faut par consĂ©-quent planifier et coordonner. De nouveaux instruments ont dĂšs lors Ă©tĂ©inventĂ©s, rodĂ©s et (plus ou moins) intĂ©grĂ©s: plans directeurs, Ă©tudesd'impact, plans de mesures, par exemple. De plus, puisqu'il s'agit de si-tuations de pĂ©nurie, l'Ă©conomie (au sens noble du terme) de ces me-sures a dĂ» ĂȘtre Ă©valuĂ©e, dans une proportion bien plus grande que par lepassĂ©: effectivitĂ©, efficacitĂ©, efficience de l'action Ă©tatique font l'objetd'Ă©valuations de plus en plus nombreuses.

Si la nĂ©cessitĂ© de coordonner et de planifier est la caractĂ©ristique laplus visible de cette troisiĂšme pĂ©riode, ce n'est pas la plus fondamentale.En fait, ce qui est visĂ©, c'est un rĂ©gime de libertĂ© orientĂ©e (du point devue des administrĂ©s) ou d'autoritĂ© distanciĂ©e (du point de vue de l'admi-nistration): ces termes ne sont sans doute pas (encore) adĂ©quatementchoisis – la difficultĂ© terminologique, on le voit bien, dĂ©coule de la natureparadoxale de la tĂąche assignĂ©e Ă  l'Etat en la matiĂšre. Cela mĂ©rite un dĂ©-veloppement.

Dans une situation de pĂ©nurie, les ressources communes doiventĂȘtre exploitĂ©es de maniĂšres judicieuse et rationnelle (pour reprendre lestermes de l'article 22quater Cst.). Mais, dans cette proposition, il y a nonpas un mais deux accents: non seulement l'exploitation doit ĂȘtre Ă©co-nome, mais il doit y avoir exploitation – c'est-Ă -dire, selon le pari du sys-tĂšme libĂ©ral, les individus doivent ĂȘtre libres de et dans leurs initiatives. Ilfaut donc qu'il y ait un dynamisme social, mais il faut qu'il soit ordonnĂ©. Ilfaut que les acteurs privĂ©s agissent, mais dans un ensemble coordonnĂ©.DĂšs lors, c'est par l'usage qu'ils font de leur libertĂ© que les fins d'intĂ©rĂȘtpublic seront atteintes. Cette proposition n'est pas en soi nouvelle: dĂ©jĂ dans l'Ăąge d'or de la pensĂ©e libĂ©rale, la libertĂ© de chacun assurait le bon-

DĂ©finir l'intĂ©rĂȘt public: une mission impossible?

225

heur de tous. Mais, Ă  l'Ă©poque, on considĂ©rait qu'il suffisait que l'Etat in-terdise les comportements asociaux et que, pour le reste, il s'abstienne.Dans l'Ă©tat de pĂ©nurie, il faut que chacun agisse «dans un certain sens»pour que les ressources communes soient toutes utilisĂ©es de maniĂšreoptimale. L'Etat ne doit pas seulement obtenir que les gens respectentles interdits.3 Il doit surtout faire en sorte qu'ils aient un comportementpositif, orientĂ©. Les gens doivent Ă©conomiser l'Ă©nergie, trier leurs dĂ©-chets, utiliser les transports publics: c'est ainsi que la protection de l'envi-ronnement sera assurĂ©e. Les entreprises doivent investir: c'est ainsi quele chĂŽmage sera rĂ©sorbĂ©. Les promoteurs doivent construire: c'est ainsique l'amĂ©nagement du territoire sera rĂ©alisĂ©. D'une certaine maniĂšre, lesgens ne sont plus seulement des administrĂ©s, ils sont aussi les adminis-trateurs des intĂ©rĂȘts publics Ă  atteindre.

Certes, dans de nombreux domaines, il suffit encore de rĂ©glemen-ter; mais il n'est pas possible de contraindre gĂ©nĂ©ralement les gens Ă agir: il faudrait un policier derriĂšre chaque citoyen. Dans d'autres do-maines, on peut les encourager par des subventions: mais, outre les li-mites financiĂšres, on va se heurter au risque de lĂ©thargie, voire de sclĂ©-rose. Que reste-t-il alors d'autre Ă  faire? Il faut informer, convaincre, nĂ©-gocier, Ă©changer. Qui aurait imaginĂ©, il y a un siĂšcle, que l'Etat fasse unjour de la publicitĂ© sur la meilleure maniĂšre de se chauffer, de cuire unƓuf ... et mĂȘme de faire l'amour?

Il y a plus encore. Administrer la pĂ©nurie, c'est rĂ©partir ce qui n'est(plus) Ă  disposition infiniment, ce qui n'existe plus que de maniĂšre limi-tĂ©e: choisir, et par consĂ©quent renoncer. Il existe des situations oĂč detels arbitrages peuvent se faire globalement, par une norme gĂ©nĂ©rale etabstraite. Mais souvent aussi, il faut agir sur une situation individuelle etconcrĂšte – un espace dĂ©terminĂ©. Faire alors le meilleur choix requiertque l'autoritĂ© ait une marge de manƓuvre suffisante, sans ĂȘtre liĂ©e nor-mativement Ă  des solutions prĂ©dĂ©terminĂ©es: c'est seulement ainsiqu'elle peut pondĂ©rer toutes les valeurs en prĂ©sence. Elle y gagne unelibertĂ© de nature politique, essentiellement la mĂȘme (quoique moindredans ses enjeux) que celle dont jouit le parlement ou le gouvernement.

Ce ne sont pas seulement les initiatives privĂ©es qui font l'objet denouvelles techniques d'intervention. Le fait mĂȘme que les ressourcescommunes se font rares implique des difficultĂ©s croissantes dans leurexploitation concrĂšte: on ne peut plus construire n'importe quoi n'im-porte oĂč – mĂȘme les installations d'intĂ©rĂȘt public – parce que toute

3 A la prestation négative de l'Etat, caractéristique de l'administration de po-lice, correspond trait pour trait une prestation négative des citoyens: c'estun autre moyen de caractériser la relation d'extériorité de l'Etat et de la so-ciété civile.

P. Moor

226

construction d'une certaine importance est une consommatrice impor-tante de ressources communes, dont le montant dĂ©passe les dĂ©pensesstrictement liĂ©es Ă  son fonctionnement considĂ©rĂ© isolĂ©ment. Tout projetde ce genre, qu'il soit public ou privĂ©, exige donc une comptabilisationde tout ce qui va ĂȘtre consommĂ©, et une dĂ©cision prenant en considĂ©ra-tion l'ensemble des ressources affectĂ©es. Il y aura par consĂ©quent plu-sieurs intĂ©rĂȘts publics visĂ©s – ceux d'abord qui tiennent Ă  la rĂ©alisation4

et au fonctionnement de l'installation, ceux ensuite qui tiennent Ă  cha-cune des ressources consommĂ©es, directement ou indirectement (dansle prĂ©sent et l'avenir). Il y aura aussi plusieurs intĂ©rĂȘts privĂ©s concernĂ©s –celui d'abord qui tient en gĂ©nĂ©ral, dans notre systĂšme de marchĂ©, Ă  unerĂ©gulation Ă  l'abri de l'ingĂ©rence Ă©tatique5, ceux ensuite qui sont liĂ©s in-dividuellement aux divers intĂ©rĂȘts publics affectĂ©s (usagers, voisins,concurrents ou constructeurs, de l'installation). Chacun de ces intĂ©rĂȘtsse prĂ©sentera diffĂ©remment dans chacune des situations concrĂštes oĂčl'installation pourrait ĂȘtre rĂ©alisĂ©e, avec un poids variable selon les carac-tĂ©ristiques propres Ă  chaque environnement. Les Ă©quilibres, les arbi-trages, les compromis devront donc ĂȘtre Ă©laborĂ©s en fonction de cha-cune des configurations individuelles oĂč un tel projet pourrait s'implan-ter. DĂšs lors, la conformitĂ© Ă  des rĂšgles prĂ©Ă©tablies ne pourra ĂȘtre quetrĂšs partiellement retenu comme le critĂšre de dĂ©cision. Ce sera plutĂŽtcelui de la dĂ©cision optimale telle qu'elle ressortira du processus de sĂ©-lection, d'Ă©valuation et de pondĂ©ration des intĂ©rĂȘts en cause, en tenantcompte Ă©galement des amĂ©nagements et des adaptations que les ac-teurs participant Ă  ce processus auront consentis: car le coĂ»t procĂ©duralet administratif, notamment celui engendrĂ© par des rĂ©sistances, devraaussi ĂȘtre pris en compte. Toute action de ce type sera par consĂ©quentindividualisĂ©e, puisque les facteurs de dĂ©cision rĂ©sulteront de la compa-raison d'une pluralitĂ© de situations individuelles qui, chacune, sous unangle que l'on appellerait volontiers «mĂ©taphysique» – ou plus simple-ment «mĂ©tajuridique» –, est en rĂ©alitĂ© unique, donc impossible Ă  abs-traire et Ă  gĂ©nĂ©raliser dans ce qui la constitue comme Ă©tant proprementce qu'elle est. Une telle dĂ©cision ne peut ĂȘtre prise en application derĂšgles matĂ©rielles; elle nĂ©cessite par essence que l'autoritĂ© disposed'une libertĂ© suffisante pour choisir la meilleure parmi plusieurs solutions,dont chacune a ses caractĂ©ristiques particuliĂšres et peut se rĂ©vĂ©ler ex-cellente si on la considĂšre sous un seul angle.

On se trouve lĂ  aussi aux antipodes d'une administration normative.Mais on ne peut s'arrĂȘter Ă  ce simple constat. En effet, mĂȘme si l'adminis-

4 Y compris aujourd'hui l'emploi de la main-d'Ɠuvre.5 C'est le principe de subsidiaritĂ©.

DĂ©finir l'intĂ©rĂȘt public: une mission impossible?

227

tration doit pouvoir ĂȘtre libre pour ĂȘtre efficacement adaptĂ©e, elle doitnĂ©anmoins ne pas ĂȘtre arbitraire: car elle ne saurait jouir de la mĂȘme au-tonomie de principe qu'un acteur privĂ© dans une pure Ă©conomie de mar-chĂ©. Il faut donc qu'elle soit orientĂ©e, guidĂ©e, canalisĂ©e, contrĂŽlĂ©e; et illui faut des instruments nouveaux, que, s'agissant de la libertĂ© des parti-culiers, nous venons de rĂ©pertorier, mais qui, Ă©videmment, deviennentici plus impĂ©ratifs. Parmi ceux-ci, on retrouve aussi les techniques d'in-formation, de nĂ©gociation, de collaboration qui sont nĂ©cessaires pourqu'un projet gagne une lĂ©gitimitĂ© suffisante auprĂšs des groupes d'in-tĂ©rĂȘts.

Par opposition aux termes de «police» et de «prestation», on quali-fiera ces nouvelles tùches publiques d'administration de «gestion». Ceterme nous paraßt en effet caractériser adéquatement la nécessité d'uneexploitation rationnelle et judicieuse de biens, qui, par leur nature, sont àla disposition de tout un chacun, mais sous la responsabilité directrice del'Etat, et qui, par conséquent, doivent faire l'objet d'une «gestion» parta-gée entre l'Etat et le secteur privé.

3. TYPES D'INTERVENTIONS, SELON LEUR LOGIQUE

3.1 Schéma classique: la séparation des pouvoirs

Pour apporter un autre Ă©clairage, il s'agit d'exposer briĂšvement se-lon quelle logique sont amĂ©nagĂ©es les interventions publiques. On re-prend ainsi certains des thĂšmes esquissĂ©s ci-dessus; mais il va de soiqu'ils ne sauraient ĂȘtre dĂ©veloppĂ©s ici, puisque, d'ordinaire, ils nĂ©cessi-teraient tout un traitĂ© de droit administratif!

Manifestement, le problĂšme Ă  rĂ©soudre est de lĂ©gitimer le pouvoirpolitique, c'est-Ă -dire de placer la dimension politique de l'exercice dupouvoir Ă  un endroit de la structure Ă©tatique oĂč elle peut ĂȘtre Ă©laborĂ©eselon la «volontĂ© gĂ©nĂ©rale» ou, du moins, selon des modalitĂ©s acces-sibles Ă  un contrĂŽle de la «nation». Par politique, on entend ici l'arbitrairedu subjectif, de l'individuel, par opposition Ă  l'objectif, au rationnel; et ilest intĂ©ressant de noter que si, sur le plan de la philosophie de l'individu,le terme d'arbitraire qualifie positivement l'exercice – par une personne –de sa libre volontĂ©6, en revanche, pour l'Etat, l'arbitraire est une perver-sion du pouvoir qu'il faut Ă©liminer, dans la mesure du possible, afin de la

6 C'est la notion de libre arbitre!

P. Moor

228

remplacer par l'objectivitĂ© de la raison.7 Cela s'est fait en axant laconstruction du pouvoir politique sur l'institution de la norme, sur le mo-dĂšle de la loi tel que les sciences exactes l'avaient conceptualisĂ© et telque la science juridique l'offrait. Il suffisait de concentrer l'intĂ©gralitĂ© de ladimension politique dans l'institution de la loi et d'en localiser la compĂ©-tence dans le parlement, lieu Ă©minemment public, parce qu'accessible,soit directement8, soit indirectement9, au dĂ©bat rationnel. L'administra-tion quant Ă  elle n'avait plus qu'Ă  exĂ©cuter; et le juge vĂ©rifiait la conformitĂ©de l'exĂ©cution Ă  la norme.10 CoĂŻncidaient donc la logique juridique, nor-mative/dĂ©ductive, et la logique institutionnelle des pouvoirs Ă©tatiques.Et, dĂšs que le pouvoir politique par essence – le parlement – s'Ă©tait ex-primĂ©, la suite, c'est-Ă -dire l'action Ă©tatique Ă  proprement parler, devenaitparfaitement prĂ©visible pour tout un chacun.

L'arbitraire s'exprime dans le parlement, oĂč, dans la mesure du pos-sible, il est maĂźtrisĂ© par la procĂ©dure; l'exercice concret des pouvoirssubsĂ©quents est, lui, tout Ă  fait objectif, puisqu'il exĂ©cute la norme, rĂšglegĂ©nĂ©rale et abstraite.

Du point de vue de l'intĂ©rĂȘt public, on remarquera que cette dĂ©fini-tion est dĂšs lors l'apanage de la loi: c'est elle qui dit ce qu'est l'intĂ©rĂȘtpublic, et qui ordonne, prescrit (prĂ©-scrit) ce que les autoritĂ©s publiquesou les administrĂ©s ont Ă  faire ou Ă  ne pas faire dans l'intĂ©rĂȘt public.11 Deson cĂŽtĂ©, l'intĂ©rĂȘt privĂ© est ce dont la loi ne s'occupe pas, et mĂȘme plus:c'est ce dont la loi n'a pas Ă  s'occuper, parce que chaque personne en

7 L'objectivité de la raison est une sorte de déterminisme volontairement ac-cepté!

8 Les séances du parlement sont publiques.9 Cela survient par l'exercice de la liberté d'opinion ou par l'exercice de la li-

berté de la presse.10 En réalité, cette construction n'a atteint la perfection de son idéal qu'avec

le dĂ©veloppement de la juridiction administrative, soit Ă  un moment oĂč dĂ©jĂ les domaines ouverts Ă  la libertĂ© de l'administration se multipliaient; maisce n'est pas un phĂ©nomĂšne rare que de voir une construction se complĂ©terau moment oĂč elle a besoin de ce soutien nouveau, prĂ©cisĂ©ment parce que,par ailleurs, elle commence Ă  se dĂ©labrer. L'idĂ©al court aprĂšs le rĂ©el, nonl'inverse.

11 Voir par exemple l'article 5 de la DĂ©claration des droits de l'Homme et duCitoyen de 1789: «La Loi n'a le droit de dĂ©fendre que les actions nuisibles Ă la sociĂ©tĂ©. Tout ce qui n'est pas dĂ©fendu par la Loi ne peut ĂȘtre empĂȘchĂ©,et nul ne peut ĂȘtre contraint Ă  faire ce qu'elle n'ordonne pas», ou l'article17: «La propriĂ©tĂ© Ă©tant un droit inviolable et sacrĂ©, nul ne peut en ĂȘtreprivĂ©, si ce n'est lorsque la nĂ©cessitĂ© publique, lĂ©galement constatĂ©e,l'exige Ă©videmment, et sous la condition d'une juste et prĂ©alable indem-nité».

DĂ©finir l'intĂ©rĂȘt public: une mission impossible?

229

est le seul maĂźtre.12 Il n'y a de points de rencontre que lĂ  oĂč l'Etat a lacompĂ©tence de limiter les initiatives des individus, et ceux-lĂ  constituentlogiquement l'exception, puisqu'il s'agit d'interventions requises pourque la sociĂ©tĂ© civile puisse «tourner» (comme une mĂ©canique dont onenlĂšve les corps Ă©trangers qui la gripperait) telle qu'en elle-mĂȘme. C'estpourquoi les actions Ă©tatiques doivent reposer sur une norme et qu'elless'expriment sous forme d'obligations des citoyens (dans l'administrationde police) ou de droits (dans l'administration de prestation); de cette ma-niĂšre, non seulement la frontiĂšre entre Etat et sociĂ©tĂ© civile peut ĂȘtrecontrĂŽlĂ©e, mais son respect est garanti Ă  toute personne dans la mesureoĂč elle est le sujet d'une telle obligation ou d'un tel droit. Le caractĂšreexceptionnel des interventions Ă©tatiques est sauvegardĂ©, et desmoyens juridiques de mise en Ɠuvre sont donnĂ©s.

Cette analyse met en Ă©vidence le caractĂšre bipolaire de la relationde droit public, conçue, de mĂȘme qu'en droit privĂ©, comme la titularitĂ©d'un droit ou d'une obligation d'un sujet de droit envers un autre. D'uncĂŽtĂ©, l'administration, qui exĂ©cute les tĂąches d'intĂ©rĂȘt public par l'attribu-tion de droits et d'obligations selon des modalitĂ©s prĂ©vues par la loi; del'autre, les administrĂ©s – auxquels la loi confĂšre des droits et des obliga-tions – qui peuvent agir contre l'administration si l'activitĂ© concrĂšte decette derniĂšre ne respecte pas la norme, si elle les charge de devoirs au-delĂ  de ce que la norme prĂ©voit ou si elle ne leur donne pas les facultĂ©sdont elle dispose en leur faveur. Les tiers sont en dehors de cette rela-tion, parce qu'il n'y a pas d'autres droits contre l'Etat que ceux que la loiprĂ©voit, et que les seuls titulaires sont ceux qu'elle institue. Car autoriserdes tiers Ă  agir, pour obtenir l'exĂ©cution d'une prestation Ă©tatique Ă  la-quelle ils n'ont pas eux-mĂȘmes droit, ce serait leur permettre d'intervenirpour assurer la rĂ©alisation d'un intĂ©rĂȘt privĂ© que la loi ne leur reconnaitpas. Cela constituerait une violation de la frontiĂšre entre Etat et sociĂ©tĂ©civile, par un biais dont l'ordre juridique ne veut prĂ©cisĂ©ment pas.L'exemple classique est celui d'un entrepreneur dĂ©jĂ  installĂ©, dont lechiffre d'affaires risque de diminuer Ă  la suite de l'autorisation d'ouvertureque l'autoritĂ© accorde Ă  une autre entreprise. Or, l'Etat ne se mĂȘle pas dela concurrence. Par consĂ©quent, s'il Ă©tait possible au premier commer-çant, atteint dans un intĂ©rĂȘt de pur fait, de contester devant une instanceĂ©tatique l'autorisation confĂ©rĂ©e Ă  un tiers, alors cela reviendrait Ă  lui ac-corder la facultĂ© de faire protĂ©ger par l'Etat l'avantage dont il dispose. Ilpourrait donc faire transformer un intĂ©rĂȘt privĂ© en un intĂ©rĂȘt public quel'ordre juridique veut rĂ©server, au contraire, au monde de la sociĂ©tĂ© civile.

12 Et, à l'abri ainsi de toute contrainte étatique quant à l'usage de son libre ar-bitre, chacun peut se déterminer rationnellement sur les affaires publiques.On reconnaßt le thÚme de l'extériorité de l'Etat et de la société civile.

P. Moor

230

Une autre hypothĂšse serait d'admettre que le tiers puisse agir en exĂ©cu-tion de la prestation Ă©tatique, en invoquant que son refus lĂ©serait l'intĂ©rĂȘtpublic; mais cela aussi est interdit. La rĂ©alisation de l'intĂ©rĂȘt public estl'apanage de l'Etat, qui a seul la compĂ©tence d'intervenir autoritairementpour limiter la libertĂ©. Aucun individu n'a Ă  cet Ă©gard plus de droit qu'unautre, en dehors des situations que la loi prĂ©voit. Les intĂ©rĂȘts d'un indi-vidu quelconque13 sont dĂ©fendus par l'Etat seul.

Il est clair que ce systĂšme ne fonctionne que si les dĂ©cisions admi-nistratives sont prises sans qu'il ne soit nĂ©cessaire d'y introduire d'Ă©lĂ©-ment nouveau par rapport Ă  ce que dicte la loi. Rien de politique ne doitsurgir Ă  ce niveau. Il faut que les actes de l'autoritĂ© puissent atteindre leurbut en exĂ©cutant purement et simplement la loi, en la «reproduisant»identiquement chaque fois qu'elle a Ă  s'appliquer. Or, pour que ceci soitpossible logiquement, il est nĂ©cessaire aussi que les situations que lanorme vise soient Ă©galement «reproductibles», c'est-Ă -dire que les Ă©lĂ©-ments pertinents pour l'application de la loi soient partout et toujoursidentiquement dĂ©finissables. Cette condition, qui n'a jamais Ă©tĂ© pleine-ment rĂ©alisĂ©e14 – tant s'en faut –, va faire dĂ©faut dans les domaines del'administration de gestion, oĂč la configuration est mĂȘme inversĂ©e. Lesfacteurs de dĂ©cision dĂ©terminants rĂ©sulteront de la spĂ©cificitĂ© des situa-tions individuelles, et non pas de leur capacitĂ© Ă  ĂȘtre assimilĂ©es les unesaux autres: on l'a dĂ©jĂ  vu plus haut. On notera toutefois que bien avantl'apparition de l'administration de gestion, certaines matiĂšres Ă©taient dĂ©jĂ considĂ©rĂ©es comme devant Ă©chapper au schĂ©ma classique et Ă  ses ga-ranties; et il n'est pas surprenant que ce soient prĂ©cisĂ©ment celles dontles ressources Ă©tatiques Ă©taient limitĂ©es – gestion des choses pu-bliques, de la fonction publique, des Ă©tablissements publics, des sub-ventions, des autorisations exceptionnelles – et celles pour lesquelles ilfallait Ă  l'Etat une certaine libertĂ©.15

De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, on peut dĂ©crire l'Ă©volution comme une dimi-nution de la densitĂ© normative. C'est-Ă -dire que la norme prĂ©sente, dansdes domaines de plus en plus nombreux, un degrĂ© d'impĂ©rativitĂ© (deprĂ©-scription) plus faible, crĂ©ant par lĂ  – comme un systĂšme de vases

13 Ceci est évidemment une pure abstraction. Politiquement, l'ensemble des«individus quelconques» constitue le corps collectif de la nation, dontl'Etat est le seul porte-parole.

14 Cette insuffisance de la construction normative/dĂ©ductive est en mĂȘmetemps la marque d'un idĂ©al et d'une idĂ©ologie. Voir, pour tout ce quiconcerne cette question, [Morand 1988: 527 ss, et 1989: 129 ss].

15 Juridiquement parlant, il s'agit de la liberté d'appréciation, des concepts ju-ridiques indéterminés, de l'ordonnance administrative.

DĂ©finir l'intĂ©rĂȘt public: une mission impossible?

231

communicants – un nouvel espace de libertĂ© au profit de l'administration.Celle-ci gagne donc une dimension «micropolitique» au niveau de lamise en Ɠuvre de lĂ©gislations de moins en moins exhaustives. Commeon le sait, c'est dans les politiques d'amĂ©nagement du territoire et de pro-tection de l'environnement que cela s'est manifestĂ© le plus spectaculai-rement; mais non pas exclusivement.

3.2 Administration de gestion

Le nouveau mot-clé, qui s'ajoute à celui de la légalité, est celui del'efficacité. Il y a entre les deux un rapport complexe, puisque la légalité,principe directeur de notre organisation politique, doit, malgré ou à tra-vers le schéma hérité de la loi comme prescription, permettre l'efficacité,et que celle-ci, de son cÎté, doit, à cause de la structure permanente dela séparation des pouvoirs, s'inscrire dans un cadre normatif garantissantl'autonomie individuelle.

