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Faculteit Letteren & Wijsbegeerte Delphine Calle Et ils vécurent heureux ? Une approche narrative, intertextuelle et socio-culturelle des contes de fées à dénouement malheureux en France à la fin du XVII e siècle Masterproef voorgelegd tot het behalen van de graad van Master in de taal- en letterkunde Frans 2013-2014 Promotor Prof. dr. Jean Mainil Vakgroep Letterkunde

Et ils vécurent heureux - lib.ugent.be · bergères qui sont des princes déguisés parlant un langage de cour 2 . « A happy ending is perhaps the most predictable of all narrative

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Faculteit Letteren & Wijsbegeerte

Delphine Calle

Et ils vécurent heureux ?

Une approche narrative, intertextuelle et socio-culturelle des

contes de fées à dénouement malheureux en France à la fin du

XVIIe siècle

Masterproef voorgelegd tot het behalen van de graad van

Master in de taal- en letterkunde

Frans

2013-2014

Promotor Prof. dr. Jean Mainil

Vakgroep Letterkunde

iii

Préface

Mars 2013. Une vidéo diffusée sur YouTube attire l’attention des internautes. Dans cette vidéo,

intitulée « After ever after », Jon Cozart pose la question : « Why Disney tales all end in lies? »1

Imaginant ce qui se passerait pour les héros des contes « after all their dreams came true », il offre

un contrepoids assez original aux happy endings peu crédibles et niais. Évidemment, comme tous les

phénomènes internet, le hype s’est vite calmé, mais ses trente millions de visiteurs prouvent que

Cozart avait touché là un sujet très populaire. À ce moment précis, nous étions en train de rédiger

notre mémoire de bachelier à propos des contes. Car ils ont de quoi intriguer, ces contes. Mais leur

dénouement heureux intrigue si possible encore plus. Une année plus tard, nous nous sommes de

nouveau risquée dans cet univers des contes de fées, un royaume aux apparences bien trompeuses.

De nouveau, l’aventure n’était pas sans obstacles, il fallait s’y attendre. D’emblée, le destin, ou mieux

« la Fortune » se montra de fort mauvaise humeur et résolut de contrarier l’action de nos bonnes

fées. La quête aux sources nous a menée loin, dans des terres inconnues, jusqu’à la descente dans les

salles merveilleuses de la Bibliothèque nationale de France à Paris. Heureusement nous avons pu

compter sur de nombreux conseils avisés de tous côtés. Nous remercions cordialement Monsieur le

Professeur Mainil et ses collègues Monsieur le Professeur Roose et Monsieur Praet, pour leurs idées

judicieuses. Nous exprimons également notre reconnaissance à Madame Damey pour la magie de sa

baguette linguistique.

L’aventure est presque terminée, il ne reste – à notre tour – qu’à espérer un happy end…

1 Jon Cozart (Paint), After Ever After – Disney Parody, 12 mars 2013, <http://www.youtube.com/watch?v=diU70KshcjA>,

(consulté le 6 mai 2014).

iv

1

Introduction

Oh ! ces contes ne sont pas des contes populaires, mais des contes galants, imaginés de toutes pièces, où on introduit des fées, des génies, des chars volants tirés par des dragons, des bergers et des bergères qui sont des princes déguisés parlant un langage de cour2.

« A happy ending is perhaps the most predictable of all narrative features throughout the contes de

fées »3. Le lecteur, quand il entre dans le monde enchanté d’un conte de fées, d’origine française ou

non, forme comme un pacte avec l’auteur. Il s’attend en effet à retrouver toute une série de

stéréotypes encadrant l’histoire : déjà, la toute première formule sera « Il était une fois ». S’il

connaît ses classiques, le lecteur sait, dès la première phrase à quoi il peut s’attendre : il s’imagine

d’emblée qu’une jolie princesse va être libérée d’un piège par un prince courageux. En butte à des

personnages malveillants comme une belle-mère jalouse, ce prince réussit sa quête et le conte se

conclut par le mariage du couple héroïque ; ensuite, tous deux « vécurent heureux et eurent

beaucoup d’enfants… »

Pourtant, cette formule magique vaut-elle pour tous les contes ? Tant de fois, nous nous sommes

réjouie des mariages somptueux de Cendrillon, de la Belle au bois dormant et de Blanche-Neige.

Mais ce mémoire a pour but d’étudier parmi tous les contes, ceux d’entre eux qui ne se terminent

pas de façon si heureuse. Ces contes sont beaucoup plus rares, et pourtant ils ont été conçus à la

même époque que tous ceux dont le cinéaste Walt Disney s’est inspiré avec bonheur jusqu’au point

d’orgue du doux baiser final.

L’attente générale, propre au conte de fées, d’une promesse de bonheur incarné dans le baiser final,

est inscrit dans l’inconscient de chaque lecteur et n’a pas manqué d’intéresser les critiques

2 Paul Delarue et Marie-Louise Tenèze, Le Conte populaire français. Catalogue raisonné des versions de France et des pays de langue

française d'outre-mer. Tome I. Paris, Éditions Érasme, 1957, p. 19. 3 Lewis C. Seifert, Fairy Tales, Sexuality, and Gender in France, 1690–1715: Nostalgic Utopias, Cambridge, Cambridge UP, 1996, p.

129.

2

littéraires. Existe-t-il une sorte de moule de fabrication propre à tout conte de fées ? Et le happy end,

en est-il effectivement le trait principal ? Suite à la montée du structuralisme dans le premier tiers

du XXe siècle, des critiques littéraires ont tenté de repérer certains mécanismes systématiques dans

telle ou telle histoire. Vladimir Propp en est le chercheur le plus connu de nos jours. L’auteur

soviétique a analysé un corpus de près de six cents contes merveilleux du folklore russe, et il conclut

effectivement que le genre peut se reconnaître à certains éléments constants. D’une part, dans ses

personnages, Propp en discerne sept. D’autre part, il détermine 31 « fonctions » possibles, c’est-à-

dire 31 types d’actions auxquelles se livrent ces personnages, principes à partir desquels il donne

une définition du genre :

On peut appeler conte merveilleux du point de vue morphologique tout développement

partant d’un méfait ou d’un manque, et passant par les fonctions intermédiaires pour aboutir

au mariage ou à d’autres fonctions utilisées comme dénouement. La fonction terminale peut

être la récompense, la prise de l’objet des recherches, ou d’une manière générale, la réparation

du méfait, le secours et le salut pendant la poursuite, etc4.

Ceci nous rapproche tout à fait de l’idée que nous nous faisons spontanément du genre. L’analyse de

Propp, en bref, nous apprend que le conte merveilleux se résume à deux fonctions indispensables,

qui forment un couple : « le méfait » ou « le manque » d’une part, et « la réparation de ce méfait » ou

« le manque comblé » de l’autre5. Ainsi, l’œuvre de Propp confirme que le schéma narratif du conte

présente généralement une évolution positive, en tout cas une amélioration, et qu’il se conclut, en

conséquence, par un agréable happy end.

L’analyse structuraliste de Propp a connu beaucoup de succès. Quelques chercheurs français ont

dégagé de son travail des conclusions qui dépassent le cas particulier des contes populaires russes.

Raymonde Robert, par exemple, est partie de la définition citée plus haut, pour rédiger son étude,

que l’on considère toujours comme l’une des plus importantes existant sur le genre féerique6. Elle y

remarque cependant que cette définition risque de trop simplifier. En effet, ce schéma narratif

d’évolution positive vaut pour beaucoup d’autres histoires de l’époque. R. Robert ajoute donc une

troisième fonction à sa définition du genre ; celle-ci tient compte de ce que le conte de fées a de

particulier : le merveilleux. L’essentiel de l’écriture féerique « à la française » est à son avis,

4 Vladimir Propp, « Morphologie du conte », dans Morphologie du conte, suivi des Transformations des contes merveilleux

et de L’Étude structurale et typologique du conte, Vladimir Propp et E. Mélétinski, traductions de Marguerite Derrida,

Tzvetan Todorov et Claude Kahn, Paris, Seuil, coll. Poétique, 1970, p. 5-170, p. 112, nous avons opté de ne pas reprendre les

lettres qui désignent la fonction en question. 5 Ibid., p. 47, 66. 6 Raymonde Robert, Le Conte de fées littéraire en France de la fin du XVIIe siècle à la fin du XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion

Éditeur, coll. Lumière classique, 2002.

3

l’instauration d’un ordre féerique exclusif, grâce auquel le lecteur aurait, dès la situation initiale du

conte, l’assurance du désamorçage et de la réparation du méfait7. Une autre précision des critiques

français concerne le mariage final, dont la présence est généralisée8.

Nous pouvons même affirmer que les contes de l’époque qui ne finissent pas par un happily ever after

accompagné d’un mariage constituent de rares exceptions. On appelle ceux-ci « atypiques » ou

encore « dysphoriques » ou « dystopiques », en opposition aux contes habituels présentant des fins

dites « euphoriques » ou « utopiques ». Toutefois il faut rester prudent et ne pas exagérer

l’opposition typique – atypique. Prenons le cas du psychanalyste Bruno Bettelheim : d’après lui, le

conte de fées doit forcément se terminer bien. Ceux qui s’éloignent de ce schéma ne seraient pas de

vrais contes, « parce qu’ils n’apportent pas ce sentiment de réconfort qui est si caractéristique de la

fin des contes de fées »9. Cela nous semble trop radical.

De même, nous ne sommes pas d’accord avec certains tableaux de comparaison trop peu nuancés,

tels que celui de David Calvin dont nous reprenons un extrait ci-dessous10 :

Fairy Tale Anti-Fairy Tale

Optimism Pessimism

Teleological, anticipatory Retrospective, subversive

« Once upon a time » Real world context

Pedagogical Lessons unlearnt

Black and white morality Grey morality or amorality

Patriarchal Feminist

Certes, le concept d’anti-fairy tales est intéressant pour nous, puisque ce mémoire a justement pour

but d’analyser les contes qui se terminent mal, donc repris sous cette dénomination11. De plus, les

7 Plus spécifiquement la définition de R. Robert se compose de trois grands points : premièrement « les assurances

explicites de la réparation du méfait », deuxièmement, « la mise en évidence du destin exemplaire du couple héroïque », ce

qui souligne l’importance de deux catégories de personnages antagonistes : les bons et les mauvais, et troisièmement, le

conte se déroule dans une sorte de micro-univers clos. C’est « l’instauration d’un ordre féerique exclusif ». (Raymonde

Robert, op. cit., p. 33. Voir aussi ibid., p. 33-34, 38-42). 8 Notamment dans : Jean Mainil, Madame d'Aulnoy et le rire des fées: essai sur la subversion féerique et le merveilleux comique sous

l'Ancien Régime, Paris, Éditions Kimé, 2001, p. 135 ; Lewis C. Seifert, op. cit., p. 129 ; Nadine Jasmin, « Notices des contes des

Contes des Fées », dans Contes des Fées, Madame d’Aulnoy, édition critique établie par Nadine Jasmin, Paris, Honoré

Champion Éditeur, coll. Champion Classiques, Littératures, 2008, p. 703-775, p. 743 ; Jack Zipes, When Dreams Came True.

Classical Fairy Tales and Their Tradition, New York – Londres, Routledge, 1999, p. 4. 9 Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, traduit de l’américain par Théo Carlier, Paris, Robert Lafont, coll. Pluriel,

1976, p. 70-71. 10 Catriona McAra et David Calvin, « Introduction », dans Anti-Tales : The Uses of Disenchantment, édition établie par Catriona

McAra et David Calvin, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2011, p. 1-15, p. 3. 11 Larisa Prokhorova, « Some Notes on Intertextual Frames in Anti-Fairy Tales », dans Anti-Tales : The Uses of Disenchantment,

édition établie par Catriona McAra et David Calvin, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2011, p. 51-59, p.

51.

4

traits énumérés pour le conte atypique semblent correspondre effectivement à notre sujet de

recherche. Au contraire, nous sommes d’avis que la catégorie du conte stéréotypé, nommé fairy tale

dans le tableau de Calvin, ne correspond pas du tout à la réalité du conte de fées littéraire français

de la fin du XVIIe siècle, quelque heureuse que soit sa fin. C’est pourquoi nous mettrons en doute

l’existence d’un véritable prototype général du conte de fées littéraire. Après tout, la vogue des

contes de fées, tels qu’on les connaît encore aujourd’hui, a commencé en France à la fin du XVIIe

siècle. Tous les contes dits atypiques que nous traiterons ci-dessous sont donc les premières

manifestations du genre, tout autant que les plus célèbres « Cendrillon » et « La Belle au bois

dormant ». Prenons le tout premier conte de fées, « L’Île de la Félicité » de Marie-Catherine

d’Aulnoy. N’est-il pas surprenant qu’il en soit déjà un qui finisse mal ?

Après cette remarque préliminaire et nécessaire, nous allons essayer de mieux comprendre ces

contes qui n’ont pas de dénouement heureux. Nous n’irons pas jusqu’à les dénommer contes

atypiques, ou anti-fairy tales, mais tout de même, nous ne nions point que la fin de ces contes est en

effet atypique. Même si nous ne jugeons pas possible de les distinguer strictement des contes à

dénouement plus heureux, l’absence d’un happy end reste un critère formel très fort et très présent

dans l’image que l’on a du genre, et il est intéressant d’examiner pourquoi les conteurs ont

délibérément ignoré une telle caractéristique.

Dans ce qui suit, nous nous donnons pour objectif de discerner le fil rouge dans la toile complexe

qu’ont tissée les conteurs et conteuses français de la fin du XVIIe siècle. Nous suivrons trois

conteuses, Marie-Catherine d’Aulnoy, Henriette-Julie de Murat et Catherine Bernard, et dans une

moindre mesure deux conteurs : l’incontournable Charles Perrault et également un auteur

anonyme. Nous présenterons leurs contes, en tout cas ceux qui finissent mal, dans le premier

chapitre.

Ensuite nous entamerons la véritable analyse de ces contes. Nous proposerons trois clefs de lecture

qui pourraient nous aider à mieux comprendre leurs fins spécifiques. Chaque approche se

composera principalement de deux grandes parties. Nous commencerons à chaque fois par une

partie plutôt théorique pour laquelle nous soulignons notamment l’importance des œuvres critiques

de Raymonde Robert déjà mentionnée, de Jean Mainil et de Jean-Paul Sermain12. Puis, nous

essayerons d’appliquer cette théorie, et de l’illustrer par des exemples tirés du corpus présenté dans

le premier chapitre. Chaque clef aura donc sa propre étude de cas.

12 Raymonde Robert, op. cit. ; Jean Mainil, op. cit.; Jean-Paul Sermain, Le conte de fées, du classicisme aux Lumières, Paris,

Desjonquères, 2005.

5

La première clef propre à décoder les fins tristes de nos contes suit l’approche narrative ou

énonciative. Les contes, dans leur première apparition, étaient souvent comme enchâssés dans un

cadre. Quoique très vite abandonnés, ces cadres sont porteurs de quelques indications qui

permettent de mieux comprendre la fin de tel ou tel conte. Nous essayerons de prouver cette thèse

pour Inès de Cordoue, une nouvelle de C. Bernard, qui contient deux des tout premiers contes de fées,

« Le Prince Rosier » et « Riquet à la houppe ».

Deuxièmement, nous présenterons une approche intertextuelle, qui tient compte des influences

d’autres genres ayant agi sur celui du conte. Nous traiterons notamment du romanesque, de la

mythologie et de l’utopie. Dans l’étude de cas de ce chapitre, nous comparerons deux contes

similaires, « Le Nain jaune » d’Aulnoy et « Anguillette » de la main de Murat, en insistant sur

l’intertextualité de chacun.

Troisièmement, nous nous permettrons d’adopter un point de vue extralittéraire et de regarder

dans quelle mesure la situation socio-culturelle de l’époque a influencé les contes, et plus

spécifiquement leur fin. Nous parlerons surtout des conteuses et nous vérifierons l’hypothèse qui

veut qu’elles soient à la source du féminisme dans la littérature française. À la fin du chapitre nous

analyserons le conte d’Aulnoy intitulé « Le Mouton », comme une possible réponse féministe au

« Petit Chaperon rouge » de Perrault.

Il importe de noter qu’il n’existe réellement pas de « clef fée » qui nous permette d’aboutir à une

seule explication satisfaisante pour tous nos contes à dénouement malheureux13. Nous tâcherons, au

contraire, de tenir compte le plus que possible de la diversité de nos sources, de sorte que, une fois

arrivée à la fin de la quête, nous disposions plutôt de tout un trousseau de clefs.

13 La « clef fée » est un motif récurrent dans les contes de fées ; pensons à la petite clef que la Barbe bleue donne à sa

femme, dans le conte de Perrault. Au XVIIe siècle, « fée » s’utilisait aussi comme adjectif.

6

7

Présentation du corpus Chapitre 1

Mais parlons des Contes de Fées. Vous croïez donc que ces sortes d’Ouvrages puissent être bons ?14

Quels sont donc ces fameux contes dans lesquels les conteurs se détournent de la fin attendue ?

Nous en dénombrons dix, présentés dans le tableau ci-dessous15 :

Date Auteur Recueil ou récit-cadre Conte

1690 Aulnoy Histoire d’Hypolite, comte de Duglas « L’Île de la Félicité »

1695 Perrault Contes de ma mère Loye (manuscrit)16 « Le Petit Chaperon rouge »

1696 C. Bernard Inès de Cordoue, nouvelle espagnole « Le Prince Rosier »

« Riquet à la houppe »

1697 Aulnoy Les Contes des Fées

Tome III – Don Gabriel Ponce de Leon,

nouvelle espagnole

« Le Mouton »

Tome IV – Don Fernand de Tolède, nouvelle

espagnole17

« Le Nain jaune »

1698 Murat Contes de fées « Anguillette »

Les Nouveaux Contes des fées « Le Palais de la vengeance »

1699 Anonyme Nouveau conte de fées « Le Portrait qui parle »

Sans

date

Murat Journal pour Mademoiselle de Menou,

Manuscrit 3471 (inédit)

« Peine Perdue »

14 Pierre abbé de Villiers, Entretiens sur les contes de fées et sur quelques autres ouvrages du temps. Pour servir de préservatif contre

le mauvais goût, Paris, Jacques Collombat, 1699, p. 73. 15 Nous nous sommes fondée principalement sur le tableau annexe dans Nadine Jasmin, « Notices des contes des Contes des

Fées », op. cit., p. 771-775. 16 La première édition du « Petit Chaperon rouge » était en 1697, dans le recueil intitulé Histoires ou contes du temps passé.

Avec des moralités. 17 Les deux nouvelles espagnoles d’Aulnoy contenant « Le Mouton » et « Le Nain jaune », sont, à leur tour, enchâssées dans

Saint-Cloud, conte, qui s’étale sur les tomes III et IV du recueil des Contes des Fées. Pour une présentation schématique de tous

ces degrés de narration, nous renvoyons à Jean Mainil, op. cit., p. 9. Dans ce mémoire-ci, nous avons cependant décidé de ne

pas tenir compte des niveaux du recueil et du récit de Saint-Cloud. D’une part, une analyse du recueil entier nous mènerait

beaucoup trop loin, vu son ampleur. D’autre part, l’absence d’une véritable intrigue dans le conte de Saint-Cloud rend son

étude moins intéressante pour notre sujet de recherche. Remarquons d’ailleurs que ce niveau de narration restera

inachevé, puisqu’il n’est pas repris à la fin du tome IV, après la seconde nouvelle espagnole.

8

L’établissement de ce mini-corpus n’a pas été simple. Nous n’avons pas trouvé de véritables œuvres

critiques qui traitent du sujet. Certes, beaucoup de spécialistes remarquent l’existence de tels contes

de fées et ils en donnent des exemples. Mais souvent ils ne sont pas d’accord sur l’interprétation de

la fin. Nous ne nous sommes donc appuyée que partiellement sur les remarques faites par ces

critiques, dont notamment Seifert, Mainil et R. Robert18. Dans notre sélection de contes, les critères

suivants nous ont paru importants : nos dix contes sont conçus dans la même période et la même

région, ils présentent des caractéristiques littéraires et leur fin est insolite.

Tout d’abord, l’homogénéité du cadre extralittéraire de nos contes ne pose pas vraiment de

problèmes. Par période, nous entendons la fin du XVIIe siècle, la première vogue des contes de fées.

À l’instar de Sermain, nous limitons cette période de 1690, avec l’apparition du premier conte, « L’Île

de la Félicité », jusqu’à 1705, quand le conte oriental investit la scène littéraire19. Les contes à

dénouement malheureux qui sont conçus plus tardivement n’entrent donc pas en ligne de compte.

Outre le critère temporel pour notre corpus, nous mentionnons aussi la proximité spatiale.

Évidemment les dix contes sont tous d’origine française, mais il y a tout de même un cas isolé. Déjà

« Le Portrait qui parle » est le seul conte du corpus dont l’auteur est inconnu, mais c’est aussi le seul

qui n’est pas conçu ni édité à Paris. R. Robert remarque à cet égard que de tels contes provinciaux

sont extrêmement rares, ou en tout cas, qu’il n’y en a que très peu qui aient échappé à la

disparition20.

Ensuite, l’exigence de littérarité de nos contes nécessite peut-être un peu plus d’éclaircissement.

Nous la jugeons assez évidente dans l’œuvre de nos conteuses. Aulnoy, C. Bernard et Murat

conçoivent toutes les trois des contes élaborés et de structure complexe, soit des contes « si longs &

d’un stile si peu naïf, que les enfants même en seroient ennuïez »21. Nous reviendrons encore sur la

question épineuse des inspirations des contes de fées, mais nous pouvons déjà remarquer que,

malgré quelques allusions aux sources orales populaires, les conteuses de notre corpus ont

clairement été à l’origine de leurs contes. Pour les auteurs et leur public, le conte de fées est avant

tout « un jeu intellectuel » où l’on manipule les modèles littéraires traditionnels22. Cette conception

concorde évidemment avec le contexte de naissance du genre, qui ne vient pas de quelconques

18 Lewis C. Seifert, op. cit., p. 129-137 ; Jean Mainil, op. cit., p. 135-137 ; Raymonde Robert, op. cit., p. 34. À voir également :

Nadine Jasmin, Naissance du conte féminin. Mots et merveilles : les contes de fées de Madame d'Aulnoy (1690-1698), Paris, Honoré

Champion Éditeur, coll. Lumière classique, 2002, p. 491-494 ; Jean-Paul Sermain, Le Conte de fées du classicisme aux Lumières ,

op. cit., p. 217. 19 Jean-Paul Sermain, ibid., p. 18-24. 20 Raymonde Robert, op. cit., p. 60. 21 Pierre abbé de Villiers, op. cit., p. 74-75. 22 Raymonde Robert, op. cit., p. 185, 465.

9

nourrices paysannes, mais au contraire, de la cour royale et des salons (pour la majorité) parisiens,

imprégnés de la galanterie et des restes de la préciosité23.

En revanche, la littérarité dans l’œuvre de Perrault est une tout autre histoire. Nous voulions dans

cette étude aussi tenir compte d’un des contes les plus célèbres depuis toujours : « Le Petit Chaperon

rouge ». La version de Perrault est une des premières attestations du conte et étonnamment cette

version, contrairement à celle des frères Grimm plus tard, se finit abruptement quand le loup mange

la petite fille24. Le critère de la fin insolite est donc bel et bien présent, mais la forme du conte diffère

assez de celle des contes cités ci-dessus. Perrault se vante explicitement des sources

authentiquement françaises de ses histoires, de sorte que leur littérarité est mise en question. En

outre, ses contes sont généralement beaucoup plus courts et de structure plus simple que les contes

dits féminins. Or, l’aspect naïf et populaire est trompeur :

Perrault le mondain, qui sait remarquablement mimer une savante ingénuité, est pris, comme

Andersen, au piège qu’il a lui-même tendu ; il est si étroitement associé à l’idée d’une culture

populaire et orale que ses contes se sont trouvé exclus des catégories traditionnelles de la

littérature ; les libertés mêmes qu’ont longtemps prises éditeurs et lecteurs avec ses textes ne

font que prouver d’abondance que Perrault a parfaitement atteint son objectif25.

