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Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · nais mal, et je n'éprouve, en tout cas, aucun besoin de les faire connaître. Tout ce queje veux dire, c'est qu'à cette époque je

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Aux Éditions Gallimard

THÉÂTRE

Tome 1 La Parodie L'Invasion La Grande et la Petite Manoeuvre

Le Professeur TaranneTous contre tous.

Tome II Le Sens de la Marche Les Retrouvailles Le Ping-Pong.

Tome III Paolo Paoli La Politique des restes Sainte Europe.

Tome IV M. le Modéré Le Printemps 71.1.

PAOLO PAOLI

LES ÂMES MORTES. D'après le poème de Nicolas Gogol.-

LE PRINTEMPS 71.

ICI ET MAINTENANT.

L'HOMME ET L'ENFANT.

JE. ILS.

OFF LIMITS.

SI L'ÉTÉ REVENAIT.

DU MÊME AUTEUR

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THÉÂTRE

D'ARTHUR ADAMOV

Il

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ARTHUR ADAMOV

1'\

THEATRE

IIi

LE SENS DE LA MARCHE

LES RETROUVAILLES LE PING-PONG

précédé d'uneNote de l'auteur

mf

GALLIMARD

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© Éditions Gallimard, 1955, renouvelé en 1983.

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NOTE PRÉLIMINAIRE

Ce n'est pas sans hésiter que j'ai décidé de réunirdans ce second volume Le Sens de la Marche, Les Retrou-vailles et Le Ping-Pong; et, la décision prise, je ne merésous toujours pas à voir ces trois pièces, datant

d'époques différentes, et que je juge très inégales,publiées côte à côte sans aucun commentaire. LeSens de la Marche, écrit aussitôt après La Grande et laPetite Manœuvre, devait normalement trouver sa placedans le premier volume; quant aux Retrouvailles, bienqu'elles aient immédiatement précédé Le Ping-Pong,elles n'ont avec lui à peu près aucun rapport. Pourparler plus précisément, Les Retrouvailles et Le Sens dela Marche, non seulement relèvent d'une conception duthéâtre dont je crois m'être définitivement détourné,mais, à l'intérieur même de cette conception, et celle-cifût-elle admissible, m'apparaissent comme des redites.

Je n'ai aucune envie de me livrer à l'opération bienconnue qui consiste pour un auteur à dénigrer ses tra-vaux d'autrefois afin de mieux glorifier ceux d'aujour-d'hui. Si je tiens à donner au Ping-Pong une place àpart et la première ce n'est pas du tout parcequ'il est, pour reprendre une détestable expression, le« dernier-né », mais parce que je le considère sinoncomme une grande pièce, du moins comme une vraiepièce, et qui ouvre les perspectives les plus larges. Dureste, Le Professeur Taranne me paraît aujourd'hui infi-niment plus réussi, plus riche, que Le Sens de la Marche,Les Retrouvailles, et même Tous contre Tous, que pour-tant il a précédés.

Je ne porte sur mes proprespièces un jugementaussi catégorique que parce qu'en écrivant Le Ping-Pong, j'ai été amené à les réexaminer toutes.

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NOTE PRÉLIMINAIRE

Il y a dix ans quej'ai commencé à écrire pour lethéâtre. Les véritables raison de mon choix,je les con-nais mal, et je n'éprouve, en tout cas, aucun besoin deles faire connaître. Tout ce que je veux dire, c'est qu'àcette époque je lisais beaucoup Strindberg notam-ment Le Songe, dont la grande ambition m'avait aussitôtséduit et que, peut-être en partie grâce à Strind-berg, je découvrais, dans les scènes les plus quoti-diennes, en particulier celles de la rue, des scènes dethéâtre. Ce qui me frappait alors surtout, c'était ledéfilé des passants, la solitude dans le côtoiement,l'effarante diversité des propos, dont je me plaisais àn'entendre que des bribes, celles-ci me semblant devoirconstituer, liées à d'autres bribes, un ensemble dontle caractère fragmentaire garantissait la vérité symbo-lique.

