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RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool SynthĂšse et recommandations EXPERTISE COLLECTIVE

EXPERTISE COLLECTIVE

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Page 1: EXPERTISE COLLECTIVE

ISBN 978-2-7598-2606-3ISSN 1264-1782

inserm.fr

SynthĂšse et recommandationsEXPERTISE COLLECTIVE

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RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

SynthĂšse et recommandations

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RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool © Éditions EDP Sciences, 2021978-2-7598-2603-3

Dans lamĂȘme collection© Les Ă©ditions InsermC SantĂ© des enfants et des adolescents, propositions

pour la prĂ©server. Expertise opĂ©rationnelle. 2003C Tabagisme. Prise en charge chez les Ă©tudiants. 2003C Tabac. Comprendre la dĂ©pendance pour agir. 2004C PsychothĂ©rapie. Trois approches Ă©valuĂ©es. 2004C DĂ©ficiences et handicaps d’origine pĂ©rinatale. DĂ©pistage et prise

en charge. 2004C Tuberculose. Place de la vaccination dans la maladie. 2004C Suicide. Autopsie psychologique, outil de recherche

en prévention. 2005C Cancer. Approche méthodologique du lien

avec l’environnement. 2005C Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent. 2005C Cancers. Pronostics Ă  long terme. 2006C Éthers de glycol. Nouvelles donnĂ©es toxicologiques. 2006C DĂ©ficits auditifs. Recherches Ă©mergentes et applications

chez l’enfant. 2006C ObĂ©sitĂ©. Bilan et Ă©valuation des programmes de prĂ©vention

et de prise en charge. 2006C La voix. Ses troubles chez les enseignants. 2006C Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie. Bilan des données

scientifiques. 2007C Maladie d’Alzheimer. Enjeux scientifiques, mĂ©dicaux

et sociĂ©taux. 2007C Croissance et pubertĂ©. Évolutions sĂ©culaires, facteurs

environnementaux et gĂ©nĂ©tiques. 2007C ActivitĂ© physique. Contextes et effets sur la santĂ©. 2008C Autopsie psychologique.Mise enƓuvre et dĂ©marches associĂ©es. 2008C Saturnisme. Quelles stratĂ©gies de dĂ©pistage chez l’enfant. 2008C Jeux de hasard et d’argent. Contextes et addictions. 2008C Cancer et environnement. 2008C Tests gĂ©nĂ©tiques. Questions scientifiques, mĂ©dicales et

sociĂ©tales. 2008C SantĂ© de l’enfant. Propositions pour unmeilleur suivi. 2009C Transplantation d’organes. Quelles voies de recherche ? 2009C SantĂ© des enfants et des adolescents. Propositions

pour la préserver. 2009C Réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues.

2010C Téléphone et sécurité routiÚre. 2011C Stress au travail et santé. Situation chez les indépendants. 2011C Reproduction et environnement. 2011C Médicaments psychotropes. Consommations et

pharmacodépendances. 2012C Handicaps rares. Contextes, enjeux et perspectives. 2013C Pesticides. Effets sur la santé. 2013C Conduites addictives chez les adolescents. Usages, prévention

et accompagnement. 2014C InĂ©galitĂ©s sociales de santĂ© en lien avec l’alimentation

et l’activitĂ© physique. 2014CActivitĂ© physique et prĂ©vention des chutes chez les personnes ĂągĂ©es.

2015© Éditions EDP SciencesC DĂ©ficiences intellectuelles. 2016C Agir sur les comportements nutritionnels. 2017C ActivitĂ© physique. PrĂ©vention et traitement des maladies

chroniques. 2019C Trouble développemental de la coordination ou dyspraxie.

2019C Fibromyalgie. 2020CEssais nucléaires et santé. Conséquences en Polynésie française. 2020

Ce logo rappelle que le code de la propriĂ©tĂ© intellectuelledu 1er juillet 1992 interdit la photocopie Ă  usage collectifsans autorisation des ayants-droits.Le non-respect de cette disposition met en danger l’édition,notamment scientifique.

Toute reproduction, partielle ou totale, du prĂ©sent ouvrage est interdite sans autorisation de l’éditeurou du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).

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Ce document prĂ©sente la synthĂšse et les recommandations issuesdes travaux du groupe d’experts rĂ©unis par l’Inserm dans le cadrede la procĂ©dure d’expertise collective (voir annexe 1) pourrĂ©pondre Ă  la demande de la Mildeca et du ministĂšre en chargede la SantĂ© concernant la rĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  laconsommation d’alcool, les stratĂ©gies de prĂ©vention etd’accompagnement.Ce travail s’appuie essentiellement sur les donnĂ©es issues de lalittĂ©rature scientifique disponible lors du premier semestre 2020.PrĂšs de 3 600 documents ont Ă©tĂ© rassemblĂ©s Ă  partir de l’inter-rogation de diffĂ©rentes bases de donnĂ©es (PubMed, Web ofsciences, Scopus, socINDEX, Cairn, Pascal, Francis, Econbizz,JSTOR, OpenEdition Journals, Isidore, PersĂ©e).Le PĂŽle expertise collective de l’Inserm, rattachĂ© Ă  l’InstitutthĂ©matique SantĂ© publique, a assurĂ© la coordination de cetteexpertise.

Pour citer ce document :

Inserm. RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool.Collection Expertise collective. Montrouge : EDP Sciences, 2021.

Pour accéder aux expertises collectives en ligne :

http://ipubli-inserm.inist.fr/handle/10608/1

http://www.inserm.fr/thematiques/sante-publique/expertises-collectives

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Experts et auteursGuillaume AIRAGNES, AP-HP. Centre – UniversitĂ© de Paris, DĂ©parte-ment MĂ©dico-Universitaire de Psychiatrie et Addictologie, Paris ;Inserm, UMS 011 Cohortes Ă©pidĂ©miologiques en population, VillejuifChristian BEN LAKHDAR, LEM (UMR CNRS 9221), UniversitĂ© de Lille,FacultĂ© des sciences juridiques, politiques et sociales (FSJPS), LilleJean-Bernard DAEPPEN, CHUV Centre hospitalier universitaire vau-dois, Lausanne, SuisseKarine GALLOPEL-MORVAN, École des hautes Ă©tudes en santĂ© publique(EHESP), RennesFabien GIRANDOLA, Laboratoire de Psychologie Sociale (LPS, U.R.849), Institut CrĂ©ativitĂ© et Innovations (InCIAM), Aix-Marseille Uni-versitĂ©, Maison de la Recherche, Aix-en-ProvenceValĂ©rie LALLEMAND-MEZGER, UniversitĂ© de Paris, ÉpigĂ©nĂ©tique et DestinCellulaire (UMR 7216), CNRS, ParisLouise LARTIGOT, Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, Centre deRecherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions PĂ©nales(CESDIP), Saint-Germain-en-LayeJean-Michel LECRIQUE, SantĂ© publique France, Saint-MauriceMaria MELCHIOR, Institut Pierre Louis d’ÉpidĂ©miologie et de SantĂ©Publique, Inserm, Sorbonne UniversitĂ© UMRS 1136, ParisMickaĂ«l NAASSILA, Inserm UMR 1247 – GRAP (Groupe de recherchesur l’alcool et les pharmacodĂ©pendances), Centre Universitaire deRecherche en SantĂ©, UniversitĂ© de Picardie Jules Verne, AmiensPierre POLOMENI, Service d’Addictologie, HĂŽpitaux Universitaires ParisSeine-Saint-Denis, SevranMarie-JosĂšphe SAUREL-CUBIZOLLES, Inserm U 1153 - EPOPĂ©, HĂŽpitalTenon, Paris

Ont présenté une communication1

Amine BENYAMINA, CERTA, HÎpital Universitaire Paul BroussePierre DUCIMETIÈRE, Directeur de recherche Inserm honoraireMichel REYNAUD, Président du Fonds Actions Addictions

1. Les communications sont prĂ©sentĂ©es Ă  la fin du rapport d’expertise. Les analyses etpoints de vue exprimĂ©s dans les communications n’engagent que leurs auteurs. VII

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SantĂ© publique France, Direction de la prĂ©vention et de la promotionde la santĂ©ViĂȘt NGUYEN THANH, responsable de l’unitĂ© AddictionsClaudine TANGUY, directrice adjointePierre ARWIDSON, directeur adjointMichaĂ«l SCHWARZINGER pour le groupe d’étude QalyDays

Le groupe d’experts et le PĂŽle expertise collective souhaitent rendrehommage au Professeur Michel Reynaud, Psychiatre, Professeur desuniversitĂ©s, dĂ©cĂ©dĂ© le 26 juin 2020.

Remerciements

Remerciements pour leur contribution Ă  la rĂ©daction de certainschapitres Ă  :Arnaud GATINET, École des Hautes Études en SantĂ© Publique(doctorant)Jacques GAUME, CHUV Centre hospitalier universitaire vaudois,LausanneRemerciements pour relecture et conseils Ă  :Christine DOSQUET et Pierre LOMBRAIL, au titre de rapporteurs pour leComitĂ© d’éthique de l’Inserm

Coordination scientifique, Ă©ditoriale, bibliographiqueet logistique

Pîle expertise collective de l’InsermResponsable : Laurent FLEURY

Coordination de cette expertise : Marie LHOSMOT-MARQUET, LaurentWATROBA, Anne ROCHAT

Documentation : Chantal GRELLIER, Pascalines CHAUSSENOT

Édition scientifique : Anne-Laure PELLIER

Autres contributions et relecture : Catherine CHENU, BénédicteVARIGNON

Secrétariat : Cécile GOMIS

VIII

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Sommaire

Introduction .......................................................... XI

SynthĂšse ................................................................ 1

Recommandations................................................. 73

Annexes................................................................. 109

IX

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Introduction

Le rapport de la Cour des comptes sur les politiques de luttecontre les consommations nocives d’alcool2 souligne la nĂ©cessitĂ©d’une prise de conscience collective et propose en particulier dedĂ©velopper la recherche et de s’appuyer sur ses rĂ©sultats. En effet,en France on compte actuellement 42,8 millions de consomma-teurs prĂ©sentant des profils de consommation diffĂ©rents. Lesniveaux de consommation d’alcool en population gĂ©nĂ©rale etnotamment chez les jeunes demeurent Ă©levĂ©s, leurs consĂ©-quences sanitaires et sociales restent ainsi une prĂ©occupation depremier plan pour les pouvoirs publics : on dĂ©nombre ainsi49 000 morts par an pour un coĂ»t social estimĂ© Ă  118 milliardsd’euros.Dans le cadre de la stratĂ©gie gouvernementale de lutte contreles drogues et les conduites addictives 2013-2017, la Mildeca etle ministĂšre en charge de la SantĂ© ont sollicitĂ© l’Inserm pour larĂ©alisation d’une expertise collective afin d’actualiser lesconnaissances scientifiques sur l’alcool, ses effets sur la santĂ©,les niveaux et modalitĂ©s d’usages associĂ©s Ă  sa consommation enFrance ainsi que les stratĂ©gies de prĂ©vention efficaces. Cetteexpertise collective a permis Ă  ces auteurs d’émettre des recom-mandations d’actions et de recherches qui pourront contribuerĂ  l’amĂ©lioration des connaissances des effets sociaux et sanitairesde la consommation d’alcool dans l’objectif de renforcer la prĂ©-vention auprĂšs de la population Ă  diffĂ©rents niveaux.Compte-tenu qu’une expertise collective de l’Inserm sur l’alcoolet ses effets sur la santĂ© a Ă©tĂ© menĂ©e et publiĂ©e en 20013, cettenouvelle expertise se focalise sur les Ă©vĂ©nements nouveaux etrĂ©cemment publiĂ©s.

2. Cour des comptes. Les politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcool.Cour des comptes, juin 2016.3. Inserm. Alcool. Effets sur la santĂ©. Collection Expertise collective. Paris : ÉditionsInserm, 2001. XI

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Il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© de ne pas aborder la question de la prise en chargemĂ©dicamenteuse de la consommation d’alcool.Les Ă©tudes rĂ©centes montrent que toute consommation d’alcoolest nuisible pour la santĂ© et qu’il n’y a pas d’effet protecteurcontrairement Ă  ce qui a Ă©tĂ© mis en avant pendant longtemps.C’est pourquoi cette expertise porte sur tous les niveaux de laconsommation d’alcool.La multiplicitĂ© de termes traduisant la consommation d’alcoolpeut rendre difficile la comparaison des rĂ©sultats entre Ă©tudes.Dans cette expertise collective, nous avons choisi d’utiliser leterme « consommations Ă  risque » afin d’uniformiser le propos.Nous avons alors proposĂ© trois groupes distincts de consomma-tions en adoptant les terminologies suivantes : consommation Ă faible risque, consommation Ă  risque (sans dĂ©pendance) etdĂ©pendance (parmi les consommateurs Ă  risque).Pour rĂ©pondre Ă  la demande de la Mildeca et du ministĂšre encharge de la SantĂ©, la procĂ©dure d’expertise collective del’Inserm mise en Ɠuvre aprĂšs un travail prĂ©paratoire consistantĂ  recenser la littĂ©rature scientifique internationale et Ă  consti-tuer un corpus bibliographique a permis une analyse de la littĂ©-rature scientifique par un groupe pluridisciplinaire de 12 expertsautour d’un programme scientifique4.Ces 12 experts sont des chercheurs et/ou des cliniciens dans lesdomaines de l’épidĂ©miologie, la psychologie sociale, l’économie,le marketing social, des politiques publiques, la physiologie,l’alcoologie et la psychiatrie.Les 18 chapitres de cette expertise s’appuient sur l’analyse de lalittĂ©rature effectuĂ©e par les experts du groupe constituĂ© danschacune de leur discipline. Cette analyse ainsi que la rĂ©flexioncollective ont permis d’émettre des recommandations. L’apportcomplĂ©mentaire d’intervenants extĂ©rieurs venus prĂ©senter leurstravaux apparaĂźt sous la forme de communications en fin

4. Pour plus de dĂ©tails sur le processus d’expertise collective et sur la constitution ducorpus bibliographique se reporter aux annexes 1 et 2.XII

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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d’ouvrage. Dans l’ordre sont abordĂ©s dans l’analyse, les donnĂ©esrĂ©centes sur les niveaux de consommation, les dommages sani-taires et socio-Ă©conomiques induits y compris ceux spĂ©cifiquesĂ  la pĂ©riode pĂ©rinatale, les facteurs de risque et de protection dela consommation, puis les aspects liĂ©s aux actions de marketinget de lobbying des alcooliers. Suivent deux chapitres consacrĂ©sĂ  l’analyse des mesures de prĂ©vention de la consommation viala construction d’un programme d’actions publiques et ses prin-cipales mesures, l’évaluation des mesures de restriction de l’offreet de la demande, puis dans les chapitres suivants, des donnĂ©esrĂ©centes sur les actions et programmes de prĂ©vention primaireet secondaire de la consommation d’alcool. Enfin est abordĂ©e laprise en charge des personnes dĂ©pendantes.L’analyse est complĂ©tĂ©e par une synthĂšse et des recommanda-tions Ă©laborĂ©es et validĂ©es collectivement par le grouped’experts.

XIII

Introduction

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SynthĂšse

Le rapport de la Cour des comptes de 2016 sur les politiques delutte contre les consommations nocives d’alcool5 souligne lanĂ©cessitĂ© d’une prise de conscience collective et propose en par-ticulier de dĂ©velopper la recherche et de s’appuyer sur ses rĂ©sul-tats. En effet, en France sont comptĂ©s actuellement 42,8 mil-lions de consommateurs prĂ©sentant des profils de consommationdiffĂ©rents. Les niveaux de consommation d’alcool en populationgĂ©nĂ©rale et notamment chez les jeunes demeurent Ă©levĂ©s, leursconsĂ©quences sanitaires et sociales restent ainsi une prĂ©occupa-tion de premier plan pour les pouvoirs publics : il est ainsidĂ©nombrĂ© 49 000 morts par an pour un coĂ»t social estimĂ© Ă 118 milliards d’euros.Dans le cadre de la stratĂ©gie gouvernementale de lutte contreles drogues et les conduites addictives 2013-2017, la Mildeca etle ministĂšre en charge de la SantĂ© ont sollicitĂ© l’Inserm pour larĂ©alisation d’une expertise collective qui permette d’actualiserles connaissances scientifiques sur l’alcool (Inserm, 2001 et2003)6, ses effets sur la santĂ©, les niveaux et modalitĂ©s d’usagesassociĂ©s Ă  sa consommation en France ainsi que les stratĂ©gies deprĂ©vention efficaces.Les Ă©tudes rĂ©centes montrent que toute consommation d’alcoolest nuisible pour la santĂ© et qu’il n’y a pas d’effet protecteurcontrairement Ă  ce qui a Ă©tĂ© mis en avant pendant longtemps.C’est pourquoi cette expertise porte sur tous les niveaux de laconsommation d’alcool.Les neuf sections de cette synthĂšse de l’expertise rĂ©sument l’ana-lyse de la littĂ©rature effectuĂ©e par les experts du groupe constituĂ©

5. Cour des comptes. Les politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcool.Cour des comptes, juin 2016.6. Expertises collectives Inserm ayant portĂ© sur l’alcool : Inserm. Alcool. Effets sur la santĂ©.Collection Expertise collective. Paris : Édition Inserm, 2001 ; Inserm. Alcool. Dommagessociaux : abus et dĂ©pendance. Paris : Édition Inserm, 2003. 1

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dans chacune de leur discipline. Cette analyse de la littĂ©raturescientifique ainsi qu’une rĂ©flexion collective ont par ailleurspermis d’émettre des recommandations. Dans l’ordre sontabordĂ©s dans cette synthĂšse de l’expertise collective, les donnĂ©esrĂ©centes sur les niveaux de consommation, les dommages sani-taires et socio-Ă©conomiques induits y compris ceux spĂ©cifiquesĂ  la pĂ©riode pĂ©rinatale, les facteurs de risque de la consomma-tion, puis les aspects liĂ©s aux actions de marketing et de lobbyingdes alcooliers. Suivent des parties consacrĂ©es Ă  l’analyse desmesures de prĂ©vention primaire de la consommation via l’éva-luation de mesures de restriction de l’offre et de la demande, laconstruction d’un programme d’actions publiques et ses princi-pales mesures, des donnĂ©es rĂ©centes sur les actions et les pro-grammes de prĂ©vention primaire puis les bĂ©nĂ©fices de pĂ©riodessans alcool, enfin dans les derniĂšres sections sont abordĂ©es laprĂ©vention secondaire de la consommation d’alcool et la priseen charge des personnes dĂ©pendantes.

Niveaux de consommation d’alcool

La France compte 42,8 millions de consommateurs actuels avecdes profils de consommation diffĂ©rents. Or, bien que la consom-mation d’alcool se rĂ©vĂšle ubiquitaire en France comme dansd’autres pays, les niveaux de consommation d’alcool sont trĂšsvariables, et il est nĂ©cessaire de distinguer diffĂ©rentes dĂ©finitionsutilisĂ©es pour mesurer la frĂ©quence, le volume et l’impact de cesconsommations. Chez les jeunes, sont Ă©galement mesurĂ©es lafrĂ©quence des ivresses et celle des Ă©pisodes d’alcoolisation ponc-tuelle importante (API, dĂ©finie la plupart du temps par 6 verresou plus en une mĂȘme occasion).

Compte tenu des donnĂ©es suggĂ©rant que les addictions suivent uncontinuum, les dĂ©finitions des types de consommation problĂ©ma-tique d’alcool ont rĂ©cemment Ă©voluĂ©, les notions prĂ©cĂ©dentes d’abuset de dĂ©pendance deviennent le trouble liĂ© Ă  l’usage de l’alcool.2

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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Un type de consommation problĂ©matique est identifiĂ© dans leDSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual) comme le trouble liĂ©Ă  l’usage d’un produit psychoactif – dont l’alcool. Ce trouble estidentifiĂ© par 11 symptĂŽmes et peut ĂȘtre lĂ©ger (2-3 symptĂŽmes),modĂ©rĂ© (4-5), ou sĂ©vĂšre/addiction (6 symptĂŽmes ou plus). LamultiplicitĂ© de termes peut rendre difficile la comparaison desrĂ©sultats entre Ă©tudes. Dans cette expertise, afin de clarifier lepropos, on parlera de consommation Ă  risque (sans dĂ©pendance)pour le trouble liĂ© Ă  l’usage de l’alcool et de dĂ©pendance (pourles consommations Ă  risque les plus sĂ©vĂšres).

Le suivi des niveaux de consommation en France est trĂšs docu-mentĂ© grĂące au dispositif de suivi des niveaux de consommationde l’alcool, comme d’autres produits psychoactifs. Chez lesadultes, les enquĂȘtes BaromĂštre SantĂ© rĂ©alisĂ©es par SantĂ©publique France renseignent rĂ©guliĂšrement depuis 25 ans laconsommation d’alcool habituelle ainsi que la consommationproblĂ©matique des 18-65 ans. Chez les adolescents, les enquĂȘtesHBSC (Health Behavior in School-Aged Children) de l’Organisa-tion mondiale de la santĂ© ainsi qu’ESPAD (European School Pro-ject on Alcohol and Other Drugs) et ESCAPAD (EnquĂȘte sur laSantĂ© et les Consommations lors de l’Appel de PrĂ©paration Àla DĂ©fense) rĂ©alisĂ©es par l’Observatoire français des drogues ettoxicomanies (OFDT) depuis les annĂ©es 2000 et pour les deuxpremiĂšres fusionnĂ©es rĂ©cemment dans le dispositif EnClass ren-seignent le niveau de consommation d’alcool des jeunes de 12Ă  17 ans de maniĂšre rĂ©guliĂšre (tous les 2 Ă  4 ans).

Ces Ă©tudes de suivi montrent que l’adolescence (12-18 ans) estla pĂ©riode au cours de laquelle les jeunes expĂ©rimentent pour lapremiĂšre fois l’alcool. Les chiffres de l’étude EnClass et del’enquĂȘte ESCAPAD concordent : Ă  la fin de l’adolescence, laconsommation rĂ©guliĂšre (10 fois ou plus dans le mois) concerneentre un jeune sur dix en classe de seconde et un jeune surquatre en terminale, et environ 8 % des jeunes de 17 ans enFrance, tandis qu’entre 40 et 50 % dĂ©clarent avoir eu au moinsune Alcoolisation Ponctuelle Importante (API) et 16 % aumoins trois API dans le mois prĂ©cĂ©dant l’enquĂȘte. Ces chiffres 3

SynthĂšse

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bien qu’élevĂ©s en valeurs absolues et par rapport Ă  ceux observĂ©sdans d’autres pays europĂ©ens, sont en net recul par rapport Ă  lapĂ©riode 2008-2014. Concernant les trajectoires de consomma-tion, il semblerait que parmi les jeunes (avant 18 ans) qui ontune consommation Ă  risque, environ 25 % poursuivent le mĂȘmetype de consommation au moment de l’entrĂ©e dans la vie adulte.Les alcools les plus frĂ©quemment consommĂ©s par les adolescentssont les alcools forts (whisky, vodka – entre 70 et 80 % de ceuxqui dĂ©clarent avoir bu dans le mois prĂ©cĂ©dent en ontconsommĂ©), suivis par la biĂšre (environ 70 %), le champagne(moins de 60 %) puis le vin (plus de 50 %). Les jeunes quidĂ©clarent boire de l’alcool le font majoritairement le week-end(90 %), avec des amis (90 %), chez eux ou chez des amis (65 %).La proportion de ceux qui dĂ©clarent consommer des boissonsalcoolisĂ©es dans un bar/restaurant ou en discothĂšque a nette-ment baissĂ© au cours du temps (entre 2005 et 2017, respective-ment de 36 Ă  29 %, et de 32 Ă  19 %).En moyenne, au cours de l’adolescence les garçons consommenttoujours plus d’alcool que les filles mais le ratio entre les sexesa diminuĂ© au cours du temps, en particulier pour l’expĂ©rimen-tation (sex-ratio en 2017=1,02), l’usage dans l’annĂ©e (1,07), etl’usage dans le mois (1,11), ou encore l’API dans le dernier mois(1,30). Les garçons ont, en revanche, toujours tendance Ă  avoirdes niveaux plus Ă©levĂ©s de consommation rĂ©guliĂšre, c’est-Ă -dire10 fois ou plus dans le mois (sex-ratio en 2017=2,62), ou deprĂ©senter des API rĂ©pĂ©tĂ©es, c’est-Ă -dire 3 fois ou plus dans lemois (1,99) ou des API rĂ©guliĂšres, c’est-Ă -dire 10 fois ou plusdans le mois (4,28).La biĂšre (27 % de la consommation hebdomadaire) et le vin(24 %) sont les alcools les plus consommĂ©s chez les jeunesadultes (aprĂšs 18 ans) en France. Outre le type d’alcoolconsommĂ©, les recherches rĂ©centes menĂ©es dans diffĂ©rents paysindustriels ont dĂ©crit la diffusion de la consommation demĂ©langes entre alcool et boissons Ă©nergisantes. En parallĂšle, laconsommation d’alcool mĂ©langĂ© Ă  des sodas light semble s’ĂȘtrerĂ©pandue, notamment aux États-Unis. Ce type de mĂ©langes4

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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prĂ©sente des risques particuliers, les boissons Ă©nergisantes mas-quant le goĂ»t de l’alcool et diminuant ses effets somnifĂšres, cequi peut entraĂźner une augmentation de la consommation. Il estĂ  noter qu’en France ce type de pratique n’est pas renseignĂ© dansles enquĂȘtes en population gĂ©nĂ©rale et on ne dispose pas dechiffres concernant sa frĂ©quence.La consommation d’alcool chez les adultes en France estd’environ 27 g d’alcool pur (c’est-Ă -dire la quantitĂ© d’alcoolconsommĂ©e indĂ©pendamment de la boisson) par personne et parjour d’aprĂšs les derniĂšres estimations. On estime qu’environ23 % de la population auraient une consommation Ă  risqueponctuel selon le score AUDIT (Alcohol Use Disorders Identifi-cation Test) et environ 7 % une consommation Ă  risque chro-nique ou prĂ©sentant la possibilitĂ© d’une dĂ©pendance. En 2014,les prĂ©valences estimĂ©es de consommation Ă  risque dans lacohorte CONSTANCES Ă©taient les plus Ă©levĂ©es pour les sujetsde moins de 35 ans : 30,7 % d’entre eux avaient un usage dan-gereux de l’alcool. Dans ce groupe d’ñge, les Ă©tudiants semblentparticuliĂšrement Ă  risque de fortes consommations d’alcool.Comme chez les adolescents, chez les jeunes adultes, la consom-mation d’alcool chez les femmes a augmentĂ© et le sex-ratio adiminuĂ© en consĂ©quence, ce qui est concordant avec les rĂ©sultatsd’études menĂ©es dans d’autres pays industrialisĂ©s.Une forte proportion de consommation Ă  risque d’alcool chezles personnes de plus de 50 ans : 69 % des 55-64 ans et 62 %des 65-75 ans consomment plus de 2 verres d’alcool par jour, etrespectivement 80 et 81 % consomment de l’alcool plus de5 jours par semaine, et au total respectivement 13 et 14 % desfemmes et 35 et 37 % des hommes dans ces groupes d’ñge dĂ©pas-sent les repĂšres de consommation problĂ©matique (plus de2 verres d’alcool par jour ou plus de 5 jours de consommationpar semaine).Depuis 2013, les niveaux de consommation d’alcool des per-sonnes de plus de 50 ans ont augmentĂ©, et notamment lesniveaux d’API et de consommation Ă  risque d’alcool. Laconsommation des personnes de plus de 50 ans pose des 5

SynthĂšse

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problÚmes médicaux spécifiques, notamment en raison de la pré-sence de comorbidités et de traitements médicamenteux.

Si la tendance concernant la transformation des modalitĂ©s deconsommation d’alcool en France – avec une Ă©volution de laconsommation quotidienne vers une pratique plus ponctuelle,mais marquĂ©e par un niveau de consommation qui peut ĂȘtreimportant – se confirme, la surveillance des consommationsd’alcool des personnes de plus de 50 ans et leurs effets Ă©ventuelssur la santĂ©, seront Ă  renforcer.

Dans notre pays, les donnĂ©es sur la frĂ©quence de consommationpendant la pĂ©riode pĂ©rinatale sont disponibles de façon irrĂ©gu-liĂšre et sommaire quant aux modalitĂ©s de consommation. EnFrance, en 2010, environ 20 % des femmes disaient avoir bu del’alcool durant leur grossesse et 2,5 % avoir bu 3 verres ou plusen une occasion.

La consommation de boissons alcoolisĂ©es durant la grossesse adiminuĂ© au cours des derniĂšres dĂ©cennies. La pĂ©riode du dĂ©butde grossesse, notamment celle oĂč les femmes ignorent qu’ellessont enceintes, est sensible ; 8 % des femmes ont eu au moins1 fois des consommations fortes occasionnelles en dĂ©but de gros-sesse. Environ 7 % des femmes ont consommĂ© des boissonsalcoolisĂ©es pendant l’allaitement. La consommation est plus frĂ©-quente dans les groupes sociaux les plus favorisĂ©s et plutĂŽt pardes femmes plus ĂągĂ©es.

Dommages sanitaires et socio-Ă©conomiques

MortalitĂ© et coĂ»t social de l’alcool en France versusl’envergure Ă©conomique du secteur

La consommation d’alcool est la 7e cause de perte d’annĂ©es devie (en bonne santĂ©) ajustĂ©e sur l’incapacitĂ© dans le monde en2016. L’analyse des donnĂ©es du programme de mĂ©dicalisationdes systĂšmes d’information (PMSI) de 2012 montre que la6

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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consommation d’alcool est la premiùre cause d’hospitalisationsen France.

L’alcool est une drogue, une molĂ©cule cancĂ©rigĂšne et toxiquepour de nombreux organes dont la toxicitĂ© est relayĂ©e en partiepar son mĂ©tabolite, l’acĂ©taldĂ©hyde. Sa consommation est res-ponsable directement ou indirectement d’une soixantaine demaladies et l’alcool est retrouvĂ© dans 200 items de la Classifi-cation internationale des maladies (CIM-10) utilisĂ©e dans lePMSI. Les effets de l’alcool sur la santĂ© dĂ©pendent de la quantitĂ©et de la frĂ©quence des consommations ainsi que du profil desconsommations (Ă©pisodique, chronique). La consommationd’alcool est responsable d’une morbi-mortalitĂ© importante etconstitue un des principaux facteurs responsables de la perted’annĂ©es de vie en bonne santĂ©. Le risque de morbi-mortalitĂ©liĂ© Ă  l’alcool est plus Ă©levĂ© chez les femmes comparativementaux hommes.

Les derniers chiffres de la mortalitĂ© attribuable Ă  l’alcool enFrance sont ceux de 2015. Ils sont de 41 000 dĂ©cĂšs dont 30 000chez les hommes et 11 000 chez les femmes, soit respectivement11 % et 4 % de la mortalitĂ© des adultes de quinze ans et plus.Ils comprennent 16 000 dĂ©cĂšs par cancers, 9 900 dĂ©cĂšs par mala-dies cardiovasculaires, 6 800 par maladies digestives, 5 400 pourune cause externe (accident ou suicide) et plus de 3 000 pourune autre maladie (maladies mentales, troubles du comporte-ment, etc.). La mortalitĂ© attribuable Ă  l’alcool par classe d’ñgeest de 7, 15 et 6 % respectivement pour les 15-34, 35-64 et65 ans et plus. Ces donnĂ©es de mortalitĂ© ont pu ĂȘtre calculĂ©esgrĂące Ă  l’estimation de la consommation d’alcool Ă  partir d’unĂ©chantillon reprĂ©sentatif de 20 178 individus français ĂągĂ©s de15 ans et plus interviewĂ©s sur leurs habitudes de consommationpar l’Institut national de la statistique et des Ă©tudes Ă©conomiques(Insee). Cependant, il existe un dĂ©calage entre la consomma-tion d’alcool rapportĂ©e dans cet Ă©chantillon (11 g/j) et les don-nĂ©es sur les ventes d’alcool (27 g/j en 2009) qui amĂšne Ă  unecorrection de la consommation dĂ©clarĂ©e d’alcool d’un facteurde 2,4. L’étude de sensibilitĂ© (prenant en compte l’écart de la 7

SynthĂšse

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consommation dĂ©clarĂ©e, la perte ou le gaspillage de l’alcool missur le marchĂ©) indique alors que cette incertitude contribue Ă une estimation des dĂ©cĂšs attribuables Ă  l’alcool en 2015 compriseentre 28 000 et 49 000. Lorsque l’on prend on compte cetteincertitude pour toutes les annĂ©es, il est difficile de comparerl’évolution des chiffres de mortalitĂ© dans le temps. Ainsi la mor-talitĂ© attribuable Ă  l’alcool Ă©tait estimĂ©e Ă  49 000 en 2009,33 000 en 2006, 45 000 en 1995 et 52 000 en 1985.La proportion de dĂ©cĂšs attribuables Ă  l’alcool chez les hommeset les femmes est plus Ă©levĂ©e en France comparativement Ă d’autres pays europĂ©ens. Les chiffres de 2009 concernant la mor-talitĂ© attribuable Ă  l’alcool en France indiquent un effet nĂ©fastede l’alcool dĂšs les faibles niveaux de consommation (entre 1 et1,5 verre d’alcool par jour). Les risques de morbi-mortalitĂ© sontsupĂ©rieurs chez les femmes comparativement aux hommes.Concernant la mortalitĂ© due Ă  la maladie du foie liĂ©e Ă  l’alcool,le risque de mortalitĂ© est augmentĂ© pour des consommations trĂšsfaibles (dĂšs le premier verre).Il existe une association statistiquement significative entre lesventes d’alcool et la mortalitĂ© liĂ©e aux cancers dans la plupartdes pays et qui persiste aprĂšs correction de la consommation detabac. Une Ă©tude parue en 2017 a analysĂ© le lien entre les ten-dances des consommations d’alcool dans 17 pays et la mortalitĂ©liĂ©e aux cancers. Par exemple, les auteurs montrent une corrĂ©-lation avec une diminution (pour la France), une stagnation (enAngleterre) ou une augmentation (pour la Roumanie) Ă  la foisdes ventes d’alcool et de la mortalitĂ© due aux cancers de la cavitĂ©buccale, du pharynx et du larynx.Concernant le coĂ»t de la consommation d’alcool, les pays dumodĂšle continental, ayant un systĂšme de protection socialeproche du nĂŽtre, perdraient 1 % de PIB chaque annĂ©e (de0,54 % Ă  1,49 %). Les Ă©tudes amĂ©ricaines, canadiennes, fran-çaises et Ă©cossaises rĂ©alisĂ©es entre 1997 et 2002 montrent unecertaine rĂ©gularitĂ© de la charge Ă©conomique que reprĂ©sentel’alcool par rapport Ă  la richesse de ces pays dĂ©veloppĂ©s (environ1 % des PIB respectifs). Toutefois, les derniers travaux français8

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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font Ă©tat d’un coĂ»t social de l’alcool en France bien supĂ©rieur :6 % du PIB en 2010. Cette inflation serait due au renchĂ©risse-ment de la valeur statistique de la vie française ainsi qu’à uneamĂ©lioration du systĂšme d’information permettant de mieuxrecenser les coĂ»ts attribuables Ă  l’alcool.

