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Sans exception on tombe dans le despotisme en politique et la monotonie en plaisir.

CHARLES FOURIER

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Nous remercions pour leur aide et leurs suggestions : Jana Cisar, Stephen Dwoskin, Simon Field, les Films du Losange.

En couverture : Wallapa Mongkolprasert dans Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures d’Apichatpong Weerasethakul (2010).

Fondateur : Serge DaneyCofondateur : Jean-Claude BietteComité : Raymond Bellour, Sylvie Pierre, Patrice RolletConseil : Leslie Kaplan, Pierre Léon, Jacques Rancière,

Jonathan Rosenbaum, Jean Louis Schefer, Marcos UzalSecrétaire de rédaction : Jean-Luc MengusMaquette : Paul-Raymond CohenDirecteur de la publication : Paul Otchakovsky-Laurens

Revue réalisée avec le concours du Centre national du Livre

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TRAFIC 76

Puissances des regards. Au fond des bois de Benoit Jacquotpar Raymond Bellour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Esprits dans l’obscurité par Apichatpong Weerasethakul . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12La mémoire, moteur des images. Les variations d’Oncle Boonmeechez Apichatpong Weerasethakul par Christa Blümlinger . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

Vues d’Allemagnes. Volker Koepp, Peter Nestler par Benoît Turquety . . . . . . . . 31

Banalités d’un tournage au Japon, 2007-2010 par Jean-Michel Alberola . . . . . 39La distance Alberola par Dominique Païni . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45« Tenez-vous à distance et avancez lentement… » par Bernard Marcadé . . . . . . 47

Prendre note : les films de Saul Levine par P. Adams Sitney . . . . . . . . . . . . . . . 50

Sous le ciel de Dwoskin. À propos de The Sun and the Moonpar Philippe Grandrieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57Slowing creatures. À propos de quelques films récents de Stephen Dwoskinpar Cyril Béghin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

Retour sur Histoire(s), 7 par Jean-Louis Leutrat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68

L’habitation des images. Sur La Jetée de Chris Marker par Maël Renouard . . . 83Extrasystoles. De Thomas Hobbes à Chris Marker par Nathalie Mary . . . . . . . 92

Les fontaines des dieux. Le projet Akasha avec Andreï Tarkovskipar Alexander Kluge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100Dieu est dans les détails. Note sur Stalker par Jacques Aumont . . . . . . . . . . . . 104Commentaire sur Le Sacrifice par Emmanuel Siety . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112

L’œil de la nuit par Pierre Léon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

Henry King l’admirable par Jacques Lourcelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126King et les guerres au loin par Émile Breton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137

Théorie de la distraction par Walter Benjamin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142

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© Chaque auteur pour sa contribution, 2010.© P.O.L éditeur, pour l’ensemble

ISBN : 978-2-8180-0656-6

Trafic sur Internet :sommaire des anciens numéros, agenda, bulletin d’abonnement

www.pol-editeur.fr

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Puissancesdes regardsAu fond des bois de Benoit Jacquot

par Raymond Bellour

Il y a, aux deux extrêmes, deux façons, toujours mêlées, de montrer ou de suggérer l’hypnose au cinéma, l’étrange identité, la familiarité que l’hypnose entretient avec le cinéma. La première est d’adopter le point de vue du dispositif. Soit, dans

les mises en scène figurées de l’hypnose, à travers la séance elle-même, accentuer par le traitement des images ce qui participe à la fois de la réalité propre à cette expérience et ce qui tient aux conditions de projection et de vision des films (espaces, regards, cadres, lumières). Les corps offerts à la fiction sont ainsi capturés dans les effets virtuels d’un dispositif auquel ils ont contribué à donner forme. Chez les grands cinéastes, comme Lang ou Tourneur, grâce au travail continuel de l’image elle-même, une contagion prégnante s’opère de la séance d’hypnose aux éléments du récit et de la mise en scène, le film composant un bloc scintillant dont le corps du spectateur devient une part.

Comme on peut s’y attendre, c’est dans des films moins idéalement clos sur eux-mêmes, moins organiques, plus modernes, que le dispositif apparaît avec une sorte de brutalité, un semblant d’arbitraire, pour se dire une condition du cinéma. Dans le prologue du Miroir de Tarkovski, par exemple, si souvent oublié, où une séance d’hypnose, guérissant sur-le-champ un jeune homme bègue, sert de prélude au film dont elle devient un signe de connivence, une sorte de métaphore aussi vive qu’obscure. Ou chez Woody Allen, bien autrement, de Zelig à The Curse of the Jade Scorpion, selon deux modes différents. Zelig, ce film-météore, unique dans l’œuvre de son auteur, expose un délire d’identité de son personnage central, dans l’Amérique de la fin des années 1920 ; une utilisation débridée de l’archive, parant le fantasme des tons du vrai, garantit sa valeur de symptôme historique. Par deux fois, la psychiatre Eudora Fletcher plonge Zelig, l’homme-caméléon, dans l’hypnose, pour tenter d’éclairer son syndrome. D’abord, une spirale lumineuse tournante, interposée entre elle et son patient (et rappelant l’Anémic Cinéma de Duchamp), permet l’induction de la transe ;

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l’effet-dispositif se trouve accentué par le fait que l’échange se déroule au moyen de photos fixes qu’animent le montage et des mouvements de caméra. Puis, sous des allures de parodie, c’est par l’hypnose encore et le recours suivi à la suggestion post- hypnotique qu’Eudora Fletcher parviendra à renverser une situation qui lui échappe, précipitant le film dans la relation amoureuse qui le dominera jusqu’à sa fin. Presque vingt ans plus tard, The Curse of the Jade Scorpion renchérit sur une telle abstraction du dispositif, réduisant cette fois avec facilité l’hypnose à une pure détermination de scénario fondée sur la suggestion imposée de deux noms propres ; mais c’est souligner encore, même au détriment des corps mis en jeu, soumis à une sorte d’automatisme, une identité pressentie de l’hypnose avec le cinéma.

