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Une chandelle dans les ténèbres _________________________________ N° 44 Frédéric LEQUÈVRE L’ordinateur d’Archimède 1. La machine d’Anticythère ___________ Éditions book-e-book

Frédéric LEQUÈVRE - Furet

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Page 1: Frédéric LEQUÈVRE - Furet

Une chandel le dans les ténèbres _________________________________

N° 44

Frédéric LEQUÈVRE

L’ordinateur d’Archimède 1. La machine d’Anticythère

___________

Édit ions book- e -book

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UNE CHANDELLE DANS LES TÉNÈBRES

Collection dirigée par Henri Broch

Du même auteur

Astrologie : science, art ou imposture ?L'Horizon Chimérique, collection zététique, 1991

disponible chez Book-e-Book.com

«L'astrologie» in Guide critique de l'extraordinaireOuvrage collectif sous la direction de Renaud Marhic

Les Arts Libéraux, 2002

Dans la collection «Une chandelle dans les ténèbres» :

Horoskopos, Les bases techniques de l’astrologie Book-e-Book, N° 18, 2012

Le projet Gamma, Une immersion en territoire astrologiqueAvec Raymond Sadin

Book-e-Book, N° 33, 2015

Le béret d’Einstein, Dérives et récupérations de la cosmologieBook-e-Book, N° 35, 2015

Galaxies à Lascaux, Les merveilles de l’archéoastronomieBook-e-Book, N° 38, 2015

L’ordinateur d’Archimède, 2. Anticythère ou le naufrage d’un mytheBook-e-Book, N° 45, 2017

© book-e-book Octobre 2017

ISBN : 978-2-37246-035-4

Éditions book-e-book - BP 80117 - 06902 Sophia Antipolis Cedex

[email protected] www.book-e-book.com

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Table des Matières

Introduction : le cosmos en miniature 5 .........................................................

Un instrument «de bureau»... 13 .....................................................................

Imiter le mouvement de la Lune 23 .................................................................

Calculer ou illustrer ? 33 ..................................................................................

Une miniaturisation qui soulève des questions 35 .........................................

Les phases de la Lune 37 .................................................................................

Prédire les éclipses 39 ......................................................................................

L'astronomie de l'époque dans une boîte ? 47 ................................................

Planètes à Anticythère 51 ...............................................................................

A l’envers du décor 55 ......................................................................................

Conclusion et perspectives 57.........................................................................

____

Je tiens à remercier chaleureusement le professeur Henri Broch, directeur de la collec-tion, Nicole et Paul Lebrun, des éditions Book-e-book, pour l’aide apportée lors de la préparation de ces « chandelles », ainsi que pour la confiance qu’ils m’ont accordée.

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Introduction : le cosmos en miniature

«Quant à la Terre, notre nourrice, elle se tient en roulement sur l'essieu qui traverse l'Univers ; elle est, par ce mécanisme,

la gardienne et l'ouvrière de la nuit et du jour ; c'est la première et la plus ancienne de toutes les divinités qui

sont nées à l'intérieur du ciel. Or, décrire les chœurs dansés par ces planètes, leurs approches l'une vers l'autre, les

régressions et les avances de leurs cercles sur eux-mêmes ; dire, dans leurs conjonctions, lesquelles de ces Divinités

se mettent les unes devant les autres et combien sont à l'oppo-site ; montrer lesquelles se font l'une à l'autre écran, et au bout de quels temps chacune se cache à nos yeux pour de

nouveau reparaître, jetant ainsi l'effroi et, sur les suites de ces événements, apportant des présages aux gens qui ne sont point

capables de les soumettre au calcul, voilà ce qu'on ne saurait faire sans mettre sous les yeux une représentation

mécanique de ces mouvements : ce serait un labeur vain !»

Le philosophe Joseph Moreau, auteur de la belle traduction du Timée dans la bibliothèque de la Pléiade, ajoutait dans ses notes : «Voici l'attestation que les contemporains de Platon connaissaient l'usage de planétaires, de modèles mécaniques du Ciel, pour leurs démonstrations astronomiques».

