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Science et Esprit, XL VI/1 (1994) 55-81 LE CHRIST, ΤΕΛΟΣ DE LA LOI (Rm 10,4), UNE LECTURE EN TERMES DE CONTINUITÉ ET DE DISCONTINUITÉ, DANS LE CADRE DU PARADIGME PAULINIEN DE L'ÉLECTION Alain GiGNAC 0. PROBLÉMATIQUE En Rm 10,4, on trouve une affirmation christologique d'importance: Τέλος γαρ νόμου Χριστός εις δικαιοσύνην παντί τφ πιστεύον- τι. 1 Or, selon le sens donné au mot τέλος (accomplissement, but ou terme), ce verset reçoit des interprétations contradictoires 2 , qui oscil- lent entre deux pôles extrêmes: soit la mise en valeur d'une complé- mentarité entre Christ et Loi, soit la mise en relief d'une opposition 1 «Car [le] télos de la Loi, [c'est] christ en vue de la justice pour tout [humain] qui-a-foi » Il s'agit d'un des rares énoncés pauliniens mettant directement en présence Loi et Christ L'impact d'une telle affirmation n'est pas non plus négligeable, en ce qui concerne l'élaboration d'une théologie du judaïsme, qui tenterait de définir le rapport qu'entretient le christianisme avec le judaïsme Selon l'interprétation qu'on donnera à Rm 10,4, on pourra élaborer une théologie de la substitution (l'Église remplace Israel), une théologie de l'accomplissement (l'Église assume, englobe et récupère l'héritage d'Israel, en le menant à son achèvement), ou une théologie de la complémentarité (l'Église et Israel sont des vis-à-vis qui trouvent leur identité l'un par rapport à l'autre) Néanmoins, il va sans dire qu'on ne peut fonder une théologie du judaïsme en s'ap- puyant sur saint Paul uniquement, ni réduire la pensée pauhnienne à un seul texte, aussi crucial soit-il 2 Pour l'état de la question détaillé, nous renvoyons aux synthèses de R BADENAS, Christ, the End of the Law, Sheffield JSOT Press, 1985, pp 3 27-37 153-158 194-196, et D Moo, «Paul and the Law in the Last Ten Years», ScoJTh 40 (1987), pp 302-304 Bien que l'étude de Badenas soit beaucoup plus exhaustive, il nous semble que la typologie de Moo est plus précise et plus simple II s'avère finalement difficile de classer avec précision les exégètes dans l'une ou l'autre catégorie —Les notes suivantes sont le résumé de ces deux états de la question — Depuis lors, outre l'immense bibliographie entourant le thème de la Loi chez Paul, les articles suivants sont parus sur notre sujet spécifique W C LINSS, «Exegesis of 'telos' in Romans 10 4», BRes 33 (1988), pp 5-12, J D G DUNN, «'Righteousness from Law' and 'Righteousness from Faith' Paul's Interpretation of Scripture in Romans 10 1-10», dans G F HAWTHORNE, O Betz, dir Tradition and Interpretation in the New Testament Essays in Honor of E E Ellis Grand Rapids Eerdmans, 1988, pp 216-228

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Science et Esprit, XL VI/1 (1994) 55-81

LE CHRIST, ΤΕΛΟΣ DE LA LOI (Rm 10,4), UNE LECTURE EN TERMES

DE CONTINUITÉ ET DE DISCONTINUITÉ, DANS LE CADRE DU PARADIGME

PAULINIEN DE L'ÉLECTION

A l a i n GiGNAC

0. PROBLÉMATIQUE

En Rm 10,4, on trouve une affirmation christologique d'importance: Τέλος γαρ νόμου Χριστός εις δικαιοσύνην παντί τ φ πιστεύον-τι.1 Or, selon le sens donné au mot τέλος (accomplissement, but ou terme), ce verset reçoit des interprétations contradictoires2, qui oscil­lent entre deux pôles extrêmes: soit la mise en valeur d'une complé­mentarité entre Christ et Loi, soit la mise en relief d'une opposition

1 «Car [le] télos de la Loi, [c'est] christ en vue de la justice pour tout [humain] qui-a-foi » Il s'agit d'un des rares énoncés pauliniens mettant directement en présence Loi et Christ L'impact d'une telle affirmation n'est pas non plus négligeable, en ce qui concerne l'élaboration d'une théologie du judaïsme, qui tenterait de définir le rapport qu'entretient le christianisme avec le judaïsme Selon l'interprétation qu'on donnera à Rm 10,4, on pourra élaborer une théologie de la substitution (l'Église remplace Israel), une théologie de l'accomplissement (l'Église assume, englobe et récupère l'héritage d'Israel, en le menant à son achèvement), ou une théologie de la complémentarité (l'Église et Israel sont des vis-à-vis qui trouvent leur identité l'un par rapport à l'autre) Néanmoins, il va sans dire qu'on ne peut fonder une théologie du judaïsme en s'ap-puyant sur saint Paul uniquement, ni réduire la pensée pauhnienne à un seul texte, aussi crucial soit-il

