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"La modernisation de l'agriculture irriguée dans les pays du Maghreb" Séminaire WADEMED Rabat 19/21 avril 2004 sous-thème Impacts environnementaux de l'irrigation Evolution de la ressource en eau dans la vallée du Merguellil (Tunisie centrale) C. Leduc 1 , R. Calvez 2 , R. Beji 3 , Y. Nazoumou 12 , G. Lacombe 12 , C. Aouadi 124 1. IRD, UMR HydroSciences Montpellier, BP 434, 1004 El Menzah 4, Tunis 2. IRD, US DIVHA, BP 434, 1004 El Menzah 4, Tunis 3. CRDA, Kairouan 4. INAT, Sciences et Techniques de l'Eau, 43 av. C. Nicolle, Tunis Résumé: La plaine de Kairouan (Tunisie centrale) se trouve au débouché des trois grandes vallées du Zéroud, du Merguellil et du Nebhana. Dans ce contexte semi-aride (pluies moyennes entre 200 et 400 mm.an -1 ), l'intensification de l'irrigation au cours des dernières décennies a suscité une forte croissance de la demande en eau. En même temps, différents aménagements affectent l'ensemble du fonctionnement hydrologique : multiples ouvrages de conservation des eaux et des sols, petits et moyens, d'une part, grands barrages de protection contre les crues sur les trois oueds majeurs d'autre part. La distribution de l'eau B la surface du bassin-versant et dans le sous-sol a donc considérablement évolué et change encore. Dans la plaine du Merguellil, B l'aval du barrage el Haouareb, la nappe alluviale quaternaire est devenue la seule ressource en eau disponible. Elle est actuellement exploitée sans réel contrôle, ce qui conduit B une baisse sensible de son niveau (de 0,25 à1,0 m par an). Elle n'est plus alimentée comme en régime naturel par les crues de l'oued, désormais entièrement bloquées par le barrage. Elle ne reçoit plus que les apports des nappes latérales et le flux souterrain passant sous le barrage. L'avenir du développement agricole régional dépend de manière évidente de la maîtrise de la ressource souterraine et donc de sa bonne connaissance. Malgré de multiples mesures de terrain et études entreprises depuis plusieurs décennies, il reste encore de nombreuses incertitudes qui rendent le bilan actuel de la nappe très incertain, à la fois sur les flux entrants et sortants. La surexploitation est nette et générale et aucune solution alternative simple n'apparaît. Le risque d'augmentation à long terme de la minéralisation existe mais ce problème est moins grave et moins immédiat que la baisse piézométrique. Mots-clés : zone semi-aride, Tunisie, nappe, irrigation, surexploitation, échange surface-souterrain

Evolution de la ressource en eau dans la vallée du

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"La modernisation de l'agriculture irriguée dans les pays du Maghreb" Séminaire WADEMED Rabat 19/21 avril 2004

sous-thème Impacts environnementaux de l'irrigation

Evolution de la ressource en eau dans la vallée du Merguellil (Tunisie centrale)

C. Leduc1, R. Calvez2, R. Beji3, Y. Nazoumou12, G. Lacombe12, C. Aouadi124

1. IRD, UMR HydroSciences Montpellier, BP 434, 1004 El Menzah 4, Tunis 2. IRD, US DIVHA, BP 434, 1004 El Menzah 4, Tunis 3. CRDA, Kairouan 4. INAT, Sciences et Techniques de l'Eau, 43 av. C. Nicolle, Tunis

Résumé:

La plaine de Kairouan (Tunisie centrale) se trouve au débouché des trois grandes vallées du Zéroud, du Merguellil et du Nebhana. Dans ce contexte semi-aride (pluies moyennes entre 200 et 400 mm.an-1), l'intensification de l'irrigation au cours des dernières décennies a suscité une forte croissance de la demande en eau. En même temps, différents aménagements affectent l'ensemble du fonctionnement hydrologique : multiples ouvrages de conservation des eaux et des sols, petits et moyens, d'une part, grands barrages de protection contre les crues sur les trois oueds majeurs d'autre part. La distribution de l'eau B la surface du bassin-versant et dans le sous-sol a donc considérablement évolué et change encore.

