14
1 -Introduction- "Une question métaphysique est une question dans laquelle nous sommes nous-mêmes en question, nous qui questionnons." M. Heidegger "METAPHYSIQUE" peut être défini le geste, d'expériene et de pensée t!u ense #le, p$r le%uel l'&! e en ient ( interr!ger l'intégr$lité de e % ue de dé!u rir l$ présene, !riginelle et !rigin$le, f!nd$trie et f! p!rte, $ssure et légiti e le !u e ent de t!ute ré$lité finie. )'intenti insép$r$#le ent de t!t$lis$ti!n unifi$trie et de r$di$lis$ti!n &iér$ +ur des $pp$renes fluentes, e %ui est &er&é et désiré, 'est un essentiel premier et dernier , prinipe uni ersel d'être et d'intelligi#ilité, d de st$#ilité. e geste se rép-te et se reprend inl$ss$#le ent $u l!ng d $is s!us des f!r es singuli-res t!u !urs neu es %ui rép!ndent ( des pr!#lé $ti%ues &$%ue f!is p$rtiuli-res* l$ /érité est !nr-te, le "M d!nne ( penser %u'( tr$ ers des figures $utres et différentes. 0$ns n!tre &ist!ire !ident$le n!t$ ent, ette $spir$ti!n ét$p&1si% tr!u e $ffetée de $ni-re déisi e p$r l$ ut$ti!n %ui, depuis l$ 2en$ $ -ne l$ pensée ( %uitter les uni ers tr$diti!nnels p!ur s'!u rir $ux p de l$ !dernité. )$ ét$p&1si%ue l$ssi%ue, en effet, ét$it t!urnée er érité !# eti e* elle is$it un s$ !ir, f!ndé en r$is!n, des prinipe !nde en s!n ense #le3 et l$ di ersité $n$r&i%ue de l'ii4#$s e piri%ue r$tt$&$it $insi p!ur elle ( un $u4del( tr$nsend$nt, s!ure é inente d !fferte ( l$ !nte pl$ti!n. Une érit$#le ré !luti!n se pr!duit $ e l$ enue ( l$ !nsiene de s!i de l$ su# eti ité li#re* dé!u r$nt l'!r $r%ue s$ présene ( s!i, l'&! e s'interr!ge d-s l!rs 4d$ns l'i $nene !nditi!ns s!i!4&ist!ri%ues4 sur le sens et l$ p!rtée de s!n $ti!n. ) dés!r $is n'est plus sép$ré et il n'$ plus p!ur f!nti!n d'$ssurer l'!r !s !s3 il est re%uis si ple ent p!ur s!utenir de l'intérieur le !u ee li#ertés en %uête de re!nn$iss$ne. ette tr$nsf!r $ti!n, epend$nt, n!us $pp$r$5t en!re intérieure ( un !de de penser* %u'il expl!re et exp!se le d! $ine de l'6tre A#s!lu !u Sens In!nditi!nné, l'&! e " ét$p&1si%ue" reste elui %ui ise un s1st- gl!#$l, susepti#le de f$ire $pp$r$5tre en s!n unité intelligi#le le t! !ffr$nt l$ g$r$ntie d7une présene et l$ s$tisf$ti!n d'un "&e84s!i". !pti is e spéul$tif d'une r$is!n pleine ent $ssurée de s!i, de s!n :!nd de s!n Sens, %ue le !nde !nte p!r$in p$r$5t %uesti!nner de $ni-re r$d $r%uée p$r l$ !nsiene d'un s$ !ir et d'un p!u !ir $rus et p$r l'e d'une $d ersité %ui l$ ren !ie ( s$ pr!pre fr$gilité, l'&u $nité $tuel plus p!u !ir ! pter sur les g$r$nties séuris$ntes de l$ ;$ture !u de l'Esprit !u de l'Hist!ire. 2en!n<$nt ( t!ute tent$ti e de sur !nter l$ finitude, elle ser$it !l!nt$ire ent ri ée $ux li ites indép$ss$#les d' t!t$le ent i $nente et rel$ti e. )$ s!#riété !pér$t!ire de l$ siene e ré$lis e luide de l'$ti!n se !n uguer$ient p!ur engendrer une !nsi n!u elle de l'existene finie %ui exlut, dé 1stifie et détruit ( s$ r$ référene ét$p&1si%ue p!ssi#le. ;!us ne i ri!ns plus seule ent les ét$ !rp&!ses de l$ ét$p&1si%ue, $r n!us seri!ns entrés =%u7!n le dépl

F. Guibal - Metafísica Em Questão

Embed Size (px)

DESCRIPTION

guibal

Citation preview

1 -Introduction-"Une question mtaphysique est une question dans laquelle nous sommes nous-mmes en question, nous qui questionnons."M. Heidegger

"METAPHYSIQUE" peut tre dfini le geste, d'exprience et de pense tout ensemble, par lequel l'homme en vient interroger l'intgralit de ce qu'il vit, en vue de dcouvrir la prsence, originelle et originale, fondatrice et fondamentale, qui porte, assure et lgitime le mouvement de toute ralit finie. L'intention est donc insparablement de totalisation unificatrice et de radicalisation hirarchisante: au cur des apparences fluentes, ce qui est cherch et dsir, c'est un essentielpremieretdernier, principe universel d'tre et d'intelligibilit, d'ordre et de stabilit. Ce geste se rpte et se reprend inlassablement au long des sicles, mais sous des formes singulires toujours neuves qui rpondent des problmatiques chaque fois particulires: la Vrit est concrte, le "Mme" ne se donne penser qu' travers des figures autres et diffrentes. Dans notre histoire occidentale notamment, cette aspiration mtaphysique se trouve affecte de manire dcisive par la mutation qui, depuis la Renaissance, amne la pense quitter les univers traditionnels pour s'ouvrir aux perspectives de la modernit. La mtaphysique classique, en effet, tait tourne vers l'tre en sa vrit objective: elle visait un savoir, fond en raison, des principes rgissant le monde en son ensemble; et la diversit anarchique de l'ici-bas empirique se rattachait ainsi pour elle un au-del transcendant, source minente de l'harmonie offerte la contemplation. Une vritable rvolution se produit avec la progressive venue la conscience de soi de la subjectivit libre: dcouvrant l'originalit qui marque sa prsence soi, l'homme s'interroge ds lors -dans l'immanence des conditions socio-historiques- sur le sens et la porte de son action. L'essentiel dsormais n'est plus spar et il n'a plus pour fonction d'assurer l'ordre objectif du cosmos; il est requis simplement pour soutenir de l'intrieur le mouvement des liberts en qute de reconnaissance. Cette transformation, cependant, nous apparat encore intrieure un mme mode de penser: qu'il explore et expose le domaine de l'tre Absolu ou celui du Sens Inconditionn, l'homme "mtaphysique" reste celui qui vise un systme global, susceptible de faire apparatre en son unit intelligible le tout de la ralit, offrant la garantie dune prsence et la satisfaction d'un "chez-soi". Or c'est cet optimisme spculatif d'une raison pleinement assure de soi, de son Fondement et de son Sens, que le monde contemporain parat questionner de manire radicale: marque par la conscience d'un savoir et d'un pouvoir accrus et par l'exprience d'une adversit qui la renvoie sa propre fragilit, l'humanit actuelle ne semble plus pouvoir compter sur les garanties scurisantes de la Nature ou de la Raison, de l'Esprit ou de l'Histoire. Renonant toute tentative de surmonter la mort et la finitude, elle serait volontairement rive aux limites indpassables d'une exprience totalement immanente et relative. La sobrit opratoire de la science et le ralisme lucide de l'action se conjugueraient pour engendrer