Mais quels sont donc concrètement ces fins insolites, qui constituent le troisième critère pour

l’établissement de notre corpus et le noyau de ce mémoire ? À l’instar de Seifert, nous distinguons

deux grands types de fins, à côté de celle qui est la plus courante, le mariage du couple héroïque26.

Premièrement, il y a les contes qui se terminent par la mort d’un ou de plusieurs protagonistes. Tel

est le cas pour six des dix contes. Les fins des quatre autres contes sont moins brutales, mais

évoquent toutes l’échec de l’amour. Le second grand type de contes se résume donc en ce que Seifert

appelle « a rejection of love and/or mariage »27.

23 En ce qui concerne le lien du conte avec la galanterie, nous conseillons vivement le livre d’Alain Viala, La France galante.

Essai historique sur une catégorie culturelle, de ses origines jusqu'à la Révolution, Paris, Presse Universitaire de France, coll. Les

Littéraires, 2008, p. 294-297. Quant à la préciosité, nous nous référons à l’étude de Sophie Raynard, La Seconde Préciosité,

dans laquelle elle essaie de « prouver [l’]affiliation des conteuses à la préciosité ». Elle désigne la dernière décennie du

XVIIe siècle comme étant la période de la « seconde préciosité » (Sophie Raynard, La Seconde préciosité. Floraison des conteuses

de 1690 à 1756. Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2002, p. 58). 24 Marc Soriano, Les contes de Perrault. Culture savante et traditions populaires, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1977, p. 148. 25 Raymonde Robert, op. cit., p. 94-95. À ce sujet voir également : ibid., p. 460-463 ; Marc Soriano, op. cit., p. 153-154. 26 Lewis C. Seifert, op. cit., p. 129, 251. Nous rappelons que nous ne reprenons que les deux grandes catégories. La

classification des dix contes sous ces types est notre propre idée et diffère de la proposition de Seifert. 27 Ibid., p. 129.

10

Tout d’abord, sous la première catégorie de fins malheureuses, il y a le conte déjà mentionné de

Perrault. Le Petit Chaperon rouge n’arrive pas à échapper au loup. Elle est dévorée et n’est pas

sauvée ensuite. Aulnoy se montre aussi cruelle face au destin de ses héros. Ses trois contes présents

dans ce corpus appartiennent tous à ce premier type. Dans « L’Île de la Félicité », Adolphe meurt en

quittant l’île de la princesse Félicité, son amante. Félicité est inconsolable et interdit son île à jamais

à tout homme. Dans « Le Mouton », la situation est plus ou moins identique, quoiqu’ici, le héros

éponyme se suicide quand la princesse Merveilleuse ne rentre pas à l’heure convenue. Enfin « Le

Nain jaune », le troisième conte d’Aulnoy, se termine par une double mort. Le roi des Mines d’Or est

tué par son rival, le Nain jaune, lors de sa quête pour libérer la princesse Toute Belle. Sur ce, Toute

Belle « ne pouvant survivre à son cher amant, se laissa tomber sur son corps et ne fut pas longtemps

sans réunir son âme à la sienne »28. La fin de ce dernier conte est d’ailleurs très semblable à celle

d’« Anguillette » de la main de Murat. Ce conte se termine par un duel fatal entre le mari d’Hébé, le

roi de l’le Paisible, et son amant, Arada. Ce dernier y trouve la mort, ce qui conduit Hébé à se

suicider. De nouveau, le couple héroïque perd la vie et les contes se ressemblent aussi par le fait

qu’après leur mort, les amants sont métamorphosés en arbres. Le dernier conte qui se termine

fatalement est « Le Portrait qui parle » : malgré tous ses efforts, la fée Impériale ne réussit pas à

déjouer le prodige qui veut que le roi Aménophis meure dans un accident de chasse.

Le second grand type de fins malheureuses est plus subtil. Évidemment le message du rejet de

l’amour et/ou du mariage est beaucoup plus difficile à étudier. Maints contes de fées mettent en

doute la réussite absolue des mariages à l’époque, et surtout ceux qui sortent des plumes féminines.

Même dans les contes qui finissent bel et bien par un mariage, les conteuses se montrent souvent

critiques à ce sujet, en tempérant par exemple la fin heureuse par un commentaire ironique. Ainsi

Seifert donne l’exemple de « La Puissance d’amour », dans lequel la conteuse, Charlotte-Rose

Caumont de La Force, dénonce nettement la force destructrice de l’amour :

Pour un heureux amour sous votre empire,

On en voit mille malheureux ;

On devrait abhorrer vos feux,

Ne les sentir jamais, encore moins le dire ;

Ils gâtent les esprits, ils corrompent les mœurs ;

On ne saurait sentir de tranquilles bonheurs,

Tant qu’on est chargé de vos chaînes.

Que l’on soit satisfait au gré de ses désirs,

28 Madame d’Aulnoy, « Le Nain jaune », dans Contes des Fées, édition critique établie par Nadine Jasmin, Paris, Honoré

Champion Éditeur, coll. Champion Classiques, Littératures, 2008, p. 591-616, p. 615.

11

On trouvera que les plaisirs

Sont moins sensibles que les peines29.

Malgré cette conclusion fort négative à propos de l’amour, nous avons choisi de ne pas parler

davantage de ce conte, étant donné que son intrigue reste positive. Certes, on pourrait argumenter

que ce happy end n’est qu’une apparence, et que le conte témoigne en fait d’un profond pessimisme.

Cela est sans doute vrai, mais c’est également le cas pour de nombreux autres contes de fées, dont

nous ne pouvons tenir compte, pour ne pas trop alourdir notre corpus.

Restent donc les contes qui se terminent définitivement mal, comme les deux contes de C. Bernard

et les deux autres de Murat. Dans « Le Prince Rosier », C. Bernard utilise pourtant le mariage :

Florinde épouse son prince charmant après qu’il a perdu sa forme de rosier. Cependant, il n’y est pas

du tout question d’un happily ever after, car le prince est infidèle et la princesse extrêmement jalouse.

Finalement, le prince demande à une fée de pouvoir reprendre sa forme de rosier. L’autre conte de

C. Bernard, « Riquet à la houppe », met également en scène un mariage malheureux. Mama se voit

contrainte d’épouser l’affreux Riquet, mais continue quand même son aventure avec Arada. Quand

Riquet découvre l’infidélité de sa femme, il change Arada en son semblable, de sorte que Mama est

désormais obligée de vivre avec deux monstres, au lieu d’un seul. Murat, elle, est presque aussi

inventive que sa collègue. La conclusion de son « Palais de la vengeance » ressemble à celle du

« Prince Rosier ». Les deux protagonistes s’aiment tendrement, mais dès qu’ils sont réunis pour

toujours, les problèmes commencent. Enfin dans « Peine Perdue », Murat met en scène l’amour non-

réciproque de l’héroïne éponyme pour Isabel. Tous les enchantements menés à le séduire sont vains,

de sorte que Peine Perdue émigre au Pays des Injustices de l’Amour.

Il importe de souligner que la dichotomie des catégories de fins malheureuses est loin d’être stricte.

Ainsi, la plupart des contes traités dans la première catégorie peuvent parfaitement être incorporés

dans la seconde. Remarquons d’ailleurs qu’il n’est pas toujours aussi facile de dire d’une certaine fin

si elle est positive ou négative. D’un côté, il y a des contes qui montrent que la mort n’est pas

forcément une fin triste. Ainsi, dans « Le Nain jaune » et dans « Anguillette », Aulnoy et Murat,

concluent par la mort du couple héroïque. Pourtant le lecteur ne ressent pas cette fin comme tout à

fait tragique, car les amants obtiennent une sorte de seconde vie éternelle. Après leur mort, tous les

quatre sont métamorphosés en arbres, de sorte qu’ils peuvent profiter éternellement de leur union…

De l’autre côté, le mariage, même celui inspiré par l’amour, ne garantit pas toujours une issue

heureuse, comme le montrent C. Bernard et Murat dans respectivement « Le Prince Rosier » et « Le

29 Mademoiselle de La Force, « La Puissance d’amour », dans Contes, Mademoiselle Lhéritier e.a., édition critique établie par

Raymonde Robert, Paris, Honoré Champion Éditeur, coll. Bibliothèque des Génies et des Fées, 2005, p. 399-414, p. 414.

12

Palais de la vengeance ». Bref, ces quatre contes révèlent déjà la complexité du phénomène, qui ne

permet pas une analyse tranchée.

Dernière remarque qui invite à nuancer les choses : nous voulons signaler que la fin, soit heureuse,

soit malheureuse, d’un conte dépend entièrement de la perspective adoptée par le conteur. Comme

le dit R. Robert dans sa définition du conte de fées, il n’est que trop facile de distinguer les

personnages qui emportent la sympathie du conteur de ceux qui sont dépeints comme les

méchants30. Tous les contes présentés ci-dessus se caractérisent donc par un dénouement

malheureux pour les personnages « sympathiques », pour les personnages qui sont normalement

censés remporter la victoire. Nous l’admettons, cette définition n’est point objective, mais en même

temps tout dépend effectivement du point de vue. Intuitivement, chaque lecteur sent très bien si

une fin est « juste » ou non. Prenons par exemple « Le Petit Chaperon rouge », nulle personne ne

peut se réjouir, à la fin du conte, de la chance qu’a le loup affamé de trouver son dîner…

Or, Murat réussit de nouveau à compliquer les choses. Dans son dernier conte « Peine Perdue », elle

met en scène la princesse Peine Perdue et sa mère, une fée, qui font tout pour empêcher le mariage

d’Isabel, un jeune prince dont la princesse s’est éprise. Elles échouent et Murat décrit cet échec avec

tant de compassion, que le lecteur conclut que ce conte se termine fort tristement. Pourtant, la

même conteuse, quelques années plus tôt, a raconté à peu près la même histoire, mais sous un tout

autre angle. Dans « Le Palais de la vengeance », elle exprime sa sympathie en faveur du couple

amoureux, Imis et Philax. Quand l’enchanteur Pagan, follement amoureux d’Imis, essaie de déjouer

l’union des deux, il est décrit comme le méchant adversaire, quoiqu’il joue exactement le même rôle

que l’aimable Peine Perdue.

30 R. Robert traite ce sujet comme étant une des trois caractéristiques fondamentales de l’écriture féerique française: « la

mise en évidence du destin exemplaire du couple héroïque par un système particulièrement efficace qui répartit les

attributs physiques ou moraux selon les deux catégories antagonistes des héros et des personnages adjuvants d’une part,

des anti-héros et des personnages agresseurs d’autre part » (Raymonde Robert, op. cit., p. 35).

13

La clef narrative et énonciative : Chapitre 2

l’importance du récit-cadre

« Des romances ! s’écria-t-elle, quoi ! des romances de fées ? – Oui, madame, répliqua-t-il, des contes de fées, vieux et modernes. – Ha ! dès ce soir, ajouta-t-elle, il m’en faut dire un, ou je ne dormirai pas […] »31

Dans notre corpus des contes qui finissent mal, cinq se trouvent encadrés. Il s’agit des trois contes

d’Aulnoy, « L’Île de la Félicité », « Le Mouton » et « Le Nain jaune », figurant chacun dans un autre

cadre romanesque, et des deux contes de C. Bernard, « Le Prince Rosier » et « Riquet à la houppe »,

insérés tous les deux dans Inès de Cordoue, nouvelle espagnole. Les contes de Murat et de Perrault

figurent indépendamment dans des recueils et « Le Portrait qui parle » est seulement accompagné

d’une épître dédicatoire. Vu le sujet développé ici, nous reviendrons donc dans une moindre mesure

sur ces contes.

Les contes ont été très vite détachés de leur récit-cadre et réédités dans des recueils comme les

Nouveaux contes de fées dès 1718 ou le Cabinet des fées en 178632. Pourtant, le choix de l’encadrement

n’est pas toujours innocent, car, comme le dit Mainil à propos de l’œuvre d’Aulnoy, « on ne raconte

pas n’importe quoi à n’importe qui n’importe quand »33. Et en effet, dans ce qui suit nous verrons

que le procédé de l’encadrement se montre très efficace, dans la mesure où il constitue le juste

milieu entre le conte et le romanesque d’une part, et entre l’oral et l’écrit de l’autre. Ainsi le procédé

narratif est porteur de sens et pourrait nous aider à mieux comprendre les fins surprenantes de nos

contes.

31 Madame d’Aulnoy, Don Gabriel Ponce de Leon, nouvelle espagnole, dans Contes des Fées, édition critique établie par Nadine

Jasmin, Paris, Honoré Champion Éditeur, coll. Champion Classiques, Littératures, 2008, p. 391-543, p. 412. 32 Marc Escola, « Notice », Nouvelles galantes du XVIIe siècle: Mme de Lafayette, Saint-Réal, Du Plaisir, Catherine Bernard, édition

critique établie par Marc Escola, Paris, GF Flammarion, 2004, p. 291-309, p. 308. 33 Jean Mainil, op. cit., p. 95.

14

2.1 Le conte et le cadre : des vases communicants

Le procédé de l’encadrement implique la « confrontation de deux genres distincts aux principes

opposés »34. Il s’agit de la confrontation entre le conte de fées et le romanesque, soit entre le

nouveau, le moderne et les genres plus usés du roman et de la nouvelle. La première fonction du

procédé narratif semble donc stratégique : il sert de masque pour faire mieux passer le genre

moderne qu’est le conte35. Le tout premier conte de fées littéraire en France par exemple est « L’Île

de la Félicité » d’Aulnoy, qui l’a prudemment intégré dans son roman Histoire d’Hypolite, comte de

Duglas. Pourtant il serait peu correct de traiter le cadre de simple prétexte ; le roman d’Aulnoy

compte plus de cinq cents pages dont seulement une trentaine sont consacrées au conte.

De suite, nous sommes d’avis que dans l’interprétation d’un conte enchâssé, il faut tenir compte de

son cadre. Selon Sermain par exemple, ce procédé de l’encadrement offre d’emblée de nouvelles

possibilités qui donnent plus de vigueur au genre dit anodin du conte. Il parle notamment d’« un

effet d’hétérogénéité et de déboîtement, qui brise la linéarité de l’histoire et conduit à en prendre

une conscience réflexive, à s’interroger sur les lois de sa constitution, sur ses normes et ses

limites »36. En effet, les conteurs exploitent volontiers le principe de l’encadrement, par exemple à

travers des jeux de miroir et des échos entre le conte et le cadre.

Surtout Aulnoy maîtrise bien cet art véritable de l’encadrement. Dans quelques-unes de ses histoires

elle pousse si loin l’enchâssement, que le lecteur se perd dans le labyrinthe des différents niveaux

énonciatifs. Ainsi Mainil s’attarde particulièrement sur les récits-cadres dans son interprétation de

« L’Île de la Félicité » et du « Mouton »37. Les deux contes se trouvent dans un contexte d’énonciation

semblable : le conteur se voit contraint de divertir, voire de séduire son auditeur pour parvenir à

libérer sa femme aimée. Dans Histoire d’Hypolite, comte de Duglas, Hypolite se fait passer pour le

conteur Hyacinthe. Ainsi il s’introduit au couvent où sa tendre Julie est gardée par une abbesse

sévère. Hypolite-Hyacinthe raconte « l’Île de la Félicité » à cette dernière lorsqu’elle s’ennuie, et

l’histoire lui plaît tant qu’elle l’invite de la raconter aussi à Julie. C’est donc grâce au conte

qu’Hypolite obtient le droit de voir Julie. Dans Don Gabriel Ponce de Leon, le héros éponyme, Don

Gabriel, raconte à son tour le conte « Le Mouton » à Doña Juana, qui occupe le même rôle que

34 Jean-Paul Sermain, « La face cachée du conte. Le recueil et l’encadrement », dans Féeries, 1, 2004, mis en ligne le 29 mars

2007, <http://feeries.revues.org/64>, (consulté le 09 février 2014), p. 6. 35 Jean Mainil, op. cit., p. 79 ; Anne Defrance, Les contes de fées et les nouvelles de Mme d’Aulnoy (1690-1698). L’écriture féminine à

rebours de la tradition, Genève, Droz, 1998, p. 31. 36 Jean-Paul Sermain, Le Conte de fées du classicisme aux Lumières, op. cit., p. 79. 37 Jean Mainil, op. cit., p. 79-118, 133-148.

15

l’abbesse du roman précédent. Elle surveille sévèrement Mélanie et Isidore, deux jeunes filles que

Don Gabriel et son ami, le comte d’Aguilar, veulent justement libérer. Or, Doña Juana s’est éprise du

comte d’Aguilar et comme « prétexte qui pût l’arrêter auprès de lui »38, elle demande à Don Gabriel

de la divertir et de lui raconter une « romance », qui sera donc « Le Mouton ».

Les deux vieilles femmes dans le roman et la nouvelle sont chacune fort élogieuses à propos des

deux contes. Dans Histoire d’Hypolite, comte de Duglas, « l’abbesse l’assura […] que [seule] la crainte de

voir trop tôt la fin d’un conte si agréable, avait troublé le plaisir qu’elle avait eu de l’entendre »39 .

Quant à Don Gabriel, Ponce de Leon « Doña Juana, qui se connaissait en romances, donna de grands

applaudissements à celle-ci, […] elle n’avait jamais été de meilleure humeur » 40. Alors, comment

comprendre qu’un conte qui se finit mal puisse quand même servir d’un divertissement si agréable ?

Tout d’abord, nous soulignons que les femmes admirées par les deux héros-conteurs, c’est-à-dire

Julie et Isidore, ne font pas partie des destinataires des deux « romances ». Elles ne sont même pas

présentes lorsqu’elles sont racontées. Voilà ce qui rend les fins tristes des contes déjà moins

insolites : les héros ne sont pas obligés de faire l’éloge de l’amour comme force invincible. Bien au

contraire, Hypolite et Don Gabriel, s’adressent tous les deux à des femmes âgées qui ont décidé de

lutter justement contre la passion ! Les deux conteurs ont donc tout intérêt à décrire l’amour

comme voué à l’échec. À propos d’Histoire d’Hypolite par exemple, Mainil exprime la véritable

nécessité du conte « L’Île de la Félicité » de se terminer mal :

[…] le conte de fées ne peut pas bien se terminer, et il ne peut en aucun cas être euphorique et

souscrire à la clôture devenue stéréotypée des contes de fées, sous peine de contrecarrer les

plans d’Hypolite. Le conte est ainsi informé par deux contraintes. Premièrement, le conte doit

séduire l’abbesse. Mais, deuxièmement, tout conte qui finirait dans l’allégresse d’un mariage et

d’une félicité matrimoniale éternelle couronnant un amour vainqueur risque de déplaire à

l’abbesse qui est dans les ordres et vit dans la réclusion. […] De plus, Hypolite ne peut pas

chanter à l’abbesse les louanges de l’amour éternel et qui vainc tout sur son passage puisque

l’abbesse a reçu la garde de Julie précisément pour que l’amour ne vainque pas tout. Vanter

l’irrémédiable et inévitable caractère de l’amour, c’est se barrer la route qui mène à Julie41.

38 Madame d’Aulnoy, Don Gabriel Ponce de Leon, op. cit., p. 419. 39 Madame d’Aulnoy, « [L’île de la Félicité] dans Histoire d’Hypolite, comte de Duglas », dans Contes des Fées, édition critique

établie par Nadine Jasmin, Paris, Honoré Champion Éditeur, coll. Champion Classiques, Littératures, 2008, p. 83-106, p. 105. 40 Madame d’Aulnoy, Don Gabriel Ponce de Leon, op. cit., p. 444. 41 Jean Mainil, op. cit., p. 98.

16

Nous y ajoutons qu’en effet, Hypolite n’a jamais repris « L’Île de la Félicité » pour Julie. L’abbesse lui

demande d’aller raconter le conte à Julie pour la « désennuyer »42. Mais, une fois réunis, les deux

amants manquent de mots. Cela ne doit pas surprendre, justement à cause de la fin du conte qui est

trop pessimiste. Sa leçon morale convient et plaît à l’abbesse, mais n’est pas destinée à Julie qui vient

de retrouver le bonheur de l’amour.

Quant au « Mouton », nous rappelons que le conte s’adresse aussi à une adversaire, Doña Juana, mais

l’explication de la fin triste diffère du cas précédent. Toujours selon Mainil, le conte a une sorte de

fonction de mise en garde au sein de la nouvelle43. Avec « Le Mouton », Don Gabriel veut tendre un

miroir à Doña Juana. La duègne, amoureuse du jeune comte d’Aguilar, se trouve, en effet, dans la

même position que deux personnages du conte : la vieille fée Ragote, qui essaie vainement de

séduire le roi Mouton, et le Mouton, qui est, à son tour, follement amoureux de Merveilleuse. En

mettant en scène le comportement ridicule de la fée et le triste sort du Mouton, le conte sert à

tempérer un peu la passion de Doña Juana.

Nous retenons donc de « L’Île de la Félicité » et du « Mouton » que les contes à dénouement atypique

chez Aulnoy ne veulent pas forcément critiquer la conception de l’amour de l’époque. Certes,

l’absence d’un mariage à la fin d’un conte témoigne d’une volonté de mise en question de certaines

valeurs, nous y reviendrons plus amplement dans le chapitre 5. Cependant, si nous interprétons les

contes dans leur contexte original, nous remarquons qu’ils ne constituent qu’une partie, insérés de

façon stratégique dans une entité plus grande et complexe. Et il ne faut pas oublier que cette entité

générale, c’est-à-dire le roman et la nouvelle en entier, finit bel et bien par un mariage !

2.2 Le pouvoir de la parole

L’encadrement tient également le milieu entre l’oral et l’écrit. Si les critiques ne se sont pas mis

d’accord sur l’origine orale ou non des contes, il est néanmoins sûr et certain que les contes de fées

littéraires de la fin du XVIIe siècle sont nés dans le contexte oral des salons. Ainsi le procédé de

l’encadrement permet de « reconstruire » un contexte d’énonciation qui est semblable à celui des

salons de l’époque. Defrance évoque à ce propos une autre fonction du conte rendue possible et mise

en évidence par l’encadrement :

42 Madame d’Aulnoy, « [L’île de la Félicité] dans Histoire d’Hypolite, comte de Duglas », op. cit., p. 106. 43 Jean Mainil, op. cit., p. 142-148.

17

L’encastrement de contes de fées dans des cadres plus ou moins fictionnels, dès lors, fait sentir

que les contes ont acquis, de toute évidence, une fonction sociale. Ils jouent un rôle dans la vie

des personnages de la fiction qui déborde largement le cadre du simple passe-temps : dans les

nouvelles, le savoir-conter est souvent un formidable outil de diversion pour celui qui le

possède et pas seulement un moyen de divertissement pour les auditeurs. Il lui confère le

pouvoir de parvenir à ses fins, qui peuvent être tout autres que celles qu’il revendique. Les

personnages conteurs, toujours publiquement asservis à un auditoire auquel il faut plaire, ont

sur lui, à son insu, une emprise considérable44.

Nous le répétons, les personnages conteurs des récits-cadres se servent des contes de façon

stratégique. Les héros chez Aulnoy parviennent à rencontrer les femmes qu’ils aiment en se

présentant comme conteurs. Ce motif de l’attrait d’une histoire est extrêmement répandu.

