Ethnomusicologie 102 19 Les Lumieres de La Transe

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    Cahiers dethnomusicologie19 (2006)Chamanisme et possession

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    Gino L. Di Mitri

    Les Lumires de la transe. Approchehistorique du tarentisme................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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    Gino L. Di Mitri, Les Lumires de la transe. Approche historique du tarentisme ,Cahiers dethnomusicologie

    [En ligne], 19 | 2006, mis en ligne le 15 janvier 2012, consult le 05 juin 2013. URL : http://ethnomusicologie.revues.org/102

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    Gino L. Di Mitri

    Les Lumires de la transe. Approchehistorique du tarentisme

    Pagination de ldition papier : p. 117-1371 Je me suis souvent demand, dans lhypothse dune histoire programme de la transe et

    des tats de conscience modifie en Europe et en Mditerrane, si celle-ci tait possibleen circonscrivant chaque vnement goculturel en un chapitre spcifique. La rponse avidemment t ngative, et ceci pas seulement en raison de scrupules philosophiques.Ce constat drive des affinits structurelles troites mme si elles ne sont pas toujourssymboliques entre les phnomnes de possession ritualise des trois continents bordant la Mare nostrum; que ces affinits procdent dune lointaine origine commune ou de relationset dinfluences rciproques. Parmi les nombreux rituels de possession rpandus un temps dansce territoire bigarr, le tarentisme, hormis le fait quil est le plus connu de ces phnomnesen Europe, est aussi celui qui a dur le plus longtemps. Il est le seul avoir survcu jusquil y a une quarantaine dannes dans des rgions dItalie mridionale comme la Campanie, laCalabre, mais surtout les Pouilles et la Terre dOtranto.

    2 Expliquons dabord ce quest le tarentisme : en quoi consistait ce rituel, comment il se droulaitet quels taient ses acteurs. Nous partons de la considration prliminaire quil na jamaist classifi sinon depuis Gilbert Rouget comme un vritable phnomne de possession(Rouget 1990). Ernesto de Martino lui mme, dans son clbre livre La terra del rimorso(1961) ne la pas considr comme tel, en en parlant comme dun phnomne religieux veinde syncrtismes : mais plutt comme dun fatras symbolique complexe refaonn au coursdes sicles la lumire de la spiritualit chrtienne et de la pense mdicale europenne.De Martino voyait la transe comme une ventualit motive induite par le paroxysme de lamusique et de la danse, et non pas comme un vritable tat de conscience modifi. A cet

    gard, lethnomusicologue Diego Carpitella est plus proche de la comprhension de lessencedu phnomne, comme en tmoigne son importante tude publie dans louvrage de deMartino, o il parle du tarentisme comme dun exorcisme choro-musical (Carpitella 1961 :335-372).

    3 Cela dit, rappelons que, selon les premiers tmoignages mdivaux, le tarentisme taitconsidr comme une maladie produite par la morsure dune araigne, la tarentule desPouilles ou Lycosa tarentula, qui, en injectant son venin, provoquait un tat de souffrancepsychophysique croissante : rien dautre, en somme, quune maladie bizarre caractrise pardes manifestations plutt extravagantes chez les personnes qui en taient frappes.

    4 Le sujet affect par ce syndrome prsentait, en effet, un cadre symptomatique typique : regardfixe et ahuri, migraines, nauses, douleurs articulaires dans tout le corps et non seulementsur la partie touche par la morsure, vomissements, tats lthargiques suivant lagitation et lafrnsie, parfois pyrexie, cachexie, bouche sche, rtention urinaire ; sans oublier le priapismechez les hommes et le dlire rotisant chez les femmes. Mais ce qui surprenait les mdecins,les savants et les observateurs tait le fait que lexpression ritualise de la souffrance de chaquehomme ou femme affect de tarentisme avait des caractres individuels, spcifiques, uniqueset, de toute faon, extrmement variables. Les deux symptmes constants du tarentisme taientdonc lhbtude suivant la morsure et lavarietascomportementale1. La chose tait bien connuede Lonard de Vinci qui, dans son Bestiaire, avait consacr au tarentisme son aphorisme : Lamorsure de la tarentule maintient lhomme dans sa rsolution, cest--dire dans ce quil pensaitquand il a t mordu (Marinoni 1952)2. La morsure bloque donc le sujet dans sa pense etson comportement en le liant dit de Martino lpisode mythique non rsolu . Commela justement crit Gabriele Mina, si le diagnostic de Lonard de Vinci est dordre symbolique,linterprtation de ce phnomne par de Martino est de nature psychologique et allgorique,comme si le blocage tait une sorte de rponse symbolique la crise de remords (Mina 2000)3.

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    5 Mais, prsente en ces termes, lexplication est insuffisante : il y a autre chose qui apparat surle fond de ce dcor, entre les hurlements et les danses, sous les coups pressants des tambourinset dans le son hypnotique des violons, quelque chose qui rappelle le thtre inquitant de lapossession.

    6 Si, donc, lorigine de la premire crise de tarentisme, il y a un pisode traumatique, unconflit intrieur ou familier, un amour contrari, un vnement ayant dtermin une forme deculpabilit, ou si le malaise psychophysique suit un deuil, un abandon de la part du conjoint,

    une douleur inconsolable, alors la morsure avre ou prsume dune araigne, dun reptile,dun scorpion, ou la simple vue de ces animaux symboliques de lunivers culturel primitif,provoque la chute dans lhbtude et lexplosion de lavarietascomportementale.

    7 Il y na aucun doute que ces deux lments le regard hbt dune personne en criseet linterprtation disparate et subjective du vcu travers des convulsions encadres etordonnes en une chorgraphie progressivement dialogue avec les airs jous par desmusiciens il y na aucun doute que ces deux lments appartiennent la possession. Nousles retrouvons dans laderdebamaghrbine, dans le zar thiopien ou dans lendoepsngalais.Et, pour renforcer cette affinit, intervient aussi llment du chromatisme : comme les saintsdu maraboutisme populaire musulman ont leurs couleurs lectives spcifiques ; de mme,les tarentules des Pouilles avaient des couleurs sur la base desquelles il tait possible de

    diagnostiquer la typologie de la souffrance, dindiquer aux musiciens la musique et le rythmeles mieux adapts la thrapie et de reconnatre probablement lesprit cach derrire cettetarentule. On sait comment le corybantisme grec connaissait aussi ce chromatisme, comme lerelve Gilbert Rouget ; mais ce nest pas le cas de nous arrter, ni de ritrer la drivation dutarentisme de cet aspect de la spiritualit de la Grce antique.

