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1 Séquence 2 – FR20 Séquence 2 Évolution de la critique sociale, du XVII e siècle au XVIII e  siècle Sommaire Introduction 1. À la découverte des genres de l’éloquence Fiche méthode : Convaincre et persuader Corrigés des exercices 2. La critique sociale au temps du classicisme Fiche méthode : Types de textes et formes de discours Fiche méthode : Les genres littéraires Corrigés des exercices 3. « Bas les masques » : la satire du pouvoir à l’époque des Lumières Corrigés des exercices 4. Le combat contre l’obscurantisme Fiche méthode : Les registres satirique, polémique et oratoire Corrigés des exercices © Cned – Académie en ligne

Evolution de la critique sociale du XVIIe siècle au XVIIIe siècle

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1Séquence 2 – FR20

Séquence 2Évolution de la critique sociale, du XVIIe siècle au XVIIIe siècle

Sommaire

Introduction 1. À la découverte des genres de l’éloquence

Fiche méthode : Convaincre et persuader

Corrigés des exercices

2. La critique sociale au temps du classicisme Fiche méthode : Types de textes et formes de discours

Fiche méthode : Les genres littéraires

Corrigés des exercices

3. « Bas les masques » : la satire du pouvoir à l’époque des Lumières Corrigés des exercices

4. Le combat contre l’obscurantisme Fiche méthode : Les registres satirique, polémique et oratoire

Corrigés des exercices

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2 Séquence 2 – FR20

Objectifs & parcours d’étude

• Voir comment romans et nou-velles s’inscrivent dans le mou-vement littéraire et culturel du réalisme

• Donner des repères dans l’his-toire de ces genres

• Faire apparaître les caractéris-tiques de ces genres narratifs

• Apprendre à expliquer le texte narratif

Objectifs

• Un groupement de textes du XVIIe siècle au XVIIIe siècle

• Une lecture cursive : L’af-faire du chevalier de La Barre, Voltaire

Textes etœuvres

Genres et formes de l’argumentation, du XVIIe siècle au XVIIIe siècle

Objetsd’étude

A. Évolution de la critique sociale

B. Présentation de la séquence

Introduction

À la découverte des genres de l’éloquence

Fiche méthode : Convaincre et persuader

Corrigés des exercices

Chapitre 1

La critique sociale au temps du classicisme

A. L’art du récit au service de la critique sociale

Texte 1 La Fontaine, Fables « Le Singe et le Léopard »

B. La satire au théâtre

Texte 2 Molière, Tartuffe

Fiches méthode : Types de textes et formes de discours

Les genres littéraires

Corrigés des exercices

Chapitre 2

« Bas les masques » : la satire du pouvoir à l’époque des Lumières

A. La critique politique et religieuseTexte 3 Montesquieu, Lettres Persanes

B. Entraînement à l’écrit : la dissertation (1)

Corrigés des exercices

Chapitre 3

Le combat contre l’obscurantisme

Point histoire littéraire : la philosophie des Lumières

A. Une arme : la littérature polémique

Texte 4 Voltaire, Candide

B. La persuasion par le registre oratoire

Texte 5 Voltaire, « Prière à Dieu »

C. Entraînement à l’écrit : la dissertation (2)

Fiche méthode : Les registres satirique, polémique et oratoire

Lecture cursive : Voltaire et l’affaire du chevalier de la Barre

Bilan : Entraînement à l’écrit : rédaction guidée d’une dissertation (3)

Corrigés des exercices

Chapitre 4

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3Séquence 2 – FR20

IntroductionL’éloquence est l’art de bien par-ler : c’est elle qui rend un discours ou un orateur persuasif. Cette capa-cité de persuader et de convaincre, qui pousse l’auditeur ou le lecteur à adhérer aux propos de l’auteur ou de l’orateur, peut être mise au ser-vice de causes ou d’engagements dont les enjeux varient selon les époques. Bien souvent, les écri-

vains réagissent à des faits de société ou à un état général de la société qui les choquent, les révoltent, et les incitent à les dénoncer.

Évolution de la critique socialeLa critique sociale dans les œuvres littéraires n’est pas nouvelle dans l’histoire de la littérature. Notre séquence se concentrera cependant sur deux siècles, les XVIIe et XVIIIe siècles, qui ont vu nombre d’écrivains prendre la plume – et souvent également, des risques ! – pour dénoncer tantôt des comportements aberrants ou dangereux, tantôt des travers de la société toute entière, tantôt enfin des excès des pouvoirs politique et religieux. La figure de l’écrivain s’affirme peu à peu, et l’auteur tend à devenir un des porte-parole de son époque, surtout au XVIIIe siècle, dit des Lumières, qui est le siècle par excellence de la contestation.Nous verrons, à travers un corpus de cinq textes de La Fontaine, Molière, Montesquieu et Voltaire, comment la critique sociale évolue au long de ces deux siècles. Nous verrons également quels sont les genres littéraires qui ont été employés – car il est bien entendu qu’une attaque frontale et directe, au temps de la Monarchie absolue, n’est pas envisageable ! La critique se fera donc souvent indirecte… Nous aborderons enfin, au fil des textes, les divers procédés de l’éloquence évoquée plus haut.

A

C’est donc ce thème de la critique sociale que nous aborderons à travers cette séquence, afin de com-prendre quels sont les procédés littéraires qui sont à la disposition des auteurs dans leurs combats, et comment ils ont recours à l’éloquence précédemment évoquée pour « mettre le lecteur de leur côté ».

Objectifs de la séquence

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4 Séquence 2 – FR20

Présentation de la séquenceUn chapitre de découverte et trois grandes parties vous présenteront successivement : les différents genres de l’éloquence ; la critique so-ciale au temps du classicisme, qui s’exprime entre autres par le récit (ici une fable) et au théâtre ; la satire du pouvoir et de la religion au temps des Lumières ; et le recours aux textes polémiques et oratoires comme arme contre l’obscurantisme. Les textes vous permettront de saisir les différences entre divers registres employés dans les textes argumentatifs - polémique, satirique, oratoire -, et de travailler sur la distinction entre « convaincre » et « persuader ». Trois fiches méthode vous sont fournies au cours de la séquence sur ces thèmes, auxquelles vous pouvez vous référer à tout moment, ainsi qu’une quatrième sur le siècle des Lumières. Plusieurs lectures vous seront proposées en plus des textes étudiés en lecture analytique dans les exercices autocorrectifs, ainsi que des ana-lyses d’images.Dans l’optique de la préparation à l’épreuve anticipée de français, un exercice autocorrigé vous orientera peu à peu vers la dissertation.Vous aurez enfin à lire en lecture cursive intégrale L’affaire du chevalier de la Barre de Voltaire, en édition Folio (n° 4848), que vous devez donc penser à vous procurer dès maintenant. N’hésitez pas à en commencer la lecture rapidement. Cette lecture sera accompagnée par un question-naire de compréhension.

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5Séquence 2 – FR20

Chapitre

1À la découverte des genres de l’éloquenceL’éloquence est l’art de bien parler, de persuader par la parole (du latin, eloquentia : facilité à s’exprimer, éloquence, talent de la parole). Être éloquent implique de maîtriser la rhétorique et ses subtilités.

La rhétorique est quant à elle l’art de dire quelque chose à quelqu’un, l’art d’agir par la parole sur les opinions, les émotions, les décisions de l’inter-locuteur. Venant du grec ancien rhêtorikê (technique, art oratoire), elle est aussi la discipline qui prépare à l’exercice de cet art, en apprenant à com-poser des discours appropriés à leurs fins. Elle constitue donc l’outil de l’éloquence. Il arrive que les deux termes soient employés l’un pour l’autre.

Document

Définition de la rhétorique

I. La rhétorique est la faculté de considérer, pour chaque question, ce qui peut être propre à persuader. Ceci n’est le fait d’aucun autre art, car chacun des autres arts instruit et impose la croyance en ce qui concerne son objet : par exemple, la médecine, en ce qui concerne la santé et la maladie ; la géométrie, en ce qui concerne les conditions diverses des grandeurs ; l’arithmétique, en ce qui touche aux nombres, et ainsi de tous les autres arts et de toutes les autres sciences. La rhétorique semble, sur la question donnée, pouvoir considérer, en quelque sorte, ce qui est propre à persuader.

Aristote, Rhétorique, chapitre II.

De nombreux auteurs et philosophes se sont penchés depuis l’Antiquité sur la rhétorique et ses procédés, dans le but d’acquérir cette puissance du verbe – une arme parfois redoutable, n’oubliez pas qu’une argumen-tation bien menée et convaincante peut avoir une influence décisive ! Parmi ces auteurs, on retrouve les noms d’auteurs grecs comme Démos-thène (384-322 avant J.-C.), Isocrate (436-322 avant J.-C.) et Aristote (384-322 avant J.-C.), ou romains comme Cicéron (106-43 avant J. -C.) ont rédigé des traités de rhétorique (De Oratore, sur l’art oratoire, et du Brutus, brève histoire de l’art oratoire romain), ou Quintilien (35-95 après J.-C.), L’art oratoire. Ils ont défini les procédés auxquels il faut avoir recours pour construire un texte convaincant.

Il y a ainsi trois « facultés » à mettre en œuvre :

E l’invention (inventio), c’est-à-dire la capacité d’invention, celle là même qu’on vous demande dans l’écriture d’invention : il s’agit de trouver quoi dire, un sujet, et des arguments pour soutenir son propos.

Définitions

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6 Séquence 2 – FR20

E la disposition (dispositio), c’est-à-dire l’art d’organiser son texte : il s’agit de savoir comment disposer dans un ordre adapté la thèse, les arguments… Bref, d’agencer les idées précédemment trouvées. Nos dissertations en trois parties (thèse, antithèse, synthèse) sont les héri-tières de cette « disposition ».

E l’élocution (elocutio), c’est-à-dire la capacité à arranger le style pour rendre le texte agréable à lire, ou à entendre dans le cas d’un discours.

Dans le cadre d’un discours, donc d’un texte oral, on rajoutera la memo-ria (la capacité à apprendre par cœur un discours), et l’actio (l’art de bien réciter le discours).

2 Un texte peut avoir trois finalités. Il peut :

E docere, c’est-à-dire convaincre, par la raison (grâce à l’emploi d’argu-ments logiques, d’une construction rigoureuse du raisonnement…)

E placere (ou delectare), c’est-à-dire plaire : il faut que le destinataire ait du plaisir à entendre ou à lire le texte, afin que son attention soit maintenue de l’introduction à la conclusion.

E movere, émouvoir : le recours à la raison du docere doit être complété par l’appel aux émotions, aux sentiments… Il s’agit par ce moyen de persuader.

On constate donc que la rhétorique fait appel à la raison et à la logique, par l’usage d’arguments, afin de convaincre. Cependant, il existe aus-si une relation émotionnelle entre l’auteur et le destinataire : on doit aussi être séduit ou charmé par le texte que l’on lit, c’est la persuasion. Raison et sentiments doivent donc être mobilisés ensemble si l’on veut avoir toutes les chances d’emporter l’adhésion (cf. fiche méthode sur « Convaincre et persuader »).

3 En ce qui concerne les discours, on en distingue trois genres :

E le genre judiciaire, lorsque le discours est prononcé dans le cadre d’un procès, pour accuser (il s’agit alors du réquisitoire) ou défendre (il s’agit alors du plaidoyer). C’est un discours orienté vers l’établisse-ment de la vérité, du juste et de l’injuste.

E le genre délibératif, que l’on emploie dans les assemblées politiques ; il s’agit le plus souvent de répondre à la question « que faire ? » : l’ora-teur conseille ou déconseille sur les questions portant sur la vie de la cité ou de l’État. Ce type de discours a donc pour but de décider des décisions à prendre et on y discute de leur côté utile ou nuisible. C’est un discours orienté vers l’action.

E le genre épidictique, qui est celui de l’éloge et du blâme. Il s’agit sou-vent de discours d’apparat, comme les oraisons funèbres.

Selon les contextes, et selon ce dont on veut convaincre le destinataire, on n’aura donc pas recours au même genre de discours.

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7Séquence 2 – FR20

Document

Voici la présentation que fait Aristote dans sa Rhétorique des trois genres de discours, et de leurs objectifs :

« III. Il y a donc, nécessairement aussi, trois genres de discours oratoires : le délibératif, le judiciaire et le démonstratif [c’est-à-dire l’épidictique].

La délibération comprend l’exhortation et la dissuasion. En effet, soit que l’on délibère en particulier, ou que l’on harangue en public, on emploie l’un ou l’autre de ces moyens. La cause judiciaire comprend l’accusation et la défense : ceux qui sont en contestation pratiquent, nécessairement, l’un ou l’autre. Quant au démonstratif, il comprend l’éloge ou le blâme.

(…)

V. Chacun de ces genres a un but final différent ; il y en a trois, comme il y a trois genres. Pour celui qui délibère, c’est l’intérêt et le dommage ; car celui qui soutient une proposition la présente comme plus avanta-geuse, et celui qui la combat en montre les inconvénients. Mais on em-ploie aussi, accessoirement, des arguments propres aux autres genres pour discourir dans celui-ci, tel que le juste ou l’injuste, le beau ou le laid moral. Pour les questions judiciaires, c’est le juste ou l’injuste ; et ici encore, on emploie accessoirement des arguments propres aux autres genres. Pour l’éloge ou le blâme, c’est le beau et le laid moral, auxquels on ajoute, par surcroît, des considérations plus particulièrement propres aux autres genres. »

Aristote, Rhétorique, chapitres III et V.

Exercice autocorrectif n° 1

Maîtriser les trois genres de discours et leurs visées

À partir du point 3 et de ce texte d’Aristote, vous récapitulerez les ob-jectifs possibles des orateurs par genre de discours. Sur quels critères de valeurs ces démonstrations oratoires s’organisent-elles ?

Genres de discoursVisées, objectifs des

discoursCritères de valeurs

genre délibératif

genre judiciaire

genre épidictique

➠ Veuillez vous reporter à la fin du cha-pitre pour consulter le corrigé de l’exercice.

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Exercice autocorrectif n° 2

Reconnaître les genres de l’éloquence

Vous trouverez ci-dessous trois textes : à quel genre de discours appar-tiennent-ils ? Pourquoi ? Utilisez ce que vous venez d’apprendre sur la rhétorique pour répondre.

Vous observerez également les principaux procédés rhétoriques utilisés pour toucher l’auditoire et le convaincre. Utilisez la boîte à outils (fiche n° 11) et les figures de style présentées ci-dessous.

E Accumulation ternaire : énumération de trois éléments souvent selon une gradation.

E Anaphore : répétition d’un même mot ou son en début de vers ou de phrases.

E Apostrophe : figure de rhétorique par laquelle un orateur interpelle une personne ou un objet personnifié.

E Exclamation : parole ou cri brusque qui exprime un sentiment, une émotion.

E Gradation : figure de rhétorique qui consiste à ordonner selon une pro-gression croissante les termes d’un énoncé pour créer une dramatisa-tion.

E Question rhétorique (ou question oratoire) : procédé qui consiste à poser une question qui n’attend généralement pas de réponse, celle-ci étant évidente. Ex : « Quoi ? tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait d’yeux pour personne ? » (Dom Juan, Molière).

a) Cicéron, Première Catilinaire, exorde1

On vient de dévoiler à Cicéron, consul (69 av. J.-C.), les plans de la conju-ration de Catilina. Cicéron met Rome en état de défense contre cette tentative de prise de pouvoir, et comme Catilina ose venir au Sénat, il prononce contre lui devant tous les sénateurs un discours véhément, la Première Catilinaire :

« Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ? Combien de temps encore serons-nous ainsi le jouet de ta fureur ? Où s’arrêteront les emportements de cette audace effrénée ? Ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les postes répandus dans la ville, ni l’effroi du peuple, ni le concours de tous les bons citoyens, ni le choix, pour la réunion du sénat, de ce lieu le plus sûr de tous, ni les regards ni le vi-sage de ceux qui t’entourent, rien ne te déconcerte ? Tu ne sens pas que tes projets sont dévoilés ? Tu ne vois pas que ta conjuration reste im-puissante, dès que nous en avons tous le secret ? Penses-tu qu’un seul de nous ignore ce que tu as fait la nuit dernière et la nuit précédente, où tu es allé, quels hommes tu as réunis, quelles résolutions tu as prises ?

1. L’exorde est le début d’un discours, les toutes premières lignes. La fin d’un discours s’appelle la péroraison.

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Ô temps ! Ô mœurs ! Le sénat connaît tous ces complots, le consul les voit ; et Catilina vit encore. Il vit ? que dis-je ? il vient au sénat ; il prend part aux conseils de la république ; son œil choisit et désigne tous ceux d’entre nous qu’il veut immoler. Et nous, hommes pleins de courage, nous croyons assez faire pour la république, si nous échappons à sa fureur et à ses poignards. Il y a longtemps, Catilina, que le consul aurait dû t’envoyer à la mort, et faire tomber sur ta tête le coup fatal dont tu menaces les nôtres ».

b) Danton, Discours civiques, III, « Sur la patrie en danger »

Voici la péroraison, c’est-à-dire la fin du discours prononcé par Danton devant l’Assemblée Législative le 2 septembre 1792. Ce discours a pour but d’inviter le peuple français à se mobiliser contre l’envahisseur étran-ger (la France est entrée en guerre contre l’Autriche le 20 avril 1792).

« Il est satisfaisant, pour les ministres du peuple libre, d’avoir à lui an-noncer que la patrie va être sauvée. Tout s’émeut, tout s’ébranle, tout brûle de combattre. Vous savez que Verdun n’est point encore au pou-voir de nos ennemis. Vous savez que la garnison a promis d’immoler le premier qui proposerait de se rendre. Une partie du peuple va se porter aux frontières, une autre va creuser des retranchements, et la troisième, avec des piques, défendra l’intérieur de nos villes. Paris va seconder ces grands efforts. Les commissaires de la Commune vont proclamer, d’une manière solennelle, l’invitation aux citoyens de s’armer et de marcher pour la défense de la patrie. C’est en ce moment, messieurs, que vous pouvez déclarer que la capitale a bien mérité de la France entière. C’est en ce moment que l’Assemblée nationale va devenir un véritable comité de guerre.Nous demandons que vous concouriez avec nous à diriger le mouvement sublime du peuple, en nommant des commissaires qui nous seconderont dans ces grandes mesures. Nous demandons que quiconque refusera de servir de sa personne, ou de remettre ses armes, sera puni de mort. Nous demandons qu’il soit fait une instruction aux citoyens pour diriger leurs mouvements. Nous demandons qu’il soit envoyé des courriers dans tous les départements pour avertir des décrets que vous aurez rendus. Le toc-sin qu’on va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée ».

c) Bossuet, Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre

Voici des extraits de l’un des plus célèbres discours de Bossuet, évêque et célèbre prédicateur du XVIIe siècle, prononcé à l’occasion de la mort d’Henriette d’Angleterre.

« Et certainement, messieurs, si quelque chose pouvait élever les hommes au-dessus de leur infirmité naturelle si l’origine qui nous est commune souffrait quelque distinction solide et durable entre ceux que Dieu a formés de la même terre, qu’y aurait-il dans l’univers de plus dis-

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10 Séquence 2 – FR20

tingué que la princesse dont je parle ? Tout ce que peuvent faire non seulement la naissance et la fortune, mais encore les grandes qualités de l’esprit, pour l’élévation d’une princesse, se trouve rassemblé et puis anéanti dans la nôtre. De quelque côté que je suive les traces de sa glo-rieuse origine, je ne découvre que des rois, et partout je suis ébloui de l’éclat des plus augustes couronnes. (…) Mais cette princesse, née sur le trône, avait l’esprit et le cœur plus hauts que sa naissance. Les malheurs de sa maison n’ont pu l’accabler dans sa première jeunesse ; et dès lors on voyait en elle une grandeur qui ne devait rien à la fortune. Nous di-sions avec joie que le ciel l’avait arrachée comme par miracle des mains des ennemis du roi son père, pour la donner à la France : don précieux, inestimable présent, si seulement la possession en avait été plus du-rable ! Mais pourquoi ce souvenir vient-il m’interrompre ? Hélas ! nous ne pouvons un moment arrêter les yeux sur la gloire de la princesse sans que la mort s’y mêle aussitôt pour tout offusquer de son ombre. (…) Elle croissait au milieu des bénédictions de tous les peuples et les années ne cessaient de lui apporter de nouvelles grâces ».

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé de l’exercice.

L’éloquence, l’art de bien parler, se fonde sur les règles de la rhétorique grâce auxquelles un discours acquiert la capacité d’emporter l’adhésion du destinataire.Un texte ou un discours se compose par la recherche d’idées (« inven-tion »), que l’on organise de manière appropriée (« disposition »), et que l’on formule en un style adapté (« élocution »).Il peut jouer davantage sur le fait de plaire, de convaincre, ou encore de persuader, selon que l’on s’adresse plutôt à la raison ou aux sentiments du lecteur. Il est bien sûr possible de jouer sur les trois à la fois !Enfin, un discours peut relever du genre judiciaire, délibératif ou épi-dictique, selon qu’il vise à attaquer ou à défendre une personne ou une idée, à prendre une décision ou à inciter à une action, ou à proposer un éloge ou un blâme dans le cadre d’une rhétorique d’apparat.

Cette éloquence, que les auteurs à chaque siècle se sont appropriée, est notamment mise au service de la critique sociale aux XVIIe et XVIIIe siècles. En suivant la chronologie, nous allons donc d’abord nous pencher sur deux textes du XVIIe siècle.

Conclusion

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11Séquence 2 – FR20

Fic

he m

éth

ode

Chapitre

1

Fiche méthode

Convaincre et persuader

Convaincre, c’est amener le lecteur à reconnaître la justesse d’une idée en s’adressant à sa raison de manière logique par des preuves orga-nisées de façon irréfutable. On utilise à cette fin des arguments et des exemples.Persuader, c’est s’adresser aussi aux sentiments du lecteur. On utilise alors des modalités propres à l’émouvoir, à le séduire : des impératifs, des interrogations, des images… Ces deux voies de l’argumentation peuvent bien sûr se retrouver dans un même texte !

Exercice autocorrectif n° 3Chacun des deux textes ci-dessous fait appel soit davantage à la raison, soit davantage aux sentiments : attribuez le « convaincre » et le « per-suader » à chaque extrait. Expliquez votre choix, sans oublier d’analyser le style et la composition des extraits.

a) Pierre Bayle (1647-1706), « De la tolérance » (Commentaire philosophique)

Précurseur avec Fontenelle de l’esprit des Lumières, Bayle s’attache à dénoncer la superstition et à réclamer la liberté de conscience. En conju-guant une grande érudition et des commentaires souvent ironiques, il a établi une méthode et un style dont les Encyclopédistes du XVIIIe siècle se souviendront.

« Si chacun avait la tolérance que je soutiens, il y aurait la même concorde dans un État divisé en dix religions, que dans une ville où les diverses espèces d’artisans s’entresupportent mutuellement. Tout ce qu’il pour-rait y avoir, ce serait une honnête émulation à qui plus se signalerait en piété2, en bonnes mœurs, en science ; chacun se piquerait de prouver qu’elle est la plus amie de Dieu, en témoignant un plus fort attachement à la pratique des bonnes œuvres ; elles se piqueraient même de plus d’affection pour la patrie, si le souverain les protégeait toutes, et les te-naient en équilibre par son équité. Or il est manifeste qu’une si belle émulation serait cause d’une infinité de biens ; et par conséquent la to-lérance est la chose du monde la plus propre à ramener le siècle d’or, et à faire un concert et une harmonie, de plusieurs voix et instruments de différents tons et notes, aussi agréables pour le moins que l’uniformité d’une seule voix. Qu’est-ce donc qui empêche ce beau concert formé de voix et de tons si différents l’un de l’autre ? C’est que l’une des deux reli-gions veut exercer une tyrannie cruelle sur les esprits et forcer les autres

2. = « à qui ferait preuve de la plus grande piété »

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12 Séquence 2 – FR20

à lui sacrifier leur conscience ; c’est que les rois fomentent cette injuste partialité, et livrent le bras séculier aux désirs furieux et tumultueux d’une populace de moines et de clercs : en un mot tout le désordre vient non pas de la tolérance, mais de la non-tolérance ».

b) Crébillon fils (1707-1777), Lettres de la marquise de M*** au comte de R***

Ce roman épistolaire3 à une voix donne à entendre la passion de la mar-quise pour le comte, après qu’elle eut tenté d’y résister. Elle tente ici de mettre fin à leur relation naissante.

