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fleuve
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direction gnrale
de lUrbanisme
de lHabitat et
de la Construction
les dossiers
Le fleuve dans la ville La valorisation des berges en milieu urbain
Le fleuve dans la ville La valorisation des berges en milieu urbain
Note de synthse ralise par Gabriele Lechner
octobre 2006
DIRECTION GNRALE DE LURBANISME, DE LHABITAT ET DE LA CONSTRUCTION CENTRE DE DOCUMENTATION DE LURBANISME Arche de la Dfense 92055 Paris La Dfense cedex Tl. : +33(0)1 40 81 15 98 Fax : +33(0)1 40 81 15 99
[email protected] - www.urbanisme.equipement.gouv.fr/cdu
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Sommaire 2 Lactualit dun sujet 4 I. Le fleuve dlaiss 7 1. La ville dshydrate 7 2. Les friches portuaires 10 3. Les rives confisques par la route 14 4. Des liens mouvants 16 II. La vision du fleuve change 22 1. La vertu de leau 22 2. Waterfront attitude 24 3. Ecrits, colloques et rencontres 27 4. Les projets se prparent 29 5. Le statut des berges 33 III. Un nouveau territoire urbain 36 1. Le fleuve, un lment structurant 36 2. Des acteurs nombreux 40 3. Linscription dans un projet urbain global 43 4. Le paysage, un thme fdrateur 47 IV. Ralisations et projets 52 1. Lyon Lesprit Plan bleu 52
3
2. Valence, Vienne Le poids des infrastructures routires 58 3. Bordeaux Une longue srie de projets pour deux rives dissemblables 62 4. Orlans Affirmer une spcificit ligrienne 69 5. Paris Faire cohabiter des usages 71 6. Rouen Un nouveau ple ddi aux commerces et loisirs 79 Conclusion 83 Bibliographie 88
4
Lactualit dun sujet
Les voies deau fleuves, rivires et canaux ont progressivement vu dcrotre leur
fonction traditionnelle dacheminement des marchandises ou des hommes dune ville
une autre, dun pays un autre. Suite des bouleversements conomiques ou en
raison de dplacements des activits portuaires hors des villes, les installations
spcifiques quelles avaient gnres, pontons daccostage, quais de dchargement
et de stationnement, rampes daccs, grues, hangars de stockage, voies de chemin
de fer ou routes les desservant, ont cd la place des friches industrielles et
portuaires, des routes ou des parkings, des aires de stockage de matriaux. Ces
espaces dlaisss et peu accessibles, gnralement situs au cur des villes, font
depuis une vingtaine dannes lobjet de questionnements quant leur reconversion,
leur mise en valeur et leur dynamisation. Les villes, aprs avoir oubli, voire dni
leurs fleuves1 et rivages, cherchent retisser des liens, retrouver une fonction
urbaine ces emprises longtemps marginalises qui apparaissent aujourdhui
comme des atouts dimportance dans le redveloppement des villes. Rendre les
berges accessibles , les intgrer dans lorganisation urbaine , retourner la ville
vers son fleuve , remettre le fleuve au cur de la ville , autant de formules
employes par les acteurs de la vie urbaine. Si les grandes cits fluviales mettent en
place des projets ambitieux de reconqute de leurs bords deau, lengouement
pour les rivages se manifeste tout autant dans des communes plus modestes qui ont
vu disparatre des activits et des pratiques lies leau et qui cherchent aujourdhui
travers lamnagement des berges de leurs rivires ou de leurs canaux un moyen
de dveloppement local. Petits ports de plaisance ou simples haltes nautiques se
multiplient dans le but de favoriser le tourisme fluvial.
Nombre de publications et de rencontres rendent compte de limportance du
phnomne et des interrogations des lus et des acteurs quant la valorisation et
linsertion urbaine des sites en bordure de leau. Un vocabulaire riche en prfixes re-
ou r- (exprimant un retour en arrire, une rptition ou une nouvelle action, selon le
Larousse) est employ pour dsigner les actions en faveur dun rattachement du
1 Dans cette tude, la dnomination fleuve est employe dans une acception large de cours deau de relative importance, et non dans son sens strict de grande rivire qui aboutit la mer, usage courant reconnu par la plupart des dictionnaires.
5
fleuve la ville : rconcilier (la ville et le fleuve), se rapproprier ou reconqurir (les
berges), renouer, rtablir, retrouver, retisser ou recoudre (les liens) Ce
vocabulaire, spcifiquement employ pour les bords deau, semble ainsi se
distinguer de celui utilis pour des oprations engages en faveur dautres emprises
urbaines aujourdhui obsoltes que sont les terrains ferroviaires, aroportuaires,
miniers, industriels, militaires, eux aussi soumis des mutations foncires et
fonctionnelles. Dans le cas des rives urbaines, il sagirait de renouer des liens
perdus, non pas avec une activit passe, mais avec un fait gographique et de
rtablir une relation physique qui est, gnralement, lorigine du dveloppement de
la ville, participe de son identit et linscrit dans un territoire.
Espace identitaire, le fleuve constitue un lment de mmoire du lieu, un bien
transmis, quil est question aujourdhui la fois de rvler, de rendre accessible et
utilisable pour le plus grand nombre. Il sagit de lui inventer un nouveau destin, de
nouveaux usages, afin de le mettre en accord avec les aspirations et ncessits de
lpoque. Le fleuve permet non seulement de rpondre une proccupation
croissante des citadins de voir maintenus des espaces naturels dans leur
environnement proche et damliorer ainsi leur cadre de vie, mais aussi et peut-
tre surtout dutiliser son fort potentiel imaginaire et identitaire pour amliorer
limage de la ville par des amnagements de qualit. Relies en rseau, les voies
deau permettent galement de faciliter lapprhension dun territoire plus large, en
simposant comme fil conducteur ou lment structurant de projets damnagement
une chelle plus vaste.
La prise en compte de ces nouveaux espaces urbains disponibles nest pas un fait
nouveau, ni un phnomne franais. Des reconversions de vastes emprises
portuaires, maritimes ou fluviales, ont t engages dans des ports nord-amricains
comme Baltimore et Boston partir ds les annes 1960, suivies par des grands
ports europens partir des annes 1980, dabord britanniques (Londres, Liverpool)
puis continentaux (Rotterdam, Amsterdam, Anvers, Gnes, Bilbao, Barcelone).
Depuis, le fait sest tellement gnralis que pratiquement toute ville situe au bord
de leau, portuaire ou non, sest engage dans un processus de revitalisation et de
requalification de ses berges.
6
En France, plusieurs villes fluviales ou fluvio-maritimes2 ont entam des rflexions
sur le devenir de ces espaces dlaisss et fortement dgrads ds le dbut des
annes 1980 pour constater les nombreux obstacles dordre juridique, financier et
technique quimplique une intervention sur ces emprises. Qui est responsable de
lamnagement de ces espaces dpendant gnralement du domaine public fluvial,
formant des emprises de lEtat au sein des villes et relevant de statuts doccupation
complexes ? Les municipalits doivent-elles intervenir grand frais sur des terrains
exposs aux risques dinondations, situs au bord dune eau pollue, sur des
espaces qui, traditionnellement, reprsentent des secteurs faible attractivit ?
Comment rtablir les liens, effacer la frontire entre leau et la ville, comment mettre
en marche le processus et pour quels usages ? Autant de questions qui se posent
aux lus et acteurs locaux dsireux de mettre profit les atouts de ces couloirs
naturels qui traversent leurs villes.
La rupture des relations ville -fleuve ne sest pas faite en un jour. Les raisons en
peuvent tre diffrentes dune ville une autre, mme si lon peut observer une
tendance gnrale, un long mouvement de dsunion entre ces deux univers,
longtemps troitement lis.
2 Certaines villes -ports traites dans le cadre de cette tude relvent la fois du domaine fluvial et du domaine maritime, domaines gnralement dlimits par un pont. Cest le cas de Rouen, Nantes et Bordeaux.
7
I. Le fleuve dlaiss
1. La ville dshydrate
Au fur et mesure des progrs de domestication des fleuves et rivires et au nom de
lhygine, llment aquatique est de plus en plus cart de la vie quotidienne des
citadins. Jusquau Moyen-Age, leau tait trs prsente dans les villes, lintrieur
des remparts et aux pieds de ceux-ci3. Peaussiers, tanneurs, papetiers,
blanchisseurs, bouchers, teinturiers et autres artisans sont alors tablis proximit
de leau, le btail et les animaux de trait sy abreuvent, les porteurs deau sy
ravitaillent, les moulins y puisent leur nergie. Les dchets de lactivit artisanale, les
effluents urbains, notamment ceux des hpitaux qui se fixent au bord de leau avant
ou pendant lge classique, contribuent altrer la qualit de leau des rivires,
transformes en grands collecteurs deau use et nausabonde, ce qui fait dire
Andr Guillerme que plus une ville est puante, plus elle est riche4 . Lesprit des
lumires met fin ces pratiques. Pour tre saine, la ville doit tre sche. Dsormais,
les miasmes sont pourchasss, les canaux enterrs, les rivires canalises, les
marais asschs et la ville assainie, dsodorise et dshydrate5 . La rvolution
industrielle parachve la sparation du fleuve et de la ville. Le fleuve disparat
derrire les installations portuaires qui crent un cran entre les deux univers, les
usines semparent des rives, autant pour les besoins de la navigation que pour
alimenter leurs chaudires et rejeter leurs dchets.
A partir du XVIIIe sicle, la plupart des villes fluviales commencent se doter de
quais qui remplacent les grves ou inclinaisons naturelles des berges. Les quais
permettent une meilleure protection contre les crues, tout en favorisant le
commerce6. Le fleuve, jusque-l lment naturel dans la traverse des villes, est
resserr dans un tau, retenu dans des limites rigides. Tout au long du XIXe sicle,
3 Les ports taient tantt abrits lintrieur des remparts, comme Bordeaux, tantt situs lextrieur, comme Rouen. 4 Guillerme, Andr, Leau et ses vapeurs , Urbanisme, n 201, avril-mai 1984, p. 54-55.(CDU) 5 Ibid. Voir aussi : Guillerme, Andr, De lhumide au sec vers la fin des saisons ; la disparition des milieux naturels urbains, aux XVIIIe et XIXe sicles , Les Annales de la recherche urbaine, n 53, dcembre 1991, pp. 41-45 (CDU); Cantal-Dupart, Michel, Ville sec , Urbanisme, n 201, avril-mai 1984, pp. 48-49.(CDU) 6 Avant la construction de quais, les bateaux devaient en effet mouiller au milieu du fleuve, le dbarquement des marchandises seffectuant par des barques.
