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Francois Villon

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  • *

  • #7r

    uOl

  • QUELQUES UVRESde

    SVARS

    aux CAHIERS DE LA QUINZAINE, 8, rue de la Sorbonne :

    Sur la mort de mon frre, i volume petit in-8, 1904.La tragdie d'Electre, 1 volume grand in-18, igo5.Le portrait d'Ibsen, 1 volume grand in-18, 1908.Visite Pascal, 1 volume grand in-j8, 1909.Tolsto vivant, 1 volume grand in-18, 191 1.De Napolon, 1 volume grand in-18, 191a.

    l'OCCIDENT, 17, rue bl :

    Voici l'homme, 1 volume grand in-8, de 4o pages, 1905.Images de la grandeur, 1 volume grand in-8, de 221 pages, 1901

    .

    Bouclier du Zodiaque, 1 volume grand in-8, de i5i pages, 1907.Lais et Snes, 1 volume grand in-16, 1909.

    chez CALMANN-LVY, diteur :Le livre de l'meraude, 1 volume in-18, 1901.

    chez MILE-PAUL, diteur, 100, faubourg Saint-Honor :Sur la vie; Essais, tome I, 1 volume grand in-16, 1909.Sur la vie; Essais, tome II, 1 volume grand in-16, 1910.Sur la vie ; Essais, tome III, 1 volume in-18, 1912.Ides et Visions, 1 volume in-18, 1913.Cressida, 1 volume in-18, 191 3.Voyage du Condottiere, tome I, nouvelle dition, 1913.

    la NOUVELLE REVUE FRANAISE, 37, rue Madame :Trois Hommes, Pascal, Ibsen, Dostoevski, 1 volume in-8

    couronne, 1912.Chronique do Caerdal. '2 volumes in-8 couronne, 1912-1913.

  • fiEL AU 2 2 1974

    Franois Villon

    vuionR- B1BLIOTHECA

  • a o

  • Je ris en pleurs.

    bibuotk:cay

  • Bonnes gens, qui Virez sans doute voirpendre Montfaucon, voyez le mau-

    vais garon se promener , ce soir, au Cime-

    tire des Innocents. Vous riez, et il rit plus

    que vous. Vous buvez, et il boit. Il court

    la fille; et peut-tre, glissant un billet

    dans la main de la jeune voisine, il faitla bourse au bourgeois son pre. Il est

    fertile en bons tours. Il passe entre la

    chaperonnire et son vieux mari, et il

    trouve moyen de baiser Jeannette aux

    lvres ; mme, il lui tire un peu la langue

    i3

  • entre les dents. Il est connu pour pote,

    le bon foltre ; mais beaucoup plus comme

    fameux cornifleur. Et toutefois, matreFranois n'est pas un ribleur ordinaire :

    il est savant, presque d'Eglise; il sera

    peut-tre docteur, ou grand juge, ouvque, ou qui sait quoi ? En attendant,il fait le ribaud et l'espigle.

    Au Cimetire des Innocents, tout lemonde tourne et tourne entre les tombes :c'est le jardin de Paris, en ces vieuxtemps. On ay humer Vairfrais. Ici, Vonchante et Von s'amuse. Ony danse mme,on s'y poursuit; on s'y pince et l'on se

    baise.

    Cependant, jour mme de juin n'est passi long qu'il ne s'achve ; et le crpuscule

    vient, qui fait le lit pour la trs chaude

    nuit.

    Tous les vivants s'en vont souper, et

    quittent les morts qui sont l, depuis

    quinze cents ans, par millions et millions

    i4

  • FRANOIS VILLON

    plus que par milliers. L sont enfouis lesquinze sicles de la Ville, toutes ces

    myriades de pauvres gens, qui ont bien

    ri, eux aussi, on ne sait plus quand. Et

    s'ils avaient desyeux encore, ils verraientleurs enfants, cette foule quils portent,

    qui les a quitts pour se mettre table,

    pour dormir tout Vheure et pour se

    caresser d'amour, jusqu' demain, ou cesera leur tour d'tre couchs l-dessous,

    tout servis la table des vers, bien accots

    les uns aux autres, tte tte et riant de

    terreur ou de mortel dpit.

    Ils sont sortis du cimetire, pour quel-ques jours ou quelques saisons, ne pensantpas la longue visite, quon fait les piedsdevant. Mais lui, le mauvais garon, lepauvre colier, Franois Villon demeure.

    Le Charnier des Innocents est son

    oratoire, sa taverne de sagesse, son

    Louvre, sa grand salle de runion. Lestombes fraches se pressent sous ses pas,

    i5

  • portraits

    tte queue, tte bche, les cent mille

    brebis qui dorment contre terre, blmes

    et tondues. Et pas une ne rve.

    Quatre galeries font le tour du jardin,a plus d'un tage. Et sous les arcs, les

    foules dfuntes et les millions de jours,qui furent le peuple de Paris, font des

    montagnes de dbris. Les derniers venus

    sont encore des squelettes ; mais comme

    dans la fort les plus basses branches

    tombent en miettes et se confondent avec

    les feuilles mortes, sous les pantins

    d'hommes, c'est une carrire d'ossements

    disjoints, tout un sable jauni, o lescailloux furent vivants, le tibia dans le

    vomer, le fmur dans la bouche, les dentsdans l'ischion, les tarses et les carpes

    dans la sbille iliaque, et les beaux

    osselets du cou pour jouer, la nuit, quandla peine et l'oubli font leur partie sur un

    tapis de funrailles.

    Voil pourtant le corps suave des jeunes

    10

  • FRANOIS VILLON

    femmes ; et le pre trs bon qui a vieil fi

    dans le travail, pour nourrir la maison ;et la trs douce mre, qui a port ses

    petits dans ce ventre qui souffre et qui. le

    premier, pourrit. Voil les frres et les

    surs. Voil les amants enivrs pour qui

    le monde n'est point monde, sinon labouche qu'ils pressent et les yeux qu'ilschrissent. O sont les lvres de Vamour?O la forte main de l'homme, qui donn,qui accueille et qui redresse? O le seinde la mre ? et la joue des enfants,comme la premire pomme rouge entreles feuilles et la rieuse Aubpine?

    Villon, ce fils de fe, il va et vient dans

    les galeries. Il convoque par devers lui ce

    peuple des peuples : ceux qui furent et

    ceux qui sont, certes bien gaux et pareilsdans leurs os. L, les filles folles ; et les

    rois, et les reines ; et les riches, toujoursavares ; et les pauvres, toujours avides ; etles magistrats qui jugent . et qui trichent

  • portraits

    toujours avec le juste; et les violents qui

    font le mal, et les faibles qui lesubis-

    sent. Et les potes, puisqu'il en est enfin,

    qui sont tout, la fois, violents et faibles,

    riches et pauvres, reines et rois; etmme

    juges, quand la manie les prend.

    La mort en tout, et partout, et elle

    seule. C'est ici que Villon apprend lire,

    et qu'il raille. Ici, il pleure. Son cole est

    ici, et son glise. Puis, soudain, pensant

    aux soucis et aux larmes de sa vieille

    femme de mre, la pauvrette, qui ne sait

    rien que bien aimer et prier Notre Dame,

    pour soi-mme et son fils, en grande peur

    de l'enfer bouillant, et en vive esprance

    du doux paradis, il frmit, et sesyeux se

    brouillent; et lui aussi, Franois Villon,

    plus que douteur, esprit qui nie, ilse

    tourne vers Jsus et la Vierge, perdu s'il

    ne les craint, perdu s'il ne les croit, et

    par trop mort dans cette vie horrible et

    dlicieuse, o vivre est rve vain, et l'uni-

    18

  • FRANOIS VILLON

    verselle mort le rveil ternel sur le bord

    de l abme prdit.

    Mais quoi, pauvre me d'homme ? Plusla mort t'environne et fassige, plus le

    dsir de la vie te presse. Et l'amour

    t'aiguillonne.

    La volupt est le lit du rv, si tout est

    rve. Et Vardent dsir se lve de la

    tristesse, comme la lune sort de la nuit

    pluvieuse. Et le pauvre Villon, d'un lan

    que rien ne modre, quittant sa pleine

    eau de la mort, nage cur joie versl'enchantement de vivre, le vin, les ds,

    lesfilles, les lippes la taverne, l'ivresse,

    et toujours la plus folle, le dlice qui estau cher corps des femmes comme le jusparfum de tout l't la pulpe despches.

    A quelques- jours prs, et peut-tre lejour mme o les Anglais brlrent

    19

  • portraits

    Jehanne, la bonne Lorraine, Rouen,

    Franois Villon naissait Paris, prs

    Pontoise.

    Ses parents taient pauvres. Sa bonne

    mre toute simple, pieuse et sans lettres.La famille tait de petite bourgeoisie. Il

    a t lev par un matre en droit canon,

    le bon prtre Guillaume de Villon, son

    plus que pre . Il a pris ses grades

    jusqu' matre es arts. Il aurait pu faireun docteur, un homme de loi ou d'Eglise.Mais le plus colier des coliers, en un

    temps d'anarchie gnrale, o la sdition

    tait continuelle Paris, et le pa/ys latin

    un chaos dans le chaos, Villon a vcu

    follement, sans frein ni rgles, toujoursaux tavernes, avec les turbulents, les

    escrocs et les filles.

    Il a vol ; il a t ruffian ; il a pris

    rang dans la pgre. Il a connu les

    Coquillards, la plus fameuse troupe de ce

    sicle, en fait de ribauds, de voleurs et de

    20

  • FRANOIS VILLON

    mauvais larrons. A Paris et en province,il a t de la bande.

    Il est condamn deux ou trois J'ois mort. Il passe des mois au cachot, sur la

    paille, dans les prisons de Meung-sur-Loire

    et de Paris. La potence le guette, o il a

    vu hisser plusieurs de ses amis. A trente-trois ans, il disparat, qu'il soit mort de ma-

    ladie, qu il aitfait retraite, ou autrement

    .