EstimĂ© Ă  118 milliards d’euros en 2010 en France, le coĂ»t socialde l’alcool se compose principalement de coĂ»ts liĂ©s Ă  la mortalitĂ©(66 milliards d’euros) et Ă  la morbiditĂ© (39 milliards d’euros)attribuables. Lorsque les retraites non versĂ©es du fait de la mor-talitĂ© et les recettes fiscales sur les produits de l’alcool sont prisesen compte dans le solde des finances publiques, ce dernier prĂ©-sente un dĂ©ficit de 3 milliards d’euros. L’alcool ne rapporte doncrien Ă  l’État, il ampute les finances publiques. De plus, dans cedernier exercice d’estimation du coĂ»t social, certains Ă©lĂ©ments,comme le syndrome d’alcoolisation fƓtale et la prise en chargeambulatoire et hospitaliĂšre, ne sont pas ou mal pris en compte,signifiant en cela que le coĂ»t social de l’alcool pourrait ĂȘtreencore plus important qu’actuellement estimĂ©.

De l’analyse coĂ»t-bĂ©nĂ©fice de l’alcool en France, il ressort quela satisfaction monĂ©tarisĂ©e retirĂ©e de la consommation d’alcoolet des profits des producteurs en France ne parvient pas Ă dĂ©passer le coĂ»t des pathologies et de la mortalitĂ©. De mĂȘme,les profits rĂ©alisĂ©s dans le secteur alcoolier français grĂące Ă  despositions monopolistiques n’existent pas : les marchĂ©s domes-tique et international apparaissent plutĂŽt concurrentiels laissantĂ  penser Ă  une profitabilitĂ© « normale » du secteur. Alors quela consommation d’alcool a nettement diminuĂ© en France cessoixante derniĂšres annĂ©es (figure 1), traduisant une contractiondu marchĂ©, la concurrence internationale gagne effectivementdes parts de marchĂ©. Le secteur alcoolier français mettait enavant encore dans les annĂ©es 2000 une employabilitĂ© impor-tante : prĂšs de 800 000 emplois directs et indirects Ă©taientrecensĂ©s sur le territoire mĂ©tropolitain. Aujourd’hui, le secteuren revendique 500 000, soit 300 000 emplois de moins en unequinzaine d’annĂ©es. Avec 4 milliards d’euros de recettes fiscalesannuelles, l’alcool semble ĂȘtre un contributeur important aux 9

SynthĂšse

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deniers publics, mais au vu de la fiscalité particuliÚre appliquéesur les produits du vin, le systÚme fiscal en vigueur ne maximisepas les potentialités de recettes.

30,0

25,0

20,0

15,0

10,0

5,0

0,0

1961

1963

1965

1967

1969

1971

1973

1975

1977

1979

1981

1983

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1987

1989

1991

1993

1995

1997

1999

2001

2003

2005

2007

2009

2011

2013

2015

2017

Années

Litre

s Ă©q

uiva

lent

s d’

alco

ol p

ur

Total Vins BiĂšres Spiritueux

Figure 1 : QuantitĂ© d’alcool consommĂ© par habitant ĂągĂ© de 15 ans etplus et par an depuis 1961 (en litres Ă©quivalents d’alcool pur)Source : OFDT. Drogues et addictions, donnĂ©es essentielles : Alcool. Paris :OFDT, 2019.

Au final, l’alcool engendre un coĂ»t social trĂšs Ă©levĂ© et reprĂ©senteun secteur Ă©conomique important mais en perte de vitesse. Unespace Ă©conomique semble ainsi se dessiner oĂč d’un cĂŽtĂ©, despolitiques volontaristes de lutte contre la consommationd’alcool viseraient Ă  minimiser le coĂ»t social de l’alcool enFrance et oĂč d’un autre, seraient prĂ©servĂ©s des savoir-faire etl’identitĂ© de certains territoires.

ConsĂ©quences sur la santĂ© des niveaux de consommationsfaibles d’alcool

Les cancers du sein, de la cavitĂ© orale, de l’oropharynx, del’hypopharynx et colorectal contribuent le plus aux nouveauxcas de cancers attribuables Ă  l’alcool. La plus grande proportionde cancers causĂ©s par l’alcool concerne l’Ɠsophage et le foie.C’est le cancer de l’Ɠsophage qui prĂ©sente la plus grande fraction10

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 26: EXPERTISE COLLECTIVE

attribuable Ă  l’alcool (57,7 %). Chez les hommes, ce sont lescancers de la cavitĂ© orale et du pharynx qui sont les plus nom-breux. Alors que les hommes consomment plus d’alcool que lesfemmes, l’incidence des cancers attribuables Ă  l’alcool est simi-laire entre hommes et femmes Ă  cause du nombre importantchez ces derniĂšres de nouveaux cas de cancers du sein. Lesniveaux de consommation d’alcool faible, modĂ©rĂ© et fort sontresponsables respectivement de 1,5, 1,3 et 4,4 % des nouveauxcas de cancer. Les anciens consommateurs comptent pour 0,6 %des nouveaux cas de cancer. Les niveaux de consommation fai-bles Ă  modĂ©rĂ©s contribuent largement aux nouveaux cas de can-cers en France en 2015 (figure 2). Les niveaux de consommationfaibles Ă  modĂ©rĂ©s contribuent largement aux nouveaux cas decancer du sein alors que les niveaux de forte consommationcontribuent au cancer du foie.

0 2ïżœ000 4ïżœ000 6ïżœ000 8ïżœ000 10ïżœ000Nouveaux cas de cancers

Larynx

ƒsophage

Foie

Cavité orale, oro- hypo-pharynx

Colorectum

Sein

Larynx

ƒsophage

Foie

Colorectum

Cavité orale, oro- hypo-pharynx

Hommes

Femmes

Ex-buveurs Légere Modérée Forte

Figure 2 : Nouveaux cas de cancers en fonction du niveau de consom-mation chez les hommes et les femmes en 2015Source : Shield KD, Marant Micallef C, Hill C, et al. New cancer cases inFrance in 2015 attributable to different levels of alcohol consumption. Addiction2018 ; 113 : 247-56.

11

SynthĂšse

Page 27: EXPERTISE COLLECTIVE

On constate que la rĂ©duction de 10 % de la consommationd’alcool aurait permis d’éviter 2 178 [IC 95 % : 1687-2601] nou-veaux cas de cancers en 2015 en France. Or, il faut rappeler quela France est un des États membres qui a ratifiĂ© un des objectifsdu plan d’action de l’OMS sur les maladies non transmissiblesqui vise Ă  diminuer justement la consommation d’alcool de10 %. Une autre Ă©tude, rĂ©alisĂ©e en Australie, suggĂšre que l’arrĂȘtde la consommation d’alcool ou la diminution brutale sur 5 ansde la consommation d’alcool au niveau des repĂšres de recom-mandations nationales, permettraient respectivement d’éviter4 % ou 2 % des cancers sur une pĂ©riode de 25 ans.

Environ 8 % de tous les nouveaux cas de cancer sont liĂ©s Ă l’alcool et la consommation Ă  des niveaux faibles Ă  modĂ©rĂ©scontribue particuliĂšrement Ă  ce fardeau sanitaire. En effet, en2018, les nouveaux cas de cancer attribuables Ă  diffĂ©rentsniveaux de consommation d’alcool en France en 2015 ont Ă©tĂ©estimĂ©s et l’impact d’une diminution de 10 % de la consomma-tion d’alcool a Ă©tĂ© mesurĂ©. Pour cela, une pĂ©riode de latence de10 ans a Ă©tĂ© choisie pour le dĂ©lai entre l’exposition et le dia-gnostic. Les niveaux de consommation d’alcool utilisĂ©s (figure 2)correspondent aux niveaux de risque de consommation del’OMS : faible (moins de 20 g/j pour les femmes et moins de40 g/j pour les hommes), modĂ©rĂ© (20 Ă  40 g/j pour les femmeset 40 Ă  60 g/j pour les hommes), fort (40 g/j ou plus pour lesfemmes et 60 g/j ou plus pour les hommes). Les rĂ©sultats mon-trent que 27 894 [IC 95 % : 24 287-30 996] ou 7,9 % de tous lesnouveaux cas de cancer sont attribuables Ă  l’alcool.

La consommation mĂȘme faible d’alcool est associĂ©e Ă  un risqueaugmentĂ© de cancers du sein indĂ©pendamment de la consom-mation de tabac. Une analyse portant sur 53 Ă©tudes avec58 515 femmes prĂ©sentant un cancer du sein a Ă©tĂ© une des pre-miĂšres Ă  le rĂ©vĂ©ler. L’étude anglaise « un million de femmes »montre un excĂšs d’incidence de 15 pour 1 000 cas de cancer Ă chaque augmentation d’un verre standard par jour, 11 pour 1 000Ă©tant des cas de cancer du sein. Cette augmentation du risquede certains cancers due Ă  la consommation de faibles niveaux12

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 28: EXPERTISE COLLECTIVE

d’alcool chez les femmes est dĂ©montrĂ©e dans de nombreusesĂ©tudes, dont certaines prĂ©cisent que c’est le cancer du sein quicontribue fortement Ă  cette augmentation. En Angleterre, l’aug-mentation de la consommation d’alcool observĂ©e pendant laderniĂšre dĂ©cennie a Ă©tĂ© proposĂ©e comme un facteur dĂ©terminantdans l’augmentation de 30 % de l’incidence du cancer du sein(36 509 en 2003 versus 55 122 en 2015). La consommationd’alcool est associĂ©e Ă  l’augmentation du risque de plusieurs can-cers dont le cancer du sein Ă  des doses aussi faibles que 10 gd’éthanol pur soit un verre par jour. Les recherches sur le seuilde consommation d’alcool Ă  partir duquel un risque significatifde mortalitĂ© liĂ©e Ă  l’alcool toute cause apparaĂźt, convergent versle seuil de 10 verres par semaine (soit moins de 1,5 verre parjour). Les nouvelles donnĂ©es sur les risques encourus dĂšs lesfaibles niveaux de consommation d’alcool ont incitĂ© plusieurspays, dont la France, Ă  revoir leurs recommandations et Ă  fixerdes « repĂšres » acceptables et crĂ©dibles scientifiquement. Il estfrappant de constater que les rĂ©sultats des Ă©tudes scientifiquesconvergent vers ce repĂšre des dix verres standards par semaineet deux verres standards par jour.

De potentiels effets « protecteurs » des faibles niveaux deconsommation ont Ă©tĂ© rapportĂ©s dans des Ă©tudes sur des effetsde l’alcool qui dĂ©pendent de la quantitĂ© consommĂ©e et qui sui-vraient une courbe en « J ». Cependant, mĂȘme si ces effets pro-tecteurs existaient, ils seraient sans commune mesure par rap-port Ă  la mortalitĂ© globale causĂ©e par la consommation d’alcool.Les effets « protecteurs » Ă  la base du cĂ©lĂšbre « french paradox »sont en fait dus Ă  des problĂšmes mĂ©thodologiques dans les Ă©tudeset en particulier Ă  la prĂ©sence de nombreux facteurs de confusiondont les plus critiques sont la dĂ©finition du groupe tĂ©moin et lecaractĂšre dĂ©claratif des consommations d’alcool. Une mĂ©ta-ana-lyse regroupant plus de 4 millions de personnes a montrĂ© quelorsque les ex-consommateurs sont exclus du groupe de rĂ©fĂ©-rence et lorsque les Ă©tudes sont contrĂŽlĂ©es pour leur qualitĂ©,aucune association de type courbe en J pouvant laisser croire Ă des effets « protecteurs » n’est obtenue, chez les sujets prĂ©sentant 13

SynthĂšse

Page 29: EXPERTISE COLLECTIVE

un faible niveau de consommation d’alcool (1,3 Ă  24,9 gd’éthanol par jour soit moins de 2,5 verres standards par jour).Sur les 87 Ă©tudes retenues dans cette mĂ©ta-analyse, 65 incluaientles ex-consommateurs dans le groupe de rĂ©fĂ©rence des absti-nents, 50 incluaient les consommateurs occasionnels et seule-ment 13 Ă©taient exemptes de ces biais de classification des abs-tinents. Cette derniĂšre mĂ©ta-analyse est une des rares Ă  avoiranalysĂ© non seulement les facteurs confondants habituels maisĂ  avoir aussi analysĂ© l’influence du design (la construction) desĂ©tudes. Elle montre assez clairement que la prise en compte dela plupart des facteurs de confusion (tabac, origine ethnique ouraciale, abstinents, valeurs aberrantes, etc.) explique sur le planstatistique la diminution du risque de mortalitĂ© chez les consom-mateurs avec les faibles niveaux de consommation (les effets« protecteurs » Ă  la base du cĂ©lĂšbre « french paradox »). De lamĂȘme maniĂšre, cette Ă©tude montre aussi que le design des Ă©tudesinfluence le risque et que, seules, les Ă©tudes de meilleure qualitĂ©ne montrent aucune rĂ©duction du risque (figure 3). Il a cepen-dant Ă©tĂ© soulignĂ© que cette mĂ©ta-analyse pourrait avoir excluplusieurs Ă©tudes de qualitĂ© et la validitĂ© de la mĂ©ta-analyse a Ă©tĂ©remise en cause par des auteurs dont certains ont dĂ©clarĂ© desconflits d’intĂ©rĂȘt.

Des Ă©tudes utilisant de nouvelles mĂ©thodologies comme la ran-domisation mendĂ©lienne confirment cette hypothĂšse del’absence des effets « protecteurs ». Ce type de mĂ©thodologie netient pas compte des consommations dĂ©clarĂ©es, mais permet decatĂ©goriser les personnes en fonction des polymorphismes desgĂšnes codant les enzymes de dĂ©gradation de l’alcool et doncd’estimer le niveau de consommation d’alcool. Les Ă©tudes utili-sant ce type de mĂ©thodologie, et en la comparant Ă  la mĂ©tho-dologie classique, dĂ©montrent sur une mĂȘme population que lescourbes en « J » disparaissent et deviennent linĂ©aires montrantainsi l’absence d’effets « protecteurs ».

Au total, des nouvelles donnĂ©es et des nouvelles mĂ©thodologiesappliquĂ©es Ă  l’étude de l’association entre consommationd’alcool et risques pour la santĂ© ont fait avancer l’état des14

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 30: EXPERTISE COLLECTIVE

Ajustement complet

6 études haute qualité

SĂ©lection des Ă©tudes

Risque relatif [IC 95 %]

Niveau ajustement Risque relatif

13 Ă©tudes sans biais abstinents

9 Ă©tudes avec biais buveursoccasionnels seul

24 Ă©tudes avec biaisanciens buveurs

1,04 [0,95-1,15]

0,90 [0,76-1,06]

0,86 [0,82-0,91]

0,86 [0,78-0,95]

0,72 1,82 0,92 1,02 1,12

0,80 0,90 1,00 1,10

Valeurs aberrantes exclues

Biais abstinents éliminé

Ethnie ou non

Tabac exclu

Toutes covariables éliminées

0,97 [0,88-1,07]

0,97 [0,89-1,05]

0,96 [0,87-1,06]

0,95 [0,88-1,03]

0,91 [0,84-0,97]

0,86 [0,83-0,90]

Figure 3 : En haut : Estimation des risques relatifs de la mortalité toutecause chez les buveurs avec des faibles niveaux de consommationcomparativement aux abstinents vie-entiÚre avec ou sans covariablesdans 81 études. En bas : Estimation des risques relatifs de la mortalitétoute cause chez les buveurs avec des faibles niveaux de consomma-tion comparativement aux abstinents vie-entiÚre aprÚs contrÎle descaractéristiques des études par le choix des études

connaissances notamment sur les faibles niveaux de consomma-tion d’alcool. Le niveau de consommation d’alcool pour lequelle risque de dommages est minimal est donc de zĂ©ro verre stan-dard par semaine. Au niveau international, diffĂ©rentes institu-tions du champ de la cancĂ©rologie ont modifiĂ© leur message 15

SynthĂšse

Page 31: EXPERTISE COLLECTIVE

depuis quelques annĂ©es en prĂ©cisant qu’il n’existe pas de niveaude consommation d’alcool sans risque et que ne pas boire est lameilleure option pour prĂ©venir le cancer. De plus, de potentielseffets « protecteurs » de l’alcool ne peuvent plus aujourd’hui ĂȘtremis en avant car mĂȘme si ces potentiels effets « protecteurs »existaient, d’une part lorsque les risques sur la santĂ© sont apprĂ©-ciĂ©s de maniĂšre globale, ces effets seraient trĂšs largementcompensĂ©s par les effets dĂ©lĂ©tĂšres de l’alcool. D’autre part, ilsseraient obtenus pour des consommations ne dĂ©passant pas lesnouveaux repĂšres de consommation construits autour de lanotion de risque faible pour la santĂ©. Enfin, de nombreux expertss’accordent et recommandent de ne pas conseiller d’initier uneconsommation d’alcool, mĂȘme faible, Ă  des fins supposĂ©es d’amĂ©-lioration de santĂ© chez des non-consommateurs. Les nouvellesdonnĂ©es sur les effets des faibles niveaux de consommation doi-vent nous interpeller sur la nĂ©cessitĂ© de renforcer les messagesd’information, de sensibilisation et de prĂ©vention. La rĂ©ductionde la consommation d’alcool mĂȘme lorsque les niveaux sont dĂ©jĂ faibles Ă  modĂ©rĂ©s permettrait d’éviter un nombre non nĂ©gli-geable de dĂ©cĂšs et de diminuer l’incidence de certainespathologies.

Dommages spécifiques à la période périnatale

PrĂ©valence du syndrome d’alcoolisation fƓtale (SAF),repĂ©rage des enfants atteints et formation desprofessionnels

En Europe, la prĂ©valence du syndrome d’alcoolisation fƓtale(SAF) est estimĂ©e Ă  37 pour 10 000 personnes, ce qui en fait larĂ©gion Ă  prĂ©valence la plus Ă©levĂ©e au monde. En France, il n’ya pas d’estimation globale disponible et les donnĂ©esd’EUROCAT (Registre europĂ©en pour la surveillance Ă©pidĂ©mio-logique des anomalies congĂ©nitales) montrent qu’il existe degrandes diffĂ©rences selon les rĂ©gions couvertes par les registres16

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 32: EXPERTISE COLLECTIVE

d’anomalies congĂ©nitales. L’évolution des connaissances enneuro-dĂ©veloppement a conduit Ă  une extension de la dĂ©finitiondu syndrome, de SAF Ă  ETCAF (pour Ensemble des TroublesCausĂ©s par l’Alcoolisation FƓtale). Le repĂ©rage des enfantsconcernĂ©s peut ĂȘtre tardif, jusqu’à 6 ans ou plus, rendant difficilela distinction entre le rĂŽle de l’exposition in utero et celui del’environnement familial prĂ©coce.

Pour le repĂ©rage des enfants atteints et la prise en charge, ilexiste des enjeux professionnels, de la nĂ©onatologie Ă  la mĂ©de-cine gĂ©nĂ©rale, et une grande complexitĂ© diagnostique. Les pro-grĂšs dans le domaine des biomarqueurs directs ont Ă©tĂ© impor-tants ces 2 derniĂšres dĂ©cennies ; les plus performants pourattester de l’exposition prĂ©natale Ă  l’alcool (EPA) sont des mar-queurs sur le mĂ©conium. Les travaux doivent se poursuivre pouramĂ©liorer ces biomarqueurs qui peuvent ĂȘtre nĂ©cessaires Ă  desfins de surveillance, dans des sous-groupes spĂ©cifiques, ou Ă  desfins de recherche. Il est difficile de prĂ©coniser une gĂ©nĂ©ralisationde l’usage de ces tests, Ă  la lecture des connaissances disponibles.Les professionnels de la pĂ©diatrie sont diversement formĂ©s aurepĂ©rage des enfants atteints. Hormis des cas extrĂȘmes et rares,l’identification des atteintes liĂ©es Ă  l’EPA nĂ©cessite des examenscliniques dĂ©taillĂ©s, dĂšs la naissance et aux Ă©tapes-clĂ©s du dĂ©ve-loppement, par des pĂ©diatres formĂ©s en premiĂšre ligne et/ou desprofessionnels qualifiĂ©s en neuro-dĂ©veloppement. Ces enfantsporteurs de plusieurs troubles (de l’apprentissage, du comporte-ment, sensoriels...) ne peuvent pas aujourd’hui tous bĂ©nĂ©ficierde prises en charge rĂ©Ă©ducatives Ă  l’ñge adĂ©quat qui pourraientrĂ©duire les dommages liĂ©s Ă  l’alcoolisation fƓtale.

Les équipes soignantes, organisées en réseaux de santé périnataleou réseaux de pédiatrie, doivent entretenir les connaissances etles formations de leurs membres pour optimiser ces repérages etprises en charge spécifiques. Outre les médecins, des psychomo-tricien/nes, psychologues, puériculteurs/trices, ergothérapeutes etéducateurs/trices sont partie prenante de ces équipes et doiventbénéficier et contribuer à cette formation et sensibilisation. Lesenfants atteints peuvent grandir dans des familles vulnérables ou 17

SynthĂšse

Page 33: EXPERTISE COLLECTIVE

au niveau de vie prĂ©caire ou bien ĂȘtre confiĂ©s aux services del’aide sociale Ă  l’enfance. Leur handicap liĂ© aux TCAF peut secumuler avec les pathologies plus frĂ©quentes dans ce contexte(pathologies chroniques, obĂ©sitĂ©, malnutrition, par exemple).

Le risque lors de la pĂ©riode qui prĂ©cĂšde la grossesse est encoremal documentĂ© et les connaissances scientifiques limitĂ©es : ya-t-il une pĂ©riode oĂč les comportements en matiĂšre de consom-mation d’alcool des adultes qui voudraient devenir parents sontdangereux pour l’embryon et le fƓtus ? Quelle serait la durĂ©e decette pĂ©riode ? Et y a-t-il un risque pour le futur fƓtus concer-nant l’alcoolisation du pĂšre dans la pĂ©riode qui prĂ©cĂšde laconception ? Ces questions sont soulevĂ©es par certaines donnĂ©esd’observation mais il est nĂ©cessaire de poursuivre les recherches(Ă©tiologie, biochimie, etc.) avant de formuler des messages deprĂ©vention prĂ©cis et fondĂ©s sur des preuves scientifiques.

Parce que le cerveau se rĂ©vĂšle d’une grande complexitĂ© biolo-gique et son dĂ©veloppement et son fonctionnement Ă  l’ñgeadulte sont Ă©troitement contrĂŽlĂ©s par des mĂ©canismes Ă©pigĂ©nĂ©-tiques, il est nĂ©cessaire de s’attarder dans les dommages spĂ©cifi-ques Ă  la pĂ©riode pĂ©rinatale sur les troubles de l’alcoolisationfƓtale et son impact Ă©pigĂ©nĂ©tique sur le cerveau.

De nouvelles avancĂ©es grĂące Ă  l’impact des donnĂ©esen Ă©pigĂ©nĂ©tique

Les donnĂ©es Ă©pigĂ©nĂ©tiques ouvrent des possibilitĂ©s diagnostiqueset thĂ©rapeutiques ainsi qu’en termes de prĂ©vention et de rĂ©duc-tion des risques liĂ©s aux consommations Ă  risque. Les mĂ©ca-nismes Ă©pigĂ©nĂ©tiques ont un rĂŽle dans le dĂ©veloppement du cer-veau via leurs capacitĂ©s Ă  rendre accessibles ou non certains pansde l’information gĂ©nĂ©tique contenue dans l’ADN et de per-mettre ainsi Ă  la cellule « d’exprimer » ou non tel ou tel gĂšne.L’accessibilitĂ© Ă  l’information gĂ©nĂ©tique contenue dans l’ADNest gĂ©rĂ©e par un enroulement de cette longue molĂ©cule de façonplus ou moins serrĂ©e, ce qui conduit Ă  l’exposition de parties de18

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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cette molĂ©cule (et donc de gĂšnes). Les machineries cellulairessont alors capables de lire cette information, de la transcrire etde la traduire en protĂ©ines ou, au contraire, Ɠuvrer Ă  sa compac-tion. L’ADN s’enroule autour d’une unitĂ© de base qui est consti-tuĂ©e par un petit complexe protĂ©ique (le nuclĂ©osome, composĂ©d’histones). C’est un code de « dĂ©corations » chimiques de ceshistones (acĂ©tylation, mĂ©thylation, phosphorylation, etc.), ainsique la mĂ©thylation de l’ADN lui-mĂȘme, qui vont dĂ©terminer lanature plus ou moins compacte de l’enroulement. L’ensemblede ces « dĂ©corations » chimiques sont appelĂ©es « marques Ă©pi-gĂ©nĂ©tiques ». Ces marques peuvent ĂȘtre transmises d’une cellulemĂšre Ă  une cellule fille, au cours des divisions cellulaires (c’estla mĂ©moire Ă©pigĂ©nĂ©tique). Ce sont ces codes qui permettentd’ouvrir ou de fermer certains programmes d’expression de gĂšnescruciaux pour le dĂ©veloppement du cerveau dans des fenĂȘtresde temps trĂšs prĂ©cises.

Il est tentant d’imaginer qu’en jouant sur l’activitĂ© des enzymesimpliquĂ©es dans le dĂ©pĂŽt de ces marques sur le gĂ©nome, on pour-rait effacer ces marques et retourner Ă  une conformation nor-male de la chromatine, et de l’expression de ces gĂšnes. Le pro-blĂšme n’est pas simple car il ne suffit pas d’exciser les marquesaberrantes, mais aussi de favoriser le dĂ©pĂŽt des marques nor-males, physiologiques. De façon importante, les mĂ©canismes Ă©pi-gĂ©nĂ©tiques sont rĂ©versibles et cette rĂ©versibilitĂ© pourrait ĂȘtrel’objet de voies thĂ©rapeutiques. Toutes les Ă©tapes du dĂ©veloppe-ment du cerveau sont sous contrĂŽle trĂšs Ă©troit de mĂ©canismesĂ©pigĂ©nĂ©tiques et l’activitĂ© neuronale elle-mĂȘme est capable demodifier les marques Ă©pigĂ©nĂ©tiques.

Toute dĂ©rĂ©gulation des mĂ©canismes Ă©pigĂ©nĂ©tiques au cours dudĂ©veloppement du cerveau est susceptible d’augmenter le risquede dĂ©velopper des maladies neuropsychiatriques. Que ce soit enraison de mutations des acteurs Ă©pigĂ©nĂ©tiques, capables dedĂ©poser des marques Ă©pigĂ©nĂ©tiques, de les exciser, ou de les« lire » et de les « interprĂ©ter », ou bien suite Ă  l’exposition Ă des agressions environnementales au stade fƓtal, pĂ©rinatal ouadulte. Parmi ces agressions, l’exposition prĂ©natale Ă  l’alcool 19

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(EPA) est une cause majeure d’anomalies neurodĂ©veloppemen-tales car elle est capable d’endommager toutes les Ă©tapes dudĂ©veloppement du cerveau. Ces dĂ©fauts contribuent Ă  un largespectre de dĂ©ficits dont la sĂ©vĂ©ritĂ© est variable, rĂ©pertoriĂ© sousle nom de ETCAF.

EPA, ETCAF et perturbations Ă©pigĂ©nĂ©tiques :vers des biomarqueurs d’exposition ou de pronostic ?

L’alcool perturbe les mĂ©canismes Ă©pigĂ©nĂ©tiques de diversesmaniĂšres : en altĂ©rant la disponibilitĂ© des « dĂ©corations » dĂ©po-sĂ©es sur les histones ou l’ADN, en modifiant l’abondance oul’activitĂ© des enzymes qui les dĂ©posent ou les enlĂšvent et celledes acteurs Ă©pigĂ©nĂ©tiques qui les lisent et les interprĂštent ; enconsĂ©quence, l’alcool perturbe les mĂ©canismes Ă©pigĂ©nĂ©tiques enmodifiant l’épigĂ©nome, c’est-Ă -dire le profil des marques Ă©pigĂ©-nĂ©tiques Ă  l’échelle du gĂ©nome.

La dĂ©termination des perturbations Ă©pigĂ©nĂ©tiques induites parl’EPA est cruciale Ă  la fois pour comprendre au niveau molĂ©-culaire les effets de l’EPA sur l’épigĂ©nome et sur l’expressiondes gĂšnes ou pour identifier des biomarqueurs d’EPA chez lesjeunes enfants. En effet, les ETCAF sont trĂšs difficiles Ă  dia-gnostiquer en raison de leur complexitĂ©. La dĂ©tection desfemmes enceintes Ă  risque pour leur consommation d’alcoolreste compliquĂ©e et restreinte (et celle de leur pĂšre l’est encoreplus) et l’historique d’EPA reste souvent inconnu. Une pers-pective rĂ©side Ă©galement dans le fait d’identifier des stratĂ©giesthĂ©rapeutiques visant Ă  inverser (reverse) le dĂ©pĂŽt de marquesĂ©pigĂ©nĂ©tiques aberrantes, pour normaliser l’expression des gĂšnesdans le cerveau aprĂšs EPA. Les techniques de dĂ©tection desmarques Ă©pigĂ©nĂ©tiques ont grandement bĂ©nĂ©ficiĂ© des approchesde sĂ©quençage Ă  haut dĂ©bit de l’ADN permettant de dĂ©tecterla mĂ©thylation de l’ADN lui-mĂȘme ou de cartographier lesmodifications chimiques des histones Ă  l’échelle du gĂ©nome.Elles permettront peut-ĂȘtre d’identifier des biomarqueursd’exposition ou mĂȘme de pronostic.20

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Les Ă©tudes restent encore trĂšs imparfaites et de nombreux freinsexistent encore avant de tirer des conclusions pĂ©rennes. Lescohortes d’enfants ou de collections d’échantillons biologiquesfƓtaux ETCAF, sont encore trĂšs restreintes et mal caractĂ©risĂ©esen termes de donnĂ©es dĂ©mographiques, de sexe, d’ñge, d’ethni-citĂ©, de mode de recrutement d’alcoolisation ou de sevrage. Ellesne permettent pas d’exclure l’influence de facteurs gĂ©nĂ©tiquesou de facteurs confondants (comme des problĂšmes Ă©conomiqueset Ă©ducationnels, des abus sexuels et de la maltraitance, unedĂ©pression chez la mĂšre, une addiction Ă  d’autres substancespsychotropes, etc.). Les modĂšles animaux ont permis de s’affran-chir des facteurs confondants, mais les doses et les modesd’alcoolisation (chroniques ou aigus), les fenĂȘtres de temps aprĂšsl’alcoolisation sont trĂšs divers selon les Ă©tudes et il est difficiled’en tirer des conclusions gĂ©nĂ©rales. NĂ©anmoins, il semble quecertaines rĂ©gions gĂ©niques ou clusters de gĂšnes porteurs de mar-ques Ă©pigĂ©nĂ©tiques aberrantes suite Ă  l’EPA soient identifiĂ©s dansun nombre d’études croissant et constituent des zones d’intĂ©rĂȘtavec un vrai potentiel de biomarqueurs. Un autre frein Ă  ladĂ©termination de biomarqueurs Ă©pigĂ©nĂ©tiques de l’EPA estl’inaccessibilitĂ© du cerveau Ă  des explorations invasives. Cepen-dant, un nombre croissant d’études montrent qu’un parallĂšleimparfait, mais exploitable, existe entre les perturbations Ă©pigĂ©-nĂ©tiques induites dans le cerveau en dĂ©veloppement par l’EPAet celles observĂ©es dans des tissus pĂ©riphĂ©riques.

Se pose Ă©galement la question du dĂ©pĂŽt prĂ©coce de marquesĂ©pigĂ©nĂ©tiques aprĂšs exposition (surtout pour l’EPA) et de leur« persistance » Ă  distance temporelle de l’alcoolisation. En effet,l’immense majoritĂ© des investigations de l’épigĂ©nome aprĂšs EPAa Ă©tĂ© faite chez l’adulte. On ne peut donc savoir si les marquesĂ©pigĂ©nĂ©tiques aberrantes observĂ©es sont issues de l’EPA et sontpersistantes, ou si elles dĂ©coulent secondairement d’une activitĂ©neuronale altĂ©rĂ©e suite Ă  l’EPA.

Enfin, il manque Ă  la grande majoritĂ© des Ă©tudes la dĂ©monstra-tion formelle de l’impact fonctionnel de ces perturbations Ă©pi-gĂ©nĂ©tiques sur l’expression de gĂšnes clĂ©s pour le dĂ©veloppement 21

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et le fonctionnement du cerveau, dĂ©monstration nĂ©cessaire Ă leur validation comme biomarqueurs. Une telle validation esttechniquement possible Ă  l’avenir grĂące aux nouvelles approchesdites d’« Ă©dition de l’épigĂ©nome ». L’ensemble de ces considĂ©-rations s’applique aussi aux consommations Ă  risque chez l’adulte(lors de la consommation ou du sevrage).

MalgrĂ© les progrĂšs accĂ©lĂ©rĂ©s dans ce domaine rĂ©cent qu’est l’épi-gĂ©nĂ©tique et le potentiel thĂ©rapeutique que soulĂšve la rĂ©versi-bilitĂ© des mĂ©canismes Ă©pigĂ©nĂ©tiques, il existe encore des freinsĂ  la dĂ©finition de stratĂ©gies thĂ©rapeutiques. MalgrĂ© des percĂ©estechnologiques trĂšs prometteuses basĂ©es sur les approches d’édi-tion de l’épigĂ©nome qui visent Ă  restaurer des marques Ă©pigĂ©nĂ©-tiques de façon ciblĂ©e sur les rĂ©gions gĂ©nomiques concernĂ©es,sans en modifier la sĂ©quence d’ADN, de telles stratĂ©gies sont eneffet techniquement et Ă©thiquement trĂšs difficiles Ă  mettre enƓuvre. Les stratĂ©gies de remĂ©diation non mĂ©dicamenteusesquant Ă  elles, visant Ă  rĂ©duire le risque de dĂ©velopper des trou-bles neurodĂ©veloppementaux ou Ă  amĂ©liorer les capacitĂ©s cogni-tives et d’interactions sociales des patients ETCAF sont trĂšssĂ©duisantes (stratĂ©gies d’éducation et d’apprentissage utilisantou non les jeux vidĂ©o et la rĂ©alitĂ© virtuelle, thĂ©rapie du contrĂŽlecognitif, thĂ©rapie langagiĂšre et linguistique, etc.). Mais la faibletaille et la dĂ©finition encore imparfaite des cohortes d’une part,et, d’autre part, le nombre restreint d’études de qualitĂ©, trĂšs Ă©cla-tĂ©es en termes de mĂ©thodes mises en Ɠuvre et de qualitĂ© desanalyses statistiques des rĂ©sultats, empĂȘchent de tirer des conclu-sions pĂ©rennes sur leurs actions et sur leur impact sur les marquesd’épigĂ©nĂ©tique.