    8 Ce qui est plus intressant est de retrouver les signes de la possession dans la littraturescientifique allant de la fin du XVIIe sicle la fin du XVIIIe sicle, et de mettre en videncecomment, durant cette priode, les observateurs les plus attentifs et les analystes europens dutarentisme eurent sous les yeux un rituel dont la forme ntait pas encore dgrade ni privede sa richesse symbolique, pas encore rduite cette pave que de Martino enregistra sur leterrain pendant son enqute Galatina en 1959.

    9 La premire source documente qui dvoile le caractre de possession du tarentisme nousvient de Tommaso Cornelio. En 1670 cet acadmicien napolitain ralisa un voyage dansles Pouilles dont il tira des observations propos du tarentisme quil envoya deux ansplus tard aux Philosophical Transactions. Il y a dans cette lettre dimportantes informationspermettant dtablir le rapport jamais suffisamment approfondi entre empoisonnement relet possession, entre mlancolie pathologique et dissimulation, entre attitude rationaliste dessavants et crdulit. Ce document ncessite une relecture et un dcodage pour tre appliquaux sujets ici traits. Voici la premire partie du rcit de Tommaso Cornelio ; elle a pourprotagoniste un sujet mordu par une araigne et mort aprs datroces souffrances.

    [] en Terre dOtrante, o ces insectes trs sont nombreux, il y avait un homme qui, croyantavoir t mordu par une tarentule, montra sur son cou une petite tache, autour de laquelle seformrent en peu de temps des pustules pleines dun liquide sreux. Quelques heures plus tard, cepauvre homme fut grandement tourment par de violents symptmes tels que syncopes, grandeagitation, vertiges et vomissements ; pourtant, sans quelque tendance danser ni aucun dsirdavoir des instruments de musique, ce malheureux mourut au bout de deux jours (Cornelio 1672 :4006-4007).

    10 Vraisemblablement, lhomme a t mordu par une araigne appartenant une espcedangereuse. Les manifestations ayant suivi la lsion nous font pencher pour un Latrodectustredecimguttatusou, plus probablement, pour un des autres arachnides au venin mortel encoreaujourdhui rpandus dans la pninsule Salentine : le Loxosceles rufescens(Dufour 1820),le Cheiracanthium punctorium(Villers 1789) ou leCheiracanthium mildei(Koch 1864). Enexcluant le premier, dont les symptmes de la morsure se rduisent une activit vnneuse dutype ncrotico-molitique concentre dans la zone intresse, et qui nvolue que rarement vers

    la forme systmique appele viscrocutane, par de nombreux cts semblable au syndrome porpora trombotica trombocitopenicade Moschowitz , les soupons se tournent vers les

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    deuxime et troisime, qui appartiennent la famille desClubonidae, ne serait-ce que par laconcidence de la symptomatologie (malaise et vomissement) et surtout par lentit de la lsioncutane. Il est donc certain que le cas clinique report par Tommaso Cornelio ne fut pas unarachnidisme de Lycosa tarentula, mais quelque chose de beaucoup plus grave (Pepe 2002).

    11 Limportance de la lettre de Tommaso Cornelio aux Philosophical Transactionsrsidecependant dans le lien troit entre les comportements darachnidisme et les comportements depossession, un lien qui na jamais t considr dune manire adquate par les spcialistes.

    En effet, aprs avoir racont lagonie et la mort de lhomme dOtranto, lauteur, qui ne savaitvidemment pas quil se trouvait en prsence dune vritable morsure de Latrodectus, deCheiracanthiumou de Loxosceles, crivait :

    Cette mme personne ma dclar que tous ceux qui pensent avoir t mordus par des tarentules(sauf ceux qui feignent de ltre pour quelque raison) sont pour la plus grande partie des jeunesfemmes faciles [que lauteur italien appelle Douceurs de sel ] qui, en tombant dans cettefolie mlancolique en raison de quelque indisposition spciale, se convainquent selon le prjugpopulaire davoir t piques par une tarentule. Et je me rappelle avoir observ en Calabre quecertaines femmes, frappes par un accident comme celui-ci, taient considres comme possdespar le dmon ; et il est commun dans cette province de croire que la plus grande partie des maladiesqui tourmentent le genre humain drive des mauvais esprits (Cornelio 1672 : 4006).

    12 Cornelio sait donc parfaitement que, parmi les populations rurales du Midi, le tarentisme comme toute autre maladie est attribu la possession dun esprit, dun animal-symbole,dun dmon ou ajoutons-nous dun saint ; dune faon semblable ce qui a t observ jusque bien au-del de la premire moiti du XXe sicle dans des zones de la Mditerranechrtienne comme Galatina, o le binme saint Paul/tarantule, abondamment trait par Ernestode Martino, et celui de saint Paul/serpent, rcemment tudi par dautres auteurs (Montinaro1996), salignent parfaitement sur la dynamique des rituels de possession et de gurisonobservs dans le monde islamique, asiatique et africain (Rouget 1990 ; Lapassade 1976 ; deHeusch 1971). Dans les publications de vulgarisation du XVIIIe sicle, chaque rfrence faitepar un mdecin aux tats de possession par le dmon ou des esprits malins apparaissait commeun lment traiter avec extrme prudence. Ainsi sexplique le fait quen 1760, presqueun sicle aprs sa sortie dans lorgane officiel de la Royal Society, la lettre de TommasoCornlius tait reprise par le Journal conomiquede Paris, mais censure des lignes attribuantchacune des maladie affectant ces femmes pauvres et ignorantes du midi de lItalie auxentits dmoniaques ; que ceci ft par respect pour le rationalisme dominant ou pour raisonsdopportunit par rapport aux lois de lglise.