    Plus prs de nous que pas un autre,

    Villon n'est sorti de la lgende que pour

    nous. Les trois derniers sicles ont pu le

    lire : ils ne Vont pas senti. Il fallait un

    monde qui meurt, et le dsordre universelpour nous le rendre : alors, l'individu a

    toute sa force. Comme nous au milieu d'ungenre humain qui se dchire pour fairepeau neuve, Villon a pouss dans l'agonie

    du moyen ge, entre les bras d'une

    France demi-morte, qui se prparait dans

    les convulsions ressusciter sous une

    forme nouvelle.

    21

  • portraits

    Enfin, il a fallu Verlaine, le pauvre

    Llian, n comme Villon, la mme

    heure du sicle, lui a succd de toutes

    les manires, puisqu'il semble avoir com-

    menc sa vraie vie de pote vagabond et

    sacr, l'ge o Villon termina la sienne.

    Et, en vrit, c'est bien selon cet ordre

    qu'ils se succdent. Villon est un Verlaine,

    bien plus mle et plus vert, qui s'en va,

    tout jeune homme, trente ans; tandis

    que Verlaine, bien plus tendre et plus

    dfait, errant dans les parcs de l'automne

    pluvieuse, et pleurant sous le porche de

    l'glise, est un Villon de la trentime

    anne la cinquantime.

  • II

    DE LA POESIE

    Villon est le premier pote lamoderne : le premier o Von recon-

    naisse l'me du pote tonnant, tel que laFrance Va conu, tel que Paris Va cr,

    tel qu'il est rest, et tel qu'il devait tre

    parmis nous depuis matre Franois. Les

    trangers n'arrivent pas le comprendre,

    si leur entendement ne s'est pas clair

    de la lumire antique.

    Ailleurs, le pur sentiment fait le pote,

    l'amour ou la haine, la prire ou l'in-

    vective. Ici, la passion qui roule comme

    23

  • portraits

    une mare: ou bien l'homme qui $e perd

    dans ta nature, sans autre lan que de

    s'y prter. L, celui qui dcrit les objets,

    comme s'il faisait un inventaire, ouqu'ils

    fussent distincts de lui, et qu'il voult en

    fournir la preuve. Ou encore, l'imagi-

    nation toute puissante, qui s'effaetdes

    sentiments et des tres, pour les reformer

    sa propre image, sans mme s'en

    douter.

    Mais Villon n'est pas dupe. Non seule-

    ment il voit : il sait qu'il voit. Il se penche

    sur lui-mmepar vocation, sans le vouloir,

    sansy tcher. Sa passion est celle-l, et

    voil tout. Bien plus, sa matresse passion

    est de les comprendre toutes, mme les

    plus secrtes, de les saisir par l'esprit, et

    de les renouveler ainsi pour sonplaisir

    et son tourment. Comme il bouffonne avec

    gnie, il avait l'toffe d'un grand pote

    comique.

    Voulant se connatre, tantt il se

    24

  • FRANOIS VILLON

    possde fond; tantt il s'gare : mais

    toujours il s'interroge et se prend partie. Ce que les Grecs ont fait pour les

    actions et les objets, le pole de France

    l'a fait pour soi-mme et pour la vie

    intrieure. Mme les plus paens, if n'estgrand pote, en France, qui ne soitchrtien, si l'essence de l'me chrtienne

    est le regard intrieur, la confession des

    sentiments, les colloques de l'amour et du

    pch. J'appelle grand pote, celui qui aun chant. L'loquence n'est pas le chant.

    Le pote de France, la Villon, est

    raliste quoi qu'if en ail. La rhtorique

    seule vient bout de la ralit. Je hais

    ce point les orateurs, en vers ou en prose,

    que je ny veux mme pas penser. Lesseuls vers de Villon, qui ne soient pas

    dignes de lui, sont un essai l'loquence.

    Pareillement, ce ton odieux a fauss deux

    ou trois fois les orgues de Baudelaire et

    la viole de Verlaine.

    \ iliort. - a

  • portraits

    Ici, le cur n'est jamais tout fait lavictime de l'esprit, ni son tyran. Ici,

    l'esprit n'est jamais tout fait le jouet ducur. Dans les tnbres les plus noires,

    dans le plus rouge garement des passions,une lueur veille : le fond clair de l'intel-ligence. Et sur les ruines les plus funestes

    de la, pense, dans les plus cruels

    dcombres de l'analyse, le cur demeure

    vif capable de jeu, capable de plaisir,capable d'espoir passionn.

    La conscience est le fond de cette

    trange posie, que les autres peuples ont

    eu tant de peine entendre; tt ou tard,

    ils y viendront pourtant. La conscience, etcomme il sied des hommes, la conscience

    qui se torture : le dbat du corps et ducur, comme dit Villon; et Vesprit

    jugeant, tantt en juge cruel qui raille,tantt en pre pitoyable : c'est la grande

    posie de France, unique au monde parla vertu pensante, jusque dans l'abandon

    26

  • FRANOIS VILLON

    de toute pense. Ce reste d'me dans les

    ruines, c'est de l que s'lve ce ton

    humain et sans morgue, cette indulgence

    profonde qui prfre, peut-tre, aux

    vertus mdiocres les crimes chauds et les

    suprmes pchs. Fors les rhteurs, si

    nombreux d'ailleurs enfranais, tes beauxpotes de France sont les pnitents de

    l'humanit.

    Ils ne craignent donc rien. Ils osent

    peindre ce qu'ils voient . Ils osent confesser

    ce qu'ils sentent. On ne le leur pardonnepas. Et parce qu'ils sont vrais, qui est la

    seule morale, on les dit sans morale.

    Voil le pote franais. L'intelligence

    mne toute la tte; et le branle des sens,les bonds du cur, les lvres et les yeux,si libres qu'ils soient, et quelque licence

    qu'ils se donnent, tout est l-dessous,

    comme les chevaux de l'attelage sous les

    rnes : le front porte pense ; l'esprit tient

    27

  • >ortraits

    les brides mme aux sentiment* lespUu

    dbrids. Enfin, jamais l'intelligence n'est

    muette.

    Les motions de Villon sontwlentes et

    profondes. Mais elles ne leprivent pas

    de raison, si elles le priventde volont.

    Elles ne l'aveuglent pas,mme si elles

    l'atterrent. Elles peuvent leperdre, mais

    non pas le tromper. Sonesprit est si

    perant, qu'il passe autravers de sa

    passion. Ce qu'il ne sait pas, ille devine.

    Une si bonne tte, ha, ne me lahissez pas

    au bec des corbeaux.

    Sa mmoire, qui retient les formesavec

    fidlit, les transmettoutes la facult

    qui discerne, et qui estimpatiente de

    connatre. Si le Dieu est intelligence,d

    a son beau jardin en terre, auroyaume

    de France; et matre Franoisest de ses

    petits jardiniers.

    Qui, avant lui, Dante seulexcept, a

    domin la vie comme Villon ? N'enfait-on

    28

  • FRANOIS VII. lo\

    pas une sorte d'enfant? Mais, au contraire,

    tous les potes semblent purils, qui Vont

    prcd, et la plupart de ceux qui Vont

    suivi.

    Il domine sur les malheurs de sa ie.Et le plus fort, c'est qu'il rgne sur cette

    vie mauvaise en s'y livrant, en s'y noyant.

    Il se perd, mais non son insu. Il se

    juge, comme s'il n'tait pas question delui. Tel est le pouvoir de l'intelligence.

    Villon est sans pareil pour l'preuve qu'il

    a faite de ses crimes. C'est la racine de

    cette cruelle mlancholie, qui est comme

    le fond du cercueil o il se couche, pourchanter sa misre, riant sourdement sur

    la basse des glas, et d'o il se dresse

    pour lcher ses facties. Or, c'est lui-mme,

    et lui seul, qui soulve le couvercle.

    De l, qu'il voit tout en peinture, ettout peut-tre sur les murs du charnier,lui-mme et son destin, les grandeurs du

    29 Villon. 2.

  • portraits

    (jxnrK'if * ** J

    />

  • Le sincre Villon. Si vrai mme, quepersonne ne le fut jamais comme lui.Plutt que fourbe, il est cynique.

    Le gnie de Villon est la clairvoyance.

    H est admirable pour voir soi-mme et lesautres; surprenant ensuite, pour peindre

    ce qu'il voit. Avant Baudelaire, il est le

    plus raliste et le plus confident des potes.

    Comme il se connat, lui qui s'inquitetoujours de se connatre ! Et la preuve,qu'il dit : Je ne me connais pas. Son

    doute sur lui-mme est la racine de sa

    double nature. Tout ce quil tente contre

    les autres, il l'achve contre lui. Ses mots

    sont vrais; et plus quil n'est ordinaire

    aux potes. Il n'accommode pas la vrit

    l'opinion qu'il veut donner de soi ; il

    3i

  • portraits

    ne s'en fait pas une parure. Il n'avouepas

    une faiblesse, pour s'orner de centvertus.

    Sa misre, ses pchs; ses besoins, ses

    amours patibulaires; ses plaisirsprosti-

    tus, son repentir et ses rechutes;ses

    chaudes lippes dans la fange, et toujours

    sans vergogne; ses terreurs et sessueurs

    froides, tout le mal qu'on peut dire de

    lui, c'est de lui qu'on le sait. Ilne

    s'pargne pas.

    D'o vient le charme unique de Villon ?

    Il est la rose parlante de sa sincrit,

    Vail dur et le coquelicot aussi. Sa

    langue n'est pas la plus belle de France;

    et elle plat, comme si elleavait plus de

    beaut qu'une autre. Il n'a pas d'images

    clatantes; il n'en a presque pas du tout.

    Il ne fait rien de la nature. Pourlui, il

    n'est paysage que de la ville. Le cimetire

    est sa campagne; ses couchers desoleil,

    les rixes dans la rue.