« Ayez pitié de l’état où je suis. Si vous m’aimez, respectez-le ; ne me revoyez plus : que mon exemple vous serve à détruire un amour qui ne peut avoir que des suites funestes pour moi. Envisagez les malheurs qui seraient inséparables de notre commerce4 : la perte de ma réputation, celle de l’estime de mon mari : peut-être pis encore. Quelque épurés que soient nos sentiments, car je veux bien croire que les vôtres sont conformes aux miens, croyez-vous qu’on leur rende justice, et qu’on ne saisisse pas, avec malignité, l’occasion de me perdre dans le monde ? (….) L’unique moyen de me délivrer de tant de craintes est de m’éloigner de vous ; tant que nous serons dans le même lieu, je ne serai pas sûre de moi. Aidez-moi, je vous en conjure, à vaincre ma faiblesse. Vous voulez que je vous revoie encore ! dois-je m’y exposer ? Ce rendez-vous aura-t-il le succès du dernier ? Aurais-je encore assez de fermeté pour vous dire que je vous quitte ? Si vous m’en croyiez, vous ne me verriez pas. (…) Je serai à midi chez Madame de *** ; que de larmes cette journée me coûte ! ».

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé de l’exercice.

3. Un roman épistolaire (du latin epistula, la lettre) repose sur un groupement de lettres que s’envoient les person-nages. C’est uniquement à travers ces lettres, et donc selon des points de vue chaque fois différents, que l’histoire se construit.

4. Commerce est à prendre ici au sens de « relation »

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Corrigés des exercicesCorrigé de l’exercice n° 1

Corrigé de l’exercice n° 2

a) Le texte de Cicéron appartient au genre des discours judiciaires : c’est un réquisitoire contre Catilina, qui met la République en péril. Ce genre est caractérisé par la forte présence de la première personne, qui marque l’implication du locuteur, Cicéron lui-même et le Sénat, (« serons-nous ») et du destinataire, Catilina (« abuseras-tu »). Cicé-ron accuse directement Catilina de « complots », de « conjuration », et même de planifier des meurtres (« son œil choisit et désigne tous ceux d’entre nous qu’il veut immoler »). Il a recours à des modalités de phrases particulières : des questions rhétoriques (« Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ? Combien de temps encore serons-nous ainsi le jouet de ta fureur ? Où s’arrêteront les emporte-ments de cette audace effrénée ? », « Tu ne vois pas que ta conjura-tion reste impuissante, dès que nous en avons tous le secret ? », « Il vit ? que dis-je ? »), des exclamations (« 0 temps ! ô mœurs ! ») qui soulignent son indignation. De même, il emploie des énumérations sous forme d’accumulations (« Ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les postes répandus dans la ville, ni l’effroi du peuple, ni le concours de tous les bons citoyens, ni le choix, pour la réunion du sénat, de ce lieu le plus sûr de tous, ni les regards ni le visage de ceux qui t’entourent, rien ne te déconcerte ? ») pour créer un effet d’amplifi-cation caractéristique d’un texte rhétorique qui cherche à toucher les sentiments de l’auditeur, ici l’indignation.

b) Le texte de Danton appartient au genre délibératif : il est prononcé devant l’Assemblée Législative, donc devant une assemblée poli-tique ; il y est question de prendre une décision pour sauver la pa-

Genres de discours Visées, objectifs des discours Critères de valeurs

genre délibératifexhortation

ou dissuasion à agir

ce qu’il convient de faire ou non, selon le juste ou l’injuste, la vérité, l’utilité, ou encore le beau ou le laid moral.

genre judiciaire accusation ou défense la justice ou l'injustice d’un fait

genre épidictique éloge ou blâme le beau et le laid moral

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14 Séquence 2 – FR20

trie, dans un contexte d’urgence, celui de la guerre ; l’orateur incite à l’action, par ses demandes répétées (« Nous demandons »…. repris quatre fois). Les ressources de la rhétorique sont de nouveau mobi-lisées : interpellations du destinataire (« C’est en ce moment, mes-sieurs, que vous pouvez déclarer… »), répétitions (« Vous savez », « C’est en ce moment », « Nous demandons »), rythmes ternaires marquants (« Pour les vaincre, il nous faut de l’audace, encore de l’au-dace, toujours de l’audace »), images frappantes (« Tout s’émeut, tout s’ébranle, tout brûle de combattre »).

c) Le discours de Bossuet ressort du genre épidictique : c’est une orai-son funèbre, prononcée à l’occasion de la mort d’Henriette d’Angle-terre, devant un public important réuni pour rendre un dernier hom-mage à la défunte. Il s’agit donc d’un discours d’apparat, qui fait la louange d’Henriette (on trouve nombre de qualificatifs et expressions laudatifs : « qu’y aurait-il dans l’univers de plus distingué », « sa glo-rieuse origine », « Mais cette princesse, née sur le trône, avait l’esprit et le cœur plus hauts que sa naissance », « on voyait en elle une gran-deur », « don précieux, inestimable présent », « les années ne ces-saient de lui apporter de nouvelles grâces »…). Comme dans les deux textes précédents, il est manifeste que la rhétorique a été employée pour persuader l’auditoire de la grandeur du personnage : ainsi, on trouve des questions rhétoriques (« qu’y aurait-il dans l’univers de plus distingué que la princesse dont je parle ? », « Mais pourquoi ce souvenir vient-il m’interrompre ? »), des exclamations (« si seulement la possession en avait été plus durable ! », « Hélas ! »), des images frappantes (« le ciel l’avait arrachée comme par miracle des mains des ennemis du roi son père, pour la donner à la France », « nous ne pou-vons un moment arrêter les yeux sur la gloire de la princesse sans que la mort s’y mêle aussitôt pour tout offusquer de son ombre », « Elle croissait au milieu des bénédictions »).

Corrigé de l’exercice n° 3

a) Le texte de Bayle ressort davantage du « convaincre » : de fait, l’au-teur construit particulièrement son texte, en faisant appel à l’art de la « disposition » évoqué plus haut. Ainsi, il commence par poser sa thèse (« Si chacun avait la tolérance que je soutiens, il y aurait la même concorde dans un État divisé en dix religions, que dans une ville où les diverses espèces d’artisans s’entresupportent mutuelle-ment »), affirmant que la tolérance est la condition de l’harmonie so-ciale, et non au contraire cause de désordre. Puis il expose différents arguments (celui de l’« honnête émulation » entre les religions, celui de l’« affection pour la patrie » qu’elles auraient), avant de reprendre sa thèse : « la tolérance est la chose du monde la plus propre à rame-ner le siècle d’or ». Puis il rappelle ce qui s’oppose à l’accomplisse-ment de son souhait : « C’est que l’une des deux religions veut exercer une tyrannie cruelle sur les esprits et forcer les autres à lui sacrifier

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15Séquence 2 – FR20

leur conscience ; c’est que les rois fomentent cette injuste partialité, et livrent le bras séculier aux désirs furieux et tumultueux d’une popu-lace de moines et de clercs », et conclue enfin sur un dernier rappel de la valeur de la tolérance : « en un mot tout le désordre vient non pas de la tolérance, mais de la non-tolérance ». La valeur de l’argumenta-tion, qui est ici convaincante, tient donc à une bonne « invention » (de bonnes idées !) et à une bonne « disposition », mais aussi à un style rhétorique travaillé (et voilà l’« élocution » !) : connecteurs logiques (« Or », « et par conséquent »), parallélismes (« C’est que… », « C’est que… »), questions rhétoriques (« Qu’est-ce donc qui empêche ce beau concert formé de voix et de tons si différents l’un de l’autre ? »).

b) Dans le texte de Crébillon fils, la marquise tente de pousser le comte à ne plus la revoir ; elle fait appel à certains arguments (elle évoque ain-si les risques d’une telle relation adultère, « les malheurs qui seraient inséparables de notre commerce »), mais joue davantage sur les sen-timents de pitié du comte : elle emploie ainsi le champ lexical de la supplication (« Ayez pitié », « je vous en conjure », « Aidez-moi »), amplifie les éventuels risques par le vocabulaire employé (« suites funestes », « les malheurs »), use de questions rhétoriques en appe-lant directement à son destinataire (« Vous voulez que je vous revoie encore ! »), et qui marquent son trouble (« dois-je m’y exposer ? », « Ce rendez-vous aura-t-il le succès du dernier ? », « Aurais-je encore assez de fermeté pour vous dire que je vous quitte ? »). Le registre dominant est celui du pathétique (« que de larmes cette journée me coûte ! »), qui présente la marquise comme un personnage vulnérable (« ma faiblesse ») : il s’agit d’émouvoir le comte par l’énoncé de la situation désespérée dans laquelle se trouve la marquise. Le texte est donc davantage du côté de la persuasion.

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16 Séquence 2 – FR20

La critique sociale et politique au temps du classicisme

Chapitre

2

L’art du récit au service de la critique sociale

Texte 1« Le Singe et le Léopard », La Fontaine, Fables

Jean de La Fontaine, originaire de Champagne, s’installe à Paris après des études d’avocat. Ses écrits brillants vont séduire le surintendant Fou-quet, qui devient son protecteur. La Fontaine restera fidèle à son mécène après son arrestation, et ira même jusqu’à prendre sa défense contre le roi Louis XIV, qui ne le lui pardonnera jamais. Après une retraite prudente en Limousin, il revient à Paris, où ses Contes et ses Fables (publiées de 1668 à 1693) lui valent un immense succès.

Voici la troisième fable du livre IX des Fables.

« Le Singe et le Léopard »

Le Singe avec le Léopard Gagnaient de l’argent à la foire : Ils affichaient chacun à part. L’un d’eux disait : Messieurs, mon mérite et ma gloire Sont connus en bon lieu ; le Roi m’a voulu voir ; Et, si je meurs, il veut avoir Un manchon de ma peau ; tant elle est bigarrée, Pleine de taches, marquetée1, Et vergetée1, et mouchetée.La bigarrure plaît ; partant chacun le vit. Mais ce fut bientôt fait, bientôt chacun sortit. Le Singe de sa part disait : Venez de grâce, Venez, Messieurs. Je fais cent tours de passe-passe. Cette diversité dont on vous parle tant, Mon voisin Léopard l’a sur soi seulement ; Moi, je l’ai dans l’esprit : votre serviteur Gille2,Cousin et gendre de Bertrand,Singe du Pape en son vivant,

A

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10

15

1. rayée

2. Gille (nom d’un personnage populaire des théâtres de foire).

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17Séquence 2 – FR20

Tout fraîchement en cette ville Arrive en trois bateaux3 exprès pour vous parler ;Car il parle, on l’entend ; il sait danser, baller4,Faire des tours de toute sorte, Passer en des cerceaux ; et le tout pour six blancs5 !Non, Messieurs, pour un sou ; si vous n’êtes contents, Nous rendrons à chacun son argent à la porte.

Le Singe avait raison : ce n’est pas sur l’habit Que la diversité me plaît, c’est dans l’esprit : L’une fournit toujours des choses agréables ; L’autre en moins d’un moment lasse les regardants. Oh ! que de grands seigneurs, au Léopard semblables, N’ont que l’habit pour tous talents !

1. Pour aborder la lecture analytiqueAprès avoir écouté le texte sur votre CD audio, lisez-le vous-même à voix haute avant de répondre aux questions ci-dessous.

Recherche préalable

Recherchez dans un dictionnaire ou une encyclopédie la définition de la fable. Une fable est le plus souvent composée de deux parties : lesquelles ?

Questions

En quoi les deux personnages s’opposent-ils ? Analysez leur manière de se présenter et de parler.

2 Quels sont les arguments du Léopard ? Et ceux du Singe ?

3 Comment s’explique le succès, de courte durée, du Léopard ? Et celui du Singe ?

4 Qui la morale de cette fable vise-t-elle ? Sur quels points précis cette critique porte-t-elle ?

5 Quel rapport entretient le fabuliste6 avec le personnage du Singe ?

6 En vous référant à la première partie de la séquence, diriez-vous que le fabuliste a recours davantage au fait de plaire, de convaincre ou de persuader ?

20

25

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3. C’est dire l’importance de la suite...

4. Exécuter un ballet.

5. Pièces de monnaie (six blancs valent deux sous et demi).

6. Auteur de fables – ici, la Fontaine.

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18 Séquence 2 – FR20

Éléments de réponse

Recherche préalable

Une fable (du latin fabula : « conte », « apologue ») est un bref récit, à l’origine oral, mettant en scène le plus souvent des animaux, ou des personnages types (une veuve, un berger, deux amis…). Le genre est an-cien : ainsi Ésope (environ VIe siècle avant J.-C.) écrivit des fables, fort célèbres et dont La Fontaine ou Charles Perrault s’inspirèrent d’ailleurs beaucoup. La fable n’est pas très éloignée du conte ; mais sa forme l’en distingue : une fable en effet est composée de deux parties, souvent séparées d’ailleurs par un espace typographique, et qui sont le récit lui-même (ici, vers 1 à 25) et la moralité (vers 26 à 31) qu’en tire le fabuliste. La moralité s’achève souvent sur une « pointe », qui condense le propos de la fable toute entière, et s’adresse plus directement à la « cible » du texte. La fable est régulièrement en vers (alexandrins ou octosyllabes à l’époque du classicisme – dans Le Singe et le Léopard, alternance entre les deux), mais peut aussi être écrite en prose.

Questions

Le narrateur oppose clairement ses deux personnages dès le début du récit : « Ils affichaient chacun à part. » (v.4), « L’un d’eux/Le Singe de sa part » (v.12).Le Léopard affiche une belle arrogance, qui se manifeste dès son en-trée en matière, dans laquelle il prend à témoin le public sans autre manière : « Messieurs… ». Sa vanité repose sur ses relations et son entregent : il est ainsi question d’un « bon lieu », la Cour probable-ment, et du Roi lui-même. Il évoque également son « mérite » et sa « gloire » : or il ne mentionne ensuite que son apparence physique, décrite avec force adjectifs, dont l’énumération est amplifiée par la répétition de la conjonction de coordination « et » : « bigarrée,/ Pleine de taches, marquetée,/ Et vergetée et mouchetée ». Le champ lexical dominant est donc celui de la vue, avec ces adjectifs décrivant l’as-pect visuel de sa fourrure, et le verbe « voir » (v.5 et 10).Le Singe pour sa part requiert l’attention du public en le priant et non en s’imposant : « Venez de grâce,/ Venez, Messieurs » (v.13). Il met en avant non son apparence, mais ses capacités réelles : « Je fais cent tours », « il sait danser, baller/ Faire des tours de toute sorte,/ Passer en des cerceaux » (v.21-23) : les champs lexicaux sont ceux de l’action (« il parle », « je fais », « faire », « passer » « danser », « baller ») et de la connaissance (« il sait »).L’opposition entre les deux personnages est formulée par le singe aux vers 15-16 : « Mon voisin Léopard l’a sur soi seulement ;/ Moi, je l’ai dans l’esprit » : les prépositions « sur » et « dans » résument à elles seules la différence entre un personnage qui se contente de mettre en avant sa riche apparence, et un personnage savant et capable.

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19Séquence 2 – FR20

2 Le Léopard avance principalement pour attirer l’assistance son « mé-rite et [sa] gloire » (v.4), mais sans donner aucune précision : le lecteur ne sait donc pas ce qui lui vaut sa fameuse réputation ! Son deuxième argument est celui de la renommée : « Sont connus en bon lieu » (v.5). Le troisième est celui de l’intérêt royal : « le Roi m’a voulu voir ». Enfin, il compte être au centre des regards du fait de sa peau, « bigarrée,/ Pleine de taches, marquetée,/ Et vergetée, et mouchetée » (v.7 à 9), c’est-à-dire à l’aspect varié. Tous ces arguments ne reposent que sur une réputation fondée sur fort peu de choses – voire rien ! –, et sur une apparence originale qui lui vaut de la curiosité de la part du Roi.Le Singe au contraire fonde sa capacité de séduction sur sa maîtrise de la parole : « Car il parle, on l’entend » (v.21), « Arrive en trois ba-teaux exprès pour vous parler » (v.20), et sur sa capacité à divertir par ses talents multiples (« il sait danser, baller/ Faire des tours de toute sorte,/ Passer en des cerceaux »).

3 Le Léopard, s’il intéresse brièvement les curieux, ne les retient pas : l’aspect extérieur, une fois la curiosité passée – « La bigarrure plaît ; partant chacun le vit » (v.10) –, ne divertit plus. C’est donc l’ennui qui guette son public, lequel d’ailleurs se retire : « Mais ce fut bientôt fait, bientôt chacun sortit » (v.11).Le Singe sait divertir et amuser par la diversité de ses tours – « cent tours »–, car il joue non de ce qu’il a « sur soi », mais « dans l’esprit ». Il recherche d’ailleurs l’attention de son public, par la nouveauté (« Tout fraîchement en cette ville », v.19), et par la peine qu’il se donne pour séduire (« Arrive en trois bateaux exprès pour vous parler », v.20) ; il n’hésite pas à se remettre en question (« si vous n’êtes contents,/ Nous rendrons à chacun son argent à la porte », v.25), quand le Léo-pard est imbu de lui-même.La moralité explicite clairement les causes de l’échec du Léopard et du succès du Singe : « L’une fournit toujours des choses agréables ; L’autre en moins d’un moment lasse les regardants » (v.28-29).

4 La morale de la fable, qui s’exprime à la fois à travers le récit et la mo-ralité, vise les courtisans qui se contentent d’afficher une apparence brillante sans fonder leur « gloire » sur un talent réel. La « pointe » à la fin de la moralité, « Oh ! que de grands seigneurs, au Léopard sem-blables,/ N’ont que l’habit pour tous talents ! » – est explicite, et vise directement les nobles de la Cour.Ces hommes de cour, qui entourent le Roi tout particulièrement sous la monarchie absolue de Louis XIV, ne revendiquent plus les prouesses guerrières qui étaient à l’origine les attributs de la noblesse (on ne saura jamais ce qui est à l’origine du « mérite » du Léopard !) ; ils ne sont pas non plus d’agréable compagnie – le Léopard par sa vanité suscite l’ennui, il « lasse », quand le Singe amuse. Ces courtisans ne peuvent donc s’enorgueillir que de l’intérêt que leur porte le Roi – faible titre de gloire !

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20 Séquence 2 – FR20

5 Le Singe divertit par ses talents de conteur et d’amuseur ; il est vif d’esprit – qualité traditionnellement attribuée au singe –, et sa conversation est agréable : on reconnaît ici les qualités d’un bon fa-buliste, qui lui aussi doit savoir « parler » - en l’occurrence, raconter, et qui doit être écouté de son auditoire : « Car il parle, on l’entend ». Comme le Singe, et au contraire du Léopard, La Fontaine n’est pas un riche courtisan : sa « gloire » est de plaire en imaginant des « choses agréables ». Or quoi de plus « agréable » à lire que les fables, courts récits animaliers, divertissants et amusants ? Enfin, de même que le Singe cherche à attirer le public (« Venez de grâce », « Arrive en trois bateaux exprès pour vous parler », « Non, Messieurs, pour un sou ; si vous n’êtes contents, / Nous rendrons à chacun son argent à la porte »), le fabuliste lui aussi doit être suffisamment habile pour retenir son lecteur – c’est ce qu’on appelle la captatio benevolentiae, le fait de « capter » la « bienveillance » du destinataire, par un texte au style plaisant.Il est donc fort probable qu’il faille voir dans le Singe non seulement un des deux personnages de l’historiette, mais aussi un reflet du fa-buliste lui-même, qui se met en scène et rappelle que le talent réel – en l’occurrence, celui de l’écrivain – vaut davantage que la vanité du paraître.

6 La fable, comme on l’a vu, est en partie un récit : c’est d’abord le plaisir de lire une histoire rendue souvent comique et imagée par la présence d’animaux qui touche le lecteur. La fable « Le Singe et le Léopard » est de plus en vers (alternance d’alexandrins et d’octosyllabes) : sa forme à la fois condensée et travaillée la rend d’autant plus agréable à lire. De plus, le Singe, porte-parole de l’écrivain, évoque lui-même l’agré-ment qui doit être celui du public/ lecteur avec l’adjectif « contents », et le fabuliste à son tour a recours au terme « agréables ». C’est donc sur le fait de « plaire », placere, que compte surtout La Fontaine pour rendre convaincante sa critique des courtisans.On pourra mettre cette fonction de la fable, et l’importance qu’ac-corde La Fontaine au fait d’être plaisant et d’avoir du talent pour char-mer, avec l’une des dimensions de l’idéal littéraire et artistique du classicisme, qui est l’art de plaire. La littérature doit être agréable au lecteur, même lorsqu’il s’agit d’instruire ou d’argumenter.

2. Documents et lectures complémentaires

Exercice autocorrectif n° 1

Lecture de l’image : une gravure illustrative

Voici deux illustrations de la fable Le Singe et le Léopard par Oudry, célèbre graveur français (1686-1755), qui illustra les Fables. Comment la composition des deux images rend-elle compte de la moralité de la fable ?

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21Séquence 2 – FR20

Jean-Baptiste Oudry, Le Singe et le Léo-pard, Planche 1, gravure 18e siècle.

« © Musée Jean de La Fontaine,Château-Thierry »

Jean-Baptiste Oudry, Le Singe et le Léo-pard, Planche 2, gravure 18e siècle.

« © Musée Jean de La Fontaine,Château-Thierry »

La Fontaine n’est pas le seul auteur du XVIIe siècle à critiquer les compor-tements des grands : La Bruyère s’est aussi livré à une critique acerbe, par le biais de portraits, d’attitudes en société qui confinent au ridicule.

Exercice autocorrectif n° 2

Le portrait critique d’un convive insupportable…

Lisez maintenant le texte suivant, extrait du chapitre V des Caractères (1688), intitulé « De la société et de la conversation » :

« Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c’est un homme universel, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On parle, à la table d’un grand, d’une cour du Nord : il prend la parole, et l’ôte à ceux qui allaient dire ce qu’ils en savent ; il s’oriente dans cette région lointaine comme s’il en était originaire ; il discourt des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes : il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu’à éclater. Quelqu’un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu’il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l’interrupteur. « Je n’avance rien, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d’ori-ginal : je l’ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j’ai fort interrogé, et qui ne m’a caché aucune circonstance ». Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu’il ne l’avait commencée, lorsque l’un des conviés lui dit : « C’est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade ».

Les Caractères (1688).

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22 Séquence 2 – FR20

Répondez aux questions suivantes :

Quels sont les défauts du personnage ? Quel genre de convive est-il ? Comment mène-t-il la conversation ?

2 Quels sont les points communs entre Arrias et le Léopard de la fable de La Fontaine ?

3 Faites une brève recherche sur l’« honnête homme », idéal du classicisme7.En quoi Arrias est-il l’antithèse de cet « honnête homme » ?

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter les corrigés des exer-cices 1 et 2.

