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Pendant des années, on a estimé qu'un drame personnel conduisait très souvent à une psychopathie. Or, les faits sont venus contredire ce regard pessimiste. Aujourd'hui, des chercheurs de plus en plus nombreux s'in- téressent au processus qui permet à l'être humain de mener une vie rela- tivement normale malgré des traumatismes importants. Encore mieux, il peut trouver en lui des ressources latentes et insoupçonnées qui lui per- mettent de transformer l'obstacle en tremplin et la fragilité en richesse. La résilience désigne cette aptitude à s'adapter malgré les événements douloureux. Il s'agit, pour les professionnels du monde médical, social, éducatif, de comprendre cette dynamique d'adaptation positive. Cet ouvrage donne la parole aux spécialistes de la question qui mettront en lumière les facteurs de protection, au premier rang desquels se situent les relations affectives. D'autres facteurs déterminants de la résilience seront particulièrement étudiés : la possibilité de créer des réponses posi- tives avec son entourage, l'approche active pour mieux résoudre les pro- blèmes, et enfin l'assurance que la vie a un sens et que ce sens est positif. ISBN : 2-86586-822-2 Prix : 145 F-22,10 Boris Cyrulnik Lorenzo Balegno Sylvie Boët Michel Born Maria Eugenia Colmenares Brigitte Delforge Béatrice Deroitte Esther Ehrensaft Anne-Aymone Giscard d'Estaing TimGuénard Catherine Hume Michel Manciaux Marie-Christine Mauroy Pierre-André Michaud Badra Moutassem-Mimouni Philippe Pedrot Marie-Paule Poilpot Ségolène Royal Dolf Schweizer Maurice Titran Stanislaw Tomkiewicz Michel Tousignant Maryse Vaillant JanVanGils Stefan Vanistendael Bertrand Vergely F O N D A T I O N P O U R L'ENFANCE

FONDATION POUR L'ENFANCE · d'inadaptation sociale (Born et Hélin, 2000). Il peut s'agir de l'attachement à la famille et de l'implication au sein de celle-ci, de la supervision

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Pendant des années, on a estimé qu'un drame personnel conduisait trèssouvent à une psychopathie. Or, les faits sont venus contredire ce regardpessimiste. Aujourd'hui, des chercheurs de plus en plus nombreux s'in-téressent au processus qui permet à l'être humain de mener une vie rela-tivement normale malgré des traumatismes importants. Encore mieux, ilpeut trouver en lui des ressources latentes et insoupçonnées qui lui per-mettent de transformer l'obstacle en tremplin et la fragilité en richesse.

La résilience désigne cette aptitude à s'adapter malgré les événementsdouloureux. Il s'agit, pour les professionnels du monde médical, social,éducatif, de comprendre cette dynamique d'adaptation positive.

Cet ouvrage donne la parole aux spécialistes de la question qui mettronten lumière les facteurs de protection, au premier rang desquels se situentles relations affectives. D'autres facteurs déterminants de la résilienceseront particulièrement étudiés : la possibilité de créer des réponses posi-tives avec son entourage, l'approche active pour mieux résoudre les pro-blèmes, et enfin l'assurance que la vie a un sens et que ce sens est positif.

ISBN : 2-86586-822-2Prix : 145 F-22,10 €

Boris CyrulnikLorenzo Balegno

Sylvie BoëtMichel Born

Maria Eugenia ColmenaresBrigitte DelforgeBéatrice DeroitteEsther Ehrensaft

Anne-Aymone Giscard d'EstaingTimGuénard

Catherine HumeMichel Manciaux

Marie-Christine Mauroy

Pierre-André MichaudBadra Moutassem-MimouniPhilippe PedrotMarie-Paule PoilpotSégolène RoyalDolf SchweizerMaurice TitranStanislaw TomkiewiczMichel TousignantMaryse VaillantJanVanGilsStefan VanistendaelBertrand Vergely

F O N D A T I O N P O U R L ' E N F A N C E

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MichelBornSylvie Boët

La résilience hors la loi

Parler de « résilience hors la loi » ressemble à unparadoxe. Pour traiter cette question nous aurions punous référer aux auteurs qui suggèrent que la délin-quance serait une manière de se protéger contre d'autrespathologies. Mais nous avons voulu traiter de la rési-lience touchant les jeunes à grand risque de délinquancequi ne commettent que quelques actes mineurs. Ce phé-nomène est lié à l'incroyable fréquence des comporte-ments déviants à l'adolescence. Nombre de jeunesadolescents, de bonne famille ou résilients, commettentdes actes hors la loi. Que signifie, alors, ce terme de rési-lience dans le domaine qui nous occupe ?