une conscience nouvelle de l'existence finie qui exclut, dmystifie et dtruit sa racine toute rfrence mtaphysique possible. Nous ne vivrions plus seulement les mtamorphoses de la mtaphysique, car nous serions entrs quon le dplore ou qu'on s'en rjouisse- dans l'poque de sa fin, de son extinction ou de sa clture. Voil en tout cas la problmatique que je voudrais inviter ici aborder en quelques points qui mritent rflexion.2-Non-sens linguistique- C'est sous le double signe d'une rationalit positive et logique que se dveloppe un premier assaut. Au nom du ralisme exprimental, on exige de toute proposition "synthtique" (I) qu'elle puisse donner lieu une vrification au moins possible par les "faits"; faute de quoi, elle constitue un nonc arbitraire et dnu de sens. A ce principe classique de la tradition empiriste vient s'ajouter un idal plus spcifiquement moderne de clarification logique et linguistique: un discours n'est susceptible de validit et de communicabilit rationnelles que s'il peut exhiber une cohrence univoque exempte de toute ambigut, qu'elle soit d'ordre purement formel (mathmatique) ou qu'elle vise une formalisation opratoire de l'objectivit (sciences de la nature). Pour la pratique qui tente de lier ainsi rigoureusement l'exprience et la thorie, "une proposition ne constitue une assertion cognitivement doue de sens et ne peut donc tre dite vraie ou fausse que si elle est:1) ou bien analytique ou contradictoire,2) ou bien susceptible, au moins en principe, d'tre soumise un test par l'exprience" (2).Ds lors, toute prtention de discours cohrent portant sur l'uni-totalit de l'tre et du sens ne peut qu'tre dnonce comme vide et insense; la "mtaphysique" est une construction thorique laquelle fait dfaut tout critre rationnel. Si elle peut bien exprimer un certain "sentiment de la vie" (Carnap), de caractre esthtique ou religieux, son tort fondamental est de chercher -en vain- projeter sur le plan du discours thorique ce qui relve de la seule cration "potique".Non-sens spculatif, la mtaphysique est une illusion, une maladie de la pense et du langage: le discours tourne vide en cela mme qu'il croit construire de sublime. La tche, ds lors, n'est point tant de combattre une telle vacuit, plutt de dissoudre ses prtentions en montrant d'o s'engendre cette fausse problmatique; il s'agit de procder une analyse thrapeutique, un "ncessaire travail d'limination des noncs ambigus et, ce qui est encore plus utile, des questions ambigus et dnues de sens ou des pseudo - problmes" (3). Mais la clart ainsi vise et obtenue est celle du seul entendement analytique, qui limite par principe son investigation une intelligibilit de type opratoire. Peu importe cet gard que l'on explore le domaine de l'exprience objective, celui des structures formelles ou des systmes symboliques; car il s'agit toujours de savoir, en procdant des dcoupages, agencements et combinaisons, "comment a fonctionne", quelles lois obit le jeu du monde, des signes et de l'esprit. De l'tre, bien sr, mais galement du sujet ou du sens, il ne saurait mme tre question ici; la mtaphysique y est bien morte, non seulement par exclusion mthodologique, mais faute d'utilit, de pertinence et finalement d'intrt.Aller la page suivante: 3-Spculation idologiqueNotes:1) Kant reste la rfrence traditionnelle pour la distinction fondamentale entre jugements "analytiques" et "synthtiques": "Ou bien le prdicat B appartient au sujet A comme quelque chose qui est contenu dans ce concept A (de manire cache); ou bien B est compltement extrieur au concept A, bien qu'il lui soit certes rattach. Dans la premier cas, je nomme le jugementanalytique, dans l'autresynthtique" (Critique de la Raison Pure, Introduction)2) Voir dans Histoire de la philosophie (sous la direction de F. Chtelet) Tome 8, p.763) Eric. Weil "La science et la civilisation moderne ou le sens de l'insens", Essais et Confrences, Plon, I. p.293 et 2943 - Spculation idologique-C'est de manire distincte, mais non moins radicale, que la pense marxiste s'en prend au monde de la mtaphysique au nom des luttes socio-politiques qui doivent permettre et engendrer une effectuation historique plnire de la raison intgrale; la suppression, ds lors, signifie moins l'limination d'un discours insens que l'accomplissement d'une spculation abstraite. Cette accentuation nouvelle, toutefois, revt un sens bien distinct suivant qu'elle est comprise dans la ligne du " dia-mat " orthodoxe comme science du dveloppement matriel de la ralit, ou en rfrence la pense mme de Marx comme philosophie de la praxis rvolutionnaire (4).Pour Engels et la tradition du Matrialisme Dialectique qui s'enracine en lui, la mtaphysique constitue un mode de pense anachronique remplac par la dialectique moderne: point de rconciliation possible entre la vision rvolue du monde comme agrgat de choses fixes et juxtaposes dont l'ordre hirarchique invite remonter jusqu' la permanence fondatrice d'un au-del (mtaphysique) et la comprhension actuelle de l'univers comme tout relationnel et autosuffisant, en constante mtamorphose (dialectique). Tout n'est que devenir, contradictions et transformations de l'tre-matire dont la pense est le simple reflet conceptuel, voila les principes essentiels de la nouvelle "cosmovision dialectico-matrialiste" qui se donne pour fonde sur la simple "observation" scientifique et "sans prjugs " de la "ralit mme", naturelle et socio-historique. Positivisme naturaliste qui substitue bien la transcendance stable de la mtaphysique classique une immanence en volution, mais qui retient pourtant -bien inconsciemment et malgr soi- tous les traits essentiels de la forme mtaphysique: l'appui, notamment, sur une causalit originaire ainsi que la rfrence une totalit objective et extrieure dans laquelle l'homme est compris, que la thorie embrasse et que la pratique se contente de vrifier.La critique de Marx, elle, par-del la "vieille mtaphysique", questionne galement sa forme la plus avance, immanentiste et humaniste. Et elle y dcle la permanence d'une tare dcisive: la tendance se satisfaire, jusque dans ses dcouvertes les plus "rvolutionnaires", d'une vue spculative de la ralit l o celle-ci appelle une transformation critico-pratique dont les hommes ont