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Extrait de la publication… · La plus belle musique est le chant de la terre La terre se réjouit du chant des oiseaux Et les oiseaux ont tout leur temps pour réaliser leurs rêves

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EMMANUËLLE

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EMMANUËLLE

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives CanadaEmmanuelle, 1942- Emmanuelle : démesures et passions (Collection Profils) Autobiographie. ISBN 978-2-923715-47-6

1. Emmanuelle, 1942- . 2. Artistes - Québec (Province) - Anecdotes. 3. Chanteurs - Québec (Province) - Biographies. I. Titre. II. Collection: Collection Profils.

ML420.E45A3 2010 782.42164092 C2010-941727-5

Pour l’aide à la réalisation de son programme éditorial, l’éditeur remercie :La Société de Développement des Entreprises Culturelles (SODEC), ainsi que le Conseil des Arts du Canada.

Marcel Broquet Éditeur55A, rue de l’Église, Saint-Sauveur (Québec) Canada J0R 1R0Téléphone : 450 744-1236

Photos : Emmanuëlle (albums) - Marcel Broquet - Rosette Pipar (page couverture) - Michel Julien (recettes)Recherche photos : Roger Belle-Isle - Olivier LasserIllustration page couverture : Rosemary ArroyaveDirectrice artistique : Rosette Pipar Conception graphique : Olivier Lasser et Amélie BarretteRévision : Frederick Letia

Dépôt légal : 4e trimestre 2010

Bibliothèque et Archives nationale du QuébecBibliothèque et archives Canada© Marcel Broquet Éditeur, 2010

Toute reproduction interdite.

DISTRIBUTION :

1650, boulevard Lionel-BertrandBoisbriand (Québec) Canada J7H 1N7Téléphone : (450) 434-0306Sans frais : 1-800-363-2864Service à la clientèle : [email protected]

DISTRIBUTION POUR L’EUROPE FRANCOPHONE :

DNM Distribution du Nouveau Monde

30, rue Gay-Lussac, 75005 ParisTéléphone : 01.42.54.50.24Télécop. : 01.43.54.39.15

DIFFUSION – PROMOTION :

[email protected]

La Folle du logis ...................................................... 6

CHAPITRE UN

L’enfant au piano ......................................... 7

Souvenir d’un vieillard ........................................ 10

Laissez venir à moi ................................................ 10

CHAPITRE DEUX

Compagnon de vie ..................................... 17

Lisandre .......................................................................... 20

CHAPITRE TROIS

Capitol Records .............................................. 25

Les mots pour le dire .............................................. 28

La chanson de mon pays ................................... 32

CHAPITRE QUATRE

Mon maître Stéphane Venne .......... 37

Ça commence doucement ..................................... 38

Le monde à l’envers .................................................. 39

Et c’est pas fini ............................................................ 40

Pourquoi pas ? ............................................................. 43

Prenez-moi comm’ je suis ................................... 45

CHAPITRE CINQ

La foulée ................................................................. 47

L’idée de t’aimer ......................................................... 54

Lindy Hop drive ....................................................... 61

CHAPITRE SIX

Tournant de vie ............................................... 61

Beau soir ......................................................................... 64

Aranjuez ........................................................................ 66

Bain de boue ............................................................... 70

Si le bonheur me téléphone ................................ 80

Un homme une femme et la vérité .................. 81

CHAPITRE SEPT

Divorce... renaissance .............................. 87

De l’accent ....................................................................... 95

Le retour ......................................................................... 98

Vivre doucement ........................................................ 100

CHAPITRE HUIT

Milan ............................................................................ 103

O mio babbino caro ................................................. 111

Olha Maria .................................................................. 118

CHAPITRE NEUF

Paradis clé en main .................................... 121Le boléro .......................................................................... 127

Green ................................................................................ 132

Ici-bas .............................................................................. 135

You give me the blues ............................................ 136

Ça c’est fort ..................................................................... 138

L’Habanera .................................................................... 141

Il m’aurait fallu ......................................................... 144

Le coq et la pendule .................................................. 145

Cantate aux mille voix ........................................... 147

Il pleure dans mon coeur ...................................... 150

Le parc des braves ....................................................... 151L’amour de ma vie ................................................... 152

