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DU PASSÉ... ET DE L'AVENIR DE L'EPS... REVENIR A PIERRE SEURIN ? PAR C. PRÉVOST L'une des figures les plus illustres de ce qu'il faudra bien appeler un jour « l'Ecole Bordelaise d'Education Physique et Sportive » paraît, à travers ce que nous lisons ici et là, revenir pour ainsi dire à la mode. Pierre Seurin était, comme d'au- tres, pratiquement « parti hors les murs » du coté de la Gymnastique volontaire et vers la Présidence de la Fédération inter- nationale d'Education Physique. Il de- meure difficile à lire : la « thèse de Lou- vain » est introuvable. Un tardif ou- vrage : « Problèmes fondamentaux de l'Education Physique et du Sport » (1), (pratiquemment inconnu), reste : « Vers une Education Physique et Sportive mé- thodique », paru en 1949 et fréquemment réédité à Bordeaux. De surcroît, l'essentiel nous paraît être le lien très étroit qu'unissait Pierre Seurin et Jean Château, qui devait être nommé en 1951 professeur de philosophie à la Faculté de Bordeaux, mais qui avait enseigné la philosophie à Bordeaux et à Pau. Les deux hommes se retrouvaient l'été dans la même vallée pyrénéenne, ne I manquant sans doute pas de chercher un I discours commun du côté de cette « Pé- dagogie Générale » sur quoi le Recteur Hubert avait publié un « Traité » en 1942 (Collection Logos, chez Félix Alcan). Il faut dire que cette discipline était alors tenue pour philosophique (2). Elle énon- çait des « méthodes » qui étaient des visions du monde avant d être des collec- tions de procédés ou d'objectifs. On disait les fins d'abord ; les moyens vien- dront ensuite et il demeure vrai qu'un technicien peut fabriquer une bombe atomique : ce n'est pas à lui de dire s'il faut l'employer. Nos jeunes collègues, qui bâtissent ce qu'on a heureusement ap- pelé « l'ingénierie didactique » (3) dans un modèle qui semble raffiné, mais qui confond fins et moyens auront intérêt à méditer sur cette époque, moins révolue qu'on ne le penserait. Nous nous appuie- rons, pour le montrer, sur quelques pages de « Vers une Education Physique et Sportive méthodique » dans la réédition de 1956, chez Bière, de Bordeaux. PHOTO : ARCHIVES REVUE EPS EPS № 219 SEPTEMBRE OCTOBRE 49 Revue EP.S n°219 Septembre-Octobre 1989 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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DU PASSÉ... ET DE L'AVENIR DE L'EPS...

REVENIR A PIERRE SEURIN ?

PAR C. PRÉVOST

L'une des figures les plus illustres de ce qu'il faudra bien appeler un jour « l'Ecole Bordelaise d'Education Physique et Sportive » paraît, à travers ce que nous lisons ici et là, revenir pour ainsi dire à la mode. Pierre Seurin était, comme d'au­tres, pratiquement « parti hors les murs » du coté de la Gymnastique volontaire et vers la Présidence de la Fédération inter­nationale d'Education Physique. Il de­meure difficile à lire : la « thèse de Lou-vain » est introuvable. Un tardif ou­vrage : « Problèmes fondamentaux de l'Education Physique et du Sport » (1), (pratiquemment inconnu), reste : « Vers une Education Physique et Sportive mé­thodique », paru en 1949 et fréquemment réédité à Bordeaux.

De surcroît, l'essentiel nous paraît être le lien très étroit qu'unissait Pierre Seurin et Jean Château, qui devait être nommé en 1951 professeur de philosophie à la Faculté de Bordeaux, mais qui avait enseigné la philosophie à Bordeaux et à Pau. Les deux hommes se retrouvaient

l'été dans la même vallée pyrénéenne, ne I manquant sans doute pas de chercher un I discours commun du côté de cette « Pé­dagogie Générale » sur quoi le Recteur Hubert avait publié un « Traité » en 1942 (Collection Logos, chez Félix Alcan). Il faut dire que cette discipline était alors tenue pour philosophique (2). Elle énon­çait des « méthodes » qui étaient des visions du monde avant d être des collec­tions de procédés ou d'objectifs. On disait les fins d'abord ; les moyens vien­dront ensuite et il demeure vrai qu'un technicien peut fabriquer une bombe atomique : ce n'est pas à lui de dire s'il faut l'employer. Nos jeunes collègues, qui bâtissent ce qu'on a heureusement ap­pelé « l'ingénierie didactique » (3) dans un modèle qui semble raffiné, mais qui confond fins et moyens auront intérêt à méditer sur cette époque, moins révolue qu'on ne le penserait. Nous nous appuie­rons, pour le montrer, sur quelques pages de « Vers une Education Physique et Sportive méthodique » dans la réédition de 1956, chez Bière, de Bordeaux.

