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ET SI LA VIE ETAIT UNE GOURMANDISE PiĂšce en trois actes Personnages : Auguste Vieux paysan, poĂšte, rĂ©fractaire au progrĂšs Clarisse Jeune employĂ©e , pas trĂšs futĂ©e. Zozotte. Cindy La fille d’Auguste . Trentenaire . DĂ©teste la campagne. Ken Le petit ami de Cindy. Trader. TrĂšs mou. IrĂšne L’ex d’Auguste . Agent immobilier. DĂ©teste la campagne. De l’humour. Elisabeth Ancourt Riche femme d’affaires. Tony Chauffeur et majordome de Mme Ancourt . Dealer Ă  ses heures. Style mauvais garçon DĂ©cor Une salle Ă  manger de ferme. Grande table. Quelques chaises. Sur le mur du fond, une tĂȘte de vache sensĂ©e reprĂ©senter une vraie vache, dans son Ă©table, mais dont la tĂȘte, coiffĂ©e d’un c hapeau, donne dans la salle Ă  manger communicante. Deux sorties , l’une vers l’extĂ©rieur, l’autre vers les chambres.

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ET SI LA VIE ETAIT UNE GOURMANDISE

PiĂšce en trois actes

Personnages : Auguste Vieux paysan, poĂšte, rĂ©fractaire au progrĂšs Clarisse Jeune employĂ©e , pas trĂšs futĂ©e. Zozotte. Cindy La fille d’Auguste . Trentenaire . DĂ©teste la campagne. Ken Le petit ami de Cindy. Trader. TrĂšs mou. IrĂšne L’ex d’Auguste . Agent immobilier. DĂ©teste la campagne. De l’humour. Elisabeth Ancourt Riche femme d’affaires. Tony Chauffeur et majordome de Mme Ancourt . Dealer Ă  ses heures. Style mauvais garçon DĂ©cor Une salle Ă  manger de ferme. Grande table. Quelques chaises. Sur le mur du fond, une tĂȘte de vache sensĂ©e reprĂ©senter une vraie vache, dans son Ă©table, mais dont la tĂȘte, coiffĂ©e d’un chapeau, donne dans la salle Ă  manger communicante. Deux sorties , l’une vers l’extĂ©rieur, l’autre vers les chambres.

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ACTE I , ScĂšne 1

Clarisse , Auguste

( Clarisse fait le ménage en chantant. Elle zozotte)

Clarisse Trois zeunes tambours s’en revenaient de guerre Trois zeunes tambours s’en revenaient de guerre

Et ri et ran ran plan plan , euh 
non
ran plan ta plan
 non
tan plan plan . Non, ze recommence. Trois zeunes tambours s’en revenaient de guerre

Trois zeunes tambours s’en revenaient de guerre et ri et ran ran plan plan , ran tan plan 
 ah , ça m’énerve.

( EntrĂ©e d’Auguste, tenue de paysan. Un cahier Ă  la main, qu’il pose sur la table)

Auguste Eh ! Tu me parais bien gaie, ma petite Clarisse. Tout va bien pour toi ?

Clarisse Oh ben. Oh ben, crotte, alors! Ca va, ça va , facile à dire. Ze me rappelle plus la çançon . Ze sais plus comment on dit : ran plan plan plan , plan ran plan plan , ran tan plan. Vous la connaissez , vous la

çançon ? Auguste Tu m’en fais un, toi, de rantanplan. (il chante) Trois jeunes tambours s’en revenaient de guerre

Trois jeunes tambours s’en revenaient de guerre Et ri et ran rapataplan, s’en revenaient de guerre –erre. Je

crois que c’est ça. Bon, tu as fait la vaisselle, c’est bien. Tu as aimĂ© mon pigeon aux petits pois ?

Clarisse Z’adore les petits pois, mais alors le pizon, c’est plein de petits os et ça, z’aime pas.

Auguste Bon , je vais essayer d’élever quelques pigeons sans os, rien que pour toi.

Clarisse Bah ! C’est une blague, hein ? Auguste Ben Ă©videmment!

Clarisse Oh ben. Oh ben, crotte, alors! Dommaze. Ca m’aurait bien plu !

(changeant de sujet) Et le fourraze, il est bien ? Ca a dĂ» pousser, non ?

Avec tout ce qu’est tombĂ© !. Faudrait faucer, peut-ĂȘtre, avant qu’il

repleuve. Z’ai Ă©coutĂ© la mĂ©tĂ©o, ça va tomber encore. Auguste (attendri) Oui, ma petite Clarisse. C’est bon de te voir t’intĂ©resser Ă  la

ferme. Je suis ravi que tu te plaises ici.

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Clarisse Oh oui, M’sieur Auguste ! Ze me plais beaucoup ici. Z’aime beaucoup les animaux. Ze m’entends bien avec les vaces. Ca y est , ze les connais toutes par leur nom. ( elle caresse la tĂȘte de la vache, Manon)

Manon, Walkirie, Tosca, LakmĂ© et puis toutes les autres. Et pourquoi c’est touzours Manon qui a le droit de regarder dans la salle Ă  manzer ?

Auguste C’est la plus vieille. Elle a droit à ce privilùge. Et puis , c’est une confidente. Depuis que ma femme est partie , et avant que tu arrives, c’est à elle que je parlais. Mais , je continue à lui parler, sinon elle va

devenir jalouse et te faire la tĂȘte. Hein , Manon ? T’es pas comme ça. Tu l’aimes bien Clarisse. Oui, hein ? J’en Ă©tais sĂ»r. ( A Clarisse) Dis-

moi, tu as pris le courrier dans la boĂźte Ă  lettres?

Clarisse Oui, ze l’ai posĂ© sur la table. ( Auguste examine le courrier, ouvre une

enveloppe) La factrice , ze sais pas ce qui lui arrive, elle a mis une lettre

qu’est pas pour vous. Ze vais la remettre à la poste. Auguste Ah bon ? Et c’est la bonne adresse ?

Clarisse Ben oui (elle sort la lettre de sa poche et lit) Mr Zozeph Reblanc, route

du Paradis,
.. (la localitĂ© oĂč se joue la piĂšce) . Zozeph, c’est pas vous,

puisque vous vous appelez Auguste. Auguste Oui, mais c’est moi aussi. En fait , je m’appelle Joseph, mais tout le

monde m’appelle Auguste, et je ne suis pas sĂ»r que d’autres personnes, en dehors de l’administration, sachent que je m’appelle Joseph.

Clarisse Oh ben. Oh ben, crotte, alors! Mais alors pourquoi qu’on vous appelle

Auguste ?

Auguste Ouh ! Ca remonte loin ! Quand j’étais jeune, j’ai fait un numĂ©ro de clown

avec un partenaire
 et d’ailleurs, ce partenaire, ma petite Clarisse ,

c’était ton pĂšre. Tu sais que dans un duo classique de clown, il y a le clown blanc et l’auguste. Moi, j’étais l’auguste et ça m’est restĂ©. On s’appelait les clowns Pipo et Chipo, mais je prĂ©fĂšre qu’on m’appelle

Auguste plutît que Chipo. Qu’est-ce que tu en penses ? Clarisse Ze suis bien d’accord. C’est zoli, Auguste. Et vous savez faire le clown ,

alors. Vous me faites le clown , dites ? Auguste Oh là , c’est tellement vieux ! Je ne saurais plus le faire.

Clarisse Oh si , dites! (elle tape des mains comme une petite fille) Oh oui ! Oh

oui !

Auguste Bon alors. Mais je te prĂ©viens, je ne suis certainement plus trĂšs drĂŽle. Et puis , c’était surtout pour les enfants. Mais puisque tu y tiens. ( il

prend le chapeau de la vache , le visse sur l’arriùre de son crñne et marche de long en large à la maniùre d’un clown) Alors les p’tits

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Ă©lĂ©phants, ça va , ça va , ça va ? (on peut imaginer quelques facĂ©ties de clown, telles que : visage tournĂ© vers le public, arrivĂ© Ă  un bout de scĂšne, il tourne et se retrouve visage vers le fond de scĂšne) Et oĂč ils

sont passĂ©s ? ( il se retourne vers le public) Ah , ils sont lĂ  ! Faut pas vous cacher, hein ? ( mĂȘme manĂšge Ă  l’autre bout de scĂšne) (on peut allonger le numĂ©ro) ( Clarisse tape des mains et rit aux Ă©clats, comme

une enfant)

Ouh ! C’est plus de mon ñge, je suis trop vieux pour faire le clown. Mais tu te rends compte ? J’ai refait le clown pour toi , alors que je ne l’ai

jamais fait pour ma femme ou ma fille.

Clarisse C’est trùs rigolo. Z’aurais bien voulu vous voir avec Papa. Et vous avez

fait les clowns longtemps ? Auguste Ton pĂšre et moi, nous avons fait le numĂ©ro quelques annĂ©es, (rĂȘveur)

histoire de se faire quelques sous, puis on s’est mariĂ©s et le numĂ©ro s’est arrĂȘtĂ©. Mais nous sommes toujours restĂ©s en contact.

Clarisse C’est parce que vous Ă©tiez un vieil ami de mon pĂšre que vous m’avez employĂ©e cez vous ?

Auguste AprĂšs l’accident de tes parents , je ne pouvais pas te laisser toute seule. Et puis , je m’en rĂ©jouis tous les jours.

( elle lui pose un baiser sur la joue et se sauve en courant)

Clarisse (voix cassée) Merci !

Auguste ( à Manon) Qu’est-ce que tu en penses ? C’est bon qu’elle soit là, non ?

Elle est un peu sosotte qui zozotte, mais un cƓur gros comme ça et puis quand on lui a expliquĂ© ce qu’il faut faire, elle ne rechigne pas au

boulot. Je ne regrette pas de l’avoir embauchĂ©e. Et puis , comme ça, je peux parler Ă  une autre qu’à toi. Ca te fait des vacances, pas vrai ?

(il reprend le cahier qui est posĂ© sur la table) Ah ! J’en ai fini un autre ,

ce matin, prĂšs de l’étang. Je vais te le lire. Tu vas me dire ce que tu en penses. Et puis sans concession, hein ? Comme d’habitude. Bon , tu Ă©coutes ? Hein, je te parle. Tu Ă©coutes ? (il pose son bras sur la tĂȘte de

la vache) Ca s’appelle SensualitĂ©. Ca te choque ? Euh ! Bon , je

reverrai, peut-ĂȘtre, le titre.

Douceur arrondie De la croupe alanguie De la colline voisine,

Senteur épicée Le matin exhalée

AprĂšs une nuit d’orage, MĂ©lodie enchantĂ©e

Des frondaisons habitĂ©es D’un bien joyeux ramage,

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Saveur de la pĂšche Qui, dans la bouche qui lĂšche

Coule et lentement régale,

Contact caressant

Du souffle frĂ©missant D’une brise matinale,

Ô nature sensuelle et cĂąline Tu es Ă©minemment fĂ©minine. (il regarde la vache) Ah oui, toi non plus , il ne te plaĂźt pas le dernier

vers . Le mot Ă©minemment, il est pas beau , hein ? Ca fait pĂ©dant. (Clarisse revient en reniflant et s’essuyant les yeux) Ma petite Clarisse,

je sais , c’est trĂšs dur de perdre des ĂȘtres chers. Mais tu vas voir, petit Ă  petit , tu vas la remonter, la pente.

Clarisse C’est pas ça, M’sieur Auguste. C’est que ze vous ai entendu dire le poĂšme. C’est beau, ça m’a toute tourneboulĂ©e. C’est vrai que le dernier vers , il est moins zoli. Pourquoi que vous diriez pas « tu es

naturellement fĂ©minine » ? C’est plus simple. Auguste (il corrige) Ô nature sensuelle et cĂąline

Tu es naturellement fĂ©minine. Mais c’est simple et gĂ©nial. (Il lui pose une bise sur la joue) Ma petite

Clarisse , je te nomme poĂšte-adjoint.

ACTE I ScĂšne 2

Auguste, Clarisse , Cindy, Ken

( Bruit de voiture, Auguste regarde par la fenĂȘtre )

Auguste Ah non! Voilà les bobos ! ( Cindy trÚs excitée entre agitée comme toujours, suivie de Ken tout crotté. Il a un

ordinateur portable à la main. Il est trùs mou, façon Droopy) Cindy (parlant trùs vite) Bonjour Papa. Ah ! Si tu savais ! Ah ! C’est terrible!

C’est terrible! ,Impossible d’arriver jusqu’ici. Quel pays ! Il faut ĂȘtre corbeau pour arriver jusque chez toi. Ah ! Ca n’a pas changĂ©. Toujours aussi minable ce pays. ( Ă  Ken) Mon pauvre chĂ©ri, je ne sais pas

pourquoi je t’ai amenĂ© ici. On va repartir trĂšs vite, va. Vers la civilisation. (Ken opine de la tĂȘte. Elle s’arrĂȘte net. Un instant de silence)

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Auguste ( accablé, parlant lentement) Bonjour , ma fille. Je te rappelle que ce

pays minable est le tien. Tu y es nĂ©e , tu y as grandi, jusqu’à tes 18 ans.

Cindy 16

Auguste Mais non, 18. Cindy A 16 ans , je suis partie en internat et je ne revenais que pour les week-

ends Auguste Bon , si tu veux. De toutes façons , Ă  l’époque, tu aimais 
ou tu faisais

semblant. C’est vrai qu’à l’époque, tu t’appelais Louison. Et lĂ , maintenant, tu t’appelles comment ? La derniĂšre fois, tu Ă©tais Britney, il me semble.