tre les agents responsables. La lucidit mtaphysique reste purement thorique, elle demeure donc ncessairement prisonnire d'une mystification idologique; car elle oublie finalement de s'interroger sur le rle socio-historique qu'elle joue en ce monde qu'elle prtend comprendre. En prsentant une "vrit" rconciliatrice, totalisante et absolue, elle contribue justifier l'ordre tabli, elle fonctionne donc inconsciemment selon les intrts des classes dominantes et ne peut que dnier et dissimuler la vrit en lutte, opprime et mconnue, dont sont porteurs les groupes sociaux subalternes.La d-mystification, par consquent, ne saurait se rduire opposer l'immanence matrialiste une transcendance dualiste. Elle consiste plutt donner une signification neuve l'intention de la thorie en la resituant au cur d'une histoire qui reste obscure et inacheve, en la mettant au service d'une vrit encore venir et crer. Ainsi engage sans rticences ni perspectives de surplomb dans les contradictions socio-politiques du prsent et maintenue ouverte aux appels concrets de l'avenir, la lucidit conceptuelle peut perdre sa forme mtaphysique d'vasion mystifiante pour devenir modestement un instrument d'analyse et de critique raisonnables intrieur une praxis socio-historique sense: "Tous les mystres qui dtournent la thorie vers le mysticisme trouvent leur solution raisonnable dans la pratique humaine et la comprhension de cette pratique" (5). Il s'agit d'inscrire dans l'immanence de la vie historique effective, en prenant appui sur les moyens thoriques et pratiques spcifiques de la modernit domine par la technique et l'industrie, le projet de libration n avec les Grecs et dvelopp thoriquement jusqu' Hegel; ce qui exige la disparition de la mtaphysique entendue comme thorie litiste et spare, mais grce la ralisation des germes de rationalit qu'elle portait en elle sous mode encore abstrait.Aller la page suivante: 4- Constructivisme dogmatique.4) A cet gard, je me permets de renvoyer mes articles sur Gramsci, parus ici mme en Novembre et Dcembre 1976; ou encore la trs contribution de L. Kolakowski: "Le marxisme de Marx, le marxisme d'Engels. Signification de la controverse". Contemporary philosophy: A Survey, Firenze, 1969 - Diamat: Dialectique matrialiste.5) Marx, Thses sur Feuerbach, Thse N84- Constructivisme dogmatique -Outre la rationalit opratoire du positivisme et la praxis rvolutionnaire du marxisme, un troisime grand courant vient mettre en cause les constructions systmatiques de la mtaphysique; sa caractristique commune consiste revendiquer hautement les droits del'exprience intgraleen sa richesse complexe et ambigu qui dfie toute matrise a priori (6). Que l'on dcrive l'existence ou la vie historique, l'attention se porte toujours sur les paradoxes de la contingence irrductible et de la cration imprvisible, sur l'impossibilit par consquent de jamais construire ou dduire le "donn"fondamental qu'est pour l'homme son tre-au-monde originaire. Ce qui est alors reproch la mtaphysique est son rationalisme dogmatique et inhumain, qui croit pouvoir engendrer et embrasser le tout de la ralit par le jeu d'une ncessit rigoureuse. Un tel agencement dductif d'ides prtablies, en vue de se donner le monde en spectacle comprhensible, relve d'une pense "de surplomb" qui fige en thses absolues le mouvement de l'existence finie et nous arrache notre condition toujours fragile et relative. Mais tout cela repose, pour ce courant de pense, sur une fraude initiale inavoue: ce que le systme prsente en pure lumire rationnelle, il a commenc par le recevoir de l'exprience vivante. En vain cherche-t-il recouvrir d'un voile spculatif ses origines positives, faire passer dans une intelligibilit a priori et totalisante la subjectivit existentielle et sa situation socio-historique. Ce qui nous intresse en lui est prcisment ce qu'il s'efforce de cacher et d'intgrer. Nous ne pouvons donc plus "comprendre" les grands difices "explicatifs" de la mtaphysique que de manire gntique: en les rfrant leurs conditions empiriques de surgissement, en y voyant simplement des essais, tous relatifs et insatisfaisants, de s'affronter l'nigme toujours renaissante de l'existence. Rsolument voue au monde, la vision phnomnologique ne constate pas des faits et ne produit pas l'intelligible; son intentionnalit sans violence va directement aux "choses mmes" qu'elle laisse apparatre et dcrit dans leur contingence ineffaable et leur signification immanente. L'attention se porte ainsi sur ce qui chappe toute saisie dominatrice. L'unicit existentielle de l'individu, sa vrit secrte, son passage incognito, autant de paradoxes qui rompent la trame savante de la dialectique totalisante. Quant la vie de l'esprit, sa relativit est constitutive et insurmontable: ses expressions appellent une comprhension hermneutique et une critique de la raison historique sans garantie mtaphysique. On en dirait autant de la dure cratrice o prend corps lalibertvivante: l'analyse conceptuelle, valable pour les systmes clos et les institutions statiques, est inapte comprendre ce qui est processus constamment ouvert, plnitude mouvante et inventive laquelle on ne peut que communier dans la joie. S'il y a bien en tout cela une rationalit dcelable, elle estcontemporainede l'exprience, fragile et contingente comme elle: c'est ensemble que l'objectivit mondaine et la subjectivit humaine sont prises dans un mouvement d'clairement rciproque dont la problmaticit indfinie et vertigineuse exclut par principe toutes les rponses prconstruites, tires soit d'un tre massif et opaque, soit d'une conscience pure et transparente.Aller la page suivante: 5- Volont de matrise morbide6) Ce troisime courant, ax sur la description de l'exprience vivante peut rassembler toute une ligne de penseurs qui vont de Schelling et Kierkegaard Husserl et Merleau-Ponty, en passant essentiellement Dilthey et Bergson; en ce qui touche la comprhension gntique du systme, je fais implicitement allusion Dilthey, le premier avoir attir l'attention sur les crits de jeunesse de Hegel, qu'il interprtait prcisment comme une "phnomnologie de la mtaphysique".