L’autre façon de se lier à l’hypnose est de la confier aux corps dont elle s’empare, de sorte qu’ils portent tout le poids de l’idée dont ils sont l’émanation. C’est ce que vient de faire, de façon très pure, Benoit Jacquot avec Au fond des bois. Dans un film antérieur (d’un peu plus de dix ans), Le Septième Ciel, il avait pris de front la question de l’hypnose qui l’a toujours préoccupé, selon la ligne de son culte pour le Lang de Mabuse et le Preminger de Whirlpool. Il avait confronté alors une jeune femme moderne à l’énigme de sa frigidité, dont l’hypnose finissait par avoir raison. Ce beau film singulier rencontrait une difficulté qu’il ne parvenait pas toujours à résoudre : comment tenir sur une seule ligne l’évocation des difficultés rencontrées par un couple, dans la vie parisienne ordinaire traitée selon un réalisme mâtiné d’un ton de comédie, et l’aventure colorée de fantastique d’un corps poussé à reconnaître son désir par sa confrontation avec l’hypnose, tant par sa lecture un instant évoquée du livre de François Roustang (Qu’est-ce que l’hypnose ?) que par la rencontre avec son hypnotiseur, et le traitement qui s’ensuit, pendant deux longues scènes surtout, filmées de sorte à prêter soudain à l’image une valeur d’excès, discrète mais cruciale, tranchant sur le reste du film ? Le grand art de l’actrice, Sandrine Kiberlain, porté par celui de son metteur en scène, lui permettait de passer avec souplesse d’un versant à l’autre du film, mais sans pouvoir gommer l’impression d’un hiatus persistant entre deux niveaux de réalité – cela même dont le cinéma d’autrefois, le grand cinéma classique, ignorait tout simplement l’existence. Voilà le hiatus que pulvérise Au fond des bois, en prenant sans réserve le parti des corps.

C’est un matin froid de province, dans le sud de la France, en 1865. Un homme jeune, petit, un vagabond hirsute, arrive en boitant près d’une église dont la cloche retentit pour la messe. Affalé à mi-hauteur de l’escalier de pierre pour dévorer son pain, il regarde à peine les femmes aux vêtements sombres qui gravissent en courant les marches. Soudain apparaît au bas de l’escalier une jeune femme en robe blanche montant à son tour. Un court temps ces deux corps s’ignorent. Puis, soudain, la jeune femme reprise en plan très rapproché au haut des marches, un gros plan revenu aussitôt sur le jeune homme atteste qu’il la voit, la fixe en la suivant de ses yeux d’un bleu-gris intense. Elle, en plan rapproché, de dos, se retourne, comme saisie, et le gros plan à nouveau revenu sur lui montre son regard interdit, pendant qu’elle pénètre

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dans l’église, se tournant une fois encore vers un hors-champ déjà lointain. L’essentiel, ici, est que le regard du garçon ait produit son premier effet quand la fille était de dos et à distance. Il ne l’avait apparemment pas vue monter, elle ne l’aurait pas aperçu assis mangeant son pain, voilà ce que la mise en scène dit. Il la suit du regard de dos et elle se retourne. Une influence s’est manifestée, qui mettra un film entier à se dénouer. L’alternance des plans la porte aussitôt. La jeune femme est maintenant assise. Lui est entré à son tour dans l’église. On voit qu’il la regarde, et quand le plan revient sur elle, on sent de loin son dos frémir. Un détail des épaules, du châle blanc couvrant les cheveux blonds, montre la tête qui se tord vers l’arrière. L’alternance qui se poursuit est ménagée de sorte à ordonner une variation progressive et à l’identique des grosseurs respectives de plans, entre la tête tirée en arrière et le regard toujours plus dévorant dans le visage du jeune homme.

Ce qui s’ensuit est une prise de regard, qui se propage. Du haut des arbres où il monte avec agilité, l’homme observe la femme par les fenêtres de sa maison ; puis dans la campagne où elle s’abandonne du haut d’un rocher à une sorte de vertige ; puis sur la terrasse où un soupirant lit un poème composé pour elle. Toujours, de loin, on voit le vagabond la voir de ce même regard intense. Une variation dans l’alter- nance des plans, soudain, impliquant donc directement le spectateur, étend encore ce mystère d’influence. De jour, il est dans l’arbre où on voit qu’il la voit (une légère avancée de la caméra le souligne). Mais le plan suivant est de nuit, une nuit bleue parcourue d’ombres et de vibrations lumineuses : par la fenêtre ouverte la jeune femme en chemise de nuit s’avance, suivie en un plan bref par le jeune homme enfoui entre les arbres ; au plan suivant, elle avance encore, jusqu’à mettre son pied sur le bord extérieur de la fenêtre. Lui est maintenant en gros plan, regard capturant et captif, suivant le corps qui se retire, s’efface peu à peu quand la fenêtre se referme. L’intensité de ce passage du jour à la nuit, pivotant autour du regard de l’homme, tient à l’indécidable : c’est comme attirée par la force des regards accumulés qu’elle ignore encore que la jeune femme va vers cette fenêtre, comme pour voir ce qu’elle ne peut voir mais en sentir l’attraction qui la force.

Benoit Jacquot a trouvé l’argument de son film dans un article de la juriste Marcela Iacub, « Les roueries de la sujétion », publié en 2005 dans Libération 1. Elle y conte l’affaire qui fit condamner sous le second Empire Timothée Castellan, un mendiant âgé de vingt-cinq ans, pour l’enlèvement et le viol de Joséphine Hugues, âgée de vingt-six ans, « à la moralité parfaite ». L’enjeu du procès fut la reconnaissance des pouvoirs de l’hypnose, et des dangers qu’elle faisait ainsi courir, jusqu’à pousser, à rebours de l’idée admise, des personnes à agir contre leur gré – Castellan revendi- quant alors pleinement ces pouvoirs, et Joséphine Hugues se trouvant par là inno- centée. Telle est la donne dont Jacquot s’est emparé pour concevoir un étrange film d’amour, film d’un amour étrange porté par l’énigme de la passion et de l’influence des corps. Car si Timothée Castellan se trouve doté de pouvoirs magiques qu’il