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49 Revue EP.S n°219 Septembre-Octobre 1989 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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Pierre Seurin et les méthodes

Les textes de : « Vers une E.P.S. méthodique » déclarent vouloir tirer un trait sur les ancien­nes Méthodes (la majuscule est constante). Mais c'est en tant qu'elles se sont fait la guerre. Certes encore, Seurin veut que sa propre Méthode débouche sur une « pro­grammation » (ce qui ne veut pas dire « réfé­rentiel ») nationale mais il veut essentielle­ment « fixer des buts » (et non des « pro­jets »). Aussi bien l'essentiel est-il ramassé dans la page 4. Avant de l'analyser, nous voudrions dire que l'erreur à nos yeux com­mise par nos jeunes collègues, commenta­teurs de ces textes, a été de croire que Seurin voulait mettre de l'ordre dans l'éclectisme syncrétique en 1945 en s'appuyant sur les sciences, notamment physiologiques. En fait, les « S.T.A.P.S. » n'ont « rattrapé » les scien­ces physiologiques - au risque de ne se cram­ponner qu'à un seul aspect de celles-ci - que dans les années 70, quand elles se sont aban­données au discours bio-informationnel. C'est, pour lui, bien davantage des sciences humaines, qu'il faut attendre l'inspiration directe et plus précisément de l'ami Château, à qui l'on doit, plus qu'aux physiologistes, le souci de développer la totalité du complexe neuro-musculaire » (p. 7) axe de l'unité de l'organisme, et cheval de bataille de la psy­chologie française depuis 1910. Ce thème, au demeurant s'articule, sur le mode psychopé­dagogique, avec celui de la culture générale. Nous voudrions développer en premier ce­lui-ci.

« Apprendre à apprendre » ....

La phrase qui nous semble essentielle (p. 4) est celle-ci : « L'éducation physique est la

partie de l'éducation générale qui utilise comme moyen l'exercice physique. Elle est une éduca­tion par l'exercice physique ». L'affaire est entendue. Il existe, nul ne le conteste, une éducation générale. L'éducation physique en est l'aspect physique. La notion d'exercice renvoie à Platon et à tout ce qui, en pédago­gie, désigne l'activité, généralement répéti­tive, et ayant sa valeur en elle-même. Cela signifie qu'aux yeux de Seurin, le problème de la légitimité de l'éducation physique ne se pose pas. Il y a incontestablement, à se représenter que cette question, aujourd'hui obsédante, au point, selon nous, de stériliser aussi bien la théorie que la pratique, n'est guère apparue que dans les années 1960. Il y a naturellement de nombreuses causes, parmi lesquelles la transformation des ENSEPS, et, à travers l'apparition de « sessionnaires », l'introduc­tion de la recherche scientifique au sein même de l'éducation physique (il n'y a pas de recherche mathématique dans l'enseignement secondaire des mathématiques). Or, plus on sait de choses, plus on s'aperçoit qu'on en ignore. La fraîcheur se perd et à la bourse des valeurs qu'est aux yeux de Bachelard, l'épis-témologie, le « titre E.P. » s'effondre. Du coup, on s'avise que le professeur d'E.P.S. est méprisé (en fait tout dépendait des person­nes, et dans certains des conseils de profes­seurs auxquels nous avons, dès 1949, parti­cipé, certains enseignants d'E.P.S. étaient rois, quand des représentants de disciplines théoriquement nobles se tenaient, cois, dans leur coin). Partie motrice (donc incontournable) de la formation générale, l'E.P. concourt nécessai­rement à la « culture générale ». (Nous pen­sons, avec Y. Adam, que l'existence de quel­

ques dizaines de « culturistes » se reprodui­sant dans les music-halls, empêche les mi­lieux de l'E.P.S. de se donner la notion -su­perbe - de culture physique et que c'est abusif.). Cette notion de « culture générale » a été très critiquée : 1. On l'a assimilée à celle de 1'«honnête homme » du XVIIe siècle, et déclarée inac­tuelle : mais que mettre à la place ? 2. On l'a jugée élitiste, ce qui n'est sans doute pas faux, mais on doit admettre sa souplesse, puisque son « centre » qui fut les « humani­tés », s'est déplacé vers les mathématiques, ce qui se trouve fort contesté aujourd'hui. 3. Château a consacré d'innombrables textes à ce thème et l'osmose Seurin-Château est ici totale. Château accepte la définition célèbre d'E. Herriot : « La culture est ce qui reste, quand on a tout oublié ». D'où chez Seurin, le refus de ce qu'on appellerait l'évaluation des résultats. II n'y a pas à apprendre un sport comme si on devait le pratiquer toute sa vie, puisque l'homme cultivé se reconnaîtra à ce qu'il aura oublié cet apprentissage. Sans doute se gargarise-t-on volontiers, dans les milieux de l'E.P.S., de la fameuse formule de P. Parlebas « l'E.P.S. sera scientifique ou ne sera pas ». Mais on ne cherche pas à connaître le contexte de la formule et ni ce que P. Parlebas voulait dire par « scientifi­que ». Nous avons déjà affirmé (voici 20 ans ans dans cette même Revue) combien les S.T.A.P.S. (pour utiliser ce néologisme) ont du mal à se donner une autre conception de la science que celle de A. Comte (1810) mofidié par M.P.E. Littré (1870)... En tout cas, il y a un débat à introduire sur ce que signifie la formule (latente depuis les années 1920) « apprendre à apprendre » par quoi on prétend assigner à l'Ecole un but

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L'hébertisme peut manière l'idée de la « méthode spo

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nouveau. Que veut dire, « apprendre à ap­prendre » ? Ou plutôt, quels moyens utiliser car la chose ne va pas de soi. La formule se rattache plus ou moins à la « poussée profes-sionnaliste » qui a pris comme premier vi­sage, celui de « l'Ecole ouverte », comme visage actuel, l'idée qu'il faut revaloriser les L.E.P., ou, à l'Université, préparer directe­ment à un métier (4). Fort bien. Tout ceci paraît aller contre la diffusion d'une « culture générale », caractérisée essentiellement par son désintéressement, voire son « inutilité ». Mais on nous dit en même temps, que les professions se modifient constamment, qu'il faut donc adapter l'élève à sa future obliga­tion de changement. Notre âge peut être ce qui nous fait penser, comme Seurin, que c'est la « culture générale », en tant qu'elle ne vise pas directement un résultat, qui peut le mieux former l'élève en ce sens. Le pluralisme, l'éclectisme sont davantage ici que des exi­gences démocratiques. Ils sont « utilitaires ». Seurin acceptait que l'on pût dire « être fort pour être utile », par surcroît.