Tout cela serait peut-être resté prétexte à réflexionsvagues si, un jour, je n'avais été témoin d'un incidenten apparence très insignifiant, mais dont je me disaussitôt « C'est cela le théâtre, c'est cela que je veuxfaire. » Un aveugle demandait l'aumône; deux jeunesfilles passèrent près de lui sans le voir, le bousculèrentpar mégarde; elles chantaient «J'ai fermé les yeux,c'était merveilleux. » L'idée me vint alors de montrer

sur la scène, le plus grossièrement et le plus visible-ment possible, la solitude humaine, l'absence decommunication. Autrement dit, d'un phénomène vraientre d'autres, je tirais une « métaphysique ». Aprèstrois ans de travail, et de multiples versions dont lapremière mettait en scène l'aveugle lui-même! cefut La Parodie.

Relisant aujourd'hui La Parodie, et sans même parlerde ses défauts de construction, inhérents à toute pre-

mière pièce, je trouve que je me suis fait la tâchefacile. Je regardais le monde à vol d'oiseau, ce qui mepermettait de créer des personnages presque inter-changeables, toujours pareils à eux-mêmes, en un mot,des marionnettes. Je croyais partir de détails très réels,de conversations familières; je partais d'une idée géné-rale, et qui, de plus, m'arrangeait à savoir que toutesles destinées s'équivalent, que le refus de la vie (N.)et son acceptation béate (l'Employé) aboutissent

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toutes deux, et par les mêmes chemins, à l'échec iné-vitable, à la destruction totale. Un tel parallélisme,je le sais aujourd'hui, n'est pas vrai, et, partant, pasthéâtral. L'image frappante n'est pas forcément théâ-trale.

Ceci dit, La Parodie n'a pas été seulement pour moiune tentative de justification (« j'ai beau être commeN., je ne serai pas plus puni que l'Employé »), maisaussi un acte de rébellion. Nourri du Théâtre et son

Double, écœuré surtout par les pièces dites psycholo-giques qui encombraient et encombrent encore toutesles scènes, je voulais élever ma protestation. Dans untout autre domaine, je voulais aussi me venger; Lilime permit cette vengeance. Et en fait, c'est à cause decette révolte et de cette rancœur naïves qu'il restequand même dans La Parodie quelques phrases émou-vantes.

Croyant avoir, avec La Parodie, réglé d'un seul couple destin total de l'humanité, et voulant toujours écrirepour le théâtre, je dus me résoudre à prendre dansL'Invasion un sujet particulier. Le cadre ne serait plusle monde, mais une chambre, les personnages neseraient plus des types, mais des gens. Seulement desgens, placés dans une même chambre, ne peuvent plussoliloquer; je fus donc bien obligé de faire converserPierre, Agnès, La Mère, le Premier Venu, etc. Maisje n'abandonnais pas pour autant l'idée maîtresse deLa Parodie personne n'entend personne. Je trouvaisvexant que moi, qui avais si bien démontré l'impos-sibilité de toute conversation, je fusse obligé d'écrire,tout comme un autre, de simples dialogues. J'eus alorsrecours à un statagème oui, ils parleront, chacunentendra ce que dira l'autre, mais l'autre ne dira pasce qu'il aura à dire. Afin de réussir la gageure, jecherchai désespérément des phrases-clefs qui, appa-remment, se rapporteraient à la vie quotidienne, mais,au fond, signifieraient« tout autre chose ». Il me sem-blait évident qu'Agnès, réclamant une machine àécrire, réclamait « tout autre chose », qu'une machineà écrire. Je croyais à l'époque avoir non seulementexprimé par là une vérité humaine indiscutable, maisinventé une nouvelle forme de théâtre; or, il se trouve

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que l'œuvre de Tchékhov, pour ne citer que celle-là,abonde en dialogues de ce genre, et que ces dialoguesconstituent même, pour une grande part, son origina-lité. Cette découverte aujourd'hui me'navre, mais ellen'est pas la seule à me navrer; je m'aperçois que je nesuis sorti des destins parallèles de La Parodie que pourretrouver le destin exceptionnel du « héros ». Jem'explique si Agnès, la Mère, Tradel, etc., ne par-tagent pas le destin de Pierre le dépositaire duMessage! c'est que Pierre a un destin exceptionnel,celui du héros. L Invasion, malgré le dépouillement,l'absence complète d'emphase, reste une pièce roman-tique, moins éloignée de Chatterton qu'on ne pourraitle croire.