1. Cet article a été reproduit dans le dossier de presse du film (d’où proviennent les citations qui suivent).

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manifeste dès le soir où, feignant d’être sourd-muet, il se fait admettre à la table du docteur Hugues, « médecin des pauvres », ces pouvoirs ne sont pas clairement objectivés. Il n’est ni médecin ni nommément sorcier, bien que Joséphine une fois le nomme tel et qu’il fasse des tours de magicien ; il est comme sans identité, et son pouvoir ne touche ici en fait que Joséphine (Jacquot a évité, lors du procès final, un trait que rapporte Marcela Iacub, le jeune homme menaçant alors le procureur impérial de l’hypnotiser 1). Des regards captateurs, un doigt tournant lentement sur le bord d’un verre, des passes de la main frôlant le dos, un geste étrange, sur lequel insistera Joséphine, et qu’elle mimera même, un soir où elle entre en cata- lepsie : un frottement de doigts insistant entre le pouce et l’index, comme s’il versait du sel ; mais aussi, de façon mystérieuse, par deux fois, un papillon posé sur le front de Joséphine pendant son sommeil ; et cela sans aucun rituel vraiment fixé, mais des gestes qui, bien qu’ils se répètent, semblent naturellement sortir du corps afin de s’emparer d’un autre corps. Benoit Jacquot s’est attaché à filmer cette emprise avec un art très sûr de la variation des distances entre sa caméra et les deux corps pris dans son jeu, de sorte à composer un volume imaginaire prégnant, développé d’autant plus vivement qu’il s’inscrit dans le paysage, dans un rapport aussi violent qu’harmonieux avec le corps de la nature. Un plan magnifique, très long, après la première scène de possession et de viol brutal à demi consenti dans la cuisine de la maison, montre Joséphine suivant Timothée qui avance d’un pas rapide, sur un chemin de crête, contre un ciel immense dont le bleu est sillonné de nuages clairs, vaporeux. Elle s’est relevée, lavée, changée ; elle a regardé d’un œil fasciné la vaisselle brisée sur le sol ; elle porte la robe blanche de l’église ; elle est sortie de la maison, a descendu les marches qui mènent au jardin ; et soudain elle a couru, traversant les hautes herbes (« Attends »), et elle l’a rejoint sur le chemin (« Qu’est-ce que tu veux ? Qu’est-ce que tu veux ? – J’veux rien. – Laisse-moi partir, alors. – Pars. Allez. Va té 2 »). Sitôt qu’il sort du champ à droite, elle se tourne vers là d’où elle vient, puis se retourne, et marche, court vers le hors-champ qui l’appelle. Et elle s’enfonce avec lui au fond des bois.

Je ne sais jusqu’où il faut suivre Jacquot, lacanien de toujours, quand il répond à la suggestion qu’on lui fait de voir son film comme l’illustration de l’aphorisme célèbre de Lacan : « L’amour, c’est donner quelque chose que l’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas 3. » Il répond : « Oui, le film est un développement de cet aphorisme

1. Par deux fois, mais c’est à peine indiqué, pour préserver l’ambiguïté, ce pouvoir pourrait aller vers d’autres : le père endormi, quand Castellan traverse sa chambre la nuit, et fait vers lui un geste de la main comme pour garantir ce sommeil ; la fille des paysans chez qui Joséphine et Timothée sont recueillis un soir, et qu’il suggère d’un mot pouvoir soumettre comme Joséphine. Au moment du procès, cette puissance se trouve rapportée uniquement à Joséphine.

2. Timothée, joué par le comédien argentin Nahuel Perez Biscayart, vraiment exceptionnel dans un rôle difficile, parle une langue brute, « un mélange de provençal, de patois languedocien, d’espagnol et d’italien », précise Benoit Jacquot.

3. Toujours dans le dossier de presse, Xavier Lardoux, auteur du livre Le Cinéma de Benoit Jacquot (éditions P.C., 2006), mène un entretien avec le cinéaste.

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du docteur Lacan : Timothée donne quelque chose qu’il n’a pas (ou dont il n’a pas conscience) à Joséphine qui apparemment n’en veut pas. » Ces deux correctifs sont essentiels. Mais, à vrai dire, la question de la conscience de Timothée se pose peu : telle une force qui va, il coïncide avec la pure affirmation obscure de son être, une volonté de puissance ou de désir que tout son corps-regard exprime. Quand le père de Joséphine lui demande, lors du repas où il l’accueille, à la suite de ses tours de magie : « Comment faites-vous ? », Timothée répond par écrit : « Je suis le fils de Dieu. » Beaucoup plus tard, nu devant le feu près de Joséphine accroupie, il invoque les animaux de la forêt et s’écrie : « Dieu est une bestie sauvage. » Timothée incarne avec excès cette force animale et comme divine qui est la caractérisation la plus floue mais la plus vraisemblable de l’hypnose. Une seule fois, on le verra pleurer, après que Joséphine, comme pour mettre à l’épreuve son pouvoir magné- tique, s’est approchée sur un rocher suspendu au-dessus du vide et lui demande de la retenir à distance du seul pouvoir de son regard, le contraignant, tant sa peur soudain est grande, à le faire de la voix et du geste. À cet instant, fuyant pour pleurer seul, sous l’emprise du sentiment inconnu qui l’étreint, il est devenu presque humain.

Quant à Joséphine, en proie à un clivage qui est le sujet du film, une oscillation continuellement vécue d’un bord à l’autre et forte d’un pouvoir extrême de fasci- nation, elle en veut autant qu’elle n’en veut pas, c’est là tout l’enjeu. Son corps en veut autant que sa personne ne peut pas en vouloir, physiquement, humainement, psychologiquement, socialement. La première fois où ils font l’amour nus sans que vraiment il la force, et où peut-être elle commence à en jouir, elle dit : « Tu m’as prise », il lui répond : « Tu es venue. » Une seconde fois, devant le feu où il invoque les « bestieux », il se saisit plus doucement de Joséphine, elle l’étreint vrai- ment, et elle jouit peut-être. La troisième fois, on touche au plus fort de l’énigme. Le jour même, on les a vus attablés dans une ferme à un repas de noce. Elle dit, dévorant sa nourriture comme le faisait Timothée le soir où il a été accueilli à dîner chez son père : « On est bien ici, c’est la première fois que je bois du vin. » Le soir, ils dansent en s’embrassant comme des amoureux. Alors, Timothée, comme sans raison, tente l’épreuve extrême : d’un fer rougi au feu, il marque au fer Joséphine qui découvre son épaule et demeure insensible. C’est là, troisième fois, que la nuit, dans la forêt, elle est maintenant sur lui, le prenant sans réserve. Tout cet épisode renforce fatalement le clivage : au petit matin, s’éveillant près de Timothée qu’elle étreint, elle ressent une douleur violente à l’épaule, se lève, regarde Timothée endormi et s’enfuit. Recueillie par deux hommes dans une cabane, elle conte son histoire, qui motivera l’arrivée prochaine des gendarmes. Mais Timothée l’a retrouvée, et a posé sur son front endormi un papillon ; elle fixe en s’éveillant brutalement la fenêtre que Timothée fracasse. « Vieni », il dit ce seul mot en la touchant tendrement au visage. Et il y aura une quatrième fois, au bord de la rivière, dans laquelle ils jouent comme deux enfants, elle s’amusant à enfouir Timothée sous l’eau puis l’étreignant avec tendresse. Alors, il est d’abord sur elle allongée sur le ventre ; mais elle le retourne

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avec force, le chevauche, introduit le sexe de Timothée dans le sien et le fait jouir, longuement 1.

