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Document 1 de 1 JurisClasseur Procédure civile Cote : 06,1994 Fasc. 1036 : ARBITRAGE . - Instance arbitrale . - Procédure devant les arbitres Éric LOQUIN Professeur à l'Université de Bourgogne Doyen de la Faculté de droit de Dijon Sommaire analytique Introduction I. - POUVOIR D'INITIATIVE DE L'ARBITRE DANS LA DÉTERMINATION DES RÈGLES RÉGISSANT L'INSTANCE ARBITRALE A. - Dispense de suivre les règles édictées pour les tribunaux 1° Droit antérieur au décret n° 80-354 du 14 mai 1980 2° Fondement de la règle posée par l'article 1460 du Nouveau Code de procédure civile B. - Pouvoir laissé à l'arbitre de régler la procédure arbitrale 1° Étendue du pouvoir d'initiative donné à l'arbitre a) Limites tenant aux stipulations procédurales des parties b) Limites tenant à l'absence « d'imperium » de l'arbitre 2° Exercice par l'arbitre de son pouvoir d'initiative a) Communication des pièces et des conclusions b) Instruction devant les arbitres C. - Audience arbitrale II. - PRINCIPES S'IMPOSANT AUX ARBITRES A. - Respect du principe dispositif 1° Principes assurant la neutralité de l'arbitre Page 1

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JurisClasseur Procédure civile

Cote : 06,1994

Fasc. 1036 : ARBITRAGE . - Instance arbitrale . - Procédure devant lesarbitres

Éric LOQUIN

Professeur à l'Université de Bourgogne

Doyen de la Faculté de droit de Dijon

Sommaire analytique

Introduction

I. - POUVOIR D'INITIATIVE DE L'ARBITRE DANS LA DÉTERMINATION DESRÈGLES RÉGISSANT L'INSTANCE ARBITRALE

A. - Dispense de suivre les règles édictées pour les tribunaux

1° Droit antérieur au décret n° 80-354 du 14 mai 1980

2° Fondement de la règle posée par l'article 1460 du Nouveau Code de procédure civile

B. - Pouvoir laissé à l'arbitre de régler la procédure arbitrale

1° Étendue du pouvoir d'initiative donné à l'arbitre

a) Limites tenant aux stipulations procédurales des parties

b) Limites tenant à l'absence « d'imperium » de l'arbitre

2° Exercice par l'arbitre de son pouvoir d'initiative

a) Communication des pièces et des conclusions

b) Instruction devant les arbitres

C. - Audience arbitrale

II. - PRINCIPES S'IMPOSANT AUX ARBITRES

A. - Respect du principe dispositif 

1° Principes assurant la neutralité de l'arbitre

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a) Respect de l'objet du litige

b) Respect de la cause du litige

2° Principes assurant à l'arbitre la direction de l'instance

B. - Respect du principe de la contradiction

1° Droit d'être entendu par les arbitres

a) Obligation de citer chacune des parties

b) Obligation d'entendre chacune des parties

2° Droit de discuter contradictoirement les productions et les conclusions de l'adversaire

3° Droit de discuter les éléments de fait et de droit recueillis par l'arbitre

INTRODUCTION1. - L'acceptation par les arbitres de leur mission, en rendant parfaite la constitution du tribunal arbitral, crée entre lesarbitres et les parties le lien d'instance. Ce lien intéresse à la fois les parties liées entre elles par la convention d'arbitrageet les arbitres (cf. sur cette question, l'excellente étude de M. Ditchev, Le contrat d'arbitrage, Essai sur le contrat ayant  pour objet la mission d'arbitrer : Rev. arb. 1981, p. 395). Le contrat d'arbitrage, compris comme l'accord liant lesarbitres et les parties à l'arbitrage, a pour objet l'instruction de la cause et la reddition de la sentence. C'est dire que cecontrat forge le lien d'instance. À la différence du lien d'instance qui s'établit devant les tribunaux étatiques dans lecadre d'un rapport d'origine légale (cf. J. Vincent et S. Guinchard, Procédure civile, 22e éd. 1991, Dalloz, n° 346), lelien d'instance arbitrale procède d'une base essentiellement contractuelle. L'arbitrage est une justice privée et les partiessont libres de déterminer de quelle manière sera instruite et jugée la cause. Les arbitres liés par le contrat d'arbitragedevront statuer, à peine de nullité de la sentence, « conformément à la mission qui leur a été conférée »(NCPC,art. 1484, al. 2, 3°). Au contraire, le juge étatique a des pouvoirs délimités par la loi. Le Nouveau Code de procédurecivile définit l'office du juge. Le cadre défini légalement est rigide afin d'éviter que l'administration de la justice ne soitlaissée à la fantaisie des plaideurs et des juges, et que les premiers ne soient traités de façon différente devant les mêmes

 juridictions. Ces préoccupations sont, eu égard à la composante contractuelle de l'institution, absentes de l'arbitrage.

2. - Pour ces raisons, l'instance arbitrale se singularise par sa flexibilité. « Vêtement sur mesure », plutôt que« vêtement de confection », selon la riche image de M. R. Perrot (L'application à l'arbitrage des règles du NouveauCode de procédure civile Rev. arb. 1980, p. 643), l'instance arbitrale sera modelée au cas par cas par la volonté desparties, ou par les initiatives des arbitres qui reçoivent mandat d'en déterminer les règles. L'un des apports de la réformedu droit de l'arbitrage de 1980 est de formaliser avec clarté ce trait essentiel de l'arbitrage, en prévoyant explicitementdans l'article 1460 du Nouveau Code de procédure civile que les arbitres règlent la procédure arbitrale sans être tenus desuivre les règles établies par les tribunaux, sauf si les parties en ont autrement décidé dans la convention d'arbitrage.

3. - La composante contractuelle de l'arbitrage explique également les limites de l'office des arbitres. Ceux-ci sontdépourvus d'imperium. La nature privée de l'arbitrage apparaît sur ce point comme une infirmité congénitale quirestreint l'efficacité de l'arbitrage, en rendant les arbitres dépendants de la justice étatique. Le juge étatique sera sollicitépour collaborer avec les arbitres dans le cadre de l'instance arbitrale, en donnant à certaines décisions du tribunalarbitral, l'efficacité qui leur fait défaut.

4. - Cependant l'instance arbitrale est l'un des moments privilégiés où se manifeste la rencontre de l'influencecontractuelle et de l'influence juridictionnelle qui procèdent de la nature mixte de l'institution (Sur les questions relevant de la rencontre de ces deux composantes au niveau de l'instance, cf. également E. Loquin, Les pouvoirs des arbitres

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internationaux à la lumière de l'évolution récente du droit de l'arbitrage international : JDI 1983, p. 293 s.). L'arbitrageest une justice, et la fonction juridictionnelle confiée aux arbitres les oblige à respecter les principes qui sont inhérents àl'exercice de celle-ci. Il en résulte que les parties ne peuvent dispenser les arbitres de l'observation de ces principes àpeine de dénaturer la mission qu'elles leur ont confiée. De même, les arbitres devront respecter ces mêmes principes àpeine de nullité de la sentence. L'article 1460, alinéa 2, du Nouveau Code de procédure civile rend compte de cesobligations en disposant que « les principes directeurs du procès sont toujours applicables à l'instance arbitrale ». Et,l'article 1484 du Nouveau Code de procédure civile dispose également que la sentence peut faire l'objet d'un recours enannulation dès lors que le principe de la contradiction n'a pas été respecté.

5. - Le respect des règles susvisées ne doit pas être confondu avec l'obligation d'appliquer les règles du Nouveau Codede procédure civile, qualifiées d'ordre public, qui régissent l'instance judiciaire. Le problème n'est pas de savoir si telledisposition du Nouveau Code de procédure civile doit être qualifiée d'ordre public, et à ce titre s'appliquer à l'arbitrage,mais de déterminer les règles qui, eu égard au caractère juridictionnel de la mission de l'arbitre, doivent être par luirespectées. L'origine contractuelle de la mission des arbitres explique qu'ils puissent être dispensés d'observer les règlesétablies pour les tribunaux en fonction de la mission publique que ceux-ci assument, et même si devant ces derniers,celles-ci sont considérées d'ordre public. En effet, en matière de procédure, la notion d'ordre public est intimement liéeaux considérations d'intérêt général et supérieur du bon fonctionnement du service public de la justice. Ces

considérations, en raison du caractère privé de l'institution, sont étrangères à l'arbitrage. Aussi, certaines dispositionsd'ordre public devant les tribunaux judiciaires ne le sont plus en matière d'arbitrage. C'est pourquoi également, lesprincipes directeurs du procès ne s'imposent pas dans leur intégralité à l'arbitre. Si certains d'entre eux ont la valeurd'impératifs, qui s'étendent nécessairement à l'arbitrage, d'autres, au contraire, ne posent que des principes d'organisationdu procès public. C'est pourquoi enfin, certaines dispositions, considérées devant les tribunaux comme substantielles,car mettant en oeuvre des principes fondamentaux de la procédure, peuvent également être abandonnées, dès l'instantque ceux-ci, par tous autres moyens, sont respectés. S'il suffit en effet que le principe soit observé, peu importe que cerésultat soit obtenu par l'intermédiaire d'une forme prévue par la loi ou par toute autre technique procédurale. C'est donc« abstraitement » que devront être considérés les principes fondamentaux qui gouvernent l'instance arbitrale, eu égard àla fonction juridictionnelle qu'assume l'arbitre.

6. - Ces lignes directrices permettent de fixer les règles organisant l'instance arbitrale. Le Nouveau Code de procédure

civile donne aux arbitres le pouvoir d'organiser le régime procédural de l'instance arbitrale, en leur reconnaissant unevéritable faculté d'initiative dans la détermination des règles régissant l'instance arbitrale (I). Cette faculté d'initiativen'est cependant pas totale. L'arbitre doit respecter à la fois les règles du contradictoire et certains principes directeurs duprocès, tels que ceux-ci sont définis par le Nouveau Code de procédure civile (II).

I. - POUVOIR D'INITIATIVE DE L'ARBITRE DANS LA DÉTERMINATION DESRÈGLES RÉGISSANT L'INSTANCE ARBITRALE

7. - L'article 1460 du Nouveau Code de procédure civile dispose que « les arbitres règlent la procédure arbitrale sansêtre tenus de suivre les règles établies pour les tribunaux, sauf si les parties en ont autrement décidé dans la conventiond'arbitrage ». Cet article pose deux règles : d'une part, l'arbitre n'est pas tenu en principe de suivre les règles établiespour les tribunaux (A) ; d'autre part, il est invité « à régler la procédure arbitrale »(B).

A. - Dispense de suivre les règles édictées pour les tribunaux

8. - La règle posée par l'article 1460 du Nouveau Code de procédure civile est formellement nouvelle. L'ancien article1009 du Code de procédure civile disposait, en effet, que« les parties et les arbitres suivront dans la procédure, lesdélais et les formes établis pour les tribunaux, si les parties n'en sont autrement convenues ». L'article 1460 duNouveau Code de procédure civile renverse donc les termes de l'ancien article 1009 du Code de procédure civile. Maisen réalité, cet article ne fait qu'entériner la pratique qui s'était développée bien avant 1980 (1°). Cependant la nouvellerédaction de l'article 1460 aligne le droit français sur les droits modernes Étrangers régissant l'arbitrage, et pose une

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règle qu'exigent les impératifs de l'arbitrage (2°).

1° Droit antérieur au décret n° 80-354 du 14 mai 1980

9. - Par méfiance à l'égard de l'arbitrage, le Code de procédure civile de 1804 avait voulu faire de l'instance arbitrale

le calque fidèle de l'instance judiciaire. Mais le législateur s'était rendu compte du caractère irréaliste de cette prisede position théorique et en avait assoupli la rigueur, en autorisant les parties à renoncer aux règles de procédureétablies pour les tribunaux, tout en n'imposant pas aux parties de stipuler une clause d'amiable composition. Larenonciation prévue par l'article 1009 du Code de procédure civile ne valait qu'à l'égard des seules règles applicablesà la procédure de l'instance, et non à l'égard de celles applicables au fond du litige. Le droit français distinguait doncl'amiable compositeur de l'arbitre tenu de statuer en droit, mais dispensé à l'observation des règles établies pour lestribunaux pour régir l'instance, et de l'arbitre de droit soumis également à ces mêmes règles (Sur ces distinctions, cf.E. Loquin, L'amiable composition en droit comparé et international, Litec 1980, n° 387 s.).

10. - La pratique a bouleversé ce schéma en rendant caduque la dernière forme d'arbitrage. La clause de renonciationaux règles de procédure, telle qu'elle était autorisée par l'article 1099 du Code de procédure civile, est devenueimmédiatement une clause de style, si bien qu'aucun arbitre n'était tenu en pratique, d'appliquer les règles formelles

du droit judiciaire, et que l'arbitrage de droit dans sa forme la plus complète n'a jamais été utilisé. Il est vrai que ladoctrine admettait que de toute façon, l'ensemble des règles de la procédure judiciaire n'était pas applicable sans desérieux aménagements à l'arbitrage (cf. J. Robert, Arbitrage civil et commercial, 4e éd. 1967, n° 156).

2° Fondement de la règle posée par l'article 1460 du Nouveau Code de procédure civile

11. - L'article 1460 du Nouveau Code de procédure civile aligne le droit français sur les droits Étrangers modernes.Toutes ces législations ont réalisé expressément l'autonomie du régime procédural de l'instance arbitrale en ledétachant de la procédure judiciaire (Pour une analyse de droit comparé, cf. E. Loquin, L'amiable composition, préc.n° 388 s.). De profondes raisons expliquent l'universalisme de cette règle. L'arbitrage n'est pas une simple adaptationde la procédure judiciaire, et le droit de l'arbitrage n'a pas pour vocation de transposer dans la justice privée les règlesde procédure propres à la mise en oeuvre judiciaire des litiges. Ces règles trouvent leur fondement dans des principesqui sont Étrangers à l'arbitrage : égalité des plaideurs devant les tribunaux, publicité des débats, bon fonctionnement

du service public de la justice. Le procès public n'est pas seulement un instrument de satisfaction des droits privés. Ilest pour l'État une forme de réalisation du droit (Couture, Le procès comme institution : RID comp. 1950, p. 276).L'arbitrage, au contraire, n'est qu'un mode de réalisation des droits privés : l'une des motivations de l'arbitrage résidedans l'allégement de la procédure, et la recherche d'une instance plus souple, plus légère et plus rapide que laprocédure judiciaire. Comme l'écrit M. R. Perrot, « le climat qui est présumé régner entre les parties rend superfluel'existence d'une procédure qui alourdirait les pesanteurs judiciaires » (op. cit., Rev. arb. 1980, p. 642). Il n'y a doncpas de paradoxe à affirmer l'autonomie de l'instance arbitrale et l'accentuation du caractère juridictionnel del'arbitrage par les nouveaux textes du Code de procédure civile.

B. - Pouvoir laissé à l'arbitre de régler la procédure arbitrale

12. - L'article 1460 du Nouveau Code de procédure civile laisse aux arbitres le soin « de régler la procédure arbitralesans être tenus de suivre les règles établies pour les tribunaux, sauf si les parties en ont décidé autrement dans laconvention d'arbitrage ». Cette disposition s'aligne sur de nombreuses solutions étrangères. Par exemple, la loi belge du4 juillet 1972 dispose dans son article 15 que « les parties déterminent les règles de procédure arbitrale ainsi que le lieude l'arbitrage, et qu'à défaut de manifestation de volonté des parties (...) cette détermination incombe aux arbitres ».L'article 816 du Code de procédure civile italien dispose également que« lorsque les règles n'ont pas été établies par les parties, les arbitres ont la faculté de régler l'institution du procès de la façon qu'ils jugent la plus opportune ». Demême le Concordat suisse sur l'arbitrage énonce que « la procédure arbitrale est déterminée par accord entre les parties, ou à défaut par décision du tribunal arbitral »(art. 24). Ces solutions sont également prévues par la plupart desrèglements des institutions d'arbitrage.

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13. - À l'exemple de ces législations, le Nouveau Code de procédure civile français s'abstient, sauf quelques raresexceptions, de réglementer l'instance arbitrale en posant des règles spécifiques de procédure propres à l'arbitrage. Bienau contraire, il laisse aux arbitres et aux parties une liberté presque totale pour organiser l'instance. Ce parti pris doit êtreexpliqué. L'idée directrice est de permettre aux parties ou aux arbitres d'adapter « sur mesure » la procédure auxéléments du litige, par opposition au schéma processuel unique du droit judiciaire. Les praticiens ont depuis longtempsremarqué que « l'absence de mécanisme de procédure détaillée est généralement considérée comme un avantage et denature à laisser une certaine souplesse » (S.A. Stern, Arbitralité des litiges portant sur des projets de grands travaux : Rev. arb. 1972, p. 266), et que « les règles standards de procédure s'avèrent mal adaptées » (E. Minoli, Rapport général, IVe Congrès international de l'arbitrage : Rev. arb. 1972, p. 234). Ces observations rendent compte des besoins d'uneflexibilité, voire même d'une multiformité des règles applicables à l'instance arbitrale. Ainsi, pour ne prendre qu'unexemple, le principe de l'oralité des débats est particulièrement gênant lorsqu'une distance importante éloigne parties,arbitres, témoins et experts. Le coût des rencontres, l'impossibilité de les organiser expliquent pourquoi il peut êtreopportun d'organiser un arbitrage sur pièces, en l'absence de débats oraux. Au contraire, dans certains litiges portant surla qualité de marchandises périssables, l'obligation de statuer très rapidement impose l'absence de communication deconclusions écrites (cf. sur ces questions, Loquin, ibid., n° 397 s.).

14. - L'article 1460 du Nouveau Code de procédure civile est la réponse à ces impératifs. Il convient donc de fixer

l'étendue du pouvoir d'initiative donné à l'arbitre (1°), puis d'en examiner le contenu (2°).