Dans l'abstrait, les conflits de valeurs ne peuvent se rĂ©gler de ma-niĂšre adĂ©quate que s'ils sont simples: il en est ainsi dans la relation bipo-laire classique oĂč s'opposent l'intĂ©rĂȘt public et l'intĂ©rĂȘt privĂ©. DĂšs que lamise en Ɠuvre des politiques publiques implique la confrontation deplusieurs valeurs, il est rare que les conflits concrets puissent s'arbitrerdans toute situation selon le mĂȘme Ă©quilibrage. Ils ne peuvent donc serĂ©soudre dans l'abstrait, mais doivent faire l'objet d'un repĂ©rage, d'uneĂ©valuation et d'une dĂ©cision selon la configuration individuelle oĂč ils setrouvent engagĂ©s. C'est cela qui a rendu la diminution de la densitĂ© nor-mative inĂ©luctable, car, sans jouir d'une certaine libertĂ©, on ne peutprendre de dĂ©cisions qui reposent sur des pondĂ©rations individuellesconcrĂštes. Il y a donc apparition d'une dimension micropolitique au ni-veau de l'administration et du juge qui la contrĂŽle.16

On a signalĂ© dĂ©jĂ  que, bien antĂ©rieurement, certains secteurs pu-blics Ă©taient gĂ©rĂ©s au bĂ©nĂ©fice d'une semblable libertĂ©: ainsi les chosespubliques, dans leur constitution et leur amĂ©nagement aussi bien quedans les usages particuliers qui peuvent en ĂȘtre faits; et on a notĂ© queprĂ©cisĂ©ment les garanties ordinaires de l'Etat de droit dans son schĂ©maclassique y Ă©taient tenues pour inapplicables. Ce rapprochement n'estpas artificiel, comme on l'a soulignĂ©: de tels secteurs mettent eux aussien Ɠuvre des ressources rares, et le parallĂšle avec ce que nous avonsappelĂ© «ressources communes» est donc tout naturel. Les mĂȘmes ca-ractĂ©ristiques s'y trouvent: il s'agit de gĂ©rer des biens pour qu'ils soientutilisables au mieux, dans l'intĂ©rĂȘt de la population en gĂ©nĂ©ral; et, comme

16 Les juristes ont tendance Ă  scotomiser ce dernier point.

P. Moor

232

il y a une quantitĂ© ou une qualitĂ© limitĂ©e de tels biens, que l'exploitationde l'un entraĂźne une moins grande disponibilitĂ© des autres, et quel'usage individuel entraĂźne une moins grande disponibilitĂ© pour lesautres, il faut nĂ©cessairement procĂ©der Ă  des choix, Ă  des compromis, Ă des sacrifices. Chacun de ces biens reprĂ©sente un intĂ©rĂȘt public – il y adonc une pluralitĂ© d'intĂ©rĂȘts publics, non pas juxtaposĂ©s17, mais combi-nĂ©s, convergents ou, souvent, divergents. L'intĂ©rĂȘt public devient parconsĂ©quent relatif, non seulement parce que, comme dans l'administra-tion de police, il s'oppose Ă  la masse des intĂ©rĂȘts privĂ©s de la sociĂ©tĂ© ci-vile, mais aussi, sinon surtout, parce qu'il ne peut ĂȘtre mis en Ɠuvrequ'en balance d'autres intĂ©rĂȘts publics. Il y aura donc nĂ©cessairement ettoujours, pour chacun d'eux, Ă  un moment ou Ă  un autre, des retranche-ments.

Le pluralisme des intĂ©rĂȘts publics (on pourrait dire aussi la parcelli-sation ou la fragmentation de l'intĂ©rĂȘt public) se retrouve dans les struc-tures d'organisation. L'administration se fragmente autant que l'intĂ©rĂȘtpublic lui-mĂȘme. Ce n'est plus tant la loi qui incorpore l'intĂ©rĂȘt public, nil'autoritĂ© qui l'exĂ©cute en tant que telle, comme institution abstraite. La loiĂ©numĂšre les tĂąches, les missions, les responsabilitĂ©s de l'Etat commeautant d'objectifs, d'une part, et les moyens et les instruments propres Ă les rĂ©aliser, d'autre part. Puis les uns comme les autres sont rĂ©partis etdistribuĂ©s entre les diffĂ©rents niveaux Ă©tatiques (ConfĂ©dĂ©ration, can-tons, communes) et, Ă  l'intĂ©rieur de chaque niveau, entre les diffĂ©rentessubdivisions administratives individuelles.18

DĂšs lors, aucune autoritĂ© ne peut plus prĂ©tendre avoir le monopolede l'intĂ©rĂȘt public. RĂ©duite Ă  ses propres forces, aucune n'en sait assez,ni sur l'intĂ©rĂȘt qu'elle a Ă  charge de rĂ©aliser, ni sur ceux qui incombent Ă d'autres autoritĂ©s, avec lesquelles elle devra composer. En rĂ©alitĂ©, c'estl'ignorance oĂč elle se trouve quant aux seconds qui rend nĂ©cessaire-ment incomplĂšte sa connaissance du premier, dans la mesure oĂč seuleune apprĂ©hension globale permet de procĂ©der Ă  un arbitrage adĂ©quat.19

De plus, c'est aujourd'hui une banalitĂ© que de le dire, l'information est fil-trĂ©e par la place qu'on occupe. Elle se trouve donc institutionnellementlacunaire. Pour promouvoir «son» intĂ©rĂȘt public, chaque autoritĂ© devientun acteur parmi d'autres.

17 Comme c'est le cas pour les biens de police, dont il est inconcevable qu'ilsentrent en conflit les uns avec les autres.

18 Ces rĂ©partitions se font jusqu'au jour oĂč la nĂ©cessitĂ© d'une coordinationformelle se manifeste.

19 On retrouve ici le problÚme de la coordination, cette fois matérielle.

DĂ©finir l'intĂ©rĂȘt public: une mission impossible?

233

DĂšs lors que l'intĂ©rĂȘt public se parcellise, il y a derriĂšre chacun deses Ă©lĂ©ments, non plus la «volontĂ© gĂ©nĂ©rale», la «nation», mais leconglomĂ©rat de tous les intĂ©rĂȘts privĂ©s qui, d'une maniĂšre ou d'uneautre, y sont liĂ©s. Il y a mixitĂ© des divers intĂ©rĂȘts publics et des intĂ©rĂȘtsprivĂ©s qui, tour Ă  tour, s'y rattachent. RelativisĂ©, l'intĂ©rĂȘt public perd samajestĂ© et manifeste ouvertement de qui, de quel groupe, de quel milieuil relĂšve et par qui – outre l'autoritĂ© – il est dĂ©fendu. L'intĂ©rĂȘt public n'estplus (seulement, ni principalement) ce qui s'oppose aux intĂ©rĂȘts privĂ©s,et leur distinction ne permet plus de tracer la frontiĂšre entre l'Etat et lasociĂ©tĂ© civile, celui-lĂ  ayant pour fonction (intĂ©rĂȘt public) de permettre Ă celle-lĂ  (intĂ©rĂȘts privĂ©s) de se dĂ©ployer librement en tant qu'elle-mĂȘme,selon ses propres rĂšgles. Bien au contraire: la sociĂ©tĂ© civile est intĂ©res-sĂ©e dans ses propres structures Ă  une administration efficace dans lagestion des ressources dont elle a besoin pour ĂȘtre elle-mĂȘme. Par dĂ©-finition, il ne peut plus y avoir de frontiĂšre. On peut ĂȘtre mĂȘme plus prĂ©-cis: puisqu'il y a pĂ©nurie de ressources, on ne peut plus concevoir la so-ciĂ©tĂ© en tant que civile, c'est-Ă -dire comme un ensemble d'individus(sujets de droit) par opposition Ă  l'Etat, mais – l'analyse juridique rejoi-gnant enfin ce que la sociologie connaĂźt depuis fort longtemps – commeun complexe de groupes et d'individus, d'intĂ©rĂȘts gĂ©nĂ©raux et/ou privĂ©sdont la gestion exige l'amĂ©nagement de procĂ©dures collectives. Ainsi,intĂ©grant l'Etat, la sociĂ©tĂ© perd son Ă©pithĂšte.

Certes, il y a encore de la police, des prestations. De mĂȘme, il y a demĂȘme des droits et des obligations dont les titulaires sont des adminis-trĂ©s dĂ©terminĂ©s. Et il y en aura toujours, du moins tant qu'il y aura unesociĂ©tĂ©, ou plus exactement tant qu'il y aura une organisation politique etsociale fondĂ©e sur le principe des libertĂ©s fondamentales. Mais il s'agiraalors de cristallisations sectorielles, instrumentalisĂ©es, Ă  l'intĂ©rieur d'unsystĂšme mouvant oĂč intĂ©rĂȘts publics et privĂ©s se combineront, s'Ă©loi-gneront, s'opposeront, se soutiendront.

Le thĂšme du partenariat public-privĂ© – nĂ©gociation, compromis,collaboration entre secteurs publics et privĂ©s – en est une manifestationexemplaire, tout autant que l'est celui de la privatisation. Il en est d'autres.En effet, la relation juridique de droit public est devenue multipolaire. Onne parle plus, dans les processus de dĂ©cision, de titularitĂ© de droits oud'obligations, mais d'acteurs. Les uns sont formels: l'ordre juridique im-pose leur prĂ©sence. Tels sont Ă©videmment en premier lieu toutes les au-toritĂ©s de dĂ©cision (parce que souvent il y en a plus d'une dans la mĂȘmeaffaire), mais aussi toutes celles qui doivent ĂȘtre consultĂ©es. Parmi lesparticuliers, il y a ceux dont la situation juridique est visĂ©e, mais aussi tousceux qui subissent une atteinte particuliĂšre Ă  leurs intĂ©rĂȘts de pur fait. Ledroit public, se sĂ©parant de la conception privatiste, a Ă©largi au-delĂ  de latitularitĂ© de droits ou d'obligations le cercle de ceux qui avaient le droit de

P. Moor

234

participer Ă  une procĂ©dure. Il y a les droits de participation que la loiconfĂšre directement Ă  des organisations privĂ©es Ă  but idĂ©al. Puis ontrouve les acteurs informels, c'est-Ă -dire tous ceux dont la prĂ©sence estsouhaitable par opportunitĂ© politique, et dont la collaboration est de na-ture Ă  faciliter la solution. La parcellisation de l'intĂ©rĂȘt public a pour corol-laire nĂ©cessaire la multiplication des acteurs, de chacune des catĂ©gories.Ce n'est pas forcĂ©ment un bien – les tractations peuvent ĂȘtre occultes.Mais c'est un passage obligĂ©, s'il doit y avoir correspondance entre cequ'est l'intĂ©rĂȘt public et les amĂ©nagements institutionnels de sa rĂ©alisa-tion. C'est ce dernier point qui nous permet de donner une conclusionen quelques mots.

4. CONCLUSION

En effet, on aurait tort de qualifier prĂ©maturĂ©ment cette Ă©volution;elle ne permet en soi aucun jugement dĂ©finitif, qu'il soit optimiste oupessimiste. PlutĂŽt donc que de se lancer dans des prophĂ©ties, il vautpeut-ĂȘtre mieux faire un retour sur le passĂ©, afin de voir oĂč se situerait lacontinuitĂ©. Car le souci d'Ă©clairer l'Ă©tat actuel de la mise en Ɠuvre destĂąches publiques, d'y introduire la transparence par de nouvelles diffĂ©-renciations, se situe dans la tradition mĂȘme de ce qui a Ă©tĂ© et reste aufondement mĂȘme de la sĂ©paration des pouvoirs: organiser selon unedistribution rationnelle et ouverte des fonctions la rĂ©alisation des intĂ©rĂȘtsde la communautĂ© et des individus. La difficultĂ© (que les dĂ©bats sur laprivatisation illustrent) consiste en ce que, d'une maniĂšre ou d'une autre,une telle organisation devrait inclure non seulement les intĂ©rĂȘts publics,mais aussi les intĂ©rĂȘts privĂ©s, en respectant la nature propre des uns etdes autres, ce dont, malheureusement, je crois, personne n'a aujour-d'hui le moindre concept.

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

GRISEL, A. 1984. Traité de droit administratif I. Neuchùtel: éd. Ides etCalendes.

HĂ€FELIN, U., et G. MĂŒLLER. 1993. Grundriss des allgemeinen Verwal-tungsrechts. Zurich: Schultess Polygraphischer Verlag, secondeĂ©dition.

KNAPP, B. 1991. Précis de droit administratif. Bùle: Helbing &Lichtenhahn, quatriÚme édition.

DĂ©finir l'intĂ©rĂȘt public: une mission impossible?

235

MOOR, P. 1988. Droit administratif: les fondements généraux. Berne: éd.Staempfli, volume I.

MORAND, C.-A. 1989. Le principe de lĂ©galitĂ© et l'interventionnisme Ă©ta-tique. In Festschrift fĂŒr Otto K. Kaufmann: 129 ss. Berne: Ă©d. P.Haupt.

MORAND, C.-A. 1988. Le droit de l'Etat providence. Revue de droitsuisse I, 527 ss.

MĂŒLLER, J.-P. 1987. Einleitung zu den Grundrechten. In Commentairede la Constitution fĂ©dĂ©rale: Rz 21 ss. BĂąle: Helbing &Lichtenhahn.

237

Chapitre 14

PPP ET EXIGENCES DU SECTEUR PRIVÉ:L'EXEMPLE DU DÉVELOPPEMENT D'ÉQUIPEMENTS

COMMERCIAUX

Charles JOYE

Cet exposé se divise en deux parties: la premiÚre aborde la situationactuelle des centres commerciaux; la seconde traite du partenariat entresecteurs public et privé lors de la réalisation de tels centres.

1. SITUATION ACTUELLE DES CENTRES COMMERCIAUX

1.1 Situation mondiale

La situation des centres commerciaux dans le monde n'est pas bril-lante, de nombreux exemples en témoignent:

● aux Etats-Unis, l'overbuilding est chronique; on recense trùs peude projets nouveaux;

● en France, tous les projets sont actuellement bloquĂ©s en raisonde la lĂ©gislation en vigueur (passage de la loi Royer Ă  la loi Sapin);

C. Joye

238

● en Grande-Bretagne, les nouveaux centres connaissent des tauxde vacance qui peuvent ĂȘtre supĂ©rieurs Ă  50% de la surfacecommercialisable totale;

● en Scandinavie, la situation Ă©conomique catastrophique a plongĂ©les centres commerciaux dans le marasme;

● en Allemagne, les promoteurs se sont ruĂ©s vers l'ex-Allemagnede l'Est (on recense plus de cinquante projets de centres com-merciaux importants), mais la population n'est pas prĂȘte;

● en Suisse, les centres commerciaux ont de la peine Ă  maintenirles chiffres d'affaires des annĂ©es prĂ©cĂ©dentes.

1.2 ProblÚmes généraux affectant les centres commerciauxdans l'ensemble de l'Europe

Facteurs Ă©conomiques

Les centres commerciaux européens rencontrent des problÚmeséconomiques, à savoir:

● le climat Ă©conomique gĂ©nĂ©ral dĂ©sastreux;● le taux Ă©levĂ© de chĂŽmage;● la faible progression dĂ©mographique;● une stagnation de la consommation privĂ©e;● l'absence de sources de financement (malgrĂ© les taux d'intĂ©rĂȘts

en baisse);● la stagnation des chiffres d'affaires;● une diminution du revenu disponible des particuliers;● la forte propension Ă  l'Ă©pargne des individus.

Facteurs psychologiques

D'autres facteurs exercent une influence certaine sur le commercede détail et sur l'industrie des centres. Il s'agit de facteurs psycholo-giques tels que:

● le climat d'insĂ©curitĂ© des individus face à– leur avenir personnel;– l'avenir de leur entreprise;– l'avenir de leur pays;

● le refus, aprĂšs quarante ans de prospĂ©ritĂ© sans pareille, de sortirde ce cocon confortable;

● un manque certain d'esprit d'entreprise;● la difficultĂ© d'adaptation dans un monde qui Ă©volue trop vite;● souvent, un manque d'Ă©nergie et de volontĂ© de lutter et de

vaincre la crise.

PPP et exigences du secteur privé: l'exemple des centres commerciaux

239

1.3 ProblÚmes spécifiques des centres commerciaux en 1993

A ces difficultés générales s'ajoutent un certain nombre de pro-blÚmes spécifiques aux centres commerciaux, parmi lesquels ont peut ci-ter:

● la stagnation des ventes;● des taux de vacance Ă©levĂ© – surtout dans les petits centres;● les difficultĂ©s Ă©normes Ă  trouver des pĂŽles d'attraction;● les nĂ©gociations longues et ardues avec les commerçants pour la

location de nouveaux locaux;● les difficultĂ©s Ă  encaisser les loyers – la nĂ©cessitĂ© de consentir

des rabais;● les faillites de certains commerçants faibles;● les faillites de promoteurs imprudents.

1.4 Situation des centres commerciaux en Suisse

La situation des centres commerciaux en Suisse n'est guÚre plusbrillante que celle décrite ci-dessus. Comme il l'a déjà été dit, les centrescommerciaux helvétiques ont de la peine à maintenir les chiffres d'af-faires des années précédentes.

Par ailleurs, il faut savoir que:● du fait de la politique d'amĂ©nagement du territoire, il n'est quasi-

ment plus possible de construire de nouveaux centres commer-ciaux de dimension régionale (plus de 20 000 m2);

● les centres commerciaux rĂ©gionaux existants bĂ©nĂ©ficient d'unerente de situation, qu'ils n'ont pas toujours su bien gĂ©rer;

● les opĂ©rations de centres-villes ne connaissent pas toujours lesuccĂšs;

● les difficultĂ©s de dĂ©veloppement dans notre pays poussent leschaĂźnes du commerce de dĂ©tail Ă  s'implanter Ă  l'Ă©tranger, dans lescentres commerciaux orientĂ©s vers la clientĂšle suisse;

● quelques centres commerciaux de dimension intermĂ©diaire (entre10 000 et 20 000 m2) verront encore le jour;

● les petits centres ont beaucoup de peine Ă  survivre car ils sontpeu compĂ©titifs – sauf pour la satisfaction des besoins en biensde consommation courante;

● les propriĂ©taires ont enfin compris que les centres commerciauxdoivent ĂȘtre rĂ©novĂ©s;

● les nouveaux projets seront de plus en plus multifonctionnels(commerces, parkings, logements, bureaux).

C. Joye

240

1.5 Perspectives de développement des centres commerciaux

Toutefois, à moyen terme, un nombre important de facteurs positifsressortent immédiatement, et le secteur apparaßt alors comme porteur:

● Depuis Parly 2 Ă  Paris (1969), WoluwĂ© St-Lambert Ă  Bruxelles(1968), Meyrin (1963), les centres commerciaux ont poussĂ© enEurope comme de la mauvaise herbe. Qu'on le veuille ou non, lescentres commerciaux sont lĂ  pour durer et si le dĂ©veloppement Ă l'avenir sera moins rapide, il continuera Ă  se faire.

● La base de population de l'ensemble de l'Europe occidentale dĂ©-passe 350 millions d'habitants, ce qui constitue un marchĂ© trĂšsvaste.

● Nous devrons encore trouver les rĂ©ponses adĂ©quates pour rĂ©-pondre aux besoins de consommation des 270 millions d'habi-tants des nouveaux pays dĂ©mocratiques de l'Europe de l'est.

● Le phĂ©nomĂšne de l'overbuilding est certainement un souci dansquelques pays europĂ©ens (nord de l'Europe), mais pas dans ceuxd'Europe du sud.

● Nous devons accepter que cela prenne plus longtemps pourqu'un centre commercial atteigne sa «vitesse de croisiĂšre» (cedĂ©lai a passĂ© de trois Ă  cinq ans).

1.6 Va-t-on vers un consommateur européen?

Pour conclure cette premiÚre partie, j'ajouterai encore un mot sur undébat agitant partisans et détracteurs des centres commerciaux: leconsommateur européen se distingue-t-il des autres consommateurs?Beaucoup d'intellectuels européens considÚrent encore qu'il existe un«animal étrange», tel le client européen, qui serait instruit, qui feraitpreuve de plus de maturité et qui serait fonciÚrement différent, parexemple, du consommateur américain.

Cette idée n'est pas neuve comme en témoignent les exempleshistoriques d'idées préconçues dans ce domaine:

● il y a quarante ans, dans beaucoup de pays europĂ©ens, on consi-dĂ©rait qu'il Ă©tait dangereux d'avoir la radio dans sa voiture: celapouvait distraire le conducteur;

● il y a trente ans, certaines associations fĂ©minines anglaises consi-dĂ©raient que le jeans n'avait pas d'avenir dans ce pays, qu'il Ă©taitindĂ©cent et mĂ©dicalement dangereux pour les femmes;

● il y a vingt-cinq ans, les grands magasins europĂ©ens n'avaient pascompris que les clients frĂ©quenteraient des centres commerciauxdĂ©veloppĂ©s sans leur participation; rĂ©sultat: les hypermarchĂ©s lesont remplacĂ©s;

PPP et exigences du secteur privé: l'exemple des centres commerciaux

241

● il y a vingt ans, les Français prĂ©tendaient que la famille Dupontn'irait jamais manger chez Mc Donald's;

● il y a dix ans, personne ne croyait que l'«europĂ©en moyen», soi-disant toujours Ă  la recherche de la qualitĂ©, irait rĂ©guliĂšrement faireses achats dans des magasins tels que Ikea ou Hennes & Mauritz;

● il y cinq ans encore, personne ne croyait que le «Minitel» françaisserait l'un des moyens de communication les plus importants enFrance (plus de 25% de tous les mĂ©nages).

Il faut admettre que le consommateur européen n'existe pas en tantque genre particulier ou race différente par rapport au client américain,asiatique ou africain. En revanche, les idées préconçues, les préjugés,les a priori restent aussi difficiles à corriger que par le passé.

2. PARTENARIAT ENTRE SECTEURS PUBLIC ET PRIVÉPOUR RÉALISER DES CENTRES COMMERCIAUX

Construire et exploiter un centre commercial suppose des relationsentre secteurs public et privĂ©, entre promoteurs, urbanistes, architectes,autoritĂ©s et usagers. Ces relations ne vont pas de soit parce que les intĂ©-rĂȘts de ces acteurs ne coĂŻncident pas toujours, et parce que souvent cesacteurs s'ignorent les uns les autres. L'objet de cette seconde partie estde dresser la liste des diffĂ©rentes difficultĂ©s «relationnelles», pouvantexister entre ces diffĂ©rents acteurs, et de proposer quelques mesurespour les rĂ©duire.

2.1 A la recherche d'Ă©quilibres instables

En matiÚre de développement de centres commerciaux, nousavons toujours été à la recherche d'équilibres instables et contradictoiresentre:

● la volontĂ© de protĂ©ger le centre-ville et celle de dĂ©velopper desprojets suburbains;

● l'affirmation officielle de favoriser la libre entreprise et l'applicationd'une politique autoritaire en matiĂšre d'amĂ©nagement du terri-toire;

● la connaissance des dĂ©sirs rĂ©els des consommateurs et une vi-sion Ă©tatique de la consommation;

● le dĂ©sir de garantir la libertĂ© du commerce et les rĂ©glementationsrestrictives en matiĂšre d'heures d'ouverture.

C. Joye

242

2.2 Qui sont les pires ennemis actuels des promoteursde centres commerciaux?

Les promoteurs de centres commerciaux sont malheureusementtrop souvent leurs propres ennemis! Ils ont souvent une vision Ă  courtterme de la promotion des centres commerciaux. A cela s'ajoutent:

● des modes de financements inadĂ©quats et insuffisants;● des instituts de financement irrationnels;● une absence d'Ă©tudes de marchĂ© sĂ©rieuses;● le recours Ă  des architectes sans expĂ©rience;● un manque d'imagination et de professionnalisme;● des prises de risques inconsidĂ©rĂ©es;● des coĂ»ts de construction trop Ă©levĂ©s.

Il est facile de blùmer les autorités, les écologistes, la situation éco-nomique, les commerçants, mais les promoteurs ont encore de grandsprogrÚs à faire en Europe en général, et en Suisse, en particulier.