Dans la plaine du Merguellil, B l'aval du barrage el Haouareb, la nappe alluviale quaternaire est devenue la seule ressource en eau disponible. Elle est actuellement exploitée sans réel contrôle, ce qui conduit B une baisse sensible de son niveau (de 0,25 à1,0 m par an). Elle n'est plus alimentée comme en régime naturel par les crues de l'oued, désormais entièrement bloquées par le barrage. Elle ne reçoit plus que les apports des nappes latérales et le flux souterrain passant sous le barrage.

L'avenir du développement agricole régional dépend de manière évidente de la maîtrise de la ressource souterraine et donc de sa bonne connaissance. Malgré de multiples mesures de terrain et études entreprises depuis plusieurs décennies, il reste encore de nombreuses incertitudes qui rendent le bilan actuel de la nappe très incertain, à la fois sur les flux entrants et sortants. La surexploitation est nette et générale et aucune solution alternative simple n'apparaît. Le risque d'augmentation à long terme de la minéralisation existe mais ce problème est moins grave et moins immédiat que la baisse piézométrique. Mots-clés : zone semi-aride, Tunisie, nappe, irrigation, surexploitation, échange surface-souterrain

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1- Contexte général Dans sa politique de mobilisation des ressources en eau, la Tunisie a entrepris de mobiliser 90 % des eaux de surface et 100 % des eaux souterraines. La construction d’un ensemble de barrage et barrages collinaires interconnectés devrait permettre de contribuer à atteindre cet objectif. Malgré ces mesures, le bilan offre/demande est toujours déficitaire. En effet la demande en eau n’a pas cessé de croître, conséquence de l'augmentation de la population et du développement industriel, mais surtout de l'intensification de l’agriculture, de très loin le principal consommateur d’eau (environ 80%). Le centre de la Tunisie, malgré son climat semi-aride et notamment la très forte variabilité des précipitations, représente la zone de plus fort développement agricole potentiel, entre un nord déjà bien exploité et un sud trop aride. A l'intérieur de ce domaine géographique, la plaine de Kairouan (fig. 1) dispose du plus important réservoir aquifère, atout essentiel pour compenser l'impact des fluctuations climatiques. Par ailleurs, des grands barrages ont été construits sur les principaux oueds, Zéroud, Merguellil et Nebhana afin de lutter contre les crues les plus violentes aux conséquences dramatiques, comme celles qui inondèrent Kairouan en 1969, et également afin d'alimenter certains des périmètres irrigués de la région. Plus récemment, les aménagements destinés à la conservation des eaux et des sols se sont multipliés sur l'ensemble du bassin-versant. Le fonctionnement hydrologique est donc très sensiblement bouleversé. L'importance socio-économique de la maîtrise régionale des eaux est évidente.

Les problèmes rencontrés dans cette région (ressources variables et limitées, usages croissants, faible contrôle de l'accès à l'eau, etc.) sont des questions rencontrées sur l'ensemble du bassin méditerranéen. A cet égard, le bassin du Merguellil peut être considéré comme un cas typique.

Figure 1: Le bassin du Merguellil est cerné de noir pour sa partie à l'amont du barrage el

Haouareb, de rouge pour sa partie immédiatement à l'aval du barrage, sa partie terminale se confondant avec le reste de la plaine de Kairouan. Les sebkhas, aboutissement du Merguellil

et du Zéroud (au sud du Merguellil), apparaissent en bleu très clair ou très foncé.

Cette communication présente des résultats issus du programme franco-tunisien

Mergusie (Merguellil : ressources, gestion et usages intégrés de l'eau), actuellement à sa

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deuxième phase, qui vise à une gestion intégrée de l'eau dans le bassin du Merguellil et qui associe l'IRD (US DIVHA et UMR HydroSciences Montpellier) et plusieurs partenaires tunisiens dont le CRDA de Kairouan (Commissariat régional pour le développement agricole), la DGRE (Direction Générale des ressources en Eau) du Ministère de l'Agriculture et l'INAT (Institut National Agronomique de Tunisie). 2- Etat des connaissances

Le Merguellil est un des trois grands oueds qui aboutissent dans la plaine de Kairouan. Son bassin comporte une partie amont (1200 km2), relativement montagneuse, très variée dans sa topographie et son occupation des sols, et une partie aval, vaste plaine totalement colonisée par l'agriculture (fig. 2). Entre les deux, le barrage d'el Haouareb, construit en 1989 sur une zone de faille karstifiée, retient toutes les eaux de l'oued. Le barrage a une capacité maximale de 90 Mm3, mais n'a jamais été totalement rempli : l'apport annuel moyen depuis 1989 a varié entre 5 et 37 Mm3 (moyenne de 17 Mm3, ce qui correspond à un ruissellement global du bassin amont entre 5 et 10 %). On estime actuellement que 25 % des eaux arrivées au barrage s'évaporent et que 63 % rechargent les nappes, le reste allant principalement à l'alimentation d'un périmètre situé juste à l'aval (Kingumbi, 1999). Le bassin se trouve entre les isohyètes 200 et 400 mm/an, les pluies étant plus fortes dans le bassin amont que dans le bassin aval.