1° Étendue du pouvoir d'initiative donné à l'arbitre

15. - L'article 1460 du Nouveau Code de procédure civile impose une interprétation. Faut-il comprendre que lesparties, par une stipulation expresse, ne peuvent qu'imposer aux arbitres de suivre les règles établies pour lestribunaux, ou au contraire peut-on admettre qu'elles puissent elles-mêmes fixer d'autres règles de procédure que lesarbitres devront respecter ? Seule la dernière interprétation se justifie, tant littéralement qu'exégétiquement. La placede la virgule, située après le terme « tribunaux », et non pas après le terme procédure arbitrale, impose l'interprétationlarge (V. en ce sens également M. de Boisseson, op. cit., n° 255). De plus, comme il a déjà été dit, le recours auxrègles du droit judiciaire n'a aucun intérêt pour les parties, à supposer qu'elles puissent même être directementtransposables dans l'arbitrage. Les auteurs du texte, au contraire, ont voulu donner aux parties la possibilité de fixerelles-mêmes les règles régissant l'instance arbitrale, soit directement, soit par référence au règlement d'une institutiond'arbitrage.

a) Limites tenant aux stipulations procédurales des parties

16. - Il en résulte que le pouvoir d'initiative des arbitres pour régler la procédure ne pourra s'affirmer que dans leslimites de la volonté exprimée par les parties. Les arbitres sont donc tenus d'appliquer les stipulations procéduralesdes parties, mais gardent toutes libertés pour les compléter. D'ailleurs, lorsque ces dernières se sont référées aurèglement d'une institution d'arbitrage, il n'est pas rare que ce règlement donne aux arbitres, conventionnellementcette fois, et non plus légalement, le pouvoir de définir les règles de procédure applicables à l'instance. Tel est, parexemple, le cas de l'article 28 du règlement de la Chambre arbitrale de Paris qui stipule que « le président dutribunal arbitral peut prendre avant ou pendant la séance d'arbitrage, toutes dispositions propres à assurer la bonnetenue et la rapidité des débats », ou encore de l'article 24 du règlement d'arbitrage de la Commission économique

pour l'Europe qui prévoit que « les arbitres sont autorisés à apprécier les faits par tous les moyens dont ilsdisposent, à déterminer les modes de preuves qu'ils entendent admettre ».

S'il est vrai, cependant, que les parties peuvent imposer aux arbitres des obligations particulières quant à laprocédure, encore faut-il que ces obligations résultent « de clauses expresses et précises de l'acte de mission »(Cass. 1re civ., 8 mars 1988 : Rev. arb. 1989, p. 481, note Jarrosson). En particulier l'obligation faite aux arbitresde respecter un ordre dans la résolution des points litigieux ne peut leur imposer de trancher ces différentesquestions par des sentences partielles.

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17. - Sous ces réserves, l'arbitre devra respecter les stipulations procédurales directes ou indirectes des parties àpeine d'encourir le reproche« de statuer sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée »(NCPC,art. 1484, al. 2, 3°). On sait que cet article fait de ce grief un cas d'ouverture du recours en annulation de lasentence. Grand est alors le péril, comme le redoute M. Mezger (Note ss Cass. 1re civ., 11 janv. 1972 : Rev. arb.1972, p. 49), que « la plus anodine infraction aux règles de procédure posées par les parties justifie l'annulation dela sentence ». Il est certain que la jurisprudence admet la recevabilité d'un tel grief. Dès avant la réforme de 1980, laCour de cassation avait admis la recevabilité d'un recours, formé dans le cadre de l'ancienne opposition àl'ordonnance d'exequatur, et fondé sur le fait « qu'en présence de règles de procédure précises fixées par la clausecompromissoire, les arbitres ne pouvaient pas s'écarter de ces règles sans méconnaître la loi que les parties s'étaientdonnée et qui s'imposait à eux (Cass. 1re civ., 11 janv. 1972, préc. - V. également Cass. 2e civ., 30 mai 1980 : Bull.civ. II, n° 121 ; Rev. arb. 1981, p. 137, note J. Viatte. - CA Paris, 12 juill. 1979 : Rev. arb. 1983, p. 105).Postérieurement au décret de 1980, la Cour d'appel de Paris a jugé « qu'une délégation donnée à un seul arbitre poureffectuer des actes d'instruction n'est pas contraire aux principes de la contradiction, mais peut éventuellementporter atteinte à la bonne exécution de la mission de l'arbitre, si elle n'est pas donnée conformément auxconventions et règles fixant le cadre et les limites des pouvoirs conférés au tribunal arbitral (26 avr. 1985 : Rev.arb. 1985, p. 311, note E. Mezger).Mais, il est vrai également qu'à notre connaissance, aucune juridiction n'a encoreannulé une sentence au seul motif qu'une stipulation procédurale a été méconnue par l'arbitre. Dans les arrêts du 11

 janvier 1972 et 26 avril 1985 précités, aucune violation n'avait été constatée par les juges du fond. Dans celui du 30mai 1980, le grief avait été invoqué à tort dans le cadre de l'appel nullité, et seule une violation des droits de ladéfense qui, en l'espèce, n'était pas constituée, pouvait justifier l'annulation de la sentence (V. également, Cass. 2eciv., 15 oct. 1980 : Bull. civ. II, n° 207 ; Rev. arb. 1982, p. 40, note P. Courteault). Cependant, si l'action estrecevable, son succès est subordonné à une condition : la preuve du grief résultant de l'irrégularité. La Cour d'appelde Paris, dans un arrêt du 15 novembre 1979 (Rev. arb. 1980, p. 513, note J. Viatte), tout en constatant la réalité dela méconnaissance de la volonté des parties, a relevé que « celle-ci ne faisait pas grief à celui qui s'en prévalait, carle non-respect par les arbitres de la stipulation procédurale ne l'avait pas privé de la possibilité de faire valoir sesdroits, et d'être exactement informé des moyens de son adversaire ».

Cette argumentation est reprise à titre surabondant par la Cour de cassation, dans l'arrêt du 15 octobre 1980 précité.La cour relève, pour rejeter l'appel nullité, que « rien n'interdisait aux arbitres d'appliquer à l'exception de nullité

soulevée, la règle de l'article 114 du Nouveau Code de procédure civile, qui dispose que la nullité ne peut êtreprononcée qu'à charge pour l'adversaire de prouver le grief que lui cause l'irrégularité. L'argument, pourtant, nes'imposait pas en l'espèce, dès lors que dans le cadre de l'appel nullité, il n'était pas constaté une atteinte aux droitsde la défense.

18. - Cette jurisprudence sera très certainement approuvée par les commentateurs du décret du 14 mai 1980, quiredoutaient les effets de la formulation très large du 3°, deuxième alinéa de l'article 1484 du Nouveau Code deprocédure civile, et qui préconisaient de limiter le contrôle du juge aux seuls cas où l'arbitre « avait manifestementexcédé ses pouvoirs » (Jeantet, L'accueil des sentences étrangères ou internationales de l'ordre juridique français : Rev. arb. 1981, p. 516), ou encore « gravement dépassé les termes de sa mission » (Ph. Fouchard, Le nouveau droit  français de l'arbitrage : RID, comp. 1982, p. 29).

19. - Elle doit cependant être expliquée, car la nullité ne peut résulter, à proprement parler de l'intensité de la

violation, mais plutôt de ses conséquences. D'une part, l'excès de pouvoir de l'arbitre ne doit pas être confondu avecla violation des droits de la défense. Si, tout en ne respectant pas les stipulations procédurales des parties, lesarbitres méconnaissent les droits de la défense, cette violation sera sanctionnée en tant que telle, sur le fondementdu 4°, deuxième alinéa de l'article 1484 du Nouveau Code de procédure civile, et il ne sera pas nécessaire de faireappel au 3°, deuxième alinéa de ce même article (cf. en ce sens CA Paris, 18 déc. 1980 : Rev. arb. 1983, p. 507).L'utilisation du 3°, second alinéa de l'article 1484 du Nouveau Code de procédure civile n'est utile que dans le seulcas où le non-respect de la stipulation procédurale des parties ne porte pas atteinte au principe du contradictoire. Legrief, qui doit être établi, doit donc être distingué de celui résultant de la violation des droits de la défense. Il s'agit,

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aux termes de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 15 novembre 1979 (préc.), d'un grief résultant directement dumanquement par l'une des parties à l'une des obligations imposées par le règlement de procédure, à savoir enl'espèce, la remise hors délais de conclusions.

On peut, en effet, concevoir que l'abandon d'une forme protectrice prévue par la convention d'arbitrage place l'une

des parties dans une situation moins favorable, tout en ne constituant pas à proprement parler une violation desdroits de la défense. Cependant, cette distinction risque d'être difficile à opérer et d'ailleurs, par un glissementinéluctable du raisonnement, la cour d'appel en fin de compte ne fait que vérifier si le principe du contradictoire n'apas été atteint par le non-respect de la règle : « le retard n'a pas privé la société défenderesse de faire valoir sesdroits et d'être exactement informée des moyens de la société défenderesse ».

C'est pourquoi nous pensons que la solution doit être recherchée à un autre niveau. Dans l'espèce précitée, l'une desparties subit un grief. Si la stipulation procédurale avait été appliquée par l'arbitre, le demandeur était forclos. C'estle bénéfice de cette forclusion dont a été privé le défendeur par la méconnaissance de l'arbitre du règlement deprocédure. Ce grief suffit à notre avis pour permettre le prononcé de la nullité de la sentence sur le fondement du3°, second alinéa de l'article 1484 du Nouveau Code de procédure civile.

Il s'agit moins de rechercher si le non-respect de la règle par l'une des parties est la cause d'un préjudice pour l'autre,que de déterminer si l'absence de sanction par l'arbitre de la règle conventionnelle est préjudiciable au plaideur quien revendique l'application.

Or, ne pas constater une forclusion, qui normalement devait être prononcée, en application de dispositionsprocédurales voulues par les parties, cause incontestablement un grief à celui qui est en droit d'opposer cetteforclusion. Dans l'arrêt rendu par la 2e Chambre civile de la Cour de cassation le 30 mai 1980 (Rev. arb. 1981, p. 137), on comprend bien, au contraire, qu'aucun grief ne résultait de l'excès de pouvoir des arbitres. Ceux-ci,contrairement au règlement d'arbitrage, avaient délégué leurs pouvoirs à un seul d'entre eux pour réaliser un acted'instruction. Cette violation de la volonté des parties ne pouvait avoir d'influence sérieuse sur la solution du litige.La même solution est donnée avec encore plus de netteté par un arrêt de la première chambre civile de la Cour decassation du 17 juin 1981 (Rev. arb. 1985, p. 458) : « Il ne saurait être reproché à un arrêt confirmatif d'avoirdécidé que la sentence n'avait pas été rendue hors des termes du compromis, à la suite d'une mission donnée à un

seul des trois arbitres de recueillir des informations en vue de renseigner le tribunal arbitral, acte d'instructionqu'aux termes du compromis, n'aurait pu être confié qu'à deux arbitres conjointement, dès lors que l'arrêt constateque le tribunal arbitral n'a pas tenu compte dans sa décision, de la démarche critiquée ».

20. - Cette analyse nous paraît s'inscrire dans les principes plus généraux, déjà dégagés par la jurisprudence, pourrégir la sanction de l'excès de pouvoir de l'arbitre résultant d'une méconnaissance des termes de sa mission. C'estseulement lorsque cette méconnaissance a affecté la solution du litige qu'elle doit être sanctionnée. Dans l'affaireInveko, la Cour d'appel de Paris, puis la Cour de cassation, ont jugé que l'arbitre ne méconnaissait les termes de samission, au sens de l'alinéa 3 de l'article 1484 du Nouveau Code de procédure civile, que dans les seuls cas où lasolution de la sentence n'était pas équivalente à celle qui aurait été donnée en l'espèce si la volonté des parties avaitété respectée (CA Paris, 28 févr. 1980 : Rev. arb. 1980, p. 538, note Loquin. - V. aussi Cass. 2e civ., 30 sept. 1981 : Bull. civ. II, n° 172 ; Rev. arb. 1982, p. 431, note E. Loquin). Autrement dit, exiger la preuve que la violation des

stipulations procédurales a porté grief à l'une des parties, c'est simplement vérifier que le manquement de l'arbitre aprovoqué « un défaut d'équivalence des solutions », c'est-à-dire qu'il n'a pas été indifférent à la solution du litige(Sur cette analogie des raisonnements, cf. notre note : Rev. arb. 1982, spécialement, p. 437).

21. - Doit-on cependant admettre que dans tous les cas, les arbitres doivent se plier à la volonté des partiess'exprimant quant à l'organisation de la procédure ? Certains auteurs considèrent que le pouvoir des parties ne peutêtre absolu et comporte des limites (cf. Jarrosson, note ss Cass. 1re civ., 8 mars 1988 : Rev. arb. 1989, p. 481). Lesparties ne peuvent dessiner les contours de la mission des arbitres que « dans la mesure où elles ne portent pasatteinte à la nécessaire liberté dont tout juge doit disposer pour exercer sa fonction de juge ». Et l'auteur relève à

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 juste titre que le contrat d'arbitrage, qu'il soit qualifié de mandat ou de contrat d'entreprise ne crée pas de lien desubordination des arbitres à l'égard des parties. Il nous paraît certain que les arbitres seraient en droit d'abandonnerle strict respect de la convention des parties si son observation avait pour conséquence une violation du principe ducontradictoire. Les arbitres retrouveraient leur pouvoir d'initiative, à peine de risquer une nullité certaine de leurdécision. Pour le reste, ils ne pourraient que refuser de prêter leur concours à un arbitrage organisé selon laconvention des parties sur des bases qu'ils estimeraient contraires à l'essence de leur fonction juridictionnelle.

b) Limites tenant à l'absence « d'imperium » de l'arbitre

22. - Juge privé, l'arbitre n'a pas d'imperium (cf. Ch. Jarrosson, Réflexions sur l' « imperium », Études offertes à P. Bellet, Litec 1991, p. 245). Il n'a donc pas de pouvoir coercitif à l'égard des parties à l'arbitrage, et a fortiori àl'égard des tiers. Il en résulte que l'office de l'arbitre, dans la recherche des preuves est limité par rapport à celui du

 juge étatique. Les principes de la production forcée des pièces et des témoignages sont inapplicables à la procédurearbitrale (cf. sur cette question, R. Perrot, L'administration de la preuve en matière arbitrale : Rev. arb. 1974, p. 159. - B. Moreau, L'intervention du tribunal au cours de la procédure arbitrale en droit français et comparé : Rev. arb. 1978, p. 323. - R. Perrot, L'application à l'arbitrage des règles du Nouveau Code de procédure civile : Rev. arb. 1980, p. 642). Il est en effet inconcevable que l'arbitre qui tient son investiture de la seule volonté des

parties puisse adresser à des tiers, des injonctions à peine d'astreinte.

En revanche, l'arbitre, comme le juge étatique, pourra prononcer une condamnation sous astreinte. L'astreinte est eneffet une conséquence de la fonction juridictionnelle. Il est donc naturel qu'elle figure dans les attributions del'arbitre. L'absence d'imperium de l'arbitre n'est pas un obstacle à cette attribution. L'astreinte est en effet une peineprivée et non une voie d'exécution. La jurisprudence a reconnu expressément cette faculté aux arbitres (CA Paris,26 avr. 1990, Sté Sernap. - CA Paris, 8 juin 1990 : Rev. arb. 1990, p. 917, obs. SHM et CV. - CA Paris, 24 mai1991 et 11 oct. 1991 : Rev. arb. 1992, p. 636, obs. Pellerin ; RTD, com. 1993, p. 296, obs. Dubarry et Loquin).

Cependant, ce pouvoir connaît deux limites. D'une part, l'astreinte doit faire l'objet d'une demande spécifique pourêtre prononcée (En ce sens, CA Rennes, 24 sept. 1984 : Rev. arb. 1986, p. 441, note P. Ancel). D'autre part, la Courd'appel de Paris a jugé que le tribunal arbitral n'avait pas le pouvoir de liquider l'astreinte qu'il avait prononcée (CAParis, 11 oct. 1991, préc.).

L'arrêt énonce en effet « que la juridiction compétente pour liquider à titre définitif l'astreinte, qu'en l'espèce letribunal arbitral ne peut déterminer, car il ne peut connaître de l'exécution de ses sentences, est, quelles que soientles règles de compétence concernant le fond du litige, le tribunal de grande instance compétent pour connaître desdifficultés d'exécution ». La motivation est ambiguë. Il est peu probable que la cour d'appel ait entendu rattacher laliquidation de l'astreinte à l'imperium.Comme le relève à juste titre M. Pellerin, « la liquidation consiste à tirer lesconséquences de l'inexécution et revient en réalité à fixer la peine privée, à passer du stade de l'intimidation à celuide la sanction » (note préc.). La liquidation paraît donc inhérente au pouvoir de juger, à la juridiction plutôt qu'àl'imperium, (en ce sens également, Jarrosson, préc.). La solution de l'arrêt peut cependant être expliquée par lanature temporaire du pouvoir juridictionnel de l'arbitre. L'article 1475, alinéa 1 du Nouveau Code de procédurecivile dispose que « la sentence dessaisit l'arbitre de la contestation qu'il tranche ». La règle interdit le retour desparties devant le tribunal arbitral pour lui demander de liquider l'astreinte.

23. - L'arbitre peut-il enjoindre l'une des parties à produire un élément de preuve ? L'article 1460, alinéa 3 leprévoit expressément. Doit-on comprendre que cet article autorise l'arbitre à prononcer la production forcée despièces détenues par l'une des parties ? Faut-il simplement conclure que celui-ci sera seulement libre de tirer touteconséquence de l'abstention de la partie défaillante ? Une analyse littérale du texte pourrait permettre de soutenir lapremière thèse. Littéralement, le verbe « enjoindre » implique un élément de coercition. Mais si l'adverbe « aussi »qui fait le lien avec l'alinéa 2 de ce même article 1960 renvoie aux principes directeurs du procès, c'est seulementl'alinéa 1er de l'article 11 du Nouveau Code de procédure civile qui est concerné expressément par ce renvoi (et cela par application de l'article 1460 alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile), et non l'alinéa 2 qui dispose

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que « le juge peut à la requête de l'autre partie lui enjoindre de le produire, au besoin par l'astreinte ».Autrementdit, l'article 1460, alinéa 2, exclut expressément que l'article 11, alinéa 2, puisse trouver application en matièred'arbitrage.

À l'égard des parties, on peut regretter cette exclusion (en ce sens, Jarrosson, L' « imperium », op. cit., p. 270 ; R.

Perrot, op. cit. : Rev. arb. 1980, p. 642. - Ph. Fouchard, Le nouveau droit français de l'arbitrage : RID, com. 1982, p. 36. - J. Cornu, Le décret du 14 mai 1980 relatif à l'arbitrage : Rev. arb. 1980, p. 586. - J. Robert, L'arbitrage,op. cit., n° 175).