    Cette langue plat par la saveur

    3a

  • FRANOIS VILLON

    incroyable du mot ct du mot. Et lemot jaillit de la chose, comme source durocher sous bois. La courte phrase est un

    mets simple, de qualit parfaite, assai-

    sonn de parfaites pices. Tptite la bouche

    en est enchante. Le palais se parfume.

    La saveur se rpand dans toute la tte.On gote ce qu'il dit. On Va, on le sentavec lui : on y est.

  • III

    DE LA LUXURE

    S'ils n'ayment fors que pour l'argent,On ne les ayme que pour l'eure.

    Et ni'eust il fait les rains trayner,

    S'il m'eust dit que je le baisasse...

    Mais que ce jeune bachelerLaissast ces jeunes bacheletes ?Non ! et le deust on vif brusler.

    Faulse beaut qui tant me couste chier,Charme flon, la mort d'ung povre cuer,,

    35

  • portraits

    Et nu nu pour mieulx des corps l'aider...

    Tout aux tavernes et aux filles...

    Pas ne le dy pour vous le reprouchier...

    Car en amours mourut martir,

    O mieulx te plaist qu'onneur ceste meschance.

    Villon, le premier aussi, me semble

    avoir connu l'extrme dpit de la luxure.

    Elle est ce qui doit le plus, en ne

    cessant jamais de sduire.O commence la luxure? et qu'est-ce

    enfin?

    Innocente comme le plaisir, mais moins

    heureuse, la luxure est l'inquitude

    passionne des sens, et l'ardente recherche

    d'une satisfaction qui fuit toujours plus

    lointaine, si mme elle n'est pas inacces-

    sible. Elle est le luxe des puissances

    charnelles, leur propre cruaut et leur

    noir ennui. La luxure est la part de

    V esprit dans la volupt, et la folie de l'ima-

    gination amoureuse.

    Combien d'amants se sont promis la

    36

  • FRANOIS VILLON

    luxure, qui ne peuvent mme pas s'assurerun peu de vrai plaisir. Les luxurieux sont

    rares, qui ne le sont pas seulement

    d'intention. Et comme ils manquent au

    propos pour lequel ils vivent , ils sont en

    faute, tant en dfaut, et se sentent

    coupables. Leur pch n'est point tant de

    luxure, que de n'y pas suffire. Et ils sont

    damns, non moins que Vavare mourant

    de faim et de froid, une nuit d'hiver, surson fumier d'or.Le commun peuple, qui s'indigne contre

    la luxure, seraitfrapp d'tonnement, s'ils

    entraient dans l'me luxurieuse du pote.Ils la verraient dvore de dsir, et voue

    aux dlices, comme aux tortures de

    l'imagination. Ha, belles victimes sans

    repos, de Villon Baudelaire et Ver-

    laine. Je crois les grands artistes capables

    de tout, comme on dit ; et surtout de se

    vaincre ; mais non pas tons, ni en tout

    temps. Et enfin, leur curiosit est insa-

    3; Villon. - S

  • portraits

    tiable, mme quand ils refusent de lasatisfaire.

    Tous les vrais artistes, ou peu prs,

    sont dous de luxure ; ou atteints, si l'on

    veut. Je ne le dis pas pour les en vanter.

    Ni pour leur en faire reproche.C'est pourquoi on incrimine volontiers

    leurs murs. Elles sont toujours un peususpectes. Ony souponne telles violencesou tels dtours de l'instinct, qui sont les

    fureurs de l'imagination.. Et l'on cherche

    ce qui pourrait bien tre dit contre eux,

    quand il n'y a rien a en dire.

    Mais la luxure se parle cruellement elle-mme, sans remuer les lvres. Et

    plus il est silencieux, plus son pch est

    intarissable en postulations secrtes, en

    paroles intrieures. Car la luxure est

    toute pleine de remords. Et l'ironie n'est

    pas plus forte, dans Villon, que n'est

    partout prsente la repentance.

    38

  • FRANOIS VILLON

    Sans remords, il n'est pas de vraie

    luxure. Elle porte avec elle une supplica-

    tion de Psych, noye dans les malfices

    du dsir.

    Le remords charnel est la formesuprme du regret : non pas le repentir

    tout fait ; mais le dsespoir de manquer

    son rve nourrit un regret terrible.

    H est si propre a la luxure, quelle nese conoit pas sans lui. Et telle est sa

    tristesse. Car si la luxure pouvait tre

    satisfaite, elle ne serait que l'habitude duplaisir, ce boueux si content du pav etde toutes les rognures qu'il y pche. Or,la luxure est le recours de l'imagination

    contre toute habitude. La luxure est

    d'abord l'apptit que l'habitude dgote.

    Tout pote, tout artiste, en son temps

    de luxure, fait oraison :

    Seigneur, vous voyez la fureur de

    mon pch, et si j'en souffre.

    39

  • portraits

    J'y suis li. commela femme du

    sultan noue au chat et la vipre,dans

    le sac qu'on jette au Bosphore.J'en suis

    tortur, jusqu' ce que je meure,comme

    le scorpion, qui fait l'anneauavec la scor-

    pionne, pour quelle le dvore;comme les

    chiens cords l'un l'autre parle roide

    dsir, et qui gmissent de nepouvoir plus

    se sparer; ou comme leprince des

    abeilles, qui expire dam le corps de sa

    reine enivrante et fconde.

    Sinon vous, Seigneur, rienne peut

    m'arracher cette prise profonde.Rien

    ne peut me sauver. Et nulne peut rompre

    que vous, Seigneur, cette attachecruelle.

    Quelle que soit sa repentance,Villon

    bondit sur le premierespoir qu'il

    rencontre; et il se prend rire.Il fait la

    cabriole devant le gibet, et lepied de nez

    au bourreau. La raillerieest sa luxure

    spirituelle, non moins vive quel'autre.

    4o

  • FRANOIS VILLON

    A deux doigts de la hart , il lgue auxaveugles des Quinze Vingts ses grandeslunettes, sans l'tui

    ,

    pour qu'ils sparent,

    dans le cimetire, les gens de bien des

    dshonnestes . Il a horreur de la mort,

    mais il lui fait la nique. Il faut qu'il

    se moque, il faut qu'il beffle sa terreur

    mme, et mme sa chre vie. Passant dela mort la volupt, sa?is cesse, et sans

    lassitude du dsir l'effroi, ayant celle-l

    .

    il a toutes les luxures.

    C'est de quoi il est mort, sauv d'tre

    pendu.

  • Plus noir que mre, plus maigreque

    chimre.

    Les yeux vifs comme merillon.Tout

    brun, tout sec. Agile etprompt la

    fuite, quand il faut; lent, quandil peut,

    et plein de nonchaloir. Un petithomme au

    regard perant,- dans une orbitecreuse.

    Le poil rare, et de bonne heurele front

    chauve. Il portait volontiers latonsure, ne

    perdant rien passer pour unclerc. a

    et la, dans ses prisons, on luifaisait la

    tte rase, chef, barbe et sourcil,comme

    un navet qu'on rpe.

    Un grand crne tondu, un fronthaut

    et nu; la figure longue ethve; ni joues

    ni lvres. Des os durs sousune peau

    4"

  • FRANOIS VILLON

    fendue, un vrai cuir de grande route,

    rti par le soleil, tann par le vent et les

    pluies. L'air quivoque de ceux qui

    toujours se cachent, ayant souvent quelquechose cacher. Mais non pas les faonslouches, ni l'il fuyant qu'on veut dire.

    Villon est bien plutt insolent. Mmecauteleux, ce sourire en coin n'est pas

    timide : il en/bnee l'ironie, et il provoque.

    Matre Franois est poli, s'il lui plat, il

    est courtois. Il a haute mine, pour un

    voleur ; et mme pour un prince. Baisst-illa tte, il n'est pas si humble qu'il

    semble : l'orgueil de l'esprit brille l-

    dessous, et peut-tre le feu du pote.

    Rieur de toute rise, et vite aux

    pleurs; trs dur tous les maux de

    misre, et tendre comme une femme lapeur, aux coups, aux cachots, aux

    supplices. Il a une forte sant de plerin,

    que n'a pas use la dbauche ni laprison. Tout plaisir lui plat et l'appelle.

    43

  • portraits

    Il aime tout ce que la fortune donne,et

    qu'il n'a pas : il le prend.

    Maigre, maigre! Tons les petits Pari-

    siens furent maigres en ce temps-l :et

    ceux qui ne devinrent pas chanoines,le

    restrent. C'est le temps, o les loups

    entraient dans Paris et mangeaient des

    enfants entre Vincennes et la Bastille.

    Maigre, fort maigre. Il a eu faim,

    bien des jours durant et des semaines, au

    pain sec et l'eau crue; il a tt des

    basses fosses; on lui a ferr les pieds

    dans un cep. On lui a fait boire bien de

    l'eau, l'entonnoir de la question,

    pauvre Villon, lui, si bon buveur devin

    morillon : et il le prfre d'Anjou et de

    Bourgogne.

  • De l'argent ! de Vargent ! il lui fautde l'argent.

    On vole comme on joue. Et on jouepour gagner de l'argent. Villon est

    joueur perdre son me, jusqu' jouersa mie. Un jour, il a laiss ses braies engage. Il friponne pour faire la fte. Il

    est le pauvre qui veut avoir sa part de

    liesse. On ne fut jamais si peu stoque ;on ne s'en soucia jamais moins. Le viveur,ou l'homme la mode, l'est-it davantage

    sur le boulevard ?

    Vous ne me ferez pas croire que la

    Grosse Margot soit d'une espce si rare

    dans les palais et les htels des riches.

    Tout infme qu'elle est, la Grosse Margot

    a des vertus que vos maudites vertus de la

    Cinquime Avenue n'ont pas, et moins

    45 Villon. - 3.

  • portraits

    encore si elles taient jetes la rue,

    rduites leur corps sans chemise. A I

    femmes de maudisson, il ne manque un

    peu que t'enseigne. La Grosse Margot

    paie de sa personne.

    Il lui faut de l'argent, ce Villon.A

    cous aussi.