Il reste que L'Invasion n'est pas absolument dépour-vue d'efficacité, et que l'on ressent en la voyanthélas, surtout en la lisant une réelle impressiond'étouffement. Les versions successives que j'en fis, lescoupures que j'y effectuai, ne sont peut-être pas étran-gères à cette raréfaction de l'air qui séduisit certains,et qui, si elle ne me séduit plus, m'étonne encore.Écrire L'Invasion avait été pour moi un pensum; etpuis cette pièce, dans laquelle la plupart des critiquesvirent une « histoire de fous », me semblait, à moi,un drame bourgeois. Je m'étais fait violence en nem'exprimant pas violemment, je voulais prendre marevanche. Un rêve que je fis vers la même époquem'en donna l'occasion; je sautai dessus. Le rêve, oudu moins ce qui m'en resta, se réduisait à peu près àceci j'étais assis sur un parapet devant la mer, encompagnie de ma soeur, ou plutôt d'une sœur; jesavais que, d'un instant à l'autre, j'allais devoir laquitter pour obéir à un appel; quelque part, desMoniteurs m'attendaient pour m'imposer de terriblesséances tenant à la fois de l'entraînement militaire et

de la gymnastique, séances au terme desquelles jeserais mutilé, puis détruit, je le savais. Ce rêve m'avaitfait très peur; je voulus, dans une pièce, La Grande etla Petite Manoeuvre, communiquer aux autres ma peurdésir parfaitement légitime. Mais, ce qui était moinslégitime, je voulus aussi me rassurer et même me justi-fier, selon le procédé dont j'avais usé dans La Parodie

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Je suis-le Mutilé est détruit; mais celui qui n'en-tend pas la voix des Moniteurs, celui qui, au lieu des'abandonner à l'autorité d'En Haut, lutte contre lesautorités d'En Bas, celui-là (le Militant) est détruitaussi. Le processus de justification est aisément discer-nable j'ai raison de ne pas faire la révolution parceque tout me porte à croire qu'elle échouera; le Mutilé

que je suis sait bien, grâce à ses accointances avec lesPuissances, que l'échec de toute action humaine estinscrit « quelque part ». Autrement dit, j'essayais delier dans La Grande et la Petite Manœuvre un sentiment

que j'avais éprouvé très intensément et un raisonne-ment. C'est cette jonction intempestive qui rend lapièce boiteuse. En effet, pour que les deux dramespussent se côtoyer et se rejoindre tant bien que mal,je me vis obligé de donneràdes faits essentiellementrelatifs un caractère absolu au lieu de montrer

l'échec d'une révolution, je prétendis montrer l'échecde la Révolution.

La Grande et la Petite Manœuvre est donc fausse dans

son principe même, mais, peut-être parce que la peurque je ressentais encore en l'écrivant était très forte, et.aussi parce que je trouvai une forme qui force l'adhé-sion grossissement des faits, rythme, enchaînementquasi cinématographique des tableaux je ne peux,malgré tout, me détacher entièrement d'elle. Et puis,ceux des personnages qui restent des « types » Erna,le Mutilé, les Manchots, ont exactement le langagequi convient à leur degré de réalité.

Après La Grande et la Petite Manœuvre, au lieu de medemander si le théâtre ne devait pas être autre choseque la démonstration monotone du « quoi qu'on fasseon est écrasé », je ne me demandai rien du tout, etdécalquai simplement une nouvelle pièce, Le Sens dela Marche, sur La Grande et la Petite Manœuvre. Seule-ment, n'ayant comme point de départ que quelquesimages très peu frappantes, resta seule l'idée pré-conçue dans cette vie dont les données mêmes sontaffreuses, où les situations se répètent fatalement, toutce que nous pouvons faire, c'est d'abattre, et encore,trop tard, ce que nous prenons abusivement pourl'obstacle réal, le dernier venu de la série maléfique

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(le meurtre par Henri du masseur Berne, le faux père).Mais la répétition n'est théâtrale que si les phénomènesqui se répètent tirent leur importance de cette répé-tition même. Or, dans Le Sens de la Marche, j'ai voulufonder le drame sur les réapparitions d'une figureposée d'emblée comme terrifiante, celle du Père. Rienn'eût pourtant été perdu si cette volonté avait corres-pondu à une obsession réelle, profonde, pour moi, si, àtravers la figure du père et ses diverses métamor-phoses, j'avais pu reconnaître un père, mon père, etm'effrayer en le reconnaissant. Mais le Commandantet le Prédicateur sont encore des constructions de

l'esprit; et c'est pourquoi Henri, ne pouvait être réel-lement terrorisé ni par conséquent réellement exister;

pas plus, du reste que Lucile, l'Adjoint, etc., nuld'entre eux ne ressentant l'épouvante de l'autorité

paternelle. Seule Mathilde, la pauvre fille dont lesbas tombent, transportée dans une pièce où l'onpourrait croire à des personnages en serait un.