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    Fig. 1 : La terre du tarentisme selon Kaspar Schott, Magia universalis naturae et artis(Bambergae 1659).

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    Fig. 2 : La Nosologia methodica de Franois Boissier de Sauvages de la Croix, le premierouvrage qui essaya une classification mdicale des diffrentes formes de tarentismeselon les principes de Carl von Linn.

    Dansla littrature du XVIIIe sicle, le caractre de possession du rituel du tarentisme apparatexplicitement dans le De phalangio apulo, un trait de 1706 du moine clestin LudovicoLavalletta. Dans sa rponse une objection avance par des adversaires sceptiques, quisouponnaient que le tarentisme ft un prtexte pour danser et dvelopper des rituels paens,le religieux crivait :

    Il est vrai, cependant, que les habitants des Pouilles se consacrent peut-tre plus profusment etplus immodrment la danse que les autres peuples, surtout en temps dt et quils courent encercle en exultant gaiement dans les chapelles, aux carrefours et dans les cours ; mais dans ce casils ne sont pas pousss par cette troitesse intrieure de lme, par la compression et par tous les

    autres symptmes par lesquels sont tourments ceux qui sont attaqus par les tarentules (Valletta1706 : 110-112).

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    13 La rponse de Valletta, par les diffrents lments quelle contient, est trs importante du pointde vue anthropologique : a) elle introduit clairement lide de ritualisation dun phnomne ;b) elle tablit une comparaison avec la prisca religio4 des anciens ; c) elle confirme, enutilisant des observations ethnographiques, le diagnostic sur le temprament des habitants desPouilles nonc quelques annes auparavant par Giorgio Baglivi ; d) elle atteste lexistencedune dvotion populaire faite aussi de danses autour des petites glises, de ftes patronalesou de clbrations en lhonneur de saints tutlaires ; e) elle dtache radicalement la dansethrapeutique de celle de dvotion, raffirmant la vracit de leffet vnneux de la tarentule.

    14 Mais cest en dcrivant analytiquement la danse de la tarentule que Valletta relve peut-treinvolontairement un dtail qui place le tarentisme dans le registre de la possession. Dansla littrature biomdicale dinfluence cartsienne des XVIIe et XVIIIe sicles, le tarentismese prsente comme lexemple parfait dune cause naturelle agissant sur lintelligence etproduisant ces perturbations. Dans le sillage de cette physiologie, Ludovico Valletta a le mritede consigner quelques-unes des premires observations dtats modifis de conscience chezdes patients atteints de tarentisme et suivis directement dans leur crise.

    Si je peux raconter quelque chose de lagitation extraordinaire et intense qui prend tout le corps, jai moi-mme vu une femme tellement tourmente par le venin quelle tait prise par une fivreviolente, domine par des fantmes furibonds, ou mieux, possde par des dmons arrogants

    accourus lenvahir, en entendant le son des instruments de musique, elle se prcipitait en sautsdexcitation ; et ainsi, dans la dense agitation, de tous les membres du corps ctait surtout la ttequelle secouait et quelle faisait tournoyer dun ct lautre ; tant et si bien que mes yeux et matte, contamins par la mme agitation, souffraient de vertiges (Valletta 1706 : 74-75).

    15 On voit transparatre dans ce passage la qualit dexorciste du moine Valletta. Ses rfrences la possession rvlent un arrire-plan de connaissance des possds, et nous sont utiles pourassocier le comportement de la femme aux techniques de la transe. En effet, les gestes quiconsistent secouer et faire tournoyer la tte nous apparaissent comme un dispositif misen marche intentionnellement par lacteur du rituel de possession pour favoriser lapparitiondtats daltration de conscience. Gilbert Rouget fait remonter auTimede Platon les deuxgrands principes de la thrapie choreutique coribantique5 : le balancement rythmique etlantagonisme entre les mouvements extrieurs et intrieurs. De ces mouvements il voqueaussi lacte de danser en jetant brusquement la tte en arrire, comme dans les rituelsdionysiaques ou dans certaines descriptions de la littrature mystique arabe, o ltat de transeest atteint grce lagitation de certaines parties du corps. Lexplication des troubles psychiquessoigns par ces rituels que ce soit dans luvre de Platon ou dans les sources orientales ressemble beaucoup au processus par lequel lme cartsienne est effraye et crase par lespassions. Lus de lextrieur selon des catgories anthropologico-mdicales, ces mouvementsdauto-induction de la transe dcoulent de techniques corporelles ; il sagit nanmoins dundispositif visant la ralisation dun tat modifi de conscience obtenu par lunion de la musiqueet de la danse : une auto-excitation assez particulire, selon Rouget, car elle met en uvre enmme temps le souffle, une certaine sur-stimulation des cordes vocales, des mouvements trsaccentus de rotation de la tte et toute une gestuelle qui, srement, consomme (ou libre)beaucoup dnergie.

    16 Le tarentisme, outre le fait quil est un syndrome trs complexe, est cependant aussi un systmethrapeutique articul. Valletta livre la dimension diaphortique6 du corps engag danslexpulsion des humeurs toxiques travers la sueur de lagitation et de la danse, une sriedattitudes et de techniques qui concernent en ralit lauto-induction de la transe. Lanalyse deGilbert Rouget est prcise : la transe serait un changement didentit et, dans son droulement,elle apparat comme le vcu dune identit autre. La musique serait le seul langage capablede parler en mme temps lesprit et au corps en leur permettant de sexprimer sous formede danse. Et le rythme, grce cette agitation et la frquence du recours laccelerandoetaucrescendo, aurait le pouvoir de crer un tat deffervescence particulirement propice lesraisons en sont claires lapparition de la transe. Valletta crit :

    [Une] pauvre femme avait suspendu au plafond de sa maison une corde, dont elle serraitfortement le bout avec les mains ; elle stait jete sur la corde en lagrippant compltement et,

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    les pieds dtachs de terre, elle faisait rapidement tourner sa tte de partout, avec une attitudefuribonde, les cheveux bouriffs, le visage enflamm et les yeux torves ; jtais stupfait et necomprenais pas quavec ces soubresauts si rapides et violents de la tte et le vertige qui en advint,elle ne tombt pas au sol (Valletta 1706 : 75).