8
crit encore Andr Guillerme, lintervention de lEtat joue un rle essentiel qui fait
perdre leau toute sociabilit en la confinant entre des murs, en limitant son accs.
() Le fleuve est un lieu de passage, de transport, de commerce, de rencontre, de
prostitution aussi. Cest un lieu danimation qui chappe au contrle social et
conomique. LEtat, sous prtexte de lutte contre les inondations, supprime la grve
Paris, et la remplace par des quais hauts et bas, vritables quipements militaires
qui isolent la rivire de la ville, et permet de taxer le commerce7. Alors que lEtat
sapproprie ce domaine public, les citadins commencent rechercher la prsence de
leau en dehors des villes comme distraction de la vie urbaine, la mode est au
canotage, la baignade et aux cafs dansants tablis proximit des berges.
Les efforts de domestication des fleuves pour matriser les crues et rendre la
navigation plus aise sont constants au XIX e sicle et se poursuivent tout au long du
XXe sicle : amnagement et creusement des lits, rgulation des dbits deau,
rectification ou redressement des cours, construction de digues et de barrages8. Les
installations portuaires et/ou industrielles forment des emprises de plus en plus
importantes, neutralisant des kilomtres de rives. Dans les villes, les derniers bras
morts des fleuves disparaissent et les petits affluents, dabord canaliss, sont
enterrs. Les villes se vident dfinitivement de leurs eaux. Nantes comble deux bras
de la Loire et enterre son affluent, lErdre, dans sa partie avale durant les annes
1930. La Bivre est progressivement couverte dans son parcours parisien et
disparat dfinitivement de la surface en 19359. La Steir Quimper, la Vieille mer en
Seine-Saint-Denis, la Leysse Chambry ou le Paillon Nice, autant de petites
rivires recouvertes, oublies et nies. A Rennes, une dalle de bton est installe
7 Guillerme, Andr, cit dans : Sabbah, Catherine, Le retour leau. Rives de villes , Urbanisme, n 285, novembre-dcembre 1995, pp. 27-31.(CDU) 8 Mme le lit de la Loire, dernier fleuve sauvage de lEurope , reut des amnagements importants au cours du XIXe sicle. Pour faciliter la navi gation, on ralisa, au fond du lit, des chenaux empierrs, les duits , qui canalisent leau et crent deux rgimes dcoulement diffrents, un flux deaux vives dun ct, un flux ralenti et mme stagnant de lautre, formant les et grves. Cf. Le fleuve et ses territoires : des enjeux patrimoniaux aux grands projets urbains. Contributions au colloque du 26 septembre 2003 Imaginer le val de Loire , Orlans, Agence durbanisme de lagglomration dOrlans, 2003, p. 16.(CDU 57517) 9 Au sujet de lErdre, voir : XXe sicle, politiques et dynamiques urbaines , Nantes, collection Portrait de ville, supplment au Bulletin dInformations architecturales , n 196, Paris, Institut franais darchitecture, octobre 1996, pp. 23-37(CDU) ; pour la Bivre, voir parmi les nombreuses publications disponibles au CDU : Hoellard, Michel, La Rivire aux castors , Revue de lhabitat franais, n 432, mars 1999, pp. 26-28 (CDU); Tricaud, Pierre-Marie ; Dugeny, Franois ; Guyon, Franoise ; Kargerman, Vronique, Restauration et amnagement de la Bivre dans Paris, Paris, IAURIF, 2003.(IA 44847(2))
9
au-dessus de la Vilaine en centre-ville pour servir de parking. Un ingnieur propose
dans les annes 1960 denfouir la Seine sous une dalle Rouen, dans le centre, afin
dassurer une liaison automobile satisfaisante entre les deux rives10. L o les
fleuves sont encore visibles, explique Andr Guillerme, cest quils ont rsist, quils
taient trop puissants pour tre enterrs, ou que cela cotait trop cher. Toute
lhistoire des rapports de la ville leau est une volont de domination, souvent
aboutie11.
Quand, Marseille, au dbut des annes 1980, on dcide denterrer le canal
dalimentation en eau douce de la ville, important ouvrage inaugur en 1847 et
parcourant la ville sur soixante-dix-sept kilomtres, les esprits ont chang. Le projet
soulve de trs vives polmiques, non seulement de la part des riverains, mais des
Marseillais en gnral qui considrent le canal comme un lment de la mmoire
collective et un patrimoine culturel de la ville, offrant par ailleurs une ouverture et une
aration aux quartiers traverss. Aprs dpres ngociations entre la ville et la
Socit des Eaux de Marseille, cette dernire doit concder la ville lamnagement
dune longue promenade dagrment en couverture du canal, intgrant les multiples
ouvrages et les alignements darbres qui accompagnaient auparavant la voie
deau12.
Leau, bannie du milieu urbain ou svrement mise lcart, tend aujourdhui
refaire surface. Le mouvement, en effet, sinverse. Si les rives urbaines des grands
fleuves et en particulier les friches portuaires suscitent des projets denvergure, la
volont de faire revivre ces petites rivires ignores, de les remettre au grand
jour et de les requalifier dans leur traverse urbaine apparat ici et l. Tel est le cas
de la Bivre Paris, de la Steir Quimper, de la Vielle mer en Seine-Saint-Denis ou
de la Vienne dans la capitale autrichienne 13.
10 Evoqu par Jean Labasse, Rflexions dun gographe sur le couple ville-fleuve , La ville et le fleuve. Colloque tenu dans le cadre du 112e congrs national des socits savantes, Lyon, 21-25 avril 1987, Paris, ditions du Comit des travaux historiques et scientifiques, 1989, pp. 9-22.(CDU 22841) 11 Cit par Sabbah, Catherine, Le retour leau. Rives de villes , op. cit.(CDU) 12 Voir : Guilleux, Michle ; Linck, Jean-Jacques, Marseille. Un nouveau rgne pour le canal ? , Urbanisme, n 201, avril-mai 1984, pp. 68-71 ; Devedjian, Jocelyne, Et Marseille enterre son canal ! , Diagonal, n 64, fvrier 1987, p. 22.(CDU) 13 Pour lamnagement de la Bivre Paris, voir : Bourlon, Andr-Marie ; Jacque, Olivier ; LHenaff, Franois ; Richard, Olivier ; Breuvart, Manon, La Bivre, Paris, APUR, dcembre 2001.(CDU 56039) LAtelier parisien durbanisme y propose de restituer partiellement la Bivre dans Paris et Gentilly. La mme publication cite les projets damnagement de la Vienne dans la capitale autrichienne. Pour
10
2. Les friches portuaires
Les techniques portuaires qui ne cessent de se perfectionner au XIX e sicle
connaissent depuis le milieu du XXe sicle une volution rapide14. Pour des raisons
nautiques (la taille croissante des navires ncessitant des tirants deau de plus en
plus importants) et conomiques (les besoins en espace de stockage et de
production de plus en plus vastes, notamment avec larrive en force de la
conteneurisation, la recherche de performances dans les dlais daccessibilit, de
chargement et de dchargement), les ports sloignent progressivement des centres-
ville et des vieux bassins historiques. Le dclin des ports urbains rsulte moins dun
dclin de trafic que dune rorganisation et dune dlocalisation des installations
portuaires. Les premiers concerns sont naturellement les grands ports maritimes
qui doivent, dans un effort constant, sadapter aux nouvelles donnes techniques et
conomiques. Les grands ports du monde entier se sont vus dans lobligation de
rorganiser leur outil portuaire et de trouver de nouvelles destinations aux espaces
quils avaient d abandonner. Baltimore et Boston aux Etats-Unis sont les exemples
prcoces de reconversion demprises portuaires importantes. En France, les ports
maritimes de Marseille, du Havre, de Saint-Nazaire et de Dunkerque, aujourdhui
confronts aux bouleversements du monde maritime, cherchent rorganiser leurs
installations portuaires et trouver de nouvelles affectations aux emprises libres15.