    Pour en avoir, vous ne volez, nine

    pillez? Tant mieux pour vous : c'est que

    vous en avez. Vous ne ruffiannezpoint ?

    Voire.

    Mais il tue ? La belle affaire : c'est

    ce que vous ne feriez pas.D'ailleurs, il

    ne tue pas, ce qui s'appelle tuer :il se

    dfend. Il se bat; il rend les coups.Il ne

    veut pas qu'on lui drobe sous lebras

    gauche sa mie, ni sa vie.

  • IV

    Une tristesse qui va bien loin, parcequ'elle parat ncessaire : elle accompagneune vue suprieure des passions. Voill'accent moderne, qu'on ne trouve nullepart chez les Anciens, si ce n'est dans laBible. Et pour Vavoir eu, avec une voixsi puissante, Dante, le grand pote dumoyen ge, vit encore parmi nous, etpeut-tre pour tous les temps.

    Cette fatale tristesse descend dansl'homme de telles profondeurs, qu'elleporte tous les palais enchants de l'esp-rance et de Villusion. Le sentiment de lamort partout prsente est l'une de ses

    47

  • portraits

    racines : et l'autre, l'instinct de raillerie :

    le besoin de moquer la ralit et de

    bafouer le sicle, cet apptit d'ironie

    occupe la colre d'un grand cur. Ainsile Florentin superbe, qui aurait nourri sa

    fureur, sa rancune et ses ddains, s'il ne

    leur avait livr en pture les vainqueurs

    de ce monde? L'ironie les flagelle, lesmacre, les cuit et les recuit. Elle donne

    le change l'insatiable colre, comme si

    le bafouement russissait enfin corrigertoutes les injustices de la terre, punir

    toutes les prostitutions de l'opinion, et

    en tirer vengeance.

    Comme il a bien plus d'esprit que Ver-laine, il est aussi bien plus riant. Verlaine

    est trop tendre pour rire : tous ses senti-

    48

  • FRANOIS VILLON

    ments trempent dans les larmes, ou dans

    le sang pervers des baisers. Villon est

    d'humeur plus mle.

    Quel garon c'est l! Comme on voitqu'il est jeune! Une folle gat traverseson Testament, suspendue aux legs comme

    une guirlande de lanternes, dans une

    nuit de fte; et les arceaux gothiques ducimetire sont illumins comme les autres.

    D'ailleurs, la gat de Villon n'est pas si

    lgre : elle est toujours bouffonne ; et aubout de la corde, ily a peut-tre un pendu.C'est le don de l'esprit, qu'il ne cesse pas

    de saisir les ridicules de l'action, les fac-

    ties du hasard, et l'inpuisable drisionde la vie. Le jeune homme est plus sen-sible au diurne de /'existence qu' la

    comdie; mais il s'en amuse presque ga-

    lement. Quand la passion ne prte pas sonsrieux la vie, et n'en fait pas une

    scne tragique, l'esprit de raillerie r

    voit une farce norme. L'homme achev,

    49

  • portrait

    matre du drame et de sa propre ironie

    conclut souvent la farce tragique.

    Villon a tous les tons de la bouffon-

    nerie. Il touche la farce violente : je le

    crois capable de faire rire, et de ne rire

    pas. Plus d'une fois, c'est sa force comique,

    c'est sa jeunesse qui pousse l'clat de rire :

    mais est-ce lui ? Le gnie de la satire est

    le plus involontaire. On ne sait pas ce

    qu'et t Villon dans son ge plus mr.

    VI

    Je ne vois rien, dans Villon, de cette

    trange perversit qu'on lui attribue, plus

    qu'on ne la lui reproche. S'il tait per-

    vers, il ne serait pas si fort.

    Au contraire, il est criminel avec inno-

    cence. Comme Verlaine, et encore plus.

    Une perversit sans dessein n'est pas fort

    5o

  • FRANOIS VILLON

    coupable. Les actions ne sont pas si per-

    verses que la conscience. Enfin la perver-

    sit nest point tant mfaire, qu'au

    plaisir qu'on y prend.On a fait de Villon un monstre de

    duplicit, de fourbe pateline, de souplesse

    et de mensonge. Je ne connais rien de si

    faux que cette vue. Dans ses vers, Villonest le plus sincre des hommes. Il ne se

    vante mmepas de sespchs ni de ses vices.Beaucoup veulent tre vrais, qui ne le

    sont pas de nature ; et c'est en vain, ds

    lors, qu'ils s'efforcent de l'tre; ils dissi-

    mulent, leur insu; le choix est fait en

    eux, et non par eux, de ce qu'ils doivent

    dire. Ou bien, ils se trompent sur eux-mmes; ifs se voient comme ils voudraientqu'on les vt. Ils sont incapables de se

    connatre. Villon est vrai, de nature. Il

    voit vraiment, et il fait voir. H peintMargot, la Belle Heaulmire, et Franc

    Gontier, la Vlasqus, la Goya.

    5i

  • portraits

    On trouve partout la perversit, si on

    la cherche : Elle est o on la dsire : il

    n'y a qu' l'y mettre.

    VII

    Docte et non peuple.

    Villon sait du latin. Il sait les lois. Il

    a lu les histoires, et les chroniques de son

    temps. Il sait les critures. Il sait beau-

    coup.

    Parlant des Grecs et des Anciens, quand

    il se trompe, il semble le faire exprs.

    Ses erreurs sont dlicieuses. On dirait

    qu'il en a joui, comme Shakspeare.

    Il ne fait jamais le savant; il joue

    plutt l'ignorance. Il est ingnu, non pas

    naf Dans l'ingnu, il y a le gnie. Sipote, qu'il est bien capable d'inventer un

    beau nom pour la rime, pourvu qu'il

    5a

  • FRANOIS VILLON

    sonne dans le lointain, avec grce et

    mlancolie.

    Il nest pas du tout populaire. Sa verve

    fait croire la verdeur du peuple; maissa force jeune est lui. Il a le toncynique, parce qu'il a plus d'un ton.

    Puis, cynique nest pas grossier, loin de

    l. Mme avec l'accent des bouges, il neparle qu'aux lettrs. Villon, comme tout

    pote franais, n'a ds lors crit que pour

    l'lite, gens d'esprit et de bonne culture.

    Il est parfois subtil comme Verlaine; mais

    comme il sied la diffrence des temps,

    peintre autant que Verlaine est musicien.

    Il a le don de la couleur et du trait fortdans la lumire. Il n'est pas seulement

    raliste la flamande ou l'espagnole;mais ayant mdit ce qu'il a fortement

    vu, il ajoute son me mme la peinture.

    53

  • portraits

    VIII

    Amour.

    Pourquoi ne veut -on pas qu'il soit

    martyr d'amour? Parce qu'il aime des

    femmes indignes? La belle raison. Et sielle est bonne, un tel amour plus qu'un

    autre est martyre. Il le dit au pied dugibet. Faudrait-il pas qu'il ft vierge

    aussi ?

    Il aime la femme, on le sent trop,jusqu' les aimer et les har toutes. Il nepeut pas se passer d'elles; il les dsire

    autant qu'il les mprise. Ses baisers sont

    lacs d'invectives; et les injures cousent,d'un fil sanglant, ses lvres aux lvres

    qu'il caresse.

    Il aime; il est tromp. Mauvais ruffiande gueuses, mal propre son mtier,voleur, vol, on ne l'aime que pour son

    54

  • FRANOIS VILLON

    argent, quand il en a. JU bat les femmes,et il est battu comme linge qu'on essange.

    Celle qu'il chrit par tendresse, lui est

    dure et flonne. Ardent au plaisir, il

    dsespre de Vamour; et faute d'une

    amoureuse, il est toujours en qute dematresse, pour maudire son supplice ou

    pour sjr avilir sans merci. L'indignit

    des amours n'en bannit pas le martyre.

    IX

    Villon, dans la crapule, ou la cour

    d'Orlans, au cachot, sur les routes, reste

    toujours colier, et toujours un peu debasoche. Il a vcu et grandi flanc de

    Sorbonne.

    Son monde est celui du Palais, ple-mle les condamns avec les juges, lesgrands prvts et les crocheteurs, les

    55

  • portraits

    pendeurs et les pendus. Il n'y a pas si

    grande diffrence, aprs tout. Quiregarde au fond de l'homme, il y voitle limon de la mre commune. Surtouten des sicles bien baratts par la

    discorde, comme ceux-l, o quelque

    violence vient toujours point pour toutconfondre, la crme avec le petit lait; et

    tout va par terre, devant que le beurre

    soit fait, le seau renvers dans la cour

    de la ferme, l'eau du puits par l-dessus,

    les brins de paille et le purin.

    Est-ce que je calomnie ces docteurs etces mortes hermines ? De quoi se plain-

    draient-ils, tous ? Bien leur prend d'avoir

    connu Villon, et de l'avoir mis mal.

    S'ils ont encore un nom, c'est grce

    lui. Sans ce vaurien qu'ils ont tourment,

    nous ne pourrions mme pas nous moquerde leurs trognes. Tant pis pour eux, s'ils

    l'ont traqu, s'ils l'ont mis la torture,

    trop durs et sans piti, Villon le leur

    56

  • FRANOIS VILLON

    avait prdit : Tel lui soit Dieu, qu'if

    m'a est.

    La mme fatalit pousse les os despauvres hres aux Innocents, le long des

    murailles, jusque sur les galetas, et lepauvre colier dans l'troit chemin de la

    vie. Pipeur aux ds, quand on n'a pas debiens; compagnon de la Coquille, quandon ne peut siger au Parlement ou dans

    une meilleure confrrie ; suppt de taverne

    plutt que de Sorbonne ; et pendu, faute

    de mieux. Ou faute d'tre juge : il ledirait, je pense.