La base de l'E.P.S.

Il y a le moyen et la fin. Encore la « force » peut-elle être largement définie. La force est un tout dont l'E.P. cultive la dimension motrice, ce qui implique « l'exercice ». Assurément l'E.P. n'a pas, là comme ailleurs, à être traitée à part. « Apprendre à appren­dre », c'est apprendre à changer (de travail, de résidence, voire de valeurs), ce qui n'est pas une mince affaire. Il y a probablement un « savoir de base » (lire, écrire et compter) que l'école a peu à peu oublié d'enseigner au profit de la connaissance de l'art corinthien

ou des colonnes doriques. Il y aura, de même, bien sûr, une gymnastique de base « qui envisage avant tout le développement des quali­tés fondamentales et accessoirement les acqui­sitions techniques nécessaires à la pratique des sports ou même des métiers »... Il faut par l'exercice, « élever les possibilités générales d'adaptation » (p. 17). On voit, par le langage qu'utilise Seurin, se profiler une théorie des niveaux qui est dans la tradition française la plus pure.

L'effort, clef de l'E.P.S. et du moi total

C'est donc, croyons-nous, essentiellement, sur une psychopédagogie de l'effort qu'est fondée la méthode préconisée par Seurin pour unifier ce qu'avaient, en effet, émietté les Instructions officielles idéologiques de 1945. «L'exercice physique n'est utile qu'en fonction de ses résultats sur le plan de la formation et de l'éducation corporelle et men­tale (5). Il n'est en somme qu'une « objectivation de l'effort » (6) et c'est surtout l'effort qui compte et qui est éducatif» (p. 4). Ce primat de l'ef­fort, ainsi formulé, pose un problème sérieux à l'historien de la psychopédagogie et de la psychologie générale. On peut voir, derrière Seurin, une fois de plus, l'ombre de Château et au-delà de celle-ci, le souvenir d'Alain. L'appui sur Alain est constant depuis les premières publications de ce dernier auteur et dans les milieux d'éducateurs physiques, notamment chez ceux qui se montrent réti­cents à l'égard d'une pratique sportive hâti­vement considérée comme « ludique » (7). En fait Alain était philosophe et moraliste. Ce radical-socialiste n'avait rien d'un homme de

système, et ses idées n'ont pas de fondement scientifique déterminé. Il n'est pas aisé de définir le jeu chez l'enfant (plusieurs de nos « thésards » et les candidats à l'agrégation en 1988 s'y sont cassé les dents) (8). En fonction de quels critères pourrait-on dire qu'une activité est, chez l'enfant, ludique ou sérieuse (on dit, en même temps, qu'à en croire Alain, l'enfant ne veut pas qu'on joue à l'école, et qu'à suivre Wallon l'enfant joue avec sé­rieux...) ? Alain voulait moraliser les maîtres, trop portés, selon lui, à entendre les sirènes de l'éducation nouvelle, comme des appels à la facilité. Seurin entend cet avertissement mo­ralisateur, comme, en un sens Château (qui avait, le premier, reconnu dans le jeu enfan­tin, l'élaboration de règles spontanées). Ce­pendant il n'y a pas d'ouvrage chez Château systématiquement consacré à l'effort. L'inspi­ration venant d'Alain n'est sans doute pas exclusive chez Seurin.

L'effort est de l'ordre du sentiment et du moi...

On trouve des thèmes du même genre chez le Recteur Hubert (qui distingue soigneusement entre méthodes intuitives - le laisser-aller - et méthodes actives - qui exige un effort bien adapté), chez Debesse, chez Burloud et chez Pradines (lequel produit un « Traité de psy­chologie générale » dans la même collection que « le Hubert »). Et il y a une racine commune à tous ces auteurs, l'ouvrage énorme, paru en 1926-28 sous la plume de Janet, « De l'angoisse à l'extase » (Paris, Alcan), sans doute le livre le plus important de toute la psychologie française. Si nous croyons que Seurin, directement ou indirectement, voire confusément, s'inspire de Janet, c'est par l'emploi d'une formule entre guillemets (« l'exercice est... en quelque sorte... une objectivation de l'effort ») et pru­dente on le voit. La question est centrale chez Janet. Pour celui-ci, les deux premiers senti­ments (l'effort et la fatigue) sont « subjecti-vants » et renvoient le sujet à la constitution de son moi. Les deux derniers (joie - succès et tristesse - échec) renvoient à l'arbitrage de la réalité et sont donc « objectivants ». C'est de l'articulation de ces quatre sentiments que nait l'adaptation du moi à la réalité (ce que Piaget appellera « équilibration »). Or, Seu­rin déclare que l'exercice est « l'objectivation de l'effort », ce qui, en toute rigueur, confirme le fait que l'effort est en lui-même, « subjectivant ». L'exercice est tout bonne­ment la conduite observable (ob-jective) sous-tendant l'effort subjectif. Mais il ne s'agit pas du tout des résultats, puisque Seu­rin stimulé fermement par Château, exclut que l'E.P. (et sportive) puisse aboutir à un apprentissage technique, précis (en dehors des capacités de base utilisées dans tout effort) qui enfermerait le sujet dans un savoir déterminé et, pour peu que la réalité évolue, stérilisant. Au demeurant, c'est bien la forma­tion du moi qui est visée, à travers une formu­lation singulière, dont nous admettons volon­tiers qu'elle pose plus de problèmes qu'elle n'en résoud, ce qui en prouve, au demeurant, le caractère scientifique. La formule est en italiques dans le texte de la page 4 (9). Voici