2 Pour l'état de la question détaillé, nous renvoyons aux synthèses de R BADENAS, Christ, the End of the Law, Sheffield JSOT Press, 1985, pp 3 27-37 153-158 194-196, et D Moo, «Paul and the Law in the Last Ten Years», ScoJTh 40 (1987), pp 302-304 Bien que l'étude de Badenas soit beaucoup plus exhaustive, il nous semble que la typologie de Moo est plus précise et plus simple II s'avère finalement difficile de classer avec précision les exégètes dans l'une ou l'autre catégorie —Les notes suivantes sont le résumé de ces deux états de la question — Depuis lors, outre l'immense bibliographie entourant le thème de la Loi chez Paul, les articles suivants sont parus sur notre sujet spécifique W C LINSS, «Exegesis of 'telos' in Romans 10 4», BRes 33 (1988), pp 5-12, J D G DUNN, «'Righteousness from Law' and 'Righteousness from Faith' Paul's Interpretation of Scripture in Romans 10 1-10», dans G F HAWTHORNE, O Betz, dir Tradition and Interpretation in the New Testament Essays in Honor of E E Ellis Grand Rapids Eerdmans, 1988, pp 216-228

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antithétique entre Christ et Loi. Deux commentateurs protestants incontournables sont particulièrement représentatifs de cette polari­sation: Cranfield3 défend la première interprétation (teleologie), et Kásemann4, la seconde (abolition). Entre ces deux positions difficile­ment conciliables se rencontrent diverses nuances qui cherchent, pourtant, à concilier les deux pôles, en jouant sur le registre accom­plissement 5 ou en postulant la pluralité sémantique du mot τέλος6. Cette dernière tendance est plus clairement marquée du côté catholique.

Chacune des deux lectures est solidement étoffée et aligne sa liste d'arguments, mais comporte aussi ses lacunes: aucune n'a réussi à s'imposer. Nous sommes donc en présence de solutions imparfaites qui appellent d'autres tentatives. L'objet de cet article est justement de proposer une solution qui dépasse l'exclusivisme établi par la polarité but/terme (et sa variante accomplissement). Au delà des concepts ac­complissement, but, terme, le rapport Christ-Loi est à comprendre, en

3 C Ε Β CRANFIELD, A Critical and Exegetical Commentary on the Epistle to the Romans Edinburgh Clark, 1975, 1979 2 vol (ICC), pp 515-519, idem, «Romans 9 30-10 4», Int 34 (1980), pp 70-74 À titre indicatif, notons que le sens téléologique est aussi privilégié, entre autres, par TOEWS (1977), CAMPBELL (1978), FULLER (1980), P W MEYER (1980), RHYNE (1985), BADENAS (1985), J A SANDERS (1975) {cf R BADENAS, op cit ) Selon cette interprétation, le Christ est la visée de la Loi, ou, réciproquement, la Loi pointe vers le Christ entre les deux existe une corrélation

4 E KASEMANN, An die Romer Mohr Tubingen, 1973 (Handbuch zum Neuen Testament, 8a ), pp 267-271, publié en anglais sous le titre Commentary on Romans / tr par G W Bromiley Grand Rapids Eerdmans, London SCM Press, 1980 À titre indicatif, notons que le sens terminal est aussi privilégié, entre autres, par LAGRANGE (1931), DOOD (1954), MICHEL (1955), BULTMANN (1955), DAVIES (1955), SANDAY-HEA DLAM (1958), EBELING (1963), CONZELMANN (1969), Luz 1968), ALTHAUS (1979), GETTY (1975), MUSSNER (1977), SANDERS (?) (1977), NYGREN (1980), LINDEMANN (1982), Β MARTIN (1983), HOFIUS (1983), RAISANEN (1983) {cf R BADENAS, op cit )

Selon cette interprétation, le Christ abolit la Loi Cependant, cela se prête à bien des nuances, ce qui amène les commentateurs à suggérer trois pistes principales 1 ) inutilité de la Loi comme voie de salut (interprétation dogmatique de l'orthodoxie luthérienne), 2) fin de l'époque de la Loi et début de l'ère messianique (interprétation eschatologique de Davies), 3) fin du règne moral de la Loi dans l'histoire personnelle de l'humain (interprétation existentialiste de Bultmann)

5 À titre indicatif, notons que le sens d'accomplissement est privilégié, entre autres, par Κ BARTH (1950, 1957), BANDSTRA (1964), HOWARD (1969), BLACK (1973), LONGENECKER (1974), MEYER (1980), M BARTH (1983) {cf R BADENAS, op cit et D

Moo, loc cit ) Le sens d'accomplissement se rapproche beaucoup, d'un côté, du sens téléologique, tout en assumant en fin de compte, d'un autre côté, la nuance terminale si le sens d'accomplissement est plus positif que celui d'abolition, il n'en est, finale­ment, qu'une simple variante {cf Ρ -E LANGEVIN, «Sur la Chnstologie de Romains 10,1-13», LThPh 35 (1979), pp 37-38 et note 6) Bref, il n'est pas toujours aisé de distinguer le sens accomplissement, du sens terme ou du sens but

6 À titre indicatif, notons que la pluralité sémantique est privilégiée, entre autres, par BENOIT (1938), FEUILLET (1950), LEENHARDT (1957), BARRETT (1958), CERFAUX (1958), LYONNET (1959), GRELOT (1962), BRUCE (1963), FITZMYER (1968), BEKER (1980), RADERMAKERS (1985), Moo (1987) {cf R BADENAS, op cit et D Moo, loc cit ) Ces auteurs soutiennent que le sens de τέλος est riche et que toute traduction ne peut que l'appauvrir ils privilégient donc explicitement le sens terminal et le sens téléologique, tout à la fois

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Rm 10,4, dans la perspective plus large de l'Élection. Nous croyons qu'il est alors possible et souhaitable de comprendre la pensée paulinienne selon un modèle de continuité dans la rupture, qui respecte, et la radicale nouveauté de la foi messianique et eschatologique de Paul, et son enracinement dans la foi de ses pères (avec 1 ' attachement qui y correspond).