2.3 Quelques péchés commis par les urbanisteset les architectes

Cela dit, les promoteurs ne sont pas les seuls Ă  commettre des er-reurs. On peut aussi dresser la liste des mauvaises habitudes prises parles urbanistes et les architectes:

● croire qu'eux seuls savent quel est le bon emplacement pour uncentre commercial;

● dĂ©cider de la taille d'un centre commercial sans tenir compte de larĂ©alitĂ© de la demande Ă©conomique effective;

● ĂȘtre persuadĂ©s qu'ils connaissent mieux les rĂšgles de fonction-nement interne d'un centre commercial que les professionnels;

● envisager des centres commerciaux avec une forte intĂ©grationverticale d'utilisations du sol diffĂ©rentes, alors que des solutionsde juxtaposition seraient possibles;

● prĂ©parer des plans de commercialisation sans consulter les per-sonnes chargĂ©es de commercialiser;

● dessiner des centres commerciaux ronds, prĂ©voir des trames tri-angulaires et irrĂ©alistes pour un centre commercial;

● proposer des solutions coĂ»teuses qui empĂȘchent la rĂ©alisationdu centre ou sa commercialisation.

PPP et exigences du secteur privé: l'exemple des centres commerciaux

243

2.4 Relations avec les autorités:points de friction les plus courants

Que ce soit en Europe ou en Suisse, les divergences les plus im-portantes sont les suivantes:

● fondamentalement, les autoritĂ©s et les syndicats n'aiment ni lescentres commerciaux (surtout suburbains), ni les promoteurs;

● rĂ©ciproquement, les promoteurs n'aiment pas les autoritĂ©s aveclesquelles ils entretiennent des rapports plus ou moins bons; lespromoteurs n'ont pas non plus dĂ©veloppĂ© de politique civique;

● les autoritĂ©s souhaitent rĂ©duire le trafic automobile, imposer lestransports publics et protĂ©ger les centres-villes historiques;

● les politiciens souhaitent protĂ©ger le petit commerce et craignentde perdre des voix aux prochaines Ă©lections;

● les plans d'amĂ©nagement prĂ©voient des plans d'affectation pourle logement, les Ă©quipements publics, les zones vertes, leszones d'activitĂ©s – mais curieusement pas pour le commerce dedĂ©tail;

● la pression des impĂ©ratifs Ă©cologiques (de la part des autoritĂ©smais aussi de la population) se fait ressentir de maniĂšre de plus enplus forte;

● les autoritĂ©s se rĂ©fugient souvent derriĂšre la volontĂ© populaire etrefusent de prendre position de maniĂšre claire.

2.5 Antagonisme ou partenariat: point de vue des promoteurs

Les promoteurs doivent néanmoins souvent passer outre ces diffé-rents points de friction car:

● ils n'ont pas rĂ©ellement le choix: ils doivent composer pour rĂ©aliserleur projet;

● ils ont appris Ă  leurs dĂ©pens que s'il y a au dĂ©part une trop forteopposition au niveau politique local et/ou rĂ©gional, leur projet nese fera pas;

● ils s'exposent à des retards trùs longs, s'ils ne trouvent pas dessolutions de compromis;

● ils ont tendance Ă  sous-estimer les dĂ©lais nĂ©cessaires pour obte-nir les permis de construire;

● tous les problĂšmes doivent ĂȘtre rĂ©glĂ©s avec les autoritĂ©s – il nesert Ă  rien de vouloir tricher;

● souvent le projet initial ressort amĂ©liorĂ© aprĂšs les nĂ©gociationsavec les autoritĂ©s;

● ils doivent admettre que le point de vue des reprĂ©sentants desautoritĂ©s peut diffĂ©rer du leur.

C. Joye

244

2.6 Antagonisme ou partenariat:point de vue des représentants des autorités

De leur cÎté, les autorités apparaissent comme un acteur, et parfoisun partenaire, incontournable:

● ils peuvent faire aboutir le projet – c'est une grande chance;● ils peuvent, par des exigences dĂ©raisonnables, faire capoter un

projet – c'est une grande responsabilitĂ©;● ils doivent faire respecter l'esprit des lois et garantir les intĂ©rĂȘts

des tiers lĂ©gitimement intĂ©ressĂ©s par le dĂ©veloppement du projet;● ils doivent chercher des solutions ou proposer des modifications

qui n'impliquent pas des coĂ»ts exagĂ©rĂ©s;● ils doivent comprendre que le respect des dĂ©lais promis est parti-

culiùrement important pour le promoteur;● enfin, ils doivent admettre que tous les promoteurs ne sont pas

des escrocs ou des spéculateurs inconscients.

2.7 Pour conclure: dix conseils aux promoteurs

Alors, au-delĂ  des antagonismes, les promoteurs ont tout intĂ©rĂȘt Ă :● rechercher le dialogue avec les autoritĂ©s Ă  tous les stades de dĂ©-

veloppement du projet;● respecter strictement les rĂ©glementations et rĂšglements en vi-

gueur;● faire faire une Ă©tude de marche dĂ©montrant la validitĂ© et la justifi-

cation Ă©conomique du projet;● prĂ©senter des projets complets et dĂ©taillĂ©s;● pratiquer une politique d'information ouverte Ă  l'Ă©gard des autori-

tĂ©s;● bien connaĂźtre les rouages de l'administration – respecter autant

que faire se peut les cheminements et hiĂ©rarchies;● rechercher un bon architecte qui connaĂźt les problĂšmes de rĂ©ali-

sation de centres commerciaux;● connaĂźtre ses droits et faire appel Ă  un avocat spĂ©cialisĂ© en la ma-

tiĂšre;● avoir l'appui des autoritĂ©s locales et de la population sans lequel

un projet est difficile Ă  concrĂ©tiser;● faire preuve de patience et de diplomatie – un centre commercial

doit ĂȘtre rĂ©alisĂ© avec les autoritĂ©s; il ne se fera pas contre elles.

245

Chapitre 15

GESTION DU PPP:L'INTÉRÊT D'UNE APPROCHE STRATÉGIQUE

Stéphane DECOUTÚRE

1. INTRODUCTION

Mettre en Ɠuvre un projet de PPP (partenariat public-privĂ©) nĂ©ces-site une implication et une coopĂ©ration poussĂ©es de la part de nombreuxacteurs, tant au niveau de l'Ă©laboration que de la rĂ©alisation du projet.Comme le propose Ruegg en introduction, le PPP dĂ©signe en effet desprocessus oĂč les secteurs privĂ© et public sont amenĂ©s Ă  travaillerconjointement pour rechercher, Ă©laborer et mettre en Ɠuvre des solu-tions, qui ne verraient pas le jour ou qui ne prĂ©senteraient pas la mĂȘmequalitĂ© si le secteur public et le secteur privĂ© se cantonnaient dans la voiesolitaire.1

1 Greffe [1990] présente le partenariat comme une maniÚre de réduire ex-ante les coûts de transaction, que des agents mutuellement dépendantsles uns des autres, en raison de leurs dotations spécifiques, auraient eu àassumer ex-post. Par ailleurs, la notion de secteur privé peut recouvrer

S. DecoutĂšre

246

Cependant, le PPP se différencie d'autres formes de coopérationentre acteurs publics et privés (leasings, concessions, par exemple), parla maniÚre avec laquelle il implique les acteurs dans un projet, à savoir laconcertation, la coproduction et la coresponsabilité (tab. 1). Ce typed'implication, contrairement aux processus d'information et de consulta-tion, consiste, pour un chef de projet, à élaborer et à réaliser une solutionen collaboration directe avec les milieux concernés, qui sont considéréscomme des partenaires et possÚdent dÚs lors une coresponsabilité(conceptuelle, juridique, ou financiÚre).

TABLEAU 1 Modalités d'implication des acteurs dans un projet2

● l'information: permet d'expliquer les orientations et les dĂ©cisions priseset d'apporter de nouvelles connaissances; elle peut par-fois induire des modifications d'attitude;

● la consultation: permet de soumettre diverses propositions aux publicsconcernĂ©s, d'Ă©valuer les rĂ©actions qu'elles entraĂźnent etd'effectuer un choix ou de procĂ©der Ă  des modificationsen consĂ©quence;

● la concertation-coproduction:

consiste à élaborer et à réaliser une solution en collabo-ration directe avec les milieux concernés, qui sont consi-dérés comme des partenaires coresponsables et qui sevoient octroyer, à ce titre, un pouvoir d'influence directsur le projet.

Un projet de PPP se distingue donc d'autres formes de prise encompte des tensions existant nécessairement au sein d'une organisa-tion. Il n'exclut pas ces derniÚres, mais il tente de les résoudre autre-ment. Il s'apparente à ce que Goguelin [1993]3, psychologue des entre-prises, nomme le «management psychologique des organisations», soit,selon ses termes, «la mise en état permanent de résolution des pro-blÚmes en réunion-discussion (régulation des tensions)». Il s'oppose encela, à la fois:

plusieurs types d'acteurs et d'interlocuteurs: des entreprises (et donc desentrepreneurs), des associations à caractÚre communautaire, et, en fin decompte, les usagers réunis ou non en groupes formalisés.

2 Ce tableau est tiré d'un document interne de la C.E.A.T., qui a été rédigépar Chantal Deschenaux en vue de l'élaboration du plan de mesure de pro-tection de l'air du canton du Valais, septembre 1993.

3 Voir notamment le schéma récapitulatif de la page 40.

Gestion du PPP: l'intĂ©rĂȘt d'une approche stratĂ©gique

247

● au management Ă  courte vue – au jour le jour – qui gĂšre lesconflits ouverts, mĂȘme s'ils apparaissent aprĂšs des phases d'in-formation et de consultation, Ă  l'aide d'instruments comme la nĂ©-gociation, la conciliation ou la mĂ©diation;

● au management autoritaire qui agit par la force et la coercition.

Le recours Ă  la concertation-coproduction, qui caractĂ©rise le PPP,engage le chef de projet Ă  respecter les rĂšgles du jeu Ă©tablies entre lespartenaires, et Ă  tenir compte des avis Ă©mis par ceux-ci. Dans un tel pro-cessus, le chef de projet doit plus que jamais consolider la faisabilitĂ© desmesures proposĂ©es en prenant en compte les intĂ©rĂȘts et les points devue des diffĂ©rents acteurs en prĂ©sence, si possible dĂšs le stade de laconception du plan. Ceci renforce la nĂ©cessitĂ©, pour lui, d'anticiper lesconflits entre les acteurs.

Pour ce faire, il peut approcher la gestion de ses projets de plu-sieurs maniĂšres. En simplifiant Ă  l'extrĂȘme, nous distinguerons les ap-proches traditionnelles – ou tayloriennes4 – des approches «stratĂ©-giques» – ou post-tayloriennes. La diffĂ©rence entre ces deux types d'ap-proches rĂ©side, principalement, dans:

● la maniĂšre dont sont abordĂ©es les diffĂ©rentes phases des projets;● le degrĂ© d'attention accordĂ© Ă  la gestion des interactions entre ac-

teurs (formalisation des processus d'interaction).

L'objectif de ce chapitre est de montrer pourquoi et à quelles condi-tions une approche stratégique peut constituer un atout important pourun projet de PPP, et en quoi elle paraßt plus adaptée au PPP que les ap-proches traditionnelles.

Nous rappellerons d'abord les différents aspects (phase, contenu,conduite) du management d'un projet, qu'il soit partenarial ou non. Nouscomparerons ensuite la maniÚre dont les approches traditionnelles dumanagement et les approches stratégiques abordent ces aspects. Nousconclurons enfin, en montrant pourquoi une approche stratégique estplus favorable au PPP qu'une approche traditionnelle.

2. PHASES, CONTENU, CONDUITE D'UN PROJET

Tout projet, qu'il soit partenarial ou non, a plusieurs dimensions:

4 Pour une prĂ©sentation de l'Ă©volution des modĂšles tayloriens de l'organisa-tion et de la gestion des processus productifs, voir [Veltz et Zarifian 1993].Par extension, la notion d'organisation de la production peut dĂ©signer icinon seulement les activitĂ©s d'une entreprise, mais aussi la mise en Ɠuvred'un projet Ă  caractĂšre public, semi-public ou privĂ©.

S. DecoutĂšre

248

FIG

.1

Pha

ses,

con

tenu

, con

duite

d'u

n pr

ojet

COND

UITE

DU

PRO

JET

tem

psRÉS

ULT

ATS

Con

cept

s, p

lans

, loi

s, in

frast

ruct

ures

, pr

odui

ts, s

avoi

r-fai

re, c

ompé

tenc

es,

rése

aux

d'in

terc

onna

issa

nce

ARBI

TRAG

E

- Qui

ass

ocie

r?- C

omm

ent l

es a

ssoc

ier,

avec

que

lles

re

spon

sabi

lités

?- Q

ui d

Ă©cid

e en

der

nier

ress

ort?

EVAL

UAT

ION

-M

ON

ITO

RIN

GC

omm

ent

anal

yser

et

adap

ter

les

proj

ets

en c

ours

de

conc

eptio

n et

de

mis

e en

oeu

vre?

ANTI

CIP

ATIO

NC

omm

ent p

rend

re e

n co

mpt

e Ă 

l'ava

nce

les

conf

lits

poss

ible

s et

les

ince

rtitu

des?

PHAS

ES

EXPL

OIT

ATIO

N

RÉA

LISA

TIO

N

DÉC

ISIO

N

ELAB

OR

ATIO

N

DIA

GN

OST

IC,

PRO

SPEC

TIVE

CONT

ENU

DU P

ROJE

T

C.E

.A.T

./SD

-mv/

8.3.

94su

r la

bas

e de

M. R

ey e

t D. S

far

tem

ps

CH

OIX

- Cho

ix d

es o

bjec

tifs

et d

es m

esur

es

- Cho

ix d

es m

oyen

s (fi

nanc

iers

,

hum

ains

, tec

hniq

ues)

- Cho

ix d

es d

estin

atai

res

(pub

lic v

isé

par l

e pr

ojet

)

Gestion du PPP: l'intĂ©rĂȘt d'une approche stratĂ©gique

249

● il passe par diffĂ©rentes phases (conception - mise en Ɠuvre);● chacune de ces phases implique des choix (objectifs, destina-

taires, moyens) et génÚre des résultats (plans, lois, réalisationsconcrÚtes);

● ces choix stratĂ©giques et ces rĂ©sultats dĂ©pendent des modalitĂ©sde mise en Ɠuvre (type d'arbitrage, d'anticipation, d'Ă©valuation)retenues pour opĂ©rer ces choix et les opĂ©rationnaliser.

Les choix et les résultats de chaque phase forment ce que l'on peutappeler le contenu du projet, tandis que les modalités relÚvent de saconduite. Il est possible de résumer graphiquement ces différents as-pects du management de projet (fig. 1). Les lignes qui suivent précisentleur nature.

2.1 Phases

Le dĂ©roulement d'un projet peut se dĂ©composer en deux momentsprincipaux: la «conception» et la «mise en Ɠuvre» qui correspond aumoment oĂč la conception se rĂ©alise et entre dans les «faits».

La conception se divise en trois phases:● de diagnostic-prospective, oĂč l'on identifie les problĂšmes;● d'Ă©laboration, oĂč l'on dĂ©finit les finalitĂ©s gĂ©nĂ©rales du projet, ainsi

que les mesures propres Ă  rĂ©pondre Ă  ces finalitĂ©s;● de dĂ©cision formelle, oĂč l'autoritĂ© compĂ©tente et lĂ©gitime

(directeur d'entreprise, gouvernement, peuple souverain) enté-rine les propositions issues des étapes précédentes, voire seprononce sur les modalités de leur exécution future.

La mise en Ɠuvre comprend:● la rĂ©alisation proprement dite;● l'exploitation et le suivi des rĂ©alisations effectuĂ©es.

2.2 Contenu du projet aux différentes phases

«Choix» des objectifs, des destinataires et des moyens

Chaque phase d'un projet implique des choix de la part des acteursconcernĂ©s. Ces choix concernent les objectifs du projet Ă  cette phase,ses destinataires, les moyens (financiers, techniques, organisationnels,informationnels). MĂȘme s'ils comportent toujours quelque chose d'impli-cite, ces choix sont le plus souvent formalisĂ©s en chartes, procĂšs-ver-baux intermĂ©diaires, avant-projets, projets de contrats, de cahiers descharges, de calendrier et autres programmes d'intentions. Ils sont natu-rellement susceptibles d'Ă©voluer au cours d'une mĂȘme phase.

S. DecoutĂšre

250

«Résultats» du projet aux différentes phases

Suite à ces choix, ces différentes phases vont déboucher sur desrésultats matérialisés par des produits différents:

● Ă©tudes pour la phase diagnostic-prospective;● concepts et plans pour la phase d'Ă©laboration;● lois et dĂ©crets, par exemple, pour la phase de dĂ©cision;● rĂ©alisations concrĂštes lors de la mise en Ɠuvre des projets (routes

ou bùtiments s'il s'agit d'infrastructures, mise en application d'unschéma d'organisation s'il s'agit de mesures organisationnelles,campagne de sensibilisation de la population s'il s'agit de mesuresinformationnelles).

2.3 Modalités de conduite

Pour mener Ă  bien ces diffĂ©rentes phases, dĂ©terminer les choix etparvenir Ă  des rĂ©sultats, le maĂźtre d'ouvrage – ou le porteur du projet –doit dĂ©finir les modalitĂ©s de gestion qu'il entend adopter. Autrement dit,il doit annoncer comment il compte conduire le projet. Selon le style deconduite utilisĂ©, les projets vont gĂ©nĂ©rer des caractĂ©ristiques, des pro-duits et une qualitĂ© d'adhĂ©sion diffĂ©rents.

Les questions, qu'un porteur de projet doit traiter, peuvent se ré-sumer ainsi:

● Comment et avec qui va-t-il travailler, avec quelle structure organi-sationnelle et avec quel type de gestion de processus (arbitrage)?

● Selon quelle stratĂ©gie et selon quel timing va-t-il procĂ©der, pourtenir compte des incertitudes et des forces en prĂ©sence(anticipation)?

● Avec quelle souplesse et selon quelle frĂ©quence d'ajustementva-t-il Ɠuvrer (Ă©valuation et monitoring)?

Arbitrage

La conduite d'un projet se caractérise d'abord par la maniÚre dont leporteur de projet «arbitre» et choisit:

● Qui il associe Ă  l'Ă©laboration puis Ă  la rĂ©alisation du projet (tout oupartie de la population; seulement certains experts en dehors del'administration, uniquement l'administration, des acteurs privĂ©s)?Ceci implique qu'il dĂ©finisse les acteurs dont il peut avoir besoinau cours du projet. De la maniĂšre dont se compose le groupe quiest associĂ© au projet dĂ©pend la façon dont le problĂšme sera posĂ©(unilatĂ©ralement ou, au contraire, transversalement et interdisci-plinairement).

Gestion du PPP: l'intĂ©rĂȘt d'une approche stratĂ©gique

251

● Selon quelles modalitĂ©s il associe ces acteurs (information,consultation, concertation):– une administration peut choisir de travailler secrĂštement, en in-

terne ou au contraire consulter, voire ouvrir une véritableconcertation avec de larges milieux;

– une entreprise peut, elle aussi, recourir au travail interne, oufaire appel Ă  des consultants extĂ©rieurs et charger, parexemple, des spĂ©cialistes en relations publiques d'organiserson lobbying vis-Ă -vis des autoritĂ©s.

● En fonction de quelles procĂ©dures, avec quelle structure, avecquelles techniques et mĂ©thodes cette association va se dĂ©rouler:de maniĂšre formelle, hiĂ©rarchisĂ©e, ou au contraire, de maniĂšre in-formelle, non hiĂ©rarchisĂ©e?

● Qui tranche en cas de conflit (qui est le patron et responsable ul-time)?

Anticipation

La conduite d'un projet se caractérise ensuite par la maniÚre dont lemaßtre d'ouvrage anticipe les problÚmes de gestion, c'est-à-dire com-ment le porteur du projet définit (formellement ou informellement) «leplan de bataille» avec lequel il va aborder les choses, notamment lesconflits potentiels et les incertitudes entourant le projet. L'anticipationconcerne les domaines suivants:

● L'Ă©chĂ©ancier, ou timing, selon lequel il va faire les choses, asso-cier les diffĂ©rents partenaires en fonction de l'intĂ©rĂȘt du projet.Cette attention au timing concerne non seulement le contenudes projets mais aussi la gestion du processus – une question-type serait de savoir quel timing il faut adopter pour terminer uneconstruction dans un dĂ©lai donnĂ© – et la dĂ©finition des rĂšgles dujeu. Par exemple, si un responsable doit en rĂ©fĂ©rer Ă  un supĂ©-rieur, il s'agit pour lui de prĂ©voir comment et Ă  quel moment ilconviendra de faire avaliser le projet, de combien de temps il a be-soin pour le faire, et quel travail prĂ©alable (information) il doit en-treprendre pour cela.

● La maniĂšre dont il perçoit l'Ă©volution prĂ©visible des rapports deforces (Ă©volution des gagnants et des perdants au cours du projetet en fonction des solutions retenues) et par consĂ©quent la stra-tĂ©gie qu'il prĂ©voit pour gagner des supporters au projet.

● L'analyse prĂ©visionnelle des difficultĂ©s et des blocages et doncdes solutions de repli. Il s'agit par exemple d'Ă©valuer le tempspendant lequel le statu quo est jouable, de prĂ©voir comment re-prendre l'initiative en cas d'imprĂ©vus ou de revers, ou encore,

S. DecoutĂšre

252

d'anticiper ce que signifierait pour le projet l'éventualité d'un re-cours ou d'une votation populaire.

● La maniĂšre dont il va tenir compte de l'interdĂ©pendance entre lesĂ©tapes. Cela suppose qu'il ait la prĂ©occupation de la faisabilitĂ© del'ensemble du projet, dĂšs le dĂ©but de celui-ci. La question-type,ici, est de se demander quelle consĂ©quence telle ou telle optionaurait pour la suite du projet.

Evaluation

La conduite d'un projet se caractérise enfin par la maniÚre dont lechef de projet évalue et adapte son projet en conséquence, à mesureque celui-ci se développe. Car, quel que soit le plan de bataille initial, laconfrontation avec la réalité va le forcer à adapter son projet aux circons-tances. L'évaluation peut:

● ĂȘtre formelle ou informelle;● se faire ex-ante, de maniĂšre concomitante et permanente

(monitoring) ou seulement ex-post;● ĂȘtre conduite de maniĂšre purement technique, consultative

(démarche-expert) ou, au contraire, concertative (démarche parti-cipative).

3. APPROCHES TRADITIONNELLES ET APPROCHES STRATÉGIQUESDE LA GESTION DE PROJET

Tout projet passe par les phases précitées. Il comporte des choix,génÚre des résultats et est conduit selon un certain style. Ce que nousappelons «approche stratégique» correspond à une maniÚre particuliÚred'aborder ces différentes dimensions d'un projet. En quoi cette maniÚrese distingue-t-elle? C'est ce que nous allons examiner maintenant, encomparant les approches traditionnelles et stratégiques.

3.1 ManiĂšre traditionnelle – ou «taylorienne» – de menerun projet

De maniÚre un peu caricaturale, l'approche traditionnelle pour gérerles différentes dimensions des projets complexes, dans les entrepriseset encore davantage dans l'administration, est caractérisée par:

● une faible formalisation des problùmes de conduite d'un projet etde maütrise d'ouvrage;

Gestion du PPP: l'intĂ©rĂȘt d'une approche stratĂ©gique

253

● une stricte sĂ©paration entre les phases de conception et de miseen Ɠuvre; il s'agit lĂ  de l'un des principaux prĂ©ceptes du mana-gement classique, qui est toujours prĂ©sent dans les esprits;

● une volontĂ© de dĂ©finir le «bon projet», puis de le rĂ©aliser d'unemaniĂšre qui soit la plus proche possible de sa conception initiale;chaque partenaire dĂ©fend son projet avant tout, et tout change-ment est souvent considĂ©rĂ© comme une dĂ©faite, que l'onconcĂšde Ă  contrecƓur.

Dans ce type d'approche, on ne fait guÚre de relation entre la ma-niÚre de conduire un projet et les résultats que l'on peut en obtenir. Celase traduit par un certain style de conduite:

● Du point de vue de l'arbitrage, on constate que l'identification duproblĂšme, de mĂȘme que la dĂ©finition des objectifs et des me-sures se font en gĂ©nĂ©ral en petit comitĂ©. Ces dĂ©finitions sontabordĂ©es le plus souvent de maniĂšre sectorielle et d'un point devue plus technique que politique. Elles dĂ©bouchent plus souventsur un projet «clĂ© en main» qui doit ĂȘtre rĂ©alisĂ© tel quel, que surune esquisse susceptible de servir de base de discussion et denĂ©gociation. On conçoit la procĂ©dure de dĂ©cision de maniĂšre es-sentiellement administrative: en gĂ©nĂ©ral, le projet est dĂ©posĂ©pour consultation et dĂ©cision politique, dans le respect des loisen vigueur.5

● L'anticipation se fait de maniĂšre sĂ©quentielle et linĂ©aire. On traited'abord un problĂšme, puis un autre. Et chaque fois, on dĂ©finit lesobjectifs, les mesures, puis les procĂ©dures de dĂ©cision. Lesquestions de la rĂ©alisation et de la faisabilitĂ© sont traitĂ©es aprĂšsl'approbation de l'idĂ©e de base. Les conflits n'apparaissent enprincipe qu'Ă  ce moment-lĂ , ou lors de la mise en consultation duprojet. Il faut alors les rĂ©soudre, soit de maniĂšre autoritaire, soit parune nĂ©gociation ex-post pouvant gĂ©nĂ©rer des frustrations ultĂ©-rieures (si certains acteurs ont l'impression de cĂ©der Ă  contrecƓurou de se faire forcer la main).