24. - Aussi faut-il se demander si le concours du juge étatique peut être sollicité pour assurer la mise en oeuvred'une production forcée des pièces détenues soit par l'une des parties, soit par des tiers ?

Aucun texte ne prévoit expressément ce recours au juge, et la solution reste douteuse en droit français. Avant ledécret du 14 mai 1980, la doctrine concevait que le juge des référés puisse être saisi par l'une des parties à la seulefin d'ordonner une production forcée (En ce sens, B. Moreau, art. préc. - R. Perrot, L'administration des preuves enmatière arbitrale : Rev. arb. 1974, p. 159).Une telle faculté est conforme à l'esprit du décret du 14 mai 1980.

Comme l'écrit M. J. Robert, la liste des cas d'intervention du juge des référés dans l'arbitrage « ne doit pas êtreconsidérée comme limitative, l'esprit du décret étant de faire de cette juridiction le juge de toutes les difficultés quin'affectent pas positivement le fond » (La législation nouvelle de l'arbitrage : D. 1980, p. 192. - V. en ce senségalement expressément, M. de Boisseson, op. cit., n° 305). Elle ne peut être exercée à notre avis que par la partie àl'arbitrage qui y a intérêt, et non par l'arbitre lui-même. En effet, en droit français, le juge, et donc l'arbitre, nepeuvent user d'office du pouvoir d'injonction, mais seulement à la demande de l'une des parties. Il est donc légitimed'admettre que l'arbitre ne peut prendre l'initiative de saisir le juge des référés afin qu'il assortisse d'une astreinteune injonction, et cela même si le décret du 14 mai 1980 prévoit dans certains cas la saisine directe du juge par letribunal arbitral (NCPC, art. 1456 à propos de la prorogation).

25. - Dépourvus d'imperium, les arbitres n'ont pas qualité pour recevoir un serment. L'article 1461, alinéa 2, duNouveau Code de procédure civile, précise que les tiers sont entendus sans prestation de serment. Pour M. Robertet B. Moreau (op. cit., p. 158, n° 178, note 89), le motif de l'exclusion du serment en matière d'arbitrage tient à ce

que le faux témoignage est punissable pénalement, et que l'absence du ministère public au sein du tribunal arbitralne permettrait pas de relever l'infraction, ce qui ferait perdre tout intérêt à la prestation du serment. Plussimplement, nous pensons que l'arbitre, personne privée, n'a pas qualité pour recevoir le serment. Il en résulte queni les tiers, ni même les parties, malgré les termes limitatifs de l'article 1461, alinéa 2 du Nouveau Code deprocédure civile, ne peuvent être invités à prêter serment devant le tribunal arbitral (V. en ce sens également R.Perrot, op. cit. : Rev. arb. 1974, p. 172). Certains auteurs (En particulier, de Boisseson, op. cit., p. 256, n° 303. - R.Perrot, op. cit., p. 172), estiment que l'arbitre pourrait obtenir de la juridiction ordinaire qu'elle fasse prêter sermentà un tiers, voire même aux parties elles-mêmes. La solution s'impose si l'on admet que le serment décisoire peutintervenir en matière d'arbitrage (V. en ce sens, J. Robert, Arbitrage civil et commercial, 4e éd., n° 196. - De Boisseson, op. cit. n° 301).Le rôle de l'arbitre sera alors de constater le contenu du serment prêté devant la juridiction de l'État. Il n'empêche que cette faculté de faire intervenir le tribunal étatique soulève des difficultéspratiques. En particulier, le tribunal arbitral peut-il à cet effet directement saisir la juridiction ordinaire ? Faut-il au

contraire admettre que seule la partie qui y a intérêt pourra demander au juge que le serment soit prêté devant lui.La réponse ne fait aucun doute en cas de serment décisoire. Seul un plaideur peut référer ou déférer le serment. Enrevanche, la question n'est pas résolue dans les hypothèses où l'arbitre estime utile de faire prêter serment à un tiers,ou à l'une des parties dans le cadre d'un serment supplétoire. Il est vrai, comme le constate M. David (Cours dedroit privé comparé, Les Cours du droit, 1969, 1970, p. 465), que dans la pratique, ces interventions du tribunalsont rarement sollicitées. En l'absence de dispositions expresses dans le décret du 14 mai 1980, et de décisions

 jurisprudentielles, force est de se livrer à des analogies. Dans la mesure où le décret du 14 mai 1980 admet, aumoins à propos de la prorogation du terme de l'arbitrage (NCPC, art. 1456, al. 2), que le tribunal arbitral peutdemander le concours de la juridiction étatique, rien n'interdit de penser que cette faculté reste ouverte dans tous les

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cas où l'intervention du juge est nécessaire pour assurer l'efficacité des décisions prises par les arbitres dans le cadrede l'instance arbitrale.

2° Exercice par l'arbitre de son pouvoir d'initiative

26. - Le droit judiciaire oblige parties et juges à se plier à l'accomplissement d'actes matériels qui constituent lesformalités, et qui ont pour but de garantir de façon médiate les principes fondamentaux de la procédure. Ces règlesde forme sont des règles protectrices dont la finalité est de mettre en oeuvre les principes directeurs du procès.L'arbitre est autorisé, par application de l'article 1460, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile, à utiliserd'autres formes protectrices que celles prévues par la loi, ou encore et plus sûrement à éliminer toute forme, àcondition de respecter les principes que ces dernières protègent.

Dans ce dernier cas, les arbitres sont alors directement confrontés avec les principes, mais ne connaissentqu'exceptionnellement des formalités qui les mettent en oeuvre devant les tribunaux. Il en résulte très naturellementque la partie qui conteste la décision de l'arbitre devra établir une violation effective des principes directeurs duprocès, et ne pourra prétendre seulement que la formalité qui, devant les tribunaux de l'État, protège la règle de fond,n'a pas été respectée. Dans ce cadre, l'arbitre pourra organiser librement le régime de la communication des pièces et

des conclusions, de l'instruction du litige, et de l'audience arbitrale.a) Communication des pièces et des conclusions

27. - Le Code de procédure civile soumet la production des pièces et des conclusions à un certain formalismedestiné à assurer le respect du contradictoire. D'une part, la production des pièces et des conclusions revêt la formede conclusions écrites qui doivent être notifiées au fur et à mesure à chacune des parties (cf. J. Viatte,Communication et production de pièces en justice : Gaz. Pal. 1973, 1, p. 406. - J. Vincent et S. Guinchard,Procédure civile, 2e éd., n° 397 s.). D'autre part, les parties ont la possibilité de s'expliquer et de contredire dans undébat public. L'arbitre, dans le cadre de son pouvoir d'initiative peut abandonner ce schéma processuel et fixerd'autres modalités de communication des pièces.

1 Modalités de la communication

28. - a) Caractère purement oral de la production et de la communication des pièces. - La production despièces peut être purement orale. Ainsi, la Cour d'appel de Limoges a admis que « les arbitres ont satisfait auprincipe du contradictoire lorsqu'ils ont invité les parties à leur faire toutes observations orales et à leur fournirtous documents » (25 nov. 1968 : Rev. arb. 1968, p. 143). De la même manière, l'arbitre a toute liberté pourdéterminer comment s'effectue l'accès des parties aux pièces du dossier. Il a été jugé en particulier que « l'arbitrepeut en matière de communication de pièces recourir à une procédure purement orale, plus rapide et plus directeen invitant les parties à venir chez lui prendre connaissance de tout le dossier » (CA Paris, 11 févr. 1971 : Rev.arb. 1973, p. 29, note Loquin). Il en est de même lorsque le règlement d'arbitrage (celui en l'espèce de la Chambrearbitrale de Paris) prévoit la communication par consultation au secrétariat de l'institution. « Il appartient alorsaux parties de prendre connaissance des pièces en temps opportun selon les modalités prévues au règlement afind'assurer normalement leur défense » (CA Paris, 24 avr. 1980 : Rev. arb. 1981, p. 176, note Le Poittevin). LaCour d'appel de Paris a également jugé que « le principe du contradictoire est respecté et la communication despièces effective, dès l'instant que pour porter connaissance à l'une des parties des documents litigieux, l'expert estvenu sur les lieux avec l'ensemble de tous les documents techniques, qui ont été tenus à la disposition des parties,pour qu'elles puissent faire toutes observations qu'elles jugent utiles » (CA Paris, 29 mai 1973 : Rev. arb. 1973, p. 182, note R. Funck Brentano).

29. - Le caractère informel de la procédure de communication de pièces peut présenter un grave inconvénient,heureusement résolu par la jurisprudence. En effet, l'absence de preuves préconstituées (signification, accusé deréception, plis recommandés), ne permet pas de prouver la régularité de l'Échange des conclusions. La tentation

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est alors grande pour le plaideur de mauvaise foi de contester la régularité de la sentence en invoquant la violationdu principe du contradictoire par le défaut de communication. Alors qu'en droit judiciaire, la preuve de la validitédes actes de procédure s'appuie sur le formalisme, et que le non-respect des formes présume la violation duprincipe du contradictoire, la Cour de cassation a, en matière d'arbitrage, posé une présomption de validité de cesactes, dès l'instant qu'ils ont été visés ou analysés dans la sentence : « Lorsqu'une sentence arbitrale vise ouanalyse des demandes ou conclusions, il doit être présumé qu'elles ont été régulièrement versées aux débats »(Cass. 2e civ., 28 janv. 1970 : Bull. civ. II, n° 33 ; Rev. arb. 1973, p. 67, note Ph. Fouchard ; JCP G 1970, II,16316, note P.L.). Inversement, le défaut d'énonciation, dans la sentence, d'une communication de pièce faitprésumer son inexistence (CA Paris, 25 janv. 1991 : RTD com. 1992, p. 589, obs. Dubarry et Loquin).

Ce visa des arbitres de la pièce litigieuse dans la sentence fait présumer non seulement qu'elle leur est bienparvenue, ce que se borne à constater la sentence, mais aussi qu'elle a été régulièrement communiquée àl'adversaire. La Cour de cassation, en l'absence de forme, rendant compte de la validité et de la réalité de lacommunication, présume donc que les arbitres ont également vérifié la régularité de cette communication, mêmesi la sentence n'en fait pas foi, et alors que, par hypothèse, elle n'a pas été constatée expressément. Certes, lapreuve contraire reste possible. Mais, celle-ci sera très difficile à rapporter. Comment, en effet, en l'absence deprocédure écrite, un plaideur pourra-t-il établir que telle demande ou telle conclusion de son adversaire ne lui a

pas été communiquée ? (cf. en particulier pour un exemple, CA Paris, 15 janv. 1984 : Rev. arb. 1984, p. 531, obs.T. Bernard : « Une partie qui ne fait état d'aucun élément de nature à étayer ses affirmations concernant lanon-communication de certaines pièces et ne justifie d'aucune protestation auprès de l'arbitre à ce propos, nedémontre pas que pour statuer, l'arbitre se soit fondé sur de telles pièces »). Il y a sans doute un risque certain delaisser passer une effective violation du principe de la contradiction, mais ce principe est inhérent à tout abandondu formalisme, et il convient en la matière de maintenir un difficile équilibre entre le respect des droits de ladéfense et la souplesse nécessaire à l'arbitrage.

30. - b) Caractère purement écrit de la production et de la communication des pièces. - La procédure deproduction et de communication des pièces peut également être purement écrite. Cette dernière dérogation auxprincipes du droit processuel peut être plus difficilement admise. En effet, l'oralité des débats, qui implique laréunion physique des parties ou de leurs représentants devant les arbitres, est souvent considérée comme un

principe fondamental de la procédure judiciaire (Par exemple, H. Motulsky, La réforme du Code de procédurecivile par le décret du 13 octobre 1965 et les principes directeurs du procès, Écrits, t. I, p. 170). Cependant, leNouveau Code de procédure civile n'en fait état que dans l'article 22, à propos de la publicité des débats, articleauquel ne renvoie pas l'article 1460, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile. Et, dès avant le décret du 14mai 1980, la jurisprudence avait admis que « le caractère contradictoire de l'arbitrage n'implique pasnécessairement la comparution des parties ou de leur conseil devant l'arbitre en vue d'un débat oral : il suffit quechacune des parties ait connu les démarches et les moyens de son adversaire, et ait été mise en demeure d'yrépondre en temps utile » (CA Paris, 12 juill. 1971 ; Rev. arb. 1973, p. 74, note Ph. Fouchard). Devant lesarbitres, le caractère impératif du débat oral est nécessairement affaibli. Il est un moyen, mais seulement unmoyen, de protéger le respect du contradictoire en facilitant la libre contradiction des conclusions des parties etl'explication des défenses. Mais une procédure purement écrite, si elle est loyalement organisée, assure de lamême manière le respect des droits de la défense. La situation est différente devant les juridictions étatiques.L'oralité permet d'assurer la matérialité du caractère public des débats, et c'est à ce titre qu'elle apparaît enprocédure judiciaire comme un principe fondamental.

2 Objet de la production des pièces et des conclusions

31. - La procédure de communication des pièces ne porte, en l'absence de tout formalisme, que sur les seulespièces qui contiennent des demandes nouvelles ou des éléments nouveaux. La Cour d'appel de Paris a jugé ainsique des documents assimilables à des notes de plaidoiries destinés à rappeler aux arbitres les principalesdispositions d'une note déjà communiquée n'étaient pas obligatoirement communicables à la partie adverse, dansla mesure où ils ne contenaient ni demandes nouvelles, ni moyens nouveaux (CA Paris, 12 juill. 1971 : Rev. arb.

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1973, p. 74. - CA Aix-en-Provence, 19 mars 1963 : D. 1963, p. 524. - CA Paris, 6 févr. 1969 : Rev. arb. 1969, p. 92).

Cette jurisprudence doit être rapprochée de celle qui admet que les arbitres ne sont pas tenus de se prononcer surles moyens surabondants ou manifestement inutiles (cf CA Paris, 10 nov. 1964, 7 déc. 1965 : JCP G 1966, II,

14625, note R. Boulbès. - CA Paris, 6 févr. 1969 : D. 1969, p. 319).

32. - La Cour d'appel de Paris a jugé que les arbitres n'étaient pas tenus d'organiser la communication des sourcesde droit invoquées par les parties à l'occasion du procès : « Le Centre national de la cinématographie étant unétablissement public habilité à prendre par voie de règlement des dispositions concernant l'organisation del'industrie cinématographique, celles-ci publiées au Journal officiel, participent des sources du droit et n'ont pas àêtre communiquées entre les parties à l'occasion du procès (CA Paris, 24 oct. 1980 : Rev. arb. 1982, p. 54, notePh. Fouchard). M. Ph. Fouchard approuve la décision en relevant qu'elle résulte de la répartition des obligationsqui incombent aux juges ou aux parties dans le procès. Il est vrai que par hypothèse les règles de droit sontprésumées connues des juges et des plaideurs. Cependant, nous sommes en désaccord avec la décision. L'article15 du Nouveau Code de procédure civile, applicable à l'arbitrage, dispose que les parties doivent faire connaîtreen temps utile non seulement les moyens de fait sur lesquels elles fondent leur prétention... mais aussi « les

moyens de droit qu'elles invoquent ». Et nous pensons avec M. J. Ghestin et G. Goubeaux (Droit civil, Introduction générale, LGDJ 1977), « que l'obligation d'avertir l'adversaire s'étend aux moyens de droit, bienqu'ils ne lient pas le juge, car de simples suggestions peuvent exercer une influence sur sa décision ». Au moinsdevra-t-on admettre alors, et cela par application de l'article 16 du Nouveau Code de procédure civile, que leprincipe de la contradiction impose que la règle invoquée, à défaut d'être communiquée, puisse être discutée parl'adversaire, dès lors que l'arbitre a décidé de la retenir (V. en ce sens, Ph. Fouchard, Les usages, l'arbitre et le juge, Le droit des relations économiques internationales, p. 88. - cf. également infra n° 100).

33. - Si l'on suit la jurisprudence précitée de la Cour d'appel de Paris, il faut alors admettre une extension dessources du droit, et une restriction corrélative des éléments communicables. Nous verrons, en effet, que la

 jurisprudence admet que l'arbitre puisse d'office appliquer les usages qu'il juge en l'espèce pertinents (infra n° 80).C'est dire que, devant les arbitres, les usages sont toujours des règles de droit, sans qu'il y ait lieu de distinguerentre la coutume et les usages de fait comme devant les juridictions étatiques. Il en résulte que les parties n'ont pasà communiquer les usages dont ils revendiquent l'application devant l'arbitre. La situation est différente devant lestribunaux de l'État. À la différence de la coutume, les usages sont des éléments de fait dont la preuve doit êtrerapportée (cf. J. Ghestin et G. Goubeaux, Introduction, préc., n° 510 s.). Ils doivent donc faire l'objet decommunication comme tout élément apporté par les parties dans la cause.

34. - En revanche, nous ne pouvons souscrire à l'affirmation formulée par la Cour d'appel de Paris dans la mêmedécision précitée (Rev. arb. 1982, p. 54), selon laquelle « ne doit pas faire l'objet d'une communication un ouvragegénéral de doctrine à la disposition de tous ». Comme l'indique justement M. Fouchard, il est difficile d'admettreque la doctrine, comme la loi, soit censée connue de tous...

3 Délais de communication

35. - L'article 1468 du Nouveau Code de procédure civile énonce que « l'arbitre fixe la date à laquelle l'affairesera mise en délibéré. Après cette date, aucune demande ne peut être formée, ni aucun moyen soulevé. Aucuneobservation ne peut être présentée, ni aucune pièce produite, si ce n'est à la demande des arbitres ». La date declôture des débats fixée par l'arbitre sera donc la date ultime, après laquelle aucune communication, ni productionde pièces ou de conclusions ne seront possibles. La règle ainsi fondée est différente de celle posée par l'ancienarticle 1016 du Code de procédure civile. Celui-ci disposait que « chacune des parties sera tenue de produire sesdéfenses et pièces, une quinzaine au moins avant l'expiration du délai du compromis, et les arbitres seront tenusde juger sur ce qui aura été produit ». La règle nouvelle est conforme à l'esprit général de la réglementation del'instance arbitrale. Il appartient à l'arbitre de fixer librement le temps utile à son délibéré, et d'apprécier à quel

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moment le litige est introduit. Les commentateurs ont relevé l'analogie avec l'intervention du juge de la mise enétat qui constate, par une ordonnance de clôture, que l'instruction est terminée, et la procédure en état (M. de Boisseson, op. cit., n° 279. - R. Perrot, op. cit. : Rev. arb. 1980, p. 649). L'analogie est cependant limitée car,d'une part, l'arbitre est tenu de fixer la clôture des débats nécessairement avant la date d'expiration du délaid'arbitrage, alors que le juge étatique n'est tenu d'aucune limite que celle résultant de la constatation de la fin desopérations d'instruction et, d'autre part, l'arbitre garde la faculté de réouvrir les débats, alors que le juge étatique nepeut que très exceptionnellement reporter l'ordonnance de clôture (NCPC, art. 784).