En suggérant ce modèle, nous avons en tête la théorie de change­ment de paradigme élaborée par T. Kuhn7 dans le cadre d'une théorie générale des sciences. Devant des découvertes importantes qui remet­tent en question les schemes de pensée établis, certains génies proposent une réorganisation révolutionnaire des idées, qui rompt avec la tradition tout en la prolongeant. Ainsi, Copernic révolutionne la cosmologie de Ptolémée et la renverse (rupture): pourtant, il s'agit du même univers et des mêmes planètes (continuité). Une représentation plus fonctionnelle et adéquate du monde remplace alors une autre représentation dont les limites sont apparues. Ce changement n'est pas de l'ordre d'une simple correction ou amélioration de l'ancien modèle, mais de sa transforma­tion radicale. Un seuil est franchi. Cependant, si l'aspect discontinuité est à l'avant-plan, il ne doit pas faire oublier l'élément continuité. Le nouveau modèle prend appui et s'enracine malgré tout dans l'ancien. Existentiellement, le penseur qui opère le passage à un nouveau para­digme a d'abord été partie prenante de l'ancien. Analogiquement, nous croyons qu'après Damas Paul réorganise sa pensée en quelque sorte nomocentrique dans un nouveau paradigme christocentrique. Ce faisant, il se démarque radicalement du judaïsme, tout en en conservant les données. Cette réorganisation amène une tension dans la pensée pauli­nienne qui, par ailleurs, ne s'est jamais exprimée dans des écrits systé­matiques. Avec en contrechamp la question de l'Élection, certaines affirmations de Paul décrivent une continuité organique entre Christ et Loi, d'autres accentuent la rupture qui s'installe entre Christ et Loi. C'est que chez Paul, le rapport entre Christ et Loi (au sein du nouveau paradigme théologique) renvoie, au-delà de lui-même, au rapport entre les deux modèles paradigmatiques concernant l'Élection, modèles cen­trés respectivement sur la Loi (avant Damas) et sur le Christ (après Damas).

Nous présenterons succinctement cinq pistes argumentatives qui permettent de lire Rm 10,4 comme l'expression d'une continuité dans la discontinuité, entre le paradigme de départ de Paul et son paradigme

7 Τ S KUHN, La structure des révolutions scientifiques Pans Flammarion, 1972 (Nouvelle bibl scient ) Ces thèses ont été appliquées à la théologie par H KUNG, Dieu existe-t-il? Réponse à la question de Dieu dans les temps modernes Pans Seuil, 1981 (1978), pp 132-154 et par Κ RICARD «Le développement de la science», Études 378 ( 1993), pp 209-219 Ce modèle est appliqué à l'expérience personnelle de Paul à Damas par Τ L DONALDSON, «Zealot and Convert The Origin of Paul's Chnst-Torah Antithe­sis», CBQ 51 (1989), pp 655-682

8 Pour un traitement plus approfondi, nous renvoyons à notre mémoire de maîtrise A GIGNAC, «Le Christ, télos de la Loi» (Rm 10,4), expression d'une continuité et d'une discontinuité Montréal Université de Montréal, 1991

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d'arrivée 1) concepts en jeu en Rm 10,4, 2) thématique et situation rédactionnelle de Romains, 3) mouvement de l'argumentation en Rm 9—11, 4) «Pourquoi Israel est-il tombé7» analyse de Rm 9,30—10,13, 5) richesse sémantique du mot τέλος Certains éléments nous amène­ront à mettre en évidence, tantôt la rupture, tantôt la continuité Toute­fois, on pourra constater que nous insistons plutôt sur la continuité, puisqu'à première vue, la discontinuité est beaucoup plus évidente —Il va sans dire que la démonstration s'en tiendra à l'essentiel Nous ne pourrons entrer dans tous les détails8 —

1 CONCEPTS EN JEU EN Rm 10,4

Trois concepts paulimens centraux se retrouvent dans le verset étudié 1) justice (δικαιοσύνη) à laquelle l'acte de la πίστις, πιστεύω, est étroitement associé, 2) Loi (νομός) et 3) Christ (Χρίστος) Dans l'ensemble des écrits authentiques9, ces trois concepts sont utilisés de diverses façons, parfois contradictoires Voyons ce qu'il en est

