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Faut-il que le doigt de la mort de temps - Numilog

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Faut-il que le doigt de la mort de temps à autre se pose sur le tumulte de la vie pour l'empêcher de nous foudroyer ?

Virginia Woolf

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virginia

WOOLF monique nathan

écrivains de toujours/seuil

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« Le lourd nuage gonflé qui, le premier jour du XIX siècle, couvrait non seulement Londres, mais la totalité des Iles Britan- niques, s'arrêta ou plutôt ne s'arrêta pas d'obéir aux fluctuations des tempêtes assez longtemps dans ce coin du ciel pour avoir des effets extraordinaires sur tous les êtres vivant dans son ombre. Le climat anglais parut bouleversé. Il pleuvait souvent, mais seule- ment par averses fantasques qui reprenaient sitôt finies. Le soleil brillait, comme de juste, mais emmitouflé par tant de nuages et dans un air si saturé d'eau, que ses rayons perdaient leurs couleurs ; et les violacés, les orangés, les rouges ternes avaient remplacé dans le paysage les teintes plus solides du XVIII siècle. Sous le dais de ce ciel meurtri et chagrin, le vert des choux paraissait moins intense, et la neige était d'un blanc sale. Mais ceci n'était rien : bientôt s'insinua dans chaque maison l'humidité, le plus insidieux des ennemis; on peut derrière les persiennes narguer le soleil, et narguer le gel devant un bon feu ; mais l'humidité pénètre chez nous, furtivement, lorsque nous dormons. On ne l'entend pas, on ne la sent pas, et elle est par- tout. L'humidité gonfle le bois, moisit la mar-

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mite, rouille le fer, pourrit la pierre. Et elle agit de façon si pateline qu'il nous faut soule- ver un coffre, un seau à charbon, et les voir s'émietter, pour soupçonner enfin l'ennemi d'être dans la place.

« Ainsi, de façon insensible et furtive, sans que rien marquât le jour ou l'heure de l'alté- ration, le tempérament de l'Angleterre chan- gea, et personne ne s'en aperçut. Rien pour- tant ne fut épargné. Les rudes gentilshommes campagnards qui jusque-là s'étaient assis joyeusement devant un repas de bœuf et d'ale dans une salle à manger dessinée, peut-être, par les frères Adam avec une dignité clas- sique soudain furent pris d'un frisson. Les douillettes apparurent ; on se laissa pousser la barbe; on attacha les pantalons étroite- ment par des sous-pieds. Et ce froid qui montait aux jambes, le gentilhomme campa- gnard eut tôt fait de le communiquer à sa maison ; les meubles furent capitonnés ; les tables et les murs, couverts ; et rien ne resta nu. Alors un changement de régime devint indispensable. On inventa le muffin crumpet. Le café, après le dîner, supplanta le porto, et comme le café exigeait un salon où on pût le boire, comme le salon exigeait des globes, les globes des fleurs artificielles, les fleurs artificielles des cheminées bourgeoises, les cheminées bourgeoises des pianos, les pianos des ballades pour salons, les ballades pour salons, en sautant un ou deux intermé- diaires, une armée de petits chiens, de carrés en tapisserie, et d'ornements en porcelaine, le home — qui avait une importance ex- trême — changea du tout au tout.

« Au dehors, cependant, par un nouvel effet de l'humidité, le lierre s'était mis à croître avec une profusion inouïe. Les maisons, jusque-là de pierre nue, furent étouffées sous le feuillage. Pas un jardin, si rigide que fût son dessin original, qui ne

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possédât maintenant sa pépinière, son coin sauvage et son labyrinthe. Le peu de jour qui pénétrait dans les chambres d'enfants filtrait à travers des épaisseurs vertes, et le peu de jour qui entrait dans les salons où vivaient les adultes, hommes et femmes, traversait des rideaux de peluche écarlate ou brune. Mais les changements ne se limitèrent pas à l'extérieur des êtres. L'humidité pénétra plus avant. Les hommes sentirent le froid dans leur cœur, le brouillard humide dans leur es- prit. En un effort désespéré pour donner à leurs sentiments un nid plus chaud, un creux quelconque où se blottir, ils essayèrent de tous les moyens tour à tour. L'amour, la naissance et la mort furent emmaillotés de belles phrases. Les deux sexes, de plus en plus, s'éloignèrent l'un de l'autre. Aucune conversation ouverte ne fut plus tolérée. Les évasions et les hypo- crisies patelines se multiplièrent dans les deux camps. Les orgies de lierre et d'arbres vivaces à l'extérieur des maisons eurent pour contre- partie exacte une identique fécondité à l'inté- rieur. La vie d'une femme normale devint une succession de naissances. Elle se mariait à dix-neuf ans, et à trente était mère de quinze ou dix-huit enfants ; car il y avait une grande abondance de jumeaux. Ainsi naquit l'Empire britannique ; ainsi — car on ne saurait arrêter l'humidité, elle envahit l'encrier com- me les boiseries — les phrases se gonflèrent, les adjectifs se multiplièrent, les poèmes lyriques devinrent épiques, et les bagatelles qui for- maient jadis des essais d'une colonne prirent l'ampleur d'encyclopédies en dix ou vingt volumes. » (Orlando)