    Comme il aime son cher Paris! Commeil le connat! Toutes les rues, toutes les

    tavernes lui sont familires, toutes les

    boutiques. Les enseignes lui sont des

    57

  • j)oiir;nts

    paysages, ou comme de vieux amis : il

    les interpelle; elles lui parlent : il

    bouffonne avec elles, qui bouffonnent

    avec lui. Paris a dj quinze sicles.Pour Villon, Paris est dj une Rome.La ville des papes n'est gure plusancienne que la ville des rois.

    La mre de Villon tait sans douteangevine. Lui, Villon, est Parisien de

    Paris, s'il en fut jamais un. Et l encore,le premier.

    XI

    Merle plus que rossignol : merle de la

    montagne Sainte- Genevive ou, depuis

    cinq ou six cents ans, toute la volire de

    V Occident s'exerce au chant de l'intelli-

    gence. Ici, compre Guilleri brave lesdangers en toutes saisons. On n'arrive pas lui casser les deux ailes. Sans perdre

    58

  • FRANOIS VILLON

    la voix, il hante les bois d'une vie bien

    plus dure que celle des forts, plus

    hrisse de caprices et de violences. Il

    perche sur les potences, et il siffle dans

    les charniers.

    L'esprit dut tre sa grce la plus forte,

    ce foltre de Villon. Autant que sa

    pauvre mre, il charmait sans doute les

    plus graves et les plus moroses. Ons'amuse de lui voir toute sorte d'amis, et

    jusqu' la femme du grand prvt. Iltait homme beaucoup plaire, sansplaire tout fait ; et beaucoup dplaire,

    sans se faire har. On l'aimait avec dpit;cl l'on finissait par rompre, non sans

    regret.

    XII

    // donnait rougir de lui. Ses plai-

    santeries sont trop bonnes : ce ruffian, ce

    59

  • portraits

    voleur, ce condamn mort, ce trois fois

    pendu et dpendu, qui nomme ses lga-

    taires les plus austres personnageset

    les plus gens de loi! H charge les

    conseillers au Parlement de veiller aux

    legs qu'il prtend faire des condamns

    comme lui; et des thologiens reoiventla

    sainte mission d'envoyer en jouissance de

    ses dons burlesques une bande de sacri-

    lges, de putes et de vauriens.

    XIII

    Comme Verlaine s'en va faire retraite

    l'hpital, ou comme il tait recueilli par

    quelque ami, entre deux maladies et deux

    aventures sombres, Villon, d'une potence

    l'autre et de l'une Vautre prison, allait

    faire sjour la Porte-Rouge, au clotre

    60

  • FRANOIS VILLON

    Saint-Benoit, chez matre Guillaume , son

    plus que pre . Ou bien, il se rfugiaitchez sa mre, povre femme . N'allait-ilpus pleurer avec elle ? Il s'asseyait ses

    pieds. Elle prenait dans son giron cette

    tte folle, cette mauvaise tte, toujourstrs aimet et toujours menace. Enlarmes, elle se penchait sur le mauvais

    garon, bon toutefois pour elle. Ce que

    les mres savent, quand tout le mondel'ignore, elle le savait, que son/ils n'tait

    pas comme les autres, et victime plutt

    que coupable ; elle le baisait, en pleurant,

    tantt les cheveux, tantt la joue, tanttle front, lui reprochant tant de peine,

    qu'il lui causait toujours : car enfin, il

    faut bien aussi que fa mre fasse sesreproches. Et lui, voleur, escroc, meurtrier

    d'occasion, marlou, toujours enfant prsde sa pauvre vieille, et pas /dus mauvais

    qu'un autre, il coute la litanie en souriant

    douloureusement ; il caresse les mains

    6l Villon. - \

  • portraiti

    rides au lavoir et au fourneau,toutes

    noires; et toujours finissant par fairerire

    la pauvrefemme, il gay les jeux rouges

    de pleurs pourtant ; il dfronce,pour un

    instant, le vieux visage plisspar les

    ravines si longues et si creusesde l'an-

    goisse. Et peut-tre ne s'enva-t-il pas,

    qu'il n'ait dit avec elleNotre Pre, ou

    quelque prire Notre Dame.

    Elle le savait bien, elle, que songaron

    n'tait pas si mauvais. Et si vif,si

    plaisant! Qu'il a d'esprit!Conseiller du

    roi, chancelier mme, il aurait pul'tre,

    c'tait l'avis de messire Guillaume,un

    tant homme de bien, vnrable, savant,et

    tout. Pauvre Franois, si gai,si triste,

    tout caprice, hlas, un fol enfant.'Et les

    femmes l'ont perdu, Sainte Vierge,et les

    mauvaises compagnies.

    62

  • FRANOIS VILLON

    XIV

    Pense-t-on que Villon ait jamais tdupe des figures qu'il a prises ? Dupe, il

    ne peut l'tre, pas mme de ses passions.Partout o il passe, il regarde et il juge sa faon, qui est de rire demi, moiti

    plaisir, moiti ironie. Ds le dbut, avec

    les voleurs, avec les filles, comme avec les

    docteurs, il assiste en esprit toute la

    comdie et son propre personnage. Ilymanque rarement, je crois : mme s'iljoue un rle ignoble dans la farce, oudangereux ; mme s'il court le risqued'tre pris au collet par le dmon dudrame.

    Il me semble que, pour Villon, le

    plaisir du plaisir, la plus aigu de lavolupt est spirituelle : c'est la profonde

    63 '

  • portraits

    raillerie; et qui sait, l o elle pique le

    cur si subtilement, quelle le J'aii

    pleurer.

    xv

    Ses amis, allant et venant, il en a de

    rencontre, et pas un, sans doute, solide et

    de bien fonds. Il aurait fallu tre comme

    lui, de tous rangs et de toutes murs

    la fois. Il s'amuse o il peut, et se donne

    ses aises o on l'incite. Il ne boude pas

    la vie, la sachant si prcaire et si courte,

    toute plonge dans la mort comme une

    touffe de joncs au milieu d'un ocan.Par l, d'abord, il est propre toute

    socit : son caractre le destine la

    compagnie d'un prince, et Vacoquine aussi

    bien des gueux. On lui sent une ton-nante souplesse d'esprit. Il est courtois et

    64

  • FRANOIS VILLON

    ordurier, exquis et graveleux. Il sait

    plaire : c'est son talent et sa perte

    Mais enfin la crapule est mieux son

    fait que la cour des ducs : parce qu'il est

    pauvre; parce qu'il est libre, comme on

    ne le fut jamais, la Montaigne. Lapassion de la libert est une espce de

    folie dans la mauvaise fortune ; et elle ytourne souvent crime. Les amis de

    Villon sont pendus. Et plus d'un : Colin

    des Cayeux, Rgnier de Montigny, GuiTabarie, ils ont bel et bien tir la langue

    Montfaucon, les camarades.

    Dans cette sorte de temprament, wi

    lment se cache qui reste innomm. Gnpar la misre, l'insatiable est presque

    toujours cynique. On ne peut rien changerdans un homme comme Villon, natureindomptable etfuyante, si vive et si diverse.

    Elles sont bien faites pour un sicle o

    tout est en question, o la rgle cde

    partout au souffle du hasard, et sous le

    65 Villon. - 4-

  • portraits

    pouce de la violence. Les ncessits de la

    vie marquent Villon pour la chute; et

    comme la fleur de lis sur l'paule, elles

    le dsignent au dsordre et la gueu-

    saille, si ce n'est au bourreau.

    Il faut bien comprendre que cette mesi faible et si forte ensemble, si indolente

    tout ce qui la gne, si prompte sonplaisir, anime une chaude charnure dejeune homme. Sans nom, sans biens, sansesprance, le feu du gnie est alors un

    malfice. Villon s'est d voir hors de toutrang. N'ayant rien de social, il n'avait

    pas ce qu'il faut pour faire une fortune

    rgulire. L'ide seule de peiner toute sa

    vie dans l'ennui d'une charge sculire,

    pour finir en bon vieux prtre, comme son

    pre Guillaume, ou devenir un puant

    cafard, avare et froid, comme Thibault

    de Vitry et matre Cotin, l'et fait sortir

    au galop d'une socit, o tout est prvu,

    moins le gnie, et d'ailleurs o le gnie

    66

  • FRANOIS VILLON

    seul n'est pas lgitime, ses droits n'tant

    en effet fonds que sur lui.

    Ainsi, la crapule peut tre la seule

    socit, o l'homme non social fasse valoir

    ses droits, et ie un peu l'aise. Mmes'il y a la nause, du moins il vomit son heure. L'homme double et triplenature, cent visages, qui ne fait jamaisque ce qui lui plat, c'est le pote mme.Souvent leurs destins sont contraires, et

    les artistes laissent les figures les plus

    diffrentes dans la mmoire des sicles.Mais ce trait profond, ils se ressem-blent; et tous les degrs, du pauvrecolier au prince des esprits, le mmehomme se fait connatre, qui ne se laissepoint ployer la commune contrainte

    .

    XVI

    On le fait ou trop pervers, ou troppuril. Il n'est ni l'un ni l'autre, tant

    85

  • portraits

    pervers ses heures, et enfant le reste du

    temps. Qu'on le prenne en vrai pote : il

    est tout ce que la nature veut qu'ilsoit.

    Les contraires sont en lui. A l'occasion

    de ce qu'il est, on sent tout ce qu'ilpeut

    tre. Enfant pervers, il ne l'est pas plus

    ni moins que Verlaine. Je ne puis oublier

    que nous n'avons rien de lui, pass l'ge

    de trente-trois ans. Quel vrai pote, sur-

    tout dans l'infortune, n'est pas un enfant

    pervers, du moins avec les rves qui le

    hantent et la femme qu'il caresse ?

    Les rudits ne savent pas comment sont

    faits les potes et les musiciens.Ils ne

    connaissent que les livres, ou ces normes

    rochers de rhtorique, les potes illustres,

    dont on fait le tour, une toise la main.