Cindy Je m’appelle Cindy

Auguste Ah ! Pourquoi pas ? Et le tas de boue qui salit le carrelage, il s’appelle comment ?

Cindy Je te prĂ©sente Ken Auguste ( au public) J’aurais dĂ» y penser, mais Ă  premiĂšre vue , j’aurais pariĂ©

sur Droopy.

Cindy Ken est trader. Il est trÚs occupé. Il a trouvé un moment pour

m’accompagner. Auguste Et un 
trader
, ça a forcĂ©ment un ordinateur portable Ă  la main et ça

se roule dans la boue dÚs que ça trouve une flaque. Clarisse Hi, hi, hi. On dirait Hector ?

Ken Qui est Hector ?

Auguste Le verrat. Ken Je suis ravi . Et qu’est-ce que c’est un verrat ?

Clarisse C’est un gros cochon qu’arrĂȘte pas de monter sur les truies. Sinon , il

se roule dans la bouillasse.

Cindy Mais si je ne me trompe, c’est ZĂ©zette. Qu’est-ce qu’elle fait ici ?

Auguste Elle s’appelle Clarisse. Je l’ai embauchĂ©e Ă  la mort de ses parents. C’est mon employĂ©e.

Cindy Oh ! Désolée Zez....euh Clarisse. Je ne savais pas que tes parents étaient décédés. Je les ai bien connus.

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Clarisse Sniff. Merci Louis
euh 
Cindy. Cindy ( de nouveau survoltée) Sinon, de la bouillasse , il y en a plein , en ce

moment dans le coin.

Auguste Ben, il a plu, enfin. Cindy ( agitĂ©e, parlant vite) Bon j’te raconte. Alors Ken, il suivait la route au

GPS. Et le GPS, il a pas repéré que dans un bas-fond, un ruisseau a débordé.

Auguste Et toi, tu ne l’as pas vu non plus. Cindy Non, moi, je lisais. Tu sais bien, je lisais toujours quand j’étais petite. LĂ 

maintenant, je lis un Steve Bevey. C’est un roman Ă©rotĂ©rique
 euh non Ă©sotĂ©rique. Ca parle des Templiers. C’est super ! J’te raconte. Alors y a un chevalier


Auguste Et si tu gardais les Templiers pour une autre fois, peut-ĂȘtre qu’on

arriverait à s’y retrouver. Et si tu laissais Ken raconter ses problùmes

avec le ruisseau, ça te permettrait de reprendre ton souffle. Ken (l’air trĂšs las. Il parle lentement , par opposition Ă  Cindy) Ouais, eh bĂ©, il

y avait bien 40 Ă  50 cm d’eau. Il a dĂ» vachement pleuvoir. Alors
alors Je me suis engagĂ© dans le guĂ© . Ouais, eh bé l’eau, elle montait de plus en plus le long des portiĂšres et alors
alors, le 4x4 
il patinait(il

s’arrĂȘte , se laisse tomber sur une chaise).

Auguste (moqueur) Allez-y , je suis tout ouĂŻe.

Ken Alors
alors, je suis descendu dans l’eau.

Auguste Ah !Le suspense est insoutenable. Ken Alors , je suis allé derriÚre la voiture pour pousser

Auguste C’est mieux !

Ken Cindy s’est mise au volant et alors
alors
 Auguste ( accrochĂ© Ă  la table, goguenard) Oh ! C’est atroce, je n’y tiens plus !

Ken Alors, Cindy a accéléré et alors
alors
 les roues ont projeté de la

boue sur ma figure. J’y voyais plus et alors
alors


Auguste Hitchcock peut aller se rhabiller.

Ken Quand la voiture a avancé, je me suis étalé dans la boue , pardi.

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Auguste C’est ce qu’on appelle la chute de l’histoire. Passionnant. Mais , dites -moi, quelque chose m’intrigue. Ils mettent toujours en place des dĂ©viations , d’habitude.

Ken Ah ! Je sais pas , je me fie au GPS.

Auguste Et c’est quoi un GPS ? Ken (ravi d’expliquer) C’est un repĂ©rage de la voiture par satellite. Le

satellite suit votre voiture. Il vous repÚre sur une carte et vous indique le chemin à suivre avec une précision extraordinaire. Il vous suffit de lui indiquer votre destination.

Auguste (moqueur) Ah ! Il ne devine pas oĂč vous voulez aller, ah , il ne devine

pas quand mĂȘme ! Alors , il y a un tas de ferraille qui me suit du ciel,

qui a un Ɠil sur moi et qui sait tout ce que je fais. Ken N’exagĂ©rons rien. Si vous n’avez pas de systĂšme GPS dans votre

pantalon, il n’en sait rien. Auguste Ah ! Il sait pas ! Ah, il sait pas. Ca fait rien, sentir un Ɠil qui me regarde

en permanence
sans que je le voie , ça me mettrait vachement de mauvaise humeur. Et, Ă©videmment, votre GPS ne vous a pas dit que vous alliez vous Ă©taler dans la bouillasse. Bon, Clarisse, conduis,

euh
Ken Ă  la salle de bain et regarde dans mon armoire s’il peut trouver quelques vĂȘtements Ă  sa taille, mĂȘme s’ils ne sont pas Ă  son goĂ»t.

Ken Je vais chercher les valises. Je prendrai des vĂȘtements Ă  moi

Auguste Si je comprends bien , nous n’avons pas les mĂȘmes goĂ»ts, question fringues.

Cindy Ne le prends pas mal, mon p’tit Papa, mais t’es un peu vioque de la loque.

Auguste Ah ! Je suis vioque de la loque ! Cindy Ben oui ! T’es pas loquĂ© trĂšs jeuns, quoi.

Auguste Je n’avais pas cette prĂ©tention, mais comme ça , c’est dit.

Clarisse Ze vais avec vous, M’sieur Ken. Ze vais vous aider à porter les valises et de là , ze vous conduirai à la salle de bain.

( ils sortent) Auguste ( s’asseyant) Bon, et toi, ma Louison
Je ne t’appellerai pas Cindy,

dĂ©solé donc , toi, qu’est-ce que tu deviens ? Tu sais ,le vioque de la

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loque, eh ben, il est content que tu sois venue le voir. Louison ou Britney ou Cindy, tu me manques.

Cindy (s’asseyant sur ses genoux) Mon p’tit Papa, je voudrais venir plus

souvent, mais je suis trÚs occupée. Presque tous les soirs, nous sommes invités ou nous invitons des amis, (elle compte sur ses doigts)

des amis du cercle littéraire, des amis peintres, des amis de la salle de muscu, des amis du boulot de Ken, des amis


Auguste Vous avez beaucoup d’amis. Et je suppose que vous
euh virevoltez du boulot aux rĂ©ceptions mondaines, des sĂ©ances de muscu aux salons littĂ©raires, du coaching au 
 comment on dit dĂ©jà
J’ai vu ça

dans le journal
On ne dit plus « je vais chez l’esthĂ©ticienne » , on dit je vais me faire faire un 
ah oui.. un relooking.

Cindy Mais c’est pas pareil ! Je t’explique. Auguste TU M’EXPLIQUES RIEN ! Non mais , dis moi, est-ce que tes amis

savent Ă  quoi ressemble le soleil quand il se lĂšve derriĂšre un bosquet de chĂątaigniers, Ă  quoi sent une prairie qui sĂšche ses derniĂšres gouttes de rosĂ©e ? Est-ce qu’ils connaissent le goĂ»t du lait qu’on vient de

traire ? Est-ce qu’ils connaissent 
 Cindy Non, ils ne connaissent pas! Mais il n’y a pas que ça dans la vie. Est-ce

que tu connais , toi, le bonheur d’assister Ă  une bonne piĂšce de thĂ©Ăątre, de pouvoir communiquer avec ses amis par un simple petit mail, pour savoir comment ils vont ? Est-ce que tu n’as pas envie de t’habiller

avec des vĂȘtements un peu plus Ă©lĂ©gants qu’un pantalon de velours cĂŽtelĂ© et des bottes ? Est-ce que tu n’as pas envie que ta salle Ă  manger sente autre chose que des relents d’étable ?

Auguste Ma chérie , si tu apprécies tout ça, je veux dire ta vie trépidante, faite

de communication, de contact, si tu l’apprĂ©cies rĂ©ellement et pas pour

faire comme les autres, ou pour jouer un rĂŽle, je suis ravi
 Mais tout de mĂȘme , avoir besoin d’une espĂšce d’appareil qui, du haut des nuages te dit « si tu veux aller lĂ , passe par lĂ , mais moi les ruisseaux

qui dĂ©bordent , je les vois pas », alors lĂ  , moi je dis , ça , c’est de l’assistanat.

Cindy Mon pauvre Papa, ne me dis pas que tu en es encore Ă  la boussole pour voyager.

Auguste Je ne suis pas complĂštement arriĂ©rĂ©, quand mĂȘme. Mais , bon , je m’aperçois que si je veux apprĂ©cier les choses que j’aime , il faut que je reste sur mon Ăźle.

Cindy ( cñline , elle s’assied sur les genoux de son pùre) Reste sur ton üle. Je

viendrai t’y voir. ( et elle est repartie) Mais en attendant, il faut que j’aille

voir si Ken arrive Ă  s’habiller, lui que tu trouves assistĂ©.

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Auguste Ca m’épate que tu sois avec lui. Mais qu’est-ce que tu lui trouves ?Mou comme il est, je ne comprends pas que tu le supportes.

Cindy Je l’aime et puis il me calme. Auguste Ah !eh ben , ça saute pas aux yeux. Qu’est-ce que ça serait si tu Ă©tais

cĂ©libataire ? Tu sais pas ? Eh ben , tu devrais prendre 2 ou 3 amants de la mĂȘme portĂ©e, tu deviendrais peut-ĂȘtre vivable.

Cindy C’est pas sympa, ce que tu dis. Je fais des efforts , tu sais, mais c’est plus fort que moi, il faut que ça aille vite.

Auguste Et ton Ken, plus tu accélÚres , plus il freine. Ca va finir par faire péter la mécanique.

Cindy ( elle tourne en rond et ne tient pas en place) Bon, j’y vais, il va pas y

arriver.

Auguste Mais si ! Son GPS va lui dĂ©nicher une chemise propre dans sa valise. T’inquiĂšte pas ( elle sort en haussant les Ă©paules)

Le GPS
( il secoue la tĂȘte, dĂ©sespĂ©rĂ©) En attendant, pour moi, c’est

foutu. Maintenant, quand je vais comme tous les soirs pisser face Ă  la Lune, je ne vais pas pouvoir m’empĂȘcher de chercher, dans le ciel, cette espĂšce de satellite qui va repĂ©rer si j’ai des problĂšmes de

prostate. .

ACTE I , ScĂšne 3

Auguste, IrĂšne, puis Cindy et Ken

( IrĂšne entre brutalement, apparemment retenue par le bas de sa jupe. Elle est

habillée trÚs classe , tailleur et talons hauts. Elle rabat trÚs vite la porte.

IrĂšne Sales bĂȘtes ! Mais lĂąchez-moi ! C’est pas vrai ! Ah ! Ca n’a pas changĂ©

ici. Mais lñche-moi, j’te dis ! C’est dingue ! Mais elles sont folles ces bestioles !

Auguste Tiens donc !Pour un retour, c’est un retour remarquĂ© 
au moins aux yeux du troupeau d’oies. Tu sais, ce sont un peu les oies du Capitole. Elles prĂ©viennent toujours quand quelqu’un arrive, du moins quand

elles sont dans le secteur. Et puis , il faut ĂȘtre Ă  leur goĂ»t, sinon gare aux mollets. Tu vois, ton tailleur et tes escarpins, Ă  mon avis , c’est un peu le torchon rouge sur le taureau, ça les excite.

IrÚne Je te préviens , la prochaine fois , je vais te les taguer, façon lacrymo,

ça va ĂȘtre vite fait.

Auguste Ca va pas , non ? Tu vas me gĂąter les foies gras !

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IrĂšne Oh ! et puis je m’habille comme je veux et tu n’as plus ton mot Ă  dire Ă  ce sujet. Bonjour quand mĂȘme.

Auguste Ouh ! Et c’est pour m’agresser que tu es venue affronter les horreurs et

les pĂ©rils d’une ferme ?

IrÚne Ouais . Eh bé , justement, tu la fermes !

Auguste Ah bé Ah bĂ© t’as pas changĂ© ! Toujours aussi hargneuse quand on te caresse pas dans le sens du poil.

IrĂšne (subitement enjĂŽleuse) Ah par contre, quand tu me caressais dans le

sens du poil, j’apprĂ©ciais beaucoup ! ( de nouveau violente) Mais ça

n’arrivait pas tous les jours ! Tu avais parfois autant de douceur que

quand tu étrilles tes vaches pour leur faire tomber la merde ! Auguste ( brutalement affaissé. Au public) Et voilà ! Ah ! Ca dure pas longtemps,

les accalmies. La tempĂȘte a tĂŽt fait de revenir. Je connais. Pour l’instant, ça couve. AprĂšs , c’est l’alerte mĂ©tĂ©o. Puis, la tornade arrive. Comme vous ĂȘtes lĂ , on n’en arrivera peut-ĂȘtre pas au tsunami.