L’exemple le plus connu d’une conteuse dont le « savoir conter » va même jusqu’à lui sauver la vie,

est évidemment Shéhérazade dans Mille et une nuits. La parole est le pouvoir. C’est aussi dans cette

optique qu’il faut comprendre la vogue des salons. Les femmes surtout les fréquentent afin de se

mettre en valeur grâce à leur éloquence. Voilà aussi une façon pour la femme de se montrer

puissante, quoique sans l’affirmer.

Le pouvoir de la parole se manifeste plus concrètement dans les échos souvent mis en évidence

entre la figure toute-puissante de la fée et celle de l’auteur féminin, la conteuse. La baguette

magique des fées serait ainsi l’équivalent de la plume des auteurs. Cette comparaison n’est pas une

invention des critiques, même s’ils la reprennent volontiers45. Elle date déjà de l’époque des

conteuses mêmes. Pensons par exemple aux titres des recueils de contes de l’époque. Outre Contes de

fées, l’appellation contemporaine du genre qui s’est formée dans cette époque, nous retrouvons aussi

Contes des fées ou Contes des Fées. Ces derniers titres jouent évidemment sur l’ambiguïté : s’agit-il des

contes conçus par des Fées ? Murat confirme l’identification des conteuses aux fées. Dans

« Anguillette », elle fait allusion à Aulnoy comme étant « une fée moderne » :

Le prince qui alors régnait descendait en droite ligne de la célèbre princesse Carpillon et de

son charmant époux, dont une fée moderne, plus savante et plus polie que celles de l’Antiquité,

nous a si galamment conté les merveilles46.

44 Anne Defrance, « Les premiers recueils de contes de fées », dans Féeries, 1, 2004, mis en ligne le 29 mars 2007,

<http://feeries.revues.org/66>, (consulté le 03 février 2014), p. 9. 45 À voir : Nadine Jasmin, « Naissance du conte de féminin : Madame d’Aulnoy », dans Contes des Fées, Madame d’Aulnoy,

édition critique établie par Nadine Jasmin, Paris, Honoré Champion Éditeur, coll. Champion Classiques, Littératures, 2008,

p. 9-81, p. 48-49 ; Anne Defrance, Les contes de fées et les nouvelles de Mme d’Aulnoy, op. cit., p. 113. 46 Madame de Murat, « Anguillette », dans Contes, édition critique établie par Geneviève Patard, Paris, Honoré Champion

Éditeur, coll. Bibliothèque des Génies et des Fées, 2006, p. 85-117, p. 102.

18

Cette comparaison n’a rien d’étonnant. D’une part, dans le conte, il y a la fée qui décide du sort des

personnages. Si elle aide le couple héroïque, cela résulte normalement en happy end et mariage. Sans

aide magique, les chances de survie des personnages diminuent nettement. D’autre part, dans la

réalité, il y a la conteuse qui imagine l’histoire et qui a le jeu en mains. C’est donc elle, la véritable

fée.

À ces deux niveaux de conte et de réalité, nous ajoutons un troisième, intermédiaire, au cas où

l’auteur a recours au procédé de l’encadrement. Dans la nouvelle, Don Gabriel, Ponce de Leon par

exemple, le conteur du « Mouton » se montre aussi puissant. Comme un oracle, il prédit en quelque

sorte le malheur de son public, c’est-à-dire de Doña Juana… Et il en vaut de même pour « L’Île de la

Félicité ». Les contes s’adressent tous les deux aux adversaires des héros. Pour elles, c’est-à-dire,

pour la duègne Doña Juana et pour l’abbesse d’Histoire d’Hypolite, il n’y aura pas d’issue heureuse,

tout comme dans les contes, qu’elles applaudissent si complaisamment. Certes, les récits-cadres

finissent bien, par la réunion des couples amoureux, mais justement de ce fait, les plans des deux

vieilles femmes sont contrecarrés.

Dans le tableau présenté ci-dessous, nous avons tenté d’évaluer si cette tendance peut être

généralisée pour tous les contes encadrés d’Aulnoy. En d’autres mots, est-ce que la fin heureuse ou

triste d’un conte est en lien avec le sort de la personne à laquelle il s’adresse au niveau du récit-

cadre ?

Cadre Conte Fin du

conte

Conteur Destinataire(s) Fonction des

destinataires

Histoire

d’Hypolite

« L’Île de la

Félicité »

Triste Hypolite L’abbesse qui garde Julie Opposante

Don Gabriel,

Ponce de Leon

« Le Mou-

ton »

Triste Don

Gabriel

Doña Juana (et le comte

d’Aguilar)

Opposante

« Finette

Cendron »

Heureuse Doña Juana Mélanie et le comte

d’Aguilar

Couple héroïque

« Fortunée » Heureuse Lucile Don Louis,

Doña Juana, Mélanie et

Isidore

Son amant,

± adjuvants

Don Fernand

de Tolède

« Le Nain

jaune »

Triste Léonore La comtesse de Fuentès,

Don Fernand,

Mathilde et Don Jaime,

Don Francisque

Opposante,

son amant,

couple héroïque,

adjuvant

« Serpentin

vert »

Heureuse Don

Fernand

Léonore,

Mathilde et don Jaime

Son amante,

autre couple

héroïque

19

Le tableau montre qu’il y a en effet des corrélations entre la fin du conte et le sort du destinataire.

Sachant que les trois récits-cadres se terminent bien, nous notons que les contes tristes s’adressent

aux opposants, tandis que les contes à dénouement plus typique sont en général adressés soit à

l’aimé(e) du conteur ou de la conteuse, soit à un couple… Nous admettons cependant que notre

aperçu de la situation d’énonciation dans certains contes nécessite quelque explication. Tel est le cas

pour « Fortunée » et pour « Le Nain jaune ».

Le conte de « Fortunée » est raconté par Lucile qui s’adresse entre autres à son amant, Don Louis.

Cela renforce donc notre hypothèse, selon laquelle ce conte se termine bien, parce qu’il prédit en

quelque sorte le mariage futur de sa narratrice, Lucile, avec Don Louis, le destinataire… Or,

l’adversaire majeure dans la nouvelle, Doña Juana, est également présente dans le public envisagé du

conte. De plus, c’est elle qui avait demandé à Lucile de lui raconter une histoire : « Il est vrai,

continua Juana, que j’ai la folie de les [les romances] aimer comme si je n’avais que quatre ans, et je

vous prierais dès tout à l’heure de m’en vouloir dire quelqu’une, si vous étiez moins lasse »47.

Pourtant cela ne nie pas forcément la tendance esquissée ci-dessus, car Doña Juana n’est pas aussi

opposée au mariage de Don Louis avec Lucile, qu’elle ne l’est face à celui de ses deux nièces dont elle

a la garde…

Quant au « Nain jaune », les choses sont plus difficiles. Premièrement, nous l’avons déjà mentionné,

parce que ce conte n’est pas aussi pessimiste que les autres du corpus. Selon Mainil, il prône

justement que l’amour peut tout vaincre48. Dans ce cas, il ne serait pas étonnant que Léonore raconte

cette histoire en présence de son amant, Don Fernand… Pourtant, nous sommes peu convaincue

d’une telle morale optimiste du conte49. Un second élément qui nous invite à traiter le conte comme

étant un peu à part des autres sur le plan énonciatif, est le fait que sa narratrice, Léonore, ne le

raconte pas de son propre chef. Elle y est contrainte par sa mère, la comtesse de Fuentes : « comme

la comtesse cherchait à divertir les Maures, et que les romances étaient fort à la mode, elle dit à

doña Léonore de raconter celle qu’on lui avait apprise depuis peu »50. Mais la comtesse de Fuentes

est l’adversaire dans la nouvelle, car elle est opposée au mariage de sa fille avec Don Fernand. La

citation suggère, en outre, que Léonore n’ait pas inventé ce conte elle-même…

Bref, « Le Nain jaune » se trouve dans une situation d’énonciation qui est fort différente de celle des

autres contes et de ce fait, nous choisissons de ne pas trop nous baser sur ce conte pour vérifier

47 Madame d’Aulnoy, Don Gabriel Ponce de Leon, op. cit., p. 505. 48 Jean Mainil, op. cit., p. 137. 49 Nous reviendrons amplement sur ce conte dans l’étude de cas du troisième chapitre. 50 Madame d’Aulnoy, Don Fernand de Tolède, op. cit., p. 590.

20

notre hypothèse qui se justifie plutôt dans les autres cas. Ainsi, il ne nous reste qu’à analyser les

deux autres contes encadrés de notre corpus : « Le Prince Rosier » et « Riquet à la houppe » de C.

Bernard.

2.3 « Le Prince Rosier » et « Riquet à la houppe » : une étude du conte

dans son cadre romanesque

Les seuls contes connus de la main de C. Bernard sont intégrés, encore, dans une nouvelle espagnole.

Inès de Cordoue se déroule à la cour espagnole du roi Philippe II, laquelle, grâce à sa femme française,

Élisabeth de Valois, « était devenue galante et les divertissements n’en étaient pas bannis »51. Ainsi la

reine propose d’imaginer des contes galants comme amusement. Cela incite la concurrence entre les

deux jeunes Espagnoles favorites de la reine : Inès de Cordoue et Léonor de Silva. La première

raconte l’histoire du « Prince Rosier », qui plaît vivement au public et surtout au marquis de Lerme

qui dès lors se prend d’un grand amour pour Inès. Léonor, jalouse, raconte le lendemain « Riquet à la

houppe », mais quoique ce conte « ne fût pas sans art, […] le prince Rosier l’emportait de beaucoup

auprès du marquis de Lerme »52.

Ainsi Léonor veut se venger des deux amants. Elle réussit à empêcher leur mariage en séduisant le

père d’Inès qui forcera sa fille à épouser le comte de las Torres. Or, l’amour ne se laisse pas brider et

Inès et le marquis de Lerme restent en contact. Après quelques coïncidences peu crédibles et une

scène d’aveu d’Inès à son mari, celle-ci part en retraite. Enfin pardonnée par son mari, elle compte

vivre en toute tranquillité en forçant le marquis de Lerme, toujours constant, de se marier à son

tour. Mais le jour du dit mariage, Inès apprend la mort de son mari. Elle essaie vainement d’en

avertir le marquis et finit ensuite par se retirer dans un couvent. Quant au marquis, apprenant cette

nouvelle, il meurt quelques jours plus tard d’une vieille blessure.

2.3.1 La fonction du conte de fées

Les deux contes qui nous intéressent sont annoncés de façon suivante :

51 Catherine Bernard, Inès de Cordoue, nouvelle espagnole, dans Nouvelles galantes du XVIIe siècle: Mme de Lafayette, Saint-Réal, Du

Plaisir, Catherine Bernard, édition critique établie par Marc Escola, Paris, GF Flammarion, 2004, p. 390-449, p. 391. 52 Ibid., p. 408.

21

Elle [la reine] proposa, pour se faire un amusement nouveau, d’imaginer des contes galants ;

l’ordre fut reçu avec plaisir de toutes les dames qui composaient cette petite cour ; on convint

de faire des règles pour ces sortes d’histoires dont voici les deux principales : que les aventures

fussent toujours contre la vraisemblance, et les sentiments toujours naturels. On jugea que

l’agrément de ces contes ne consistait qu’à faire voir ce qui se passe dans le cœur et que, du

reste, il y avait une sorte de mérite dans le merveilleux des imaginations qui n’étaient point

retenues par les apparences de la vérité53.

Nous retenons donc deux fonctions principales des contes, tels qu’ils sont présentés dans la

nouvelle. Premièrement, ils servent à divertir : la reine parle d’« un amusement nouveau » et

apparemment, le merveilleux rendrait les histoires encore plus agréables. Secondement, cette

citation montre la valeur accordée à la « vérité » des contes. En les écoutant, on est censé apprendre

quelque chose sur ses propres sentiments, sur son propre cœur. C’est surtout ce dernier aspect qui

sera intéressant pour notre analyse. Nous nous demandons en quoi « Le Prince Rosier » et « Riquet à

la houppe » font « voir ce qui se passe dans le cœur ». Dans ce but, il importe de regarder de plus

près la situation énonciative concrète des contes.

2.3.2 Les conteuses et leur public

Les contes se situent tous les deux au début de la nouvelle. Ils ne « participent » donc pas vraiment

au dénouement de l’histoire, mais jouent quand même le rôle de déclencheur. C’est en effet la

première manifestation de la concurrence amoureuse entre Inès et Léonor. Inès parvient à séduire

le marquis de Lerme avec son récit. Mais comment faut-il comprendre qu’un conte comme « Le

Prince Rosier », qui porte un message si néfaste de l’amour, parvienne – malgré tout – à inspirer de

l’amour ?

Il est vrai qu’Inès n’était probablement pas au courant de la présence du marquis, donc nous

supposons que son conte n’était pas inventé afin de le séduire. Or, avec « Riquet à la houppe »

Léonor, elle aussi, a imaginé un conte qui finit plutôt mal et contrairement à Inès, elle s’attendait

bien à la présence du marquis et comptait même le séduire. Si la fin surprenante des contes

d’Aulnoy pouvait s’expliquer en rapport direct avec le public, cela ne paraît pas possible de prime

abord pour les deux contes de C. Bernard. Là où les conteurs chez Aulnoy adressent leurs contes

« tristes » à des femmes qu’ils n’aiment point, dans la nouvelle de C. Bernard, nous savons que

Léonor surtout s’adresse notamment à celui qu’elle aime. Ainsi, nous nous demandons dans ce qui

suit ce qui a conduit Inès et Léonor à opter tout de même pour de tels dénouements surprenants.

53 Ibid., p. 393.

22

2.3.2.1 « Le Prince Rosier »

Il faut comprendre « Le Prince Rosier » dans son contexte d’énonciation. L’enjeu original était de

divertir la reine. Cette reine, Elisabeth de France, est aussi une des protagonistes d’une autre

« nouvelle espagnole » de l’époque : Dom Carlos (1672), de César Vichard de Saint-Réal. Cette nouvelle

était bien connue par C. Bernard, de sorte que nous pouvons supposer qu’elle y fait allusion dans Inès

de Cordoue. Juste avant qu’Inès n’entame son récit, C. Bernard rappelle brièvement l’intrigue de cette

nouvelle contemporaine :

Dom Carlos était assidu chez la reine, sa belle-mère. Comme il lui avait été destiné pour mari

avant que le roi eût songé lui-même à l’épouser, il ne pouvait s’empêcher, en la voyant, de

regretter ce qu’il avait perdu, et il la cherchait sans cesse, quoique ce fût augmenter ses

douleurs. La princesse d’Eboli, femme du premier ministre, ne quittait point la reine par un

intérêt secret qu’elle prenait à Dom Carlos, et qui depuis ne fut pas moins funeste à la reine

qu’à lui54.

Déjà ces propos annoncent le sort peu heureux de la reine. Selon Saint-Réal, elle serait empoisonnée

par son mari, le roi Philippe II, qui aurait été jaloux de l’amour qu’elle portait pour Dom Carlos, fils

du roi et beau-fils d’Élisabeth. Plus tard dans Inès de Cordoue, C. Bernard développe d’ailleurs cette

histoire en tant qu’intrigue secondaire. Quoi qu’il en soit, nous en retenons que la reine, selon la

tradition littéraire, ne connaissait donc pas le bonheur conjugal et qu’elle sentait une passion

secrète pour son beau-fils.

Ainsi, il nous semble probable qu’Inès, en racontant « Le Prince Rosier », réfère implicitement aux

infortunes de la reine. Car, dans ce conte aussi, l’amour est la cause de tous les malheurs. Ou bien on

est malheureux parce qu’on a perdu quelqu’un qu’on a aimé énormément, comme la mère de

Florinde, la princesse du conte : « La reine […] étant veuve d’un roi qu’elle avait tendrement aimé,

vivait dans une douleur proportionnée à l’amour qu’elle avait eu »55. Ou bien l’amour tourne en

jalousie, ce qui rend malheureux les deux partis. Le père du prince Rosier l’a vécu :

Le roi son père, étant veuf d’une femme qui lui avait fait souffrir toutes les horreurs de la

jalousie, en épousa une seconde peu propice à en inspirer, mais née pour en prendre. […] il

douta lequel de ses maux était le plus grand56.

54 Ibid., p. 393-394. 55 Catherine Bernard, « Le Prince Rosier », dans Nouvelles galantes du XVIIe siècle: Mme de Lafayette, Saint-Réal, Du Plaisir,

Catherine Bernard, édition critique établie par Marc Escola, Paris, GF Flammarion, 2004, p. 394-402, p. 394. 56 Ibid., p. 395.

23

Et les parallèles entre conte et cadre vont plus loin. Dans « Le Prince Rosier » c’est surtout le mariage

qui est dépeint comme un lien affreux »57. La princesse Florinde est pleine d’amour pour le prince

Rosier de sorte qu’il reprend sa forme humaine de prince charmant. Pourtant, quand ils se marient

enfin, cet amour tout-puissant doit céder la place à la jalousie et l’infidélité. Inès, et ainsi aussi C.

Bernard, démasquent le bonheur conjugal qui est censé être la preuve de l’amour éternel. Là où le

conte typique se termine normalement, c’est-à-dire au moment du mariage des deux amants, nous

lisons : « le mariage, selon la coutume, finit tous les agréments de leur vie »58.

Nous pouvons aisément imaginer qu’une telle morale plaît bien à la reine Élisabeth. Dans la

présentation d’un mariage voué à l’échec, elle trouve la consolation de ne pas être la seule à souffrir.

D’ailleurs, la reine peut effectivement partager son malheur avec une autre dans la nouvelle. Le

mariage d’Inès avec le comte de las Torres ne sera pas non plus inspiré par l’amour et elle aussi aura

une passion pour un autre. De plus, la jalousie, qui est destructrice pour l’amour de Florinde et du

Prince Rosier, fait autant penser à la jalousie du roi Philippe II envers son fils et sa femme, qu’à celle

de Léonor envers Inès. De ce fait, le conte peut aussi être lu comme la prédiction de la vie de la reine

et d’Inès. La fin malheureuse du conte est tout à fait justifiée par la nouvelle-cadre.

2.3.2.2 « Riquet à la houppe »

Si « Le Prince Rosier » est adressé à la reine, avec « Riquet à la houppe » Léonor semble surtout viser

Inès, sa rivale. Un conte qui finit mal serait ainsi un moyen possible pour se venger, en démontrant

que l’amour n’est pas toujours vainqueur. Même si Inès l’emportait sur Léonor, le conte explique

que l’amour, aussi puissant qu’il soit, n’est pas suffisant pour une issue heureuse. Et en effet, nous

remarquons des échos entre Inès d’une part et la protagoniste du conte, la princesse Mama, de

l’autre.

Tout d’abord, il est surprenant que Mama soit montrée sous un mauvais jour, tandis que

normalement les personnages principaux des contes de fées sont les plus aimables du monde… Au

début de l’histoire, Mama est encore vraiment stupide, et par conséquent insupportable. Ensuite,

elle perd un peu la sympathie du lecteur parce qu’elle refuse de tenir sa parole face à Riquet à la

houppe, qui l’a pourtant aidée à devenir intelligente59. Elle finit par accepter de l’épouser, mais

seulement parce qu’elle s’y voit contrainte à cause de sa vanité : « Elle trembla : l’idée de perdre son

amant [Arada] par le mépris qu’il aurait pour elle la toucha assez vivement pour la faire renoncer à

57 Ibid. 58 Ibid., p. 401. 59 Nous remarquons que le refus de mariage est quand même un motif très répandu dans l’univers des contes de fées.

Pensons par exemple au « Nain jaune » d’Aulnoy, que nous traiterons plus loin.

24

lui »60. Enfin, elle emploie l’intelligence obtenue grâce à Riquet, pour le tromper avec Arada, l’amant

qu’elle a su séduire aussi grâce à cette intelligence. Bref, Léonor prend soin de faire de sa

protagoniste une antipathique infidèle et nous ne pouvons comprendre cela qu’en rapport avec la

relation de concurrence avec Inès. D’autant plus que « Riquet à la houppe » fait partie d’une sorte de

tournoi de contes et le risque de présenter une héroïne peu aimable ne se fait pas sans raison

précise.

En outre, nous remarquons une analogie entre le prince Arada du conte et le marquis de Lerme du

cadre. Ils sont séduits de façon parallèle par Mama et Inès. Le don que Mama a reçu de Riquet lui

permet de dire « des choses suivies, peu après de sensées et enfin de spirituelles »61. C’est donc en

grande partie à son éloquence que la princesse doit la passion d’Arada. Quant au marquis de Lerme,

lui aussi, tombe amoureux d’Inès au moment où il est à l’écoute de son conte. De nouveau, nous

assistons au pouvoir séducteur de l’éloquence et des contes en particulier.

Ainsi, le conte de Léonor a une fonction de mise en garde. En montrant justement les effets de

l’éloquence de Mama, la conteuse semble vouloir prévenir le marquis de Lerme de ne pas épouser

une femme trop éloquente. Car il risquerait de descendre aux Enfers et même de devenir un

monstre, tout comme le prince Arada, qui suit sa princesse dans le royaume souterrain de Riquet et

qui, à la fin du conte, est transformé par le jaloux Riquet en son épouvantable semblable.

Et en effet, les ressemblances sont justifiées au cours de la nouvelle, c’est-à-dire que dans le récit-

cadre la situation amoureuse est identique. Comme Mama, Inès doit épouser un homme qu’elle

n’aime pas, le comte de las Torres, mais elle continuera à aimer son premier amant qui est le

marquis de Lerme. Cette passion secrète sera aussi la cause de leurs malheurs, vu que Lerme meurt à

la fin de la nouvelle, et qu’Inès se retire dans un couvent. Pourtant, il y a aussi un écart essentiel

entre le conte et le cadre. Ce que Léonor n’a pas pu prédire, c’est la constance d’Inès. Certes, cette

dernière se rend coupable à éprouver de l’amour hors du mariage, mais elle ne sera jamais vraiment

infidèle à son mari. Cela a aussi été remarqué par Escola qui va, de ce fait, même jusqu’à appeler le

conte plus réaliste et naturel que la nouvelle62.

60 Catherine Bernard, « Riquet à la houppe », dans Nouvelles galantes du XVIIe siècle: Mme de Lafayette, Saint-Réal, Du Plaisir,

Catherine Bernard, édition critique établie par Marc Escola, Paris, GF Flammarion, 2004, p. 402-408, p. 406. 61 Ibid., p. 403. 62 Marc Escola, op. cit., p. 307.

25

2.3.2.3 Le prodige des fées

Si nous revenons maintenant sur notre hypothèse formulée dans 2.2, qui veut que le personnage

conteur occupe un rôle d’oracle, nous la trouvons étayée par les analyses menées ci-dessus. Avec

« Le Prince Rosier », Inès semble prédire l’avenir malheureux de la reine, et Léonor adresse « Riquet

à la houppe » au marquis de Lerme afin de le mettre en garde contre les dangers qu’il y a à tomber

amoureux d’Inès.

Ce rôle de prophète attribué au conteur rappelle un motif récurrent dans les contes de fées : le

prodige des fées. L’exemple le plus connu se trouve dans « La Belle au bois dormant » de Perrault :

lors du baptême de la princesse, une vieille fée malveillante prédit « que la Princesse se percerait la

main d’un fuseau, et qu’elle en mourrait »63. Ce même motif est aussi présent dans « Le Prince

Rosier » :

Un jour que toutes les femmes de la reine étaient dans sa chambre avec la princesse, il parut

un petit char traîné par six papillons, dont les ailes étaient peintes de mille couleurs ; une

personne dont la taille répondait à l’équipage, et qu’on soupçonna être une fée, après avoir fait

plusieurs tours avec le char, jeta ce billet :

Florinde est née avec beaucoup d’appas,

Mais son malheur doit être extrême,

S’il faut qu’un jour elle aime

L’amant qu’elle ne verra pas64.