    Musiciens et potes de nature, ils sont

    comme les femmes, mais pour une moiti

    seulement. Il faut qu'ils obissent la

    lune, que leurs sentiments aient uneissue,

    enfin qu'ils clatent. Leursmotions ne

    68

  • FRANOIS VILLON

    sont jamais si violentes, que pour avoirt contenues. Elles se gonjlent en unjlot

  • portraits

    Enfin, il faut qu'Us donnent carrire

    leur nature, et qu'elle se dbonde. Dans

    ces excs, qui sont la joie douloureuse oula ncessit de leur vie, ils font taire leur

    raison et leur jugement. Mais ne croyezpas qu'ils les touffent : ils ne les

    empchent pas de veiller. La raison tient

    la chandelle, comme messire Georges

    Dandin lui-mme, au commandement desa cruelle compagne, laquelle est toute

    chaude encore de son amant, et a nom

    Anglique, tant la cruaut d'amour.

    C'est pourquoi ils voient le bien et font le

    pire. Ils savent presque toujours ce qu'ilfaudrait faire, etfont ce qu'il nefaut pas.

    Ce qu'on appelle leur faiblesse est la

    force sans frein de leur nature cache, et

    le mors aux dents de leur propre secret,

    ds qu'ils rendent la bride.

    70

  • FRANOIS VILLON

    XYII

    Villon sait bien sa mauvaise vie. Maisil est bon de savoir comme lui qu'il n'en

    pouvait pas avoir une autre.

    Au plus bas de l'chelle, les misrablessont les serfs de la misre. Ils sont

    enchans dans la galre du pain quoti-

    dien. Et ils n'en peuvent pas sortir.

    Au plus haut, dans l'ordre des esprits,la pauvret continue, ou la maladie, ou

    une passion indigne, voil trois chanes

    inviolables, que la plus forte volont

    ne lime et ne descelle pas. Si Verlaine

    avait pu mener la vie de petit commis

    l'Htel de Ville, il n'et jamais tVerlaine. Et il l'et t plus souvent, s'il

    n'avait pas d consumer tant de joursdtestables dans le dnment et l'h-pital.

    7i

  • portraits

    Qu'on ne rie pas de Villon accusant lapauvret de sa mort et de ses crimes. Il

    me fait frmir. Lui, toujours si vrai, illche l'aveu que de plus grands n'osent

    pas faire. La misre ne tue peut-tre pas

    le gnie; mais elle le dforme, et l'en-

    trave; elle en fait ces chnes et ces crypto-

    mres que les Japonais lvent dans und coudre.Pour gagner sa vie, on perd ses raisons

    de vivre. La grande vocation d'une melibre est une raison de vivre si puissante,

    qu'elle ne peut jamais s'accorder avec lebesoin de gagner sa vie. Encore moins

    de s'y soumettre. Les habiles, eux, nais-

    sent pour bien gagner leur vie; et le

    succs les vante.

    Ily a donc un parti hroque, dans ledshonneur de Villon et la faiblesse de

    Verlaine : ils se' sont sacrifis leur

    propre gnie. Il en est, peut-tre, qui se

    dsesprent de ne le pouvoir pas : c'est

    72

  • FRANOIS VILLON

    leur faiblesse, qu'Us ont trop d'honneur.

    Avec une me la Goethe, qui seraitGthe sans prince, sans fortune, sans

    Weimar, et qui serait capable de donner

    vingt ans de sa vie la thorie des cou-

    leurs, et Faust un demi-sicle?

    Il faut tre vrai : les potes ne sont

    pas des corps glorieux. Ils- sont des esprits

    plus ardents que brle et tourmente davan-

    tage Vardente gaine du corps.

    XVIII

    Une profonde connaissance de la vie

    fait la raillerie de Villon si profonde :

    connaissance qu'ont seuls les pauvres,

    quand la pauvret na pas dtruit les

    forces spirituelles, comme il arrive si

    souvent.

    Les hommes conscience ou imagi-

    ;3 Villon. - :.

  • portraits

    nation criminelle savent ce que les esprits

    paisibles ne souponnent pas. Les potes

    sont du petit nombre, qui visite les abmes,ou qui rve d'y descendre.

    Tout bien et plein de mal, tout mal etplein de bien, amer et doux, repris

    de justice et sans mchancet pourtant,assassin et sans violence, Villon se fiche

    de tout.

    Une drision passionne de la vie l'em-

    porte ; et un amour infatigable de vivre

    anime sa drision.

    Sa propre passion doit lui paratre

    drisoire. Mais l'ironie ne russit pas la dtruire. Elle a plus de force que

    d'cret. Villon est un jeune homme : ill'aurait fallu voir cinquante ans.

    Il ne croit rien, selon l'ordre et les

    lois du monde. Mais il peut croire tout,selon son propre sentiment.

    Cependant la vanit universelle et l'uni-

    versel hasard le font amrement sourire.

    74

  • FRANOIS VILLON

    Sa drision s'y retrempe. Il se voit lui-

    mme dans le nant, force de voir lenant du monde. Nihiliste achev, sa

    malice parisienne le porte s'en gausser,

    mme dans le dsespoir. Il a tant d'esprit,que l'horreur de la vie le cde aux ridi-

    cules; la raillerie l'attache au plaisir, loin

    de l'en dtourner. Pour rire au cimetire,

    il n'attend pas d'y tre forc, l-dessous.

    Villon, souvent, c'est Yorick Paris.

    s

    L'erreur emporte les hommes et l,comme le vent les feuilles. La pauvret

    est la source de toute injustice. Elle fait

    la faiblesse ; le mal s'en suit, avec le

    crime. Elle tue mme l'amour.La jeunesse perdue, l'occasion unique

    du bonheur, un souffle, un vol, un peu desable qui s'parpille. Et pourquoi? On nesait mme pas comment. Et toujours la

    75

  • portraits

    mort, partout et pour tous. Oh sont lesbelles amoureuses ? O sont les aman I s ?O les grands de la terre ? O les petits ?O vais-je moi-mme, dit et redit Villon?La mort fait la mme rponse toutequestion. Et l'horreur de toute question,

    c'est que, moins celle-l, il n'y a pas de

    rponse. Moi seul pour moi, pense Villon ;et ce n'est rien. Il considre la nullit

    universelle avec une srnit mle de

    terreur, et fort trange. Il s'y plonge,

    comme pour prouver toute sa faiblesse,

    la folie et la mchancet des hommes.

    Mais les connatre ainsi, c'est pardonner.De l, cette tristesse et cette moquerieaigus, et cette indulgence sans limites.

    Il n'y a rien de plus terrible, parfois,

    que l'indulgence de l'esprit qui nie, si ce

    n'est l'indulgence d'une me tout intelli-gente. Villon conclut la mort comme

    la ralit unique, et la volupt, ici-bas,

    comme paradis.

    ;6

  • FRANOIS VILLON

    // croit donc son malheur, plus qu'son indignit. Il ne se sent pas si cou-

    pable, sinon contre soi-mme. Et puis

    enfin, il {'a mourir; et qui lui vient

    Vaide ? Or, criminel si l'on veut, con-

    damn, misrable, il n'oublie pas Jsus,qui est pourtant contre les puissants,

    contre le riche et les heureux.

    Villon n'est pas grand pote par lasplendeur des images, ni par l'invention

    du pome. Mais il l'est par la profondeurdu sentiment. Il a mis une force admi-

    rable dans l'expression de deux ou trois

    sentiments ternels. Il s'y est jet tout

    entier, comme la fille du fondeur chinois

    dans le mtal en fusion, pour fondre son

    propre sang et donner sa propre voix au

    son unique de la cloche.

    Il signe affreusement de son nom l'envoi

    11

  • portraits

    de sa ballade Margot. Le rire de l'colier

    cynique ne donne pas le change sur le

    fond tnbreux de sa pense : elle tient le

    milieu entre Dieu secret et l'atroce nullit

    du inonde. Toute l'ignominie du nant est

    l'enseigne de la fille, dans ce lit o tous

    les hommes passent, comme la Seine entre

    ses deux rives, se flattant d'y contenter

    leur amour de la vie.

    L'ung vault l'autre.

    Ordure amons, ordure nous assuit;

    Nous deffuyons onneur, il nous deffuit,

    En ce bordeau o tenons nostre estt.

    Et pour moi, je sais bien qui Villon met

    au bordeau : c'est la vie.

    XIX

    Ou aller enfin, travers ce charnier ?

    et qui recourir, si Dieu ne demeurait

    pas la seule esprance ?

    78

  • FRANOIS VILLON

    Oui, dans ce nant sans bornes et sans

    exception, Dieu seul nous reste, et Notre

    Dame mi-chemin. Tout comme sa mre,

    la pauvre femme, Villon ne se connat

    pas d'autre refuge, pas d'autre asjie, ni

    d'autreforteresse,que la 1 ierge, Nostre

    Maistresse . Se moquant des prtres, il

    ne tourne pas l'Eglise en ridicule : il se

    garde d'elle, craintif et narquois, prudent

    et docile, ambigu et retrait. Il estreligieux dsesprment.

    Mais il l'est de la bonne manire : cette

    magnifique intelligence abdique. Sans

    perdre une once de son poids, elle se

    retire devant le cur enfant . I 'oit par o

    Mlion est si moderne. Il mord commeVeau forte dans les penses du nant. Lepote est alors, mon gr, l'homme parexcellence : celui qui pntre, entre tous,

    la condition de tous; qui en ptit pour

    tous, puisqu'on/rc nous il en a passionn-

    ment conscience. Et sa charit fleurit de

    79

  • portraits

    ses transes gostes. Le povre petit

    escollier a piti de fous les pauvres,

    comme lui. Il oublie l'indulgence terrible,

    que la vue du nant lui inspire; ou

    plutt, il en rserve la tendresse tous

    ces petits que la misre foule et que le

    mal atterre. Il a compassion des malades

    et des captifs, des supplicis et des filles.

    Il ne rit pas cruellement de la potence ni

    de l'hpital. Il rclame, au nom de Dieu,

    qu'on pense un peu lui. Il a piti de

    soi, sans vanit et sans complaisance :

    ce regard pour soi-mme est ce qu'on peut

    concevoir de plus juste et de plus vrai :soi, le pauvre que Von connat le mieux.

