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Portrait de Marina Tsvetaeva de Vysheslavtsev • Portrait au crayon de Marina Tsvetaeva adulte de A.Bilis www.france-russie2010.fr www.ville-vanves.fr

Exposition Marina Tsvetaeva

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Exposition sur la poétesse russe Marina Tsvetaeva mise en place à Vanves en septembre 2010

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Page 1: Exposition Marina Tsvetaeva

Portrait de Marina Tsvetaeva de Vysheslavtsev • Portrait au crayon de Marina Tsvetaeva adulte de A.Bilis www.france-russie2010.fr www.vi l le-vanves. fr

Page 2: Exposition Marina Tsvetaeva

Une grande poétesse russe a vécu au 33/ 65,rue Jean-Baptiste Potin, l’un des plusanciens immeubles de Vanves.Cette demeure est décrite dans son longpoème lyrique « La Chanteuse ». MarinaTsvetaeva y a passé quatre années decréation intense (1934-1938). Les œuvres vanvéennes sont particulières et abon-dantes dans des genres différents :poésie, prose, correspondances… Marina Tsvetaeva a renoué alors avec la

poésie lyrique, abandonnée depuis sonséjour à Prague, et se lance dans une nou-velle série, celle de poèmes « indignés ».Elle poursuit également la grande veine de prose autobiographique commencéedans les banlieues proches où elle résidaitauparavant : Meudon et Clamart.Elle inaugure aussi à Vanves l’itinérairedouloureux du retour au pays et célèbreson amour de la Russie, tout en faisant sesadieux à la France.

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La maisonMaison – épaisse verdure,Vigne vierge et chèvrefeuille,Maison peu familière.Maison si peu mienne !Maison – au regard sombre

Aux âmes lourdes, Le dos tourné, à la cité,Les yeux fixés sur la forêt,Gaie, aux cornes de cerf,Joyeuse, comme une ourse,

Chaque fenêtre – un regard,Et dans toutes – une personne !Le fronton dans la glaiseChaque fenêtre – une icôneChaque regard – une fenêtre,

Les visages, des ruines,Les arènes de l’histoire, Marronniers du passé Moi j’y chante et j’y vis.

Les chemises aux bras longsSe lamentent dans le vent,Liberté du passé,D’un combat dans ces murs.

Lutte pour vivre et survivre,Chaque instant, chaque volée,Lutte à mort de ses bras,Mort pour vivre et chanter !

Sans odeur de richesse,Sans confort de fauteuil,Le méchant, la pauvresseS’y retrouvent à plaisir.

Le bonheur des oiseaux,Dans les niches et recoins,

Temps pour nous – de nos comptes,Des vengeances populaires,

Une maison dont je n’aurai pas honte.

(entre juillet et septembre 1935) Vue de la rue Jean-Baptiste Potin vers 1930.La maison de Marina Tsvetaeva aujourd’hui,

65, rue Jean-Baptiste Potin.

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La maison de Vanves rue Jean-Baptiste Potin, vers 1930. Lors de l’arrivée de Tsvetaeva en 1934, la demeure portait le numéro 33 mais cette numérotation a été modifiée l’année suivante.

Remerciements à Véronique Lossky, professeur émérite de l’Université Paris IV - Sorbonne, pour les textes de

l’exposition et la traduction des poèmes.

Remerciements à Alexandra Svinina pour l’iconographie.

Manifestation organisée dans le cadre de l’année croisée France-Russie 2010 / www.france-russie2010.fr

Page 3: Exposition Marina Tsvetaeva

Née à Moscou dans une famille d’intellectuels, Tsvetaeva a reçu uneéducation privilégiée, en partie à la maison, en partie à l’étranger.Nourrie de culture européenne, allemande en particulier, elle com-mence à écrire des vers à l’âge de six ans, alors que sa mère veutfaire d’elle une musicienne. Après la révolution russe de 1917, la jeune

Marina Tsvetaeva est déjà un poète connu. Mariée et mère de famille,elle passe deux ans seule à Moscou avec ses filles, Ariane et Irina, laplus jeune qui mourra de faim avant d’avoir atteint ses trois ans.