Je voulais te dire que je t’attends ....................... 153

Et si tu n’existais pas ? .......................................... 155

CHAPITRE DIX

C’est un deuil... ................................................ 157Qu’est-c’ que j’fais, j’n’ai plus d’argent ? .... 158

Les chansons d’autrefois ...................................... 160

CHAPITRE ONZE

Nouveau prétendant ............................... 163

Il est arrivé un samedi dans ma vie .............. 163

Mes amis sont partis sans me dire au revoir 166

La chambre .................................................................. 168

Make It in Hollywood .......................................... 170Heureux comme un roi ......................................... 173

Le goût de vivre ............................................................ 175

CHAPITRE DOUZE

Emmanuëlle sans voix ........................... 177

ÉPILOGUE

par Stéphane Venne .................................. 179

RECETTES

Terrine Marcel aux herbes de Provence .... 182

Cretons de Renée ....................................................... 182

Pâté de foie Manu .................................................. 184

Hummus bi Tahine ............................................... 184

Beignets d’aubergine ............................................. 184

Baba Ganough ou pâte d’aubergine ......... 184

Taboulé Manu .......................................................... 186

Kibby labanayé ........................................................ 186

Pamplemousses Marie-Louise ....................... 188

Fondue parmesan ................................................... 188

Confit d’oignons ...................................................... 190

Soufflé aux choux-fleur ...................................... 190

Gigot d’agneau à la marocaine ..................... 191Timbales au poulet ................................................ 192

Papillottes de légumes .......................................... 192

Paëlla traditionnelle au four à bois « Marcel » ..................................................... 194

Spaghettis Gamberi e Sambuca di Capo San Vito (Sicilia) ................................. 196

Soupe d’épeautre de Contadour ..................... 198

Galantine de maman ........................................... 198

Coq au chambertain ............................................. 200

Canard laqué de Sing .......................................... 202

Rouleaux impériaux ............................................. 202

Gâteau aux pommes et épices de grand-mère Renée ........................................ 202

Gâteau aux marrons farci à la glace au chocolat et cognac ...................................... 204

Glace au chocolat .................................................... 205

Panforte Senese .......................................................... 206

Caramel de Grand-Mère Renée ...................... 206

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Chez moi, le temps est trop précieux pour compter les heures

Je m’émoustille à faire tout ce que je veux, quand je veux et au moment où je le veux

Si j’agis comme un automate, je ne fais que des bêtises

Quand un sujet me fascine, j’allume mon réverbère et je fonce

Voilà pourquoi je chante, je cuisine et je nage

Quand je chante, je vis

Quand je vis, je cuisine

Quand je cuisine, je donne le meilleur de moi-même : le beau, le grand, la démesure, la passion des parfums subtils de l’harmonie silencieuse

Je nage dans l’eau limpide avec mes amies les hirondelles

Je cueille la menthe fraîche et l’iris d’eau

Ça aère l’espace musclé où mon esprit en effervescence ne prend pas le temps de dormir

Je m’entoure que de personnes susceptibles de me faire grandir

J’ai appris des plus grands

J’ai couché dans le lit des arts

C’est là où j’ai trouvé le bonheur

J’en mange, je m’en gave, je m’en enveloppe

J’ai fait le tour de la planète

Mais le plus beau pays se trouve au fond de moi

Dans les forces véritables dépouillées de tout artifice

Dans le langage des fleurs et des choses muettes

La plus belle musique est le chant de la terre

La terre se réjouit du chant des oiseaux

Et les oiseaux ont tout leur temps pour réaliser leurs rêves

C’est la grâce que je vous souhaite.

EMMANUËLLE

u piano, chantant l’Ave Maria de Charles Gounod inspiré du 1er Prélude de Jean-Sébastien Bach, j’ac com pagne ma mère au violon. L’odeur d’huile à frites surchauffée me ramène sur terre.

Du boudoir où nous sommes, la vue du couloir curieu sement éclairé incite maman à déposer son précieux instrument. Elle court à la cuisine, prend le chaudron en feu et le jette sur l’herbe de la cour arrière. Mon cœur arrête de battre. Ses bras et mains sont réduits en charpie tels des steaks oubliés sur le gril. Je me ressaisis. J’appelle au secours. Ma sœur Lyse conduit ma mère à l’hôpital. Terrifiant ce premier contact avec la souffrance de la personne que j’aime le plus au monde. Comment, ce Dieu si juste et si bon, qu’elle court prier chaque matin à l’église, peut-il infliger une telle épreuve à une personne si généreuse, douée, enjouée, au service de sa famille vingt-quatre heures par jour ?