Facteurs de risque de la consommation d’alcool

Les consommations d’alcool, comme d’autres comportements enlien avec la santĂ©, sont multifactorielles, et dues Ă  la fois Ă  desfacteurs structurels/collectifs et Ă  des facteurs individuels. Comme22

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de nombreux comportements de santĂ©, les consommationsd’alcool sont rĂ©parties au sein de la population selon une distri-bution normale ou quasi-normale, ce qui signifie que pour rĂ©duirela consommation excessive il est nĂ©cessaire de rĂ©duire la consom-mation moyenne de la population. NĂ©anmoins, la plupart desĂ©tudes sur les facteurs de risque ou de protection ne portent passur des consommations moyennes mais sur des consommationsplus Ă©levĂ©es : importantes, Ă  risque ou problĂ©matiques.Pour les facteurs de risque collectifs interviennent le niveau dedĂ©veloppement du pays de rĂ©sidence (plus il est Ă©levĂ© plus laconsommation d’alcool est Ă©levĂ©e), la culture relative Ă  l’alcool,le contexte des consommations d’alcool ainsi que le niveau deproduction, de distribution et de rĂ©gulation des produits alcoo-lisĂ©s. En particulier, des facteurs tels que la lĂ©gislation relativeĂ  la vente d’alcool, le prix des produits alcoolisĂ©s, la disponibilitĂ©de l’alcool, mesurĂ©e notamment par la densitĂ© des points devente ou des boĂźtes de nuit ou encore les normes relatives Ă  laconsommation d’alcool, sont associĂ©s aux perceptions positivesde l’alcool et aux tendances de consommation. De plus, la publi-citĂ© et le marketing de l’alcool peuvent influencer les niveauxet modes de consommation (voir la partie « Marketing des pro-duits alcoolisĂ©s » de cette synthĂšse). Il a Ă©galement Ă©tĂ© montrĂ©que la dĂ©gradation des conditions socio-Ă©conomiques, commepar exemple l’augmentation du taux de chĂŽmage peut inciter Ă la consommation d’alcool sous forme d’alcoolisation ponctuelleimportante. Enfin, des caractĂ©ristiques sociĂ©tales comme leniveau d’équitĂ© hommes-femmes ou les discriminations vis-Ă -visdes personnes appartenant Ă  des minoritĂ©s ethniques ousexuelles sont Ă©galement associĂ©es Ă  des niveaux Ă©levĂ©s deconsommation d’alcool – et en particulier de consommation Ă risque – Ă  l’échelle de la population.Au-delĂ  des facteurs collectifs, des caractĂ©ristiques familiales ourelatives Ă  l’entourage des personnes, peuvent Ă©galement influersur les consommations d’alcool.

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Concernant les facteurs de risque familiaux/environnementaux,de nombreuses recherches documentent l’excĂšs de risque deconsommation problĂ©matique d’alcool chez les personnes quiont des antĂ©cĂ©dents familiaux de problĂšmes liĂ©s Ă  l’alcool. Chezles adolescents, les difficultĂ©s socio-Ă©conomiques ou psycholo-giques au sein de la famille ou encore l’absence de supervisionparentale, les conflits familiaux et l’exposition Ă  la violenceintrafamiliale ainsi que la proposition d’alcool par les parentssont associĂ©s aux consommations des jeunes. Enfin, la consom-mation d’alcool par les pairs est Ă©galement un facteur de risquede consommation Ă©tabli, ce qui peut en partie ĂȘtre dĂ» au faitque les jeunes intĂ©ressĂ©s par la consommation d’alcool s’entou-rent d’autres jeunes qui ont les mĂȘmes centres d’intĂ©rĂȘt. Si chezles adolescents, la consommation d’alcool est un comportementde groupe, chez les adultes, au contraire, les recherches mon-trent que c’est plutĂŽt l’isolement relationnel qui induit un risqueĂ©levĂ© d’avoir une consommation problĂ©matique d’alcool.Parmi les facteurs de risque individuels associĂ©s Ă  la consomma-tion d’alcool, en particulier la consommation Ă  risque, il fautciter en premier lieu les facteurs gĂ©nĂ©tiques. Les Ă©tudes estimentqu’entre 50 et 70 % du risque d’addiction Ă  l’alcool est hĂ©ritable,en effet la probabilitĂ© d’avoir une consommation problĂ©matiqueest plus importante parmi les jumeaux monozygotes que parmiles jumeaux dizygotes. Certains gĂšnes associĂ©s Ă  une augmenta-tion ou une diminution du risque de consommation problĂ©ma-tique d’alcool ont Ă©tĂ© identifiĂ©s (par exemple ALDH2), maisglobalement la susceptibilitĂ© aux problĂšmes d’alcool semble par-tagĂ©e avec d’autres formes de conduites addictives, en lien avecles gĂšnes qui dĂ©terminent les systĂšmes de neurotransmetteurs(par exemple les systĂšmes dopaminergique, opioĂŻdergique,GABAergique, sĂ©rotoninergique, cholinergique, glutamater-gique). NĂ©anmoins il est Ă  noter que parmi les SNP (SingleNucleotide Polymorphism) identifiĂ©s Ă  ce jour, aucun n’expliqueplus de 1 % du risque de consommation problĂ©matique d’alcool.Dans l’ensemble, l’importance des facteurs gĂ©nĂ©tiques augmenteavec l’ñge jusqu’à 25 ans environ et semble plus importante dans

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un contexte permissif. De plus, les facteurs gĂ©nĂ©tiques interagis-sent avec les expĂ©riences de vie et les caractĂ©ristiques de l’envi-ronnement de vie des personnes, et les recherches actuelles exa-minent en dĂ©tail les mĂ©canismes Ă©pigĂ©nĂ©tiques qui pourraientcontribuer aux difficultĂ©s relatives Ă  la consommation d’alcool(voir la partie « De nouvelles avancĂ©es grĂące Ă  l’impact des don-nĂ©es en Ă©pigĂ©nĂ©tique » de cette synthĂšse).Au-delĂ  des facteurs gĂ©nĂ©tiques, de nombreuses caractĂ©ristiquesdes expĂ©riences vĂ©cues par les personnes ou de leurs traits decaractĂšre, sont associĂ©es Ă  la consommation d’alcool. Il est utileici de distinguer les facteurs de risque individuels identifiĂ©s dĂšsl’adolescence. Ainsi, parmi les facteurs les plus fortement asso-ciĂ©s aux problĂšmes de consommation d’alcool, on trouve lesexpĂ©riences de maltraitance ou d’abus sexuels – particuliĂšrementau cours de l’enfance.Par ailleurs, une orientation homosexuelle ou bisexuelle est Ă©ga-lement associĂ©e Ă  des niveaux de consommation d’alcool Ă©levĂ©sdĂšs l’adolescence et tout au long de l’ñge adulte – particuliĂšre-ment chez les jeunes filles et les femmes et ce probablement enpartie du fait des discriminations subies et de certains modes devie plus volontiers communautaires (rencontres dans des barsou des lieux de convivialitĂ©, rĂ©unions, regroupements de mili-tants d’associations, etc.). Les hommes homosexuels ou bisexuelssont Ă©galement plus Ă  risque que les hommes hĂ©tĂ©rosexuelsd’avoir une consommation Ă©levĂ©e de boissons alcoolisĂ©es parti-culiĂšrement dĂšs l’adolescence. La diffĂ©rence est toutefois moinsimportante que pour les femmes.Parmi les facteurs psychologiques, les problĂšmes de comporte-ment, ainsi que l’impulsivitĂ©/faible maĂźtrise de soi ont Ă©tĂ© iden-tifiĂ©s comme Ă©tant associĂ©s aux conduites addictives dont lesconsommations problĂ©matiques d’alcool. C’est Ă©galement le casde la recherche de sensations qui peut induire l’expĂ©rimentationprĂ©coce et le dĂ©sinvestissement scolaire. Les donnĂ©es concernantle rĂŽle de problĂšmes Ă©motionnels sont moins concordantes,nĂ©anmoins des Ă©tudes ont rapportĂ© que des symptĂŽmes d’anxiĂ©tĂ©prĂ©disent les consommations d’alcool. Par ailleurs, des recherches 25

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rĂ©centes soulignent l’effet prĂ©dicteur de difficultĂ©s de sommeil– endormissement tardif ou problĂšmes de sommeil. Enfin, il aĂ©tĂ© observĂ© au cours des derniĂšres annĂ©es que la consommationde boissons Ă©nergisantes prĂ©dit la consommation d’alcool –conjointe ou non, sans que l’on ne sache Ă  ce jour si cette rela-tion est causale.

Par ailleurs, des facteurs de risque spĂ©cifiques Ă  l’ñge adulte ontĂ©tĂ© observĂ©s et concernent les facteurs psychologiques, l’hostilitĂ©et plus gĂ©nĂ©ralement l’affectivitĂ© nĂ©gative et les symptĂŽmes dedĂ©pression/anxiĂ©tĂ©. Alors que les liens entre situation sociale etconsommation d’alcool chez les adolescents sont complexes, onobserve des inĂ©galitĂ©s sociales marquĂ©es dans ce domaine chezles adultes que l’on prenne en compte les difficultĂ©s socio-Ă©co-nomiques auto-rapportĂ©es ou le fait d’ĂȘtre au chĂŽmage. Enfin,parmi les conditions de travail, certaines sont associĂ©es Ă  la pro-babilitĂ© de boire de l’alcool de maniĂšre excessive, notammentun nombre important d’heures de travail (48 h ou plus/semaine),le fait d’ĂȘtre en contact avec le public, et des facteurs psycho-sociaux dĂ©favorables (faible soutien au travail, conflits, harcĂš-lement). Enfin, certaines activitĂ©s de loisirs, et notamment l’uti-lisation importante des rĂ©seaux sociaux pourraient Ă©galementĂȘtre associĂ©es Ă  des consommations d’alcool – et d’autres pro-duits – Ă©levĂ©es.

Les facteurs de protection des consommations d’alcool peuventĂ©galement se situer Ă  un niveau collectif, familial ou individuel.Les principaux facteurs de protection collectifs sont le prix del’alcool, la rĂ©gulation du nombre et de la concentration de lieuxde vente, la rĂ©duction des horaires de vente et le respect del’interdiction de vente aux mineurs. Enfin, pour les adolescents,l’accĂšs – physique et financier – Ă  des activitĂ©s sociales et rĂ©crĂ©a-tives favorables Ă  la santĂ© est associĂ© Ă  une diminution desconsommations problĂ©matiques d’alcool et d’autres substancespsychoactives. À l’échelle des familles, le soutien parental et lesoutien aux parents et Ă  la parentalitĂ© semblent trĂšs efficacespour prĂ©venir ou rĂ©duire les consommations d’alcool chez lesjeunes. À l’échelle individuelle, l’investissement dans la26

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scolaritĂ© ou dans des activitĂ©s sociales et rĂ©crĂ©atives favorablesĂ  la santĂ© (artistiques, sportives) semble protecteur. Enfin, ledĂ©veloppement de capacitĂ©s de coping (par exemple l’estimede soi, la possibilitĂ© de gĂ©rer des conflits), ou encore la spiritua-litĂ© et la pratique religieuse sont des facteurs protecteursd’importance.

Marketing des produits alcoolisés

Afin de faire Ă©voluer les tendances de consommation Ă  l’échellede la population, les politiques publiques visant Ă  rĂ©duire l’accĂšsĂ  l’alcool ont montrĂ© leurs preuves d’efficacitĂ© – notammentchez les jeunes – et mĂ©riteraient d’ĂȘtre renforcĂ©es, notammentautour du marketing des produits alcoolisĂ©s.Les outils classiques du marketing (les 4 « P » : produit, prix,publicitĂ©, place – accĂšs aux produits) sont mobilisĂ©s par les pro-ducteurs d’alcool pour inciter une cible large Ă  acheter et Ă consommer leurs marques.Des techniques commerciales spĂ©cifiques sont par ailleursdĂ©ployĂ©es pour toucher des profils particuliers de consomma-teurs : les jeunes, qui reprĂ©sentent l’avenir de la consommationd’alcool (ciblage avec des produits aromatisĂ©s, prix faible, venteĂ  l’unitĂ©, publicitĂ© digitale, etc.), et les femmes, sous-consom-matrices par rapport aux hommes (ciblage avec des produitslĂ©gers en alcool, arĂŽmes fruitĂ©s, soutien de causes fĂ©minines,etc.). En France et selon l’observatoire Kantar Media, une pige7

des investissements publicitaires des alcooliers rĂ©alisĂ©e pourSantĂ© publique France, il est estimĂ© que les budgets publicitairesdes marques d’alcool, qui ne reprĂ©sentent qu’une partie desdĂ©penses marketing, s’élĂšvent respectivement Ă  454,6, 369,2 et208,5 millions d’euros en 2016, 2017 et 2018.

7. Une pige est un dispositif de recueil des informations ici des investissementspublicitaires. 27

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Des travaux scientifiques menĂ©s Ă  partir des annĂ©es 2000 ontanalysĂ© l’effet du marketing de l’alcool sur les jeunes. CesĂ©tudes ont particuliĂšrement Ă©tudiĂ© l’impact de la publicitĂ© quien est une composante. La trĂšs grande majoritĂ© des recherchesrĂ©sumĂ©es dans trois revues de la littĂ©rature rĂ©vĂšlent un lienpositif et significatif entre l’exposition au marketing et Ă  lapublicitĂ© pour des produits alcooliques, les attitudes puis lescomportements d’alcoolisation des jeunes (initiation pour lesnon-consommateurs, augmentation de consommation pour lesjeunes consommateurs).Ainsi, au-delĂ  de l’influence des pairs, des parents, de la culture,l’état actuel de la recherche indique que le marketing des indus-triels de l’alcool joue aussi un rĂŽle pour expliquer les compor-tements d’alcoolisation de cette population.En consĂ©quence, et afin de protĂ©ger les mineurs, les acteurs dela santĂ© nationaux et internationaux recommandent de rĂ©gulerles pratiques commerciales de l’industrie alcooliĂšre. Pour cefaire, certains pays ont optĂ© pour l’autorĂ©gulation : les industrielset/ou leurs reprĂ©sentants (syndicats, etc.) proposent des codesde bonne conduite qu’ils s’engagent Ă  suivre en matiĂšre decommunication publicitaire envers les mineurs. Il estaujourd’hui Ă©tabli dans la littĂ©rature que cette solution n’est pasefficace pour protĂ©ger les jeunes du marketing de l’alcool. C’estla raison pour laquelle de plus en plus de pays s’engagent dansla mise en place de lois, Ă  l’instar de la France, prĂ©curseur en lamatiĂšre en 1991 avec la loi Évin rĂ©gulatrice des publicitĂ©s pourles boissons alcoolisĂ©es (entre autres).Or il s’avĂšre que dans sa version actuelle, la loi Évin protĂšgepeu les mineurs de l’exposition Ă  la publicitĂ© des marquesd’alcool, en particulier sur certains supports (publicitĂ©s et pro-motions dans les supermarchĂ©s, internet, affichage dans la rue,etc.). DiffĂ©rentes raisons expliquent ce constat. En premier lieu,la loi Évin n’est pas toujours respectĂ©e : la justice condamnerĂ©guliĂšrement des publicitĂ©s jugĂ©es illĂ©gales. En second lieu,cette rĂšglementation a Ă©tĂ© considĂ©rablement modifiĂ©e et affai-blie depuis sa mise en place en 1991 sous l’effet du lobbying des28

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producteurs d’alcool (l’affichage partout et la publicitĂ© surinternet sont dĂ©sormais autorisĂ©s), ce qui explique qu’elle neremplit pas pleinement son rĂŽle de protection de la jeunesse.Au-delĂ  du marketing et de la publicitĂ© classiques, les produc-teurs d’alcool investissent internet, mĂ©dia trĂšs frĂ©quentĂ© par lesjeunes. Les formats publicitaires digitaux des marques d’alcoolsont protĂ©iformes : sites de marque, rĂ©seaux sociaux, e-mails,concours, stories, etc. Sur internet, les chercheurs distinguentles contenus commerciaux qui Ă©manent des producteurs d’alcool(sites, soutien affichĂ© Ă  des Ă©vĂ©nements, recours Ă  des cĂ©lĂ©-britĂ©s), des messages pro-alcool diffusĂ©s par des tiers et/ou desinternautes. Dans ce dernier cas, il n’est pas rare de voir desbars, discothĂšques, festivals, Ă©vĂ©nements sportifs, internautes ougroupes d’internautes propager des messages favorables aux mar-ques d’alcool ou Ă  l’alcool en gĂ©nĂ©ral. Sans lien officiel dĂ©clarĂ©entre les diffuseurs de ces messages et les producteurs d’alcool,il est trĂšs difficile de dire si le contenu publiĂ© est rĂ©alisĂ© dansun cadre personnel ou d’un parrainage rĂ©munĂ©rĂ©.Par ailleurs, une des spĂ©cificitĂ©s du marketing digital est d’inciterles internautes Ă  s’engager et Ă  interagir avec les publicationsdes marques d’alcool. Cette interaction et cet engagement sefont via le dĂ©pĂŽt de commentaires, des partages, des « likes »,des inscriptions Ă  des jeux concours, etc. On parle le cas Ă©chĂ©antd’utilisateurs « actifs » (ils s’engagent personnellement : ils twit-tent, re-twittent, « likent », commentent, postent et partagentdu contenu pro-alcool) Ă  l’inverse des internautes « passifs » (quine font que recevoir des contenus pro-alcool via les messages deleurs pairs, des publicitĂ©s sur leur fil d’actualitĂ©s, etc.).Des recherches ont Ă©tĂ© menĂ©es sur l’effet de ces diffĂ©rents for-mats publicitaires sur internet, qu’ils Ă©manent ou non officiel-lement des producteurs d’alcool, et qu’ils engagent ou non lesinternautes. Quatre synthĂšses de la littĂ©rature ont Ă©tĂ© publiĂ©essur l’influence du marketing digital de l’alcool. La trĂšs grandemajoritĂ© des travaux recensĂ©s Ă©tablit un lien positif et significatifentre l’exposition Ă  des contenus pro-alcool sur internet puisl’envie de consommer, la consommation dĂ©clarĂ©e actuelle ou 29

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passĂ©e, la banalisation des alcoolisations excessives et les pro-blĂšmes rencontrĂ©s par les jeunes avec l’alcool. Ces recherchesn’ayant gĂ©nĂ©ralement pas analysĂ© le sens de ces associations, defutures Ă©tudes sont Ă  mener afin de les caractĂ©riser plusprĂ©cisĂ©ment.Les travaux acadĂ©miques les plus rĂ©cents ont analysĂ© en parti-culier l’effet des messages pro-alcool diffusĂ©s officiellement pardes internautes (et non par les producteurs d’alcool), partant duconstat que si les jeunes sont critiques vis-Ă -vis des techniquescommerciales dĂ©ployĂ©es par des marques d’alcool sur internet ety participent rarement, ils sont plus rĂ©ceptifs et s’engagent plusvolontiers face Ă  des contenus Ă©mis par des pairs. Les rĂ©sultatsde ces Ă©tudes, peu nombreuses pour le moment, suggĂšrent ques’engager soi-mĂȘme dans la diffusion de messages pro-alcool (encomparaison avec la participation au marketing des produc-teurs) aurait un impact plus important sur sa consommation deboissons alcoolisĂ©es et serait favorable Ă  l’image et l’identitĂ© desparticipants. De plus, ĂȘtre exposĂ© Ă  des messages et des commen-taires pro-alcool diffusĂ©s par des pairs influencerait la normeperçue par rapport Ă  la consommation d’alcool vers unebanalisation.Les particularitĂ©s d’internet rendent dĂ©licate la rĂ©gulation despublicitĂ©s diffusĂ©es sur ce mĂ©dia. Le systĂšme des barriĂšres d’ñgeexiste : il consiste Ă  bloquer l’accĂšs aux sites de marque d’alcoolou Ă  leurs rĂ©seaux sociaux dĂšs lors que l’internaute se dĂ©claremineur. Des Ă©tudes ont montrĂ© que ce dispositif est peu efficacecar les jeunes mentent souvent sur leur Ăąge pour accĂ©der auxcontenus digitaux qui les intĂ©ressent.Certains pays se sont dotĂ©s de lois trĂšs prĂ©cises sur le volet mar-keting digital de l’alcool. C’est le cas de la Finlande qui a adoptĂ©en 2015 une rĂšglementation qui prĂ©cise que toutes les formesde sollicitations marketing pour engager les internautes sontinterdites (incitation Ă  « liker », Ă  poster des commentaires, Ă rĂ©agir sur les rĂ©seaux sociaux des marques, Ă  s’inscrire Ă  desconcours, jeux, tirages au sort, etc.), que ces incitations Ă©manentdes industriels de l’alcool et/ou de partenaires commerciaux30

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(bars, discothĂšques, influenceurs payĂ©s, etc.). Cette loi est intĂ©-ressante car elle assimile les formes modernes de publicitĂ©s surinternet, mais elle pose toutefois la question de la traçabilitĂ© desliens entre les producteurs d’alcool et des Ă©metteurs de messagespro-alcool.

Lobbying de la filiĂšre alcool

La littĂ©rature concernant le lobbying de la filiĂšre alcool s’estdĂ©veloppĂ©e Ă  partir des annĂ©es 2000. Elle analyse les stratĂ©gies,techniques et arguments mobilisĂ©s pour influencer les dĂ©cideurspolitiques dans un sens favorable aux intĂ©rĂȘts commerciaux deces firmes.

DiffĂ©rentes formes d’organisations ont Ă©tĂ© identifiĂ©es en tantqu’acteurs du lobbying en faveur de l’alcool. Il s’agit des pro-ducteurs d’alcool, des associations professionnelles (syndicats,reprĂ©sentants de filiĂšres), des organismes de relations publiquesĂ  caractĂšre « social » financĂ©s par l’industrie de l’alcool(« SAPRO » en anglais : Social Aspects and Public Relations Orga-nisations) dont les missions affichĂ©es sont de mener des campa-gnes de prĂ©vention et/ou de promouvoir la consommation res-ponsable d’alcool, et tout autre acteur qui, Ă  court, moyen oulong terme, s’associe Ă  la filiĂšre alcool pour empĂȘcher la miseen place d’une rĂšglementation (secteur de l’hospitalitĂ©, mĂ©dias,agences de publicitĂ©, de marketing, distributeurs, etc.).

Les travaux publiĂ©s explorent les stratĂ©gies dĂ©ployĂ©es par cesdiffĂ©rentes organisations pour empĂȘcher, attĂ©nuer, retarder ouretirer des mesures adoptĂ©es ou envisagĂ©es par des gouverne-ments ou l’OMS et identifiĂ©es comme les plus coĂ»ts efficacestelles que la hausse des taxes, un prix minimum par unitĂ©d’alcool, la rĂ©gulation de la publicitĂ©, la restriction de l’accĂšsaux produits alcooliques (vente dans certains rĂ©seaux de distri-bution), etc. Une revue de la littĂ©rature montre que la filiĂšrealcool se positionne de façon spĂ©cifique pour influencer les 31

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dĂ©cisions politiques. Les acteurs de la filiĂšre se positionnentcomme des partenaires clefs de la prĂ©vention et des acteurs Ă©co-nomiques responsables (diabolisĂ©s Ă  tort par les acteurs de lasantĂ©) et dĂ©dramatisent les mĂ©faits du produit en mentionnantqu’ils touchent une minoritĂ© de la population et que la consom-mation modĂ©rĂ©e de ce produit apporte des bĂ©nĂ©fices sur la santĂ©.En consĂ©quence, les mesures proposĂ©es par ces acteurs du lob-bying pour rĂ©soudre le problĂšme reposent sur l’éducation Ă  lamodĂ©ration, des interventions ciblĂ©es sur les publics Ă  risque(femmes enceintes, jeunes, etc.), alors qu’ils se montrent hos-tiles aux mesures qui touchent l’ensemble de la population(taxes, rĂ©gulation du marketing, etc.).Il est intĂ©ressant de constater la similaritĂ© entre les stratĂ©gies etles arguments de lobbying identifiĂ©s dans la littĂ©rature interna-tionale et ceux adoptĂ©s par les acteurs de la filiĂšre alcool enFrance (producteurs, syndicats, organismes de relations publi-ques Ă  caractĂšre « social » financĂ©s par l’industrie de l’alcool).Une partie des travaux recensĂ©s sur le lobbying est consacrĂ©een particulier Ă  l’implication de la filiĂšre alcool dans la recherchescientifique. Les outils identifiĂ©s pour ce faire sont multiples :des crĂ©ations d’instituts de recherche financĂ©s par les produc-teurs d’alcool, un financement en direct de centres universitaireset de chercheurs, la rĂ©alisation de recherches en interne (sur lesbĂ©nĂ©fices de la consommation d’alcool sur la santĂ© par exemple)ou en lien avec des sociĂ©tĂ©s d’études de marchĂ© puis la diffusiond’informations « scientifiques » dans le but de toucher des ciblesvariĂ©es (politiques, journalistes, acteurs de la santĂ©, grand public,etc.) Ă  travers des colloques, des rapports et/ou les sites internetde la filiĂšre alcool.Les motivations des compagnies alcooliĂšres Ă  s’immiscer dans lemonde acadĂ©mique sont de trois ordres : 1) publier des travauxpour peser sur les dĂ©bats sociĂ©taux en confrontant les rĂ©sultatsde leurs propres recherches Ă  ceux dĂ©favorables Ă  l’alcool ; 2)donner du crĂ©dit aux rĂ©sultats des recherches financĂ©es parl’alcool et publiĂ©es par des chercheurs ; 3) collaborer avec lemonde universitaire, toucher ainsi des leaders d’opinion32

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scientifiques et amĂ©liorer l’image de l’industrie de l’alcool auprĂšsde ces publics.Des biais et des risques de dĂ©rives engendrĂ©s par l’implicationde l’industrie de l’alcool dans la recherche ont Ă©tĂ© mis Ă  jour. Ils’agit de biais mĂ©thodologiques, de l’orientation des thĂšmes derecherche financĂ©s par la filiĂšre alcool (les travaux soutenusportent sur les parcours individuels alors que les facteurs envi-ronnementaux sont « oubliĂ©s »), de l’émergence d’un sentimentde rĂ©ciprocitĂ© de la part des chercheurs financĂ©s puis d’unmanque de transparence sur les travaux publiĂ©s et financĂ©s parla filiĂšre alcool.Des recherches se sont Ă©galement intĂ©ressĂ©es Ă  la façon dont lafiliĂšre alcool tente, en particulier, de contrer les rĂ©gulations dumarketing de l’alcool mises en place ces derniĂšres dĂ©cenniesdans certains pays et prĂ©conisĂ©es par l’OMS. Une revue systĂ©-matique a Ă©tĂ© publiĂ©e sur ce thĂšme. Elle rĂ©vĂšle l’existence decinq axes stratĂ©giques dĂ©ployĂ©s par la filiĂšre alcool afin d’inflĂ©-chir les dĂ©cisions sur les rĂ©gulations marketing : 1) la diffusiond’informations sur le sujet en faveur de l’alcool (via des rencon-tres directes ou indirectes avec les dĂ©cideurs, des collaborationsavec les gouvernements, des publications qui omettent et/ourĂ©futent la littĂ©rature scientifique sur l’impact du marketing surles jeunes) ; 2) la constitution de groupes d’intĂ©rĂȘts et d’alliancespour peser contre la mesure (groupes d’influence internes et/ouexternes Ă  la filiĂšre alcool) ; 3) la proposition de mesures alter-natives Ă  la rĂ©gulation du marketing (autorĂ©gulation, pro-grammes de responsabilitĂ© sociale des entreprises et d’éducationau goĂ»t de l’alcool des plus jeunes) ; 4) recours Ă  des lois (remiseen cause de la lĂ©galitĂ© de la mesure, mobilisation de textes inter-nationaux pour contrer la mesure locale) ; 5) incitations/dissua-sions financiĂšres (arrĂȘt des financements dans le sport, finance-ment de partis politiques hostiles Ă  la rĂ©gulation du marketing,cadeaux).Outre ces stratĂ©gies, les chercheurs ont Ă©galement identifiĂ© lesarguments mobilisĂ©s par l’industrie de l’alcool pour contrer lesrĂ©gulations du marketing. Ils sont de plusieurs types : 1) la 33

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mesure est jugĂ©e inutile et redondante (l’autorĂ©gulation existedĂ©jĂ ) ; 2) il manque des preuves sur son efficacitĂ© ; 3) elle entraĂź-nera des consĂ©quences Ă©conomiques nĂ©gatives (emploi, attrac-tivitĂ© du pays) ; 4) la rĂ©duction des dommages liĂ©s Ă  l’alcool estun problĂšme complexe qui ne peut se rĂ©soudre par la rĂ©gulationdu marketing.Ces diffĂ©rents arguments ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s dans les discours dif-fusĂ©s dans les mĂ©dias britanniques par la filiĂšre alcool Ă  proposde la loi Évin au moment oĂč l’Irlande et l’Écosse se posaient laquestion d’adopter une rĂ©glementation similaire (rĂ©gulation dumarketing finalement votĂ©e en Irlande en 2018).Enfin, certains chercheurs ont constatĂ© une similitude entre lesstratĂ©gies et arguments de lobbying de la filiĂšre alcool et cellesdes compagnies de tabac pour tenter d’influencer les dĂ©cisionspolitiques. Cela a Ă©tĂ© constatĂ© sur le plan des stratĂ©gies globales,de l’implication dans la recherche et de l’opposition aux rĂ©gu-lations du marketing.

Prévention primaire

Construction et principales mesures d’un programmed’actions publiques

Avec un coĂ»t social estimĂ© Ă  118 milliards d’euros imputable Ă la consommation d’alcool, certains dĂ©noncent les inĂ©galitĂ©s detraitement des diffĂ©rents produits des dĂ©pendances. Les politi-ques publiques actuelles ne sont pas le reflet de la dangerositĂ©du produit « alcool ». Souvent, le poids Ă©conomique du secteuret la force du lobbying alcoolier sont mis en avant pour expli-quer cette spĂ©cificitĂ© de l’alcool : le marchĂ© français n’y Ă©chappepas, que ce soit sur le marchĂ© intĂ©rieur ou Ă  l’exportation. Onvoit alors se dessiner l’un des obstacles majeurs au dĂ©veloppe-ment d’une politique publique de lutte contre les dommages liĂ©sĂ  l’alcool : le clivage entre santĂ© publique et Ă©conomie.

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Une politique nationale ambitieuse et cohĂ©rente entre ces deuxextrĂȘmes est-elle possible ? Pour dĂ©passer cette opposition se des-sine une approche en termes de rĂ©duction des risques et desdommages liĂ©s Ă  la consommation d’alcool. Plus prĂ©cisĂ©ment,l’analyse critique de la littĂ©rature existante permet de dĂ©ter-miner que premiĂšrement, les mesures les plus coĂ»t-efficacessont : les politiques de contrĂŽle de l’offre et de la demande ; lesinterdictions de la publicitĂ© ; les politiques de lutte contrel’alcool au volant ; des mesures complĂ©mentaires spĂ©cifiquementĂ  destination des mineurs. DeuxiĂšmement, la situation des paysconcernant l’adoption de lignes directrices (guidelines) est trĂšsvariable selon les pays (en avoir ou non, spĂ©cifiques Ă  l’alcoolou englobĂ©es dans une approche plus gĂ©nĂ©rale des addictions oude la nutrition, etc.) mais il semble que leur impact soit d’autantplus important qu’il y a une communication importante sur lesraisons qui les motivent et notamment le lien entre alcool etcancer. TroisiĂšmement, la littĂ©rature sur les avertissements sani-taires est assez consensuelle sur le fait que l’on manque d’étudesd’impact sur l’apposition de messages ou de pictogrammes deprĂ©vention sur les contenants et qu’il faudrait dĂ©velopper lesrecherches en la matiĂšre. NĂ©anmoins, on peut retenir quel’apposition des avertissements sanitaires doit s’inscrire dans unestratĂ©gie globale et cohĂ©rente, avec les quelques Ă©lĂ©ments sui-vants : les avertissements semblent Ă©chouer Ă  toucher lesconsommateurs d’alcool les plus Ă  risque ; les messages spĂ©cifi-ques (par risque, par type d’alcool, par sexe, etc.) seraient plusefficaces que les messages universels ; une rotation des messagesest nĂ©cessaire pour Ă©viter l’accoutumance et la perte d’effica-citĂ© ; la taille, l’emplacement, voire la couleur mĂ©riteraientd’ĂȘtre rĂ©Ă©tudiĂ©s ainsi que dans la perspective d’un Ă©tiquetagenutritionnel. Enfin, cet Ă©tiquetage ne doit pas ĂȘtre laissĂ© auvolontariat de l’industrie alcooliĂšre mais doit ĂȘtre l’objet d’unepolitique publique contraignante, obligatoire et uniforme.

QuatriÚmement, des recommandations consensuelles émergentde la littérature comme développer un plan global qui combinede maniÚre cohérente plusieurs types de mesures coût-efficaces ; 35

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augmenter les moyens de la recherche, de l’enseignement et dela prĂ©vention sur l’alcool ; rĂ©guler obligatoirement et non laisserde l’auto-rĂ©gulation (volontariat) en matiĂšre de prĂ©vention etd’avertissements ; former tous les types de professionnelsconcernĂ©s, notamment au repĂ©rage prĂ©coce et Ă  l’interventionbrĂšve (RPIB) (voir la partie « Intervention brĂšve » de cettesynthĂšse).En revanche, les dĂ©bats restent ouverts sur le type d’approchela plus pertinente (ciblĂ©e sur l’alcool ou gĂ©nĂ©rale sur les addic-tions, ciblĂ©e ou universelle, individuelle ou collective), ainsi quesur l’intĂ©rĂȘt de s’inspirer de ce qui se fait pour d’autres substanceset en premier lieu pour le tabac (alcoolisme passif [les effets dela consommation d’alcool sur l’entourage du consommateur],convention internationale, etc.).Enfin, il existe un certain nombre d’élĂ©ments nĂ©cessaires Ă  laconstruction de ces politiques de rĂ©duction des risques et desdommages liĂ©s Ă  l’alcool, comme le fait de mener un large dĂ©batsocial et politique ; chercher Ă  agir sur les aspects cognitifs etculturels ; la nĂ©cessaire volontĂ© politique de maintenir la cohĂ©-rence des messages et des politiques publiques face Ă  un lobbypuissant ; le fait Ă  la fois d’inscrire les mesures dans la durĂ©e etde trouver les moyens de rendre leur mise en Ɠuvre effective ;le fait de construire cette approche globale en mettant le sys-tĂšme de soins et les professionnels de santĂ© au cƓur de larĂ©flexion et de l’action publique.

Actions sur la restriction de l’offre/demande et les prix

Les politiques de contrĂŽle de l’offre et de la demande font partiedes principales mesures coĂ»t-efficaces d’un programme d’actionspubliques (cf. ci-dessus). De leur Ă©valuation proposĂ©e par la lit-tĂ©rature scientifique, il ressort que les mesures de restriction del’offre et de la demande d’alcool sont des moyens efficaces delimitation de l’usage d’alcool.