C’est ainsi que Joséphine, cette part d’elle qu’on peut dire son désir inconscient, mais que la vertu de réalité du cinéma fait paraître aussi bien conscient, vit une histoire d’amour divisée. Ne cessant de virer nécessairement d’un bord à l’autre, cette histoire en paraît d’autant plus extrême, et comme caractériser l’amour même. La qualité de présence d’Isild Le Besco y est pour beaucoup, son extraordinaire capacité à vaciller autour d’une ligne de frontière invisible, et constamment paraître revenir à son identité supposée sans jamais perdre physiquement la mémoire de l’affect par lequel elle a été dévorée. Une scène et trois instants, en cela, sont bouleversants.

La scène se situe en amont du procès où l’on va juger Timothée. Joséphine est conviée à subir une épreuve destinée à évaluer sa « réceptivité au magnétisme ». Un hypnotiseur professionnel nommé Corvot (souvenir littéral du mystérieux docteur de Whirlpool) endort ainsi Joséphine selon le rituel le plus éprouvé, du processus d’induction à la plongée dans l’état hypnotique. Quand Joséphine dort, le docteur lui annonce : « Je vais pincer votre bras droit, je vais le pincer fort mais vous n’aurez pas mal. » Quand il la pince, Joséphine, ouvrant les yeux, s’écrie : « Aïe, mais vous êtes idiot, quoi, vous m’avez fait mal ! » Le docteur argumente : « Vous étiez entrée en semi- transe. Si vous avez enduré la marque du fer rouge sans rien sentir, une pincette au bras me paraissait peu de chose. » Elle réplique : « Oui, mais vous n’y connaissez rien. » Le docteur ne connaît rien au désir dont, quoique prête à charger bientôt publique- ment Timothée de l’avoir envoûtée et fait « tomber en faiblesse » pour abuser d’elle « autant de fois qu’il le voulait », Joséphine a connu et connaît encore toute la force.

C’est ce que dit le premier instant. Après avoir fini de témoigner, Joséphine va se rasseoir. Elle avance, regardant droit dans les yeux Timothée, assis au premier rang, qui esquisse un sourire. D’un très gros plan que le suivi du mouvement exalte, Joséphine répond à ce sourire, ineffablement. Le deuxième instant, presque aussitôt, est plutôt un moment, par lequel le désir se réinscrit pleinement, coupant en deux le procès, entre les témoignages de chacun des amants. La beauté d’un tel moment, qui fait retour, tient encore à son caractère indécidable. C’est la nuit ; Timothée est dans sa cellule, devant la fenêtre quadrillée de barreaux. La caméra qui avance découvre, sur une poussée continue de la musique, le plan de nuit bleutée autrefois vu où Joséphine, debout dans sa fenêtre ouverte, s’avançait peut-être déjà vers le regard de Timothée. Mais cette fois, porté par une alternance renouvelée et systématique de plans, ce regard se saisit de Joséphine, parcourue des pieds à la tête, jusqu’à ce que, se tournant entre les rideaux de sa fenêtre, elle écarte le haut de sa chemise de nuit pour embrasser sa cicatrice, longuement. Le troisième instant-moment sera celui

1. Sur la jouissance explicite de la femme, Le Septième Ciel s’avère plus net, plus « féministe ». Mathilde dit à son psychanalyste-hypnotiseur, lors de la deuxième séance : « Docteur, je viens d’avoir un orgasme » – mais nous sommes à l’époque moderne. Dans un cas comme dans l’autre, Benoit Jacquot ne se montre pas un lacanien orthodoxe, si on en juge aux propos définitifs de Lacan contre l’hypnose à la fin des Quatre concepts de la psychanalyse (Seuil, 1973, p. 244-245).

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où Joséphine, devenue mère, portant au doigt la bague sortie magiquement des tours de Timothée lors du repas inaugural, va voir une dernière fois celui-ci en prison – scène filmée, dit Benoit Jacquot, « comme une scène de présentation, comme une Vierge à l’enfant ». Joséphine porte à nouveau sa même robe blanche, elle demeure quasi silencieuse, elle sourit encore à Timothée qui lui sourit, ineffablement.

On aura compris que, tout au long, c’est à travers les regards que le désir court, avant de s’abolir dans la proximité des corps qui prolonge leur puissance de captation. Suivant la ligne finement tracée d’un art du réalisme destiné à flotter, le parti pris de mise en scène de Benoit Jacquot a consisté à filmer autant qu’il était possible, dans les nombreux plans rapprochés, ses deux personnages de face, regardant droit ce qu’ils regardent et donc la caméra, de sorte à donner au spectateur le sentiment qu’il était lui-même, autant que l’autre personnage ou la réalité du monde vu, l’adresse de ces regards accumulés. Champs-contrechamps sans amorce, alternances ménagées entre les plans, à l’intérieur des scènes et glissant entre les scènes : tout contribue à amplifier, par le biais de l’identification tournante du regard, le face à face de l’écran et du spectateur qui fait de lui, en première et dernière instance, dans la situation de cinéma, l’hypnotisé. C’est par là que, prenant si fort le parti des corps, Jacquot prend aussi le parti du dispositif qui trouve dans la mise en scène du regard sa condition de formation. Un moment troublant, dans Au fond des bois, fait rouler l’un sur l’autre ces extrêmes. C’est aussitôt après la scène d’amour auprès de la rivière, et peu avant que Joséphine ne s’avance au bord du rocher pour provoquer Timothée. Elle l’interroge sur son pouvoir d’emprise. « Je viens comme ça, je mets mon regard dans l’autre, et je vois, dedans, dans la tête, j’ouvre tout, grand. – Et qu’est-ce que tu vois, par exemple, dans ma tête ? – Toi, Joséphine, vois, vois pas. » Il faut peut-être entendre que l’hypnotiseur est alors ébloui par ce corps qui lui renvoie son regard et que, dans ce corps à corps qu’il a tout au long provoqué, il devient aussi bien l’hypnotisé.