L'exercice est... en quelque sorte ... l'objection de l'effort

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ce texte : « le problème consiste donc à trouver des séries d'exercices, physiologiquement vala­bles par nature (10), et qui. par leur variété, leurs formules possibles d'utilisation, exigent de tous les élèves un effort régulier et progressif, qui les fait participer activement à leur propre formation, les conduit à découvrir leur « moi » et à se libérer ».

Le moi libératieur est à « découvrir » ...

Les exercices doivent être variés et les formu­les d'utilisation donner lieu à des combinai­sons « possibles » : pluralisme et souplesse devant une réalité mouvante et qui peut l'être de plus en plus : il s'agit de s'attacher à tous les élèves (ce qui implique le respect de la singularité de chacun et d'éviter l'échec) ; il convient que l'effort soit « régulier et pro­gressif ». Nous disons qu'ici Seurin anticipe sur la notion de bio-rythme individuel, d'une manière qui, dans le détail des exercices, apparaîtra remarquable. Que les élèves disent « participer activement à leur propre forma­tion » est l'hommage rituellement rendu, 30 ans après sa formation, à l'école nouvelle. Mais la notion de moi est singulière dans l'emploi qu'en fait Seurin. Les élèves vont être conduits à « découvrir » leur « moi » et à se libérer... L'enchaînement des idées est clair : la liberté vient de ce qu'on dispose d'un moi fort susceptible d'imposer des vou­loirs et de s'opposer aux déterminismes natu­rels. Mais nous avons été intrigué par l'em­ploi du verbe « découvrir ». La psychologie française est plutôt, à l'endroit du « moi », « constructiviste ». Le moi se construit, par un effort précisément régulier et progressif (sauf, sans doute, chez Wallon, où les crises et les ruptures briseront la régularité). L'idée que ce moi soit « découvert », c'est-à-dire préexistant, est surprenante (on pense à Jung, et Seurin a pu lire l'ouvrage de Baudoin : « Découverte de la personne », qui fut très célèbre en son temps). Il peut s'agir d'un lapsus, mais nous serions attentif à toute information qui nous viendrait de collègues à ce propos. Il est bien clair, en tout cas, qu'un tel « pro­jet » (si nous osons dire) intègre, sans que Seurin se pose le moindre problème, la gym­nastique de Ling, celle de Demeny, ainsi que l'Hébertisme (Seurin admet qu'il puisse y avoir des gestes « naturels » chez l'homme. 11 les énumère, comme Hébert, en oubliant, bien sûr, la sexualité. L'hébertisme peut concilier d'une certaine manière l'idée de gymnastique de base et la « méthode spor­tive »).

La nature de l'effort est d'être conflit. L'effort est, par essence, dialectique

11 est clair aussi que la présence de l'effort au cœur de la découverte du moi confirme la présence de l'éducation physique au sein de l'éducation générale (présence qui n'a nul besoin, au demeurant, d'être confirmée, car cela va de soi). Pour Maine de Biran, l'effort était l'équivalent du cogito cartésien, c'est-à-dire le principe dont on peut déduire le monde dans son ensemble. Il était, d'une manière étonnamment prémonitoire, psycho­somatique et impliquait l'unité de l'orga­nisme. Si je fais effort pour soulever une table, il y a, en premier lieu conflit (et Janet - dans toute son œuvre - posera au premier plan le conflit, cosmique et personnel, de l'effort et du contre-effort, dans une dialecti­que réelle dont Lagisquet n'avait pas la moindre idée). Les termes du conflit sont d'un côté : le

vouloir (que Maine de Biran appelle, par erreur, force « hyper-organique », quand il veut dire « supra-organique »), de l'autre, non pas comme on le croirait vulgairement, la table, mais bien l'inertie de mon muscle. Renforcer le muscle est donc donner plus de champ d'action au vouloir, c'est donc renfor­cer le moi et l'on voit très clairement où se situe Seurin. Cela peut-il servir à renforcer l'effort intellec­tuel ? On sait aujourd'hui combien est, au sens propre du mot, puéril, le discours de tous ceux qui, s'appuyant sur Wallon et Piaget (mystérieusement confondus dans l'étrange Piageon-Wallet dont nous nous sommes di­verti durant 30 ans), veulent absolument que l'amélioration de la motricité du lycéen de terminale ait, au nom de l'unité de l'orga­nisme, un effet heureux sur ses résultats en mathématiques. La motricité, sans doute, est la base, mais tout est joué à 3 ans.

L'effort dans les disciplines « intellectuelles »....