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« Queen Victoria, entirely unæsthetic... »

BLOOMSBURY

Virginia Woolf a vingt ans lorsque s'en va le siècle, et avec lui « la vieille dame aux lunettes d'écailles » qui l'a marqué presque de bout en bout de son pas solennel. La Reine Victoria meurt en 1901, mais on peut dire que jus- qu'en 1914 l'Angleterre reste solidement victorienne. Ce n'est qu'à partir de la première guerre mondiale qu'apparaî- tra au grand jour l'évolution qui mine les structures et remet en question les valeurs traditionnelles de la vieille Angleterre.

Sortie de son contexte historique, l'œuvre de Virginia Woolf perd toute articulation concrète. Elle semble intem- porelle, désincarnée, elle qui porte plus que toute autre les stigmates de son époque. Ils sont nombreux. L'aristo- cratie terrienne s'appauvrit au profit du grand capitalisme, tandis que les middle-classes, se voyant accrues d'un nombre énorme de fonctionnaires et d'employés, accèdent peu à peu au pouvoir. Le progrès du labour party, celui du syndica- lisme changent l'aspect de l'échiquier politique. Devant le malaise qui s'aggrave, les grèves qui se multiplient, les Trade Unions s'agitent, essayant d'enrayer un chômage grandissant, l'une des plaies de la Grande-Bretagne au début du siècle.

A l'extérieur, l'Angleterre cesse de dominer l'économie mondiale. L'impérialisme chanté par Kipling et Joseph Chamberlain n'a pas laissé que de bons souvenirs, la guerre des Boers est encore dans toutes les mémoires et l'agitation irlandaise s'est finalement achevée par une victoire des partisans de l'indépendance. La guerre a fait des deuils et des dettes. Toute la première moitié du siècle sera rythmée, derrière une apparente prospérité, par une alternance de dépressions et de redressements financiers.

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La crise n'est pas moins nette dans les mœurs. L'imposante forteresse victorienne qui a pendant des lustres modelé la vie sociale, familiale et religieuse tremble sur ses fonda- tions. A la reine Victoria succède un souverain raffiné, ouvert aux courants extérieurs. Des événements comme le procès d'Oscar Wilde, ont appris à regarder en face ce que la pudeur se refusait à imaginer ; les livres d'un fils de mineur, D. H. Lawrence, d'un Irlandais, James Joyce, auparavant ceux de Samuel Butler ont débarrassé la littérature britannique des tabous qui l'étouffaient. Joyce, devant le catholicisme or- thodoxe irlandais, Lawrence devant le protestantisme évan- gélique anglais prennent une position de combat. On ironise, on polémique, on croit aux théories de Darwin, on veut être moderne. L'Angleterre de 1920 n'a plus rien du tableau symbolique qu'en trace Giraudoux dans le Supplément au voyage de Cook : « Deux superbes marins veillant sur la respectabilité des rêves d'un couple de marguilliers ».

Dans ce grand vent qui souffle sur les Iles, les femmes font savoir qu'elles ont, elles aussi, voix au chapitre. On est loin de l'effacement charmant d'une Jane Austen, et pourtant la révolution ne s'est pas faite en un jour. Mrs Gaskell, les sœurs Brontë et George Eliot, pour ne citer qu'elles, n'ont cessé au long du XIX siècle de protester à leur manière contre un antiféminisme étroit et ridicule. Elles ont été relayées jusqu'en 1914 par une pléiade d'écrivains qui, sans relâche ont milité en faveur de l'émancipation. Mais le tournant est définitivement marqué par le déclenchement de la première guerre mondiale. Les femmes y ont joué un rôle important, elles ont supporté pendant quatre ans la crise politique et sociale du pays. Elles ont acquis en 1918 le droit de vote et, la paix revenue, n'entendent pas abandonner leurs conquêtes. On parle dans les clubs du problème des surplus women qui ne peuvent, alors que tant de jeunes gens sont morts pour la patrie, espérer le mariage. Leur nombre s'accroît dans les universités, dans les usines ; elles s'intéressent à la vie publique, lisent avec passion les quatre-vingt-quatre chapitres du Guide de la Femme intelligente que Bernard Shaw dédie à celles qui s'interrogent sur les problèmes du socialisme. Elles continuent aussi à écrire des romans, mais ne se can- tonnent plus dans la peinture de la bourgeoisie de province, dans la description de la vie agreste ou des chastes égare- ments du cœur et de l'esprit. Confession, témoignage, docu- ment humain abordant les thèmes intimes de la vie sexuelle

« Mais ici, dans Lombard Street, Fetter Lane et Bedford Square, chaque insecte porte dans sa tête le globe terrestre tout entier... »

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et psychologique, voilà la matière du roman féminin des années 20, signé de May Sinclair, Rosamond Lehmann, Dorothy Richardson, Clemence Dane, Katherine Mansfield et Virginia Woolf.