36. - La mise en oeuvre de l'article 1468 du Nouveau Code de procédure civile soulève, eu égard à ces deux traitsparticuliers, des difficultés. Si l'arbitre a un pouvoir discrétionnaire pour fixer la date de la clôture des débats,encore faut-il qu'il laisse aux parties un temps suffisant pour produire et contredire. Sous l'empire de l'ancienarticle 1016 du Code de procédure civile, il était admis que l'arbitre pouvait rendre la sentence avant le début dudélai de quinzaine, à condition que les parties aient pu produire leurs défenses utilement et discuter les pièces del'adversaire (Cass. 2e civ., 5 nov. 1965 : Bull. civ. II, n° 855). Cette règle est consacrée implicitement par le nouvelarticle 1468 du Nouveau Code de procédure civile. La clôture des débats qui interviendrait de manière trop rapide,et qui interdirait au principe du contradictoire de prospérer, constituerait une atteinte aux droits de la défense.L'arbitre ne pourra donc clore les débats qu'à la condition que l'instruction de l'affaire ait pu normalement

s'effectuer. C'est pourquoi d'ailleurs, l'article 1468 laisse à l'arbitre la faculté d'accueillir postérieurement à la datede clôture des observations ou des pièces nouvelles. La règle n'est pas une innovation. La jurisprudence avaitadmis qu'au moins l'amiable compositeur pouvait accueillir des conclusions déposées après le délai de quinzaine,à condition que le principe du contradictoire soit respecté. C'est ainsi qu'il a été jugé que « l'article 1016 ne faitpas obstacle à la prise en considération de productions tardives du moment que le document a été soumis à la librecontradiction des parties » (CA Paris, 11 mars 1959 : JCP G 1959, II, 14828. - CA Paris, 21 févr. 1966 : JCP G1966, II, 16147 bis, note P. Level. - CA Paris, 16 nov. 1976 et 14 déc. 1976 : Rev. arb. 1977, p. 171. - CA Paris,20 déc. 1977 et 2 févr. 1978 : Rev. arb. 1978, p. 501, note P. Roland-Lévy. - V. aussi Cass. 2e civ., 30 mai 1980 : Rev. arb. 1981, p. 137).

Postérieurement au décret du 14 mai 1980, la solution s'impose a fortiori. La Cour d'appel de Paris a ainsi jugéque les arbitres ont la faculté d'aménager la procédure en fonction d'événements de dernières minutes à condition

toutefois que les droits de la défense soient respectés (30 juin 1986 : Rev. arb. 1991, p. 351, obs. SHM et CV). Lamême juridiction a posé le principe que « les arbitres peuvent inviter les parties à échanger leurs mémoires etleurs notes de plaidoiries après l'audience, l'article 1468 du Nouveau Code de procédure civile autorisant laproduction d'observations et de pièces après la date de mise en délibéré » (CA Paris, 5 juill. 1990 : Rev. arb. 1991, p. 309, obs. J.H.M. et C.V. - Également, CA Paris, 10 nov. 1989 : RTD com. 1992, p. 589, obs. Dubarry et  Loquin).

La question de savoir si dans ces hypothèses, le tribunal arbitral doit nécessairement réouvrir les débats oraux estdiscutée. L'article 444 du Nouveau Code de procédure civile inspire au juge étatique de réouvrir les débats. Danscet esprit, la Cour d'appel de Paris avait jugé que « le tribunal arbitral ne viole pas le principe du contradictoiredès lors qu'il autorise une production tardive d'une pièce et qu'il procède à une réouverture des débats oraux afinde répondre à la production tardive de l'adversaire » (21 janv. 1984 : Rev. arb. 1987, p. 345, obs. Pellerin).

En réalité, l'arrêt ne prend pas parti sur cette question. Il constate seulement que les débats oraux ayant étéréouverts, le principe du contradictoire avait été respecté. La jurisprudence de la Cour d'appel de Paris admet quefaute d'une telle réouverture, le principe du contradictoire n'est pas nécessairement violé. C'est ainsi qu'un arrêt du31 janvier 1991 juge « que les parties ayant échangé des notes pendant le délibéré arbitral, le tribunal arbitral n'estpas tenu de réouvrir les débats, la seule exigence du respect des principes directeurs du procès et des droits de ladéfense étant que les pièces ainsi transmises au tribunal aient fait l'objet d'une communication contradictoiremettant les parties en mesure de faire leurs observations » (CA Paris, 31 janv. 1991 : Rev. arb. 1991, p. 651, obs.Pellerin ; RTD com. 1992, p. 589, obs. Dubarry et Loquin). Plus précisément encore, la décision rendue le 25

 janvier 1991 énonce « qu'aucune règle impérative n'exige l'organisation de débats oraux devant le tribunal arbitral

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(CA Paris, 25 janv. 1991 : Rev. arb. 1991, p. 651, obs. Pellerin ; RTD com. 1992, p. 589, obs. Dubarry et  Loquin). La solution est fondée sur l'observation que les arbitres ne sont pas tenus, sauf volonté expresse desparties, de suivre en tout les règles applicables devant les tribunaux (NCPC, art. 1460). Seuls les principesdirecteurs du procès doivent être respectés. Or l'oralité des débats ne figure pas au nombre de ces principesdirecteurs. Le Nouveau Code de procédure civile n'en fait état que dans l'article 22, à propos de la publicité desdébats, auquel ne renvoie pas l'article 1460, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile (supra n° 30). Ainsi, laseule limite de la faculté laissée au tribunal arbitral d'accueillir des pièces tardives est celle du respect ducontradictoire.

L'arrêt du 25 janvier 1991 annule la sentence dès lors que « ses énonciations ne permettent pas de contrôler si lesparties ont été en mesure de débattre contradictoirement de tous les points de fait et de droit et notamment au sujetdu rapport déposé par l'arbitre la veille de la dernière réunion » (préc.).

37. - Ainsi, l'arbitre ne pourra accueillir des conclusions ou des pièces postérieurement à la clôture des débats,que sous réserve de pouvoir encore matériellement délibérer, et à condition que le principe de la contradictionpuisse être respecté, et que l'adversaire ait matériellement le temps de discuter les arguments de son adversaire.Ainsi la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 13 novembre 1980, a jugé que « dès lors qu'ils avaient prononcé la

clôture des débats, les arbitres ne pouvaient prendre en considération de nouvelles pièces produites ultérieurementsans les avoir réouverts, ou à tout le moins, invité la partie adverse à formuler ses observations sur les nouveauxdocuments » (Rev. arb. 1984, p. 129, obs. T. Bernard).En l'espèce, l'absence de protestation de l'autre partie, ou lefait que cette dernière ait elle-même produit tardivement des pièces, ne permet pas à la sentence d'échapper à lanullité. Les arbitres devaient rejeter la production tardive qui ne pouvait être communiquée à l'adversaire.

38. - Reste à savoir, lorsque ces deux conditions sont réunies en l'espèce, si cette faculté est laissée à la discrétionde l'arbitre. L'article 1468 du Nouveau Code de procédure civile paraît bien le prévoir, dans la mesure où ilréserve au seul arbitre la possibilité d'ouvrir à nouveau les débats. Les parties, dans cette interprétation, n'auraientaucun droit à la réouverture des débats (En ce sens déjà, CA Paris, 11 févr. 1971 : Rev. arb. 1973, p. 29, note Loquin).

Telle est également la solution donnée par la Cour d'appel de Paris, le 21 février 1984 (Rev. arb. 1987, p. 395,

obs. Pellerin). Seulement, l'arrêt impose à l'arbitre de motiver sa décision de refuser la réouverture des débats etd'indiquer pourquoi le nouveau débat lui paraît sans objet.

39. - En cas de réouverture des débats, les arbitres doivent demander une prorogation du délai de l'arbitrage, afinde permettre au débat contradictoire de s'installer. La solution s'impose dès l'instant que la production des piècesnouvelles est faite in extremis avant la date de clôture, et que les arbitres ne peuvent délibérer dans les délais, s'ilconvient de retarder la date de clôture pour permettre une discussion contradictoire des pièces nouvelles produites.

b) Instruction devant les arbitres

40. - L'article 1461 du Nouveau Code de procédure civile dispose que « les actes d'instruction et les procès-verbaux sont faits par tous les arbitres si le compromis ne les autorise à commettre l'un d'entre eux ».Letexte donne aux arbitres l'initiative et le contrôle des mesures d'instruction. Il leur impose également en principed'instruire collégialement.

1 Pouvoirs des arbitres pour instruire

41. - Pendant longtemps, l'instruction devant les arbitres a paru être soumise à un régime particulier. Il étaitcourant d'opposer le juge qui, dans le Nouveau Code de procédure civile, doit veiller à la recherche de la véritéobjective au nom du service public qu'il assure, à l'arbitre, qui serait tenu d'une neutralité absolue à l'égard desparties dans l'instruction du litige (cf. en particulier, Mme J. Rubellin-Devichi, note ss CA Rouen, 16 déc. 1975 : Rev. arb. 1976, p. 193 qui dénie à l'arbitre le droit d'impartir des délais, d'ordonner d'office des mesures

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d'instruction). C'est oublier que bien avant la refonte du Code de procédure civile, la pratique arbitrale avaitreconnu aux arbitres de larges pouvoirs dans l'instruction du litige. C'est ainsi par exemple que l'article 27 durèglement de la Chambre arbitrale de Paris dispose que « les commissions d'arbitrage ont, par la recherche deséléments d'appréciation, les pouvoirs les plus larges et peuvent ordonner toute mesure d'instruction qu'elles jugentutiles », et que l'article 21 du règlement de la Chambre arbitrale de Strasbourg dispose que « le tribunal arbitralpeut prescrire toute enquête et prélèvement d'échantillons et en général toutes mesures qu'il juge propres à éclairerles faits ».

42. - Le droit nouveau de l'arbitrage confirme cette pratique. D'une part, l'arbitre a la faculté de fixer les règles del'instruction, et cela conformément à la règle générale de l'article 1460, alinéa 1. D'autre part, les principesdirecteurs du procès étaient applicables à l'arbitrage, l'arbitre sera autorisé par l'article 10 du Nouveau Code deprocédure civile « à ordonner d'office toutes les mesures d'instruction légalement admissibles ». Il en résulte queles arbitres, comme les juges, trancheront le litige, non seulement au vu de l'argumentation et des pièces fourniespar les parties, mais aussi en fonction des éclaircissements qu'ils auront eux-mêmes réclamés ou provoqués àl'aide de mesures d'instruction.

43. - a) Expertise. - Les arbitres pourront confier à des techniciens toute mesure d'expertise jugée utile, et cela en

dehors des règles formelles prévues pour les juridictions étatiques, à la demande des parties, ou de leur propreinitiative, et cela, soit par un simple procès-verbal, soit par une sentence avant-dire droit qui rend opposable ladécision de désignation aux parties intéressées. Dans un arrêt du 30 novembre 1978, la Cour de cassation a jugépar exemple que « l'arbitre choisit librement les personnes physiques ou morales qui procèdent aux investigationsqu'il juge utiles et qu'il n'est pas nécessaire que les parties aient été invitées à participer aux opérationsd'instruction, dès lors qu'elles ont eu la possibilité de s'expliquer sur les résultats de ces mesures d'instruction, etspécialement sur les rapports remis à l'arbitre par les techniciens qu'il a nommés » (Rev. arb. 1979, p. 343, note P. Roland-Lévy). Il est donc établi que la mesure d'instruction n'est pas irrégulière en l'absence de convocation ou departicipation des parties, du moment que celles-ci ont pu discuter le rapport d'expertise (également CA Paris, 6 mars 1987 : Rev. arb. 1987, p. 390, obs. Pellerin. - CA Paris, 27 juin 1991 : Rev. arb. 1991, p. 681, obs.Pellerin. - V. aussi Cass. 2e civ., 16 déc. 1985 : Rev. arb. 1987, p. 391, obs. Pellerin).

Inversement, le rapport d'expertise ne doit pas nécessairement être soumis à la discussion contradictoire devantl'arbitre, dès lors que les parties ont eu connaissance du résultat de l'expertise et ne l'ont pas contesté. Dans unarrêt du 16 février 1978, la Cour de cassation a jugé que l'arbitre qui s'est décidé au vu du seul rapport de l'expert,qui avait conduit ses opérations dans des conditions de contradiction non contestées, n'avait pas violé les droits dela défense, en ne faisant pas discuter par les parties devant lui le rapport d'expertise dont il avait possession (Rev.arb. 1978, p. 469, note B. Moreau).

44. - Cependant, les arbitres ont l'obligation de faire connaître aux parties leur décision de procéder à l'expertiseet le nom des experts désignés (Sous réserve cependant de l'application de l'article 17 du Nouveau Code de procédure civile, cf. infra n° 80). Le principe a été affirmé par un arrêt de la 2e Chambre civile de la Cour decassation du 30 novembre 1978 (Rev. arb. 1979, p. 355, note Ph. Fouchard) : « en ne s'expliquant pas sur lepoint de savoir si les noms des experts n'avaient pas été communiqués aux parties, la cour d'appel n'a paslégalement justifié sa décision ». En effet, le défaut de communication du nom des experts consultés par les

arbitres prive les parties de leur droit de récusation. On doit, en la matière, se référer à l'article 234 du NouveauCode de procédure civile qui dispose que les techniciens nommés peuvent être récusés pour les mêmes causes queles juges. Par analogie, il faut admettre qu'ils puissent être récusés par les mêmes causes que les arbitres. Lescontestations relatives à la récusation des experts échappent cependant aux principes posés par l'article 1463 duNouveau Code de procédure civile qui énonce que c'est le juge étatique qui tranche sur les contestations relativesà la récusation des arbitres. S'agissant des experts, les contestations doivent être portées devant le tribunal arbitral,qui tranche l'incident dans une sentence avant-dire droit ou par une première sentence définitive (V. en ce sens de Boisseson, op. cit., p. 251, n° 296).

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45. - La mission confiée par le tribunal arbitral aux experts ne peut être une mission juridictionnelle. En effetdans ce cas, les arbitres délégueraient à l'expert le pouvoir de juger, et la décision de l'expert pourrait être annuléesur le fondement de l'article 1484-1° qui ouvre le recours en annulation lorsque les arbitres ont statué sansconvention d'arbitrage. Il a, par exemple, été jugé que les arbitres chargés par les parties de procéder à un partagene peuvent se faire suppléer par un tiers dans cette mission (T. civ. Lille, 29 févr. 1956 : Rev. arb. 1956, p. 101).Cette réserve peut parfois soulever des difficultés lorsque la frontière entre l'expertise et l'arbitrage est difficile àcerner. Tel est le cas lorsque le tiers désigné par l'arbitre est chargé d'évaluer des valeurs litigieuses, desattributions préférentielles, ou des prix de vente (cf. par exemple Cass. 2e civ., 7 juin 1978 : Rev. arb. 1979, p. 343, note Roland-Lévy). Le tribunal arbitral ne peut décider à l'avance d'adopter les conclusions du rapportd'expertise. L'avis de l'expert, et tel est à notre avis le critère, ne peut jamais lier le tribunal arbitral (V. en ce sens,Cass. req., 17 janv. 1831 : Rép. civ. Dalloz, 1re éd. V° Arbitrage, n° 100. - CA Douai, 7 oct. 1958 : Rev. arb.1959, p. 16 ; Gaz. Pal. 1959, 1, p. 50).

46. - Enfin, il faut ici rappeler que le pouvoir d'initiative de l'arbitre, dans l'organisation de l'expertise, peut êtrelimité par la volonté des parties, soit dans la convention d'arbitrage, soit en cours d'instance, cette dernièremodification étant alors comprise comme une modification de la mission initialement confiée aux arbitres. Enparticulier, les parties peuvent convenir que les arbitres devront nommer des experts nominalement désignés par

elles. Elles peuvent également imposer aux arbitres le recours à l'expertise ou, au contraire, le leur interdire.

47. - En cas d'urgence, rien n'interdit que les parties s'adressent au juge des référés pour désigner l'expert (cf. pour des exemples, Cass. com., 3 juill. 1951 : Gaz. Pal. 1951, 2, p. 316. - 24 mars 1954 : Rev. arb. 1955, p. 95. - 4 nov.1959 : Gaz. Pal. 1960, 1, p. 191). Tel serait le cas si, par exemple, le tribunal arbitral ne pouvait se réunir dans undélai assez rapide pour procéder à la désignation.

48. - Sur le plan pratique, il importe que l'arbitre, dès lors que l'une des parties s'oppose à l'expertise, procède,pour nommer l'expert, par une sentence avant-dire droit. C'est seulement par ce moyen que la décision de l'arbitresera opposable à la partie intéressée. Il faut également conseiller aux arbitres d'indiquer dans leur sentence, ou àdéfaut dans le procès-verbal qui constate la nomination de l'expert, le délai dans lequel celui-ci devra réaliser samission. La pratique prévoit le plus souvent dans la convention d'arbitrage que le délai d'arbitrage est suspendupendant les opérations d'expertise (en ce sens, J. Robert, op. cit., p. 159, n° 179 ; sur la validité de cette clause,Cass. 2e civ., 5 avr. 1993 : RTD com. 1993, p. 643, obs. Dubarry et Loquin).

49. - b) Enquête arbitrale. - D'office ou à la demande des parties, les arbitres peuvent décider qu'il y a lieud'entendre les témoins, voire même les parties, et sous réserve, bien entendu, que la convention d'arbitrage nel'interdise pas (CA Paris, 3 déc. 1965 : Rev. arb. 1966, p. 22). La décision résultera soit d'un simple procès-verbalcommuniqué aux parties, soit d'une sentence avant-dire droit. Conformément à l'article 1460, alinéa 1, duNouveau Code de procédure civile, l'arbitre pourra organiser librement les règles régissant l'enquête, sans êtretenu de suivre les obligations prévues par le Code de procédure civile pour les juges étatiques. En particulier, alorsque l'article 208 du Nouveau Code de procédure civile dispose que « les témoins sont entendus en présence des parties », le tribunal arbitral peut auditionner non contradictoirement les témoins (V. en ce sens CA Paris, 3 déc.1965 : JCP G 1966, II, 14625). Cependant, la jurisprudence impose aux arbitres de fixer préalablement les faitsadmis en preuve, et de dresser procès-verbal des dispositions reçues afin qu'elles soient discutées

contradictoirement (Ibid.).