Par analogie avec la petite fée qui écrit ce billet dans le conte, Inès et Léonor peuvent aussi être

considérées comme des fées, ainsi que C. Bernard d’ailleurs. Car, les ressemblances entre conteuses

et fées sont aussi présentes sur le niveau au-dessus du récit-cadre. Prenons par exemple le passage

où C. Bernard adresse son conte « à Son Altesse Sérénissime, Monseigneur le prince de Dombes »65.

La conteuse lui dédie l’ouvrage lorsqu’il est encore au berceau et elle exprime ses vœux pour

l’intelligence de l’enfant et son futur talent littéraire. Le lecteur ne peut pas s’empêcher de voir ici

un lien avec la scène prototypique des dons des fées aux débuts des contes. Nous évoquons de

nouveau l’exemple de « La Belle au bois dormant », où la petite princesse reçoit plusieurs dons de

ses fées marraines lors de son baptême66. Mais, ironiquement, le parallèle entre la réalité et la

63 Charles Perrault, « La Belle au bois dormant », dans Contes, édition critique établie par Catherine Magnien, Paris, Librairie

Générale Française, 2006, p. 185-200, p. 188. 64 Catherine Bernard, « Le Prince Rosier », op. cit., p. 394-395. 65 Catherine Bernard, Inès de Cordoue, op. cit., p. 390. 66 Charles Perrault, « La Belle au bois dormant », op. cit., p. 185-188.

26

nouvelle sera un peu trop concret : tout comme le protagoniste masculin d’Inès de Cordoue, l’enfant

mourra trop tôt, trois ans après la publication du livre…

2.3.3 Bilan provisoire

Outre une explication plausible et assez générale pour la fin malheureuse de quelques-uns de nos

contes, cette analyse narrative nous permet également d’étudier le pessimisme des deux conteuses

analysées jusqu’à présent. Nous avons démontré qu’Aulnoy exploite le plus le procédé de

l’encadrement. Mais, inversement, il importe peut-être même plus de remarquer que tous les contes

d’Aulnoy finissant mal sont racontés dans un récit-cadre. Déjà, ces cadres se finissent tous de façon

heureuse, voire par une fin qu’on attendrait plutôt dans les contes de fées, c’est-à-dire le mariage du

couple ou des couples héroïques. Et en plus, les récits-cadres contiennent souvent aussi d’autres

contes à dénouement heureux. Dans Don Fernand de Tolède par exemple, « Le Nain jaune » est suivi du

conte, « Serpentin vert », qui se finit beaucoup plus joyeusement, et qui, de ce fait, adoucit un peu la

fin dysphorique du premier conte67. Ainsi, nous aimerions atténuer le jugement trop généraliste qui

voudrait que tout conte triste soit forcément porteur d’un regard pessimiste sur le monde.

Ce pessimisme est par contre beaucoup plus présent chez C. Bernard. D’abord, ses deux seuls contes

de fées se terminent tous les deux assez tristement. Ensuite, la conteuse, contrairement à Aulnoy, a

imaginé une fin toute pareille pour son cadre, la nouvelle Inès de Cordoue. Toute son œuvre présente

en fait une attitude ironique face à l’amour et au mariage. Pourtant nous pouvons opposer que la fin

triste des deux contes est nécessairement en relation avec le récit-cadre. Ainsi il y a aussi une

explication narrative pour le fait qu’Inès et Léonor ont toutes les deux imaginé des fins tristes…

Enfin, nous reviendrons quand même sur la troisième conteuse présente dans notre corpus, Murat.

Elle a imaginé trois contes qui se finissent mal, mais aucun n’est enchâssé dans un cadre. Une

analyse de la situation énonciative, comme celle menée plus haut, n’est donc pas applicable aux

contes de Murat, de sorte qu’une explication ou une atténuation des fins tristes de ses contes n’est

pas valable. Toutefois, il n’est pas correct de traiter les contes en question comme étant

complètement indépendants. Nous l’avons déjà remarqué, les contes d’un même recueil peuvent

aussi maintenir des dialogues et des références de l’un à l’autre. De même, il ne faut jamais exclure

les possibilités d’intertextualité entre les contes d’un même auteur, comme Mainil le démontre pour

67 Sermain évoque entre autres les parallèles et surtout les dissemblances entre les deux contes d’Aulnoy (Jean-Paul

Sermain, Le conte de fées, du classicisme aux Lumières, p. 108).

27

« Gracieuse et Percinet », « Le Mouton » et « Serpentin vert », trois contes d’Aulnoy68, ou encore des

possibilités d’un dialogue sous-jacent entre des contes de différents écrivains, comme nous le

montrerons plus tard, dans 4.3.

Après ces remarques nécessaires qui démontrent l’importance du contexte proche des textes, il ne

nous reste qu’à formuler quelques tendances générales. Nos analyses permettent de dresser une

sorte d’échelle du degré de pessimisme, présent dans les contes de nos trois conteuses. Murat serait

celle qui véhicule le message le plus sombre des trois, étant donné que ses trois contes à

dénouement malheureux forment plus ou moins une entité en tant que telle. C. Bernard occuperait

une place intermédiaire. Nous avons d’elle seulement deux contes, et ils se finissent tous les deux

mal, tout comme les nouvelles de sa main. Cependant, la fin triste des deux contes de C. Bernard ne

surprend pas au sein de leur récit-cadre, ce qui atténue un peu le côté noir du message. Aulnoy

enfin, s’avère la moins pessimiste des trois. Sans nier la portée critique de ses contes, il est quand

même intéressant de remarquer que ses contes à fin malheureuse ont tous une fonction stratégique

et qu’ils apparaissent dans des contextes plus joyeux.

68 Jean Mainil, op. cit., p. 119-148.

29

La clef intertextuelle Chapitre 3

« [N]e vous semble-t-il pas que nous sommes des Amadis, ou tout au moins don Quichotte, que nous arrivons dans un palais enchanté, que nous en chassons les fées qui le gardent depuis deux ou trois ans, et que les princesses viennent ensuite nous baiser les mains et nous désarmer ? »69

Le chapitre précédent a déjà affirmé que le genre du conte a un caractère ambivalent. Avec Perrault,

nous sommes d’avis que le genre est moderne, mais toutefois les traces d’autres genres et traditions

se laissent aisément discerner. Cela est notamment vrai pour les genres romanesques, avec lesquels

les contes entretiennent une relation un peu spéciale. Mais aussi la mythologie antique, la tragédie

et même l’utopie ont influencé le conte littéraire français. En outre, nous ne pouvons pas négliger

l’importance du folklore. Malgré le caractère indéniablement littéraire de chacun des contes traités

ici, les sources populaires sont toutefois propres au genre du conte de fées.

Chaque genre littéraire a son propre caractère et prototype, tout comme le conte de fées. Aussi,

serait-il possible que là où le conte diverge de son modèle prototypique à lui, il se rapproche de celui

d’un des genres dont il est influencé ? Bref, est-ce que les fins négatives des contes peuvent être

expliquées en rapport avec les influences d’autres genres courants de l’époque ?

3.1 Le romanesque

Outre le procédé de l’encadrement, il y a aussi l’intrigue même de quelques contes qui souscrit au

lien étroit entre le romanesque et les contes de fées littéraires. Rappelons par exemple « Le Prince

Rosier » de C. Bernard dont nous avons souligné les similitudes avec la nouvelle de Saint-Réal, Dom

Carlos. Ce sont notamment ces ressemblances qui donnent une explication plausible au dénouement

69 Madame d’Aulnoy, Don Gabriel Ponce de Leon, op. cit., p. 408-409.

30

triste du « Prince Rosier ». Le conte, ainsi que la nouvelle, traitent d’un mariage malheureux et

écrasé sous le poids de la jalousie. Vérifions si ce cas précis peut être généralisé.

3.1.1 Un rapport amour-haine

En général, Sermain remarque une double attitude du conte à l’égard du « genre romanesque » :

[I]l [le conte] lui offre une sorte de miroir ironique où il se moque des attentes du lecteur et des

conventions, et en même temps il récupère ce qui a été écarté au nom des nouveaux idéaux

d’imprégnation « classique »70.

Le conte se veut donc à la fois innovateur et nostalgique. Pour mieux comprendre ce dessein

paradoxal, il importe de savoir quel est exactement ce « genre romanesque » dont nous parle

Sermain. Au cours du XVIIe siècle, la conception du roman a changé considérablement. Au début du

siècle, il y avait les grands romans-fleuves, pastoraux ou héroïques, comme L’Astrée (1607-1627)

d’Honoré d’Urfé et Artamène ou le grand Cyrus (1649-1653) de Madeleine de Scudéry. Voilà la dite

« imprégnation ‘classique’ ». Vers la fin du siècle, cependant, le genre romanesque le plus en vogue

est la nouvelle, dénommée « histoire » à l’époque71.

Sieur Du Plaisir explique ce changement littéraire dans ses Sentiments sur l’histoire, une des premières

poétiques de la nouvelle et même de la fiction tout court, parue en 1683 : « les petites histoires ont

entièrement détruit les grands romans »72. L’auteur adopte une position très négative vis-à-vis des

grands, anciens romans, dont il dénonce surtout « leur longueur prodigieuse » et « leur peu de

vraisemblance »73. La nouvelle galante, selon Du Plaisir, se définit par le caractère opposé à son

prédécesseur. Les nouvelles se veulent à tout prix vraisemblables et c’est justement cette exigence

que les conteurs foulent aux pieds :

À cette vraisemblance, le conte de fées préfère substituer un monde absolument cohérent mais

dont la cohérence est interne puisque toutes les lois y sont à la fois logiques et arbitraires. C’est

donc moins de « l’invraisemblance » que propose le conte de fées qu’un « a-vraisemblance :

tout se passe ici comme par enchantement74.

70 Jean-Paul Sermain, Le conte de fées, du classicisme aux Lumières, p. 63. 71 Ibid., p. 65 et Lewis C. Seifert, op. cit., p. 81. 72 Sieur Du Plaisir, « Sentiments sur l’histoire », dans Nouvelles galantes du XVIIe siècle: Mme de Lafayette, Saint-Réal, Du Plaisir,

Catherine Bernard, édition critique établie par Marc Escola, Paris, GF Flammarion, 2004, p. 485-503, p. 485. 73 Ibid. 74 Jean Mainil, op. cit., p. 74.

31

Si nous reprenons maintenant la définition de Sermain, nous savons d’une part que le conte

s’inspire et se moque à la fois de la nouvelle, surtout en rompant avec une vraisemblance toute-

puissante. Dans Inès de Cordoue, cet écart entre conte et nouvelle est d’ailleurs explicitement

mentionné lorsque la reine prescrit « que les aventures [les contes galants] fussent toujours contre

la vraisemblance »75. Le merveilleux omniprésent dans les contes permet de détourner, voire

ridiculiser les intrigues de la nouvelle. D’autre part, le conte témoigne d’une sorte de nostalgie des

romances pastorales ou héroïques. Il intègre des aventures parfois peu crédibles propres à ces

romans-fleuves et des motifs chevaleresques des romans médiévaux76. Bref, le conte a un caractère

très hétérogène. Mais est-ce que cette influence du romanesque se fait sentir aussi au niveau de la

fin des contes de notre corpus ?

3.1.2 Explication des fins malheureuses

En effet, contrairement aux contes de fées, un dénouement malheureux n’est pas atypique dans les

nouvelles de l’époque. Nous pensons à Inès de Cordoue, mais c’est La Princesse de Clèves, la nouvelle

galante de Madame de Lafayette de 1678, qui en est l’exemple par excellence. La constance de

l’héroïne qui refuse à tout point d’épouser son amant, le duc de Nemours, est devenu un topos

incontournable dans la littérature française et prouve qu’une conclusion sans mariage n’a pas

forcément d’effets néfastes sur la popularité d’un livre.

Du Plaisir est du même avis qu’une fin malheureuse n’est pas problématique. Il dit à ce propos dans

ses Sentiments sur l’histoire :

L’histoire doit toujours avoir une conclusion ; […] et le plus grand plaisir que puisse goûter

l’esprit après toutes les inquiétudes et toutes les impatiences que donne une longue suite

d’intrigues et d’événements est de voir enfin les héros, ou entrer au port, ou faire naufrage.

Leur union est toujours plus souhaitée que leur mort ; cependant leur mort aussi bien que leur

union, fait trouver ce repos que l’esprit demande77.

À condition que la conclusion soit vraisemblable, il importe donc peu si elle est heureuse ou triste.

Cela n’est pourtant pas l’opinion de Saint-Réal. L’auteur de Dom Carlos a, lui aussi, publié ses

réflexions à propos du genre de la nouvelle, sous le titre De l’usage de l’histoire. Plus que Du Plaisir,

Saint-Réal souligne les effets avantageux d’une histoire triste. À son avis, les protagonistes des

nouvelles, souvent des membres de la plus haute société, doivent être présentés dans ce qu’ils ont en

75 Catherine Bernard, Inès de Cordoue, op. cit., p. 402. 76 Jean-Paul Sermain, Le conte de fées, du classicisme aux Lumières, p. 66. 77 Sieur Du Plaisir, op. cit., p. 502.

32

commun avec tout le monde, c’est-à-dire « leurs passions, leurs faiblesses, et leurs erreurs »78. Ainsi

Saint-Réal désigne l’amour, et surtout son échec, comme le sujet le plus intéressant des nouvelles :

[C]omme l’amour, qui est la cause de ces malheurs, est une chose dont tout le monde est

capable et qui peut faire tomber toute sorte de personnes, dans des inconvénients aussi

considérables pour leur condition que ceux où ces princes tombèrent, étaient considérables

pour la leur, la représentation de leur malheur touche nécessairement tout le monde, intéresse

tous ceux qui la considèrent ; et par les réflexions où elle les engage, purifie insensiblement

dans leurs cœurs la même passion qui a causé tous ces désastres, en la réduisant à une

médiocrité qui la rend incapable d’en pouvoir jamais produire de semblables79.

Cette réflexion rappelle notre analyse dans le chapitre précédent, où le contexte d’énonciation,

présent grâce à l’encadrement, était crucial pour comprendre la fin des contes d’Aulnoy, « L’Île de la

Félicité » et « Le Mouton » et de ceux de C. Bernard, insérés dans Inès de Cordoue. La présentation

d’un amour voué à l’échec occupe d’une part une fonction consolatrice. De telles passions fatales

permettent au lecteur ou à l’auditeur de s’identifier avec les personnages de l’histoire, comme nous

l’avons vu dans le cas de « L’Île de la Félicité » et « Le Prince Rosier ». D’autre part, la citation évoque

que l’échec de l’amour peut servir d’avertissement. L’histoire présente ainsi un modèle à ne pas

suivre. Voilà en effet le message caché pour Doña Juana dans « Le Mouton » et pour le marquis de

Lerme dans « Riquet à la houppe ».

Le contexte narratif nous avait déjà fait comprendre les fonctions de la fin triste de ces contes, mais

maintenant nous avons aussi une idée de ses origines : les soucis de la vraisemblance propre au

courant de la nouvelle. La fin heureuse du conte typique n’est souvent pas vraisemblable, et parfois

même tout à fait artificielle. Les contes de notre corpus réagissent contre cela, mais cette réaction

contre le dénouement heureux est en fait moins rebelle que supposé de prime abord. Au contraire,

elle témoigne plutôt d’un rapprochement vers le genre de la nouvelle. Le reflet du miroir ironique,

tenu par le conte au romanesque, semble un peu plus flou dans ces cas.

78 César Vichard de Saint-Réal, « De l’usage de l’histoire », dans Nouvelles galantes du XVIIe siècle: Mme de Lafayette, Saint-Réal,

Du Plaisir, Catherine Bernard, édition critique établie par Marc Escola, Paris, GF Flammarion, 2004, p. 456-471, p. 470. 79 Ibid., p. 470-471.

33

3.2 Les inspirations anciennes

Si l’hétérogénéité du conte est visible dans ses inspirations romanesques, il ne faut point s’arrêter là,

car le genre moderne se réfère à des sources beaucoup plus anciennes. Sans aborder les détails de

l’affaire épineuse qu’est le débat de l’origine des contes de fées, nous admettons, à l’instar de la

plupart des critiques, qu’il existe une sorte de patrimoine populaire où ont puisé les conteurs de la

fin du XVIIe siècle80. R. Robert par exemple a calculé que la moitié des contes parus en France entre

1696 et 1705 « entretiennent des relations avec des sources folkloriques »81. Et quant à l’autre moitié

du corpus, elle en souligne encore les motifs folkloriques, intégrés en petites miettes diverses dans

les contes inventés. Ainsi, toujours selon R. Robert, il y a trois contes de notre corpus qui sont

d’origine véritablement folklorique. Il s’agit de « L’Île de la Félicité » et du « Mouton » d’Aulnoy et –

cela ne surprend guère – du seul conte de Perrault dans notre corpus, « Le Petit Chaperon rouge »82.

Or, les deux conteurs adoptent une attitude fort différente à l’égard du folklore. Perrault, lui, se

vante de l’origine authentiquement française de ses contes83. En effet, de nos cinq conteurs, il est

celui qui est le plus fidèle à la tradition orale, notamment dans son style simple et dans son dessein

qui est d’instruire des enfants84. Aulnoy par contre, et avec elle les autres conteuses sauf Marie-

Jeanne L’Héritier de Villandon, s’inspirent beaucoup plus librement du folklore. D’une part, si elles

empruntent à la tradition populaire, elles ne l’expriment pas explicitement et transposent les

histoires dans un modèle conforme aux schémas littéraires de l’époque. D’autre part, ces conteuses

préfèrent intégrer des éléments mythologiques. Beaucoup plus que les références au folklore, ce

genre de détails intellectuels font que leurs contes plaisent dans les salons mondains imprégnés des

restes de la préciosité85.

La question se pose donc à nouveau : est-ce que nous pouvons dire que l’absence d’un happy end dans

les contes de notre corpus est due à des influences populaires ou encore mythologiques ? Plus

concrètement, « L’Île de la Félicité », « Le Mouton » et « Le Petit Chaperon rouge », les trois contes

80 À voir à ce propos : Raymonde Robert, op. cit., p. 91-142. 81 Ibid., p. 185. 82 Ibid., p. 75. 83 Charles Perrault, « Préface », dans Contes, édition critique établie par Catherine Magnien, Paris, Librairie Générale

Française, 2006, p. 73-82. 84 Marc Soriano, op. cit., p. 153. 85 A ce titre voir mon mémoire de bachelier dans lequel nous montrons que la frontière entre Anciens et Modernes dans la

Querelle des Anciens et des Modernes n’est pas toujours aussi nette (Delphine Calle, Les Héritières de Psyché dans la littérature

française de la seconde moitié du XVIIe siècle. Une confrontation entre Les Amours de Psyché et de Cupidon de Jean de La Fontaine et

« Plus Belle que Fée » de Mademoiselle de La Force, mémoire de bachelier, Gent, Universiteit Gent, 2013).

34

dites folkloriques, reprennent-ils simplement une tradition plus ancienne et populaire ? Et la fin des

autres contes, « Anguillette » par exemple, dans lequel la protagoniste porte le nom d’une déesse

antique, pouvons-nous les expliquer d’après la mythologie ? Il s’agit de questions difficiles, surtout

celle de l’origine populaire de certains contes, en premier lieu parce que nous ne disposons pas de

sources écrites qui prouvent ni réfutent ce genre d’inspirations. En outre, mythologie et folklore

sont souvent réunis dans les contes de fées.

3.2.1 Une inspiration folklorique ?

Le conte optimiste à dénouement heureux, tel est le stéréotype qui constitue le point de départ de

notre mémoire. Mais quid de la tradition orale ? Est-ce que les contes populaires sont aussi censés se

terminer bien, tout comme leurs héritiers littéraires ? La réponse est négative. R. Robert explique

que la tradition orale n’avait pas autant de contraintes en ce qui concerne le schéma narratif du

conte86. Nous avons déjà vu que le modèle du conte de fées littéraire tel que nous le traitons ici, est

centré autour de la restauration d’un méfait. Dans les narrations orales, nous remarquons la

tendance d’une variation plus libre.

Notre échantillon de trois contes d’origine folklorique souscrit à cette thèse. « Le Petit Chaperon

rouge » est peut-être l’exemple le plus connu de conte folklorique, quoique nous en rappelons

toutefois la littérarité cachée. Selon les folkloristes Paul Delarue et Marie-Louise Tenèze, l’histoire

dérive du conte-type numéro 333 portant le même nom, « Le Petit Chaperon rouge » ou « Le

Glouton »87. De nos jours, la version la plus répandue du conte est celle au dénouement heureux

selon les frères Grimm. La petite fille y est libérée du ventre du loup par un chasseur. Pourtant, cette

version n’est nulle part attestée dans les catalogues folkloriques, ce qui est par contre bel et bien le

cas pour la fin tragique de notre « Petit Chaperon rouge ». Parmi les variantes du conte reprises dans

les catalogues, il y en a certaines remplies de détails encore plus épouvantables, mais d’autres aussi

qui se finissent bien. Ainsi la mort du Petit Chaperon rouge chez Perrault ne serait pas une invention

cruelle de sa part. Mais, n’oublions pas non plus qu’il aurait délibérément opté pour une fin

tragique, sachant qu’il était au courant des variantes plus optimistes du conte88.

Il en va de même pour « L’Île de la Félicité » d’Aulnoy, qui s’organiserait selon le modèle du conte-

type 470B ou « Le pays où l’on ne meurt pas ». Dans le catalogue de Delarue et Tenèze, nous

86 Raymonde Robert, op. cit., p. 185. 87 Paul Delarue et Marie-Louise Tenèze, Le Conte populaire français. Catalogue raisonné des versions de France et des pays de langue

française d'outre-mer. Tome I. op. cit., p. 373-383. 88 Marc Soriano, op. cit., p. 152.

35

remarquons que toutes les versions du conte, il y en a six, se terminent exactement comme celui

d’Aulnoy, c’est-à-dire avec la Mort ou le Temps qui retrouve le héros et qui le tue89. De nouveau, la

fin tragique du conte trouve donc son origine dans le folklore, mais contrairement à Perrault, la

conteuse n’avait pas d’autre version plus optimiste dont elle aurait pu s’inspirer…

Enfin l’exemple du « Mouton » semble contredire notre hypothèse. Cette fois-ci, le conte-type 425,

intitulé « La recherche de l’époux disparu », finit bien dans toutes les versions folkloriques

attestées90. La mort du héros, le roi Mouton, est donc clairement une invention d’Aulnoy. Cette fin

tragique est d’emblée remarquable, parce qu’elle témoigne d’un contraste voulu vis-à-vis de la fin

normale, ce qui renforce le côté pessimiste du conte. Chez Perrault ce contraste est aussi présent,

étant donné que lui aussi avait le choix de suivre une tradition plus optimiste91. Nous pouvons donc

supposer une double influence populaire dans les contes de fées. Ou bien cette influence se

manifeste par la reprise exacte d’une fin malheureuse de la tradition populaire, ou bien il y a une

influence « négative », dans la mesure où le conteur veut se démarquer des versions populaires,

voire les tourner en ridicule.

3.2.2 Le folklore et la mythologie

Perrault a beau défendre l’origine authentiquement française de ses contes, le genre reste imprégné

de la mythologie grecque et latine. Le conte-type 425, dont nous venons de parler, montre

clairement que la distinction entre mythe et conte n’est pas toujours aussi nette. R. Robert dédie

presque tout son chapitre, intitulé « Le folklore, le choix des sujets », à ce conte-type et à ses

variations. Elle explique que c’est un des schémas narratifs populaires le plus souvent repris dans les

contes de fées. Le personnage du héros ensorcelé et transformé en animal en est le motif le plus

célèbre.