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La limitation de l’offre d’alcool

Ainsi, en matiĂšre de limitation de l’offre d’alcool, trois mesuresphares ont Ă©tĂ© mises en Ɠuvre et Ă©valuĂ©es dans diffĂ©rents pays etpermettent une mise en relief de la situation française. La res-triction du nombre de dĂ©bits de boissons alcoolisĂ©es s’effectue parles conditions avec lesquelles de nouveaux dĂ©bits de boissonsalcoolisĂ©es peuvent s’établir en un territoire donnĂ©. Alors qu’enFrance de fortes prĂ©rogatives sont actuellement en faveur d’unedĂ©cision unilatĂ©rale des maires et des prĂ©fets, avec une lĂ©gislationqui vient de s’assouplir concernant la migration des licences IVĂ  destination des aires touristiques, en Angleterre, la dĂ©cisiond’octroi de licence est multipartite. Ce sont en effet des commis-sions composĂ©es de diffĂ©rentes parties prenantes Ă  l’installationde dĂ©bits de boissons qui donnent ou non leur aval Ă  de nouvellesimplantations. Ces procĂ©dures ont pour effet de modifier la socio-logie des tenanciers de dĂ©bits de boissons et de mettre Ă  l’agendade la dĂ©cision d’autorisation d’ouverture de fortes prĂ©occupationsd’ordre public. Il ressort Ă©galement que, depuis l’instauration deces commissions, le nombre d’admissions Ă  l’hĂŽpital en lien avecl’alcool a diminuĂ© dans les aires gĂ©ographiques dont ces commis-sions ont la charge. De la mĂȘme façon, en France, les maires etles prĂ©fets fixent par arrĂȘtĂ©s les heures d’ouverture et de fermeturedes dĂ©bits de boissons Ă  emporter ou Ă  consommer sur place dansla limite de la lĂ©gislation nationale. Des diffĂ©rences territorialesexistent ainsi concernant les heures de fermeture des dĂ©bits deboissons. DiffĂ©rentes expĂ©riences Ă©trangĂšres de restriction ou aucontraire d’élargissement des plages horaires de vente d’alcoolĂ©clairent l’impact que ces modifications peuvent avoir en termesd’usage d’alcool et de dommages associĂ©s. Que cela soit aux Pays-Bas, en Allemagne, en NorvĂšge, en Suisse ou encore en Australie,la littĂ©rature scientifique, exploitant diffĂ©rentes mĂ©thodologiesd’évaluation, s’accorde sur l’intĂ©rĂȘt, sur des indicateurs de santĂ©et d’ordre publics (baisse des consommations, diminution desagressions violentes, baisse des alcoolĂ©mies routiĂšres...), de res-treindre les plages horaires de vente d’alcool, Ă  emporter ou Ă consommer sur place. 37

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Les bĂ©nĂ©fices Ă  limiter les consommations d’alcool des plusjeunes sont aussi clairement documentĂ©s. Les interdictions devente d’alcool aux mineurs sont associĂ©es Ă  une plus faible acci-dentologie routiĂšre, Ă  de plus faibles consommations d’alcool etĂ  de moindres consĂ©quences nĂ©gatives de l’usage d’alcool chezles adolescents et jeunes adultes. Des recherches tendent Ă  mon-trer Ă©galement les bĂ©nĂ©fices sanitaires Ă  long terme que produi-raient de telles interdictions. Les preuves scientifiques del’intĂ©rĂȘt des limites d’ñge Ă©levĂ©es en matiĂšre d’accĂšs Ă  l’alcoolsont donc aujourd’hui indubitables.

En ce sens, l’augmentation progressive de l’ñge lĂ©gal d’accĂšs Ă l’alcool en France apparaĂźt judicieuse.

Il n’en reste pas moins que ces mesures d’interdiction doiventĂȘtre respectĂ©es. Les vendeurs d’alcool nĂ©erlandais, sur place ouĂ  emporter, ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de formations sur cette problĂ©matiqueet ont Ă©tĂ© dotĂ©s d’outils de vĂ©rification de l’ñge des clients quiles ont aidĂ©s Ă  implĂ©menter une telle mesure. Les travaux Ă©va-luatifs montrent ainsi une amĂ©lioration constante du respect dela loi de vente d’alcool aux mineurs depuis quelques annĂ©es auxPays-Bas. Il n’empĂȘche que certains travaux soulignent Ă©gale-ment l’intĂ©rĂȘt d’une sanction dissuasive ainsi que l’intĂ©rĂȘt decontrĂŽles frĂ©quents.

La limitation de la demande d’alcool

En matiĂšre de limitation de la demande d’alcool, ce sont bienles mĂ©canismes fiscaux qui sont les plus largement mobilisĂ©s etĂ©valuĂ©s Ă  l’international, et en Europe en particulier.

Il s’agit d’augmenter le prix des boissons alcoolisĂ©es, Ă  traversune augmentation des taxes et des droits d’accises les frappant,dans le but que les consommateurs restreignent leur achat etdonc leur consommation. La littĂ©rature scientifique s’intĂ©resseainsi aux impacts des augmentations des prix des boissons alcoo-lisĂ©es dans leur intensitĂ©, dans les catĂ©gories de population lesplus Ă  mĂȘmes d’ĂȘtre sensibles Ă  ces variations de prix, et finale-ment Ă  leur impact en termes de santĂ© publique. Des travaux38

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en la matiÚre, il ressort que les individus sont effectivementsensibles aux variations de prix des boissons alcoolisées. Collec-tivement, les individus se révÚlent trÚs sensibles aux variationsdes prix des spiritueux, sensibles aux variations du prix du vinet un peu moins à celles des prix des biÚres. Malgré ces diffé-rences, quand les prix augmentent les individus consommentmoins.

L’élasticitĂ©-prix de la demande d’alcool diffĂšre nĂ©anmoins selonles individus. Dans les derniers travaux en la matiĂšre, les jeunesapparaissent comme moins sensibles aux augmentations des prixdes boissons alcoolisĂ©es et en particulier, les plus intensifs dansleur usage d’alcool, et ce, mĂȘme si la taxe s’applique sur des typesde boissons visant les jeunes consommateurs comme les ready-to-drink. Les jeunes et principalement les jeunes consommateursintensifs mettent ainsi en place des stratĂ©gies de contournementdes augmentations de taxes : ils cherchent Ă  minimiser leurdĂ©pense pour chaque gramme d’alcool en diminuant la qualitĂ©des alcools achetĂ©s par exemple. Les consommateurs intensifsadultes auraient les mĂȘmes stratĂ©gies que les jeunes. Les dernierstravaux concluent que les gros consommateurs rĂ©pondent auxaugmentations des prix en substituant les produits en fonctionde leur prix. Ils se dirigent tendanciellement vers des dĂ©pensesmaximisant les unitĂ©s d’alcool par prix payĂ© soit en achetantplus souvent Ă  emporter qu’à consommer sur place, soit en ache-tant des marques d’alcool moins cher.

Que certaines catĂ©gories de population soient nettement moinssensibles que d’autres aux augmentations de prix ne disqualifiecertainement pas l’outil fiscal en tant que politique de santĂ©publique. Cela implique tout au plus de conduire de plus amplesrecherches, entre autres, sur la façon dont l’industrie de l’alcoolfavorise les effets de substitution entre les produits d’une part,et sur la façon dont les mĂ©canismes et designs fiscaux pourraientles limiter d’autre part. Concernant ce dernier point, tout unpan de la littĂ©rature s’attache Ă  Ă©tudier les effets d’une taxationdu gramme d’alcool pur ou de l’imposition d’un prix minimumaux boissons alcoolisĂ©es. Il est conclu des expĂ©riences et des 39

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Ă©valuations internationales que le design fiscal importe : les poli-tiques fondĂ©es sur un prix plancher et en particulier l’impositiond’un prix minimum par unitĂ© d’alcool sont enclines Ă  rĂ©duire laconsommation et la morbi-mortalitĂ© associĂ©e Ă  l’alcool, aussibien en population gĂ©nĂ©rale que chez les populations jeunes etcelles dont l’usage d’alcool est intensif. En France, un tel mĂ©ca-nisme fiscal s’applique dĂ©jĂ  sur le sucre ajoutĂ© aux boissons nonalcoolisĂ©es, mĂ©canisme qualifiĂ© de « taxe soda ». Il apparaĂźt doncpossible de mettre en place un tel systĂšme concernant les unitĂ©sd’alcool contenues dans les boissons.

Mécanismes des actions de prévention : messages,comportements

Des campagnes d’information et/ou de sensibilisation sont rĂ©gu-liĂšrement conduites dans de nombreux pays. Le plus souvent,les concepteurs de ces campagnes tablent sur la modification dece que les individus ont en tĂȘte (croyances, motivations, savoirs,attitudes) pour changer les opinions et les comportements. Il aĂ©tĂ© montrĂ© que les rĂ©sultats obtenus en matiĂšre de changements,notamment comportementaux, sont rarement satisfaisantslorsque les concepteurs de campagne tablent sur l’informationet sur la persuasion. MĂȘme si cela ne signifie pas qu’informer ouargumenter ne sert Ă  rien.

L’information et l’argumentation permettent au fil du temps, demodifier les savoirs, les attitudes et de provoquer des prises deconscience. Mais cette derniĂšre n’est pas un levier de change-ment. Des interventions efficaces en termes de rĂ©duction de laconsommation d’alcool sont, par consĂ©quent, nĂ©cessaires. Dansce sens, les avertissements sanitaires imposĂ©s aux alcooliersreprĂ©sentent une mesure intĂ©ressante sur le plan de la santĂ©publique car ils ne coĂ»tent rien aux États contrairement auxcampagnes de prĂ©vention dans les mĂ©dias qui sont onĂ©reuses dĂšslors qu’elles couvrent le territoire national. De plus, la littĂ©raturea montrĂ© que sous certaines conditions de format et de contenu,ces messages sont efficaces sur les diffĂ©rentes variables de la40

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persuasion (augmentation de la connaissance des risques, mĂ©mo-risation, effet sur les intentions de consommation d’alcool, etc.).En France, ces messages, combinĂ©s Ă  d’autres mesures, sont uneopportunitĂ© pour augmenter la connaissance de la populationsur les risques liĂ©s Ă  la consommation d’alcool – risques pourcertains peu connus : cancer du sein, maladie cardiovasculaire,etc. et faire Ă©voluer les comportements d’alcoolisation.Des mĂ©ta-analyses montrent qu’un changement de l’intention,estimĂ© entre moyen Ă  fort, produit un changement de compor-tement estimĂ© entre faible et moyen. Ainsi, il faut que les inter-ventions produisent les plus grands changements dans les inten-tions, pour produire des changements de comportements. Enoutre, le changement d’intention n’est pas un bon prĂ©dicteurdu changement de comportement lorsque ce dernier est mesurĂ©environ trois mois aprĂšs la mesure de l’intention.Il est important d’identifier les facteurs de risque relatifs auxtraits de personnalitĂ© (impulsivitĂ©, etc.) et aux Ă©volutions thy-miques (dĂ©pression, anxiĂ©tĂ©) afin de comprendre leurs interac-tions pour construire des programmes d’intervention prĂ©ventifset curatifs.Le guide de la roue du changement de Michie dĂ©crit les diffĂ©-rentes Ă©tapes pour rĂ©soudre un problĂšme de comportement : del’identification du problĂšme (choix des prioritĂ©s en fonction dela pertinence et de la capacitĂ© Ă  faire changer, quoi changer,quand, et qui doit changer), Ă  l’identification de l’interventionet du comportement. D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les chercheurss’accordent Ă  dire qu’il manque dans les Ă©tudes sur l’adhĂ©sionaux recommandations sur les risques de la consommationd’alcool la rĂ©fĂ©rence Ă  des thĂ©ories du changement d’attitude etaux techniques du changement de comportements afin que lesrecommandations en faveur de la rĂ©duction de la consommationd’alcool soient le plus efficaces possible. Pourtant certaines tech-niques sont particuliĂšrement efficaces, par exemple : fournir unfeedback sur sa propre performance (par exemple : par affichagegraphique de la consommation en mentionnant l’équivalentd’argent dĂ©pensĂ© ou le nombre de calories ingĂ©rĂ©es), susciter 41

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l’engagement, la comparaison sociale permettent de rĂ©duire laconsommation. Ou encore, favoriser la formulation de plans spĂ©-cifiques (par exemple sous la forme de mise en Ɠuvre : « oĂč,quand, comment ? » ou sous la forme « si... alors »).

Les chercheurs ont comparĂ© l’effet des mises en Ɠuvre de cesplans gĂ©nĂ©rĂ©s par les professionnels (par exemple : l’expĂ©rimen-tateur ou le thĂ©rapeute) aux plans Ă©laborĂ©s par les participantseux-mĂȘmes. Les mises en Ɠuvre sont gĂ©nĂ©ralement plus efficaceslorsqu’elles sont dirigĂ©es par un professionnel. Lorsque l’on visedes interventions de changement de comportement Ă  grandeĂ©chelle, il est prĂ©fĂ©rable de combiner des mises en Ɠuvre avecd’autres stratĂ©gies comme l’utilisation d’un formulaire d’aide Ă la volontĂ© ou « Volitional Help Sheet » oĂč l’individu choisit letype de rĂ©alisation qu’il souhaite mettre en Ɠuvre. La construc-tion d’une mise en Ɠuvre peut ĂȘtre efficace lorsqu’elle est incor-porĂ©e dans une intervention brĂšve. On conclut Ă  l’efficacitĂ© desimplĂ©mentations dans la rĂ©duction de la consommation d’alcoolavec de plus faibles consommations dans le mois qui suitl’intervention.

Peu d’études ont Ă©valuĂ© l’élaboration de normes perçues Ă  l’ado-lescence alors que les normes sociales perçues de la consomma-tion d’alcool sont de solides prĂ©dicteurs de cette mĂȘme consom-mation chez les adolescents. On relĂšve une augmentationimportante des normes descriptives (se conformer aux compor-tements d’autrui) et injonctives (approuver la consommationd’alcool) pendant l’adolescence et qui augmentent encore avecl’ñge. Les rĂ©sultats suggĂšrent, par consĂ©quent : 1) la nĂ©cessitĂ©d’interventions ciblant les normes perçues de consommationd’alcool au dĂ©but et au milieu de l’adolescence vĂ©cue commeune pĂ©riode dynamique dans l’étude des normes de consomma-tion d’alcool. Les programmes de prĂ©vention devraient incluredes feedbacks sur les normes injonctives pour en amĂ©liorer l’effi-cacitĂ© ; 2) que les stratĂ©gies comportementales de protection(« Protective Behavioral Strategies » ou PBSs) c’est-Ă -dire lescomportements que les individus peuvent rĂ©aliser afin de limiterles consĂ©quences nĂ©gatives de la consommation d’alcool sont42

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susceptibles de rĂ©duire les mĂ©faits de l’alcool en diminuant laquantitĂ© totale d’alcool consommĂ©e.L’utilisation de la technologie persuasive, qui vise Ă  l’innovationcomportementale, en suscitant un changement souhaitable enrenforçant le comportement et/ou l’attitude, se dĂ©veloppeaujourd’hui avec succĂšs (e-health, M-health). Cela dans pratique-ment tous les domaines de la santĂ© et du bien-ĂȘtre (sites web,messages sur appareils mobiles, etc.). Des applications visant Ă diminuer la consommation d’alcool sont dĂ©veloppĂ©es avecsuccĂšs Ă  condition d’utiliser des outils validĂ©s par les thĂ©oriesdu changement de comportement (« Digital Behavior ChangeInterventions » ou DBCIs). Pour ce faire, il faut utiliser diffĂ©-rentes techniques de mesure de l’engagement, de profilage del’intervention, de communications. Plusieurs Ă©chelles permet-tent de mesurer l’implication ou l’engagement dans les DBCIs.Finalement, les campagnes d’information classiques n’ont quepeu d’effet lorsqu’il s’agit de changer les comportements. Au-delĂ  des principales variables modĂ©ratrices (par exemple : lemilieu social ou les caractĂ©ristiques individuelles), le change-ment se conçoit Ă  l’appui de modĂšles Ă©prouvĂ©s pour rendre plusefficaces les campagnes de communication classiques etaujourd’hui le plus souvent digitales. Sont identifiĂ©es, dans cettepartie, les principales techniques permettant ces changementsainsi que les effets de rĂ©sistance possibles entraĂźnant une inertieet une dĂ©fiance. La diffusion de ces informations qu’elles soientclassiques ou digitales ou encore basĂ©es sur la persuasion tech-nologique devrait recourir, au moins en partie, Ă  des techniquesrelevant d’un universalisme proportionnĂ©. Autrement dit enpermettant l’équitĂ© de l’intervention par l’application demesures universelles Ă  l’ensemble de la population et des mesuresdestinĂ©es Ă  des groupes plus vulnĂ©rables.Pour la prĂ©vention des consommations, soit ne pas initier ouinterrompre toute consommation de boissons alcoolisĂ©es lors despĂ©riodes pĂ©rinatales, il y a de nombreuses difficultĂ©s Ă  informerefficacement les femmes concernĂ©es enceintes ou qui veulent ledevenir. Le « ZĂ©ro Alcool » – prĂ©conisĂ© par diverses agences 43

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sanitaires dans de nombreux pays dont la France – n’est pasappliquĂ© par de nombreuses femmes enceintes. En France, lesprofessionnels de l’obstĂ©trique sont moins vigilants auprĂšs deleurs patientes pour le risque liĂ© Ă  l’alcool que pour celui liĂ© autabac. Globalement les campagnes de prĂ©vention atteignentassez bien leur but en termes d’information – pour ce qui est dela diffusion et des connaissances – mais n’ont pas de rĂ©elle effi-cacitĂ© (en quantitĂ© ou en durĂ©e) sur la rĂ©duction de la consom-mation. AuprĂšs des femmes, les campagnes avec des messagesexplicites quant au risque mĂ©dical pour le futur enfant semblentplus dissuasives que des messages positifs d’encouragement Ă  nepas consommer sans rĂ©fĂ©rence au risque fƓtal.

Interventions menĂ©es dans diffĂ©rents pays et Ă©valuĂ©escomme efficaces pour prĂ©venir la consommation d’alcool :en milieu scolaire, dans les familles, au travail

Dans le champ des interventions de prĂ©vention de la consom-mation d’alcool, certaines ont montrĂ© un bĂ©nĂ©fice pour rĂ©duirel’expĂ©rimentation et/ou la consommation d’alcool des publicsvisĂ©s et pour minimiser les consĂ©quences nĂ©gatives qui dĂ©coulentde cette consommation. Ces interventions sĂ©lectionnĂ©es et Ă©va-luĂ©es comme efficaces pour prĂ©venir la consommation d’alcoolont Ă©tĂ© regroupĂ©es au sein de 5 grandes catĂ©gories : 1) les inter-ventions en milieu scolaire (ou dans l’enseignement supĂ©rieur) ;2) les interventions conduites auprĂšs des parents ou des familles ;3) les interventions en milieu du travail ; 4) les interventions Ă composantes ou milieux multiples ; et enfin 5) les autres inter-ventions comprenant les interventions de marketing social.

Interventions en milieu scolaire ou dans l’enseignement supĂ©rieur

‱ Interventions gĂ©nĂ©riques de dĂ©veloppementdes compĂ©tences psychosociales des Ă©lĂšves

Cette catĂ©gorie d’interventions consiste Ă  dĂ©velopper descompĂ©tences sociales (dont la capacitĂ© Ă  rĂ©sister Ă  l’incitation44

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des pairs Ă  consommer), cognitives et Ă©motionnelles qui agissentcomme des facteurs de protection contre une large gamme decomportements Ă  risque. Ces interventions sont le plus souventconduites en milieu scolaire durant les premiĂšres annĂ©es de col-lĂšge et s’adressent Ă  l’ensemble des Ă©lĂšves d’une classe (Life SkillsTraining, Unplugged). Les interventions sont structurĂ©es autourd’un programme de travail qui se dĂ©roule sur plusieurs semaines(en gĂ©nĂ©ral, des ateliers hebdomadaires de 1 Ă  2 heures sur unedurĂ©e de 6 Ă  14 semaines), ateliers conduits par des profession-nels formĂ©s (enseignants, Ă©ducateurs...). Les compĂ©tences sonttravaillĂ©es en groupe par le biais de mises en situation et de jeuxde rĂŽle. Des connaissances sont Ă©galement apportĂ©es sur les effetsnĂ©gatifs Ă  court terme des produits ainsi que sur les normessociales de consommation (les prĂ©valences de consommationperçues parmi leurs pairs sont gĂ©nĂ©ralement surestimĂ©es et desactivitĂ©s visent Ă  rectifier ces croyances). Certains programmes,Ă  destination d’élĂšves prĂ©sentant des facteurs de risque (TheBrave), abordent des sujets spĂ©cifiques selon les problĂ©matiquesrencontrĂ©es (violence, normes de genre, orientation profession-nelle) et proposent des dispositifs de parrainage par des pairsplus ĂągĂ©s.

‱ Interventions de dĂ©veloppement des compĂ©tencesdes Ă©lĂšves ciblĂ©es sur la rĂ©duction des consĂ©quencesnĂ©gatives liĂ©es Ă  la consommation d’alcool

Ces programmes travaillent au dĂ©veloppement des compĂ©tencespsychosociales auprĂšs de collĂ©giens de 13 Ă  15 ans par le biaisde jeux de rĂŽle et de discussions centrĂ©s sur les situations Ă  risquede consommation d’alcool, sur l’identification des dommagesliĂ©s Ă  ces consommations ainsi que sur l’élaboration et la miseen pratique de stratĂ©gies d’évitement ou de rĂ©duction de cesdommages (SHAHRP, DEVS, CLIMATE Schools).

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‱ Interventions de prĂ©vention des comportementsproblĂ©matiques des Ă©lĂšves en classe

Ces programmes sont souvent initiĂ©s plus tĂŽt dans le cursus sco-laire (maternelle ou primaire). Ils visent Ă  rĂ©duire les compor-tements perturbateurs (Good Behavior Game) ou agressifs et anti-sociaux (Olweus Bullying Prevention) des Ă©lĂšves. Ces stratĂ©giess’appuient sur la mise en place d’une pĂ©dagogie explicite, sur unrenforcement positif des comportements attendus, surl’influence du groupe, sur les modĂšles comportementaux desadultes (modĂšles positifs) et visent Ă  la prise en compte par lesĂ©lĂšves de rĂšgles partagĂ©es de bonne conduite en classe et au seinde l’établissement.

‱ Interventions brĂšves destinĂ©es aux lycĂ©enset aux Ă©tudiants

Ces interventions s’appuient principalement sur des techniquesde feedback normatif personnalisĂ© (FNP). Le FNP peut ĂȘtreassociĂ© Ă  des techniques d’entretien motivationnel (BASICS).

‱ Autres interventions en classe

D’autres interventions, le plus souvent Ă  destination de lycĂ©ensdĂ©jĂ  confrontĂ©s Ă  la consommation d’alcool, s’appuient sur desimples stratĂ©gies d’engagement (Keep a Clear Head), combinentau feedback normatif des interventions par SMS (MobileCoachAlcohol), utilisent des supports de serious game (confrontant lesjeunes Ă  diffĂ©rents scĂ©narios de consommation et proposant desmessages de prĂ©vention adaptĂ©s Ă  ces situations ainsi qu’uneplanification d’objectifs comportementaux de rĂ©duction desconsommations, cf. Alcohol Alert) ou combinent des compo-santes multiples notamment pour des Ă©tablissements accueillantdes Ă©lĂšves en rupture avec le cursus Ă©ducatif normal (ProjectToward No Drug Abuse : dĂ©veloppement des compĂ©tences psy-chosociales, travail sur la motivation, amĂ©lioration des connais-sances sur les consĂ©quences de la consommation et correctiondes croyances normatives).

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RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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‱ Interventions scolaires dĂ©livrĂ©es hors de la classe

Dans cette catĂ©gorie, des interventions brĂšves (de 1 Ă  7 sĂ©ances)conduites par des infirmiĂšres ou des Ă©ducateurs associent diffĂ©-rentes techniques d’intervention telles que des feedback person-nalisĂ©s (Project SPORT, STARS, CHOICE), la diffusion d’infor-mations (STARS), la rectification des croyances normatives(ATLAS, CHOICE), un travail sur les motivations (CHOICE,STARS, Project SPORT), des jeux de rĂŽle pour dĂ©velopper lescompĂ©tences de rĂ©sistance Ă  la pression des pairs (CHOICE,ATLAS, STARS), la planification d’objectifs comportemen-taux de rĂ©duction des consommations (ATLAS, InShape) ouencore des techniques d’engagement (contrats de comporte-ments comme dans le programme STARS).

Interventions auprĂšs des parents et familles

‱ Intervention parentale prĂ©coce

Une intervention prĂ©coce (Nurse-Family Partnership) proposeaux femmes enceintes vulnĂ©rables et le plus souvent primiparesun suivi initiĂ© pendant la grossesse et jusqu’aux deux ans del’enfant. Elle vise, par le biais de visites Ă  domicile conduitespar des professionnels de la petite enfance, Ă  prĂ©parer un envi-ronnement favorable Ă  la venue de l’enfant, Ă  soutenir l’établis-sement d’un lien d’attachement sĂ»r entre la mĂšre et l’enfant(observations et guidance) et Ă  accompagner les femmes dansla gestion des autres problĂ©matiques auxquelles elles se trouventconfrontĂ©es (santĂ©, emploi, logement, etc.). Ce programme amontrĂ© des effets significatifs sur la consommation d’alcool desadolescents dont les mĂšres avaient bĂ©nĂ©ficiĂ© du programme.

‱ Interventions d’éducation parentale

Les programmes Ă©ducatifs ayant montrĂ© un bĂ©nĂ©fice sur laconsommation d’alcool visent gĂ©nĂ©ralement Ă  modifier les atti-tudes des parents Ă  l’égard de l’alcool (information sur les ris-ques, sur l’influence parentale, correction des croyances norma-tives des parents), Ă  les aider Ă  appliquer auprĂšs de leur 47

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adolescent des rĂšgles de non-consommation (conseils, techni-ques de communication) et Ă  les engager Ă  conduire avec euxdes activitĂ©s de loisir. Ce type de dispositif s’adresse aux parentsde collĂ©giens (Örebro Prevention Programme), de lycĂ©ens oud’étudiants (FITSTART, Parent Handbook). Ils peuvent ĂȘtre misen Ɠuvre sur plusieurs annĂ©es, utiliser les rĂ©unions parents-enseignants, les courriers aux parents ou encore ĂȘtre dĂ©livrĂ©s parla remise de documents ou manuels.

‱ Interventions de renforcement des compĂ©tencesfamiliales

Ces programmes (Strengthening Families Programme, Preparing forthe Drug Free Years) associent Ă  des volets de dĂ©veloppementdes compĂ©tences psychosociales des enfants (ateliers enfants),des volets de dĂ©veloppement des compĂ©tences parentales (ate-liers parents) et familiales (parents + enfants). Ils utilisent lesmĂȘmes techniques que les programmes de dĂ©veloppement descompĂ©tences psychosociales des enfants (acquisition de compĂ©-tences cognitives, Ă©motionnelles et sociales par le biais d’ateliersinteractifs structurĂ©s). Ces programmes visent Ă  dĂ©velopper chezles parents des compĂ©tences leur permettant d’ĂȘtre plus efficacesdans la mise en Ɠuvre de leurs fonctions de soutien et de super-vision et Ă  amĂ©liorer la qualitĂ© des interactions au sein de lafamille.

Interventions en milieu de travail

‱ Interventions psychosociales

Une partie de ces interventions, de 4 Ă  8 heures sur 1 Ă 3 sĂ©ances (Team Awareness, TASB, Team Resilience), visent Ă augmenter les capacitĂ©s de repĂ©rage, de soutien et d’orientationdes consommateurs problĂ©matiques d’alcool par leurs pairs etĂ  travailler sur les normes de consommation et le climat pro-fessionnel. DĂ©veloppĂ©es dans diffĂ©rents contextes (munici-palitĂ©s, petites et moyennes entreprises ou milieu de la restau-ration), elles s’appuient sur des activitĂ©s interactives et le48

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dĂ©veloppement des connaissances. D’autres interventions cen-trĂ©es sur la gestion du stress dont l’intervention Yale Work andFamily Stress Project (15 sĂ©ances hebdomadaires de 90 minutes :rĂ©solution de problĂšmes, rĂ©Ă©valuation des situations stressanteset techniques de gestion du stress) ont montrĂ© des effets sur larĂ©duction de la consommation rĂ©cente d’alcool jusqu’à 2 ansaprĂšs l’intervention.

‱ Interventions brùves

Les interventions brĂšves en milieu de travail, notamment cellesfondĂ©es sur le seul feedback normatif personnalisĂ© (FNP) n’ontpas fait l’objet de rĂ©sultats convergents quant Ă  leur impactpositif sur la consommation. Quelques interventions ont cepen-dant fait les preuves de leur efficacitĂ©. Parmi elles, une inter-vention ayant associĂ© au FNP un volet Ă©ducatif (connaissancessur l’usage d’alcool et ses consĂ©quences) ainsi qu’un volet dedĂ©veloppement des compĂ©tences psychosociales a montrĂ© uneffet sur la rĂ©duction des consĂ©quences nĂ©gatives liĂ©es Ă  laconsommation d’alcool chez les femmes ayant une consomma-tion Ă  risque.

‱ Interventions digitales

AdministrĂ©es via internet dans diffĂ©rents milieux professionnelset notamment dans l’armĂ©e (PATROL), ces interventionss’appuient sur un feedback normatif auquel s’ajoutent d’autrescomposantes telles que l’entretien motivationnel, la planifica-tion d’objectifs, un travail sur la rĂ©solution de problĂšme ouencore sur la gestion des Ă©motions. Deux interventions sur les3 Ă©valuĂ©es ont montrĂ© des bĂ©nĂ©fices plus importants auprĂšs desconsommateurs les plus Ă  risque.

‱ Interventions sur l’environnement

Ces interventions visent essentiellement non pas les facteursindividuels, mais les facteurs collectifs et environnementaux,parmi lesquels les risques psychosociaux (stress, faible latitudedécisionnelle, charge de travail...), les normes de consommation 49

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et l’accĂšs aux boissons alcoolisĂ©es dans le milieu professionnel.Ces programmes pourraient ĂȘtre associĂ©s Ă  des offres d’aide plusindividualisĂ©es (test, dĂ©pistage, prise en charge) notammentpour les consommations Ă  haut risque.

Interventions Ă  composantes ou milieux multiples

‱ Interventions en milieu scolaire et auprùs des parentsou de la famille

Ces programmes reposent gĂ©nĂ©ralement sur un volet de dĂ©ve-loppement des compĂ©tences psychosociales des enfants et unvolet de dĂ©veloppement des compĂ©tences parentales ou fami-liales (SFP 10-14 + LST, Montreal Preventive Treatment Program)ou d’éducation parentale (ÖPP, Parent Handbook + BASICS,PAS, STAMPP) auxquels s’ajoutent d’autres composantes. Laplupart de ces programmes sont conduits en prĂ©sentiel, maiscertains proposent des versions administrĂ©es par CD-ROM(SODAS). Les autres composantes mobilisĂ©es dans ces inter-ventions sont multiples : travail sur le climat scolaire et la ges-tion des rĂ©crĂ©ations, outils visant Ă  favoriser les relations et lacommunication parents-enseignants (programme LIFT), sys-tĂšmes de tutorat pour renforcer les compĂ©tences scolaires (FastTrack, Raising Healthy Children), formation des enseignants(pĂ©dagogie interactive, explicite, renforcement positif desĂ©lĂšves) (Seattle Social Development Project) ou visites Ă  domicilespour les Ă©lĂšves les plus en difficultĂ© (RHC, Fast Track). Cesprogrammes ont montrĂ© leur efficacitĂ© notamment dans lesmilieux les plus dĂ©favorisĂ©s.

‱ Interventions communautaires

Les programmes communautaires rĂ©sultent gĂ©nĂ©ralement del’intĂ©gration de programmes comportant un volet scolaire dedĂ©veloppement des compĂ©tences psychosociales, un volet dedĂ©veloppement des compĂ©tences parentales et des actions surl’environnement (par exemple : limitation de l’accĂšs aux bois-sons alcoolisĂ©es) Ă  l’échelle d’un quartier, d’une ville ou d’une50

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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zone gĂ©ographique plus Ă©tendue (rĂ©gion, regroupementsd’écoles, de villes ou d’universitĂ©s). La majoritĂ© de ces pro-grammes (PROSPER, Communities That Care, LUMA) ne pro-pose pas d’interventions a priori. Ils s’appuient sur la constitutiond’une coalition d’acteurs et l’élaboration d’un diagnostic par-tagĂ©. Sur la base de ce diagnostic, le groupe choisit une inter-vention ou une combinaison d’interventions parmi une liste deprogrammes prometteurs ou ayant dĂ©jĂ  fait les preuves de leurefficacitĂ© pour rĂ©pondre aux problĂ©matiques identifiĂ©es.

Autres interventions

‱ Intervention de prĂ©vention sĂ©lective du risquede grossesse exposĂ©e Ă  l’alcool

Une intervention (CHOICES) a montrĂ© son efficacitĂ© sur larĂ©duction du risque de grossesse exposĂ©e Ă  l’alcool. Elle proposeun suivi sur 14 semaines (4 sĂ©ances de conseils utilisant uneapproche motivationnelle et une consultation mĂ©dicale sur lacontraception) Ă  des femmes en Ăąge de procrĂ©er et identifiĂ©escomme ayant une consommation d’alcool Ă  risque ainsi qu’unecontraception peu efficace.

‱ Interventions visant la prĂ©vention de consommationd’alcool des personnes ĂągĂ©es

Peu d’études et souvent de mauvaise qualitĂ© mĂ©thodologiquesont disponibles. Des interventions brĂšves (entretien avec uneinfirmiĂšre ou un mĂ©decin + feedback personnalisĂ© + informationsur les risques liĂ©s Ă  la consommation d’alcool ; conseils de rĂ©duc-tion de consommation + liste des ressources et dispositifs d’aidedisponibles) conduites sur une ou plusieurs sĂ©ances (ProjetSHARE : 3 sĂ©ances de thĂ©rapie motivationnelle + feedback per-sonnalisĂ© + matĂ©riel Ă©ducatif + un journal de bord des consom-mations + conseils mĂ©dicaux ou d’éducation pour la santĂ©) ontcependant montrĂ© un bĂ©nĂ©fice en termes de rĂ©duction de laconsommation d’alcool. 51

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‱ Interventions de marketing social

Bien que plusieurs revues soulignent la faiblesse mĂ©thodologiquedes Ă©valuations disponibles dans ce champ, des interventions demarketing social ont montrĂ© leur intĂ©rĂȘt sur la modification d’uncertain nombre de comportements en lien avec la consomma-tion d’alcool (rĂ©duction de la consommation d’alcool, rĂ©ductionde l’alcool au volant, augmentation du nombre de conducteurs« sobres » dĂ©signĂ©s). Pour optimiser son efficacitĂ©, le marketingsocial doit cependant rĂ©pondre Ă  plusieurs critĂšres, en particulieravoir un objectif comportemental, segmenter et cibler la popu-lation visĂ©e et tenir compte de la balance entre l’effort demandĂ©et les bĂ©nĂ©fices attendus.

La prĂ©vention de la consommation d’alcool gagnerait Ă  dĂ©ve-lopper des interventions prĂ©coces visant le renforcement de fac-teurs gĂ©nĂ©riques de protection telles que les compĂ©tences paren-tales et les compĂ©tences psychosociales des enfants et Ă  travaillerplus largement sur les environnements sociaux (notamment lemilieu scolaire). Au-delĂ  des effets positifs observĂ©s Ă  long termesur les consommations de substances psychoactives, ces interven-tions participent Ă  la rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s sociales de santĂ© etĂ  la prĂ©vention d’une large gamme de comportements Ă  risque.Ces approches peuvent ĂȘtre dĂ©veloppĂ©es : Ă  destination desfemmes enceintes prĂ©sentant des facteurs de vulnĂ©rabilitĂ© (iso-lĂ©es, primipares, etc.) pour apporter un soutien psychologique etsocial et accompagner le dĂ©veloppement d’un lien d’attachementsĂ»r ; Ă  destination des parents exprimant un besoin d’accompa-gnement Ă  la parentalitĂ© avec l’objectif de renforcer leurs capa-citĂ©s et leur sentiment d’efficacitĂ© dans l’exercice de leurs fonc-tions parentales (soutien affectif et supervision) ; Ă  destinationdes professionnels de l’éducation pour dĂ©velopper leurs outils degestion des groupes, de rĂ©gulation des comportements etd’influences positives afin de valoriser les Ă©lĂšves, de favoriser lesapprentissages et leur permettre d’internaliser les rĂšgles deconduite en collectivitĂ© ; Ă  destination des Ă©lĂšves, en milieu sco-laire, afin de dĂ©velopper efficacement, en plus des compĂ©tencescognitives, leurs compĂ©tences sociales et Ă©motionnelles.52

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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Ces interventions visant principalement la prĂ©vention de l’entrĂ©edans les consommations ou la prĂ©vention des consommations pro-blĂ©matiques doivent ĂȘtre complĂ©tĂ©es par des interventions d’aideĂ  l’arrĂȘt ou Ă  la rĂ©duction des risques pour les personnes dĂ©jĂ engagĂ©es dans des comportements de consommation que ce soitpour les jeunes ou d’autres populations (personnes ĂągĂ©es, femmesprĂ©sentant un risque de grossesse exposĂ©e Ă  l’alcool).