    17 Lanalyse du rcit de Valletta ne tient pas compte des aspects rituels et culturels de la thrapiedu tarentisme ; elle se concentre sur ses aspects purement mdicaux, mme si nous devonsadmettre que le dispositif dauto-induction de la transe travers la rotation et le secouement

    de la tte, le balancement sur la corde et mme le remde, attest par Athanasius Kircher,consistant se faire bercer par la mer dans un bateau, ont t interprts de faon erronecomme les moments dune reprsentation lintrieur du rite. Ernesto de Martino a voulu faireremonter le balancement, sur la corde ou dautres instruments de suspension motrice commela balanoire ou le berceau, unairesis symbolique des tarentuls7. Epifanio Ferdinando( pensilem en cunam moveri cupiunt ), Giorgio Baglivi (motum pensilem amant ) etAthanasius Kircher (tarentuls suspendus aux branches des arbres la tte en bas) seraient lesexemples dun symbolisme remontant la spiritualit de la Grce antique, mais dans lequel deMartino ne russit pas entrevoir les caractres uniques du dispositif auto-inductif de la transe.Le concept de transe est, au contraire, absent de laTerra del rimorso, tout au plus affleure-t-il occasionnellement des descriptions de lexpression faciale des tarentuls. Il est de mme

    absent du trait du mdecin Francesco De Raho, Il tarantolismo nella superstizione e nellascienza(1908)8 ; cette description est cependant longue, minutieuse et caractrise par desanalogies extraordinaires avec les passages de Ludovico Valletta sur le balancement.Fig. 3 : Description comparative du rituel maghrbin des jnouns par Boissier de Sauvagesde la Croix.

    18 Un naturaliste du XVIIIe sicle, Antonio Minasi, faisait remonter sans hsitation les dansesdes tarentuls aux orgies de Bacchus et Cyble, et il cueillait dans le dcor du rite lespreuves de cette filiation. Selon lui, la maladie des habitants des Pouilles taitvolontaire.Comment expliquer autrement que Pline, Martial ou Horace nen faisaient pas mention ? Et, propos des variables environnementales, il croyait que le climat et la gologie navaient paschang. Et encore, en rfrence plusieurs facteurs plus proprement ethnologiques, il affirmaitque les danses populaires existaient aussi dans lAntiquit. Finalement il tait convaincu

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    qualors, comme son poque, les prjugs et limagination dominaient et que commeen tmoigne Thophraste on croyait que la musique tait un mdicament puissant pourgurir de nombreux maux, y compris les morsures des btes venimeuses. Pourquoi donc, sedemandait Minasi, le tarentisme navait-il pas clat aussi dans lAntiquit classique ? Lesauteurs anciens, pensait-il, avaient souvent parl de Tarente dans leurs uvres et, si cetteinstitutionbizarre existait dj, ils en auraient certainement fait mention. Cependant, commele confirmait Minasi, il faut remonter lge grco-romain pour dcouvrir les vraies racinesdu phnomne. Et voici les indices clairs de cette origine lointaine :

    1. les tarentuls ornaient lendroit dans lequel se droulait leur rituel avec des feuilles devigne : Minasi ne se limite pas reporter cette affinit claire avec le dionysisme djdcrit par Baglivi, mais il prcise quil a personnellement constat cela dans beaucoupdobservations faites sur des tarentuls ;

    2. la prparation du dcor comprenait aussi des rubans colors, comme cela se faisaitanciennement dans les cultes de Bacchus et de Cyble, la Terre sur laquelle on cultiveaussi la vigne ;

    3. les tarentuls shabillaient de vtements blancs orns de rubans rouges, comme lefaisaient dj les bacchantes ;

    4. le foulard blanc tait un autre objet du rite, comme chez les prtres de Cyble, qui leportaient sur les paules ou nou autour cou ;5. un comportement courant parmi les tarentuls tait letrachlisme, cest--dire lesecouement de la tte, de haut en bas et latralement, comme le faisaient les bacchantesdans leur danse ;

    6. les couleurs dlection des tarentuls, spcialement des femmes, taient commechez les adeptes des confrries dionysiaques le rouge, le vert et le jaune : enparticulier Tarente, o lusage tait de porter des vtements pourpres (en italien,tarantinidie)pendant les crmonies orgiastiques ;

    7. dans la danse des tarentuls, Minasi reconnaissait les virevoltes, les gestes, les sauts,les battements de pieds sur le sol, les mouvements de la tte et toute lartificieuse torsiondes corps, avec soupirs rpts suivant les cadences du son, qui taient dj pratiqusen Lydie, en Phrygie, et par dautres peuples dAsie, dont ils reconnurent lintroduction,

    outre chez les Tarentins, chez les Grecs et les Romains (Atenisio Carducci 1771 :475-490)9.

    19 Les sept lments de comparaison diachronique entre tarentisme et dionysisme dterminspar Minasi mritent un bref commentaire. Il avait observ sur le terrain la thrapie musicale,presque srement Tarente ou dans les rgions limitrophes : sil avait russi voir unprimtre rituel orn avec les objets et la vgtation quErnesto de Martino attribue au prtendu tarentisme originel , cest--dire ce que Baglivi et Valletta avaient observ entre la fin duXVIIe et le dbut du XVIIIe sicle, cela signifie que la richesse et la complexit scnographiquede ce dispositif thrapeutique taient encore utilises dans les annes 1770, et elles doiventavoir peut-tre survcu, du moins dans les campagnes des Pouilles, jusquaux premires

    dcennies du XIXe

    sicle. Parmi ces objets dcoratifs, il semble dduire que les rubans colorsne sont pas seulement des instruments de diagnostic de la maladie (rudimentaires si on lescompare avec la mdecine officielle, raffins si on les circonscrit lunivers magico-populairedans lequel ils servent de ractifs placs ct de l preuve dexploration des modesmusicaux) ; mais quils se rfrent un horizon spirituel lointain : le culte de Dionysos. Silen est ainsi, sarments de vigne et rubans polychromes sont alors des exemples remarquablesde survivance de longue dure.