1 1 Δικαιοσύνη

Chez Paul, δικαιοσύνη marque certainement le caractère absolu et inouï de l'intervention salvifique de Dieu en Jésus Christ Comprise comme attribut fondamental de Dieu (pouvoir créateur) ou comme don reçu par le croyant (recréation), la justice opère un changement radical et décisif, eschatologique10 Dans l'histoire du salut, l'irrup­tion de la justice de Dieu en Jésus ressuscité opère une rupture l'aujourd'hui eschatologique fait toute chose nouvelle et tourne la page du monde ancien Cependant, la notion même de δικαιοσύνη est empruntée par Paul à l'Ancien Testament La Septante rend par ce mot la Πρ7¥ de Dieu, par laquelle ce dernier établit (ou rétablit) une relation d'alliance qui rencontre l'attente de son peuple et ajuste ce dernier aux exigences divines décrites dans la Torah D'un côté, Dieu tient ses engagements, de l'autre, son Peuple se voit offrir la possibi­lité d'une reprise en main et d'un renouvellement de son engagement Lajustice divine ne se comprend que dans la perspective de l'Élection elle a un impact avant tout communautaire Si on accepte cette intui­tion, la doctrine pauhnienne de la justification par la foi ne serait pas tant une remise en cause de l'Élection d'Israel, mais sa confirmation et sa redéfinition par un élargissement de ses cadres et l'universahsa-

9 Nous considérons ici le plus petit dénominateur commun sur lequel s'entendent les exegetes Rm, ICo, 2Co, Ga, ITh, Ph, Phm

10 F J LEENHARDT [Epître de saint Paul aux Romains/ 2e ed Neufchatel, Pans Labor et Fides, 1981 (Commentaire du Nouveau Testament 2e sene, 6 ), pp 227 231] concilie explicitement les deux approches de Bultmann (anthropologique et existentia liste) et de Kasemann (theologique et apocalyptique)

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tion de son influence (cf Romains), cette doctrine serait pourtant une remise en question d'une compréhension trop étroite, nationaliste, de la justification la grâce n'est pas réservée aux Israélites, mais tout croyant y a accès {cf Galates) Il ne faut pas durcir Paul et opposer de façon antithétique et absolue la justification par la foi et l'histoire d'alliance dont Paul est l'héritier Dans la logique de l'Alliance, Jésus Christ est certes la révélation par excellence de la justice divine, mais en lui et par lui, la réponse de l'humain correspond à la volonté de Dieu et le projet d'Élection se trouve ainsi actualisé

1 2 Νομός 1 1

Νομός, chez Paul, désigne généralement l'ensemble de la tradition religieuse du judaïsme dont le cœur est la révélation du Sinai On peut donc traduire le mot par Torah, à condition de ne pas restreindre cette dernière aux prescriptions mosaïques Raisanen a récemment établi le caractère oscillatoire et ambivalent du concept νομός dans l'ensemble de la pensée pauhnienne12 D'une part, Paul est certainement critique vis-a-vis la Loi, proclame son abolition (Rm 6,14, 2Co 3) et la réduit au rôle d'accessoire temporaire (Ga 3,19) Le chrétien est mort à la Loi (Ga 2,19) D'autre part, la Loi est cependant juste, sainte et bonne (Rm 7,12) et se trouve confirmée en Christ (Rm 3,31) Le chrétien est capable de l'accomplir, par l'Esprit (Rm 8,4, 13,8-10, Ga 5,6 14) La Loi semble toujours valable, du moins en ses parties éthiques (ICo 9,8-10,14,34) Si bien qu'il faut accepter ce constat selon les circon­stances et ce qu'il veut démontrer, Paul accentue sa rupture ou sa dépendance vis-à-vis la Loi

1 3 Χρίστος

L'utilisation pauhnienne de Χριστός confirme cette impression Nous pouvons étudier ce mot sous deux angles différents, qui tous deux indiquent à la fois une continuité et une discontinuité son contenu messianique et sa fonction dans le couple Christ-Loi

À l'origine, Χριστός est la traduction grecque du mot hébreuΓΓϋφ Or le mot, dans les communautés pauliniennes, est certainement devenu le nom propre, le cognomen, de l'unique Seigneur exalté II désigne celui par qui les promesses eschatologiques de Dieu sont accomplies On ne peut donc le traduire unilatéralement par le mot technique messie

11 En ce qui concerne le champ de recherche (enorme') de la Loi chez Paul, les articles suivants font le point de maniere interessante, mais évidemment en prenant parti D Moo, lot cit , D LUCIANI, «Paul et la Loi», NRT 115 (1993), pp 40 68 Voir aussi la monographie S WESTERHOLM, Israel s Law and the Churche s Faith Paul and his Recent Interpreters Grand Rapids Eerdmans, 1988

12 H RAISANEN Paul and the Law Tubingen Mohr 1983 (WUNT, 29 )

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Néanmoins, Χρίστος conserve une connotation messianique, qui af­fleure de façon plus particulière en certains passages (Rm 9,3.5; 15,3.7.8.12; ICo 10,4; 15,22-23; 2Co 5,10; ll,2ss; Ph 1,15.17; 3,7)13. Plusieurs destinataires de Paul, judéo-chrétiens ou anciens prosélytes, devaient être sensibles à cet arrière-fond messianique. À ce premier niveau, on rencontre ainsi une continuité (Jésus est le messie attendu) par delà une rupture certaine (Jésus —crucifié et ressuscité— dépasse toute conception qu'on se faisait du messie).