Quoique ! Non, je rigole ! Il y en a qui avaient déjà quitté leur siÚge pour filer vers la sortie !

IrĂšne ( essayant de trouver un ton conciliant) Bon , Ă©coute Auguste. Je

regrette que nous nous soyons quittés en mauvais termes.

Auguste Oh ! Mais non ! TU
m’as quittĂ© en mauvais termes. TU n’as jamais aimĂ© la vie Ă  la ferme. C’est ton droit. Nous nous sommes trompĂ©s , voilĂ  tout. Nous nous sommes aimĂ©s 
au dĂ©but. AprĂšs , tu as fait

semblant. Moi, je t’ai toujours aimĂ©e, sincĂšrement. Mais c’est toi qui avais raison , nous n’étions pas faits l’un pour l’autre.

IrĂšne Je dois reconnaĂźtre que, financiĂšrement, tu ne m’as jamais laissĂ©e tomber. Sur le plan matĂ©riel, tu as Ă©tĂ© parfait.

Auguste Merci. Et ça te fait quoi de revenir ici, 15 ans , 3 mois et 17 jours aprÚs notre rupture ?

IrĂšne Ah bon ? Tu tiens un compte aussi prĂ©cis ? Auguste C’est marquĂ© au fer rouge dans ma mĂ©moire .

IrĂšne Ca me fait quoi de revenir ici ? Tu tiens vraiment Ă  le savoir ? Une

oppression sur la poitrine. Je me sens mal à la ferme. Je m’y suis

toujours sentie mal. Je ne supporte pas la campagne, les animaux, les odeurs , la tĂȘte de la vache qui m’espionne jusque dans la salle Ă  manger, l’obligation de chausser des bottes presque tous les jours ,

etc
j’en ai comme ça toute une liste .

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Auguste C’est vrai
 Tout ça est incompatible avec l’élĂ©gance, les escarpins et les petites robes . Mais le calme, la plĂ©nitude, la libertĂ© de faire ce qu’on veut quand on veut, sans avoir de compte Ă  rendre, la joie

d’apprĂ©cier des choses qui ont du GOUT, du goĂ»t Ă  regarder, Ă  sentir, Ă  toucher, Ă  entendre et Ă  savourer. Ca vaut tous les dĂ©lices de la ville, non ?

IrĂšne Ah ! Parce que tu trouves que tu fais, toujours, ce que tu veux, quand tu

veux. Parles-en Ă  tes vaches, tiens ! Dis-leur , quand elles ont le pis

tendu comme une baudruche, qu’elles aillent se faire voir, ou mieux qu’elles s’arrangent entre elles. C’est vrai, ça ! Tiens , tu devrais organiser des stages de formation pour vaches, pour leur apprendre à

se traire l’une l’autre. Je le vois bien ça. Ca va ? J’te fais pas mal , Manon ? Fais attention, tu m’irrites les mamelles avec tes sabots.

Auguste Mais tu dis vraiment n’importe quoi, hein ? Irùne Je suis d’accord. Mais ne me dis pas que tu fais ce que tu veux quand

tu veux. Ne me dis pas que, quand une vache est prĂȘte Ă  mettre bas, tu appelles le 115, pour qu’on l’emmĂšne Ă  la maternitĂ©. Non, tu passes la nuit Ă  l’étable.

Auguste C’est juste. D’ailleurs , cette nuit , je crois que je vais y avoir droit.

IrĂšne Ne compte pas sur moi pour jouer les sages-femmes. J’ai dĂ©jĂ  donnĂ© et je n’en garde pas un souvenir aussi attendri qu’il le faudrait pour une naissance. Au fait, pour la layette, je la fais en bleu ou en rose ?

Auguste ( au public) Elle est intenable, hein ? J’aurais jamais cru que tu Ă©tais

dégoûtée à ce point-là de la vie à la campagne.

IrĂšne DĂ©goĂ»tĂ©e ? C’est rien de le dire.

Auguste J’ai vu que tu n’as pas refait ta vie. Tu as repris ton nom de jeune fille. J’ai toujours aimĂ© : IrĂšne DĂ©pommes.( au public) IrĂšne DĂ©pommes
la

reine des pommes
 Ca va , on suit ? Non, mais , c’est au cas oĂč ça

passerait inaperçu. Enfin, ça sonne mieux que Madame Auguste Reblanc. ( au public) Auguste Reblanc
Auguste Renoir. Ca va

toujours ? Parce que y en a, il vaut mieux leur expliquer en détail.

IrĂšne ( au public) Non, mais , c’est pas vrai ! Mais quel cabot ! (irritĂ©e) Non, je

n’ai pas refait ma vie , comme tu dis. Tu sais , les occases, pour les

mecs , ça vaut pas les premiĂšres mains. T’as beau te payer une rĂ©vision complĂšte, vidange, graissage, et changement de pneus, tu trompes pas les connaisseurs sur la marchandise, mĂȘme si t’astiques la carrosserie ( en faisant gonfler les cheveux). En plus , j’ai des problĂšmes avec les cardans en ce moment. Quant aux air-bags , c’est

plus ce que c’était. Mais toi, non plus, tu n’as pas refait ta vie, il me semble. ( Clarisse entre) Oh ! Mais je me trompe , peut-ĂȘtre. Ah ! Mais

c’est ZĂ©zette !

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Auguste Mais, c’est mon employĂ©e ! Et puis , c’est pas ZĂ©zette ! Elle s’appelle

Clarisse. Oui, je sais , mon employée a un nom de vache et mes

vaches ont des noms d’opĂ©ras. Et alors , ça te dĂ©range ? IrĂšne Ouh ! Mais ne monte pas sur tes grands chevaux ! Oh ! Eh ben dis

donc, il faut pas toucher Ă  ta ZĂ©zette
( sourire en coin ) T’as pas

toujours été comme ça. De toutes façons , ça ne me regarde pas.

Auguste Ah ! T’adores ça, hein , l’humour au dessous de la ceinture ! IrĂšne Il me semble que tu ne dĂ©testes pas non plus.

Auguste Oui, mais pas devant des oreilles chastes. (Clarisse s’enfuit

prĂ©cipitamment , les mains sur la tĂȘte) Ca y est , tu l’as fait fuir, c’est

malin. De toutes façons , tu as raison , ça ne te regarde pas. Et avec tout ça, tu venais pourquoi, finalement ?

IrĂšne Oui, hein, finalement, on finit par l’oublier. VoilĂ , en tant qu’agent immobilier, j’ai Ă©tĂ© contactĂ©e par quelqu’un de trĂšs riche qui cherche Ă  faire un parc de loisirs dans la rĂ©gion. Alors , j’ai pensĂ© Ă  ta propriĂ©tĂ©.

J’ai pensĂ© que tu ne te faisais plus jeune pour exploiter la ferme et que si tu voulais te retirer , ça te ferait une sacrĂ©e rentrĂ©e d’argent.

Auguste ( au public) Et toi une sacrĂ©e com. ( Ă  IrĂšne, sourire forcĂ©) C’est ça !

C’est pour mon bien. C’est de mes vieux jours que tu te prĂ©occupes. (puis trĂšs en colĂšre) Non , mais ça va pas, non ?Moi, me sĂ©parer de ma

ferme ? Mais je veux y crever, tu entends ? Je veux y crever ! Si j’arrive pas Ă  l’exploiter tout seul, je prendrai des ouvriers agricoles. DĂ©jĂ , Clarisse est trĂšs efficace. Ah ! Elle a eu vite fait , elle, de tout connaĂźtre

de la ferme, mĂȘme s’il lui reste des choses Ă  apprendre. Elle n’a peut-ĂȘtre pas fait des Ă©tudes d’ingĂ©nieur agronome, mais elle arrive trĂšs bien Ă  remplir son rĂŽle, ELLE.

IrĂšne Ah ! Ca m’aurait Ă©tonnĂ©e. J’aurais Ă©tĂ© surprise par le contraire. Bon, de

toutes façons, cette personne trÚs riche va arriver (elle regarde sa

montre) . Elle aurait déjà dû arriver. Je lui ai donné rendez-vous ici.

Auguste Eh ben, si elle compte sur le satellite pour arriver ici, elle pourrait avoir

des surprises. ( Clarisse a enlevĂ© depuis l’étable la tĂȘte de la vache, meuglements de vaches : elles

sortent de l’étable . IrĂšne hoche la tĂȘte , agacĂ©e)

Irùne Qu’est-ce que tu veux dire ?

Auguste Oh rien ! Tiens , ça me fait penser que ta fille est lĂ . IrĂšne Non ! Elle est venue te voir ? Ah ! ça m’épate.

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Auguste Moi aussi. D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi elle est venue. Elle a amenĂ© avec elle une espĂšce d’ordinateur Ă  deux pattes, qui est incapable de voir qu’une route est barrĂ©e lorsqu’il est scotchĂ© Ă  son

GPS. Irùne J’comprends rien.

( Cindy et Ken arrivent. Ken , tenue ridicule, tee-shirt fluo et collant, l’ordinateur à la

main et l’écouteur de son tĂ©lĂ©phone Ă  l’oreille.)

Auguste Ah tiens ! Quand on parle du...Pfff!!! ( il s’esclaffe devant la tenue de

Ken. Meuglement) Ken , casaque jaune, toque verte. ArrĂȘte de rire,

Manon. Ken Vous avez une vache qui rit , vous !

Cindy Maman ! Quel bon vent t’amùne ?

IrĂšne Je peux te poser la mĂȘme question. Cindy Maman, je te prĂ©sente Ken. Il est trader et c’est mon chĂ©ri.

IrĂšne C’est ton chĂ©ri ET il est trader, ou c’est ton chĂ©ri PARCE QU’IL est

trader ?

Cindy Qu’est-ce tu veux dire ?

IrĂšne Les traders , ça gagne beaucoup d’argent, non ? Cindy Et tu veux dire que je suis vĂ©role, non
, comment on dit dĂ©jĂ  ?

rénale
, non
pénale
 Auguste Vénale ! PrÚs de tes sous , quoi !

Cindy Mais pas du tout ! C’est mon chĂ©ri, point ! ( elle entre dans une danse amoureuse autour de Ken, se collant Ă  lui, le caressant

avec des grognements de fauve, faisant mine de le griffer avec ses ongles ou de lui mordre le cou. Auguste et IrÚne la regardent , apitoyés)

Auguste Je t’avais dit qu’il fallait pas mettre de cognac dans son biberon avant 9 mois.

( Cindy se jette Ă  quatre pattes , au pied de Ken en grognant)

IrÚne Elle a dû manger une antilope daubée.

Auguste Ou qui avait brouté du cannabis. (Ken pose son pied sur le dos de Cindy comme un dompteur vainqueur)

IrĂšne Non mais , ça m’inquiĂšte. Je devrais l’emmener chez le mĂ©decin.

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Auguste Au point oĂč on en est, essaye le vĂ©tĂ©rinaire. IrĂšne ( Ă  Cindy) ArrĂȘte de le chauffer, il va fondre. DĂ©jĂ  qu’il fait chaud avec

les projecteurs. ( Ken s’est de nouveau affalĂ© sur lui mĂȘme). Et sa tenue , tu l’as trouvĂ©e au surplus du Jockey-Club ? ( elle s’approche de

Ken et tire Ă©nergiquement son tee-shirt vers le bas , comme pour le lui rallonger. Ken s’affaisse comme si ses jambes ne le portaient pas) Dis

donc, il faudra lui mettre un tuteur, surtout qu’ils annoncent du vent pour demain ( elle le redresse avec une claque sur les fesses)

Auguste ( Ă  Ken) Vous voyez , quoiqu’elle dise , elle a toujours adorĂ© flatter le

cul des vaches. Bon , à propos, j’ai vu que Clarisse a sorti les vaches. Je vais la rejoindre. De toutes façons, vous devez avoir plein de choses à vous raconter.

(il sort)

ACTE I, ScĂšne 4

IrĂšne, Cindy et Ken

(dialogue rapide)

Cindy Mais dis-moi, ça m’intrigue, tu reviens voir Papa ?

Irùne En tant qu’agent immobilier.

Cindy Ah ! Je comprends mieux. Irùne J’avais une excellente affaire à lui proposer.

Ken Ah ! Ah ! Ca m’intĂ©resse!

IrÚne Il pourrait vendre la propriété à une trÚs riche cliente et en tirer un trÚs bon prix.

Cindy Super ! IrĂšne Mais il ne veut pas en entendre parler.

Ken Ca ne m’étonne pas

IrĂšne Pourquoi dites-vous ça ? Ken Il a l’air trĂšs bornĂ©.

Irùne Oh ! Vous , ça va, hein. C’est de mon ex-mari que vous parlez.

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Ken Oh ! Pardon !

IrĂšne Ceci dit , vous avez raison. Il est bornĂ©. Non, mais c’est vrai ? Vous vous appelez Ken ?

Ken Ben , pas vraiment.

IrĂšne Je prĂ©fĂšre ( Ă  Cindy) Et toi, je suppose que tu ne t’appelles plus

Louison. Cindy Trop ringard.

IrĂšne C’est ton pĂšre qui a choisi ton prĂ©nom.

Ken Ca ne m’étonne pas IrĂšne Vous ne savez dire que ça ? Alors ? Tu t’appelles pas Barbie , quand

mĂȘme, rassure-moi ! Cindy Je m’appelle Cindy

IrĂšne Pas pire que Louison( Ă  Ken) Et donc, vous ĂȘtes trader et, comme je le

disais, vous gagnez beaucoup d’argent.