Bénéfices des périodes « sans alcool »

Le Dry January ou « Janvier Sobre » est une campagne de sen-sibilisation annuelle originaire d’Angleterre incitant Ă  ne pasconsommer d’alcool pendant le mois de janvier. Globalement,la rĂ©ussite du Dry January est associĂ©e Ă  des changements deconsommation et une plus forte auto-efficacitĂ© persĂ©vĂ©rantjusqu’à 6 mois aprĂšs, sans effets rebonds. La campagne DryJanuary prĂ©sente, d’aprĂšs l’exemple anglais, plus d’avantages qued’inconvĂ©nients Ă  la rĂ©duction de la consommation d’alcool.

Il existe de nombreux dĂ©fis d’un mois sans alcool Ă  travers lemonde. En effet, au cours des derniĂšres annĂ©es, dans de nom-breux pays (Royaume-Uni, Australie, Nouvelle ZĂ©lande,Canada, Belgique) ont Ă©tĂ© lancĂ©es des campagnes invitant lapopulation Ă  s’abstenir de consommer de l’alcool pendant unedurĂ©e dĂ©terminĂ©e, en gĂ©nĂ©ral pendant un mois. Les participantsqui s’engagent dans ce type de dĂ©fi souhaitent rĂ©duire leurconsommation ou s’abstenir ou les deux. Contrairement auxcampagnes sur le tabac qui visent l’arrĂȘt, celles sur l’alcool ontplutĂŽt comme objectif d’amĂ©liorer la qualitĂ© de vie, de rĂ©duireles dommages liĂ©s Ă  la consommation d’alcool et d’inciter Ă rĂ©duire la consommation Ă  long terme.

L’objectif de ces campagnes est de sensibiliser la population, etd’inviter chacun Ă  se questionner sur son rapport Ă  l’alcool etsur sa consommation. Le Dry January au Royaume-Uni et laTournĂ©e MinĂ©rale en Belgique rencontrent un vif succĂšs entermes de participation grĂące notamment au fait d’envahir 53

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l’espace mĂ©diatique et des rĂ©seaux sociaux afin d’atteindre une« contagion sociale », permettant d’augmenter le nombre departicipants et aussi la dissĂ©mination des connaissances sur leseffets de l’alcool et les bienfaits de l’abstinence. Le Dry Januaryprocure de nombreux outils de soutien et de conseil dont unsite web, des blogs, une communication via les rĂ©seaux sociauxet par e-mail, et une application mobile (« Try Dry »). Cetteapplication comporte un agenda de consommation Ă  l’annĂ©eainsi que des conseils sur les effets de l’alcool et les bĂ©nĂ©fices Ă l’arrĂȘt. Elle comporte en particulier des informations sur les calo-ries Ă©vitĂ©es, les Ă©conomies rĂ©alisĂ©es et elle offre la possibilitĂ© dese fixer des objectifs de consommation. Les participants qui uti-lisent le plus les outils mis Ă  disposition ont une plus forte pro-babilitĂ© de rĂ©ussir Ă  rester abstinents durant un mois.

La motivation Ă  l’arrĂȘt semble augmenter en janvier, suggĂ©rantque ce mois semble idĂ©al pour initier une intervention au niveaude la population, telle que celle du Dry January. Il est possibled’envisager que les potentiels excĂšs pendant les fĂȘtes du moisde dĂ©cembre et l’envie de « dĂ©tox » suite Ă  ces excĂšs, associĂ©saux bonnes rĂ©solutions de dĂ©but d’annĂ©e soient la meilleureoption pour mobiliser un maximum de participants autour d’unecampagne « sans alcool » en janvier avec le lancement d’un dĂ©fipour ne pas consommer d’alcool.

Les bĂ©nĂ©fices de l’arrĂȘt temporaire de la consommation d’alcoolsont nombreux. Et cela surtout dans un contexte oĂč plusieursĂ©tudes, dont celles utilisant la randomisation mendĂ©lienne (voirla partie « Dommages sanitaires et socio-Ă©conomiques » de cettesynthĂšse), ont dĂ©montrĂ© l’absence d’effets « protecteurs » desniveaux faibles de consommation, voire l’augmentation durisque de dĂ©velopper certaines pathologies, notamment des can-cers. Parmi les effets bĂ©nĂ©fiques Ă  s’abstenir pendant 1 mois, onpeut noter des amĂ©liorations sur des paramĂštres physiologiques,cognitifs, de bien-ĂȘtre et de qualitĂ© de vie. Les enquĂȘtes rappor-tent ainsi des amĂ©liorations (figure 4) en termes d’économies,de bien-ĂȘtre, de certains paramĂštres physiologiques (rĂ©sistanceĂ  l’insuline, glycĂ©mie [meilleure homĂ©ostasie du glucose],54

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cholestĂ©rol sanguin, teint et chevelure, Ă©lasticitĂ© du foie, poidset IMC, meilleure qualitĂ© du sommeil, plus d’énergie et amĂ©lio-ration de la pression sanguine). Du point de vue cognitif, sontrapportĂ©es des amĂ©liorations en termes de concentration et deperformance au travail.

54 % avaient une plus belle peau57 % avaient une meilleure concentration

58 % ont perdu du poids67 % avaient plus d’énergie

70 % ont rapportĂ© ĂȘtre en meilleure santĂ©71 % ont apprĂ©ciĂ© sommeil meilleure qualitĂ©71 % pas besoin d’alcool pour faire la fĂȘte

76 % compris pourquoi tentation Ă  boire80 % meilleur contrĂŽle de sa consommation

82 % mieux connaitre rapport Ă  l’alcool88 % ont fait des Ă©conomies

93 % sentiment d’accomplissement

0 20 40 60 80 100

BĂ©nĂ©fices Ă  l’arrĂȘt

% de participants

Figure 4 : BĂ©nĂ©fices rapportĂ©s par les participants au Dry Januaryd’aprĂšs des enquĂȘtes en ligne en 2018

Si la littĂ©rature scientifique est riche concernant les Ă©tudes cli-niques qui ont dĂ©montrĂ© le rĂŽle de la consommation d’alcooldans de nombreuses pathologies, moins d’études existent concer-nant les effets de l’abstinence. En effet, la dĂ©monstration d’unerelation causale entre la consommation d’alcool et une patho-logie ne signifie pas nĂ©cessairement que l’arrĂȘt de la consom-mation s’accompagne d’une diminution du risque de cettepathologie. La plupart des Ă©tudes porte donc sur des populationsde personnes prĂ©sentant des pathologies. NĂ©anmoins, il est sug-gĂ©rĂ© que l’abstinence et la prise en charge du trouble de l’usagede l’alcool pourraient ĂȘtre dĂ©terminantes pour la survie despatients atteints du cancer du foie. Ou encore, l’abstinencerĂ©duit significativement la rĂ©cidive des fibrillations auriculaires,augmente le dĂ©lai Ă  la rĂ©cidive et rĂ©duit la durĂ©e des Ă©pisodesde fibrillation.

Ces campagnes visent le grand public et notamment les per-sonnes qui consomment au-dessus des repĂšres de consommation.MĂȘme si elles ne visent pas les personnes prĂ©sentant une 55

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consommation Ă  risque d’alcool, ces derniĂšres peuvent cepen-dant participer Ă  ce type de dĂ©fi avec l’assistance d’un profes-sionnel de santĂ©. Ces campagnes devraient s’accompagnerd’interventions complĂ©mentaires notamment par des profession-nels d’autres campagnes d’information (le feedback normatif) etd’autres programmes d’intervention (comme le repĂ©rage prĂ©coceet l’intervention brĂšve) afin d’atteindre des objectifs d’absti-nence Ă  long terme.

Les bĂ©nĂ©fices des dĂ©fis « sans alcool » constituent une opportu-nitĂ© Ă  saisir. Les forces des opĂ©rations du type Dry January sontmultiples avec l’opportunitĂ© de ressentir tous les bĂ©nĂ©fices del’arrĂȘt de la consommation (incarnation ou embodiment), et deprendre conscience de sa propre capacitĂ© Ă  contrĂŽler soncomportement (empowerment). Un objectif essentiel est dechanger son comportement Ă  long terme aprĂšs avoir mieuxapprĂ©hendĂ© son rapport Ă  la consommation d’alcool (pourquoiconsomme-t-on ? quand consomme-t-on ?) et avoir mieuxapprĂ©hendĂ© la gestion de la pression sociale Ă  consommer del’alcool. Il s’agit donc d’expĂ©rimenter l’impact de l’abstinencesur son physique, son mental et la conscience de soi et de sacapacitĂ© au changement. La « contagion sociale » est un facteurclĂ© de la rĂ©ussite de ce type de campagne et de maniĂšre trĂšsintĂ©ressante on peut noter que des participants qui s’inscriventau Dry January et qui ne rĂ©ussissent pas le dĂ©fi de l’abstinencependant un mois, prĂ©sentent eux aussi des effets bĂ©nĂ©fiques Ă long terme.

Le message positif de la possibilitĂ© d’amĂ©liorer la santĂ© par l’abs-tinence (mĂȘme temporaire) est un vĂ©ritable levier pour releverle dĂ©fi de rĂ©duire le fardeau sociĂ©tal de la consommationd’alcool. En effet, il est important de rĂ©aliser que ce type d’opĂ©-ration est vu comme un moyen de rĂ©gulation positive non basĂ©esur les consĂ©quences nĂ©gatives ou la moralisation et qui vise Ă changer les comportements des personnes Ă  long terme. Lesautres rĂ©gulations complĂ©mentaires visent notamment le rappeldes risques associĂ©s Ă  la consommation (campagnes de prĂ©ven-tion), l’accĂšs, la disponibilitĂ©, la publicitĂ© voire la rĂ©pression56

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(alcool au volant). Ce type de campagne reprĂ©sente une oppor-tunitĂ© sans prĂ©cĂ©dent de se mobiliser autour d’un mois de prĂ©-vention des dommages et des risques liĂ©s Ă  la consommationd’alcool en France, Ă  l’instar de ce qui existe dĂ©jĂ  dans de nom-breux autres pays. Il est intĂ©ressant de noter qu’une corrĂ©lationinverse a Ă©tĂ© observĂ©e entre le nombre de participants au DryJanuary au Royaume-Uni et le nombre de visites aux urgencesliĂ©es Ă  l’alcool. Cette diminution de la frĂ©quentation desurgences Ă  cause de problĂšmes liĂ©s Ă  l’alcool constituerait doncun critĂšre de jugement intĂ©ressant pour Ă©valuer l’efficacitĂ© descampagnes mises en Ɠuvre. Le succĂšs de ce type de campagnepourrait aussi passer par la mesure de l’augmentation de la pro-ductivitĂ© et de la rĂ©duction de l’absentĂ©isme au travail lorsqueles employeurs incitent leurs employĂ©s Ă  participer au DryJanuary.

Fin 2019, SantĂ© publique France qui Ă©tait engagĂ©e dans l’orga-nisation d’un Dry January en 2020 a dĂ» renoncer Ă  sa mise enƓuvre aprĂšs des dĂ©cisions gouvernementales. Cette dĂ©cision adĂ©clenchĂ© une vive rĂ©action des associations et fĂ©dĂ©rationsimpliquĂ©es dans le champ de l’addictologie. Elles ont dĂ©cidĂ©alors de lancer leur propre campagne nommĂ©e Le DĂ©fi De Jan-vier (#LeDĂ©fiDeJanvier) – avec des outils similaires Ă  ceux dĂ©ve-loppĂ©s pour le Dry January.

Enfin, il est important de rappeler que les repĂšres relatifs Ă  laconsommation d’alcool actuellement en vigueur recommandentde ne pas en consommer pendant au moins 2 jours par semaine,ce qui reprĂ©sente 104 jours d’abstinence par an soit plus de 3 mois« sans alcool » par an. Des recherches sont nĂ©cessaires pour Ă©ta-blir les bĂ©nĂ©fices de ces jours de non-consommation Ă©talĂ©s toutau long de l’annĂ©e comparativement Ă  une abstinence temporairemais continue sur plusieurs semaines. La promotion de l’absti-nence et la valorisation de la non-consommation nĂ©cessitent ledĂ©veloppement d’alternatives attractives aux boissons alcoolisĂ©es.Il ne s’agit pas simplement de recommander d’éviter l’alcool maisaussi d’expĂ©rimenter de nouvelles boissons non alcoolisĂ©es etbonnes, ou tout au moins non nocives, pour la santĂ©. 57

SynthĂšse

Page 73: EXPERTISE COLLECTIVE

Prévention secondaire : dépistage, interventionbrÚve, autres interventions

Collectivement, la consommation Ă  risque sans dĂ©pendancecause davantage de dommages que la dĂ©pendance en termes demorbiditĂ© et mortalitĂ©. La premiĂšre population est 5 Ă  8 fois plusnombreuse que la seconde qu’il s’agisse des hommes ou desfemmes.

Il est donc trĂšs souhaitable de prendre des mesures visant Ă favoriser un dĂ©pistage systĂ©matique de la consommation Ă  risque,ce qui permet de mettre en place une intervention brĂšve. Ceciest d’autant plus important que le rapport coĂ»t-efficacitĂ© desinterventions brĂšves est bien supĂ©rieur pour la consommation Ă risque que ne le sont les traitements de la dĂ©pendance Ă  l’alcool.

La preuve de l’efficacitĂ© de l’implĂ©mentation du dĂ©pistage et del’intervention brĂšve est bien Ă©tablie lorsqu’elle est pratiquĂ©edans la communautĂ© (par exemple les Ă©coles), en mĂ©decinegĂ©nĂ©rale et aux urgences.

L’application de mesures de dĂ©pistage systĂ©matique permet Ă©ga-lement de repĂ©rer les personnes dĂ©pendantes Ă  l’alcool. MĂȘmesi ce dĂ©pistage est trĂšs efficace, il est trĂšs peu pratiquĂ©, en par-ticulier en France.

DĂ©pistage

Il existe de nombreux arguments pour une gĂ©nĂ©ralisation de sonutilisation. Le dĂ©pistage de la consommation d’alcool (qu’ils’agisse d’une consommation Ă  risque ou d’une dĂ©pendance) peutse pratiquer Ă  diffĂ©rents moments. Il est recommandĂ© en soinsde premier recours mais a Ă©galement Ă©tĂ© proposĂ© dans les ser-vices d’urgences, lors du suivi de la grossesse, en mĂ©decine dutravail ou encore via les nouvelles technologies sur de largespopulations. DiffĂ©rents outils sont disponibles et incluent desquestionnaires mais Ă©galement des marqueurs biologiques.Le questionnaire de rĂ©fĂ©rence est l’Alcohol Use Disorders58

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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Identification Test : AUDIT. Une version française est disponibleet validĂ©e ainsi qu’une version courte (AUDIT-C) incluant les3 premiĂšres questions : la frĂ©quence de la consommation, laquantitĂ© par occasion et la frĂ©quence des alcoolisations ponc-tuelles importantes.

Si les outils de dĂ©pistage sont valides, le dĂ©pistage en lui-mĂȘmeest trĂšs peu pratiquĂ© en routine. Pour qu’il le soit, des stratĂ©giesde mise en Ɠuvre sont nĂ©cessaires. Elles montrent alors desrĂ©sultats encourageants, par exemple un dĂ©pistage intĂ©grĂ© dansle processus de soins, des rappels dans le dossier mĂ©dical Ă©lec-tronique et des mesures de performance et de contrĂŽles de l’uti-lisation du dĂ©pistage par les mĂ©decins. Des campagnes natio-nales de promotion du dĂ©pistage ont Ă©galement montrĂ© de bonsrĂ©sultats, par exemple avec la mise Ă  disposition des mĂ©decinsde formation et de soutien et le remboursement financier desprestations. L’utilisation de marqueurs biologiques dans le dĂ©pis-tage est plus controversĂ©e et dĂ©pend du type de marqueurs etdu domaine d’utilisation. De nouveaux marqueurs directs(l’éthylglucuronide [EtG] et le phosphatidylĂ©thanol [PEth]) dela consommation d’alcool offrent de meilleurs rĂ©sultats entermes de sensibilitĂ© et de spĂ©cificitĂ© mais sont pour le momentpeu utilisĂ©s en pratique clinique. En population gĂ©nĂ©rale, lesquestionnaires sont plus performants que les marqueurs biologi-ques en termes de sensibilitĂ© et de spĂ©cificitĂ©.

Intervention brĂšve

La Short Brief intervention selon le modÚle stepped care a un rap-port coût-efficacité clairement établi.

MalgrĂ© les preuves d’efficacitĂ©, le dĂ©pistage et l’interventionbrĂšve ne sont pratiquĂ©s que lorsque les systĂšmes de santĂ© leproposent de maniĂšre systĂ©matique. Si une consommation Ă risque ou problĂ©matique est dĂ©tectĂ©e, une intervention brĂšveest gĂ©nĂ©ralement ensuite proposĂ©e. Le terme « interventionbrĂšve » est un terme gĂ©nĂ©ral qui inclut diffĂ©rents types 59

SynthĂšse

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d’interventions durant lesquelles le clinicien donne des conseilset/ou une aide psychologique visant Ă  faire comprendre les ris-ques et les effets nĂ©gatifs de la consommation et Ă  explorer desmaniĂšres de la diminuer. Les diffĂ©rents modĂšles d’interventionbrĂšve partagent pour la plupart les mĂȘmes fondements thĂ©ori-ques, c’est-Ă -dire les thĂ©ories socio-cognitives et motivation-nelles. Ces diffĂ©rents modĂšles partagent Ă©galement des modalitĂ©spratiques : elles sont conçues pour ĂȘtre effectuĂ©es lors de consul-tations rĂ©guliĂšres, qui durent souvent de 5 Ă  15 minutes avec lesmĂ©decins ou de 20 Ă  30 minutes avec les infirmiĂšres et, bienque de courte durĂ©e, elles peuvent ĂȘtre dispensĂ©es en une Ă  cinqsĂ©ances.Une des modalitĂ©s d’application, l’intervention brĂšve Ă©lectro-nique, est d’un faible coĂ»t et il est possible de l’utiliser en col-lectivitĂ© (Ă©coles, armĂ©e, etc.) et en mĂ©decine gĂ©nĂ©rale, etc. Ilest donc nĂ©cessaire de privilĂ©gier ces interventions (internet,applications mobiles) pour la population gĂ©nĂ©rale en utilisantpar exemple un dĂ©pistage et une intervention brĂšve en salled’attente d’une consultation de soins primaires. Cela permet unerĂ©duction de la consommation chez les personnes non dĂ©pen-dantes Ă  l’alcool et le repĂ©rage de celles dĂ©pendantes Ă  l’alcoolqui bĂ©nĂ©ficient ainsi de cette premiĂšre mesure, et de la mise enplace d’un suivi au long cours en mĂ©decine gĂ©nĂ©rale, avec ousans l’appui de services spĂ©cialisĂ©s.La pratique de l’intervention brĂšve pour les consommateursd’alcool Ă  risque inclut de fait les personnes dĂ©pendantes Ă l’alcool. Pour ces derniĂšres, l’intervention brĂšve ne peut pasmodifier le comportement, mais elle pourrait initier une discus-sion et constituer une premiĂšre Ă©tape dans la prise en charged’une dĂ©pendance Ă  l’alcool (traitĂ©e dans la partie « Prise encharge des personnes prĂ©sentant une dĂ©pendance » de cette syn-thĂšse). Il est primordial de faire appel aux services d’addictologiepour les personnes qui prĂ©sentent des problĂšmes sĂ©vĂšres avecl’alcool.

60

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 76: EXPERTISE COLLECTIVE

Autres interventions

Les difficultĂ©s dans la prise en charge des personnes prĂ©sentantune consommation Ă  risque d’alcool ou une dĂ©pendance sont deplusieurs ordres. Il s’agit d’abord d’augmenter le nombre de ren-contres entre ces patients et des intervenants soignants. Les pro-positions de soin faites aux patients sont Ă©tablies en fonctionde l’impĂ©ratif d’abstinence et une offre plus large permet defaciliter l’engagement dans les soins. D’autre part, et ce depuisde nombreuses annĂ©es, l’objectif est de dĂ©velopper et d’utiliserles nouvelles techniques thĂ©rapeutiques qui ont montrĂ© leur effi-cacitĂ©. L’abstinence bĂ©nĂ©ficiait de mĂ©thodes thĂ©rapeutiques pro-pres mais la rĂ©duction des risques et des dommages (RDRD) enmatiĂšre d’alcool, en s’imposant comme principe, a dĂ» s’emparerde certains outils ou pratiques ou en crĂ©er de nouveaux. Ici,l’idĂ©e est de considĂ©rer la rĂ©duction des risques sur le continuumdes problĂšmes liĂ©s Ă  l’alcool, tout en gardant Ă  l’esprit qu’il y aune distinction entre consommation Ă  risque pour la santĂ© etdĂ©pendance Ă  l’alcool. Pour l’ensemble des parcours de consom-mation, le contact avec un professionnel de premier recours estle premier objectif. La RDRD se conçoit comme une prĂ©vention– et des interventions – au cours et tout au long du comporte-ment de consommation, ce qui implique des adaptations et destechniques diffĂ©rentes selon les temps de vie de l’usager (qu’ils’agisse d’un consommateur Ă  risque avec ou sans dĂ©pendance).Ainsi, la rĂ©duction des risques ne fait pas de l’abstinence unimpĂ©ratif mais pour autant elle n’est pas « anti abstinence ».

Sur le plan thĂ©rapeutique, la rĂ©duction des consommations estobtenue grĂące Ă  diffĂ©rentes techniques et des mĂ©thodes d’entre-tiens, ciblant en particulier la quantification prĂ©cise des boissonsabsorbĂ©es, et la fixation d’objectifs rĂ©alistes, adaptĂ©s aux possi-bilitĂ©s des personnes. Des mĂ©dicaments peuvent ĂȘtre prescrits.Les usagers sont partie prenante de cette technique et de cesobjectifs. Pour cela, ils doivent ĂȘtre suffisamment informĂ©s del’intĂ©rĂȘt et des perspectives de la RDRD, et ĂȘtre accompagnĂ©spar des professionnels formĂ©s et engagĂ©s dans cette pratique. 61

SynthĂšse

Page 77: EXPERTISE COLLECTIVE

L’accompagnement individuel permet aussi d’aborder en consul-tation les « maniĂšres de boire » tels que les horaires, les rituels,etc. et de dĂ©finir des projets individualisĂ©s. C’est une façonimportante de rĂ©aliser des interventions de RDRD adaptĂ©es Ă  lavie rĂ©elle, mais l’évaluation de leur efficacitĂ© est complexe. LaRDRD prĂ©sente des limites d’une part et nĂ©cessite des adapta-tions particuliĂšres pour les publics les plus prĂ©caires d’autre part.Dans plusieurs situations cliniques, les consommations, mĂȘmefaibles, sont dĂ©conseillĂ©es : certaines pathologies psychiatriquesou somatiques, les troubles cognitifs sĂ©vĂšres, les personnesconstatant une perte de contrĂŽle Ă  la moindre stimulation parl’alcool. De mĂȘme, certaines populations tels que les travailleurssur des postes Ă  risque ou les femmes enceintes, les personnesrecevant certains traitements mĂ©dicamenteux, les mineurs nedoivent pas se voir conseiller une consommation modĂ©rĂ©e. Àl’instar des drogues illicites (et, certainement de maniĂšre nonprogrammĂ©e par les pouvoirs publics, pour le tabac avec l’appa-rition de la cigarette Ă©lectronique), il s’agit d’instituer avec uneRDRD de l’alcool, un pilier transversal vecteur d’une politiquede prĂ©vention, de prise en charge et d’application de la loi Évinen France.

Concernant les consommateurs d’alcool Ă  risque, les psychothĂ©-rapies et les thĂ©rapies mĂ©dicamenteuses constituent les axesmajeurs des prises en charge, mais de nombreuses autres possi-bilitĂ©s sont dĂ©crites. Ces autres interventions doivent ĂȘtre Ă©va-luĂ©es de façon solide afin d’éviter des dĂ©ceptions ou des « pertesde chance ». La façon dont les professionnels, ou des personnesengagĂ©es et/ou formĂ©es, appliquent ces mĂ©thodes joue Ă©galementun rĂŽle important – l’expĂ©rience et le savoir-ĂȘtre Ă©tant des fac-teurs dĂ©terminants d’efficacitĂ©, mĂȘme pour des techniques vali-dĂ©es. Or, les comportements des soignants rĂ©vĂšlent souvent leursprĂ©supposĂ©s nĂ©gatifs vis-Ă -vis des addictions : leur formation ini-tiale et leurs reprĂ©sentations interfĂšrent beaucoup avec leurcapacitĂ© d’accueil et leur façon de prĂ©senter les outils thĂ©rapeu-tiques (telles que les interventions des associations d’usagers oud’anciens usagers avec par exemple en France les patients62

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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experts). Changer cet Ă©tat de fait est une prioritĂ© pour amĂ©liorerles soins dans les addictions.Les techniques d’électrostimulation (tDCS) et de stimulationmagnĂ©tique rĂ©pĂ©titive (rTMS) transcrĂąniennes du cerveau,l’acupuncture, le neurofeedback apparaissant dans les publica-tions analysĂ©es pour mettre en Ă©vidence un bĂ©nĂ©fice significatifdes perspectives thĂ©rapeutiques, que ce soit pour les consomma-teurs Ă  risque ou les patients dĂ©pendants, sont pour la plupartdĂ©cevantes. Les effectifs, la standardisation et donc la rĂ©plica-tion des mĂ©thodes, la durĂ©e de suivi, sont le plus souvent trĂšsinsuffisants pour permettre de conclure Ă  une efficacitĂ©constante et durable.L’activitĂ© physique au regard de la RDRD a un rĂŽle positif surles facteurs de risque et donc indirectement sur les consomma-tions. Un discours frĂ©quent en pratique clinique est de promou-voir une activitĂ© physique en prĂ©vention et en traitement desaddictions. Dans une mĂ©ta-analyse de 2017, l’exercice physiquesemble avoir un impact positif sur la consommation d’alcool etle taux d’abstinence. Cependant, l’activitĂ© elle-mĂȘme est maldĂ©finie et hĂ©tĂ©rogĂšne dans les Ă©tudes, les Ă©lĂ©ments argumentantson efficacitĂ© sur la rĂ©duction des consommations Ă  moyen etlong terme sont faibles : l’amĂ©lioration des comorbiditĂ©s asso-ciĂ©es et du type de relations sociales semble essentielle. De fait,un travail de l’Inserm8 explore de façon prĂ©cise les liens entredĂ©pression et activitĂ© physique. Une consommation Ă  risqued’alcool est souvent associĂ©e Ă  un repli social, et des Ă©tudes obser-vationnelles Ă©tablissent une solide relation entre inactivitĂ© phy-sique et troubles dĂ©pressifs. Ces Ă©lĂ©ments confirment l’intĂ©rĂȘtde l’aide Ă  l’engagement dans une activitĂ© physique, jouant alorsun rĂŽle positif sur l’humeur et l’état somatique, et indirectementsur les consommations.ParallĂšlement Ă  ces mĂ©thodes ou techniques, deux modalitĂ©sd’interventions se distinguent et prĂ©sentent un intĂ©rĂȘt majeur :

8. Inserm. Activité physique : Prévention et traitement des maladies chroniques. CollectionExpertise collective. Montrouge : EDP Sciences, 2019. 63

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les interventions utilisant internet ou des applications, sur unordinateur ou un smartphone et les groupes d’auto-support. LeurefficacitĂ© est Ă©tayĂ©e par une littĂ©rature consĂ©quente.Le dĂ©veloppement quantitatif et qualitatif des interventionsnumĂ©riques est massif, et facilite la diffusion d’informations etles possibilitĂ©s de prĂ©vention et d’accompagnement. Les don-nĂ©es sont positives en prĂ©vention secondaire chez les consom-mateurs Ă  risque pour une rĂ©duction de la consommation. L’offreest large, mais les critĂšres de qualitĂ© et donc d’efficacitĂ© ne sontpas dĂ©finis. Les annĂ©es qui viennent devront voir la systĂ©mati-sation de critĂšres pour la conception et le suivi des applications ;par ailleurs, leur utilisation est Ă  dĂ©finir chez les patientsdĂ©pendants.Les groupes d’auto-support, avec aux États-Unis, les AlcooliquesAnonymes par exemple et la mĂ©thode des 12 Ă©tapes, reprĂ©sen-tent un socle dans le traitement des addictions. Les articles Ă©tu-diant leur mĂ©thode et leur efficacitĂ© sont multiples. On notel’orientation d’une partie d’entre eux pour dĂ©montrer l’intĂ©rĂȘtde la Foi et des rĂ©fĂ©rences divines ; les autres insistant sur lasolidaritĂ©, l’aide constante aux comportements de changements– s’apparentant alors Ă  des techniques thĂ©rapeutiques, appli-quĂ©es avec succĂšs par des non-professionnels. L’analyse sur lerĂŽle de ces groupes doit en effet s’intĂ©resser Ă  la spiritualitĂ©, etdans le mĂȘme temps, s’en Ă©manciper : les supports des groupessont « spirituels, informationnels, Ă©motionnels, instrumen-taux ». Ces groupes, auxquels sont parfois associĂ©es les familles,agissent sur les sentiments, les capacitĂ©s, les Ă©motions des usa-gers, leur permettant dans un cadre de proches, de dĂ©velopperdes visions positives d’eux-mĂȘmes.Toutes ces techniques participent Ă  un meilleur accĂšs aux soins(l’accĂšs Ă  internet en particulier multiplie les possibilitĂ©s de mes-sages et de consultations), et contribuent Ă  la limitation desconsommations ; leur utilisation et leur dĂ©veloppementdevraient rĂ©pondre Ă  des critĂšres de qualitĂ© afin de permettreleur diffusion en clinique quotidienne.

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RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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Prise en charge des personnes présentantune dépendance

La dĂ©pendance Ă  l’alcool correspond au stade le plus sĂ©vĂšre desconsommations Ă  risque d’alcool. Pour rappel, les sujets dĂ©pen-dants constituent un sous-groupe minoritaire de l’ensemble dessujets prĂ©sentant une consommation Ă  risque d’alcool et la majo-ritĂ© des dommages liĂ©s Ă  l’alcool concerne des sujets ne remplis-sant pas les critĂšres diagnostiques de dĂ©pendance.

Il existe un dĂ©faut majeur d’accĂšs aux soins des patients dĂ©pen-dants Ă  l’alcool car seulement 10 % d’entre eux bĂ©nĂ©ficieraientde soins addictologiques. Contrairement aux idĂ©es reçues, ledĂ©ficit motivationnel Ă  changer ses comportements vis-Ă -vis del’alcool n’est pas la seule explication pour rendre compte decette situation. En effet, environ la moitiĂ© des patients se ren-dent Ă  une consultation d’addictologie qui leur a Ă©tĂ© prĂ©conisĂ©eĂ  l’occasion de leur passage dans un service d’accueil desurgences. De plus, il a Ă©tĂ© montrĂ© que la motivation aux soinsse renforçait avec la sĂ©vĂ©ritĂ© du trouble. Notamment, lorsque lasĂ©vĂ©ritĂ© du trouble augmente, la probabilitĂ© d’évoquer le dĂ©nicomme raison de non prise en charge diminue au profit d’autresraisons directement en lien avec des difficultĂ©s d’accĂšs aux soins.

La dĂ©pendance Ă  l’alcool se caractĂ©rise par son Ă©volution chro-nique mĂȘme si les formes moins sĂ©vĂšres des consommations Ă risque d’alcool peuvent se rĂ©soudre sans rechute. Ainsi, la per-ception de la dĂ©pendance Ă  l’alcool comme une maladie chro-nique permet d’y appliquer l’ensemble des stratĂ©gies utilisĂ©esdans d’autres maladies chroniques et destinĂ©es Ă  en optimiser laprise en charge. Une attention toute particuliĂšre devrait ĂȘtreaccordĂ©e Ă  l’annonce diagnostique.

La dĂ©pendance Ă  l’alcool nĂ©cessite donc des soins au long coursvisant Ă  prĂ©venir les risques de rechute. Or, les soins visant Ă prĂ©venir la rechute au dĂ©cours de la phase initiale du traitementsont souvent insuffisants tant en intensitĂ© qu’en durĂ©e, avec destaux de rechute trĂšs Ă©levĂ©s, vraisemblablement autour de 40 % 65

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Ă  60 % dans l’annĂ©e. Un enjeu majeur est donc l’amĂ©liorationde l’observance au long cours afin de prĂ©venir la rechute.

La littĂ©rature met en Ă©vidence qu’un objectif d’arrĂȘt de l’usage,comparĂ© Ă  un objectif de rĂ©duction, est associĂ© Ă  de meilleureschances de succĂšs en ce qui concerne la prise en charge dessujets dĂ©pendants. De plus, pour des sujets dĂ©sireux d’arrĂȘterl’usage de l’alcool, une stratĂ©gie de sevrage comparĂ©e Ă  unerĂ©duction progressive serait associĂ©e Ă  de meilleures chances desuccĂšs. Cependant, environ la moitiĂ© des patients dĂ©pendantsne souhaitent pas arrĂȘter totalement l’usage de l’alcool. Il appa-raĂźt alors comme prioritaire de faciliter leur entrĂ©e dans les soins,avec des objectifs thĂ©rapeutiques pragmatiques en fonction dece que le sujet est prĂȘt Ă  accepter. Pour ces patients, un objectifinitial de rĂ©duction plutĂŽt que d’arrĂȘt de l’usage est donc Ă  pro-poser. La rĂ©duction de la consommation a effectivement montrĂ©de nombreux avantages parmi lesquels la possibilitĂ© d’effectuerdes entretiens motivationnels destinĂ©s Ă  favoriser la motivationĂ  des objectifs plus ambitieux, la prise en charge des comorbi-ditĂ©s sociales, somatiques, psychiatriques et addictologiques etla rĂ©duction des risques et des dommages. Cependant, commebeaucoup de patients dĂ©pendants n’arrivent pas Ă  maintenirdurablement une consommation contrĂŽlĂ©e, l’arrĂȘt de l’usagereste l’objectif final Ă  promouvoir pour ces patients.