    Et, au bout du compte, dans cette mort

    o il est dj jusqu'au cou, criant toutesgens merci, il implore une douce pense,

    et c'est le repos perptuel qu'il demande.

    Mais certes tous les amants de la vie,

    tous ceux qui savent ce qu'il en cote de

    vivre sans compter, qui ont vers des

    80

  • FRANOIS VILLON

    trsors dans une heure, et de tout leur

    bonheur nourri les avides instants d'une

    chre folie, ceux-l diront toujours plusd'un verset et plus d'un psaume pour l'me

    du pauvre petit colier, qui fut nommFranois Villon.

    Villon. - 5.

  • LE POVRE VILLON

    Au Charnier des Innocents,Dans Tternel tourbillon

    O roule toute la terre,O tout s'en va pourrissant,Feuilles et fruits, fils et mre,Tu dors, pauvre Villon :C'est toi le plus innocent.

    Les chats fourrs glapissant,

    Sorbonne, ce corbillon

    D'nes et d'oies tant altires.Les sots mtrs, ni les cent

    Vertus, ni les cent vipres

    Ne te feront plus misre :

    C'est toi le plus innocent,

    83

  • portraits

    Tous ceux qui furent paissant

    Un quignon de vie amre

    Dans les pleurs et la misre

    Le cul nu, en guenillons,

    Te chantent avec ta mre :

    Dors bien, mon pauvre Villon,

    C'est toi le plus innocent.

    Plus gras et plus pourrissant

    Dans leurs hautains pavillons,

    Les rois sont au cimetire ;

    Leur chair pue et leur chef sent.

    Bonne nuit et bonne terre,

    Dors bien, mon pauvre Villon :

    C'est toi le plus innocent.

    Princes de l'or et du sang,

    Ici, au commun sillon,

    Vos Louvres n'ont plus de pierres;

    Le moindre est le plus puissant :

    Plus que vous, il dure en terre!

    Dors bien, pauvre Villon :

    C'est toi le plus innocent.

    igi2

  • VILLON ET SON PEINTRE

  • VILLON ET SON PEINTRE

    i

    Il est Paris un artiste, qui grandit peu peu en force et en clart, plein de patience

    et de rflexion, scrupuleux au travail, et s'il

    ne lest dj, qui sera de l'ordre le plus lev.Les premires uvres du graveur BernardNaudin (i) m'avaient beaucoup tonn etbeaucoup retenu. Qu'on se figure un hommede Paris, en 1905, qui semble ne vivre que

    dans l'ombre de Rembrandt. Sans lui treparent le moins du monde, ni de la mmefamille, il T imitait ou le rencontrait jusqu'faire sourire, obsd par le noir et blanc dugrand visionnaire, comme on a vu tant demusiciens dans l'envotement de Wagner.Pourtant, j'avais confiance en ce disciple;

    je le sentais vivant par soi-mme, et homme

    (1) Les dessins de Bernard Naudin, au Muse des ArtsDcoratifs, Pavillon de Marsan.

    89

  • portraits

    de foi. Bernard Naudin gardait une saveurpropre, jusque dans l'imitation la plus directe.Ses figures de femmes et d'enfants taientbien lui, et toujours d'ici. Je discernais uneme incisive, qui peut bien avoir des rencon-tres avec l'immense amour de Rembrandt,mais qui n'a certes pas le mme fond ni lamme origine. Et d'abord, moins de passionque d'esprit.

    Naudin n'est pas tragique la Shakspere.Il l'est la franaise. Il porte la prcision de

    l'analyse dans tous les sentiments, et mmedans le macabre. Son sourire est la plus rare

    des lgances ; et l'lgance ne lui manquejamais : elle est sa marque. Je la compare ces mots de dlicieux ddain, que les mar-

    quises avaient pour la guillotine, comme on

    allait leur couper le cou.

    Partout ce trait d'un il aigu, ce regard qui

    pntre, ce don des caractres; et dans laviolence ou l'horreur mme, cette exquiselgance qui est le parfum de tous nos raffi-nements.

    Il va de soi qu'il aime la musique, et sansdoute il est musicien. Cependant, sa dvotion

    90

  • VILLON ET SON PEINTRE

    Beethoven Ta mal servi. C'est la moindrepartie de son uvre, la seule o il enlle lavoix, o il dclame. Ailleurs, on lui sent lafoi. autant ou peut-tre plus qu'il ne l'a; ici,

    o il est si fidle, il parait moins croire ce qu'il aime, que proccup de l'tude.Dcidment, il faut laisser Beethoven tran-quille. N'est-il pas bien temps qu'on en donnele conseil aux peintres et aux statuaires?

    Beethoven prte trop l'anecdote, et l'lo-

    quence, cette anecdote de l'Apocalypse. Il

    n'est pas plastique. On veut faire un lion :et l'on n'a qu'un vieux chat malade. Certain

    sublime intrieur, qui ne s'accorde aucune-

    ment avec la taille et les allures de l'homme,

    mne droit la caricature; et le hros estpeint aux couleurs de sa propre parodie. Non,

    ce matou aux sourcils ternellement froncs,

    qui crache sans fin une arte qu'il ne peut

    digrer, ces joues maigres, ce front qui n'estpas un front, mais une coupole de lauriers,non, je ne reconnais pas le roi solitaire et

    familier de la musique au dsert. Ce n'est pasle matre des Quatuors dans sa chambre, maisle fauve bouriff des chefs d'orchestre alle-

    mands ; car il n'en est pas un qui ne se fasse

    9i

  • portraits

    longuement, comme un comdien au miroir,la tte chevele de Beethoven et ses yeux en

    fatales cavernes. Mais je ris de l'antre; et sije dis : Bien rugi ! c'est Bottom.

    Avec Naudin comme avec Watteau, lagrce de Paris est bien athnienne.

    Dans la rue et dans les salons, la guerre

    et dans les mansardes, jusque sur les litsd'hpital, Bernard Naudin ferait prendregot ses personnages, ft-ce l'horreur des

    plus hideux, et mme la btise des nigauds,s'il en tait dans son uvre. Mais y trouvt-ondes mchants, on n'y verrait pas de sots. Legot qu'on prend chez Naudin ce qui nousdgote dans un autre, est le got spirituelqu'il met partout : il n'y a point de forme,

    si malheureuse qu'elle soit, o il ne glissequelque trait de sa propre finesse et de son

    lgance. Voil ce qu'il ajoute Goya, dansce beau dessin de la Musique Espagnole,comme si la marchale, et l'ambre de Watteau

    tempraient l'odeur puissante de la tubreuse.L, d'ailleurs, est la faiblesse de Naudin :il n'est gure peintre, jusqu'ici. Chez lui, il ya beaucoup plus d'intelligence que d'instinct.

    92

  • VILLON ET SON PEINTRE

    Son got n'est pas simple : mais il est

    exquis. Jamais son tact ne Le trompe. Il touche

    de l'ongle ce qu'il faut peine efleurer ; et il

    a une hache pour ce qu'il faut frapper avec la

    hache. Cependant, sa hache est aussi d'une

    forme lgante. Elle est d'acier fin autant que

    tranchant. Elle est monte avec grce. Naudinest toujours moins brutal que cruel. Sescoquins, ses gueux, ses pires loqueteux, fils

    du ruisseau et fiancs de la Veuve, ont encore

    une espce de charme. La plume de Naudindbrouille un grand mystre : Jusque dansl'infamie et l'extrme misre des individus,

    c'est la race qui reste lgante.

    Enfin, Naudin a trouv son sujet, que Rem-brandt n'et jamais choisi. Il a dessin, sur letexte de Villon, une centaine le planches,

    pleines de sens et d'esprit, presque toutes

    dans la forme la plus libre, et quelques-unesadmirables, (i)

    (i) Ce livre .sera l'un de* beaux qu'on ail publies depuisdeux cents ans. Je ne ferai qu'un reproche aux caractres,dessins par Bernard Naudin lui-mme l\> sont d'ailleursmagnifiques et rappellent l'admirable romain de NicolasJanson. Mais la boucle de l'E final drange l'harmonie deslignes, sans que cette fioriture ajoute rien a la beaut dutexte.

    93

  • portraits

    Il a compris l'immense porte de Villon. Ila

    pntr bien avant dans l'homme et le pome.

    Il les a tant aims, qu'il a pu les revivre.

    Il n'a pas t seulement celui qui commente ;

    mais un tmoin, le compagnon de route quia

    vu de ses yeux, et qui se souvient. Il acouch

    prs de Villon, en prison et dans les meules.

    Il l'a suivi dans les galetas. Il a connule

    visage de l'homme seul, quand il rve ou

    rflchit, et quand il dort. Quelles belles

    images Bernard Naudin pourrait nous donner,

    prsent, de Verlaine.

    Il a vraiment cr un type de Villon, qu'on

    ne peut plus oublier, et qu'on nesparera

    plus du pote. Or, c'est beaucoup dire. Villon

    n'est pas ce qu'on croit. Il ne s'agitpas d'un

    pote plus ou moins grand. Qu'il en soit

    l'bauche imparfaite ou l'essai accompli,Villon

    est, en France, le pote.

    Ici, tous les personnages et toutes lesscnes

    sont nourris de vrit et riches deposie.

    Naudin se garde avec soin de la couleur

    locale; et il a trop de got pour se mettreen

    peine de l'histoire. Il demande son imagina-

    tion la ralit vivante, qui n'est pasdans les

    94

  • VILLON ET SON PEINTRE

    documents. Il imagine ses hommes du quin-zime sicle; et si l'on veut, il les invente;mais ils en sont bien, nos yeux, tant tout cequ'ils doivent tre. On n'a que faire, en art.d'une recherche exacte. Le Thtre en est lapreuve : les gens n'y sont pas habills, mais

    en costume; et ce qui n'est pas tableau, tou-

    jours est dcor. La couleur locale est la mas-carade.