Michel Born, service de psychologie de la délinquance et du développement psychosocial,

université de Liège, Belgique.Sylvie Boët, chercheur, service de psychologie de la. délinquance et du développement psy-

chosocial, université de Liège, Belgique.o o 1

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Certains chercheurs prétendent que 90 % des ado-lescents des pays occidentaux commettent des actes sus-ceptibles de les conduire devant un juge de la jeunesse(Fréchette et Leblanc, 1987 ; Moffit, Caspi, Dickson,Silva, Stanton, 1996). Nous avons évalué, de manièreplus réaliste, que 50 % des adolescents sont dans ce cas(Born, 1987). Fréchette et Leblanc parlent de délin-quance exploratoire et avancent l'hypothèse que ladélinquance est un épiphénomène de l'adolescence.

L'adolescence est une période de remise en ques-tion. Les processus de régulation normative sont soumisà rude épreuve. Dès lors, la généralisation de la délin-quance chez les adolescents pourrait faire partie de cettemise à l'épreuve des règles : les adolescents, dans unesorte de vérification des limites et de la tolérance sociale,sondent et valident la nécessité comme la légitimité desnormes.

La cible privilégiée de cette délinquance « conven-tionnelle » demeure les biens plutôt que les personnes.La nature des délits n'accuse pas un caractère de gravitétrès marqué puisque ce sont les vols bénins ainsi que lesgestes d'agression impulsifs et réactionnels qui domi-nent. Le passage à l'acte se déroule dans un contextehédoniste avec, comme éléments prioritaires, larecherche d'excitation, de satisfactions immédiates,d'évasion, etc. L'engagement dans la délinquance estrelativement faible, celle-ci se limite soit à quelques actesaccidentels, soit à un même type de délits. Il semblequ'en réalité le comportement délinquant convention-nel, bien que généralisé, soit avant tout un accident deparcours durant l'adolescence, une recherche d'expé-rience ou un défi qui n'affecterait pas le développementde l'individu à ce moment. Il pourrait même se révéler

utile sans pour autant s'avérer indispensable, puisqu'ilpermet au jeune de se confronter aux règles et à leurnécessité. D'un point de vue développemental, laconduite déviante devient inquiétante et perturbatricelorsqu'elle persiste dans la durée et qu'une gradation estobservée dans la diversité, la gravité, la fréquence et/oula violence des faits. Une grande partie de la recherches'est consacrée à mettre en évidence les facteurs de risquemais, depuis une dizaine d'années, un nouveau regards'est imposé, celui de la résilience.

Celle-ci serait une capacité latente qui s'actualiselorsqu'il y a des facteurs de risque. Mais elle doit fairel'objet d'une définition plus précise en fonction des fac-teurs de risque auxquels un jeune est confronté et de lanature des comportements déviants auxquels il recourt.Il serait en effet mal venu de confondre norme et rési-lience : un jeune à faible risque de délinquance et quiprésente une déviance légère et épisodique appartien-drait bien à la norme et non à la résilience. Mais cettedéfinition n'est pas si simple à établir et la littératurenous aide peu à ce propos. En effet, Kaplan (1999)constate un manque de clarté et de consensus parmi lesdifférents chercheurs qui se sont penchés sur le phéno-mène.

L'auteur pose quatre questions. Tout d'abord, larésilience est-elle le résultat de l'influence de certainesvariables bénéfiques ou se révèle-t-elle un processus quipermet d'améliorer des résultats ? Une définition « résul-tat » serait centrée sur la nature des conséquences de telsou tels facteurs. A contrario, une définition « processus »serait centrée sur les facteurs qui interagissent pour pro-duire ce résultat et sur les interactions de ces facteurs.Deuxièmement, s'il s'agit d'un résultat, quel est-il ? En

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effet, les facteurs de risque peuvent toucher de nom-breux domaines et il est peu probable qu'un même indi-vidu sera toujours résilient dans tous les domainessusceptibles d'être affectés. Troisièmement, qu'est-cequ'un facteur de risque ? Ici encore, Kaplan remarqueque la nature des risques soutenus par les différentesrecherches est hautement variable, de même que leurnombre et leur intensité. Quatrièmement, qu'est-cequ'un facteur de protection ? La variabilité observéedans les définitions est entre autres liée au fait que larésilience peut être attribuée à un individu, une organi-sation ou une communauté et que, dans ces différentsdomaines, ce ne sont pas les mêmes facteurs de protec-tion qui entrent en jeu.