● L'Ă©valuation se fait le plus souvent informellement ou ex-post.Elle est gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ©e comme une sanction.

5 Les administrations publiques ont souvent travaillé ainsi durant les annéessoixante à quatre-vingts, par exemple dans le domaine des politiques dedéveloppement économique. A ce sujet, voir [Rey et Ratti 1992].

S. DecoutĂšre

254

3.2 ManiĂšre stratĂ©gique – ou «post-taylorienne» – de menerun projet

Les approches stratégiques partent d'une autre optique. Selonelles, il y a une interdépendance étroite entre la maniÚre d'élaborer unplan et son succÚs. Elles soulignent l'importance d'un couplage étroitentre une conception et son application.

Le problÚme n'est pas vu comme relevant seulement de la tech-nique. Mais il est aussi pris dans son environnement social et politique.Par conséquent, et par opposition aux démarches traditionnelles, lesapproches stratégiques se caractérisent par:

● Une trĂšs forte formalisation des problĂšmes de conduite – Ă  tout lemoins une grande attention Ă  ceux-ci. Si l'on est souple dans ladĂ©finition du problĂšme et des choix des solutions, on est rigou-reux dans les rĂšgles du jeu utilisĂ©es pour la dĂ©marche de planifi-cation.

● Un couplage Ă©troit des phases de conception et de rĂ©alisation. Laphase de planification du projet est conçue en fonction desconditions Ă  rĂ©unir pour en assurer la faisabilitĂ©. Les questions vi-sent toujours Ă  se demander si une idĂ©e, Ă  supposer qu'elle soitretenue, sera rĂ©alisable, avec quels acteurs, selon quellesĂ©tapes, avec quelles implications pour les autres personnesconcernĂ©es. Qui peut la freiner ou la bloquer? Quelles sont leslĂ©gislations Ă  respecter, les inconnues? Comment peut-on amor-cer le projet? Qui doit le prĂ©senter pour qu'il acquiĂšre le plus dereconnaissance – ou de capital symbolique – possible?

● La plus grande importance donnĂ©e, au dĂ©part, Ă  la formulation duproblĂšme par les diffĂ©rents acteurs plutĂŽt qu'Ă  la formalisation ra-pide d'un projet aux contours prĂ©cis. Celui-ci se conçoit de ma-niĂšre itĂ©rative, par scĂ©narios successifs. On tente d'Ă©viter de figertrop vite les choses ou de considĂ©rer l'esquisse comme intou-chable. Cela suppose cependant que chaque acteur ait une vi-sion claire de ce qui est pour lui nĂ©gociable et de ce qui ne l'estpas.

Cet effort de formalisation et de couplage entre conception et rĂ©ali-sation se traduit par un certain style de conduite oĂč les diffĂ©rentes di-mensions sont gĂ©rĂ©es de maniĂšre permanente, et de maniĂšre beaucoupplus approfondie que par le biais de l'approche traditionnelle:

● Du point de vue de l'arbitrage, on constate que l'identification duproblĂšme et la dĂ©finition des objectifs et des mesures se font engĂ©nĂ©ral de maniĂšre itĂ©rative, avec le souci de prendre en compte,chaque fois que cela paraĂźt nĂ©cessaire, les points de vue des ac-teurs qui seront touchĂ©s par la mesure. La dĂ©finition du problĂšme

Gestion du PPP: l'intĂ©rĂȘt d'une approche stratĂ©gique

255

et des mesures est abordée non seulement d'une maniÚre tech-nique mais aussi sociopolitique, avec la formulation de variantesnon terminées (scénarios). On veille à respecter les procéduresadministratives en vigueur, mais on effectue aussi un travail deconcertation-consultation avec les protagonistes éventuels jugésindispensables.6

● L'anticipation se fait elle aussi de maniĂšre itĂ©rative et permanente.On accorde une place particuliĂšre Ă  la faisabilitĂ© des scĂ©nariosproposĂ©s. On essaie de vĂ©ritablement prendre en compte lesĂ©cueils, d'anticiper, autant que faire se peut, les effets des rap-ports de force et des incertitudes. On tĂąche de prĂ©voir les Ă©ven-tuels temps forts et de les organiser suffisamment tĂŽt (type de tra-vaux, de dĂ©marches, de contacts).

● L'Ă©valuation est considĂ©rĂ©e comme un outil permettant de pro-duire de l'information et non comme une sanction dont il faut seprĂ©munir. Elle est utilisĂ©e pour adapter le projet, en souplesse, Ă l'Ă©volution des analyses et des solutions. La planification estd'ailleurs conçue, non comme l'Ă©laboration du meilleur des planspossibles, mais comme un processus d'apprentissage fait d'ajus-tements permanents. L'effort des approches stratĂ©giques est derendre ces ajustements – ils sont souvent effectuĂ©s spontanĂ©-ment – le plus construit possible, de maniĂšre Ă  faciliter ensuite lamise en Ɠuvre effective.

RĂ©centes dans leur formalisation, et tout particuliĂšrement dans ledomaine de la gestion des administrations publiques, les approches stra-tĂ©giques recouvrent en fait des pratiques qui sont spontanĂ©ment appli-quĂ©es par certains acteurs. Plusieurs exemples, qui sont dĂ©crits dans cetouvrage, en montrent l'utilisation. C'est ainsi le cas de la planification del'Oberhauserriet (chap. 8), des pĂŽles de dĂ©veloppement bernois (chap.9) et de Louvain-la-Neuve (chap. 11). Ce qui est nouveau, c'est l'effortgĂ©nĂ©ral auquel on assiste, dans les milieux qui se prĂ©occupent de lagestion – ou du «management territorial» –, pour formaliser et pour sys-tĂ©matiser cette pratique hĂ©ritĂ©e des thĂ©ories de l'organisation et du ma-nagement.7

6 On ne fait pas de la participation par vocation ou par idĂ©ologie mais pourrendre plus efficace la mise en Ɠuvre. L'approche stratĂ©gique n'exclut ce-pendant pas que l'on dĂ©cide de limiter, Ă  un moment donnĂ©, la concertationou de geler un projet. Mais son enjeu, c'est de le faire consciemment, desavoir pourquoi, et Ă  quelle fin.

7 L'effort entrepris par la C.E.A.T., au niveau de l'approche stratĂ©gique ou dumanagement territorial, s'inscrit dans cette volontĂ© de formalisation qui pa-raĂźt ĂȘtre la seule possible pour transmettre des savoirs issus de la pra-

S. DecoutĂšre

256

4. INTÉRÊTS ET LIMITES DES APPROCHES STRATÉGIQUESPOUR LE PPP

En rĂ©sumĂ©, l'enjeu des approches stratĂ©giques est d'anticiper lesconflits afin d'augmenter la faisabilitĂ© des projets. Cela ne revient pas Ă gommer les tensions, mais Ă  tenter de les gĂ©rer en prĂ©servant la faisabi-litĂ© des projets. C'est pourquoi ces approches sont particuliĂšrement bienadaptĂ©es au PPP, Ă  l'inverse des approches traditionnelles qui augmen-tent les incertitudes et les difficultĂ©s de conduite des phases deconception et de mise en Ɠuvre d'un projet.

En effet, le PPP, par dĂ©finition, cherche Ă  faire travailler ensemblede multiples acteurs qui ont des intĂ©rĂȘts et des marges de manƓuvretrĂšs diffĂ©rentes. Ces acteurs peuvent avoir de multiples raisons de s'en-gager (ou de ne pas s'engager) dans un PPP (argent, manque d'appuiinstitutionnel, manque de masse critique). Leur mise en commun de-mande donc une gestion extrĂȘmement attentive de leurs interactions.Dans ces conditions, il est souvent extrĂȘmement pĂ©rilleux, contre-pro-ductif, voire impossible d'attendre, comme dans l'approche tradition-nelle, d'avoir dĂ©terminĂ© les contours quasi dĂ©finitifs d'un projet pour es-sayer de trouver des partenaires Ă  une future coproduction.

On peut certes mener un projet de PPP de cette maniĂšre tradition-nelle, et c'est ce que l'on fait souvent.8 Mais dans certains cas, lesrisques sont trop grands. Les Ă©tudes coĂ»tent trop cher. La mise enƓuvre comporte trop de risques pour que la planification de base puisseĂȘtre menĂ©e de maniĂšre sectorielle et technique, sans concertationprĂ©alable avec les acteurs qui influencent la faisabilitĂ© et la mise en Ɠuvredu projet. Bref, comme le suggĂšre l'exemple genevois du ZĂ©nith (chap.10), il est souvent nĂ©cessaire d'obtenir un minimum de garanties quant Ă la faisabilitĂ© rĂ©elle d'un projet de PPP, ce qu'une approche traditionnellene permet guĂšre.

De mĂȘme, la gestion implicitement autoritaire et trĂšs hiĂ©rarchique,qu'implique en fait l'approche traditionnelle, se prĂȘte mal Ă  la complexitĂ©

tique, générés et reproduits «spontanément» par les chefs de projet. Pourun résumé de l'approche stratégique, telle qu'elle est envisagée à laC.E.A.T., voir [Rey 1994] dans le domaine de l'environnement ou [Rey et al.1992] dans le domaine du développement régional.

8 L'opération CMC (Communes modÚles pour la communication) est unexemple de PPP mené de maniÚre traditionnelle, à l'échelle de la Suisse. Ilillustre les problÚmes que ce mode de gestion peut générer entre différentsacteurs-partenaires. Voir à ce sujet [DecoutÚre et Alberton 1993] et enparticulier le point 8 du chapitre 4 ainsi que tout le chapitre 5.

Gestion du PPP: l'intĂ©rĂȘt d'une approche stratĂ©gique

257

relationnelle du PPP. Elle risque alors d'engendrer des frustrations du-rables auprÚs des partenaires prenant part au projet. Mener des projetscomplexes de PPP exige d'élargir le processus d'arbitrage et d'aller au-delà d'une approche légaliste.

En raison de leurs caractĂ©ristiques (couplage de la conception et dela mise en Ɠuvre, attention aux processus relationnels, itĂ©rativitĂ©), lesapproches stratĂ©giques apparaissent susceptibles, au contraire, de rĂ©-duire les incertitudes inhĂ©rentes Ă  tout projet complexe. Une approchestratĂ©gique peut mĂȘme devenir un instrument essentiel du PPP aumĂȘme titre que le contrat, l'Ă©tude de marchĂ© ou le plan financier.

4.1 Apports des approches stratégiques pour des projets de PPP

A la lumiĂšre de ce qui vient d'ĂȘtre dit, on peut synthĂ©tiser les intĂ©-rĂȘts d'une approche stratĂ©gique pour un projet de PPP de la maniĂšresuivante:

● Une approche stratĂ©gique permet de prĂ©parer la mise en Ɠuvredu PPP, dĂšs la phase de conception d'un projet. Elle est d'abordun Ă©tat d'esprit – une philosophie – qui a pour souci premier l'opĂ©-rationnalisation et la faisabilitĂ© des projets. Elle se caractĂ©rise parson souci trĂšs fort de la rĂ©alisation concrĂšte, de l'utilisation futuredes plans, de la faisabilitĂ© et des conditions Ă  rĂ©unir (qualitĂ© d'ad-hĂ©sion des acteurs concernĂ©s), pour que le plan puisse seconcrĂ©tiser rĂ©ellement, servir Ă  quelque chose et non rester unbeau document sur papier glacĂ© au fond d'un tiroir. Deux Ă©lĂ©-ments la distinguent a priori des autres formes classiques de ma-nagement: une prĂ©occupation particuliĂšre pour le «comment» etune attention toute spĂ©ciale vouĂ©e Ă  la maniĂšre de mener unprojet. L'idĂ©e maĂźtresse d'une approche stratĂ©gique est de nepas «dĂ©barquer» avec un projet tout fait devant les politiques, lepublic, les Ă©ventuels partenaires, mais de procĂ©der progressive-ment, en fonction du contexte et des intĂ©rĂȘts en prĂ©sence.

● Une approche stratĂ©gique facilite l'apprentissage collectif entreles acteurs. Son objectif est la crĂ©ation et le renforcement de laconfiance entre partenaires, ainsi que la rĂ©union de conditions-cadres favorables. Un projet de PPP ne va pas de soi: les acteursn'adhĂšrent pas spontanĂ©ment Ă  un projet, fĂ»t-il sĂ©duisant. Lesquestions qui se posent souvent Ă  un porteur de projet de PPP(qu'il soit privĂ© ou public) sont prĂ©cisĂ©ment celles des conditions Ă rĂ©unir, des acteurs qu'il faut pouvoir intĂ©resser et de la maniĂšre deles intĂ©resser. Cela implique une prĂ©paration et une attention auxproblĂšmes d'arbitrage et d'anticipation, dĂšs la phase de concep-

S. DecoutĂšre

258

tion. Réunir des acteurs et en faire des partenaires ayant uneconfiance mutuelle ne va pas de soi. La confiance se construitpeu à peu. L'ambition de l'approche stratégique est d'y contri-buer.

● Une approche stratĂ©gique permet une organisation profession-nelle de la concertation et des relations entre acteurs, grĂące Ă  laformalisation des dĂ©marches concrĂštes (rĂšgles du jeu) nĂ©ces-saires Ă  la maĂźtrise des dimensions d'un projet. Une approche stra-tĂ©gique est un moyen d'aboutir Ă  une meilleure maĂźtrise d'ou-vrage grĂące Ă  une dĂ©marche managĂ©riale professionnelle. Elle estdonc non seulement un Ă©tat d'esprit, mais aussi un mode de ges-tion particuliĂšrement soucieux de formaliser le dĂ©tail de la gestionau quotidien des diffĂ©rentes phases (choix, produits, modalitĂ©sd'arbitrage, d'anticipation et d'Ă©valuation). Elle peut donc servir decheck-list, de grille d'analyse concrĂšte. Elle permet alors Ă  un por-teur de projet, Ă  un administrateur ou Ă  un partenaire d'Ă©valuer lamaniĂšre dont le projet est conduit, et de veiller ainsi Ă  intĂ©grer lesouci de sa faisabilitĂ©, Ă©tape par Ă©tape. A ce titre, le dĂ©veloppe-ment des approches stratĂ©giques, dans la gestion des collectivi-tĂ©s publiques, apparaĂźt comme un signe supplĂ©mentaire de l'at-tention plus grande qu'elles vouent, peu Ă  peu, Ă  la nature et Ă l'efficacitĂ© de leur intervention (recherche de nouveaux instru-ments organisationnels et de gestion, attention aux processus deconcertation, dĂ©veloppement du marketing urbain et du mana-gement territorial, effort pour une gestion moins hiĂ©rarchique etsectorielle des processus).9

4.2 Limites des approches stratégiques pour des projets de PPP

Cela étant, il faut toutefois émettre un certain nombre de réserves àl'égard des approches stratégiques qui, malgré leurs qualités, ne sontévidemment pas des panacées susceptibles de résoudre tous les pro-blÚmes de gestion posés par un projet complexe.

Ainsi, leur utilisation par l'acteur public, mĂȘme de maniĂšre profes-sionnelle, ne garantit pas pour autant l'aboutissement du projet. Enoutre, leur application comporte des risques Ă  prendre au sĂ©rieux. Nousciterons par exemple, le risque:

9 Il existe aujourd'hui une littérature abondante relative à ces mutations.Nous recommandons en particulier [Lenoir et Lesourne 1992; Morand 1991;Ruegg et al. 1992; Ashworth et Voogd 1990; Barouch 1989; Friend etHickling 1987], ainsi que le numéro spécial des Dossiers et documents duMonde de juin 1993.

Gestion du PPP: l'intĂ©rĂȘt d'une approche stratĂ©gique

259

● de niveler les projets trop vite, par des concessions successives;ce risque est Ă©levĂ© si une ligne directrice et si une conceptionclaire de ce qui est nĂ©gociable – ou non – n'accompagne pas ladĂ©marche;

● de perdre de la souplesse si l'on applique la dĂ©marche trop for-mellement: Ă  trop vouloir formaliser les processus et les modalitĂ©sd'interactions entre acteurs, on risque d'Ă©vacuer la part de flou,inhĂ©rente et nĂ©cessaire Ă  tout projet, et de rigidifier sa gestion;

● (pour l'acteur public toujours) de privilĂ©gier systĂ©matiquement lepoint de vue des acteurs les plus puissants et les plus habiles, audĂ©triment de l'intĂ©rĂȘt collectif; une approche stratĂ©gique est unmoyen et un instrument d'action qui peut certes servir Ă  garantir lecontrĂŽle dĂ©mocratique sur le projet, mais aussi contribuer Ă  l'ex-clure subtilement (manipulation des usagers).

Bref, comme toutes les techniques, les approches stratĂ©giques neprĂ©dĂ©terminent pas pourquoi et comment elles sont employĂ©es. Les ac-teurs privĂ©s, c'est bien normal, l'utiliseront pour dĂ©fendre leurs intĂ©rĂȘts.A l'administration ou Ă  son mandant de faire respecter l'intĂ©rĂȘt public oucollectif. Cela passe d'abord par une dĂ©finition claire des rĂšgles du jeuentre partenaires.

RĂ©FĂ©RENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ASHWORTH, G., et H. VOOGD. 1990. Selling the city: marketing ap-proaches in public sector urban planning. London: BelhavenPress.

BAROUCH, G. 1989. La dĂ©cision en miettes: systĂšmes de pensĂ©e etd'action Ă  l'Ɠuvre dans la gestion des milieux naturels. Paris:l'Harmattan.

DECOUTÚRE, S., et S. ALBERTON. 1993. Télématique et développementrégional: l'apport au développement régional des projets CMC deSierre et de Val de Travers. Zurich: IVT/EPFZ.

DOSSIERS ET DOCUMENTS DU MONDE. 1993. Les grands entretiens duMonde. Dossiers et documents du Monde juin, numéro spécial,tome 1.

FRIEND, J., et A. HICKLING. 1987. Planning under pressure: the strategicchoice approach. Oxford: Pergamon Press.

GOGUELIN, P. 1993. La négociation: frein et moteur du management.Paris: ESF éditeur.

S. DecoutĂšre

260

GREFFE, X. 1990. Economie du partenariat. Revue d'économie régionaleet urbaine 5: 645-652.

LENOIR, R., et J. LESOURNE (Ă©d.). 1992. OĂč va l'Etat? La souverainetĂ©Ă©conomique et politique en question. Paris: Le Monde Editions.

MORAND, C.-A. (Ă©d.). 1991. L'Etat propulsif: contribution Ă  l'Ă©tude desinstruments d'action de l'Etat. Paris: Publisud.

REY, M. 1994. Pour une approche stratégique de la planification et de laréalisation des projets d'aménagement. Lausanne: C.E.A.T.(document de travail).

REY, M. et al. 1992. A l'heure de l'Europe de 1993: propositions pourune approche stratégique de la politique régionale suisse.Berne: Peter Lang et OEPR-ROREP.

REY, M., et R. RATTI. 1992. Propositions pour une approche stratégiquede la politique régionale suisse. Contribution présentée au col-loque conjoint de l'Association de Science régionale de languefrançaise et Regional Science Association, Louvain-la-Neuve,août 1992.

RUEGG, J., N. METTAN, et L. VODOZ (éd.). 1992. La négociation: sonrÎle, sa place dans l'aménagement du territoire et la protection del'environnement. Lausanne: PPUR.

VELTZ, P., et P. ZARIFIAN. 1993. Vers de nouveaux modĂšles d'organisa-tion de la production? Sociologie du travail 1: 1-10.

261

Chapitre 16

PPP ET MARKETING URBAIN

Patrice NOISETTE

1. INTRODUCTION

La ville n'est pas seulement un lieu privilĂ©giĂ© des concurrencesĂ©conomiques. Elle en est aussi devenue un des enjeux principaux: lesmarchĂ©s des prochaines dĂ©cennies sont ceux de la culture et des Ă©qui-pements urbains. En mĂȘme temps, la ville manifeste frĂ©quemment, dansson espace et dans sa vie quotidienne, les forces d'exclusion et les diffi-cultĂ©s de l'intĂ©gration sociale et civique des populations. Cette violence,Ă  la fois contenue et Ă©ruptive, pourrait devenir aussi dĂ©stabilisante pourl'Ă©conomie qu'elle l'est dĂ©jĂ  pour la vie politique. C'est pourquoi les rap-ports entre la dĂ©cision publique et les opĂ©rateurs privĂ©s sont devenus sisensibles.

Ces derniers attendent en effet de la dĂ©cision publique qu'elle as-sure des conditions de marchĂ© aptes au dĂ©veloppement de leurs activi-tĂ©s. Cette demande n'est pas homogĂšne. TantĂŽt, lĂ  oĂč la demande estvive, il faudrait instaurer le plus grand libĂ©ralisme Ă©conomique jusqu'Ă laisser jouer des mĂ©canismes purement spĂ©culatifs. TantĂŽt il faudrait au

P. Noisette

262

contraire développer un marché lourdement subventionné, lorsque lademande est trop fragile ou lorsque la rentabilité des équipements n'estpas assurée. Une telle alternative est destructrice pour le milieu urbain,puisqu'elle entérine et exacerbe les phénomÚnes de polarisation spa-tiale et de ségrégation sociale.

De leur cÎté, les élus locaux doivent faire face à une demande ac-crue de leurs concitoyens, alors que les finances publiques sont en reculou qu'elles exigent pour le moins une gestion plus rigoureuse. Ils sollici-tent donc de plus en plus le secteur privé, d'une maniÚre qui ne manquepas non plus d'ambiguïté. On considÚre un peu facilement que «le privéa de l'argent», et que les opérateurs peuvent toujours «investir» dansles marchés que la décision publique leur ouvre. Ou bien on se laissebercer par une vision un peu magique du «marché», sensé détenir lesclefs de toute action et rendre possible tout projet.

Nos sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques sont aujourd'hui essentiellement mar-chandes et interdĂ©pendantes. Observer qu'elles sont marchandes, c'estreconnaĂźtre Ă  la fois que l'action politique ne peut nulle part Ă©chapper Ă l'ordre Ă©conomique, et que ce dernier ne fonctionne nulle part en de-hors de toute puissance publique. Voir qu'elles sont interdĂ©pendantes,c'est prendre acte qu'aucun acteur n'a plus une maĂźtrise assurĂ©e ni deson environnement ni de ses objectifs, et qu'il ne peut mĂȘme plus avoirune vision stable de lui-mĂȘme. Ces deux phĂ©nomĂšnes de l'omniprĂ©-sence de l'Ă©conomique et de la limite des puissances dĂ©cisionnellessont probablement au cƓur de la crise que connaĂźt aujourd'hui la reprĂ©-sentation dĂ©mocratique. Dans ce contexte, les deux question nouvelles– ou en tout cas rĂ©centes – que sont d'une part le PPP (partenariat pu-blic-privĂ©) et d'autre part le «marketing urbain» sont rien moins que desimples questions techniques. Elles portent, dans leurs diffĂ©rentes ma-nifestations, des conceptions de l'action publique qui touchent Ă  la rela-tion entre «dĂ©mocratie et marché».

C'est cependant sous un angle plus pratique et méthodologiqueque nous parlerons ici successivement du PPP, puis du marketing ur-bain et enfin de leur relation. Notre propos s'appuie de maniÚre directesur la situation française, mais nos observations à l'échelle européenneindiquent que, sur le fond, les questions ne se posent guÚre différem-ment dans les autres pays.

2. PARTENARIAT PUBLIC-PRIVĂ©

Les propos qui suivent sont peut-ĂȘtre un peu dĂ©cousus. Mais, ilsinvitent Ă  se dĂ©prendre Ă  la fois des discours faussement naĂŻfs des col-

PPP et marketing urbain

263

loques ou des inaugurations et des lourdes défiances accumulées sur leterrain.