Cependant l'apprentissage des mathémati­ques suppose un effort. Quel est le contre-effort ? Contre quelle inertie s'exercera le vouloir dans cette discipline ? La question fut longtemps interdite, tant les mathématiciens étaient convaincus que « la logique interne de leur discipline » était si aveuglante qu'il fal­lait assurément être débile pour ne s'y point laisser entraîner. Depuis la thèse de Josette Allia en 1974, on s'est mis à étudier l'échec en mathématiques en des termes nouveaux. La résistance est dans le moi : on a découvert que les mathématiques étaient en rapport étroit avec l'affectivité (le « trac » avant le contrôle dans cette discipline est au maxi­mum), que les énoncés pouvaient être mala­droits (que peut vivre un enfant recueilli par la D.D.A.S.S. devant un problème qui com­mence par « maman va au marché avec 250 F... »), que la géométrie est en rapport avec le schéma corporel. L'apprentissage est là aussi lié à un effort qui met en jeu et « découvre » la personne entière. L'effort se partage-t-il ? Se morcèle-t-il ? Est-il différent selon les domaines ? On peut discuter, mais l'habitude de l'effort, quant à elle, est une, et c'est sa mise en œuvre qui constitue la mé­thode de Seurin. Il n'est pas interdit, bien sûr, fut-ce au censeur du lycée qui établit un emploi du temps, de distinguer entre des efforts (ou disciplines) physiques et des ef­forts intellectuels. Mais la science des bio­rythmes n'est pas à un tel point de dévelop­pement qu'on puisse dire que les efforts physiques ne sont à leur place que l'après-midi. On peut parfaitement les concevoir le matin, à titre de mise en train globale (les publicistes qui offrent une certaine image des after-shave n'ont pas travaillé sans étude scientifique préalable !), encore que la pro­babilité qu'existent des lois humaines des bio-rythmes soit pratiquement nulle.

Les niveaux d'intégration

En tout cas, là où Seurin déborde Janet (qui distingue la joie - objectivante - de l'effort

PIERRE SEURIN... Un enseignant, un sportif

1929 - Elève maître à l'Ecole Normale d'Institu­teurs de la Gironde. 1937 - Champion de France Universitaire de saut à la perche. 1936 - Concours d'entrée à l'ENSEP (classé n° 1). 1938/1945 - Professeur d'E.P. (Collège de Libourne) - (prisonnier évadé) - (Lycée de Périgueux). 1945/1967 - Directeur du CREPS de Bor­deaux. 1968/1974 - I.P.R. de la Jeunesse et des Sports.

Un militant • Délégué Départemental de la Ligue Fran­çaise d'E.P., puis Secrétaire Général en 1945. • Vice-président de cette fédération devenue Fédération Française d'E.P. et de Gymnasti­que volontaire. • Principal initiateur du Mouvement « Gym­nastique Volontaire » en France (1949). • Délégué National de la Fédération Interna­tionale d'E.P. en 1949, Secrétaire général en 1958 et Président en 1971.

Un chercheur • Docteur en E.P. de l'Université de Liège (Belgique). • Prix de l'Académie Nationale de Médecine (France) pour sa thèse « Recherches expéri­mentales sur la fatigue et l'entraînement ».

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-subjectivant), en étant plus que Janet, fidèle à la tradition jacksonienne de l'éclectisme français, c'est dans le rapport qu'il introduit (dans la perspective d'Alain, qui n'analyse pas) sur un thème comme celui-ci, formulé à propos des « exercices construits de forme localisée » : « Ces notions ne s'opposent nul­lement à la notion de joie, dans les leçons. Le plaisir qui nait de l'effort volontaire et discipliné est un plaisir élevé, spécifiquement humain (11). Il résulte du sentiment de maîtrise corporelle, d'une affirmation de supériorité de l'esprit et du corps ». (p. 9). Sans doute Seurin ne mécon­naît pas le fait qu'on puisse opposer l'ensem­ble « exercice construit - devoir - travail » au système « exercice libre - jeu - plaisir » (p. 8), mais cette opposition n'a de sens que pour qui ignore le fait que la personnalité est construite de niveaux d'intégration. Certes les « exercices construits de forme localisée » paraissent délimités et non « intégrés » en tant que tels. Ils le sont de fait par le plaisir, à son niveau élevé qui est joie, qu'ils procu­rent dans l'effort.

« L'hygiènisme » de Seurin : un cliché L'absence de dialectique : un autre cliché...

On est ici loin de « l'hygiénisme » par quoi on résume la « doctrine » de Seurin. En fait la notion d'hygiène apparaît fréquemment, mais il est intéressant de noter une évolution : dans les textes de 1949 et suivants, on note (par exemple : 1955, p. 4) que « l'éducation physi­que a. pour parmi ses buts essentiels, celui de contribuer, conjointement avec d'autres fac­teurs (alimentation, hygiène) au perfectionne­ment et à l'affermissement des qualités de santé ». L'hygiène est ici l'un des moyens, parmi d'autres, destinés à conserver la santé. Nous croyons pouvoir affirmer qu'à l'époque (il est dangereux de ne pas s'en souvenir), l'hygiène renvoyait au fait de se laver et la santé au fait de n'être point malade (12) (no­tion plus limitée que le trop connu silence des organes). Au demeurant la préoccupation de santé est le premier niveau (en bas) de l'édu­cation ; au-dessus on trouve le développe­ment de la valeur sociale. Au plus haut niveau, on doit viser la formation mentale. Tout ceci correspond au schéma de Jackson et les textes de Seurin démarquent exacte­ment la hiérarchie des tendances selon Janet, dès lors que ce dernier les superpose en trois niveaux : moteur (organique), affectivo-so-cial, cognitif (mental). C'est dans le sens de cette inclinaison vers la psychologie qu'il faut comprendre ce dépassement de l'éclectisme (p. 6). « Compte tenu des données scientifiques actuelles (d'ordre biologique, psychologique, pédagogique, etc.) (13). nous répétons qu'il faut sortir franchement du cercle des discussions vaines, et. pour cela, nous ne devons plus penser en « hébertiste ». « suédiste », « culturiste », « sportif», etc.. mais simplement en éducateur physique ». Plus tard, le terme d'hygiène re­couvrira tous les aspects de la santé définie surtout et brusquement comme adaptation à un milieu en évolution. B. Paris (14) étudie fort bien comment Lagis-quet. au nom d'un certain matérialisme dia­