Culpabilité maudite, pourquoi tatouer mon jeune corps, en vahir mon esprit, habiter mon âme à tout jamais ?

À partir de ce jour, je vouerai ma vie à la protection de ceux que j’aime.

À Saint-Hermas, village natal de mes parents, grand-maman ma-ternelle Corinne Richer Leduc ha bite notre maison de campagne. Nous y passons l’été. Papa ensei gnant est donc en congé.

Les passeroses longent le côté du mur en tôle galva nisée. Dans ces coupes généreuses les colibris se gavent de pollen.

E M MAN UËLLE DÉM E S U R E S ET PA S S I O N S 7

[ Terrifiant ce premier contact avec la souffrance de la personne que j’aime le plus au monde. ]

Exercices de réchauffement à quatre mains afin de chanter et jouer l’Ave Maria de Charles Gounod du premier prélude de Jean-Sébastien Bach en accompagnant ma mère au violon.

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8 E M MAN UËLLE DÉM E S U R E S ET PA S S I O N S

e suis Miss Pepsi de Robert Charlebois : cours de piano à la maison, de claquettes chez Jean Paul, mari de Murielle Millard, de ballet chez Moronoff et de diction chez Madame Audet.

Nous habitons à Rosemont, 1ère avenue et Beaubien. Mon unique amie s’appelle Claudette Gervais. Elle est douce et réservée. Pas de jalousie entre nous. On s’en tend comme larrons en foire. On s’habille de la même façon et prenons des cours de danse chez Jean Paul. Chez elle, coin Beaubien et Louis-Hébert, un soir sur deux, nous

naise Hellmann’s. Tous les soirs, nous dansons. Les fers de nos souliers de claquettes marquent le plancher de la cuisine. Simonne nettoie sans jamais rien dire.

C’que j’peux t’aimer maman chérie ! Depuis son départ en 2000, tous les matins je me réveille et, et, en regardant votre photo de mariage et je lui dis : Bonjour ma belle Simonne, qu’allons-nous faire aujourd’hui ?

Tu ris à pleines dents de ton sourire généreux. Tu es mon inspiration en toutes choses.

Le jardin est immense. Pommes de terre, carottes, oignons, échalotes, fèves, tomates, etc.

Le garde-manger déborde de confitures aux fraises et aux framboises, succulent ketchup aux pêches de maman et marinades en fleur. Dans les boîtes en fer blanc rouge poinsettia, les gâteaux aux bananes, aux carottes, meublent la deuxième tablette de l’armoire en pin.

Au temps des conserves, quand papa casse le cou des volailles, je cours comme une folle le plus loin possible. Contrairement à Rollande, notre garçon manqué amusé par l’opération, je pleure comme une Madeleine à chaque plume que j’enlève à mes poulettes grises, compagnes de mes confidences journalières derrière le muret du hangar. Lors de la mise en conserves, Corinne, la sertisseuse en chef, me console. « Pense à la belle gelée dorée avec laquelle on fait la béchamel pour les pâtés au poulet et à ces petits pois verts sur les timbales servies le dimanche soir. » Je visualise tout ça, me réconforte et déjà m’en pourlèche les babines.

Maman dit qu’un frigo n’est pas digne de ce nom sans galantine, soupe aux légumes, carottes, céleris, oignons, navets, tomates, sauce à la viande, jambon à l’ananas, poulet et rôti de porc.

Mes parents Simonne et Roger

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Toujours inscrite à des cours de ci, de ça : couture, confection de chapeaux, cuir repoussé, danse, violon et anglais. Avec tes doigts de fée, tu confectionnes tes vêtements et ceux de tes trois filles, sans oublier les costumes de scène avec tutu en tulle et les robes de bal de finissantes. La grande artiste que tu es germe en moi.