La satire au théâtreTexte 2

Molière, Tartuffe, acte III scène 3

Molière, pseudonyme de Jean-Baptiste Poquelin, est le fils d’un mar-chand-tapissier établi rue Saint-Honoré à Paris, et nommé tapissier du roi. Le 18 décembre 1637, Jean-Baptiste prête le serment de tapissier royal, reprenant ainsi la charge de son père auprès de Louis XIII. Mais en jan-vier 1643, il renonce à la charge de son père. Le 30 juin, il signe l’acte de fondation de l’Illustre Théâtre, sous la direction de Madeleine Béjart, et se lance dans la carrière théâtrale. En 1644, la troupe joue en province. En juillet ils sont de retour à Paris et Jean-Baptiste est devenu « Molière » et directeur de la troupe. Les pièces et les succès vont s’enchaîner : Les précieuses ridicules, L’école des femmes, Dom Juan…Mais Molière se heurta parfois à la censure. Ainsi, il écrivit trois versions et mit cinq ans pour avoir enfin le droit, en 1669, de jouer durablement sa pièce Tartuffe. Les dévots en effet, regroupés dans la Compagnie du Saint-Sacrement8, avaient fait pression sur le pouvoir royal et avaient réussi à la faire interdire. Molière soutenait cependant que sa pièce ne ridiculisait pas la vraie dévotion, mais dénonçait seulement les « faux dévots » et l’hypo-crisie religieuse à travers le principal personnage de Tartuffe qui profite, sous couvert de la fausse vertu religieuse, de la faiblesse des esprits et prend la direction des consciences.Le riche Orgon a en effet introduit chez lui un dévot comme directeur de conscience et voudrait que toute sa maisonnée suive les recommandationsde ce « saint homme ». Il voudrait même lui donner sa fille en mariage. La femme d’Orgon, Elmire, tente de détourner Tartuffe d’une telle union. Mais c’est d’une autre union que rêve Tartuffe…

7. Rappel : le classicisme est un mouvement littéraire, et plus généralement culturel et artistique, qui se développe au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle, en relation avec le rayonnement de la monarchie absolue. S’ap-puyant sur les valeurs et les modèles de l’Antiquité grecque et latine, elle est fondée sur la raison, s’attache à la mesure, et respecte des codes précis (par exemple, la règle des trois unités au théâtre).

8. La Compagnie du Saint-Sacrement était une société catholique fondée en 1627, également appelée « parti des dévots ». La Compagnie du Saint-Sacrement est surtout connue par ses attaques du Tartuffe de Molière. Outre la pra-tique de la charité et l’activité missionnaire, elle entendait par la voix de ses fidèles réprimer les mauvaises mœurs.

B

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Page 23: Evolution de la critique sociale du XVIIe siècle au XVIIIe siècle

23Séquence 2 – FR20

ELMIRE« Pour moi, je crois qu’au Ciel tendent tous vos soupirs,Et que rien ici-bas n’arrête vos désirs.

TARTUFFE

L’amour qui nous attache aux beautés éternelles N’étouffe pas en nous l’amour des temporelles ; Nos sens facilement peuvent être charmés Des ouvrages parfaits que le Ciel a formés. Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles ; Mais il étale en vous ses plus rares merveilles ; Il a sur votre face épanché des beautés Dont les yeux sont surpris, et les cœurs transportés, Et je n’ai pu vous voir, parfaite créature, Sans admirer en vous l’auteur de la nature, Et d’une ardente amour sentir mon cœur atteint, Au plus beau des portraits où lui-même il s’est peint. D’abord j’appréhendai que cette ardeur secrète Ne fût du noir esprit9 une surprise adroite ; Et même à fuir vos yeux mon cœur se résolut, Vous croyant un obstacle à faire mon salut. Mais enfin je connus, ô beauté toute aimable, Que cette passion peut n’être point coupable, Que je puis l’ajuster avecque10 la pudeur, Et c’est ce qui m’y fait abandonner mon cœur. Ce m’est, je le confesse, une audace bien grande Que d’oser de ce cœur vous adresser l’offrande ; Mais j’attends en mes vœux tout de votre bonté, Et rien des vains efforts de mon infirmité ; En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude, De vous dépend ma peine ou ma béatitude, Et je vais être enfin, par votre seul arrêt11, Heureux si vous voulez, malheureux s’il vous plaît.

ELMIRE

La déclaration est tout à fait galante, Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante. Vous deviez, ce me semble, armer mieux votre sein,Et raisonner un peu sur un pareil dessein. Un dévot comme vous, et que partout on nomme…

TARTUFFE

Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme ;Et lorsqu’on vient à voir vos célestes appas,Un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas. Je sais qu’un tel discours de moi paraît étrange ;Mais, Madame, après tout, je ne suis pas un ange ;

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9. Du diable.10. « avecque »= avec.11. Par votre décision.

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24 Séquence 2 – FR20

Et si vous condamnez l’aveu que je vous fais, Vous devez vous en prendre à vos charmants attraits. Dès que j’en vis briller la splendeur plus qu’humaine, De mon intérieur vous fûtes souveraine ; De vos regards divins l’ineffable douceur Força la résistance où s’obstinait mon cœur ; Elle surmonta tout, jeûnes, prières, larmes, Et tourna tous mes vœux du côté de vos charmes. Mes yeux et mes soupirs vous l’ont dit mille fois, Et pour mieux m’expliquer j’emploie ici la voix. Que si vous contemplez d’une âme un peu bénigne12 Les tribulations13 de votre esclave indigne, S’il faut que vos bontés veuillent me consoler Et jusqu’à mon néant daignent se ravaler, J’aurai toujours pour vous, ô suave merveille, Une dévotion à nulle autre pareille. Votre honneur avec moi ne court point de hasard, Et n’a nulle disgrâce à craindre de ma part. Tous ces galants de cour, dont les femmes sont folles, Sont bruyants dans leurs faits et vains dans leurs paroles, De leurs progrès sans cesse on les voit se targuer ; Ils n’ont point de faveurs qu’ils n’aillent divulguer, Et leur langue indiscrète, en qui l’on se confie, Déshonore l’autel où leur cœur sacrifie. Mais les gens comme nous brûlent d’un feu discret, Avec qui pour toujours on est sûr du secret : Le soin que nous prenons de notre renommée Répond de toute chose à la personne aimée, Et c’est en nous qu’on trouve, acceptant notre cœur, De l’amour sans scandale et du plaisir sans peur.

1. Pour aborder la lecture analytique

Après avoir écouté le texte sur votre CD audio, lisez-le vous-même à voix haute avant de répondre aux questions ci-dessous.

Recherche préalable

E Que signifie aujourd’hui le mot « tartuffe » ?

E Qu’est-ce qu’un « dévot » ?

E Le texte ici présenté est principalement composé de deux tirades : cherchez la définition de ce terme.

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12. Douce, humaine.13. « Afflictions morales » ici.

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25Séquence 2 – FR20

Questions

Quel genre d’amour Tartuffe dit-il éprouver, celui d’une créature ter-restre ou bien l’amour de Dieu ? Étudiez le vocabulaire employé : n’y-a-t-il pas confusion ?

2 Quel est le plan de chacune des deux tirades de Tartuffe ?

3 Quels sont les arguments auxquels Tartuffe a recours dans chacune des tirades pour convaincre Elmire de lui céder ?

4 Comment Molière fait-il sentir que son personnage est un faux dévot ? Que dénonce-t-il dans ces deux tirades ?

5 Tartuffe est censé être une comédie. Trouvez-vous que Tartuffe soit comique, ou bien plutôt inquiétant ?

Éléments de réponse

Recherche préalable

E On qualifie aujourd’hui de « tartuffe » soit un faux dévot, soit plus gé-néralement une personne hypocrite.

E Un dévot est avant tout attaché aux pratiques religieuses, et manifeste souvent sa ferveur. Un faux dévot affecte hypocritement une dévotion exagérée, qui n’est pas réellement ressentie.

E Au théâtre, les personnages peuvent s’exprimer par le biais des dia-logues (échanges de répliques entre deux, trois personnages, voire davantage) ; ou par le biais des monologues : un personnage, seul en scène, exprime ses pensées et sentiments ; ou encore par la tirade : le personnage n’est pas seul en scène (ici, Elmire est avec Tartuffe), et développe sa pensée de façon continue, sans interruption, assez longuement.

Ici, Tartuffe énonce une première tirade de 27 vers (des alexandrins), dans laquelle il adresse des compliments enflammés à Elmire, et lui avoue son amour ; puis une seconde de 34 vers, dans laquelle il se dédouane de tout péché et propose de façon indirecte à Elmire une liaison adultère.

Questions

Tartuffe avoue clairement à Elmire la passion charnelle qu’il éprouve pour elle : le premier vers, très célèbre, de la seconde tirade le dé-montre assez : « Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme » (v.36-37). Pour autant, Tartuffe n’emploie pas le vocabulaire galant habituel : il a recours au champ lexical de la religion dans sa décla-ration amoureuse. On retrouve ainsi des expressions qui sont habi-tuellement employées dans les textes sacrés, les Saintes Écritures (la Bible), ou dans les textes de religieux comme Saint François de Sales, très lus à l’époque dans les milieux catholiques, l’Introduc-

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26 Séquence 2 – FR20

tion à la vie dévote, ou le Traité de l’amour de Dieu : par exemple « ardente amour », ou « béatitude ». L’amour qui doit être celui de Dieu, « L’amour qui nous attache aux beautés éternelles », cède la place à « l’amour des temporelles » (v.3-4) ; des « ouvrages parfaits que le Ciel a formés » en général, on passe à « parfaite créature » (v.11), qui désigne très précisément Elmire. Par ailleurs, les termes de « cœur », d’« offrande », sont employés à la fois dans un contexte religieux et dans un contexte galant. Tartuffe va encore plus loin, en alliant deux termes pris chacun aux dits contextes en une même ex-pression, « célestes appas » (v.37). Enfin, il s’adresse à Elmire comme un homme de foi doit s’adresser à Dieu : « En vous est mon espoir ». Il y a donc un amalgame, une confusion volontaire entre le vocabulaire de l’amour divin et celui de l’amour terrestre qui laisse supposer que Tartuffe n’est pas entièrement tourné vers la contemplation du Ciel, et subodorer qu’il instrumentalise la religion et la foi pour tenter de convaincre Elmire : en employant un vocabulaire religieux, il rassure, en conservant le masque du dévot…

2 Plan de la première tirade : L’amour divin n’exclut pas l’amour ter-restre, car les créatures ont justement été formées par Dieu et sont donc admirables ; cette perfection est justement illustrée par Elmire, en laquelle Tartuffe retrouve la perfection céleste. Cet amour l’a d’abord effrayé, mais il lui a ensuite paru conciliable avec son salut de bon chrétien. Il offre son cœur et par là sa vie à Elmire : de sa décision dépendra son bonheur.Plan de la seconde tirade : Face à la beauté d’Elmire, la passion l’em-porte sur la raison ; car Tartuffe n’est pas qu’un dévot : c’est aussi un homme, attiré charnellement par Elmire. C’est la beauté d’Elmire qui est cause de tout. Elmire doit donc le prendre en pitié et lui accorde ce qu’il demande. Tartuffe ne sera pas un amant volage et bavard : la relation qu’il lui propose sera discrète et ne la compromettra pas.On constate donc que les deux tirades, à la suite l’une de l’autre, par-tent d’une mention de l’amour divin pour aboutir à une proposition d’adultère, progression argumentative que nous allons analyser et qui laisse mal augurer de la dévotion de Tartuffe…

3 Dans la première tirade :

1) un premier argument affirme que si le Ciel a formé des créatures, elle sont parfaites, et elles peuvent donc être aimées (« Des ouvrages par-faits que le Ciel a formés ») : l’amour divin n’a pas à exclure l’amour terrestre.

2) La beauté d’Elmire atteint un tel degré de perfection qu’elle rap-pelle Dieu à quiconque la regarde (« Et je n’ai pu vous voir, parfaite créature,/ Sans admirer en vous l’auteur de la nature ») : ce ne peut donc point être un péché que de vouloir la posséder.

3) Après avoir compris que cet amour n’a rien de mauvais, Tartuffe offre son cœur à Elmire comme il en ferait l’offrande à Dieu : sa décision scellera donc son sort, c’est elle qui tient sa vie entre ses mains.

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27Séquence 2 – FR20

Dans la seconde tirade : deux arguments principaux :

1) Ce n’est pas la faute de Tartuffe s’il est sous l’emprise de la passion, mais celle de la beauté d’Elmire (« Vous devez vous en prendre à vos charmants attraits », v.42) : c’est donc à elle de remédier à ce qu’elle a causé. Elle est entièrement maîtresse de l’âme de Tartuffe (observez le champ lexical de la lutte, de la victoire – d’Elmire- et de la défaite – celle de Tartuffe. Cet argument reprend en partie le dernier argument de la première tirade.

2) La relation que propose Tartuffe est sans risques (« De l’amour sans scandale et du plaisir sans peur », v.70) : elle n’a donc aucune rai-son de s’y opposer.

L’argumentation de Tartuffe oscille donc entre raisonnement logique (cf. début de la première tirade), tentative de dédouanement (cet amour ne peut être coupable), chantage (d’Elmire dépend le sort de Tartuffe), et tentative de rassurer Elmire. Elle témoigne de sa maîtrise de la rhétorique : il sait aussi bien convaincre que persuader.

4 Molière présente un personnage qui comme on l’a vu, emploie le vocabu-laire de l’amour de Dieu pour évoquer une passion terrestre, qui plus est, adultère, et pis encore, sous le toit et avec la femme de son hôte : ce dé-tournement de ce qui devrait être le plus respectable pour un dévot, les mots de l’amour divin, laisse supposer que Tartuffe n’éprouve pas une foi sincère. On peut imaginer facilement des jeux de scène dans lesquels Tartuffe se rapprocherait physiquement d’Elmire : le champ lexical de la passion suggère en effet le désir physique du personnage. Sous des de-hors d’humilité (« Ce m’est, je le confesse, une audace bien grande/ Que d’oser de ce cœur vous adresser l’offrande », v.23-24), Tartuffe exerce un chantage sur Elmire.Molière dénonce ici l’hypocrisie des faux dévots, qui sous des de-hors de piété cherchent à assouvir des désirs plus matériels, à gravir l’échelle sociale, à obtenir du pouvoir, ou comme ici se livrent aux péchés mêmes qu’ils combattent chez autrui.

5 La pièce commence (acte I, scène 1) comme une comédie tradition-nelle. Peu à peu cependant, Tartuffe prend le pouvoir sur la maison-née, et le rire disparaît au profit de l’inquiétude. Dans notre scène, Tar-tuffe peut paraître ridicule – un dévot, probablement peu séduisant, fait la cour à une femme jeune et attirante ; mais son argumentation quelque peu perverse inquiète plutôt : il risque de semer le trouble sous le toit d’Orgon, de déshonorer Elmire, tout en préservant des ap-parences de ferveur religieuse – et restera donc, lui, inattaquable… Molière se livre donc à une dénonciation de qui semble un danger pour la société : il s’agit bien d’une critique sociale, qui prend ici la forme d’une tirade théâtrale à travers laquelle le personnage dévoile son jeu et expose ce qu’il est réellement derrière l’apparence du dévot à laquelle tout le monde se fie.

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28 Séquence 2 – FR20

Dans les deux textes que vous venez d’étudier, les auteurs se livrent à des dénonciations de vices (ou travers) qu’ils jugent condamnables. La Fontaine critique les courtisans vaniteux et obsédés par leur apparence ; Molière s’at-taque aux faux dévots. Dans les deux cas, il s’agit de critique sociale – de catégories sociales, les nobles de la cour, ou de dérives plus proprement re-ligieuses – les faux dévots, mais qui représentent un danger pour la société, danger incarné par le désordre semé par Tartuffe dans la famille d’Orgon.Pour présenter sa critique, La Fontaine a recours à une fable en vers, donc à un récit. C’est par conséquent par une voie indirecte que les dé-fauts des courtisans sont soulignés, bien que dans la moralité, la voix de l’auteur se fasse entendre plus directement. Molière fait de Tartuffe le type même du dévot hypocrite, qui révèle par sa tirade ses penchants plus charnels que spirituels : c’est donc par la bouche d’un des person-nages que la critique s’exerce, car une attaque directe de l’auteur n’au-rait pas été supportée au XVIIe siècle, époque où la monarchie absolue de Louis XIV contrôle toutes les productions artistiques et littéraires.Dans les deux textes, la critique vise des personnages – courtisan, faux dévot – dont les défauts sont ridiculisés ; le léopard comme Tartuffe par leurs excès amusent, prêtent à rire – ils sont ridicules, mais aussi dans le cas de Tartuffe un peu inquiétant… On appelle satire ces textes dont le rôle est d’amuser tout en soulignant les faiblesses de la condition hu-maine et les misères de la vie sociale (voir la fiche méthode sur la satire).

2. Documents et lectures complémentaires

Exercice autocorrectif n° 3

Lecture de l’image : une caricature satirique

Honoré Daumier (1808 - 1879) était un graveur, caricaturiste, peintre et sculpteur français, dont les œuvres commentaient la vie sociale et politique en France au XIXe siècle. Dessinateur prolifique, auteur de plus de quatre mille lithographies, il est surtout connu pour ses caricatures d’hommes politiques et ses satires du comportement de ses compatriotes.

Voici une caricature de Dau-mier, intitulée « La cour d’ap-pel ». Quelle est la cible de cette satire ? Comment est-elle criti-quée ?

Caricature d’Honoré Daumier,Les Gens de justice.

© ND / Roger-Viollet.

Conclusion

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29Séquence 2 – FR20

Exercice autocorrectif n° 4

Un tableau critique de la vie parisienne au XVIIIe siècle

Voici ci-dessous un texte de Montesquieu, tiré des Lettres persanes (XVIIIe siècle), sur lesquelles nous allons revenir dès le début de la se-conde partie de la séquence.

Après l’avoir lu attentivement, dites de quoi il vous semble être la satire ; quel est le principal procédé à la fois humoristique et critique du texte ?

Lettre XXIV

Rica à Ibben14, à Smyrne.

« Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons toujours été dans un mouvement continuel. Il faut bien des affaires15 avant qu’on soit logé, qu’on ait trouvé les gens à qui on est adressé, et qu’on se soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois.Paris est aussi grand qu’Ispahan : les maisons y sont si hautes, qu’on jurerait qu’elles ne sont habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu’une ville bâtie en l’air, qui a six ou sept maisons les unes sur les autres, est extrêmement peuplée ; et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s’y fait un bel embarras.Tu ne le croirais pas peut-être ; depuis un mois que je suis ici, je n’y ai encore vu marcher personne. Il n’y a point de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine que les Français : ils courent ; ils volent : les voitures lentes d’Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feraient tomber en syncope. Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à pied sans changer d’allure, j’enrage quelquefois comme un chrétien : car encore passe qu’on m’éclabousse depuis les pieds jusqu’à la tête ; mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement : un homme, qui vient après moi, et qui me passe, me fait faire un demi-tour ; et un autre, qui me croise de l’autre côté, me remet soudain où le premier m’avait pris : et je n’ai pas fait cent pas, que je suis plus brisé que si j’avais fait dix lieues.(...) »

Montesquieu, Lettres persanes (lettre XXIV), 1721.

➠ �Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter les corrigés des exercices 3 et 4.

14. Ce sont deux personnages du roman. Rica visite Paris, et écrit à Ibben, resté à Smyrne. 15. Des efforts.

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Chapitre

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Fiche méthode

Types de textes et formes de discours

On appelle discours toute production écrite ou orale, toute « mise en pratique du langage » ; le texte est la trace de cet acte d’énonciation qu’est le discours. Un discours correspond à une visée particulière : on s’exprime pour raconter, pour décrire, pour exposer/expliquer, pour ar-gumenter, dans une situation d’énonciation particulière et pour un ou des destinataire(s) précis. À chaque forme de discours correspondent des procédés spécifiques que l’on peut identifier.

1. Le discours narratif

– Il rapporte des faits, des événements, situés dans le temps ;

– L’accent est mis sur les faits racontés, souvent au passé, parfois au présent. Un narrateur organise le déroulement de l’histoire (le schéma narratif), un lieu et une époque (ou plusieurs) la situent, des person-nages la font progresser ;

– Les marques principales du discours narratif sont les verbes d’action, les adverbes, les indicateurs de temps...

2. Le discours descriptif

– Il donne à voir un lieu, un objet, un personnage : il situe les événe-ments dans l’espace ;

– L’accent est mis sur la caractérisation des paysages, des êtres, des choses, souvent à l’imparfait ou au présent ;

– Les marques principales du discours descriptif sont les verbes d’état ou de perception, un point de vue particulier à partir duquel on observe, des indicateurs de lieu, toutes les tournures pouvant désigner ou qualifier.

3. Le discours explicatif

– Il vise à faire comprendre un phénomène ou une idée ; il impose la neutralité du locuteur ;

– L’accent est mis sur la cohérence et la compréhension de l’énoncé, souvent au présent de l’indicatif. Des formes proches et associées sont le discours explicatif ou informatif, qui donne des renseignements, et le discours injonctif, qui donne ordres et conseils sans forcément les expli-quer ;

– Les marques principales en sont les mots de liaison logiques ou chro-nologiques, les indicateurs de cause et de conséquence, tout ce qui peut aider à la clarté de l’information.

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ode4. Le discours argumentatif

– Il vise à convaincre ou à persuader un ou des destinataire(s) ; il situe les éléments dans le domaine de la pensée ;

– L’accent est mis sur la progression logique du raisonnement. La ré-flexion s’organise à partir de thèses, d’arguments et d’exemples ;

– Les marques principales en sont l’emploi des 1re et 2e personnes, les indices d’une prise de position du locuteur, les mots de liaisons lo-giques, tous les procédés rhétoriques pour convaincre, émouvoir ou sé-duire l’interlocuteur ou le destinataire.

Ces différentes formes de discours peuvent se mêler et se succéder dans un même texte, qui peut par exemple d’abord présenter une visée expli-cative, puis argumentative. Un discours narratif ou descriptif peut avoir également une visée argumentative, comme c’est le cas par exemple pour les Fables de La Fontaine.

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32 Séquence 2 – FR20

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Chapitre

1

Fiche méthode

Les genres littérairesUn genre est une forme commune à certains textes littéraires que le lec-teur reconnaît comme telle : « C’est du théâtre ! » ou « C’est un roman ». Chaque genre obéit à des contraintes et à des conventions particulières. La connaissance des genres facilite le pacte de lecture entre auteur et lecteur, puisque celui-ci connaît les lois du genre, même si leur délimita-tion est délicate et a évolué avec le temps.

À chaque genre correspondent des registres dominants. On appelle re-gistre l’expression par le langage d’effets suscitant chez le lecteur des émotions diverses, la joie, l’intérêt, l’angoisse, la colère, l’indignation, l’admiration, la compassion, la méfiance... Les principaux registres que l’on étudie au lycée sont le tragique, le comique, le polémique, l’épique, le lyrique, l’épidictique, le satirique, le pathétique, l’oratoire, le didactique...

1. Le récit : le roman, la nouvelle

Ils se définissent par la prédominance du discours narratif.

Le mot désigne au Moyen Âge un récit versifié en langue romane (langue vulgaire, par opposition au latin). Depuis le XVIIe siècle, il désigne une œuvre narrative en prose racontant des actions imaginaires. Genre dominant au XIXe siècle, le roman demeure très vivant au XXe siècle : n’étant pas défini par des contraintes rigoureuses, il aborde les sujets les plus variés.

Le genre romanesque se divise en de nombreux sous-genres :– roman psychologique (importance des caractères) ;– historique (cadre d’une époque réelle) ;– régionaliste (cadre local typé) ;– fantastique (qui introduit le surnaturel dans le monde réel) ;– épistolaire (par lettres) ;– policier, d’aventures, de science-fiction, etc.

La nouvelle et le conte sont des formes narratives brèves. La nouvelle vise plutôt la vraisemblance mais peut être fantastique ; le conte (merveilleux, fantastique, philosophique...) ne recherche pas le réalisme.

2. Le théâtre

Au théâtre, on représente l’action au lieu de la raconter. Ce sont donc les paroles directes qui construisent l’action et caractérisent les personnages.

Le roman

La nouvelle

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33Séquence 2 – FR20

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odeLe discours théâtral s’adresse à la fois aux personnages sur scène et

aux spectateurs dont c’est le principe de la double énonciation. Des in-dications de mise en scène, les didascalies, sont destinées à informer lecteurs et metteurs en scène et ne sont pas prononcées lors de la re-présentation.