Trois systèmes aquifères différenciés existent à l'amont ; leurs échanges sont mal connus, tout comme les liens entre le réseau hydrographique et les nappes. A l'aval, une grande nappe phréatique est contenue dans les alluvions de la plaine. Cette série continentale à granulométrie très variable verticalement et latéralement s'épaissit de l'ouest vers l'est et dépasse presque partout la centaine de mètres d'épaisseur, et bien plus à l'aval. La nappe alluviale est également en communication avec d'autres nappes latérales et se prolonge avec une extension verticale et horizontale très réduite vers l'amont où elle peut échanger des flux avec les autres nappes de l'amont. L'infiltration des eaux de l'oued lors des crues était probablement la principale source d'alimentation de la nappe alluviale. Depuis la construction du barrage, cette recharge n'existe plus du tout. Cette grande nappe alluviale de l'aval est désormais la seule alimentation possible pour l'irrigation à l'aval du barrage.

Figure 2: Bassin versant du Merguellil : les traits rouges limitent le bassin amont et la partie étudiée immédiatement à l'aval du barrage, les traits mauves les trois aquifères présents à

l'amont ; les points bleus et rouges sont les puits et forages exploitant les différentes nappes.

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L’étude hydrogéologique de la plaine de Kairouan a démarré avant l'indépendance de la Tunisie. Dans les années 60, des mesures plus nombreuses ont permis d'approfondir les connaissances sur la nappe. Ceci a abouti à la première modélisation mathématique (Besbes, 1978) qui a proposé un schéma des écoulements souterrains et une première quantification des ressources. Ensuite, plusieurs études de réactualisation de ce modèle ont été réalisées, suite à la mise en eaux des grands barrages de Sidi Saâd, sur le Zéroud, et el Haouareb, sur le Merguellil. La dernière grande réactualisation de ce modèle est issue des travaux de Nazoumou (2002). Cependant, entre 1975 et 2002, aucun changement significatif n'a été apporté sur les grandes schématisations retenues dans la modélisation ; seuls les chiffres de flux étaient légèrement actualisés. En parallèle à ces travaux portant sur la nappe quaternaire d'importance fondamentale pour la région à l'aval des barrages, des études étaient menées sur d'autres aspects du cycle hydrologique ou d'autres zones du bassin versant. La première phase du programme de recherche franco-tunisien Mergusie a accentué ces recherches. Le domaine couvert a aussi largement débordé des limites de l'hydrologie classique pour prendre en compte les usages de l'eau (Feuillette, 2001). Cependant, l'examen critique d'une bibliographie apparemment abondante montre que de nombreuses lacunes subsistent, parfois sur des questions fondamentales. La géométrie précise du réservoir alluvial aval est encore très mal connue, ce qui pèse lourdement sur l'évaluation du stock et du renouvellement de la nappe mais aussi de l'ampleur de la surexploitation actuelle. De même, le bilan des flux entrants et sortants ne peut être raisonnablement calé sur les estimations officielles des prélèvements, largement sous-estimés. Le biais ainsi induit dans la modélisation rend le calage peu fiable.

Des travaux portant sur la géochimie de cette nappe ont été réalisés et se poursuivent encore (par exemple Ben Hamouda, 1997), notamment dans l'équipe de K. Zouari à l'ENI de Sfax, mais leurs résultats n'ont pas encore été confrontés avec ceux de l'hydrodynamique. L'amélioration des connaissances sur ces points fondamentaux ne sera probablement pas facile mais elle est indispensable à la production de modèles physiques fiables. 3- Fluctuations naturelles et impact de l'irrigation sur les ressources en eau A l'amont