Au sein du service de psychologie de la délinquanceet du développement psychosocial de l'université deLiège, nous nous sommes mobilisés pour trouver unmoyen de clarifier notre propre manière d'envisager larésilience, puisqu'elle constitue le point central d'unerecherche longitudinale sur laquelle nous travaillonsactuellement. Notre deuxième souci a été de rendre ladéfinition de notre domaine de recherche la plus prochepossible des préoccupations cliniques, afin que nosconclusions puissent être assez facilement transposablesaux problèmes rencontrés sur le terrain.

Les deux premières critiques exigent une définitionclaire du domaine de travail. Luthar (1993) propose deparler de la résilience associée à un domaine spécifique :ainsi, on parlerait de résilience scolaire, pour un jeunequi ne manifeste pas de difficulté à l'école, de résiliencesociale, pour les jeunes qui se montrent socialementadaptés et adéquats, ou de résilience émotionnelle, pourdes jeunes qui ne montrent pas de troubles émotionnels

La résilience hors la loi 227

alors que l'on pourrait s'attendre à voir apparaître detelles difficultés. Bien que nous considérions que ces dif-férents domaines sont corrélés, c'est le domaine de ladélinquance sur lequel nous travaillons et dont dépen-dra notre définition. Nous avons opté pour une défini-tion stricte de la résilience en délinquance, que nousdistinguons de la désistance, qui est la disparition dessymptômes à la suite ou non d'une intervention théra-peutique.

Au sein de notre service, une recherche récente adéfini clairement ce que représente, pour nous, leconcept de résilience :

Le jeune résilient est un jeune qui, malgré une exposi-tion à un grand nombre de facteurs de risque, n'a commisque quelques actes délinquants mineurs et sporadiques. Larésilience serait due à des facteurs qui permettent à l'indi-vidu de résister aux facteurs de risque, c'est ce que nousappelons couramment « les facteurs de protection ».

Cette définition répond clairement à la premièrequestion de Kaplan, puisque nous considérons la rési-lience comme un résultat et non un processus.

Elle postule que la résilience n'a pas de connotationstricte et rigide qui exigerait qu'un jeune résilient necommette aucun acte dit « déviant ». En effet, commenous l'avons vu, si nous avions voulu soutenir ce niveaud'exigence, nous aurions rencontré bien des difficultéspour trouver de tels sujets. Se pose alors la question de ladéfinition des facteurs de risque et de protection. Quandun jeune peut-il être considéré à haut risque de délin-quance et quels sont les facteurs qui peuvent le protégerde ce dérapage ?

Un facteur de risque est un élément de l'environne-ment familial ou élargi du jeune, ou propre à lui-même,

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susceptible d'augmenter la probabilité d'apparition decomportements déviants. Au niveau familial, nous neciterons qu'un manque d'implication et de surveillance,un climat familial conflictuel, une adoption deconduites déviantes par les parents et la rupture ducouple parental. Au niveau individuel, nous pouvonsparler de la turbulence précoce et persistante, de facteursneuropsychologiques, de difficultés intellectuelles ouencore de l'inadaptation scolaire. Ces éléments ne sesuffisent pas à eux-mêmes et nous rejoignons l'avis deRonkà et Pulkinen (1995), selon lesquels c'est, bien sou-vent, l'accumulation de facteurs de risque au cours dudéveloppement qui mène à une accumulation de pro-blèmes dans le fonctionnement social. Au sein de notreservice, nous avons généralement considéré qu'un jeuneà hauts risques était un jeune soumis à au moins quatrefacteurs de risque puissants, c'est-à-dire quatre facteursstatistiquement reconnus pour leurs conséquencesnéfastes sur la socialisation et l'adaptation à l'adoles-cence. Une addition de facteurs est prise en compte dansles recherches empiriques, alors que dans des cas parti-culiers il n'est pas exclu qu'un seul facteur soit détermi-nant.