la Steir Quimper, voir : Amnagement urbain. Quimper, la Steir ressort de terre , Diagonal, n 157, septembre-octobre 2002, p. 5 (CDU) ; pour la Vieille mer en Seine-Saint-Denis, voir : Dupont, Patrice ; Maytraud, Thierry, La d-couverture dune rivire urbaine : le projet de la Vieille mer en Seine-Saint-Denis , Les Cahiers de lIAURIF : Le fleuve. Un systme, des territoires, des acteurs , n 141, 2e trimestre 2004, pp. 82-85.(CDU) 14 Les bateaux, auxquels loutil portuaire doit sadapter, voluent en effet de manire spectaculaire durant le XXe sicle. Si les gabares, encore en usage dans lentre-deux-guerres, hales par des hommes ou des chevaux, pouvaient porter un chargement de 50 tonnes, les pniches de gabarit Freycinet qui coexistaient depuis les annes 1880 et qui sont toujours en service actuellement, supportent une charge de 300 tonnes ; les bateaux fluvio-maritimes qui remontent aujourdhui Rouen ou Lyon ont une capacit de charge allant jusqu 3 000 tonnes. Cf. Miquel, Pierre, Histoire des canaux, fleuves et rivires de France, Paris, Edition 1, 1994.(CDU 30310) 15 Un travail trs important, accompagn de nombreux rapports et publications sur les questions de linterface ville/port et de la reconversion de ports dans le monde entier, avant tout maritimes, a t accompli de 1990 1995 sous la responsabilit de Claude Prelorenzo, sociologue et professeur lEcole darchitecture de Versailles, dans le cadre du programme pluriannuel de recherche Le port et la ville au Plan Construction et Architecture, rattach alors au ministre du Logement. Par ailleurs, un grand nombre de colloques et rencontres sur ce mme sujet a t organis par lAssociation internationale Villes et Ports (AIVP), cre en 1987 au Havre qui a accueilli un premier forum en 1988. Citons parmi les trs nombreuses publications soutenues par le PAC ou lAIVP et disponibles au CDU : Prelorenzo, Claude, Le Port et la ville. Action de recherche dinnovation et dexprimentation, Paris, PCA, 1991.(CDU 25671)
11
A leur tour, les ports fluviaux16 doivent intgrer ces volutions, y faire face en crant
des installations de plus en plus loin des villes. Il sagit ici de mouvements trs
anciens et dvolutions qui sinscrivent dans un temps long. En effet, depuis fort
longtemps dj, les autorits portuaires cherchent loigner le port de la ville, des
contraintes dun tissu urbain dense, et privilgier des sites nouveaux, totalement
dissocis de celle-ci, mme si le port conserve le nom de sa ville dorigine. Le port
de Bordeaux, la fois ouvert sur lAtlantique et point daboutissement de la batellerie
fluviale, tabli au Moyen-Age sur la Devze lintrieur des remparts, investit au
XIVe sicle la grande courbe concave de la Garonne, rive gauche (le port de la
Lune)17. A la fin du XIX e sicle, le port gagne la rive droite, puis stend partir des
annes 1920 sur la commune de Bassens, en aval. Rgulirement agrandies et
modernises, les installations de Bassens, autour desquelles se dveloppe une
importante zone industrielle, remplacent peu peu les entrepts du vieux port de la
Lune. Plus en aval encore, sinstallent les ports ptroliers sur la presqule dAmbs
(dans lentre-deux-guerres), puis dans la rade du Verdon (mis en service en 1967),
lentre de lestuaire, en eau profonde, cent kilomtres de la ville 18. Ainsi, le port
initial nest pas abandonn du jour au lendemain, mais au fur et mesure de la
dlocalisation des activits portuaires. La plupart des ports de fonds destuaires
Prelorenzo, Claude ; Memmi, Nicolas, Habiter la ville portuaire ; huit grands projets internationaux, Paris, PCA, septembre 1994.(CDU 36863) Prelorenzo, Claude (dir.), Exprimentations en sites portuaires. Problmatiques, exemples et prospectives : construire une nouvelle relation entre le port et la ville, Versailles, Ecole darchitecture, 1996.(CDU 34809) Collin, Michle ; Prelorenzo, Claude ; Segaud, Marion, Les territoires de la ville portuaire, Le Havre, ditions AIVP-IACP, 2001.(CDU 56902) Dautres ouvrages sur les villes portuaires et leurs projets de restructuration et damnagement ont t publis par le Centro Internazionale Citt dAcqua / International Center Cities on Water, Venise, et sa revue trimestrielle Aquapolis : Bruttomesso, Rinio (dir.), Waterfronts. A new frontier for cities on water, Venise, International Center Cities on Water, 1993.(CDU 36201) Bruttomesso Rinio (dir.), The Matury of the Waterfront , Aquapolis, n3-4, septembre-dcembre 1999.(CDU) 16 Nous comptons parmi les ports fluviaux tous les ports installs au bord dun fleuve, mme si ceux-ci sont partags en un domaine fluvial et un domaine maritime, comme cest le cas des ports de Bordeaux, Nantes et Rouen. 17 Le pont de Pierre, construit en 1821-1822, ne permettant plus aux grands navires de remonter au-del du pont, spara le port fluvial en amont du port maritime en aval. 18 Lhistoire du port de Bordeaux est retrace dans : Valls (directeur gnral du Port autonome de Bordeaux), Lvolution du port de Bordeaux, un exemple concret dvolution des activits et des espaces portuaires , Villes et ports. Actes du forum, Le Havre, 28-29 janvier 1988, Rouen, impr. Ternon, 1988 (CDU 20180); Guillaume, Pierre, Bordeaux et son fleuve depuis 25 ans , La ville et le fleuve. Colloque tenu dans le cadre du 112e congrs national des socits savantes, op. cit., pp. 423-428.(CDU 22841)
12
Nantes ou Rouen, Bilbao ou Hambourg connaissent des volutions similaires. La
ville de Nantes, installe dans la dernire courbe de la Loire avant lOcan,
soixante kilomtres de son embouchure, avait tabli un avant-port Saint-Nazaire
ds le milieu du XIXe sicle et un chapelet dinstallations portuaires sest tabli
progressivement le long du fleuve entre les deux villes19. Rouen, cent dix
kilomtres de la Manche, formant un doublet urbain et portuaire avec Le Havre
limage de Nantes-Saint-Nazaire, voit son port dborder sur la commune de Grand-
Quevilly ds le dbut du XXe sicle avec le lancement des grands projets
damnagement de lestuaire de la Seine destins garantir un meilleur accs au
port. Aujourdhui son domaine portuaire stend jusquaux portes de celui du Havre
et en face de lui, prs dHonfleur 20.
Le mouvement est particulirement perceptible dans les ports de fonds destuaires,
mais se manifeste galement dans les villes-ports intrieures qui, subissant une
pression de lurbanisation de plus en plus forte, dplacent les installations portuaires
leurs priphries. La ville de Paris est peu marque par son statut de premier port
fluvial franais et de deuxime port fluvial europen21. En effet, le Port autonome de
Paris qui tend sa zone daction sur toute la rgion dIle -de-France, a regroup les
activits industrialo-portuaires sur des grandes plate-formes multimodales en
dehors de la ville dont les plus importantes se situent Gennevilliers, Bonneuil-sur-
Marne et Limay. Il reste nanmoins trs attach au maintien de ses dix-neuf ports
urbains dans Paris, pour une desserte au plus prs des lieux de consommation,
notamment en matriaux de construction, au grand dam des adeptes des bords de
leau et de la promenade continue sur les rives de la Seine. Des friches industrielles
et/ou portuaires se rencontrent en dehors de Paris, le long de la Seine en aval, mais
aussi, en amont, sur la Seine et sur la Marne.
A Lyon, lactivit portuaire tait prsente sur lensemble des berges de la Sane et
du Rhne jusque dans les annes 1930. Le port Edouard-Herriot implant sur le
19 Pour lhistoire du port de Nantes, voir : Nantes, collection Portrait de ville, op. cit.(CDU) 20 Lhistoire du port de Rouen est voque dans : Himpens (directeur de lamnagement et de lingnierie au Port autonome de Rouen), A partir du cas de Rouen, quels types despaces portuaires peut-on envisager de transformer ? , Villes et ports. Actes du forum, op. cit., pp. 69-74.(CDU 20180) 21 Aprs Duisburg sur le Rhin. Sur le Port autonome de Paris, voir par exemple : Rachline, Michel, Entre terre et eau ; le port autonome de Paris, Paris, ditions Atlas, 1995.(CDU 33468)
13
bord du Rhne en limite sud de la ville (1933), le port Rambaud (datant du XIX e
sicle) situ sur la Sane immdiatement en amont du confluent, puis la zone
industrialo-portuaire de Neuville-Genay, cre dans les annes 1960 lextrmit
nord de lagglomration, ont progressivement concentr les activits du trafic fluvial,
vouant labandon peu peu les quais et bas-ports du XIX e sicle, o seules
subsistent aujourdhui quelques portions de rives dvolues au chargement et
dchargement des sables et graviers extraits dans les valles proches22. Les
nouvelles activits industrielles, plus ou moins lies la voie deau, sont implantes
partir des annes 1950 au sud du port Edouard-Herriot, formant peu peu le
couloir de la chimie que nous connaissons aujourdhui23.
Les friches portuaires, loin de sinstaller subitement, apparaissent plutt de manire
insidieuse sur un temps long, un chantier naval ou un quai abandonns par ici, des
hangars mis hors dusage par l. Au final, la somme des espaces et installations
dlaisss, les kilomtres de quais verticaux, hauts et bas (ou bas-ports dans la
terminologie lyonnaise), les hangars et autres aires de stockage, les bassins flots
ou docks peuvent constituer des emprises importantes de plusieurs dizaines voire de
plusieurs centaines dhectares au sein des villes. Le port de Bordeaux, dclass par
tranche, est compltement abandonn en avril 1987, ses quais et bassins flots
sont mis hors dexploitation, loutillage, les grues, les installations lectriques peu
peu dmonts. Lemprise dlaisse comptabilise pour la seule rive gauche trois
kilomtres de quai (avec une paisseur de berges de cinquante quatre-vingt
mtres), 55 000 m2 de hangars et 200 000 m2 de terre-pleins, sans prendre en
compte la zone des bassins flots24. A Nantes, la fermeture du dernier chantier
naval en 1986, les Chantiers Dubigeon, libre un terrain de seize hectares au milieu
dautres friches plus anciennes et de trente hectares dinfrastructures ferroviaires
dlaisses sur la seule le Sainte-Anne25 entoure de douze kilomtres de quais et
22 Voir : Les zones industrialo-portuaires de la rgion lyonnaise, Lyon, Agence durbanisme, 1987.(CDU 20439) 23 Ces installations ne sapprovisionnent gure en matire premire par voie deau. Leur localisation sexplique plus par la prsence de leau industrielle de la nappe phratique et de terrains peu onreux. 24 Voir Allaman, Martine, Lhonneur retrouv des quais de Bordeaux , Diagonal, n 163, dcembre 2003, pp. 29-34 (CDU); Valls, Lvolution du port de Bordeaux, un exemple concret dvolution des activits et des espaces portuaires , op. cit.(CDU 20180) 25 Lle actuelle rsulte du comblement des petits bras de la Loire runissant lle Sainte-Anne et lle de Beaulieu. La nouvelle le porte, selon les cartes, le nom de lune ou de lautre, et devient lle de
14
de rives. A Rouen, quatrime port franais pour le volume du trafic, le dplacement
des activits portuaires vers laval de la Seine permet aujourdhui de ramnager
une zone offrant une superficie de huit cents hectares. Des friches lies aux activits
portuaires disparues se rencontrent galement le long des canaux (canaux de
Roubaix ou de Saint-Quentin26) et dans des ports de moindre importance ( Roanne,
Choisy-le-Roi, Clichy ou Angers).
Les liens organiques qui existaient entre la ville et son port, se sont peu peu
desserrs, comme a disparu lanimation des quais et des quartiers proches en
labsence des manutentionnaires, des quipages des bateaux, des ouvriers des
industries lies leau, des bourses de fret ou des socits darmement. Dans les
grandes villes portuaires, on sefforce gnralement de conserver une utilit
minimale la voie deau en maintenant le rle descale pour navires de croisires ou
en amnageant des ports de plaisance et haltes nautiques.
3. Les rives confisques par la route
Avec le ralentissement de leur fonction conomique, les fleuves et rivires, pensait-
on, perdaient jamais tout intrt pour les villes qui les bordent. La priorit qui fut
accorde au transport routier partir des annes 1960 faisait des bords deau un
terrain de prdilection pour lamnagement de voies rapides et autoroutes. Les
berges prsentaient lavantage de relever gnralement du domaine public,
nentranant par consquent pas de cot dacquisition et dviction. Ces routes
forte circulation formaient dsormais des obstacles physiques entre la ville et sa voie
deau, relguant le fleuve au second plan, dans un au-del visible mais inaccessible.