lectique, condamne Seurin (dans la Revue même que dirige ce dernier : « L'homme sain ») sous le prétexte qu'il n'effectue pas « une vraie synthèse, au sens dialectique du mot, qui soit véritablement un progrès, un développement. Seurin serait en situation de n'aller point au-delà d'un éclectisme de la compromission.

La formation et l'application : quel concert ?

Quoi qu'il en soit, Seurin opère des distinc­

tions, nouvelles sans doute, en E.P., qu'il oppose parfois, mais où il opère des dépas­sements par intégration. Cela vaudra pour une distinction à laquelle Seurin revient obs­tinément dès lors qu'il envisage le concret de l'activité : la formation et l'application : il sait qu'il n'est pas ici l'initiateur. On trouve ces termes chez Tissié en 1922 et chez de nombreux auteurs étrangers (cités page 14 de « Vers une éducation Physique méthodique » édition de 1955) (15) : « Sans doute la distinc­tion est-elle trop raide, elle ne « satisfait pas entièrement notre raison ». mais elle est carac­térisée par une « indéniable commodité » et il

Le plaisir qui naît de l'effort volontaire est un plaisir élevé...

Nous ne devons plus penser en hébertiste suédiste, cultiriste ... mais simplement en éducateur physique

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EPS N° 219 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 1989 53 Revue EP.S n°219 Septembre-Octobre 1989 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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ne s'agit rien d'autre que d'une «classifica­tion ». Elle constitue un progrès, en tout cas. par rapport aux discours anciens qui provo­quaient non seulement l'opposition dialectique, mais bel et bien la guerre ». Cette modestie de Seurin n'est qu'apparente, et il y a, dans l'opposition des exercices de formation et des exercices d'application, un climat particulier dont l'évocation, chez cet autodidacte qu'est Seurin, est limitée, mais réelle. Les pages 12 et 13 de l'ouvrage auquel nous nous référons sont très malaisées à décrypter, mais elles nous paraissent s'éclairer en fonction de la distinction janetienne de l'objectivant et du subjectivant auquel nous avons déjà fait allusion et qui structure, explicitement, le présent texte. Pour résumer au plus près, les « exercices de formation » ont un « but exclusif », qui est, dirait Janet, subjectivant : « d'ordre interne seulement », « exercice pour soi » (ils doi­vent être « construits », mais tantôt « locali­sés », tantôt « globaux », ce qui implique une théorie sous-jacente des niveaux d'intégra­tion). Les « exercices d'application » sont, au contraire, des exercices (« objectivants ») d'adaptation à des facteurs extérieurs (engin, obstacle, adversaire, équipe). Piaget ayant reconnu Janet pour son « maître », on peut évoquer dans ce cas, « l'accommodation ». Dans le cas des exercices de formation le but est d'ordre « interne » ; dans les exercices d'application le but est « extérieur ».

Seurin, systémiste par anticipation ?

Mais il faut opérer une seconde distinction, où Seurin dépasse le schéma dialectique lui-même, pour mettre en place un « sys­tème » avec rétro-action de type circulaire, fort prémonitoire. Pour les deux types d'exer­cices, il faut distinguer le but immédiat et le but lointain. En ce qui concerne les exercices de formation, le but immédiat (subjectivant) est l'amélioration corporelle et mentale, le but lointain consiste dans « les adaptations diverses au milieu » (on notera le pluriel). Pour les exercices d'application, le but im­médiat est l'adaptation à l'objet, mais le but lointain est le but immédiat des exercices de formation, c'est-à-dire « l'amélioration cor­porelle et mentale ». On semble tourner en rond et le « systémisme » de Seurin paraît -

comme bien d'autres plus modernes - se ramener à un cercle vicieux. Il n'en est rien : on sort, par le pluriel que nous signalions plus haut, du but lointain des exercices de formation (donc aussi des exercices d'appli­cation, indirectement cette fois) : « les adap­tations diverses au milieu ». On retrouve, sous une forme simple et concrète, la formule logomachique, qui tient lieu de pensée aux actuels éducateurs de tout poil : « apprendre à apprendre ». La programmation résultera de la mise en rapport de cette intention complexe avec les circonstances matérielles, locales, avec la personnalité du maître et celle des élèves. On peut rêver d'un « référentiel national » ? Il ne peut être qu'une indication. C'est évidem­ment le bon sens même.