-5 Une Volont de matrise morbide... Il reste voquer la mise en question peut-tre la plus intrieure et la plus forte de la tradition mtaphysique, celle qui porte ses attaques sur la volont de fondement intelligible, en se demandantd'o procdecet effort obsessionnel. L'accus, c'est l'animal humain comme animal malade qui, tout au long de son histoire, ne peut s'empcher de rver "la prsence pleine, le fondement rassurant, l'origine et la fin du jeu" (7). De la mtaphysique comme destin morbide de la culture occidentale et de ses origines caches, tel pourrait tre le titre global qui rsumerait sur ce point le propos essentiel de cette entreprise dnonciatrice et destructrice. F. Nietzsche et M. Heidegger sont mon sens ceux qui mnent cet ultime assaut avec la vigueur et la rigueur la plus extrme; au nom d'une vie plus vivante et cratrice (Nietzsche), aux nom d'unepenseplus pensante et mditative (Heidegger), ils visent librer la philosophie de ses amarres onto-tho-logiques pour l'ouvrir l'accueil potique du jeu du monde en sa gratuit innocente et cruelle. Pour Nietzsche, c'est l'incapacit supporter ce que l'existence phnomnale comporte de fragmentaire, d'inconnu, voire de contradictoire, qui pousse la raison (subjective, logique) se rfrer la solidit (objective, ontologique) d'un outre-monde idal et inconditionn: l'tre absolu, avec ses corollaires classiques d'unit, de vrit et de bont, voil ce qui doit juger, mesurer et "sauver"le monde des apparences. Mais ce jugement est ngatif et cette mesure rpressive, puisque en appeler "un autre monde que le monde de la vie, de la nature et de l'histoire", c'est nier et rejeter logiquement "ce monde, notre monde, son oppos" (8); il s'agit donc d'un bien trange "salut", qui passe par une dvaluation systmatique de la spontanit fluide et de la relativit plurielle de la vie! De fait, en allant du devenir l'tre, du multiple l'un, du divers l'identique, des phnomnes changeants l'essence permanente, nous passons galement de la richesse d'un monde en renouvellement incessant la pauvret exsangue et touffante du vide. Les constructions mtaphysiques s'lvent pour offrir toute ralit l'abri d'un fondement essentiel, le refuge d'une rflexion dans un logos un et comprhensif, conscient et universel; mais elles ressemblent ainsi de gigantesques cages ou d'immenses cimetires; car elles s'efforcent en vrit de figer dans un savoir de mort le mouvement et la varit du monde et de l'existence. Leur "ordre" intelligible est celui de l'araigne qui tisse sa toile pour capturer et asphyxier, dvorer et assimiler ce qui relve de la singularit originale et de l'altrit droutante; de tels difices s'exhale une odeur ftide de pourriture nausabonde. C'est que cet idal crpusculaire est inconsciemment produit et soutenu par une haine profonde, par un dsir peine masqu de vengeance mortifre contre une vie prouve comme hostile et menaante: "c'est le ressentiment des mtaphysiciens contre le rel qui est ici crateur" (9). Le sujet de la mtaphysique, c'est un homme faible, extnu, jamais marqu par lapeurdu monde et de soi-mme, du corps et de la libert, du nouveau et de l'tranger. Pour compenser sa mdiocrit et se protger, il prouve lebesoind'une plnitude sans faille, d'un chez-soi familier et rassurant o il puisse se retrouver hors de tout risque. C'est la vie morbide et sa mesure humaine, trop humaine, qui se cre le fantasme d'une vie invulnrable, indiffrencie, toujours gale soi; peur de soi-mme (comme libert cratrice) et obsession de soi-mme (comme animal impuissant) vont de pair pour engendrer ces projections d'un tre pur identique au pur Nant, pour susciter ces aspirations une Vie absolue qui n'est qu'un autre nom de la Mort. L'tre stable et substantiel du monde classique, mais aussi le sujet certain de sa prsence soi de la modernit tel qu'il se cherche dans une histoire conue comme processus unitaire et totalit intelligible ou dans un savoir et un pouvoir dominateurs rduisant l'opacit du rel la disponibilit d'une transparence homogne et narcissique, ce sont l autant d'expressions de ce monde-vrit forg l'image d'un homme malade;autant d'idoles par consquent qu'il importe d'oublier et de sacrifier pour que puisse venir au jour la libert vivante dans l'adhsion sans rticences l'altrit de ce qui ad-vient. C'est sous un mode plus thorique, plus fascin aussi peut-tre par la problmatique ontologique traditionnelle, que Heidegger mdite sur l'histoire et le destin de la mtaphysique. Et pour en reconnatre d'abord la grandeur irrcusable en tant que questionnement qui vise saisir la totalit de ce qui est dans la lumire intelligible de l'tre comme tel: "Il est vrai que la mtaphysique reprsente l'tant dans son tre et pense ainsi l'tre de l'tant" (10). Mais une double critique fondamentale est adresse ce type de conceptualit: 1)l'tre laquelle elle se rfre n'est qu'un tant minent qui a la forme d'une prsence et d'une subsistance immobile; 2) il n'est l que pour rendre possible la comprhension des tants, pour permettre la subjectivit de s'en emparer. Autrement dit, "l'tre" de la mtaphysique se rduit son rle clairant, il est pos comme le fondement (transcendant) ou la condition (transcendantale) d'une interprtation globale de la ralit; mais il n'est jamais interrog ni pens pour lui-mme, dans le mystre de son altrit, dans l'obscurit de sa lumire. D'o le reproche dcisif de ne jamais se tourner vritablement vers ce "rien" d'tant "qu'est" l'tre: la mtaphysique "ne pense pas la diffrence de l'tre et de l'tant, ne pose pas la question sur la vrit de l'tre lui-mme, ne demande pas comment l'essence de l'homme appartient la vrit de l'tre" (11). C'est cette mconnaissance, cet oubli obstin de l'uniquencessaire qu'est due la structure fonctionnelle et dominatrice de la forme mtaphysique laquelle le destin de l'Occident est tragiquement li. S'il faut bien ds lors s'approprier ce destin menaant en se faisant attentif au don de l'tre jusque dans son oubli et son retrait, cela passe par une destruction cratrice de la tradition, seule capable de librer l'ouverture ventuelle qu'elle recle. Aussi la pense de l'tre ne cherche-t-elle pas ce "salut" possible dans une avance diffrente du savoir, mais bien dans un recul et une distance, dans une coute mditative de l'inou plus accorde au chant des potes qu'aux discours rationnels de la lgitimation mtaphysique.Aller la page