50. - Les témoins ne peuvent prêter serment et l'arbitre ne dispose d'aucun pouvoir coercitif pour leur imposer detémoigner (V. supra n° 27). De l'absence de prestation de serment, on déduira que les arbitres peuvent auditionner,conformément à l'article 205 du Nouveau Code de procédure civile, même les personnes frappées d'une incapacitéde témoigner. Pour les mêmes raisons, le tribunal arbitral peut admettre des témoignages rédigés par écrit par lestémoins hors de sa présence.

51. - L'arbitre n'est pas tenu de provoquer l'audition de témoins, et cela même à la requête de l'une des parties. La

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Cour d'appel de Paris a jugé que « le fait que les arbitres aient reçu la mission très générale d'entendre toussachants n'impliquait pas pour eux l'obligation d'entendre des témoins et plus précisément, des personnes nondésignées dans le compromis, et dont l'audition n'a été demandée qu'au cours d'arbitrage par l'une des parties »(CA Paris, 15 mars 1984 : Rev. arb. 1985, p. 285). Il résulte de cette décision qu'au contraire, l'arbitre serait tenud'entendre les témoins désignés par le compromis par les parties à peine de statuer sans se conformer à sa mission.L'arrêt précise également que l'obligation pèserait également sur l'arbitre dans le cas où il ne disposerait pasd'éléments suffisants pour statuer. Il faut donc en déduire que l'arbitre doit motiver sa décision de ne pas entendrele témoin, et qu'il expose pourquoi « il s'estime légalement éclairé » avant d'écarter cette audition jugé superflue.

52. - g) Descente sur les lieux. - Les arbitres peuvent également ordonner une descente sur les lieux s'ilsl'estiment nécessaire. Ici encore, aucun formalisme ne s'impose à l'arbitre. En particulier, il n'est pas nécessaireque les parties assistent à la descente sur les lieux et qu'elles soient convoquées à cette fin par l'arbitre. Il convientseulement qu'elles puissent discuter les conclusions que les arbitres auront retirées de la mesure d'instruction (V.en ce sens CA Paris, 12 janv. 1979 : Rev. arb. 1979, p. 83, note J. Rubellin-Devichi).

53. - Comme pour toute mesure d'instruction, l'arbitre est le seul juge de l'opportunité de décider un transport surles lieux. La Cour d'appel de Paris a jugé en ce sens en décidant que « les arbitres, estimant disposer d'éléments

suffisants pour fonder leur conviction, ont pu, sans se contredire et sans porter atteinte aux droits de la défense,renoncer à un transport sur les lieux, qui se heurtait à des difficultés et dont ils étaient en fin de compte seuls jugesd'apprécier l'opportunité » (CA Paris, 8 juill. 1982 : Rev. arb. 1983, p. 345). Cependant, et la règle vaut, quelleque soit la mesure d'instruction sollicitée, l'arbitre, qui refuse d'acquiescer à la demande, devra, dans une décisionmotivée, indiquer les raisons qui justifient le rejet de la demande (V. en ce sens, T. Bernard, obs. sur arrêt préc. -V. également CA Paris, 15 mars 1984 : Rev. arb. 1985, p. 285).

54. - d) Vérification d'écriture et inscription de faux. - L'article 1457 du Nouveau Code de procédure civiledispose que « sauf convention contraire, l'arbitre a le pouvoir de trancher l'incident de vérification d'écriture oude faux conformément aux dispositions des articles 287 à 294 et de l' article 299 du Nouveau Code de procédurecivile. L' article 313 est applicable devant l'arbitre. Le délai d'arbitrage continue à courir du jour où il a été statué sur l'incident ». La solution est en partie nouvelle. Il était certes admis, dès avant la réforme du droit de l'arbitrage,que le tribunal arbitral pouvait opérer dans le cadre de sa fonction juridictionnelle la vérification d'écriture (Cass.civ., 5 févr. 1900 : DP 1900, 1, p. 176). L'ancien article 1015 limitait, en effet, les questions préjudicielles àl'inscription de faux et à l'incident criminel. Ainsi, avait-on pu déduire a contrario de cet article que la vérificationd'écriture n'était pas une question préjudicielle. Au contraire, l'inscription de faux devait suspendre les opérationsd'arbitrage. L'article 1467 du Nouveau Code de procédure civile prévoit à présent que l'incident de faux peut êtreréglé devant l'arbitre. Mais la compétence de l'arbitre ne s'étend qu'à l'inscription de faux de l'article 299 duNouveau Code de procédure civile, c'est-à-dire ayant pour objet un écrit sous seing privé. Au contraire,l'inscription de faux de l'article 303 du Nouveau Code de procédure civile, dirigé contre un acte authentique, n'estpas susceptible d'être soumise à l'arbitrage. Dans ce cas, l'article 313 du Nouveau Code de procédure civile doitrecevoir application, et l'arbitre doit surseoir à statuer dans l'attente de la décision du tribunal de grande instance.L'article 303 du Nouveau Code de procédure civile prévoit que l'inscription de faux contre un acte authentiquedonne lieu à communication au ministère public, communication qui exclut par hypothèse la compétence dutribunal arbitral. Cette extension des pouvoirs de l'arbitre, dans les limites compatibles avec le caractère privé de

l'institution, est un exemple de l'accentuation de la juridictionnalisation de l'arbitrage opérée par la réforme du 14mai 1980 (V. en ce sens, R. Perrot, op. cit. : Rev. arb. 1980, p. 646).

55. - L'article 1467 du Nouveau Code de procédure civile dispose que les arbitres devront appliquer les articles287 à 294 du Nouveau Code de procédure civile pour opérer la vérification d'écriture. Ce texte effectue l'un desrares renvois aux dispositions formelles prévues pour les tribunaux étatiques par le Nouveau Code de procédurecivile. Cependant, ce renvoi ne peut conduire à l'application sans adaptation des textes susvisés. En particulier, sile juge peut, aux termes de l'article 290 du Nouveau Code de procédure civile, ordonner à peine d'astreinte, laproduction de documents détenus par des tiers, l'arbitre n'a pas le pouvoir d'enjoindre à ces derniers de produire

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les documents utiles à la vérification. De même, l'astreinte ne peut être prononcée par lui pour obliger l'une desparties à produire le document utile (cf. supra n° 24). De même, l'article 291, alinéa 2, du Nouveau Code deprocédure civile ne peut être appliqué à l'arbitrage.

L'arbitre n'a pas qualité pour faire citer le tiers, auteur prétendu de l'écrit contesté. On comprend dès lors que

l'article 1467, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile, laisse aux parties la faculté de prévoir par uneconvention contraire que la vérification d'écriture sera portée devant le juge étatique. Et, compte tenu des risquesde l'inefficacité de la vérification d'écriture devant les arbitres, on peut conseiller une telle stipulation dans laconvention d'arbitrage. Enfin, l'arbitre devra statuer sur l'incident, non pas dans les formes de l'article 294, alinéa2, qui prévoit une simple mention au registre d'audience, ou en cas de nécessité une ordonnance ou un jugement,mais soit par une sentence avant-dire droit, soit en joignant l'incident au fond dans la sentence principale.

56. - L'article 1467, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile écarte l'application de l'article 295 duNouveau Code de procédure civile. Cet article prévoit une amende civile contre celui qui a dénié la pièceproduite. L'arbitre, en effet, juge privé, ne peut condamner à des peines l'une des parties, ces peines seraient-ellesciviles. Peut-il, en revanche, condamner le dénégateur à des dommages-intérêts ? M. Robert répond positivementà cette question (op. cit., n° 162, p. 142). On peut cependant se demander si, ce faisant, il statue conformément à

l'objet de sa mission, et s'il ne court pas le risque de l'ultra petita.

57. - Les arbitres, lorsqu'ils ont à statuer sur l'inscription de faux ayant pour objet un acte sous seing privé,doivent appliquer, conformément à l'article 299 du Nouveau Code de procédure civile les règles prévues pour lavérification d'écriture, avec les réserves formulées plus haut. Par application de l'article 313 du Nouveau Code deprocédure civile, en cas de demande de vérification d'écriture ayant pour objet un acte authentique, le tribunalarbitral n'est pas obligé de surseoir à statuer, dès lors qu'il peut écarter des débats la pièce litigieuse, et statuer auprincipal sans en tenir compte, ce qui implique que la pièce litigieuse n'est pas indispensable à la décision au fond.Nul doute que cette dernière décision doive faire l'objet devant l'arbitre d'un débat contradictoire (V. en ce senségalement, J. Robert et B. Moreau, op. cit., n° 164, p. 144).

2 Obligation d'instruire collégialement

58. - L'article 1461, alinéa 1 du Nouveau Code de procédure civile dispose que « les actes d'instruction sont faits par tous les arbitres si le compromis ne les autorise à commettre l'un d'entre eux ». Cette règle était déjà celle del'article 1011 de l'ancien Code de procédure civile. Aussi, sauf volonté contraire des parties exprimée dans laconvention d'arbitrage, les arbitres ne peuvent pas déléguer leur pouvoir à l'un d'entre eux pour instruire le litige.

59. - Le fondement de la règle est discuté. Certains voient dans la règle une garantie du principe ducontradictoire. M. J. Robert et B. Moreau écrivent par exemple « qu'il s'agit là d'une simple application de la règlegénérale du contradictoire » (op. cit., p. 156, n° 177). De la même manière M. de Boisseson (op. cit., n° 291)estime qu'il ne doit pas s'opérer entre les arbitres une répartition des tâches « qui risquerait de nuire aux parties etde porter atteinte aux droits de la défense ». Cette explication ne nous paraît pas convaincante. D'une part, si larègle était motivée par le respect des droits de la défense, on voit mal comment les parties pourraient autoriser lesarbitres à passer outre. Or l'article 1461, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile, prévoit expressément que

le compromis peut autoriser le tribunal arbitral à commettre l'un des arbitres. D'autre part, le respect des droits dela défense n'impose pas nécessairement la collégialité de l'instruction. Dès l'instant que l'instruction est menéeimpartialement, et que le collège arbitral est informé du résultat des mesures d'instruction, les droits de la défensesont respectés. La règle de l'article 1461, alinéa 1, est en réalité une protection formelle contre les conséquencesfâcheuses de la pratique des arbitres parties. Chacun des arbitres ayant tendance à se considérer comme lereprésentant plus ou moins avoué de la partie qui l'a désigné, l'obligation de procéder ensemble est une garantiecontre une éventuelle partialité de l'arbitre chargé d'instruire l'affaire. Mais, à ce titre, elle n'est qu'une formalitéqui concrètement assure le respect de la défense. Autrement dit, son non-respect n'entraîne pas ipso facto uneviolation des droits de la défense, et de la même manière, comme le prévoit le texte, il peut être renoncé à cette

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forme protectrice.

60. - Ces considérations permettent d'expliquer le régime de la sanction de la violation de la règle. La jurisprudence énonce que la violation de la règle ne constitue pas en elle-même une violation des droits de ladéfense. La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 26 avril 1985 (Rev. arb. 1985, p. 311, note E. Mezger), a jugé

que « le fait que certains actes d'instruction soient effectués par un seul arbitre désigné par le tribunal arbitral n'estpas contraire au principe de la contradiction qui exige que chaque partie soit en mesure de discuter les prétentions,arguments et preuves de son adversaire et qui n'est donc pas en cause ici » (V. également sous l'empire de l'ancienCode de procédure civile, Cass. req., 27 janv. 1879 : DP 1879, 1, p. 344). Il en résulte que la délégation donnéepour instruire par le tribunal arbitral à l'un des arbitres ne constitue, aux termes de cette jurisprudence, uneviolation des droits de la défense, que si elle interdit aux parties de discuter contradictoirement les mesuresd'instruction. Mais contrairement aux termes de l'arrêt, nous pensons également que la délégation est constitutived'une atteinte aux droits de la défense, si l'arbitre délégué n'informe pas l'ensemble du tribunal des mesuresd'instruction effectuées, et de leur résultat (V. en ce sens, Cass. req., 27 janv. 1879, préc. Sur cette question, Raymond, Des connaissances personnelles de l'arbitre à son information privilégiée : Rev. arb. 1991, p. 3). Leprincipe du contradictoire, au sens large, suppose que l'ensemble du tribunal ait accès aux informations résultantde l'instruction. Mais à défaut d'une violation alléguée des droits de la défense, l'absence de l'un des arbitres à

l'une des mesures d'instruction ne peut entraîner à elle seule la nullité de la sentence (Cass. 2e civ., 16 nov. 1988 : Rev. arb. 1989, p. 491, note Rondeau-Rivier).

61. - Cependant, il nous semble que le non-respect de la règle de l'article 1461, alinéa 1, du Nouveau Code deprocédure civile constitue une violation par l'arbitre de la mission qui lui a été confiée. En l'absence de dispositioncontraire dans la convocation d'arbitrage, il faut présumer que les parties ont voulu une instruction collégiale. Larègle est une règle supplétive de volonté. Pour cette raison, elle peut être écartée par une disposition contraire.Aussi faut-il admettre que son non-respect peut être sanctionné sur le fondement de l'article 1484 du NouveauCode de procédure civile qui prévoit la nullité de la sentence lorsque« l'arbitre a statué sans se conformer à lamission qui lui avait été conférée ». Il faut alors approuver sur ce point l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26avril 1985 (préc.), lorsqu'il a jugé « qu'en revanche, une délégation qui n'est pas donnée conformément auxconventions et règles fixant le cadre et les limites des pouvoirs confiés au tribunal arbitral, peut éventuellement

porter atteinte à la bonne exécution de la mission de l'arbitre ». Mais, dans ce cas, le succès du recours enannulation est subordonné à la condition exposée précédemment que la violation par l'arbitre de sa missionproduise « un défaut d'équivalence des solutions » (cf. supra n° 20 et 21 et, surtout, Cass. 1re civ., 17 juin 1981 : Rev. arb. 1985, p. 458, cité supra n° 19).

62. - En raison de la qualification retenue, nous estimons que l'arbitre amiable compositeur peut écarter la règlede l'article 1461, alinéa 1. Certes la majorité des auteurs énonce que les règles posant les formalités spécifiques deprocédure arbitrale s'imposent aux amiables compositeurs. Nous pensons au contraire que lorsque ces règlesposent de simples conditions de forme auxquelles les parties peuvent renoncer, la renonciation générale aux règlessupplétives résultant de la clause d'amiable composition touche également les règles prévues par le Nouveau Codede procédure civile en matière de procédure arbitrale (cf. Loquin, L'amiable composition en droit comparé international, op. cit., n° 380 à 382). Aussi, les amiables compositeurs peuvent-ils écarter la forme protectrice del'article 1461, alinéa 1, même si les parties ne l'ont pas expressément et spécialement écartée. Mais bien

évidemment, ils devront respecter le principe du contradictoire tel qu'il se manifeste en la matière (cf. supran° 60).

C. - Audience arbitrale

63. - Il appartient également aux arbitres, conformément au pouvoir d'initiative qui leur est reconnu par la loi de fixerles règles régissant l'audience. Là encore, sous réserve du respect des droits de la défense, le plus large pouvoir doit leurêtre attribué.

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64. - D'une part, nous l'avons déjà dit, le principe de l'oralité des débats ne s'impose pas aux arbitres. Il en résulte queceux-ci peuvent prévoir une procédure purement écrite, et statuer en l'absence d'une audition orale des parties ou deleurs représentants, et de leur comparution devant eux, (CA Paris, 12 juill. 1971 : Rev. arb. 1973, p. 74, note Ph.Fouchard).

65. - D'autre part, l'arbitre n'est pas obligé d'appliquer les règles prévues pour les tribunaux pour régir l'audition desparties. En particulier, ces règles posent le principe que seul le juge doit jouer un rôle actif lors de l'interrogatoire destémoins et des parties. L'article 189 du Nouveau Code de procédure civile dispose par exemple que les parties sontinterrogées par le juge, et l'article 193 du Nouveau Code de procédure civile énonce que « le juge pose, s'il l'estimenécessaire, les questions que les parties lui soumettent après l'interrogatoire », alors que l'article 214 du Nouveau Codede procédure civile dispose« que les parties ne doivent ni interrompre, ni interpeller, ni chercher à influencer lestémoins qui déposent, ni s'adresser directement à eux sous peine d'exclusion ». Ces textes rejettent la technique del'interrogatoire et du contre-interrogatoire des parties ou des témoins par l'autre partie. Rien n'interdit à notre avis àl'arbitre, dès l'instant que les principes du contradictoire et de l'égalité des parties sont respectés, d'autoriser l'un desplaideurs à interroger l'adversaire ou un témoin. Les règles des articles susvisés, impératives pour le juge, sontuniquement inspirées par des considérations de politique judiciaire liées au rôle respectif du juge et des parties en coursd'instance. Mais elles peuvent être écartées de l'arbitrage dans la mesure où leur exclusion n'est contraire ni au principe

du respect des droits de la défense, ni aux principes directeurs du procès.

Dans le même esprit, rien n'interdit aux arbitres de procéder même à l'improviste, au cours d'une audience, à uninterrogatoire direct des parties en posant diverses questions aux personnes présentes sans en dresser procès-verbal. LaCour d'appel de Paris a considéré, qu'en procédant ainsi les arbitres ont ouvert un débat contradictoire dès lors que lesdéclarations des personnes interrogées ont pu être discutées par les représentants de la partie adverse (CA Paris, 27 nov.1987 : Rev. arb. 1989, p. 62, note Couchez).

66. - On peut également se demander si l'arbitre peut poser des règles propres à organiser la représentation des partiesdevant lui. Il est certain tout d'abord que légalement le principe est celui de la liberté complète des parties pour sedéfendre elles-mêmes, ou pour être représentées par les défenseurs de leur choix, à l'exclusion de tout monopoled'avocat (Cass. 1re civ., 19 juin 1979 : Rev. arb. 1979, p. 487, note G. Bolard).