Sous un autre plan, par une série de passages où il met en présence Loi et Christ (nous excluons bien sûr Rm 10,4), Paul témoigne de la même ambiguïté. D'un côté, Christ s'oppose à la Loi (Ga 2,16; 5.4), ou la relativise (Ph3,7-ll), ou encore se substitue àelle(Rm 8,2; 1 Co 9,21; Ga 6,2). // est clair que Paul recentre son univers autour du Christ, qui prend alors tout Γ avant-plan et rejette dans l'ombre la Loi. Paul relit toute la réalité à la lumière de la christophanie de Damas, et relie la Loi au Christ. Les convictions pauliniennes s'enracinent dans l'expérience de Damas, vécue comme une rencontre eschatologique14. Rien ne peut contredire ces convictions, si bien que le raisonnement de l'Apôtre l'amène à les justifier, comme s'il réfléchissait from solution to plight, selon l'expression de Sanders15. Par exemple, en Ga 3,13-14, Paul tente de rendre compte du scandale du Seigneur exalté, d'abord condamné par la Loi. Le Christ se présentant comme la réponse, il est induit que le problème résidait dans la condition humaine réduite en esclavage par le péché. —La Loi apparaît alors comme un mécanisme d'oppression au service du péché {cf. Rm 7).— De l'autre côté, par ailleurs, une relation téléologique demeure entre Christ et la Loi: par Christ, les aspirations de la Loi sont comblées; la Loi trouve sa valeur en tant qu'elle est orientée vers le Christ et pointe vers lui (Rm 3,21-22; Ga 3,24). C'est comme si Paul voyait dans le Christ la réponse à l'attente de libération inscrite au cœur du judaïsme du premier siècle, et comme si son raisonnement partait from ρlight to solution, selon l'expression de Thielman16. En Christ, la possibilité de satisfaire aux exigences de Dieu contenues dans la Loi est à la portée du croyant (Rm 8,4). Ces deux modèles, from solution to plight et from plight to solution, rendent compte de façon complémentaire des deux côtés de la médaille. Selon

13 M HENGEL, «'Chnstos' in Paul», dans Between Jesus and Paul Studies in the Earliest History of Christianity Philadelphia Fortress Press, 1983, pp 65-77, W GRUNDMANN, «Χρίστος (NT)», dans G KITTEL, G FRIEDRICH, dir TDNT Grand Raoids Eerdmans, 1964-76, tome 9, pp 527-556

14 En Jésus, messie crucifié et exalté, révélé Fils de Dieu, le salut eschatologique de Dieu se manifeste Cf J PLEVNIK, «The Center of Pauline Theology», CBQ 51 (1989), pp 461-478

15 Ε Ρ SANDERS, Paul, the Law and the Jewish People Philadelphia Fortress Press, 1983, pp 149-154

16 F THIELMAN, From Plight to Solution a Jewish Framework for Understanding Paul's View of the Law in Galatians and Romans New York Brill, 1989 (Sup Novum Testamentum, 61 ), pp 30-36 Cette thèse se veut une réponse à la thèse de Sanders, mais non une réfutation unilatérale de cette dernière

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ses intentions, Paul envisage le rapport Christ/Loi en termes de rupture ou en termes de continuité

Bref, un passage de Rm résume bien l'ambivalence paulinienne qui apparaît lorsque l'Apôtre coordonne les trois concepts de justice, Loi et Christ

«Mais maintenant, sans la Loi, a été manifestée la justice de Dieu, a laquelle la Loi et les Prophètes rendent témoignage, justice de Dieu par la foi en Jesus Christ pour tous ceux qui croient » (Rm 3,21-22a, OSTY)

2 THÉMATIQUE ET SITUATION RÉDACTIONNELLE DE ROMAINS

(«Juif d'abord mais aussi Grec»)

L'activité épistolaire de Paul résulte de la conjonction des préoccupa­tions de l'auteur avec la situation de la communauté à laquelle il s'adresse17 Paul veut faire passer son message, et les arguments qu'il utilise sont fonction de ce qu'il sait des tendances de la communauté Qu'est-ce qui préoccupe Paul lors de la rédaction de Rm9 C'est avant tout son prochain voyage à Jérusalem, qui déterminera la réussite ou l'échec de sa collecte en faveur des chrétiens de Palestine Cette entreprise, qui l'a absorbé depuis plusieurs mois (ICo 16,1-4, 2Co 8-9, Ga 2,10, Rm 15,25-28), en est venue à symboliser la mission pastorale de Paul Elle scelle l'unité de la jeune secte chrétienne dans ses deux éléments constitutifs, judéo-chrétien et pagano-chrétien D'un côté, dans la ligne des prophéties du troisième Ésaie (cf Es 56,6-7, 60,6-16, 66,18-21), cette collecte accomplit la promesse mes­sianique du pèlerinage des nations à Jérusalem, en reconnaissance de la priorité spirituelle d'Israel, par qui Dieu apporte le salut à l'univers De l'autre côté, l'acceptation de la collecte par les autorités de Jéru­salem confirmerait définitivement que celles-ci acquiescent à l'ouver­ture vers les Gentils, dont Paul s'est fait partisan à Antioche et à la réunion de Jérusalem Or, après la crise de Galatie, Paul est anxieux par rapport à l'accueil qui lui est destiné Par anticipation, il présente son plaidoyer à la communauté romaine, qui se trouve probablement en lien étroit avec celle de Jérusalem et qui se voit confrontée à la question identitaire que pose l'ouverture aux Gentils jusqu'à quel point et comment faut-il sauvegarder l'héritage juif9 De plus, Paul

17 Le débat sur les raisons de la redaction de Rm ne sera pas repris ici mais nous présenterons une synthèse des reconstitutions qui nous ont semble les plus probables et les plus interessantes Parmi les auteurs qui nous ont inspire R E BROWN, J Ρ MEIER Ann υ eh and Rome London Chapman, 1982, Κ Ρ DONFRIED, dir The Romans Debate I 2e ed Minneapolis Augsbourg, 1991 , J D G DUNN Romans 1 8 Romans 9 16 Dallas Word Books, 1988 2 vol (World Biblical Commentary, 38 a-b ), pp xxxix lvn, A J M WEDDERBURN The Reasons for Romans Edinburgh Clark, 1988 (Studies of the New Testament and Its World )

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semble supposer que les chrétiens romains vivent des tensions, sinon des divisions, à cause de cette question18. Contrairement à Ga, Rm adopte un ton conciliant, prudent et diplomatique, mais tout aussi ferme. L'intention n'est plus polémique, mais apologétique.