Les facteurs de protection se rapportent à différentséléments environnementaux ou personnels qui protége-raient l'individu contre l'effet de stress variés et l'empê-cheraient ainsi de développer une grave conduited'inadaptation sociale (Born et Hélin, 2000). Il peuts'agir de l'attachement à la famille et de l'implication ausein de celle-ci, de la supervision parentale, des règles oudes punitions mises en œuvre par les parents. L'estimede soi, l'intelligence, l'autocontrôlé peuvent aussi s'avé-rer de solides facteurs de protection. Enfin, le réseau

La résilience hors la loi 229

social extérieur à la famille pourrait aussi aider le jeune àrésister aux influences néfastes de son environnement.

Comme nous pouvons le constater, la véritable dif-ficulté est qu'un même facteur peut parfois être priscomme risque et parfois comme protection, puisque lesindividus se situent généralement sur un continuum. Setrouver sur l'un ou l'autre côté de ce continuum changela polarité de la variable.

Prenons l'exemple évident des liens familiaux. Iln'est plus à démontrer qu'un manque d'implication etd'attachement au sein de la famille constitue l'un desfacteurs de risque les plus importants. Mais il n'est plus àdémontrer non plus qu'une implication et un attache-ment sains à la famille peuvent se révéler des facteurs deprotection efficaces permettant au jeune de n'émettreque des faits de gravité moindre.

Kaplan a observé que, généralement, le choix duchercheur se faisait de manière arbitraire et nous pen-sons avoir trouvé une solution alternative à cet arbi-traire. En effet, notre hypothèse serait qu'il n'existe pasune résilience commune à tous les individus et à toutesles situations mais plutôt plusieurs résiliences, chacunespécifique à un ensemble de facteurs de risque. Dansnos recherches donc, il s'agirait de déterminer dès ledépart un ensemble de facteurs de risque, une configu-ration de risque, et de chercher, non seulement chez lejeune mais également dans son environnement, ce qui leprotège, ce qui l'empêche de commettre des actesdéviants graves et fréquents.

Dans un tel contexte, la résilience n'est pas unerecette miracle, ni un nouvel outil de classification desjeunes, mais bien une conception qui va nous permettred'aider les jeunes qui n'ont pas encore trouvé le moyen

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de résister au stress auquel ils sont soumis. En mettanten lumière ce qui a permis à un jeune de rebondir dansla difficulté, nous pourrions avoir une idée de ce surquoi travailler pour aider celui qui n'a pas encore trouvéson propre tremplin.

Les premiers résultats de la recherche longitudinalesur laquelle nous travaillons actuellement permettentd'éclairer notre propos. Notre échantillon se composede 353 enfants que nous suivons depuis leur naissance,en 1989 ; ils sont donc âgés aujourd'hui de 10-11 ans.Nous avons pu mettre en évidence quatre configura-tions de pratiques éducatives familiales en interactionavec le tempérament de l'enfant, et ce, entre 3 mois et3 ans et demi.

Configuration 1 : le « parenting » liant sans particularitécomportementale de l'enfant. Les mères manifestentbeaucoup d'implication envers leur enfant, peu de disci-pline et de punition et, petit, l'enfant ne semble pasposer de problème majeur.

Configuration 2 : le « parenting » structurant sans parti-cularité de tempérament de l'enfant. Les mères ont, ici,posé un cadre très précis et très clair dès le plus jeune âgede l'enfant, qui ne pose pas de problème apparent.

Configuration 3 : le « parenting » intuitif avec desenfants qui montrent certaines particularités comporte-mentales. Il s'agit de mères qui réagissent de manièreintuitive aux comportements plus perturbateurs de leurenfant. Elles usent de plusieurs modes d'interventionsans se fixer sur un en particulier.

Configuration 4 : le « parenting » intellectualisant, sansparticularité comportementale des enfants. Ici, les mères

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utilisent le langage en abondance, et ce, quand ellesjouent, réprimandent ou surveillent leur enfant.

Nous avons pu observer que les enfants les plus tur-bulents à 3 ans et demi, 5 ans et 10 ans se retrouventessentiellement dans les configurations 1 et 3 (liant/intuitif). La configuration 3 semble être particulière-ment à risque car elle rassemble aussi la moitié desenfants qui présentent des capacités intellectuelles plusfaibles.

Donc, dans une démarche ultérieure, il noussemble qu'il serait intéressant de nous pencher sur les casde résilience dans cette configuration dite « intuitive ».En comprenant la résilience des enfants qui y ont étéélevés, il pourrait nous être plus facile de discerner com-ment aider les autres enfants en souffrance relevant decette configuration.