L'article 18 du Nouveau Code de procédure civile énonce, en effet, que« les parties peuvent se défendre elles-mêmes,sous réserve des cas dans lesquels la représentation est obligatoire ». Et l'article 1472, alinéa 6, du Nouveau Code deprocédure civile énonce expressément que « la sentence arbitrale contient le cas échéant le nom des avocats ou de toute personne ayant représenté ou assisté les parties ». C'est dire d'une part, que les parties peuvent « le cas échéant » ne pasêtre représentées, et que d'autres personnes que des avocats peuvent les représenter. Mais la question se pose de savoirsi l'arbitre peut, dans le cadre de l'article 1460, alinéa 1, imposer aux parties d'être représentées, ou d'être représentéespar un avocat, voire même de ne pas être du tout représentées. M. J. Robert et B. Moreau admettent « qu'il faut réserverl'agrément donné par l'arbitre à la personne de l'assistant, étant admis que l'arbitre tient au moins de sa désignation lepouvoir d'assurer la police de l'instance arbitrale, dans l'intérêt du meilleur exercice de sa mission » (op. cit., n° 173, p. 153). N'est-ce pas dire que dans l'intérêt du meilleur exercice de sa mission, l'arbitre peut, dans le cadre du pouvoirqu'il tient de l'article 1460, alinéa 1, imposer en la matière des règles aux parties, à défaut par elles d'un accord sur desrègles conventionnelles ? Nous avouons être hésitants pour admettre cette affirmation.

Le choix du représentant ou de l'assistant ou son absence de choix nous paraît être une liberté fondamentale pour leplaideur, et plus largement encore un élément des droits de la défense. Seules peuvent lui faire échec des considérationstenant au bon fonctionnement du service public de la justice étatique qui imposent devant certaines juridictions lemonopole des avocats. Comme le relève la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 14 octobre 1977 (D. 1978, p. 298,note J. Robert), le monopole des avocats est fondé sur « les règles d'organisation du service public et de la justice aufonctionnement duquel l'avocat, en sa qualité d'auxiliaire doit participer ». Devant le juge privé, le libre choix del'assistant ou la volonté de ne pas être assisté, est un élément des droits de la défense (En ce sens implicitement, Cass.1re civ., 28 avr. 1986 : Rev. arb. 1989, p. 219, note Fouchard).

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67. - On doit également admettre, qu'à défaut de stipulation des parties dans la convention d'arbitrage, il appartient auxarbitres de fixer le lieu des opérations d'arbitrage.

Antérieurement au décret du 14 mai 1980, il avait été jugé, « qu'à défaut d'accord des parties sur le lieu de l'arbitragedans la convention d'arbitrage, ou au moment de la saisine des arbitres, il convenait de considérer que le lieu de

l'arbitrage se situait au domicile du défendeur (CA Paris, 10 oct. 1967 : JCP G 1968, II, 15473). La solution ne doit plusà présent s'imposer, l'arbitre ayant la faculté de choisir le lieu qu'il estime opportun. Il est vrai cependant qu'un argumentde texte peut être opposé à cette affirmation. L'article 1457 du Nouveau Code de procédure civile dispose en effet, qu'àdéfaut de désignation du lieu de l'arbitrage par les parties, c'est le président du tribunal du lieu où demeure le défendeurqui est compétent pour « assister l'arbitrage ». Le texte ne fait pas mention du lieu choisi par les arbitres, alors qu'ilprévoit la compétence du président du tribunal dans le ressort duquel est fixé par les parties le lieu de l'arbitrage.L'argument nous paraît devoir être rejeté, car rien ne paraît s'opposer à laisser à l'arbitre cette fixation. Cependant, il enrésultera que dans ce cas, la juridiction étatique compétente pour assister l'arbitrage sera celle du lieu du domicile dudéfendeur, et non celle du lieu où se déroulent les opérations d'arbitrage. Cette situation peut intervenir lorsque, commec'est le cas en matière de récusation ou en matière de prorogation du terme, l'action est portée devant le magistrat aprèsque les arbitres ont accepté leurs missions et fixé le lieu de l'arbitrage. Ce résultat est sans aucun doute fâcheux, car ilrisque de compliquer inutilement le recours à ce magistrat.

II. - PRINCIPES S'IMPOSANT AUX ARBITRES

68. - La composante juridictionnelle de l'arbitrage exige que les arbitres respectent les principes directeurs du procès.L'article 1460, alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile dispose en effet que« toutefois, les principes directeurs du procès énoncés aux articles 4 à 11, alinéas 1 et 13 à 21, du Nouveau Code de procédure civile , sont toujours applicablesà l'instance arbitrale ».Ainsi, comme l'explique M. Perrot, « les principes directeurs du procès émergent comme autantde points d'ancrage, destinés à limiter la liberté des parties et des arbitres autour d'un minimum irréductible, dans lequella justice arbitrale serait ou risquerait d'être inefficace ou défigurée » (Perrot, La réforme du droit de l'arbitrage : Rev.arb. 1980, p. 644). Plus précisément encore le non-respect de ces principes ferait perdre à la procédure arbitrale soncaractère juridictionnel. La sentence rendue dans de telles conditions serait susceptible d'être annulée tantôt sur le chef d'une violation du principe de la contradiction (NCPC, art. 1484, al. 2, 4°), tantôt sur le chef d'une violation par l'arbitre

de la mission qui lui a été conférée (NCPC, art. 1484, al. 2, 3°).

69. - On remarquera cependant que certains principes directeurs du procès public sont écartés de la justice privée parl'article 1460 du Nouveau Code de procédure civile. Il en est ainsi des trois premiers articles du Nouveau Code deprocédure civile consacrés aux principes directeurs de l'instance. Ces trois articles font double emploi, ou sont encontradiction avec les règles posées pour l'arbitrage par le Nouveau Code de procédure civile. L'article 1 du NouveauCode de procédure civile qui dispose que« seules les parties introduisent l'instance, hors le cas où la loi en disposeautrement » est sans intérêt en matière d'arbitrage. Seules les parties, en effet, peuvent saisir le tribunal arbitral. Ladeuxième règle posée par l'article 1er du Nouveau Code de procédure civile est inutile dans l'arbitrage : « elles ont laliberté d'y mettre fin avant qu'elle ne s'éteigne par l'effet du jugement ou en vertu de la loi ». En effet, l'article 1456 etles articles 1462 et 1463 du Nouveau Code de procédure civile régissent les cas où il est mis fin à l'instance arbitrale.L'exclusion de l'article 2 du Nouveau Code de procédure civile qui dispose que« les parties conduisent l'instance sousles charges qui leur incombent et qu'il leur appartient d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délaisrequis » s'explique par l'existence de l'article 1460, alinéa 1, qui exclut en principe de l'arbitrage les formes et les délaisrequis pour les tribunaux. L'article 3 du Nouveau Code de procédure civile ( « le juge veille au bon déroulement del'instance et a le pouvoir d'impartir les délais et ordonner les mesures nécessaires ») , fait double emploi avec l'article1460 du Nouveau Code de procédure civile qui donne à l'arbitre un pouvoir d'initiative élargi. L'article 11, alinéa 2 estexclu en raison du défaut d'imperium de l'arbitre (cf. supra n° 24). L'article 12 du Nouveau Code de procédure civilerelatif à l'application du droit par le juge étatique ne peut trouver application dans l'arbitrage en raison du caractère privéde la justice arbitrale (cf. infra J.-Cl. Procédure civile, Fasc. 1038 ou Commercial, Fasc. 218). Enfin, les articles 22 et24 du Nouveau Code de procédure civile qui traitent de la tenue publique des débats et de l'obligation de réserve du

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magistrat n'ont pour seul fondement que le caractère de service public de la justice étatique, et ne peuvent concernerl'arbitrage. En revanche, l'exclusion de l'article 22 du Nouveau Code de procédure civile qui dispose que « le juge n'est  pas tenu de recourir à un interprète lorsqu'il connaît la langue dans laquelle s'expriment les parties », ne se justifie enaucune manière, et nul doute que la règle ainsi posée peut trouver application devant l'arbitre.

70. - Si l'on regroupe au contraire les principes directeurs applicables à l'étranger, on constate qu'ils intéressent deuxaspects de l'instance arbitrale. D'une part, l'arbitre doit veiller à respecter la répartition des rôles imposée par le principedispositif (A), d'autre part, il doit veiller au respect du principe de la contradiction (B).

A. - Respect du principe dispositif 

71. - Le principe dispositif signifie que d'une part, la direction du procès appartient aux parties, mais d'autre part que le juge et l'arbitre ont un « office » qui leur donne un rôle actif dans le procès (cf. J. Vincent et S. Guinchard, Procédurecivile, 22e éd., n° 379 s.). Cependant, malgré le renvoi exprès de l'article 1460, alinéa 2, à l'ensemble des principes quirégissent les rôles respectifs du juge et des parties dans l'instance, la transposition de ces principes directeurs dansl'instance arbitrale nécessite un minimum d'adaptation. D'une part, « la neutralité » de l'arbitre impose que les partiespuissent être « les maîtresses » du procès (1°). D'autre part, l'arbitre puise dans les principes directeurs du procès un

certain pouvoir de direction de l'instance arbitrale (2°).1° Principes assurant la neutralité de l'arbitre

72. - L'article 5 du Nouveau Code de procédure civile impose aux arbitres de se prononcer sur tout ce qui estdemandé, et seulement sur ce qui est demandé (a). L'article 7 oblige les arbitres à ne fonder leur décision que sur lesfaits apportés par les parties dans le débat (b).

a) Respect de l'objet du litige

73. - En droit judiciaire privé, le principe de l'immutabilité du litige, c'est-à-dire l'affirmation que le juge ne peutmodifier d'office l'objet de la demande, en statuant, soit sur ce qui n'a pas été demandé, soit en omettant de statuersur l'ensemble de la demande, est un principe généralement rattaché aux droits de la défense. Il s'agit de ne point

laisser le procès à l'initiative arbitraire du juge. Celui-ci doit répondre à tous les chefs de la demande, et seulement àceux-ci (cf. Normand, Le juge et le litige, op. cit., p. 160 s.).

74. - En matière d'arbitrage, le principe trouve un autre fondement. Il résulte de la composante contractuelle del'arbitrage. Le fait de statuer sur ce qui n'a pas été demandé revient pour l'arbitre à statuer sans conventiond'arbitrage. Inversement, ne pas statuer sur une demande peut être assimilé à la non-exécution de la mission que lesparties ont confiée à l'arbitre. Pour ces raisons, sous l'empire de l'ancien Code de procédure civile, le vice résultantde l'ultra petita était sanctionné par la voie de l'opposition à l'ordonnance d'exequatur de l'ancien article 1028 duCode de procédure civile qui visait essentiellement des vices affectant la sentence en raison de la naturecontractuelle de l'arbitrage.

75. - Ainsi sera nulle la sentence qui prononce la nullité d'une vente pour vice du consentement, alors que laconvention d'arbitrage ne mentionnait que l'interprétation des stipulations du contrat (Cass. com., 28 janv. 1958 :

 Rev. arb. 1958, p. 17).De même, une jurisprudence constante prononce la nullité de la sentence qui juge sur lasanction de l'inexécution du contrat alors qu'il était demandé à l'arbitre d'interpréter ledit contrat (CA Paris, 22 janv.1972 : Rev. arb. 1973, p. 158, note Ph. Fouchard), ou encore qui sanctionne la responsabilité délictuelle de l'unedes parties, alors que la convention d'arbitrage donne mission à l'arbitre de statuer sur la seule exécution du contrat(Cass. 1re civ., 16 juin 1976, 2e esp. : Bull. civ. I, n° 217 ; Rev. arb. 1977, p. 269, note E. Mezger).

76. - Quant à l'infra petita, l'article 1475, alinéa 2, prévoit que l'arbitre a le pouvoir de compléter la sentencelorsqu'il a omis de statuer sur un des chefs de la demande. Cependant, à défaut de pouvoir réunir à nouveau letribunal arbitral, ce pouvoir appartient à la juridiction qui eût été compétente à défaut d'arbitrage.

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77. - La clause d'amiable composition atténue-t-elle cette exigence ? Certains auteurs ont pu affirmer que« l'amiable compositeur peut faire ce que ne peut pas faire le juge, lié par les conclusions des parties, et ne pouvantquitter le champ qu'elles lui assignent » (Barbry, L'arbitrage dans les sociétés de commerce : Rev. arb. 1956, p. 151).Cette opinion peut s'appuyer sur un certain nombre de décisions qui paraissent autoriser l'amiablecompositeur à s'écarter des limites de la définition de l'objet du litige donné par le compromis. La Cour d'appel deParis a, en effet, jugé que l'amiable compositeur chargé de résoudre le différend relatif aux comptes des parties,pouvait opérer une novation et condamner l'une d'entre elles au paiement d'un solde mettant fin aux conventionsd'où ces comptes découlaient, en l'absence de toute demande en condamnation (CA Paris, 26 nov. 1968 : Rev. arb.1968, p. 133). De même, il a été jugé que l'amiable compositeur pouvait prononcer la compensation ou la solidarité,bien qu'elle n'ait pas fait l'objet d'une demande expresse (Cass. com., 17 janv. 1967 : Bull. civ. III, n° 33 ; JCP G1967, II, 15065, note P.L. - T. civ. Seine, 17 mai 1955 : Rev. arb. 1955, p. 61) ou encore prévoir, hors toutedemande, des garanties concernant l'exécution de la sentence (CA Limoges, 25 nov. 1968 : Rev. arb. 1968, p. 143).Ces décisions doivent être pourtant autrement expliquées. L'amiable compositeur, tout comme l'arbitre de droit, esttenu de respecter la définition faite par les parties de l'objet du litige. Il a été ainsi jugé que la clause d'amiablecomposition n'autorisait pas l'arbitre, chargé de constituer les lots de chaque héritier à partir des attributionspréférentielles voulues par le défunt, à intervenir sur le passif de la succession en imposant aux héritiers une dettepersonnelle à l'égard d'une personne étrangère au partage qu'il avait mission d'effectuer (Cass. 1re civ., 5 juin

1973 : Bull. civ. I, n° 192 ; Rev. arb. 1974, p. 11, note Loquin). Très didactiquement, la Cour d'appel de Paris a jugéque l'amiable compositeur n'est pas dispensé du respect des principes directeurs du procès parmi lesquels figure leprincipe de la neutralité (11 juill. 1991 : Rev. arb. 1991, p. 671, obs. Loquin). Il n'a donc pas le pouvoir, au nom del'équité ou d'une interprétation de la commune citation des parties, de relever d'office un moyen non soumis audébat contradictoire ou de s'affranchir des limites de la mission qui définit son pouvoir de juge. En l'espèce, lesarbitres avaient prononcé la nullité d'un accord caché dans son ensemble, alors qu'aucune partie ne l'avaitdemandée, l'une des parties réclamant une indemnité pour inexécution de la clause d'indexation, l'autre partieopposant la nullité de cette clause. L'amiable compositeur statue également ultra petita lorsqu'il recherche si l'unedes parties avait rempli ses obligations sociales d'employeur à l'égard de l'autre, alors qu'il était chargé de seprononcer sur les conditions d'application d'un contrat de publicité liant les parties (Cass. 2e civ., 20 déc. 1971 : Bull. civ. II, n° 351 ; Rev. arb. 1972, p. 122, note Loquin). En revanche, rien n'interdit à l'amiable compositeur,comme dans les arrêts cités plus haut, de relever d'office, parmi les éléments du débat, des faits que les parties

n'auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions, ou encore des moyens de pur droit utiles à ladécision. La clause d'amiable composition donne seulement aux arbitres, dans le cadre des demandes des parties, laplus grande liberté pour rechercher dans les éléments de fait apportés dans les débats ou dans le droit, la solution laplus équitable. Comme l'énonce la Cour d'appel de Limoges dans l'arrêt du 25 novembre 1966, « la qualitéd'amiable compositeur donne à l'arbitre pouvoir de prescrire toutes les mesures susceptibles de contribuer à unesolution équitable du litige ». Il faudrait ajouter... dans le cadre de son objet (Sur l'ensemble de la question cf. E. Loquin, L'amiable composition, op. cit., n° 351 s.). La convention d'arbitrage, en effet, limite les pouvoirs del'amiable compositeur, comme elle limite ceux de l'arbitre tenu de statuer en droit. Dès lors, il n'est même pas utilede s'interroger sur le point de savoir si la violation de l'article 5 du Nouveau Code de procédure civile peut êtreassimilée à une violation du principe du contradictoire. La nullité est acquise sur le fondement de l'article 1484,alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile.

b) Respect de la cause du litige78. - L'article 7 du Nouveau Code de procédure civile dispose que« le juge ne peut fonder sa décision sur des faitsqui ne sont pas dans le débat ». Cette disposition s'applique également à l'arbitrage. Il en résulte que l'arbitre nepeut fonder sa décision sur des faits que les parties n'auraient pas allégués, (a contrario, CA Paris, 14 mars 1991 : Rev. arb. 1991, p. 355).

La solution est fondée sur la répartition opérée par le Nouveau Code de procédure civile entre les obligations pesantsur les parties et l'office du juge. Il appartient aux seules parties d'apporter la cause de la demande, c'est-à-dire le

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complexe de faits qui forment les éléments générateurs du droit discuté (cf. sur cette notion, A. Motulsky, La causede la demande dans la délimitation de l'office du juge : D. 1964, chron. p. 235) . La solution avait déjà été donnée, acontrario il est vrai, par un arrêt du 21 mars 1963, rendu par la Cour d'appel de Paris (Rev. arb. 1963, p. 21). Danscette espèce, il était reproché à l'arbitre d'avoir procédé personnellement à une enquête sur les causes de rupture ducontrat « sans que le cadre de celle-ci en ait été établi par les parties ». L'arrêt énonce que le grief doit être rejetédans la mesure où « l'arbitre a demandé in abstracto, et non pas in concreto des appréciations sur les problèmesposés par les causes de rupture dans cette affaire », (...) et qu'il ne s'agissait que « d'une recherche d'unedocumentation portant sur les usages en vigueur dans les deux professions ». Autrement dit, l'arbitre n'avait pasapporté des faits dans la cause en se substituant aux parties. Il n'avait fait que rechercher les règles de droitapplicables à l'espèce (Sur cette question, V. infra J.-Cl. Procédure civile, Fasc. 1038 ou Commercial, Fasc. 218).