Si peu de choses nous sont parvenues de l'Antiquité qui pour-raient attester de la mise en œuvre du programme philosophique de Platon (vers 427–347 avant notre ère), nous avons au moins l'assurance de sa réalisation à une époque plus tardive : les hor-loges astronomiques construites dès le XIème siècle sous la dy-nastie Song en Chine, puis à partir du XIVème en Europe, ainsi

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que les nombreux planétaires et autres telluriums, objets des cabinets de curiosités, ancêtres des planétariums dont le premier exemplaire fut construit en 1923 par une réputée société d'op-tique allemande !

Lorsque Derek John de Solla Price, dans les décennies 1950 à 1970, étudie le mécanisme d'Anticythère, un mystérieux objet découvert en Grèce au tout début de XXème siècle, il l'attribue à cette tradition d'horloges et de planétaires – il emploie égale-ment le terme de calculateur – et le situe à l'extrémité la plus lointaine de cette filiation, dans l'Antiquité.

Reprenant dans les années 2000 les travaux de Price, le groupe Antikythera Mechanism Research Project (AMRP), une équipe 1

de chercheurs réunie par un projet de reportage, enfin doté de la technique lui permettant de scanner les entrailles intouchables de la machine, publie les premiers résultats de nature à élucider le fonctionnement de ses célèbres engrenages.

Un scénario s'écrit désormais. Tout aurait commencé avec l'as-tronomie babylonienne, arithmétique par excellence, et la géo-métrie grecque, toutes deux hybridées et embarquées dans le mécanisme. Cette merveilleuse technologie, perdue pendant des siècles aux yeux de l'Occident, aurait été transmise à l'Orient. Le trône cosmologique de Chosroès II, souvent décrit dans les textes persans et byzantins, où l'on voyait «les douze signes du zodiaque […] et la Lune brillante dans les constellations qu'elle traversait. […] Mars, Saturne, Jupiter, et le Soleil, Vénus, Mer-cure et la Lune y tournaient.» , le calendrier d'Al Biruni et ses 2

engrenages, nous rappellent que ce savoir aurait transité à l'Est avant d'être réintégré par les horlogers européens.

http://antikythera-mechanism.gr/project/team1

Stierlin 1991, p. 1402

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Demeure une énigme non résolue : la délicate réalisation du mécanisme d'Anticythère, empilement de feuilles de métal dont l'épaisseur est de l'ordre du millimètre, finement dentelées et reliées entre elles par des axes concentriques précisément ajus-tés – comme la petite et la grande aiguille de nos horloges – sans parler de la découpe de ses cadrans spiralés. C'est peu dire que l'attribution à l'Antiquité grecque de cette merveille, un cas unique, remet en cause tout ce que nous savons sur l'état de la technologie à cette époque.

Épineux problème de la datation : Derek Price se fondait sur des considérations astronomiques pour avancer une date autour de 80 avant notre ère, compatible avec le naufrage du bateau ro-main d'où un trésor archéologique avait été remonté en 1901. Ce sont à nouveau des considérations astronomiques qui font reculer la date de l’artefact vers -200, plus proche de la vie du célèbre Archimède, dont on serait en bon droit de supposer qu'il en fût l’inspirateur…

Ce qui va suivre est le résultat d'une investigation, à la fois journalistique et scientifique, qui réunit des informations éparses noyées dans le bruit médiatique, d'autres rarement dif-fusées, et tente d'en apporter de nouvelles. En cherchant à se dégager des passions propres aux attentes créées par un tel su-jet, deux livrets distincts répondront à deux types d'interroga-tions relativement indépendantes.

Quels sont les principes mécaniques à l’œuvre dans la machine ? Sont-ils en rapport, proche ou lointain, avec les ordi-nateurs ? Quelles sont les connaissances astronomiques embar-quées ? Que pouvait réellement calculer le mécanisme, et avec quelle précision ? Était-il un objet utilitaire, pouvant par exemple aider à naviguer grâce à la Lune et aux étoiles ? Ces questions sont abordées dans le présent livret.