Delarue et Tenèze traitent également du conte-type dans leur catalogue des contes populaires, mais

ce schéma narratif est attesté pour la première fois au IIe siècle, quand Apulée écrit son Amour et

Psyché, inséré dans L’Âne d’or. L’histoire, est-elle un conte, une fable ou un mythe ? Les opinions sont

partagées, mais toutefois il est sûr que les personnages appartiennent à la mythologie antique… R.

Robert développe ainsi le rapport perméable entre conte et mythe :

89 Paul Delarue et Marie-Louise Tenèze, Le Conte populaire français. Catalogue raisonné des versions de France et des pays de langue

française d'outre-mer. Tome II. Paris, Éditions G.-P. Maisonneuve et Larose, 1964, p. 163-168. 90 Ibid., p. 72-109. 91 Nous retournerons plus amplement sur ces deux contes dans le chapitre suivant, en essayant d’expliquer ces

détournements surprenants à la lumière du contexte extralittéraire.

36

Toutes ces unions anormales suggérées [dans les contes de fées], souvent réalisées, ce jeu

pervers avec une sexualité dévoyée, ne renvoient-ils pas à des fantasmes très anciens mais

aussi très fréquents dont la mythologie gréco-latine nous fournit des exemples avec les amours

extraordinaires de Jupiter et ses accouplements hors nature. Que l’amant divin se fasse cygne

pour séduire Léda, taureau pour enlever Europe, pluie d’or pour féconder Danaé, ce sont

toujours les même images d’un bouleversement comique de l’ordre sexuel qui sont en

question92.

Ce genre de mythes, montrant de nombreuses transformations merveilleuses, sont toutes

regroupées dans l’œuvre d’Ovide qui porte le nom approprié des Métamorphoses. Ce recueil célèbre

est l’une des sources les plus complètes et les plus importantes pour les études contemporaines de la

mythologie grecque et latine. Dans l’optique de ce mémoire, il peut être considéré comme un recueil

de contes avant la lettre, car les ressemblances des motifs de contes à certains mythes peuvent être

frappantes. Nous ajoutons d’ailleurs qu’Aulnoy, précisément dans la nouvelle qui contient « Le

Mouton », c’est-à-dire dans Don Gabriel Ponce de Leon, fait explicitement allusion à l’œuvre :

Iris passe en dépit des ans

Pour la cadette du Printemps :

Sans en chercher d’autres raisons

Dans les Métamorphoses,

Iris est pleine de boutons,

Et le Printemps de roses93.

Outre « Le Mouton » avec son prince transformé en mouton, il y a bien d’autres contes dans notre

corpus qui contiennent d’une façon ou d’une autre ce motif ancien qui tient à la fois de la

mythologie et du folklore. Ces métamorphoses jouent souvent un rôle important dans le

dénouement du conte : généralement le happy end correspond à la « dé-transformation » du héros,

lorsqu’il reprend sa figure humaine. Dans nos contes en revanche, il n’en est rien. Le roi Mouton, par

exemple, meurt avant de pouvoir reprendre forme humaine et dans les autres contes, nous trouvons

une transformation inverse du schéma attendu. Les deux contes de Bernard se terminent par des

transformations en rosier et en monstre, et dans « Le Nain jaune » et « Anguillette » les amants

deviennent des arbres !

Toutefois, la liaison la plus évidente entre un conte à dénouement triste et la mythologie réside dans

la tragédie. La période de l’apparition des contes de fées français correspond à la fin du siècle où la

tragédie fut un des meilleurs « produits d’export ». Nous pensons notamment aux chefs-d’œuvre de

92 Raymonde Robert, op. cit., p. 147. 93 Madame d’Aulnoy, Don Gabriel Ponce de Leon, op. cit., p. 492, notre accentuation.

37

Pierre Corneille et de Jean Racine. Malheureusement, une analyse profonde des dénouements tantôt

heureux, tantôt malheureux de ces tragédies et tragi-comédies nous mènerait beaucoup trop loin

ici, mais le thème tragique s’avère tout de même présent dans notre corpus. Racine surtout traite

comme thématique centrale de « l’homme impuissant devant la fatalité qu’il porte en lui »94. Ainsi

c’est l’oracle de Delphes qui fixe l’avenir d’Œdipe et c’est le devin Calchas qui détermine le sort de la

malheureuse Iphigénie ; de même, les prodiges des fées dans nos contes sont aussi irrévocables95.

Florinde, l’héroïne du « Prince Rosier » ne peut échapper aux malheurs prédits par une fée ; Murat,

dans ses trois contes fait vite comprendre que lutter contre son destin est peine perdue et Aulnoy,

notamment dans « Le Mouton », déplore la Fortune…96 Le conte le plus tragique, cependant, est « Le

Portrait qui parle ». Tony Gheeraert en dit :

Bien plus que le schéma du conte, c’est, on le voit, celui de la tragédie qui structure notre

texte : passage du bonheur au malheur, démesure d’un roi trop sûr de lui et trop confiant dans

les performances de sa monture, prémonitions du sort ‘fatal’ qui, sans autre raison qu’une

aveugle cruauté, s’acharne contre le héros et finit par l’écraser, autant de traits qui rappellent

l’univers de Racine, Quinault ou Mme de Lafayette97.

En effet, le conte met en scène l’hybris et le triomphe du fatum. En outre, il rappelle de loin la

tragédie antique de Phèdre, reprise par Racine en 1677. Le conteur anonyme, au début de son conte,

présente le héros, Aménophis, comme un jeune homme aussi passionné par la chasse que l’antique

Hippolyte. Le conte se termine par une sorte de catharsis, quand la fée Impériale conclut que « le

sort est inflexible, et que tout le savoir des fées ne saurait empêcher que ses arrêts ne soient

irrévocables »98.

Une dernière comparaison entre mythe et conte vient d’un tout autre côté : celui des psychanalystes

qui insistent sur le caractère instructif des deux types d’histoires. Selon Bettelheim, le mythe et le

conte incarnent tous les deux « des modèles de comportement humain, ce qui leur permet de

donner […] un sens et une valeur à la vie »99. Une approche freudienne regroupe les deux genres

dans leur expression pareille des désirs cachés, comme le célèbre complexe œdipien qui relève du

94 André Lagarde et Laurent Michard, XVIIe siècle. Les Grands Auteurs français du programme, Paris, Bordas, collection littéraire

Lagarde & Michard, 1970, p. 123. 95 Corneille, en 1659, a retravaillé la tragédie grecque d’Œdipe ; Racine, à son tour, a fait une adaptation d’Iphigénie en 1674. 96 Madame d'Aulnoy, « Le Mouton », dans Contes des Fées, édition critique établie par Nadine Jasmin, Paris, Honoré

Champion Éditeur, coll. Champion Classiques, Littératures, 2008, p. 421-444, p. 443. 97 Tony Gheeraert, « Introduction », dans Contes merveilleux, Perrault e.a., édition critique établie par Tony Gheeraert, Paris,

Honoré Champion Éditeur, coll. Bibliothèque des Génies et des Fées, 2005, p. 765-769, p. 767. 98 [Anonyme], « Le Portrait qui parle », dans Contes merveilleux, Perrault e.a., édition critique établie par Tony Gheeraert,

Paris, Honoré Champion Éditeur, coll. Bibliothèque des Génies et des Fées, 2005, p. 775-790, p. 790. 99 Bruno Bettelheim, op. cit., p. 67.

38

mythe d’Œdipe, mais qui serait aussi présent dans les contes de fées100. Cette définition du conte

comme l’expression des désirs individuels ou communs, nous mène vers le dernier genre discuté ici :

l’utopie narrative.

3.3 L’utopie

La naissance du conte de fées littéraire français coïncide avec l’épanouissement de l’utopie

narrative, genre qui fleurit entre 1675 et 1761101. Comme le mot « utopie » est employé dans

beaucoup de contextes, indépendamment du genre littéraire, il importe de bien définir ce que nous

entendons ici par ce terme. Selon la définition la plus générale, l’utopie est « l’organisation idéale

d’une société humaine » ou encore « une société imaginaire, organisée sur les bases qui impliquent

une critique sous-jacente de la société réelle »102. De ce fait, le lien de ce genre avec le conte de fées

est sensible, mais plus suggéré que manifeste.

Dans ce chapitre nous développerons ce rapport complexe sur deux niveaux. D’abord, sur le niveau

général du conte de fées et ensuite au sein des contes mêmes, étant donné que nos conteuses

surtout aiment incorporer de véritables « îlots utopiques » dans leurs histoires. Nous pensons

notamment à l’Île de la Félicité, l’Île Paisible et le Pays des Injustices de l’Amour, trois topoï présents

dans des contes de notre corpus.

3.3.1 Le Pays des Merveilles

Le décor des contes de fées, que nous appellerons ici le Pays des Merveilles, ne répond pas tout à fait

aux critères du lieu utopique. Dans ce monde féerique, il importe avant tout de combler les désirs

individuels des héros et le bonheur collectif demeure souvent implicite. Or, l’impression générale

des contes de fées se rapproche de celle que produit l’utopie. Dans son étude littéraire Simple Forms,

André Jolles dit que les contes, qu’il appelle Märchen, dépeignent « the world as it should be »103.

Cette fonction utopique des contes est citée aussi par J.R.R. Tolkien, l’auteur d’une des histoires

100 Pour plus d’informations, voir ibid., p. 71-74. 101 Jean-Michel Racault, L’Utopie narrative en France et en Angleterre 1675-1761, Oxford, Voltaire Foundation, 1991, p. 5. 102 Nous empruntons les deux définitions à Racault, qui cite lui-même respectivement André Lalande et Alexandre

Cioranescu (ibid., p. 20). 103 Mary Beth Stein, « Simple Forms », dans The Greenwood Encyclopedia of Folktales and Fairy Tales. Volume Three: Q-Z, édité par

Donald Haase, Westport, Greenwood Press, 2008, p. 864-865, p. 864.

39

fantastiques les plus populaires de nos jours. Il présente le conte comme une sorte de otherworld qui,

comme la religion, inspire l’espoir et la confiance dans le monde :

Like Bloch’s, Tolkien’s philosophical understanding of the fairy tale is grounded in the notion

of hope: “the consolation of fairy-stories, the joy of the happy ending: or more correctly of the

good catastrophe, the sudden joyous ‘turn’ […]: this joy, which is one of the things which fairy

stories can produce supremely well, is not essentially ‘escapist’, nor ‘fugitive.’ In its fairy-tale –

or otherworld – setting, it is a sudden and miraculous grace: never to be counted on to recur.

It does not deny the existence of dyscatastrophe, or sorrow and failure: the possibility of these

is necessary to the joy of deliverance; it denies […] universal final defeat and in so far is

evangelium, giving a fleeting glimpse of Joy, Joy beyond the wails of the world, poignant as

grief”104.

Ainsi la fonction utopique du conte entretient un rapport très étroit avec son happy end stéréotypé.

Cette relation n’a rien d’étonnant, car, logiquement les idéaux d’une société dite parfaite passent

beaucoup mieux à travers une histoire qui se termine bien. Sinon cela prouverait qu’il existe

quelque problème dans l’organisation de cette société. Dans son article « Féerie et utopie dans les

contes de fées féminins », Gabrielle Verdier explique pourquoi c’est précisément ce happy end qui est

utopique :

Si la « fin heureuse », généralement un mariage, rétablit la justice en accomplissant le destin

exemplaire des protagonistes persécutés, ce retour à l’ordre possède une certaine dimension

sociale car il s’agit presque toujours de princes et de princesses dépossédés qui recouvrent leur

royaume bien terrestre et y font régner le bonheur et la paix105.

Elle ajoute que le lieu commun du mariage final est également utopique, dans la mesure où il

incarnerait d’une part la satisfaction des désirs individuels et, de l’autre, la confirmation d’une

institution profondément sociale106.

En se différenciant des autres contes de fées par une fin malheureuse, les contes de notre corpus

s’éloignent d’autant plus de l’utopie narrative. L’interprétation déjà mentionnée des contes comme

étant « dystopiques » ne fait qu’affirmer ce lien entre le dénouement heureux et l’utopie. Au lieu de

présenter un monde dont les autorités garantissent la justice et le bonheur des citoyens dans tous

les cas, nos dix contes témoignent généralement d’une atmosphère de profonde injustice. Dans « Le

104 Jack Zipes, Breaking the Magic Spell. Radical Theories of Folk and Fairy Tales, Kentucky, The University Press of Kentucky,

2002, p. 162-163. 105 Gabrielle Verdier, « Féerie et utopie dans les contes de fées féminins », dans Utopie et fictions narratives, actes du 6ième

colloque international de la SATOR, édition établie par Michel L. Bareau et Santé A. Viselli, Edmonton, Alta press, coll.

Parabasis 7, 1995, p. 138-148, p. 139. 106 Ibid., p. 140.

40

Petit Chaperon rouge » par exemple, Perrault semble plutôt prêcher la loi du plus fort. La petite fille

n’aurait jamais été mangée, si elle avait vécu dans le meilleur des mondes possibles !

Les conteurs qui mettent en scène l’échec des héros dans un pays enchanté où tout paraît possible,

semblent justement dénoncer ce caractère utopique du Pays des Merveilles. L’échec devient encore

plus tragique, lorsque le héros dispose de tout une panoplie d’enchantements possibles. Au final, cet

univers féerique ne diffère pas énormément du monde réel, car « les personnes les plus élevées sont

sujettes, comme les autres, aux coups de la Fortune, et […] souvent elles éprouvent les plus grands

malheurs dans le moment où elles se croient au comble de leurs souhaits »107.

3.3.2 Les îlots utopiques

Si nos dix contes de fées remettent tous en cause l’utopie narrative et son éternelle félicité par leur

fin malheureuse, ce rapport ironique face au genre est encore plus pertinent dans les contes qui

comportent des descriptions de lieux presque explicitement utopiques. Il s’agit souvent d’îles

magnifiques où l’on est parfaitement heureux. Ces lieux sont donc beaucoup plus utopiques que le

décor général des contes de fées dont nous venons de parler. Ainsi ils comprennent plus ou moins

toutes les caractéristiques inhérentes au genre de l’utopie narrative, comme par exemple la clôture

spatiale (insularisme), l’idée de collectivité et la remise en cause de la société comme représentée

ailleurs, hors de l’utopie…108 Cette dernière caractéristique surtout nous intéresse, car dans le cas des

utopies de niveau secondaire, il s’agirait plutôt d’une critique du monde des contes de fées mêmes,

c’est-à-dire ce que nous avons appelé le Pays des Merveilles. Et qu’est-ce qui rend les contes de fées

si typiques ? Le mariage final et le rôle dominant des personnages masculins.

En effet, pour les conteuses françaises de la fin du XVIIe siècle, le mariage ne correspond pas à une

vision du bonheur ultime de la femme. Il ne traduit pas leurs idéaux à elles, ni sur le plan individuel,

rappelons les mots de C. Bernard dans « Le Prince Rosier » où « [l]e mariage, selon la coutume, finit

tous les agréments de leur vie »109, ni sur le plan social, car le mariage de l’époque était vu comme la

manifestation par excellence de la société patriarcale. La femme passait du père au mari. De ce fait,

ces femmes dénoncent que les contes de fées représentent si fidèlement la société réelle de l’époque,

qui est loin d’être conçue comme « the world as it should be ». Il n’est donc pas surprenant que dans

107 Madame d’Aulnoy, « Le Mouton », op. cit., p. 443. 108 Gabrielle Verdier, art. cit., p. 140 ; Jean-Michel Racault, op. cit., p. 20-21. 109 Catherine Bernard, « Le Prince Rosier », op. cit., p. 401.

41

notre corpus des contes, qui se veulent déjà réactifs, il y en ait trois qui contiennent des utopies de

ce type : « L’Île de la Félicité » d’Aulnoy et deux contes de Murat, « Anguillette » et « Peine Perdue ».

Dans « L’Île de la Félicité », le topos utopique est cité dans le titre. Il s’agit d’une société matriarcale

où les hommes sont bannis et où l’on ne meurt pas. La princesse Félicité y est toute-puissante et vit

dans la tranquillité, jusqu’à l’intrusion d’Adolphe, un jeune prince dont elle tombe vite amoureuse.

Au bout de plusieurs années, il veut quitter l’île et laisser Félicité pour chercher la gloire dans le

monde réel, mais en y revenant, il meurt, rattrapé par le Temps. Félicité le pleurera éternellement et

fermera aux hommes les portes de son palais pour toujours. La fin triste du conte est due à l’échec

de l’utopie féminine par la faute des hommes. La moralité110 à la fin du conte le prouve : « […] il ne se

trouve point d’éternelles amours/ Ni de Félicité parfaite » parce que « L’homme forme à la fois mille

nouveaux désirs »111.

L’utopie imaginée par Murat dans « Anguillette » est aussi peu efficace. Il s’agit de l’Île Paisible, « qui

possède l’heureux don de guérir les passions malheureuses »112. Hébé y déménage afin d’oublier

Atimir et de surmonter son chagrin d’amour. Elle y réussit plus ou moins et épouse le prince de l’île

où « contre la coutume des autres royaumes, on y pouvait être époux, amoureux et constant »113.

Pourtant cette utopie n’a pas non plus le succès souhaité. Malgré les charmes de l’île, Hébé

succombe une seconde fois à sa passion pour Atimir. Les conséquences sont désastreuses, Atimir

meurt et pour cela Hébé se suicide. Le message du conte est pessimiste : non seulement il serait

impossible de lutter contre la passion amoureuse, mais c’est aussi une illusion de penser pouvoir

dominer complètement sa passion.

Enfin le seul modèle utopique qui semble fonctionner est celui du Pays des Injustices de l’Amour,

dans « Peine Perdue ». Après avoir tenté en vain d’inspirer de l’amour au prince Isabel, Peine Perdue

choisit de s’y retirer pour toujours. Ce pays a à peu près les mêmes effets que l’Île Paisible, quoique

dans une mesure beaucoup plus modeste :

110 Par « moralité », nous entendons le petit texte versifié souvent présent à la fin des contes et des fables. Le sens n’est

donc pas pareil à celui de « morale » que nous employons ici pour désigner la leçon qu’on tire d’une histoire. Notons qu’à

la fin du XVIIe siècle, le sens des deux mots était légèrement différent. Dans le Dictionnaire universel, nous lisons : « Moralité.

[…] Instruction qui sert à la Morale, qu’on tire de quelques discours » (Antoine Furetière, Dictionnaire universel. Tome

second, La Haye – Rotterdam, Arnout & Reinier Leers, 1690). 111 Madame d’Aulnoy, « [L’île de la Félicité] dans Histoire d’Hypolite, comte de Duglas », op. cit., p. 104-105. 112 Madame de Murat, « Anguillette », op. cit., p. 101-102. 113 Ibid., p. 108.

42

Peine Perdue trouva […] quelque adoucissement à ses maux en voyant qu’elle n’était pas seule

à plaindre. Elle demeura volontiers dans ce pays, et elle ne voulut même jamais le quitter,

s’étant fait une douce habitude de vivre avec des personnes tendres, malheureuses et fidèles114.

Ainsi la seule utopie qui n’échoue pas est en fait une dystopie, étant donné que ce pays ne promet

que d’adoucir les maux causés par l’amour. Au lieu de constituer une unité dans leur bonheur

collectif, les « citoyens » de cet « état » sont réunis dans leur malheur. Notons que ce topos

extériorise le besoin de consolation par identification. Le Pays des Injustices de l’Amour a donc le

même charme que celui déjà signalé par Saint-Réal, des histoires d’amours fatales.

Nous en concluons que le rapport entre conte et utopie est très ambivalent. De prime abord, le genre

dans sa totalité semble émaner le même bonheur (Joy) que l’utopie, mais si nous regardons de plus

près les contes qui mettent en scène de véritables utopies, conformes aux modèles narratifs, nous

remarquons que ces contes s’éloignent inversement du happy end utopique. Les conteuses de notre

corpus ont recours à l’utopie pour se démarquer du Pays des Merveilles, société trop patriarcale. Or,

leurs utopies ne mènent à rien dans la majorité des cas, ce qui crée une sorte d’impasse : on ne peut

pas vivre avec l’amour, ni sans… Les conteuses « dévoilent ce que le rêve d’un bonheur parfait dans

le monde a de chimérique, à l’intérieur même d’un genre qui semble situé aux antipodes de la

réalité »115.

3.4 Des palmiers et des charmes : une étude comparative du « Nain

jaune » et d’« Anguillette »

Le conte d’Aulnoy, inséré en 1698 dans la nouvelle Don Fernand de Tolède et intitulé « Le Nain jaune »

et celui de Murat, « Anguillette » datant de la même année, n’ont pas manqué d’intéresser maints

critiques. Ils se placent tous les deux un peu hors du corpus des contes de fées féminins, voire hors

de notre mini-corpus présenté ici. La cause de cette perception différente est simple et –

évidemment – liée à la fin des deux contes. Aulnoy et Murat ont tout d’abord évité le lieu commun

du mariage en fin du conte, en laissant mourir leur couple héroïque. Mais ensuite cette triste fin est

un peu atténuée, dans la mesure où, dans les deux contes, les amants sont transformés en arbres.

Nous citons la fin des deux contes, d’abord celle du « Nain jaune », ensuite celle d’« Anguillette :

114 Madame de Murat, « Peine Perdue », dans Contes, édition critique établie par Geneviève Patard, Paris, Honoré Champion

Éditeur, coll. Bibliothèque des Génies et des Fées, 2006, p. 395-403, p. 403. 115 Gabrielle Verdier, art. cit., p. 147.

43

[…] malgré les cris et les pleurs de Toute Belle, il [le Nain] frappa le roi droit au cœur et

l’étendit à ses pieds. La princesse ne pouvant survivre à son cher amant, se laissa tomber sur

son corps et ne fut pas longtemps sans unir son âme à la sienne […]. La secourable sirène,

désolée d’un si grand malheur, ne put rien obtenir du Destin que de les métamorphoser en

palmiers. Ces deux corps si parfaits devinrent deux beaux arbres, conservant toujours un

amour fidèle l’un pour l’autre, il se caressent de leur branches entrelacées, et immortalisent

leurs feux par leur tendre union116.

Cependant Anguillette […] toucha avec sa baguette les restes infortunés de l’aimable Atimir et

de la belle Hébé ; dans l’instant même ils se changèrent en deux arbres d’une beauté parfaite.

La fée les nomma Charmes, pour conserver à jamais la mémoire de ceux qu’on avait vus briller

dans ces malheureux amants117.

Ces métamorphoses finales sont évidemment déroutantes. Est-ce qu’il s’agit encore de contes

pessimistes, avec des fins tristes ? Au final, les amants sont quand même réunis dans une sorte de

mariage éternel… Selon Mainil, le message des deux contes ne diffère point de celui des contes plus

typiques : « l’amour vainc tout »118. Pour Seifert par contre, la situation est plus complexe. Il partage

l’opinion de Mainil en analysant « Le Nain jaune » comme étant plutôt euphorique, mais

« Anguillette », quant à Seifert, transmet le message opposé : « In contrast to the celebratory tone of

d’Aulnoy’s ending, Murat’s has a funeral reserve »119. Et en effet, il est vrai que la fin du second conte

n’évoque pas cette idée d’amour et d’union éternels, Murat semble simplement vouloir dire qu’Hébé

et Atimir conserveront éternellement leur beauté. Voilà un message bien différent…

Dans ce qui suit, nous nous proposons comme objectif d’analyser et de comparer les deux contes en

insistant sur leur fin. Les métamorphoses finales font déjà supposer l’influence de la mythologie

classique, mais néanmoins les deux contes présentent des jeux intertextuels qui dépassent les

références mythologiques. Ainsi, il nous paraît souhaitable de continuer dans une certaine mesure

l’approche menée plus haut dans ce chapitre.