À Verdun, le concours radiophonique Les Découvertes de Billy Monroe est très populaire. J’ai douze ans. Chaque fois que j’interprète « Le petit bonheur » de Félix Leclerc, je reviens chez moi avec le premier prix : une montre Rohmer. J’en fais cadeau à tous les membres de la famille. Au Centre Immaculée Conception, rue Papineau, tous les samedis après-midi il y a un concours amateur. Le commen tateur et animateur Marcel Racine remet au gagnant deux billets pour assister aux combats de lutte au Forum. Même si je déteste voir les lutteurs se démolir, c’est bien le moins du monde que j’accompagne ma mère tellement heureuse de voir à l’œuvre son idole : le beau Johnny Rougeau. Maman, mon agente préférée, crie, s’amuse, s’éclate. C’est l’instant où je me sens le plus près d’elle. Splendide est la grande amoureuse de la vie quand elle se laisse aller. Elle croque dedans, la dévore, s’en gave. Elle en jouit tout comme lorsqu’ à la campagne elle demande à papa si Lyse, couchée dans le lit d’à côté, s’est endormie. Mais Lyse ne dort pas.

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E M MAN UËLLE DÉM E S U R E S ET PA S S I O N S10

Petits enfants, jouez dans la prairie,

Dansez, chantez le doux parfum des fleurs ;

Profitez bien du printemps de la vie,

Trop tôt hélas !

Vous verserez des pleurs.

Dernier amour de ma vieillesse

Venez à moi, petits enfants ;

Je veux de vous une caresse,

Pour oublier, pour oublier

Mes cheveux blancs.

Quoique bien vieux, j’ai le cœur plein de charmes,

Permettez-moi d’assister à vos jeux.

Pour un vieillard outragé, plein de larmes,

Auprès de vous,

Auprès de vous, je me sens plus heureux.

Petits enfants, vous avez une mère,

Et tous les soirs, près de votre berceau,

Pour elle, au ciel, offrez votre prière.

Aimez-la bien,

Aimez-la bien jusqu’au jour du tombeau.

En vieillissant, j’ai connu la tristesse;

Ceux que j’aimais, je les ai vus partir.

Oh ! Laissez-moi vous prouver ma tendresse :

C’est en aimant que je voudrais mourir.

CHANSON ANONYME

Laissez venir à moi

Les tout petits enfants

Comme on me défendit

Ainsi je les défends

Ils cherchent la clarté

Je leur dois la lumière

Leurs cris

Leurs bras tendus

Ne sont qu’une prière

Ont-ils soif

Ont-ils faim

De quoi ont-ils besoin

Laissez venir à moi

Les tout petits enfants.

CHANSON ANONYME

[ Grand-papa Bénonieblancs chante nir d’un vieillard: SouvenPapa fredonne z venir à moi… ]: Laissez

11E M MAN UËLLE DÉM E S U R E S ET PA S S I O N S

rofesseur à La Commission des écoles catholiques de Montréal, papa ne jure que par l’enseignement. Ma sœur aînée Lyse est étudiante à l’Académie Sainte-Anne, coin des rues Christophe-Colomb et Beaubien. Comme elle, j’aimerais étudier en lettres et sciences chez les sœurs de Sainte-Anne. À quoi serviront tes doigts de fée, héritage de ta mère, répète le paternel ?

Je m’inscris donc chez les sœurs du Bon Conseil, boulevard Saint-Joseph, pour une durée de quatre ans où l’on a accueilli une res-capée italienne de la guerre trente-neuf quarante-cinq. Digne représentante de la communauté, Sœur Angèle est l’exemple par excellence du courage, de la force et du discernement.

Pour les élèves des troisième et quatrième cycles, le pensionnat est obligatoire. Quel bonheur !

Avoir un espace à moi toute seule

6518, 1ère avenue à Rosemont. Nous vivons à sept dans un cinq pièces : maman Simonne Leduc, papa Roger Filion, Corinne Richer, ma grand-mère maternelle, mes deux sœurs, Lyse et Rolande, et nos deux cousines, Anna et Denise Legault. À vingt heures tous les soirs, dans le boudoir où nous couchons, papa écoute les nouvelles de Radio-Canada. Une traînée de fumée nauséabonde s’étiole derrière lui. Je couche avec ma sœur du « milieu ». On déplie le lit pliant. J’ouvre grand la fenêtre pour changer l’air.

Merci Roger, grâce à toi jamais de ma vie je ne tou-cherai à la cigarette. Comme quoi...