De fait, le mouvement de balancier de l'argumentation de la lettre, par un jeu d'alternance de reproches et de valorisations adressés tant au Juif qu'au Païen, frappe le lecteur attentif. Tout au long de Rm, Paul stigmatise tour à tour l'orgueil des Juifs (2,17-24; 9,30-31; 10,2-3.21) et des Païens («n'oubliez pas la noblesse du Juif»: 3,1-2; 11,18.20.25); bref, il apostrophe tout le monde (2,1-2; 3,27; 12,3; 14,10). Plus globa­lement, la première partie de la lettre, relativement élogieuse pour les Nations et sévère pour les Juifs (Rm 2; 4), se trouve contrebalancée par Rm 9—11. Autre indice de ce jeu de bascule et de contrepoids, auquel ses interlocuteurs romains devaient être sensibles: Paul inverse parfois les termes de son «Juif d'abord, mais aussi Païen». La colère de Dieu se révèle d'abord pour les Païens (1,18-32), puis pour le Juif (2,12ss); Abraham est le père d'abord des incirconcis, mais aussi des circoncis (4,11-12). Paul cherche à tenir un équilibre difficile entre complémen­tarité et discontinuité dans l'ordre Election/Salut en Jésus. Seulement ainsi peut se voir justement confirmée la fidélité de Dieu. Le slogan «Juif d'abord mais aussi19 Grec» revient avec insistance: l'universalité du salut (1,16; 2,10; 3,22.29-30; 4,9; 9,24; 10,12-13; 15,8-9)20, avec son pendant, l'universalité du péché et du jugement (2,9; 3,9.23), respecte l'engagement de Dieu envers Israël. Donc, paradoxalement, la négation de la différence n'oblitère pas la distinction (3,9.22-23; 10,12). Cela correspond à la bataille que Paul livre sur deux fronts: 1) assurer la reconnaissance de la mission auprès des Gentils (en s'opposant à une

18 La communauté romaine vit des tensions 1) Les questions de Rm 3,1 8 pourraient être l'indice d'un débat interne important à Rome quelle est la supériorité du Juif? de la circoncision? (nationalisme juif exacerbé par un anti-judaïsme), doit-on faire le mal pour qu'en sorte le bien ? (caricature de la justification par la foi) La communauté est confrontée à la question Messie-Loi 2) Il est remarquable que Paul insiste tellement sur la paix et l'établissement de nouveaux rapports réciproques, fondés, non sur la domination ou l'abaissement de l'autre, mais sur la fraternité et la paix {cf Rm 1,7, 15,33, 16,20, et aussi 2,10-11, 3,17, 5,1, 8,6, 14,10 17) L'Apôtre prend la peine de remettre à leur place successivement le Juif (Rm 2,1-29, spécialement ν 17) et le Païen (Rm 9—11), pour aboutir à la parénèse de Rm 12-15, qui n'est pas seulement une exhortation coutumière et générale' 3) Il y a aussi la question des forts et des faibles (Rm 14,1-15,6) Certains auteurs vont jusqu'à prétendre que les pagano-chrétiens reprendraient les sentiments anti-juifs propres à leur culture

19 Juif d'abord mais aussi Grec cf Rm 2,9-10, 3,9, 10,12 C'est à dessein que nous traduisons abruptement l'expression τε και (souvent associée à πρώτον), afin d'en rendre la force, l'âpreté et le contraste, que la traduction courante «Juif d'abord, Grec ensuite» edulcore un peu Bien qu'elle soit quelque peu inélégante, cette traduc­tion possible a comme avantage de nous ouvrir à une nouvelle herméneutique de Rm Cf F BLASS, A DEBRUNNER, R W FUNK, Λ Greek Grammar of the New Testament and

Other Early Christian Literature Chicago, London University of Chicago Press, 1961, § 444, j D G DUNN, op cit, pp 37 40

20 Voir aussi la récurrence du mot πας 1,5 16,2,10,4,11,10,4 11 13,11,26 32

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interprétation étroite de la Loi) et 2) maintenir l'unité de l'Église (en préservant la priorité d'Israël et le respect qui découle des avantages qu'Israël a reçus). Cela signifie: égalité des Juifs et des Gentils affirmée avec force, mais priorité du Peuple élu sauvegardée. Rm 1,16-17 et 11,25-32 sont à lire en dialectique.