Ken Bof !

IrĂšne Tous les traders gagnent des sommes folles , paraĂźt-il. Ken Faut se battre.

IrÚne (étonnée) Ah bon ! Vous vous battez, vous ?

Ken Ben oui, pourquoi ? Irùne J’sais pas , vous avez pas l’air. Sinon, vous venez pourquoi ?

Cindy Ken veut proposer à Papa quelques opérations pour rentabiliser son

patrimoine.

IrÚne Ca serait pas un peu intéressé, non ?

Cindy Ouais ! Eh ben , alors lĂ  , tu peux parler. Si tu avais pu conclure pour ta riche cliente, ta com n’aurait pas Ă©tĂ© vilaine, je crois.

Ken De toutes façons, j’ai d’autres idĂ©es Ă  soumettre Ă  Auguste. Je voudrais l’aider Ă  moderniser sa ferme.

Irùne Vous avez dit moderniser ? Attention, ici, c’est plus qu’un gros mot, c’est un blasphùme.

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Cindy Mais Ken a raison. Il y a plein de choses Ă  faire.

Ken Il faut informatiser, Cindy Robotiser,

Ken Rationaliser,

Cindy Récupérer la chaleur des vaches, Ken Les déchets.

IrĂšne Pouh, pouh, pouh ! Parlez ce langage Ă  Auguste et il claque de crise

cardiaque. S’il ne meurt pas tout de suite, il vous fout dehors par la

peau des fesses. Ken Ah bon ? Vous croyez ? C’est à ce point là ?

IrĂšne Essayez !

Ken Ben , je vais tenter le coup. ( le Smartphone de Cindy sonne)

Cindy C’est un message. Ma copine Carla.

Ken Carla ?

Cindy Un ancien mannequin. A une Ă©poque , elle s’est lancĂ©e dans la

chanson.

IrÚne Elle se serait pas un peu recasée dans le monde politique, par hasard ?

Cindy Non, elle tient un restaurant de pñtes italiennes. Le monde politique, ça risque pas. Mince comme un spaghetti (dit avec l’accent italien) , mais creuse( elle se touche le front) comme un penne regate ( accent italien)

IrĂšne T’es sĂ»re que c’est pas la mĂȘme ? Et qu’est-ce qu’il lui arrive , Ă  ta

Carla ?

Cindy ( regard vers le Smartphone) Elle est enceinte.

Irùne Et la voilà farcie comme un ravioli. Cindy ( elle corrige en mettant l’accent italien) Ravioli ! Si tu le dis avec

l’accent italien, ça a tout de suite plus de goĂ»t. IrĂšne T’inquiĂšte ! J’allais rajouter du parmiggiano. ( trĂšs fort accent italien) !

Sinon, elle va bien Carla ?

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Cindy Ca a l’air. Tiens , regarde, elle a mis une photo avec son mari. IrĂšne Il est bien petit ! Ils auraient pu Ă©viter de se mettre devant une pub des

camemberts PrĂ©sident, tout de mĂȘme. (elle regarde sa montre) Bon , il

faut que j’y aille. Ma cliente a dĂ» se perdre. Il faut que j’essaie de la rĂ©cupĂ©rer. ( elle sort)( la vache a repris sa place)

( Ken ouvre son ordinateur portable et s’installe Ă  la table, Cindy allume son Smartphone et met de la musique disco. Elle fait lever Ken qui souffle et veut l’entraĂźner dans sa danse. Lui grogne, rĂ©siste, se

dandine mollement , son ordinateur ouvert Ă  la main. Il finit par le poser. Contraste entre Cindy qui danse sur un rythme endiablĂ© et Ken trĂšs lourd et mou. Il s’arrĂȘte et revient Ă  son ordinateur. La musique baisse

de volume progressivement, en mĂȘme temps que la danse de Cindy se calme )

Ken Evidemment , j’aurais dĂ» m’en douter . Il n’y a pas de WIFI , ici. Heureusement que j’ai mon Smartphone. ( il sort son Smartphone) Tu

avoueras que c’est vachement arriĂ©rĂ© , ici.

Cindy Vachement est le mot juste.

Ken Je sais pas comment tu as pu grandir ici, sans internet, sans Smartphone. ( il regarde autour de lui) Pas de télé , non plus !

(ils tapent sur leurs appareils tout en parlant)

Cindy Si, il y avait la tĂ©lĂ©. Mes parents l’avaient achetĂ©e pour que je ne me sente pas dĂ©favorisĂ©e par rapport Ă  mes copines. Mon pĂšre ne l’a pas

remplacĂ©e quand elle est tombĂ©e en panne aprĂšs le dĂ©part de ma mĂšre. La tĂ©lĂ© n’a plus dĂ» se sentir utile , alors elle a prĂ©fĂ©rĂ© se laisser mourir .

Ken Question distraction , ici, c’est mortel ! Y a de quoi dĂ©primer.

Cindy Tu as l’impression de voir mon pĂšre dĂ©primer ? Ken Mais pas le moindre clavier, pas le moindre logiciel. Mais enfin , il n’a

pas Facebook ! A qui il peut bien parler, ton pĂšre ?Les vaches , c’est un peu limitĂ©, quand mĂȘme ! Et Clarisse, elle est plus apte Ă  astiquer les meubles qu’à disserter de l’influence sur le CAC40 des risques de

conflit entre le Banga et le Touchouristan. Cindy C’est sĂ»r que les risques de conflit entre le Banga et le Touchouristan

devraient passionner mon pùre. Autant que moi ,d’ailleurs. ( un temps de silence)

Ken Dis-moi, j’ai une question qui me titille. Cindy Dis vite. Tu sais bien que quand une question te titille, tu as des

aigreurs d’estomac.

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Ken Tu es sĂ»re que Clarisse ne lui astique que les meubles ? Cindy Ah ! C’est fin ! Les hommes de 60 ans ne sautent pas tous sur les

femmes de mĂ©nage ! Mon pĂšre n’est pas comme ça. Je crois qu’il a plus ou moins recueilli Clarisse quand ses parents sont morts en mĂȘme temps.

Ken Ouais , bon d’accord ! ( ils se replongent sur leurs Smartphone. AprĂšs un instant de silence oĂč ils tapent sur

leurs appareils)

Cindy et Ken (ensemble) Ah ! Quand mĂȘme ! Et bien bravo ! (l’un Ă  l’autre et ensemble) Qu’est-ce qu’il y a ?

Ken Je suis allĂ© sur tes mails. Cindy T’es gonflĂ© ! Mais comment t’as fait? T’as pas mon code secret.

Ken Je me gĂȘne. Je suis capable de casser presque tous les codes.

Cindy C’est bien ma veine . Je vis avec un gĂ©nie de l’informatique. Et alors ? De toutes façons , j’ai rien Ă  cacher .

Ken Ah ? Tu comptais donc me dire ce que tu avais commandĂ© sur internet. Cindy Et qu’est-ce que j’ai commandĂ© ?

Ken Tu ne te rappelles pas , peut-ĂȘtre.

Cindy Ben, j’vois pas. Ken Un godemichĂ©, non , ça te dit rien ?

Cindy ( aparté)Oh merde ! ( à Ken) Un quoi ?

Ken Un godemichĂ© !!! Cindy C’est quoi ça ?

Ken Me prends pas pour une bille. Parce que , si tu me trouves

sexuellement déficient, intellectuellement, ça peut encore aller.

Cindy Bon, c’est peut-ĂȘtre quelqu’un qui a piratĂ© ma boĂźte mail. Tu l’as bien

fait, toi. Et puis parle doucement , la vache nous Ă©coute.

Ken Bon , ça va hein ? Dis-moi plutÎt que je ne te suffis plus.

Cindy Ben oui ! Ben , tu sais, quand tu passes tes soirĂ©es avec ton ordinateur, ben , moi, je m’ennuie. Et puis , mĂȘme quand t’es lĂ , eh

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ben, c’est plutît mou. Oh ! Et puis t’as rien à dire, parce que moi aussi , je sais des choses sur toi.

Ken Des choses sur moi ? Cindy Ouais, Monsieur. Ouais , t’as rien à dire. Ou plutît si .Tu vas me dire ce

que tu faisais chez une certaine Cora, avant hier Ă  17heures 30 au lieu d’ĂȘtre Ă  ta boĂźte.

Ken Mais, mais
Comment tu sais ça ? Chut , la vache ! Cindy M’en fous. J’ai une copine dans la police, prĂ©posĂ©e aux camĂ©ras de

surveillance . Comme elle n’a rien Ă  me refuser, et qu’elle est surtout ravie de me faire des vacheries, elle s’est empressĂ©e de me prĂ©venir qu’elle t’avait vu sur un Ă©cran. Tu rentrais dans la maison de cette

Cora. Elle vient par mail de me confirmer la date et l’heure et surtout de m’informer que cette Cora est une masseuse , d’un genre particulier qui reçoit Ă  domicile. Ca , c’est pour t’éviter de me dire que tu avais besoin

de massage pour ton mal au dos. Alors quand tu me dis que tu ne me suffis plus , je peux te retourner le compliment. Moi, au moins , mon masseur, il n’est que vibro.

Ken Chut , la vache ! Ah ! Mais attends ! Puisqu’on en est aux rĂ©vĂ©lations...

Je viens de vérifier mes points de permis. Je viens de perdre deux fois

2 points des jours oĂč tu avais la voiture. Tu as Ă©tĂ© flashĂ©e Ă  150km/h et Ă  160 km/h sur autoroute. Les radars , ma chĂšre, ça existe !

Cindy Oh ! ( elle tourne les talons et sort en colĂšre)

Ken Attends , ma chérie. Je ne voulais pas. Ne te fùche pas. Non, non. Tu

prendras la voiture aussi souvent que tu veux ( en sortant) A 150 km/h

si tu veux. Ah ! non, tu pourrais avoir un accident .

ACTE I ScĂšne 5

Auguste, Cindy et Ken

( Auguste revient) Auguste ( Ă  la vache) Ma pauvre Manon, non seulement tu as une mammite qui

t’empĂȘche de sortir avec les copines, mais en plus , il faut que tu entendes d’horribles choses qui ont dĂ» choquer tes oreilles. Hein ? Moi aussi , je les ai entendues. Et je crois que j’aurais prĂ©fĂ©rĂ© ne pas les

entendre. Non mais, tu imagines ce qu’on arrive Ă  dĂ©couvrir les uns sur les autres. Les gens sont fous. Ils passent leur temps Ă  se SURVEILLER ! Je viens d’apprendre qu’il y a un satellite qui me

surveille 24 heures sur 24. Remarque, j’en sais rien, j’ai pas tout compris. Mais , en plus, on peut surveiller avec son ordinateur les

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achats que fait l’autre. On te surveille avec des camĂ©ras de surveillance. On surveille ta vitesse avec des radars. Et quand je pense qu’IrĂšne avait l’impression que tu la surveillais dans la salle Ă  manger.

Oui, ma petite Manon, on est dans la civilisation de la surveillance. Fini l’incognito. Tout le monde sait tout de tout le monde. Et quand les journaux ne savent pas , ils inventent . Et bien , tu vois , quand je suis

au fond des prĂ©s, au bord de l’étang, en compagnie de mon troupeau de vaches, eh bien , je me sens libre de mes mouvements
 Ouais, sauf que maintenant, je sais qu’un tas de ferraille me surveille d’en

haut. (Cindy et Ken reviennent en se poursuivant, trĂšs gamins et rient en se faisant des

chatouilles)

Cindy Ah ! Papa tu es lĂ  !

Auguste Eh oui ! C’est surprenant, hein ? Eh bien , je vois que quoi que tu en

dises , la campagne a des vertus apaisantes. Votre dispute n’a pas

duré bien longtemps. Ken ( reprend son souffle) Ah ! Est-ce que je peux parler sérieusement avec

vous ? Auguste C’est vous qui chatouillez ma fille, pas moi. En ce qui me concerne , je

suis prĂȘt Ă  vous Ă©couter sĂ©rieusement. Ken Ben voilĂ . La conjoncture de crise actuelle fait que l’économie mondiale

est en pleine interrogation. Les marchĂ©s sont extrĂȘmement hĂ©sitants. Donc les bourses mondiales sont au plus bas.

Auguste Ca ne m’étonne pas, les miennes aussi. Ken (il continue, ignorant l’interruption trĂšs absorbĂ© par son sujet) Le

moment est excellent pour investir dans des portefeuilles et introduire des liquidités.

Auguste (au public) OĂč est-ce qu’il veut que je les introduise mes liquiditĂ©s ?

Ken Bien sûr , il faut introduire dans du solide.

Auguste Ca va pas ĂȘtre facile, vu l’état actuel de la chose.

Ken Si je vous conseille bien , les liquidités ne manqueront pas de faire des petits.

Auguste Eh ben , c’est pas gagnĂ©, vu que mes liquiditĂ©s, elles sont pas loin d’atteindre la date de pĂ©remption.

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Ken Qu’est-ce que vous diriez d’acheter de l’action dans des sociĂ©tĂ©s que je connais et qui vont repartir dans les semaines qui viennent Ă  une allure vertigineuse. Vraiment de la bonne action.