2.1 Distinction entre public et privé

La frontiĂšre entre «public et privé» est souvent difficile Ă  tracer, etsupporte bien des interprĂ©tations diffĂ©rentes. On peut parler de do-maines ou de finalitĂ©s d'action, de statuts juridiques, de financements oude systĂšmes dĂ©cisionnels, de droits et de comportements. Le champurbain est riche de situations ambiguĂ«s, multipliĂ©es par les outils d'actionconstituĂ©s au travers des politiques publiques, notamment dans l'amĂ©-nagement et le logement. Un organisme de statut privĂ©, mais au sein du-quel l'Etat est fortement reprĂ©sentĂ©, qui rassemble une Ă©pargne popu-laire privĂ©e sous convention d'Etat pour financer des sociĂ©tĂ©s de loge-ment publiques ou d'Ă©conomie mixte est-il une institution de finance-ment public ou privĂ© du logement? Un Ă©tablissement financier privĂ©prĂȘte Ă  une sociĂ©tĂ© privĂ©e de logement social, qui loue ses logementssous rĂ©glementation d'Etat Ă  des personnes recevant une allocation delogement substantielle: s'agit-il vraiment d'un financement privĂ©? Dans lecadre d'une ZAC (zone d'amĂ©nagement concertĂ©), un amĂ©nageur publicou privĂ© se retrouve soumis aux mĂȘmes rĂšgles et aux mĂȘmes conditionsd'opĂ©ration. On pourrait ainsi multiplier les exemples.

On peut cependant retenir des oppositions radicales, comme cellequi confronte les prérogatives de la puissance publique à l'interventiondes opérateurs (quel que soit leur statut juridique), ou comme celle qui,en gestion, distingue l'impératif de rémunération des capitaux investis del'impératif d'équilibre budgétaire.

Mais souvent, plus encore que ces frontiĂšres institutionnelles outechniques, ce sont des frontiĂšres culturelles qui oblitĂšrent la relationentre acteurs publics et privĂ©s. Les formations d'origine des personnes,leurs carriĂšres, leurs rĂ©seaux de sociabilitĂ© sont souvent trĂšs diffĂ©rents,de mĂȘme que l'organisation, le fonctionnement et le management desorganisations. Il en rĂ©sulte des reprĂ©sentations et des comportementsĂ©loignĂ©s, voire opposĂ©s. Ces distances sont Ă  l'origine d'une dĂ©fiancemutuelle permanente.

Avec la notion de frontiÚre, le couple «public-privé» évoque cellede partage. L'idée de partage apparaßt en effet fréquemment dÚs qu'ils'agit de parler d'action conjointe ou commune. Mais de quel partages'agit-il? Est-ce le partage d'une perte? Cela, on sait à peu prÚs le gérer:«si on perd ensemble, qui perd quoi?» On met en rapport une perted'exploitation privée et une subvention publique. C'est en fin de comptele b.a.-ba de la relation public-privé, du moins lorsque la perte est

P. Noisette

264

connue. S'agit-il du partage du bénéfice? C'est déjà plus difficile: il n'estpas trÚs décent de parler de profit du cÎté de la puissance publique! Enfait, la difficulté à traiter le bénéfice est une cause importante de la diffi-culté à parler de risque. Le vrai partage, c'est le partage du risque. Or, ilsuppose à la fois de gérer l'incertitude et de rechercher le profit.

Si l'on se place dans le champ de l'action opĂ©rationnelle et non pasdans celui des prĂ©rogatives lĂ©gislatives et rĂ©glementaires de la puis-sance publique, la relation public-privĂ© fait appel Ă  deux logiques d'actiontrĂšs diffĂ©rentes: une logique fiscale, dissociative, et une logique de mar-chĂ©, associative. Ces deux logiques appellent l'une et l'autre une trans-parence nouvelle. Il importe aujourd'hui de les dĂ©coupler, afin que le jeuĂ©conomique puisse ĂȘtre mieux rĂ©gulĂ©, et surtout afin que l'Ă©lecteur s'yretrouve.

Logique de la fiscalité

Pour ses missions propres, la collectivitĂ© publique utilise des fondscollectĂ©s auprĂšs des citoyens et des activitĂ©s Ă©conomiques. Elle rendcompte devant ses Ă©lecteurs des usages redistributifs de cette fiscalitĂ©,et de ses usages indiffĂ©renciĂ©s. La rĂšgle est en thĂ©orie celle de l'Ă©qui-libre budgĂ©taire: chaque annĂ©e, la puissance publique ne dĂ©pense quece qui lui a Ă©tĂ© confiĂ©. Cette logique fiscale peut ĂȘtre imposĂ©e au secteurprivĂ©. C'est le cas par exemple d'une opĂ©ration d'amĂ©nagement rĂ©alisĂ©esur fonds publics, qui conditionne le marchĂ© des promoteurs privĂ©s aux-quels les terrains seront revendus. C'est aussi le cas d'un Ă©quipementde loisirs public, qui modifie le contexte concurrentiel des Ă©quipementsprivĂ©s. La logique fiscale peut aussi ĂȘtre «couplĂ©e» Ă  l'action du secteurprivĂ©. C'est le cas par exemple lorsqu'une subvention publique est ap-portĂ©e dans le cadre d'une convention auprĂšs d'une entreprise privĂ©e,ou lorsque les fonds publics financent un Ă©quipement dont l'exploitationsera concĂ©dĂ©e Ă  un acteur privĂ©.

Logique de marché

La logique de marchĂ© est nĂ©cessaire lorsque les moyens tech-niques dont dispose directement la puissance publique ne sont pas suf-fisants pour les buts qu'elle poursuit, ou lorsque ces buts concernentdes domaines qui ne sont pas les siens propres. On cherche alors un«mĂ©lange efficace» de l'action publique et de l'action privĂ©e, dans la me-sure oĂč leur objet se situe, peu ou prou, dans le domaine de l'Ă©conomiede marchĂ©. Il s'agit en rĂ©alitĂ© d'interventions de stimulation ou de rĂ©gula-tion de la puissance publique au sein de l'Ă©conomie de marchĂ©: infra-structures ou Ă©quipements lourds mais destinĂ©s Ă  ĂȘtre rentabilisĂ©s,amĂ©nagements urbains dont on souhaite une mixitĂ© fonctionnelle et so-

PPP et marketing urbain

265

ciale, Ă©vĂ©nements mettant en valeur les acteurs Ă©conomiques mais dontle territoire tire profit pour son propre dĂ©veloppement. L'interpĂ©nĂ©trationfinanciĂšre et fonctionnelle du public et du privĂ© peut ĂȘtre grande; la dĂ©-cision opĂ©rationnelle est commune, ou dĂ©lĂ©guĂ©e d'un commun accord;l'incertitude existe quant aux rĂ©sultats – y compris pour le rĂ©sultat finan-cier. C'est lĂ  le domaine du partenariat. Ce partenariat doit ĂȘtre transpa-rent, si l'on veut Ă©tablir une confiance mutuelle entre les partenaires etassurer la lĂ©gitimitĂ© du projet aux yeux des citoyens. En bref, l'enjeu dupartenariat est aujourd'hui de sortir la relation public-privĂ© des mĂ©ca-nismes de chantage, de racket ou de spoliation qui la marquent tropsouvent.

Ces deux logiques revĂȘtent un statut diffĂ©rent pour la sanction dĂ©-mocratique. Dans la logique fiscale, globale et spĂ©cifiquement publique,la dĂ©cision est politique. Sa sanction est Ă©lectorale: le mandat de l'Ă©lu estrenouvelĂ© ou non. Dans la logique partenariale, la sanction est d'abordĂ©conomique et sociale: le projet est une rĂ©ussite ou non. La relation dĂ©-mocratique doit alors ĂȘtre construite dans le champ du projet lui-mĂȘme,non pas par la dĂ©magogie de la «dĂ©mocratie directe» mais par l'informa-tion systĂ©matique des citoyens, et par une concertation permanente.

2.2 IntĂ©rĂȘts du partenariat

La mise en Ɠuvre de partenariats clairs et efficaces entre acteurspublics et privĂ©s demande d'abord – en principe – que l'on soit lucide surles intĂ©rĂȘts des uns et des autres. Au travers de la demande de partena-riat, des rapports de force sont en jeu, qui ne se situent pas seulemententre les deux secteurs, mais aussi au sein de chacun d'eux.

Pour le secteur privé

Du point de vue du secteur privé, la rationalité chÚre à la théorieéconomique classique (la «main invisible» du marché) n'a pas grandchose à voir avec la réalité. Cette derniÚre est marquée par les multiplesinterventions de la puissance publique, et par le fait que la concurrencese joue souvent sur des marchés intermédiaires. Dans le domaine im-mobilier par exemple, ce qu'on appelle le «marché» n'est pas leconsommateur final. Le promoteur travaille généralement pour des in-vestisseurs. Les grandes entreprises de services urbains et de BTP dé-veloppent des stratégies complexes, qui visent toutes en apparence àcouvrir tous les domaines (jusqu'au «quartier clefs en mains, gestioncomprise»), mais qui restent dépendantes de leurs métiers de base etde leurs positionnements géographiques. Il est essentiel pour les entre-prises privées de peser sur les législations et réglementations publiques,

P. Noisette

266

afin qu'elles soient plus ou moins accueillantes Ă  telle ou telle logique.Cela revient Ă  rechercher une sorte d'«avantage comparatif» rĂ©glemen-taire. Les entreprises privĂ©es doivent aussi multiplier les dĂ©pendancesdirectes ou indirectes entre les collectivitĂ©s territoriales et elles-mĂȘmes.La recherche de partenariats remplit ce double objectif: peser sur le do-maine rĂ©glementaire en dĂ©nonçant les «obstacles» qu'il forme; crĂ©er desrapports de travail privilĂ©giĂ©s qui vont gĂ©nĂ©rer des marchĂ©s complĂ©-mentaires.

La logique partenariale peut Ă©galement influencer les conditions deconcurrence entre les entreprises privĂ©es elles-mĂȘmes, puisqu'elle tendĂ  privilĂ©gier celles qui ont une diversification et un poids importants. LarĂ©duction du nombre de partenaires dans une opĂ©ration complexe et lagarantie de pĂ©rennitĂ© qu'ils apportent est en effet perçue comme unefacilitation du projet. FĂ©dĂ©rer des petites entreprises peu capitalisĂ©esmultiplie les risques de management et les risques financiers.

Le PPP n'est donc pas seulement un outil entre le libre jeu du mar-chĂ© et la souverainetĂ© publique. Il est en lui-mĂȘme un champ de concur-rence entre acteurs privĂ©s. Son organisation rĂ©glementaire et techniqueest un des facteurs structurants des champs Ă©conomiques corres-pondants.

Pour le secteur public

Sous l'angle politico-administratif, la chose n'est pas non plus detoute clartĂ©. Le PPP se dĂ©veloppe dans un contexte qui demande luiaussi Ă  ĂȘtre bien compris, sinon clarifiĂ©.

C'est d'abord la dilution de la responsabilitĂ© de la puissance pu-blique dans la multiplication de ses composantes et dans l'ambiguĂŻtĂ© desa relation aux mĂ©canismes de marchĂ©. D'une part, les compĂ©tencesadministratives territoriales subissent les effets de processus dĂ©centrali-sateurs en mĂȘme temps que de processus fĂ©dĂ©rateurs, de la municipa-litĂ© Ă  l'Union EuropĂ©enne. D'autre part, la combinaison de la mission de«justice sociale» et de celle de «garantie de la concurrence» fixĂ©es Ă  lapuissance publique devient de plus en plus dĂ©licate Ă  gĂ©rer. D'autantque, soucieuse d'efficacitĂ© Ă©conomique, l'intervention publique opĂ©ra-tionnelle diversifie ses formes juridiques jusqu'Ă  ne plus bien distinguer– on l'a dĂ©jĂ  dit – le public du privĂ©.

C'est aussi que l'évolution des demandes des citoyens envers leursélus, dans un environnement de plus en plus complexe, conduit à desactions publiques qui cadrent mal avec les logiques temporelles et bud-gétaires du mandat démocratique. Il faut s'engager dans des projets decinq à dix ans de durée, quand ce n'est pas plus encore, avec des man-dats de quatre à six ans environ et des budgets annuels.

PPP et marketing urbain

267

C'est dire que, dans une logique de partenariat, l'identité de la puis-sance publique est souvent floue et que l'on n'est pas assuré de l'au-thenticité de ses engagements et de sa capacité à les respecter. Ce flouest naturellement propice à l'exacerbation des rapports de forces poli-tiques et économiques entre instances territoriales. Il y a là aussi desconcurrences, des conflits d'autorité ou de légitimité, surtout lorsque lesprojets sont complexes et qu'ils impliquent des objets ou des finance-ments relevant de compétences administratives différentes.

Ces entrelacements d'intĂ©rĂȘts faussent les discussions dans la me-sure oĂč ils ne sont jamais affichĂ©s, et parce qu'aucun des acteurs n'a lacapacitĂ© de «dĂ©coder» le langage de l'autre. L'Etat a ainsi tentĂ© rĂ©cem-ment en France de relancer la «politique de la ville» (rĂ©habilitation et revi-talisation des quartiers d'habitat social) au travers d'un partenariat avec degrandes entreprises. Ce partenariat aurait Ă©tĂ© exprimĂ© Ă  la fois par descontrats nationaux et par des contrats locaux. Il aurait ouvert aux entre-prises concernĂ©es des privilĂšges importants vis-Ă -vis du trĂšs restrictif«code des marchĂ©s publics», privilĂšges justifiĂ©s en thĂ©orie par lesrisques accrus que les entreprises auraient acceptĂ© de prendre. AprĂšsdeux ans de nĂ©gociations ardues, la copie est reprise Ă  zĂ©ro. Ni le prin-cipe partenarial, ni la volontĂ© d'aboutir des parties ne sont pourtant encause.

Il faut parfois revenir Ă  des questions simples. Comment la puis-sance publique doit-elle s'organiser pour remplir efficacement sa missionde contrĂŽle de la lĂ©galitĂ© – d'autant plus nĂ©cessaire que le jeu des ac-teurs est ouvert –, tout en intervenant avec responsabilitĂ© et crĂ©dibilitĂ©au sein mĂȘme des projets? Comment inscrire, dans un partenariat, desobjectifs rĂ©gulateurs ou sociaux sans se mĂ©prendre sur les intentionsrĂ©elles, et lĂ©gitimes, des entreprises privĂ©es qui ne sont pas au servicedes Ă©lus? RĂ©pondre clairement Ă  ces questions contribuerait Ă  lever leprincipal Ă©cueil: la dĂ©fiance rĂ©ciproque des acteurs publics et des acteursprivĂ©s.

2.3 Essai de définition du partenariat

Le PPP exige un ensemble de principes et de rĂšgles plus simples Ă Ă©noncer qu'Ă  mettre en Ɠuvre. Parmi eux, en voici quelques-uns quisont peut-ĂȘtre moins souvent Ă©voquĂ©s que d'autres:

● Le partenariat pour un projet ne peut pas ĂȘtre fondĂ© sur unecommunautĂ© d'intĂ©rĂȘt, de stratĂ©gie ou d'objectif, ni mĂȘme sur un

P. Noisette

268

«projet» commun.1 La crédibilité de chaque acteur tient aucontraire à la qualité de l'expression de son propre projet, de sesfinalités et des moyens qu'il peut garantir d'y consacrer.

● Les partenaires doivent s'accorder sur le contexte dans lequel leprojet s'inscrit, sur ce qui peut ĂȘtre apprĂ©hendĂ© et sur ce qui peutĂ©chapper Ă  l'analyse et Ă  la prĂ©vision prĂ©cises. Confronter les in-formations et les expertises et conduire sans complaisance lesĂ©tudes prĂ©alables nĂ©cessaires sont des conditions rarementremplies, malgrĂ© les apparences.

● Les accords doivent distinguer d'une part ce qui repose sur desbases et des cadres stables (politiques, Ă©conomiques, rĂ©glemen-taires), et d'autre part ce qui relĂšve d'un contexte non assurĂ© etnon maĂźtrisable par les partenaires. L'apprĂ©ciation des risques etde leurs contreparties en sera alors d'autant plus claire que l'onfondera le contrat sur ses conditions et ses modalitĂ©s d'Ă©volutiondans le temps, plutĂŽt que sur la multiplication de garanties for-melles mais irrĂ©alistes.

● La capacitĂ© des acteurs, Ă  effectuer en cours de route les ajuste-ments qui leur sont nĂ©cessaires, dĂ©pend de leur comprĂ©hensiondu projet pris dans son environnement. Respecter le banquier del'opĂ©rateur, le financier de la collectivitĂ© locale, l'administration detutelle, l'entreprise-mĂšre, les habitants et les riverains, les asso-ciations et les citoyens est probablement prĂ©fĂ©rable aux conten-tieux permanents.

● Le partenariat doit disposer pour sa mise en Ɠuvre d'un manage-ment unique et reconnu par tous les partenaires, limitĂ© Ă  l'objet etĂ  la durĂ©e du projet, et dotĂ© d'une autoritĂ© rĂ©elle (professionnelleet morale en tout cas, Ă©ventuellement juridique). Or, cela est unedenrĂ©e rare.

Le PPP, ce n'est pas l'encadrement de l'action privée par la puis-sance publique, ni les formes classiques de marché ou de concession.Alors, quelle définition pouvons-nous en donner, non pas au plan tech-nique et contractuel, mais pour ce qui fonde sa légitimité et oriente sesobjectifs?

Nous considérons schématiquement que l'action publique regardeles personnes auxquelles elle s'adresse en tant que citoyens, tandis quel'action privée les regarde comme des consommateurs. L'action publiqueest en effet inscrite dans le contrat social et la relation démocratique.L'action privée se situe dans le cadre de l'économie de marché, de la

1 Nous pourrions définir le projet comme étant l'entreprise projetée dansl'objet de l'action.

PPP et marketing urbain

269

production et de l'Ă©change de biens matĂ©riels et immatĂ©riels. Le PPPconsiste Ă  associer la puissance publique Ă  des opĂ©rateurs, c'est-Ă -dire Ă des acteurs intervenant sur des marchĂ©s. Economiquement, ce partena-riat combine des moyens qui relĂšvent en partie d'une logique d'Ă©quilibrebudgĂ©taire et en partie d'une logique de profit, dans un mĂȘme systĂšmed'action. Socialement et politiquement, le partenariat se doit alors decombiner les finalitĂ©s qui, vis-Ă -vis des personnes, lĂ©gitiment ces deuxlogiques. D'un cĂŽtĂ©, rĂ©pondre aux attentes formulĂ©es lors du vote dĂ©-mocratique. De l'autre, rĂ©pondre aux attentes des consommateurs.

Nous pourrions alors proposer la dĂ©finition suivante: le PPP est l'as-sociation de dĂ©cisions et de moyens publics et privĂ©s au sein d'un mĂȘmesystĂšme d'action – dĂ©fini en objet et en durĂ©e –, dans l'objectif de satis-faire simultanĂ©ment l'attente du consommateur et du citoyen.

Cette proposition nous conduit inévitablement à la notion de mar-keting urbain.

3. MARKETING URBAIN

Sans exposer ici une thĂ©orie du marketing urbain, nous en souli-gnons quelques aspects essentiels afin de bien comprendre quel peut-ĂȘtre son rĂŽle, Ă  la fois dans la dĂ©finition et la mise en Ɠuvre d'une stratĂ©-gie de dĂ©veloppement et vis-Ă -vis des dĂ©marches partenariales entre ac-teurs publics et privĂ©s.

3.1 Loin de la «réclame»

Tout d'abord, il faut se dĂ©faire de deux idĂ©es reçues. La premiĂšreassimile le marketing Ă  une simple technique de manipulation duconsommateur, et lui refuse ainsi toute utilitĂ© dans la sphĂšre d'actionpublique. La seconde fait de la ville une sorte d'objet de consommation,et entend la traiter en elle-mĂȘme comme tel.

Le marketing est certes nĂ© de la publicitĂ©, de l'Ă©lixir de longue vie etde la ceinture antirhumatismale. Il s'est d'abord intĂ©ressĂ© au comporte-ment du consommateur, en cherchant des moyens d'influencer ce com-portement plutĂŽt que l'identification des attentes des personnes. Lespremiers temps du marketing furent ainsi orientĂ©s par l'offre Ă  placer plusque par la demande Ă  satisfaire. Mais, avec le dĂ©veloppement de laconcurrence et la sophistication des produits et des marchĂ©s, le marke-ting a considĂ©rablement Ă©voluĂ©. Il s'est intĂ©ressĂ© Ă  l'entreprise elle-mĂȘme, Ă  sa capacitĂ© d'Ă©volution, Ă  l'adaptation de son offre, en la tour-nant vers ses clients:

P. Noisette

270

«le marketing est le mécanisme de société par lequel individuset groupes satisfont leurs besoins et désirs au moyen de lacréation et de l'échange de produits et autres entités de valeurpour autrui» [Kotler et Dubois 1989].Il a étendu la relation de l'entreprise à ses clients à la notion de ser-

vice, dont le produit lui-mĂȘme n'est qu'une composante centrale:«le marketing management est l'analyse, la planification, lamise en Ɠuvre et le contrĂŽle de programmes conçus pourcrĂ©er, dĂ©velopper et maintenir un courant d'Ă©changes mutuel-lement satisfaisant avec les marchĂ©s visĂ©s, dans le but d'at-teindre les objectifs d'une organisation» [Kotler et Dubois1989].Il est ainsi devenu une sorte de fonction d'ajustement entre l'entre-

prise et ses marchés. D'une maniÚre plus étendue encore, le marketings'intéresse aujourd'hui aux effets sociétaux du produit, de son mode deproduction et de sa consommation. Il s'agit:

«d'accomplir les objectifs de l'organisation Ă  travers la satisfac-tion des clients, d'une façon qui prĂ©serve ou amĂ©liore le bien-ĂȘtre de la collectivité» [Kotler et Dubois 1989].La relation entre l'entreprise et son marchĂ© peut ĂȘtre placĂ©e sous

une contrainte supérieure.Au travers de cette histoire, le marketing a donc considérablement

étendu son champ et ses méthodes. Cela ne signifie naturellement pasqu'il confÚre à l'entreprise un objectif social, mais plutÎt que sa démarcheest capable de prendre en compte des objectifs complexes et de jouerparfois un rÎle régulateur. Les multiples excÚs que l'on observe, depuisles crises de surproduction immobiliÚre jusqu'à la diffusion massive deproduits dangereux, ou la présence encore lourde d'une publicité de«réclame», proviennent le plus souvent d'un défaut de marketing et nonpas de son application.

L'introduction du marketing dans le champ de la gestion urbaine asouvent souffert – et souffre encore – d'un manque Ă©vident de profes-sionnalisme. Elle est Ă©galement altĂ©rĂ©e par la volontĂ© de transposer hĂąti-vement le marketing d'entreprise, sans prendre en compte la spĂ©cificitĂ©de la gestion urbaine. En d'autres termes, on peut importer la dĂ©marcheet les mĂ©thodes du marketing dans le champ urbain, mais on ne peut pasen importer les objets. La ville n'est pas un produit, mĂȘme si nombreusessont ses composantes qui dĂ©pendent de comportements de consom-mation. Le citadin est un citoyen et pas seulement un consommateur. LamunicipalitĂ© n'est pas une entreprise, mĂȘme si certains de ses servicesou de ses organismes externes fonctionnent selon une logique d'entre-

PPP et marketing urbain

271

prise. Le maire, en tant que dĂ©cideur, est un Ă©lu: ses dĂ©cisions sont poli-tiques avant d'ĂȘtre managĂ©riales.

3.2 Elu, citadin et entreprise

Depuis longtemps, le maire ne peut plus se contenter de gĂ©rer «enbon pĂšre de famille» les deniers de sa commune. ChargĂ© de toutes lesattentes de ses concitoyens, il doit Ă  la fois assurer le dĂ©veloppementĂ©conomique de la ville dans un contexte territorial concurrentiel et entre-tenir les trottoirs dans un contexte budgĂ©taire instable. La question estmoins pour lui de mettre des dĂ©penses en face de ressources que deprovoquer des effets multiplicateurs entre les divers agents Ă©cono-miques et sociaux, et d'attirer de nouvelles forces. «Faire faire plutĂŽt quefaire soi-mĂȘme», «mobiliser le territoire», «renforcer notre attractivité»sont devenus depuis une dizaine d'annĂ©es des leitmotive.

Le maire se doit d'ĂȘtre un stratĂšge. Sous le mot, dont certains sesont trop hĂątivement parĂ©s, il y a la rĂ©alitĂ© d'une mutation de fonction etde comportement. Avec des objectifs qui relĂšvent plus de dynamiquescollectives que d'actions individuelles, avec des moyens propres le plussouvent insuffisants en regard des objectifs poursuivis, le maire se faitpromoteur, mĂ©diateur et catalyseur sur son territoire. Promoteur de pro-jets qu'il ne suffit pas de dĂ©cider mais pour lesquels il faut convaincre.MĂ©diateur entre les citoyens et les pouvoirs Ă©conomiques, mais aussientre les groupes en concurrence au sein de la ville. Catalyseur desforces Ă  mobiliser.