Le problème du sport

C'est sur ce point que l'on attend sans doute le commentateur de Seurin. B. Paris raconte fort bien, par exemple à travers les palinodies péremptoires de Lagisquet comment les te­nants de la Méthode Sportive (au sens res­treint que donnèrent à cette notion Maurice Baquet - l'initiateur, semble-t-il -, puis Mé-rand et Lagisquet lui-même, appuyés bientôt par la F.S.G.T. et les organisations profes­sionnelles correspondantes) parurent s'impo­ser à Seurin, pour finalement « triompher » en 1967. La lecture des quelques pages dis­ponibles de Seurin, à quoi s'ajoute la prise de connaissance de textes de Château aimable­ment communiquée par notre ami le Profes­seur Jacques Thibault (le dernier des grands bordelais ?) nous a conduit à la conclusion nuancée que voici : Seurin ne s'est pas op­posé à l'utilisation de la Méthode Sportive, mais à son monopole. On le sait, ce que l'on sait moins, c'est que l'adversaire résolu du sport était Château et qu'on doit imaginer Seurin freinant Château dans leurs promena­des estivales au long de leur vallée pyré­néenne. On rétorquera que Château pouvait connaître le sport à travers ce que lui en disait Seurin, lequel lui ouvrait largement les co­lonnes de sa Revue. Mais Château n'avait nul besoin d'un lieu complaisant pour faire connaître son sentiment à l'égard du sport. Dans un ouvrage paru chez Nathan en 1960

« La culture Générale » - titre hautement significatif - vient, en exergue, un texte de l'Américain Kantor (daté de 1951) et que nous transcrivons in extenso comme le fait Château : « Je rencontrai récemment un pro­fesseur d'éducation physique d'une école très réputée de l'ouest de New-York. Je lui deman­dai ce qu'il faisait en gymnastique. Il répondit : « J'enseigne le basket-ball ». « Pourquoi ensei­gnez-vous le basket-ball ? » demandai-je poli­ment. Il sourit avec patience et dit : « Vous voyez : je suis le professeur de gymnastique ». « Oui, je comprends, mais ce qui m'intéresse, c'est la manière dont vous considérez votre fonction de professeur de gymnastique. Que faites-vous, en fait, pour les enfants dans vos classes de gymnastique ? » «Je leur enseigne, dit-il, les règles du jeu et comment faire des paniers ». « Oh, je vois », dis-je. Et j'avais vu ». Commencer un ouvrage consacré à la culture générale par une référence à l'éducation physique est déjà remarquable. Mais, l'idée sous-entendue étant que la culture est ce qui reste quand on a tout oublié, observer un « professeur de gymnastique » qui enseigne le basket-ball d'une manière qui dépose cette activité chez le futur adulte d'une façon indé­lébile, c'est s'interdire d'en faire un homme cultivé : nous voyons un Seurin bien plus nuancé accepter l'éducation sportive (en face d'un partenaire, d'un adversaire, d'une équipe) au sein des exercices d'application, qui visent immédiatement l'adaptation à « l'objet », mais dont le but lointain est l'amé­lioration corporelle et mentale.

Le sport est-il socialisant?

On trouvera chez Château des critiques du sport qu'on ne trouve guère formulées de nos jours et que la diffusion médiatique du phé­nomène, à partir de 1960, ne paraît pas avoir modifiées chez lui. Nous les retrouvons en 1959 (« Les intérêts éducatifs dans l'éduca­tion physique » in : L'homme sain » - dé­cembre 1959) comme en juillet 1969, dans la conférence introductive du congrès mondial de Strasbourg (« Réflexions d'un profane sur les activités sportives» ). Les activités sporti­ves, selon Château, sont « abstraites » (l'ad­jectif, chez Seurin, veut dire, banalement, « intellectuel » ou « idéologique »),

OUVRAGES DE P. SEURIN - La gymnastique corrective à l'école pri­maire, 1944, 4 éditions (épuisé). - L'éducation physique et l'école, 1946, Edit. R. Samie, Bordeaux (épuisé). - Recherches expérimentales sur la fatigue et l'entraînement, 1951, Ed. Bière, Bordeaux. - Vers une éducation physique méthodique (en collaboration), 1949, Ed. F.F.G.E., Paris, Nouvelles éditions en 1951,55 et 60 (épuisé). - L'éducation physique méthodique ; livret de l'instituteur, 1953, Ed. Bière, Bordeaux. Nouvelles éditions en 1954,57 et 59 (épuisé). - L'éducation physique dans le monde (en collaboration), 1961, Ed. Bière, Bordeaux. - Problèmes fondamentaux de l'éducation physique et du sport, 1979, Ed. de la Violette, l'Union.

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c'est-à-dire, éthymologiquement, séparées. Elles se déroulent dans le monde social, mais elles donnent lieu à de petits groupes séparés, ayant leurs règles, leur mode de fonctionne­ment, sans rapport avec la société générale. Château pense que celui qui s'y abandonne est un moi faible qui s'y engloutit comme dans une secte : la probabilité la plus forte est qu'il n'en sorte pas « normalement », et si Château cite le nom de champions de haut niveau qui s'en sont « tirés » de façon heu­reuse, il marque que le phénomène est excep­tionnel. Sans doute, on dira que cette description correspond au sport de haut niveau et non pas au sport pratiqué - dans tel ou tel cadre -à l'école. Mais les médias ont fait que le modèle du sport de haut niveau s'est imposé, ce qui fait que la compétition sportive n'est plus la compétition érigée par le progrès humain ou le dépassement de soi. C'en est une manière de caricature dérisoire. C'est en tout cas : premièrement un amalgame insupportable que de confondre compétition sportive et émulation normale ; deuxièmement une er­reur de croire que la compétition (ou l'émula­tion) et au cœur du processus éducatif. On doit le comprendre tout autrement comme un mouvement d'abord personnel de construc­tion de soi, au sujet duquel on peut craindre, notamment à l'adolescence, des dérapages dangereux - dont l'émergence d'une folie pour le sport. Mais là, sagesse doit prévaloir. Il reste, certes, au fond de l'homme, une énergie d'essence universelle, mais le par­cours des degrés humains suppose que cette énergie soit contrôlée et non pas étalée pour elle-même. On a enterré Darwin voici deux ans pour la deuxième fois : l'idée de sélection naturelle n'est plus retenue par personne et