À quelque chose malheur est bon

Le mercredi soir, un auditoire huppé bénéficie de cours de cuisine gastronomique. J’aime la thématique de chacun de ces banquets :

[ À quoi serviront tes doigts de fée,héritage de ta mère ? ]

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cours de cuisinee ces banquets :

Famille Bénonie Filion : Grand-papa Bénonie au centre, papa (Roger) à sa droite, maman (Simonne) à droite en arrière. Assis : mes sœurs Lyse et Rollande; moi sur les genoux de mon cousin Serge.

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E M MAN UËLLE DÉM E S U R E S ET PA S S I O N S12

L’art culinaire me passionne presque autant que l’art vocal.

Ajoutez à cela, comme le chante si bien Julien Clerc, « Ma préférence à moi » : l’art de vivre.

Au vingt-cinquième anniversaire de mariage de mes parents, je crée un gâteau des anges recouvert d’une pâte d’amandes. Sur la glace de gelée royale patinent des petits cygnes en meringue vanillée.

Henri Planté, médecin généraliste, devenu psychiatre par la suite à l’hôpital Louis-Hippolyte-Lafontaine, donne des cours d’informations médicales le samedi après-midi.

Les religieuses s’émoustillent à l’arrivée de l’homme aux grosses lunettes de corne. On entendrait une mouche voler pendant l’exposé de cet impres-sionnant per sonnage.

Par une journée ensoleillée, le scientifique propose de me raccompagner à la maison. Le silence est rompu.

Rue Crescent au restaurant Les Halles, avec le renommé de la santé déjà bien estimé, de quoi ai-je l’air devant Jean-Pierre Bouquier ? Dix-sept ans, spontanée, exaltée, m’exclamant devant toutes les nouveautés : pavé, soufflé, flambé arrosé d’une cuvée dont j’ignore jusqu’à l’estimé ?

Lors des visites à domicile, Henri me convertit en assistante infirmière au risque de me voir tomber dans les pommes à la vue d’une aiguille.

Pendant des heures, à la maison, je constate combien la misère humaine est grande et à quel point la propreté est singulière dans les milieux défavorisés.

Chaque fois Corinne répète : Pauvreté n’est pas vice, ma petite fille.

[ La séparation avec mon premier amour, Pierre Chartrand, étudiant en littérature,est douloureuse.Je troque ma future belle-maman musicienne adorée pour trois vieilles filles enragées, incapables de supporter la présence d’une jeunesse de dix-sept ans au bras de leur frère cadet de seize ans mon aîné. ]

Ajoul’art

Au vangpeti

HeLosa

Lecosi

Pla

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13E M MAN UËLLE DÉM E S U R E S ET PA S S I O N S

En guise de cadeau de Noël, deux malles Samsonite blanches sont remplies de talc Lancôme, de parfums Chanel, Dior, eau de toilette Lanvin et savons Caron.

Étrange façon d’aimer. Pierre savait y faire en m’offrant le seul élixir susceptible de me plaire, le muguet, fleur clochette odoriférante, si agréable à regarder et respirer.

Au sous-sol de l’église Saint-Marc, même si ma mère m’aide, je déteste donner des cours de cuisine à des femmes plus expérimentées que moi, spécialement le jeudi, seul jour de congé de mon prétendant.

Rue Saint-Denis, les sorcières trouvent enfin la solution au problème de leur bébé gâté. Après un an de fréquentations, elles simulent une crise cardiaque à ce travailleur infatigable, le libèrent de ses promesses et le tour est joué.

C’est la fin de notre idylle.

C’est aussi la fin de mes études à l’Institut familial et social qui ont coûté les yeux de la tête à mes parents.

Je demande à maman Simonne et à papa Roger, la permission d’être durant quatre ans pensionnaire afin de faire mon bac en musique, chant et piano à Vincent-d’Indy. Papa se met à compter le salaire que je perdrais à ne pas enseigner et le coût des études musicales, payées en général par des familles mieux nanties. Le calcul fait osciller la balance. La sécurité de l’enseignement l’emporte.

Rejet de ma requête.

Tu m’exaspères maudite sécurité. Je te déteste, tu me voles mes rêves et me détruis.

Comme pour Rollande, ma sœur révolutionnaire partie avec son amie Ginette suivre le cours de criminologie à Louvain en Belgique, mes parents auraient sûrement fini par céder.

Pourquoi n’ai-je pas insisté ? Seulement y penser, je deviens dingue.