Il est dĂ©sormais bien Ă©tabli que la dĂ©pendance Ă  l’alcool suit unmodĂšle biopsychosocial nĂ©cessitant une prise en charge globale.La prise en charge de la dĂ©pendance Ă  l’alcool repose donc surune approche multimodale. Les principales composantes de laprise en charge sont les stratĂ©gies psychothĂ©rapeutiques, mĂ©di-camenteuses, de remĂ©diation cognitive, de rĂ©habilitation socialeet de prise en charge des comorbiditĂ©s : co-addictions, troublespsychiatriques co-occurrents et pathologies somatiques. En cequi concerne les co-addictions, le sevrage tabagique est associĂ©Ă  une rĂ©duction de la consommation de l’alcool chez ceux quiconsomment encore ainsi qu’à une diminution du risque derechute chez les abstinents. Le sevrage de cannabis est Ă©gale-ment associĂ© Ă  une meilleure efficacitĂ© de la prise en charge de66

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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la dĂ©pendance Ă  l’alcool, y compris pour des consommations peuimportantes de cannabis. D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, une Ă©valua-tion de l’ensemble des conduites addictives, incluant les addic-tions comportementales, est Ă  rĂ©aliser chez tous les sujets prĂ©-sentant une dĂ©pendance Ă  l’alcool afin de prendre en charge lapathologie addictive dans son ensemble. Parmi les comorbiditĂ©sĂ  prendre en charge, la littĂ©rature s’est densifiĂ©e concernantl’attention Ă  accorder au traitement des troubles du sommeil etde la douleur. Pour prendre en compte tous ces aspects de laprise en charge, la littĂ©rature rapporte les bĂ©nĂ©fices d’une priseen charge intĂ©grative, par opposition aux prises en chargesĂ©quentielles ou en parallĂšle non coordonnĂ©es entre elles. NĂ©an-moins, il n’existe pas de consensus sur la dĂ©finition d’une priseen charge intĂ©grative. Par exemple, il peut s’agir de considĂ©rerque toute la prise en charge doit se dĂ©rouler dans une mĂȘmeunitĂ© de temps et de lieu, ou bien qu’il existe une coordinationentre les diffĂ©rents acteurs de la prise en charge. Dans tous lescas, il s’agit de prendre en charge le patient dans sa globalitĂ©avec pour finalitĂ© une amĂ©lioration de la qualitĂ© de vie despatients et de leur accĂšs aux soins ainsi que la facilitation deleur rĂ©tablissement. Ce type d’approche est associĂ© Ă  une meil-leure satisfaction des patients vis-Ă -vis des soins, une meilleureutilisation des ressources, des taux plus Ă©levĂ©s d’arrĂȘt de l’usageainsi qu’un meilleur fonctionnement global sur le long terme.Enfin, il est important que la prise en charge intĂ©grative ne soitpas dĂ©connectĂ©e du systĂšme de soins global et des soins pri-maires, notamment pour faciliter le repĂ©rage prĂ©coce, l’accĂšs auxsoins spĂ©cialisĂ©s et Ă©viter la stigmatisation des patients.Concernant les stratĂ©gies psychothĂ©rapeutiques, l’approchemotivationnelle permet d’amĂ©liorer l’efficacitĂ© des interventionspsychosociales plus intensives Ă  proposer aux sujets dĂ©pendants.Parmi ces interventions, la thĂ©rapie cognitive et comportemen-tale (TCC), la thĂ©rapie des contingences9 et la mĂ©ditation de

9. ThĂ©rapie dont le principe repose sur l’utilisation de renforçateurs, la plupart positifs (descadeaux), pour conditionner le choix d’un sujet, afin de lui faire prendre une option plusattractive pour lui que l’abstinence seule. 67

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pleine conscience ont fait l’objet de nombreuses Ă©valuations quimontrent leur efficacitĂ©. L’efficacitĂ© de la TCC dans la prise encharge de la dĂ©pendance Ă  l’alcool a Ă©tĂ© montrĂ©e dans de nom-breuses Ă©tudes et dans des mĂ©ta-analyses. L’accĂšs Ă  la TCC pour-rait ĂȘtre en partie amĂ©liorĂ© grĂące aux programmes de TCC enligne. Une supervision Ă  distance par un soignant pourrait nĂ©an-moins en amĂ©liorer l’efficacitĂ©. De nombreuses publications ontmontrĂ© l’efficacitĂ© de la thĂ©rapie des contingences dans la priseen charge de la dĂ©pendance Ă  l’alcool, y compris en prĂ©sence detroubles psychiatriques co-occurrents. La thĂ©rapie des contin-gences a Ă©galement montrĂ© son efficacitĂ© dans la rĂ©duction duniveau de consommation chez des gros consommateurs n’ayantpas de demande de soins. Enfin, elle pourrait avoir une utilitĂ©pour amĂ©liorer l’observance des soins. Enfin, une littĂ©rature aĂ©mergĂ© rĂ©cemment concernant l’efficacitĂ© des programmes basĂ©ssur la mĂ©ditation de pleine conscience dans la prĂ©vention de larechute chez les patients dĂ©pendants Ă  l’alcool. Cette stratĂ©giethĂ©rapeutique n’étant pas focalisĂ©e directement sur l’usaged’alcool, elle pourrait convenir aux sujets ayant Ă©chouĂ© avecd’autres stratĂ©gies ou qui sont ambivalents dans leur dĂ©sir dechangement. Quant Ă  la thĂ©rapie d’exposition10, cette thĂ©rapiecomportementale n’a pas montrĂ© Ă  ce jour d’efficacitĂ© dans laprise en charge de la dĂ©pendance Ă  l’alcool et pourrait diminuerles capacitĂ©s de contrĂŽle inhibiteur face aux stimuli environne-mentaux liĂ©s Ă  la consommation d’alcool. À ce titre, elle nedevrait donc pas ĂȘtre recommandĂ©e.Pour les sujets qui y sont prĂȘts, le sevrage thĂ©rapeutique del’alcool permet de dĂ©buter un processus d’arrĂȘt de l’usagecomplet et durable. En d’autres termes, il n’y a pas d’indicationau sevrage dans les situations suivantes : absence de projet desoins au dĂ©cours du sevrage, absence de dĂ©sir du patient d’arrĂȘterl’usage de l’alcool, dĂ©tresse sociale, professionnelle ou Ă©motion-nelle actuelle sans Ă©valuation approfondie prĂ©alable des bĂ©nĂ©-fices attendus de la mise en place d’un sevrage dans ce contexte.

10. ThĂ©rapie comportementale visant Ă  moduler les rĂ©ponses comportementales condi-tionnĂ©es lors de l’exposition Ă  des stimuli associĂ©s Ă  l’usage de substance.68

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En effet, la balance bĂ©nĂ©fice-risque Ă  effectuer des sevrages itĂ©-ratifs sans projet d’arrĂȘt de la consommation au dĂ©cours n’estpas favorable. Les sevrages rĂ©pĂ©tĂ©s favorisent des symptĂŽmes deplus en plus sĂ©vĂšres et le risque de complications augmente avecle nombre d’épisodes de sevrage. Les sevrages rĂ©pĂ©tĂ©s pourraientĂ©galement favoriser des altĂ©rations des fonctions exĂ©cutives,notamment du contrĂŽle motivationnel, du contrĂŽle inhibiteur,de la flexibilitĂ© cognitive et de la prise de dĂ©cision, et diminuerla cognition sociale. Par consĂ©quent, il apparaĂźt essentiel de prĂ©-parer le sevrage thĂ©rapeutique, notamment en planifiant enamont les soins Ă  mettre en Ɠuvre au dĂ©cours. En l’absence desoins addictologiques au dĂ©cours du sevrage, au moins 80 % despatients prĂ©senteraient une rechute. Pourtant, entre 40 et 50 %des patients ne dĂ©buteraient pas de soins addictologiques aprĂšsleur hospitalisation pour sevrage. Plusieurs Ă©tudes ont suggĂ©rĂ©que l’anticipation des soins addictologiques avant de procĂ©derau sevrage thĂ©rapeutique pourrait amĂ©liorer sensiblementl’observance et, par consĂ©quent, le maintien de l’arrĂȘt de l’usage.Par exemple, les groupes de prĂ©paration Ă  l’arrĂȘt de l’usage pour-raient favoriser l’observance aux soins au dĂ©cours du sevrage. LaprĂ©paration du sevrage thĂ©rapeutique devrait Ă©galement inclurela rĂ©duction de la consommation, ou Ă  dĂ©faut la stabilisation Ă l’aide de stratĂ©gies motivationnelles. Cette stratĂ©gie pourraitpermettre un renforcement de l’estime de soi et du sentimentd’efficacitĂ© personnelle, pouvant renforcer la motivation auchangement. De plus, au moins pour les gros consommateurs,mĂȘme une lĂ©gĂšre rĂ©duction de la consommation d’alcool estassociĂ©e Ă  une diminution de la mortalitĂ© et de la morbiditĂ©liĂ©es Ă  l’alcool. Ainsi, cette stratĂ©gie permet de rĂ©duire les dom-mages liĂ©s Ă  l’alcool et d’amĂ©liorer la qualitĂ© de vie des patientsen attente de sevrage thĂ©rapeutique. Enfin, lorsque la consom-mation d’alcool a Ă©tĂ© rĂ©duite, ou du moins stabilisĂ©e, avant lesevrage, les symptĂŽmes de sevrage seraient moins sĂ©vĂšres et lerisque de complications serait diminuĂ©.

Les troubles cognitifs liĂ©s Ă  l’alcool concerneraient au moins lamoitiĂ© des patients prĂ©sentant une consommation d’alcool Ă  69

SynthĂšse

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risque. Les troubles cognitifs les plus frĂ©quents concernent lesfonctions exĂ©cutives (planification, rĂ©solution de problĂšmes etcontrĂŽle inhibiteur), la mĂ©moire Ă©pisodique, les capacitĂ©svisuo-constructives et la cognition sociale. Ces troubles peuventaltĂ©rer la motivation Ă  changer de comportement ainsi que crĂ©erdes difficultĂ©s d’apprentissage. En consĂ©quence, ils peuventdiminuer l’efficacitĂ© des stratĂ©gies thĂ©rapeutiques utilisĂ©es enaddictologie, notamment les entretiens motivationnels. De plus,l’élaboration de scĂ©narios alternatifs aux comportements auto-matiques prĂ©sente un coĂ»t cognitif Ă©levĂ©. Lorsqu’il existe destroubles cognitifs, ce travail d’élaboration est donc plus difficileĂ  effectuer. Le repĂ©rage des troubles cognitifs liĂ©s Ă  l’alcool estdonc Ă  systĂ©matiser chez tous les patients prĂ©sentant uneconsommation d’alcool Ă  risque. Pour rĂ©aliser ce repĂ©rage, desĂ©chelles telles que la MoCA (Montreal Cognitive Assessment)peuvent ĂȘtre utilisĂ©es. Si des troubles sont repĂ©rĂ©s, un bilan neu-ropsychologique est Ă  rĂ©aliser. Ce bilan permet d’évaluer la sĂ©vĂ©-ritĂ© des troubles et de prĂ©ciser les fonctions cognitives qui sontaltĂ©rĂ©es. Lorsque les troubles sont lĂ©gers Ă  modĂ©rĂ©s, l’objectif dela remĂ©diation cognitive est la rĂ©cupĂ©ration des fonctions cogni-tives, notamment des fonctions exĂ©cutives et de la mĂ©moire detravail. La remĂ©diation cognitive est alors Ă  dĂ©buter dĂšs la finde la pĂ©riode de sevrage. Lorsque les troubles sont plus sĂ©vĂšres,l’objectif est la prĂ©servation des fonctions cognitives dans uneoptique de maintien de l’autonomie et d’amĂ©lioration de la qua-litĂ© de vie.

Il existe des liens bilatĂ©raux entre la consommation d’alcool Ă risque et l’absence de domicile fixe. Y compris chez des sujetsprĂ©sentant un trouble mental sĂ©vĂšre, l’existence d’un trouble del’usage de substance serait associĂ©e Ă  un risque supplĂ©mentaired’ĂȘtre sans domicile fixe. De plus, la mortalitĂ© toutes causesconfondues des sujets prĂ©sentant une consommation d’alcool Ă risque serait au moins doublĂ©e en l’absence de logement fixe.De nombreuses Ă©tudes dont des mĂ©ta-analyses ont montrĂ© l’effi-cacitĂ© d’interventions focalisĂ©es sur la reprise d’un domicile fixedans l’amĂ©lioration de la santĂ© mentale, incluant l’usage de70

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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substances. Étant donnĂ© qu’il est particuliĂšrement difficile d’ins-crire un patient sans domicile fixe dans des soins addictologiquestant l’observance est difficile, l’accĂšs Ă  un domicile devrait prĂ©-cĂ©der la mise en place des soins addictologiques (modĂšle thĂ©o-rique du Housing First), plutĂŽt que de considĂ©rer que l’accĂšs aulogement doit ĂȘtre conditionnĂ© au prĂ©alable par une bonneobservance des soins. L’accĂšs au logement sans condition est Ă associer Ă  un accompagnement intensif multidisciplinaire dansl’esprit d’une approche intĂ©grative.Chez certaines personnes marginalisĂ©es, sans hĂ©bergement,consommant par exemple des alcools non comestibles ou dansdes conditions dangereuses, et Ă©tant dans l’incapacitĂ© de limiterleurs usages, le fait de crĂ©er ou de maintenir du lien et de prio-riser la « mise Ă  l’abri » amĂšne Ă  proposer de façon organisĂ©e (Ă l’image des MAP canadiens « managed alcohol program ») desboissons dont la quantitĂ©, le type et les heures sont convenus.Cette RDRD n’évolue pas dans le champ de la rĂ©duction, maisbien dans l’aide Ă  l’amĂ©nagement des consommations, dans uneprĂ©vention des accidents liĂ©s Ă  des alcoolisations dangereuses,chez une personne isolĂ©e par exemple. Les bĂ©nĂ©fices Ă©valuĂ©s sontsociaux et non addictologiques, et ouvrent des perspectivesd’interventions en pratique clinique.Enfin, une littĂ©rature rĂ©cente Ă©merge concernant la recherchede facteurs prĂ©dictifs de succĂšs de la prise en charge. CertainsdĂ©terminants tels que le sexe, l’ñge, l’intensitĂ© de la dĂ©tressepsychologique et l’existence de biais cognitifs pourraient en effetĂȘtre pris en compte dans l’adaptation des stratĂ©gies thĂ©rapeuti-ques. Ces recherches devraient ĂȘtre poursuivies afin d’aboutir Ă des prises en charge plus personnalisĂ©es, notamment destinĂ©esĂ  intensifier les soins chez les sujets prĂ©sentant un risque plusĂ©levĂ© de rechute.

71

SynthĂšse

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Recommandations

La synthĂšse des donnĂ©es de la littĂ©rature rĂ©alisĂ©e par le grouped’experts couvre un champ large incluant les diffĂ©rents niveauxde consommation d’alcool, les dommages sanitaires et socio-Ă©conomiques inhĂ©rents, les diffĂ©rents leviers qui existent autourde cette consommation (les facteurs de risque, le marketing, lelobbying, des programmes d’actions publiques) pouvant inter-venir de la prĂ©vention primaire jusqu’à la prise en charge despersonnes prĂ©sentant une dĂ©pendance Ă  l’alcool.

Comme il s’agit de rĂ©pondre spĂ©cifiquement Ă  la question de larĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool auregard d’un objectif de santĂ© publique, les donnĂ©es de la consom-mation d’alcool ont Ă©tĂ© ici mises Ă  jour. Dans un contexte oĂčles autoritĂ©s de santĂ© ont revu Ă  la baisse les repĂšres de consom-mation et oĂč de nouvelles Ă©tudes scientifiques internationalesdĂ©montrent des risques et des dommages en termes de santĂ© liĂ©sĂ  la consommation d’alcool mĂȘme Ă  des niveaux de consomma-tion faibles, il s’agit de prendre en compte ces nouvelles donnĂ©esafin d’amĂ©liorer la prĂ©vention et la prise en charge de cesdommages.

Afin de faciliter la lecture des recommandations Ă©mises dans cetouvrage, il convient de rappeler la terminologie simple adoptĂ©edans cette expertise concernant trois groupes distincts deconsommation d’alcool associĂ©s aux niveaux de risques pour lasantĂ© :‱ la consommation Ă  faible risque ;‱ la consommation Ă  risque sans dĂ©pendance ;‱ la consommation Ă  risque avec une dĂ©pendance Ă  l’alcool (lestade le plus sĂ©vĂšre parmi les consommations Ă  risque).

Il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© dans cette expertise de ne pas aborder la questionde la prise en charge mĂ©dicamenteuse de la consommationd’alcool. 73

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À l’issue de l’analyse et de la synthĂšse des donnĂ©es de la littĂ©-rature concernant cette nouvelle expertise collective surl’alcool, les experts proposent des recommandations d’action etde recherche en santĂ© publique pour rĂ©duire les dommages asso-ciĂ©s Ă  la consommation d’alcool. Le groupe d’experts souhaiterappeler qu’il existe des recommandations abordant la consom-mation d’alcool Ă©mises dans des expertises collectives del’Inserm plus anciennes ou traitant de sujets connexes Ă  cetteexpertise11, auxquelles le groupe s’est rĂ©fĂ©rĂ©es.Les recommandations Ă©noncĂ©es dans le cadre de cette expertisecollective s’insĂšrent dans un contexte plus large et sont complĂ©-mentaires des recommandations Ă©mises par l’Organisation mon-diale de la santĂ©12. De plus, plusieurs d’entre elles reprennentdes Ă©lĂ©ments dĂ©jĂ  prĂ©sents dans les conclusions du rapport surles politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcoolremis par la Cour des comptes en 2016.

ÉTATDES LIEUXDU PROBLÈME ET RECOMMANDATION

GÉNÉRALE

Le bilan des connaissances effectuĂ© permet de faire un rĂ©sumĂ©des principaux constats.En France, il y a 42,8 millions de consommateurs d’alcool avecune consommation moyenne chez les adultes d’environ27 grammes d’alcool pur par jour et par personne. Il existe uneforte proportion de consommation Ă  risque d’alcool chez les per-sonnes de plus de 50 ans et c’est Ă  l’adolescence (12-18 ans) queles jeunes expĂ©rimentent pour la premiĂšre fois la consommationd’alcool.

11. Il s’agit des expertises collectives Inserm suivantes : Éducation pour la santĂ© desjeunes (2000) ; Alcool. Effets sur la santĂ© (2001) ; Alcool. Dommages sociaux : Abus etdĂ©pendance (2003) ; Conduites addictives chez les adolescents. Usages, prĂ©vention etaccompagnement (2014) ; Agir sur les comportements nutritionnels (2017).12. Organisation mondiale de la santĂ©. Global status report on alcohol and health. Rap-port, 2018.74

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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Les consĂ©quences de cette consommation reprĂ©sentent un coĂ»timportant aux niveaux social et Ă©conomique : il s’agit de la pre-miĂšre cause d’hospitalisation en France. EstimĂ© Ă  118 milliardsd’euros en 2010, le coĂ»t social de l’alcool en France se composeprincipalement de coĂ»ts liĂ©s Ă  la mortalitĂ© (66 milliards d’euros)et Ă  la morbiditĂ© (39 milliards d’euros) attribuables. Ainsi, enFrance le plaisir monĂ©tarisĂ© qui pourrait ĂȘtre retirĂ© de la consom-mation d’alcool additionnĂ© au profit des producteurs ne parvientpas Ă  surpondĂ©rer le coĂ»t des pathologies et de la mortalitĂ©. Lespays du modĂšle continental, ayant un systĂšme de protectionsociale proche du nĂŽtre, perdraient 1 % de PIB chaque annĂ©edu fait de la consommation d’alcool (0,54 % Ă  1,49 %).Concernant les politiques publiques actuelles, au regard duniveau de consommation des Français, de la dangerositĂ© del’alcool et de ses 118 milliards de coĂ»t social et face Ă  un lob-bying alcoolier puissant, il y a une rĂ©elle nĂ©cessitĂ© de dĂ©finir uncadre politique afin de maintenir la cohĂ©rence des messages etdes politiques publiques. De plus, il s’avĂšre que certaines loisdĂ©jĂ  en place ne sont pas assez respectĂ©es, entre autres, l’inter-diction de vente d’alcool aux mineurs et ont perdu de leur effi-cacitĂ© au fil du temps. C’est le cas de la loi Évin qui dans saversion actuelle, protĂšge trop peu les mineurs, notamment del’exposition Ă  la publicitĂ© des marques d’alcool.Une feuille de route aux niveaux national et international estnĂ©cessaire pour renforcer les programmes de lutte contre laconsommation d’alcool et doit ĂȘtre appliquĂ©e dans sa totalitĂ©avec en corollaire une volontĂ© politique et un minimum demoyens associĂ©s.Afin d’élaborer des politiques publiques plus efficaces, laCCLAT (Convention Cadre de Lutte Anti-Tabac) de l’Orga-nisation mondiale de la santĂ© devrait servir d’exemple : en effet,elle s’est rĂ©vĂ©lĂ©e pertinente pour baisser la prĂ©valence mondialedu tabagisme depuis son entrĂ©e en vigueur en 2005 (d’autantplus importante dans les pays oĂč sa mise en Ɠuvre Ă©tait plusstricte). Les pays d’Europe du Nord ont mis en Ɠuvre un nombreimportant de politiques de rĂ©duction de la demande du tabac et 75

Recommandations

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ont connu de fortes rĂ©ductions de la frĂ©quence du tabagisme(7,1 points) entre 2005 et 2015. La France compte ainsiaujourd’hui prĂšs de 2 millions de fumeurs en moins depuis 2016suite Ă  sa mise en Ɠuvre.

Le groupe d’experts recommande donc de :‱ mettre en place un cadre national identique Ă  celui de laConvention Cadre de Lutte Anti-Tabac afin d’aider les pays Ă adopter des mesures efficaces pour rĂ©duire la consommationd’alcool ;‱ inciter l’Union europĂ©enne Ă  mettre en place des Directivess’inspirant de celles sur les produits du tabac mais adaptĂ©es auxboissons alcoolisĂ©es.

Il est donc indispensable de mettre au premier plan une poli-tique fondĂ©e sur les preuves d’efficacitĂ© (evidence-based) ens’appuyant sur les mesures les plus coĂ»t-efficaces qui consistentĂ  agir sur l’offre et la demande.

Ainsi, en matiĂšre de limitation de l’offre d’alcool, trois mesuresphares ont Ă©tĂ© mises en Ɠuvre et Ă©valuĂ©es dans diffĂ©rents payset pourraient ĂȘtre mises en place et/ou mieux respectĂ©es enFrance :‱ la restriction du nombre de dĂ©bits de boissons alcoolisĂ©es ;‱ la rĂ©gulation des heures d’ouverture et de fermeture desmĂȘmes dĂ©bits de boissons ;‱ l’interdiction de vente aux mineurs (cf. l’expertise collectiveInserm « Conduites addictives chez les adolescents. Usages, prĂ©-vention et accompagnement », 2014).

En matiĂšre de limitation de la demande d’alcool, les mesuresqui sont les plus largement mobilisĂ©es et Ă©valuĂ©es Ă  l’interna-tional, et en Europe en particulier sont les augmentations desprix via les mĂ©canismes fiscaux :‱ la rĂ©gulation de la publicitĂ© ;‱ les politiques de lutte contre l’alcool au volant (cf. l’expertisecollective Inserm « Alcool. Dommages sociaux : abus et dĂ©pen-dance », 2003).76

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RECOMMANDATIONSD’ACTION

Les recommandations d’action formulĂ©es par le groupe d’expertsrĂ©pondent Ă  plusieurs logiques, non exclusives les unes desautres. En effet, ces recommandations sont fondĂ©es sur lespreuves d’efficacitĂ© (evidence-based) des interventions rapportĂ©esdans la littĂ©rature scientifique ; elles s’appuient Ă©galement surdes modĂšles thĂ©oriques (theory-based, c’est gĂ©nĂ©ralement le casdes campagnes de prĂ©vention) qui proposent une liste de dĂ©ter-minants de santĂ© sur lesquels il est possible d’agir.Pour promouvoir des comportements de santĂ© plus sains, uneapproche globale est nĂ©cessaire, intĂ©grant Ă  la fois des informa-tions sanitaires via les diffĂ©rents canaux de communication etdes actions visant Ă  offrir des environnements favorables et inci-tant Ă  un changement de comportement. Il est nĂ©cessaired’encourager le dĂ©veloppement d’approches allant de la prĂ©ven-tion adressĂ©e Ă  la population gĂ©nĂ©rale Ă  la prise en charge desconsommateurs Ă  risque jusqu’à celle de la dĂ©pendance.Il s’agit d’une prioritĂ© qui doit faire l’objet, de maniĂšre urgente,d’un plan national intĂ©grant des actions dont l’objectif est derĂ©duire la consommation d’alcool dans la population française.Pour cela, le groupe d’experts recommande de :‱ limiter l’accĂšs Ă  l’alcool et rĂ©duire son attractivitĂ© grĂące Ă  lalĂ©gislation et Ă  son application ;‱ rendre plus claire la communication des autoritĂ©s publiquesvis-Ă -vis du grand public, sur les risques liĂ©s Ă  la consommationd’alcool ;‱ prĂ©venir les usages Ă  risque de l’alcool en renforçant lesconnaissances et les compĂ©tences des usagers ;‱ former les professionnels de premier recours aux mĂ©thodesd’intervention efficaces ;‱ encourager le dĂ©pistage de la consommation d’alcool Ă  risqueet la mise en place de l’intervention brĂšve ;‱ amĂ©liorer l’efficacitĂ© de la prise en charge de la dĂ©pendance.

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Recommandations

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Limiter l’accĂšs Ă  l’alcool et rĂ©duire son attractivitĂ©grĂące Ă  la lĂ©gislation et son application13

DiffĂ©rentes actions, dĂ©taillĂ©es ci-dessous, sont Ă  la dispositiondes acteurs de la santĂ© publique pour limiter l’accĂšs et rĂ©duirel’attractivitĂ© de l’alcool.

Limiter l’accùs à l’alcool

En augmentant les prix

Augmenter le prix des boissons alcoolisĂ©es grĂące Ă  un systĂšmede taxation adĂ©quat (en fixant un prix minimum par unitĂ© ougramme d’alcool) est une politique de contrĂŽle de la consom-mation d’alcool par l’outil fiscal qui s’est rĂ©vĂ©lĂ©e efficace entermes de diminution de la consommation d’alcool et de sĂ©curitĂ©publiques notamment en Écosse (cette mesure vient d’ĂȘtreadoptĂ©e Ă©galement au Pays de Galles).Par consĂ©quent, le groupe d’experts recommande de faire dusystĂšme de taxation des boissons alcoolisĂ©es un outil de santĂ©publique pour changer les comportements en instaurant un prixminimum des boissons contenant de l’alcool et/ou les taxant enfonction du grammage d’alcool pur contenu ; le niveau de taxa-tion devant ĂȘtre assez Ă©levĂ© pour Ă©viter les effets de reports surd’autres boissons (moins alcoolisĂ©es mais consommĂ©es en plusgrande quantitĂ©).Cette recommandation rejoint la recommandation de recherchepour la mise en place d’un fond gouvernemental abondĂ© par lesproducteurs d’alcool pour financer la recherche et les actions deprĂ©vention en France (Ă  l’instar de ce qui se fait sur le tabac)et ceci Ă  la hauteur des dommages associĂ©s Ă  la consommationd’alcool (fardeau des morbiditĂ©s, en anglais burden of disease).

13. Notamment chez les adolescents : voir l’expertise collective Inserm « Conduites addic-tives chez les adolescents : Usages, prĂ©vention et accompagnement » (2014).78

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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En contrîlant l’accùs aux mineurs

Concernant l’accĂšs physique aux produits alcooliques, la loid’interdiction de vente d’alcool aux mineurs et de vĂ©rificationde leur Ăąge n’est pas respectĂ©e en France. Il convient alors demieux la faire respecter et de doter les personnels en contactavec les clients d’outils facilitant ce contrĂŽle. La littĂ©rature Ă©ta-blit que ces vĂ©rifications, lorsqu’elles sont faites Ă  distance (viaune machine Ă  lecture optique de la piĂšce d’identitĂ© parexemple), sont les mieux Ă  mĂȘme de faire augmenter les tauxde contrĂŽle des ventes d’alcool et ainsi limiter l’accĂšs desmineurs aux produits alcooliques (et donc faire respecter la loi).Par consĂ©quent, le groupe d’experts recommande de :‱ rĂ©aliser des contrĂŽles rĂ©guliers et frĂ©quents du respect del’interdiction de vente d’alcool aux mineurs avec notammentdes achats tests ;‱ mettre en place un systĂšme de vĂ©rification d’ñge automatisĂ©et systĂ©matique du client afin d’amĂ©liorer le respect de la loid’interdiction de vente d’alcool aux mineurs.

En lien avec la recommandation prĂ©cĂ©dente, il convient derendre plus effective la loi en augmentant la sanction encourueet la probabilitĂ© d’ĂȘtre contrĂŽlĂ©. La littĂ©rature en ce domainemontre qu’une application stricte de la loi est efficace.

Par consĂ©quent, le groupe d’experts recommande de reconsi-dĂ©rer Ă  la hausse les sanctions encourues par les vendeursd’alcool en cas de non-respect de l’interdiction de vente auxmineurs.

En réduisant la disponibilité

La littĂ©rature Ă©tablit un lien entre le nombre de dĂ©bits de bois-sons alcoolisĂ©es, la disponibilitĂ© horaire de ces produits et l’inci-dence des dommages de court terme et de long terme de laconsommation d’alcool. En France aujourd’hui, le marchĂ© deslicences IV et les plages horaires de vente des boissons alcooli-sĂ©es sont des prĂ©rogatives des seuls prĂ©fets et des maires. À 79

Recommandations

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l’instar de ce que montrent les expĂ©riences anglaises de gestioncollĂ©giale de ces questions, il faudrait Ă©largir ces prises de dĂ©ci-sions aux parties prenantes que sont les agences rĂ©gionales desantĂ© (ARS) et la sociĂ©tĂ© civile.

Le groupe d’experts recommande donc de restreindre les plageshoraires de vente d’alcool que ce soit Ă  emporter ou Ă consommer sur place ainsi que le nombre de vendeurs agrĂ©Ă©s(nombre de licences II et IV) dĂšs lors qu’un diagnostic local aidentifiĂ© des problĂšmes en termes de sĂ©curitĂ© ou de santĂ© publi-ques. Ceci en renforçant les compĂ©tences des prĂ©fets et desmaires en ce domaine par la crĂ©ation de commissions dĂ©cision-naires Ă©largies. Pour cela, il convient de faire apparaĂźtre la rĂ©duc-tion des risques et des dommages de l’alcool au sein des contratslocaux de santĂ© (CLS) qui participent Ă  la construction desdynamiques territoriales de santĂ©.

RĂ©duire l’attractivitĂ© de l’alcool

Des travaux scientifiques ont analysĂ© l’effet du marketing del’alcool sur les jeunes, particuliĂšrement l’impact de la publicitĂ©qui en est une composante. La trĂšs grande majoritĂ© des recher-ches rĂ©vĂšlent un lien positif et significatif entre l’exposition aumarketing et Ă  la publicitĂ© pour des produits alcooliques et lesattitudes puis les comportements d’alcoolisation des jeunes(l’initiation pour les non-buveurs, l’augmentation de la consom-mation pour les jeunes buveurs et de l’alcoolisation ponctuelleimportante). Ainsi, au-delĂ  de l’influence des pairs, des parentset de la culture, l’état actuel de la recherche souligne le fait quele marketing des industriels de l’alcool joue un rĂŽle pour expli-quer les comportements de consommation de cette population.

En France, le lĂ©gislateur a souhaitĂ© rĂ©glementer les modalitĂ©s depublicitĂ© pour l’alcool. Ainsi la loi Évin du 10 janvier 1991 aposĂ© le principe de la restriction de certains mĂ©dias et de larĂ©gulation du contenu des publicitĂ©s et des packagings des bois-sons alcoolisĂ©es dans le but de rĂ©duire l’attractivitĂ© de ce produit.80

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Toutefois, le lobbying de l’industrie de l’alcool a assoupli consi-dĂ©rablement et rĂ©duit l’efficacitĂ© de la loi Évin (autorisation depromouvoir l’alcool sur les affichages dans les lieux publics etsur internet, etc.) et les modes de communication ont fortementĂ©voluĂ© depuis 1991 (explosion de l’utilisation des rĂ©seauxsociaux).Par ailleurs, des contournements de la loi Évin par les producteursd’alcool sont constatĂ©s en France. Par consĂ©quent, le grouped’experts recommande de :‱ modifier la loi Évin sur la rĂ©gulation de la publicitĂ© dans unsens favorable Ă  la santĂ© publique afin de mieux protĂ©ger lesmineurs et les jeunes ;‱ renforcer les contrĂŽles sur le respect de la loi Évin ;‱ mieux comprendre, cerner et donc contrer les stratĂ©gies demarketing qui valorisent les conduites d’alcoolisation et les pro-duits alcooliques auprĂšs des jeunes ;‱ mettre en place des actions pour contrer, rĂ©duire et dĂ©noncerl’effet du marketing des producteurs d’alcool ;‱ poser un principe de transparence des relations d’influencede l’industrie de l’alcool.

Ces recommandations sont développées ci-aprÚs.

Modifier la loi Évin sur la rĂ©gulation de la publicitĂ© dans un sensfavorable Ă  la santĂ© publique afin de mieux protĂ©ger les mineurs etles jeunes

Il faut ainsi revenir Ă  une version proche de la loi Évin votĂ©een 1991 en France, c’est-Ă -dire :‱ interdire les publicitĂ©s pour les marques d’alcool dans tous leslieux publics (affiches dans la rue, dans les transports encommun, etc.) ;‱ sur internet (qui n’en Ă©tait qu’à ses dĂ©buts en 1991) :

– autoriser seulement les sites institutionnels de marques quiprĂ©sentent les produits de maniĂšre objective et informative,conformĂ©ment Ă  la loi ;

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Recommandations

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– interdire la publicitĂ© et les messages pro alcool sur lesrĂ©seaux sociaux car ils sont trĂšs frĂ©quentĂ©s par les jeunes etinterdire les formes de marketing qui incitent les internautesĂ  rĂ©agir (partager des contenus, participer Ă  des concours,« liker » des contenus, laisser des commentaires, diffuser desphotos, etc.).

‱ pour la presse et la radio, autoriser ces supports de diffusionpublicitaire quand leurs audiences sont trĂšs majoritairement (aumoins 80 %) composĂ©es de majeurs de plus de 18 ans (le pro-ducteur d’alcool devra en fournir la preuve) ;‱ prĂ©ciser que les publicitĂ©s pour les marques d’alcool « alibi »(marque crĂ©Ă©e pour des occasions particuliĂšres qui reprennentles codes d’une marque d’alcool – couleur, style graphique, etc. –sans la mentionner explicitement et textuellement) utilisĂ©es parles producteurs d’alcool pour contourner la lĂ©gislation dans lecontexte d’évĂ©nements (sports, concerts, etc.) sont soumises Ă cette loi, Ă  l’instar des marques d’alcool « classiques ».

Renforcer les contrîles sur le respect de la loi Évin

Il est recommandĂ© de renforcer les contrĂŽles sur le respect de laloi Évin afin qu’elle joue pleinement son rĂŽle : mettre en placedes mesures de suivi et de contrĂŽle de son respect, en particuliersur internet, dans les points de vente, dans le cadre des Ă©vĂ©ne-ments sponsorisĂ©s et sur le contenu des publicitĂ©s et des packa-gings des marques d’alcool.

Mieux comprendre, cerner et donc contrer les stratĂ©giesde marketing qui valorisent les conduites d’alcoolisationet les produits alcooliques auprĂšs des jeunes, en mettant en placedes observatoires rĂ©guliers

Il est recommandĂ© de mettre en place des observatoires rĂ©gulierspour :‱ estimer les budgets consacrĂ©s au marketing et Ă  la publicitĂ©par les producteurs et distributeurs d’alcool en France (par des

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piges marketing14) et s’inspirer de leurs utilisations afin de dĂ©ve-lopper les leviers de prĂ©vention ;‱ analyser les formes et contenus du marketing et de la publicitĂ©dĂ©ployĂ©s par les producteurs et distributeurs d’alcool en France.