suivante: 6- Une Clture problmatiqueNotes:7) J. Derrida, L'Ecriture et la Diffrence, Seuil, page 4278) Le Gai Savoir, &3449) Indit, Schlechta Ullstein, 4, page 47410) Lettre sur l'humanisme, Aubier, Col. bilingue, page 53 11) Ibiden6- Une clture problmatique Est-ce dire que nous nous acheminions ainsi vers un monde et une pense tranquillement non mtaphysiques ou postmtaphysiques? On peut douter que les choses soient si platement claires. D'abord parce qu'il n'est nullement vident que le seul mot de "mtaphysique" suffise rendre compte de toute la rflexion occidentale traditionnelle (12); l'histoire de la pense (mtaphysique) n'est-elle pas tout autant celle de sonautoquestionnementincessant, de ses tentatives renouveles pour excder ses propres reprsentations et interroger les difices systmatiques qui la trahissent autant qu'ils la traduisent? Ensuite parce que les prtendues "sorties" hors de la mtaphysique, outre qu'elles sont multiples et contradictoires dans leurs orientations, ne peuvent chapper aussi facilement qu'on l'imagine la conceptualit mme qu'elles rejettent et entendent abandonner: "tous ces discours destructeurs et tous leurs analogues sont pris dans une sorte de cercle", dans la mesure o, pour "branler la mtaphysique", "nous ne disposons d'aucun langage -d'aucune syntaxe et d'aucun lexique- qui soit tranger son histoire" (13). Voil qui invite reprendre les attaques prcdemment analyses en valuant dsormais ce qu'elles comportent d'irrductiblementcomplexe:leurs dclarations de principe recouvrent en effet aussi bien des retombes inconscientes dans la mtaphysique la plus traditionnelle que des ouvertures et des dbordements qui font signe vers un ailleurs et un autrement.Langages La contestation opratoire cherche lgitimement s'opposer au vide et l'arbitraire des constructions thoriques invrifiables. Mais les difficults commencent lorsque cet effort mthodologique, limit et fcond, se convertit sans crier gare en nouveau systme ontologique dans lequel toute interrogation raisonne sur l'homme, son histoire et son sens est exclue. Car c'est au nom d'une "foi" scientiste en l'idal clair de la connaissance objective pose comme valeur unique, au nom galement d'une volont de matrise thorique absolue, que l'on en vient refouler et abandonner l'opinion prive de chacun les questions essentielles de la vie et de l'existence. On aboutit au paradoxe d'une rationalit absurde qui ne peut ni ne veut interroger sur "ce que peut bien signifier le fait de vivre, comme nous le faisons aprs tout, dans un monde sens, dans une nature et une histoire vivantes et vcues, et non dans ces mondes dlibrment abstraits qui sont ceux du physicien, des historiens et des ethnologues de profession", d'une rationalit donc qui se rend incapable de dire "qui nous sommes, nous qui vivons dans ce monde et y avons construit les sciences, les technologies et des philosophies analytique ou pragmatique" (14). Cette limitation constitutive du discours scientifique a t fortement ressentie par un homme comme L. Wittgenstein. Une des thses les plus centrales duTractatus logico-Philosophicusest prcisment que les problmes les plus importants, vitalement, et les plus significatifs, existentiellement, sont in-senss dans le champ de la connaissance et du langage objectifs. Mais cette dtermination ngative ne suffit pas: prouvant que l'investigation scientifique nous laisse par essence insatisfaits, Wittgenstein soutient qu'il est possible de "montrer" ou d'indiquer comme "mystique" ce que la philosophie cherchait "dire" et enseigner comme "mtaphysique" (15). Il nuancera mme par la suite cette position excessivement tranchante en reconnaissant que la rigueur du discours "empirico-formel" n'puise ni l'exprience, ni le langage, ni l'intelligible. LesRecherches Philosophiquesdvelopperont dans cette ligne la fameuse thorie des "jeux de langage": la construction idale d'un langage formel, artificiel et univoque, il faut prfrer l'analyse et l'coute des langages existants comme modes divers, ayant leurs rgles et leur logique propres, pour articuler l'exprience humaine. La rflexion peut ds lors cesser de s'obnubiler sur la seule description objective pour se faire attentive aux expressions multiples de la communication linguistique: le commandement et la promesse, l'exclamation et l'interrogation, l'vocation et l'invocation ne sont cet gard pas moins "senss" que la constatation exprimentale ou l'explication logico-rationnelle... La recherche mtaphysique et son langage ne peuvent plus tre frapps a priori d'insignifiance. Car il est sans doute ncessaire de chercher analyser le fonctionnement des structures symboliques, linguistiques ou socio-historiques, dans lesquelles s'inscrit la subjectivit humaine; mais condition de reconnatre que ces "processus combinatoires" qui dfinissent "le champ o a parle" (16) voquent par leur "jeu" mme l'originalit mouvante d'un sujet dsirant, parlant et questionnant... La communication vivante, analyse dans toutes ses dimensions, apparat comme le lieu d'une coute et d'un appel que ne saurait expliquer, satisfaire ni puiser aucun code combinatoire.Praxis Mais, objectera-t-on, cette problmatique axe sur le "qui parle?" reste contemplative et aristocratique. Et c'est prcisment le mrite historique du marxisme d'avoir attir l'attention sur le fait que "le mondesub specie communicationisn'est pas la totalit du monde" (17), en subordonnant par l la question thorique du sens l'urgence pratique de la transformation des conditions. Qui mange et qui travaille? Qui agit et qui lutte? Qui souffre et qui meurt? Voil les seules questions qui intressent vraiment les individus vivants concrets. Et elles n'appellent pas de rponses "spculatives", seulement l'effort d'une praxis militante cherchant faire advenir dans la vie historique (conomique, sociale, politique) une rationalit fragile et contingente, trangre aux difices conceptuels figs parce que lie dsormais au travail humain et aux luttes sociales.Pourtant la "philosophie de la praxis" reste pour une large part hritire et prisonnire de cette pense mtaphysique qu'elle cherche "achever". Non point sans doute sous la forme caricaturale, trangre Marx, de reconstituer un nouveau systme du monde, o le