Karli [1] lui-même reconnaît tout l'arbitraire de la notion « d'homme agressif ». A en croire Château il n'y a pas d'intérêt ou de plaisir qui ne soit fondé en profondeur sur l'accomplissement de l'énergie universelle. Mais l'homme doit rester l'homme, et tout est dit. Quand on imagine que Château était l'homme que Seurin, dans le monde de la science, fréquentait, au plus près, on décou­vre ses nuances et la richesse d'un éclectisme synthétique, appuyé non seulement sur une théorie des niveaux, mais plus curieusement encore, sur un « systémisme » en avance de 30 ans !

Conclusion : Seurin visionnaire

Nous pensons que l'homme Seurin, que nous avons dit autodidacte, qui était savant d'em­prunt et dont le style, non spontané, marque quelque suffisance pontifiante, apporte des intuitions géniales, nous le redisons, qui ont marqué son parcours. Répétons les : • Le problème de la légitimité d'une E.P.S. ne se pose pas, puisqu'il doit exister une éduca­tion générale, conduisant à la culture géné­rale, et que, tout naturellement, l'E.P.S. en est la dimension motrice. • L'unité de l'organisme s'exprime par l'ef­fort, qui est l'énergie psychosomatique, la­quelle permet de franchir les étapes du déve­loppement de l'esprit. L'effort implique le conflit entre un vouloir (l'énergie intériorisée) et une résistance : en E.P.S. on sait que la résistance est le muscle. C'est seulement depuis 1970 que les autres disciplines s'intéressent à leur propre didac­tique et tâchent de découvrir, parfois à travers

l'expérience de l'échec scolaire, dans la disci­pline, où se situe la résistance. Elle est tou­jours complexe (il serait naïf, de même, de réduire un échec en E.P.S. à la « faiblesse » d'un muscle), mais l'effort, d'apparence intel­lectuelle, semble bien, psychologiquement, relever d'une unité de l'organisme en état de mobilisation globale. Dès lors l'E.P.S. est la condition vraisemblable d'un progrès global (dont une expression naïve pourrait s'expri­mer par : « être bien dans sa peau », malgré la connotation passive de la formule). • Ce développement sera assuré à la condi­tion qu'une discipline scolaire ne se hâte pas à l'excès vers la professionnalisation ou la spécialisation (ce qui revient à remettre en selle la notion de mécanismes de base et de culture générale). A la rigueur, on peut concevoir une préparation scolaire au sport de haut niveau, mais l'expérience des sections sport-études prouve que rien n'est simple. • On peut concevoir qu'une E.P. relevant de l'Education Nationale soit dispensée le ma­tin, fut-ce pour amorcer dans le muscle l'ef­fort ; une éducation sportive professionnelle peut se concevoir sous une autre égide admi­nistrative à d'autres moments. Elle n'irait pas, avant un âge déterminé, sans risque.

Il nous semble que ces réponses peuvent être fournies à des questions bientôt d'actualité...

Claude Prévost, Professeur

Sciences Humaines Cliniques, Paris VII

(1) Publiés en 1979 chez un éditeur « confidentiel » de Toulouse. (2) Nous avons la conviction que Seurin tenait les faits physiologiques pour une « intendance » qui ne man­querait pas de suivre. Il en restait, pour cette science, à Ling et à Démeny, malgré la « thèse de Louvain ». (3) Ce modèle vient au demeurant tout droit de l'indus­trie. (4) Nous avons le sentiment que, depuis un an, la demande des entreprises à l'endroit de l'Université se fait moins « pointue ». (5) Seurin va à la ligne, signe de style sentencieux d'autodidacte. (6) On notera les guillemets. (7) Voir, à cet égard, la très remarquable mise au point de J. Ulmann dans le n° 6 de la Revue « Sciences et Motricité ». (8) Le programme actuel de l'Agrégation d'E.P.S. met ensemble « la mobilisation » et « l'amélioration » des ressources : il renvoie à l'effort. Si l'on dit « Ça s'amé­liore ; on démobilise », on vise le repos. (9) Nous nous référons toujours à « Vers une éducation physique méthodique » Bordeaux - Bière Edition de 1955. (10) « L'intendance suivra », nous le redisons. (11) C'est Seurin qui souligne. (12) Dans les années 1950, un programme fut introduit en Faculté de médecine qui portait sur « l'hygiène mentale ». Un ami, agrégé de psychiatrie, nous de­manda ce qu'il fallait entendre par là. Lui-même ne comprenait pas. (13) On notera que le vague de la formulation récuse tout fanatisme scientifique. (14) In revue S.T.A.P.S. ; Ecrit 1 du C.A.P.E.P.S. nov. 87 pp. 101-199. (15) Seurin les retrouve même chez Demeny en 1907.

[1] Karli (P.). l'homme agressif, édit. O. Jacob, Paris, 1987.

Education physique d'abort, sport ensuite PHOT

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