    20 Lhabit des fidles de saint Paul et de la tarentule est blanc : cette information, donne parMinasi, est trs importante car on avait jusqualors considr que lhabit blanc tait li unetradition purement dvotionnelle chrtienne. Vittorio Macchioro a insist sur ce dtail avecdes arguments convaincants depuis les annes 1920-1930 : le blanc tait la couleur choisieet endosse par les adeptes de la religion orphique durant les commmorations de la passionde Dionysos. Macchioro traita ponctuellement cet aspect dansOrfismo e Paolinismo(1924 :259-260), mais il tablit dans Zagreus(1930 : 208) une analogie plus troite entre les cultes

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    orgiastiques et extatiques et le tarentisme. Son gendre Ernesto de Martino saura plus tardvaloriser cette information, sans pourtant approfondir une problmatique reste avant et aprsla Terra del rimorso au vague stade dinventaire des antcdents.

    21 Venons-en au trachlisme, qui est peut-tre laspect le plus important signal par Minasi. Onse rappellera que, pour le moine exorciste Ludovico Valletta, le secouement de la tte de lapart des tarentuls tait considr comme un comportement horripilant caus par la virulencedu venin. Antonio Minasi estime par contre quil sagit plutt dune coquetterie fminine,

    celle de tenir les cheveux dlis au vent : un caprice extravagant, connu et pratiqu parles bacchantes. Mais ce geste sinscrit aussi dans la longue dure, non pas pour des raisonstroitement chorgraphiques, mais par le fait quil semble tre un extraordinaire coefficientinductif de la transe, adopt de tout temps dans les danses de possession de nombreusescivilisations. Du point de vue physiologique, cet effet a efficacement t dcrit par AndrasZemplni (le travail de la crise consiste cet avis est partag par Gilbert Rouget dans sesrecherches sur le terrain en une squence motrice qui a relev des exemples de cette pratiqueengageant initialement tout le corps du danseur en un crescendo ; ce mouvement paroxystiquese concentre ensuite dans la tte, qui est soumise une oscillation violente du haut vers le basou de droite gauche) (Zempleni 1966 : 295-439).

    22 Cette phase est souvent accompagne, et presque toujours suivie, de gestes dsordonns,

    de contorsions et de cris, puis de la chute typique de la transe de possession. La causephysiologique de cette chute est lautostimulation vestibulaire qui, unie laccroissement duvolume sonore et lacclration du rythme, porte lpuisement musculaire (lequel drivepeut-tre de la danse agite) et la perte dquilibre. Le vestibule du labyrinthe est, en effet,cette partie de loreille intrieure situe dans la cavit centrale de los temporal qui connecte lelabyrinthe osseux avec les canaux semi-circulaires. La sollicitation motrice de lutricule et dusaccule, qui dpendent du labyrinthe membraneux, a des rpercussions videntes sur le sensde lquilibre : voil comment, aujourdhui, on sexplique la chute des tarentuls au cours de ladanse, et surtout comment la musique, le rythme et les reprsentations subjectives interagissentdans ce processus daltration des tats ordinaires de conscience. Il faut cependant insister surle fait quaucune transe ne peut advenir si ce processus nest pas inscrit dans un contexte rituel.Entre la physiologie de loreille exprime par le mdicament iatromcanique, selon laquelle laporte dentre des effets thrapeutiques tait lorgane auditif, mais dans la mesure o les sonsse propageaient des vsicules du labyrinthe aux tubules des nerfs et, de l, aux humeurs et auxparties solides du corps, et la physiologie des passions de Francesco Serao, il y a un hiatusque lgalisation occasionnelle de Minasi entre le trachlisme des bacchantes et le mouvementde la tte des tarentuls naurait de toute faon pas russi combler. Ltat spcial dbritdrivant de lexcitation motrice du labyrinthe aurait t note par Henri Aubin et, aprs lui,emprunte par Michel Leiris. Mais le pre Antonio Minasi a peut-tre t le premier avoirune intuition quil aurait dvoile, deux sicles plus tard, sur la physiologie de la transe.

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    une autre qui met le conflit intrieur au premier plan. Au domaine stahlien de lme succdelilluminisme de la raison ; limperfection drive de ltat inculte des facults rationnelles, quine rglent plus laccord entre les actions individuelles et la conscience, entre lintelligence etlinstinct. En insrant le tarentisme parmi les troubles mentaux et en devinant les causes desa nature intimement conflictuelle, Boissier de Sauvages se trouve lorigine dune visionhermneutique qui culminera avec la psychanalysesur le terrainralise en 1959 au Galatinapar Giovanni Jervis, ainsi quavec la thorie dumauvais pass dErnesto de Martino.

    26 Le mot Tarantismus de la Nosologiasimpose avec les travaux de deux autoritsdimportance : Giorgio Baglivi et Francesco Serao. Le premier avait accrdit ltiologietoxicologique, la symptomatologie choro-convulsive et la thrapie musicale, propages parlopinion populaire ; le second les avait dmolies. Une fois termin le rapport sommaire dela casuistique clinique et des caractres gnraux pathologiques, lauteur rappelle en accordavec Serao et Minasi que le tarentisme nest mentionn par aucune source avant le XVesicle ; que ces mmes araignes accuses den tre la cause existaient avant cette poque etexistent encore aujourdhui dans tout le bassin mditerranen jusque dans les rgions les plustorrides des Pouilles sans que le phnomne soit attest, ni par des observations des anciens,ni par de celles des contemporains.