Plus tard : Tsvetaeva note dans

Ma mère et la Musique :

C’est le temps où les poèmes jaillissent si vite que Marina ne peut lesécrire, des bribes de vers sont inscrits sur les murs de son logisdévasté, alors qu’elle élève ses deux filles seule, dans une ville livrée àla famine, au froid et au pillage, sans nouvelles de son mari combattantdans l’Armée blanche en déroute.

Mais dans cette période de guerre au nom d’une société nouvelle, de privations et de désolationgénérale, Marina Tsvetaeva ne se fait aucune illusion sur les orientations du nouveau régime politiqueauquel elle n’adhère pas vraiment :

À sa fille, Alia

« Ma mère nous a inondés de lyrisme »

Un jour, ô ma gracieuse créature,Je deviendrai pour toi un souvenir,Perdu dans tes yeux bleus, au loinDe ta mémoire, dans le lointain.Tu oublieras : et mon profil au nez busqué,Et mon front couronné de fumée, Mon rire importun et fréquentMa main calleuse aux bagues d’argent,Notre logis d’antan, notre grenier-cabine,De mes papiers la confusion divine,L’année terrible : malheurs et liesseDe ton enfance, de ma jeunesse.

(Moscou 1919, sa fille Ariane allait avoir huit ans)

Je te conterai le plus grand des mensongesJe conterai pour toi le soir qui tombe et l’ombre.Les feuilles vertes et les vieilles souchesEt les lumières éteintes et rien ne bouge.Venu de loin, un homme, sa flûte en main,Jeune, assis, nu, il joue sans fin.La grande tromperie je conterai,La lame perfide dans la main

Le trou brûlant de la lame en mon seinEt de tes femmes les boucles blondes,Et le sourire de tes enfants.Et des vieillards le menton blanc.Je te conterai le plus grand des fracasLe tumulte sonore de mon siècle, le ferDu galop des chevaux contre les pierres.

Poème de 1917 Moscou

Ariane enfant

La maison de Moscou

« Je connais dans la vie trois malheurs :entendre le son du métronome, aller enclasse et se réveiller à Moscou en 1919 »

Marina Tsvetaeva jeune

La famille de Marina Tsvetaeva en vacances à la campagne

La mère de Marina Tsvetaeva

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Avant de partir pour l’Occident, MarinaTsvetaeva a connu à Moscou la famine desvilles dans une Russie en proie à la plusgrande tourmente politique du siècle, le froidet la désolation d’un monde effondré ; elle aperdu un enfant, mort de faim et d’incurie dansune pension d’une misère accablante. C’estalors qu’elle apprend la bonne nouvelle : son

mari, Sergueï Efron, n’a pas péri dans lesrangs de l’Armée blanche en déroute ! Elle part le rejoindre à Berlin. Elle va redécouvrirson couple ainsi que des conditions de vienouvelles, plus faciles, du moins au début,mais ses engagements restent les mêmes. Ellea toujours pris le parti des persécutés et desmiséreux, des vaincus contre les vainqueurs.

Voici un poème qui, renvoyant à l’expérience moscovite, résume un choix fondamental :

Moscou, Berlin, Prague Paris, Moscou :tel est l’itinéraire de cette femme depoésie et de passion. Nourrie d’amourdès sa jeunesse, elle célèbre ceuxqu’elle doit quitter dans des poèmes etraconte à travers ses lettres le feu qui l’habite. À Prague, elle rencontre ungrand amour, Constantin Rodzévitch ; à Paris, de nouveaux amis. Elle travailleet joue avec les mots, lit et écrit livreset journaux, mais connaît aussi la pauvreté et la solitude.

LL’’iinnssppiirraattiioonn dduu ppooèèttee ppuuiissee aauussssii ssaa ssoouurrccee ddaannss lleess tteexxtteess bbiibblliiqquueess..TTeellllee cceettttee vvaarriiaattiioonn ssuurr llee rréécciitt ddeeMMaarriiee MMaaddeelleeiinnee ooùù eellllee ddoonnnnee llaappaarroollee aauu CChhrriisstt ::

Interdit cet amour, ô femme aimée,Douce l’onde des cheveux et des fleurs.Destin accompli, mystère – tes voiesJe ne les sonderai pas Ô bien-aimée ! chemin de croix.J’étais nu et tu m’as revêtuDe tes cheveux, une averse ! Et du flot de tes larmesJe ne compterai pas les piècesDépensées pour l’huile et le parfumJ’étais nu et tu m’as revêtuDe la vague de ton corps, tel un mur.De mes doigts je frôlerai ta nuditéDouce comme l’onde, fraîche comme l’air,J’étais droit et tu m’as incliné, Dans mon linceul enveloppé. Dans tes cheveux creuse-moi un lit Et revêts-moi de lin Qu’ai-je à faire de la myrrhe, Du linceul, des parfums ?J’étais droit et tu m’as fait ployer,Revêtu d’une averse de pleurs.