La liaison avec lautre rive devenait difficile, voire impossible. Lautoroute du Sud qui
Nantes dans le cadre de ltude pralable pour des orientations damnagement, confie Dominique Perrault et Franois Grether. 26 Au sujet du canal de Roubaix, voir : Decroix, Christophe, Le pari du nouveau canal de Roubaix , Urbanisme, n 260, janvier-fvrier 1993, p. 5(CDU) ; Allaman, Martine, Le canal de Roubaix noue les fils de lavenir , Diagonal, n 104, dcembre 1993, pp. 27-29 (CDU); Devillers, Christian ; Bichat, J.-M. ; Donato, S. ; Chavanes, P. ; Marniquet, V. ; Huret, M. ; Gautier, D., Contrat dagglomration de la communaut urbaine de Lille. Amnagement et dveloppement des territoires traverss par le canal de Roubaix. Rapport final, dcembre 1994, Lille, Agence de dveloppement et durbanisme, 1994 (DCN 21-527) ; sur le canal de Saint-Quentin, voir : Lemonier, Marc, Saint-Quentin (Aisne). Le cur de ville souvre au canal , Diagonal, n 163, novembre-dcembre 2003, pp. 50-51.(CDU)
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longe de prs ou de loin le Rhne partir de Lyon, ses changeurs, ponts et
bretelles, coupent les villes riveraines comme Valence ou Vienne, mais aussi
beaucoup dautres communes plus modestes du fleuve. A Lyon, un quai autoroutier
nord-sud a fait disparatre dans les annes 1960 les bas-ports de la rive droite du
Rhne sous des tonnes de remblais ; durant la dcennie suivante, des parcs
voitures tablis sur les deux rives ont isol son tour la Sane. La ville de Bordeaux
a tout juste pu viter la cration dune voie rapide sur la rive gauche, entre ses quais
et sa faade du XVIIIe sicle, mme si la chausse de deux fois quatre voies
existante, constituant longtemps lartre principale des changes nord-sud et
emprunte massivement par les poids lourds, forme une coupure suffisamment
importante pour dissuader le piton de la traverser27. A Toulouse, des associations
de dfense des berges ont pu faire chouer un projet dtablissement de voie rapide
sur les deux rives de la Garonne en 197428. Les autoroutes qui pntrent les villes
par le bord deau ou lempruntent dans leur traverse, les voies rapides ou routes
nationales sur berges sont lgion en France comme ailleurs. Un grand nombre de
villes franaises, mais aussi des villes tablies sur les bords du Rhin (Cologne ou
Dsseldorf) ou du Danube (Vienne ou Budapest), nont pas chapp lurbanisme
utilitariste des annes 1960-1970.
Lexistence de ces axes de transport bruyants, pollus et infranchissables, parfois
doubls, sur la mme rive ou sur la rive oppose, dune ligne de chemin der fer,
atteignant fortement la qualit de la vie urbaine, est aujourdhui mise en question. De
nombreuses villes cherchent trouver une issue cette situation qui ncessite des
investissements importants et des stratgies long terme. Les projets de
dclassement dautoroutes, de cration de contournements ou de transformation de
ces axes de circulation en boulevards urbains , vitesse limite, fleurissent,
accompagns de projets de requalification des sites abandonns.
27 Le projet de voie rapide, dite axe Nord-Sud, date de la fin des annes 1960. La voie devait tre amnage sur les emprises du port qui navait dj plus sa place dans le centre-ville. Cf. Valls, Lvolution du port de Bordeaux, un exemple concret dvolution des activits et des espaces portuaires , op. cit.(CDU 20180) 28 Voir le compte rendu du Caf Gographique qui sest tenu le 24 octobre 2001 Toulouse, consacr Toulouse et la Garonne , sur le site : www.cafe-geo.net, et larticle de Bardisa, Marie ; Soula, Marie, Au fil de loc , Archivert, n 5, 1er trimestre 1980, pp. 24-25.(CDU)
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4. Des liens mouvants
Le fleuve, la fois obstacle franchir et voie de communication, lien et coupure,
ouverture sur le monde et porte dinvasion, renvoie dinnombrables images et
permet de nombreuses mtaphores. La symbolique de leau et ses mythes
fondateurs leau pure et purifiante, mais aussi violente et dangereuse, le cycle de
leau comme source de vie et de mort relvent dune dichotomie attirance-rpulsion
que lon peut observer au fil des sicles et travers des cultures trs diffrentes29.
Les eaux du fleuve taient considres simultanment comme bnfiques et
malfiques, porteuses de trafic et dactivits conomiques et gnratrices
dinondations. Le danger permanent des fluctuations du fleuve rendait les relations
entre la ville et son fleuve incertaines, mais aussi mouvantes en raison des progrs
des techniques du gnie civil30. Leau : une des matires premires de lurbanisme.
Sans eau, pas de vie ni de ville. Mais trop deau empche ou dilue lassise de ses
fondations. De ce paradoxe natront deux attitudes fortement ancres dans la
mmoire collective. Lune amenant leau force douvrages, lautre nayant de cesse
de lliminer31.
Si, aujourdhui, une rconciliation entre la ville et le fleuve est envisageable, cest
que le danger semble en grande partie matris ou matrisable. Daucuns regrettent
les eaux tumultueuses et leur fort courant, comme celles du Rhne Lyon avant la
mise en service du barrage de Pierre-Bnite qui a transform le fleuve, au cur de
la ville, en un grand plan deau sans animation32. Les inondations nont pas pour
autant disparu, pour preuve celles, toutes rcentes, de lt 2002 qui ont touch la
29 Voir ce sujet : Bachelard, Gaston, Leau et les rves : essai sur limagination de la matire, Paris, ditions Jos Corti, 1942 (12e rimpression 1974) ; Klaine, Roger, La terre, leau, le feu, lair , Urbanisme, n 201, avril-mai 1984, pp. 43-46 (CDU); Schama, Simon, Le paysage et la mmoire, Paris, ditions du Seuil, 1999.(CDU 38961) 30 Voir les crits de Jean Labasse : Rflexions dun gographe sur le couple ville-fleuve , op. cit (CDU 22841).; Sur la relation dialectique ville-fleuve , Rgions, villes et amnagement. Mlanges jubilaires offerts a Jacqueline Beaujeu-Garnier, Paris, CREPIF, 1987, pp. 303-308.(CDU 22717) 31 Propos introductif du dossier Prsence de leau , Urbanisme, n 201, avril-mai 1984, pp. 40-99.(CDU) 32 Voir : Pelletier, Jean, Les ponts de Lyon. Leau et les Lyonnais, Le Coteau, ditions Horvath, 1988.(CDU 24251)
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France mais aussi lAllemagne et lEurope centrale, notamment les villes riveraines
du Danube et de lOder33.
Mais, de tout temps, les riverains des bords deau ont su sarranger avec les fortes
crues. Les quais qui devaient les en protger, ont en mme temps contribu
desserrer les liens, en empchant le contact direct avec leau, remplac par un
contact purement visuel. Lamnagement de quais continus et uniformes,
gnralement entrepris partir du XVIIIe sicle 34, cre de nouvelles relations entre la
ville et le fleuve. Au cours du Sicle des lumires, en effet, les villes souvrent sur
leurs fleuves et leurs relations sesthtisent. Aprs avoir jet terre les remparts
adosss au fleuve, les villes se dotent dune nouvelle faade, sur des terrains
jusque-l inconstructibles. Les quais sont conus comme des espaces publics,
parfois tablis sur deux niveaux, et offrent des promenades agrables, gnralement
surmontes dune voie de circulation large et borde darbres. Les amnagements
tendent multiplier les perspectives sur le fleuve par la ralisation de places le
bordant et de belles constructions ordonnances qui lui servent de cadre, de dcor
et qui mettent en scne lactivit portuaire. Lexemple le plus loquent, la place de la
Bourse Bordeaux, anciennement place Royale , conue par les architectes
Gabriel pre et fils et prolonge par lintendant Tourny par une longue faade
dimmeubles prestigieux, magnifie le port de la Lune et semble en un grand geste
accueillir les navigateurs et en mme temps le donner en spectacle aux citadins 35.
33 La loi du 30 juillet 2003 sur la prvention des risques majeurs suggre notamment de nouvelles servitudes destines prvenir les inondations. Sur les inondations, voir par exemple : Caude, Geoffroy, L' inondation des villes : un phnomne matrisable? , Les Annales de la recherche urbaine, n 40, novembre-dcembre 1988, pp. 53-63 (CDU); Fron, Loc, Zones inondables. Lurbanisme au rythme de leau , Urbanisme, n 259, dcembre 1992, pp. 49-51 (CDU); le dossier de la revue Diagonal Ala, risque, inondation , n 148, mars-avril 2001, pp. 30-59 (CDU); les articles sur les risques dinondation dans Les Cahiers de lIAURIF : Les risques majeurs en Ile-de-France, n 138, 3e trimestre 2003 (CDU) ; Hachache, Nora, Inondations : vers une prvention accrue , Le Moniteur des Travaux publics et du Btiment, n 5226, 23 janvier 2004, pp. 52-55.(CDU) 34 Des quais partiels, se rsumant parfois des simples grves paves, existaient auparavant, gnralement tablis devant des difices ou amnagements urbains de prestige. La ville de Besanon, en revanche, fut dj dote dun quai monumental par Vauban au XVIIe sicle. A partir du XVIIIe sicle, la construction de quais sur toute la longueur des fronts fluviaux se gnralise. Certaines villes cependant difient des quais continus assez tardivement, ainsi Bordeaux (au milieu du XIXe
sicle), ou Lyon qui surlve et uniformise ses quais datant de la premire moiti du XIXe sicle aprs les inondations de 1856. Sur la transformation du paysage urbain au XVIIIe sicle, lire : Pitte, Jean-Robert, Histoire du paysage franais, Paris, ditions Tallandier, 2001, notamment le chapitre La ville classique ou le rve effleur , pp. 217-235. 35 Ds son arrive Bordeaux, Jacques Gabriel crit : Je vous avoueray, Monseigneur, que je nay jamais veu un si beau coup dil et un si grand spectacle que ce port ; il mrite bien de faire quelque
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La place de la Concorde Paris, anciennement place Louis-XV, due Jacques-
Ange Gabriel, en est un autre exemple. Btie sur un seul ct, des espaces de
verdure et la Seine lui tiennent lieu darchitecture sur les trois autres cts. La
plupart des villes fluviales, Toulouse, Nantes, Paris ou Lyon, se parent
progressivement de nouveaux immeubles bordant la ligne continue des quais. Le
fleuve y est mis en scne comme lment de nature, cadr par la perspective des
rues y conduisant. Ces amnagements ont parfois tendance crer un devant
prestigieux, homogne et propre, masquant un derrire compos de quartiers
besogneux, voire misrables36.