On peut ainsi comprendre pourquoi Benoit Jacquot a si pleinement réussi dans Au fond des bois ce qu’il n’avait réussi à toucher qu’à demi avec Le Septième Ciel. La première raison tient à la concentration extrême tenue sur les deux personnages, serait-ce dans le peu de scènes où un monde social participe à leur aventure. La seconde est le réalisme d’époque, que sa convention rend plus abstrait par nature, et qui irréalise ainsi l’histoire tout en l’inscrivant dans le temps, ce XIXe siècle qui nous entoure encore, où le phénomène de l’hypnose a acquis sa consistance historique, frappant de son mystère la psychologie clinique, la dotant d’une aura de fantastique. Voilà sans doute une raison de l’épilogue qui montre le départ pour Paris de Joséphine avec son amoureux devenu son mari. Une fois de plus, un train entre en gare, comme pour marquer le recommencement du cinéma, la machine du XIXe siècle qui perdure, à nouveau, par un film, moderne et classique à la fois. Les quelques passagers montés, un mouvement de caméra descend des sifflets de fumée jusqu’aux roues en action de la locomotive, puis remonte pour saisir les fenêtres des wagons qui défilent, fenêtres vides ou voyageurs assis contre les vitres, en un mouvement qui emporte ensemble le train, l’hypnose et le cinéma.

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Espritsdans l’obscurité *

par Apichatpong Weerasethakul

Par-delà la fenêtre de l’hôtel, à New Delhi, aussi loin que l’œil pouvait voir, s’étendait à perte de vue une forêt verdoyante qui se transformait, au dernier plan, en une sorte de brume obscure et blanche. Les fenêtres de l’hôtel étaient

condamnées, si bien qu’il n’était pas possible de respirer l’odeur polluée et étrange de ce beau brouillard, la chaleur lourde, oppressante, de l’air du dehors. 1

Cette ville ancienne de plusieurs millénaires, chargée des traces du passé, avait englouti des morts, et il n’était pas difficile de voir qu’elle était tout entière habitée par des fantômes vieux de plusieurs siècles, peau sombre et dents blanches, élégants et beaux, en train de marcher, se serrant. Ils étaient légèrement vêtus, transparents au point que, à travers eux, on pouvait voir les voitures, à l’arrière-plan.

À ce moment précis, je me suis efforcé de me souvenir de la Thaïlande d’il y a trente ans. Je me suis rendu compte que les souvenirs de mon enfance à Khon Kaen étaient vagues, comme s’ils dataient de mille ans auparavant. À moins que Khon Kaen ne soit tellement différente de l’Inde où je suis arrivé il y a quelques jours à peine, avec un guide de voyage pour toute boussole.

Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles je fais des films, parce que mes propres souvenirs sont troublés, mêlés à de multiples autres sources comme la lecture, l’écoute et les voyages, mes voyages et ceux des autres. À tel point qu’il m’est impossible de me souvenir du passé réel. Je fais donc des films sans savoir s’ils sont réels ; pourtant, je réveille les morts pour leur donner une nouvelle âme et une nouvelle vie.

C’est la même chose pour l’écriture. Quelquefois, comme l’a écrit Gabriel García Márquez, « la mémoire est limpide mais elle ne peut être juste ». C’est seulement notre imagination qui surgit du désir dont on veut se souvenir.

* Ce texte a été publié à l’origine en thaï dans le livre Sat Vikal (« Des forces inconnues »), Bangkok, Openbooks, collection « Film Virus », 2007. Il a été publié en anglais dans le livre dirigé par James Quandt sur Apichatpong Weerasethakul, édité en 2009 par le Film Museum de Vienne. Nous remercions son auteur de nous avoir permis de le traduire, et Simon Field, un des producteurs d’Oncle Boonmee, de s’être entremis auprès de l’auteur et du traducteur. (R.B.)

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Mon père m’a dit que, autrefois, à la place de Khon Kaen, il y avait la forêt ; le Khon Kaen que j’ai en mémoire était aussi la forêt parce que je voulais qu’il en soit ainsi : un endroit agréable et verdoyant. Dans cette forêt dense, il y avait une maison en bois sur le terrain de l’hôpital où mes parents travaillaient en tant que médecins (j’ai pu échapper au métier qu’exerçaient mes parents pour me lancer dans le cinéma et, jusqu’à ce jour, ils m’ont toujours soutenu).

Mes parents avaient l’habitude d’emmener leurs enfants au cinéma. Les premières images dont je me souviens sont celles d’un hélicoptère en vol stationnaire laissant tomber dans la mer, depuis le ciel, des centaines, des milliers de billets de banque, avec des gens furieux qui s’entre-tuaient en se tirant dessus dans un bruit assourdis- sant. Il s’agissait d’un film thaï. C’est tout ce dont j’ai pu me souvenir. Je ne sais même plus à quoi ressemblait le héros du film, s’il était beau ou pas.

Tous ces souvenirs se mélangeaient avec ceux que j’avais de ma mère et de moi-même, vêtu d’un l’uniforme d’écolier, debout devant la maison, après la douche. J’étais heureux et j’attendais de donner de la nourriture aux bonzes, tôt le matin. À vrai dire, je voudrais bien être capable de me souvenir du moment où j’étais dans le ventre de ma mère. Mais je n’ai pas atteint un niveau de sagesse suffisant. L’image de l’hélicoptère et l’aumône faite aux moines constituent donc mes deux premiers souvenirs, qui se confondent. Tous deux mêlés, ils me poursuivent encore aujourd’hui.