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E M MAN UËLLE DÉM E S U R E S ET PA S S I O N S14

’ayant pas encore dix-huit ans, âge requis pour accéder à la Commission des écoles catholiques de Montréal, les contacts de papa m’ouvrent les portes. Administrée par les sœurs Jésus-Marie, à l’école Cherrier, je débute les cours d’art ménager : cuisine, couture, tricot.

Envers et contre tout, il me reste en tête la phrase du paternel :

La musique est la clé qui ouvre toutes les portes.

Trophée de sa chasse hebdomadaire, chaque élève de l’excellent prof, qu’est papa Roger, a une queue de renard attachée au guidon de sa bicyclette.

Mon fanion à moi s’appelle gramophone.

J’entre dans la classe, le dépose, le branche et y place un trente-trois tours.

Le cours se déroule alors dans l’atmosphère de la folie et du génie de Mozart.

Pourquoi ai-je la chance de professer dans une école affiliée à Vincent-d’Indy ?

Avec la professeure attitrée à la musique classique, l’initiation au solfège, lecture à vue, dictée et le piano alimentent tout mon temps libre.

Suivie des gammes, la découverte de la sonate en do majeur d’Amadeus m’emmène vers d’autres cieux. J’étais ailleurs, dit Victor

Hugo. Je suis ailleurs même quand j’enseigne et mets une note musicale à mes leçons.

À la fin de l’année, je réussis les examens de septième, huitième et neuvième années, essentiels à l’entrée à l’école de musique par excellence, Vincent-d’Indy.

Mon rêve se réalise de façon différente par un chemin de traverse tracé par Sœur Louis-Alexandre.

par un chemin de traverse tracé par Sœur Louis-Alexandre.

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1515E M MAN UËLLE DÉM E S U R E S ET PA S S I O N S

e monte à pied la côte Bellingham. Mon cœur bat la chamade. J’accède à la plus grande école de musique au monde. L’écho des notes de piano enchevêtrées aux voix cristallines mêlées au chant des oiseaux, émoustillés par tant de beauté, me propulse au pic de la montagne sacrée.

Je longe le couloir du septième étage.

De la grande famille Désourdy Construction partout à travers le Québec, ma professeure de chant Soeur Gérard-Marie (Huguette) harmonise parfaitement connaissance et compréhension, douceur et force.

L’invitation au voyage de Duparc, Beau soir de Debussy, L’air de Salomé d’Hérodiade de Massenet, Addio del Passato de La Traviata de Verdi sont mes voyages journaliers au pays des grands amours incompris.

Huguette, ma confidente salvatrice dit : Tu n’as pas la plus belle voix de l’école mais tu es la plus grande âme d’artiste de Vincent-d’Indy.

Expert en mélodie française, Roy Royal nous initie à Baudelaire et Verlaine, mes préférés, Rimbaud, Paul Bourget, Sully Prud’homme, etc. Les recueils de Schubert, Schumann, Wolf sont enseignés par Bernard Diamant féru de langue germanique. Aux Master Class s’ajoute le couple internationalement connu, Pierrette Alarie et Léopold Simoneau. Cinq ans de cours de mise en scène d’opéra, donnés par mon modèle, Madame Pierrette Alarie, viendront à bout de ma soif de grandeur. Violetta dans le troisième acte de La Traviata en est l’apothéose.

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Robert Péloquin, devenu oncologue, Jacques Leduc, futur cinéaste, Pierre Chartrand, mon premier amour et moi assise sur le bateau au lac Sainte-Marie.

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17E M MAN UËLLE DÉM E S U R E S ET PA S S I O N S

ire que, du revers de la main, l’orgueil a fait balancer tout cela

Après notre séparation, mon premier amour Pierre Chartrand, voisin sur la presqu’île du lac Sainte-Marie à Nominingue est parti enseigner en Afrique. Il n’y a plus personne au chalet d’à côté. Les courses effrénées jusqu’au village me manquent. Dans la rotonde du magasin général chez Généreux, se coller, danser sur Oh my love, Only you. Immobiliser le temps. N’avoir rien à prouver. Être soi. Être deux en un. Cueillir la marguerite, l’effeuiller. Se baigner. Nager. Faire du ski nautique. Marcher sur le sable chaud. Faire l’amour tout le temps, matin, après-midi, au clair de lune. Au petit matin, en canot, se rendre de l’autre côté du lac, entendre la messe chez l’abbé Danais. Tous les jours se confesser du même péché. À notre dernière visite chez lui, bien allongé dans son cercueil, ceint de toutes nos histoires, du haut du ciel le prêtre miséricordieux doit bien rire dans sa barbe.