Auguste C’est pas parce que j’ai Ă©tĂ© boy-scout que je m’y connais en bonne

action. Alors, euh
comment dĂ©jĂ  ? Ah oui, Ken , dĂ©solĂ©, mais c’est

non. Je n’introduis pas mes liquiditĂ©s 
les rares qui me restent. Cindy ( apartĂ©, Ă  Ken ) Essaie autre chose. Attends , laisse moi faire. ( Ă 

Auguste) Papa, Ken avait d’autres idĂ©es pour amĂ©liorer ta vie Ă  la

ferme. Pour le moment , tu es en pleine forme
 Bien que
Je te trouve un peu les yeux cernés. Fais voir un peu. ( elle lui prend le visage dans

les mains) Ah ! Quand mĂȘme , un peu pĂąlichon , hein ? Il faudrait que

tu te mĂ©nages. Alors, Ken avait pensĂ© t’aider Ă  moderniser un peu la ferme (Auguste se laisse tomber sur une chaise) de façon Ă  amĂ©liorer

le rendement, gagner plus en travaillant moins. Ken Je vous propose de monter une société avec moi et nous pourrions

faire des merveilles. Cindy Oh oui, Papa. Mon Ken, c’est une merveille de la finance et pour la com

et le marketing , c’est un champion ! Auguste Ah oui ?

Ken On pourrait augmenter la production de fourrage par des apports

d’engrais .

Auguste Je vous ai pas attendu.

Ken Ouais, mais , on pourrait les optimiser informatiquement, et on pourrait choisir des semences amĂ©liorĂ©es gĂ©nĂ©tiquement. ( descente d’Auguste sur sa chaise) On pourrait robotiser l’alimentation des vaches, ainsi que

la traite. (il s’anime et n’est plus du tout endormi) On pourrait vendre le

lait sur internet et crĂ©er un site. J’ai mĂȘme le nom : Auguste le crĂ©mier.com.

Cindy Tu as vu, Papa, il est plein d’idĂ©es, mon Ken. Il est formidable( elle le

couvre de petits baisers)

Auguste (voix d’outre-tombe) Je pourrais enregistrer sur magnĂ©tophone ce que

je raconte habituellement Ă  mes vaches sur fond musical et le leur

diffuser en boucle dans l’étable et sur des baladeurs que je leur accrocherais autour du cou, non ?

Ken Ah ! VoilĂ  une excellente idĂ©e que l’on pourrait dĂ©velopper et vendre aux autres fermiers. Et puis , on pourrait diversifier les produits, fabriquer du fromage ( nouvelle descente d’Auguste sur sa chaise) et

crĂ©er un laboratoire aux normes europĂ©ennes d’hygiĂšne. On pourrait supprimer des intermĂ©diaires. En faisant manger des tablettes de

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chocolat à une ou deux vaches, on pourrait faire directement du lait cacaoté.

Cindy ( elle tape des mains) Oh oui ! Oh oui !

Auguste C’est peut-ĂȘtre un champion de la com et du marketing, mais dans le

domaine de la connerie , tu as trouvĂ© Mozart ! Tu as le chic pour trouver des vedettes. Le prĂ©cĂ©dent, il en avait un peu dans la caboche, mais, physiquement
ah ! il avait tout ce qu’il fallait, tĂȘte, bras et

jambes, mais c’était un peu en dĂ©sordre. Je ne l’ai vu qu’habillĂ©, mais , Ă  poil, il devait se rapprocher d’un Picasso ( il mime le nez de travers, yeux sur les fesses)

Cindy ( elle cĂąline Ken) Oh ! Tu exagĂšres.

Auguste A peine. (brutalement en colĂšre, criant) Non mais, vous vous foutez

pas de ma tronche, des fois. Vous m’avez bien regardĂ© ? Jamais , vous m’entendez, jamais vous me ferez investir dans vos Ăąneries. Et puis ce

que je me dis , c’est que vous aviez une idĂ©e derriĂšre la tĂȘte : vous cherchiez un pigeon Ă  plumer, non ?

Cindy Mais pas du tout , mon petit Papa. Je voulais vraiment t’aider. Ken gagne trùs bien sa vie et n’a pas besoin de chercher des pigeons , comme tu dis.

Auguste ( se calmant) Tu en es vraiment sûre ? Bon , je veux bien oublier ce

tissu d’inepties. Mais vous ne me parlez plus de moderniser ma ferme,

d’accord ? Cindy Bon , bon d’accord. Nous allons nous promener un peu. Ken n’est pas

encore allĂ© jusqu’à l’étang. ( ils sortent, penauds) Auguste Oh ! Mais c’est qu’ils me feraient mettre en colĂšre ! ( Ă  Manon) Non,

mais tu te rends compte. Ils t’auraient bien transformĂ©e en robot bouffant des tablettes de chocolat, ces Ă©nergumĂšnes. Et vendre ton lait sur internet ! Ah ! Tu sais pas ce que c’est, internet ! Eh bĂ©, c’est un gros machin trĂšs tendance, en ce moment . (prenant un ton trĂšs snob) TrĂšs tendance, vois-tu ? (ton normal) Il y en a mĂȘme qui se demandent

si on peut vivre sans . La rĂ©volution internet ! 
J’sais pas qui c’est le

Robespierre internet.

ACTE I ScĂšne 6

Auguste, Clarisse, Tony, Elisabeth Cindy, Ken

( Clarisse entre, suivie de Tony, crottĂ© de la mĂȘme façon que Ken)

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Clarisse M’sieur Auguste, z’ai trouvĂ© un autre tas de boue Ă  deux pattes, mais celui-lĂ  , il a pas de petite mallette.

Auguste Encore un coup du satellite. Clarisse Ze l’amùne tout de suite à la douce ?

Auguste Non, attends. On va d’abord savoir si ça parle et en quelle langue.

Vous ĂȘtes qui ?

Tony Je m’appelle Tony. Auguste ( à Clarisse) Tu vois, c’est pas E.T. . On va pouvoir communiquer

autrement que par gestes. Et quelle bonne boue vous amĂšne ?

Tony Je suis le chauffeur et majordome de Madame Elisabeth Ancourt. Nous avions rendez-vous devant chez vous avec un agent immobilier. Un incident de parcours nous a retardés .

Auguste Oui, oui, je sais . Le satellite.

Tony Pardon ? Auguste Le satellite, c’est une espùce de casserole qui vole trùs haut dans le

ciel et qui vous empĂȘche de voir les panneaux sur la route. Tony Je ne saisis pas trĂšs bien.

Auguste Vous n’avez pas vu les panneaux qui vous disaient qu’un ruisseau

barrait la route. Vous avez bloquĂ© au milieu du ruisseau. Vous ĂȘtes

descendu et vous vous ĂȘtes Ă©talĂ© dans la bouillasse. Tony Vous ĂȘtes devin ?

Auguste Non, non, j’ai juste dĂ©jĂ  vu le film.

Tony Je comprends pas tout. Je vais aller chercher Madame Ancourt. Elle attend dans la voiture. Elle est assez furieuse.

( il sort)

Clarisse Oh ben. Oh ben , crotte alors! Ca fait de drîles de sozes, les satellites , hein ? Ca vous pousse dans la bouillasse, c’est pas bien. Ze vais

prĂ©venir mes copines qu’elles se mĂ©fient si qu’elles en rencontrent un. ( arrivĂ©e de Tony et de Elisabeth, trĂšs mondaine, brassant du vent)

Elisabeth Je suis furieuse ! Auguste Bonjour, Madame. Vous ĂȘtes, si j’ai bien compris, Madame Ancourt.

Elisabeth Evidemment, mon ami. Tony , expliquez.

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Tony J’ai dĂ©jĂ  expliquĂ© Ă  Monsieur


Auguste Reblanc. Je m’appelle Auguste Reblanc. Tony Madame Ancourt souhaite vous rencontrer pour affaire. Mais l’agent

immobilier qui devait nous introduire nous a fait faux bond. Elisabeth Je suis furieuse.

Auguste Furieuse contre quoi, Madame ?

Elisabeth Je ne sais plus. Ah si ! Furieuse contre cet agent immobilier, furieuse contre la pluie qui a fait grossir le ruisseau, furieuse contre Tony qui nous a fait embourber.

Auguste Sauf votre respect, Madame, c’est la faute du satellite. Il a empĂȘchĂ©

Tony de voir les panneaux prévenant de la présence du ruisseau qui

barrait la route, d’oĂč l’enlisement . Quant Ă  l’agent immobilier, je connais trĂšs bien cette personne. Elle Ă©tait lĂ  Ă  l’heure et a dĂ» repartir vous chercher Ă  cause de votre retard.

Elisabeth Bon . Eh bien , passons.

Auguste Clarisse ! Elisabeth ( rassĂ©rĂ©nĂ©e) Elle s’appelle Clarisse ! Quel nom charmant !

Clarisse C’est un nom d’opĂ©ra.

Elisabeth Ah oui ? Je ne connaissais pas. Clarisse M’sieur Auguste, il a dit que Clarisse c’est un nom de vace et que ses

vaces , elles ont des noms d’opĂ©ra. Alors


Auguste Euh ! Vu de loin , il y a un semblant de logique dans le discours. Donc,

Clarisse , conduis Tony Ă  la salle de bain et apporte lui des vĂȘtements secs que tu prendras dans mon armoire . Ah ! A moins que vous n’ayez prĂ©vu de quoi vous changer. Il paraĂźt que je suis vioque de la loque.

Elisabeth Vioque de la loque ?

Auguste C’est ma fille qui m’a qualifiĂ© ainsi. Traduisez que je suis habillĂ© vieux jeu.

Elisabeth C’est vrai que c’est pas trùs rock and roll. Auguste Waouh ! Vous avez quelques notions du dialecte jeuns ! Moi, trùs peu.

J’ai toujours besoin d’un interprùte. ( trùs homme du monde) Donc ,

pendant que votre chauffeur rafraßchit sa mise, je vous invite céans à

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occuper ces commodités de la conversation( en lui approchant un fauteuil . TrÚs aimable, assez charmé par Elisabeth) Puis-je vous

proposer un jus de fruit ? (Clarisse et Tony sortent , cĂŽtĂ© chambres) Elisabeth ( elle s’assied) Vous ĂȘtes trĂšs aimable. EntiĂšrement d’accord pour un

jus de fruit. Auguste ( il apporte verres et bouteille). On va prévoir des verres pour Tony et

Clarisse. Jus de pomme de ma fabrication. Elisabeth Vous savez fabriquer du jus de pomme ? C’est formidable. ( elle goĂ»te)

Oh ! C’est dĂ©licieux ! Je n’ai jamais bu un tel nectar. Auguste Il n’y a rien que de la pomme. Mais des pommes bien mĂ»res qui ont

pris le temps de mûrir sur le pommier. ( Elisabeth se cale dans le fauteuil, son regard tourne autour de la piÚce. Elle respire à pleins poumons)

Elisabeth Oh ! Quelle sérénité dans cette piÚce ! Et une vache pour participer au

décor . Une vraie ! Et , ma foi, fort sympathique et bien paisible.

Auguste C’est un peu mon animal de compagnie. Il y en a d’autres , mais celle-

ci est un peu privilĂ©giĂ©e. C’est la plus vieille. Et en plus , en ce moment,

elle est un peu malade. Elisabeth Tout est calme et TERRRRRIBLEMENT authentique. D’ailleurs, vous

me paraissez en parfaite harmonie avec votre environnement. Auguste C’est vrai. Et c’est ce qui fait que je suis si bien ici.

Elisabeth (elle prend ses aises dans le fauteuil, elle devient beaucoup plus simple

et abandonne les mondanités ) Si je vous disais que la plupart du

temps, mon dos est tout crispĂ©. Et lĂ , je le sens se dĂ©tendre et s’étaler sur le dossier.

Auguste Profitez en pour me parler de l’objet de votre visite. Elisabeth Ah oui ! Bon, vous savez , je suis une femme d’affaires . ( le portable

d’Elisabeth sonne)

Elisabeth Excusez-moi. DĂ©cidĂ©ment, on ne peut pas me laisser tranquille, mĂȘme

quand je me dĂ©tends Ă  la campagne. Allo ! Ah ! C’est toi , mon petit Eric. Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu n’as pas reçu mon chĂšque ? 
Ah ! Tu me rassures
Mais enfin, tu es quand mĂȘme ministre, non ? 
 Fais

attention , ça va te retomber sur le nez
 Je ne voudrais surtout pas que ça retombe sur le mien
 Bon, il te faut une rallonge de combien, pour financer cette campagne ? 
 150000 ? 
 Allez , c’est d’accord.

Je donne les ordres en consĂ©quence dĂšs mon retour
Je peux compter sur un renvoi d’ascenseur, j’espĂšre
C’est ça. A bientĂŽt, je t’embrasse.

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( à Auguste) Excusez-moi. Ca y est, mon dos est tout crispé. Ici,

j’aurais tendance à l’oublier . Qu’est-ce que je disais ?

Auguste Vous disiez que vous ĂȘtes une femme d’affaires et au cas oĂč je ne l’aurais pas compris , vous venez de m’en donner la dĂ©monstration. Si j’ai bien compris, mĂȘme les ministres ont besoin de vos capitaux.

Elisabeth Ah ! Les campagnes Ă©lectorales ! En campagne, les Ă©lus et ceux qui

veulent l’ĂȘtre ont de terribles besoins. Ca les stresse Ă©normĂ©ment.