Si l’âme est née avec des ailes,Qu’a-t-elle à faire de palais, de masures,De Khans tatares et de hordes barbares ?J’ai au monde deux ennemis,Deux jumeaux, à jamais unisLa faim des affamés, la satiété des repus.

Moscou 1918

La vie en exilLa vie en exil

Marina Tsvetaeva à Prague

Marina Tsvetaeva et sa fille à Prague

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Page 5: Exposition Marina Tsvetaeva

À Paris, Marina Tsvetaeva est d’abord fêtée et entourée, sessoirées de lectures publiques ont du succès. Mais, peu à peu, sa poésie trop « moderne », où manquent les accents nostalgiques et traditionnels de poètes héritiers des RussesBlancs , est de moins en moins accessible au grand public.Elle commence à se sentir tout à fait en marge des préoccu-

pations politiques ou sociales de la nostalgique émigrationrusse. Vivant en poète avant tout, elle n’a aucun souci dutemps qui passe puisque son travail la situe au-delà et luiouvre les portes de l’éternité. Toutefois, ses thèmes reflètentsouvent une certaine amertume.

Et plus tard elle reprendra les mêmes idées :

Un poème de jeunesse exprime la certitude de la vocationpoétique de Tsvetaeva à l’écart de toute mode :

Mon siècle. Je donne ma démission

Mes vers écrits à l’aube de ma vie de poète,Lumière vive, telle la queue d’une comète,Jaillis comme l’onde d’une fontaine,Brutaux démons, feux impatientsForçant silence, dignité et encens Des temples ordonnés, bienséants,Poèmes d’amour, de sang, de vie, Vers de passion, de joies, éclairs perdus,Oubliés aux recoins de vieilles boutiques,Enfermés, poussiéreux, jamais lus, Tels de grands vins au fond de leurs barriquesSauront attendre le temps de leur précieux prix.

1913

Je ne conviens pas et j’en suis fière !Même seule parmi tous les vivants,Je dirai non ! Non au siècle. Mais je ne suis pas seule, derrière moi Ils sont des milliers, des myriades D’âmes, comme moi, solitaires.

Marina Tsvetaeva et son mari en France

Ariane et son frère Murr à Paris

Vue de Paris de la terrasse de Meudon

Pas de souci pour le poète,Le siècleVa-t-en, bruit ! Ouste, va au diable, – tonnerre !De ce siècle, moi, je n’ai cure,Ni d’un temps qui n’est pas le mien.Sans souci pour les ancêtres,Le siècle !Ouste, allez, descendants – des troupeaux.Siècle honni, mon malheur, mon poisonSiècle-diable, siècle ennemi, mon enfer.

1934

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Page 6: Exposition Marina Tsvetaeva

Marina Tsvetaeva va aussi ressentirune solitude croissante au sein de sa propre famille. Les sympathies de son mari l’orientent vers des choix politiques précis et il finit partravailler pour les services secrets de

la Russie soviétique. Sa fille est devenue une adulte indépendante,son fils, Murr, grandit en marge detoute préoccupation poétique, rêvantde Mickey et de voitures, ou encoredes grandeurs de la Russie nouvelle.

De plus en plus souvent se font entendreaussi dans les poèmes des thèmes d’indignation : par exemple, devant les gastronomes, ou les lecteurs de journauxfriands de faits divers, ou encore les repusde ce monde :

Tout comme auparavant en Russie pendant la révolution, le totalitarismemenaçant l’Europe apparaît clairement à Tsvetaeva depuis la France, et elle ne cache pas sa haine :

Au diable tous, filez, allez !Brebis soumises et vous – moutons,Esclaves d’Hitler, avec Staline marchez !Troupeaux, volées, avancez donc , Sans une seule marque, sans une pensée !Au grand Staline, obéissez ! Affichez de vos corps étalésLes signes : os plats, crochetsDe l’étoile rouge et de la croix gammée.