3.4.1 Le romanesque

Dans « Le Nain jaune » tout comme dans « Anguillette », il n’est pas question de vraisemblance, ou

au moins de rationalité. Dans le premier conte, les héros doivent affronter un nain, des lions féroces

116 Madame d’Aulnoy, « Le Nain jaune », op. cit., p. 615-616. 117 Madame de Murat, « Anguillette », op. cit., p. 117. 118 Jean Mainil, op. cit., p. 137. 119 Lewis C. Seifert, op. cit., p. 132.

44

et une vieille fée répugnante… Heureusement qu’une sirène vient à leur secours. Dans le second, la

protagoniste est comblée de dons par une fée métamorphe et se trouve transportée dans une île

enchantée… Bref, le merveilleux est omniprésent dans les deux contes, sans parler des nombreuses

métamorphoses, spécialement les merveilles de la fin des contes. Pourtant, cela n’exclut pas

quelques interférences avec le genre romanesque.

Murat, dans « Anguillette » fait surtout référence aux nouvelles de la même époque. Seifert souligne

les ressemblances du conte avec le chef-d’œuvre de Lafayette, La Princesse de Clèves120. Il insiste

notamment sur l’avertissement contre la « passion fatale »121 de la fée Anguillette à l’adresse d’Hébé,

qui est semblable à celui que madame de Chartres veut transmettre à sa fille, la princesse de Clèves.

Peine perdue semble-t-il, parce qu’Hébé et la princesse de Clèves connaissent toutes les deux une

passion intense qui leur défend « tranquillité »122 et « repos »123. De plus, elles épousent toutes les

deux des maris qu’elles n’aiment pas vraiment, tandis qu’elles sont l’objet d’une passion violente et

réciproque d’autres hommes. Pour cela, les deux protagonistes se retirent de la cour afin de

réapprendre à mieux contrôler leurs sentiments.

Nous sommes d’avis que les analogies entre le conte et la nouvelle ne sont pas gratuites et que la

nouvelle pourrait même expliquer l’absence d’un mariage heureux dans « Anguillette ». Nous

l’avons déjà vu, une conclusion heureuse, souvent, n’était pas une option pour les nouvelles de la fin

du XVIIe siècle, surtout pas en ce qui concerne les péripéties amoureuses des personnages. C’est un

point de vue que Murat semble approuver dans « Anguillette ». Dès le début, la conteuse fait régner

une atmosphère sinistre dans cet univers merveilleux, une atmosphère qui prépare déjà la fin et qui

a, de ce fait, même quelque chose de tragique :

Allez, fuyez ces lieux où tout vous rappelle le souvenir de votre tendresse, […] mais songez,

ajouta Anguillette en haussant la voix, quand votre cœur sera redevenu tranquille, à ne

chercher jamais la présence fatale d’Atimir, il vous en coûterait la vie124.

120 Ibid., p. 133, 252 note 53. 121 Madame de Murat, « Anguillette », op. cit., p. 91. 122 Murat surtout parle de « tranquillité » : « […] la belle Hébé, dès qu’elle eut fait quelque moment d’attention sur ces

sentiments, reconnut qu’elle avait perdu cette tranquillité dont elle ne connaissait pas encore le prix » (ibid., p. 93, notre

accentuation). À voir aussi : ibid., p. 100, 101, 103. 123 Le terme de « repos », comme synonyme de « tranquillité », figure parfois chez Murat (ibid., p. 102, 110). Dans La

Princesse de Clèves, en revanche, le mot est beaucoup plus présent : « Les raisons qu’elle avait de ne point épouser M. de

Nemours lui paraissaient fortes du côté de son devoir et insurmontables du côté de son repos » (Madame de Lafayette, La

Princesse de Clèves, édition de Bernard Pingaud, Paris, Gallimard, coll. Folio classique, 2011, 248-249, notre accentuation). À

voir aussi : ibid., p. 233, 244, 251. 124 Madame de Murat, « Anguillette », op. cit., p. 100.

45

Mais alors pourquoi aller plus loin et faire mourir les deux amants protagonistes de son conte ? La

princesse de Clèves et le duc de Nemours ne meurent pas, eux. Au contraire, nous remarquons le

schéma inverse : dans la nouvelle, c’est le mari délaissé qui meurt et les amants continuent à vivre,

tandis que dans le conte, c’est le mari d’Hébé qui est le seul survivant. Ce schéma présente quand

même deux parallèles. D’une part, les véritables amants ne sont jamais séparés par la mort. De

l’autre, dans nouvelle et conte, l’homme est présenté comme le moins fidèle vis-à-vis de la femme.

Lafayette raconte du duc de Nemours qu’« [e]nfin, des années entières s’étant passées, le temps et

l’absence ralentirent sa douleur et éteignirent sa passion »125. Nous pouvons lire la fin

d’« Anguillette » comme une sorte d’écho du comportement de Nemours : « ce prince se consola de

la perte qu’il venait de faire, et oublia la passion qu’il avait eue pour Hébé »126.

Si, dans « Anguillette », nous voyons surtout des similitudes avec des nouvelles, « Le Nain jaune » se

rapproche plutôt des romans du Moyen Âge. Certes, de telles références au chevaleresque sont aussi

présentes chez Murat, notamment lors des scènes du tournoi et du duel fatal entre Atimir et le

prince de l’Île Paisible, mais le motif est encore plus clair dans le conte d’Aulnoy.

Tout d’abord, son personnage éponyme, le Nain, semble sortir de cet univers de prouesses et

d’aventures127. Sermain aussi, souligne un lieu commun au genre : le château-fort très inquiétant

d’où il faut libérer la belle : « tout d’acier, dont les murs, frappés par les rayons du soleil, faisaient

des miroirs ardents qui brûlaient tous ceux qui voulaient en rapprocher »128. Cette description aurait

pu parfaitement trouver place dans un roman d’aventure concernant le roi Arthur. La référence au

roi mythique des Bretons devient encore beaucoup plus concrète lorsque le roi des Mines d’Or reçoit

une épée magique. Le parallèle avec Excalibur est double. Premièrement les deux épées ont le don

de rendre leur possesseur invincible et la seconde ressemblance concerne l’origine des épées. Arthur

l’a reçue de la Dame du Lac, et le roi des Mines d’Or d’une sirène, qui est, à sa manière, une sorte de

dame du lac. De plus, la légende veut que quand Arthur meurt, c’est la Dame du Lac qui s’occupe de

son corps ; de même c’est la sirène qui métamorphose les corps des deux amants dans le conte.

Outre ces motifs chevaleresques récurrents, « Le Nain jaune » incarne aussi les idéaux de l’amour

courtois propres aux romans médiévaux. Ainsi, le roi des Mines d’Or « faisait profession de respecter

le beau sexe et d’en être le chevalier à toute outrance »129. Son courage pour libérer Toute Belle est

125 Madame de Lafayette, op. cit., p. 252. 126 Madame de Murat, « Aguillette », op. cit., p. 117. 127 Nous rappelons notamment les nains présents dans Lancelot ou le Chevalier de la Charrette de Chrétien de Troyes et dans

l’anonyme Roman de Tristan et Iseut. À chaque fois, il s’agit de personnages malveillants et peu sympathiques. 128 Jean-Paul Sermain, Le conte de fées, du classicisme aux Lumières, p. 70 ; Madame d’Aulnoy, « Le Nain jaune », op. cit., p. 606. 129 Madame d’Aulnoy, ibid., p. 613-614.

46

exceptionnel, d’autant plus que Toute Belle n’est pas vraiment digne d’un tel amour. Aulnoy peint

son héroïne comme une vaniteuse orgueilleuse et ses défauts sont clairement répétés dans la

moralité du conte :

Chacun promet dans le danger ;

Mais le danger de Toute Belle

T’apprend à ne point t’engager

Si ton cœur aux serments ne peut être fidèle130.

Or, la vraie cause de la mort tragique des deux amants est non seulement l’inconstance de Toute

Belle, mais aussi sa jalousie. Quand elle voit passer le roi des Mines d’Or dans le char de la fée du

Désert transformée en belle nymphe, elle croit qu’il est infidèle. Au moment où le roi vient libérer la

princesse, elle le lui reproche, de sorte qu’il laisse tomber son épée et se fait vaincre par le Nain…

Attardons-nous justement un peu sur cette mort. Il est un peu moins convenable qu’un roman

chevaleresque se termine par la mort de son héros, mais cela n’empêche que mourir suite à un

combat inspiré par l’amour est une cause héroïque. Ainsi le roi des Mines d’Or dit au Nain : « Songes-

tu que tu es un magot dont l’hideuse figure fait mal aux yeux, et je t’aurais déjà ôté la vie, si tu étais

digne d’une mort si glorieuse ? »131 Et rappelons qu’il y a quand même une histoire médiévale très

célèbre qui se termine par la mort de deux amants : il s’agit du Roman de Tristan et Iseut. Le sort

d’Iseut la Blonde et celui de Toute Belle ont beaucoup de points communs. Tout comme Toute Belle

dans « Le Nain jaune », Iseut meurt de douleur quand elle découvre la mort de son amant. Il n’est pas

question de suicide, on dit simplement des deux femmes qu’elles rendent l’âme… Autre parallèle

entre le conte et Tristan et Iseut est le rôle de la jalousie dans l’intrigue finale. Tristan meurt lorsque

sa femme, Iseut aux Blanches Mains, rongée de jalousie, lui ment à propos de la couleur des voiles du

bateau qui est censé ramener Iseut la Blonde. Toutefois la jalousie de la femme de Tristan est

justifiée, tandis que Toute Belle commet une « fatale erreur »132.

Il est quand même surprenant que deux contes témoignant de beaucoup de similarités, voire d’une

intrigue presque identique, aient des intertextes si divergents. « Anguillette » met en scène un

milieu galant, raffiné mais peu honnête, tandis qu’en lisant « Le Nain jaune », le lecteur se voit

catapulté dans le siècle d’or de la courtoisie. C’est peut-être cette différence qui contribue à l’écart

de perception entre les fins des deux contes. Là où l’homme aimé est malhonnête, c’est-à-dire dans

« Anguillette », la fin est ressentie comme beaucoup plus pessimiste. Pourtant ces deux milieux,

130 Ibid., p. 616. 131 Ibid., p. 603. 132 Ibid., p. 611.

47

galant voire libertin et courtois, semblent aussi fermés au bonheur romantique. Malgré tous les

charmes et enchantements possibles, l’amour est peint avant tout comme une force destructrice.

Avant d’en tirer nos conclusions, il importe d’analyser également ce qui différencie la fin des contes

de celle de leurs équivalents romanesques, c’est-à-dire la métamorphose finale en arbre.

3.4.2 La mythologie

Ce qui se passe après la mort du couple héroïque est plus difficile à expliquer. La métamorphose en

arbre dans les deux contes rappelle en premier lieu le mythe de Philémon et Baucis, raconté par Ovide

dans ses Métamorphoses. Philémon et Baucis, deux vieillards pauvres, sont récompensés par les dieux

pour leur hospitalité et sont sauvés du déluge. Les dieux réalisent également leur vœu de ne pas

avoir à vivre l’un sans l’autre, de sorte qu’à un âge très avancé, ils sont transformés ensemble en

deux arbres entrelacés, lui en chêne, elle en tilleul. Il nous semble fort probable qu’Aulnoy et Murat

ont connu ce mythe célèbre, d’autant plus que Jean de La Fontaine en a fait aussi une adaptation

dans un de ses recueils de fables, publié en 1693.

Or, à part leurs métamorphoses finales, les deux contes n’ont pas grand-chose en commun avec le

mythe. Les protagonistes des contes sont jeunes et riches et leur vertu pose souvent des problèmes.

Le caractère de Toute Belle, dans « Le Nain jaune », ne ressemble en rien à celui de la vieille Baucis.

Nous rappelons son rôle dominant dans la fin tragique du conte. Inversement, dans « Anguillette »,

c’est plutôt le personnage masculin, Atimir, qui est loin d’être aussi fidèle que Philémon. De plus,

n’oublions pas que la vertu du couple antique consiste surtout en son hospitalité. Thème qui n’est

pas applicable dans « Anguillette », ni dans « Le Nain jaune », sauf peut-être dans une certaine

mesure pour le Nain, qui sauve Toute Belle et sa mère des lions féroces en les faisant entrer dans sa

maison. Bref, la référence à la mythologie, qui est pourtant si explicite, ne va pas dans le même sens.

Ce décalage entre texte et sens invite clairement à une lecture plus approfondie.

Chez Aulnoy, nous l’avons dit, le comportement de Toute Belle n’a jamais été tel qu’il demande

récompense. La fin, n’est-elle pas alors plutôt une récompense pour le roi des Mines d’Or qui s’est

montré courageux et constant à tout prix ? Cette hypothèse est renforcée par le fait que la princesse

était au début très opposée à l’idée de se marier. Elle avait beaucoup d’admirateurs, mais comme une

sorte d’Artémis, elle préférait demeurer « dans une tranquille indifférence »133. Ainsi la mythologie

classique permet de lire le conte d’un autre point de vue, celui du mythe de Daphné. Selon Ovide,

133 Ibid., p. 592.

48

Daphné était une nymphe vouée à Artémis et donc vierge consacrée. Persécutée par Apollon et faute

de pouvoir lui échapper, elle fut transformée en laurier, encore un arbre…134

De ce fait, le détournement final du conte nous paraît plutôt une sorte de tentation de compromis de

la conteuse. Aulnoy, voulant punir Toute Belle pour son comportement peu vertueux et sa jalousie,

la fait périr, avec son amant. Cette nécessité de punition expliquerait aussi la moralité du conte, qui

au lieu de chanter l’éloge de l’amour vainqueur, accentue plutôt ce qui ne fonctionnait pas bien.

Aussi, la transformation en arbres des héros est peu convaincante, voire gratuite. Celle qui n’était

pas vraiment capable d’aimer durant sa vie, le ferait-elle éternellement dans une sorte de seconde

vie éternelle ?

Nous avons la même remarque à faire pour « Anguillette ». L’allusion à la mythologie est ici aussi

présente, voire plus que dans « Le Nain jaune ». Surtout en appelant sa protagoniste Hébé, Murat

semble souligner le rapport avec la mythologie classique, mais les références à la littérature antique

sont nombreuses. À plusieurs reprises le conte fait allusion au jugement de Pâris. Pâris, prince

troyen, était désigné comme arbitre dans un concours de beauté entre trois déesses : Héra, Athéna et

Aphrodite. Chacune, voulant l’emporter sur l’autre, lui faisait des promesses ; Pâris serait

récompensé d’une abondance des richesses, de l’intelligence ou de l’amour de la plus belle femme du

monde135. En optant pour cette dernière récompense, Pâris élit la déesse de la passion, Aphrodite,

mais déclenche en même temps la guerre de Troie, parce que cette femme, Hélène, est déjà mariée

avec un roi grec. Les références à cet épisode mythologique sont extrêmement habiles de la part de

la conteuse, car de ce fait la force fatale de l’amour est annoncée dès le début. Murat exploite le lien

étroit, voire causal, entre l’amour (infidèle) et la mort.

Or, si la place qu’occupe le jugement de Pâris dans « Anguillette » s’explique facilement par

l’intrigue fatale du conte, l’histoire de Philémon et Baucis est d’emblée problématique. Nous l’avons

vu, la conception de la métamorphose en arbre dans le conte ne prend plus du tout en ligne de

compte l’aspect romantique. L’emploi de ce motif paraît même ironique. La Fontaine, dans son

adaptation de Philémon et Baucis, dit : « Ils s’aiment jusqu’au bout, malgré l’effort des ans »136, tandis

134 Ovidius, Metamorphosen, texte traduit et commenté par M. d’Hane-Scheltema, Amsterdam, Athenaeum – Polak & Van

Gennep, 2013, p. 20-23. 135 Ce choix entre la richesse, l’esprit et la beauté apparaît aussi dans le conte, lorsqu’Hébé peut choisir sa récompense pour

avoir sauvé la fée Anguillette. Contrairement à Pâris, Hébé opte pour l’esprit, mais Anguillette, charmée par un choix si

sage, lui accorde les deux autres dons aussi. 136 Jean de La Fontaine, « Philémon et Baucis », dans Fables, édition établie par Marc Fumaroli, Paris, Librairie Générale

Française, coll. La Pochothèque, classiques modernes, 2005, p. 755-761, p. 760.

49

que dans « Anguillette » la fidélité pose déjà problème dès le début du conte, comme Murat

l’explique ici :

Ainsi Atimir n’eut plus alors nul sujet de crainte, état dangereux pour un amant qu’on veut

conserver toujours fidèle. Dès que le prince fut assuré de son bonheur, il lui devint moins

sensible137.

Le conte remet en question l’amour éternel. Un autre conte de Murat, où l’on trouve aussi le motif

de la métamorphose en arbre, le montre bien : il s’agit du « Palais de la vengeance ». Le couple

amoureux, Philax et Imis, est séparé par Pagan, un magicien amoureux d’Imis. Philax est conduit

dans une forêt dont les arbres sont en fait des princes ensorcelés. L’un des arbres raconte qu’ils ont

tous été métamorphosés par la cruelle fée Céoré, qui voulait se venger de leur infidélité. Pourtant on

dit de Pagan qu’il préfère pour son rival « une autre vengeance que celle dont elle [Céoré] avait puni

ses malheureux amants »138. Ainsi il condamne les deux amants à se voir toujours de sorte que leur

union éternelle est plutôt conçue comme étant une punition qu’une récompense. N’oublions pas

que, contrairement à Hébé et Atimir, Imis et Philax sont toujours restés fidèles l’un à l’autre. Par

conséquent, nous nous demandons si la sirène, en métamorphosant Hébé et Atimir en arbres, leur

fait du bien ou, au contraire, du mal. L’intertexte montre qu’elle a en fait combiné les punitions de

Céoré et de Pagan !

Nous pouvons conclure qu’Aulnoy et Murat empruntent toutes les deux à la mythologie, qui leur

propose une fin originale parmi tous les contes de fées de l’époque. Elles la retravaillent d’une tout

autre façon que La Fontaine, en détournant le motif du bonheur éternel. La fin du mythe de Philémon

et Baucis est adoptée telle quelle, mais joue un rôle complètement différent, voire opposé à celui de

l’original. Cela est le plus clair chez Murat où, l’ironie ne laisse aucun doute : la conteuse ne croit pas

en l’amour éternel. La fin relativement optimiste des deux contes, malgré la mort du couple

héroïque, n’est que trompeuse.

3.4.3 L’utopie

Enfin le lien qui apparaît entre les contes d’Aulnoy et de Murat d’une part et l’utopie de l’autre peut

être traité de façon très brève. Tout comme les autres contes de notre corpus, « Le Nain jaune » et

« Anguillette » détournent la fonction utopique normalement présente dans le conte de fées. Il n’y

est pas du tout question d’une organisation sociale juste et paisible. Dans « Le Nain jaune », ce sont

137 Madame de Murat, « Anguillette », op. cit., p. 95. 138 Ibid., p. 157.

50

un vilain nain et une vieille fée qui ont tout le pouvoir et « Anguillette » témoigne d’un monde de

personnages adultères. La fin négative de nos contes s’oppose donc catégoriquement au message

d’espoir et de bonheur émis habituellement par l’utopie narrative.

La véritable fin des deux contes est la métamorphose en arbre et c’est exactement là que la

comparaison avec l’utopie se révèle intéressante. Reprenons la description dans « Le Nain jaune » :

Ces deux corps si parfaits devinrent deux beaux arbres, conservant toujours un amour fidèle

l’un pour l’autre, il se caressent de leur branches entrelacées, et immortalisent leurs feux par

leur tendre union139.

Ces transformations donnent lieu à une exagération caricaturale de la fin heureuse des contes de

fées plus courants. Aulnoy parodie le traditionnel « et ils vécurent heureux et eurent beaucoup

d’enfants » dans le but d’en accentuer le caractère peu réaliste. Dans ce conte, elle montre que la

seule façon de bénéficier d’un bonheur conjugal éternel demande l’aide d’une fée, et qu’il faut même

en mourir d’abord. Bref, la « tendre union » des amants est une chimère, une utopie vraiment

irréalisable…

Le deus ex machina dans « Anguillette » ne suggère pas vraiment la possibilité d’un bonheur après la

mort, et la fin, par l’ironie présente, est encore plus poignante. Ce profond pessimisme chez Murat

est enfin aussi justifié d’un point de vue utopique. Nous avons vu qu’« Anguillette » a recours à l’un

de ces « îlots utopiques » mentionnés, l’Île Paisible. Mais l’expérience est un échec et pour cela le

conte est doublement dystopique.

139 Madame d’Aulnoy, « Le Nain jaune », op. cit., p. 615-616.

51

La clef socio-culturelle Chapitre 4

Il y a des femmes capables de quelque chose de meilleur encore ; & si celles qui ont entrepris d’en composer [des Contes de Fées], s’étoient souvenuës que ces Contes n’ont été inventés que pour développer & rendre sensible quelque moralité importante, on ne les auroit point regardez comme le partage des ignorants & des femmes140.

Si jusqu’ici nous nous sommes contentée d’une approche littéraire des contes de fées, nous

aimerions maintenant adopter un autre point de vue s’ouvrant sur la réalité extralittéraire, de la fin

du XVIIe siècle en France. Dans les chapitres précédents, il n’était pas toujours facile de faire la

distinction entre littérature et réalité. Ainsi nous avons déjà parlé de deux moteurs

extralinguistiques qui sont à la base du genre, deux fonctions pragmatiques qu’on peut attribuer aux

contes. Il s’agit d’abord de la fonction de mise en garde, déjà mentionnée quand nous parlions des

contes encadrés. Ainsi, la conteuse de « Riquet à la houppe » semble vouloir avertir le marquis de

Lerme de ne pas s’éprendre d’Inès. Ensuite, nous avons vu que le conte peut avoir une fonction

utopique, qui concerne presque uniquement le statut des femmes.

Dans ce chapitre, nous développerons plus en détail ce côté féminin, voire féministe du conte. Mais

d’abord nous nous arrêterons à la question de la moralité, car c’est précisément ce petit texte final

en vers, à la frontière du conte et de la réalité, qui propose une sortie du monde fictionnel du conte.

4.1 « Une moralité louable et instructive »141

Une fois de plus, nous puisons dans les fonds populaires du stéréotype : le conte de fées est

pragmatique, il émet un message à travers une moralité qui se trouve tout à la fin du conte. Le cliché

140 Pierre abbé de Villiers, op. cit., p. 77. 141 Charles Perrault, « Préface », op. cit., p. 80.

52

d’utile dulci ne semble pas si faux après consultation d’une des premières poétiques du conte,

présente dans la préface des Contes en vers de Perrault. Le conteur parle de la « moralité louable et

instructive » des contes, univers où la fée karma est reine :

Partout la vertu y est récompensée, et partout le vice y est puni. […] elles [les fables] excitent

dans les Enfants le désir de ressembler à ceux qu’ils voient devenir heureux, et en même temps

la crainte des malheurs où les méchants sont tombés par leur méchanceté142.

Toutefois, Perrault semble un peu exagérer et généraliser. Il est clair que cette conception de la

vertu récompensée est liée étroitement au happy end stéréotypé du conte, issu de la réparation du

méfait. De ce fait, les contes de notre corpus ne se laissent à nouveau pas mettre dans le même

moule du conte stéréotypé. Le Petit Chaperon rouge par exemple, est-ce sa faute à elle si elle est

mangée par le loup ? Pouvons-nous parler de sa « méchanceté », quand elle parle à un inconnu ?