Auguste Ma campagne Ă  moi, elle me stresse pas du tout. Mais vous aviez

commencĂ© Ă  me dire que vous ĂȘtes une femme d’affaires.

Elisabeth Effectivement. Donc, mon travail, je devrais dire ma passion, est de

faire prospérer mon patrimoine. Donc , je cherche des investissements

rentables. Et un type d’entreprise qui marche bien en ce moment, c’est le parc de loisirs.

Auguste C’est donc bien ce que m’avait dit mon ex
 enfin , l’agent immobilier. Elisabeth Ce coin de France en est dĂ©pourvu totalement, et aprĂšs avoir consultĂ©

les agents immobiliers de la rĂ©gion, votre propriĂ©tĂ© paraĂźt convenir, m’a-t-on dit. Je viens donc vous faire une offre , bien que l’agent qui m’a parlĂ© de votre propriĂ©tĂ©, doute beaucoup de votre approbation. Elle m’a

dit que le nombre de chances pour que vous acceptiez est voisin de zéro.

Auguste ( trùs calme) Elle me connaüt trùs bien. Elle a tout à fait raison. C’est

non.

Elisabeth Mais on pourrait garder la ferme Ă  l’intĂ©rieur du parc de loisirs. Vous pourriez vivre votre vie de fermier. Vous pourriez faire des dĂ©monstrations pour les visiteurs, un peu comme dans un Ă©comusĂ©e.

Auguste Vous savez ce qu’elle vous dit la piĂšce de musĂ©e ?

IrĂšne Ne vous fĂąchez pas, Auguste. Je ne voulais pas vous froisser. Et mĂȘme si je vous en offre plus que ce vous pourriez espĂ©rer ?

Auguste MĂȘme. Elisabeth Attendez de voir combien je vous en offre.

Auguste C’est tout vu. Vous m’offririez le budget de la dĂ©fense nationale, ce

serait encore non. 
C’est quand mĂȘme incroyable !

Elisabeth Qu’est-ce qui est incroyable ? Auguste ( il se calme) C’est ma journĂ©e. Tout le monde veut m’enrichir. Tout Ă 

l’heure, je viens de repousser les assauts du trader qui sert de petit

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copain Ă  ma fille. Il voulait, Ă  toute force, m’obliger Ă  moderniser ma ferme par toute une sĂ©rie de transformations toutes plus farfelues les unes que les autres.

Elisabeth Je comprends, Auguste, que tous ces travaux que le trader vous

propose vous ennuient. Moi, je vous débarrasse de tous ces soucis.

Auguste N’insistez pas, Elisabeth. Je croyais que vous aviez dĂ©jĂ  entrevu la

sĂ©rĂ©nitĂ© , le bonheur que cette ferme me procure telle qu’elle est.

Elisabeth C’est vrai.

Auguste Eh bien, j’ai une idĂ©e. J’ai suffisamment de chambres ici, pour vous loger tous. Alors, je vous propose de venir faire le tour du propriĂ©taire. Nous y trouverons ma fille et son ami qui vont, peut-ĂȘtre, dĂ©couvrir les

charmes de la campagne. Puis, je vous invite Ă  un dĂźner fermier que je vais vous concocter et aprĂšs une bonne nuit , vous me direz si vous avez toujours les mĂȘmes projets.

Elisabeth Ce programme me convient et m’enchante, Auguste. ( Cindy et Ken entrent prĂ©cipitamment, poursuivis par les oies. Cindy tournĂ©e vers la

porte , attitude de karaté. Ken se cache derriÚre Cindy)

Auguste DĂ©jĂ  de retour ? Des soucis avec la milice ?

Ken Ces sales bĂȘtes m’ont bouffĂ© les mollets.

Auguste Ah ! Ca m’étonne pas , ces bestioles bouffent toutes les cochonneries qui passent. Elisabeth, voici ma fille et son trader ( Ă  Cindy et Ken)

Madame Ancourt. Madame Ancourt et moi allons visiter la ferme. Nous revenons dans un instant . (ils sortent)

ACTE I ScĂšne 7

Cindy, Ken, Clarisse (Ken est tout Ă  coup trĂšs pĂąle)

Cindy Qu’est-ce qui t’arrive ? Ca n’a pas l’air d’aller.

Ken Je suis mort. Je suis foutu. Cindy Mais pourquoi tu dis ça ?

Ken T’as vu qui est là ?

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Cindy Ben oui, Madame Ancourt. C’est qui ? Elle a l’air bien sympa, Ă  premiĂšre vue, un peu prout-prout, mais pas mĂ©chante. C’est elle qui te fait peur ?

Ken C’est une des plus grosses fortunes de France. J’ai travaillĂ© pour elle.

Mais , bien sûr, elle ne me connaßt pas.

Cindy Eh ben alors! Et qu’est-ce qu’elle peut te vouloir ?

Ken Je lui ai fait perdre un paquet de fric. Une opĂ©ration qui devait ĂȘtre fabuleuse. Y a un truc qui a foirĂ©. Ca a Ă©tĂ© la cata.

Cindy Mais, je croyais que tu réussissais toujours. Et elle sait qui est en cause ?

Ken Non, qu’est-ce que tu crois, elle ne sait pas qui travaille pour elle. On est plusieurs.

Cindy Bon ! Eh bien , tu ne risques rien ! DĂ©tends-toi et fais lui bonne figure
comme si de rien n’était.

Ken Tu avoueras quand mĂȘme que c’est pas de bol. La premiĂšre fois que je viens chez ton pĂšre, il faut que je tombe sur la personne avec qui j’ai le contentieux le plus lourd.

Cindy Mais enfin, c’était pas de ta faute. C’est la faute Ă  pas de chance .Tu

n’as rien fait d’illĂ©gal.

Ken ( il se gratte bruyamment la gorge) Ben, justement


( Clarisse entre, le Smartphone de Ken Ă  la main)

Clarisse M’sieur Ken, c’est bien votre tĂ©lĂ©phone que z’ai trouvĂ© par terre. Faut

pas le laisser traüner. Les oies, elles ramassent toutes les ordures qu’elles trouvent.

Ken (mĂ©prisant) Ouais, c’est bien ce que m’a dit votre patron. Et puis, c’est

pas un téléphone.

Clarisse Oh ben. Oh ben, crotte, alors! Ze sais ce que ze dis. Ze vous ai vu téléphoner avec, alors.

Ken C’est aussi un appareil qui me permet de communiquer par mail, de surfer sur internet. D’ailleurs, je dois tout de suite vĂ©rifier quelque chose.

( il tape aussitĂŽt sur son appareil .)

Ken (catastrophĂ©) Oh non ! C’est pas vrai ! C’était pourtant tout cuit. En

vendant 10000 Schneider, je ne pouvais que gagner le jackpot. Elles devaient ĂȘtre au top ! Oh merde ! Il manquait plus que ça.

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Cindy Qu’est-ce qu’il y a encore ? C’est si grave que ça ? (elle s’approche et regarde sur l’écran de Ken)

Ken Ben oui ! De toutes façons, tu comprendrais pas.

Cindy Merci. Prends-moi pour une dĂ©bile. Moi qui essayais de te remonter le moral
T’as qu’à m’expliquer. C’est pas parce que t’es de mauvaise humeur que tout le monde doit en prendre.

(pendant ce temps, Clarisse s’est glissĂ©e derriĂšre eux et regarde aussi sur l’écran)

Ken Ecoute, c’est pas un truc de nana . Est-ce que je te demande si tu as

fait de bonnes affaires sur les ventes privées ? Clarisse Vous devriez raceter vos 10000 Zneider et puis 10000 autres et

revendre tous vos LorĂ©al. Ken Qu’est-ce que vous racontez ? Pfff ! Vous dites ça pour vous rendre

intĂ©ressante. On ne fait pas n’importe quoi avec la Bourse. C’est un mĂ©tier. J’ai fait des Ă©tudes, moi. J’en ai bavĂ©, moi. On m’écoute, moi.

Cindy Ouais eh ben! C’est pas forcĂ©ment ce QU’ON a fait de mieux. Si je ne me trompe, tu es en train d’accumuler les fiascos, non ? Il est possible que tes patrons finissent par oublier de t’écouter.

Clarisse Bon, moi, ce que z’en dis
( en sortant) A propos , c’était un plaisir de

vous rapporter votre téléphone.

Ken ( de trĂšs mauvaise humeur) Ouais, euh . Merci. ( mi-voix, en se laissant

tomber dans un fauteuil, la tĂȘte entre les mains) Et puis, c’est pas un

téléphone. Quelle journée ! Mais quelle journée de merde! ( il regarde la vache) Et toi, te fous pas de moi encore ! ( à Cindy) Et toi, tu dis rien.

Je peux ĂȘtre au fond du trou, tu me laisses m’y noyer. Tu veux pas

m’appuyer sur la tĂȘte , aussi ? Cindy ( elle se laisse tomber , elle aussi, sur un fauteuil et l’imite, la tĂȘte entre

les mains) Oh, moi ! Je ne suis qu’une nana. Je peux pas comprendre.

Les trucs trop intelligents pour moi, tu sais, il faut pas que je m’y frotte. Moi, je me contente des ventes privĂ©es sur internet
 et encore !

RIDEAU

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ACTE II

( l’acte II se passe la nuit. Il sera bon de diminuer l’éclairage)

ACTE II ScĂšne 1

Tony, Ken, Clarisse ( Tony, habillĂ© loubard, fume en regardant par la fenĂȘtre. La vache est toujours lĂ ) ( il se tourne vers la vache)

Tony Mais tu ne dors jamais, toi. Tu me diras que moi non plus. ( il lui souffle la fumée sur le museau. Meuglement) Pfff ! Comment on peut dormir

ici ? C’est pas possible. Pas un seul bruit de voiture. Pas de sirùne de

police. Aucune odeur de gaz d’échappement. La pollution me manque. Cet air pur , ça m’étouffe. Heureusement que je peux encore respirer la fumĂ©e d’un pĂ©tard. T’aimes pas ça , toi, hein ? ( il lui souffle Ă  nouveau

sur le museau. Nouveau meuglement). Tu veux pas que je t’en roule un

vite fait. J’imagine le goĂ»t du lait demain. ( ArrivĂ©e de Ken qui ne voit pas Tony. Il a le nez sur son Smartphone.)

Ken Mais c’est pas possible. Comment elle a fait la ZĂ©zette ?J’aurais dĂ» l’écouter. C’était exactement ce qu’il fallait faire. Le Nikkei s’est envolĂ©

à Tokyo, surtout pour les Schneider et par contre les Loréal se cassent la gueule. Mais quel idiot je fais !

(Tony se racle la gorge)

Ken Ah ! Vous ĂȘtes lĂ  ?

Tony Non, non. Je suis dans mon lit. Ken TrĂšs drĂŽle. Et vous fumez ?

Tony Non, non. Je bois mon biberon.

Ken D’accord, je n’ai pas une conversation des plus intelligentes Ă  cette heure de la nuit. Et avec ce que je dĂ©guste en ce moment


Tony Ca laisse espĂ©rer qu’à un autre moment, votre conversation atteint un niveau acceptable.

Ken Si je vous dĂ©range
 Vous ĂȘtes toujours aussi dĂ©sagrĂ©able ? Tony Ne vous inquiĂ©tez pas. Moi, de nuit comme de jour, je suis de mauvaise

humeur. Enfin, c’est ma patronne qui le dit. Et pourtant avec elle, je fais des efforts pour ĂȘtre aimable. Normal, elle me paye.

Ken Et elle vous paye pour quoi, au fait ?

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Tony Pour tout. Je suis secrĂ©taire, confident, chauffeur, garde du corps et mĂȘme enquĂȘteur.

Ken Et plus si affinitĂ©s ? Tony Madame Ancourt n’est pas Lady Chatterley.

Ken Connais pas.

Tony Je vois. Ca vous arrive d’ouvrir un livre ? Ken Journaux d’économie. Sinon, ça paye bien au moins ?

Tony ( il regarde Ken d’un air mauvais) Pas autant que trader.

Ken N’en croyez rien. Certains traders touchent des salaires mirobolants . La presse a montĂ© ça en Ă©pingle, en oubliant les petits courtiers comme moi, qui ont du mal Ă  joindre les deux bouts. J’ai un peu Ă©bloui

Cindy avec le titre ronflant. Et comme elle a une fĂącheuse tendance Ă  faire chauffer la carte bleue, le compte en banque a du mal Ă  suivre.

Tony (ton menaçant) Surtout en ce moment, non ? ( brutalement, il passe

derriùre Ken et lui met un couteau sous la gorge) N’est-ce pas ,

Monsieur JĂ©rĂŽme DĂ©riel ?

Ken ( affolĂ©, les yeux exorbitĂ©s) Mais, mais, qu’est-ce que vous racontez ?

Que
que
 Comment vous savez mon nom ? Et puis , rangez-moi ce

cou
couteau, vous pourriez me faire mal. Tony C’est tout Ă  fait ce qui pourrait arriver. Ah ! Ca tâ€˜Ă©pate, hein ? Je t’ai

reconnu. Tu as beau changer de nom, ta tronche , je l’ai repĂ©rĂ©e. Pfff ! Ken
ridicule ! Je t’ai dit que je peux ĂȘtre enquĂȘteur pour Madame Ancourt. Alors , quand elle a perdu pas mal de plumes en bourse, j’ai

fait mon enquĂȘte. Pas difficile . Tu fais partie de la bande de rigolos qui se prennent pour des gĂ©nies de la finance et qui font n’importe quoi avec l’argent des autres.