Dans la partie haute du bassin, les aménagements de conservation des eaux et des sols couvrent déjà 25 % de la surface totale et cette proportion continue d'augmenter. On compte 38 lacs collinaires et 4 barrages collinaires d'un volume moyen de 1 Mm3. Certains de ces ouvrages ont permis l'apparition d'une petite irrigation très localisée ; de nombreux autres ne sont pas encore exploités pour le développement agricole, soit par insuffisance d'une ressource stable dans le temps, soit par conditions physiques défavorables, soit par manque de maîtrise technique de la population, soit du fait de difficultés foncières. La diminution plus ou moins rapide des volumes stockables du fait de l'envasement des retenues est un autre frein à l'utilisation de cette ressource. Ces nombreux aménagements de protection contre l'érosion modifient très sensiblement les écoulements de surface (Dridi, 2000). On peut donc considérer que le développement de l'irrigation à l'amont est encore limité et que son impact réel sur le bilan des ressources en eau, de surface et souterraines, est plus faible que l'impact direct des aménagements, quelle que soit l'utilisation de l'eau stockée par ces derniers. A l'aval

L'essentiel de l'utilisation de l'eau à des fins agricoles se produit dans la partie aval du bassin. La figure 2 illustre la très forte densité des ouvrages d'exploitation à l'aval : dans la seule zone de notre étude, qui ne couvre qu'une partie de la plaine de Kairouan, on en dénombre plus de 1000.

La profondeur de la nappe alluviale varie le plus souvent entre 15 et 65 m. Les

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ouvrages de plus de 50 m de profondeur sont théoriquement interdits mais les contrôles sont rares et les sanctions exceptionnelles. On peut donc considérer la nappe comme étant en accès libre, de fait sinon de droit.

Un réseau d'observation piézométrique existe depuis 1966 et comporte des points mesurés épisodiquement et quelques trop rares enregistreurs automatiques du niveau de la nappe phréatique (fig. 3). La densité spatiale et temporelle des mesures a sensiblement varié. Nous disposons malgré tout d'une information suffisante pour identifier les principaux processus en jeu. Nous avons sélectionné quelques sites qui présentent un intérêt important pour la compréhension des processus de recharge de la nappe.

Figure 3: Réseau de surveillance piézométrique du bassin du Merguellil

Le piézomètre M21 (fig. 4) est situé juste à l'aval de l'actuel barrage. Lors des grandes

crues de 1969, la nappe était montée de 10 m mais était rapidement retombée de 4 m. Le gain de cet épisode exceptionnel pour la nappe restait néanmoins très important. Les crues ultérieures, toujours en régime "naturel", ont momentanément interrompu le mouvement de descente à long terme qui s'est poursuivi jusqu'en 1989, pour atteindre 20 ans après un niveau plus bas d'environ 1 m qu'en 1968. La construction du barrage en 1989 a modifié le fonctionnement de la nappe et a créé une charge hydraulique variable mais beaucoup plus forte à l'amont immédiat de ce point. La hausse piézométrique induite localement dépassa 6 m. Depuis 1994, le mouvement majeur est la baisse provoquée par l'augmentation des pompages à l'aval (10 m en 10 ans).

La comparaison des forages M21 et M29 sur la période 1994-2003 (fig. 5) nous montre un amortissement des fluctuations d'amont en aval : la baisse au M29 n'est que de 6 m en 10 ans et fluctuations y sont beaucoup plus lissées. Ceci est logique puisque sur cette période les deux causes majeures de fluctuation sont les niveaux du réservoir du barrage, à l'amont hydraulique, et l'augmentation des prélèvements, sur l'ensemble du domaine.

Les forages M16 et A, situés à l'aval des précédents et surtout plus près de la bordure nord de l'aquifère, ont des profils encore plus lissés (fig. 6). La hausse de 1969 est inférieure à 2 m. Depuis, la baisse est lente mais continue et dépasse 6 m en 20 ans. La construction du barrage n'a pas eu d'impact sensible.