La Cour de cassation a rappelé que le principe s'imposait également aux arbitres amiables compositeurs (Cass. 1reciv., 28 févr. 1990 : Bull. civ. I, n° 23 ; Rev. arb. 1991, p. 648 ; RTD com. 1992, p. 166, obs. Dubarry et Loquin), en

 jugeant que « les dispositions de l'article 9 du Nouveau Code de procédure civile, en vertu desquelles il incombe àchaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, sont selon l'article 1460, alinéa 2 duNouveau Code de procédure civile applicables à l'instance arbitrale, même si l'arbitre statue comme amiablecompositeur ». La question prend une importance considérable dans les arbitrages parallèles. Les arbitres

peuvent-ils alors utiliser dans l'une des instances des éléments de fait établis dans l'autre instance à laquelle certainsd'entre eux ont participé ? La réponse doit être négative sauf si l'une des parties allègue ces éléments et si lesarbitres ouvrent sur ceux-ci un débat contradictoire (A contrario, CA Paris, 2 juin 1989 : Rev. arb. 1991, p. 87. -CA Paris, 14 oct. 1993 : JDI 1994, p. 447, note E. Loquin).

79. - Cependant, comme le juge étatique, l'arbitre peut faire état de ses connaissances personnelles, dans la mesureoù ce sont des connaissances générales sur la matière du litige, considérées in abstracto, et non des informations serapportant aux faits de la cause, c'est-à-dire aux éléments contingents auxquels les parties ont été mêlées (V. en cesens CA Paris, 21 mars 1963 préc. - V. également Cass. com., 30 juill. 1952 : D. 1952, p. 724 qui énonce que « l'onne saurait faire grief à l'arbitre de s'être renseigné auprès d'un technicien sur la portée d'un mode de calcul d'aprèsun indice de prix de détail préconisé par le locataire ». - Sur l'ensemble de la question, cf. Chevallier, Remarquessur l'utilisation par le juge de ses informations personnelles : RTD civ. 1963, p. 7). La solution s'impose d'autant

plus en matière d'arbitrage que l'arbitre peut être choisi par les parties eu égard à sa qualification technique, et nonpas seulement sa qualification juridique (cf. Cl. Reymond, Des connaissances personnelles de l'arbitre à soninformation privilégiée : Rev. arb. 1991, p. 3).

2° Principes assurant à l'arbitre la direction de l'instance

80. - La référence faite par l'article 1460 du Nouveau Code de procédure civile aux principes directeurs du procès estle fondement du pouvoir toujours reconnu aux arbitres de diriger l'instruction de l'instance. L'article 10 du NouveauCode de procédure civile autorise l'arbitre à ordonner d'office toutes les mesures d'instruction légalementadmissibles. L'article 8 du Nouveau Code de procédure civile permet à l'arbitre d'inviter les parties à fournir lesexplications de fait qu'il estime nécessaires à la solution du litige, et l'article 13 du Nouveau Code de procédurecivile, les explications de droit. Enfin, l'article 17 du Nouveau Code de procédure civile autorise l'arbitre, si lanécessité le commande, à ordonner une mesure d'instruction, même à l'insu de l'une des parties. Il suffira, pour que

dans ce cas particulier, le principe du contradictoire soit respecté, que le résultat de l'expertise soit communiqué à lapartie intéressée, et que celle-ci puisse le discuter devant l'arbitre (cf. Cass. 2e civ., 30 nov. 1978 : Rev. arb. 1979, p. 343, note Roland-Lévy). De même, dans le cadre des pouvoirs que lui confère l'article 21 du Nouveau Code deprocédure civile, l'arbitre pourra concilier les parties.

81. - L'intérêt du renvoi opéré par l'article 1460, alinéa 2, à ces principes directeurs, est que l'arbitre disposera de cespouvoirs de direction, alors même que la convention d'arbitrage ne lui donnerait pas expressément de tels pouvoirs.On pourrait, en effet, se demander antérieurement au décret du 14 mai 1980, si en l'absence de stipulations expressesen ce sens, l'arbitre n'était pas tenu d'observer dans le procès une totale neutralité qui lui imposait de jouer dans

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l'instance un rôle essentiellement passif. Une partie de la doctrine, en particulier, doutait que l'arbitre, jugé privé,puisse diriger, comme le juge public, autoritairement les débats, Mme Rubellin-Devichi, par exemple, dans une notesous un arrêt de la Cour d'appel de Rouen du 16 décembre 1975 (Rev. arb. 1976, p. 193), affirmait que « les textesattribuant la direction autoritaire de celle-ci au magistrat qui exerce un service public, et qui bénéficie à ce titre d'unpouvoir de contrainte pour mener l'affaire à son terme, ne peuvent pas s'appliquer à l'arbitre juge privé : verrait-on cedernier impartir des délais, ordonner d'office des mesures d'instruction ? ». La réponse positive à ces questions ne faitdésormais plus aucun doute, et cela même dans le silence de la convention d'arbitrage.

82. - Il reste cependant à se demander si ce pouvoir de direction est d'ordre public, et si son régime s'impose auxparties comme aux arbitres. En particulier, peut-on admettre que les parties imposent dans la convention d'arbitrageun rôle purement passif à l'arbitre ou encore que l'amiable compositeur puisse, sur le fondement du pouvoir que lesparties lui ont confié écarter ces principes directeurs ? Une seule certitude s'impose à la lecture des textes. Dans lecadre du seul pouvoir d'initiative que lui reconnaît l'article 1460, alinéa 1, du Nouveau Code de procédure civile,l'arbitre ne peut, en fixant les modalités de l'instance, écarter le pouvoir de direction que lui donne par renvoi auxprincipes directeurs l'alinéa 2 du même article. Le texte énonce, que nonobstant l'alinéa 1 de l'article 1460, lesprincipes directeurs sont toujours applicables. On peut cependant douter malgré l'adverbe « toujours » que les articles8, 10, 13, 17 ou 21 du Nouveau Code de procédure civile ne puissent être écartés par les parties. L'article 1484 du

Nouveau Code de procédure civile ne prévoit comme cas de nullité de la sentence que la seule violation du principedu contradictoire, et il n'est fait aucune mention d'une sanction des autres principes directeurs du procès. De plus,l'alinéa 2, 3° de ce même article oblige l'arbitre à respecter la mission que les parties lui ont confiée, et doncd'assumer la neutralité qu'elles lui ont imposée. Enfin, cette neutralité n'affecte pas le caractère juridictionnel de lamission de l'arbitre. Si les parties peuvent renoncer à ces articles, il faut alors déduire que l'amiable compositeur, quipeut disposer de tous les droits disponibles des parties, peut également les écarter.

B. - Respect du principe de la contradiction

83. - Les principes directeurs du procès consacrent plusieurs articles au contradictoire. L'article 14 du Nouveau Code deprocédure civile dispose que « nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ». L'article 15 duNouveau Code de procédure civile prévoit que « les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile lesmoyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens dedroit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense ». Enfin, l'article 16 du Nouveau Code deprocédure civile dispose que « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer lui-même le principe de lacontradiction. Il ne peut retenir, dans la décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur lesmoyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ».

(Pour des exemples de décisions visant expressément ces textes CA Paris, 3 mars et 6 nov. 1987 : Rev. arb. 1991, p. 115, note J. Pellerin.)

84. - L'application de ces principes à l'arbitrage est inséparable de la nature juridictionnelle de l'institution car ellepermet à celle-ci de s'exercer sans être pervertie. Si l'acte juridictionnel au sens matériel consiste dans le fait sinonuniquement de trancher une contestation, du moins « de consacrer une prétention après vérification » (H. Motulsky,

Écrits, t. II, p. 32), les droits de la défense sont le corollaire de cette fonction, car ils assurent que la prétention seraexposée au juge et que la vérification sera effective et loyale. L'arbitre est tenu de respecter le principe du contradictoireà peine de faire perdre à l'arbitrage sa qualification de procédure juridictionnelle. Cette obligation s'impose dans lesmêmes termes à l'arbitre tenu de juger en droit, et à l'amiable compositeur (cf. E. Loquin, op. cit., n° 331 s.). En effet,l'amiable compositeur, comme l'arbitre tenu de juger en droit, exerce une fonction juridictionnelle.

85. - Les particularités de l'arbitrage n'influent donc pas directement sur l'obligation de respecter le principe ducontradictoire. Cependant, les conséquences de l'article 1460, alinéa 1, font que les arbitres sont directement confrontésavec le principe du contradictoire, sans la médiation des formalités substantielles destinées à assurer leur respect. La

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conséquence est que la partie, qui prétend que le principe a été négligé, devra établir une violation effective des droitsde la défense, et ne pourra seulement prétendre que la formalité qui, normalement protège le principe et le met enoeuvre, n'a pas été respectée.

86. - Le respect du contradictoire s'organise, aux termes des articles 14, 15 et 16 du Nouveau Code de procédure civile

autour de trois principes. D'une part, chacune des parties doit pouvoir se faire entendre par les arbitres (1°). D'autre part,chacune des parties doit pouvoir discuter les arguments de son adversaire (2°), enfin les éléments de fait et de droitrecueillis par l'arbitre (3°).

1° Droit d'être entendu par les arbitres

87. - Cette manifestation du principe du contradictoire oblige les arbitres à veiller au respect de plusieurs règles. Lesarbitres ne peuvent statuer sans que les parties aient été appelées ou citées devant eux (a). Il importe également quechacune des parties soit entendue par l'ensemble du tribunal arbitral (b).

a) Obligation de citer chacune des parties

88. - L'article 14 du Nouveau Code de procédure civile impose que nulle partie ne peut être jugée sans avoir été

entendue ou appelée. Ce principe essentiel doit toujours être respecté par les arbitres. Il s'impose en effet comme« la garantie nécessaire d'une élémentaire justice » (Vizioz, Études de procédure, p. 417, n° 237). Le principe ducontradictoire est violé, énonce la Cour d'appel de Paris (7 janv. 1963 : Rev. arb. 1963, p. 21), si « l'arbitre omet deprendre toutes mesures propres à assurer à chaque partie l'égalité à l'accès à sa juridiction, et au débat lui-même, etdes garanties telles que chaque partie soit à même d'en connaître le déroulement et de faire valoir ses moyens ». Enl'espèce, les arbitres n'avaient pas convoqué l'une des parties à l'audience à la suite de laquelle la sentence a étérendue (V. également, Cass. 2e civ., 7 juin 1978 : Rev. arb. 1979, p. 343, note P. Roland-Lévy). De même, la Courd'appel de Paris, dans un arrêt du 24 février 1984 a jugé, que « si l'une des parties n'a pas été en mesure des'expliquer contradictoirement sur le litige soumis au tribunal arbitral, il y a lieu d'annuler la sentence parapplication de l'article 1484-4° du Nouveau Code de procédure civile (Rev. arb. 1985, p. 175). Dans cette affaire,l'institution chargée d'organiser l'arbitrage avait écrit à la partie défenderesse pour lui préciser que le délai avait étéprorogé et lui demander communication de ses pièces alors que le tribunal arbitral avait rendu sa sentence quelques

 jours plus tôt. La cour a considéré que cette partie n'avait pas été en mesure de s'expliquer contradictoirement. Onconstate que la nullité peut résulter tout aussi bien d'une erreur des arbitres que de celle de l'organisme d'arbitrage.

La Cour d'appel de Paris a eu également l'occasion de juger que les droits de la défense ne sont pas méconnus « dèslors que le défendeur défaillant à l'arbitrage s'est vu notifier d'une façon non contestable la demande d'arbitrageformée contre elle » (CA Paris, 14 févr. 1985 : Rev. arb. 1987, p. 325. - 7 févr. 1991 : Rev. arb. 1992, p. 634, obs.Pellerin).

89. - Cette obligation ne doit pas être entendue sous une forme étroite et ne se confond pas nécessairement avecl'obligation qu'auraient les arbitres de convoquer les parties à toutes les opérations d'arbitrage. C'est le résultat del'absence de convocation, et non l'absence de convocation elle-même, qui constitue la violation du principe ducontradictoire. Si l'absence de convocation peut constituer une telle atteinte, et tel est nécessairement toujours le caslorsque l'une des parties n'a jamais eu connaissance du déroulement de l'arbitrage, il a été en revanche jugé que lesarbitres n'étaient pas tenus de convoquer les parties à toutes les réunions du collège arbitral, dès l'instant quecelles-ci étaient présentes à certaines d'entre elles, et que possibilité leur avait été offerte de se faire entendre et deproduire arguments et défenses (Cass. 3e civ., 12 janv. 1968, 2e esp. : Bull. civ. III, n° 15 ; Rev. arb. 1968, p. 27).Inversement, d'ailleurs, l'existence d'une convocation à l'audience arbitrale ne suffira pas à assurer le respect ducontradictoire, si celle-ci est effectuée trop tardivement, et ne laisse pas au plaideur un délai suffisant pour préparersa défense (Pour un exemple Genève, 5 juill. 1963 : Rev. arb. 1965, p. 152).

90. - Cependant, dès l'instant que les parties ont été appelées à l'arbitrage, il importe peu que celles-ci s'abstiennent

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de comparaître. En leur absence, la sentence sera valablement rendue. La Cour d'appel de Paris a pu ainsi juger que« s'il résulte de l'ensemble de la correspondance que l'association d'arbitrage a adressé à la défenderesse que celle-cia été exactement informée du déroulement de la procédure d'arbitrage, et que c'est en pleine connaissance de causequ'elle s'est abstenue de comparaître, la défenderesse n'établit pas qu'il y ait eu, du fait de l'arbitre ou de sonadversaire, une violation du principe de la contradiction des débats » (CA Paris, 25 mars 1983 : Rev. arb. 1984, p. 363, note Robert. - V. également CA Paris, 15 déc. 1967 : Rev. arb. 1967, p. 118. - CA Paris, 26 mars 1991 : Rev. arb. 1991, p. 456, note Gaudemet Tallon).

b) Obligation d'entendre chacune des parties

91. - Le respect du contradictoire oblige également que les parties, une fois appelées, soient loyalement entenduespar les arbitres. Chacune d'elles doit pouvoir, selon les modalités définies par le tribunal arbitral ou la conventiond'arbitrage, produire devant les arbitres, soit oralement, soit par écrit, son argumentation. La Cour d'appel de Paris,dans une espèce caractéristique a jugé « qu'il y a violation des droits de la défense, si les arbitres, malgré lademande formée par l'une des parties, ont refusé d'entendre celles-ci, en se bornant à répondre que les arbitres sonttenus d'entendre les parties que s'ils ont besoin d'explication, et qu'ils s'estiment dans le cadre de leur missionsuffisamment éclairés (CA Paris, 22 mars 1965, Boucly). Dans le même sens, un arrêt de cette même juridiction

(CA Paris, 7 janv. 1963 : Rev. arb. 1963, p. 21) a jugé que « les droits de la défense sont violés lorsque l'arbitreomet de prendre toutes mesures propres à assurer à chaque partie l'égalité de l'accès à sa juridiction et au débatlui-même des garanties telles que les parties soient à même d'en connaître le déroulement et de faire valoir leursmoyens ». En l'espèce, l'une des parties avait quitté la première réunion d'arbitrage en exprimant son intention desaisir le doyen des juges d'instruction d'une plainte avec constitution de partie civile. La Cour d'appel de Parisestime que le fait pour l'arbitre de n'avoir pas invité cette partie à participer à une nouvelle réunion d'arbitrage, à lasuite de laquelle il a rendu une sentence la condamnant, constitue une violation du principe du contradictoire. Demême viole les principes directeurs du procès, et plus particulièrement les articles 14 à 16 du Nouveau Code deprocédure civile, et l'article 76 du Nouveau Code de procédure civile, qui n'est qu'une illustration de ces principes,l'arbitre, qui en prononçant la clôture immédiatement après avoir fait connaître oralement qu'il entendait repousserl'exception d'incompétence, et statuant par une même sentence sur l'exception d'incompétence et sur le fond,n'impartit pas à la partie qui n'avait pas cru devoir conclure subsidiairement sur le fond un temps suffisant pour lui

permettre d'organiser sa défense et de fournir des explications sur le fond du litige (CA Paris, 6 nov. 1987 : Rev.arb. 1991, p. 115, note Pellerin).

Cependant, cette obligation n'est pas sans limite. D'une part, peu importe la manière dont les arbitres ont satisfait àcette obligation (cf. supra n° 30, et plus particulièrement, CA Paris, 12 juill. 1971 : Rev. arb. 1974, p. 74, note Ph.Fouchard). Le caractère contradictoire de l'arbitrage n'implique pas nécessairement la comparution des parties oude leurs conseils devant l'arbitre. Il suffit que chaque partie ait pu par écrit développer son argumentation. D'autrepart, les conclusions des parties doivent être déposées avant la clôture des débats. La Cour de cassation a jugé àplusieurs reprises que les arbitres ne sont pas tenus de répondre à des conclusions déposées après la date de clôturedes débats (Cass. 2e civ., 5 nov. 1965 : Bull. civ. II, n° 855. - Cass. com., 22 oct. 1980 : Rev. arb. 1981, p. 284, noteViatte. - CA Paris, 13 nov. 1980 : Rev. arb. 1984, p. 129, obs. T. Bernard. - V. également supra n° 39).

92. - Les parties doivent également pouvoir être entendues par l'ensemble du tribunal arbitral. Le principe du

contradictoire est respecté dans les seuls cas où l'argumentation des parties est parvenue à tous les arbitres. La Courde cassation a jugé que le principe du contradictoire est violé dès lors, qu'une sentence a été rendue par un collègearbitral de trois arbitres, alors que les parties n'avaient pas été appelées à faire valoir leurs prestations devant letroisième arbitre (Cass. 2e civ., 31 janv. 1979 : Bull. civ. II, n° 32 ; Rev. arb. 1979, p. 366, note B.M.). La portée dela règle doit être cernée avec précision. Elle n'impose pas nécessairement la collégialité de l'instruction (cf. supran° 58).En revanche, il importe que tous les arbitres, pour une formalité quelconque, puissent connaître l'ensembledes éléments du dossier et les conclusions des parties. Le collège arbitral ne peut statuer lorsque l'un des arbitresreste dans l'ignorance d'éléments connus des autres arbitres. Antérieurement au décret du 14 mai 1980, le droitfrançais connaissait l'institution du tiers arbitre prévu par l'article 1018 ancien du Code de procédure civile. Le tiers

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arbitre ne complétait pas le tribunal arbitral. Il devait seulement indiquer lequel des avis divergents des deuxarbitres lui paraissait le plus fondé, et rendre une sentence exprimant le choix fait. Il en résultait que la procéduredevant lui n'ayant d'autre objet que de lui faire connaître les avis des arbitres partagés, les débats étaient clos, etl'instruction terminée. En particulier, il n'était pas nécessaire que celui-ci ouvre à nouveau les débats pour entendreles parties (cf. en particulier note préc. : Rev. arb. 1979, p. 366, signée B.M.). Ces règles n'ont plus lieu à présent des'appliquer, le décret du 14 mai 1980 ayant supprimé l'institution contestée du tiers arbitrage. Aussi, dès lors que letribunal arbitral est complété par un troisième arbitre pour respecter l'imparité imposée par l'article 1454 duNouveau Code de procédure civile, ce troisième arbitre doit avoir communication de l'ensemble de l'argumentationdes parties.