Pour les urbanistes du XVIIIe sicle, il sagissait galement de faire disparatre les
lieux rputs difficiles surveiller. Parmi ces lieux, nous apprend Arlette Farge, le
fleuve et ses abords reprsentaient un espace plus hors-la-loi que les autres ,
un endroit o il est facile de camoufler, derrire le remue-mnage des alles et
venues portuaires, bon nombre dactivits peu recommandables . Tout peut
arriver sur ces rives dangereuses o se croisent tant de gagne-deniers et douvriers
et o sinstallent la sauvette quantit de petits trafics dsordonns. Il rgne
dailleurs une criminalit spcifique, celle des bords de leau o une prostitution
prcaire se mle aux vols de linge et aux rixes. La police mal organise ne parvient
jamais assainir latmosphre des berges ni mme allger une circulation
incessante et meurtrire37. Le fleuve aux rives encombres, o une foule
considrable se rassemble tous les jours, provoque par ailleurs de nombreux
accidents, les noys drivant le long des eaux, arrts parfois par les piles des
ponts, ce qui lui donnent souvent des allures de charnier .
Les ponts qui se multiplient au XIXe sicle, permettent enfin une liaison plus aise
entre les deux rives dune ville et parfois de rattacher lautre rive qui auparavant tait
perue comme un lieu distinct, accessible seulement par lintermdiaire dune barge,
chose qui soit recommandable la postrit. Cit par Avisseau, Jean-Paul, La place Royale de Bordeaux , Les Gabriel, Michel Gallet et Yves Bottineau (dir.), Paris, ditions Picard, 1982, pp. 104-111 (citation p. 107). 36 A Bordeaux par exemple, lopulente faade du quai des Chartrons cache un quartier de chais et dentrepts. 37 Farge, Arlette, Les dangers du fleuve , Vivre dans la rue Paris au XVIIIe sicle, Paris, ditions Gallimard/ditions Juillard, 1992 (1re dition 1979), pp. 48-54 (citations p. 48 et 51) ; voir aussi le chapitre Une gographie de la violence , pp. 159-163.(CDU 13435)
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dun bac ou dune gondole comme Bordeaux38. La construction de ponts offre
aussi loccasion dembellir les fronts fluviaux par lamnagement des ttes de pont et
de percer des rues dans leurs axes. Au XIX e sicle aussi, avec lintroduction du
bateau vapeur, le fleuve devient une voie de communication privilgie pour des
passagers qui trouvent l un moyen de locomotion confortable permettant de relier
petites et moyennes distances39.
Dans les villes-ports, avec lavnement de lre industrielle, les ncessits
techniques et les contraintes douanires, la construction dentrepts et de hangars,
crent non seulement une coupure physique entre la ville et leau, mais galement
une barrire visuelle. Si, dans les villes tablies sur des coteaux, le fleuve peut
encore tre aperu depuis des points de vue levs (comme les deux collines
Lyon, la butte Sainte-Anne Nantes), il devient pratiquement invisible dans les villes
sans relief (Bordeaux). Les murs ou grilles qui furent installs par la suite autour des
ports pour limiter les vols et en contrler les accs, en faisaient des zones
dfinitivement isoles de la ville. Malgr un cadre de mdiocre qualit, pollu,
bruyant et fonctionnel, peru comme rpulsif par les citadins, le port tait pourvoyeur
de travail et jouait gnralement un rle essentiel dans lconomie locale, suscitant
de ce fait un sentiment dappartenance et didentification. Lorsque les ports furent
progressivement abandonns dans le cur des villes, reflet parfois dune crise
socio-conomique de toute une rgion, lidentit de la ville entire en fut touche. La
perte dusage sans pratique de substitution, les longs dlais entre le dpart des
activits et le ramnagement, les friches voues des affectations temporaires plus
ou moins sauvages, ont fortement contribu la dgradation de limage de la ville et
la faible attractivit des anciennes emprises portuaires.
38 Les gondoles qui assuraient la traverse des passagers entre les deux rives de la Garonne, taient en service jusqu la fin de la Deuxime Guerre mondiale. Cf. Rche, A., La vie quotidienne , Bordeaux au XXe sicle, Lajugie, Joseph (dir.), Bordeaux, Fdration historique du Sud-Ouest, 1972, pp. 701-717. A Lyon, les passagers pouvaient franchir le Rhne par des bacs treille jusquen 1950. 39 Sur certains fleuves, des lignes plus ou moins rgulires existaient ds le XIVe sicle. Les coches deau sillonnaient surtout les rivires, mais aussi les canaux (entre Paris et Tours par exemple, ds le XVIe sicle). Les coches taient nombreux sur le Rhne, la Loire, navigable jusqu Roanne, ou la Seine, o une liaison Paris-Le Havre fut instaure sous Louis XIV. Cf. Miquel, Pierre, Histoire des canaux, fleuves et rivires de France, op. cit.(CDU 30310)
20
Aujourdhui, subsiste une certaine nostalgie de la vie en bordure de leau. Les
images vhicules par le cinma, la littrature, la peinture ou la photographie
tmoignent en effet dun rapport troit, dune familiarit avec llment aquatique.
Les tableaux du XVIIIe sicle, tels ceux de Joseph Vernet, charg dune srie de
vingt-quatre tableaux des ports franais, voquent le pass glorieux et prospre de
ces villes. Les images montrant des ports anims par les marins et les mouvements
des navires constituent un genre pictural part entire. Sur les tableaux et
photographies du XIX e sicle on voit des berges, comme Paris ou Lyon,
grouillantes de monde, encombres de pniches, de bateaux-lavoirs et
dembarcations diverses qui chargent et dchargent des marchandises de toutes
sortes, du bois, des fruits et lgumes ou du poisson. Les passeurs font traverser
hommes et animaux dans des lourdes barques, des bateaux vapeur assurent un
service rgulier. Frdric Moreau, le hros de LEducation sentimentale de Flaubert,
sembarque en 1840 sur la Ville-de-Montereau au Havre pour se rendre, via
Paris, dans sa ville natale, Nogent-sur-Seine. Dans LEnfant de Jules Valls, les
protagonistes prennent un vapeur pour dmnager sur la Loire, de Nantes
Roanne. Nombre de romans et de rcits de voyage nous livrent des descriptions de
ports et de paysages fluviaux, de Stendhal (Mmoires dun touriste, 1838) Julien
Gracq (La forme dune ville, 198540).
Avec lutilisation industrielle du fleuve au XIX e sicle, les relations des citadins avec
leau se rduisent aux seuls loisirs. Les installations industrielles et portuaires
obligent les citadins quitter la ville pour trouver des rives accessibles et un coin de
nature prserve. En rgion parisienne, des trains les emportent41, le temps dun
dimanche, vers La Grande Jatte, Bougival et Chatou sur la Seine, ou Nogent et
Joinville sur la Marne. A Bordeaux, ils empruntent le bac pour se rendre aux fameux
bals dansants de Lormont. La mode du canotage et des rgates de voiliers rend les
berges populaires et fait natre clubs sportifs et socits nautiques. Ce nouveau
rapport leau, joyeux et ludique, est maintes fois dpeint par les impressionnistes,
comme dans les tableaux reprsentant les Bains de la Grenouillre (sur lle de la
Loge prs de Bougival) qui offrent cabines de bain, location de canots et service de
40 La forme dune ville est une vocation de la ville de Nantes o lauteur a pass son enfance. 41 Une premire ligne de chemin de fer est ouverte en 1837 de Paris au Pecq. A partir de 1876, le service des Hirondelles , sortes de bateaux-mouches, assure la liaison entre Paris et Suresnes.
21
restauration dans une guinguette tablie sur la berge42. Durant tout le XIXe sicle, les
tablissements de bains se multiplient, proposant, dans un premier temps, des
baignoires ceux qui ne disposent pas deau courante domicile, puis des piscines
destines exclusivement la natation43. Ces activits des bords de leau sont
galement voques dans les films de lentre-deux-guerres, o Paris et la Seine ou
la Marne occupent une place particulire. Ils nous transmettent des ambiances de
ftes populaires, de promenades et pique-niques au bord de leau, la guinguette
figurant comme lemblme de ces plaisirs simples du dimanche. Mais il y a aussi les
autres, non dpourvus de posie, qui dpeignent le monde des mariniers, guetts
par le chmage, lambiance des faubourgs, glauques et mystrieux, o la
marchandise schange, en marge de la ville, et o se rencontre tout un monde
misrable, proltaires et voyous, chmeurs et filles perdues44.
Si, aujourdhui, ces ambiances qui se rappellent encore nous travers des images
anciennes, ont disparu, le sentiment de regret de ces temps rvolus sest effac
son tour, au fur et mesure que de nouveaux usages se sont accapars les rives.
42 Les Bains de la Grenouillre ont t notamment reprsents par Auguste Renoir et Claude Monet en 1869. 43 A Paris, un premier tablissement de bains chauds fut cr en 1761 prs du pont de la Tournelle, et la premire vraie piscine , destine la natation, en 1785, prs du pont de la Concorde. Il sagit de la piscine Deligny qui, ramnage et modernise plusieurs reprises, disparut seulement en 1993 (cf. Paris, Paris, Hachette-Guides bleus, 1990, p. 470). Une nouvelle piscine flottante doit tre installe au droit de la Bibliothque de France, quai de la Gare, en 2006 (cf. Equipement sportif. Piscine flottante , Diagonal, n 164, janv. -mars 2004, p. 6 (CDU)). A Bordeaux, on nageait dans la Garonne, aux Bains girondins, et aux Docks, dans les bassins flot, jusque dans les annes 1930. Lpreuve locale de natation, instaure en 1921, consistait traverser la Garonne au dpart de Bgles jusqu Lormont, soit un trajet de onze kilomtres (cf. Hourcade, J., La vie sportive , Bordeaux au XXe sicle, op. cit., pp. 685-699). 44 Voir : Louis, Christiane, La Seine, star ternelle du cinma. " Rives de Seine, scnes de rve " , in : Universeine : leau et le fleuve, sources damnagement et de cration dans la ville , Topos 92, numro spcial hors -srie, octobre 1991, pp. 132-137 (CDU 25515). Larticle cite plusieurs films ayant trait Paris et la Seine ou la Marne, datant de lentre-deux-guerres : Les hommes, le dimanche, Robert Siodmack (1928) ; Nogent, Eldorado du Dimanche, Marcel Carn (1930) ; Boudu sauv des eaux, Jean Renoir (1932) ; LAtalante, Jean Vigo (1934) ; La Belle Equipe, Julien Duvivier (1936) ; Une partie de campagne, Jean Renoir (1946). Dans Le port, un seuil pour limaginaire (Les Annales de la recherche urbaine, n 55-56, septembre 1992, pp. 182-198 (CDU)), Aude Math analyse la perception des espaces portuaires maritimes, incluant quelques ports fluvio-maritimes comme Nantes et Rouen, partir duvres littraires et cinmatographiques.