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01/69 01/72 01/75 01/78 01/81 01/84 01/87 01/90 01/93 01/96 01/99 01/02

M 21 N° I.R .H. 13188/4

Figure 4: Variation piézométrique près du barrage el Haouareb depuis 1969

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01/95 01/96 01/97 01/98 01/99 01/00 01/01 01/02 01/03

M 2

1

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M 2

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M29 N° I.R.H. 19281/4 M21 N° I.R.H. 13188/4

Figure 5: Variations comparées de la piézométrie en M29 et M21

7 1

7 3

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0 1 /6 8 0 1 /7 1 0 1 /7 4 0 1 /7 7 0 1 /8 0 0 1 /8 3 0 1 /8 6 0 1 /8 9

M 1

6

1 0 7

1 0 9

1 1 1

1 1 3

1 1 5

A

M 1 6 N ° I.R .H . 1 2 4 8 5 /4 A , N ° IR H 1 2 3 7 7 /4

Figure 6: Variations comparées de la piézométrie en M16 et A

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4- Discussion et conclusion

Le développement des puits et forages, dans des parcelles privées mais aussi à l'intérieur des périmètres publics, a sensiblement accru la pression sur la nappe alluviale. On assiste à une baisse généralisée du niveau piézométrique, qui va de 0,25 à 1,0 m par an pour les deux dernières décennies (fig. 7 pour 1978-1989). Avec l'hypothèse d'une baisse moyenne de la nappe de 0,5 m/an et d'une porosité du matériau alluvial de 5 à 10 %, la lame d'eau réelle perdue chaque année est de 25 à 50 mm. Ce déstockage, qui ne correspond qu'à une partie du prélèvement total dans la nappe pour l'irrigation volume, est modeste au regard des volumes habituellement consommés dans les périmètres irrigués mais correspond néanmoins à un net déséquilibre de la nappe.

Figure 7 : Carte de la baisse piézométrique entre mars 1978 et août 1989, illustrant l’impact

des pompages sur la nappe

Aucun retour des eaux d'irrigation jusqu'à la nappe n'a été observé pour le moment. Ceci s'explique à la fois par une grande épaisseur moyenne de la zone non saturée, où les temps de transit peuvent facilement se compter en décennies, et par un apport en eau très mesuré. Ce retour peut être raisonnablement considéré comme négligeable ou nul.

Durant les dernières années, la dégradation de la pluviométrie est allée de pair avec l'augmentation du nombre de forages et l'a peut-être accentuée. Le retour très récent à une pluviométrie plus normale permettra de mieux démêler l'influence respective des fluctuations climatiques et des pompages sur les ressources en eau souterraine. Le prélèvement pour l'irrigation et l'alimentation en eau potable semble bien le moteur le plus puissant de l'évolution de la nappe.

La nappe alluviale du Merguellil est donc un système relativement simple marqué par une nette surexploitation. Cette situation n'est pas tenable sur le long terme. Il faut donc envisager de diminuer les flux sortants et/ou augmenter les flux entrants.

Les flux sortants sont d'abord les pompages pour l'irrigation. Les autorités en charge de la gestion de la nappe n'ont pour l'instant pas les moyens de limiter les pompages. Une restriction volontaire des irrigants est difficilement imaginable. Par ailleurs, la baisse régulière de la nappe interdira son accès aux seuls paysans qui ne disposeront pas de moyens financiers de surcreuser leurs puits et forages. Au vu des comportements actuels, ceci ne

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devrait toucher qu'une faible partie de la population agricole. L'autre flux sortant important est celui qui atteint les sebkhas à l'aval de Kairouan et permet l'équilibre de ces zones écologiquement singulières. L'augmentation des pompages réduira ou même tarira l'alimentation en eau de ce secteur.

Les flux entrants dans notre système sont d'abord constitués par les échanges avec les autres systèmes aquifères ; ces flux ne sont pas identifiés aujourd'hui. Ce sont également les apports des eaux de surface au barrage el Haouareb, qui s'infiltrent ensuite et atteignent l'aquifère alluvial de manière directe ou par le relais d'une autre nappe. Ils sont évidemment dépendants des variations climatiques et de l'aménagement de l'amont. La multiplication des ouvrages de conservation des eaux et des sols induira une diminution des écoulements arrivant au barrage, donc de la recharge des nappes et des volumes disponibles pour l'irrigation depuis l'aquifère alluvial.