    27 Sauvages passe donc au classement des diffrents types de tarentisme, dont voici une synthse

    schmatique :1. leTarantismus Apulus Baglivi, subdivis en diffrents embranchements parmi lesquels

    la tendance danser nu, le carnevaletto des femmes, etc ;2. leTarantismus enteneasmusou Enthusiasmus Galeni, auquel appartiennent la Danse de

    Saint Vito, la Danse de Saint Valentin, la Chorea, lesaegri enterasticidHrodote et,de manire gnrale, toutes les danses mdivales de possession sub velo devotioniseffectues lintrieur ou prs des glises ;

    3. le Tarantismus musomania, cest--dire lamour pathologique pour la musique dfinicomme un trouble certainement de nature mlancolique dont fait de modernit absolue Sauvages parle presque comme dune maladie sociale frappant toutes les couches dela population et toutes les gnrations. Cest une insanit pidmique qui rend sescontemporains fous de mlodrame comme elle faisait dlirer les anciens lcoute destragdies dEuripide ; elle sinsinue dans les ftes religieuses comme le carnaval durant leCarme, comme les danses labyrinthiques de laTarasque lors des clbrations de sainteMarthe en Provence ; elle frappe les gentilshommes cultivs comme les mlomanesfivreux qui, au dbut du XVIIIe sicle, peuplent les pages de l Histoire et Mmoiresde lAcadmie Royale des Sciencesavec les rcits de Mandajor et Dodart. La vesaniamusica assume le profil dune nvrose de masseante litteramquil voque, en luiproposant un traitement moral par des dosages savants dun antidotehomopathique. Lamme musique que Franois Leuret fera administrer en 1833 aux alins de la Salptrirepar Franz Liszt ;

    4. enfin et nous voil arrivs un point dimportance cruciale leTarantismus Tingitanusou Janon, qui ferme la liste de Sauvages et nous porte dans le monde des exotismesrituels de possession mergeant de la littrature missionnaire et coloniale. Mais dansce cas cest un mdecin, et non pas un voyageur, qui relie entre eux le tarentisme desPouilles et un culte maghrbin des gnies et, leur tour, ces phnomnes aux syndromesconvulsifs. Sauvages appelle janon un rituel dexorcisme pratiqu par des confrriesfminines Tunis, Tanger et dans dautres villes dAfrique du Nord : il le dfinit commeune sorte de tarentisme spontan, endmique et indpendant de la morsure dinsecte.

    28 Dans le livre intitul Mmoires historiques, Saint-Gervais dit quen Afrique, Tunis, il y aun tarentisme spontan, non provoqu par la morsure dun insecte, surtout commun chez lesfemmes qui se sentent pousses sauter et danser, et qui sappelle Janon. Lauteur dfinitces danses comme des mouvements convulsifs ; il est en effet vraisemblable quelles soientdu mme genre que celles effectues dans les Pouilles par les tarentuls (Boissier de Sauvagesde la Croix 1795 : 122-123)10.

    29 Jacques Boyer de Saint-Gervais tait un diplomate Franais qui, en 1736, avait publi sonlivre de Mmoires historiquessur le Royaume de Tunis. Aprs lavoir lu, je considre cet

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    ouvrage comme le plus riche en donnes ethnographiques sur la Tunisie qui ait jamais tcrit sous lAncien Rgime : une uvre qui devrait aujourdhui tre prise en considrationpar quiconque anthropologue ou ethnomusicologue voudrait approcher de ltude de cetteralit mditerranenne. Mais voyons ce que Saint-Gervais crit :

    Il rgne parmi les femmes une maladie fort commune et singulire, dont plusieurs meurent. Lesgens du Pays lappellent le Janou [en vrit le mot est imprim Janon , mais sur lexemplaire que jai consult la Bibliothque Municipale de Versailles quelquun a corrig la plume Janou ].

    Elle fatigue le corps de la malade par des mouvements convulsifs, qui lagitent avec violence ;durant ces accs une femme bat du tambour, et aux sons lugubres quil rend, essentiels cettescne triste et comique tout ensemble, la malade danse, tourne avec rapidit, se dpouille de tousses habits, saffoiblit jusqu perdre la respiration, et tombe par terre, do elle est porte dansson lit, et parfume avec toutes sortes daromates extrmement forts. Les femmes attribuent cettemaladie une possession du malin esprit, qui sempare du corps, et qui nen peut tre chassquau bruit du tambour, ou par des caractres magique[s], quon applique sur diffrentes partiesdu corps de la malade, laquelle dans cet tat on ne refuse rien de tout ce quelle demande (St-Gervais 1736 : 193-195).

    30 Ce rituel extraordinairement semblable au tarentisme des Pouilles nest autre que leculte des jnoun, une croyance dorigine prislamique en des gnies tenus responsables par lapopulation de causer diffrentes maladies travers la possession. Lorigine du mot, justement

    propose par Rouget, vient trs certainement du latingenius. Qui souffre de troubles lesplus disparates, physiques ou psychiques induits par la possession dun gnie se remet la cure chortique administre par des confrries fminines qui chassent les entitsspirituelles du corps des possds avec la musique et la posie : un procd dmontrantun caractre typiquement incantatoire. Dans ce sens, les possds maghrbins rpondentaux mmes modalits thrapeutiques que celles exposes par Diego Carpitella dans son Esorcismo coreutico-musicale(1961). Linsertion de la part de Sauvages de cetarentismespontan dans le classement desvesaniaedmontre donc que les mdecins europens, quiopraient dans la phase aurorale de la psychiatrie, considraient ces phnomnes (qui ntaientpas encore relis par eux des rituels et des cultes de possession) comme appartenant un schma diagnostique commun de type convulsif, dont les symptmes extravagantsressemblaient aux hallucinations et aux reprsentations les plus varies et subjectives de phantasmata. Et bien quils russissent trs bien en dterminer les antcdents lointains danslautomutilation sanglante des Galli et Marsi, dans les cultes de Cyble et de Dionysos eten dautres mystres anciens, les savants du XVIIIe sicle nadmirent jamais ouvertement lecaractre de possession, bien que leur formation classique leur offrt lexemple platonique desteletai katartikaidans lesquels tait souligne lanalogie entre manies telestica, mantica et poieutica communes autant au tarentisme quaux jnoun. Par ailleurs, Gilbert Rouget semblepencher pour cette analogie apulo-tunisienne quand il considre que le culte thrapeutiquedes jnoun, comme de la tarentule, appartient au domaine de la religion populaire, et quony rencontre les mmes indices de pratique magiques que dans le tarentisme. Ces pratiquespeuvent en fait tre observes sur un territoire allant des rives europennes de la Mditerrane jusquau Golfe de Guine, mme si les diffrences entre les confrriesTidjniyyatunisienneset les petits orchestres thrapeutiques du tarentisme sont moindres que celles entre les premierset leurs homologues marocains et sngalais.