Quelques mots encore sur Le Sens de la Marche. Jedisais que la pièce n'était qu'un résidu de La Grandeet la Petite Manœuvre. Un exemple certes, ce ne sontpasici les révolutionnaires qui font échouer la révolu-tion, mais l'autorité ancienne, celle des Pères. L'idéepouvait se défendre; encore fallait-il que l'on crût àcette révolution avortée, et ce ne sont pas les appari-tions de Georges et d'Albert qui la rendent convain-cante.

Le Sens de la Marche me plaisait si peu qu'en trainde l'écrire, je l'ai abandonné un moment pour LeProfesseur Taranne. Le Professeur Taranne fut pour moiun événement, car, pour la première fois, je transcri-vais simplement un rêve sans chercher à lui conférerun sens général, sans vouloir rien prouver, sans vouloirajouter à la disculpation vraisemblablement contenuedans le rêve lui-même, une disculpation intellectuelle.Tout ce qui arrive dans la pièce au professeur m'arri-vait dans le rêve, à cette différence près qu'au lieu de

m'écrier,pour prouver mon « honorabilité » «Je suisle professeur Taranne », je m'écriais «Je suis l'auteurde La Parodie » Le résultat n'était du reste pas plusbrillant.

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Si Le Professeur Taranne m'a satisfait et me satisfaitencore, c'est parce que je n'ai utilisé aucun des élé-ments de mon rêve à des fins allégoriques le commis-sariat de police, le cahier dont les pages du milieu sontrestées blanches, le plan de la salle à manger du navire,la lettre du Recteur, apparaissent dans la pièce sansautre signification que celle reconnue immédiatement

par Taranne, c'est-à-dire par le rêveur. C'est aussi,du moins en partie, parce que je n'ai pas cherché àorienter les discours de Taranne je l'ai laissé parlercomme je parlais probablement moi-même en rêve.Il me faut bien croire, en effet, que l'on parle dans lesrêves si je songe à la manière, très inhabituelle pourmoi, dont s'écrivit la pièce La Parodie et L'Invasionm'avaient demandé cinq ans de travail, Le ProfesseurTaranne m'en demanda deux jours.

Enfin, cette pièce me rendit un service dont je nemesurai que plus tard l'extrême importance. Trans-crivant fidèlement un rêve, je fus forcé de n'en négligeraucun détail; ayant, par exemple, reçu dans le rêveune lettre qui venait de Belgique et portait sur sontimbre le « lion royal », je nommai dans la pièce laBelgique et son lion. Cela n'a l'air de rien, mais c'étaittout de même la première fois que je sortais du no

man's land pseudo-poétique et osais appeler les chosespar leur nom. A partir de là une nouvelle voie m'étaitouverte, mais je n'eus pas immédiatement le couragede m'y engager; il me fallut faire encore, pour com-prendre, deux essais bâtards, Tous contre Tous et LesRetrouvailles.

Avec Tous contre Tous je suis retombé, partiellementdu moins, dans l'erreur de La Grande et la PetiteManœuvre montrer la Persécution au lieu d'une per-sécution. Voulant prouver que la Persécution était gro-tesque et abjecte, j'imaginai qu'elle prenait pour pré-texte une infirmité des persécutés (les réfugiés sontboiteux) alors qu'en vérité on trouve des infirmes dansles deux camps. Si je choisis la « boiterie », c'estqu'elle me permettait une représentation littérale dudrame comme toujours, je voulais rendre visibles lesmotifs cachés, ce dont j'avais parfaitement le droit,mais à condition que cette représentation ne fût prise