Mettre en place des actions pour contrer, rĂ©duire et dĂ©noncerl’effet du marketing des producteurs d’alcool

‱ Diffuser des campagnes de « contre-marketing » sur la mani-pulation publicitaire des producteurs d’alcool dans des pro-grammes d’éducation au sein des Ă©tablissements de l’enseigne-ment (primaires, collĂšges et lycĂ©es) et dans des campagnes deprĂ©vention dans les mĂ©dias pour renforcer les compĂ©tences psy-chosociales des jeunes ;‱ amĂ©liorer la visibilitĂ© des avertissements sanitaires sur lespublicitĂ©s et les packagings des produits alcooliques pour contreret rĂ©duire l’attractivitĂ© de ces deux supports marketing ;‱ proposer des programmes de formation aux Ă©tudiants en santĂ©pour mieux les sensibiliser au marketing et au lobbying del’industrie de l’alcool.

Poser un principe de transparence des relations d’influencede l’industrie de l’alcool

Il a Ă©tĂ© montrĂ© dans la littĂ©rature que les stratĂ©gies d’influenceet de lobbying de l’industrie de l’alcool sont efficaces pour faireĂ©voluer les lois dans un sens dĂ©favorable Ă  la santĂ© publique. EnconsĂ©quence et Ă  l’instar de l’article 26 de la loi du 26 janvier2016 de modernisation de notre systĂšme de santĂ© qui a posĂ© unprincipe de transparence des relations d’influence de l’industriedu tabac, il serait important de poser un principe identique pourl’industrie de l’alcool. Par consĂ©quent, le groupe d’expertsrecommande de s’en inspirer et de :

14. Une pige marketing est un dispositif de recueil des campagnes marketing effectuéessur un ou plusieurs canaux de marketing direct (e-mail, publipostage, etc.) ou sur lesmédias. 83

Recommandations

Page 99: EXPERTISE COLLECTIVE

‱ exiger une dĂ©claration annuelle auprĂšs du ministĂšre des Soli-daritĂ©s et de la SantĂ© de l’ensemble des dĂ©penses liĂ©es aux acti-vitĂ©s directes d’influence et de lobbying (contacts formels etinformels avec les membres du Parlement, SĂ©nat ou du Gouver-nement) de la filiĂšre alcool (producteurs, reprĂ©sentants de lafiliĂšre) ;

‱ exiger des informations et la transparence des actions de lob-bying « indirectes » identifiĂ©es dans la littĂ©rature (non directe-ment liĂ©es aux contacts avec les membres du Parlement, SĂ©natou du Gouvernement) notamment sur :

– le financement et les programmes de recherche et d’ensei-gnement d’écoles et d’universitĂ©s (chaires, projets acadĂ©mi-ques, doctorats, prix scientifiques) ;– les actions de prĂ©vention mises en place par la filiĂšre alcool(producteurs, reprĂ©sentants de la filiĂšre) ;– la prĂ©sence et la participation de la filiĂšre alcool (produc-teurs et reprĂ©sentants de la filiĂšre) Ă  des commissions etgroupes de travail et d’experts publics.

Rendre plus claire la communication des autoritĂ©spubliques vis-Ă -vis du grand public sur les risquesliĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Il est crucial notamment de renforcer les connaissances de lapopulation sur le lien entre la consommation d’alcool et la sur-venue des cancers, des maladies cardiovasculaires, etc. et sur lefait que l’alcool est la premiĂšre cause d’hospitalisations (ce quirĂ©sulte de l’analyse des donnĂ©es du programme de mĂ©dicalisationdes systĂšmes d’information).

En premier lieu, concernant la communication sur les repùresde consommation pour qu’ils soient le plus largement reconnusde tous, le groupe d’experts recommande de continuer àinformer et sensibiliser autour des repùres de consommation84

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 100: EXPERTISE COLLECTIVE

Ă©tablis par SantĂ© publique France et l’Institut national du canceren 2017 :‱ ne pas consommer plus de 10 verres standards par semaine(1 verre standard = 10 grammes d’alcool pur) ;‱ pas plus de 2 verres standards par jour ;‱ avoir des jours dans la semaine sans consommation.

En France, les repĂšres de consommation ont Ă©tĂ© revus Ă  la baissepour les hommes. Pour les femmes, seul le repĂšre hebdomadairea diminuĂ© passant de 14 verres Ă  10 verres standards par semaine.Le niveau de 2 verres par jour est restĂ© quant Ă  lui inchangĂ©pour les femmes. Les nouveaux repĂšres ne font donc plus ladistinction entre les sexes. Le groupe d’experts recommande decontinuer Ă  sensibiliser sur la plus grande vulnĂ©rabilitĂ© desfemmes vis-Ă -vis de l’alcool comparativement aux hommes Ă consommation Ă©gale.

Le groupe d’experts recommande l’utilisation de messages deprĂ©vention, conçus en prenant en compte le niveau de littĂ©ratiedes diffĂ©rentes catĂ©gories de la population, destinĂ©s Ă  l’ensemblede la population, comprĂ©hensibles, spĂ©cifiques et faciles Ă  mettreen application. Ces messages doivent Ă©galement ĂȘtre personna-lisĂ©s et/ou segmentĂ©s pour les groupes les plus vulnĂ©rables. Legroupe d’experts recommande de redynamiser l’avertissementde ne pas consommer de boissons alcoolisĂ©es pour les femmesdĂšs qu’elles envisagent une grossesse, et pour les futures mĂšresjusqu’à la naissance et durant la pĂ©riode d’allaitement.

Au niveau international, le Centre international de recherchecontre le cancer (CIRC) recommande l’abstinence pour prĂ©-venir le dĂ©veloppement des cancers. Toute consommationd’alcool mĂȘme faible comporte un risque pour la santĂ©. LesĂ©tudes rĂ©centes, celles analysant la mĂ©thodologie (c’est-Ă -direles biais et facteurs de confusion) comme celles utilisant unemĂ©thodologie de randomisation mendĂ©lienne (les donnĂ©es nesont pas affectĂ©es par les facteurs de confusion ou des biais),invalident l’existence d’effets « protecteurs » d’une consomma-tion d’alcool faible. Par consĂ©quent, le groupe d’experts 85

Recommandations

Page 101: EXPERTISE COLLECTIVE

recommande d’encourager la rĂ©duction de la consommationd’alcool mĂȘme lorsque les niveaux sont dĂ©jĂ  faibles.

En lien avec une rĂ©duction de la consommation d’alcool mĂȘmequand elle est faible, lancer un dĂ©fi pour rester abstinent pen-dant un mois a dĂ©montrĂ© une efficacitĂ© en termes d’amĂ©liora-tions physiologiques, de qualitĂ© de vie et de sentiment Ă  ĂȘtreplus confiant dans sa capacitĂ© Ă  refuser de consommer del’alcool. Par consĂ©quent, le groupe d’experts recommande decomplĂ©ter la communication sur les campagnes de prĂ©ventionexistantes par de nouveaux dispositifs. Cela peut se faire notam-ment par des opĂ©rations invitant ponctuellement la populationĂ  expĂ©rimenter les bĂ©nĂ©fices de l’arrĂȘt de consommation d’alcool(Le DĂ©fi de Janvier) comme celles du type Dry January enGrande-Bretagne et « TournĂ©e MinĂ©rale » en Belgique.

Concernant les avertissements sanitaires actuellement utilisĂ©sen France, message textuel apposĂ© en bas des publicitĂ©s pour lesmarques d’alcool et pictogramme ou texte insĂ©rĂ© sur les conte-nants d’alcool, respectivement mis en place en France en 1991et en 2007, la littĂ©rature montre qu’ils ont perdu de leur impactavec le temps et que leurs contenus et formats ne sont pas opti-maux. Ces messages Ă©tant essentiels pour informer les consom-mateurs sur les risques et peu coĂ»teux pour les gouvernements,le groupe d’experts recommande de :‱ changer les messages actuellement utilisĂ©s en France car pre-miĂšrement ils ne sont plus regardĂ©s, deuxiĂšmement le contenudu message « l’abus d’alcool est dangereux pour la santĂ© » n’estpas exact au vu de la littĂ©rature scientifique rĂ©cente ; troisiĂšme-ment, les termes « abus » et « modĂ©ration » sont flous et ne sontpas compris, voire sont dĂ©tournĂ©s par l’industrie alcooliĂšre ;‱ agrandir leurs format, taille et saillance sur les publicitĂ©s et lescontenants des boissons alcoolisĂ©es afin qu’ils soient plus visibleset se distinguent du contenu marketing dans lequel ils s’insĂšrent ;‱ insĂ©rer sur les publicitĂ©s et les packagings des messages variĂ©ssur les risques sanitaires et sociaux liĂ©s Ă  la consommation d’alcool(pour toucher des personnes aux sensibilitĂ©s diffĂ©rentes) ;86

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 102: EXPERTISE COLLECTIVE

‱ prĂ©voir un systĂšme de rotation de diffĂ©rents messages, tousles 6 mois par exemple, pour Ă©viter la lassitude et la rĂ©pĂ©tition ;‱ insĂ©rer sur les contenants de nouvelles informations sur lescalories, le grammage d’alcool pur contenu, les repĂšres deconsommation recommandĂ©s par les pouvoirs publics, le nombrede verres standards (unitĂ©s) contenus dans une bouteille, lesingrĂ©dients, la qualitĂ© nutritionnelle, etc. du produit alcoolisĂ©vendu ;‱ utiliser des visuels et/ou des pictogrammes combinĂ©s auxtextes pour augmenter l’impact des messages et toucherl’ensemble de la population.

PrĂ©venir les usages Ă  risque de l’alcool en renforçantles connaissances et les compĂ©tences des usagers

Un enjeu prioritaire pour la prĂ©vention est le renforcement desfacteurs de protection dĂšs le dĂ©but du parcours de vie des indi-vidus. La littĂ©rature suggĂšre de dĂ©velopper des interventions prĂ©-coces visant le renforcement de facteurs gĂ©nĂ©riques de protec-tion telles que les compĂ©tences parentales (par exemple,interactions positives, communication, discipline efficace) et lescompĂ©tences psychosociales des enfants et Ă  travailler plus lar-gement sur les environnements sociaux (notamment le milieuscolaire). Au-delĂ  des effets positifs observĂ©s Ă  long terme surles consommations de substances psychoactives dont la consom-mation d’alcool, ces interventions participent Ă  la rĂ©duction desinĂ©galitĂ©s sociales de santĂ© et Ă  la prĂ©vention d’une large gammede comportements Ă  risque.Les compĂ©tences psychosociales sont des ressources cognitives(prise de dĂ©cision, rĂ©solution de problĂšme, pensĂ©e critique, etc.),Ă©motionnelles (gestion du stress, des Ă©motions, etc.), sociales(communication, affirmation de soi, capacitĂ© d’influence, derĂ©sistance, etc.) et fondamentales qui permettent de faire faceaux exigences de la vie quotidienne, d’interagir de façon

87

Recommandations

Page 103: EXPERTISE COLLECTIVE

satisfaisante avec son environnement et d’exercer une influencepositive pour soi-mĂȘme et son entourage.

Renforcer les compĂ©tences pour prĂ©venir l’entrĂ©e dans lesconsommations

Il est primordial de favoriser les facteurs permettant de prĂ©venirl’entrĂ©e dans les consommations d’alcool problĂ©matiques(actions de soutien Ă  la parentalitĂ© dĂšs le plus jeune Ăąge desenfants, soutien Ă  la scolaritĂ© et Ă  la rĂ©ussite Ă©ducative des Ă©lĂšves,dĂ©veloppement d’activitĂ©s sociales, culturelles ou sportives posi-tives, etc.).Le groupe d’experts recommande donc, Ă  partir de programmesvalidĂ©s ou adaptĂ©s de :‱ aider la mise en place des interventions Ă  destination desfemmes enceintes prĂ©sentant des facteurs de vulnĂ©rabilitĂ© (iso-lĂ©es, primipares, etc.) via des visites Ă  domicile rĂ©alisĂ©es par desprofessionnels formĂ©s. L’objectif Ă©tant d’apporter un soutien psy-chologique et social et d’accompagner le dĂ©veloppement d’unlien d’attachement sĂ»r entre la mĂšre et l’enfant ;‱ encourager les interventions de dĂ©veloppement des compĂ©-tences parentales pour les parents exprimant un besoin d’accom-pagnement. L’objectif Ă©tant de renforcer leurs capacitĂ©s et leursentiment d’efficacitĂ© dans l’exercice de leurs fonctions paren-tales (soutien affectif et supervision) ;‱ dĂ©velopper des interventions de dĂ©veloppement des compĂ©-tences psychosociales des Ă©lĂšves. Ces interventions doivent ĂȘtreaccompagnĂ©es au dĂ©but du collĂšge par de l’information sur lesrisques de la consommation d’alcool Ă  court terme et d’un travailsur la rectification des croyances normatives ;‱ enfin, pour les professionnels de l’éducation mettre en placedes formations pour dĂ©velopper leurs outils de gestion des groupes,de rĂ©gulation des comportements et d’influences positives.L’objectif Ă©tant d’amĂ©liorer le bien-ĂȘtre au travail des profession-nels, de valoriser les Ă©lĂšves, de favoriser les apprentissages et deleur permettre d’internaliser les rĂšgles de conduite en collectivitĂ©.88

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 104: EXPERTISE COLLECTIVE

Les modalités de mise en place de cette prévention

Dans le domaine du dĂ©veloppement des compĂ©tences psycho-sociales, les interventions Ă©valuĂ©es comme efficaces sont struc-turĂ©es, ont une certaine intensitĂ© (un minimum de 6 Ă  8 sĂ©ancespar an), concernent les trois grandes catĂ©gories de compĂ©tences,utilisent des mĂ©thodes expĂ©rientielles (jeux de rĂŽle) et sontconduites par des animateurs prĂ©alablement formĂ©s.La diffusion de messages de prĂ©vention en utilisant les mĂ©diasde masse associĂ©e Ă  des interventions personnalisĂ©es utilisantdes SMS a montrĂ© des rĂ©sultats trĂšs positifs sur les opinions etles comportements. Si les mĂ©dias de masse permettent de tou-cher un grand nombre de personnes, ils peuvent de surcroĂźt ĂȘtreaccompagnĂ©s d’actions personnalisĂ©es pour les personnes les plusconcernĂ©es par les problĂ©matiques de consommation d’alcool etayant donnĂ© leur accord pour recevoir des messages personna-lisĂ©s. Le groupe d’experts recommande donc de :‱ utiliser la communication digitale et la persuasion technolo-gique (par exemple : plateformes d’informations, mĂ©dias sociaux,textes et SMS, SMS combinĂ©s avec le web) afin de susciter denouveaux comportements en termes de rĂ©duction de la consom-mation. La persuasion technologique est constituĂ©e de systĂšmesinformatiques interactifs, de plateformes ou d’interfaces, conçuspour faire Ă©voluer les opinions et les comportements des indi-vidus vis-Ă -vis de l’alcool ;‱ mettre en place, dĂ©velopper, tester et Ă©valuer la e-santĂ© et lesapplications digitales (web, smartphone, SMS) dans la diffusiondes informations relatives Ă  l’alcool sur la base des thĂ©ories duchangement des comportements issues des sciences du compor-tement (par exemple : feedbacks, normes, etc.) (cf. les recom-mandations de recherche).

Les effets et les mĂ©canismes d’influence pouvant ĂȘtre fortementdiffĂ©rents selon les caractĂ©ristiques psychosociales et indivi-duelles, il convient de bien connaĂźtre ces derniĂšres pour mieuxadapter les messages. Le groupe d’experts recommande donc dedĂ©velopper l’usage de messages modulĂ©s selon les publics visĂ©s, 89

Recommandations

Page 105: EXPERTISE COLLECTIVE

qu’il est possible de transmettre via les technologies de l’infor-mation et de la communication (TIC : web, mobile, objetsconnectĂ©s, etc.) ou des mĂ©dias et/ou des supports permettant lasegmentation.

Former les professionnels de premier recoursauxmĂ©thodes d’intervention efficaces

L’objectif est donc de promouvoir une formation initiale etcontinue sur les consommations Ă  risque d’alcool pour tous lesprofessionnels impliquĂ©s dans les premiers recours des usagers.Cela est primordial afin d’amĂ©liorer le repĂ©rage de cescomportements.

La dĂ©claration d’Alma-Ata a Ă©tĂ© Ă©tablie Ă  l’issue de la ConfĂ©-rence internationale organisĂ©e en 1978 par l’Organisation mon-diale de la santĂ© sur les soins de santĂ© primaires. Dans l’article 6de la dĂ©claration : « Les soins de santĂ© primaires sont des soinsde santĂ© essentiels fondĂ©s sur des mĂ©thodes et des techniquespratiques, scientifiquement valables et socialement acceptables,rendus universellement accessibles Ă  tous les individus et Ă  toutesles familles de la communautĂ©, etc. Ils sont le premier niveaude contacts des individus, de la famille et de la communautĂ©avec le systĂšme national de santĂ©, rapprochant le plus possibleles soins de santĂ© des lieux oĂč les gens vivent et travaillent, etils constituent le premier Ă©lĂ©ment d’un processus ininterrompude protection sanitaire ».

Le groupe d’experts recommande donc que les professionnelsde premier recours, en particulier les mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes, lesurgentistes, les pĂ©diatres, les mĂ©decins du travail, les mĂ©decinset infirmiers scolaires, les pharmaciens, les services de mĂ©decineprĂ©ventive dans les universitĂ©s, puissent repĂ©rer les consomma-tions Ă  risque d’alcool. Dans ce sens, le groupe d’experts recom-mande a minima de former au repĂ©rage prĂ©coce et Ă  l’interven-tion brĂšve (RPIB) – qui comprend aussi l’orientation vers une90

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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structure/un acteur de soins adaptĂ© – les professionnels de santĂ©impliquĂ©s dans les premiers recours des usagers.Une vigilance toute particuliĂšre doit ĂȘtre portĂ©e aux futuresmĂšres, dĂšs la pĂ©riode de la conception car la frĂ©quence du syn-drome d’alcoolisation fƓtale (SAF) et des troubles causĂ©s parl’alcoolisation fƓtale (TCAF) est prĂ©occupante compte tenu dela gravitĂ© des atteintes pour l’enfant. La prĂ©vention primaireconsiste Ă  ne pas consommer de boissons alcoolisĂ©es pour lesfutures mĂšres, dĂšs qu’une grossesse est envisagĂ©e. Pour cela, legroupe d’experts recommande de :‱ dĂ©velopper la formation de professionnels (sages-femmes,gynĂ©cologues, gĂ©nĂ©ralistes, etc.) sur comment informer etaccompagner les femmes vers le « zĂ©ro alcool » pendant la gros-sesse et dĂšs son projet ;‱ favoriser la formation de professionnels en puĂ©riculture etpĂ©diatrie pour repĂ©rer prĂ©cocement les troubles causĂ©s parl’alcoolisation fƓtale (TCAF). Cela exige une vĂ©ritable volontĂ©politique de la part des agences rĂ©gionales de santĂ© (ARS) etdes Ă©quipes (rĂ©seaux, personnel hospitalier) pour maintenir unniveau de formation, de compĂ©tences et de vigilance sur le syn-drome d’alcoolisation fƓtale (SAF) et les TCAF.

Encourager le dĂ©pistage de la consommationd’alcool et la mise en place de l’intervention brĂšve

Les patients qui ont une consommation d’alcool Ă  risque sontinsuffisamment identifiĂ©s par le systĂšme de santĂ© et donc trĂšspeu pris en charge. La mise en Ɠuvre Ă  large Ă©chelle du dĂ©pistageet de l’intervention brĂšve en mĂ©decine de premier recours figureparmi les mesures de santĂ© publique les plus efficaces et les moinscoĂ»teuses pour rĂ©duire les dommages liĂ©s Ă  l’alcool. En consĂ©-quence, le groupe d’experts recommande de :

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Recommandations

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‱ favoriser un repĂ©rage systĂ©matique des personnes prĂ©sentantune consommation d’alcool Ă  risque et proposer systĂ©matique-ment une intervention brĂšve Ă  ces personnes ;‱ encourager le dĂ©pistage de toute consommation chez lesfemmes enceintes.

La charge de travail induite par la mise en place du RPIB (repĂ©-rage prĂ©coce – intervention brĂšve) devrait ĂȘtre valorisĂ©e. Legroupe d’experts souhaite que les pouvoirs publics mettent enplace une reconnaissance financiĂšre de cet acte technique (tari-fication d’un acte de « prĂ©vention »).Le dĂ©pistage et les interventions brĂšves Ă©lectroniques utilisantune tablette dans la collectivitĂ© (Ă©coles, armĂ©e, etc.) ou parexemple dans les salles d’attente mĂ©dicales constituent uneopportunitĂ© de toucher une population plus importante et unealternative moins onĂ©reuse qu’un entretien en face-Ă -face. Cecipeut Ă©galement permettre de dĂ©passer certaines barriĂšres Ă l’implĂ©mentation frĂ©quemment observĂ©es telles que lescontraintes de temps pour le personnel soignant et de rĂ©duireles stigmas qui existent autour de la consommation d’alcool. CemodĂšle intĂ©gratif, par Ă©tape, permettrait de combiner un dĂ©pis-tage et une intervention brĂšve Ă©lectroniques pour le plus grandnombre, dans les collectivitĂ©s publiques, Ă©coles, hĂŽpitaux, salled’attente, Ă  des interventions en tĂȘte-Ă -tĂȘte pour les situationsles plus prĂ©occupantes ou lorsque l’usager le demande. Ainsi,une solution par Ă©tapes permettrait non seulement de rĂ©duire laconsommation (et les dommages qui y sont associĂ©s) desconsommateurs d’alcool Ă  risque sans dĂ©pendance, mais aussi derepĂ©rer les personnes dĂ©pendantes Ă  l’alcool et de les orientervers un suivi spĂ©cialisĂ©. En consĂ©quence, le groupe d’expertsrecommande de mettre en place un modĂšle de dĂ©pistage etd’intervention brĂšve en 3 Ă©tapes :1) privilĂ©gier les interventions brĂšves Ă©lectroniques (internet,applications mobiles) pour la population gĂ©nĂ©rale ;2) proposer une intervention brĂšve en mĂ©decine de premierrecours aux personnes Ă  risque le nĂ©cessitant ;

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RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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3) initier une discussion et orienter vers des services spécialisésen addictologie les personnes présentant des dépendances.

Si le dĂ©pistage est positif et qu’il s’agit d’une personne avec uneconsommation Ă  risque, les professionnels de santĂ© de premierrecours doivent pouvoir orienter les patients. C’est pourquoi legroupe d’experts recommande pour la formation professionnellede crĂ©er des modules spĂ©cifiques d’enseignement en addictologie(intĂ©grĂ©s Ă  la formation de base) dans les filiĂšres de santĂ© etmĂ©dico-sociales : Ă©tudiants en mĂ©decine, pharmacie, odonto-logie, soins infirmiers, kinĂ©sithĂ©rapie, ergothĂ©rapeutes, psycho-motriciens, travailleurs sociaux, Ă©ducateurs, etc.Par ailleurs, les professionnels de premier recours doiventconnaĂźtre les diffĂ©rentes techniques de rĂ©duction des risques etdes dommages (RDRD) (programme ALCOCHOIX, informa-tions sur les Ă©quivalences du degrĂ© d’alcool et du volume desboissons, agenda des consommations, bases d’entretien motiva-tionnel par exemple, etc.) liĂ©es Ă  la consommation d’alcool afind’ĂȘtre appliquĂ©es Ă  l’ensemble de la population. Les outils exis-tent mais ils sont peu connus et sous-utilisĂ©s. Le grouped’experts recommande en s’appuyant sur une coordination desÉquipes de Liaison et de Soins en Addictologie (ELSA) et desCentres de Soins, d’Accompagnement et de PrĂ©vention enAddictologie (CSAPA) de :‱ faciliter la rencontre entre des associations d’usagers et desprofessionnels en intĂ©grant en formation continue un travail desmĂ©decins avec un groupe d’usagers ou d’ex-usagers ;‱ mettre en place des interventions brĂšves par des profession-nels de santĂ© formĂ©s.

Il est nĂ©cessaire de former des personnels paramĂ©dicaux et nonspĂ©cialistes de l’addictologie (notamment au sein des associa-tions) aux nombreuses techniques de RDRD, accessibles auxnon-mĂ©decins. Le groupe d’experts recommande de mettre desoutils d’interventions brĂšves Ă  disposition des personnes enga-gĂ©es dans des associations.

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Recommandations

Page 109: EXPERTISE COLLECTIVE

AmĂ©liorer l’efficacitĂ© de la prise en chargede la dĂ©pendance

La dĂ©pendance Ă  l’alcool se caractĂ©rise par son Ă©volution chro-nique, imposant une prise en charge au long cours visant Ă  traiterles Ă©pisodes aigus et prĂ©venir les rechutes. Sa prise en chargenĂ©cessite donc de renforcer la qualitĂ© de l’observance sur le longterme. C’est pourquoi le groupe d’experts recommande de :‱ promouvoir une approche mĂ©dicale de la dĂ©pendance Ă l’alcool Ă  l’image de celle des autres maladies chroniques ;‱ dĂ©velopper des stratĂ©gies de santĂ© publique destinĂ©es Ă  faci-liter l’accĂšs aux soins pour les personnes dĂ©pendantes Ă  l’alcool,comprenant la coordination avec les soins primaires et l’accĂšsaux soins destinĂ©s Ă  prendre en charge les co-addictions et lestroubles psychiatriques co-occurrents ;‱ encourager le dĂ©veloppement des approches multimodalesdans la prise en charge de la dĂ©pendance Ă  l’alcool ;‱ encourager les approches visant un objectif thĂ©rapeutique ini-tial basĂ© sur une approche pragmatique en adĂ©quation avec lestade motivationnel du patient, tout en considĂ©rant l’arrĂȘt del’usage comme l’objectif final Ă  privilĂ©gier ;‱ en amont de la mise en Ɠuvre d’un sevrage thĂ©rapeutique del’alcool, anticiper le projet de soins destinĂ© Ă  prĂ©venir larechute ;‱ favoriser l’implĂ©mentation des stratĂ©gies thĂ©rapeutiques bĂ©nĂ©-ficiant de donnĂ©es probantes d’efficacitĂ© telles que l’entretienmotivationnel, les thĂ©rapies cognitivo-comportementales(TCC), la thĂ©rapie des contingences et la prĂ©vention de larechute par la mĂ©ditation de pleine conscience ;‱ promouvoir le rĂŽle de l’activitĂ© physique et des contactssociaux positifs dans la prĂ©vention de la rechute. L’activitĂ© phy-sique devrait faire partie de façon systĂ©matique des programmesde traitement pour les personnes dĂ©pendantes ;‱ considĂ©rer la reprise d’un logement comme une urgence thĂ©-rapeutique chez tous les patients sans domicile fixe prĂ©sentantune dĂ©pendance Ă  l’alcool sans que l’accĂšs au logement ne soit94

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 110: EXPERTISE COLLECTIVE

assujetti Ă  l’observance prĂ©alable aux soins addictologiques. Eneffet, il existe des liens rĂ©ciproques entre la consommationd’alcool Ă  risque et l’absence de domicile fixe.

La prise en charge intĂ©grative des troubles co-occurrents est Ă privilĂ©gier, notamment s’agissant des co-addictions, des troublespsychiatriques, des troubles cognitifs, des troubles du sommeilet de la douleur chronique. À dĂ©faut, une coordination Ă©troiteentre les prises en charge complĂ©mentaires doit ĂȘtre assurĂ©e.

Les troubles cognitifs liĂ©s Ă  l’alcool concerneraient au moins lamoitiĂ© des patients prĂ©sentant une consommation d’alcool Ă risque. Ces troubles peuvent altĂ©rer la motivation Ă  changer decomportement ainsi que des difficultĂ©s d’apprentissage. EnconsĂ©quence, ils peuvent diminuer l’efficacitĂ© des stratĂ©gies thĂ©-rapeutiques utilisĂ©es en addictologie, notamment les entretiensmotivationnels. Le groupe d’experts recommande doncd’encourager le repĂ©rage systĂ©matique des troubles cognitifs liĂ©sĂ  l’alcool ainsi que leur prise en charge chez tous les patientsprĂ©sentant une dĂ©pendance Ă  l’alcool.

RECOMMANDATIONSDE RECHERCHE

Le financement de la recherche dans le domaine de l’alcoolparaĂźt insuffisant comparativement au coĂ»t sanitaire et socialinduit par la consommation d’alcool et au regard des besoins.Les recommandations de recherche nĂ©cessitent un financementpublic fort qui pourrait se traduire par l’attribution aux orga-nismes de recherche d’une part fixe et non nĂ©gligeable des taxesissues des boissons alcoolisĂ©es recouvrĂ©es par l’État. En complĂ©-ment de ce systĂšme de taxation, afin de financer la recherchesur l’alcool actuellement sous-dotĂ©e, le groupe d’experts recom-mande de rĂ©tablir ce qui Ă©tait prĂ©vu initialement dans le cadrede la loi Évin (1991) : mettre en place un fonds gouvernementalabondĂ© par les producteurs d’alcool pour financer la rechercheet les actions de prĂ©vention en France (Ă  l’instar de ce qui se 95

Recommandations

Page 111: EXPERTISE COLLECTIVE

fait sur le tabac) et ceci Ă  la hauteur des dommages associĂ©s Ă la consommation d’alcool, le fardeau des morbiditĂ©s (burden ofdisease) et le coĂ»t social.

Ce fonds permettrait la mise en place d’un plan national derecherche avec des axes de recherche ayant pour objectifs de :‱ mieux connaĂźtre les usages, les facteurs de risque et les effetssanitaires et sociaux de la consommation d’alcool ;‱ dĂ©velopper, Ă©valuer et valider les outils de prĂ©vention et dedĂ©pistage ;‱ dĂ©velopper, Ă©valuer et valider les stratĂ©gies de prise en charge ;‱ dĂ©velopper la recherche fondamentale, notamment sur lesmarqueurs indiquant l’exposition Ă  l’alcool : cas particulier del’épigĂ©nĂ©tique ;‱ crĂ©er des consortia de recherche permettant d’ĂȘtre compĂ©ti-tifs au niveau mondial.

Mieux connaĂźtre les usages, les facteurs de risqueet les effets sanitaires et sociaux

Mieux recueillir et valoriser les données de consommationset de pratiques

Les donnĂ©es concernant les consommations y compris lesconsommations Ă  risque et les pratiques de consommation sontissues de sources multiples qui rĂ©pondent Ă  des objectifs diffĂ©-rents. Le croisement et l’analyse de ces diffĂ©rentes donnĂ©esconstituent un travail de recherche Ă  part entiĂšre. On manquenotamment de donnĂ©es fiables sur la proportion de personnesayant en France une consommation Ă  risque. Le grouped’experts recommande donc de :‱ mener des enquĂȘtes rĂ©guliĂšres en population gĂ©nĂ©rale concer-nant les nouvelles modalitĂ©s de consommation d’alcool chez lesadolescents et les jeunes adultes (par exemple l’alcool mĂ©langĂ©Ă  des sodas light) ;96

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 112: EXPERTISE COLLECTIVE

‱ Ă©valuer de maniĂšre fine et rĂ©guliĂšre les niveaux de consom-mation d’alcool et ses comorbiditĂ©s au sein des populations ĂągĂ©es ;‱ amĂ©liorer les donnĂ©es de surveillance Ă©pidĂ©miologique despopulations en matiĂšre de consommation d’alcool par lesfemmes pendant la grossesse et les futurs pĂšres, dans les 3 moisqui prĂ©cĂšdent le dĂ©but de grossesse et aprĂšs la naissance – enparticulier pendant l’allaitement.

Améliorer la compréhension des trajectoiresde consommations et des pratiques

Une question clĂ© est celle des trajectoires de consommations, c’est-Ă -dire du risque de dĂ©velopper une addiction Ă  moyen ou longterme parmi les jeunes qui consomment de maniĂšre excessive. Mal-heureusement, peu d’études permettent de produire des estimationsprĂ©cises. C’est pourquoi, le groupe d’experts recommande de :‱ soutenir sur le long terme le dĂ©veloppement d’outils de sur-veillance solides Ă  une Ă©chelle locale et nationale ;‱ soutenir des recherches longitudinales permettant d’évaluerles trajectoires de consommation d’alcool dans le temps et lesfacteurs de risque et protecteurs individuels, familiaux et contex-tuels qui y sont associĂ©s.

Améliorer la compréhension des motivationset des représentations

Le rĂŽle des motivations et des reprĂ©sentations sur les trajectoiresde consommation est mal connu. Or, les conduites addictivessont aussi des pratiques sociales ; elles font sens pour les consom-mateurs, satisfont des besoins, et les reprĂ©sentations comme lesattentes Ă  l’égard d’une pratique sont en gĂ©nĂ©ral socialementconstruites, en particulier au sein de la famille ou du groupe despairs. Une meilleure comprĂ©hension des reprĂ©sentations et desmotivations des consommations d’alcool permettrait une prĂ©-vention plus adaptĂ©e et plus efficace. 97

Recommandations

Page 113: EXPERTISE COLLECTIVE

Le groupe d’experts recommande de dĂ©velopper la rechercheen sciences humaines et sociales sur la comprĂ©hension des usagesdans le but de :‱ mieux comprendre les motivations et le contexte (en parti-culier les facteurs psychologiques et sociaux individuels et col-lectifs) d’une consommation Ă  risque d’alcool ;‱ amĂ©liorer la connaissance des reprĂ©sentations sociales, descroyances, des attitudes, des stĂ©rĂ©otypes liĂ©s Ă  l’alcool selon lesdiffĂ©rentes populations et groupes concernĂ©s ;‱ dĂ©velopper la recherche thĂ©orique et appliquĂ©e sur les pro-cessus et les techniques participant au changement de compor-tements dans le cadre de la consommation d’alcool.

L’objectif est de mieux connaĂźtre et comprendre les opinions etles conditions de changement de nos opinions, connaĂźtre etcomprendre les liens entre ce que nous pensons et ce que nousfaisons, les conditions du changement de comportement, larĂ©sistance au changement afin de mieux pouvoir la contourner.

Mieux Ă©valuer l’impact dumarketing et du lobbyingdes industriels de l’alcool sur les attitudes,les reprĂ©sentations et les comportements

Des recherches sur l’impact du marketing et du lobbying desindustriels sur les consommations d’alcool permettraient d’amĂ©-liorer la portĂ©e des politiques de prĂ©vention mises en place pourchanger les comportements dans un contexte culturel français.

Le groupe d’experts recommande de les dĂ©velopper :‱ pour Ă©valuer l’effet du marketing et de la publicitĂ© dĂ©ployĂ©spar les producteurs d’alcool en France sur des cibles vulnĂ©rablesen particulier sur les formes actuelles de marketing dĂ©veloppĂ©par ces industriels pour toucher les jeunes : internet, rĂ©seauxsociaux, marketing sur les points de vente, packaging et pro-duits, sponsoring/mĂ©cĂ©nat d’évĂ©nements, prĂ©sence des marqueset des produits alcoolisĂ©s dans les films, les sĂ©ries et les clips98

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 114: EXPERTISE COLLECTIVE

musicaux, promotions sur les prix dans les magasins et surinternet ;‱ pour analyser les stratĂ©gies et les arguments de lobbying dĂ©ve-loppĂ©s par les producteurs d’alcool et leurs partenaires en Franceet comment ces stratĂ©gies influencent les politiques publiques.