La situation rédactionnelle de la Lettre aux Romains milite donc en faveur d'une interprétation nuancée de Rm 10,4: pour Paul et la com­munauté de Rome, affirmer que «[le] télos de la Loi, [c'est] christ en vue de la justice pour tout [humain] qui-a-foi.», c'est dire que Christ, tout à la fois, réalise l'Élection, la confirme et l'ouvre à tous. «Christ s'est fait serviteur de la Circoncision, à l'honneur de la véracité de Dieu, pour confirmer les promesses faites aux Pères. Quant aux nations, c'est pour sa miséricorde qu'elles glorifient Dieu.» (Rm 15, 8-9).

3. MOUVEMENT DE L'ARGUMENTATION EN Rm 9—11 21 (contexte lointain)

Rm 10,4 fait partie d'un tout extrêmement cohérent et structuré (Rm 9—11), qui oriente son interprétation. Nous croyons, encore une fois, que l'analyse minutieuse de ces trois chapitres révèle l'intention de Paul: s'accrocher fermement à la permanence de l'Élection, malgré l'universalité de la justification par la foi établie en Rm 1-8 et le problème du refus du Christ par Israël. Cette intention se reflète dans le vocabulaire utilisé, puis par le fil de l'argumentation.

3.1 Vocabulaire

En Rm 9—11, Paul utilise une série de mots qui sont apparentés par leur racine ou leur sens. Ce vocabulaire est générateur d'idées-maî­tresses, d'images et de concepts qui se regroupent en trois constella­tions: a) la dialectique divine, Élection/rejet, b) sa contrepartie: la réponse humaine, et c) la constance du projet de Dieu. Ces constella­tions s'appuient sur des familles de mots qui forment l'armature de base d'un réseau de renvois sémantiques22, dans l'ensemble des trois

21 Parmi la vaste bibliographie concernant Rm 9—11, citons les quelques titres significatifs suivants (par ordre chronologique) J MUNCK, Christ and Israel· An Interpretation of Romans 9-11 Philadelphia Fortress Press, 1967, L DE LORENZI, Die Israelfrage nach Romer 9-11 Rome Abtei St Paul vor den Mauern, 1977 (Monogra­phische Reihe von Benedictina, 3 ), M BARTH, The People of God Sheffield JSOT Press, 1983 (JSNT Supplement Senes, 5 ), F REFOULE, Et ainsi tout Israel sera sauvé Pans Cerf, 1984 (Lectio Divina, 117 ), H M LUBKING, Paulus und Israel im Romer-brief Eine Untersuchung zu Romer 9-11 Frankfurt am Main, Bern, New York: Peter Lang, 1986, M A GETTY, «Paul on the Covenant and the Future of Israel», BThBul 17 (1987), pp 92-99 (état de la question), enfin, un numéro complet de la revue Princeton Seminary Bulletin (supplément 1, 1990), à la suite du Frederick Neumann Symposium on the Theological Interpretation of Scripture (1989)

22 Par associations thématiques et verbales, et par son utilisation de l'Ecriture, Paul dessine une configuration argumentative dynamique, logique et cohérente un

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chapitres a) -καλέω (huit apparitions Dieu choisit, appelle et se laisse invoquer), b) -πιστεύω (quatorze fois l'homme croit) et -ακούω (huit fois l'homme écoute/obéit), c) -έλεέω (neuf fois Dieu prend pitié)23 e t - σ φ ζ ω (huit fois Dieu sauve/sauvera) S'ajoutent a cela deux images d) la poursuite de la justice, qui fait sentir sa présence tout au long de Rm 9—11, e) l'allégorie des oliviers, qui forme une péncope bien définie en Rm 11, 16-24, mais participe à la thématique des trois constellations principales Reprenons brièvement chacune de ces cinq catégories

a) Le thème de VÉlection est au cœur de Rm 9—11, sous deux aspects D'un côté, l'Élection est envisagée comme un choix positif Dès 9,4-5, Paul énumère les huit avantages associés à l'Élection, et certains de ces mots reviennent tout au long de son discours alliance, christ, gloire, pères, promesse De plus, on peut noter les mots qui évoquent le caractère proprement ethnique de l'Élection, caractère que Paul cherche à nuancer, sans pourtant le renier enfant, fils, Israel, Israélite, peuple, semence, Sion, reste24 Le terme élection, quant à lui, revient quatre fois (sur cinq utilisations dans le corpus paulinien) D'un autre côté, le vocabulaire de rejet forme le contrepoids du vocabulaire de l'appel retrancher, couper, endurcir, scléroser, non-aimé, pas-mon-peuple, haïr L'idée même d'Élection comporte une nuance de rupture Toute affirmation chnstologique (comme celle de Rm 10,4) servira donc à préciser et à solutionner le problème théologique de l'Élection, ce qui signifie respecter le critère continuité/discontinuité

b) La réponse de Vhumain à ce choix de Dieu, exception faite d'un reste, est la plupart du temps négative Ce deuxième thème est carac­térisé par les mots foi, croire, incroyance, contredire, désobéir, déso­béissance, endurcissement, ne pas se soumettre, scléroser, connaître, ignorer, zèle La réponse de l'humain semble être englobée dans le dessein plus général de Dieu Paul insiste sur le constat de la rébellion du peuple élu, en contraste avec l'acquiescement des païens (discon­tinuité)

c) De ce qui précède découle le thème principal la réponse que Dieu apporte au refus par Israel de la justification en Christ Le vocabulaire associé à ce thème montre la parole de Dieu à l'œuvre évangile,

reseau de renvois sémantiques J W AAGESON [«Scripture and Structure in the Deve lopment of the Argumentation in Roman 9 11» CBQ 48 (1986) pp 265 289] utilise l'expression network links Dans chaque phrase tout au long des trois chapitres des mots et des images renvoient systématiquement au vocabulaire et aux images de phrases ayant precede ou devant suivre, créant ainsi un sens global plus large que la somme de tous les moments de l'argumentation