pouvoir fait jouer un rle explicatif, totalisant et justificatif, un prtendu savoir dialectico - matrialiste. Mais par certaines tendances, dj, intrieures la conception matrialiste de l'histoire celle-ci ne se targue-t-elle pas d'tre la "science de l'histoire", la connaissance adquate d'un processus lisible et dterminable, se droulant avec une ncessit analogue celle de forces naturelles? Et il y a plus grave que ces "retombes" de type naturaliste c'est par le centre mme de sa pense, par son ontologie latente du travail industriel productif que Marx appartient au monde de la mtaphysique moderne: qui "posel'ego cogitoet lui prescrit de s'annexer lares extensa" (18) Quoi d'tonnant si une telle glorification de la conscience laborieuse dbouche sur une totalisation idale, utopique et idyllique, des contradictions historiques? Le proltariat comme sujet social port l'universel du sens, la socit communiste comme "solution consciente du mystre de l'histoire" (19), autant de reprsentations idologiques fort peu critiques qui ne nous font gure sortir d'une vision mtaphysique nave et inconsciente. Cela tient probablement au fait que la vise fondamentale de Marx -celle d'une effectuation historico-pratique de la raison- reste prise dans une sagesse qui manque de vritable radicalit dans l'interrogation: "Marx laisse en suspens la question: au nom de quoi et en vue de quoi l'activit humaine, mme dsaline, doit se perptuer et se dployer?" (20). Le souci des conditions transformer fait oublier ou laisser de ct les questions inhrentes la finitude, celles de la gratuit tragique, celles du dsir et de l'altrit, celles de l'tre et de son sens. Et sans doute peut-on soutenir que cet oubli est conscient et temporaire, qu'il est mise entre parenthses provisoire, exige par l'urgence des tches empiriques du prsent; plus tard peut-tre, dans un monde enfin devenu raisonnable, il sera loisible de s'aventurer avec moins d'illusions sur les sentiers de la pense cratrice aux prises avec les nigmes de la vie et de la mort, de la connaissance et de l'amour (21). On se demande pourtant si le fait de rserver une telle ouverture -constitutive de l'existence finie- un avenir indtermin, vcu par d'autres, peut vraiment tre considr comme satisfaisant. Ne serait-ce pas plutt ds aujourd'hui que chacun est appel travailler et lutter certes, mais galement interroger, en vue d'une libration socio-conomique (faim, misre) bien sr, mais aussi politique (servitude, dpendance) et culturelle (manipulation, alination)? La prise au srieux des conditions invite elle-mme couter les questions qui leur sont irrductibles.Aller la page suivante: Exprience, Vie et penseNotes:12) C'est ainsi que P. Ricoeur refuse, contre Heidegger, la "commodit, devenue paresse de pense, de faire tenir sous un seul mot -mtaphysique- le tout de la pense occidentale" (La Mtaphore vive, Seuil page 39, 395 397).13) J. Derrida, L'Ecriture et la Diffrence page 412.14) E. Weil, "La science et la civilisation moderne", Essais et Confrences. Plon. I, page 294.15) Voir essentiellement la dernire partie duTractatus,Des propositions 6. 4 et suivantes jusqu' l'ultime nonc de 7. On sait que Wittgenstein ne partageait nullement le mpris du "Cercle de Vienne" pour la mtaphysique et son histoire; il estimait que les oeuvres mtaphysiques du pass faisaient "partie des productions les plus nobles de l'esprit humain" (Cf. le Bulletin de la Socit franaise de philosophie, 23 - 03 - 1973 p. 115).16) G. Morel, Conflits de la modernit, (Aubier Montaigne), page 309 ( propos de Lacan).7- Exprience - Vie et penseExprience Cette attitude, qui dborde aussi bien l'efficacit opratoire que les luttes concrtes, invite se tourner vers l'exprience en son intgrit, vcue et dcrite comme le lieu o la ralit se montre dans sa rationalit contingente. Dans la conversion aux choses mmes se trouveraient surmontes les prtentions rationalistes de la mtaphysique. Mais le projet phnomnologique n'est pas si innocent: il est secrtement anim, voire aimant, par l'attirance de la lumire, d'une lumire que Husserl rapportera finalement la sphre de l'Ego (du sujet pensant). Aussi l'ouverture respectueuse l'altrit et au dehors prend-elle facilement la forme d'une rduction assimilatrice: la relativit problmatique de l'exprience nue se substituent de nouvelles constructions. C'est que la fragilit rationnelle a besoin de s'assurer contre les menaces de la violence, du corps et du temps, de l'intersubjectivit et de l'histoire; il lui faut sedonnerun monde habitable en se constituant en "horizon" de l'exprience. Et cette ide d'une destination historique raisonnable reste celle d'une subjectivit toujours proche de soi qui ne cesse de rfrer l'exil des signes au royaume de la prsence primordiale et finale (22). Lumire, conscience, vie prsente soi: nous ne sortons pas de l'univers mtaphysique de la modernit. Il est cependant une autre manire pour l'exprience phnomnologique d'voquer "le mtaphysique" inhrent aux paradoxes de la condition humaine: par le simple veil ce que le surgissement du sens au coeur de la vie individuelle et sociale comporte jamais de problmatique et d'tonnant. La positivit de la ralit quotidienne, "le monde, les autres, l'histoire de l'humanit, la vrit, la culture", tel serait son "objet"; mais cette "connexion vivante de moi avec moi et de moi avec les autres" au sein d'un monde sens serait perue et pense dans "le miracle de son apparition" (23). Par-del les constructions a priori de la mtaphysique classique pourrait tre retrouv ce que leur langage visait en l'occultant, "un rapport avec l'tre, les autres, le monde" (24) qui implique enracinement charnel et transcendance interrogative, qui ne se fige jamais en donn objectif. Le mouvement mme de l'existence, comme ouverture l'univers naturel et socio-historique, relancerait sans fin la qute ontologique, en n'oubliant jamais "en mme temps que la signification "tre", l'tre de la signification et la place de la signification dans l'Etre"(25).Vie et pense Des tensions analogues peuvent tre dceles l'intrieur de la destruction gnalogique d'un Nietzsche et d'un Heidegger. L'antimtaphysique du premier n'a-t-elle pas prcisment t dnonce par le second comme l'achvement et l'accomplissement