À la fin du mois à l’école Cherrier, où j’enseigne cuisine, couture, tricot, le professeur de matières générales présente un bulletin à chaque élève.

Rue Visitation, j’aide Louise Massé, titulaire d’une cinquième année à cette tâche dont je suis exempte. Quand je vois l’homme au regard océan, mon amie me présente son frère célibataire : Jean Massé. Une force de la nature impliquée socialement, homme cultivé à l’affût de tout.

Le premier conseil de Jean si fier de ses 30 ans : Profitez de votre jeunesse.

Douze ans auparavant, fondateur du Bon Parler Français à Montréal, son père s’en est allé, emporté par un cancer foudroyant. Perdre un être si extraordinaire laisse des traces.

il f i b l

s histoires, rbe

Deux enfants, Claudette, ma meilleure amie, Pierre, mon amour, Jacques Leduc et Robert Peloquin.

E M MAN UËLLE DÉM E S U R E S ET PA S S I O N S18

Tout le monde raconte à sa façon les soirées de Jules au Pennsylvanie en compagnie de Saint-Exupéry, auteur de l’œuvre immortelle Le Petit Prince , « C’est le temps que tu prends pour ta rose qui fait ta rose si importante ». Il y a aussi Duhamel et autres poètes. Son épouse Germaine, française, pianiste concertiste, fille unique de surcroît, reste seule avec ses neuf enfants.

Cette grande famille, affamée autant de culture et de confitures, répondra parfaitement à mes aspirations les plus profondes.

Ayant rencontré mon beau-père, lorsque sœur Marie-Stéphane, directrice de Vincent-d’Indy connaît mon lien d’appartenance à la famille Massé, les privilèges s’accumulent.

Même par ricochet, les sacrées sœurs donnent beaucoup d’importance à l’arbre généalogique !

Trois semaines s’écoulent. Au diable les recommandations. La demande en mariage du jeune avocat prometteur se fait en bonne et due forme à mes parents fous de joie.

Neuf mois d’impatience et nous convolons en justes noces le 30 juin 1962.

ard dans la nuit, l’Impala noire décapotable non décapotée arrive à Laredo.

La bière Carta Blanca contrebalance les 40 degrés. Vi sage osseux, peau cuivrée, air heureux, allure dé-contractée, le serveur apporte une assiette spécialité maison.

Sur deux baguettes, lézards et salamandres se sont fait grillés la couenne sur un feu de bois. C’est étonnamment bon, ces petites choses au goût de poulet aux algues. L’incomparable bœuf du Texas conquiert Jean, carnivore de chairs tendres.

Sur les murets humides, la danse des cafards et cucarachas m’épeure un peu.

19E M MAN UËLLE DÉM E S U R E S ET PA S S I O N S

On traverse un désert de cactus aux allures de pénis. La montagne se dessine.

Le plateau de Mexico emplit nos poumons en quête d’air. Sous les toits de terre cuite, les gens se réveillent. L’activité matinale est bruyante. La ville prend des allures de fête foraine.

Au marché, l’étalage abonde d’ananas à la queue généreuse, mangues mûries à point, pamplemousses jaunes et roses, citrons-limes et avocats gros comme des ballons de football. Les piments verts, rouges, jaunes sont les uns en chair, les autres minuscules et épicés comme la vie. Séchées au soleil, étendues dans des paniers d’osier, les fèves de Cuba, Lima, Nicaragua attendent une trempette bienfaitrice. À midi, les roulés de tortillas au guacamole font notre régal. Étrangement les piments forts désaltèrent.

À Cuernavaca, les palmiers royaux en imposent. Les haies de bougainvilliers entourent les propriétés des artistes connus mondialement et venus se réfugier en ces terres encore vierges. Voir la résidence d’Édith est indispensable. Le silence s’impose chez l’unique, grande, vraie et géniale Piaf. On l’entend respirer. Fragile comme une ombre, son ambiguïté est palpable.

Duvet d’ange. Crâne de piaf. Petit passereau commun au tintouin matinal.