    Bernard Naudin fuit cet art de carnaval.Son accent est d'une motion et d'une certi-tude rares. C'est le certain qui nous dgotede l'exact. La savante exactitude n'est faite

    que d'oripeaux. Que nous importe la perfec-tion d'un costume, venu de Lahore ou deByzance, aprs un voyage de mille ans, s'il

    faut le voir sur le dos d'une fillette, ne d'hier, Montmartre ? L'artiste trouve en lui, d'abord,

    autour de lui, ensuite, toute la ralit nces-

    saire. Le got fait l'harmonie entre ce qu'il

    observe et ce qu'il imagine.

    La charmante lgance de Naudin et saforce incisive suffisent bien aux figures qu'il

    dessine. Si ses gueux sont des hros, ils ne le

    doivent qu' lui. La verdeur de son sentiment

    justifie la posie de ses misrables. Et voil

    95

  • portraits

    donc, au milieu de cette cour, comme un roi

    qui chante, Villon, le pote proscrit.

    Bernard Naudin est un homme qui mditeet qui ne se contente pas du premiercoup.

    L'art des sacrifices n'a pas de secrets pour

    lui. Il en sait la valeur; il en pratique les ver-

    tus. Dans la planche des gibets, un seul de ses

    trois pendus, celui du milieu, est un vrai mort la hart, dans toute l'horreur ricanante de la

    pendaison : la langue hors, avec la vie; et la

    pourriture proche, qui commence errer de la

    tte aux pieds. L'autre mauvais garon n'estvu que de dos; ainsi est sauve la face. On ladevine. Enfin, le dernier est peine indiqu

    dans ses grandes lignes roides et funbres.

    Combien la hideur de la mort et l'atrocit dusupplice ne gagnent-elles pas cette excep-

    tion? Elles sont dix fois accrues d'tre runies

    sur une seule tte: et l'unique misrable qui

    l'exhale, fait sentir la puanteur du cadavrebeaucoup plus que pour trois.Et par l, ce Calvaire infme voque mieux

    le souvenir de l'autre. Les larrons de Mont-

    faucon font paratre plus poignante la misre

    96

  • VILLON ET SON PEINTRE

    de l'homme entre deux. Et ils l'exaltent. Lapotence est plus haute ; et n'a-t-elle pas des

    bras ? Surgit alors la mmoire divine et lesublime exemple. Ainsi l'homme, criminel ou

    non, gibier de cachot mis et dress en la hart,

    ou roi couch sur son lit de parade, l'hommeest bien ce qu'il est, pourrissant entre deuxmorts obscurs : toujours dans la mort, et lagrande victime qui les figure toutes : toujoursl'hostie qui a besoin du salut; mme si elle leporte, et qui appelle la rdemption pour toutce qui trempe, comme elle, dans le plein vase

    de la nuit.

    II

    Dans son portrait par lui-mme, Naudin ale visage creux et us avant le temps, des

    yeux mordants et caressants, le cheveu rare,

    une grande bouche spirituelle, le tront rveur :

    une tte de prtre, qui a beaucoup regarde' la

    misre des humains, qui l'a sans doute prou-

    ve et beaucoup confesse, sans dire si elle L'asecourue. Il a donn de ses traits Villon; et

  • portraits

    bien que Villon se soit dcrit petit homme etmenu, Naudin l'a voulu faire de haute taille.On en devine les raisons, et il en tire un sijuste parti qu'on les approuve. Plus grand,Villon en est plus dangereux et plus hardi.

    Plus maigre aussi, il parat plus cynique. Ses

    longues jambes fauchent mieux l'espace. Ildoit avoir le coup de pied plus vif et plus

    tendu dans les rondes bedaines et les usagesbien assis. Il lui va, cet air de puissante sau-

    terelle, qui bondit par-dessus les lois et les

    ides reues, jusqu' ce qu'on la cloue lamuraille, et qu'on l'empale quelque bonprocs, bien en rgle et bien aigu.

    III

    La raillerie de Villon, telle que BernardNaudin l'a conue, est trempe de tristesse.Elle est parfois terrible, comme un regard

    rieur dans une atroce souffrance. Cette gathante trop les charniers, les cours de justice,

    les cachots, les magistratures fourres d'her-

    98

  • VILLON ET SON PEINTRE

    mine et d'hypocrisie, pour n"tre pas amre.Toutes les chambres de la question lui sontfamilires, qui sont les logis changeants de la

    vie pour les pauvres, les criminels, les

    malades et tous ceux qui souffrent. Or, si un

    homme a conscience, il est toujours un malade,et toujours la question. Il soutire; et quesert de dire qu'il souffre par sa faute?

    Villon le fait sentir dans son rire hardi,

    cruel pote. Dante, au Purgatoire, traverse

    cette rgion souveraine de la vraie posie.

    Mais il est trop pur; et les reproches deBatrice, sa grande me questionnante, peu-vent bien lui arracher des larmes, et le faire

    rougir : ils ne le mettent pas la torture. Ses

    pchs ne l'engagent au purgatoire, que dans

    la contre la plus voisine du paradis. Ses plusgrandes fautes sont encore nobles. Ses vices,

    sa colre, son pre soif de justice, son mealtre de vengeance, tout part chez lui d'une

    grandeur naturelle et de la puret premire.

    Et toutes ses faiblesses plongent dans le plus

    dur orgueil.

    Villon est assez souill pour connatre les

    lieux de la contrition. Il ne se repent peut-tre

    pas; mais il sait, il pse toutes les raisons qu'il

    99

    *Ty\; ( lit*]

    Ti

  • portraits

    aurait de s'enfermer dans les remords, s'iln'tait, pour sa peine dernire, au-dessus durepentir, le sachant aussi vain que le pchest ncessaire.

    La tristesse de Villon est un monde nou-veau. Elle s'est forme lentement dans laBible, et dans les chants de l'glise. Villon

    embrasse la cruelle ncessit de vivre et d'trece qu'on est : d'tre impur, d'tre infme, d'en

    jouir avidement et d'en souffrir. Plus il raille,plus il est amer; mais il se moque aussi deson amertume. Bernard Naudin l'a bien vurire son propre enterrement : il rit de lui, il

    rit de vous; il rit de ce qu'il n'a pas et de ce

    qu'il vous laisse ; il rit de sa misre et des legs

    qu'il vous en fait; et dans la mort o le voici,il rit de la vie, comme il a ri de tout, ayant t

    si constamment dans la mort, pendant le

    temps qu'il a vcu.

    A tout reproche, Villon rpond par la souf-france. Bien plus, il nous fait rpondre pourlui. S'il pleure sur lui-mme, et s'il crie

    l'aide, il ne vante pas ses larmes. Il s'en rirait

    plutt; la barbe des bourreaux, pour ache-

    ver d'tre libre, sa souffrance se raille en les

    raillant. Il a fallu quatre sicles, pour qu'on

    ioo

  • VILLON ET SON PEINTRE

    allt plus loin dans l'motion et la connais-sance de soi. Telle est l'tonnante nouveautde Villon et sa prise originale sur nous : il a

    le gnie de la douloureuse conscience. Nonseulement Yorick. Villon, c'est le Bon Larron

    Paris. Et tel il fut, selon moi, tel il est pr-

    sent dans les images de Bernard Naudin, npour le povre Villon et pour nous le rendre.

    Dcembre 1912.

    Villon. a.

  • TABLE DE CE CAHIER

  • TABLE DE CE CAHIER

    PAGM

    QUELQUES UVRES DE SUARES 5Franois Villon 9Je ris en pleurs 11

    I. Bonnes gens, qui Virez sans doute voirpendre Montfaucon i3

    A quelques jours prs, et peut-tre le jourmme 19

    II. DE LA POSIE 33Le sincre Villon. Si vrai mme, que per-sonne ne le fut jamais comme lui 3i

    III. DE LA LUXURE 35

    Plus noir que mre, plus maigre que chi-mre 42

    De l'argent! de l'argent! il lui faut del'argent 45

    IV. Une tristesse qui va bien loin 47V. Comme il a bien plus d'esprit 4$VI. Je ne vois rien, dans Villon 5o

    VII. Docte et non peuple 52

    io5

  • cinquime cahier de la quinzime srie

    VIII. Amour 54IX. Villon, dans la crapule, ou la

    cour d'Orlans 55

    X. Comme il aime son cher Paris! . . 5?XI. Merle plus que rossignol 58

    XII. Il donnait rougir de lui 59XIII. Comme Verlaine s'en va faire

    retraite 60

    XIV. Pense-t-on que Villon 63

    XV. Ses amis allant et venant 64XVI. On le fait ou trop pervers, ou trop

    puril 67

    XVII. Villon sait bien sa mauvaise vie... 71

    XVIII. Uneprofonde connaissance de la vie j3L'erreur emporte les hommes et l 75// croit donc son malheur, plus qu' son

    indignit 77XIX. O aller enfin, travers ce char-

    nier ? 78

    LE POVRE VILLON 83

    Villon et son peintre 87

    I. Il est Paris un artiste 89

    II. Dans son portrait par lui-mme 97III. La raillerie de Villon, telle que Ber-nard Naudin l'a conue 98

    TABLE DE CE CAHIER io3

  • Nous avons donn le bon tirer aprs correc-

    tions pour deux mille exemplaires de ce cinquime

    cahier et pour quarante exemplaires sur whatman

    le mardi 20 janvier 191$-

    Le grant : Charles Pguy

    Ce cahier a t compos et tir par des ouvrierssyndiqus

    J. Crkmieu, imprimeur, i3 et i5, rue Pierre-Dupont,Suresnes - 8:S3

    T5;; ' :

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  • 14 K 7740

  • La Bibliothqueriversit d'Ottawa

    Echance

    The LibraryUniversity of Ottawa

    Date Due

  • CE AP 0020.C15 V015/5 19L4

    SUARESi ANDKACC# I00bt>13

    FRANOIS \

  • COLL ROW MODULE SHELF BOX POS C333 02 01 10 09 04 1