mme de la mtaphysique? Le vouloir affirmatif de la vie faonnerait encore un tre adquat une subjectivit anthropomorphe pose comme "le centre et la mesure de l'tant comme tel et dans sa totalit" (26). La matrise sur-humaine resterait de style hyper - anthropocentrique, incapable de jamais interroger l'tre lui-mme en son manque et son absence, en son occultation et son mystre. Mais on sait galement la partialit minemment discutable d'une telle interprtation qui force les perspectives fulgurantes de Nietzsche entrer dans les cadres trop sages et trop classiques d'une problmatique ontologique, qui mconnait l'exubrance et la dcentration qui caractrisent la cration nietzschenne. Car, si mtaphysique il y a, ce n'est point celle d'un tre oubli en raison de l'obsession des tants, plutt celle d'un acquiescement amoureux au passage ludique et la joie tragique de la vie dionysiaque en ses ternelles mtamorphoses. La pense heideggrienne, de son ct, s'efforce de surmonter les reprsentations objectivantes de la mtaphysique en acceptant la perte de tout "vouloir-fonder", en accueillant l'ouverture originelle qui accorde l'existence et le monde, en clbrant pour lui-mme le jeu sans pourquoi de l'tre et du Temps. Soucieuse d'voquer exclusivement le don de l'tre qui rassemble ciel et terre ainsi que divins et mortels, il semble mme qu'elle tente parfois pour ce faire de laisser lui-mme son pass mtaphysique... La dmarche, pourtant, n'est pas si simple. Car l'oubli et l'errance dont tmoignent les systmes mtaphysiques constituent une fatalit incontournable, un destin et une histoiredel'tre mme. Aussi le "surmontement" de la mtaphysique est-il identiquement un "retour son fondement" en vue de s'approprier le don de l'tre travers son retrait et sa rserve. La pense mditante ne s'ouvre au jeu de l'tre qu'en se tournant vers son "demeurer manquant" (27), en questionnant son absence, seule trace perceptible de sa venue secrte et toujours dj drobe. Geste de rupture, sans doute, et trs original, mais aussi inscrit dans une tradition irrductible la clture mtaphysico -reprsentative: "ce n'est pas la premire fois que l'tre doit tre biff pour tre reconnu dans sa rserve et sa gnrosit, sa retenue et sa gratuit" (28). La question de la vrit de l'tre appartiendrait encore aux mondes traditionnels qu'elle contribue branler: le fondamental, l'authentique et l'originaire, mais aussi le propre et le proche, l'coute et la voix, autant de "valeurs" suspectes toujours suspendues finalement au privilge symptomatique de la "prsence du prsent"(29). Ce qui permet de retourner ironiquement certaines accusations en voquant la possibilit lgitime de voir dans la pense mditante le "dernier sursaut ensommeill de l'Homme suprieur" (30).Aller la page suivante:Mtaphysique morte, mtaphysique vivanteNotes:22) J. Derrida parle ce propos du "Schme d'une mtaphysique de la prsence qui s'essouffle inlassablement faire driver la diffrence" (La Voie et le Phnomne, PUF, page 114); la diffrence indfinie de l'exprience Husserlienne resterait prise dans l'horizon de l'infinit positive du savoir absolu Hglien.23) Merleau-Ponty, Sens et Non-sens, Nagel, page 165.24) "Partout et Nulle Part", Eloge de la philosophie (Gallimard, Ides), page 239.25) Le Visible et l'Invisible Gallimard page 160.26) Heidegger, Nietzsche, Gallimard, Tome 2 page 10327) Nietzsche tome 1, page 289.28) Ricoeur, La Mtaphore vive page 397.29) Cf. J. Derrida "Les Fins de l'homme", Marges, page 157: "Si Heidegger a radicalement dconstruit l'autorit du prsent sur la mtaphysique, c'est pour nous conduire penser la prsence du prsent."30) Marges page 163.

8- Mtaphysique morte, mtaphysique vivante.Que peut indiquer une telle complexit qui "permet ces destructeurs" de la mtaphysique "de se dtruire rciproquement" (31)? Sans doute d'abord qu'il n'y a point ici de geste simple, qu'on n'en a jamais fini avec la "fin de la mtaphysique", que "le passage au-del de la philosophie ne consiste pas tourner la page de la philosophie (ce qui revient le plus souvent mal philosopher), mais continuer lire d'une certaine manire les philosophes" (32). En prtant prcisment l'attention la plus extrme et la plus vigilante ce qui ne cesse de diviser de l'intrieur toute pense: une tendance abolir toute diffrence, toute distance et toute altrit dans un "vouloir s'entendre - parler absolu" (33), rve et fantasme du plein jour d'une prsence sans faille; mais aussi l'inscription en cela mme de rsistances - le corps, l'criture, la violence, etc - qui vouent un chec toujours recommenc cette aspiration proprement narcissique. La "dconstruction", geste sans fin, serait ce partage toujours r-effectuer entre la fermeture "logocentrique" et ses marges, ses bords, ses traces et ses excs ...Cette entreprise fine et suggestive laisse pourtant insatisfait pour deux raisons majeures:1) son enfermement volontairement "nihiliste" dans une pratique destructrice (de la prsence, du sens, de la vrit) qui risque l'essoufflement refuser obstinment toute orientation positive et cratrice;2) la tendance corrlative identifier trop simplement mtaphysique et clture de la prsence ( soi). Or, c'est peut-tre l'intrieur mme de la mtaphysique qu'il conviendrait d'oprer un partage. En reprenant certaine distinction, commune Kant et Bergson, entre systme et attitude:-morte serait la mtaphysique comme contenu dogmatique de thses prtention explicative et totalisante;-vivante resterait la mtaphysique comme disposition constitutive l'interrogation, comme "effort toujours renouvel pour dpasser nos ides actuelles" en vue de communier de plus prs et avec moins d'illusions au mouvement de "l'exprience intgrale" (34).Cela toutefois ne saurait suffire. Car il est videmment trop facile et trop rapide de dissocier ainsi l'effort systmatique et la pense existentielle: lorsqu'il s'agit de philosophie, c'est toujours travers un certain agencement cohrent de catgories rflchies que tente de s'indiquer un geste qui les transcende mais qui se traduit et passe travers elles. Aussi la vraie question porte-t-elle indissolublement sur le discours et sur l'attitude, sur le type de rapport qui les unit, sur l'aspect sain et morbide de ce qui se cherche travers leur rapport. Morte (ou dtruire) serait alors la mtaphysique comme systme transparent et surhumain qui fuit et refuse la dure fragilit de la contingence en se rfugiant dans une prsence stable et rassurante, qui aboutit des constructions de style onto-thologique dont le ressort secret est la peur (de soi, des autres, du rel) et le besoin de possder ou dominer, dont l'orientation est fondamentalement rductrice et anthropocentrique. Vivante (ou crer) serait la mtaphysique comme volont de cohrence qui tente de se comprendre et d'clairer l'obscurit de l'exprience effective en acquiesant amoureusement ce qui est, en disant "oui" une "prsence" infixable et sans lieu propre; l'attitude est celle de la libert ouverte sans retour au respect et au Dsir de l'Autre.Perspectives