22
II. La vision du fleuve change
1. La vertu de leau
Un renversement de situation sesquisse en divers points du monde, en rapport avec
le dveloppement des politiques de lenvironnement et le souci de la qualit de la
vie. Lmergence de sensibilits nouvelles et la forte demande sociale en espaces
publics et en espaces de loisirs en ville remettent le fleuve au centre de tous les
intrts. Ce retournement vers le fleuve qui offre des espaces libres et un horizon
dgag, semble en effet correspondre un besoin de nature ou plutt lide que
lon sen fait. Les villes fluviales redcouvrent leurs bords deau auxquels elles
avaient dni toute qualit et leur forte potentialit pour le renouvellement de limage
de la ville. Les nombreux exemples de revalorisation de fronts deau entrepris dans
le monde entier avec lamnagement despaces de loisirs et de culture, de
commerce, de bureaux et de logements, ont un effet de boule de neige, rvlant aux
citadins le plaisir de vivre prs de leau. En Europe, lentreprise probablement la plus
importante et la plus mdiatise est lamnagement des bords de la Tamise
Londres, engage au dbut des annes 1980 avec la reconqute progressive des
docklands lest de la vieille cit.
Lintrt pour les fleuves et les rivires sest tout dabord manifest par la prise de
conscience de ltat de dgradation des milieux aquatiques et de la qualit des eaux,
de la rduction en quantit de la ressource et avec la recrudescence des
inondations. Les atteintes portes lenvironnement en gnral conduisent mettre
en uvre partir des annes 1970-1980 des dispositifs de protection des espaces
naturels, en particulier des milieux aquatiques qui sont pris en considration pour
leur intrt cologique et font lobjet de diverses mesures de protection. Ces annes
voient natre de multiples initiatives en faveur de la dpollution des eaux, telle
lopration Seine-propre Paris engage en 1984. Leau et lassainissement
invitent les communes se regrouper autour de leur rivire commune, coopration
facilite avec linstitution des contrats de rivire en 198145. La ncessit de
45 Les contrats de rivire, instaurs par une circulaire du 5 fvrier 1981, rassemblent le ministre de lEnvironnement, des lus, le prfet, lAgence de bassin et engagent les signataires amliorer la qualit des eaux, restaurer les berges et le lit et mettre en valeur le milieu aquatique et les
23
protger les milieux naturels et lintrt grandissant du public pour lcologie se
refltent dans la nouvelle loi sur leau du 3 janvier 199246 qui introduit, entre autres,
lide que leau est un patrimoine commun et partag. Elle instaure de nouveaux
documents, les schmas damnagement et de gestion des eaux (SAGE) qui fixent
les objectifs gnraux dutilisation, de mise en valeur et de protection de la ressource
pour une meilleure gestion, globale et quilibre, de leau et des milieux
aquatiques47.
Les nouvelles politiques de leau et du dveloppement durable 48 tendent mieux
prendre en compte le fonctionnement naturel des fleuves et rivires, considrs dans
lensemble de leurs parcours. Les nombreuses actions de requalification des berges
entreprises aujourdhui par des collectivits locales, conjointement avec dautres
partenaires comme les Agences de leau ou Voies navigables de France (VNF),
tablissement public charg de la gestion du domaine public fluvial, permettent non
seulement la protection et la valorisation dun patrimoine naturel, mais aussi
lamlioration de la qualit et du cadre de vie, favorisant la r-appropriation par la
population du fleuve avec louverture au public de nouveaux espaces naturels et
lamnagement ditinraires de promenade sur berges. La cration de zones
humides, de prairies inondables et de bassins de retenue, la rhabilitation ou la
renaturation des berges, permettant la rgulation de ltiage et des crues,
lpuration naturelle de leau et le maintien de la vie aquatique, sont aujourdhui des
pratiques couramment mises en uvre. Cette nouvelle gestion de leau doit crer les
conditions pralables au bon fonctionnement des rivires et participer lattractivit
de celles-ci, rcrative, culturelle et touristique.
Les villes fluviales, aujourdhui confrontes la dgradation des berges et des
espaces attenants, ont pris conscience de leur intrt tirer parti de cet lment
paysages. Cf. Berthier, Isabelle, Une rivire sous contrat , Diagonal, n 89-90, mai-juillet 1991, pp. 20-22.(CDU) 46 La loi sur leau du 16 dcembre 1964 avait dj instaur un mcanisme de financement des travaux de dpollution et damnagement de la ressource, fond sur des oprateurs uniques, les Agences de bassin, au nombre de six pour le territoire franais. 47 Voir ce sujet : Berthier, Isabelle, Pour que leau vive , Diagonal, n 89-90, mai-juillet 1991, pp.12-14 (CDU); Cherier, Gilles, Le SDAGE, les SAGE et la DCE : des outils pour la gestion de leau , Les Cahiers de lIAURIF : Le fleuve. Un systme, des territoires, des acteurs , op. cit., pp. 51-54.(CDU) 48 Une rcente directive europenne, requrant un bon tat cologique des rivires lhorizon 2015, constitue le nouveau cadre rglementaire en la matire.
24
naturel, constitutif de leur territoire, participant de leur identit mais aussi vecteur de
dveloppement. Elles ont pris conscience aussi que lamnagement des bords deau
et lintgration urbaine du fleuve peuvent prendre en compte une nouvelle sensibilit
des citadins un environnement de qualit, intgrant des notions dcologie et de
dveloppement durable qui accompagnent la plupart des projets autour du fleuve. Le
thme Eau et dveloppement durable sera aussi celui de la prochaine Exposition
internationale qui aura lieu en 2008 Saragosse, occasion pour la ville de crer un
nouveau quartier dans une boucle de lEbre49.
2. Waterfront attitude 50
La plupart des villes-ports, maritimes ou fluviales, ont t ou sont confrontes la
dlocalisation de leurs installations et activits portuaires en faveur de sites
suburbains plus performants. Si les ports ont toujours t mobiles lintrieur des
villes, se dplaant au fur et mesure des nouveaux besoins, les emprises
dlaisses par les ports modernes reprsentent des surfaces gnralement trs
importantes. La reconqute de ces territoires constitue un enjeu urbain et
conomique de taille ; elle doit permettre de lutter contre la dsertification et la
dgradation du cur des villes par la cration de nouvelles fonctions urbaines. Les
premiers exemples de raffectation de friches portuaires, datant des annes 1960,
nous viennent des Etats-Unis, o les ports de Boston (sur lembouchure de la
Charles River) et de Baltimore (sur un estuaire au fond dune baie) constituent en
quelque sorte les exemples historiques de ramnagement de waterfronts51. Sur le
continent amricain, beaucoup dautres villes portuaires vont suivre le mouvement
telles San Francisco, La Nouvelle-Orlans (sur le Mississipi) ou Montral (sur le
Saint-Laurent). Les reconversions se caractrisent par une forte attitude patrimoniale
qui se traduit par la rhabilitation des btiments et la conservation des hritages
49 Roig, Joan, Expo Zaragoza 2008 , Topos. The International Review of Landscape Architecture and Urban Design, n 51, 2005, pp. 38-42.(IA P688) 50 Formule emprunte Rachel Rodrigues-Malta, Une vitrine mtropolitaine sur les quais. Villes portuaires au sud de lEurope , Les Annales de la recherche urbaine, n 97, dcembre 2004, p. 93-101.(CDU) 51 Ce terme est communment employ par les historiens et chercheurs qui sintressent lamnagement des fronts deau et semble avoir son origine dans louvrage de Bruttomesso, Rinio (dir.), Waterfronts. A new Frontier for Cities on Water, op. cit.(CDU 36201)
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portuaires et industriels, les espaces et difices tant dvolus des activits du
tourisme, des loisirs et de la culture.
Vers la fin des annes 1970, le mouvement atteint les ports britanniques. Le
Royaume-Uni, pays forte tradition maritime et marchande, va peu peu
transformer la plupart de ses ports anciens, Londres, Liverpool, Bristol, Manchester,
Glasgow, Dublin, pour nen citer que les plus importants. En 1994, il compte dix-sept
oprations de reconversion de friches portuaires, soit tous les ports traditionnels 52.
Londres, un des plus grands ports du monde, amorce dans les annes 1970 la
reconqute de sa rive sud, la South Bank 53, et lance au dbut des annes 1980 une
trs vaste opration durbanisme, la reconqute des friches industrialo-portuaires en
aval du Tower Bridge, les dsormais clbres docklands. Amnag autour danciens
bassins flot et dentrepts rhabilits, lensemble couvre une surface de quelque
deux mille hectares et comporte un parc important de logements haut de gamme
ainsi quun secteur dhabitat social, des immeubles de bureaux et des locaux pour
des industries lgres et de la haute technologie. Cette opration qui nest que la
premire dune longue srie de ramnagement danciens sites portuaires le long de
la Tamise en direction de son embouchure, est lobjet de nombreuses publications 54,
dtudes et de visites. Ainsi, en 1987, une dlgation de la Communaut urbaine de
Lyon, qui a des projets de rutilisation des anciens espaces industriels et portuaires
Gerland, se rend Londres pour visiter les nouveaux quartiers des docklands55.