    31 Que la musicothrapie transcende le tarentisme et concerne aussi des pratiques collatrales la chirurgie, mais surtout quelle prenne la forme dunecure collective rituelle, merge chezSauvages du rapport de la cure de lanthrax en diffrentes rgions franaises :

    Dans la ville de Donzre, dans la Drme, une semblable cure est effectue actuellement dansle traitement de lanthrax, un temps aussi utilise Roquecourbe, prs de Castres de la faonsuivante : incis le bubon et appliqu sel, vinaigre et poivre, incitez le malade sauter et danserpendant deux jours au son des tambourins et avec lexemple des gens chers (Boissier de Sauvages1795 : 123).

    32 La iatromusique franaise possde des caractres intermdiaires entre le tarentisme des

    Pouilles, o le patient est plac au centre dun primtre rituel o on le fait danser, et le

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    dispositif thrapeutique de largia sarde, o le patient reste par contre dtendu et immobile aucentre dune place analogue et les parents dansent en cercle autour lui.

    33 En conclusion, Sauvages a deux mrites dans lhistoire du dbat scientifique sur le tarentisme :le premier est davoir essay, avec son classement nosologique, de fixer de solides pointsdancrage pour des noncs qui risquaient toujours dtre entrans la drive par lincertitudeet larbitraire ; le second est celui davoir montr peut-tre inconsciemment les traces dunrituel encore prsent autour du tarentisme en tant que maladie et que thrapie et, spcialement

    avec lexemple de la cure de lanthrax en France, davoir dvoil la concomitance de thorieset de pratiques mdicochirurgicales et magico-empiriques dans le traitement de la maladie la priphrie des Lumires.

    34 Avec son classement du tarentisme, Sauvages se place lorigine du dialogue interdisciplinaireentre neurosciences et anthropologie, et en particulier bien avant lassomption aujourdhuicompltement lgitime de la part des neurosciences dune interprtation comparative entrela terminologie chamanique et les effets des endorphines dans les phnomnes de transe depossession. Les neurophysiologues ont toujours eu peu dintrt conjuguer la physiologiecrbrale aux aspects anthropologico-culturels dans ltude des formes de souffrance mentalemystique, en situation rituelle et, dune faon gnrale, dans les syndromes centrs surdes systmes de croyances qui sous-tendent des situations conjoncturelles daltration de

    conscience (Prince 1982 : 299-302). Au contraire, la strilit de nombreuses enqutesanthropologiques dans ce secteur a t trs souvent cause par linaptitude acqurir lesconnaissances de base des neurosciences (Allovio et Favole 2001 : 73). Linterdisciplinaritinaugure par Ernesto de Martino et Giovanni Jervis avait t, bien y regarder, djtrace XVIIIe sicle par des mdecins comme Sauvages, et elle caractrise aujourdhui ledbat intense en ethnopsychiatrie ouvert par les recherches du doyen Vittorio Lanternari etpoursuivies par Stanislav Deprez, Grard Edelman, Harvey Whitehouse et Dan Sperber. Cedernier a introduit en particulier lide dpidmiologie des reprsentations (sur la base desthories sur lesprit humain de Noam Chomsky et de Jerry Fodor), dans laquelle nous pouvonsrelever de fortes analogies avec le tarentisme (Deprez 1999 ; Edelman 1992 ; Whitehouse1997 ; Sperber 1996).

    35 Cette premire intuition provenant de mdecins linnens, soucieux de dfinir les dsordresde la psych dans le cadre dun classement nosologique qui reportt aussi les casuistiquesdans les communauts locales et dans les populations exotiques, est devenue aujourdhui unencessit incontournable : le dialogue entre anthropologie culturelle, histoire de la maladieet sciences neuropsychiatriques fait lobjet, du moins partir du milieu des annes 1990, derflexions pistmologiques denses. Lassum qui, selon cette direction, devrait accompagnerltude des phnomnes de psychopathologie contextuelle consiste dire que le cerveauhumain est ptri par un processus slectif qui permet la stabilisation de certaines connexionsau dtriment dautres. Pour ce faire, linfluence du milieu, de lexprience et de la cultureserait dterminante. son tour, lide de slection tient compte des choix culturels delindividu ; mais ceux-ci sont ncessairement restreints par le fait de son appartenance sociale.Lanalogie extraordinaire entre les reprsentations formules par les patients atteints detarentisme et lmergence dautres syndromes connexes dans diffrents rituels de possessionafro-mditerranens peut donc tre lue, grce ces contributions, partir de la thorie dunmodelage rductible ce qui pourrait tre dfini comme la notion de cerveau plastique .

    36 Cette plasticit consiste, bien y regarder, en la disponibilit relative de lorganisationneurologique dialoguer avec le milieu environnant . Si, comme des expriences sur desmusiciens et des non-musiciens lont dmontr, lexcution et lcoute de passages mlodiquescomportent des degrs et des types variables dexcitation ou de sensibilisation de zonescrbrales bien prcises ; que la dclamation hypnotique et itrative de certains mots comportela rduction de certaines zones crbrales au profit dautres, avec un glissement des zonescognitives de lhmisphre gauche aux zones sensitives de lhmisphre droit ; que, de faonprvisible, ces effets peuvent galement se produire sous leffet de rythmes ; que, enfin, desconditions complmentaires comme lhyperoxie11 au cours des mouvements chortiques et lesdynamiques psychomotrices prcdemment dcrites sont runies lintrieur dun contexte

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    rituel, alors il apparat clairement que le tarentisme voque la possibilit dune reconstructionnosologique qui tienne compte de facteurs intrieurs, physiologiques, et dautres extrieurs,indubitablement culturels. Cette rsolution fut fixe pour la premire fois, quoique de manireencore sommaire, par Franois Boissier de Sauvages ; elle est aussi un exemple de modelage :celui form par les ides scientifiques environnant ses thories et ses pratiques.