Des diverses contestations voques, je retiendrai d'abord au moins la leon suivante: hors de la prise au srieux de la positivit - naturelle, sociale et historique - connue et analyse le plus rigoureusement possible, vcue et transforme le plus efficacement possible, tout essai de problmatique mtaphysique dgnre invitablement en retombe idologique et alinante. C'est donc seulement du cur de la ralit actuelle, immanente et militante - et sans jamais s'en vader - que peut surgir sans trop d'illusion un questionnement mtaphysique, celui de la libert finie accueillant et interrogeant son prsent en ses dimensions constitutives. Conditionnement et situation, perspective et engagement ne peuvent jamais tre abolis par la radicalisation et l'universalisation mtaphysiques qui visent seulement comprendre et approfondir l'exprience des individus vivants.Sur cette base solide et toujours prsente, le ressort primordial de l'attitude mtaphysique est sans doute l'tonnement interrogatif face ce qui ad-vient sans que l'homme jamais puisse s'en saisir et le dominer: le monde, l'existence, la libert. Excdant tous les "pourquoi" fondateurs non moins que tous les "comment"explicatifs, l'attention admirative peut se porter - sans se fixer ni se figer - sur "la merveille des merveilles que l'tant est" (35), et non pas rien, que la nature clt et que l'histoire se droule, que l'tre se dploie et que la vie passe. Don de l'tre qui rclame coute et mmoire, "la veille comme la garde monte auprs de la maison" qui recueille et abrite; appel de la Vie qui exige cration et oubli, "l'veil au jour qui vient, la veille duquel nous sommes" (36) et qu'il nous faut attendre exposs et dcouvert. Transcendance dans l'immanence, origines - bondissantes et profondeurs abyssales. Tensions. Accord?Sur de tels chemins, dj, l'exprience mtaphysique apparat comme mise en question, aventure, dcentrement: "l'homme prouve qu'il est prouv" (37). Mais le mouvement qui porte la subjectivit vers la transcendance n'est point encore son terme, car il va mme au-del de l'tre, vers "l'autrement qu'tre". C'est par la rencontre thique du prochain, par le regard lev vers le visage dont la parole me juge et me questionne de toute sa hauteur infinie que peut tre suscite et fraye cette voie du Dsir vers le Spar et l'Absent - Autre: "la mtaphysique se joue dans les rapports thiques" (38), au coeur des relations interhumaines. Le geste est de rupture sans retour, marche sans fin vers le Dehors et l'Ailleurs o ne cesse de nous appeler la voix de l'tranger.Mais geste sans rupture et marche qui ne conduit aucun arrire-monde. Car c'est au sein de la relativit mouvante et de l'effectivit contingente des conditions qu'il est possible la subjectivit libre et finie de s'ouvrir l'interpellation des autres et de l'Autre, de se laisser ainsi questionner et transformer par la gratuit absolue d'une prsence qui est toujours prsence - , donne et offerte sans retour.Point d'opposition instituer ici entre le Soi et l'Autre, entre la relation et la non-relation, mais le paradoxe prouver d'une relation fonde sur l'altrit et qui ne cesse de la creuser. Mtaphysique peut tre dite alors cette exprience - pratique et thorique - de la libert face l'Autre, prise dans une relation de reconnaissance rciproque o la communication s'effectue travers une distance et une diffrence ternelles. Il est lgitime ce niveau -avec prudence, sans inflation, mais galement sans mauvaise dfiance ni peur - de parler d'amour, s'il est vrai qu'aimer, c'est accepter d'tre soi-mme et sans armure devant l'autre, tout en voulant "que l'autre soit lui-mme dans son irremplaable spcificit" (39).Cette mtaphysique renouvele, dont il n'y a ici que quelques orientations possibles, ne saurait rompre totalement avec la tradition dont elle hrite. Sur trois points capitaux, cependant, elle parat appele l'originalit.1. Comme pense humaine, irrductiblement inscrite et relative, elle doit renoncer la conviction de jamais "dtenir, avec ses concepts, les clefs de la nature ou de l'histoire" (40); la recherche et l'interrogation sont sa part, non les croyances dogmatiques et totalisantes.2. La transcendance vers laquelle elle se dirige n'est point celle d'un tre ou d'un Sens assurant finalement le savoir et le pouvoir du Mme, mais celle d'un Autre qui ne rsout ni ne garantit rien, qui veille bien plutt et ne cesse d'inquiter la libert qui se tourne vers Lui.3. Enfin, l'exprience intgrale (non totalitaire!) ) laquelle elle invite et qu'elle s'efforce de traduire n'est pas simple vue rserve une lite contemplative, car la thorie n'est l que pour permettre une meilleure reconnaissance d'une vie en principe (et en fait!) offerte tous; elle joue seulement comme mdiatrice d'une attitude seule dcisive qui passe par le dnuement, le dpouillement et la dcentration de soi. Et de cet essentiel, est-il besoin de le rappeler, les intellectuels n'ont nul monopole.Francis Guibal - Etudes, Aot/Septembre - 197931) Derrida, l'criture et la diffrence, page 41332) Ibidem p. 421 42233) La Voix et le Phnomne p.11534) Bergson, oeuvres p.1428 et 143235) Heidegger, Questions1, Gallimard p.7836) Derrida, "Les Fins de l'homme", Marges, p.163 - 164. Ces deux formes de "veilles" renvoient respectivement Heidegger et Nietzsche.37) J. Wahl, l'Exprience mtaphysique, Flammarion p.938) Lvinas, Totalit et infini p.3939) G. Morel, Questions d'homme, tome 2 (l'Autre), p.27240) Merleau-Ponty, "Partout et Nulle part", loge de la philosophie, Gallimard p.238.