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que comme un moyen de dénoncer un fait précis.Je pouvais parfaitement imaginer, en un lieu et en untemps déterminés, une bourgade où les Juifs, carles réfugiés, en fin de compte, sont tout de même lesJuifs ou plutôt plusieurs Juifs boitaient; ce qui eûtpermis à ceux dont l'intérêt est de développer leracisme d'appuyer, comme du reste ils l'ont souventfait, la propagande sur une constatation hasardeuse.Ainsi, j'aurais démonté, d'une manière théâtrale, unmécanisme social, réel, au lieu d'en arriver à la conclu-sion pour le moins hâtive « Tous les mêmes »

En outre, pour trois personnages réussis (Zenno, laMère, Marie) d'autres ne le sont guère. Jean Rist estun raté qui se venge, mais qu'a-t-il raté, et de quoi sevenge-t-il? Darbon, dont j'apprécie toujours les dis-cours il suffit d'ouvrir certains journaux pour lesretrouver est le « monsieur » qui survit à tous lesrégimes. Mais à quoi obéit-il? Quels intérêts sert-il?Tout cela est ici à peine esquissé. Quant aux victimesinnocentes (Noémi, le Jeune Homme, la JeuneFemme), elles n'ont d'autre but que de calmer .unscrupule il y en a tout de même plus de « bons» dece côté-ci que de l'autre. Les Gardes, en revanche,sont parfaits; j'ai montré ceux que je connaissais, leurdialectique est prise sur le vif.

Déjà, en écrivant Tous contre Tous, je souffrais dela limitation que m'imposaient le vague des lieux, laschématisation des personnages, le symbolisme dessituations, mais je ne me sentais pas la force dereprendre un conflit social, et de le voir, en tant que

tel, dé agé du monde des archétypes. Encouragé parLe Professeur Taranne, il me sembla plus facile de donneraux choses leur nom et leur réalité quotidienne si jeles situais de nouveau dans un rêve; seulement le rêve,je ne l'avais pas. Qu'à cela ne tienne, je l'inventai, etce furent Les Retrouvailles. L'ennui est que si l'oninvente un rêve, on part d'une idée; et si l'image, aulieu de se situer à un carrefour de sens, prend un sensdéterminé, elle perd son efficacité. Il est trop évident,dès le début, que Louise est la personnification duremords d'Edgar, et la plus Heureuse des Femmes unsubstitut de la Mère; trop évident aussi qu'Edgar,

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« de toute éternité », ira gigoter dans une voiture d'en-fant. Il a beau, comme Taranne, évoquer des lieuxprécis situés, comme par hasard, à la frontière belge,Quevy n'est qu'un de ces faux détails concrets quivoudraient donner le change. La littérature contem-poraine abonde en détails de ce genre. De même,l'utilisation insolite des objets (piano, machine àcoudre, etc.) n'est, ici, insolite qu en apparence. Unexemple Edgar tombe d'une bicyclette qui n'est pasà sa taille, et, de plus, d'une bicyclette de femme,dépourvue de barre. Je n'ai rien contre cette image;mais il ne faudrait pas que la chute d'Edgar représen-tât son incapacité d'atteindre l'âge d'homme. Enfinet surtout, Les Retrouvailles étant un faux rêve, Edgarn'occupe pas la place que doit occuper le rêveur iln'est pas au premier plan; et, parce qu'il n'est pas aupremier plan, ses rapports avec autrui se trouventfaussés. La plus Heureuse des Femmes, pourtant,comme la Mathilde du Sens de la Marche, pourrait êtreun personnage authentique (qui n'a vu ces pauvrescréatures, effacées par la vie, mais gardant toujoursun sourire stéréotypé qui veut masquer la défaite, etinspire l'effroi) si la signification dont elle est chargéea priori ne la privait, pour une grande part, de savérité.

Les Retrouvailles ont cependant eu pour moi unegrande importance car, les ayant terminées, relues,bien examinées, j'ai compris qu'il était temps d'enfinir avec l'exploitation du demi-rêve et du vieuxconflit familial. D'une manière plus générale, je croisavoir, grâce aux Retrouvailles, liquidé tout ce qui, aprèsm'avoir permis d'écrire, finissait par m'en empêcher.