On distingue traditionnellement depuis l’Antiquité plusieurs genresthéâtraux dont la tragédie et la comédie.

codifiée au XVIIe siècle d’après les règles de l’Antiquité (« les trois unités » : d’action, de temps et de lieu ; les cinq actes), met en scène des personnages de rang élevé, confrontés à un destin exceptionnel. Le dénouement est en général malheureux. La tragédie fait appel au pathétique pour éveiller chez le spectateur « la crainte et la pitié ».

met en scène des personnages de condition modeste ou moyenne. Son dénouement est heureux. Elle cherche à susciter le rire. Elle se développe au XVIIe siècle, elle propose une représentation des mœurs et des caractères qui la distingue de la farce (fondée sur un comique plus grossier).

emprunte à la fois à la tragédie et à la comédie : drame bourgeois (Diderot, Beaumarchais au XVIIIe siècle) ; drame romantique (Hugo, Musset au XIXe siècle) qui se libère des règles et mélange les tons.

Au XXe siècle, ces trois appellations ne correspondent plus à des modèles bien définis ; c’est le terme de pièce qui est le plus souvent employé.

3. La poésie

La poésie se définit par un usage particulier du langage. Le texte poé-tique peut obéir à des contraintes de formes et de versification, ce qui fut le cas jusqu’au XIXe siècle ; elle peut aussi s’en affranchir pour construire une forme libre en vers ou en prose, comme le font de nombreux poètes modernes.

Les visées dominantes de la poésie sont d’émouvoir, de suggérer, par-fois de convaincre.

La poésie comprend traditionnellement plusieurs genres :– épique (récit d’événements héroïques) ;– lyrique (expression des sentiments personnels) ;– didactique (enseignement moral ou philosophique) ;– dramatique ( le théâtre, considéré longtemps comme une forme de

poésie).

Aux XIXe et XXe siècles, elle s’est assimilée surtout à la poésie lyrique.Les principaux sous-genres, depuis l’Antiquité, sont :– l’ode (poème lyrique au sujet grave) ;– la fable (fiction avec morale) ;– l’élégie (au sujet tendre et triste) ;– la satire (qui attaque les mœurs).

La tragédie

La comédie

Le drame

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34 Séquence 2 – FR20

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ode D’autres distinctions se fondent sur la versification (formes fixes,

comme le sonnet ou la ballade).

La poésie lyrique a défini ses formes au XVIe siècle (Ronsard, du Bellay). Elle s’est renouvelée, au XIXe siècle, chez les romantiques, les parnassiens, les symbolistes.

4. La littérature d’idées

Le discours dominant y est le discours argumentatif. La visée essentielle est d’expliquer, de persuader et de convaincre. Il s’agit d’œuvres en prose où l’auteur propose jugement et réflexions.Ainsi, au moyen d’une argumentation, il développe, expose et défend une position.

On peut distinguer, en particulier :

l’auteur, dans une œuvre en prose ne relevant pas de la fiction, formule ses réflexions sur les problèmes dont il traite, et il s’efforce de convaincre ses destinaires du bien-fondé de ses positions.

l’auteur déclare quels sont ses choix esthétiques, pourquoi il a écrit son œuvre.

c’est une déclaration dans laquelle l’auteur présente ses conceptions, ses objectifs.

œuvre souvent brève, elle s’en prend avec violence à un système, une institution, des personnes. L’argumentation est souvent moins ration-nelle que caricaturale.

La notion de registre et les différents registres seront étudiés au fur et à mesure des séquences pour éclairer les textes au programme.

5. Le biographique

Il regroupe les œuvres qui rendent compte du cours d’une vie. On peut distinguer en particulier :

l’auteur raconte la vie d’un autre que lui, choisie pour l’intérêt qu’elle représente.

l’auteur raconte sa propre vie, en donnant pour vrai tout ce qu’il rapporte (pacte autobiographique).

textes écrits au jour le jour, donc discontinus. En principe, ils ne sont pas destinés à être publiés.

un auteur raconte les événements historiques dont il a été témoin ou acteur.

L’essai

La préface

Le manifeste

Le pamphlet

La biographie

L’autobiographie

Le journal intime

Les mémoires

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35Séquence 2 – FR20

Corrigés des exercicesCorrigé de l’exercice n° 1

Observez bien le mouvement de la foule dans les deux gravures : les personnages s’éloignent du léopard dans la première, entourent le singe dans la seconde, marquant la lassitude qu’inspire le premier et le succès du second. Dans la première, les personnages sortent en file indienne de la baraque de foire, dans la seconde, ils forment un cercle autour du singe. Suivez en particulier le jeu des regards : les personnages inclinent la tête vers le singe dans la seconde gravure, mais se regardent les uns les autres, ou regardent ailleurs dans la première. La composition des images reflète donc les succès inégaux des deux animaux.

Corrigé de l’exercice n° 2

Arrias est un personnage qui croit et affirme tout savoir : c’est un « homme universel », qui affirme que ses connaissances sont sans limites, puisqu’il « a tout lu, a tout vu ». Ce n’est bien sûr pas le cas, mais son arrogance (« avec plus de confiance ») le pousse à s’en convaincre et à en convaincre de force les autres (il « veut le persuader ainsi »). C’est un menteur (« il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose »), défaut qui amène la chute amu-sante de la fin du texte, où il est démasqué par le véritable Sethon. C’est aussi un convive déplorable, qui coupe la parole de force et nuit donc à toute conversation agréable (« il prend la parole, et l’ôte »), et dont l’humour douteux ne fait rire que lui. Sa façon de rire d’ailleurs (« jusqu’à éclater ») est grossière et dessert également un échange harmonieux entre les convives.

2 Comme le Léopard de la fable, Arrias est un homme dont la compagnie n’est pas agréable : l’un « lasse », l’autre agace. Ils sont tous deux va-niteux, pour des raisons différentes, n’ont pas de véritables talents, mais s’imposent aux autres avec arrogance. Enfin, leur conversation est sans brillant : le Léopard n’a pas d’esprit, Arrias monopolise la conversation.

3 La littérature se fait bien souvent le reflet de ce qu’une époque aime ou repousse, que ce soit dans la société en général ou chez les indivi-dus en particulier. Elle est à la fois un constat des défauts et des vices du temps, et le lieu où s’affirme et se construit la figure de l’homme tel qu’il devrait être – et qu’il n’est souvent pas ! Au XVIIe, le siècle du classicisme, un idéal se fait jour, celui de l’« honnête homme » :

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36 Séquence 2 – FR20

cet idéal humain reprend et prolonge celui de l’humanisme du siècle précédent, dont on pouvait percevoir les traits par exemple chez Montaigne ou Rabelais. L’« honnête homme » préfigure également l’idéal qui sera celui des Lumières (voir Fiche méthode) : du XVIe au XVIIIe siècle, la figure de l’individu idéal se construit donc avec une belle continuité.

Un « honnête homme » – qui au XVIIe, ne l’oublions pas, est un homme qui vit souvent à la Cour ! – se doit d’être sociable : il doit savoir dan-ser, converser agréablement, être spirituel et courtois… et bien sûr cultivé, voire savant, mais jamais pédant (on reconnaît ici le Singe de la fable de La Fontaine !). Il est aussi raisonnable et rigoureux dans sa pensée, et toujours tolérant et ouvert à la nouveauté. Il recherche le juste milieu et la mesure dans ses actes et ses paroles, et n’est pas dominé par l’amour-propre. Enfin, tout son comportement doit être empreint d’aisance et de naturel. On comprendra que cet homme sage et raffiné, qui se contraint pour plaire aux autres, reflète le désir d’une vie en société harmonieuse et agréable.

Arrias est l’antithèse, c’est-à-dire l’opposé, de cet idéal, car il est pé-dant (sans être véritablement cultivé pour autant), sa conversation est pesante, sa malhonnêteté intellectuelle est patente, il est vaniteux, se met perpétuellement en avant et s’impose aux autres, enfin, son comportement est grossier et excessif.

Corrigé de l’exercice n° 3

Daumier se moque ici des magistrats, et les représente en train de dormir en pleine plaidoirie du procureur. Les trois juges siégeant à la cour d’appel sont indifférents à marche de la justice qu’ils sont censés rendre, et leurs attitudes corporelles de plus en plus avachies s’oppo-sent à la véhémence oratoire du procureur, le bras tendu et le regard plein de passion. Ce contraste fait sourire le spectateur de la gravure, et n’en dénonce que mieux certains dysfonctionnements de la justice.

Corrigé de l’exercice n° 4

Montesquieu se livre ici à une satire des Parisiens, et de leur façon de se comporter dans l’espace social qu’est la rue. Sa description commence par une présentation de la ville – sa taille, ses maisons –, qui explique la foule que croise Rica dans les rues : « Tu juges bien qu’une ville bâtie en l’air, qui a six ou sept maisons les unes sur les autres, est extrême-ment peuplée ; et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s’y fait un bel embarras ». La satire porte précisément sur la précipita-tion exagérée des Parisiens : « ils courent ; ils volent », qui courent plus qu’ils ne marchent : « je n’y ai encore vu marcher personne ». La critique porte également sur le peu de cas que les gens font les uns des autres («…qu’on m’éclabousse depuis les pieds jusqu’à la tête »), voire sur la brutalité dont les habitants font preuve (« les coups de coude que je

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37Séquence 2 – FR20

reçois régulièrement et périodiquement »), et enfin sur l’étourdissement et l’épuisement que provoque une promenade dans la capitale : « un homme, qui vient après moi, et qui me passe, me fait faire un demi-tour ; et un autre, qui me croise de l’autre côté, me remet soudain où le pre-mier m’avait pris : et je n’ai pas fait cent pas, que je suis plus brisé que si j’avais fait dix lieues ».Mais la critique – qui est celle de Montesquieu lui-même, on peut le sup-poser – est exprimée par la bouche d’un personnage non français mais persan, qui décrit Paris avec l’étonnement que l’on éprouve lorsqu’on arrive en un pays dont les mœurs et les coutumes sont étrangères. Par le biais de ce regard naïf, le comportement des Parisiens semble comique : ils ne semblent même plus marcher (« je n’y ai encore vu marcher per-sonne »), et paraissent pris de folie collective…Nous avons donc bien affaire ici à une description satirique, qui critique un fait social - un travers des habitants de Paris - en usant de l’humour : la satire rejoint l’art du plaire (placere, cf. chapitre 1), mis au service de l’argumentation.

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38 Séquence 2 – FR20

« Bas les masques » : la satire du pouvoir à l’époque des Lumières

Chapitre

3

Point histoire littéraire : les Lumières

On désigne, sous l’appellation de Lumières, un vaste mouvement philo-sophique et scientifique qui domina le monde des idées dans l’Europe de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le mouvement des Lumières tire son nom de la volonté des philosophes du XVIIIe s. européen de com-battre les ténèbres de l’ignorance par la diffusion du savoir. L’Encyclo-pédie, dirigée par Diderot et d’Alembert, est le meilleur symbole de cette volonté de rassembler toutes les connaissances disponibles et de les répandre auprès du public éclairé.

Certains philosophes interviennent dans des affaires judiciaires (cf. l’af-faire Calas présentée dans le ch.3-B) et militent pour l’abolition des peines infamantes, de la torture et de l’esclavage. Diffusées dans les salons, les cafés et les loges maçonniques, les idées des Lumières sont consacrées par les œuvres des philosophes, des écrivains et des savants. Les princi-paux représentants des Lumières sont, en France, Montesquieu, Voltaire, Diderot, Jean-Jacques Rousseau, les Encyclopédistes, Condillac, et Buffon.

Les philosophes dénoncent dans les religions et les pouvoirs tyran-niques (cf. texte de Candide pour la religion, de Montesquieu pour la religion et le pouvoir) des forces obscurantistes responsables de l’ap-parition du mal dans un monde où l’homme aurait dû être heureux : il s’agit donc de rechercher ici-bas le bonheur individuel. Ces positions conduisent par exemple Voltaire à promouvoir une religion déiste.

En matière politique, les Lumières font la critique de l’absolutisme et lui préfèrent le despotisme éclairé en modèle de gouvernement. Il s’agit, au sein d’une société aux fondements renouvelés, de favoriser le progrès économique et la diffusion de l’enseignement, de combattre tous les préjugés pour faire triompher la raison.

Cette nouvelle vision de l’homme et du monde, qui témoigne d’un op-timisme fondé sur la croyance dans le progrès de l’humanité, les philo-sophes la défendent en écrivains militants. Leur combat s’incarne dans la pratique de formes brèves, faciles à lire et susceptibles d’une vaste diffusion : lettres, contes, pamphlets… Les registres employés sont sou-vent ceux qui vous ont été présentés dans cette séquence : satirique, polémique et oratoire, tous trois adaptés à l’argumentation, à la critique de l’ordre établi et à la littérature de combat.

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39Séquence 2 – FR20

La critique politique et religieuse

Texte 3 :

Montesquieu, Lettres persanes

Charles-Louis de Secondat, baron de Montesquieu (1689-1755), appar-tient à la noblesse ; sa famille est originaire de la région de Bordeaux, mais il est élevé en région parisienne, et devient avocat. En plus de sa fonction de magistrat, il écrit des dissertations et des mémoires, sur des sujets très variés (entre autres scientifiques) qui témoignent de sa curio-sité et de son ouverture d’esprit. Il fréquente les salons parisiens, qui réservent un très bon accueil aux Lettres persanes (1721). Montesquieu participe à l’effervescence intellectuelle et sociale de la Régence1. Il pu-blie en 1748 De l’esprit des lois, qui fut un immense succès, et témoigne de sa réflexion sur la société, sa constitution, son histoire… Il meurt en 1755 à Paris.

Dans les Lettres persanes, deux grands seigneurs persans, Usbek et Rica, quittent Ispahan pour un voyage qui les conduit jusqu’en France. Ils échangent une correspondance avec leurs proches restés en Perse : les Lettres persanes sont constituées de ces lettres, et sont donc un roman épistolaire, qui permet à l’auteur de faire découvrir au lecteur la vie so-ciale et politique de l’époque à travers le regard distancié, parfois naïf, souvent ironique, d’étrangers fictifs à la provenance exotique.

Dans les « Documents et lectures complémentaires » du Ch.2-B, vous avez découvert la critique sociale que formule Rica au sujet des Parisiens (n’est-elle pas encore valable ?...). La suite de ce texte (lettre XXIV) est reproduite ci-dessous.

Rica à Ibben, à Smyrne2.

« (…) Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des mœurs et des coutumes européennes : je n’en ai moi-même qu’une lé-gère idée, et je n’ai eu à peine que le temps de m’étonner3.

Le roi de France4 est le plus puissant prince de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne, son voisin ; mais il a plus de ri-chesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépui-sable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n’ayant d’autres fonds que des titres d’honneur à vendre5 ; et,

A

1. La Régence (1715-1723), dans l’histoire du Royaume de France, fait référence à la période de régence instau-rée à la mort de Louis XIV (1715) à cause du trop jeune âge de son héritier désigné : Louis XV, qui n’a que cinq ans. Cette période est remarquable par son progressisme, mais la crédibilité de l’État est affaiblie. C’est le début de l’époque des Lumières.

2. Actuelle Izmir, en Turquie.3. Sens fort aux XVIIe-XVIIIe siècles : « frapper de stupeur »4. Il s’agit de Louis XIV.5. Allusion à la pratique de la vénalité des charges, qui permet d’acheter un titre.

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par un prodige de l’orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes équipées. D’ailleurs, ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut. S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor, et qu’il en ait besoin de deux, il n’a qu’à les persuader qu’un écu en vaut deux1 ; et ils le croient. S’il a une guerre difficile à soutenir, et qu’il n’ait point d’argent, il n’a qu’à leur mettre dans la tête qu’un morceau de pa-pier est de l’argent2 ; et ils en sont aussitôt convaincus. Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux, en les touchant, tant est grande la force et la puissance qu’il a sur les esprits.

Ce que je dis de ce prince ne doit pas t’étonner : il y a un autre magicien plus fort que lui, qui n’est pas moins maître de son esprit qu’il l’est lui-même de celui des autres. Ce magicien s’appelle le pape : tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu’un3 ; que le pain qu’on mange n’est pas du pain, ou que le vin qu’on boit n’est pas du vin4, et mille autres choses de cette espèce.

Et, pour le tenir toujours en haleine et ne point lui laisser perdre l’habi-tude de croire, il lui donne de temps en temps, pour l’exercer, de certains articles de croyance. Il y a deux ans qu’il lui envoya un grand écrit qu’il appela Constitution5, et voulut obliger, sous de grandes peines, ce prince et ses sujets de croire tout ce qui y était contenu. Il réussit à l’égard du prince, qui se soumit aussitôt, et donna l’exemple à ses sujets ; mais quelques-uns d’entre eux se révoltèrent, et dirent qu’ils ne voulaient rien croire de tout ce qui était dans cet écrit. Ce sont les femmes qui ont été les motrices de toute cette révolte qui divise toute la cour, tout le royaume et toutes les familles. Cette constitution leur défend de lire un livre que tous les chrétiens disent avoir été apporté du ciel : c’est proprement leur Alcoran6 (…) ».

De Paris, le 4 de la lune de Rebiab, 2, 1712 (Juin).

1. Pour aborder la lecture analytique

Après avoir écouté le texte sur votre CD audio, lisez-le vous-même à voix haute avant de répondre aux questions ci-dessous.

Questions

Quels sont selon le narrateur les pouvoirs du roi de France ? Et ceux du pape ? Quels sont les points communs entre eux deux ?

1. Le roi avait le pouvoir de dévaluer la monnaie.2. Le premier papier monnaie fut crée en 1701.3. Allusion au dogme de la Sainte Trinité.4. Allusion au dogme de l’Eucharistie.5. La bulle Unigenitus qui en 1713 condamnait le jansénisme. (Une bulle est une lettre patente du pape avec le

sceau de plomb, désignée par les premiers mots du texte et contenant ordinairement une constitution générale).6. C’est-à-dire, dans la langue des XVIIe / XVIIIe siècles, le Coran.

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2 Expliquez le sens de la phrase « Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux, en les touchant » : à quoi est-il fait allusion ici ?

3 Comment s’exprime l’étonnement de Rica face à ce qu’il perçoit des pouvoirs du roi et du pape ?

4 Que dénoncent les propos du narrateur ?

5 En quoi peut-on dire que ce texte est une satire ? Quelle est la straté-gie argumentative adoptée par Montesquieu ?

6 Pouvez-vous retrouver dans ce texte des thèmes ou des enjeux chers à la philosophie des Lumières ?

Éléments de réponse

Le roi comme le pape ont en commun le pouvoir de manipuler les esprits, ceux de ses sujets pour le roi, ceux des fidèles (c’est-à-dire tout le monde à l’époque !) pour le pape. Le lexique de la croyance est très présent : on retrouve le terme de « magicien » employé dans les deux cas, ainsi que les mots et expressions « et ils le croient », « et ils en sont aussitôt convaincus » (la répétition de la conjonction de coordination « et » en tête de proposition permet d’insister sur l’im-médiateté de la croyance provoquée par le roi), « Il va même jusqu’à leur faire croire », « il lui fait croire », « certains articles de croyance ».

Il s’agit même plus que de croyance bien sûr : il est question de la naïveté des sujets, et du cynisme du roi et du pape, qui n’hésitent pas à mentir et à tromper pour parvenir à leurs fins, c’est-à-dire emplir les caisses du royaume afin d’enrichir la royauté et de pouvoir mener des guerres pour l’un, d’asseoir son emprise sur les esprits par une croyance absolue et non contestée en la foi catholique pour le second.

2 « Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux, en les touchant » : il est ici question de la thaumaturgie. Du grec « celui qui fait des tours d’adresse », le thaumaturge est à l’époque chrétienne « celui qui fait des miracles », le terme s’appliquant essen-tiellement aux miracles de guérison. Dans la foi chrétienne, le premier thaumaturge est le Christ, dont de nombreuses guérisons miracu-leuses sont relatées dans les Évangiles. Selon une tradition profane (et non selon la foi catholique !), les rois de France étaient censés guérir les écrouelles7 par le toucher, en prononçant la phrase « Le Roi te touche, Dieu te guérit ». Cette tradition se retrouve dans d’autres monarchies européennes.

Il s’agit ici d’une allusion à une tradition qui n’a rien de rationnel, et qui témoigne de la naïveté du peuple évoquée plus haut (cf. ques-

7. écrouelles : nom désuet d’une maladie d’origine tuberculeuse ; abcès provoqué par cette maladie.

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tion ) dont profite le roi pour accroître sa domination incontestée en faisant mine de posséder des pouvoirs d’ordre divin.

3 Rica est stupéfait devant les pouvoirs du roi et du pape, qu’il perçoit comme sans limites et comme surnaturels : il parle ainsi de « pro-dige », terme qui a un sens fort, et de « magicien », deux mots qui présentent le roi et le pape comme des personnages étonnants, et qui font de Rica un spectateur au regard enfantin et émerveillé de-vant des phénomènes qu’il ne comprend pas. Il témoigne d’ailleurs de son incompréhension face aux mœurs européennes au début du texte, par la phrase : « je n’en ai moi-même qu’une légère idée, et je n’ai eu à peine que le temps de m’étonner ». Rica affirme ici qu’il est difficile pour lui de tout comprendre à une culture qui est bien loin de la sienne (il est Persan), et qui l’étonne – verbe au sens très fort au XVIIIe siècle, qui signifie « frapper de stupeur ». Cette incompréhen-sion est marquée par les rythmes ternaires (par exemple « ses troupes se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes équipées »), et explique la façon dont il rend compte du mystère de La Trinité et de l’Eucharistie (« tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu’un ; que le pain qu’on mange n’est pas du pain, ou que le vin qu’on boit n’est pas du vin (…) ». Par le biais de ce regard étranger, Montesquieu peut présenter le roi et le pape avec humour et ironie.

4 Les propos du narrateur (et à travers lui, Montesquieu lui-même !) dé-noncent les excès du pouvoir royal et du pouvoir papal, ainsi que cer-tains états de la société.

Tout d’abord, comment ne pas sourire de la naïveté populaire qui permet au roi de s’enrichir, « de la vanité de ses sujets », ou de leur soumission ? En recourant à l’expression familière « il n’a qu’à (les persuader qu’un écu en vaut deux) », l’auteur souligne la facilité avec laquelle le souverain parvient à duper – c’est un « magicien » – ses su-jets. La prétendue richesse du royaume ne repose en réalité sur rien : « Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne, son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines ». Son autorité est celle d’un usurpateur, qui fait croire ce qui n’est pas à un peuple peu instruit, qui manque d’esprit critique et de moyen de contestation.

Ce dernier est d’ailleurs présenté par Montesquieu comme la princi-pale victime de la manipulation royale. Plusieurs expressions témoi-gnent des facultés de manipulation du monarque, que Rica présente comme un profiteur désireux de s’enrichir (« S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor, et qu’il en ait besoin de deux (…), « S’il a une guerre difficile à soutenir, et qu’il n’ait point d’argent (…) »). Sont aus-si évoquées les guerres qui ruinent le pays (« On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n’ayant d’autres fonds que des titres d’honneur à vendre (…) », « S’il a une guerre difficile à soutenir, et qu’il n’ait point d’argent (…) »), et la vente des « titres d’honneur », c’est-à-dire des titres de noblesse, charges et offices qui n’ont d’autre

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fonction que d’alourdir les caisses du souverain en renforçant l’admi-nistration du royaume. Il n’est pas jusqu’à la politique particulière-ment dépensière de Louis XIV qui ne soit l’objet de critiques : de 1689 à 1715, plus de quarante dévaluations, destinées à faciliter le rem-boursement de la dette du pays, ont eu lieu – elles sont évoquées par la phrase « S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor, et qu’il en ait besoin de deux, il n’a qu’à les persuader qu’un écu en vaut deux ; et ils le croient ». Toutes ont affecté les pauvres du royaume. C’est donc la gestion du royaume de France qui est critiquée.