Nous pouvons donc constater qu'une telle analysede la situation permet aussi de nous rapprocher des pré-occupations cliniques. Les cas cliniques qui suiventdéveloppent les éléments de résilience que nous avonspu mettre assez clairement en évidence dans nosrecherches.

Un premier cas clinique peut être illustré par lasituation de Gérard et de sa sœur Morgane. Ces deuxjeunes gens ont grandi dans un milieu plutôt chaotique.En effet, leur mère a vécu avec leur père jusqu'à ce qu'ilssoient âgés de 7 ans - un père sans foi ni loi. Elle s'estensuite mise en ménage avec le père de son troisièmeenfant jusqu'à ce que celui-ci, Daniel, soit, lui-même,âgé de 7 ans. Ensuite, elle a vécu avec d'autres hommes.Depuis leur naissance, ces enfants ont connu séparationet abandon. Ils ont passé des périodes avec leur mère etdes périodes tantôt avec leur père ou avec les grands-

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parents, ou encore dans d'autres foyers accueillants, toutcela au gré des lieux et des modalités de « travail » de leurmère. Ce qui semble avoir protégé Gérard et Morgane,c'est d'avoir, malgré tout, eu une prime enfance passéedans un milieu relativement stable, même si celui-ci s'estfortement dégradé par la suite. Les relations de Gérardavec sa mère s'avèrent bonnes et marquées par une clartéde la fonction éducative qui fut possible tant qu'il y avaitun père clairement présent dans le ménage, c'est-à-direjusque 16 ans pour Gérard.

Le petit frère, Daniel, n'a pas eu la même chance etil est fréquemment arrêté pour vol de voitures et arra-chage de sac. Il n'a bénéficié de la présence d'un pèreque jusqu'à l'âge de 7 ans. Ses relations avec sa mère sontquasi fusionnelles. Elle a avec lui des relations d'égalité,de copinage ; elle lui confie tout. Elle dévaloriseconstamment son père à ses yeux. Celui-ci est violent etalcoolique, il a également abandonné et rejeté son fils àdivers moments et, actuellement, il privilégie nettementles enfants de sa nouvelle femme.

En comparant ces deux frères, on peut observer quedans un environnement familial marqué par une struc-ture chaotique, des difficultés matérielles et uneambiance parentale difficile, ce qui semble pouvoir pro-téger un enfant des dérapages déviants, c'est, non seule-ment la présence réelle d'un père durant la primeenfance et le début de l'adolescence, mais aussi des rela-tions claires et empreintes de caractéristiques éducativesavec la mère. Ce qui ressort de ce cas c'est l'importancede l'équilibre dans les liens : ceux-ci sont indispensables,certes, et il est primordial que les relations avec un pèresoient effectives. Mais il est aussi essentiel que les rela-tions avec la mère demeurent dans les limites des rela-

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tions parents/enfants et qu'elles ne s'étendent pas à uneautre nature, sans quoi le jeune risque de manquer derepères et de limites.

La deuxième situation que nous allons aborder estun autre cas clinique. Les facteurs de risque qui entou-rent la famille qui nous occupe sont importants : parentsde santé fragile, famille nombreuse (onze enfants),immigrée et de statut socio-économique assez faible ;parents peu intégrés dans le pays d'accueil, habitantdans un quartier défavorisé. Ce qui semble avoir pré-servé les enfants de cette famille c'est la transmission desvaleurs, ainsi que l'enracinement religieux et moralinculqué par des parents très croyants, qui pratiquentleur religion et gardent, grâce à elle, de fortes attachesculturelles. Les enfants ont encore bénéficié du systèmeéducatif en cascade qui s'instaure assez souvent dans lesfamilles nombreuses. Et comme pour démontrer lagrande efficacité de ces éléments, le dernier-né, Sam, quin'a pu bénéficier de ce système, est placé pour agressionen bande contre un jeune. Il a déjà eu affaire à la policepour vol à l'étalage et une autre agression en bande. Lafamille évite systématiquement de responsabiliser lejeune et rejette la responsabilité sur l'école et les pro-blèmes d'intégration, à l'exception du frère aîné. Ce der-nier a eu la garde de Sam alors qu'il posait des problèmespar ses mauvaises fréquentations dans le quartier. Lefrère aîné admet qu'il n'a pu remplir sa mission fauted'un suivi étroit. Il semble que ce soit bien ce manquede contrôle qui ait amplifié la dérive de Sam qui, danscette autre ville, s'est associé à des pairs délinquants, anégligé sa scolarité et adopté des conduites violentes.Tout se passe comme si toutes les influences protectricess'étaient usées au fil de la succession des enfants. On

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peut donc observer ici l'importance de l'effet protecteurd'un contrôle cohérent et de l'enracinement religieux ausein de familles nombreuses, immigrées et de statutsocio-économique faible.