Certes, elle aurait dû être plus prudente, mais cette mort cruelle est une punition un peu

démesurée… La question a déjà été posée par maints critiques, mais c’est à Delarue et Tenèze que

nous devons l’approche la plus suivie de nos jours. Ils donnent au conte la fonction d’avertissement,

de mise en garde :

Le conte du Petit Chaperon rouge aurait été destiné, à l’origine, à mettre en garde les enfants

contre le danger de circuler seuls dans les bois qui, durant des millénaires, furent hantés de

loups, de ces loups dont les mères en effet ont toujours menacé les enfants […]143.

Soriano y ajoute que « [d]ans ce cycle de contes, le dénouement malheureux est une nécessité : il faut

que le personnage sympathique meure »144.

Le karma dans les contes de fées n’est donc pas sans faute. Nous l’avons vu déjà dans « Le Nain

jaune » qui présente plus au moins le phénomène inverse du « Petit Chaperon rouge ». Si le Petit

Chaperon rouge est puni sans être vraiment coupable, Toute Belle, la protagoniste peu vertueuse

chez Aulnoy, est malgré tout récompensée par une sorte de vie éternelle sous la forme d’un arbre…

Rappelons d’ailleurs que la moralité versifiée chez Aulnoy ne tenait pas du tout droit, ce qui est

récurrent dans son œuvre, selon Defrance. La critique est d’avis que les moralités explicitement

mentionnées des contes, comme chez Perrault et Aulnoy ne sont qu’un simple alibi pour faire mieux

passer le véritable message du conte qui est souvent plutôt immoral que didactique145. Le

142 Ibid., p. 80-81. 143 Paul Delarue et Marie-Louise Tenèze, Le Conte populaire français. Catalogue raisonné des versions de France et des pays de

langue française d'outre-mer. Tome I, op. cit., p. 383. 144 Marc Soriano, op. cit., p. 151, notre accentuation. 145 Anne Defrance, Les contes de fées et les nouvelles de Mme d’Aulnoy, op. cit., p. 328 ; Nadine Jasmin, « Naissance du conte de

féminin : Madame d’Aulnoy », op. cit., p. 57.

53

merveilleux et le style naïf donnent aux contes des apparences enfantines et anodines ; de même les

revendications dites instructives servent parfaitement de couverture.

Que la moralité du conte corresponde ou non à son véritable message, il est clair que nos contes

véhiculent tous à peu près la même idée : une mise en garde contre le mariage, et même contre

l’amour tout court. La plupart des contes expriment l’échec de l’amour éternel : « L’Île de la

Félicité » dans lequel « le temps vient au bout de tout »146, « Le Prince Rosier » où « le mariage, selon

la coutume, finit tous les agréments de leur vie »147 ou encore « Le Palais de la vengeance » où les

amants unis à toujours « s’ennuye[nt] du bonheur même »148. Quoique ce thème n’occupe pas de

place centrale dans « Le Portrait qui parle », on l’y mentionne de façon très explicite :

Elle [la fée Impériale] savait, et il n’est pas besoin d’être fée pour le savoir, que le mariage ne

fait pas ordinairement naître une passion longue et durable, et que les plus belles femmes le

sont moins pour leurs maris que pour les autres149.

L’idée est présente également dans une certaine mesure dans « Riquet à la houppe » lorsque C.

Bernard conclut que « les amants à la longue deviennent des maris »150 et dans « Anguillette » où

l’intrigue tourne autour de l’infidélité d’Atimir. « Le Nain jaune » par contre semble exprimer la

pensée opposée, c’est-à-dire que l’amour vainc tout, mais nos remarques précédentes ont déjà mis

en doute le sérieux de ce message. Restent encore « Peine Perdue » et « Le Mouton » qui mettent

surtout en garde contre une passion non partagée, et « Le Petit Chaperon rouge » dont la moralité

finale permet aussi une lecture romantique visant les séductions fatales ; nous reviendrons sur cela

plus tard dans ce chapitre.

Bref, le thème des amours vouées à l’échec forme incontestablement un fil rouge au sein de nos

contes. Il semble que l’amour et sa camarade jalousie sont la cause par excellence des issues

pessimistes. Cela n’a pourtant rien d’étonnant, étant donné que l’amour constitue aussi le plus

souvent la raison principale d’une fin heureuse grâce à un mariage. Aussi, nos contes n’appuient-ils

pas les coutumes de l’époque en assurant qu’une issue heureuse n’est possible que s’il y a un

mariage ? Quel est donc ce caractère potentiellement subversif ou immoral des contes dont nous

parle Defrance ?

146 Madame d’Aulnoy, « [L’île de la Félicité] dans Histoire d’Hypolite, comte de Duglas », op. cit., p. 97. 147 Catherine Bernard, Inès de Cordoue, op. cit., p. 401. 148 Madame de Murat, « Le Palais de la vengeance », dans Contes, édition critique établie par Geneviève Patard, Paris,

Honoré Champion Éditeur, coll. Bibliothèque des Génies et des Fées, 2006, p. 144-158, p. 158. 149 [Anonyme], « Le Portrait qui parle », op. cit., p. 776-777. 150 Catherine Bernard, Inès de Cordoue, op. cit., p. 408.

54

4.2 Un féminisme naissant : le côté subversif des contes

Les romancières des contes de fées ont fait tomber les obstacles sociaux et moraux à la

réalisation du Moi féminin. Leurs héroïnes entrent dans l’action pour modifier l’ordre établi.

L’objet adoré et voué au rôle passif de l’amante poursuivie n’a guère de place dans ces

histoires. Bien entendu le mariage reste la grande affaire des contes de fées. Mais dans cet

autre monde que la femme s’est construit, l’héroïne est en mesure de se choisir un époux151.

La réponse de Welch est claire. Les conteuses auraient joué un rôle de pionnier dans l’émancipation

des femmes en France. De ses propos nous retenons deux sujets à développer plus amplement ici.

Premièrement il y a évidemment la question du mariage, dont selon elle, l’apparition omniprésente

dans les contes de fées n’est pas tout à fait inconciliable avec une lecture féministe. Secondement,

nous nous intéressons au statut de la femme, que Welch décrit comme étant en plein

épanouissement. Soulignons aussi que Welch emploie une image utopique dans cette citation ; elle

définit les contes de fées comme un « autre monde que la femme s’est construit ».

4.2.1 L’institution du mariage

Nous l’avons vu dans le chapitre précédent à propos des relations du conte avec l’utopie : le mariage

est la manifestation de l’hégémonie masculine sur le plan individuel et social. Le père ou le mari est

celui qui décide du sort de sa famille, et des femmes en premier lieu, tout comme le roi décide du

sort de ses sujets. Inutile de dire que ces rôles de roi, de père et de mari s’interposent très souvent

dans le conte de fées et que ces personnages sont donc très proches152. La dénonciation ou le refus de

l’institution du mariage remet en question le pouvoir du père et du mari, et ainsi, par extension,

même du roi. Les conteuses s’aventurent donc sur un terrain glissant. Cette mise en évidence d’une

faille dans l’autorité masculine peut déterminer une lecture subversive.

Le mariage est représenté de trois façons différentes dans les contes de fées. Premièrement il y a

l’approche mentionnée par Welch dans la citation ci-dessus, selon laquelle le mariage est conçu

comme une union heureuse. La critique y voit néanmoins l’intérêt de la femme, car celle-ci choisit

elle-même son époux, ou, si le roi son père le lui impose, elle y consent au moins et elle ressent tout

151 Marcelle Maistre Welch, « La femme, le mariage, et l’amour dans les contes de fées mondains du XVIIe siècle », dans

Papers on French Seventeenth Century Literature, vol. X, 18, 1983, p. 47-58, p. 48. 152 Dans un de ses articles, Defrance développe la couche idéologique des contes, en analysant notamment la portée

politique du conte de Perrault, « Griselidis » ( Anne Defrance, « La politique du conte aux XVIIe et XVIIIe siècles. Pour une

lecture oblique », dans Féeries, 3, 2006, mis en ligne le 13 février 2007, <http://feeries.revues.org/137>, (consulté le 03 avril

2014)).

55

de suite de l’amour pour lui. Voilà la conception du mariage la plus répandue dans les contes de fées,

c’est-à-dire celle qui est cruciale pour un happy end. Ainsi, il est difficile d’appliquer cette conception

positive du mariage à nos contes, sauf peut-être dans le cas du « Prince Rosier ». On dirait que la

princesse Florinde et le prince Rosier s’aiment mutuellement. Florinde choisit de l’épouser sans

obligation de quiconque. Alors pourquoi le conte se termine-t-il si tristement ? Nous sommes d’avis

que C. Bernard, dans ce conte, dénonce l’idéalisation du mariage. Certes, Florinde tombe amoureuse,

mais d’un rosier et non d’un prince… Il en va de même pour le prince, qui tombe amoureux du

portrait de Florinde. Une fois réunis pour de bon, le couple se rend compte que le mariage ne comble

pas tout à fait ses désirs. Le conte laisse entendre que le choix d’un époux ou d’une épouse, bien qu’il

soit libre, n’est pas sans risque, et qu’il mérite une réflexion sérieuse153.

La deuxième conception du mariage est l’inverse de la première : l’héroïne se voit contrainte

d’épouser quelqu’un qu’elle n’aime pas. Cela est notamment le cas dans « Le Nain jaune », « Riquet à

la houppe », « Le Palais de la vengeance » et dans une certaine mesure aussi dans « Anguillette ».

Dans la représentation d’une telle conception du mariage, l’époux est souvent dépeint comme

répugnant. Pensons aux persécuteurs des princesses dans les deux premiers contes cités ci-dessus :

un « affreux petit nain »154 et « un homme assez hideux pour paraître un monstre »155. R. Robert

explique que le motif de « l'époux monstrueux» permet de mettre en évidence la cruauté d'un

mariage imposé156.

Ce motif fait partie du conte-type 425, dont nous avons déjà mentionné que la grande majorité des

versions se terminent par la transformation de cet époux monstrueux en joli prince. Ces contes

véhiculent le message implicite que l’aversion ressentie au début d’un mariage imposé n’est que

temporelle et cèdera vite la place à l’amour. Telle est notamment la leçon morale de la version de

Perrault de « Riquet à la houppe » :

La Princesse n’eût pas plus tôt prononcé ces paroles, que Riquet à la houppe parut à ses yeux

l’homme du monde le plus beau, le mieux fait et le plus aimable qu’elle eût jamais vu.

Quelques-uns assurent que ce ne furent point les charmes de la Fée qui opèrent, mais que

l’amour seul fit cette Métamorphose. Ils disent que la Princesse ayant fait réflexion sur la

153 À cet égard, nous nous référons à Raynard, qui touche la même problématique de « l’acte délicat du choix d’un mari »

notamment appliquée au « Nain jaune » (Sophie Raynard, op. cit., p. 432-433). 154 Madame d’Aulnoy, « Le Nain jaune », op. cit., p. 594. 155 Catherine Bernard, « Riquet à la houppe », op. cit., p. 403. 156 Raymonde Robert, op. cit., p. 151.

56

persévérance de son Amant, sur sa discrétion, et sur toutes les bonnes qualités de son âme et

de son esprit, ne vit plus la difformité de son corps […]157.

Comparons cette fin heureuse à celle imaginée par C. Bernard. La conteuse, dans son « Riquet à la

houppe », renforce même l’image cruelle du mariage, puisqu’à la fin du conte, Mama se retrouve

avec deux maris répugnants au lieu d’un seul prince charmant. D’après nous, ces deux fins tout à fait

contraires peuvent s’expliquer par le sexe différent des auteurs. Les conteuses, par opposition à

leurs collègues masculins, ne veulent pas se résigner aux mariages imposés à la femme en

prétendant que le véritable amour se construit : quoi qu’il en soit, un tel mariage reste

condamnable.

Enfin la troisième représentation du mariage dans le conte de fées est semblable à la précédente. Il

s’agit du refus du mariage, voire de l’amour en général. Comme dans les utopies présentes dans

« L’Île de la Félicité » et dans « Peine Perdue », l’héroïne se contente d’une vie de célibataire. Voilà

un choix qui n’est pas du tout conforme aux coutumes de l’époque et qui, de ce fait, n’est pas

développé entièrement dans les contes de fées. Souvent, l’héroïne au début du conte est présentée

comme une Artémis, une vierge farouche, mais de telles rébellions féminines sont très vite

converties en mariage, soit imposé, soit de choix plutôt libre, mais alors de façon peu convaincante.

« Le Nain jaune » en est l’illustration parfaite : d’abord Toute Belle ne veut point se marier, mais

quand elle est forcée d’épouser le Nain jaune, elle décide tout à coup d’épouser le roi des Mines d’Or,

pour lequel sa passion grandit étonnamment vite… Nous soulignons donc qu’il n’y a pas de contes

dans lesquels l’héroïne renonce réellement à l’amour et va vivre toute seule son happily ever after.

Ainsi, il y a déjà une volonté d’indépendance auprès des femmes, mais les utopies féminines qui ne

mènent à rien prouvent qu’il est trop tôt pour parler d’une tendance véritablement féministe.

Nous concluons que les conteuses de notre corpus ne se contentent pas de faire coïncider la passion

amoureuse avec un mariage conforme à la bienséance de l’époque. Elles adoptent une position fort

ironique face au mariage. Dans leurs contes à dénouement heureux, elles insistent sur le fait que

c’est l’héroïne qui a choisi son époux et qu’elle est donc particulièrement indépendante. Cependant

dans les contes à issue malheureuse, les conteuses n’ont plus recours à un tel compromis. Les contes

qui ne témoignent pas d’un amour entre les héros, immédiat et possible, ne connaîtront pas d’issue

heureuse. Il n’y a pas de deus ex machina qui tend à adoucir une représentation de la réalité trop

fidèle, et s’il y en a un, il doit être interprété de façon ironique comme dans « Le Nain jaune » et

157 Charles Perrault, « Riquet à la houppe », dans Contes, édition critique établie par Catherine Magnien, Paris, Librairie

Générale Française, 2006, p. 275-283, p. 282.

57

« Anguillette ». Nos contes expriment des doutes à propos du succès de l’amour éternel, mais une

chose est sûre : on ne le trouvera certainement pas dans le mariage.

4.2.2 L’image de la femme

La femme dans les contes féminins, c’est-à-dire les contes écrits par des femmes, se veut donc plus

indépendante, surtout en ce qui concerne le choix de son futur époux. Une telle image de la femme a

aussi des répercussions sur la représentation des figures masculines. Outre les maris ou

persécuteurs monstrueux, cités ci-dessus, certains contes montrent des hommes en « version »

opposée, c’est-à-dire « des amants complètement passifs (voire dépressifs), inaptes à faire face au

danger et bien incapables de se tirer d’un quelconque mauvais pas »158. Cela est notamment la

description parfaite du protagoniste masculin du « Mouton », mais c’est autant applicable à Arada,

l’amant de Mama dans « Riquet à la houppe ». R. Robert y ajoute ce qu’elle appelle « l’imagerie

végétale », selon laquelle les conteuses présentent des hommes transformés en plantes159. Dans

notre corpus, c’est le cas du prince Rosier qui est en effet peu viril et plutôt oisif.

Or, il nous semble que cette image de l’homme n’exerce pas vraiment d’influence sur la fin des

contes ; autrement dit, ce n’est pas, ou pas seulement, à ces figures masculines peu héroïques que

nous devons reprocher une issue malheureuse. Dans « Anguillette » et « Le Nain jaune » les

personnages masculins sont décrits comme des héros de romans chevaleresques, nous l’avons vu, et

pourtant, ou justement de ce fait, les contes se terminent fatalement. Cela pourrait s’expliquer d’un

point de vue féministe, selon lequel les femmes n’ont pas besoin des hommes pour assurer leur

destin. Cependant, cette approche ne tient pas non plus. Certes, les hommes n’arrivent pas à

empêcher une fin mauvaise du conte, mais les femmes non plus…

Reprenons l’exemple de « Riquet à la houppe » de C. Bernard. L’héroïne Mama, stupide dans une

première phase, se voit contrainte d’accepter un mariage avec Riquet comme contrepartie de son

don d’intelligence. Nous retenons de cela que la femme stupide est dupée. Or, une fois intelligente,

elle trouve son sort encore plus détestable et quoi qu’elle fasse pour améliorer sa situation, elle ne

s’en sort point. Telle est la condition féminine, la femme est victime malgré tout, elle ne peut

l’emporter sur l’homme. Nous assistons ainsi à l’épanouissement de la pensée féministe. Certes, il ne

s’agit pas de femmes fortes, au contraire… Mais le triste sort de Mama et des autres héroïnes de nos

contes témoigne déjà de la conscience qu’ont les femmes des injustices faites à leur sexe.

158 Nadine Jasmin, « Naissance du conte de féminin : Madame d’Aulnoy », op. cit., p. 46-47. 159 Ibid., p. 47.

58

Mais quid alors du personnage de la fée qui est censée tendre une main secourable ? Selon R. Robert,

elle joue en effet un rôle crucial dans l’issue heureuse : « Dans les contes merveilleux littéraires, c’est

presque toujours par l’intermédiaire d’un personnage surnaturel que s’opère, soit la réparation du

méfait, soit l’aboutissement de la quête »160. Pourquoi nos contes finissent alors mal ? Suite à la thèse

de R. Robert nous supposons que ces auxiliaires magiques ne sont pas, ou dans une moindre mesure,

présents dans nos contes, de sorte que nous pouvons conclure a contrario que c’est la fée – et par

extension la femme – qui est la seule instance à remercier soit à blâmer pour le sort de nos héros.

Cette hypothèse semble valoir pour « Le Palais de la vengeance » et « Le Nain jaune ». Dans le

premier, Imis est en butte aux sortilèges de Pagan dès le moment où elle perd l’aigrette de muguet

protectrice qu’elle a reçue d’une bonne fée. De même, dans le « Le Nain jaune », le roi des Mines d’Or

est vaincu au moment où il perd l’épée magique de la sirène. Pourtant nous avons déjà mentionné

que cela est en fait la faute de la jalousie de Toute Belle.

Quant aux autres contes, l’issue malheureuse n’est pas vraiment liée à un manque de féerie

bienveillante. Il y en a, au contraire, qui témoignent d’une abondance d’enchantement. Il s’agit de

deux contes de Murat : « Anguillette » et « Peine Perdue », dans lesquels les fées Anguillette et la

mère de Peine Perdue emploient vainement tous leurs artifices pour satisfaire aux vœux des

héroïnes. Dans ces contes, l’échec des héroïnes est ainsi mis encore plus en avant, car même les

miracles féeriques n’empêchent pas leur sort pitoyable.

Ainsi notre idée d’un niveau féministe dans nos contes de fées s’en trouve plus ou moins confirmée.

Les conteuses n’optent pas pour l’image d’une femme forte. Si parfois elle est représentée comme

plus active que le protagoniste masculin, elle ne peut pas changer toutefois son destin fatal. Or, c’est

exactement l’enjeu de nos contes : en témoignant d’un défaitisme indéniable, les contes mettent en

scène – et de ce fait dénoncent – l’injustice faite à l’égard des femmes, dont est imprégnée la société,

particulièrement à travers l’institution du mariage imposé. Cette conscience de l’existence du

sexisme est la première étape dans une pensée féministe. Elle en est la base, voire la condition

absolue. Cependant, nous le répétons, il ne s’agit que d’un féminisme naissant. La femme n’est pas

encore l’héroïne qui saurait s’instaurer elle-même un royaume féminin propre.

160 Raymonde Robert, op. cit., p. 38-39.

59

4.3 Des loups et des moutons : une étude comparative du « Petit

Chaperon rouge » et du « Mouton »

Nous sommes d’avis que deux des contes de notre corpus demandent une étude plus élaborée et

comparative : il s’agit du « Petit Chaperon rouge » et du « Mouton ». Perrault et Aulnoy, qui écrivent

à la même époque et fréquentent les mêmes salons, conçoivent tous les deux des contes qui mettent

en scène des animaux et qui finissent par la mort d’un des protagonistes. Nous répétons qu’une telle

fin est très rare dans le cercle des conteurs. Certes, cela ne vaut pas, nous l’avons déjà dit, pour le

recours au symbolisme des animaux, mais toutefois le loup et le mouton entretiennent des rapports

spécifiques l’un à l’égard de l’autre, ce qui a suscité notre intérêt…

Les personnifications du loup et du mouton se sont déjà montrées fort productives dans les fables et

les contes, et le caractère opposé des deux animaux a contribué au fait qu’ils se retrouvent souvent

comme adversaires dans la même histoire. Pensons par exemple au « Loup et l’agneau » de La

Fontaine, ou au « Loup et le jeune mouton » de François de Fénelon. Dans ces deux fables, le loup est

représenté comme le bourreau, tandis que le mouton est la victime innocente. Ces images sont donc

tout à fait conformes à celles des deux animaux dans les contes de Perrault et d’Aulnoy, quoique

chez le premier il n’y a que le loup qui soit explicitement mentionné et que chez la seconde, il ne

s’agit que d’un mouton.

Ainsi, notre hypothèse est qu’avec « Le Mouton », Aulnoy a voulu formuler une sorte de

complément, de réponse au conte de Perrault, dont le manuscrit circulait déjà depuis deux ans avant

l’apparition de son conte. Nous devinons aussi des enjeux féministes dans « Le Mouton », étant

donné que chez Aulnoy c’est l’homme qui y laisse sa vie, là où chez Perrault, c’est la petite fille.

4.3.1 Comparaison des moralités

Une première analyse, déjà menée ci-dessus dans 2.1 et 4.1, montre que les deux contes exercent la

même fonction, celle de mise en garde. Delarue et Tenèze ont expliqué l’utilité du « Petit Chaperon

rouge » qui servirait à empêcher les enfants de « circuler seuls dans les bois »161. Et selon Mainil, en

racontant « Le Mouton » à Doña Juana, Don Gabriel voulait lui expliquer les dangers d’une passion

161 Paul Delarue et Marie-Louise Tenèze, Le Conte populaire français. Catalogue raisonné des versions de France et des pays de

langue française d'outre-mer. Tome I, op. cit., p. 382.

60

non partagée. Mais, qu’est-ce que les moralités des contes nous disent explicitement ? Nous les

reprenons ci-dessous, en commençant par celle du « Petit Chaperon rouge » :

On voit ici que de jeunes enfants,

Surtout de jeunes filles

Belles, bien faites et gentilles,

Font très mal d’écouter toute sorte de gens,

Et que ce n’est pas chose étrange,

S’il en est tant que le loup mange.

Je dis le loup, car tous les loups

Ne sont pas de la même sorte ;

Il en est d’une humeur accorte,

Sans bruit, sans fiel est sans courroux,

Qui privés, complaisants et doux,

Suivent les jeunes Demoiselles

Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;

Mais hélas ! qui ne sait que ces Loups doucereux,

De tous les Loups sont les plus dangereux162.