Ken ( complÚtement affolé) Ouais, mais ça aurait dû marcher. Ca aurait pu

lui rapporter beaucoup. Faut pas lui dire que c’est moi, hein ? Si elle le

sait, je suis grillĂ© partout. Tony Je sais pas ce qui me retient d’appuyer sur la lame.

Ken Mais vous allez me faire mal , je vous dis. ( il touche la lame) Mais ça

coupe. Ca va pas , la tĂȘte ? ( Tony range son couteau)

Tony Tais-toi. Je suis prĂȘt Ă  te donner une chance. Pour ton fiasco boursier,

je dis rien Ă  Madame Ancourt. Je fais porter le chapeau aux autres

incapables de ton Ă©quipe. A une condition.

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Ken Tout
tout
tout ce que vous vou
vou
voulez. Tony Tu fréquentes beaucoup de monde dans ton milieu branché. Je te

propose de vendre pour moi de la marchandise à tes copains bobos. Ken ( qui reprend des couleurs)Ouais, ouais, facile. C’est quoi ?

Tony Quelques bonbons. Ken ( craintif, il veut la jouer copain, voyant que la conversation s’oriente

diffĂ©remment) Des bonbons ? Vous
euh
T’as besoin de moi pour

ça ?

Tony Des bonbons qu’on trouve pas en confiserie. Ca fait fureur dans les

milieux artistiques entre autres.

Ken Ah ouais ? Alors, si ça marche chez les artistes, ça va marcher dans le

milieu boursier. Trop top. Et comment on procĂšde ?

Tony Je te fournis. Tu payes. Tu vends. Je veux pas savoir, tu m’oublies,

jusqu’à la fois suivante. Pas un mot sur moi. Capisci ? Sinon je balance à Madame Ancourt et puis
( il passe son pouce sur sa gorge, d’un air menaçant) Elle comprendra que c’est pour la sauver que je t’ai
( il repasse le pouce sur la gorge)

Ken Oui, oui
capi
capisci
euh
Je peux voir ? Je peux goûter ?

Tony Attends, bouge pas. Je vais Ă  la voiture. Je reviens avec la bonbonniĂšre.

( Tony sort cÎté extérieur)

Ken ( il marche de long en large, en essayant de rouler les mécaniques)

Il croit me faire peur, Jack l’Eventreur ! Non, mais ! J’te l’ai recadrĂ© vite

fait, l’Al Capone du 9.3. Et en douceur. Tout en diplomatie. J’suis pas du genre Ă  nettoyer les banlieues au Karcher, moi. Du tact, du doigtĂ©, de la finesse ! Dans la main, qu’il me mange, le pitbull ! Ca veut jouer

les caïds et ça vend de la guimauve ! Ca veut jouer les durs à cuire et ça fait des ronds de jambe à la mÚre Picsou !

( Tony revient)

Tony Tiens , c’est ta premiùre livraison. La premiùre est gratuite. C’est un

Ă©chantillon .Il n’y a que quelques unitĂ©s dedans. Ken (mielleux et apeurĂ© )Ouais, euh
 Ah , d’accord, d’accord 
euh
.

Merci . Je peux goûter, hein ? (il prend un bonbon et met le paquet dans sa poche)

Tony Et motus ! Sinon
( il repasse son pouce sur sa gorge)

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(Ken se dirige vers la sortie, respire profondément et se heurte à Clarisse qui entre. Elle vient chercher des torchons)

Clarisse Oh ! Ezcusez-moi. Ze me dĂ©pĂšce . On a besoin de tissus. Un petit veau vient de naĂźtre et il faut l’essuyer.

(Tony retourne fumer devant l’autre porte).

Ken ( il reprend son aplomb ). Ah ! Clarisse , vous savez , votre suggestion

de vente et d’achat que vous m’avez faite Ă©tait excellente. Je regrette

de ne pas l’avoir suivie. Comment avez-vous su ? Clarisse Comme ça. C’est des sozes que ze sens.

Ken C’est gĂ©nial. Il faut absolument que je garde contact avec vous. Il faut

me donner votre téléphone.

Clarisse Mais il est pas Ă  moi.

Ken Votre numéro, je veux dire. Clarisse Oh ! Monsieur Ken ! ( elle ouvre un placard et prend des torchons)

Ken Mais non ! Juste pour me conseiller , en tout bien, tout honneur. Vous seriez mon trader –adjoint.

Clarisse Oh ben. Oh ben, crotte, alors! Ze peux pas. Ze suis déza poÚte- adzoint

pour Monsieur Auguste. Y aurait cumul. Et z’aurais pas le temps de

m’occuper de la ferme. Ken Ouais , mais juste quelques conseils. Sans en parler à personne,

surtout pas à Cindy. Ce serait notre secret. Clarisse Z’adore les secrets.

Ken Alors, c’est d’accord ? Vous me conseillerez ? Moi tout seul ? Sans rien

dire Ă  personne ?

Clarisse Oui, bon. Mais faut que z’y aille, le petit veau va avoir froid. (elle sort)

Ken (il se met lui aussi à zozoter) Souette. Bouh !Quelle zournée ! Eh bé

moi, ze vais me recoucer. Ze me sens tout cotonneux.

ACTE II ScĂšne 2

Tony, Auguste, Clarisse

Tony C’est ça , oui. Cotonneux
 (arrivĂ©e d’Auguste venant de l’extĂ©rieur. Il vient de l’étable)

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Auguste Bouh ! Encore une nuit raccourcie, mais ça valait la peine. ( voyant

Tony) Ah ! Vous ĂȘtes lĂ  , vous. J’avais remarquĂ©, hier soir que la tenue

que vous avez adoptée, vous ne risquiez pas de la trouver dans mon armoire. Mais , ça vous va bien . Le style paysan , trÚs peu pour vous , non ?

Tony Pas vraiment mon truc.

Auguste Dites, vous voudrez bien ne pas fumer, s’il vous plaĂźt. Vous ĂȘtes Ă  proximitĂ© de l’étable , du fenil, enfin des endroits qui ont une fĂącheuse facilitĂ© Ă  s’enflammer. (Tony Ă©crase son joint) DrĂŽle d’odeur . C’est quoi comme tabac ?

Tony Pas du tabac.

Auguste Ah bon ? C’est quoi alors ?

Tony De l’herbe. Auguste Mais bien sĂ»r ! ( Ă  la vache) Tu vois, ma petite Manon, je vais pas te le

donner à manger, le sainfoin, je vais te le faire fumer. Et vous l’achetez combien, l’herbe ? Parce que moi, je peux vous la fournir à la tonne. Ca va vous faire quelques cartouches de cigarettes.

Tony Ouais. Et si je vous disais quoi semer comme herbe, ça vous

intĂ©resserait de m’en fournir ? Vous pourriez faire fortune.

Auguste DĂ©cidĂ©ment, tout le monde veut m’enrichir. Moi, je sais cultiver le

sainfoin et la luzerne et ça me suffit.

Tony Bon, bon , j’insiste pas. Vous me paraissez totalement hermĂ©tique au

progrĂšs.

Auguste ComplĂštement. Il y a des progrĂšs qui me caressent vraiment Ă 

rebrousse-poil . ( arrivée de Clarisse, affolée)

Clarisse M’sieur Auguste, le cien , eh bĂ© 
eh bĂ©.. il a bouffĂ© le placenta du

petit veau. Z’avais pas eu le temps de le mettre dans une poce en plastique. Le cien , il 
il
en avait partout
en plus , il arrivait pas Ă  l’avaler. Il secouait la tĂȘte. Ca pendait de sa gueule. Il y avait du sang

partout. Auguste Clarisse ! Calme-toi. Tu es en train d’écoeurer Tony. Il va nous faire un

malaise. Clarisse C’est pour la prĂ©cision du rĂ©cit.

Tony Y a des fois , j’suis pas contre le flou artistique.

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Clarisse Ze suis arrivĂ©e Ă  le lui arracer de la gueule. Auguste (il s’est rapprochĂ© du devant de scĂšne) Clarisse, arrĂȘte ! Regarde, au

premier rang, ils sont tout verts ! ( au public) Attendez, on vous apporte un sucre avec un peu d’alcool de menthe ! ( à Clarisse) Sinon, le petit

veau, il va bien ? Clarisse Oh ! Pour ça, oui ! Il est debout. Ze l’ai bien essuyĂ©. Il est en train de

téter au pis de sa mÚre. Auguste Tu es formidable, ma petite Clarisse. Tu devrais aller te coucher,

maintenant. Mais ne rentre pas chez toi, en pleine nuit. Prends la chambre du fond. Ne te trompe pas. Ne rentre pas dans celle oĂč dort Madame Elisabeth.

Clarisse Oh ! Monsieur Tony ! Vous voulez pas venir voir le petit veau qui vient

de naĂźtre? Il est beau !

Tony J’aime pas ça.

Clarisse Il est marron clair avec une tace blance sur le front. Tony Et qu’est-ce qu’il fait avec une tasse sur le front ? Il prend un cafĂ© ?

Clarisse (ignorant l’interruption) Et puis , il a quatre pattes bien longues. Il tenait

pas bien debout. Alors , ze l’ai tenu et il m’a lĂ©cĂ© la main. Et puis ze l’ai

approcĂ© du pis de la maman et il a tĂ©tĂ© tout de suite. La maman , elle Ă©tait contente. Oh ! Monsieur Tony, vous voulez bien qu’on l’appelle Tony , le petit veau ?

Tony ( s’étranglant) Pfffouh !

Clarisse Oh oui, dites. Vous ĂȘtes d’accord, hein ? (elle tape des mains) Et puis ,

il a un peu les mĂȘmes yeux que vous.

Tony Pfffouh ! Clarisse Hein Monsieur Auguste ? On va l’appeler Tony, d’accord ?

Auguste ( riant) Puisque Monsieur Tony paraüt d’accord, va pour Tony.

Clarisse Ah ! Ze suis contente. Ze vais m’endormir comme un bĂ©bĂ©. ( elle sort vers les chambres)

Auguste Merci. Vous lui avez fait plaisir. Tony Pfffouh !

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Auguste Vous avez toujours autant de conversation ? Je peux vous offrir un verre d’eau pour fĂȘter la naissance de Tony ? Evidemment, vous ĂȘtes le parrain.

Tony Pfffouh ! (Auguste apporte deux verres et la carafe d’eau)

Auguste Ce qu’il y a de bien dans votre langue , c’est la richesse du vocabulaire.

Acte II ScĂšne 3

Tony, Auguste, IrĂšne

( arrivĂ©e d’IrĂšne, Ă©puisĂ©e , de la paille dans les cheveux et les vĂȘtements, les chaussures Ă  talons Ă  la main)

Auguste Tiens donc, encore un coup du satellite . Irùne (de mauvaise humeur) S’ tu racontes ?

Auguste Il y a un satellite facétieux qui passe son temps à nous espionner

depuis là-haut, à regarder tout ce qu’on fait, à tout noter sur un petit carnet, pour aller cafarder à on ne sait qui. Et tu sais pas ? En plus, il s’amuse à envoyer les voitures dans la gadoue.

IrĂšne C’est vraiment de l’eau que vous buvez ? Dans ce cas, arrĂȘtez tout de

suite. C’est trĂšs dangereux , le dĂ©lire aquatique !!!

Auguste Je constate avec plaisir, que tu gardes ton sens de l’humour malgrĂ© les

circonstances. Bon, qu’est-ce qui t’est arrivĂ© ?

IrĂšne En revenant pour chercher ma cliente par la route habituelle, lĂ  oĂč je

pensais la trouver, ma voiture a dérapé sur une plaque de boue et je

suis partie en pas chassĂ© jusqu’à la meule de paille, juste Ă  cĂŽtĂ©. Pas moyen de l’en sortir. Elle est enfoncĂ©e jusqu’à mi-roue dans la boue. Comble de bonheur, mon portable est dĂ©chargĂ©. Pas pu t’appeler. Pas

une maison dans le coin. C’est le dĂ©sert, ici. Alors, j’arrive Ă  pied. Auguste Eh ben ! Toi qui as horreur de la marche Ă  pied...Tout au moins en

campagne. Ca aurait été sur un tapis de marche dans une salle de gym, tu aurais davantage apprécié.

IrĂšne Et j’aurais Ă©vitĂ© la gadoue, le tas de paille, les ampoules sous les pieds
et tes sarcasmes en prime.

Auguste Pour te rassurer, ta cliente et son chauffeur( il montre Tony) sont bien

arrivĂ©s
(faussement menaçant) aprĂšs s’ĂȘtre sortis des piĂšges du

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satellite. Je te prĂ©sente Tony, le chauffeur de Madame Ancourt. Madame Ancourt dort dans la chambre jaune. Tony a prĂ©fĂ©rĂ© dormir dans la voiture , mais apparemment, il n’y arrive pas.

Tony Dors trĂšs peu.

Auguste Vous parlez aussi trùs peu. Tony, vous avez compris qu’Irùne est l’agent immobilier qui vous a attendus pendant que vous vous amusiez à patauger dans la mare.

Tony Pfffou !

Auguste IrĂšne, Tony est un spĂ©cimen rare pour lequel l’onomatopĂ©e que tu viens d’entendre constitue un Ă©lĂ©ment essentiel du langage .