N’oublions pas la vanité des courtisans (déjà soulignée par La Fon-taine dans le texte 1) qui en achetant les titres de noblesse remplis-sent les caisses du royaume : le roi, en plus de l’ignorance du peuple, entretient une noblesse avide de paraître.

En faisant allusion au toucher des écrouelles et aux pouvoirs thauma-turgiques du roi, l’auteur s’attaque également aux fondements de la monarchie de droit divin. Le roi est un « grand magicien » parce qu’on le croit d’essence divine. L’ignorance est ainsi présentée comme le véritable fondement de la monarchie : sans elle, les mensonges du roi seraient démasqués.

C’est bien sûr aussi à la religion catholique que s’attaque l’auteur, à travers la critique de la thaumaturgie, puis à travers le portrait critique du pape. Ce dernier est présenté lui aussi comme un manipulateur (« il y a un autre magicien plus fort que lui, qui n’est pas moins maître de son esprit qu’il l’est lui-même de celui des autres »), qui impose par la force voire la violence (« ( …) et voulut obliger, sous de grandes peines, ce prince et ses sujets de croire tout ce qui y était contenu ») des décisions qui sont des ferments de division et de discorde : «… cette révolte qui divise toute la cour, tout le royaume et toutes les familles ». Les articles de la foi catholique sont tournés en ridicule : « tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu’un ; que le pain qu’on mange n’est pas du pain, ou que le vin qu’on boit n’est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce ». Sont visés dans cette phrase la sainte Trinité, et la transsubstantiation8 du sang et du corps du Christ en vin et en pain, auxquels il est fondamental de croire sans contesta-tion possible. C’est donc la croyance religieuse non rationnelle en des faits indémontrables érigés en dogmes que critique Montesquieu.

5 Rappelons que la satire est un texte dont le rôle est d’amuser tout en soulignant les faiblesses de la condition humaine et les misères de la vie sociale. Ici, la description de Rica fait sourire le lecteur, qui reconnaît ce qui lui est familier – la gestion du royaume, les pou-voirs du roi, ceux du pape – mais qui, présenté avec recul, paraît ridicule : l’objectif de Montesquieu est ainsi de souligner les dé-fauts de son temps, pour les dénoncer et faire réfléchir le lecteur.

8. La transsubstantiation est, littéralement, la transformation d’une substance en une autre. Le terme désigne, pour les chrétiens la transformation du pain et du vin en chair et sang du Christ lors de l’Eucharistie, moment fondamental de la messe.

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Il adopte une stratégie argumentative chère au siècle des Lumières, qui consiste à faire émettre la critique sociale que l’on veut exprimer par le biais d’un personnage étranger au milieu dans lequel il se trouve soudain placé (pensez par exemple à Candide, à Zadig, à l’In-génu de Voltaire !). C’est une stratégie indirecte, qui permet à l’auteur de se protéger en utilisant son personnage – ici, Rica – comme porte-voix : n’oubliez pas que critiquer la monarchie ou l’Église entraînait de graves peines à l’époque ! Elle permet également au lecteur d’acqué-rir des outils intellectuels pour critiquer – au sens de « faire un exa-men critique » et non de « blâmer » – la société dans laquelle il vit, en faisant apparaître clairement ses dysfonctionnements. Enfin, comme toute satire, Montesquieu veut amuser et non seulement instruire ou dénoncer : la description des « tours de magie » du roi et du pape sont un bon moyen de mettre le lecteur de son côté, par les procé-dés de l’exagération que crée le regard faussement innocent de Rica.

6 Avec les autres auteurs du mouvement dit des Lumières (voir Fiche méthode), Montesquieu s’attache à dénoncer les excès du politique et du religieux ; ici, il s’est agi des dépenses engagées par le roi, des guerres coûteuses, des dévaluations successives qui sapent l’éco-nomie du royaume, de la création du papier-monnaie perçu comme une tromperie, de l’absence de véritables ressources du pays, de la naïveté du peuple qui croit aux pouvoirs de thaumaturge du souve-rain, de la manipulation des esprits à laquelle se livrent le roi et le pape, et des dogmes irrationnels que ce dernier impose par la force. Plus généralement, ces attaques ont pour but d’inciter à un esprit critique : chacun doit ne pas être dupe des mensonges du pouvoir, comprendre de quelle façon le pays est véritablement gouverné, et se libérer des dogmes imposés par l’Église. On retrouve donc l’idéal des Lumières (cf. Fiche méthode), qui cherchent la vérité au-delà des systèmes sociaux et religieux bridant la connaissance et la liberté, en usant ici d’une arme littéraire, la satire, dans laquelle l’auteur sou-ligne les ridicules et grossit les traits. Vous percevez bien ici le danger de contestation que représentaient les Lumières pour les institutions de l’époque !

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2. Documents et lectures complémentaires

Exercice autocorrectif n° 1

Analyse de l’image : un portrait officiel

Hyacinthe Rigaud, Portrait en pied de Louis XIV âgé de 63 ans en grand costume royal, 1702. (C) RMN (Château de Versailles) / Daniel Arnaudet / Gérard Blot.

Répondez aux questions suivantes :

Quelle est l’attitude du roi ? Quelle est l’expression de son visage ?

2 Quel costume porte le roi ? Décrivez le décor. Comment le roi est-il mis en valeur ?

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3 Quelle impression se dégage d’un tel portrait ? Quelles caractéris-tiques du pouvoir royal ici symbolisé retrouvez-vous dans le texte de Montesquieu ?

Entraînement à l’écrit :la dissertation (1)

Quel est, selon vous, l’intérêt d’argumenter de façon indirecte, par exemple à l’aide de récits imagés ? Pour répondre à cette question, vous prendrez appui sur les textes de la séquence et sur les textes argumenta-tifs que vous avez lus ou étudiés.

Première étape de la dissertation : recherche préalable sur le sujet (l’inventio)

Exercice autocorrectif n° 2

Suivez la démarche à adopter en répondant aux questions suivantes :

Expliquez le sujet posé, en le reformulant avec vos propres mots si besoin est. Analysez les termes du sujet avec précision pour savoir de quoi exactement on vous demande de parler :E De quel thème/ domaine littéraire vous demande-t-on de traiter ?E Le sujet vous demande-t-il de comparer deux positions (sujet com-

paratiste), de réfléchir sur une question, sur un texte précis ?.…

2 Recherchez des idées et des exemples et utilisez les textes de la sé-quence et d’autres que vous avez pu lire par ailleurs.

3 Établissez une problématique : quel est le problème posé ? quelle(s) réponse(s) lui apporter ?

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé de l’exercice.

B

Pour composer une dissertation, il faut travailler en plusieurs étapes :E il s’agit dans un premier temps de comprendre le sujet, de l’analyser, de chercher des idées

pour en envisager les implications ;E dans un second temps, d’élaborer un plan en organisant ses idées ;E puis enfin, de rédiger le devoir intégralement.

Vous aurez reconnu les trois étapes de la rédaction d’un discours que nous avons vues dans le Chap. 1 de cette séquence : l’inventio, la dispositio, et l’elocutio !

➠ Nous allons suivre ces trois étapes, pour élaborer progressivement une dissertation rédigée.

Méthodologie

Voici donc un sujet de

dissertation

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Corrigés des exercicesCorrigé de l’exercice n° 1

Dans ce portrait officiel très célèbre de Louis XIV, grâce auquel le peintre fait preuve de sa virtuosité technique, Louis XIV est représenté à soixante-trois ans, en costume de sacre, l’épée royale au côté, la main appuyée sur le sceptre et la couronne posée sur un tabouret der-rière lui.Rappelons que Louis XIV dans sa jeunesse aimait et pratiquait la danse (que nous qualifions aujourd’hui de « baroque ») : ici, sa pos-ture (les jambes exposées en quatrième position selon le lexique du ballet classique, souples et gainées de bas de soie) permet de remé-morer le gracieux souverain solaire des années 1660-70, brillant mé-cène régnant sur une cour nouvelle. Sa pose est assez supérieure et compassée : le monarque s’efforce de donner à son visage empâté le port de tête du danseur qu’il fut, mais son grand âge transparaît malgré tout.

2 Le roi a ici revêtu son costume de sacre, ce qui contribue à le gran-dir un peu plus. Ce costume royal est imposant et semble à lui seul envahir une partie du tableau. Louis XIV est peint en pied sur une es-trade devant son trône, et porte en outre une haute perruque et des escarpins à talons, accessoires qui lui confèrent élégance et noblesse. Le traitement des étoffes est particulièrement raffiné - quoique sur-chargé - et rappelle la grandeur du règne du souverain.Derrière lui s’élève une colonne sur un piédestal, signe de la dignité et de la solidité du pouvoir. Le cadre du tableau est dédoublé par un cadre interne, un dais pourpre en forme de baldaquin, qui forme comme une scène de théâtre sur laquelle le jeu du pouvoir royal prend place et qui permet de glorifier la personne royale.

3 On retire de ce tableau l’impression d’un monarque sûr de lui et de sa puissance, imposant, mais en même temps vieillissant. Ce sentiment de la supériorité du Roi créé par Rigaud chez le spectateur grâce à une symbolique claire et une mise en scène spectaculaire évoque la carac-téristique première du règne de Louis XIV, l’absolutisme : le roi est à la tête du royaume et le domine de sa puissance et de sa dignité ; son règne est celui qui voit tous les pouvoirs concentrés dans les mains d’un seul, le monarque absolu. Le jeune Louis XIV aurait d’ailleurs af-firmé au parlement en avril 1655 : « L’État, c’est moi ».On retrouve dans le texte de Montesquieu une allusion à cette puis-sance de Louis XIV — « Le roi de France est le plus puissant prince

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de l’Europe » —, et au pouvoir absolu qu’il exerçait. Montesquieu en critique d’ailleurs les excès : quoi que veuillent ses sujets, il leur im-pose ce qui lui plaît (« son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut »), bridant par là toute contestation ; son pouvoir allait même (en théorie !) jusqu’à agir sur la psychologie de son peuple, lequel croyait selon la tradition au pouvoir de thau-maturge du roi (« Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux, en les touchant, tant est grande la force et la puissance qu’il a sur les esprits »), croyance que dénonce ici avec ironie l’auteur.

Corrigé de l’exercice n° 2

Entraînement à la dissertation (1)

Les mots-clefs du sujet sont « argumenter », et « de manière indi-recte », qui s’oppose de façon sous-entendue à « de manière di-recte ». Le premier mot nous renvoie à l’objet d’étude de la séquence : l’argumentation. Le domaine littéraire concerné est donc l’argumen-tation. L’autre mot-clef précise l’axe selon lequel il faut envisager ces textes argumentatifs : il est nécessaire de montrer les avantages des argumentations « indirectes », qu’il va falloir définir !

2 Penchons-nous sur le mot-clef du sujet : « argumentation indirecte ». Si l’on cherche à définir ce terme, on est amené à l’opposer à une argumentation directe : dans ce dernier cas, l’auteur ou le locuteur avance une position en la présentant clairement comme une argumen-tation en faveur de l’idée qu’il défend, ou contre une idée à laquelle il s’oppose ; on trouvera alors une démonstration pourvue d’arguments visant à convaincre sans passer par le biais d’un autre discours, par exemple dans l’essai ou le traité. C’est ici que le terme « indirect » peut s’éclairer : une argumentation qui utilise pour convaincre par exemple un récit, ou un personnage fictif, sera donc indirecte. L’argu-mentation indirecte vise, comme l’argumentation directe, à persuader et démontrer - puisque tel est le but de toute argumentation - mais elle refuse de prendre une voie trop abstraite ou aride, pour recourir à d’autres moyens, plus imagés.La séquence vous a fourni jusqu’à maintenant cinq exemples de textes d’argumentation indirecte :- le texte de La Fontaine : une fable est un récit imaginaire, donc n’éta-

blit pas directement une démonstration, mais la fait passer à travers une histoire accompagnée d’une moralité ;

- celui de Molière : l’auteur n’exprime pas directement sa critique, mais l’incarne dans un personnage de théâtre ;

- celui de La Bruyère (exercice autocorrectif 3) : le portrait d’Arrias est à lui seul une dénonciation de plusieurs travers humains ;

- enfin les deux textes de Montesquieu (ch.2-B, exercice autocorrectif et ch.3- A), dans lesquels l’auteur a recours au personnage du per-san Rica pour exprimer ses idées.

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➠ Dans ces cinq textes, aucune critique n’est frontale : les idées sont exprimées indirectement, par des récits ou des personnages mis au service de l’argumentation.

Cherchons maintenant des idées pour élaborer au moins deux grandes parties, si possible trois, en nous interrogeant tout d’abord sur les avantages de l’argumentation indirecte :

E sur le plan du contexte d’écriture des œuvres, en ne s’attaquant pas de front à sa cible, l’auteur peut plus sûrement échapper à la censure, voire à des peines plus lourdes (par exemple, Voltaire a été embas-tillé deux fois, plusieurs œuvres de Molière ont été soumises à la cen-sure…) ;

E il arrive aussi que le lecteur ne soit pas en position d’accepter une critique directe, trop violente ;

E sur le plan de l’argumentation, il est certain qu’un récit par exemple sera mieux compris qu’une démonstration logique !

E il est clair aussi que divertir par un récit imagé (fable), amusant (cf. le ridicule d’Arrias), ironique ou satirique (cf. critique des Parisiens par Rica) permet d’attirer l’attention du lecteur ;

E c’est aussi le moyen de plaire, d’amuser, bref de joindre l’utile à l’agréable, également par l’humour (ironie, satire) ;

E mais les argumentations indirectes n’en restent pas moins des moyens d’instruire, ou de faire passer des idées ou des critiques : les idées n’en sont pas absentes !

E pour faire passer ces idées, les auteurs ont souvent fait appel à un regard étranger, qui permet de voir les choses différemment…

E … et avec davantage d’objectivité !E pensez aussi aux registres qu’un auteur peut employer pour émouvoir

son lecteur comme le pathétique ;E ce mode d’argumentation permet aussi de faire réfléchir : l’auteur

peut nous fait réfléchir à différentes attitudes et à leurs conséquences, mais il est aussi nécessaire que le lecteur fasse acte d’interprétation par lui-même pour comprendre le message du texte ;

E enfin, une argumentation indirecte peut proposer une réflexion plus générale sur les grandes valeurs et les grandes thématiques philoso-phiques et sociales, voire atteindre à l’universalité.

3 Problématique : l’enjeu implicite qui se trouve derrière la question po-sée est de savoir distinguer les ressorts littéraires les plus efficaces pour emporter l’adhésion du lecteur :

- l’auteur doit-il avoir nécessairement recours à une voie indirecte ?

- en quoi est-ce que cela présente des avantages, mais peut-être aussi des inconvénients ?

- c’est également le fait de savoir comment composer un texte qui est en jeu : reviennent ici les notions vues dans le chap. 1, à savoir le docere, le movere et le placere ! (Révisez-les dès maintenant si nécessaire).

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Le combat contre l’obscurantisme

Chapitre

4

Une arme :la littérature polémiqueTexte 4

Voltaire, Candide (1759)

Né à Paris en 1694 dans une famille de commerçants récemment enri-chis, François-Marie Arouet fréquente tôt les salons parisiens. Son inso-lence et son indépendance d’esprit lui valent d’être emprisonné deux fois à la Bastille. Dès sa sortie de prison, il adopte le pseudonyme de Voltaire. Sous cette nouvelle identité, il va s’attacher à dénoncer et à combattre l’intolérance et l’obscurantisme sous toutes ses formes, entre autres par les Lettres philosophiques (1734), puis Zadig ou la Destinée (1748) et Micromégas (1752), qui sont deux de ses contes philosophiques. La tra-gique nouvelle d’un tremblement de terre à Lisbonne (1755), qui a fait vingt-cinq mille morts, émeut profondément Voltaire ; elle le pousse à attaquer les tenants de l’optimisme1 dans son Poème sur le désastre de Lisbonne (1756) et dans Candide (1759). Voltaire meurt en 1778.

Le texte ci-dessous est extrait du conte philosophique Candide (cha-pitre VI, texte intégral).Le jeune Candide, dont le nom reflète l’âme crédule et naïve, vit dans le « meilleur des mondes possibles » chez son oncle, le baron de Thunder-ten-Tronckh. Notre héros mène une existence heureuse dans cet univers idyllique. Tout bascule le jour des premiers ébats de Candide et de Cuné-gonde, la fille du baron dont est amoureux Candide. La réaction du baron est brutale : Candide est banni et chassé de cet Eden. Il se retrouve dans « le vaste monde », le monde réel, et connaît de nombreuses aventures accompagné de Pangloss. Au large de Lisbonne, leur navire subit une hor-rible tempête, dont Candide et Pangloss réchappent par miracle. Dès leur arrivée à Lisbonne se produit un épouvantable tremblement de terre. Can-dide et Pangloss participent aux opérations de sauvetage, mais nos deux héros sont arrêtés pour propos subversifs2 et déférés à l’Inquisition.

A

1. L’optimisme est une philosophie appréciée par certains philosophes des Lumières, et qui fut élaborée par Leib-niz en 1710 dans ses Essais de théodicée. Leibniz part du principe de la perfection et de la bonté divine. D’après lui, rien ne peut être aussi parfait que Dieu, donc le monde n’est pas parfait, or, comme Dieu est bon, le monde qu’il a créé est forcément le meilleur possible. Cette théorie a ensuite été simplifiée et critiquée par Voltaire dans Candide (dont le titre complet est d’ailleurs Candide ou l’Optimisme).

2. Subversif signifie « qui renverse, détruit l’ordre établi, qui est susceptible de menacer les valeurs reçues ». Les critiques faites par les écrivains des Lumières à l’encontre du régime politique ou de l’Église seront très souvent perçues comme subversives.

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51Séquence 2 – FR20

COMMENT ON FIT UN BEL AUTO-DA-FÉ POUR EMPÊCHER LESTREMBLEMENTS DE TERRE, ET COMMENT CANDIDE FUT FESSÉ.

Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lis-bonne, les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé3 ; il était décidé par l’université de Coïmbre4 que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un se-cret infaillible pour empêcher la terre de trembler.

On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d’avoir épousé sa commère5, et deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard6 : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l’un pour avoir parlé7, et l’autre pour avoir écouté avec un air d’approbation : tous deux furent menés séparément dans des appartements d’une extrême fraîcheur, dans lesquels on n’était ja-mais incommodé du soleil ; huit jours après ils furent tous deux revêtus d’un san-benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier : la mitre et le san-benito8 de Candide étaient peints de flammes renversées et de diables qui n’avaient ni queues ni griffes ; mais les diables de Pangloss portaient griffes et queues, et les flammes étaient droites. Ils marchèrent en procession ainsi vêtus, et entendirent un sermon très pathétique, sui-vi d’une belle musique en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant qu’on chantait ; le Biscayen et les deux hommes qui n’avaient point voulu manger de lard furent brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume. Le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable.

Candide, épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait à lui-même : « Si c’est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? Passe encore si je n’étais que fessé, je l’ai été chez les Bulgares. Mais, ô mon cher Pangloss ! le plus grand des philosophes, faut-il vous avoir vu pendre sans que je sache pourquoi ! Ô mon cher ana-baptiste, le meilleur des hommes, faut-il que vous ayez été noyé dans le port ! Ô Mlle Cunégonde ! la perle des filles, faut-il qu’on vous ait fendu le ventre ! »

Il s’en retournait, se soutenant à peine, prêché, fessé, absous et béni, lorsqu’une vieille l’aborda et lui dit : « Mon fils, prenez courage, suivez-moi ».

Voltaire, Candide ou l’Optimisme, chapitre VI

3. Le terme « auto-da-fé » (littéralement « acte de foi ») désignait à la fois la proclamation d’un jugement prononcé par l’Inquisition et le châtiment qui lui faisait suite, le plus souvent la mort par le feu.

4. Ville du Portugal ; l’Université avait été fondée en 1307.

5. L’Église catholique interdisait le mariage entre le parrain et la marraine (la commère) du même enfant baptisé.

6. La religion juive prescrit qu’on s’abstienne de manger du porc.

7. L’optimisme de Pangloss l’avait rendu suspect aux yeux de l’Inquisition, parce qu’il semblait nier le dogme du péché originel.

8. Casaque jaune qui faisait partie des signes infâmants dont on affublait les condamnés.

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52 Séquence 2 – FR20

1. Pour aborder la lecture analytique

Après avoir écouté le texte sur votre CD audio, lisez-le vous-même à voix haute avant de répondre aux questions ci-dessous.

Questions

Mise en contexte

a) Qu’est-ce qu’un conte philosophique ? Quelles sont les caractéris-tiques de ce genre littéraire ?

b) Qu’était l’Inquisition ?

c) En vous aidant de la biographie de Voltaire ci-dessus, dites à quel événement historique l’auteur fait allusion dans le texte (ligne 1).

2 L’art du récit

Étudiez la structure du récit ; faites apparaître la rapidité, la concision, l’efficacité de ce très bref récit.

3 Que dénonce le narrateur dans ce texte ?

4 Quel est le registre dominant employé ? Aidez-vous de la fiche mé-thode sur les registres située ci-après.

5 Quel est l’objectif visé et quelles sont les armes employées par l’au-teur dans ce texte ?

Éléments de réponse

a) Un conte philosophique est un récit fictif, écrit par l’auteur dans le but de peindre une critique de la société. Ce texte est rédigé sous la forme d’un conte, souvent pour se soustraire à la censure (rappe-lez-vous que Voltaire a déjà été embastillé !). On y retrouve donc les caractéristiques du genre du conte, qui est un récit de faits, d’aven-tures imaginaires, destiné à distraire (pensez aux contes de Per-rault, comme le Petit chaperon rouge). Ainsi, Candide commence par la phrase « Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh,…. », incipit9 typique des contes tra-ditionnels. L’auteur a recours au conte pour transmettre des idées et des concepts à portée philosophique. Puisque le récit est ima-ginaire, l’auteur feint de porter un regard objectif sur les hommes, ainsi que le fit Montesquieu dans les Lettres persanes, pour mieux dénoncer ce qu’il condamne. Ainsi Voltaire dans Candide pousse le lecteur à prendre conscience des travers de l’homme et de l’omni-présence du mal sur terre, s’opposant à la théorie de l’optimisme de Leibniz (qui se trouve caricaturé sous les traits de Pangloss).

9. L’incipit (du latin « il commence ») constitue le début d’un récit.

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53Séquence 2 – FR20

Vous aurez compris que le conte philosophique est une forme d’apo-logue : c’est un récit plaisant pourvu d’une morale.

b) L’Inquisition – ici sise à l’université de Coïmbre - est à l’origine une juridiction ecclésiastique d’exception instituée pour la répression des crimes d’hérésie et des faits de sorcellerie et de magie. Il s’agis-sait donc au départ d’empêcher toute dérive des fidèles loin de la foi chrétienne. À partir de 1252, la torture est autorisée sous certaines limites : elle ne doit cependant déboucher ni sur une mutilation ni sur la mort. La sentence est prononcée au cours d’une séance publique et solennelle, qui sera plus tard désignée en Espagne par l’expression célèbre « auto-da-fé » (acte de foi). Dès le XIVe siècle, l’Inquisition pontificale tombe en désuétude dans presque tous les pays. Mais elle retrouve un second souffle en Espagne, en 1478. Elle traque non seulement les faux convertis (anciens juifs) mais aussi les supposés sorciers, sodomites, polygames… Elle est définitivement abolie en Es-pagne et dans les colonies espagnoles en 1834 seulement. On lui at-tribue dans le monde hispanique environ trente mille condamnations à mort en trois siècles.

c) « Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lis-bonne » : le 1er novembre 1755, Lisbonne est détruite par un tremble-ment de terre, suivi d’un raz de marée et d’incendies, qui tuent entre 60 000 et 90 000 habitants et détruisent 85 % de la ville. Voltaire écrit le Poème sur le désastre de Lisbonne après cette catastrophe et men-tionne le séisme dans notre texte.