    37 Il apparat vident que ce tableau prsente de fortes ressemblances avec les problmatiquesdtermines par la comparaison entre cultures occidentales avances et cultures

    africaines, asiatiques, amrindiennes et ocaniques traditionnelles jusquau-del de la finde lpoque coloniale. Si Sauvages ressentait le besoin de comparer le rituel des jnounau tarentisme, cela signifie quil considrait ces deux phnomnes comme apparents, endpit de leur loignement culturel et gographique, et quil en reconnaissait le caractrepsychopathologique par leur partage des caractristiques de la mlancolie, de lhypocondrieet de lhystrie. Cela lui suffit pour dterminer, dans cet atlas encyclopdique de mdecineque fut son Nosologia methodica, les traits distinctifs dune tendance au comparatisme, quidonnera ses fruits de nombreuses dcennies plus tard.

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    Notes

    1 La varietascomportementale regroupe lensemble des comportements dtermins par laction de lamusique sur lesprit, selon les doctrines philosophiques antiques qui tablissent une complmentarit

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    entre les harmonies et les remdes destins gurir les dissonances psychiques. Pour une approcheexhaustive de ce thme, voir Boccadoro (2002).2 Le Bestiariovincien est dat denviron 1494.3 Il sagit dune anthologie des crits concernants la tarentule par Guglielmo de Marra, SanteArdoini, Leon Battista Alberti, Teseo Pini, Marsilio Ficino, Gaspare Visconti, Serafino Aquilano, PietroPomponazzi, Ferdinando Ponzetti, Pietro Andrea Mattioli, Girolamo Cardano, Giulio Cesare Scaligero,Giovan Battista della Porta, Girolamo Mercuriale, Tommaso Campanella,.4 Littralement religion des origines anciennes ; ce terme latin renvoie de manire gnrique lensemble de la spiritualit paenne antique et ses croyances (pratiques cultuelles, cosmogonie,thogonie, etc.).5 Le culte des corybantes tait fondamentalement un culte de possession. Chaque esprit tait associ une couleur et une musique dtermines, et il tait invoqu dans les rituels par une mlodie et unedanse spcifiques.6 Il sagit du processus de transpiration rsultant de lexercice prolong de la danse effrne.7 Lairesisest le mouvement produit par le sujet assis sur une balanoire (image prsente dans certainsmythes grecs anciens) ; il est pratiqu par les tarentuls dans une perspective symbolique.8 Il y a aussi une dition moderne de ce livre (Nocera et Fumarola 1994) comportant un article de G.Lapassade.9 Le commentaire de Minasi se trouve aux pages 475-490 dun trait celui de Cataldantonio AtenisioCarducci dont il nest pas officiellement lauteur (voir bibliographie).10 Cf. p. 122-123 : St. Gervais in libro cui titulus est Mmoires historiques, refert apud Africanos,Tuneti scilicet, endemium esse Tarantismum spontaneum, seu a nullius insecti morsu dependentem,mulieribus potissimum familiarem, quo ad saltandum, et choreas agendas impelluntur, et huic morbonomen est le Janon ; hos quidem motus tanquam convulsivos Auctor reputat ; verum verosimile est, eosejusdem generis, ac quos vere tarantati apud Apulos edere solent. 11 Lhyperoxie une hyperventilation produisant une augmentation excessive du taux doxygne dans lesang et, par consquent, des tats de conscience modifis.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Gino L. Di Mitri, Les Lumires de la transe. Approche historique du tarentisme ,Cahiersdethnomusicologie[En ligne], 19 | 2006, mis en ligne le 15 janvier 2012, consult le 05 juin 2013.URL : http://ethnomusicologie.revues.org/102

    Rfrence papier

    Gino L. Di Mitri, Les Lumires de la transe. Approche historique du tarentisme ,Cahiersdethnomusicologie, 19 | 2006, 117-137.

    propos de lauteurGino L. Di Mitri

    Gino L. Di Mitri a obtenu un doctorat en Histoire des sciences lUniversit degli Studi di Bari avecune thse sur les changements du paradigme biomdical du tarentisme au XVIIIe sicle, et un DEAen Histoire sociale et culturelle des savoirs et des pratiques de sant lUniversit de Genve avecun mmoire sur legr and-tour des mdecins et des savants europens dans le Royaume de Naples. Ilapubli bon nombre de monographies, dessais et darticles sur lhistoire de la transe et de la possession.Actuellement il collabore au Dpartement dtudes dhistoire de lUniversit degli Studi di Lecce.

    Droits dauteur

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    Les Lumires de la transe. Approche historique du tarentisme 19

    Rsum

    Dans son parcours sur la littrature biomdicale, sur les traits de spiritualit et sur les journauxdu voyage scientifique du XVIIIe sicle ayant pour objet le tarentisme de lItalie mridionale,cette contribution tente de reconstruire le tissu de la perception et de la reprsentationde ce clbre rituel de possession auprs des savants europens. Il en ressort un cadreanthropologique surprenant. Bien quil paraisse aujourdhui incroyablement moderne dans sesmodalits et dans les solutions des observations sur le terrain et parfois dans certaines intuitionsinterprtatives fulgurantes dans lesquelles apparat lattestation dun phnomne de transe, cemodle glissera peu de temps aprs dans la pnombre du renoncement hermneutique, livrantles possds de la tarentule aux thories positivistes de lalination. Les Illuministes ont, detoute faon, le mrite davoir rcolt lantique hritage mystrique du tarentisme et tabli leprincipe de relations comparatives avec le monde afro-asiatique, qui devaient profitablementnourrir lethnomusicologie contemporaine et les autres sciences anthropologiques.