93. - Cette manifestation du principe du contradictoire impose aux arbitres qu'ils prennent certaines précautionsdans l'organisation de l'instance. On sait que l'article 1468 du Nouveau Code de procédure civile donne au tribunalarbitral pouvoir de fixer la clôture des débats (V. supra n° 35).Cette clôture des débats ne peut être fixée, dans leslimites de la durée de l'arbitrage, qu'une fois l'affaire en l'état. Autrement dit, le principe du contradictoire oblige lesarbitres à donner aux parties le temps nécessaire pour produire leurs conclusions. Sous l'empire de l'ancien article1016 du Code de procédure civile, qui prescrivait que chacune des parties serait tenue de produire ses défenses unequinzaine au moins avant l'expiration du délai du compromis, la Cour d'appel de Paris avait jugé que ce texte

n'imposait pas aux arbitres de se prononcer après l'expiration de ce délai, et qu'ils pouvaient rendre la sentence àune date plus précoce, mais seulement dans le cas où la cause avait été « suffisamment et contradictoirementinstruite » (CA Paris, 26 mars 1963 : Rev. arb. 1963, p. 64).

2° Droit de discuter contradictoirement les productions et les conclusions de l'adversaire

94. - Le principe du contradictoire exige, comme en dispose l'article 15 du Nouveau Code de procédure civile que« les parties fassent connaître en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, leséléments de preuves qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent afin que chacun soit à mêmed'organiser sa défense ». L'arbitre, comme le juge doit, en toute circonstance faire observer le principe de lacontradiction. Comme l'énonce très clairement un arrêt de la Cour d'appel de Paris, « le principe du contradictoires'impose impérativement aussi bien aux arbitres qu'aux juges étatiques : il exige notamment la communication despièces afin de permettre à la partie adverse de formuler ses observations sur ces documents et de répondre utilementaux moyens invoqués en se basant sur les pièces produites (24 avr. 1980 : Rev. arb. 1981, p. 177, note Ph. LePoittevin). Cette obligation oblige l'arbitre d'une part, à organiser dans le cadre de son pouvoir d'initiative uneprocédure de communication des pièces, d'autre part, à rejeter tout argument ou tout élément de preuve produit parl'une des parties sans communication à la partie adverse, et cela en application de l'alinéa 2 de l'article 16 duNouveau Code de procédure civile.

95. - Une abondante jurisprudence sanctionne tout manquement à ces deux règles. Ainsi, la Cour d'appel de Paris a jugé que « le fait pour un tribunal arbitral, fût-il amiable compositeur, de rendre une décision sur des demandes ouconclusions que la partie adverse n'a pas été en mesure de discuter, constitue incontestablement une violation desdroits de la défense, quel que soit le contenu desdites demandes ou conclusions (CA Paris, 21 nov. 1967 : Rev. arb.1967, p. 123. - CA Paris, 6 févr. 1969 : Rev. arb. 1969, p. 93).Tel est le cas, en particulier lorsque les parties, dans lecadre d'une procédure purement orale, ont été entendues séparément et que leurs dires n'ont pas été portés à la

connaissance de l'une et de l'autre (CA Paris, 4 déc. 1956 : Rev. arb. 1957, p. 23. - CA Paris, 3 déc. 1965 : JCP G1966, II, 14625, note R. Boulbès. - CA Paris, 21 nov. 1967 : Rev. arb. 1967, p. 122. - CA Paris, 6 févr. 1969 : Rev.arb. 1969, p. 92. - CA Paris, 12 juill. 1971 : Rev. arb. 1973, p. 74, note Ph. Fouchard). De même, le débat n'est pascontradictoire si les parties ont fourni des mémoires ou des notes qui n'ont pas fait l'objet d'un débat contradictoire(CA Douai, 7 oct. 1958, 1re esp. : Rev. arb. 1959, p. 14. - CA Paris, 3 déc. 1965 : Rev. arb. 1966, p. 22, 2e esp. : JCP G 1966, II, 14625, 3e esp., note Boulbès. - CA Paris, 6 déc. 1969 : Rev. arb. 1969, p. 92. - CA Paris, 13 mars1973 : Rev. arb. 1973, p. 176. - V. aussi Cass. 2e civ., 17 juill. 1978 : Rev. arb. 1979, p. 241, note J. Robert. - 30 nov.1978 ; Rev. arb. 1979, p. 355, note Level).

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Le respect du principe du contradictoire explique les limites posées par la jurisprudence à la libre production despièces par les parties. Si le tribunal peut recevoir des productions tardives, c'est à la condition que celles-ci puissentmatériellement être encore discutées avant le prononcé de la sentence. Dans le cadre de l'ancien article 1016 du Codede procédure civile il a été jugé que « la prise en considération par les arbitres de pièces ou documents produitsmoins de quinze jours avant l'expiration du compromis est possible, mais seulement si la partie adverse a été à mêmede les discuter et de contredire la partie qui les a produits (Cass. 2e civ., 30 mai 1980 : Rev. arb. 1981, p. 137, note J.Viatte). La règle doit être également appliquée sous l'empire du nouvel article 1468. C'est seulement à cette conditionque l'arbitre peut recevoir une production postérieure à la date de clôture des débats (cf. sur cette question, supran° 35 s. et plus particulièrement CA Paris, 13 nov. 1980 : Rev. arb. 1984, p. 129).

96. - La mise en oeuvre de la communication des pièces et des conclusions ne sera en revanche soumise à aucuneforme particulière. Ce qui importe, c'est que le principe soit respecté sous quelque forme que ce soit (cf. supran° 28 s.).

97. - Si la pièce n'a pas été communiquée à l'adversaire, l'arbitre doit s'abstenir de retenir cette production dans lesmotifs de la sentence. En conséquence, la sentence sera nulle dès lors que des motifs fondent la solution en retenantla pièce non communiquée (cf. en ce sens CA Paris, 18 janv. 1983 : Rev. arb. 1984, p. 87, note Mayer, qui relève que

« la pièce non communiquée aux parties, bien qu'elle n'ait pas expressément été retenue par les arbitres, a été discutée dans une page entière de la sentence »). Inversement, la communication d'une pièce quelques heures avantla clôture des débats ne constitue pas une violation du contradictoire dès lors « qu'il n'est pas établi que la sentenceait été infuencée par les pièces incriminées, qui reprennent d'ailleurs pour l'essentiel des moyens déjà soutenus, etque sur ce point la sentence a donné satisfaction à l'adversaire de celui qui a communiqué tardivement » (CA Paris,20 mai 1983 : Rev. arb. 1984, p. 389). La preuve de l'absence de communication peut être difficile à apporter enl'absence de tout formalisme d'autant que la jurisprudence pose le principe que toute pièce visée dans la sentence estprésumée avoir été communiquée (cf. supra n° 29 et plus particulièrement, CA Paris, 21 nov. 1967 : Rev. arb. 1967, p. 122. - V. aussi Cass. 2e civ., 28 janv. 1970 : Bull. civ. II, n° 33 ; Rev. arb. 1973, p. 66, note Ph. Fouchard).

3° Droit de discuter les éléments de fait et de droit recueillis par l'arbitre

98. - L'article 16, alinéa 3, oblige le tribunal arbitral à soumettre à la discussion contradictoire de chaque partie tous

les éléments de fait recueillis dans le cadre de l'instruction et tous les éléments de droit relevés d'office par lesarbitres. Cette règle s'impose à toutes les étapes de l'instance. La Cour d'appel de Paris, dès avant la réforme du droitde l'arbitrage avait posé le principe que « la règle selon laquelle l'instruction d'une cause devant un tribunal, quel qu'ilsoit, doit être contradictoire, est un principe fondamental de toute procédure, et constitue l'assise même des droits dela défense ; il en résulte que l'arbitre ne peut avoir connaissance des éléments du litige qu'en présence des deuxparties, ou après communication de leurs écrits pour une discussion contradictoire » (CA Paris, 3 déc. 1965 : JCP G1966, II, 14625, note R. Boulbès).

99. - Le principe s'applique tout d'abord à l'enquête arbitrale. La Cour d'appel de Paris a ainsi jugé dans l'affaireprécitée que « l'audition séparée des deux parties ne peut être justifiée par le recours à la procédure de comparutionpersonnelle que pour autant qu'elle aurait été préalablement ordonnée par une sentence avant-dire droit, renduecontradictoirement et qu'il en serait dressé un procès-verbal appelé à être contradictoirement discuté » (CA Paris, 3

déc. 1965 : Rev. arb. 1966, p. 22).

De même, méconnaît le principe du contradictoire l'arbitre amiable compositeur, qui de son propre chef, et avantmême la signature du compromis, a procédé à des constatations sur place en l'absence des intéressés et sans avispréalable, privant ainsi les parties de la possibilité de présenter leurs observations et rendant vaine toute discussionultérieure (CA Paris, 27 nov. 1987 : Rev. arb. 1989, p. 62, note Couchez). Il en irait de même en matière d'auditionde témoins. Le tribunal arbitral, qui entend des témoins hors la présence des parties, et sans leur en communiquer lesrésultats, viole le principe du contradictoire (Cass. civ., 16 déc. 1985 : Rev. arb. 1987, p. 391).

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100. - Il trouve également application lors des opérations d'expertises. Dans un arrêt du 18 janvier 1983 (Rev. arb.1984, p. 87, note Mayer), la Cour d'appel de Paris a jugé que les arbitres, « en sollicitant l'avis d'un tiers, sans lecommuniquer aux parties, avaient méconnu le principe de la contradiction en s'abstenant d'instaurer une discussioncontradictoire sur un élément important qu'ils ont introduit dans le débat » (V. également, Cass. 2e civ., 30 nov.1978 : Rev. arb. 1979, p. 355, note Fouchard. - 5 mars 1975 : Rev. arb. 1976, p. 186, note Funck Brentano). Maispour que la contradiction soit respectée, là encore, il suffit que les arbitres aient mis les parties dans la position depouvoir discuter le rapport d'expertise (V. supra n° 43. - Cass. 2e civ., 30 nov. 1978 : Rev. arb. 1979, p. 343, note Roland-Lévy. - V. aussi Cass. 2e civ., 16 févr. 1978 : Bull. civ. II, n° 39 ; Rev. arb. 1978, p. 469, note B. Moreau. - 30nov. 1978 : Bull. civ. II, n° 259 ; Rev. arb. 1979, p. 343, note Roland-Lévy).

101. - Le principe du contradictoire doit être respecté alors même que l'arbitre fait usage de ses connaissancesgénérales in abstracto pour apprécier la matière litigieuse. Dans un arrêt du 30 juillet 1950, la Chambre commercialea jugé que « si l'on ne saurait faire grief à l'arbitre de s'être renseigné auprès d'un technicien hors la connaissance desparties sur la portée d'un mode de calcul d'un indice de prix, c'est seulement à la condition que les parties aient étémises à même de discuter cette information » (Cass. com., 30 juill. 1952 : D. 1952, p. 724. - Contra, semble-t-il, CAParis, 21 mars 1963 : Rev. arb. 1963, p. 21).

Cette jurisprudence est confirmée par un arrêt rendu par la Cour de cassation, le 6 mars 1986 (Cass. 1re civ., 6 mars1986 : Rev. arb. 1987, p. 390, note Pellerin). La décision énonce que « l'arbitre ne peut prendre sa décision sur desfaits et circonstances dont il a eu personnellement connaissance et qu'il se doit, quelle que soit sa compétence, desoumettre ces faits et circonstances à un débat contradictoire ». L'arrêt vise indistinctement toutes les connaissancesde l'arbitre, même celles générales qu'il détient compte tenu de sa compétence technique. De la même manière, leprincipe doit-il s'imposer lorsque l'arbitre relève d'office un moyen de pur droit ? La jurisprudence ne paraît pourtantpas fixée en la matière. Dans l'affaire « Fougerolle c/ Banque du Proche-Orient », la Cour de cassation a rejeté unpourvoi qui soutenait que l'usage auquel se référait la sentence, et qui avait été appliqué d'office par le tribunalarbitral, n'avait pas été discuté par les parties (Cass. 2e civ., 9 déc. 1981 : Bull. civ. II, n° 212 ; Rev. arb. 1982, p. 183, note Couchez), au seul motif que « l'arrêt relève exactement qu'en se référant aux principes généraux desobligations généralement applicables dans le commerce international, les arbitres n'ont fait que se conformer àl'obligation qu'ils avaient, en vertu de l'article 8 de l'acte de mission, de définir le droit applicable à l'accord conclu ».

La solution est sur ce point critiquée par les commentateurs. M. Ph. Fouchard, en particulier, relève que « la réponseparaît un peu courte (...) car sur le terrain des principes, il paraîtrait inacceptable, que des usages relevés d'office parun arbitre puissent être appliqués sans que les parties aient été en mesure d'en débattre contradictoirement » (Lesusages, l'arbitre et le juge in Le droit des relations économiques internationales, Études offertes à B. Goldman, Litec, p. 87).Et, en effet, les principes directeurs du procès imposent que le juge comme l'arbitre ne peuvent fonderleur décision sur les moyens de droit relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leursobservations. La règle vaut également lorsque la règle relevée est un usage assimilé par la décision à une règle dedroit. La Cour d'appel de Paris est consciente de cette nécessité, et paraît vouloir l'imposer. Le 25 janvier 1991, elle a

 jugé que les énonciations de la sentence ne permettant pas de contrôler si les parties ont été en mesure de débattrecontradictoirement de tous les points de fait et de droit, et notamment au sujet d'un rapport déposé par un arbitre laveille de la dernière réunion des arbitres et des parties, l'annulation de la sentence doit être prononcée (Rev. arb.1991, p. 651, obs. Pellerin).De même, et plus directement encore, cette même juridiction a jugé que les arbitres nepouvaient, même en tant qu'amiables compositeurs, relever d'office des éléments de droit, sans provoquer le débatcontradictoire des parties, en l'espèce la nullité d'une convention, alors que seule la nullité d'une clause de cetteconvention était opposée par l'une des parties (CA Paris, 19 juill. 1991 : Rev. arb. 1991, p. 671, obs. Loquin). Demême, la Cour d'appel de Paris a jugé que « la requalification de la résiliation de la vente en résolution entrait dansl'office du juge arbitral qui n'était pas tenu, pour y procéder, de provoquer un nouveau débat contradictoire, alors quela question en litige avait été complètement débattue et que le tribunal n'introduisait dans la cause aucun élémentnouveau justifiant une réouverture des débats » (CA Paris, 5 avr. 1990 : Rev. arb. 1992, p. 110, note Synvet).

102. - Le principe doit également être respecté lorsqu'à l'occasion d'arbitrages parallèles, le même arbitre statue, en

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tant qu'arbitre commun, dans plusieurs procédures parallèles. Il est impératif que cet arbitre communique aux partiesles informations obtenues dans les autres procédures et qui pourraient influencer son jugement, et celui des autresarbitres. La Cour d'appel de Paris a jugé, dans une telle situation que « rien de ce qui sert à fonder le jugement del'arbitre ne doit échapper au débat contradictoire des parties » (CA Paris, 14 oct. 1993 : JDI 1994, p. 447, note E. Loquin). La règle s'impose d'autant plus que « le fait que l'un des arbitres dispose d'une information privilégiée sur lefait ou le droit, en raison de sa participation à un autre arbitrage, crée un déséquilibre dans le tribunal arbitral(Raymond, op. cit. : Rev. arb. 1991, p. 11). La communication de ces informations aux parties permet également deles porter à la connaissance des autres arbitres et d'assurer le respect du principe de la collégialité de la décision (Ence sens, a contrario, CA Paris, 26 avr. 1985 : Rev. arb. 1985, p. 311, note Mezger).

103. - Le pouvoir donné aux arbitres d'apporter à la discussion contradictoire des parties des éléments de fait ou dedroit trouve ses limites dans la situation où l'arbitre a préjugé de la cause. La Cour d'appel de Paris a ainsi décidé que« si le principe de la contradiction, n'est pas violé, pas plus que les droits de la défense, lorsqu'un même arbitre statuedans deux instances parallèles, il en va autrement si est intervenue dans l'autre instance une décision pouvantconstituer de la part de cet arbitre un préjugé favorable, en particulier si l'arbitre a participé dans la première affaire àune sentence qui entraîne logiquement certaines conséquences pour les questions à trancher dans la seconde » (CAParis, 14 oct. 1993 : JDI 1994, p. 447, note E. Loquin. - V. également Ord. TGI Paris, 15 janv. 1986 : Rev. arb.

1987, p. 61, note P. Bellet).

Il convient donc de distinguer deux solutions : celle où l'arbitre a connu de la cause dans un premier arbitrage, maisn'a pas jugé la cause elle-même, et celle ou l'arbitre a préjugé. Le préjugé suppose aux termes de l'arrêt précité que le

 jugement antérieur de l'arbitre porte « sur un ensemble indissociable de fait et droit qui constitue la cause soumiseune seconde fois à l'arbitre ». Il n'y aurait pas préjugé si l'arbitre « est appelé à se prononcer sur une situation de faitproche de celle examinée antérieurement, mais entre des parties différentes ». La définition n'est pas incontestable. Iln'est pas certain que l'absence d'identité des parties permette d'écarter le préjugé, dès lors que le complexe de fait etde droit soumis à l'arbitre une première fois est identique à celui qu'il doit juger une seconde fois. Dans une tellehypothèse, la présence des parties différentes dans la seconde instance est indifférente à la conviction déjà acquisepar le juge dans la première instance. Si le complexe de fait jugé par l'arbitre dans la première instance, et constituantla présupposition de la même règle de droit, se retrouve à l'identique dans la seconde instance, il y a nécessairement,

et pour cette seule raison, préjugé. Il en résulte une perte de la liberté de jugement de l'arbitre, qui est contraire àl'ordre public procédural.

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