Il ne peut plus se contenter d'une logique de ponction fiscale. Il luifaut maximiser l'échange de ressources et de valeurs entre le dévelop-pement économique de sa cité et son développement urbain (au sensde son aménagement, de ses équipements et services, de sa qualité devie). Il ne suffit pas pour cela de recourir à l'action publique proprementdite; il faut influencer le comportement des acteurs économiques demaniÚre à ce qu'il contribue, directement ou indirectement, aux objectifspoursuivis.

Cette combinaison de la dynamique politique traditionnelle et d'unedynamique économique conduit les élus à transformer et à gérer la villeau profit de deux types d'acteur: les citadins et les entreprises.

Les citadins, ce sont, au sens large du terme, ceux qui habitentdans la ville, ceux qui y travaillent ou les touristes de passage. Ils manifes-tent leur bien-ĂȘtre et leur satisfaction par leur opinion. Cette opinioncontribue Ă  modeler l'image de la ville, Ă  y attirer de nouveaux habitants sicette image est positive. Elle influence directement le vote de ceux quisont Ă©lecteurs. Mais la satisfaction des personnes se traduit aussi dans

P. Noisette

272

leur comportement économique: choix de résidence, d'épargne et d'in-vestissement, stratégie de consommation, par exemple.

Les entreprises, ce sont celles qui animent le marchĂ© local, cellesqui lui apportent des ressources extĂ©rieures grĂące Ă  leur capacitĂ© d'«ex-portation» et celles que l'on cherche Ă  y attirer (pour une localisationphysique ou pour un flux d'Ă©changes). Leurs difficultĂ©s ou leur «bien-ĂȘtre» sur leur lieu d'implantation influencent la qualitĂ© de leur dĂ©velop-pement, et sont riches d'effets induits sur l'Ă©conomie et sur l'amĂ©nage-ment urbain. La vie des entreprises n'est pas sans influence sur les opi-nions (votes des dirigeants et de leur personnel, image de la ville).

Ni les citadins, ni les entreprises ne forment des ensembles homo-gĂšnes et clos sur eux-mĂȘmes. La relation entre les attentes ou les de-mandes des uns et des autres et les rĂ©ponses apportĂ©es par les Ă©luss'inscrit dans un univers doublement concurrentiel.

La demande interne, celle des entreprises et des personnes pré-sentes sur le territoire, est nourrie de concurrences multiples pour l'ap-propriation et l'usage des espaces, pour le choix des services. Cetteconcurrence appelle des politiques de redistribution afin de maintenir lacohésion interne de la ville.

La demande externe, celle des entreprises et des personnes quel'on souhaite voir s'installer sur le territoire, se dĂ©veloppe dans la concur-rence entre les territoires eux-mĂȘmes – espaces disponibles, qualitĂ© devie, services, fiscalitĂ©. Cette concurrence appelle une politique de com-pĂ©titivitĂ© afin de maintenir le dynamisme de la ville. Mais l'exigence decompĂ©titivitĂ© peut avoir des effets centripĂštes importants sur la cohĂ©sionurbaine: privilĂšges accordĂ©s Ă  certains acteurs et exacerbation desconcurrences internes.

L'impératif stratégique du maire est ainsi de concilier compétitivitéexterne et redistribution interne, en jouant du double clavier de la dé-pense fiscale et de la mobilisation des acteurs économiques.

3.3 Dimension stratégique

A la base d'une démarche stratégique, il y a trois interrogations ma-jeures:

● Quelle est l'identitĂ© de la ville?● De quelles concurrences internes et externes est-elle l'objet? Sur

quelles solidaritĂ©s peut-elle s'appuyer?● De quelles ressources propres la municipalitĂ© peut-elle disposer?

Quels partenaires pourra-t-elle trouver au cours de son action?

RĂ©pondre Ă  ces questions, c'est former une vision globale de laville, inscrite dans son histoire et dans ses territoires. Cela constitue la

PPP et marketing urbain

273

toile de fond permanente des projets. Cette vision doit ĂȘtre partagĂ©e parle plus grand nombre: c'est une condition de crĂ©dibilitĂ© des projets eux-mĂȘmes. Elle ne subordonne pas les projets Ă  une interprĂ©tation stan-dardisĂ©e de la demande externe («les entreprises internationales»). Ellerecherche au contraire une articulation optimale entre les facteurs d'at-tractivitĂ© et les dynamiques locales de dĂ©veloppement.

Ensuite, vient la dĂ©finition des objectifs et des cibles de la politiquemunicipale, dĂ©clinĂ©s en termes de prioritĂ©s et de domaines d'action. Le«plan» qui exprime la dĂ©marche stratĂ©gique d'une ville ne se limite pasaux actions que la collectivitĂ© locale prend directement en charge. Il s'in-tĂ©resse Ă  tout ce qui peut informer, stimuler, inflĂ©chir, coordonner ou as-socier d'autres acteurs – en particulier les agents Ă©conomiques privĂ©s –et pousser ainsi les Ă©vĂ©nements dans le sens des objectifs poursuivis.L'approche est essentiellement dynamique: elle se situe dans la durĂ©eet prĂ©voit les Ă©tapes successives; elle s'intĂ©resse aux conditions derĂ©ussite et d'adaptation des projets plus qu'au dĂ©tail de leur dĂ©finitionprĂ©alable. Comme elle vise synergies et effets multiplicateurs, elle s'at-tache Ă  repĂ©rer les hommes et les moyens, dont dĂ©pendront les actions,en mĂȘme temps qu'Ă  esquisser et Ă  sĂ©lectionner les projets dĂ©ter-minants.

Une des caractéristiques majeures d'une démarche stratégique esten effet de prendre totalement en compte l'environnement dans lequelles actions se dérouleront et la dimension humaine de ces actions.

Cette caractĂ©ristique se retrouve dans les modes de faire, comme lemontre le comportement de nombreux maires engagĂ©s dans le dĂ©ve-loppement de leur citĂ©. RepĂ©rer, mobiliser et promouvoir sont trois clefsde leur activitĂ©. C'est pourquoi l'Ă©coute et la parole ont tant de place dansleur emploi du temps. Le maire «stratĂšge» ou «dĂ©veloppeur», pour re-prendre des qualificatifs galvaudĂ©s, rompt avec l'approche technocra-tique, utopique ou dĂ©miurge du maire «urbaniste» des annĂ©es trente ousoixante-soixante-dix. Il faut pour cela que ses services mettent enƓuvre des outils d'information, des mĂ©thodes de travail et des procĂ©-dures de contrĂŽle adaptĂ©s.

En ce qui concerne l'articulation des deux domaines du dévelop-pement économique et du développement urbain (aménagement etservices urbains), les actions induites par le plan stratégique participentde trois ordres:

● L'ordre central de l'action est celui de l'«offre interne» de la ville. Ils'agit essentiellement des produits, des services et des accessi-bilitĂ©s que la ville offre aux personnes et aux entreprises. Ils onten charge de satisfaire au mieux la diversitĂ© des demandes, enrespectant l'Ă©quilibre des impĂ©ratifs de compĂ©titivitĂ© et de redis-tribution que nous avons dĂ©jĂ  mentionnĂ©s.

P. Noisette

274

● L'ordre pĂ©riphĂ©rique de l'action est celui de la «croissance ex-terne». Nous entendons par lĂ  l'ensemble des actions au traversdesquelles une collectivitĂ© locale peut accroĂźtre ses moyens etaugmenter sa capacitĂ© Ă  influencer des phĂ©nomĂšnes, dont onsait qu'ils se jouent Ă  une autre Ă©chelle que celle de son territoirepropre. Cela consiste par exemple Ă  s'appuyer sur des logiquesde rĂ©seaux: rĂ©seaux de villes, rĂ©seaux d'entreprises ou d'orga-nismes reprĂ©sentatifs, rĂ©seaux financiers ou de recherche. Celacomprend Ă©galement les relations entre collectivitĂ©s: associationsintercommunales, financements complĂ©mentaires provenant dela RĂ©gion, de l'Etat ou d'une entitĂ© internationale.

● Le troisiĂšme ordre est celui de la «qualitĂ© de ville». Il est une sortede liant entre les deux premiers: substrat sur lequel ceux-ci se dĂ©-veloppent en mĂȘme temps que rĂ©sultante globale de leur proprequalitĂ©. La qualitĂ© de ville, c'est le niveau des prestations de toutenature qui y sont fournies, et son image vĂ©cue. Cette qualitĂ© deville comporte une part absolue, liĂ©e Ă  l'idĂ©e commune que l'on sefait Ă  une Ă©poque donnĂ©e de la ville, et une part relative aux at-tentes spĂ©cifiques des groupes sociaux et des acteurs Ă©cono-miques dans chaque ville.

3.4 Approche du marketing urbain

C'est dans un tel cadre stratégique que la démarche marketingprend place. Pour nous en effet, le marketing urbain est la mobilisationpar une collectivité locale des méthodes et des outils du marketing, dansle but de mieux répondre aux attentes des entreprises et des personnesen élevant la qualité de la ville et de la vie urbaine, sous la doublecontrainte d'un objectif politique et de l'équilibre budgétaire (fig. 1).

Cette définition concilie plusieurs caractÚres spécifiques du marke-ting urbain:

● La ville n'Ă©tant pas rĂ©ductible Ă  un produit, ni mĂȘme Ă  un en-semble de produits ou Ă  un service, elle ne peut pas ĂȘtre en elle-mĂȘme l'objet d'une discipline visant Ă  dĂ©finir et Ă  vendre des pro-duits et des services. C'est pourquoi le marketing urbain se traduitpar un ensemble coordonnĂ© de dĂ©marches et d'actions qui por-tent sur des composants, des aspects diffĂ©rents de la ville. Il nesaurait ĂȘtre un marketing de la ville elle-mĂȘme.

● Le marketing urbain n'est pas le marketing politique du maire, maisil reste naturellement soumis Ă  l'objectif lĂ©gitime de la dĂ©cision lo-cale. Cet objectif n'est pas un objectif Ă©conomique de profit maisun objectif politique: rĂ©aliser une mission confiĂ©e par mandat.

PPP et marketing urbain

275

● Les moyens mis en Ɠuvre directement par la collectivitĂ© localesont dĂ©terminĂ©s non pas par le profit que l'on peut attendre desrĂ©alisations mais par les ressources dont on dispose au momentde l'action. Certes, les emprunts permettent d'actualiser des ap-ports futurs, comme les effets fiscaux induits par un investisse-ment de dĂ©veloppement Ă©conomique. Mais cette marge de ma-nƓuvre n'infirme pas la rĂšgle fondamentale, constitutive de la re-lation dĂ©mocratique: un Ă©lu n'engage pas ses Ă©lecteurs au-delĂ du mandat qui lui a Ă©tĂ© confiĂ©.

DĂ©veloppement Ă©conomique

DĂ©veloppement urbain

Ressources

Répondre aux attentes des entreprises et des personnes,en élevant la qualité de la ville et de la vie urbaine,

sous contraintes d'objectif politique et d'équilibre budgétaire.

Personnes Entreprises

Stratégie

Territoireacteurs

Services,partenaires

Elu Entreprise

Maire

FIG. 1 DĂ©finition du marketing urbain

P. Noisette

276

Pratiquement, le marketing urbain se diffracte dans un plan«marketing global» et plusieurs plans «marketing sectoriels».

Le plan marketing global porte sur l'image de la ville. Il exprimel'identité et le positionnement de la ville, il valorise et promeut son image,il fédÚre les actions sectorielles en leur fournissant un référent communet une synergie de communication.

Les plans marketing sectoriels sont ceux qui sont dĂ©finis et mis enƓuvre dans les diffĂ©rents domaines d'action dĂ©signĂ©s par le plan stratĂ©-gique, chaque fois que l'action de la collectivitĂ© locale s'effectue dans uncontexte de marchĂ©. C'est le marketing de certains services publics – enparticulier des transports. C'est le marketing de l'agence de dĂ©veloppe-ment Ă©conomique: prospection et implantation d'entreprises nouvelles,mobilisation des entreprises existantes autour d'Ă©quipements et de ser-vices aptes Ă  favoriser leur dĂ©veloppement. C'est encore le marketing de«produits» urbains – rĂ©alisations immobiliĂšres, Ă©vĂ©nements Ă©cono-miques ou culturels – ou, plus largement, le marketing touristique.

Pour chacun de ces services ou de ces produits, on retrouve lecycle de la démarche marketing: études de marché et d'environnement,définition du plan marketing, réalisation des actions, évaluation des pro-cédures et des résultats obtenus.

Notre second schéma (fig. 2) synthétise cette diversité et exprime lacohérence qui doit en naßtre, en faisant plus explicitement référence auxdomaines habituels de l'action municipale.

On peut lire ce schĂ©ma comme une sorte de sphĂšre tournant autourde son axe. Elle symbolise le territoire de la collectivitĂ© locale, qui«tourne», qui Ă©volue dans son environnement. Au sein de ce territoire,le marketing urbain aide Ă  la dĂ©finition, Ă  la mise en Ɠuvre, Ă  la rĂ©ussite etĂ  l'Ă©valuation des actions: amĂ©nagement urbain, services publics, anima-tion et dĂ©veloppement Ă©conomique, renforcement des services auxpersonnes et aux entreprises, constitution de rĂ©seaux dynamiques d'ac-teurs et promotion de reprĂ©sentations favorables Ă  l'initiative et Ă  l'actioncollective.

Certaines de ces actions sont plus proches d'un «axe de rotation»,qui exprime les domaines oĂč le marketing urbain se tourne Ă©galementvers l'extĂ©rieur de la ville, et se prĂ©occupe de la relation entre l'attractivitĂ©de la ville et ses dynamique internes. D'un cĂŽtĂ©, c'est la promotion ex-terne de la citĂ©, qui dĂ©veloppe son image. Cette derniĂšre est situĂ©e Ă  lasurface de la sphĂšre: image interne et image externe sont en effet Ă©troi-tement corrĂ©lĂ©es. De l'autre cĂŽtĂ©, c'est la prospection d'entreprises (etde personnes) externes. A la surface de la sphĂšre, elle se prolonge dansl'accueil des entreprises, dont les produits et les services sont Ă©gale-ment tournĂ©s vers les entreprises prĂ©sentes sur le territoire.

PPP et marketing urbain

277

Au centre de la sphÚre, un outil majeur de développement et depromotion, tourné vers l'intérieur comme vers l'extérieur: les grands évé-nements urbains. Festival culturel ou foire économique, centre perma-nent de rencontres, congrÚs scientifique international ou encore équipede football. Les grands événements urbains sont, pour la ville, une ex-pression de son identité, un foyer d'action collective et de synergies, uncommutateur entre les acteurs locaux et les courants externes.

Evénements urbains

Promotion

Image

Accueil

Prospection

aménagementurbain

représentation,réseau

services aux personnes et aux entreprises

services publics,animation Ă©conomique

Le «produit»

FIG. 2 Axe du marketing urbain

Ce survol de la problĂ©matique et des Ă©lĂ©ments constitutifs du mar-keting urbain ne doit pas faire illusion: nous parlons ici de quelque chosequi n'existe encore qu'Ă  peine. Il est trop tĂŽt pour qu'une vĂ©ritable thĂ©o-rie soit produite et pour qu'elle serve de cadre Ă  une systĂ©matisation desmĂ©thodes. Les expĂ©riences en cours sont trop hĂ©tĂ©rogĂšnes, trop sou-vent partielles et dĂ©sordonnĂ©es pour ĂȘtre utilement capitalisĂ©es, d'au-tant que rares sont les Ă©valuations sĂ©rieuses. Les vrais professionnelssont encore trop rares et se sentent trop en concurrence personnalisĂ©epour «faire rĂ©seau» de leur expĂ©rience. Il y a peut-ĂȘtre dans notre pro-pos autant d'espoir et de profession de foi que d'enseignements tirĂ©s denotre observation et de notre pratique.

P. Noisette

278

4. MARKETING URBAIN ET PARTENARIAT PUBLIC-PRIVÉ

La relation entre le marketing urbain et le PPP se situe au cƓur de larĂ©solution de certaines difficultĂ©s que rencontrent les projets parte-nariaux.

4.1 Connaissance des attentes et des marchés

Nous avons conclu notre prĂ©sentation du PPP en Ă©voquant la dua-litĂ© citoyen-consommateur. Une stratĂ©gie de dĂ©veloppement urbainporte sur la ville elle-mĂȘme, et concerne donc les personnes Ă  la foiscomme citadins vivant ou travaillant dans la ville, comme citoyens au seind'un pĂ©rimĂštre administratif, et comme consommateurs de produits et deservices urbains. On se trouve en prĂ©sence d'une triple attente, hĂ©tĂ©ro-gĂšne voire contradictoire ou conflictuelle. Cette hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© est ac-crue par la diversitĂ© des demandeurs Ă  laquelle doit rĂ©pondre la gestionurbaine: les personnes, mais aussi les entreprises, les associations.Mettre en Ɠuvre une rĂ©ponse Ă  ces demandes (par exemple, dĂ©finir uneopĂ©ration d'urbanisme), c'est les examiner toutes ensemble et formerdes arbitrages, des choix.

Le PPP est, de ce point de vue, le lieu de la confrontation des lec-tures politiques et économiques de la demande, et le lieu d'une coordi-nation, d'une mise en cohérence des arbitrages des partenaires. Encorefaut-il pour cela que chacun de ces partenaires ait une connaissance desdemandes qui le concernent, et qu'ensemble tous puissent identifierces demandes et suivre leur évolution.

A quelles attentes veut-on répondre? Dans quels contextes éco-nomiques et dans quelles dynamiques de marchés?

Au travers de telles questions, ce n'est pas seulement la définitiondu projet qu'il faut nourrir avec réalisme, c'est aussi l'accord des parte-naires sur une stratégie de valorisation, et donc sur le partage des va-leurs qui seront générées par le projet. Cela suppose de produire un en-semble d'informations actuelles et prospectives sur les comportementset les marchés concernés par le projet, et sur ceux qui constituent sonenvironnement.

4.2 Evolutivité du projet et des relations contractuelles

Les produits et les services urbains apparaissent bien souventcomme des objets incontrÎlés: infrastructures inutilisées, équipementslourdement déficitaires, constructions spéculatives. L'un des motifs estque la «production» de la ville et des services publics fonctionne large-

PPP et marketing urbain

279

ment selon une logique d'offre et non pas de demande. Cette attitudedevient d'autant plus dangereuse qu'elle s'accompagne d'une associa-tion partenariale, car elle permet aux rapports de forces entre partenairesde se dĂ©velopper dans le vase clos du projet, sans aucune rĂ©gulation ex-terne. On dĂ©finit dans tous leurs dĂ©tails l'objet Ă  rĂ©aliser et la mission dechacun, on inscrit mot Ă  mot dans les lignes du contrat (et entre leslignes) les «bras de fer» prĂ©sents et Ă  venir, alors que la rĂ©ussite du pro-jet – et du partenariat lui-mĂȘme – demande plutĂŽt souplesse d'ajuste-ment, ouverture aux conditions et aux informations nouvelles. L'enjeun'est pas de parvenir Ă  tout prix Ă  un modĂšle prĂ©-dĂ©fini dans sesmoindres dĂ©tails. Il est au contraire d'ajuster le projet aux capacitĂ©s dumarchĂ© et aux (in)satisfactions qu'il gĂ©nĂšre, afin que la rĂ©alisation, in fine,rĂ©ponde aux attentes auxquelles elle s'adressait, mĂȘme si elle doit pourcela changer en cours de route.

Le PPP devrait ĂȘtre un cadre propice Ă  l'adaptation, pour autant quele projet y soit continuellement observĂ© du point de vue de l'Ă©volutiondes demandes auxquelles il entend rĂ©pondre, et du point de vue de lacapacitĂ© d'Ă©volution des partenaires eux-mĂȘmes et de leur organisationcommune.

Comment offrir au projet les meilleures capacitĂ©s d'Ă©volution?Comment permettre aux partenaires d'adapter leurs interventions sansremettre en cause les bases de leur accord? Comment s'assurer que leprojet reste lĂ©gitime pour son environnement – citoyens et acteurs Ă©co-nomiques –, mĂȘme s'il est modifiĂ© en cours de route?

Les conditions de dĂ©part sont celles d'une information adĂ©quate etd'un contrat rĂ©digĂ© avec intelligence. Mais ensuite, la rĂ©ussite dĂ©pendrades procĂ©dures de communication et des procĂ©dures de contrĂŽle quiaccompagnent le projet tout au long de sa rĂ©alisation, et mĂȘme, le casĂ©chĂ©ant, aprĂšs son achĂšvement. Communication externe: il ne s'agit passeulement de faire de la publicitĂ©, ni mĂȘme d'informer, mais aussi d'ĂȘtre Ă l'Ă©coute et d'ĂȘtre attentif Ă  toutes les opportunitĂ©s de concertation.Communication interne, entre les partenaires: on l'oublie trop souvent, ilne suffit pas d'ĂȘtre d'accord pour s'entendre. Il faut alors contrĂŽler le dĂ©-roulement du projet et l'Ă©volution de son image, en relation avec l'Ă©volu-tion des marchĂ©s visĂ©s. Il faut aussi contrĂŽler les facteurs nouveaux devalorisation et de dĂ©valorisation, externes ou internes au projet, afind'ajuster en permanence la relation entre le projet et son financement.

4.3 Cohérence de la stratégie

L'identification floue des acteurs et la confusion des rĂŽles marquentde nombreux projets partenariaux. Cela est vrai entre les partenaires

P. Noisette

280

«publics» et «privĂ©s», mais aussi entre les «privĂ©s» ou entre les«publics» eux-mĂȘmes. Le rĂŽle de chaque partenaire ne peut ĂȘtre identi-fiĂ© que s'il est rapportĂ© clairement Ă  ses intĂ©rĂȘts propres, Ă  sa connais-sance de ses «marchĂ©s», aux capacitĂ©s et aux moyens qu'il est assurĂ©de pouvoir mettre en Ɠuvre aux diffĂ©rentes Ă©tapes du projet, et enfin Ă ce qui justifie leur mise en Ɠuvre au sein de sa propre organisation. Cen'est qu'en connaissance des rĂŽles que l'on peut parler utilement d'or-ganisation technique et de rĂ©partitions financiĂšres.

Tout PPP doit ainsi se prĂ©occuper de formuler une expression stra-tĂ©gique des choix de chaque partenaire au cƓur mĂȘme du processus deprojet.

On touche ici Ă  une autre dimension de la dynamique partenariale,qui dĂ©passe les problĂšmes d'information et de communication. Il s'agitd'exprimer une dĂ©marche stratĂ©gique dans le «montage» du projet.Quel est l'objectif stratĂ©gique gĂ©nĂ©ral de chacun des partenaires? Quelleest l'expression particuliĂšre de cet objectif stratĂ©gique au sein du projet?Le projet n'a de chances de rĂ©ussir que si ses objectifs sont dĂ©finis dansle domaine de recouvrement des objectifs propres des partenaires. DemĂȘme, le positionnement du projet sur son propre marchĂ© (ou sur lesmarchĂ©s Ă  l'union ou Ă  l'intersection desquels il se situe) doit ĂȘtre compa-tible avec le positionnement habituel de l'offre des diffĂ©rents opĂ©rateurs.

Ainsi, les composantes d'une stratĂ©gie de projet peuvent-elles ĂȘtresuccessivement mises en place en cherchant systĂ©matiquement le plusgrand recouvrement entre les intĂ©rĂȘts propres des partenaires – ou leurplus petit diviseur! Cette prĂ©occupation ne concerne pas seulement ladĂ©finition des accords mutuels, mais aussi, avant cela, le choix mĂȘme despartenaires opportuns.

4.4 RĂŽle du marketing urbain

Face Ă  ces enjeux, on conçoit que le marketing urbain ait deux rĂŽlesĂ  jouer vis-Ă -vis du dĂ©veloppement du PPP: un rĂŽle d'orientation oud'encadrement, en amont du projet, et un rĂŽle instrumental dans la dĂ©fi-nition et la mise en Ɠuvre du projet.

La collectivité locale, qui applique une démarche de marketing ur-bain et qui s'est dotée des compétences et des moyens correspon-dants, dispose des informations et des méthodes lui permettant demieux rechercher et sélectionner ses projets, d'évaluer leur faisabilité etde les disposer dans le temps, de repérer les partenaires potentiels adé-quats. Le marketing urbain joue ici un rÎle d'orientation, dans le cadre dela stratégie de développement de la ville, et à l'issue des arbitrages effec-tués concernant la logique, fiscale ou de marché, de chaque action.