2 Le chapitre, dont vous avez ici le texte complet, est très efficace dans la conduite du récit. Le narrateur (point de vue omniscient ici) com-mence par situer les événements et par présenter les raisons de l’au-to-da-fé : le tremblement de terre qui a touché Lisbonne a conduit les « sages « du pays (en l’occurrence, les institutions ecclésiastiques) à penser qu’il fallait expier un péché commun par une procédure de l’Inquisition (« Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé »). Tous les événements vont se dérouler en une seule journée (« Le même jour la terre trembla de nouveau »), d’où une concentration temporelle qui permet un rythme narratif rapide, comme c’est le cas dans l’action de la tragédie, rassemblée sur vingt-quatre heures.La narration des actions joue sur l’énumération, sans lien syn-taxique : les faits sont juxtaposés par le biais des deux points, ce qui donne l’impression d’un enchaînement rapide et logique : « On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d’avoir épousé sa commère (…) : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide (…) : tous deux furent menés séparément dans des appartements d’une extrême fraîcheur (…) ». Le second paragraphe se clôt par un retour sur l’événement premier, le tremblement de terre

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54 Séquence 2 – FR20

(« Le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvan-table »), dans un jeu de boucle narrative.Le troisième paragraphe joue également sur deux énumérations concises ; dans la première, Candide désespéré récapitule les malheurs qu’il a subis dans les chapitres précédents (« Passe encore si je n’étais que fessé, je l’ai été chez les Bulgares. Mais, ô mon cher Pangloss ! le plus grand des philosophes, faut-il vous avoir vu pendre sans que je sache pourquoi ! Ô mon cher anabaptiste, le meilleur des hommes, faut-il que vous ayez été noyé dans le port ! Ô Mlle Cunégonde ! la perle des filles, faut-il qu’on vous ait fendu le ventre ! ») ; dans la seconde, quatre participes passés font le bilan extrêmement bref de ce qu’il a subi dans le chapitre VI : « prêché, fessé, absous et béni ».Le dernier paragraphe amène la fin de l’action du chapitre : le héros s’en va, quitte le lieu de l’auto-da-fé (« Il s’en retournait ») et introduit le début d’une nouvelle action, développé dans le chapitre suivant : « lorsqu’une vieille l’aborda ».De l’exposition des faits (on situe le cadre général, celui d’un auto-da-fé et ses raisons) à celle des actions (les différents personnages condamnés, la nature des condamnations, les conséquences) puis à la clôture du récit (le héros quitte les lieux, privé de son « cher Pan-gloss »), moins d’une page de texte suffit à décrire les aventures lisboètes du héros, grâce à une syntaxe très ramassée, des énumé-rations en parataxe10, l’absence de détails ou de développements su-perflus dans la narration, et une condensation temporelle et spatiale propre au genre du conte.

3 À travers ce texte, Voltaire dénonce premièrement la bêtise de l’Église espagnole, qui face à une catastrophe qui touche toute la ville, en-traîne des destructions et des morts, la désolation générale, et sur-tout la peur, ne trouve aucune réaction appropriée (reconstruction, aide au peuple, prière commune pour les morts ou pour l’union de tous face au désastre…), mais a recours à l’Inquisition et à ses procé-dés brutaux : « les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé ».C’est également l’obscurantisme11 que dénonce l’auteur : les arresta-tions reposent sur les dogmes de l’Église, qui ne souffrent aucune contestation alors même qu’ils sont iniques ou irrationnels, voire ab-surdes (« On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d’avoir épousé sa commère », (…) « deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard », « on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l’un pour avoir parlé, et l’autre pour avoir écouté avec un air d’approbation »).

10. La parataxe est une construction de phrase par juxtaposition, sans qu’un mot de liaison indique la nature du rapport entre les phrases.

11. L’obscurantisme est l’opinion des ennemis des « Lumières », de ceux qui s’opposent à la diffusion des connais-sances, de l’instruction, de la culture dans les masses populaires. Voir la fiche méthode sur les Lumières.

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Enfin, c’est la violence et la brutalité employée par l’Inquisition et donc par l’Église qui sont dénoncées : les traitements subis par les condamnés vont de l’emprisonnement non justifié (les « apparte-ments d’une extrême fraîcheur, dans lesquels on n’était jamais incom-modé du soleil »sont bien sûr les geôles !) aux châtiments physiques en public (« Candide fut fessé en cadence, pendant qu’on chantait »), et enfin à la mise à mort dans d’extrêmes souffrances (« le Biscayen et les deux hommes qui n’avaient point voulu manger de lard furent brû-lés, et Pangloss fut pendu »). Ces mises à mort sont bien entendu sans effet sur le tremblement de terre, qui reprend de plus belle : « Le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable ». Cette simple phrase, qui vient clore la description sanglante qui précède sans y être rattachée par un quelconque lien logique, insiste justement sur l’absence totale de logique dans les décisions de l’Inquisition : les arrestations, qui n’ont été que de simples prétextes pour ancrer en-core davantage le pouvoir de l’Église, semblent reposer sur la supers-tition, travers que l’Inquisition justement était censée combattre !Toutes ces injustices font s’exclamer Candide : « Si c’est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? », cri de désespoir qui dénonce les malheurs que subissent les hommes du fait, ici, d’un pouvoir religieux violent et cruel qui outrepasse ses droits et abuse de ses prérogatives.

4 Dans cette satire agressive, le registre dominant est le registre polé-mique (voir Fiche méthode).Le texte est une attaque, contre l’Inquisition et l’Église espagnole. Les inquisiteurs sont décrits comme des « sages » qui n’en sont évi-demment pas, et sont présentés comme des idiots et des incapables : « Les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé ». De même l’Université de Coïmbre, censée constituer un haut lieu du savoir et de la réflexion, est montrée comme une institution cruelle prenant des décisions absurdes : il est en effet certain que « le spec-tacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémo-nie », n’est en aucun cas un « secret infaillible pour empêcher la terre de trembler » ! Le second paragraphe commence par « On avait en conséquence… », puis les arrestations sont décrites : or il n’y a aucune logique dans les motifs des arrestations ! Ce « en conséquence » en apparence logique ne fait donc que souligner au contraire l’absence de rationalité de l’Église. La façon dont Voltaire présente les motifs d’arrestation est bien évidemment humoristique : il crée en effet un décalage entre la gravité de la situation et le caractère véniel de ce qui est reproché aux malheureux, comme « d’avoir épousé sa com-mère », de manger un poulet après en avoir « arraché le lard » (ce qui renvoie aux coutumes juives, combattues par l’Église à l’époque), et plus absurde encore, d’« avoir parlé », et d’« avoir écouté avec un air d’approbation » : bref, tout acte semble proscrit et suspect aux yeux d’une Église décrite comme un censeur sans pitié. La cérémonie d’au-

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to-da-fé est également décrite sous un jour ridicule : le « sermon très pathétique » et la « belle musique en faux-bourdon » semblent éga-lement en décalage complet avec la gravité de ce qui va se dérouler.Vous aurez reconnu l’emploi de l’ironie dans tous ces décalages entre la réalité et ce qui en est dit (l’ironie consiste à dire le contraire de ce qu’on pense) : la satire virulente que présente Voltaire de l’Église, le portrait au vitriol qu’il en livre, est servi par le regard ironique. Ainsi, le ridicule des décisions et des actes entrepris pour conjurer le tremblement de terre fait sourire, ce qui contribue encore davantage à les disqualifier.

5 L’objectif de l’auteur est bien sûr de dénoncer l’obscurantisme et le dogmatisme de l’Église de son temps, qui dans une situation drama-tique pour le peuple ne fait qu’amplifier les malheurs de ce dernier par un auto-da-fé non justifié, cruel et absurde. Ceci s’inscrit dans le combat plus général de Voltaire et des Lumières contre les formes d’intolérance religieuse, et pour une démarche fondée sur la raison, qui n’est pas le signe d’un refus catégorique de la religion, mais le rejet de toute forme de fanatisme. Ils ont ainsi pour but de manifester leur confiance en la possibilité du progrès et du bonheur terrestre, ce dont sont bien éloignés les malheureux personnages de Candide !Les armes de Voltaire sont la satire, servie par l’ironie ; le registre po-lémique ; mais aussi le registre pathétique : l’état du pauvre Candide fait pitié (« Candide, épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant… », « Il s’en retournait, se soutenant à peine… »), et souligne les funestes conséquences humaines du fanatisme religieux.

2. Documents et lectures complémentaires

Exercice autocorrectif n° 1

Un texte polémique contemporain

Dans Les Géants (1973), le romancier Jean-Marie Gustave Le Clézio re-fuse la violence du monde moderne et cherche, par son écriture, à frayer à l’homme un chemin naturel vers une vie plus authentique. Dans ce pas-sage, il met en cause la civilisation moderne et industrielle et son carac-tère uniformisateur et destructeur, en s’attaquant à ceux qu’il appelle les « Maîtres du langage »…

« Les Maîtres du langage ont la science et la puissance. Ils savent les mots qu’il faut prononcer pour envahir l’âme. Ils savent les mots qui détruisent. Ils savent les mots qu’il faut pour séduire les femmes, pour attirer les enfants, pour conquérir les affamés, pour réduire les malades, les humiliés, les avides.

Ils font simplement résonner leurs syllabes délectables12, dans le si-lence du cerveau, et il n’y a plus qu’eux de vivant sur terre. Les mots sont

12. Délicieux.

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pleins de hâte ; ils n’attendent pas les rêves. Quand quelqu’un, un jour, est plein de tristesse, ou de colère, les mots arrivent à toute allure, et ils remplacent la pensée. Il y a tellement de beauté, qui ne vient pas du ha-sard ! Elle a été créée au fond des laboratoires pour vaincre les foules. Il y a les mots ESPACE, SOLEIL, MER, les mots PUISSANCE, JEUNESSE, BEAUTÉ, AMOUR, ARGENT, les mots ACTION, ETERNITÉ, JOUISSANCE, CREATION,INTELLIGENCE, PASSION. Pour ceux qui ont faim il y a PAIN, FRUITS, DÉLICES, AVENIR.

Pour ceux qui meurent d’obésité il y a le mot MAIGRIR, pour ceux qui meurent de solitude il y a le mot AMOUR, pour ceux qui meurent de dé-sir il y a le mot JEUNESSE, pour ceux qui rêvent d’être des hommes il y a IMPALA13, PUISSANCE, BALAFRE, TABAC, pour ceux qui rêvent d’être des femmes, il y a GALBE, SÉDUIRE, ÉTERNITÉ, BEAUTÉ, pour ceux qui rêvent d’être intelligents il y a TOTUS, pour ceux qui rêvent de muscles il y a BODYBUILD, pour ceux qui rêvent d’être riches il y a MANPOWER, GILLETTE SILVER PLATINE, pour ceux qui rêvent de soleil il y a MAROC, INDE, MEXIQUE, pour ceux qui voudraient bien appeler au secours il y a s.o.s. S.O.S. s.o.s. Il y a tellement de mots partout ! Des milliers, des mil-lions de mots. Il y a un mot pour chaque seconde de la vie, un mot pour chaque geste, pour chaque frisson. Quand donc s’arrêtera ce tumulte ? Les Maîtres du langage enfermés dans leurs usines bouillonnantes fabri-quent sans cesse les mots nouveaux qui parcourent les allées du monde. Dès que les mots s’usent, dès qu’ils faiblissent, il y en a d’autres qui arrivent, prêts au combat.

Il n’y a plus de pensée, c’est ça qui est vraiment douloureux. Les Maîtres du langage ne veulent pas des pensées de leurs esclaves. Si les pen-sées apparaissaient, peut-être qu’elles détruiraient l’empire des mots, facilement, avec leur silence absolu. Peut-être que les pensées révéle-raient le grand mépris qui règne ici, et qu’elles sauraient l’effacer. Si les pensées pouvaient naître dans les cerveaux, peut-être que les hommes et les femmes seraient vraiment beaux, et qu’il n’y aurait plus de Maîtres du langage.

J.M.G. Le Clézio, Les Géants.

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Répondez à la question suivante :

En quoi ce texte est-il polémique ? Définissez la cible visée, et les procé-dés employés.

➠ Veuillez vous reporter à la fin de la séquence pour consulter le corrigé de l’exercice.

13. Impala : antilope d’Afrique, de l’Est et du Sud, rapide et légère ; c’est aussi le nom d’une voiture.

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58 Séquence 2 – FR20

La persuasion par le registre oratoire

Texte 5 :

Voltaire, « Prière à Dieu », Traité sur la tolérance (1763)

Ce texte a été initialement écrit pour réparer l’erreur judiciaire à l’origine de l’affaire Calas.En 1761, un riche négociant toulousain de religion protestante, Jean Calas, découvre à son domicile son fils de 29 ans, mort étranglé. Pensant que le malheureux s’était tué, il tente de dissimuler le suicide afin de préserver l’honneur familial. Mais la rumeur publique l’accuse d’avoir assassiné son fils parce que ce dernier voulait se convertir au catholi-cisme. Jean Calas et sa famille sont jetés en prison. Le Parlement de Tou-louse condamne Jean Calas à subir la question14 ordinaire et extraordi-naire, à être rompu vif et jeté dans un bûcher. Le malheureux est exécuté le 10 mars 1762.Convaincu de l’erreur judiciaire, Voltaire dénonce les travers de l’organi-sation judiciaire, et publie son célèbre Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas (décembre 1763). Le 4 juin 1764, le Conseil du Roi casse les jugements prononcés contre les Calas. Le 9 mars 1765, le Parlement de Paris réhabilite Jean Calas et restitue ses biens à sa famille.

« Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuel-lement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles15 corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer suppor-tent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui cou-

B

14. La question était un supplice légal pratiqué avant la Révolution pour obtenir des aveux ou des informations.

15. « Faibles ».

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59Séquence 2 – FR20

vrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détes-tent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue16, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet17, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal18, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.

Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration19 le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie pai-sible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam20 jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant. »

Voltaire, « Prière à Dieu », Traité sur la tolérance, chapitre XXIII (texte intégral).

1. Pour aborder la lecture analytique

Après avoir écouté le texte sur votre CD audio, lisez-le vous-même à voix haute avant de répondre aux questions ci-dessous.

Questions

Repérez et identifiez tous les procédés qui font de ce texte une véri-table prière. Qu’est-ce qui est demandé ? À qui ?

2 Analysez le lexique et les figures d’amplification et d’opposition : en quoi peut-on parler de dramatisation et d’appel à l’imagination ? Quelle image de l’homme se trouve évoquée ici ?

3 Comment s’exprime l’idée d’intolérance dans le texte ? À quoi est-elle due ? Comment le texte plaide-t-il en faveur de la tolérance ?

4 Qu’apprend ce texte au lecteur concernant les croyances religieuses de Voltaire ?

16. Le latin, langue du catholicisme, par opposition aux langues nationales utilisées dans d’autres religions.

17. Le rouge est la couleur des cardinaux ; le violet, celle des évêques.

18. Il s’agit des pièces d’or.

19. Haine.

20. Actuelle Thaïlande.

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60 Séquence 2 – FR20

Éléments de réponse

Le texte se présente comme une prière adressée à Dieu. On repère ainsi l’énonciation caractéristique d’une prière : un « je », ici le locu-teur21 (« je m’adresse ») énonce une prière adressée à un destinataire, Dieu lui-même : « c’est à toi, Dieu », « à toi… ». Le mode impératif est employé pour formuler la demande (« daigne regarder en pitié », « fais que »), ainsi que le mode subjonctif (« que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas... », « Puis-sent tous les hommes se souvenir… », « Qu’ils aient en horreur… »). On retrouve le champ lexical de la prière (« je m’adresse », « Dieu », « d’oser te demander quelque chose », « daigne regarder en pitié »).

Le locuteur – Voltaire lui-même ici – adresse à Dieu une prière com-plexe, qui formule le souhait :

E d’une entraide entre les hommes (« fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passa-gère ») ;

E de paix et d’absence de violence (« Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger », « Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix ») ;

E de tolérance et d’acceptation mutuelle (« que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps (…), que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ») ;

E d’absence d’envie et de jalousie, ferments de violence (« que les autres les voient sans envie ») ; de liberté intellectuelle et spirituelle (« la tyrannie exercée sur les âmes ») ;

E d’une vie paisible où chacun pourrait posséder sans risquer d’être privé de sa propriété (« le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ») ;

et enfin :

E d’amour et de fraternité (« Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères »).

2 Les figures d’amplification et d’opposition sont nettes dans ce texte au registre oratoire (voir Fiche méthode), qui pour persuader en appelle à l’amplification rhétorique, et joue sur les sentiments du lecteur.

Les rythmes binaires sont nombreux dans le texte, et permettent de créer des effets d’opposition : « faibles créatures perdues dans l’im-mensité, et imperceptibles au reste de l’univers », « daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fas-sent point nos calamités », « Tu ne nous as point donné un cœur pour

21. Pour un récit, on parle de narrateur ; dans une pièce de théâtre, ce sont les personnages qui prennent la parole ; dans un discours, ou tout autre texte de cette nature, c’est le locuteur.

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61Séquence 2 – FR20

nous haïr, et des mains pour nous égorger », « ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir ». Les négations nombreuses (« ne fassent point », « Tu ne nous as point », « ni… ni… ») insistent sur les erreurs que Dieu doit épargner aux hommes, dont la nature est trop faible pour s’en prémunir par elle-même (« les erreurs attachées à notre nature »). Le champ lexical de la faiblesse humaine vient d’ailleurs s’opposer à celui de la grandeur de Dieu et de sa création : ainsi « faibles créa-tures perdues », « imperceptibles », s’opposent à « immensité » et à « reste de l’univers », et l’énumération qui s’enfle pour évoquer les « petites différences entre les vêtements », les « débiles corps », les « langages insuffisants », les « usages ridicules », les « lois impar-faites », les « opinions insensées », « les atomes appelés hommes », souligne le fait que les hommes ne sont rien au regard de Dieu, qui est « Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps » : le rythme ternaire ici est une figure d’amplification grâce à laquelle la domination du Créateur est présentée comme infinie, quand l’homme pour sa part ne règne que sur « une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde ».

Le ton général semble progressivement monter, s’enfler. C’est ainsi que la prière s’ouvre sur une phrase qui marque par un rythme binaire, dont la première partie est niée, un changement de destinataire et par là même un mouvement d’élévation : « Ce n’est donc plus aux hommes… c’est à toi, Dieu de tous les êtres… ». De même, au sein de l’énumération complexe : « que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution », la première conjonction de subordination « que » est reprise, après l’énonciation des six premiers éléments (« entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants,… »), par une seconde : « que toutes ces petites nuances… » ; cette reprise crée un effet d’amplification progressive. L’acmé, c’est-à-dire le plus haut degré d’intensité de l’amplification, est atteinte dans la pérorai-son22 : ainsi, c’est dans la fin du texte que la modalité exclamative apparaît : « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration23 le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! ». La dernière phrase crée un effet d’ouverture spatiale : « depuis Siam24 jusqu’à la Californie », de même que dans l’exorde était présente une ouverture à la fois spatiale et temporelle : « Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps ».

22. La péroraison est la conclusion d’un discours, l’ouverture s’appelant exorde.

23. Haine.

24. Actuelle Thaïlande.

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Ces images sont fortes, et font appel à l’imagination du lecteur, devant les yeux duquel se dessine peu à peu l’image d’un homme faible, démuni, perdu dans un univers immense qui le dépasse : nous sommes donc invités à adopter sur l’humanité un regard surplombant, compa-rable à celui de Dieu justement, regard grâce auquel les querelles qui divisent les hommes semblent mesquines, ridicules et inutiles.

3 L’intolérance dans le texte est présentée sous le jour de la vio-lence, par des images frappantes : « un cœur pour nous haïr », « des mains pour nous égorger »… Cette intolérance est due au fait que les hommes sont différents, ce qui crée parfois l’envie ; la diversité des coutumes (« nos usages ridicules »), des langues, des lois (« nos lois imparfaites »), des opinions (« nos opinions insensées »), entraînent le rejet de l’autre perçu comme fondamentalement différent : « nos conditions si disproportionnées à nos yeux ». Elle est en tout cas pré-sentée comme insensée : ainsi Voltaire décrit les habits des évêques et des cardinaux en leur ôtant toute dignité particulière : « que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet », pour souligner le fait que la hiérarchie entre les hommes n’a aucune importance et ne doit pas être source de discorde ; de même pour ceux qui possèdent des terres : « (ceux) qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde », et ceux qui possèdent des richesses : « (ceux) qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal » : toutes ces différences ne sont que de « petites nuances ». L’intolé-rance ne doit surtout pas naître de la religion : les différents cultes et façons d’honorer Dieu ne doivent pas s’opposer (« que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil », « que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire », « qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne lan-gue, ou dans un jargon plus nouveau »).

Le texte met au contraire l’accent sur l’union nécessaire entre les hommes, symbolisée dans le texte par l’apparition de la première per-sonne du pluriel dans la péroraison : « ne nous haïssons pas (…), et employons… ». Le lexique de la violence (« tyrannie », « brigandage ») est opposé à celui de l’amour, de la paix, du don et de la fraternité (« frères », « le fruit du travail et de l’industrie paisible », « paix », « ta bonté », « donné », « mutuellement »).

L’auteur joue donc sur le registre oratoire et ses effets d’amplification et d’opposition, sur une certaine forme de pathétique – il faut prendre l’homme et sa faiblesse en pitié-, et sur des valeurs comme celle de la tolérance et de la liberté, chères aux Lumières.

4 Comme on a pu le voir dans le texte précédent, Voltaire était très cri-tique envers l’Église catholique. Mais affirmer que Voltaire était un critique de la religion en tant que telle et former une image de Vol-

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taire athée serait une mauvaise interprétation. Il refusait cependant deux excès de la religion, le fanatisme et la superstition, toutes deux dénoncées dans le texte de Candide. Dans cette prière, il est possible de sentir que le véritable christianisme pour le philosophe est une religion avant tout humaniste, qui doit œuvrer pour le bonheur des hommes et pour la fraternité.

Quelle était la religion de Voltaire ? Aujourd’hui on utilise le terme déisme pour la désigner. C’est une religion non dogmatique, non métaphysique, fondée sur des valeurs morales, et rationnelle : la vraie religion, c’est une foi simple et non dogmatique en Dieu.

2. Documents et lectures complémentaires

Exercice autocorrectif n° 2 :

L’appel de 1954 de l’abbé Pierre

Henri Grouès, dit l’abbé Pierre, était un prêtre catholique français (1912-2007), résistant puis député MRP, fondateur du mouvement Emmaüs comprenant la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés. L’abbé Pierre acquiert sa notoriété à partir du très rigoureux hiver de 1954, meurtrier pour les sans abri. Il lance le 1er février 1954 un appel sur les antennes de Radio Luxembourg, qui deviendra célèbre sous le nom d’Appel de l’abbé Pierre.

« Mes amis, au secours…

Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsée…

Chaque nuit, ils sont plus de 2000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent !

Écoutez-moi : en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l’un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève ; l’autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre CENTRE FRATERNEL DE DEPANNAGE, ces simples mots : « TOI QUI SOUFFRES, QUI QUE TU SOIS, ENTRE, DORS, MANGE, REPRENDS ESPOIR, ICI ON T’AIME »

La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure.

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Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France. Merci !

Chacun de nous peut venir en aide aux «sans abri». Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain :

• 5 000 couvertures,

• 300 grandes tentes américaines,

• 200 poêles catalytiques

Déposez-les vite à l’hôtel Rochester, 92 rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève.

Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’as-phalte ou sur les quais de Paris.

Merci ! »

Diffusé le 1er février 1954, à 1 heure du matin sur Radio Luxembourg.

Répondez à la question suivante :

Quel est le registre dominant de ce texte ? Quels sont les procédés employés pour émouvoir et mobiliser ?