Cette moralité contient un message fort différent et surtout moins innocent que l’interprétation

proposée par les folkloristes. La fonction de mise en garde ne change pas, mais Perrault met en

garde les jeunes filles, non pas contre les bois dangereux, mais contre les hommes dangereux, en

disant qu’il faut se méfier des beaux gestes de certains. Ce message est d’ailleurs très semblable à la

conclusion de Fénelon à sa fable déjà mentionnée : « Défiez-vous des belles paroles des gens qui se

vantent d’être vertueux. Jugez-en par leurs actions, et non par leurs discours »163. Cependant, le

message chez Perrault est plus ambigu, de sorte que la plupart des critiques ont décidé de traiter le

conte comme ayant un double sens. L’enfant se contente d’une lecture superficielle, naïve, alors que

l’adulte peut y découvrir un sens érotique caché164. Zipes interprète la fin du conte comme un viol du

Petit Chaperon rouge par le loup :

162 Charles Perrault, « Le Petit Chaperon rouge », dans Contes, édition critique établie par Catherine Magnien, Paris,

Librairie Générale Française, 2006, p. 207-212, p. 211-212. 163 François de Fénelon, « Le Loup et le jeune mouton », dans Fables de Fénelon, Paris, Hachette et Cie, 1872, p. 9-10, p. 10. 164 Catherine Magnien, « Notice », dans Contes, Charles Perrault, édition critique établie par Catherine Magnien, Paris,

Librairie Générale Française, 2006, p. 202-206, p. 206 ; Jack Zipes, « A Second Gaze at Little Red Riding Hood's Trials and

Tribulations », dans The Lion and the Unicorn, The Johns Hopkins University Press, volume 7/8, 1983-1984, p. 78-109 ; Jean-

Paul Sermain, Le conte de fées du classicisme aux Lumières, op. cit., p. 102-103.

61

I tried to show how Charles Perrault and the Grimm Brothers transformed an oral folk tale

about the social initiation of a young woman into a narrative about rape in which the heroine

is obliged to bear the responsibility for sexual violation165.

Par conséquent, le conte, qui semblait de prime abord une exception dans notre corpus de contes

avec l’amour pour thème, prouve qu’il mérite quand même d’y occuper une place. Les chances d’une

correspondance avec « Le Mouton », dont voici la moralité, augmentent donc nettement.

Souvent les plus beaux dons des Cieux

Ne servent qu’à notre ruine,

Le Mérite éclatant que l’on demande aux dieux,

Quelquefois de nos maux est la triste origine :

Le roi Mouton eût moins souffert,

S’il n’eût point allumé cette flamme fatale

Que Ragotte vengea sur lui, sur sa rivale.

C’est son mérite qui le perd,

Il devrait éprouver un destin plus propice ;

Ragotte et ses présents ne purent rien sur lui ;

Il haïssait sans feinte, aimait sans artifice,

Et ne ressemblait pas aux hommes d’aujourd’hui :

Sa fin même pourra nous paraître fort rare,

Et ne convient qu’au roi Mouton :

On n’en voit point dans ce canton

Mourir quand leur brebis s’égare166.

Cette moralité présente à la fois des ressemblances et des dissemblances à l’égard de celle du « Petit

Chaperon rouge ». Premièrement, il y a un parallélisme évident entre les deux personnages

victimes. Le roi Mouton et le Petit Chaperon rouge sont tous les deux présentés de façon aimable :

comparons le « Mérite éclatant » du Mouton avec les « jeunes filles/ Belles, bien faites et gentilles ».

En outre, ils sont tous les deux la proie d’une attirance peu ou pas réciproque. Le Petit Chaperon

rouge est séduit par les beaux gestes et le langage du loup, qui n’a en réalité que de mauvaises

intentions. Le roi Mouton, lui aussi, est séduit par des charmes si puissants qu’il en meurt. Il n’est

plus capable de vivre sans Merveilleuse.

Une seconde ressemblance dans les deux moralités se manifeste dans la reprise de l’image qui est

donnée des hommes de l’époque. Chez Perrault, cette image n’est pas très précise. Le conteur se

165 Jack Zipes, « A Second Gaze at Little Red Riding Hood's Trials and Tribulations », art. cit., p. 78. 166 Madame d’Aulnoy, « Le Mouton », op. cit., p. 444.

62

limite à dire qu’il y a sans doute certains hommes qui sont peu fiables : « […] tous les loups/ Ne sont

pas de la même sorte ». Aulnoy, elle, va plus loin, en peignant tout homme de l’époque comme ayant

peu de mérite : « Il haïssait sans feinte, aimait sans artifice,/ Et ne ressemblait pas aux hommes

d’aujourd’hui ». Ici, effectivement, nous pourrions lire la moralité d’Aulnoy comme réponse à celle

de Perrault. Le roi Mouton est tout à fait différent des autres hommes, des loups, parce qu’il ne feint

pas ses sentiments et cet artifice est exactement ce dont les jeunes filles doivent se méfier selon

Perrault.

Aulnoy et Perrault invoquent donc tous les deux le milieu galant peu sincère, mais dans une mesure

différente. Il importe de savoir qu’il existe en fait « deux galanteries » : « d’un côté l’art de plaire et

de l’autre celui de séduire, d’un côté le respect envers les dames et de l’autre le ‘commerce

amoureux criminel’ »167. Le roi Mouton représente clairement le premier type de la « belle

galanterie ». Il traite Merveilleuse comme son égale, voire comme sa supérieure. Or, Aulnoy, dans sa

moralité met en doute l’existence de tels hommes véritablement galants. Elle utilise son triste sort

pour critiquer le second type, plus courant, de la galanterie licencieuse et même libertine, incarnée

par le personnage du loup chez Perrault. Le Petit Chaperon rouge, elle, devient alors une « femme

proie », conception de la femme encore plus misogyne que celle de « femme objet » caractérisée par

le mariage imposé168. Le XVIIe siècle a donc son propre vicomte de Valmont et sa propre Cécile de

Volanges, un siècle avant que Pierre Choderlos de Laclos ne trouble la France avec sa représentation

des mœurs libertines dans Les Liaisons dangereuses.

La différence entre le mouton et le loup est justifiée par le troisième point de comparaison entre les

deux moralités : la position que le conteur et la conteuse adoptent face à la mort des héros. Aulnoy

tient à souligner le mérite et l’innocence du roi Mouton : « Il devrait éprouver un destin plus

propice ». La seule chose qu’on puisse lui reprocher, c’est qu’il a inspiré de l’amour à une personne

trop désireuse de vengeance. Aussi Aulnoy explique que la constance du roi Mouton vis-à-vis de

Merveilleuse est exceptionnelle et que son sort paraît « fort rare ». Quel contraste donc avec

Perrault qui va presque jusqu’à justifier la cruauté du loup, comme étant la punition appropriée :

« […] ce n’est pas chose étrange,/ S’il en est tant que le loup mange ». Ce verdict différent à propos

de la mort des deux héros est la manifestation visible des divergences d’idées liées au sexe des

auteurs…

167 Pour une étude plus détaillée des deux types, nous renvoyons au chapitre intitulé « Les deux galanteries » dans Alain

Viala, op. cit., p. 203-225. 168 Ibid., p. 155.

63

4.3.2 Conteur versus conteuse

Si la comparaison du roi Mouton avec le Petit Chaperon rouge est évidente, qui occupe donc, dans

« Le Mouton », le rôle du loup ? Ce n’est pas une question simple, semble-t-il. Il y a deux

responsables possibles de la mort du Mouton : la belle et aimable Merveilleuse et la malveillante fée

Ragotte. Remarquons déjà qu’il s’agit, de toute façon, d’un personnage féminin, ce qui confirme

l’inversion des sexes dans le jeu de rôle. Si nous analysons le Mouton comme victime d’une

séduction quoique involontaire, c’est Merveilleuse qui est la coupable. En effet, quand Merveilleuse

apprend la mort du Mouton, « elle connut que son peu d’exactitude avait causé la mort du Mouton

royal »169. Tout de même, nous ne pouvons pas mettre cette cause au même niveau que le meurtre

commis délibérément par le loup chez Perrault. Premièrement, le roi, qui empêche Merveilleuse de

rentrer, et ses « Gardes Suisses » qui défendent au Mouton l’entrée au palais, contribuent aussi au

suicide. Et secondement, Merveilleuse est inconsolable : « dans son désespoir elle pensa mourir elle-

même »170, de sorte qu’elle aussi est présentée comme la victime de la « Fortune ».

La moralité du conte semble appuyer cette hypothèse en désignant la fée Ragotte comme la

véritable coupable :

Le roi Mouton eût moins souffert,

S’il n’eût point allumé cette flamme fatale

Que Ragotte vengea sur lui, sur sa rivale.

Ces propos invitent plutôt à inverser la répartition des rôles de loup et de mouton, dans la mesure

où le roi Mouton, quant à lui, est dépeint comme un séducteur. Dans sa vie précédente et glorieuse

de roi humain, il aurait fait enflammer le cœur de Ragotte. La vieille fée, comme un Petit Chaperon

rouge un peu déformé, a été vraiment charmée par le roi, mais ce dernier est resté insensible à ses

promesses de richesses. Par conséquent, Ragotte le traite de charmeur indifférent : « si tu étais

engagé avec une autre, […] je te laisserais faire des progrès dans tes amours ; mais j’ai eu trop

d’intérêt à t’éclairer pour n’avoir pas découvert l’indifférence qui règne dans ton cœur »171. En outre,

elle lui reproche son éloquence trompeuse quand il essaie vainement de se sauver en flattant la fée :

‘Madame Ragotte, lui dis-je, ce n’est point dans le fond d’un trou où j’ai pensé être rôti, que je

veux faire une déclaration à une personne de votre mérite ; je vous supplie par tous les

charmes qui vous rendent aimable de me mettre en liberté, et puis nous verrons ensemble ce

que je pourrai pour votre satisfaction. – Ha ! traître, s’écria-t-elle, […] ne crois pas que je sois

169 Madame d’Aulnoy, « Le Mouton », op. cit., p. 443. 170 Ibid. 171 Ibid., p. 434.

64

novice, tu songes à t’esquiver, mais je t’avertis qu’il faut que tu restes ici ; et la première chose

que tu feras c’est de garder mes moutons, ils ont de l’esprit, et parlent pour le moins aussi bien

que toi.’172

Par conséquent l’enchantement de Ragotte est significatif : « je veux te faire connaître ma puissance,

tu es un lion à présent, tu vas devenir un mouton »173. Le lion, tout comme le loup, évoque l’image

opposée du mouton et cette métamorphose fait donc supposer que le roi connaîtra le sort opposé du

loup, qu’il est à ce moment. Et en effet, au lieu d’inspirer un fol amour à autrui, il en sera victime lui-

même, avec des suites néfastes… De ce fait, le message d’Aulnoy est le suivant : tel qui rit vendredi,

dimanche pleurera. Ou comme elle le dit elle-même : « l’on convint alors que les personnes les plus

élevées sont sujettes, comme les autres, aux coups de la Fortune »174.

Il est donc probable qu’Aulnoy a voulu répondre au « Petit Chaperon rouge ». Tout comme Perrault,

la conteuse confirme que les mœurs de l’époque sont corrompues, surtout chez les hommes. Mais

nous sommes d’avis qu’elle dénonce le jugement du conteur qui blâme les filles qu’il dit

imprudentes. En mettant en scène un homme qui subit le même sort que le Petit Chaperon rouge,

elle montre que ce comportement incite les victimes à la vengeance. Tout comme Perrault, elle écrit

un message d’avertissement, mais alors que ce dernier s’adresse « [s]urtout [à] de[s] jeunes filles »,

Aulnoy fait des reproches aux hommes, en leur faisant vivre la même expérience, être innocent et

puni à la fois.

172 Ibid., p. 435. 173 Ibid. 174 Ibid., p. 443.

65

Conclusion

« Ah petit page, je vois bien que vous allez dire que le loup mangea l’agneau. Je vous prie de dire qu’il ne le mangea pas. »175

On n’aime pas les histoires qui finissent mal. C’est déroutant, contre nos attentes, surtout s’il s’agit

de contes de fées… Non, les conteurs et conteuses ne s’amusaient pas secrètement à incommoder

leurs lecteurs. Au cours de cette étude, nous avons découvert qu’ils ont même souvent de très bons

motifs pour préférer une fin véritablement malheureuse. Les dix contes que nous avons

sélectionnés, témoignent d’une variété de stratégies cachées qui dépassent de loin l’explication

courante par le simple pessimisme de leurs auteurs.

Une première explication générale peut être faite sur le niveau de l’énonciation. Tous nos contes

enchâssés dans un récit-cadre – il y en a six – doivent leur fin malheureuse au rapport qu’ils

entretiennent avec leur cadre. À travers des jeux de miroir, les conteuses intègrent de façon

stratégique l’intrigue du conte dans celle du cadre. Nous parlons de conteuses, parce que ce procédé

d’encadrement est très en vogue auprès des femmes ; notamment car cela leur permet d’accentuer

l’emprise du narrateur, et donc leur propre pouvoir à elles. Ce pouvoir de la parole se cristallise dans

le rôle de prophétie ou d’oracle que l’on attribue au conte. Tout comme les fées figurant dans leurs

histoires, les conteurs prévoient, en racontant, le destin du personnage à qui ils s’adressent dans le

récit-cadre.

Nous avons vu que les contes à dénouement malheureux, selon ce schéma type, occupent alors

généralement deux fonctions au sein du cadre : soit une fonction de mise en garde, montrant au

destinataire à quels dangers futurs il faut s’attendre ; soit une fonction consolatrice, témoignant que

le destinataire n’est pas le seul à souffrir. Ces deux fonctions jouent évidemment aussi sur le niveau

175 Tristan l’Hermite décrit dans ses mémoires comment il raconte les fables d’Esope à la cour royale. Il mentionne

notamment la fable du « loup et l’agneau » reprise plus tard par La Fontaine (Tristan l’Hermite, Le Page disgracié, ou l’on void

de vifs caracteres d’hommes de tous temperamens & de toutes professions, Paris, André Boutonné, 1667, p. 30).

66

extralittéraire, c’est-à-dire qu’ils nous influencent aussi, nous lecteurs. Mais nous sommes

néanmoins d’avis que les contes encadrés n’ont que tout leur sens à partir du moment où nous lisons

la totalité du texte dont ils font partie.

Ainsi, une approche littéraire qui tient compte du contexte de parution originale et de ce fait du

contexte d’énonciation du conte, a permis en quelque sorte de comparer le « degré de pessimisme »

de nos trois conteuses. Nous avons vu qu’Aulnoy par exemple, prend soin d’intégrer tous ses contes

à dénouement malheureux dans un contexte plus joyeux. Par conséquent, l’arrière-goût de ces

histoires n’est pas aussi amer que celui que nous éprouvons par exemple chez C. Bernard. Cette

dernière imagine des cadres aussi pessimistes que ses contes. C’est Murat que nous avons désignée

comme étant la plus pessimiste des trois, n’ayant jamais recours au procédé d’encadrement qui

pourrait faire contrepoids au message sombre de quelques-uns de ses contes. Toutefois, pour une

comparaison plus complète des trois conteuses, nous admettons qu’il y a sans doute encore des

recherches à faire en analysant les recueils de contes dans leur totalité. La lecture d’un conte est

déterminée par son contexte littéraire immédiat, et donc par les autres contes d’un même recueil,

tout comme par son cadre.

Outre ce contexte immédiat, il faut aussi tenir compte de l’influence des autres genres littéraires.

Ces rapports intertextuels révèlent une deuxième piste pour expliquer les fins insolites de nos

contes. Tout d’abord, il y a la nouvelle, avec laquelle le conte entretient une relation importante,

mais ambivalente. Nous avons vu que la plupart des contes s’opposent à ce genre et à ses exigences

démesurées de vraisemblance. Nos dix contes, en revanche, se montrent moins hostiles à cette

vraisemblance ; non pas par une absence du merveilleux, mais par la vision beaucoup plus réaliste

de l’amour et du mariage qu’évoquent leurs fins. Notamment l’analyse comparative de La Princesse de

Clèves et du conte « Anguillette » a illustré le dialogue des deux genres. Ils ont même recours à un

lexique semblable. Ainsi, nous sommes d’avis que nos conteurs, dans les dix contes que nous avons

étudiés, s’inspirent de la nouvelle.

Les autres genres mentionnés n’ont pas agi sur nos contes de façon aussi manifeste, mais ils nous

offrent toutefois des outils pratiques pour comprendre certaines nuances dans les différentes fins.

Les références aux romans médiévaux par exemple, évoquent une idée de l’amour courtois qui peut

atténuer la noirceur d’un conte. Ensuite, une analyse des influences folkloriques et mythologiques a

dévoilé une double attitude de nos conteurs. D’une part, ils évoquent souvent des motifs populaires

et tragiques qui préparent la fin triste des contes. Remarquons à cet égard qu’il faut réévaluer la

singularité des contes de notre corpus, puisqu’ils s’inscrivent dans une époque où l’on est familier de

ce type de tournure, aussi dans le genre de la nouvelle. D’autre part, nous avons également souligné

67

la volonté des conteurs de se démarquer des traditions anciennes. La bête qui devient prince

charmant, l’amour éternel de Philémon et Baucis… Il n’en est rien dans nos contes.

De même, les conteurs se servent du genre de l’utopie narrative comme contre-modèle. Ils ont

habilement détourné ce que les contes de fées ont normalement d’utopique. La fin triste en est la

manifestation la plus évidente, mais les topoï utopiques qui échouent, présents au sein de quelques-

uns de nos contes, contribuent également à leur caractère résolument dysphorique. Le lieu commun

du happy end féerique est tourné en ridicule, en montrant que le bonheur éternel n’est accessible

qu’avec un auxiliaire magique, comme le démontre « Le Nain jaune ».

Une troisième et dernière explication des fins tristes concerne les contes féminins. Une approche

socio-culturelle a démontré que les conteuses tendent à mettre en évidence ce qui ne tient pas dans

la société de la fin du XVIIe siècle en France, comme le mariage imposé et le statut inférieur de la

femme. Elles dénoncent les conceptions phallocentriques de « femme proie » ou de « femme objet »

en montrant comment une telle conception de la femme est en fait monstrueuse et totalement

incompatible avec un happy end crédible. Les conteuses s’opposent à l’injustice faite à leur égard et

imaginent une réponse aux récits trop conformateurs de la société patriarcale, comme fait par

exemple Aulnoy dans « Le Mouton ».

Il ne faut cependant pas exagérer le côté subversif de ces contes. Car, les héroïnes ne réussissent pas

non plus à trouver leur propre bonheur, de façon indépendante des hommes. Les tentatives des

utopies féminines échouent elles aussi… La fin malheureuse des contes féminins est donc clairement

ambiguë. D’un côté, elle témoigne d’une pensée clairement féministe, mais de l’autre, elle bloque le

happily ever after d’une femme qui renonce au mariage. Aussi, les premiers pas vers un mouvement

féministe sont là, mais les conteuses ne proposent pas encore de véritables solutions aux injustices

dénoncées.

Enfin, concluons notre étude comme nous l’avons commencée, c’est-à-dire par une mise en garde

critique. Il n’existe pas de conte de fées prototypique, nous l’avons dit, mais ce mémoire a prouvé

qu’il n’existe certainement pas de modèle passe-partout du conte à dénouement malheureux.

Chacune des trois grandes approches littéraires éclaircit un autre aspect du dénouement d’un conte.

C’est la totalité de ces différents regards qui importe le plus, comme l’a montré le cas des conteuses :

elles veulent exprimer leur désaccord face à une société sexiste et imaginent alors des contes de

fées, genre particulièrement apprécié. Elles prennent soin d’attirer l’attention des lecteurs, en

déviant les attentes propres au conte de fées et aux autres genres invoqués. Ainsi, leur message est

d’emblée mis en avant, mais, dans le même temps, le côté subversif est atténué par le masque que lui

68

tend le procédé de l’encadrement. Car, au final, qui prononce précisément les propos risqués ? On se

perd dans les degrés d’enchâssement... Les explications proposées ne s’excluent donc pas

mutuellement. Bien au contraire, elles renforcent toutes l’idée que le conte de fées littéraire de la fin

du XVIIe siècle en France est un genre intellectuel et stratégique. Et nous n’avons pas besoin de « clef

fée » pour découvrir et apprécier cette ingéniosité…

69

Bibliographie

Contes à dénouement malheureux

Contes enchâssés dans un récit-cadre176

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Lafayette, Saint-Réal, Du Plaisir, Catherine Bernard, édition critique établie par Marc Escola, Paris, GF

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176 Nous mentionnons d’abord le récit-cadre et puis le conte de notre corpus qui s’y trouve enchâssé. Quant au cadre du

premier conte, « L’Île de la Félicité » intégré dans le roman volumineux Histoire d’Hypolite, comte de Duglas, nous nous

sommes limitée aux paragraphes précédant et suivant le conte, comme mentionné dans l’édition citée.

70

Catherine Bernard, « Le Prince Rosier », dans Nouvelles galantes du XVIIe siècle: Mme de Lafayette,

Saint-Réal, Du Plaisir, Catherine Bernard, édition critique établie par Marc Escola, Paris, GF

Flammarion, 2004, p. 394-402.

Catherine Bernard, « Riquet à la houppe », dans Nouvelles galantes du XVIIe siècle: Mme de

Lafayette, Saint-Réal, Du Plaisir, Catherine Bernard, édition critique établie par Marc Escola, Paris,

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Madame de Murat, « Le Palais de la vengeance », dans Contes, édition critique établie par Geneviève

Patard, Paris, Honoré Champion Éditeur, coll. Bibliothèque des Génies et des Fées, 2006, p. 144-158.

Madame de Murat, « Peine Perdue », dans Contes, édition critique établie par Geneviève Patard,

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75

Table des matières

Introduction ........................................................................................................................................... 1

Présentation du corpus ................................................................................................... 7 Chapitre 1

La clef narrative et énonciative : l’importance du récit-cadre .................................. 13 Chapitre 2

2.1 Le conte et le cadre : des vases communicants ............................................................................ 14

2.2 Le pouvoir de la parole ..................................................................................................................... 16

2.3 « Le Prince Rosier » et « Riquet à la houppe » : une étude du conte dans son cadre

romanesque ........................................................................................................................................ 20

2.3.1 La fonction du conte de fées .............................................................................................. 20 2.3.2 Les conteuses et leur public ............................................................................................... 21 2.3.3 Bilan provisoire ................................................................................................................... 26

La clef intertextuelle ..................................................................................................... 29 Chapitre 3

3.1 Le romanesque ................................................................................................................................... 29

3.1.1 Un rapport amour-haine .................................................................................................... 30 3.1.2 Explication des fins malheureuses ................................................................................... 31

3.2 Les inspirations anciennes ............................................................................................................... 33

3.2.1 Une inspiration folklorique ? ............................................................................................ 34 3.2.2 Le folklore et la mythologie ............................................................................................... 35

3.3 L’utopie ............................................................................................................................................... 38

3.3.1 Le Pays des Merveilles ........................................................................................................ 38 3.3.2 Les îlots utopiques ............................................................................................................... 40

3.4 Des palmiers et des charmes : une étude comparative du « Nain jaune » et

d’« Anguillette » ................................................................................................................................ 42

3.4.1 Le romanesque ..................................................................................................................... 43 3.4.2 La mythologie ...................................................................................................................... 47 3.4.3 L’utopie ................................................................................................................................. 49

La clef socio-culturelle .................................................................................................. 51 Chapitre 4

4.1 « Une moralité louable et instructive » ......................................................................................... 51

4.2 Un féminisme naissant : le côté subversif des contes ................................................................. 54

4.2.1 L’institution du mariage ..................................................................................................... 54 4.2.2 L’image de la femme ........................................................................................................... 57

4.3 Des loups et des moutons : une étude comparative du « Petit Chaperon rouge » et du

« Mouton » .......................................................................................................................................... 59

4.3.1 Comparaison des moralités ............................................................................................... 59 4.3.2 Conteur versus conteuse .................................................................................................... 63

76

Conclusion .......................................................................................................................................... 65

Bibliographie .......................................................................................................................................... 69

Contes à dénouement malheureux ............................................................................................................ 69

Contes enchâssés dans un récit-cadre............................................................................................ 69 Contes indépendants......................................................................................................................... 70

Autres sources primaires ............................................................................................................................. 70

Sources secondaires ..................................................................................................................................... 71

Nombre de mots : 30.007

Nombre de mots sans notes en bas de page : 26.197

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