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Dans quelle mesure l'astronomie, le style de fabrication, et les inscriptions portées sur la machine peuvent-elles nous aider à proposer une datation fiable ? Que dit généralement l'archéolo-gie scientifique en présence de cas semblables ? Peut-on prou-ver que les ingénieurs de la période hellénistique ont effective-ment réalisé ce prodige ? Des réponses sont apportées dans un second livret, qui accompagne celui-ci.

Figure 1 : Le fragment principal, noté A, du mécanisme d’Anticythère.

Χ 15087 «Fragments en bronze du mécanisme d'Anticythère. Ier siècle avant notre ère.

Fragments d’un instrument mécanique complexe avec engrenages en bronze intégrés dans un boîtier en bois et recouvert d’inscriptions. Fabriqué par un

mathématicien, astronome, et mécanicien de génie au cours du 1er siècle av. notre ère, il restera sans équivalent durant un millénaire. Selon les conclusions du groupe «Projet de recherche sur le mécanisme d'Anticythère», le mécanisme

reproduit précisément le mouvement de la Lune à travers le ciel et ses phases au cours d’une lunaison, prédit les éclipses, compte le temps et calcule un calendrier

fondé sur des échelles circulaires ou en spirale. Il aurait pu servir pour l’observation astronomique et l’enseignement. Par ailleurs, il aurait pu faciliter la

cartographie et la navigation, car il calculait la latitude (et probablement la longitude).»3

Site du musée national archéologique d'Athènes, consulté en juin 2016, traduction 3

de l'auteur.

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Figure 2 : Le mécanisme qui apparaît lors de l’analyse de l’intérieur du fragment A ressemble étonnamment, pour un objet daté de 100 à 200 ans avant notre ère, à ceux construits par les artisans horlogers presque deux

millénaires plus tard. Voir par exemple cette horloge astronomique exposée au British Museum : http://www.britishmuseum.org/research/collection_online/

collection_object_details/collection_image_gallery.aspx?partid=1&assetid=311424001&objectid=55456

Cette «avance technologique» présumée est analysée plus en détail dans le second livret. Ces deux images sont extraites d’une séquence vidéo obtenue après calcul d’un modèle 3D du fragment A par la méthode de tomodensito-

métrie (Voir la note de bas de page 11). Vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=6Wp3wL8g2Eg

Figures 1 et 2 : http://www.antikythera-mechanism.gr

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Figure 3 : Schéma du mécanisme d'Anticythère. Voir l’annexe 3 (page 65), à la fin de ce livret, pour une description complète des trains d'engrenages.

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Avec ses rouages, ses cadrans, ses curseurs et ses inscriptions astronomiques gravées dans le cuivre, la machine d'Anticythère a tout pour enflammer curiosité et imagination. Plus d'un siècle après sa découverte en 1902, c'est en appliquant une nouvelle technique d'imagerie aux quatre-vingt-deux débris retrouvés 4

dans le musée archéologique d'Athènes, que les entrailles de la machine ont pu être autopsiées, sans être davantage endomma-gées. Et c'est en confrontant les hypothèses sur les nombres de dents des engrenages (dont certains sont fragmentaires) avec certains cycles astronomiques, que les principales fonctions de la machine ont pu être enfin comprises.

Généralement présentée comme «extrêmement complexe», était-elle un calculateur mécanique actionné par une main ex-perte, ou même… le «premier ordinateur de l’humanité» ?

La tomodensitométrie, en anglais computed tomography (CT), permet de recons4 -truire par le calcul un modèle 3D de l’intérieur d’un corps et, partant, d’en effectuer des coupes (tomos en grec). Elle consiste à faire tourner le corps à étudier dans diffé-rentes positions, entre une source de rayonnement (en général des rayons X) et un capteur relié à un système d’acquisition numérique.

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