Il y a environ soixante-dix ans, ou davantage, les Occidentaux recevaient de jolis cartons d’invitation, témoins de leur rang social, avant de se rendre au cinéma. Ils étaient habillés de costumes trois-pièces et de jolies robes. Il en était de même dans la forêt dense de Khon Kaen. Aller au cinéma constituait une activité qui nécessitait toute une préparation : faire le voyage, attendre dans la file pour acheter les billets, admirer les affiches, acheter des friandises. On aurait dit que s’accomplissait un rituel sacré. Tous ces préparatifs rendaient le film meilleur même s’il était mauvais. Finalement, tous les films que j’ai vus avant l’âge de dix-huit ans étaient bons. Et il n’y avait heureusement pas encore de cassettes vidéo ! Il y avait autant de salles de cinéma dispersées à travers la ville que de temples, ce qui donnait à celle-ci une apparence civilisée. Une fois, j’ai entrepris le voyage pour aller voir le premier film d’animation thaï, L’Aventure de Sudsakorn, probablement au cinéma Rama, à côté de la clinique de mes parents. Dans la salle plongée dans le noir, j’étais impressionné par les motifs des costumes thaïs, les ornements qui paraient le cheval-dragon, les vagues artificielles et imaginaires. Je pensais tout bas : « Quel génie, ce Payut Ngakrachang, désormais, nous n’avons plus besoin de voir les films d’animation japonais, nous sommes capables d’en réaliser de bien meilleurs ! »

Les multiples noms des cinémas de cette ville-forêt étaient intéressants. Par exemple, « rama » vient peut-être du mot « orama », terme d’origine grecque signifiant « voir » ou « apparition d’un phénomène ». Aux États-Unis, le mot a donné « cinérama » et « odorama ». On peut aussi supposer que le mot vient d’Inde, par l’intermédiaire du terme « praram », puisque c’est en 1886, à Bombay, qu’a été diffusé pour la première fois en Asie un film des frères Lumière, le cinématographe se propageant

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ensuite de port en port, de Shanghai jusqu’à Kobe. Il a fallu six voire sept décennies pour que le cinéma parvienne jusqu’à Khon Kaen. Les noms donnés aux cinémas ont eu le temps de changer, jusqu’à prendre des racines locales, le Khon Kaen, Le Banterngchit, Le Kaen Kham, jusqu’à la dernière décennie, quand le cinéma américain a pris une ampleur mondiale, jusqu’au moment où est apparu un cinéma comme le Prince.

Les cinémas Raja et Khon Kaen diffusaient des films occidentaux, et tous deux disposaient d’une petite cage de verre, mal insonorisée, aménagée au dernier rang. On pouvait y entendre la bande-son originale, la « vraie » voix des acteurs occiden- taux. C’était un endroit réservé à quelques privilégiés seulement. Le prix des billets y était plus élevé. Nos parents avaient l’habitude de nous y installer, sans doute parce qu’ils voulaient que leurs enfants apprennent l’anglais. Mais j’entendais en même temps la version thaïe venue de l’autre côté de la salle. C’était étrange de voir le film simultanément en deux versions. Mais, souvent, nous choisissions de nous placer à l’extérieur de la cage de verre car nous voulions comprendre le film, et c’est ainsi que j’ai appris à connaître Konjanard. Quand la camionnette patrouillait dans les rues pour promouvoir une œuvre à l’affiche, flanquée de jolis panneaux peints à la main représentant les scènes clefs du film, la voix criarde de la camionnette annonçait : « Doublé en thaï par Konjanard. » Monsieur Konjanard avait un talent particulier, qui lui permettait d’incarner tous les rôles à la fois, hommes et femmes. La voix de certaines actrices était parfois étrangement grave et il n’était pas rare que des bouches immobiles à l’écran continuent de répandre sur les spectateurs un flot d’émotions bruyantes.

Nous étions aussi tous sous le charme du timbre des personnages doublés par Rong Kaomoonkadee ou Juree Osiri, qui travaillèrent jusqu’à un âge avancé. Il n’est pas surprenant que la Thaïlande ait attendu la fin des années 1980, des décennies après tous les autres pays, pour abandonner ce système.

J’ai récemment appris, précisément en Inde, où j’assistais à la projection d’un film muet, en 16 mm, de Kenji Mizoguchi, que cette manière de doubler les films était d’origine japonaise et était appelée « benshi ». Cette tradition a influencé seulement quelques pays comme Taiwan, la Corée et la Thaïlande. À l’heure actuelle, au Japon, il y a environ cent films par an qui sont encore diffusés selon la technique benshi. Le doubleur s’assied sur le côté de la scène, c’est le seul interprète de l’émotion des acteurs. Un jour, à la fin du film, l’héroïne fut condamnée à mort pour avoir involontairement tué celui qui avait tenté de la violer ; le héros, un avocat désespéré par sa condamnation, se tirait une balle dans la tête. En voyant ce film, j’ai pensé à Konjanard et à son talent finalement bien supérieur à celui de cet artiste. Konjanard, dont je ne sais plus à quoi il ressemblait.

Lorsque le cinéma Kaen Kham a été inauguré, c’était comme s’il était tombé du ciel. Il était tout près de la maison, de l’hôpital, et si on voulait, on pouvait s’y rendre à pied. Lors de son inauguration, il y eut une cérémonie grandiose. C’était le cinéma le plus grand de Khon Kaen, et, dans les yeux d’un enfant, il était comparable au

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Colisée de Rome. Une fois à l’intérieur, vous étiez impressionné par sa magnificence et par sa grandeur. Le Kaen Kham fut inauguré à l’époque où les films thaïs étaient populaires et affichaient leur patriotisme. Les traditions locales étaient mises en valeur dans des films tels que Plae Kao (« La cicatrice »), Gno Pa (« Tribu du Sud »), Luk Isan (« Fils du Nord-Est »), Khon Phukao (« Peuple des montagnes »), Phantay Norasingh (« Le rameur Norasingh ») et Leud Suphan (« Le sang des gens de Suphan »). Je me souviens des lettres sur les affiches de ces films. Elles étaient immenses, aussi grandes que la toile elle-même. Certaines étaient de style traditionnel thaï, d’autres en relief. C’est dans ce cinéma que j’ai fait la connaissance de deux grands maîtres inégalables, Vichit Kounavudhi et Cherd Songsri. Ceux-ci ont magnifiquement su capter les paysages thaïlandais. Même les buffles étaient beaux, et quand ces réalisa- teurs filmaient les villageois, habillés ou non, on sentait l’odeur de la terre. C’était comme si je voyais pour la première fois la beauté de cette forêt qui m’entourait. C’est au Kaen Kham que j’ai vu un film de Sompote Saengduenchai intitulé Paendin- wipayoak (« Catastrophes »). Le titre de ce film en 70 mm était composé de lettres alignées, en relief. Ce film racontait une histoire d’amour sur fond de catastrophe, dans des décors parmi les plus beaux de toute l’histoire du cinéma thaïlandais. Le Phra That Phanom (un célèbre stupa du nord-est du pays) en était en fait le personnage principal, foudroyé par une tempête. Le cinéaste aurait probablement été décapité s’il avait situé son histoire dans un temple où dans une enceinte sacrée plus célèbre comme celle du Temple du Bouddha d’émeraude, à Bangkok.