Entraînement à l’écrit :la dissertation (2)

Deuxième étape de la dissertation : élaboration d’un plan détaillé (la dispositio)

Exercice autocorrectif n° 3

À partir du sujet de dissertation exposé dans le chapitre 3 B, et des idées et exemples trouvés, élaborez le plan détaillé de la dissertation, en éta-blissant au moins deux grandes parties (si possible trois), au sein des-quelles il y aura au moins deux sous-parties (si possible trois) ; il est nécessaire d’avoir au moins un exemple précis de texte par sous-partie (mais pas trop non plus pour ne pas vous éparpiller).

Faites en sorte que votre plan soit progressif et logique ! Vous pouvez également à présent avoir recours aux textes de Voltaire étudiés au cha-pitre 4 A et B (textes 4 et 5) pour nourrir votre devoir.

➠ Veuillez vous reporter à la fin de la séquence pour consulter le corrigé des exer-cices 2et 3.

C

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65Séquence 2 – FR20

Fic

he m

éth

ode

Chapitre

1

Fiche méthode

Les registres satirique, polémique et oratoire

1. Le registre satirique

La satire est un genre littéraire qui se moque dans le but de critiquer ou de dénoncer, mais aussi un registre : plusieurs genres peuvent être de registre satirique, comme une fable ou une tirade théâtrale (cf. les deux textes du chapitre 2). La caricature, la parodie, font partie des procédés de la satire, qui joue souvent sur l’exagération, et qui n’est pas toujours dénuée d’agressivité.

« On attribue généralement la paternité du genre littéraire de la satire dont le nom vient du latin satura, c’est-à-dire « pot-pourri », au poète archaïque latin Lucilius (IIe siècle av. J.-C.). C’est autrement dit un genre qui se caractérise par sa souplesse : de sujet, de ton, de longueur. La satire fut un genre très en vogue à Rome, par exemple chez des poètes comme Martial, Juvénal, Ovide, ou Horace, dont voici quelques vers tra-duits où les nuisances de la ville de Rome sont dénoncées par Juvénal :

« Le flot humain devant moi m’empêche de me hâter. La grande masse du peuple qui me suit me pousse dans le dos. Un me frappe du coude, l’autre me frappe avec une lourde poutre, un troisième me cogne la tête d’une solive, un autre encore avec une jarre. Mes jambes sont grasses de boues. De partout je suis écrasé par de grands pieds et un clou de soldat se fixe dans mon orteil. »

Juvénal, Satires, III, v.243-248

2. Le registre polémique

Le registre polémique renvoie à l’affrontement des idées à travers un débat plus ou moins violent : de fait, l’étymologie grecque du mot est « la guerre », « polemos ». Il s’agit dans ce registre d’attaquer un com-portement social, un mode de vie, les mœurs de ses contemporains, les défauts et ridicules d’une époque, d’une institution, d’une œuvre, d’une personne… Il est donc étroitement lié au discours argumenta-tif, et cherche plus à persuader qu’à convaincre. La notion de ton est essentielle dans ce registre : une argumentation calme et mesurée ne sera jamais assimilable à une polémique, qui suppose donc un ton pas-sionné ou véhément. Souvent utilisé par les philosophes des Lumières, elle est aussi fréquemment employée dans la littérature engagée. C’est le registre du pamphlet, des essais, des lettres ouvertes :

E Histoirelittéraire

E Exemple

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66 Séquence 2 – FR20

Fic

he m

éth

ode

Fic

he m

éth

ode « Je hais les sots qui font les dédaigneux, les impuissants qui crient que

notre art et notre littérature meurent de leur belle mort. Ce sont les cer-veaux les plus vides, les cœurs les plus secs, les gens enterrés dans le passé, qui feuillettent avec mépris les œuvres vivantes et tout enfiévrées de notre âge, et les déclarent nulles et étroites. »

Zola, Mes haines.

3. Le registre oratoire

Ce registre est étymologiquement associé à la prière (« oratoire » vient du latin orare qui signifie « prier »). Il reste de cette origine une vocation du registre oratoire, souvent employé dans les discours, pour les textes capables de mobiliser leurs destinataires. Il peut y parvenir par le souci de persuader plus que de convaincre, sûr de faire partager l’émotion – colère, indignation, pitié –par certaines ressources rhétoriques : les invocations, les rythmes ternaires, les images saisissantes, l’ampleur de la phrase, le choix d’images évocatrices, la prise à partie de l’auditoire (apostrophes, exclamations, questions rhétoriques…).

C’est le registre du plaidoyer, du réquisitoire, ou de l’oraison :

« O Dieu ! Encore une fois, qu’est-ce que de nous ? Si je jette la vue devant moi, quel espace infini où je ne suis pas ! Si je la retourne, quelle suite effroyable où je ne suis plus, et que j’occupe peu de place dans cet abîme immense du temps !

Bossuet, Sermon sur la mort.

E Exemple

E Exemple

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67Séquence 2 – FR20

Voltaire et l’affaire du chevalier de La Barre

Lecture cursive

En 1762, Voltaire, convaincu de l’innocence de Jean Calas, rédige le Traité sur la tolérance, à l’occasion de la mort de ce dernier (décembre 1763) contre l’intolérance religieuse. Son combat aboutit à la révision du pro-cès et à la réhabilitation de Jean Calas.

Il mobilise de nouveau son énergie dans d’autres affaires (affaire Lally, affaire Sirven) pour dénoncer l’injustice, notamment celle dont fut vic-time, à Abbeville, en 1765, le jeune chevalier de La Barre, accusé sans preuves d’avoir profané un crucifix sur un pont et, au terme d’un procès qui fut l’occasion d’un règlement de comptes, fut torturé, décapité et brûlé.

Comme on avait découvert parmi les livres dont il disposait chez lui le Dictionnaire philosophique de Voltaire, ce qui le mettait en cause, il prit fait et cause pour le chevalier de La Barre. C’est l’une des causes célèbres où s’illustra Voltaire comme d’autres philosophes des Lumières pour lutter contre l’arbitraire de la justice à son époque.

Après avoir lu l’ensemble des textes de Voltaire recueillis dans le petit volume, L’affaire du chevalier de la Barre, de la page 39 à la page 113, vous répondrez au questionnaire suivant :

Exercice autocorrectif n° 4 :

Questionnaire

Quels sont les deux principes sur lesquels s’appuie le locuteur pour affirmer que le supplice du chevalier de la Barre est contraire à la rai-son et à l’humanité ?

2 À quel endroit du texte Voltaire évoque-t-il son désir que l’espace public soit laïc ?

3 Quelles sont les circonstances qui, selon Voltaire, ont entraîné l’accu-sation du chevalier de la Barre ?

4 Qu’a-t-on reproché au chevalier ? Qui a soutenu cette accusation devant la justice ? À quels supplices l’a-t-on condamné ?

5 Quel argument principal avance Voltaire pour défendre le chevalier ?

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68 Séquence 2 – FR20

6 Quels registres emploie Voltaire dans ces lettres ? À quels genres litté-raires pouvez-vous les rattacher ?

➠ Veuillez vous reporter à la fin de la séquence pour consulter le corrigé de l’exercice.

Document complémentaire

L’article « Torture » qui dénonce l’erreur judiciaire dont fut victime le che-valier de La Barre et la barbarie qu’il subit, fut ajouté par Voltaire à son Dictionnaire philosophique, republié sous le titre Questions sur l’Ency-clopédie.

Article « Torture », Dictionnaire philosophique (Extrait)

Les Romains n’infligèrent jamais la torture qu’aux esclaves, mais les esclaves n’étaient pas comptés pour des hommes. Il n’y a pas d’appa-rence1 non plus qu'un conseiller de la Tournelle2 regarde comme un de ses semblables un homme qu'on lui amène hâve, pâle, défait, les yeux mornes, la barbe longue et sale, couvert de la vermine dont il a été rongé dans un cachot. Il se donne le plaisir de l'appliquer à la grande et à la petite torture, en présence d'un chirurgien qui lui tâte le pouls, jusqu'à ce qu'il soit en danger de mort, après quoi on recommence ; et comme dit très bien la comédie des Plaideurs : « Cela fait toujours passer une heure ou deux ».

Le grave magistrat qui a acheté pour quelque argent3 le droit de faire ces expériences sur son prochain va conter à dîner à sa femme ce qui s'est passé le matin. La première fois, madame en a été révoltée ; à la seconde, elle y a pris goût, parce qu'après tout les femmes sont curieuses ; ensuite, la première chose qu'elle lui dit lorsqu'il rentre en robe chez lui : « Mon petit cœur, n’avez-vous fait donner aujourd'hui la question à personne ? »

Les Français, qui passent, je ne sais pourquoi, pour un peuple fort humain, s'étonnent que les Anglais, qui ont eu l'inhumanité de nous prendre tout le Canada, aient renoncé au plaisir de donner la question.

Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d'un lieutenant général des armées, jeune homme de beaucoup d'esprit et d'une grande espérance, mais ayant toute l'étourderie d'une jeunesse effrénée, fut convaincu4 d'avoir chanté des chansons impies, et même d'avoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges d'Abbe-ville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seu-lement qu'on lui arrachât la langue, qu'on lui coupât la main, et qu'on brûlât son corps à petit feu ; mais ils l'appliquèrent encore à la torture pour savoir combien de chansons il avait chantées, et combien de pro-cessions il avait vues passer, le chapeau sur la tête.

1. « Il n’y a pas d’apparence non plus que… »: Il n’est pas non plus très vraisemblable qu’un conseiller de La Tour-nelle puisse considérer comme un de ses semblables un homme …

2. La Tournelle : Chambre Criminelle du Parlement de Paris.

3. Allusion à la possibilité d’achat d’un titre ou d’une charge.

4. fut convaincu : fut accusé, fut jugé coupable de...

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69Séquence 2 – FR20

Ce n'est pas dans le XIIIe ou dans le XIVe siècle que cette aventure est arri-vée, c’est dans le XVIIIe. Les nations étrangères jugent de la France par les spectacles, par les romans, par les jolis vers, par les filles d’Opéra, qui ont les mœurs fort douces, par nos danseurs d’Opéra, qui ont de la grâce, par Mlle Clairon, qui déclame des vers à ravir. Elles ne savent pas qu’il n’y a point au fond de nation plus cruelle que la française.

Voltaire, Dictionnaire philosophique (1764)

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70 Séquence 2 – FR20

Entraînement à l’écrit : la dissertation (3)

Troisième étape  de la dissertation  : rédaction (l’elocutio) guidée

Exercice autocorrectif n° 2

Voici une dissertation partiellement rédigée : après avoir lu les parties rédigées, vous rédigerez à votre tour les parties manquantes, en vous appuyant sur le plan détaillé proposé (voir le corrigé de l’exercice auto-correctif n°3 ci-après), et en ayant recours pour les exemples à tous les textes vus dans les parties « Pour aborder la lecture analytique » ainsi que les textes complémentaires de La Bruyère et de Montesquieu (Cha-pitre 2).

La rédaction de l’introduction doit respecter quatre étapes :E 1re étape : phrase d’introduction générale au thème, ou « amorce ».E 2e étape : repérage de la problématique.E 3e étape : reformulation de cette problématique.E 4e étape : annonce du plan.

2 Chaque paragraphe du développement doit contenir :E des connecteurs logiques pour lier les idéesE la formulation des idéesE la formulation d’argumentsE des exemplesE une phrase conclusive

3 Dans la conclusion, on attend deux étapes :E 1re étape : bilan des idées du devoir.E 2de étape : ouverture.

Mise en page : Pensez à sauter des lignes entre les grandes parties, et à former un nouveau paragraphe pour chaque nouvelle idée (une idée par paragraphe, un paragraphe par idée !). Chaque paragraphe débute par un alinéa (retrait de la marge d’1 cm environ). Liez chaque partie à la suivante par une phrase de transition.

Méthodologie

Bilan de séquence

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71Séquence 2 – FR20

Entraînement méthodologique à l’écrit :dissertation à compléter

« Quel est, selon vous, l’intérêt d’argumenter de façon indirecte, par exemple à l’aide de récits imagés ? Pour répondre à cette question, vous prendrez appui sur les textes de la séquence et sur les textes argumentatifs que vous avez lus ou étudiés. »

Rappel du sujet

« Aussi bien au temps du classicisme que du temps des Lumières, les écrivains ont eu fréquemment recours à des formes d’argumentation indirecte, comme la fable ou le conte philosophique. Mais quel est l’in-térêt d’argumenter de manière indirecte ?

[➠ Reformulez la problématique et rédiger l’annonce de plan= 3e et 4e étapes de l’introduction]

« Tout d’abord, il est évident que certains contextes d’écriture rendent presque obligatoire le recours à des formes indirectes d’argu-mentation. On peut par exemple rappeler qu’il n’était pas possible sous la monarchie absolue de critiquer directement les injustices sociales ou le régime politique sans être condamné et, bien sûr, sans perdre la pos-sibilité d’être publié, c’est-à-dire lu. Les auteurs étaient obligés d’écrire d’une façon indirecte, car la censure était omniprésente aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ce danger réel, plusieurs auteurs l’ont expérimenté :

[➠ Donnez des exemples historiques]

Pensons par exemple au regard naïf du jeune Candide dans le conte épo-nyme1 de Voltaire : par ce regard qui donne l’impression au lecteur que le héros ne connaît pas les endroits ni les mœurs qu’il décrit, Voltaire fait mine de ne pas faire allusion à sa propre société, or c’est bien au fond elle qu’il critique !

Mais le risque n’est pas que politique, il est aussi social. Il n’est pas rare en effet que le lecteur ne soit pas en position d’accepter la cri-tique directe, parce qu’il n’y est pas prêt. Quand un auteur montre clai-rement les défauts des hommes, comment s’étonner que le destinataire se sente critiqué, attaqué, et donc réagisse par le rejet d’un auteur qui lui semble le considérer de haut ? La position du moraliste n’est pas facile… Ainsi, quand La Fontaine critique les courtisans, il passe par la fable « Le Singe et le Léopard » : le récit des deux animaux qui « Gagnaient de l’ar-gent à la foire » permet d’amener la moralité (« Oh ! que de grands sei-gneurs, au Léopard semblables,// N’ont que l’habit pour tous talents ! ») avec moins de rudesse, ainsi la critique est moins directe et donc mieux supportée !

Enfin, il est certain qu’une argumentation indirecte comme une fable peut être mieux comprise qu’une démonstration logique : une fable

E Introduction

E Début partie I

1. Une œuvre éponyme porte le nom du héros dont elle narre les aventures, par exemple Candide, Zadig…

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ou un conte, fréquentés souvent depuis l’enfance, sont des genres lit-téraires que tout lecteur est en position de comprendre, car un récit est toujours plus aisé à suivre qu’un raisonnement abstrait. Les images en particulier aident à la compréhension : ainsi, lorsque l’imagination pré-sente au lecteur de la fable de La Fontaine un singe et un léopard à la foire, chacun montrant leurs tours, la cible de la satire devient clairement identifiable pour tous !

[➠ Rédigez la transition I-II]

Contrairement à une démonstration ou à un essai, centrés sur le docere, c’est-à-dire sur le fait d’instruire le lecteur, de lui apprendre quelque chose, de faire passer des idées, les genres comme la tirade théâtrale, le conte ou la lettre fictive ont l’avantage de pouvoir divertir le lecteur, de l’amuser : ces formes d’argumentation peuvent donc égale-ment jouer sur le placere, le fait de plaire au lecteur. C’est ainsi le moyen de retenir son attention.

Le récit est un premier moyen de plaire :

[➠ Rédigez la sous-partie]

La description ou le portrait sont aussi des moyens de faire passer des critiques de façon plaisante : dans les Lettres persanes, la description des rues de Paris par un Rica frappé de stupeur et égaré par la précipita-tion générale (« depuis un mois que je suis ici, je n’y ai encore vu marcher personne ») fait sourire, et Arrias dépeint par la Bruyère comme rustre et pédant – bref, le convive apte à gâcher un dîner ! - est vivante et amusante.

Car c’est souvent l’humour qui est utilisé dans l’argumentation indirecte pour séduire le lecteur et emporter son adhésion : la satire fait sourire aux dépens d’un personnage dont on se moque des défauts [➠ donnez un exemple]. La chute de la satire permet d’ailleurs souvent de porter le coup final à un personnage qu’on critique, comme celle du portait d’Ar-rias : « C’est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade ». Outre la satire, l’ironie est également employée. Voltaire en fait d’ailleurs grand usage, car quelle stratégie littéraire plus « indi-recte » que cette forme d’humour qui consiste à dire le contraire de ce qu’on veut dire ? (cf. par exemple dans l’extrait de Candide, les expres-sions « sermon très pathétique » et « belle musique en faux-bourdon »).

[➠ Rédigez la transition II A-B]

Certains auteurs des Lumières ont fait appel à un regard étran-ger dans leurs œuvres pour mieux dénoncer ou critiquer. Par exemple [➠ donnez un exemple]. Il est évident que les défauts deviennent plus clairs quand on les voit à l’aide d’un regard neuf voire naïf. Ce procédé sera repris par [➠ donnez un second exemple]. Ce procédé est caracté-ristique d’une argumentation indirecte, qui évite la confrontation sans « masque » : l’auteur est dissimulé derrière un porte-voix, un personnage de récit ou de théâtre, auquel il arrive des aventures, ou qui se révèle sur scène par ses tirades ou ses monologues ; le thème de l’argumenta-tion n’en reste pas moins évident : Tartuffe expose sa fausse dévotion en pleine scène, et représente donc par son caractère même une critique du

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faux dévot ; Rica par sa naïveté feinte met en valeur les dysfonctionne-ments et les ridicules du pouvoir, royal et papal…

Ce jeu de masques induit une distance certaine : ce n’est en apparence pas l’auteur qui critique, et ce n’est pas le roi, le pape, ou les courtisans de l’époque qui sont visés. Cette distance permet donc de présenter la critique comme objective, puisque ce n’est pas l’auteur qui l’avance, mais un personnage, qui plus est étranger à la société fran-çaise comme Rica, et qui ne peut être de parti pris ! Cette objectivité rend la critique plus forte et plus crédible, bien qu’elle reste indirecte.

« Outre l’efficacité de l’argumentation indirecte, qui repose sur l’emploi de l’humour, du regard extérieur et de l’objectivité apparente de la cri-tique – tous procédés qui reposent sur une mise à distance, un recul face à l’objet sur lequel on argumente, éloigné par le détour de la fiction-, ne peut-on tout simplement trouver à cette forme d’écriture des qualités littéraires et philosophiques ?

« En effet, l’écrivain dans une argumentation indirecte peut tout d’abord jouer sur les sentiments de son lecteur, en usant de divers registres.

[➠ Rédigez la sous-partie]

Mais comme les textes argumentatifs directs, les argumentations indi-rectes ont pour vocation de faire réfléchir le lecteur : loin de se conten-ter de plaire et d’émouvoir, une fable par exemple peut transmettre une critique – nous avons vu celle des courtisans dans « Le Singe et le Léo-pard », mais aussi plus généralement offrir l’occasion au lecteur d’exer-cer sa réflexion. Cela peut se faire à trois niveaux. Premièrement, l’auteur peut nous fait réfléchir à différentes attitudes, personnelles, sociales ou morales, et à leurs conséquences : [➠ donnez deux exemples].

Deuxièmement, il est certain que pour comprendre la « morale », la por-tée d’un récit à visée argumentative, il est nécessaire que le lecteur se livre à sa propre interprétation. En effet, puisque le message est indirect, il est « voilé », caché, et ne révèle tout son sens que si l’on fait l’effort de le chercher. Ainsi, les cibles visées sont souvent désignées indirecte-ment – et c’est au lecteur de comprendre de quoi il est question ! Quand Rica écrit : « tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu’un ; que le pain qu’on mange n’est pas du pain, ou que le vin qu’on boit n’est pas du vin », il faut comprendre qu’il fait allusion aux mystères de La Trinité et de l’Eucharistie ; de même quand Voltaire évoque les « deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard », il faut pouvoir se rappeler que la religion juive prescrit qu’on s’abstienne de manger du porc : le lecteur doit donc être actif, réfléchir, interpréter, et être cultivé !

À un troisième niveau enfin, l’argumentation indirecte propose aussi une réflexion plus générale sur les grandes valeurs et les grandes théma-tiques philosophiques et sociales, comme l’humanisme ou la tolérance dans le Traité sur le tolérance de Voltaire, sur les dangers de l’hypocrisie et de la fausse dévotion dans Tartuffe, ou sur les excès du pouvoir et de la religion chez Montesquieu : au-delà même de sa démonstration

Transition I-II

Début partie III

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74 Séquence 2 – FR20

initiale, l’argumentation indirecte est riche en enseignements car elle touche à l’universalité.

Par la création en effet de personnages de fiction – Candide, Arrias, Rica, les animaux des fables… -, l’argumentation indirecte instaure des types, ou archétypes, c’est-à-dire des personnages emblématiques, qui concentrent en eux jusqu’à la caricature les défauts que l’on veut placar-der. Ainsi Arrias symbolise à lui seul le pédant insupportable, le Léopard est l’image même du courtisan vaniteux, Candide est un personnage naïf qui représente n’importe quel jeune homme sans expérience de la vie de l’époque de Voltaire… C’est ainsi que l’argumentation indirecte en arrive à dépasser un discours uniquement argumentatif pour atteindre à une dimension plus philosophique et universelle, faisant en sorte que tous les lecteurs de toutes les époques puissent retrouver les travers de leur société – ou leurs propres défauts, puisque l’archétype permet qu’on s’identifie ou qu’on se compare à lui !

[➠ Rédigez la conclusion]

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Corrigés des exercicesCorrigé de l’exercice n° 1

Le Clézio vise dans ce texte ceux qu’il définit comme une catégorie, celle des Maîtres du langage : il s’agit des publicitaires, mais aussi de tous les protagonistes de la société de consommation qui créent des mots pour rendre la vie schématique par le biais d’expressions toutes faites et de conceptions de la vie simplistes, qui enferment les gens dans un univers mental appauvri, d’où la pensée personnelle est bannie, et qui mènent à la consommation uniquement (« pour séduire les femmes, pour attirer les enfants… »). Il attaque sa cible par le biais d’expressions qui les présen-tent premièrement comme des dominants, comme en témoigne le champ lexical du rapport maître/esclave : « Les Maîtres du langage ne veulent pas des pensées de leurs esclaves », « ont la science et la puissance », « l’empire des mots », et celui de la guerre et de l’invasion : « vaincre les foules », « envahir l’âme », « prêts au combat », « les mots nouveaux qui parcourent les allées du monde ». Ils sont également des ferments de destruction et de mort de la pensée et de la vie véritable : « détrui-sent », « il n’y a plus qu’eux de vivant sur terre », et des manipulateurs : « Ils savent », « (ils) ont la science et la puissance », présentés comme des savants œuvrant au fond des « usines » pour la perte de l’Homme. Cette attaque est précise : on retrouve ainsi des mots que tout le monde a l’habitude de voir dans les publicités de toute sorte (« ESPACE, SOLEIL, MER », et « MAROC, INDE, MEXIQUE » dans les brochures touristiques, « PUISSANCE, JEUNESSE, BEAUTÉ, AMOUR, ARGENT », « MAIGRIR », « JEUNESSE », « GALBE, SÉDUIRE, ÉTERNITÉ, BEAUTÉ » dans les maga-zines féminins…), et même des noms de marque comme « MANPOWER, GILLETTE SILVER PLATINE » : la cible est clairement identifiée, définie et attaquée avec virulence. De fait, les termes et les images employés sont forts : il est bien dit que la société de consommation par le biais du discours publicitaire au sens large empêche toute pensée (« Il n’y a plus de pensée, c’est ça qui est vraiment douloureux », « Si les pensées pouvaient naître dans les cerveaux »), et tient les gens dont elle tire profit dans le plus grand mépris (« le grand mépris qui règne ici »). Les figures de style ont pour objectif d’appuyer fortement la charge, et tiennent prin-cipalement de la répétition et de l’insistance (« Ils savent » répété trois fois, « pour séduire les femmes, pour attirer les enfants, pour conquérir les affamés, pour réduire les malades, les humiliés, les avides », « Pour ceux qui » répété plusieurs fois), des énumérations, nombreuses, des amplifications (« Il y a tellement de mots partout ! Des milliers, des mil-lions de mots »), et du jeu sur la typographie (emploi des majuscules).