Enfin, nous trouverons d'autres éléments de rési-lience dans une recherche empirique effectuée au sein denotre service en 1997. Nous avons mis en évidence qu'ilpouvait aussi exister de la résilience au sein des institu-tions de protection de la jeunesse. Les jeunes de l'échan-tillon étaient des jeunes judiciarisés et il peut paraîtreparadoxal de parler de résilience dans une telle popula-tion. Pourtant 7 % des sujets s'avérèrent de vrais rési-lients. Il s'agit d'adolescents qui, confrontés à au moinsquatre facteurs de risque sérieux, ont conservé unedéviance peu grave et peu fréquente par rapport à ce quenous aurions pu attendre.

Nous sommes parvenus à mettre en évidence plu-sieurs facteurs de protection autres que des facteursfamiliaux. Ces jeunes ont vécu dans une famille instable,à faible revenu et faibles antécédents socioculturels. Ilsont grandi dans un quartier qui favorise la délinquanceet leurs parents étaient eux-mêmes souvent déviants.Ces jeunes n'ont pu, à l'instar des enfants de nos deuxpremiers exemples, bénéficier de la protection souventprocurée par l'attachement, l'implication ou encore lecontrôle de la famille. Ils ont donc dû trouver ailleurs laprotection que la famille ne pouvait leur apporter. Dansun tel contexte familial, il semble que des caractéris-tiques propres à l'individu et/ou au support social dontil peut bénéficier peuvent se révéler de puissants protec-teurs. En effet, ces jeunes se montrent plus matures etmoins agressifs, ce qui traduit un self-control suffisant,lequel permet une meilleure adaptation aux contraintes

La résilience hors la loi 235

sociales et matérielles et une meilleure acceptation desnormes de l'institution. Ils sont plus capables d'établirdes relations signifiantes avec l'adulte et bénéficient derelations stables et positives en dehors de la famillenucléaire. Enfin, ils sont moins souvent membres d'ungroupe de pairs de leur âge et n'essaient pas d'imposerleurs idées à ces derniers. Pour ces jeunes, le placementprésente souvent un effet positif sur leur développementpersonnel. Ils peuvent fréquemment y trouver des per-sonnes ressources extérieures à la famille. Dès lors poureux, comme pour le personnel, le placement est vécuavec satisfaction.

À travers ces trois exemples, nous venons de voirl'utilité de l'analyse par configuration de variables. Mal-heureusement, ces recherches ont été établies avant quenous ne parlions d'une telle analyse et nous avons étécontraints de traduire les résultats que nous avions obte-nus pour notre propos. Certaines informations sontmanquantes et auraient pourtant été nécessaires pourrépondre aux exigences de l'analyse en configuration devariables. C'est le cas du réseau social et des caractéris-tiques propres aux jeunes dans le premier cas. Dans ledeuxième cas, on peut aussi remarquer l'absence dedonnées sur le jeune lui-même. Enfin, dans la troisièmerecherche, des informations précises sur le milieu dujeune, son réseau social et ses caractéristiques propresautres que le self-control font défaut. Néanmoins, lesdifférences entre les scénarios, en terme de risque, ontpu mettre en évidence l'efficacité de différents facteursde protection selon les cas. Nous voyons donc que tousles facteurs protecteurs ne sont pas efficaces de la mêmefaçon dans toutes les situations de risque.

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Dans le premier exemple, face à un manque destructure au sein de la famille et une instabilité dans lavie affective de la mère, ce qui semble pouvoir protégerun jeune de la délinquance c'est de conserver des rela-tions équilibrées avec leur mère et d'avoir un père pré-sent à la maison pendant la prime enfance et le début del'adolescence. Le deuxième exemple met en évidencequ'un attachement, apparemment sain, ne suffit pas àprotéger un jeune de famille défavorisée, immigrée etmal insérée, puisque ce qui paraît avoir surtout protégéles frères et sœurs de Sam c'est le contrôle et l'enracine-ment religieux. Enfin, notre troisième exemple révèledes caractéristiques protectrices propres à l'individu :l'efficacité du self-control du jeune peut lui permettre defaire face au manque de soutien de la famille.