En route vers Taxco, site pittoresque et ville de l’argent. L’endroit rêvé pour se faire offrir bagues, bracelets, chaînes et acheter des surprises à ceux qu’on aime. Les poches vides, on remet à une autre fois notre itinéraire premier ; voir Acapulco et l’océan du Pacifique, turquoise comme les yeux de mon amoureux.

Dans les jardins de Xochimilco, sur l’arche fleurie où les abeilles butinent les fleurs, l’accueil chaleureux (40 degrés) sur l’eau stagnante et nauséabonde clôt notre aventure.

Nous finissons notre voyage de noces au chalet de mes parents toujours accueillants. Jamais de contrainte. Jamais de « regimbage ». Jamais de dispute. À chaque fois, c’est la nage journalière au lac Bienfaisance. À quatre pattes dans ses plates-bandes, mon jardinier préféré connaît le langage des fleurs et des choses muettes. Les pins com-mandés de Hollande, plantés par lui (trois mille), grandissent à la sueur de son front. Avec sa belle voix de baryton, je l’écoute fredonner Lisandre.

1982. Pour souligner mon départ en Italie, à l’église Saint-Sauveur-des-Monts, je donne un concert d’adieu. Comme toujours, maman est mon inspiration et mon soutien. Pour la première fois de ma carrière, le programme comprend autant de chants classiques que populaires. Comme guide, Gaston Brisson. Qui dit mieux ? Personne. The beautiful, most fabulous, Gaston Brisson. Au beau milieu du spectacle, je descends de la nef et m’approche de mon cher papa pour chanter Lisandre. Il s’accapare du micro et chante cet air au complet sans oublier une seule parole. Lisandre, ça fait peur aux oiseaux.

Extrait de la publication

CET OUVRAGE, COMPOSÉ EN NOFRET 10 PTS,

À ÉTÉ ACHEVÉ D'IMPRIMER SUR LES PRESSES DE TRANSCONTINENTAL

EN SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX

POUR LE COMPTE DE MARCEL BROQUET ÉDITEUR

Extrait de la publication

DÉMESURES & PASSIONS… et c’est pas finians une prose originale, Emmanuëlle livre des histoires qui ont jalonné son parcours de chanteuse internationale. On y découvre des anecdotes amusantes, des rencontres mémo-

rables, des chansons, des poèmes de son cru, des mélodies choisies mais aussi de savoureuses recettes. Fine cuisinière, ardente épicurienne, flamboyante conteuse, c’est un univers fabuleux qui se détaille en petits épisodes. Rencontres étonnantes, faits croustillants, états d’âme, une incursion authentique au cœur de la vie de cette artiste et dont la passion n’a d’égal que son ardeur de vivre intensément, chaque jour. Une lecture contagieuse et enivrante !

EmmanuëlleJe suis le mélange d’une mère violoniste aux doigts de fée et d’un père, chantre à l’église, artiste jusqu’au bout des doigts. Dix ans de chant et de musique classique à l’école de musique Vincent-d’Indy ont été mon paradis sur terre. Pierrette Alarie, professeure de mise en scène d’opéra, a rassasié ma soif de grandiose. J’ai côtoyé Luc Plamondon, instigateur de mon premier succès au Japon, « La chanson de mon pays » orchestrée par François Dompierre. C’est à Stéphane Venne au génie notoire d’auteur, compositeur, arrangeur, producteur et mentor que je dois les moments mémorables de ma vie de chanteuse populaire. Le succès de 1973 « Et c’est pas fini », repris par la première cuvée de Star

Académie, survit encore dans la mémoire collective. Un jour, les œuvres de ce géant intarissable de l’écriture poétique et musicale, seront immortalisées. « Un jour, un jour, quand tu viendras », je te raconterai qu’« Il était une fois des gens heureux », « Le monde à l’envers »…

Dans le « Guinness 90 » « Demandez-moi n’importe quoi ou presque », la campagne promotionnelle de La Baie est la preuve d’une réussite artistique. Il suffit de rêver tout haut. J’ai fait le tour du monde, mais le plus beau pays se trouve au fond de moi dans la démesure de chaque passion me tenant en éveil même endormie. Ma force est dans ma voix, mes mots, mes recettes et mes plats cuisinés. Ne faites jamais ce qui vous déplait. Allez vers le bonheur et ce qui vous allume. C’est la grâce que je vous souhaite.

ISBN 978-2-923715-47-6

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