Ce film a sans doute été influencé par les films catastrophes occidentaux des années 1970, comme Tremblement de terre et L’Aventure du Poséidon, ou par les films japonais qui, comme Ultraman et Godzilla, utilisaient des maquettes de ville, des décors miniatures et des figurines pas plus grandes que des fourmis, destinés à être détruits (la société qui a produit Paendinwipayoak, Chaiyo Paphayon, a également produit Hanuman pob Jed Yodmanud). Le film Paendinwipayoak m’a particulière- ment marqué, sans doute parce que le stupa Phra That Phanom y incarne un véritable « personnage » (c’était le meilleur décor parmi tous les films thaïs), à l’égal de ses « vrais » partenaires, renommés, Sorapong Chatree et Piyamart Mornyakul. Cette dernière était assise au bord d’une rivière, vêtue d’un costume traditionnel thaï, et Sorapong Chatree venait discrètement l’admirer en faisant semblant de mener un buffle. Ces deux acteurs vedettes se séduisaient, au milieu d’une nature splendide, sans presque s’adresser la parole, au cours de scènes où leurs amours platoniques s’exprimaient de façon complexe. Le film a été tourné dans un village de province, peut-être à Nakhon Phanom où l’action était supposée se dérouler. Lors d’une scène particulièrement longue, on voyait de nombreux villageois vêtus de costumes traditionnels se promener dans des nuages de poussière, danser sur des musiques locales et porter en procession le chat de la pluie 1.

1. Dans le nord-est du pays, connu comme la région la plus sèche, la coutume veut que l’on organise une « procession du chat » qui consiste à prendre un chat « en otage », afin de demander son intervention

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Souvenons-nous de l’époque du cinéma muet occidental, lorsque les réalisateurs étaient contraints d’aller chercher des tribus exotiques dans les décors naturels de contrées lointaines comme la Chine et l’Afrique. Une fois le film sorti, on donnait l’impression de « vendre » des terres presque vierges peuplées de créatures étranges. Les films Paendinwipayoak et Khon Phukao étaient du même genre. Tournés en province, ils montraient l’enveloppe extérieure des traditions locales pour les « vendre » comme le ferait n’importe quel syndicat d’initiative. S’il n’est plus extraordinaire, aujourd’hui, de découvrir une culture « préemballée », c’était encore, à l’époque, un événement. Paendinwipayoak m’a pourtant procuré autant de plaisir que les jeux électroniques en donnent aux enfants d’aujourd’hui. D’abord, les vents violents de la tempête, puis la destruction des grottes, l’inondation des forêts, l’effondrement des montagnes et, enfin, la foudre qui frappe une terre apaisée, jusqu’à l’apothéose de la destruction de Phra That Phanom. Bien que le film fût adapté d’une histoire vraie, des effets spéciaux multipliaient et exagéraient les effets de la catastrophe afin de satis- faire les spectateurs. Plusieurs scènes soulignaient un élément injuste : des centaines de villageois innocents devaient payer le prix des amours interdites des deux héros. Certains acteurs, pourtant exceptionnels, n’incarnaient que des esclaves qui couraient, criaient et, finalement, mouraient comme des palmiers abattus par la tempête.

À l’époque, on ne trouvait pas grand-chose à acheter au marché local, et, sitôt la séance terminée, nous rentrions à la maison. J’essayais de reproduire les décors qui m’avaient tant fasciné dans le film, à commencer par le Phra That Phanom, que je reconstituais à l’aide de feuilles de papier savamment pliées et d’adhésif. Avec des crayons de couleur, je décorais l’ensemble de divers motifs. Aujourd’hui encore, je pourrais le dessiner de mémoire. J’avais d’ailleurs construit plusieurs décors afin de les détruire, dont certains modèles en pâte à modeler ; mais, comme je trouvais finalement qu’il était dommage de les détruire, je dessinais dessus des fissures, dont je prétendais ensuite qu’elles avaient été causées par l’impact de la foudre.

Quelques années plus tard, devenu étudiant en architecture, j’ai eu l’occasion de visiter les temples de Nakhon Phanom, dont le Phra That Phanom. À vrai dire, je ne fus pas impressionné, car le bâtiment avait été rénové et avait pris une apparence trop parfaite, rigide et presque ordinaire, comme une structure bétonnée. Le lieu réel avait perdu la magie du lieu porté à l’écran. Peut-être quelqu’un devrait-il essayer de refaire ce film ? Je serais curieux de voir si on pourrait redonner vie au Phra That Phanom d’autrefois. Je me souviens aussi d’avoir reconstitué un grand crocodile en papier après avoir vu le film Kortaikiem (« Crocodile géant »), mais échoué à repro- duire l’ours de Grizzly ou à recréer Piranha. Ma capacité à recréer les films que j’avais vus et aimés prit fin avec l’arrivée, sur le marché local, d’une reproduction de l’E.T. de Spielberg, dont le bout du doigt s’allumait…

au dieu de la pluie. Le chat est porté en triomphe et aspergé d’eau par les villageois qui entonnent des chants traditionnels. Le dieu de la pluie, pris de pitié pour le chat trempé, se voit obligé de libérer les eaux afin que les villageois relâchent l’animal. (N.d.T.)

Extrait de la publication

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Le cinéma Kaen Kham ne diffusait la plupart du temps que des films thaïs, parmi lesquels j’ai vu ceux du réalisateur Jeazzsiam, Kon Song Jao (« L’exorciste ») ou S.O.V. Hong 2 Run 44 (« École S.O.V., salle 2, promotion 44 ») dans lequel Chintara Sukapatana apparaissait dans un étrange uniforme d’écolière qu’elle troquait à la fin pour un costume de journaliste d’investigation enquêtant sur les combines d’un homme d’affaires véreux. Au milieu d’un autre film, adapté d’un fait divers, Yuea (« La proie »), Chintara était violée par un gang d’adolescents et assassinée comme Janet Leigh dans Psychose.

On peut comparer ce que montraient les films thaïs de cette époque à ce qu’aurait pu voir un animal en train d’apprendre à percevoir un monde nouveau. Les histoires commençaient à révéler certains des maux et certaines des mutations de la société thaïe, dans laquelle, par exemple, les femmes, devenues actives, restaient pourtant souvent des « proies ».