L’une des stratĂ©gies de l’industrie de l’alcool est de se positionnercomme un « acteur de prĂ©vention » auprĂšs des pouvoirs publicsafin de pouvoir diffuser ses propres messages de prĂ©vention, cen-trĂ©s essentiellement sur la responsabilitĂ© individuelle desconsommateurs et le message de « modĂ©ration » de la consom-mation d’alcool. Le groupe d’experts recommande donc d’étu-dier, documenter et expliciter ces stratĂ©gies de « responsabilitĂ©sociale des entreprises (RSE) » afin que leur contenu et leursobjectifs soient mieux connus et compris des pouvoirs publics,des acteurs de santĂ© et des citoyens.

Pour s’assurer de l’efficacitĂ© des mesures de « contre-marketing »mises en place par les pouvoirs publics pour rĂ©duire la consom-mation d’alcool et changer les reprĂ©sentations positives des pro-duits alcooliques, le groupe d’experts recommande de mettreen place des Ă©tudes sur :‱ l’efficacitĂ© et l’impact, sur la population et sur des cibles spĂ©-cifiques (jeunes, femmes, etc.) des avertissements sanitairesinsĂ©rĂ©s sur les publicitĂ©s et les contenants d’alcool ;‱ l’intĂ©rĂȘt d’insĂ©rer un logo informatif et/ou des messages deprĂ©vention spĂ©cifiques concernant la prĂ©sence des marques etdes produits alcoolisĂ©s dans les films, les sĂ©ries et les clipsmusicaux ;‱ l’efficacitĂ© des mesures protĂ©geant les mineurs et les ciblesvulnĂ©rables contre la publicitĂ© et le marketing des producteursd’alcool.

Mieux connaĂźtre les dommages sanitaires et sociaux

Les travaux d’évaluation du coĂ»t social de l’alcool visent Ă informer sur l’ampleur du phĂ©nomĂšne qu’ils considĂšrent mais 99

Recommandations

Page 115: EXPERTISE COLLECTIVE

aussi Ă  souligner toutes les connaissances manquantes qui vien-nent altĂ©rer la qualitĂ© et l’amplitude de l’estimation.Il existe un dĂ©calage entre les consommations rapportĂ©es et lesventes d’alcool amenant Ă  un facteur de correction (de 2,4) etles chiffres de consommation sont anciens. Par consĂ©quent, legroupe d’experts recommande de :‱ amĂ©liorer la mesure de la consommation d’alcool notammentafin de mieux estimer la morbi/mortalitĂ© liĂ©e Ă  l’alcool ;‱ soutenir des recherches permettant un suivi longitudinal desdonnĂ©es de l’assurance maladie pour quantifier l’évolution deshospitalisations liĂ©es Ă  l’alcool et utiliser d’autres banques dedonnĂ©es pour Ă©tudier le parcours de soins des patients (prise encharge et traitement).

Les incidences socio-sanitaires nĂ©gatives des phĂ©nomĂšnesd’ampleur s’apprĂ©cient de plus en plus souvent sous leur aspectĂ©conomique. La critique la plus importante que l’on peut for-muler Ă  l’encontre des Ă©tudes de coĂ»t social de l’alcool concerneles omissions de comptabilisation de certains types de coĂ»ts. Legroupe d’experts recommande donc de :‱ rĂ©Ă©valuer les estimations de coĂ»ts directs et indirects de l’alcoolpour la collectivitĂ© en tenant Ă©galement compte de la peine etdes souffrances des proches des individus dĂ©cĂ©dĂ©s prĂ©maturĂ©ment ;‱ amĂ©liorer la connaissance de la rĂ©elle utilisation du systĂšme desantĂ© imputable Ă  la consommation d’alcool : au niveau desimpacts de court terme (accidents, violence, etc.) et de ceux delong terme (pathologies attribuables).

Développer, évaluer et valider les outilsde prévention et de dépistage

Outils de prévention

Pour mieux prĂ©venir la consommation d’alcool, il ne suffit pasde mener des recherches prenant la pratique elle-mĂȘme pour100

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 116: EXPERTISE COLLECTIVE

objet, mais il faut Ă©galement conduire des recherches sur lesmoyens de prĂ©venir ces conduites. C’est pourquoi le grouped’experts recommande de renforcer et rendre pĂ©rennes les finan-cements publics de recherches sur les questions de santĂ© liĂ©es Ă l’alcool et ses consĂ©quences, ainsi que sur la recherche inter-ventionnelle dans ce domaine.

Offre/demande

Les politiques de lutte contre l’offre et la demande d’alcool sontefficaces : il est ainsi possible de rendre le fardeau sanitaire etsocial incombant Ă  la consommation d’alcool moins lourd pourla collectivitĂ©. Afin d’aller plus loin dans ce sens, le grouped’experts recommande de :‱ Ă©valuer les impacts sur la santĂ© de l’interdiction de vente auxmineurs, de la taxation des prĂ©-mix ou encore de l’interdictionde vente d’alcool ;‱ effectuer des mesures d’élasticitĂ©-prix de la demande d’alcoolen France pour diffĂ©rentes populations en fonction de diffĂ©rentstypes de boissons mais aussi des mesures d’élasticitĂ©s-prix croi-sĂ©es pour diffĂ©rents produits (tabac, mĂ©dicaments, cannabis etautres substances psychoactives) ;‱ Ă©tudier les stratĂ©gies d’évitement de l’augmentation des taxeset les Ă©ventuels effets de report mis en Ɠuvre par le commerced’alcool ;‱ Ă©tudier le rapport bĂ©nĂ©fice/risque des transferts rĂ©gionaux delicence IV (autorisĂ©s en 2015) vers les zones considĂ©rĂ©es commetouristiques Ă  court terme (via la mesure de l’utilisation des ser-vices d’urgence, la criminalitĂ© violente, la mobilisation dessecours, etc.) comme Ă  long terme (en termes de consommationsd’alcool).

Information

Les recherches montrent que les campagnes de sensibilisationet d’information si elles sont nĂ©cessaires, ne sont pas suffisantes

101

Recommandations

Page 117: EXPERTISE COLLECTIVE

au changement de comportement. Afin de communiquer demaniĂšre plus efficace sur les risques avĂ©rĂ©s et passer Ă  la construc-tion de messages sanitaires efficaces dĂ©bouchant sur des modi-fications comportementales, le groupe d’experts recommandede dĂ©velopper des recherches mobilisant diffĂ©rentes disciplines(sciences du comportement, psychologie, sociologie, neuro-sciences sociales, marketing social, etc.) pour identifier les stra-tĂ©gies et dĂ©velopper la prĂ©vention, et Ă©valuer de maniĂšre systĂ©-matique l’efficacitĂ© de ces stratĂ©gies de prĂ©vention (les prĂ©-testerautant que possible Ă  l’aide de groupes tĂ©moins).Les travaux en psychologie et notamment certaines mĂ©ta-ana-lyses signalent un Ă©cart entre intention et comportement, surtoutsur le moyen et le long terme. Ainsi, il est important d’effectuerdes Ă©tudes contrĂŽlĂ©es incluant des mesures comportementales.Le groupe d’experts recommande donc de :‱ encourager la mise en place d’interventions utilisant des tech-niques de changement des comportements avec des mesurespopulationnelles :

– feedback normatif personnalisĂ© sur sa consommationactuelle (ex. : affichage graphique, etc.) ;– normes descriptives (correspond Ă  ce que la majoritĂ© desgens font dans une situation donnĂ©e) associĂ©es aux normesinjonctives (ce que les autres apprĂ©cient ou pas, elles ren-voient Ă  ce que les gens approuvent ou dĂ©sapprouvent) ;– implĂ©mentation d’intention (planification concrĂšte del’action) si possible accompagnĂ©e par un professionnel. UneimplĂ©mentation d’intention est destinĂ©e Ă  renforcer l’inten-tion Ă  l’origine du comportement, Ă  renforcer le lien entreintention et comportement. Ce renforcement se fait notam-ment en posant trois questions : spĂ©cifier le moment, le lieude sa rĂ©alisation, et la maniĂšre de le faire.

‱ assurer la participation du public visĂ© Ă  la conception et Ă  lamise en Ɠuvre des Ă©tudes peut Ă©galement contribuer Ă  la dura-bilitĂ© des rĂ©sultats et Ă  leur transfert dans des politiques et despratiques de santĂ© publique efficaces.

102

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 118: EXPERTISE COLLECTIVE

Recherche interventionnelle

Pour accompagner la mise en Ɠuvre de programmes efficacespour la prĂ©vention des consommations d’alcool, la rechercheinterventionnelle (dont les objectifs sont la conception, la miseen Ɠuvre concrĂšte et l’évaluation scientifique d’interventionsen santĂ© publique, parmi des populations donnĂ©es) doit ĂȘtredĂ©veloppĂ©e en France. De façon gĂ©nĂ©rale, trop peu d’études sontpubliĂ©es qui renseignent l’efficacitĂ© des dispositifs de prĂ©ventiondĂ©ployĂ©s sur le territoire national.Lorsque des Ă©valuations sont mises en Ɠuvre, les protocoles neprĂ©sentent pas toujours les conditions nĂ©cessaires pour conclureĂ  l’efficacitĂ© des interventions Ă©valuĂ©es ou renseigner les condi-tions d’efficacitĂ© de ces interventions.C’est pourquoi, au-delĂ  des aspects mĂ©thodologiques nĂ©cessairesĂ  l’apport de la preuve (taille d’échantillon suffisante, disponi-bilitĂ© d’un groupe contrĂŽle comparable au groupe intervention,mesures avant-aprĂšs, application de plan d’analyses statistiquesadaptĂ© au jeu de donnĂ©es), le groupe d’experts recommanded’introduire systĂ©matiquement dans les protocoles d’évaluationdes interventions :‱ des indicateurs d’impact (comportements de consommationou dommages liĂ©s Ă  ces comportements) pour renseigner le bĂ©nĂ©-fice de ces programmes en termes de santĂ© publique ;‱ des indicateurs intermĂ©diaires, ceux sur lesquels les interven-tions cherchent Ă  agir (par exemple : attitudes, motivations,etc.) afin de valider le modĂšle d’intervention (c’est bien en agis-sant sur les dĂ©terminants ciblĂ©s par l’intervention que l’onobtient in fine un impact sur les consommations) ;‱ des indicateurs de mise en Ɠuvre (fidĂ©litĂ©, intensitĂ©, assi-duitĂ©) afin de renseigner les conditions d’efficacitĂ© des pro-grammes implantĂ©s.

Enfin, les interventions concernant la prĂ©vention de la consom-mation d’alcool chez les personnes ĂągĂ©es demeurent particuliĂšre-ment hĂ©tĂ©rogĂšnes (en contenu et en intensitĂ©) et mal dĂ©crites,le groupe d’experts recommande donc de dĂ©velopper la recherche 103

Recommandations

Page 119: EXPERTISE COLLECTIVE

sur les interventions de prĂ©vention de la consommation d’alcoolchez les personnes ĂągĂ©es.Concernant les interventions en milieu de travail, peu de don-nĂ©es sont disponibles. L’analyse des interventions suggĂšre cepen-dant que les interventions les plus prometteuses agissent sur leclimat de travail, la gestion du stress, les normes de consomma-tions et limitent l’accĂšs aux boissons alcoolisĂ©es au sein dumilieu professionnel. Le groupe d’experts recommande donc dedĂ©velopper davantage de recherche pour identifier, expĂ©ri-menter et Ă©valuer des programmes de prĂ©vention des consom-mations d’alcool en milieu professionnel.

Par ailleurs, nous ne disposons pas en France de campagnes deprĂ©vention suffisamment longues (sur au moins un mois) pen-dant lesquelles la population recevrait des conseils personnalisĂ©ssur les dommages sanitaires associĂ©s Ă  la consommation d’alcool.Par consĂ©quent, le groupe d’experts recommande de :‱ Ă©valuer et renforcer les connaissances sur l’impact d’une cam-pagne longue et rĂ©pĂ©tĂ©e tous les ans du type Dry January (LeDĂ©fi de Janvier) dans le contexte français pour informer la popu-lation sur la morbi-mortalitĂ© liĂ©e Ă  l’alcool ;‱ dĂ©velopper dans ce cadre des outils de suivi de consommationpour les participants qui pourraient aussi recevoir des conseils per-sonnalisĂ©s (les aidant Ă  atteindre les objectifs qu’ils se sont fixĂ©s).

DĂ©pistage et diagnostic

L’adaptation et l’évaluation des dispositifs de dĂ©pistage des pro-blĂšmes de consommation d’alcool et d’addiction Ă  l’alcool doi-vent pouvoir s’appuyer sur des recherches fondamentales por-tant sur les comportements et sur l’efficacitĂ© de diffĂ©rentesapproches en relation avec les caractĂ©ristiques individuelles.Concernant les dispositifs de dĂ©pistage et de diagnostic, legroupe d’experts recommande de :

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RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 120: EXPERTISE COLLECTIVE

‱ pour les troubles liĂ©s Ă  la consommation d’alcool durant lapĂ©riode pĂ©rinatale :

– encourager le perfectionnement des mĂ©thodes d’analyse dumĂ©conium et du placenta Ă  des fins de repĂ©rage des enfantsexposĂ©s Ă  l’alcool en fin de grossesse ;– Ă©laborer des stratĂ©gies de dĂ©pistage, tels que des entretiensapprofondis avec les mĂšres ou les futures mĂšres sur la consom-mation d’alcool en cas d’indication clinique ou de biomar-queurs positifs ;– rĂ©aliser une Ă©valuation Ă  large Ă©chelle de l’utilitĂ© de posersystĂ©matiquement des questions sur la consommation de bois-sons alcoolisĂ©es dĂšs le dĂ©but de la grossesse (ou Ă  l’arrĂȘt de lacontraception). Cette Ă©valuation devrait ĂȘtre rĂ©alisĂ©e en basepopulationnelle, locale, rĂ©gionale ou nationale ;– dĂ©velopper des programmes de rĂ©Ă©ducation/rĂ©adaptationspĂ©cifiques aux enfants atteints de SAF ou TCAF jusqu’àl’ñge de consolidation des apprentissages. Travailler sur lescontenus des programmes, leur mise en Ɠuvre et l’évaluationde leur efficacitĂ©.

‱ pour le repĂ©rage prĂ©coce et intervention brĂšve (RPIB) :mieux Ă©valuer les composants actifs de cette intervention enparticulier ceux intĂ©grant la personnalitĂ© et la qualitĂ© de l’inter-venant, mais aussi les questionnaires choisis, AUDIT et FACE,et dĂ©finir les populations sur lesquelles cette intervention est leplus efficace ;

‱ pour les dĂ©marches de RDRD, qui doivent se dĂ©velopper avecune exigence d’évaluation et des critĂšres d’efficacitĂ© :

– Ă©valuer la relation entre la RDRD et le risque de suicide.Une intervention de rĂ©duction des consommations pourraitĂȘtre associĂ©e Ă  une baisse du risque suicidaire, mais les travauxĂ©tablissant cette corrĂ©lation sont rares ;– Ă©valuer la relation entre la RDRD et les troubles cognitifs ;– Ă©valuer les interactions entre l’utilisation d’actions deRDRD pour une personne donnĂ©e, et le vĂ©cu de la collecti-vitĂ© et de l’entourage. 105

Recommandations

Page 121: EXPERTISE COLLECTIVE

Développer, évaluer et valider les stratégies de priseen charge

Les stratĂ©gies de prise en charge des consommateurs Ă  risque etdes personnes dĂ©pendantes sont nombreuses et certaines sontencore en dĂ©veloppement. Il est important que ces diffĂ©rentesstratĂ©gies soient Ă©valuĂ©es, tant en termes d’évolution de laconsommation d’alcool que de retentissement sur la morbi-mor-talitĂ© et la qualitĂ© de vie. De plus, le diagnostic prĂ©coce, l’amĂ©-lioration de l’accĂšs aux dispositifs de soins ainsi que la person-nalisation des stratĂ©gies mises en Ɠuvre constituent des enjeuxmajeurs.Le groupe d’experts recommande donc de :‱ dĂ©velopper de nouvelles stratĂ©gies de diagnostic prĂ©coce etd’interventions en les Ă©valuant suivant leur efficacitĂ©, y comprissur le moyen et le long terme ;‱ dans les Ă©tudes Ă©valuant l’efficacitĂ© des stratĂ©gies non mĂ©di-camenteuses, distinguer les stratĂ©gies utilisables pour lesconsommateurs Ă  risque de celles adaptĂ©es aux personnes dĂ©pen-dantes. De plus, prioriser ces stratĂ©gies en fonction de leur effi-cacitĂ©, notamment en conduisant une actualisation des donnĂ©esanglo-saxonnes issue de NICE (National Institute for Health andCare Excellence) et MESA GRANDE15 ;‱ dĂ©finir des objectifs de recherche prĂ©cis concernant l’effica-citĂ© des techniques de RDRD et portant notamment sur larĂ©duction des consommations, l’amĂ©lioration de la qualitĂ© devie et la durĂ©e des effets de ces techniques ;‱ favoriser les recherches portant sur l’évolution de la morbi-mortalitĂ© des consommateurs Ă  risque et des personnes dĂ©pen-dantes lors de l’utilisation de techniques de RDRD ;‱ favoriser l’évaluation des dispositifs destinĂ©s Ă  amĂ©liorerl’accĂšs aux soins des patients dĂ©pendants Ă  l’alcool ;

15. Projet de revue des essais cliniques de traitements des troubles liĂ©s Ă  la consomma-tion d’alcool.106

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 122: EXPERTISE COLLECTIVE

‱ standardiser les programmes d’activitĂ© physique pour amĂ©-liorer l’analyse de leurs bĂ©nĂ©fices chez les consommateurs Ă risque et les personnes dĂ©pendantes ;‱ favoriser les recherches destinĂ©es Ă  mieux comprendre les fac-teurs prĂ©dictifs de maintien de l’abstinence au dĂ©cours d’unsevrage thĂ©rapeutique ;‱ Ă©valuer la technique de stimulation transcrĂąnienne magnĂ©-tique (rTMS) ou Ă  courant continu direct (tDCS) en modĂ©li-sant les techniques (positionnement des Ă©lectrodes pour latDCS, choix de la rĂ©gion cĂ©rĂ©brale, frĂ©quences des stimulus) surdes effectifs de patients dĂ©pendants suffisants permettant unsuivi sur la durĂ©e. Mieux comprendre son mode d’action, directou indirect (action sur l’humeur) ;‱ poursuivre l’évaluation de la prise en charge des personnesdĂ©pendantes par l’acupuncture en identifiant une technique etdes points susceptibles d’ĂȘtre utilisĂ©s de façon standardisĂ©e.

DĂ©velopper la recherche fondamentale, notammentsur les marqueurs biologiques indiquant l’expositionĂ  l’alcool : le cas particulier de l’épigĂ©nĂ©tique

L’épigĂ©nĂ©tique est un domaine de recherche trĂšs rĂ©cent dont lesrĂ©sultats ont mis en avant et Ă©valuĂ© des mĂ©canismes molĂ©culairesdĂ©terminants pour notre comprĂ©hension de la façon dont lesconsommations d’alcool durant la grossesse endommageraient laformation du cerveau, son fonctionnement et son intĂ©gritĂ© Ă  l’ñgeadulte. Les recherches ont mis en Ă©vidence le dĂ©pĂŽt de signaturesĂ©pigĂ©nĂ©tiques aberrantes dans le cerveau qui pourraient constituerdes biomarqueurs d’exposition, en combinaison avec d’autres bio-marqueurs. De plus, la rĂ©versibilitĂ© des mĂ©canismes Ă©pigĂ©nĂ©tiquesnourrit l’espoir de pouvoir restaurer un paysage Ă©pigĂ©nĂ©tique nonmodifiĂ© chez les patients en rectifiant l’expression de gĂšnes d’impor-tance pour le neuro-dĂ©veloppement ou les fonctions neuronales,grĂące aux techniques trĂšs ciblĂ©es « d’édition » de l’épigĂ©nome. 107

Recommandations

Page 123: EXPERTISE COLLECTIVE

Le groupe d’experts recommande donc de soutenir la rechercheen Ă©pigĂ©nĂ©tique liĂ©e aux TCAF et plus gĂ©nĂ©ralement auxconsommations Ă  risque d’alcool Ă  des fins d’identification debiomarqueurs robustes et de stratĂ©gies de remĂ©diation mĂ©dica-menteuses ou non.

CrĂ©er des consortia de recherche permettantd’ĂȘtre compĂ©titifs

Dans l’optique de la mise en place d’un plan national derecherche, il est important d’inscrire cet effort dans unedĂ©marche plus large de structuration de la recherche tendant Ă l’élaboration de principes et d’un savoir-faire collectifs.C’est pourquoi le groupe d’experts recommande de :‱ mettre en place au niveau national des projets d’envergurespĂ©cifiquement sur le thĂšme de l’alcool et avec les technologiesde pointe (donnĂ©es massives, cohortes, suivis longitudinauxtranslationnels, imagerie, phĂ©nomics et « omics » en gĂ©nĂ©ral) ;‱ crĂ©er des partenariats avec de grandes cohortes internatio-nales dont le recrutement et la limitation des facteurs confon-dants sous-jacents seront maĂźtrisĂ©s (historique d’exposition Ă l’alcool, diagnostic, pronostic, stratĂ©gies de prise en charge).

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RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 124: EXPERTISE COLLECTIVE

Annexe 1 : Expertisecollective Inserm :principes et méthode

L’Expertise collective Inserm16 a pour mission d’établir un bilandes connaissances scientifiques sur un sujet donnĂ© dans ledomaine de la santĂ© Ă  partir de l’analyse critique de la littĂ©raturescientifique internationale. Elle est rĂ©alisĂ©e Ă  la demande d’ins-titutions (ministĂšres, organismes d’assurance maladie, agencessanitaires, etc.) souhaitant disposer des donnĂ©es rĂ©centes issuesde la recherche utiles Ă  leurs processus dĂ©cisionnels en matiĂšrede politique publique.L’expertise collective est une mission de l’Inserm depuis 1994.PrĂšs de quatre-vingts expertises collectives ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es dansde nombreux domaines de la santĂ©. L’Inserm est garant desconditions dans lesquelles l’expertise est rĂ©alisĂ©e (pertinence dessources documentaires, qualification et indĂ©pendance desexperts, transparence du processus) en accord avec sa Charte del’expertise qui en dĂ©finit la dĂ©ontologie17.Le PĂŽle expertise collective Inserm rattachĂ© Ă  l’Institut thĂ©ma-tique SantĂ© publique de l’Inserm assure la coordination scien-tifique et technique des expertises selon une procĂ©dure Ă©tabliecomprenant six Ă©tapes principales.

16. Label dĂ©posĂ© par l’Inserm17. https://www.inserm.fr/sites/default/files/media/entity_documents/INSERM_CharteEx-pertise.pdf 109

Page 125: EXPERTISE COLLECTIVE

Instruction de la demande du commanditaire

La phase d’instruction permet de prĂ©ciser la demande avec lecommanditaire, de vĂ©rifier qu’il existe une littĂ©rature scienti-fique accessible sur la question posĂ©e et d’établir un cahier descharges qui dĂ©finit le cadrage de l’expertise (pĂ©rimĂštre et prin-cipales thĂ©matiques du sujet), sa durĂ©e et son budget Ă  traversune convention signĂ©e entre le commanditaire et l’Inserm. Lademande du commanditaire est traduite en questions scientifi-ques qui seront discutĂ©es et traitĂ©es par les experts.

Constitution d’un fonds documentaire

À partir de l’interrogation des bases de donnĂ©es bibliographiquesinternationales et du repĂ©rage de la littĂ©rature grise (rapportsinstitutionnels, etc.), des articles et documents sont sĂ©lectionnĂ©sen fonction de leur pertinence pour rĂ©pondre aux questionsscientifiques du cahier des charges, puis sont remis aux experts.Ce fonds documentaire est actualisĂ© durant l’expertise etcomplĂ©tĂ© par les experts selon leur champ de compĂ©tences.

Constitution du groupemultidisciplinaire d’experts

Pour chaque expertise, un groupe d’experts de 10 Ă  15 personnesest constituĂ©. Sa composition tient compte d’une part desdomaines scientifiques requis pour analyser la bibliographie etrĂ©pondre aux questions posĂ©es, et d’autre part de la complĂ©men-taritĂ© des approches et des disciplines.

Les experts sont choisis dans l’ensemble de la communautĂ©scientifique française et parfois internationale. Ce choix se fondesur leurs compĂ©tences scientifiques attestĂ©es par leurs publica-tions dans des revues Ă  comitĂ© de lecture et la reconnaissance110

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 126: EXPERTISE COLLECTIVE

par leurs pairs. Les experts doivent ĂȘtre indĂ©pendants du parte-naire commanditaire de l’expertise et de groupes de pressionreconnus. Chaque expert doit complĂ©ter et signer avant le dĂ©butde l’expertise une dĂ©claration de lien d’intĂ©rĂȘt conservĂ©e Ă l’Inserm.

La composition du groupe d’experts est validĂ©e par la Directionde l’Institut thĂ©matique SantĂ© publique de l’Inserm.

Le travail des experts dure de 12 à 18 mois selon le volume delittérature à analyser et la complexité du sujet.

Analyse critique de la littérature par les experts

Au cours des rĂ©unions d’expertise, chaque expert est amenĂ© Ă prĂ©senter son analyse critique de la littĂ©rature qui est mise endĂ©bat dans le groupe. Cette analyse donne lieu Ă  la rĂ©dactiondes diffĂ©rents chapitres du rapport d’expertise dont l’articulationet la cohĂ©rence d’ensemble font l’objet d’une rĂ©flexioncollective.

Des personnes extĂ©rieures au groupe d’experts peuvent ĂȘtre audi-tionnĂ©es pour apporter une approche ou un point de vue complĂ©-mentaire. Selon la thĂ©matique, des rencontres avec les associa-tions de la sociĂ©tĂ© civile peuvent ĂȘtre Ă©galement organisĂ©es parle PĂŽle expertise collective afin de prendre connaissance desquestions qui les prĂ©occupent et des sources de donnĂ©es dontelles disposent.

SynthĂšse et recommandations

Une synthĂšse reprend les points essentiels de l’analyse de lalittĂ©rature et en dĂ©gage les principaux constats et lignes de force.La plupart des expertises collectives s’accompagnent de recom-mandations d’action ou de recherche destinĂ©es aux dĂ©cideurs. 111

Annexe 1 : Expertise collective Inserm : principes et méthode

Page 127: EXPERTISE COLLECTIVE

Les recommandations, formulĂ©es par le groupe d’experts,s’appuient sur un argumentaire scientifique issu de l’analyse.L’évaluation de leur faisabilitĂ© et de leur acceptabilitĂ© socialen’est gĂ©nĂ©ralement pas rĂ©alisĂ©e dans le cadre de la procĂ©dured’expertise collective. Cette Ă©valuation peut faire l’objet d’unautre type d’expertise.

Publication de l’expertise collective

AprĂšs remise au commanditaire, le rapport d’expertise constituĂ©de l’analyse, de la synthĂšse et des recommandations est publiĂ©par l’Inserm.En accord avec le commanditaire, plusieurs actions de commu-nication peuvent ĂȘtre organisĂ©es : communiquĂ© de presse, confĂ©-rence de presse, colloque ouvert Ă  diffĂ©rents acteurs concernĂ©spar le thĂšme de l’expertise (associations de patients, profession-nels, chercheurs, institutions, etc.).Les rapports d’expertise sont disponibles en librairie et sontaccessibles sur le site internet de l’Inserm18. Par ailleurs, la col-lection complĂšte est disponible sur iPubli 19, le site d’accĂšs libreaux collections documentaires de l’Inserm.

18. https://www.inserm.fr/information-en-sante/expertises-collectives19. http://www.ipubli.inserm.fr112

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 128: EXPERTISE COLLECTIVE

Annexe 2 : Recherchebibliographique

Compte tenu de l’ampleur du sujet et de l’abondance de la lit-tĂ©rature, la recherche bibliographique s’est focalisĂ©e sur les don-nĂ©es les plus rĂ©centes (2016-2020). Seules les mĂ©ta-analyses etles revues systĂ©matiques ont Ă©tĂ© recherchĂ©es sur une pĂ©riode pluslarge (2014-2020).

Bases interrogées

Medline-PubMed,Web of sciences, Psycinfo, Scopus, Cochrane,Cairn, Socindex et Banque de données en santé publique(BDSP).

Principaux sites interrogés

Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies(OFDT), Observatoire EuropĂ©en des Drogues et des Toxicoma-nies (OEDT), Mission InterministĂ©rielle de Lutte contre lesDrogues et les Conduites Addictives (MILDECA), SantĂ©publique France (SPF), SociĂ©tĂ© Française d’Alcoologie (SFA),OMS Europe (Organisation Mondiale de la SantĂ©), Alcoholresearch UK, Reducting Alcohol Related Harm (RARHA),National Institute for Health and Care Excellence (NICE),Centers for Disease Control and Prevention (CDC), NationalInstitute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAA).

113

Page 129: EXPERTISE COLLECTIVE

Principauxmots-clés utilisés

En fonction des bases utilisĂ©es, la stratĂ©gie de recherche a Ă©tĂ©rĂ©alisĂ©e soit avec les mots du thĂ©saurus ou de l’index des basesinterrogĂ©es, soit en mots du texte (Titre, Abstract). LessĂ©quences entre les guillemets indiquent une suite de motsrecherchĂ©e in extenso et le symbole * indique les mots-clĂ©sutilisĂ©s avec une troncature.La requĂȘte utilisĂ©e pour la thĂ©matique Alcool a Ă©tĂ© croisĂ©e avecles diffĂ©rentes sous-thĂ©matiques.

Alcool

Alcohol, Ethanol, “Alcoholic beverages”, “Alcohol drinking”,“Alcoholism”, “Alcohol abuse”, “Alcohol misuse”, “Alcohol-related disorders”, “Alcohol use disorders”, Alcoholic, “Alcoholdependen*”, “Binge drinking”, “Hazardous drinking”, “Heavydrinking”, “Energy drink”, Drunkorexia, “Alcoholic beverage”,“Drinking behavior”, “Underage drinking”

Exposition périnatale

“Prenatal ethanol exposure”, “Fetal alcohol spectrum disorders”,Pregnan*, Breastfeed*, Maternal, “Alcohol-exposed pregnancies”

ÉpidĂ©miologie

Epidemiology, Prevalence, Incidence, Trends“Cohort studies”, “Longitudinal studies”, “Follow up studies”,“Twin study”

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RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

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Consommation

Consumption, Trajector*, Pattern

Facteurs de risque, déterminants

“Risk factors”, Determinant, Determining, Predictors, Predic-tion, Trajectories, Personality, “Family history”, Family, Social,Lifestyle, “Occupational status”, “Job characteristics”, Occupa-tion*, Workplace, Employ*, Sport*, Athlet*, “Physical acti-vity”, Training, Fitness, Genre, “Human sex differences”, Les-bian, Gay, Bisexual, LGB, “Sexual minority”, Transgender, Age,Environment, GeneticAdvertising, Advertisements, “Text messaging”, Publicity,“Mass media”, Warning, Message, Marketing

Facteurs protecteurs

“Protective factors”, Protector, Protecting, “Beneficial effect”,“Dose response”

Conséquences sur la santé

“Alcohol-related disorders”, “Alcohol induced disorders”,“Adverse effects”“Neurodegenerative disease”, Dementia, Alzheimer, Parkinson,Depressi*, Psychiatr*, Anxiety, Mental, “Eating disorders”,Sleep, Insomnia, Cancer, Melanoma, “Heart diseases”, “Cardio-vascular diseases”, “Heart failure”, Atherosclerosis, Liver, Dia-betes, Obesity, “Metabolic diseases”Mortality, Death

115

Annexe 2 : Recherche bibliographique

Page 131: EXPERTISE COLLECTIVE

Effets des faibles doses

Low dose*, “Light alcohol”, “Light drinking”, “Light-to-mode-rate”, “Chronic exposure”

Fonctions cognitives

Cognition, Memory, “Cognitive ability”, “Cognitive develop-ment”, “Cognitive impairment”, “Cognitive dysfunction”,“Mental process”, “Executive function”

ÉpigĂ©nĂ©tique

Epigenetic, Epigenomic, Epigenesis, “Gene environment inte-raction”, “Environmental exposure”, SusceptibilityTransgeneration*, Intergeneration*, “Paternal exposure”,“Maternal exposure”, Heredit*, “Germ cells”, Germline, Ger-minal, Gamet, “Somatic cells”“DNA Methylation”, RNA, miRNA, Histone, Phenot*,Chromatin*

Psychologie

Psychology, Motivation, Willingness, Pleasure, Feedback, “Sen-sation seeking”, Perception, “Perceived norms”, Sensitivity, Per-sonality, Coping, Impulsiv*, Vulnerabilit* ; “Adolescentbehavior”

DĂ©pistage et diagnostic

Screening, Testing, Diagnos*, Biomarker*, Meconium, Scale,Questionnaire, Examination“Screening and brief intervention”, SBI

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RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 132: EXPERTISE COLLECTIVE

Prise en charge nonmédicamenteuse

“Treatment Outcome”, Therapy, RehabilitationPsychotherapy, “Cognitive behavior therapy”, “Motivationaltherapy”, “Cooperative Behavior”, Counseling, “Peer Group”,“Mind-Body Therapies”, Mindfulness, “Complementary Thera-pies”, “Psychiatric Somatic Therapies”, “Physical TherapyModalities”, “Psychological Techniques”, “Virtual Reality”,“Electric Stimulation Therapy”, “Transcutaneous Electric NerveStimulation”, “Transcranial Direct Current Stimulation”,“Transcranial Magnetic Stimulation”“Self-Help Groups”, “Alcoholics anonymous”

RĂ©duction des risques

“Harm reduction”, “Harm minimization”, Reduc* harm, “Redu-cing consumption”, “Risk reduction behavior”

Prévention

Prevention, Program*, Intervention, Campaign“Health promotion”, “Health education”, “Consumer healthinformation”, School, Family, Parent*“Social marketing”, “Mass media”, Media, “Text messaging”,MessageInternet, Network, eHealth, “Mobile application”, Smart-phones, “Cell phone”, “Mobile Phone”Efficacy, Effectiveness, Evaluation, Assessment, Outcomes,Model

Politique

“Public Health”, Political, “Policy making”, Policy, Policies,“Government policy making”, Government, Law 117

Annexe 2 : Recherche bibliographique

Page 133: EXPERTISE COLLECTIVE

Labeling, Label, Warning, Pictogram, PictoriallyPrice, Pricing, Taxe*, TaxationIndustry, Lobbying

Coût

Cost, Economics, “Cost effectiveness”, “Cost consequences”,“Cost social”, “Cost-benefit”, “Cost-utility”, “Cost of diseases”,“Health care cost”, “Cost of illness”, “Cost and cost analysis”,“Cost benefit analysis”, “Models econometric”Qaly, Daly

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RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Page 134: EXPERTISE COLLECTIVE

POUR COMMANDER L’OUVRAGE D’EXPERTISE COLLECTIVE

RĂ©duction des dommages associĂ©s Ă  la consommation d’alcool

Éditions EDP Sciences, mai 2021, 736 pages, 70 e

Collection Expertise collective

ISBN 978-2-7598-2605-6

Pour tout renseignement

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17, avenue du Hoggar

PA de CourtabƓuf

91944 Les Ulis Cedex A, France

TĂ©l. : 01 69 18 75 75

Fax : 01 69 86 06 78

E-mail : [email protected]

www.edpsciences.org

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AchevĂ© d’imprimer en mai 2021 par Corlet Imprimeur14110 CondĂ©-en-Normandie

DĂ©pĂŽt lĂ©gal : mai 2021 - no d’imprimeur : 20120682 - ImprimĂ© en France

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ISBN 978-2-7598-2606-3ISSN 1264-1782

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