Pour entendre l'écho de cet esprit d'avant-garde, il fallait, aux environs de 1905, remonter le cours du temps : suivre d'abord les longues rues étroites qui bordent le British Museum, traverser les squares austères où la fantaisie n'a droit de cité que dûment contrôlée par les façades rectilignes,

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pousser finalement l'une des lourdes portes de bois de Gordon square. C'est là le centre du Londres pensant, libéral et cultivé de l'entre-deux-guerres, auquel pendant plus de vingt ans le groupe de Bloomsbury street donna le ton.

On chercherait en vain une école, une chapelle ou même un salon littéraire dans les réunions amicales qui se tenaient chaque semaine chez Vanessa, Virginia, Adrian et Thoby, les enfants de Sir Leslie Stephen. « Aux environs de dix heures du soir, écrit un habitué, des gens apparaissaient et continuaient d'arriver jusqu'à minuit. Il était rare que le dernier invité s'en allât avant deux ou trois heures du matin. Whisky, petits pains, cacao, tel était le régime. Mais surtout on parlait : la conver- sation, c'était là tout le festin. Pourtant bien des gens prirent l'habitude de venir et ceux-là qui le firent ne sont pas près d'ou- blier ces soirées. »

Adrian et Thoby Stephen, frais émoulus de Cambridge, avaient attiré chez eux leurs amis de la Midnight Society, confrérie universitaire dont les membres portaient fièrement le nom d'Apôtres. De générations voisines, on trouvait là des écrivains, E. M. Forster, J. Lowes Dickinson, T. S. Eliot ; des peintres, Roger Fry, Duncan Grant ; des histo-

riens et des économistes, Lytton Strachey, J. Maynard Keynes, Leonard Woolf ; des critiques, Clive Bell, Desmond Mc Carthy. Aux environs de la première guerre, Cambridge a déménagé entre New Oxford et High Holborn, dans le quartier sévère de Bloomsbury.

Le mariage de Vanessa Stephen avec Clive Bell, celui de Virginia avec Leonard Woolf en 1912 n'interrompirent pas ces fêtes d'amitié où l'anti-conformisme était de règle. Une saine réaction contre un monde où l'on s'ennuie se cachait sous ce nouveau dan- dysme, mais aussi un vrai besoin de liberté intellectuelle. Les traits les plus caractéristiques de la personnalité littéraire de Virginia Woolf datent de l'époque où, assise à l'écart, elle entendait les

Vanessa Bell, sœur de Virginia.

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hommes les plus brillants, les plus intelligents d'Angleterre agiter les plus graves problèmes de l'heure. On découvrait les peintres de l'école française, on lisait les romanciers russes, les psychologues allemands, on militait dans les rangs socia- listes ; en politique, on était anti-impérialiste, en religion, on se montrait sceptique, voire athée. Mais en même temps, on savait s'amuser. Le sense of fun, le goût de la plaisanterie, était plus apprécié que les quartiers de noblesse Un mot d'es- prit, une correcte inflexion de la voix étaient une garantie d'authenticité. Il y avait une façon mi-intéressée, mi-incré- dule de s'écrier : « Mais c'est vraiment trop extraordinaire ! » qui n'appartenait qu'aux vrais citoyens de Bloomsbury. On dansait, on jouait beaucoup au cours de petites récep- tions intimes, mais surtout on était fanatique du ballet russe. 1911, 1912, 1913 virent se succéder à Drury Lane et à Covent Garden les plus célèbres créations de Diaghilev, L'Oiseau de feu, Le Coq d'or, Schéhérazade et L'Après-midi d'un faune, avec la grande Lopokova que devait épouser l'éco- nomiste Keynes. Un jour, on persuada à l'un des officiers de marine de Sa Majesté que l'empereur d'Abyssinie et sa suite désiraient visiter son navire. Adroitement maquillés et gardant un prudent silence, Duncan Grant, Horace Cole, Virginia Stephen et leurs amis furent accueillis en grande pompe sur le Dreadnought. La mystification ne fut révélée que plus tard, au grand émoi des autorités et de la presse

Roger Fry en Grèce. Lytton Strachey par Duncan Grant.