Beaucoup de choses ont changé avec Le Ping-Pong;et pourtant celui-ci a mal commencé. Je ne savais pasencore quel en serait le sujet, et déjà j'avais décidéqu'il se terminerait par une partie de ping-pong entredeux vieillards! C'est cette extravagante méthode detravail qui, paradoxalement, me sauva. Une fois sûrde pouvoir montrer, comme d'habitude, l'identité desdestins, tranquille en somme, je me trouvais libre defaire agir des personnages, de créer des situations. Deplus, ayant été peu à peu amené il serait trop long

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de dire ici comment à situer au centre de la pièceun appareil à sous, ou plutôt l'attraction qu'il exercesur un certain nombre de personnes, je ne pouvaisfaire autrement que de placer l'action dans un tempset un milieu déterminés, ceux où un tel appareil exerceson attraction la clientèle de Mme Duranty. Enoutre, la situation centrale qu'avait acquise l'appareilme força à ne montrer des personnages qu'un compor-tement, celui né des réactions que suscite en euxl'appareil. Arthur, Victor, Annette, Sutter, Roger, etc.,se distinguent les uns des autres par le recul qu'ilsprennent vis-à-vis de leur obsession, obsession tou-jours liée à l'appareil, au mélange de calcul et dehasard que comporte son fonctionnement, aux avan-tages de tous ordres qu'il peut procurer. Par consé-quent, il fallait, d'un point de départ absolumentréaliste, arriver logiquement à une certaine folie; maislà encore un danger pouvait surgir le lyrisme éche-velé, ou plutôt, dans mon cas, l'élucubration schizo-phrénique sur l'Appareil Centre du Monde. Je suis

parvenu à éviter ce danger, et à faire qu'en dépit dela folie grandissante, ou à cause d'elle, l'appareil resteun objet produit par une société précise la nôtre, etdans un but précis gagner argent et prestige.

Je crois avoir ainsi trouvé la distance juste entre lesprotagonistes du jeu et le spectateur, ceux-là apparte-nant au monde de celui-ci, qui peut rire de leur ridi-cule, grossi du fait qu'il se manifeste toujours en fonc-tion d'une seule et même chose. De plus, les sentimentsqu'éprouvent les personnages du Ping-Pong ne sontpas posés d'emblée comme inévitables. J'ai laissé, àArthur et Victor en particulier, une marge sinon deliberté, du moins d'indécision ils pouvaient peut-être éviter que l'appareil fît leur malheur. En toutcas, à partir de l'objet choisi, dans une certaine me-sure, par eux je dis dans une certaine mesure car,en fait, c'est une société mystificatrice qui posa cepiège sur leur chemin les deux amis vont, eux-mêmes, creuser les galeries dans lesquelles ils trébu-cheront. Contrairement à ce qui se passe dans mesautres pièces, de La Parodie aux Retrouvailles, la menacene vient pas que du dehors; les personnages secrètent

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leur propre poison, préparent leur propre malheur;et ce malheur, n'ayant pas exactement les mêmescauses pour chacun, n'a pas du tout les mêmes résul-tats.

Et la diversité des destins permet la diversité dessituations dans Le Ping-Pong, comme dans Le Sensde la Marche, tout se répète, à cette différence près quela répétition, ici, n'est ni fatidique ni fastidieuse, cartoujours l'angle de vue diffère.

Si fier que je sois d'avoir écrit Le Ping-Pong, je voisbien ses insuffisances. D'abord, le dernier tableau,

conçu avant la pièce, n'a pu profiter des acquisitionsfaites au cours du travail. Néanmoins, même dans cetableau, je remarque que Victoret Arthur n.'ont pastout à fait le même sort Victor gagne de l'argentpas beaucoup, mais il en gagne et Arthur n'engagne pour ainsi dire pas l'École Universelle! En-fin,Victor meurt et Arthur l'inventeur,.le poète!

survit. Le second défaut réside dans la partie« consortium »; le Vieux, malgré ses beaux discours,et bien quej'aie essayé de lui prêter des mobiles divers,reste d'un seul bloc, incomplètement dégagé de l'allé-gorie. Enfin, les événements sociaux qui, au cours desannées, modifient l'organisation interne du consor-tium, ne sont pas vraiment indiqués; de sorte qu'on nesent pas assez l'état de la société, d'une part, l'écoule-ment du temps, d'autre part. Si déjà j'entrais, dansla« machine à sous », et il me fallait y entrer, je devaisessayer d'examiner les rouages de la grande machinesociale aussi assidûment, aussi minutieusement quej'examinais bumpers et flippers. Cet examen, j'essayeaujourd'hui de le faire dans une nouvelle pièce, plussituée encore en un temps et un milieu que Le Ping-Pong.

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