Tony Foutez pas de ma gueule. Auguste Ah ! Le langage de Tony révÚle parfois quelques aspects dont la

recherche n’a d’égale que la sobriĂ©tĂ©. IrĂšne Tu as fini, oui ? Tu n’as pas changĂ© ! Tu te rĂ©gales d’enfoncer les gens

qui ne sont pas comme toi, poĂštes ou paysans. Tony Merci , Madame de prendre ma dĂ©fense. En d’autres circonstances ,

j’ai des arguments
euh
( il tĂąte son aisselle qui laisse penser Ă  la prĂ©sence d’un pistolet) sĂ©rieux pour me dĂ©fendre. Mais quand je suis

au service de Madame Ancourt, je sais me tenir et 
je m’écrase.

Auguste D’accord, j’ai compris. Excusez-moi, Tony, je suis incorrigible. Bon,

IrĂšne, demain matin, j’appellerai le dĂ©panneur pour qu’il te ramĂšne ta

voiture. Tu ne veux pas manger quelque chose ? IrĂšne Pas faim.

Auguste Comme tu voudras. En attendant, va prendre une douche et finir la nuit

sur le canapé du bureau, si tu veux. Demain matin , tu prendras des

vĂȘtements secs dans mon armoire. J’adorais quand tu mettais mes vĂȘtements. Ca t’allait trĂšs bien. Tu avais du chien.

IrĂšne C’est pour ça que tu voulais me faire garder les vaches. Auguste Mais j’ai toujours prĂ©fĂ©rĂ© t’appeler IrĂšne plutĂŽt que MĂ©dor.

IrÚne Ouah ! Ouah !. ( elle sort cÎté chambres)

ACTE II ScĂšne 4

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Tony, Auguste, Elisabeth

Auguste Vous avez compris qu’IrĂšne a Ă©tĂ© ma femme
au moins tant que notre

amour a Ă©tĂ© plus fort que son aversion pour la campagne. Tony Je la comprends. Elle est trĂšs bien votre ex. ( arrivĂ©e d’Elisabeth ensommeillĂ©e, en pyjama d’homme, plus du tout femme du

monde)

Elisabeth Vous ĂȘtes lĂ  tous les deux ? Qu’est-ce que vous faites debout ? Oh ! Et puis ça tombe bien. J’ai Ă©tĂ© rĂ©veillĂ©e par un cri dans la nuit : un oiseau, je crois.

Auguste Ne craignez rien. C’est Lulu.

Elisabeth Lulu ? Auguste Oui, c’est une chouette qui loge sous le toit du hangar. Elle vient

toujours regarder par la fenĂȘtre qui dort dans les chambres. A mon avis, si elle a criĂ©, c’est un compliment. Elle vous trouve Ă  son goĂ»t.

Elisabeth Vil flatteur. Auguste Je vous assure que je partage son point de vue, et ce pyjama, mon

pyjama vous va trĂšs bien. Tony ( au public) Elle a du chien, non ?

Elisabeth Ah oui ! Excusez-moi. Je me suis servie dans votre armoire.

Auguste Vous avez trùs bien fait. Elisabeth En attendant, Lulu m’a fait trùs peur. Et je voudrais bien ne plus

l’entendre. Auguste Bon ! Je viens. Je vais la chasser. Je vous suis (il se dirige vers la

sortie , cĂŽtĂ© chambres en redressant la silhouette et rentrant le ventre. Il se ravise , revient sur ses pas) . Tony, pour me faire pardonner mon impertinence de tout Ă  l’heure ( il sort une bouteille d’un buffet et un

verre), goûtez donc cette eau de vie de prune de ma fabrication. Ca va,

peut-ĂȘtre, vous aider Ă  trouver acceptable le confort de la voiture. C’est vrai, vous voulez vraiment y dormir ? (hochement de tĂȘte de Tony) Bon

alors. Comme vous voudrez. (il sort cĂŽtĂ© chambres avec la mĂȘme mimique de Don Juan)

ACTE II ScĂšne 5

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Tony, Cindy

( Tony sirote son eau de vie de prune) Tony ( Ă  la vache. Il parle lentement, faisant des pauses entre les phrases )

Tu dis rien, toi, mais tu pourrais en raconter un paquet d’histoires. Parce que t’assistes Ă  tout, toi. On se gĂȘne pas devant toi. Tu parles, une vache ! Enfin, justement tu parles pas. Tu as dĂ» en voir de toutes.

T’as vu le vieux, lĂ . Il va chasser la chouette. J’te parie qu’aprĂšs, il va avoir sa rĂ©compense. Parce que la mĂšre Ancourt, elle est pas que riche en pĂ©pettes. Elle a du tempĂ©rament
( il regarde la vache) Ah non !

C’est pas ce que tu crois. Ah non ! Madame Ancourt, elle mĂ©lange pas les torchons et les serviettes. Jamais avec le personnel. Et moi, je la respecte trop, Madame Ancourt. Je lui dois tellement. Si je te racontais
(Tout en parlant, il s’est resservi plusieurs fois et l’alcool a commencĂ© Ă  faire son effet) Elle est pas mal sa prune. Elle m’a sorti de

la galùre
Non , Madame Ancourt, pas la prune. Tu comprends rien,

hein ? Et quand j’te dis la galĂšre, c’était la galĂšre. Eh bĂ© , Madame Ancourt, sniff
(il pleurniche ),elle m’a obtenu un tĂ©moignage favorable

au procĂšs
 Quel procĂšs ? C’est trop compliquĂ©. Sniff
Alors, Madame

Ancourt, c’est comme 
sniff
ma mĂšre. Parce que ma vrai mĂšre, eh bĂ© , elle m’a chassĂ© de la maison Ă  10 ans, parce qu’elle picolait comme 15 Polonais .

( Cindy arrive , trÚs vive, agitée)

Cindy Tony ? Vous parlez tout seul ? Ca change d’hier soir. Vous ne disiez

pas un mot pendant le repas. Vous n’aimez pas la conversation des ĂȘtres humains . Vous prĂ©fĂ©rez celle des vaches. Remarquez, je vous comprends. Les gens ne sont jamais d’accord avec moi. Ils me

contredisent toujours. Alors , je me parle souvent devant la glace. Alors pourquoi pas Ă  une vache, hein ?

Tony ( la diction pñteuse) C’est bien ce que vous faites devant la glace,

non ? Ah !ah !ah! Cindy (elle continue) Et puis elle a une bonne tĂȘte, non ? 
Hein ? Qu’est-ce

que vous avez dit ? Vous voulez dire que quand je parle devant la glace, je parle à une vache ?C’est ça ? Vous voulez dire que je suis

une vache, quoi. Ca , c’est une vacherie. Tony Ah ! ah ! ah! Vous fñchez pas. Vous m’avez un peu tendu la perche.

Ouais , OK, c’était une vacherie gratuite. Cindy Eh bĂ©, c’était pas sympa. En plus, je suis Ă©nervĂ©e !

Tony Ca, j’ai vu. ( il va lui chercher un autre verre dans le buffet et lui sert de

l’eau de vie de prune. Il s’assied Ă  cĂŽtĂ© d’elle, Ă  table) Tiens ,

accompagnez-moi, ca va vous calmer.

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Cindy Merci ( elle boit une gorgée ) Et à quoi ça se voit que je suis énervée?

Tony Vous ĂȘtes agitĂ©e et vous parlez beaucoup.

Cindy Ouais eh bĂ© , c’est de sa faute aussi.

Tony De la faute à qui ? Cindy De la faute à ( nouvelle gorgée)
Ken .

Tony Je croyais que ça allait bien entre vous. Qu’est-ce qu’il a fait , ce pauvre

Ken ? L’a pas l’air bien mĂ©chant.

Cindy Il est MOU !

Tony Ca , j’avais vu. Remarquez que pour vous suivre
 Cindy (elle se ressert de l’eau de vie de prune) Il est mou, j’vous dis !

MOU !MOU ! Tony ( au public) Ca , c’est l’habitude de faire la vache devant la glace ! ( à

Cindy) Et il est toujours mou, mou, mou ?

Cindy Pas plus tard que tout Ă  l’heure, au lit. Il y a des endroits oĂč on n’a pas

le droit d’ĂȘtre mou . Tony Remarquez ,il est parti d’ici un peu
comment dĂ©jĂ  ? ah oui


cotonneux. Mais
 (clin d’Ɠil Ă©grillard au public) expliquez-moi donc !

Cindy Eh bé ! Une fois et puis , plus rien. Terminé. Que dalle. Nada. Nib.

Macache. Pas de rab . Pas de deuxiĂšme service. Monsieur s’endort. HEUREUX. Repus. RassasiĂ©. Eh bĂ©, moi pas !

Tony ( moqueur) Vous restez sur votre faim.

Cindy C’est ça ! Mais attention ! Moi, je suis fidùle. Pas question de changer

de restaurant. Ne vous faites aucune illusion. Tony Moi ? mais je n’y pensais mĂȘme pas.

Cindy Ne soyez pas mufle, non plus.

Tony C’est compliquĂ©, les femmes ! Cindy Quoique !
( elle le regarde, gourmande, se lĂšve, s’approche de lui,

enjĂŽleuse) Vous ne devez pas ĂȘtre trop mou, vous, hein ? Un beau

ténébreux et costaud, en plus. Vous devez avoir du répondant, vous. (elle lui tùte les biceps. Il recule sa chaise. Elle lui tùte la poitrine) Et

puis , regardez-moi ces pectoraux.

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Tony Euh
euh...( il recule encore sa chaise. Elle le suit)

Cindy J’adore le style loubard. Mmmh ! Tu dois leur en faire voir de toutes les

couleurs, aux femmes. Tony Ben, euh


Cindy (elle s’assied sur ses genoux et lui bourre le torse de petits coups de

poing. Elle se lĂšve, et, passant derriĂšre lui, lui Ă©bouriffe les cheveux,

avec des grognements de fauve) Ah ! Mon Tarzan ! Mon Samson ! Je sens toute ta force dans tes cheveux. ( il se lĂšve et s’écarte, affolĂ©) Ah ! Attends ! ( elle se dirige vers la bouteille et s’apprĂȘte Ă  se servir. Tony

se prĂ©cipite et s’empare de la bouteille avant elle) Tony Touche pas la bouteille, salope ! ( ton hystĂ©rique, tel Francis Blanche

dans les Tontons flingueurs, série de tics. Il a sa bouche prÚs du nez de Cindy)

Cindy ( au public. Elle agite sa main devant son nez pour chasser les mauvaises odeurs) Je croyais que les gaz asphyxiants Ă©taient interdits

par le Protocole de GenĂšve. Non, mais ça va pas, Tony ! Vous ĂȘtes

ivre ! Tony ( voix pñteuse) T’es pas mal non plus. Tu t’es vue quand t’as bu ?

Cindy ( ton pleurnichard) Faut me comprendre. J’ai toujours manquĂ©

d’affection. J’ai besoin de tendresse et de
 et de
plus encore 


beaucoup plus. Alors euh
 Ken , il est pas à la hauteur euh
euh
 de mes besoins.

Tony Bon ! J’ai peut-ĂȘtre de quoi vous aider, de quoi aider votre couple. Cindy Ah bon ? Comment ? Vous faites de la psycho de couple ?

Tony J’ai juste quelques bonbons à offrir à votre Jules. Ca va lui donner un

coup de zoom , ah ! ah ! quand il aura un coup de mou. ( il sort une

boĂźte de bonbons de sa sacoche)

Cindy Ah bon ? Vous croyez que quelques bonbons vont lui donner le goût du

revenez-y ? Tony Essayez et vous verrez. Ca, c’est cadeau. Aprùs, vous en aurez

d’autres que je vous vendrai. Libre Ă  vous de revendre les excĂ©dents. Je peux vous en fournir autant que vous voudrez . Je suis sĂ»r que dans votre milieu branchĂ©, ça va faire fureur. Vous allez vous faire de sacrĂ©s

revenus. Cindy Ouais ! Super génial ! Merci Tony, je vais lui en proposer tout de suite,

Ă  mon Droopy.

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Tony (il crie) Et attention ! Pas un mot sur moi, hein ? Vous dites pas que

c’est moi qui vous ai donnĂ© les bonbons. C’est bien compris ? Pour une prochaine livraison, il faudra attendre que je vous contacte. OK ?

Cindy ( toute excitĂ©e) OK, OK ,OK ! Hi, hi, hi ! J’arrive mon petit Ken ,

attention, ça va chauffer ! (elle sort en courant) Les rideaux ont intĂ©rĂȘt

Ă  ĂȘtre solides, parce qu’on va y grimper, moi, j’te le dis ! wouaouh !!!!! Tony ( voix toujours pĂąteuse) Eh ben, ça promet ! Elle serait pas un peu

nympho, la minette ? ( Ă  la vache) Dis donc, je crois que je vais faire

des affaires. Moi qui dĂ©testais la campagne, parce qu’il ne se passait jamais rien, je vais changer d’avis. ( il se sert un verre d’eau de vie de

prune) Finalement, hic, mĂȘme au milieu des bouses de vaches on

trouve toujours quelques poissons Ă  ferrer. Bon ! Eh ben, je vais aller voir si je peux encore me faire dormir les yeux dans la voiture. (il sort

cÎté extérieur, le pas hésitant, en emportant la bouteille. )

RIDEAU

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