Le transfert d'eau depuis un autre bassin apparaît comme la manière la plus évidente d'augmenter le volume d'eau de la région, avec toutefois le risque important en zone semi-aride qu'une même sécheresse affecte les régions donneuses et demandeuses d'eau. Mais la gestion de la ressource peut aussi passer par une amélioration de son utilisation. Pour l'instant, il n'existe pas d'étude fiable permettant de dire si des lâchers contrôlés d'eau du barrage s'infiltrant dans l'ancien lit de l'oued seraient plus ou moins efficaces en terme de recharge de nappe que la situation actuelle, qui perd par évaporation un volume important dans la retenue du barrage (voir par exemple Nazoumou et Besbes, 2000). Une meilleure valorisation sociale et économique de l'eau pourrait sembler une autre alternative, notamment par le choix de cultures moins exigeantes en eau, mais jusqu'à présent le passage au goutte à goutte semble s'être accompagné d'une augmentation des surfaces irriguées et non d'une diminution des consommations d'eau. Une autre possibilité d'amélioration de l'utilisation de la ressource en eau reposerait sur une étude comparative, physique et socio-économique, des besoins et gains de diverses productions en fonction de leur emplacement dans le bassin : des cultures dispersées à l'amont utilisant l'eau relativement diffuse et fortement variable dans le temps des retenues collinaires sont-elles plus intéressantes que des cultures à l'aval, exploitant la ressource plus stable dans le temps et l'espace de la nappe alluviale, mais dont l'eau a subi une ponction évaporatoire de 25 % au moins pendant leur transfert par le barrage ? Enfin, il faut rappeler que la perception très différente des usagers de la ressource souterraine ou de surface peut largement influer sur leur comportement : ressource invisible, sans limite facilement identifiable d'un côté, ressource visible au stock facilement estimable de l'autre. Le problème de l'évolution de la qualité des eaux doit être évoqué. La nappe alluviale à l'aval présente de fortes variations latérales et verticales de minéralisation qui peuvent s'expliquer par des variations lithologiques de l'aquifère, des origines et des vitesses de circulation différentes des eaux souterraines. L'exposition des eaux de surface à une évaporation intense augmente évidemment la minéralisation des eaux avant leur utilisation agricole (voir par exemple Montoroi et al., 2002). De plus, le lessivage de la zone non saturée pourra sensiblement augmenter la minéralisation de la nappe par apport des intrants agricoles récents en excès et des sels des eaux de pluie et eaux de crue n'ayant pas atteint la nappe qui se sont accumulés depuis des siècles dans le sol. Cependant, ces deux causes d'accroissement de la minéralisation ne produiront probablement un effet sensible que sur une échelle de temps particulièrement longue. Le problème quantitatif est donc bien le plus urgent dans la vallée du Merguellil.

Au vu des nombreuses incertitudes pesant sur les différents termes du bilan de la nappe, il est évident que les estimations et simulations proposées jusqu'à présent n'ont qu'une valeur limitée et les indications ainsi fournies restent très générales. Une nouvelle modélisation numérique des écoulements souterrains sera entreprise. La reconstitution d'un état stable, c'est-à-dire avant le développement de l'irrigation et la réalisation du barrage, se heurte au nombre limité des données disponibles, pour la piézométrie et surtout pour les prélèvements. Le calage en régime transitoire doit ensuite traiter deux périodes distinctes : avant 1989, un régime encore naturel mais subissant la grande crue de 1969 et après 1989, un régime artificiel avec la présence du barrage et une forte croissance des pompages. Comme dans tout modèle hydrogéologique, une même reconstitution piézométrique peut

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correspondre à plusieurs jeux de flux/perméabilité, de plus fortes perméabilités impliquant des plus forts flux. Il est donc indispensable de resserrer au maximum la gamme des flux possibles (les pompages par des enquêtes multiples, les flux naturels par critique croisée de l'hydrodynamique et de la géochimie) et la gamme des perméabilités (essais de pompage à l'échelle locale, propagation et atténuation des fluctuations piézométriques à plus grande échelle). La validation du modèle sur un état hydrologique très différent de celui ayant servi au calage est un très bon test de qualité. Des tests de sensibilité permettent d'apprécier la robustesse de l'ensemble et la fiabilité des résultats issus des différentes simulations. Ce modèle physique discrétisé à l'origine en un nombre important de mailles doit ensuite être "dégradé". Ceci consiste d'abord à découper l'ensemble de la zone en un nombre très réduit de sous-régions suffisamment homogènes en ressources, usages et évolution telle que prévue par le modèle. Il faut ensuite schématiser le comportement de ces sous-régions par des règles simplifiées de fonctionnement interne et d'interactions entre régions, en gardant en tête une vision dynamique de l'anthropisation. Ce découpage et ces règles décrivant le milieu physique sont enfin introduits dans un modèle plus large reprenant les contraintes physiques et socio-économiques, véritable outil de gestion intégrée des ressources en eau à l'échelle régionale. 5- Références bibliographiques

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