Vanves 1934

Partis nulle part, ni toi ni moiPerdues pour nous toutes les plages.Propriétaires d’un sou, été brûlant,Pas dans nos prix les océans,De la misère – goût toujours sec, Tourne la croûte sèche dans la bouche, Plat – bord de l’eau, mangé l’été !Espace de pauvres, poches retournées.Anthropophages de ParisReplets, joufflus, panse luisanteVous tous, mangeurs de poésie, Ripailles de graisse, un franc l’entréeEt pour la bouche, lotions poèmes,Refrains, sonates et versets, Voûtes célestes, fronts étoilés.Eau de toilette – le chant aux lèvres.Mangé l’été, Paris ! Plages sèches !Pour vous – soyez maudits Pour vous la honte ! Recevez Mon autographe dans la figure :De mes cinq sens – cinq doigts signant,Meilleur souvenirs, bons sentiments.

Paris - La Favière 1932-1935

Marina Tsvetaeva et ses enfants à La Favière, dans le Var

Marina Tsvetaeva avec Murr enfant, en vacances

Photo de classe. Murr est le premier en bas en partant de la gauche

Sergueï Efron à Paris

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Page 7: Exposition Marina Tsvetaeva

Sa fille partie en Russie, son mari disparudans la tourmente d’une affaire d’espionnage,*Tsvetaeva connaît maintenant la solitude d’unitinéraire tragique où les voies humaines sontrévélées, les chemins ardus sont ouverts. Son

dessein est celui du créateur, sa route - lavocation poétique à laquelle elle se doitd’obéir. Commencent alors les adieux à laFrance, son pays d’accueil qu’elle a tant aimé.

La France se dérobe tandis que la Russied’autrefois n’existe plus, les regrets prennentà la gorge :

Tsvetaeva consacre des vers à son attachementpour son pays d’exil :

Comme auparavant dans sa jeunesse, Marina Tsvetaeva vase trouver une nouvelle fois contrainte de partir. Son mari estréfugié en Russie, elle doit quitter Paris pour le rejoindre «caron n’abandonne pas un proche dans le malheur ». Elle repartavec son fils en bateau par Le Havre. Elle compare alors sonappareillage au départ de Marie Stuart pour l’échafaud. Surle quai elle écrit ce poème d’adieu qui a pour épigraphe unechanson française :

Douce FranceAdieu France.

Marie Stuart

On sait maintenant combien Tsvetaeva redoutait ceretour au pays. Elle ignorait cependant que sa sœurétait reléguée dans un camp de travail, depuis déjàdeux ans. Son mari et sa fille sont arrêtés deux moisaprès leurs retrouvailles familiales.

Elle ne les reverra plus jamais. Elle reste seule avec sonfils adolescent. Moscou entre en guerre, MarinaTsvetaeva est contrainte à l’exode vers une villeobscure de la Tatarie. C’est là qu’elle met fin à sesjours le dernier jour d’août 1941. Elle pressentait lesort qui l’attendait puisque l’un de ses derniers poèmesdisait :

Champs carrés, petits prés miniatures.Plus que l’ambre, le cristal, le diamant,J’emporte en mon cœur cette blessure Sans cristal, sans grenat, sans argent. Petits prés et grands arbres, pruniers, Des routes longues à grand pas arpentées,Petits prés, longues routes et pruniers.

La tour Eiffel est là

À portée de mainVas-y, va, grimpe,Mais en mémoire – dernière atteinte.

De ma Beauté-Russie La rue paraît vilaine et grise,Ô ma beauté, Paris

Joie claire ! partie !

Perles douces à mes yeuxDouce France que la FranceM’a données. En souvenir –Comme le mien – d’un départCelui de Marie Stuart

Il est tempsD’ôter l’ambre,De changer les motsEt d’éteindre la lampe,Au-dessus de ma porte.

Ariane à Moscou

Marina Tsvetaeva à Moscou à la fin de sa vie avecson manteau au col de fourrure L’embarcadère de Elabouga

Paris, Gare du Nord

Sergueï Efron en Russie

* Après la fuite de Sergueï Efron, la police effectuera une perquisition au 65, rue Jean-Baptiste Potin à Vanves le 22 octobre 1937.

Le Havre

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