Comme les oprations sur le continent amricain, la reconversion des ports
britanniques tmoigne dune attention particulire porte au patrimoine portuaire, la
rhabilitation des btiments anciens et la conservation de vestiges industrialo -
portuaires (comme la restauration des anciens canaux de Manchester), attention qui
sinscrit dans une nouvelle sensibilit pour le patrimoine industriel en gnral. Aprs
52 Lire en particulier : Chaline, Claude, La reconqute des waterfronts au Royaume-Uni et le cas de Glasgow , Ces ports qui crrent des villes, Paris, LHarmattan, 1994, pp. 71-102.(CDU 31047) 53 Voir ce sujet : Henze, Eva, Londons Sden im neuen Licht Enlightened South London , Topos. European Landscape Magazine, n 34, mars 2001, pp. 78-84.(IA P688) 54 Sur lopration des docklands Londres, voir : Prlorenzo, Claude ; Memmi, Nicolas, Docklands, Londres , Habiter la ville portuaire ; huit grands projets internationaux, op. cit., pp. 30-39 (CDU 36863) ; London Docklands today, plaquette dite par la London Docklands Development Corporation, Londres, 1997(IA 38787); Chaline, Claude, Rgnration urbaine en Europe. Les Docklands de Londres , LArchitecture daujourdhui, n 332, janvier-fvrier 2001, pp. 36-43.(CDU) 55 Visite voque par Gras, Pierre, Lyon : des rives de rve ? , Diagonal, n 64, fvrier 1987, pp. 20-21.(CDU)
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les usines et les mines, les ports font lobjet dune curiosit croissante, les citadins
dcouvrent les docks ou bassins flot, les grues, les magasins et les quais.
A partir de la fin des annes 1980, le mouvement est en marche et la waterfront
attitude caractrise dornavant nombre de politiques urbaines. La ville bleue, crit
Claude Prelorenzo, tend remplacer () la ville verte de lurbanisme des CIAM56.
Les villes europennes situes au bord de leau Rotterdam, Amsterdam, Anvers,
Barcelone, Sville, Bilbao, Lisbonne, Gnes, Copenhague, Oslo, Hambourg,
Francfort-sur-le-Main, Duisburg commencent ramnager les emprises de
leurs anciens ports. En dehors du continent europen, des villes comme Buenos
Aires, New York, Toronto, Sydney, Shanghai ou La Havane, se penchent sur le
devenir de leurs friches portuaires57. Les options damnagement sont aussi
diverses que les situations des anciens ports dans les villes et que les besoins de
celles-ci58. De manire gnrale, les espaces sont rservs des activits
attractives dans les domaines de limmobilier dentreprise, de lhabitat, des loisirs, du
tourisme et de la culture. Le processus de raffectation des espaces portuaires
mme encore partiellement utiliss mais condamns terme, est frquemment
dclench par lorganisation dune manifestation de porte internationale comme les
Jeux olympiques Barcelone (1992), lExposition internationale Christophe Colomb
Gnes (1992) ou lExposition universelle Sville (1992).
En France, la plupart des grands ports de mer se dotent doutils et de projets de
transformation des espaces portuaires au cours des annes 1990, comme Marseille
(projet Euro-Mditerrane), Le Havre (projet Le Havre 2000), Dunkerque (projet 56 Prelorenzo, Claude, Lamnagement des interfaces entre villes et ports , Annales des Ponts et Chausses, n 77, 1995, pp. 36-46.(CDU) Larticle est reproduit dans : Prelorenzo, Claude (dir.), Exprimentation en sites portuaires..., op. cit., pp. 2-11 (CDU 34809)(citation p. 5). 57 Voir, hormis les publications cites dans la note 15 : Les Annales de la recherche urbaine : Grandes villes et ports de mer, n 55-56, septembre 1992 (CDU); Chaline, Claude (dir.), Ces ports qui crrent des villes, op. cit.(CDU 31047) ; Rodrigues-Malta Rachel, Une vitrine mtropolitaine sur les quais. Villes portuaires au sud de lEurope , op. cit.(CDU) 58 Selon les auteurs autoriss, on peut distinguer plusieurs gnrations de reconversion de waterfronts. La premire gnration est reprsente par les oprations de Baltimore (Inner Harbor) et Boston (Union Wharf) qui visent essentiellement reconqurir une centralit perdue. Les docklands de Londres illustrent une deuxime gnration qui poursuit un double objectif, la requalification physique de vastes territoires et la reconversion de la base conomique locale. Une troisime gnration, qui regroupe des villes comme Barcelone, Bilbao, Gnes et Marseille, se caractrise par des oprations de reconversion de dimension moins importante, lobjectif tant principalement la cration dune nouvelle articulation entre lespace portuaire et la ville. Cf. Chaline, Claude, Ces ports qui crrent des villes, op. cit.(CDU 31047) ; Rodrigues-Malta, Rachel, Une vitrine mtropolitaine sur les quais , op. cit.(CDU)
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Neptune) ou Saint-Nazaire (projet Ville-Port)59, projets qui visent autant la
restructuration des installations portuaires afin de faire face aux donnes du march
actuel quune meilleure articulation entre la ville et le port. Parmi les villes fluviales,
Lyon fait figure de pionnire en votant ds janvier 1991 un Plan bleu qui a pour
objectif de doter la Communaut urbaine dun schma global damnagement des
berges de la Sane et du Rhne. Si dans dautres villes fluviales ou fluvio-maritimes
des concours sont lancs et des rflexions engages au cours de cette mme
dcennie, des projets concrets tardent par contre se mettre en place.
3. Ecrits, colloques et rencontres
Aprs une longue priode o seuls les gographes et les conomistes
sintressaient au milieu fluvial, dautres disciplines commencent souvrir aux
questions de leau en ville, de leau et la ville, des relations ville-port ou ville-fleuve.
Depuis le dbut des annes 1980, cette nouvelle sensibilit sexprime travers
dossiers et articles, colloques et rencontres. Sur le terrain des associations se
crent, sensibilisant les citadins et acteurs de la vie urbaine. Des structures sont
mises en place pour intresser les lus la question, comme la mission
Environnement urbain la Dlgation de la qualit de la vie. Au Plan urbain, une
commission pour la valorisation du milieu urbain lance en 1985 le programme Eau
dans la ville , sujet qui fait lobjet dun numro des Annales de la recherche urbaine
en avril 1986. Si, dans un premier temps, les interrogations sont plutt centres sur
des thmes de gnie urbain, lintrt pour les rives urbaines et leur amnagement se
fait rapidement, et paralllement, sentir. Tout au long des annes 1980, les revues
durbanisme, darchitecture ou de paysagisme publient articles et dossiers traitant de
la question en gnral ou voquant des oprations particulires. En 1980, la petite
revue Archivert, dite par de jeunes paysagistes, runit dans un numro spcial
des rflexions potiques et imaginaires autour du thme de leau et des vocations
de ralisations damnagements paysagers en rapport avec les fleuves qui
59 Selon Claude Prelorenzo, les ports franais accusent un certain retard par rapport aux ports europens. Ce retard serait d, entre autres, au renouvellement des installations portuaires aprs les destructions occasionnes par la Deuxime Guerre mondiale, les ports franais disposant de ce fait doutils portuaires plus modernes. Cf. Prelorenzo, Claude, Port -Reconversion : Advances and Delays in France , Aquapolis, n 3-4, 4e trimestre, septembre-dcembre 1999, pp. 69-73.(CDU)
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traversent les villes60. La revue Urbanisme consacre en 1984 un dossier la
Prsence de leau , o leau est traite dans une approche sensible travers
les cinq sens , mais aussi sous langle de lamnagement urbain et de sa
rintgration dans les projets durbanisme61. Le numro de septembre 1986 de la
mme revue nous invite dcouvrir des projets et des oprations concernant les
rives de lArno, du P, de la Tamise, des rivires dIle-de-France, de la Loire et de la
Svre-Niortaise62. En 1987, le dossier Berges : entre ville et fleuve de la revue
Diagonal aborde enfin la question de la rconciliation entre la ville et sa voie deau63.
Paralllement, les rapports entre leau et la ville sont examins dans le cadre de
colloques et de rencontres qui runissent gographes64, historiens, lus, techniciens
des villes et autres acteurs de la vie urbaine : colloque Ville et fleuve (Lyon, mai
1985), journes dtudes du CREPIF sur la reconqute et le ramnagement des
berges en rgion Ile-de-France (Paris, dcembre 1985), colloque La ville et le
fleuve (Lyon, avril 1987), rencontre de la Fdration nationale des agences
durbanisme sur La ville et leau (Nantes, octobre 1987), ou colloque La ville et
son fleuve (Bordeaux, octobre 1989)65. Les rencontres qui ne cessent de se
multiplier durant les annes 1990, sont loccasion de confronter les expriences
franaises et trangres en matire de reconqute des rives et des voies deau et
dapporter des lments de rponses aux questions dordre juridique, institutionnel et
technique que pose toute entreprise de rhabilitation. Par ailleurs, lAssociation
internationale Ville et Port, cre en 1987 au Havre afin de favoriser les changes
60 Archivert, n 5, 1er trim. 1980.(CDU) 61 Urbanisme, n 201, avril-mai 1984, pp. 42-87.(CDU) 62 Urbanisme, n 215, septembre 1986, pp. 134-142.(CDU) 63 Diagonal, n 64, fvrier 1987, pp. 10-22.(CDU) 64 Dans le cadre du 25e congrs international de gographie de 1984, une intervention de Claude Chaline traita de la reconqute des fronts fluviaux et portuaires. Cf. Chaline, Claude, La reconqute dun espace mtropolitain : les fronts fluviaux et portuaires , Vingt-cinquime congrs international de gographie. Paris (aot 1984) ; Symposium : les grandes mtropoles mondiales, Cahiers du CREPIF, n 9,1984, pp. 236-245.(CDU) 65 Les colloques ont pour la plupart fait lobjet de publications : Colloque Ville et fleuve , Lyon, 13-14 mai 1985, Communications , Paris, STU, 1985 (organis sous les auspices de la commission Lyon Ville fluviale, de lAgence durbanisme de la Communaut urbaine de Lyon, du service technique de lurbanisme et du Moniteur) ; Chaline, Claude, Reconqute et ramnagement des berges en rgion dIle-de-France. Table ronde du lundi 16 dcembre 1985, Paris, CREPIF, 1986 (table ronde organise par lAPUR, lIAURIF, lagence des espaces verts, le CREPIF et le Port autonome de Paris) (IA 22316) ; La ville et le fleuve. Colloque tenu dans le cadre du 112e congrs national des Socits savantes, op. cit.(CDU 22841) Le colloque de Bordeaux, organis par la COFHUAT (Confdration franaise pour lhabitation, lurbanisme et lamnagement du territoire) est trait dans : Puissant, Sylvie, La ville et son fleuve. A propos dun colloque , Revue dconomie rgionale et urbaine, n 3, 1990, pp. 403-423.(CDU)
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dinformations entre les collectivits locales, les oprateurs urbains et portuaires et
les entreprises, organise son premier forum dans cette mme ville en janvier 1988.
Les questions portent sur lvolution des ports et la ncessaire rorganisation des
espaces portuaires, dans les villes maritimes comme dans les villes fluviales66.