Quels sont les apports cliniquesde ces trois analyses ?

En premier lieu, une situation telle que celle deGérard et Daniel attire notre attention sur l'importancede réaliser des programmes de prévention de manièreprécoce, dans les écoles primaires, voire maternelles, etsi possible avec les familles. Mais ce genre d'interventionest loin d'être aisée et il serait utile de se demander com-ment les travailleurs sociaux pourraient travailler à laréinsertion d'un jeune comme Daniel. Il semble que lesentretiens familiaux sont susceptibles ici d'être effi-caces : aider Daniel et sa mère à interagir sur un modeplus équilibré s'avère essentiel au bien-être de ce jeune.D'autre part, ce dont il a probablement le plus manquédurant son enfance c'est de limites et de repères clairs et,là, le personnel de son institution peut, à nouveau, se

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révéler très compétent. Il est probable que Danielessaiera de reconstruire une ou plusieurs relations sur unmode fusionnel comme avec sa maman. Il sera alorspossible, mais non aisé, de l'aider à construire des rela-tions plus saines pour lui et son entourage. En retrou-vant des relations, un cadre et des repères clairs, il seraplus commode pour un jeune dans une situation simi-laire à celle de Daniel de parvenir à se réinsérer dans lasociété.

Le deuxième exemple met l'accent sur la supervi-sion de l'enfant et l 'implication des membres de lafamille. En sachant cela, on peut se demander ce quiserait nécessaire à Sam pour rejoindre la norme. Noussavons que les parents ont tendance à déresponsabiliserSam et sa famille, mais le frère aîné a reconnu les faillesde son attitude à l'égard de son petit frère. Dans ce casprécis, un entretien avec la famille auquel les parents,Sam et ce frère participeraient, serait sans doute utile.De leur côté, les agents sociaux qui s'occupent aujour-d'hui de Sam pourraient essayer de mettre en place unsystème de contrôle efficace, mais non rigide, où Samserait impliqué et responsabilisé. En retrouvant un sou-tien actif au sein de la famille et un environnement où ilest à nouveau responsabilisé pour ses actes, il est possibleque Sam retrouve certains éléments susceptibles de l'ai-der à mettre en place des comportements alternatifs à laviolence et à la déviance.

Enfin, notre troisième exemple montre que, pourcertains individus, le simple fait de se retrouver quelquetemps au sein d'une institution peut leur être salutaire,dans la mesure où ils y rencontrent des personnes res-sources utiles à leur réadaptation. Mais nombre desjeunes concernés ne parviennent pas à bénéficier du pla-

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cément par ce biais. Que faut-il faire avec ces jeunes ?Nous refusons de conclure au déterminisme de leursituation. Dans cet exemple, nous avons égalementmontré le caractère central du self-control. Il existeaujourd'hui des approches comportementales et cogni-tives qui peuvent aider un jeune à trouver d'autres solu-tions que celles qui leur sont en général directementaccessibles : la violence et l'agressivité. Born et Chevalier(1996) ont mis en évidence l'efficacité de méthodesd'amélioration des compétences de traitement de l'in-formation. Il s'agit ici d'apprendre aux jeunes un proces-sus de résolution de problèmes leur permettant decourt-circuiter les solutions de type passage à l'acte. Lebut du programme est de construire des stratégies cogni-tives destinées à augmenter le self-control de l'adoles-cent et sa responsabilité sociale. À l'issue de ceprogramme, les auteurs ont non seulement pu observerdes acquis théoriques mais également une motivation etune préoccupation toute particulière de ces jeunes. Ilsétaient capables de dire : « II faut réfléchir quand ça neva pas » ou : « Quand on a un problème, il faut penser etréfléchir. » À la fin des séances, certains d'entre euxdemandent aussi de l'aide pour résoudre un problèmepersonnel sur le modèle qu'on leur a appris et partici-pent alors avec plus d'enthousiasme à son élucidation.D'autres réfléchissent spontanément selon le modèleappris lorsqu'ils sont face à une difficulté et font alorspart de leurs réflexions. Des méthodes telles que celles-cipourraient être mises en place au sein des différentes ins-titutions et ainsi aider à obtenir des résultats plus pro-bants.

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