PPP et marketing urbain

281

Ensuite, tout au long du montage et de la rĂ©alisation du projet par-tenarial, la collectivitĂ© locale dispose des armes nĂ©cessaires pour discu-ter avec ses interlocuteurs privĂ©s, non seulement dans la confrontationde logiques diffĂ©rentes, mais aussi dans la connaissance et la maĂźtrisedes paramĂštres proprement Ă©conomiques du projet. La puissance pu-blique se doit de connaĂźtre les marchĂ©s urbains aussi bien – et de prĂ©fĂ©-rence mieux – que ses interlocuteurs privĂ©s, si elle veut les contrĂŽlerutilement. C'est ici la fonction d'encadrement du marketing urbain.

Le marketing urbain est Ă©galement un outil prĂ©cieux au sein mĂȘmedu projet partenarial. Il permet en effet:

● d'associer des objectifs de satisfaction politiques et sociaux etdes objectifs de satisfaction de marchĂ©s de consommation;

● d'inscrire en permanence le projet dans des dynamiques urbainesplus larges, c'est-Ă -dire dans le marketing global de la ville, que cesoit en termes d'image ou de complĂ©mentaritĂ© des actions.

Au service du projet et de ses partenaires, le marketing urbain inscritsa rĂ©ussite dans celle de la ville elle-mĂȘme. Le cas Ă©chĂ©ant, le marketingprivĂ©, spĂ©cifique Ă  telle ou telle composante autonome du projet, pourraĂȘtre mis en Ɠuvre sans provoquer de distorsions prĂ©judiciables.

Dans une entreprise, la fonction marketing est dĂ©veloppĂ©e au ser-vice de l'entreprise elle-mĂȘme, de la rĂ©ussite de ses objectifs. Ce qui lacaractĂ©rise, par rapport aux autres fonctions de l'entreprise, c'est qu'ellerecherche les critĂšres et les conditions de rĂ©ussite en partie Ă  l'extĂ©rieurde l'entreprise elle-mĂȘme. Elle confronte en effet l'objectif propre del'entreprise Ă  un autre objectif, celui de son client. Mais elle n'inverse paspour autant les rĂŽles: le marketing est au service de l'entreprise et nonl'inverse.

Il en va de mĂȘme de la relation entre le marketing urbain et le PPP.La dĂ©cision de recourir Ă  un partenariat – forme de projet et forme d'en-treprise – relĂšve de la dimension stratĂ©gique et non pas du marketing ur-bain, bien qu'il alimente cette dĂ©cision en informations et en orientations.A partir de lĂ , la dĂ©marche de marketing urbain est placĂ©e au service duPPP. Elle dote les partenaires d'un outil compatible Ă  la fois avec la lo-gique Ă©conomique du projet et avec les finalitĂ©s publiques qui sont aussiles siennes.

INDICATION BIBLIOGRAPHIQUE

KOTLER, P., et D. DUBOIS. 1989. Marketing management. Paris: Publi-Union.

283

Chapitre 17

CONVENTION ET CONTRAT:DES OUTILS DE MISE EN ƒUVRE DU PPP

Pierre-Louis MANFRINI

Le thĂšme des dĂ©veloppements ci-aprĂšs est consacrĂ© au PPP(partenariat public-privĂ©) et au rĂŽle du contrat dans ce partenariat. Il n'estpas destinĂ© Ă  fournir des donnĂ©es radicalement nouvelles, mais a l'ambi-tion de complĂ©ter les textes prĂ©cĂ©dents qui concernent le mĂȘme thĂšme.

1. DÉFINITION ET LIMITE

A titre liminaire, il me paraßt nécessaire de définir et de délimiter lepartenariat et ce par rapport aux autres formes de collaboration entrel'administration et les privés. Ainsi que l'a relevé notamment Moor [1992:92 ss], ces formes sont en effet multiples et diverses. Une description decelles-ci, thÚme trÚs vaste comme l'a montré l'étude détaillée de Knapp[1977: 363 ss], dépasserait largement le cadre de cette contribution.

P.-L. Manfrini

284

1.1 Distinction entre mandataire et associé

Le PPP n'est pas assimilable, Ă  mon avis, au cas oĂč le privĂ© estchargĂ© d'exĂ©cuter une tĂąche publique, c'est-Ă -dire une activitĂ© pour la-quelle l'Etat dĂ©tient un monopole. Techniquement, dans cette situationrelativement frĂ©quente, notamment en matiĂšre agricole ou de sĂ©curitĂ©sociale, le privĂ© collabore principalement sur la base d'un acte de dĂ©lĂ©ga-tion de droit public prenant la forme d'une loi ou d'une dĂ©cision adminis-trative. Le privĂ© agit au nom et pour le compte de l'Etat, et il est soumis Ă un pouvoir d'instruction et de surveillance de l'administration.

A cette premiĂšre catĂ©gorie se rattache celle du concessionnaire.Outre le rĂŽle souvent limitĂ© du contrat, la collaboration entre le privĂ© etl'Etat n'est pas celle de partenaires, le privĂ© Ă©tant un auxiliaire subor-donnĂ©. D'ailleurs, sous l'angle Ă©conomique, il n'y a pas partage du risqueĂ©conomique. Le concessionnaire paye une redevance pĂ©riodique fixĂ©ed'avance. C'est le concessionnaire seul qui assume le risque Ă©cono-mique. Certes, pour qu'il y ait dĂ©lĂ©gation du public au privĂ©, il faut uneconvergence d'intĂ©rĂȘts qui lĂ©gitime le transfert de tĂąches. Cependant, ledĂ©lĂ©gataire agit plus comme un mandataire que comme un associĂ©.

Nous pouvons dĂ©duire de ce qui prĂ©cĂšde que le PPP trouve saplace avant tout dans des activitĂ©s privĂ©es reconnues d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ralpar l'Etat (construction de logements, formation professionnelle, cul-ture), ou encore dans des activitĂ©s menĂ©es par l'Etat en concurrenceavec le privĂ©, notamment dans le domaine commercial et industriel(banques cantonales, transports).

Comme le relĂšve Moor [1992: 92], c'est dans ce domaine oĂč laConfĂ©dĂ©ration ou les cantons n'assument pas la responsabilitĂ© premiĂšre,que peut le mieux se dĂ©velopper la collaboration et le partenariat.1 Lepartenariat peut aussi voir le jour lorsque le rĂŽle de l'Etat se limite Ă  la sur-veillance des activitĂ©s privĂ©es (par opposition au contrĂŽle) et Ă  l'Ă©labora-tion d'une rĂ©glementation cadre. La juxtaposition du public et de l'es-pace de libertĂ© conservĂ© au privĂ© peut donner naissance Ă  des formesde collaboration assimilables Ă  du partenariat.

Nous pensons ici Ă  la synergie qui se crĂ©e entre public et privĂ© enmatiĂšre d'autorĂ©gulation d'une activitĂ© professionnelle ou Ă©conomique.L'administration et la profession trouvent un intĂ©rĂȘt Ă  faire usage de ladĂ©ontologie et des rĂšglements professionnels pour surveiller le marchĂ©[Bellanger 1991 et Poltier 1987].

1 Sur le mĂȘme thĂšme, voir Ă©galement ATF 109, 1b, 324.

Convention et contrat: des outils de mise en Ɠuvre du PPP

285

1.2 Contrat sans partenariat

Toujours au stade des dĂ©finitions, il me paraĂźt dangereux de croirequ'il y a partenariat dĂšs l'instant oĂč l'Etat conclut des contrats avec les pri-vĂ©s. La pratique fourmille de contrats. Les administrations publiquesconcluent des contrats d'entreprise pour la construction d'une Ă©cole oud'une route, mandatent des experts (ingĂ©nieurs, architectes) pour Ă©tu-dier tel ou tel aspect d'un projet public.

Les collectivitĂ©s concluent des contrats de bail pour louer des lo-caux destinĂ©s Ă  abriter tel ou tel service. Elles passent de nombreuxcontrats d'achat pour se procurer biens et services, meubles et im-meubles nĂ©cessaires Ă  leurs activitĂ©s. Elles engagent parfois du person-nel sur la base de contrats de travail. Les cantons empruntent en outrede l'argent sur les marchĂ©s financiers et contractent des prĂȘts avec desbailleurs de fonds privĂ©s, par l'intermĂ©diaire d'instituts financiers qui met-tent leur savoir-faire Ă  leur service pour structurer les transactions.

De tels contrats reposent certes sur une concordance de volontĂ©permettant un Ă©change mutuel de prestations. Il s'agit de contrats synal-lagmatiques; il n'y a pas vĂ©ritablement crĂ©ation de communautĂ© d'intĂ©rĂȘtsentre les parties crĂ©ant un rapport d'association au sens juridique duterme. Tout au plus peut-on parler, dans certains cas d'intense collabora-tion, de partenariat lato sensu.

Exemple du CIDEC

Un exemple en la matiĂšre, oĂč coexiste un tissu de conventions etoĂč il est fait largement appel Ă  la collaboration des privĂ©s, est celui del'Ă©limination des dĂ©chets carnĂ©s dans le canton de GenĂšve.

Les communes ont constitué un groupement intercommunal: leCIDEC (Centre intercommunal des déchets carnés). Le canton et legroupement intercommunal ont conclu une convention par laquelle leCIDEC prend en charge, détruit ou achemine vers des centres d'élimina-tion les déchets carnés provenant d'institutions cantonales.

Le CIDEC a ensuite conclu une convention avec la Société patro-nale de la boucherie de GenÚve, par laquelle le groupement intercom-munal a accepté de prendre en charge les déchets animaux produits parles membres de ladite société.

Le CIDEC a, en parallĂšle, conclu un contrat avec GZM (Associationdes maĂźtres bouchers de la Suisse centrale) – qui exploite Ă  Lyss, sousforme d'une sociĂ©tĂ© anonyme de droit privĂ©, un centre d'Ă©limination desdĂ©chets carnĂ©s – par lequel GZM se charge d'Ă©liminer les dĂ©chets duCIDEC.

P.-L. Manfrini

286

Enfin, le groupement intercommunal a signé une convention avecun privé chargé de transporter les déchets et de gérer le centre de tri duCIDEC.

1.3 Entreprise commune

Dans mon esprit, le partenariat au sens strict requiert au minimuml'existence d'un but commun qui réunit les co-contractants et en fait desassociés.

En d'autres termes, le partenariat se crée autour d'une entreprisecommune qui, techniquement, est analysée en droit privé comme unesociété simple au sens des articles 530 et suivants du Code desObligations.

2. NATURE DES ACTIVITÉS ET FORME JURIDIQUE

2.1 Société simple

La société simple est caractérisée par des apports faits par les socié-taires ainsi que par un but commun.

Apports et but commun

Si le principe de l'apport par chaque associĂ© est normalement larĂšgle, la forme de cet apport est libre. Cela peut ĂȘtre des biens, une acti-vitĂ©, un travail, des services, ou toute prestation ayant une valeur Ă©co-nomique [Engel 1992: 462 ss].

La volonté de mise en commun, en vue d'atteindre un objectif dé-terminé en partageant la structure de l'entreprise comme les risques etprofits, caractérise l'«animus societatis» des partenaires de la sociétésimple.

Société simple comme seuil minimal

Si la structure juridique de la sociĂ©tĂ© simple vient d'ĂȘtre dĂ©crite, c'estqu'elle constitue le seuil minimal de la collaboration contractuelle Ă  partirde laquelle on peut, Ă  mon avis, parler de partenariat entre public et privĂ©.

Cela ne change pas le fait que les parties sont libres de donner desformes juridiques plus Ă©laborĂ©es Ă  leur entreprise commune. La sociĂ©tĂ©simple a le «dĂ©faut» de ne pas possĂ©der la personnalitĂ© juridique. ElleprĂ©sente, cela Ă©tant, l'avantage de l'absence de tout formalisme (lecontrat peut ĂȘtre tacite) et dans les rapports entre associĂ©s, les rĂšgles

Convention et contrat: des outils de mise en Ɠuvre du PPP

287

impĂ©ratives sont l'exception. La sociĂ©tĂ© simple est la forme oĂč le contrat,c'est-Ă -dire l'accord des parties, a la plus grande importance.

2.2 Société anonyme

Le mode d'organisation le plus achevĂ© du PPP consiste Ă  faire re-vĂȘtir Ă  l'entreprise commune la forme juridique de la sociĂ©tĂ© anonymedont l'Etat et les privĂ©s sont actionnaires.

Types de sociétés anonymes

Du point de vue technique, trois formules sont possibles [Poltier1983]:

● la sociĂ©tĂ© anonyme de droit public, soit une corporation de droitpublic rĂ©servĂ©e par l'article 763 CO;

● la sociĂ©tĂ© anonyme dite d'Ă©conomie mixte au sens de l'article 762CO donnant droit Ă  l'Etat de dĂ©signer ses propres dĂ©lĂ©guĂ©s auconseil d'administration;

● la sociĂ©tĂ© anonyme de pur droit privĂ© ou sociĂ©tĂ© ordinaire.

La pratique actuelle, notamment dans le domaine de la restructura-tion des banques cantonales, permet de constater que le recours à laforme de société anonyme peut intervenir selon trois schémas diffé-rents:

● la crĂ©ation d'une filiale commune dĂ©tenue conjointement par lesecteur public et le privĂ©;

● la transformation d'une entitĂ© publique en sociĂ©tĂ© anonyme;● la constitution d'une holding commune dans laquelle public et

privé coexistent.

Ouverture au marché des capitaux

La société anonyme, sous les formes décrites ci-dessus, est lastructure la plus fréquemment choisie par les collectivités publiques quisouhaitent s'ouvrir au privé et faire appel au marché des capitaux. Tel estnotamment le cas des banques cantonales (GenÚve, Valais, Jura, parexemple). Cela explique que ce phénomÚne soit assez bien connu etdécrit en doctrine.

Densité normative

Cela étant, dans la société anonyme, les rapports entre les parte-naires sont régis, sauf accord particulier, par la loi et les statuts (article 626CO). C'est une structure juridique pour laquelle la densité normative de la

P.-L. Manfrini

288

rĂ©glementation cadre est Ă©levĂ©e et oĂč le statut a remplacĂ© le contrat pourfixer les droits des «associĂ©s» actionnaires. La rigiditĂ© et le formalisme ju-ridique sont, proportionnellement aux autres formes de collaboration,plus Ă©levĂ©s.

Paradoxalement, nous serions tentés de dire que le statut ne pré-sente pas la souplesse et le caractÚre consensuel qui caractérisent lecontrat de partenariat.

Nous verrons d'ailleurs que si les actionnaires d'une sociĂ©tĂ© ano-nyme entendent, par intĂ©rĂȘt commun, crĂ©er une communautĂ© qui dĂ©-passe celle crĂ©Ă©e par les statuts, ils recourent Ă  la technique du contratd'actionnaires qui juridiquement est assimilĂ© Ă  une sociĂ©tĂ© simple ausens de l'article 530 et suivants du CO. Tel est le cas des diverses sociĂ©-tĂ©s de partenaires dans la production et la distribution d'Ă©nergie [Poltier1987: 237 ss].

C'est en derniÚre analyse la nature des activités gérées en associa-tion entre public et privé qui dicte la forme juridique.

Si, incontestablement, la société anonyme s'impose par l'exerciced'activités économiques mobilisant des capitaux importants en faisant re-cours au marché (Swissair pour le transport aérien, ou les banques),d'autres formes plus souples comme l'association au sens des articles 60et suivants du CCS peuvent convenir, (voir la forme de la coopérativesouvent utilisée dans le secteur de la politique agricole).

2.3 Association de droit privé

Je souhaite évoquer ici un exemple dans le domaine de la formationprofessionnelle. C'est ainsi la forme de l'association de droit privé qui aété choisie par l'autorité et les milieux professionnels, pour donner unestructure promouvant la formation dans le secteur de l'architecture pay-sagiste.

Une association portant le nom de ATCL (Centre de technologieavancée pour architectes et architectes paysagistes) a été créée à cet ef-fet. C'est sur la base d'un contrat de sous-traitance que cette associationgÚre un programme subventionné par la Communauté européennesous l'appellation COMETT. Dans le comité de l'association figurent dedroit deux représentants du Centre horticole de Lullier à GenÚve.L'assemblée générale est présidée par le chef du Département de l'inté-rieur, de l'agriculture et des affaires régionales.

Convention et contrat: des outils de mise en Ɠuvre du PPP

289

2.4 Fondation

Le recours Ă  la structure de la fondation par des partenaires publicset privĂ©s est frĂ©quent dans le domaine de la culture et de la politique del'Ă©ducation (voir l'IDHEAP: Institut des hautes Ă©tudes en administrationpublique, Ă  Lausanne). Il sert avant tout de moyen d'affecter un capital Ă un but d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. L'Ă©lĂ©ment d'association entre partenaires estoccultĂ© dans cette structure juridique qui techniquement n'a ni mem-bres, ni actionnaires.

La pratique dĂ©montre que la crĂ©ation d'une fondation peut s'ac-compagner en parallĂšle de la constitution d'une sociĂ©tĂ© d'exploitationqui, elle, revĂȘt un caractĂšre d'Ă©conomie mixte, voire de sociĂ©tĂ© purementprivĂ©e. Les combinaisons entre diverses structures sont en effet pos-sibles.

3. FORMALISATION DU PARTENARIAT

3.1 Statuts et contrat

Du point de vue formel, le partenariat peut ĂȘtre matĂ©rialisĂ©, nonseulement par un seul mais par plusieurs documents contractuels. Telest le cas, comme nous l'avons vu, lorsque l'Etat et les privĂ©s recourent Ă la forme de la sociĂ©tĂ© anonyme. Le plus souvent, en plus des statuts, lespartenaires souscrivent un contrat d'actionnaires par lequel ils s'accor-dent divers droits et obligations, et ils conviennent de la procĂ©dure Ă suivre pour l'exercice en commun de leurs droits sociaux. Dans les rap-ports internes entre partenaires, les termes du contrat se superposent Ă ceux des statuts.

Nous avons cité plus haut l'exemple de l'ATCL dans le domaine dela formation de l'architecture paysagiste. Le partenariat est ici matérialisé,d'une part, par l'adoption de statuts créant l'association, et, d'autre part,par un contrat de sous-traitance par lequel l'administration confie à l'as-sociation la gestion de programmes de formation subventionnés par laCEE.

3.2 Contrat de partenariat

La technique du contrat de droit privé pour régir le PPP présenteles caractéristiques suivantes:

● le processus contractuel qui caractĂ©rise le partenariat a l'avantagede provoquer un consensus entre privĂ© et public, qui identifie le

P.-L. Manfrini

290

partenaire privĂ© de maniĂšre volontaire aux objectifs d'intĂ©rĂȘt gĂ©-nĂ©ral poursuivis par le secteur public;

● le partenariat permet Ă  l'Etat de bĂ©nĂ©ficier des apports du privĂ©,prenant la forme aussi bien de moyens financiers importants nĂ©-cessaires Ă  l'investissement que de savoir-faire prĂ©cieux en pĂ©-riode de crise budgĂ©taire des collectivitĂ©s;

● la dĂ©finition du contenu des obligations de l'administration et desprivĂ©s par le biais du contrat de droit privĂ© permet de faire l'Ă©co-nomie des contraintes procĂ©durales qui caractĂ©risent le droit pu-blic, que ce soit dans le cadre de l'adoption de lois ou de rĂšgle-ments, ou de la prise de dĂ©cisions administratives unilatĂ©rales;

● le recours au partenariat privĂ© permet Ă  la collectivitĂ© de fairel'Ă©conomie de structures administratives en respectant mieux leprincipe de la subsidiaritĂ© de l'intervention de l'Etat;

● dĂšs l'instant oĂč l'on se meut dans le droit privĂ©, les contraintes ducadre lĂ©gal et rĂ©glementaire sont attĂ©nuĂ©es, ce qui donne unesouplesse accrue Ă  l'instrument;

● le contrat est fondĂ© sur le principe de la fidĂ©litĂ© des associĂ©s et ducaractĂšre obligatoire bilatĂ©ral; celui-ci interdit Ă  l'administrationd'user d'un pouvoir unilatĂ©ral de modification du contrat; celaĂ©tant, les contraintes pour la collectivitĂ© ne sauraient ĂȘtre exagĂ©-rĂ©es; elles peuvent ĂȘtre attĂ©nuĂ©es par des techniques contrac-tuelles relatives Ă  la durĂ©e du contrat et Ă  la rĂ©siliation anticipĂ©e;

● l'utilisation du contrat de droit privĂ© permet le recours Ă  l'arbitragepour gĂ©rer la solution des litiges dans un cadre plus informel quecelui qui caractĂ©rise le contentieux administratif.

3.3 Clauses du contrat de partenariat

Nous terminerons en évoquant briÚvement les principales articula-tions du contrat de partenariat. Celui-ci doit généralement comporter leséléments suivants:

● (aprĂšs la dĂ©finition des parties au contrat) un prĂ©ambule qui n'apas valeur contractuelle mais qui explicite les motifs ayant conduitles partenaires Ă  unir leurs efforts;

● une premiĂšre clause qui est consacrĂ©e au but commun poursuivipar les parties;

● un chapitre, Ă©laborĂ© avec un soin particulier, qui dĂ©finit les apportsou les prestations effectuĂ©s par les parties au contrat. Dans cechapitre figure le descriptif des obligations de chaque partie;

● des clauses qui prĂ©cisent la formation de la volontĂ© au sein del'entreprise commune et qui rĂ©gissent, en cas de besoin, le pou-

Convention et contrat: des outils de mise en Ɠuvre du PPP

291

voir de représentation confié à l'un ou l'autre des associés, res-pectivement à un tiers;

● une clause de durĂ©e et de rĂ©siliation anticipĂ©e avec indication demotif; et une rĂ©glementation du renouvellement du contrat Ă  sonĂ©chĂ©ance;

● une clause qui rĂ©git la liquidation et ses modalitĂ©s;● une clause qui garantit les obligations des parties; clause pĂ©nale;

notamment blocage des titres dans le cadre d'une conventiond'actionnaires;

● une clause de droit applicable et de mode de solution des litiges.

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

BELLANGER, F. 1991. Les rÚglements de déontologie comme moyend'action de l'Etat à la lumiÚre de la Convention de diligence desbanques. In MORAND, C.-A. (éd.). Les instruments d'action del'Etat: 177 ss. Bùle: Helbing & Lichtenhahn.

ENGEL, P. 1992. Contrats de droit suisse. Berne: Staempfli.KNAPP, B. 1977. La collaboration des particuliers et de l'Etat à l'exécution

des tĂąches d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. In MĂ©langes Henri Zwahlen: 363 ss.Lausanne: Association Henri Zwahlen.

MOOR, P. 1992. Droit administratif: l'organisation des activités administra-tives; les biens de l'Etat. Berne: Staempfli, volume III.

POLTIER, E. 1987. Les gentlemen's agreements Ă  participation pu-blique. Revue de Droit Suisse: 367 ss.

POLTIER, E. 1983. Les entreprises d'économie mixte: étude de droitsuisse et de droit comparé. ThÚse à l'Université de Lausanne.

293

SynthĂšse

ENJEUX ET LIMITES DU RECOURS AU PPP

Nicolas METTAN

Ce texte n'a pas pour but de présenter une contribution nouvelle etoriginale. Il reprend, au contraire, quelques-unes des notions et desquestions abordées ci-dessus, et tente d'en faire une synthÚse visant àmieux caractériser le cadre et les limites dans lesquels pourrait ou devraits'inscrire le PPP (partenariat public-privé).

Il ne s'agit Ă©videmment pas d'apporter des rĂ©ponses dĂ©finitives maisbien plutĂŽt de poser quelques jalons qui devraient permettre au dĂ©bat –il commence Ă  peine Ă  s'instaurer dans notre pays – de se poursuivre au-delĂ  des querelles idĂ©ologiques qui ne manquent pas de surgir, dĂšs quel'on aborde la question des rapports entre l'Etat et le privĂ©.