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À l’instar du texte de Voltaire, Le Clézio emploie donc le registre polémique au service d’une attaque frontale de ses adversaires, dans le but d’expri-mer son indignation face à certains faits de société qui relèvent du même obscurantisme que dénonçaient Voltaire et Montesquieu – Voltaire avait pour but de libérer les hommes du pouvoir abusif de l’Église et d’éclairer l’homme, Montesquieu de lutter contre l’emprise du pouvoir et du clergé sur les esprits, et, de la même façon, Le Clézio, en humaniste moderne, réclame le retour de la raison éclairée, du sens critique et de la liberté intellectuelle contre le règne d’un « prêt à penser » standardisé et imposé.

Corrigé de l’exercice n° 2

Le registre dominant est le registre oratoire. Le texte s’apparente clai-rement à une prière dont on retrouve l’énonciation caractéristique. Le locuteur s’adresse directement à son auditoire et le prend à parti (« Mes amis », « Écoutez-moi », « Je vous prie »), et a recours à des tournures impératives pour l’impliquer : « il faut en ouvrir partout », « Il faut que ce soir même », « aimons-nous assez tout de suite », « Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse », « Déposez-les », « Rendez-vous ». Le lexique de la prière est bien présent (« Je vous prie »), et le texte en appelle à des valeurs humanistes et chrétiennes : il est question d’amour, d’entraide, de compassion. Cette invocation joue également sur les sentiments de l’auditoire, surtout la pitié : un appel déchirant, « au secours… », est suivi de la peinture pathétique d’une femme morte de froid (« Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsée… »), elle-même suivie d’une amplifica-tion : on passe ainsi d’un cas particulier au chiffre alarmant de 2000 : « Chaque nuit, ils sont plus de 2000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu ». Il est aussi question des enfants, par-ticulièrement émouvants (« aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris »), et de façon plus générale de tous les hommes, qui sont « frères » et qui se doivent donc entraide. Enfin, le texte joue aussi sur une certaine exaltation humaine et patrio-tique : « cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France », « Merci ! », renforcée par les tournures exclamatives.

Corrigé de l’exercice n° 3 : Entraînement à la dissertation (2)

Proposition de plan détaillé

IntroductIon

I. Quand l’argumentation indirecte (=AI) est une nécessité

A. Des contextes historiques difficiles, où la liberté d’expression n’est pas acquise.

B. La volonté de ne pas choquer le lecteur par des critiques trop agressives.

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77Séquence 2 – FR20

C. Les formes d’AI sont plus facilement comprises que les démonstra-tions logiques par exemple la fable ou le conte philosophique.

transItIon

II. Quand l’AI contribue à l’efficacité de la persuasion

A. Les formes d’AI sont plaisantes, et retiennent l’attention du lecteur :

1) par l’art du récit ;

2) par l’art de la description ou du portrait ;

3) par le recours à diverses formes d’humour (ironie, satire…) ; elles contribuent ainsi à emporter l’adhésion du lecteur.

B. Elles permettent souvent également d’avoir recours à un regard extérieur, grâce auquel une distance s’instaure : les défauts devien-nent plus clairs quand on les voit à l’aide d’un regard neuf.

C. Ce regard distancié permet l’objectivité, laquelle rend l’argumenta-tion plus convaincante.

transItIon

III. Quand l’AI présente des qualités littéraires et philosophiques

A. Les qualités littéraires : le jeu sur les registres (par ex. le pathé-tique) et donc les émotions.

B. Les qualités philosophiques : l’AI permet de faire réfléchir le lecteur par lui-même à trois niveaux :

1) Premièrement, l’auteur peut nous fait réfléchir à différentes atti-tudes et à leurs conséquences ;

2) Deuxièmement, pour comprendre la portée d’une AI, le lecteur doit interpréter le texte ;

3) Troisièmement, l’AI propose aussi une réflexion plus générale sur des valeurs et des thématiques philosophiques et sociales.

C. Par la création de personnages de fiction, l’AI instaure des person-nages stéréotypés, ou types. C’est ainsi que l’AI en arrive à dépas-ser un discours uniquement argumentatif pour atteindre à une dimension plus universelle.

conclusIon

Corrigé de l’exercice n° 4 Questionnaire de lecture cursive

Le texte est composé de onze lettres, ainsi que d’une lettre fictive censée avoir été rédigée par le chevalier de la Barre lui-même (« Le cri du sang innocent ») et du « Précis de la procédure d’Abbeville ». Dans la première lettre, aux quatrième et cinquième paragraphes, Vol-taire rappelle qu’il est absurde et inhumain premièrement de mettre au supplice un accusé qui reconnaît ses fautes, deuxièmement d’user

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de la même torture pour des actes véniels qui n’ont causé de tort à personne et pour des crimes graves comme le meurtre prémédité ou aggravé (parricide).

2 Dans la première lettre, Voltaire remarque que « ce qui est saint ne doit être que dans un lieu saint » (paragraphe 13) : c’est une manière d’affirmer que l’espace public doit être libre de tout signe religieux, et que les croix par exemple doivent demeurer dans les églises. C’est le fondement de la laïcité.

3 Dans la première lettre, Voltaire évoque à la fois le désir de vengeance de Belleval, amoureux malheureux repoussé par la tante du chevalier, et un malheureux hasard qui voulut qu’un crucifix du pont d’Abbeville ait été endommagé. Belleval « confondit malicieusement ensemble l’aventure du crucifix et celle de la procession », devant laquelle le chevalier aurait refusé d’enlever son chapeau, pour l’accuser d’im-piété ainsi que le jeune d’Étallonde. Les circonstances tiennent donc surtout au désir de vengeance et à la « malice » de Belleval, le mot malice ayant à l’époque le sens fort d’« intention malveillante ou méchante ».

4 On a reproché au chevalier et à son ami d’avoir profané le crucifix du pont. Aucun témoin direct n’a vu la scène, en réalité inventée par Belleval ; mais les juges, poussés par l’institution ecclésiastique, ont incité le peuple par des monitoires1 à dénoncer quelqu’un, et sous la pression de Belleval, ce « quelqu’un » fut le chevalier. Le chevalier subit la question ordinaire et extraordinaire (décrite dans la dernière partie de la première lettre), et fut décapité avant d’être jeté au bûcher.

5 Voltaire affirme que les juges ont appliqué la loi datant de 1682 de façon déviante, car les deux jeunes gens n’ont commis aucun crime contre la société, mais ont seulement commis des actes légers, des « sottises » dues à leur jeune âge : la sentence des juges est donc à la fois contraire à la loi, injuste, et inhumaine.

6 Les registres employés sont surtout le registre pathétique (la descrip-tion des supplices du chevalier, l’emploi du terme d’« horreur » dans « Le cri du sang innocent », son jeune âge, et le caractère injuste de la condamnation d’un innocent) ; le registre oratoire, quand il en appelle aux sentiments de son lecteur et emploie des exclamatives pour exprimer son indignation et sa colère (ex. : « À quels pièges affreux la nature humaine est exposé ! ») ; et le registre polémique, quand il attaque et caricature les magistrats et l’Église pour leur comportement (« Des Busiris en robe ») et leur jugement (« l’abomination de cette procédure aussi illégale qu’infâme », dans le « Précis de la procédure

1. Voir la définition qu’en donne Voltaire dans « Le cri du sang innocent » (cf. votre édition, p. 96).

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79Séquence 2 – FR20

d’Abbeville »), ainsi que le peuple français pour son absence de réac-tion et sa cruauté (« Et la nation le souffre1 ! À peine en parle-t-on, un moment, on court ensuite à l’Opéra Comique », « un pays de singes, qui deviennent si souvent tigres » dans la « Lettre à d’Alembert », p. 69).

Ces différents textes appartiennent à la fois au genre du plaidoyer (ils présentent une défense du jeune De la Barre, dépeint laudativement comme un homme moral, courageux et héroïque), et du réquisitoire (ils présentent aussi une accusation contre ceux qui l’ont condamné, décrits péjorativement comme des individus cruels, fanatiques, et représentatifs de l’obscurantisme que combat Voltaire) (sur le plai-doyer et le réquisitoire, voir le Chapitre 1).

Entraînement à l’écrit : corrigé Proposition de rédaction de la dissertation

Nous soulignons en gras les connecteurs logiques et outils de transition.

Les parties qui étaient à rédiger sont présentées entre crochets […].

En marge sont indiquées les étapes du devoir, partie par partie, para-graphe par paragraphe. Quand vous rédigerez votre devoir au propre, vous n’aurez pas à les indiquer : elles sont précisées ici pour vous mon-trer l’importance de chaque élément dans la progression logique de l’en-semble du devoir.

Aussi bien au temps du classicisme que du temps des Lumières, les écrivains ont eu fréquemment recours à des formes d’argumentation indirecte, comme la fable ou le conte philosophique. Mais quel est l’in-térêt d’argumenter de manière indirecte? [Autrement dit, pourquoi cer-tains auteurs ont-ils choisi de ne pas formuler directement leurs idées, critiques, ou attaques, mais d’avancer « masqués », de telle sorte que le lecteur doive interpréter le sens du texte pour en trouver la « substan-tifique moelle » ? Cette stratégie littéraire peut s’expliquer de plusieurs façons : il est possible que les auteurs se soient trouvés, pour diverses raisons, obligés d’utiliser cette méthode. Mais à cette interprétation his-torique et événementielle on pourra préférer penser que les grands écri-vains ont adopté cette forme d’argumentation parce qu’ils la trouvaient efficace : il s’agira donc de s’interroger sur le pouvoir de l’argumentation indirecte. Enfin, on pourra également envisager les qualités littéraires et philosophiques de cette forme d’argumentation.]

Choix demise en page

du corrigé

Dissertation complétée

IntroductIon

amorceproblématique

reformulation de la problématiqueannonce de plan

1. Le supporte, l’admet.

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80 Séquence 2 – FR20

Tout d’abord, il est évident que certains contextes d’écriture ren-dent presque obligatoire le recours à des formes indirectes d’argumen-tation. On peut par exemple rappeler qu’il n’était pas possible sous la monarchie absolue de critiquer directement les injustices sociales ou le régime politique sans être condamné et, bien sûr, sans perdre la possi-bilité d’être publié, c’est-à-dire lu. Les auteurs étaient obligés d’écrire d’une façon indirecte, car la censure était omniprésente aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ce danger réel, plusieurs auteurs l’ont expérimenté : [Molière a vu plusieurs de ses œuvres condamnées par la censure, et Voltaire a été embastillé deux fois, et a dû s’exiler par exemple en Suisse pour se livrer à son activité d’écrivain polémiste sans danger pour lui-même. D’où le recours à des personnages fictifs, parfois en apparence étrangers à leur milieu.] Pensons par exemple au regard naïf du jeune Candide dans le conte éponyme de Voltaire : par ce regard qui donne l’impression au lecteur que le héros ne connaît pas les endroits ni les mœurs qu’il décrit, Voltaire fait mine de ne pas faire allusion à sa propre société, or c’est bien au fond elle qu’il critique !

Mais le risque n’est pas que politique, il est aussi social. Il n’est pas rare en effet que le lecteur ne soit pas en position d’accepter la cri-tique directe, parce qu’il n’y est pas prêt. Quand un auteur montre clai-rement les défauts des hommes, comment s’étonner que le destinataire se sente critiqué, attaqué, et donc réagisse par le rejet d’un auteur qui lui semble le considérer de haut ? La position du moraliste n’est pas facile… Ainsi, quand La Fontaine critique les courtisans, il passe par la fable « Le Singe et le Léopard » : le récit des deux animaux qui « Gagnaient de l’ar-gent à la foire » permet d’amener la moralité (« Oh ! que de grands sei-gneurs, au Léopard semblables, // N’ont que l’habit pour tous talents ! ») avec moins de rudesse, ainsi la critique est moins directe et donc mieux supportée !

Enfin, il est certain qu’une argumentation indirecte comme une fable peut être mieux comprise qu’une démonstration logique : une fable ou un conte, fréquentés souvent depuis l’enfance, sont des genres lit-téraires que tout lecteur est en position de comprendre, car un récit est toujours plus aisé à suivre qu’un raisonnement abstrait. Les images en particulier aident à la compréhension : ainsi, lorsque l’imagination pré-sente au lecteur de la fable de La Fontaine un singe et un léopard à la foire, chacun montrant leurs tours, la cible de la satire devient clairement identifiable pour tous !

[Toutes ces raisons, qui relèvent de l’histoire, du contexte d’écri-ture, ou des capacités du lecteur, peuvent expliquer le recours à des formes indirectes de l’argumentation. Mais il est aussi possible de trou-ver à cette forme d’argumentation des qualités certaines d’efficacité pour convaincre et persuader qui expliqueraient que les écrivains les aient employées.]

Contrairement à une démonstration ou à un essai, centrés sur le docere, c’est-à-dire sur le fait d’instruire le lecteur, de lui apprendre

I. A. : idée développement

de l’idée

exemples historiques

procédés et ex. littéraires

transitionI. B. : idée

développement de l’idée

exemple citation

I. C. : idée

développement de l’idée

exemple

Bilan du I. Transition I-II

II. A. : idée

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81Séquence 2 – FR20

quelque chose, de faire passer des idées, les genres comme la tirade théâtrale, le conte ou la lettre fictive ont l’avantage de pouvoir divertir le lecteur, de l’amuser : ces formes d’argumentation peuvent donc égale-ment jouer sur le placere, le fait de plaire au lecteur. C’est ainsi le moyen de retenir son attention.

Le récit est un premier moyen de plaire : [ainsi, lorsque le lecteur se plonge dans les aventures de Candide et le suit jusqu’à Lisbonne (au chapitre VI de Candide ou l’Optimisme), son imagination, stimulée, peut lui figurer « le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne », les divers rebondissements qui suivent, et lui faire éprouver le plaisir de la lecture et du dépaysement temporel et spatial.]

La description ou le portrait sont aussi des moyens de faire passer des critiques de façon plaisante : dans les Lettres persanes, la description des rues de Paris par un Rica frappé de stupeur et égaré par la préci-pitation générale (« depuis un mois que je suis ici, je n’y ai encore vu marcher personne ») fait sourire, et Arrias dépeint par La Bruyère comme rustre et pédant –bref, le convive apte à gâcher un dîner ! - est vivante et amusante.

Car c’est souvent l’humour qui est utilisé dans l’argumentation indirecte pour séduire le lecteur et emporter son adhésion : la satire fait sourire aux dépens d’un personnage dont on se moque des défauts, [comme le vaniteux Léopard de la fable : « le Roi m’a voulu voir ; // Et, si je meurs, il veut avoir // Un manchon de ma peau ; tant elle est bigarrée, // Pleine de taches, marquetée, // Et vergetée, et mouchetée. »] La chute de la satire permet d’ailleurs souvent de porter le coup final à un personnage qu’on critique, comme celle du portait d’Arrias : « C’est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade ». Outre la satire, l’ironie est également employée. Voltaire en fait d’ailleurs grand usage, car quelle stratégie littéraire plus « indirecte » que cette forme d’humour qui consiste à dire le contraire de ce qu’on veut dire ? (cf. par exemple dans l’extrait de Candide, les expressions « sermon très pathétique » et « belle musique en faux-bourdon »).

[S’il est certain que les diverses formes de comique et l’art du récit ont trois moyens mis au service de l’argumentation indirecte pour la rendre efficace, l’argumentation indirecte permet également d’avoir recours à un regard extérieur.]

Certains auteurs des Lumières ont fait appel à un regard étran-ger dans leurs œuvres pour mieux dénoncer ou critiquer. [Par exemple Montesquieu crée de toutes pièces des personnages étrangers – des Per-sans – qui illustrent le regard extérieur que l’on aurait pu porter à l’époque sur les mœurs de la France, afin de mieux souligner tant l’absurdité de certains comportements – par exemple dans la satire des Parisiens – que les excès ou déviances du régime politique et de la religion – dans la satire du roi et du pape.] Il est évident que les défauts deviennent plus clairs quand on les voit à l’aide d’un regard neuf voire naïf. Ce procédé sera repris par [Voltaire avec ses personnages : Candide, Zadig, ou l’In

argument 1 exemple

citation

argument 2 exemple

citation

exemple

argument 3

exemplecitation

exemplecitation

Transition II A.- II B.

II. B. : idéeexemple

développement de l’idée

exemple

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82 Séquence 2 – FR20

génu, et a déjà été employé par le biais du personnage de théâtre avec par exemple le Tartuffe de Molière.] Ce procédé est caractéristique d’une argumentation indirecte, qui évite la confrontation sans « masque » : l’auteur est dissimulé derrière un porte-voix, un personnage de récit ou de théâtre, auquel il arrive des aventures, ou qui se révèle sur scène par ses tirades ou ses monologues ; le thème de l’argumentation n’en reste pas moins évident : Tartuffe expose sa fausse dévotion en pleine scène, et représente donc par son caractère même une critique du faux dévot ; Rica par sa naïveté feinte met en valeur les dysfonctionnements et les ridicules du pouvoir, royal et papal…

Ce jeu de masques induit une distance certaine : ce n’est en apparence pas l’auteur qui critique, et ce n’est pas le roi, le pape, ou les courtisans de l’époque qui sont visés. Cette distance permet donc de présenter la critique comme objective, puisque ce n’est pas l’auteur qui l’avance, mais un personnage, qui plus est étranger à la société fran-çaise comme Rica, et qui ne peut être de parti pris ! Cette objectivité rend la critique plus forte et plus crédible, bien qu’elle reste indirecte.

Outre l’efficacité de l’argumentation indirecte, qui repose sur l’emploi de l’humour, du regard extérieur et de l’objectivité apparente de la critique – tous procédés qui reposent sur une mise à distance, un recul face à l’objet sur lequel on argumente, éloigné par le détour de la fiction –, ne peut-on tout simplement trouver à cette forme d’écriture des qualités littéraires et philosophiques ?

En effet, l’écrivain dans une argumentation indirecte peut tout d’abord jouer sur les sentiments de son lecteur, en usant de divers registres. [Ainsi, outre les registres ironique et satirique déjà évoqués, Vol-taire en appelle au registre pathétique lorsqu’il évoque le sort déplorable du malheureux Candide – « Candide, épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant… », mais aussi au registre oratoire : « Mais, ô mon cher Pangloss ! le plus grand des philosophes, faut-il vous avoir vu pendre sans que je sache pourquoi ! Ô mon cher anabaptiste, le meilleur des hommes, faut-il que vous ayez été noyé dans le port ! Ô Mlle Cunégonde ! la perle des filles, faut-il qu’on vous ait fendu le ventre ! », comme il le fera aussi dans son Traité sur la tolérance : « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes… ». Le lecteur prend en pitié le personnage, et c’est ainsi à son tour, après le placere (plaire), le movere (émouvoir) qui est mobilisé pour renforcer la persuasion. Les genres variés qui peuvent être le lieu d’une argumentation indirecte – texte théâtral, récit… – ont donc la capacité lit-téraire de faire naître des émotions, qui contribuent certes à l’efficacité du message, mais sont aussi appréciables pour eux-mêmes – c’est même l’un des plaisirs de la lecture que d’éprouver des sentiments !]

Mais comme les textes argumentatifs directs, les argumenta-tions indirectes ont pour vocation de faire réfléchir le lecteur : loin de se contenter de plaire et d’émouvoir, une fable par exemple peut trans-mettre une critique – nous avons vu celle des courtisans dans « Le Singe

lien avec le sujet

exemple

exemple

transition II B. - II C.

II C. : idée

exemple

Bilan II

Transition II-III

III A. : idée

exemple citation

citation

citation

développement de l’idée

III B. : idée

exemple

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Page 83: Evolution de la critique sociale du XVIIe siècle au XVIIIe siècle

83Séquence 2 – FR20

et le Léopard », mais aussi plus généralement offrir l’occasion au lecteur d’exercer sa réflexion. Cela peut se faire à trois niveaux. Premièrement, l’auteur peut nous fait réfléchir à différentes attitudes, personnelles, sociales ou morales, et à leurs conséquences : [lorsque le singe l’em-porte sur le léopard, un enseignement peut être tiré, qui nous apprend que la compétence vaut mieux que le paraître ; de même, quand le lec-teur suit Candide dans ses pérégrinations et qu’il assiste à ses malheurs, le pouvoir terrible de l’Inquisition se présente avec clarté à ses yeux, et lui enseigne les dangers du fanatisme religieux.]

Deuxièmement, il est certain que pour comprendre la « morale », la por-tée d’un récit à visée argumentative, il est nécessaire que le lecteur se livre à sa propre interprétation. En effet, puisque le message est indirect, il est « voilé », caché, et ne révèle tout son sens que si l’on fait l’effort de le chercher. Ainsi, les cibles visées sont souvent désignées indirecte-ment – et c’est au lecteur de comprendre de quoi il est question ! Quand Rica écrit : « tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu’un ; que le pain qu’on mange n’est pas du pain, ou que le vin qu’on boit n’est pas du vin », il faut comprendre qu’il fait allusion aux mystères de la Trinité et de l’Eucharistie ; de même quand Voltaire évoque les « deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard », il faut pouvoir se rappeler que la religion juive prescrit qu’on s’abstienne de manger du porc : le lecteur doit donc être actif, réfléchir, interpréter, et être cultivé !

À un troisième niveau enfin, l’argumentation indirecte propose aussi une réflexion plus générale sur les grandes valeurs et les grandes thématiques philosophiques et sociales, comme l’humanisme ou la tolé-rance dans le Traité sur le tolérance de Voltaire, sur les dangers de l’hypo-crisie et de la fausse dévotion dans Tartuffe, ou sur les excès du pouvoir et de la religion chez Montesquieu : au-delà même de sa démonstration initiale, l’argumentation indirecte est riche en enseignements car elle touche à l’universalité.

Par la création en effet de personnages de fiction – Candide, Arrias, Rica, les animaux des fables… –, l’argumentation indirecte instaure des types, ou archétypes, c’est-à-dire des personnages emblématiques, qui concentrent en eux jusqu’à la caricature les défauts que l’on veut placar-der. Ainsi Arrias symbolise à lui seul le pédant insupportable, le Léopard est l’image même du courtisan vaniteux, Candide est un personnage naïf qui représente n’importe quel jeune homme sans expérience de la vie de l’époque de Voltaire… C’est ainsi que l’argumentation indirecte en arrive à dépasser un discours uniquement argumentatif pour atteindre à une dimension plus philosophique et universelle, faisant en sorte que tous les lecteurs de toutes les époques puissent retrouver les travers de leur société – ou leurs propres défauts, puisque l’archétype permet qu’on s’identifie ou qu’on se compare à lui !

[En conclusion, on peut noter que l’argumentation indirecte, si elle est parfois une nécessité dans certains contextes historiques, pré-sente des avantages certains, car elle contribue de diverses manières

argument 1

exemple

exemple

argument 2

exemplecitation

exemplecitation

argument 3

exemple

III C. : idée

exemple

développement de l’idée

conclusIon

Bilan

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84 Séquence 2 – FR20

à l’efficacité de la persuasion, est élaborée sur le plan littéraire, permet d’engager la réflexion du lecteur, et peut également s’ouvrir à une portée philosophique plus générale. Il serait cependant nécessaire de rappe-ler également que cette forme d’argumentation peut présenter certaines difficultés : car que dire des possibles erreurs d’interprétation que le lec-teur peut commettre sur un texte imagé ou indirect, ou encore du fait que le message premier peut parfois passer au second plan, derrière l’agré-ment d’un récit ou d’une tirade ? Il n’en reste pas moins que ce genre d’argumentation a été fort exploité sous l’Ancien Régime, époque où la liberté d’expression n’était pas encore acquise, et qu’elle a en partie contribué à l’éclosion d’une critique sociale décisive.] n

ouverture finale

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