L’arrivée des vidéos VHS dans la forêt de Khon Kaen nous a permis de découvrir beaucoup d’autres « dieux » qui demeuraient dans d’autres villes, comme Fellini, Antonioni et Godard. Au fur et à mesure que nous devenions plus sophistiqués, la popularité des films thaïs diminuait. Nos dieux locaux, comme Cherd Songsee, ne pouvaient plus utiliser les buffles dans leurs films. Avec l’industrie cinématographique, arrivaient le progrès et son cortège de tracteurs.

Aller au cinéma n’était plus affaire d’élégance. Plus besoin de costumes trois-pièces, de robes de soirée, ou de faire la queue pour acheter les billets. Heureusement, Cherd avait des héritiers, une filiation le reliait à des artistes comme Khun Toranong Srichua, qui continuait à filmer la vie quotidienne des paysans comme celui incarné par Sorapong Chatree dans Plaergow. Toranong Srichua est aussi l’auteur, entre autres films de guerre, d’une œuvre dure, Sadsongkram Kampuchea (« Guerre bestiale au Cambodge »), qui voit l’acteur Darin Kornsakul errer dans la jungle, à la recherche d’un monde nouveau.

Dans Konkam Hengkhormrak (« Le bourreau des cœurs »), Toranong Srichua met en scène une mère maquerelle giflant l’une de ses filles. La blessure béante est aussi fraîche que les entrailles dévorées par les fantômes des épisodes de La Maison hantée, et rouvre d’autres plaies beaucoup plus anciennes. Quelques années plus tard, ce réalisateur a tourné Sawanchanjed (« Le septième paradis »), selon moi le plus abouti des films thaïs de ces trente dernières années. Il s’inspire de sa vie, de ses rêves et de ses souvenirs personnels, et juxtapose des séquences qui n’ont pas de rapport entre elles : la mort d’un ami très cher, une promenade à vélo, la recherche du cadavre d’un grand frère… Le réalisateur y tient aussi le rôle principal. Artiste animé par une volonté farouche d’indépendance, à la recherche du paradis, en vérité des paradis, puisque, selon la croyance traditionnelle, le paradis bouddhique comprend six niveaux, il évoque la responsabilité du cinéaste, celui qui provoque, selon ses besoins, les malheurs de l’entourage, convoque les désirs sexuels et transforme la réalité en illusion. Dans ce même film, il évoque aussi ses combats contre les producteurs thaïs de l’époque : « Ils sont malins comme des renards, ils ont de l’argent, mais pas de goût ! »

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leur lance-t-il. Aujourd’hui, qui est capable, comme lui, de faire du cinéma en faisant la guerre aux producteurs, au public et à lui-même ? Et qui, comme lui, donne encore un contenu spirituel à son travail cinématographique ? Que reste-t-il du courage, de l’indépendance d’esprit de Toranong et de sa réflexion sur le désir sexuel dans le cinéma thaï contemporain ?

Un autre des chefs-d’œuvre de Toranong vous frappe si fort que vous ne l’oubliez jamais. C’est Ubatihoat (« Méga-danger »), en anglais Bangkok Emergency, qui est encore plus violent que Bangkok Dangerous. Likit Eakmongkol y incarne un criminel qui a enlevé le jeune Sek et le retient en otage. Un peu comme dans le cinéma hong-kongais, on y gaspille des quantités incroyables de balles. Mais l’excitation portée jusqu’à l’incandescence est typiquement thaïlandaise. Pas d’artifice. Le sang, c’est le sang. Pas de couple artificiellement formé entre la journaliste couvrant l’affaire et le policier chargé de l’enquête et pourtant mal marié, les acteurs Sinjai Hongthai et Apichart Halamjiak. Même les figurants sont remarquables, aucun d’entre eux n’est acteur professionnel. Toranong confronte brutalement son public à son histoire. Sek, le jeune otage, éprouve une certaine pitié pour son geôlier et se met à l’aider quand il apprend qu’un homme politique se cache derrière son enlèvement. Il achève d’ailleurs celui-ci de ses propres mains. Sek ressemble finalement davantage à Likit qu’à son propre père. Ubatihoat offre une vision réaliste, presque documentaire, de Bangkok : au premier plan, des anonymes fuyant le danger que représente un terrain vague ; au second plan, le panneau géant d’une publicité pour Coca-Cola à 1 milliard de baths montre un groupe de chanteurs à la mode. L’hôpital reste l’hôpital, le salon télévision n’a rien d’exceptionnel, la chambre à coucher au bord du chemin de fer reste ce qu’elle est, le parking est recouvert d’un béton ordinaire. Chacun s’y comporte comme un être humain ordinaire, y compris les policiers, qui boivent et fument. Personne n’y porte de jugement sur personne (on est loin de la morale standard aujourd’hui prônée par notre ministre de la Culture…). Pas de propagande ni de langue de bois. Les hommes politiques copinent avec les parrains de la drogue, dans cette ville sans ordre où tout le monde se débrouille comme il peut. « La saleté se propage partout où les gens ont soif d’argent », assène Likit. La saleté et le cinéma commercial.

L’ouverture du cinéma Prince marqua un tournant. Équipé de l’éternelle cage de verre pour satisfaire aux besoins des étudiants de l’université de Khon Kaen qui sou- haitaient entretenir leur anglais, il proposait toutes sortes de films, thaïs et étrangers. Le gérant devait s’adapter aux attentes d’un public plus éduqué qu’auparavant, qui changeait au gré des mutations de la société et condamnait sans appel les vieux cinémas de mon enfance. L’abattage des vieux arbres devenus inutiles commençait.

Comme pour Prickkeenoo kap Mooham (« Piment et jambon »), partir tourner à l’étranger devenait le mot d’ordre, Thipayachat Chatchai abandonnant pour l’occasion les histoires d’amour à l’eau de rose sur fond carte postale de son précédent film. Là aussi, il fallait s’adapter.

Tai Entertainment Co. devenait rapidement le producteur incontournable qu’il est aujourd’hui, pour le meilleur et/ou pour le pire, peu importe. Cette société produisit

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Collectif POL

Trafic 76

Cette édition électronique de la revue

Trafic 76

a été réalisée le 26 juin 2012 par les Éditions P.O.L.

Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage,

achevé d’imprimer en novembre 2010

par Normandie Roto Impression s.a.s.

(ISBN : 9782818006566 - Numéro d’édition : 177959).

Code Sodis : N45134 - ISBN : 9782818006580

Numéro d’édition : 230238.

Extrait de la publication