Si les annes 1980 sont celles de la rflexion, dun regard historique sur le couple
ville-fleuve et de la confrontation des ides, la dcennie suivante voit le lancement
des premires tudes et concours. Aujourdhui, lamnagement des berges et des
quartiers riverains est considr comme un fait urbanistique part entire, comme
en tmoigne, par exemple, le numro annuel Amnagement 2004 du Moniteur
des Travaux publics et du Btiment qui introduit une nouvelle rubrique intitule
Villes et fleuves prenant place entre les rubriques Nouveaux quartiers et
Commerces et loisirs .
4. Les projets se prparent
Les revues, actes de colloque et autres publications nous rvlent, au cours des
annes 1980, une multitude dinitiatives et de projets sarticulant autour de leau.
Plans bleus ou livres verts mettent les berges lhonneur, des projets durbanisme,
dans lesquels leau est considre comme un atout, un faire-valoir des oprations,
un lment de nature exploiter, se multiplient. La ville de Montpellier, par exemple,
loccasion de son opration Antigone , projette la mise en valeur de sa rivire, le
Lez, qui traverse le nouveau quartier, par lamnagement de ses berges en lieu de
promenade67. La ville de Nancy qui cherche faire revivre les bords de la Meurthe,
imagine un temps de les rendre plus attrayants en y installant de nouvelles halles,
projet confi Sir Norman Foster. Un syndicat de riverains propose Orange des
solutions douces anti-crue pour la Meyne, connue pour ses dbordements
saisonniers, permettant paralllement lamnagement des berges avec
cheminements, paysagement et passerelles, amnagement qui serait le point de
66 Villes et ports. Actes du forum, op. cit.(CDU 20188) 67 Marot, Florence, Le Lez dans tous ses visages , Diagonal, n 64, fvrier 1987, pp. 14-16.(CDU)
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dpart pour la rhabilitation du vieux centre68. Une autre ville du Midi, Vitrolles,
profite de lexistence de petits canaux dirrigation ses portes pour installer de
nouveaux quartiers. La rnovation des canaux saccompagne de la cration de
cascades, dune pataugeoire et dune zone de vgtation humide69. Lopration est
mene par lEPAREB (Etablissement public des Rives de lEtang de Berre) qui
srige contre le busage systmatique des petits canaux au fur et mesure de
lextension urbaine et au dtriment de tout un paysage bocager darbres et de haies.
Cette nouvelle attitude sensible lenvironnement naturel se retrouve la Grande-
Synthe, ville nouvelle des annes 1970 dans la Communaut urbaine de Dunkerque,
qui met profit, pour la ZAC du Courghain, le drainage ncessaire du terrain pour
crer des canaux dirrigation. Leau y remplit une fonction dagrment et aussi une
fonction sociale, celle de la trace visible dun espace et dun bien partag70.
Reprendre contact avec leau, avec la rivire, est aussi le moteur pour
lamnagement des quais Epinal sur la Moselle en 1981, un des premiers
exemples en France, certes modeste, de la mise en valeur dune faade fluviale,
opration mene conjointement avec la rnovation du quartier Nord de lle. Sur les
berges de la Moselle, invisibles depuis la ville en raison dun quai haut de cinq six
mtres, est amnag un quai bas inondable mais accessible, spar du niveau haut
par un talus engazonn, tandis que sur la partie suprieure sont crs un jardin et un
parking paysag71.
Au tout dbut des annes 1990, lAssociation franaise pour la protection des eaux
(AFPE) et lAssociation des ingnieurs des villes de France, en partenariat avec les
magazines Urbanisme et Le Progrs de Lyon, organisent un concours afin de
promouvoir des projets damnagement urbain qui prennent en compte le milieu
naturel aquatique, contribuent sa mise en valeur ou utilisent leau comme lment
architectural 72. Le concours runit une trentaine de projets venus de toute la
France. Les trois finalistes sont la ville dAmiens avec le projet dintgrer ses cours
68 Devedjian, Jocelyne, Orange : ville et riverains solidaires , Diagonal, n 64, op. cit., pp. 20-21.(CDU) 69 Demouchy, Georges, Lirrigation change de dcor , Urbanisme, n 201, avril-mai 1984, p. 63.(CDU) 70 Guislain, Claude, Jeu urbain avec canaux , Urbanisme, n 201, op. cit., p. 60 (CDU); Devedjian, Jocelyne, Grande-Synthe : faire avec leau , Diagonal, n 64, op. cit., pp. 18-19.(CDU) 71 Bayle, Christophe, Epinal : un quai inondable , Urbanisme, n 201, op. cit., pp. 52-53.(CDU) 72 Nicolazo, Jean-Loc, Au Confluent de leau et de lurbanisme , Urbanisme, n 269, dcembre 1993, pp. 64-66.(CDU)
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deau dans lamnagement de la ville, Cran-Gevrier, commune de la banlieue
dAnnecy, qui souhaite faire du Thion le pivot de la rhabilitation du cur de la ville,
et Agde qui projette de revaloriser les bords de lHrault et du canal de Midi dans la
vieille ville73.
Lide que leau a non seulement une fonction dassainissement et dalimentation,
mais galement celle dagrmenter le milieu urbain et de jouer une fonction sociale,
voire de servir de support une politique dembellissement, a fait son chemin. Si
certaines villes ont toujours soign leurs quais comme Paris, ou les ont rhabilits
pour satisfaire une demande touristique comme Strasbourg, le long de lIll et des
canaux74, il sagit l doprations ponctuelles, o il nest pas encore question de
rconciliation entre la ville et son cours deau. Ce sont souvent des citadins attachs
au visage fluvial de leur cit, et parfois mme des usagers directs qui, smouvant de
ltat de dgradation des berges et de tout un patrimoine fluvial, rveillent les
consciences. Ainsi, Lyon, ce sont les occupants dhabitations flottantes regroups
en association qui, dans les annes 1980, dnoncent ltat des berges et des bas-
ports utiliss des fins de stationnement et de dcharge, alertant riverains et lus.
Avec linstallation massive de pniches le long des quais, les Lyonnais staient
aperus que les berges pouvaient tre utilises autrement que comme parking.
Lassociation qui milite depuis des annes pour un environnement urbain de
meilleure qualit, propose avec dautres usagers et riverains du Rhne et de la
Sane de contribuer activement une rflexion globale sur lamnagement des
rives75. Pourtant, ltat des berges et leur non-accessibilit avaient conduit les lus
locaux crer ds 1981 la commission Lyon Ville fluviale qui uvre pour la
reconqute urbaine des rives dans le souci dune politique densemble 76. A Nantes
73 A propos du projet de la ville dAgde, lire : Badie, Catherine, Agde, de la station la ville , Diagonal, n 108-109, aot-octobre 1994, pp. 74-76.(CDU) 74 Les berges des cours deau et des canaux de Strasbourg ont t amnages dans le cadre dun Plan vert labor par lAgence durbanisme en 1974. Cf. Dupont, Herv, Amnagement des cours deau Strasbourg , Ville et fleuve. Rencontre diagonal, Lyon, 13-14 mai 1985, Communications , Paris, STU, 1985, non pag. (CDU 22890) 75 Pour amorcer le mouvement, lAssociation Rhne-Alpes de lhabitat fluvial a plant deux arbres quai de Serbie qui sert de point damarrage une quinzaine de pniches. Voir : Gras, Pierre, Lyon : des rives de rve ? , op. cit. ; Vardanega, Valrie, La situation des tablissements flottants Lyon , La ville et le fleuve. Colloque tenu dans le cadre du 112e congrs national des socits savantes, op. cit., pp. 397-404.(CDU 22841) 76 Voir les actes de la rencontre organise par la commission Lyon Ville fluviale en 1985 : Pelletier, Jean ; Rivet, Martine, Ville et fleuve. Des villes la reconqute de leurs fleuves : rflexions partir
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galement, plusieurs associations, regroupant personnalits de la vie publique,
chercheurs, archivistes, anciens cadres et ouvriers des chantiers navals et
dfenseurs de lenvironnement, sont lorigine de la redcouverte du visage fluvial
et maritime de leur ville. Avec les lections de 1989, leurs proccupations sont
reprises par la nouvelle municipalit qui en fait un point fort de son programme77. A
Bordeaux, sous la municipalit de Jacques Chaban-Delmas, les quais, peu peu
abandonns par le port, font lobjet dun grand projet au dbut des annes 198078.
Prsent comme le grand projet urbanistique de la fin du sicle, le schma
damnagement prvoit la construction dune faade moderne sur la rive droite face
la faade du XVIIIe sicle rive gauche et la cration dun nouveau franchissement
de la Garonne au droit de la place des Quinconces. Le projet fait alors grand bruit
Bordeaux et la participation massive des Bordelais au rfrendum organis par le
journal Sud-Ouest montre lintrt que ceux-ci portent la question, tout en relevant
la forte hostilit que suscitent ces propositions. Celles-ci ont cependant le mrite de
faire prendre conscience des enjeux que reprsente lamnagement des quais
bordelais.
Si la plupart des villes fluviales commencent en effet se proccuper du devenir des
espaces laisss vacants et de ltat des berges au cours des annes 1980,
engageant rflexions, tudes dorientation et premiers concours, la complexit du
statut juridique et foncier des berges et des espaces portuaires, relevant
gnralement du domaine public fluvial, reprsente un frein la mise en place de
projets densemble cohrents. A linstar doprations engages ltranger, dix voire
vingt ans peuvent scouler entre les tudes pralables et la concrtisation des
projets sur le terrain.
des exemples de Lyon, Montral, Torun ; actes des rencontres tenues Lyon, 13-14 mai 1985, Lyon, Agence durbanisme de la Communaut urbaine, 1985.(CDU 22890) 77 Voir : Auffray, Danile ; Guillerm, Alain, Nantes vnitienne, la ville au cur de larc atlantique , Les Annales de la recherche urbaine, n 55-56, septembre 1992, pp. 70-77.(CDU) 78 Ce projet est voqu dans : Guillaume, Pierre, Bordeaux et son fleuve depuis 25 ans , op. cit.(CDU 22841)
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5. Le statut des berges
Lespace fluvial est le sige de multiples activits intressant des acteurs divers
(Etat, collectivits territoriales, acteurs conomiques et autres usagers comme les
fdrations de sports nautiques ou de pche), pour lequel il sagit dorganiser la
coexistence dintrts parfois divergents. Compte tenu de la complexit rsultant de
la multiplicit des usages, lespace fluvial est rgi par un droit tout aussi complexe 79.
Le statut juridique des berges dpend tout dabord du statut juridique du fleuve,
labor dans lintrt presque exclusif de la na