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L'Empereur d'Abyssinie et sa suite : de g. à dr. Virginia Stephen, Ducan Grant, Adrian Stephen, Anthony Buxton, Guy Ridley et Horace Cole.

qui s'en montrèrent scandalisées et l'affaire eût pris d'assez jolies proportions si l'on n'avait su à qui attribuer un tel irrespect.

L'origine de ces jeunes gens donnait à des plaisanteries aussi inoffensives un relent d'hérésie. Par un juste retour des choses, ces iconoclastes descendaient presque tous d'éminents victoriens, selon le titre du fameux ouvrage de Lytton Strachey. Roger Fry d'une famille quaker ; Vanessa, Virginia et Adrian Stephen (Thoby était mort en 1906 d'une fièvre typhoïde contractée en Grèce 1 étaient les enfants de Sir Leslie, lui- même fils de Sir James Stephen, issu d'une des familles les plus respectables du royaume.

1. On remarquera la curieuse coïncidence qui prive Virginia Woolf comme Katherine Mansfield d'un frère très aimé. La mort accidentelle de Thoby Stephen et de Leslie Beauchamp furent pour l'une et pour l'autre des souvenirs meurtriers qui les hantèrent toute leur vie.

Virginia et son père, sir Leslie Stephen. ►

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Ce « Phébus Apollon devenu bénédictin », ancien fellow de Trinity College, était entré dans les ordres pour en sortir quinze années plus tard, parfaitement agnostique. Un premier mariage avec une fille de Thackeray lui avait donné un fils ; d'un second il eut quatre enfants dont l'avant-dernière, Virginia, dut son prénom à une arrière-grand-mère française. Éditeur d'un énorme dictionnaire biographique et de plusieurs revues, dont le Cornhill Magazine que Thackeray avait dirigé avant lui, auteur de fameux Essais sur la libre pensée et sur l'Histoire de la pensée anglaise au XVIII siècle, par-dessus le marché excellent marcheur et l'un des premiers membres du Club Alpin, Sir Leslie est l'une des figures les plus ori- ginales du rationalisme cultivé qui régna en Angleterre à la fin du XIX siècle :

« Une femme est toujours fière de son père », écrit quelque part Virginia Woolf. Mais à quel prix ! Bien qu'elle en parle peu, il y a tout lieu de croire qu'entre la petite fille et « le Vieux Monsieur adorable et un peu terrible », peint par Meredith dans l'Egoïste sous les traits de Vernon Whit- ford, les relations ne furent pas toujours faciles. A quarante- six ans, elle note encore dans son Journal : « Il aurait aujour- d'hui 96 ans, oui, 96 ; et il aurait pu atteindre cet âge comme tant d'autres ; heureusement il n'en fut rien. Sa vie aurait entièrement mis fin à la mienne. Que serait-il arrivé ? Im-

Tableau de famille : entre Vanessa et Adrian, Virginia.

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possible d'écrire, pas de livres... Inconcevable ! » Mais, quatre ans plus tard, elle lui consacre un article où tremble l'admi- ration que portaient ses enfants à ce père âgé, solitaire et taciturne, qui savait fabriquer d'étranges animaux en papier et racontait, en fumant sa courte pipe d'argile, l'histoire de ses traversées alpines.

Le vieux gentilhomme eut entièrement en mains l'édu- cation de Virginia qu'une santé fragile empêchait de suivre un cycle normal d'études. Prenant sa canne et son chapeau, il appelait sa fille, son chien et partait en de longues ran- données dans Londres. A la maison, la bibliothèque paternelle était toujours ouverte ; c'est là qu'elle lut Platon et Eschyle, Spinoza et Hume, dévorant tout ce qu'elle trouvait au hasard des rayons. Assez strict sur le chapitre des bonnes manières, Sir Leslie surveillait de près l'éducation de ses filles, mais il leur laissait, comme à ses fils, une entière liberté de choix. Vanessa se dirigea vers la peinture, Virginia vers la littéra- ture :

« S'il réprimait sévèrement l'une de ses filles pour avoir fumé une cigarette — selon lui, fumer n'était pas chez l'autre sexe une gracieuse habitude —, elle n'avait plus qu'à lui demander si elle pourrait faire de la peinture. Il l'assurait alors qu'aussi longtemps qu'elle pren- drait à cœur son travail, elle recevrait de lui tous les secours possibles. Il n'avait aucun goût parti- culier pour la peinture ; mais il tint parole. Une liberté semblable ne va- lait-elle pas des milliers de cigarettes ?

« Il en allait de même avec le problème, peut- être plus difficile encore, de la littérature. Même aujourd'hui il y a peut- être des parents qui répu- gneraient à laisser une fillette de quinze ans accé- der librement à une im-

Cricket en Cornouailles.

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ACHEVÉ D'IMPRIMER EN 1989 PAR L'IMPRIMERIE TARDY QUERCY S.A. - BOURGES D. L. 3 TRIM. 1956 - N° 759-10 (15178)

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