1. DÉFINITION ET FORMES DU PPP

Le terme de PPP est utilisé pour caractériser diverses formes decoopération entre les secteurs public et privé, lesquelles sont d'ailleurssouvent anciennes. Si la notion est aujourd'hui en vogue, c'est qu'elleparaßt répondre aux interrogations actuelles de la société contempo-raine, laquelle doit notamment faire face [Ascher 1991, Heinz 1993]:

N. Mettan

294

● aux profondes restructurations Ă©conomiques en cours qui ren-dent plus intense la compĂ©tition entre les villes et les rĂ©gions;

● Ă  la complexitĂ© croissante des problĂšmes de gestion et de dĂ©ve-loppement Ă  rĂ©soudre, notamment en milieu urbain;

● Ă  la poussĂ©e des idĂ©es libĂ©rales et Ă  la remise en cause du fonc-tionnement de l'appareil Ă©tatique, auquel on voudrait appliquerdes recettes issues de l'Ă©conomie privĂ©e (introduction d'acteursou de logiques privĂ©s dans le domaine public);

● Ă  l'insuffisance de compĂ©tences au sein des administrations pu-bliques et Ă  l'insuffisance globale de leurs ressources financiĂšres,aggravĂ©e par l'augmentation des dĂ©ficits publics.

Ce regain de notoriété doit s'accompagner d'un effort accru de dé-finition et de précision dans l'utilisation de la notion. On peut ainsi, avecAscher, considérer le PPP comme la recherche d'un compromis efficaceentre la définition d'objectifs collectifs publics et leur réalisation par desacteurs privés. Mais il faut aller plus loin et revenir à la définition donnéepar Ruegg, dans l'introduction, en lui donnant une interprétation plusstricte et limitative.

Il convient ainsi, dans un premier temps, de distinguer le PPP dupartenariat public-public – le PPP2 selon Bobbio (chap. 2) ou le partena-riat politique inter-Ă©tatique selon d'autres auteurs – qui, dans uncontexte de dĂ©centralisation, apparaĂźt souvent de maniĂšre complĂ©men-taire au prĂ©cĂ©dent dans la mise en Ɠuvre de politiques ou de projetspublics. Les contrats de plan financĂ©s conjointement par l'Etat et les rĂ©-gions françaises vont notamment dans ce sens en consacrant enquelque sorte le partenariat comme un aspect du processus de planifica-tion et d'exĂ©cution de la mise en valeur des ressources. Intervenant dansles domaines de l'emploi et du dĂ©veloppement local, de la recherche etla formation, des infrastructures de communication et des programmesd'amĂ©nagement du territoire, ces plans donnent aux rĂ©gions un certainpouvoir Ă©conomique tout en assurant la poursuite des objectifs du gou-vernement central.

On peut, dans le mĂȘme esprit, distinguer le PPP du partenariatprivĂ©-privĂ© qui caractĂ©rise, en quelque sorte, les relations entre les en-treprises intĂ©grales et les divers corps de mĂ©tiers ou les adjudicatairesavec lesquels elles collaborent en vue de la rĂ©alisation d'un projet.

De mĂȘme, nous proposons d'exclure du champ du PPP les formesde collaboration du secteur public avec les usagers ou les groupes de ci-toyens dans le cadre d'un processus d'«information-participation», liĂ© parexemple Ă  la rĂ©alisation d'un grand projet d'infrastructure. Nous admet-tons ainsi avec Noisette (chap. 16) que le PPP doit combiner deux lo-giques:

Enjeux et limites du recours au PPP

295

● la logique de l'action publique qui est inscrite dans le contrat socialet la relation dĂ©mocratique;

● la logique de l'action privĂ©e qui se situe dans le cadre de l'Ă©co-nomie de marchĂ© et de la recherche d'un profit.

Le PPP doit donc satisfaire simultanĂ©ment l'attente du citoyen etcelle du client-consommateur. Cela n'enlĂšve Ă©videmment rien de l'intĂ©rĂȘtdes formules d'«information-consultation-concertation» des citoyens quipermettent d'ĂȘtre plus prĂšs de leurs attentes et de renforcer la lĂ©gitimitĂ©des politiques et des projets mis en Ɠuvre, mais ces formules ne peu-vent pas ĂȘtre considĂ©rĂ©es Ă  elles-seules comme constituant une formede PPP. Par ailleurs, il n'y a pas dans ce cas un vĂ©ritable partage des res-sources et des risques ou des profits et des pertes Ă©ventuels.

Il nous paraĂźt ainsi que le terme de PPP devrait ĂȘtre rĂ©servĂ© Ă  desopĂ©rations conjointes, Ă  des formes de collaboration dynamique et inter-active combinant des moyens publics et privĂ©s, et donnant lieu Ă  la miseen place de structures opĂ©rationnelles Ă  la fois publique et privĂ©e, gĂ©nĂ©-ralement matĂ©rialisĂ©es par la crĂ©ation d'une sociĂ©tĂ© (en principe une so-ciĂ©tĂ© d'Ă©conomie mixte) et/ou la conclusion d'un contrat spĂ©cifique. CesopĂ©rations vont donc au-delĂ  des relations juridiques ou administrativesnormales dĂ©coulant par exemple de l'octroi d'un droit de superficie (Ă moins que l'octroi de ce dernier ne soit liĂ© Ă  toute une sĂ©rie d'obligationsmutuelles allant au-delĂ  de la simple mise Ă  disposition de parcelles), del'obtention d'un permis de construire ou de la lĂ©galisation d'un plan. Danscette perspective, le PPP ne devrait englober que les cas d'actions pu-bliques et privĂ©es concomitantes formant un tissu de relations contrac-tuelles et inscrites dans une certaine durĂ©e.

Dans la pratique, cette distinction n'est cependant pas toujours ai-sĂ©e Ă  faire et la dĂ©finition des deux pĂŽles public et privĂ© n'est plus aussinette. Les deux sphĂšres apparaissent ainsi profondĂ©ment interconnec-tĂ©es. Comme le suggĂšre Bobbio (chap. 2), elles constituent deux pĂŽlesqui sont situĂ©s sur un continuum entre le «public pur» et le «privĂ© pur».Par ailleurs, la nature publique ou privĂ©e d'une institution n'est pas tou-jours suffisante pour prĂ©dire son comportement. C'est en tout cas ceque dĂ©montre l'exemple citĂ© par Steiger (chap. 8), oĂč la Ville de Zurich aĂ©tĂ© amenĂ©e Ă  se comporter davantage comme un propriĂ©taire privĂ© quecomme une collectivitĂ© publique.

N. Mettan

296

2. ENJEUX ET LIMITES DU PPP:PETIT TOUR D'HORIZON NON EXHAUSTIF

2.1 But commun Ă  atteindre ...

Il ne peut y avoir de partenariat s'il n'y a pas, au moins partiellement,un but commun Ă  atteindre, un projet Ă  rĂ©aliser. Il faut noter qu'il peutĂ©galement s'agir d'un ennemi mutuel Ă  combattre et contre lequel ons'allie, comme ce fut le cas Ă  Oberhauserriet (chap. 8) – si le PPP est gĂ©-nĂ©ralement orientĂ© vers l'action, cette prĂ©cision permet de rappeler qu'ilne vise pas forcĂ©ment le changement, et donc que le maintien du statuquo peut aussi ĂȘtre une option jouable.

On retrouve ici le premier terme de la relation de dĂ©pendance-indĂ©-pendance prĂ©sente au sein du PPP dont traite Ruegg (chap. 6). On peutla rapprocher de la notion de mariage, ou plutĂŽt de celle de mĂ©nage,moins exclusive et qui fait rĂ©fĂ©rence Ă  une association volontaire, libre-ment consentie et inscrite dans une certaine durĂ©e. Cette collaborationexclut donc le mariage forcĂ©. Un mariage forcĂ© n'est jamais le gage d'unevie harmonieuse, surtout si l'un des deux partenaires est tentĂ© deprendre seul les rĂȘnes du mĂ©nage.

Elle nĂ©cessite en outre que chacune des parties trouve soncompte, retire des avantages Ă©quitables d'une rĂ©alisation en commun.C'est ce que souligne Heinz [1993: 21] lorsqu'il cite l'expĂ©rience de laVille de Cologne, oĂč une sociĂ©tĂ© a Ă©tĂ© fondĂ©e en 1988 pour restructureret valoriser l'emprise de vingt hectares de l'ancienne gare de marchan-dises au centre-ville. La ville espĂšre ainsi

«pouvoir participer Ă  la dynamique et Ă  la professionnalisationdes acteurs privĂ©s, elle espĂšre participer aussi Ă  la distributiondes marges de profit pour qu'elle puisse rĂ©aliser des Ă©quipe-ments rĂ©putĂ©s moins rentables» [Heinz 1993: 21].De leur cĂŽtĂ©, les acteurs privĂ©s«sont intĂ©ressĂ©s Ă  la coopĂ©ration aussi bien par la garantiefournie concernant la mise en Ɠuvre du projet que par les faci-litĂ©s qu'offrent dans ce cadre les relations avec les instancespubliques» [Heinz 1993: 21].De façon comparable, dans un projet similaire, la Ville de Francfort

s'est donnĂ©e pour objectifs de conserver son influence sur les modalitĂ©set les orientations du projet, d'ĂȘtre associĂ©e aux rĂ©sultats Ă©conomiqueset de prĂ©server l'efficience et la flexibilitĂ© du processus global [Heinz1993: 23).

Enjeux et limites du recours au PPP

297

2.2 ... mais des rÎles différents à respecter

La rĂ©alisation d'un projet commun (ou en commun) n'exclut pas unecertaine indĂ©pendance, une autonomie liĂ©e au caractĂšre spĂ©cifique dechacun des partenaires. Au contraire, cette diffĂ©rence doit non seule-ment ĂȘtre maintenue mais cultivĂ©e et exploitĂ©e. Pour reprendre le motde Paul ValĂ©ry, il s'agit bien «de nous enrichir de nos diffĂ©rences mu-tuelles».

Il faut relever ici que la tension et le conflit ne sont pas absents desrelations de partenariat, comme l'évoquent Remy et Lechat (chap. 11), etinsister sur leur rÎle moteur pour l'élaboration de solutions créatives, in-novatives et efficaces. Contrairement à une idée largement répandue enSuisse, qui veut que le conflit soit considéré comme une perturbationdes relations ou de l'ordre social à éviter par tous les moyens, il convientde l'admettre comme une réalité consubstantielle à toute société etd'apprendre à le gérer pour en faire un facteur de progrÚs, une occasionde découverte et de transformation.

Entrer dans un partenariat implique donc de bien connaĂźtre le par-tenaire, de comprendre ses motivations, sa logique d'action et sescontraintes. Celles-ci peuvent ĂȘtre rendues, de maniĂšre un peu caricatu-rale, par le besoin de lĂ©gitimitĂ© et la soumission au contrĂŽle dĂ©mocratique(pour le secteur public) et la recherche de la rentabilitĂ© et du profit (pourle secteur privĂ©).

Le partenariat ne pourra en outre fonctionner correctement que sices diffĂ©rences sont reconnues et maintenues. Il faut en effet Ă©viter uneconfusion des rĂŽles. Car si la justification de la dĂ©fense d'intĂ©rĂȘts collec-tifs, Ă©voquĂ©e par certains opĂ©rateurs privĂ©s dans des interventions ur-banistiques dans les grandes villes (Ă©laboration de plans stratĂ©giques,crĂ©ation de parcs scientifiques, par exemple), peut ĂȘtre considĂ©rĂ©ecomme une chance, c'est-Ă -dire comme le signe positif d'une nouvellecohĂ©sion de la citĂ©, elle est dangereuse par le dĂ©faut de contrĂŽle dĂ©mo-cratique et l'absence de lĂ©gitimation politique qu'elle peut reprĂ©senter.

Le partenariat exige donc des partenaires forts, des rapports deforce «équilibrés» qui signifient notamment que l'Etat puisse continuer àagir en tant que garant de la définition et du respect des rÚgles du jeu.Ces rÚgles du jeu peuvent porter sur la compétition que peuvent se livrerles entreprises, par exemple pour l'accÚs à un marché public (maintiend'un environnement économique sain par le respect des conditions so-ciales et salariales, lutte contre le dumping, intégration des retombéeslocales). Elle peuvent aussi porter sur la garantie de l'accÚs des citoyensau processus de décision et viser à lutter contre le risque d'exclusion despartenaires.

N. Mettan

298

On peut ĂȘtre d'accord avec Klein [1991] lorsqu'il prĂ©sente le PPPcomme une alternative Ă  l'exclusion dans un contexte de privatisationexacerbĂ©e – dans le domaine social notamment, le retrait de l'Etat de-mande Ă  ĂȘtre compensĂ© afin de lutter contre l'exclusion provoquĂ©e par lemarchĂ©, via le mĂ©canisme des prix. Mais le PPP reprĂ©sente lui aussi unrisque d'exclusion en privilĂ©giant un partenaire au dĂ©triment d'autres po-tentiellement intĂ©ressĂ©s. Une maniĂšre de limiter ce risque dans le do-maine des marchĂ© publics est de distinguer clairement les phases, Ă  sa-voir de garantir les conditions de la compĂ©tition (compĂ©tition la plus ou-verte possible) lors de l'appel d'offres et d'envisager une collaborationrelativement fermĂ©e ensuite. Rien n'empĂȘche Ă©galement que les opĂ©ra-tions soient fragmentĂ©es dans le temps et qu'elles conduisent Ă  de nou-veaux appels d'offres, de façon Ă  rĂ©instaurer pĂ©riodiquement la concur-rence. Cette possibilitĂ© reste cependant souvent thĂ©orique, notammentdans le cas de grands projets complexes qui nĂ©cessitent des compĂ©-tences Ă©levĂ©es et qui sont donc peu accessibles, ou accessibles Ă  unnombre limitĂ© d'entreprises.

2.3 Compétences à acquérir

La nĂ©cessitĂ© d'ĂȘtre en prĂ©sence de partenaires forts au sein d'unPPP pose Ă©galement le problĂšme des compĂ©tences dont ces derniersdoivent disposer. On voit souvent dans le PPP un moyen de pallier ledĂ©ficit de compĂ©tences des collectivitĂ©s publiques, notamment au ni-veau local. Comme le montrent Remy et Lechat (chap. 11) dans l'exem-ple du projet de centre commercial Ă  rĂ©aliser au centre de Louvain-la-Neuve, cela ne va pas sans risque. Pour pouvoir ĂȘtre crĂ©dible dans lanĂ©gociation avec les promoteurs privĂ©s – il s'agit de savoir jusqu'oĂč alleren Ă©vitant la rupture –, les reprĂ©sentants de la collectivitĂ© publique doi-vent se doter d'une capacitĂ© d'expertise propre ou, au besoin, faire ap-pel Ă  des experts extĂ©rieurs, si possible largement reconnus dans la pro-fession.

Dans cette perspective, il nous semble que les reprĂ©sentants descollectivitĂ©s publiques doivent encore faire un gros effort pour surmonterla rĂ©ticence (et l'ignorance?) dont elles semblent faire preuve Ă  l'Ă©gard del'argent et du profit. Ils doivent d'abord admettre que le profit n'est pas il-lĂ©gitime ni forcĂ©ment le fruit d'opĂ©rations dĂ©lictueuses et ensuite ap-prendre Ă  l'estimer, au moins grossiĂšrement, de maniĂšre Ă  pouvoir en re-vendiquer une part Ă©quitable. Il est en effet frappant de constater com-bien en matiĂšre d'amĂ©nagement du territoire, la question du prĂ©lĂšve-ment de la plus-value rĂ©sultant des mesures d'amĂ©nagement peine Ă ĂȘtre abordĂ©e ouvertement et sereinement par les professionnels de

Enjeux et limites du recours au PPP

299

l'amĂ©nagement. On constate une tendance similaire dans le domaine dela gestion des dĂ©chets oĂč l'Etat a tendance Ă  totalement privatiser ce quirapporte (en crĂ©ant parfois des situations de monopoles qui sont par ail-leurs contraires aux rĂšgles de l'Ă©conomie de marchĂ© auxquelles on se rĂ©-fĂšre pour justifier la privatisation!) et Ă  assumer seul ce qui coĂ»te. Certes,si l'on veut Ă©viter la confusion des rĂŽles dont on parlait plus haut, la re-vendication d'une part du profit par la collectivitĂ© publique doit ĂȘtre sou-mise Ă  contrĂŽle. Mais cela peut ĂȘtre fait en imposant une affectation dĂ©-terminĂ©e au profit. Par exemple, il peut servir Ă  couvrir des opĂ©rationsnon rentables dans un domaine voisin ou Ă  rĂ©duire des subventions ver-sĂ©es par les collectivitĂ©s de rang supĂ©rieur, comme dans le cas deLouvain-la-Neuve.

La rĂ©flexion sur les compĂ©tences peut encore ĂȘtre prolongĂ©e[Ascher 1991] en se demandant si les opĂ©rations de PPP ne conduisentpas Ă  des dĂ©qualifications des collectivitĂ©s publiques ou si, au contraire,elle peuvent constituer (mais Ă  quelles conditions et dans quelle me-sure?) un moyen pour les collectivitĂ©s publiques d'accĂ©der Ă  un plushaut niveau de compĂ©tences et de performances, grĂące Ă  la captation etĂ  la capitalisation des savoirs et des savoir-faire issus du privĂ© et mobilisĂ©sdans des opĂ©rations de PPP.

2.4 Nécessité d'une contractualisation des rapportsentre partenaires

Pour nous, le PPP doit se matĂ©rialiser par la crĂ©ation d'une sociĂ©tĂ©et/ou la signature d'un contrat ou d'une convention spĂ©cifique dĂ©finis-sant les modalitĂ©s de la coopĂ©ration et de sa gestion. Dans ce contexte,force est de reconnaĂźtre qu'en Suisse nous manquons d'instrumentsappropriĂ©s du type SEM (SociĂ©tĂ© d'Ă©conomie mixte), GIE (Groupementd'intĂ©rĂȘt Ă©conomique) ou ZAC (Zone d'amĂ©nagement concertĂ©), quiexistent en France. L'avĂšnement des formules de PPP coĂŻncide pour-tant avec un renouvellement de la pensĂ©e sur le thĂšme du «contrat» etde la «convention» en philosophie politique, en droit et en Ă©conomiepolitique. Cela est notamment dĂ» Ă  l'intĂ©rĂȘt que reprĂ©sente le contratcomme instrument de lutte contre le risque et les incertitudes auxquelssont confrontĂ©s les agents [Brousseau 1993: 23-24]. En effet, le contratpermet de stabiliser l'environnement des agents et donc de rĂ©duire l'in-certitude, par exemple en rĂ©glant les modalitĂ©s des transactions futures.Il est Ă©galement un moyen de mutualiser les consĂ©quences de l'incerti-tude, par exemple en se soutenant mutuellement en cas de conjoncturedĂ©favorable. Il peut enfin amĂ©nager un traitement collectivisĂ© de l'infor-mation et une «spĂ©cialisation-rĂ©partition» cohĂ©rente des tĂąches.

N. Mettan

300

En clarifiant et en stabilisant les relations entre partenaires, le contratpermet également d'instaurer entre eux l'indispensable relation deconfiance. Il est nécessaire pour cela que soit évité le phénomÚne du«passager clandestin», par lequel on évite de déclarer ses préférencesde maniÚre à pouvoir bénéficier d'un bien ou d'un service sans avoir à lepayer.1 Dans le cas du PPP, cela peut se traduire par le fait qu'un parte-naire ne soit pas incité à respecter ses promesses parce que son com-portement n'est pas observable par l'autre. Il doit donc exister une cer-taine transparence, une certaine lisibilité des actions de chacun des par-tenaires.

Enfin, le contrat permet au PPP de s'inscrire dans une certaine du-rée, soit au minimum celle nécessaire à la réalisation du projet ou, mieux,celle incluant sa gestion de maniÚre à s'assurer de ses retombées posi-tives pour les collectivités publiques. Ceci peut notamment se concréti-ser via des engagements réciproques au niveau de l'exploitation ou de lamaintenance de bùtiments réalisés en commun. La responsabilité despartenaires, notamment les partenaires privés dans le cas d'uneconstruction à caractÚre public réalisée en entreprise intégrale, est ainsiengagée au-delà de l'opération, ce qui oblige souvent à mener une ré-flexion trÚs soignée en amont (lors de la planification) pour éviter dessurcoûts au niveau de l'exploitation.

La gestion de la durée implique également que les temps, les hori-zons de référence des acteurs soient harmonisés: le privé a besoin quedes délais précis soient fixés et respectés pour s'engager. Elle pose en-core d'autres questions déjà évoquées plus haut comme le risque d'ex-clusion et la création de monopoles, lesquels constituent un risque deblocage de véritables innovations technologiques, les entreprisescréées grùce au monopole rachetant les patentes d'innovation pour lesfaire disparaßtre dans les tiroirs. Ces problÚmes sont bien documentéspar Knoepfel et Benninghoff (chap. 7).

2.5 Vers une conception plus pragmatique de la planification

Bien qu'orientĂ© vers la rĂ©alisation, le recours au PPP a Ă©galementdes consĂ©quences sur la maniĂšre de concevoir l'Ă©laboration d'un plan oud'un projet. Ce qui paraĂźt toutefois devoir ĂȘtre mis en Ă©vidence, c'estl'Ă©mergence d'une philosophie de la planification, qui est plus fortementmarquĂ©e par le pragmatisme Ă©conomique et qui reconnaĂźt ouvertementĂȘtre dĂ©pendante des conditions et des Ă©volutions du marchĂ©. Il s'agit

1 Cela renvoie au problÚme de l'impossibilité de l'exclusion dans le cas desbiens collectifs.

Enjeux et limites du recours au PPP

301

donc d'aller vers une rĂ©conciliation des intĂ©rĂȘts de l'urbanisme et de lapromotion Ă©conomique. Ces deux domaines devraient ĂȘtre considĂ©rĂ©scomme les deux facettes indispensables et complĂ©mentaires de toutepolitique de dĂ©veloppement. Il n'y aurait dĂšs lors plus de rĂ©ticence Ă  en-gager le plus tĂŽt possible des coopĂ©rations avec les acteurs Ă©cono-miques.

La question qui se pose dans ce contexte est de savoir si le PPP nes'applique qu'Ă  des zones urbaines en dĂ©veloppement ou Ă  forte profi-tabilitĂ© potentielle, ou s'il peut Ă©galement concerner des zones en criseou en stagnation dans des quartiers dĂ©favorisĂ©s. Nous manquons en-core d'Ă©lĂ©ments de rĂ©fĂ©rence suffisants pour nous prononcer, mais ilsemble bien que les formes de PPP dont on parle ici n'offrent guĂšre deperspectives lĂ  oĂč une rentabilisation suffisante des investissements pri-vĂ©s ne peut ĂȘtre assurĂ©e.

On peut enfin se demander si les politiques et les urbanistes sontprĂȘts Ă  s'engager sur la voie d'un urbanisme plus opĂ©rationnel et parte-narial. La crise actuelle les y pousse et on peut espĂ©rer de leur part unregain de luciditĂ© qui les amĂšnera peut-ĂȘtre Ă  percevoir les limites de laplanification volontariste et Ă  admettre cette pensĂ©e de Cocteau:

«puisque les Ă©vĂ©nements nous Ă©chappent, feignons d'enĂȘtre les organisateurs».

3. CONCLUSION: UN DÉBAT QUI DOIT SE POURSUIVRE

Le PPP est indiscutablement dans l'air du temps et il offre des pers-pectives intéressantes, tant pour renforcer l'efficacité de l'action descollectivités publiques que pour déjouer les incertitudes et la complexitécroissantes auxquelles sont confrontés les agents économiques.

Il faut toutefois se demander s'il ne constitue pas une mode passa-gÚre, liée aux discours politiques ambiants et aux difficultés momenta-nées des collectivités publiques à faire face à leurs obligations, ou s'il estla traduction plus profonde des restructurations en cours au sein dessystÚmes administratifs.

Quoi qu'il en soit, le débat et l'étude critique des expériences faitesdoivent se poursuivre afin d'éviter de surestimer les potentialités et lesrésultats de la coopération publique-privée, en ignorant les problÚmesqu'elle pose ou en mettant en avant son aspect innovant sans se soucierde son utilité réelle, notamment pour le partenaire public.

Au terme de cet ouvrage, nous devons alors admettre que plu-sieurs questions demeurent ouvertes comme celle-ci qui est fondamen-tale: les solutions partenariales et contractuelles sont-elles réellement

N. Mettan

302

plus efficaces et plus efficientes que les formules traditionnelles? Voilàqui devrait inciter à poursuivre les réflexions sur le thÚme du PPP.

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

ASCHER, F. 1991. Les principes du nouvel urbanisme. Sociedade eTerritorio Juin, 13: 119-126.

BROUSSEAU, E. 1993. Les théories des contrats: une revue. Revued'économie politique 103, 1: 1-81.

HEINZ, W. 1993. Le développement urbain par le partenariat public-privé:le point de vue allemand. Paris: MinistÚre de l'équipement(document de travail).

KLEIN, J.-L. 1991. Proximités spatiales et distances sociales: le partena-riat comme voie de développement local. Chicoutimi: Universitédu Québec à Chicoutimi (document de travail).