23 C Ε B CRANFIELD souligne que έλεέω est le mot cle de Rm 9—11 avec une plus forte proportion d'utilisation en Rm que partout ailleurs dans le corpus paulinien (op cit ρ 448 note 1)

24 Sur ce lot, certains sont des emplois tres rares chez Paul (hapax Sion reste) ou fortement concentres en Rm 9—11 (Israel election peuple)

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évangéliser, parole, mot, proclamer. La parole ne saurait échouer, car le pouvoir de Dieu a le dernier mot: montrer, prendre-en-pitié/pitié, puissance/pouvoir, richesse/être riche, vouloir/volonté. Paul cherche désespérément à établir la continuité du projet de Dieu, et non la rupture entre Christ et Élection, malgré les tensions inhérentes à une tentative de ce genre: il en va de la fidélité de Dieu, elle-même garante de la pertinence de la justification. Il serait étonnant qu'au milieu de son développement (Rm 10,4) Paul insiste tout-à-coup, de manière unilatérale, sur la discontinuité du projet de salut.

d) Il faut dire un mot au sujet du vocabulaire de poursuite employé par Paul. Ce vocabulaire, s'il ne renvoie pas à l'image de la course aussi explicitement qu'en d'autres passages (cf. ICo 9,24-27; Ph 3,12-14), révèle l'état d'esprit dans lequel Paul aborde son problème. Les mots s'accumulent autour de cette image métaphorique: achoppe­ment, arriver à, atteindre, chercher, courir, faux-pas, poursuivre, re­cevoir, tituber, tomber, trébucher/trébuchement. En Rm 9—11, l'Apôtre compare la situation d'Israël à quelqu'un qui poursuit un but ou une réalisation (9,31), mais peut-être avec un objectif mal ciblé ou selon une technique mal-appropriée (10,2). Au fil d'arrivée, par une chute malencontreuse (9,32-33), il se laisse devancer par ses concur­rents (9,30-31), qui remportent une victoire inattendue (10,20), si bien qu'on peut se demander s'il pourra tout au moins terminer la course (11,11). La compétition et la rivalité sont vives (10,19)25. L'image de la poursuite ne peut qu'évoquer une similitude entre ce que poursuit Israel: la Loi de justice (9,31), et ce qu'a trouvé Paul: le Christ. Mais le fait qu'Israël trébuche sur la pierre de fondation (9,33) indique que la continuité est loin d'être évidente entre Christ et Loi.

e) Finalement, Vallégorie de Volivier (Rm 11,16b-24)26 confirme les observations précédentes. À première vue, on pourrait alléguer que

25 Pousser l'allégorie plus loin pourrait être stimulant, sinon amusant, mais deviendrait incertain quant à l'exégèse «En fait, il s'agissait d'une course d'équipe Au moment où quelques-uns, en minorité, ont pu sauver l'honneur olympique (11,5), plus par chance que par mérite ( 11,6), la plupart ont été comme pétrifiés sur place, les jambes lourdes ( 11,7), comme drogués ( 11,8), parce qu'ils n'ont pas su écouter leur entraîneur ( 10,21 ) et obéir à son plan de course ( 10,3) Paul semble avoir été parmi les minoritaires qui ont quand même terminé la course (11,1) » Ouf

26 Voici le texte de cette allégorie (notre traduction) «Et si la racine [est] sainte, les branches [aussi] Et si quelques-unes des branches ont été coupées, alors toi, étant olivier-sauvage tu as été greffé en elles et tu es devenu participant à la racine de sève de l'olivier ne méprise pas les branches, et si tu méprises [attention] tu ne portes pas, toi, la racine, mais la racine te [porte]1 Donc tu diras· "des branches furent coupées afin que moi je sois greffé" Bien Par la non-foi, elles ont été coupées, et toi par la foi tu tiens Ne-pense-pas-haut mais crains Carsi Dieu n'a pas épargné les branches selon la nature, il ne t'épargnera pas non plus Donc vois la bonté et la sévérité de Dieu· d'une part, sur les tombés, la sévérité, d'autre part, sur toi, la bonté de Dieu, si tu demeures en la bonté, et sinon tu seras retranché Et ceux-là donc, s'ils ne demeurent pas dans la non-foi, seront greffés, car puissant est Dieu pour à nouveau les greffer Car si toi tu as été retranché [sortant] de l'olivier-sauvage selon la nature, et à côté de la nature as été greffé au bel-olivier, combien plus ceux selon la nature seront-ils greffés a leur propre olivierf »

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les branches coupées rappellent une discontinuité entre Christ et Loi, celle-ci ayant été abrogée, hors d'usage, celui-là devenant le tronc principal. C'est une comparaison qui sied bien à la théologie tradition­nelle du remplacement d'Israël par l'Église.... Mais c'est oublier l'ensemble de l'allégorie, où il n'est pas question du Christ, mais des racines que sont les patriarches. Ceux-ci garantissent la possibilité des branches naturelles de retrouver leur place légitime, alors que le statut des branches de Γ olivier-sauvage demeurera toujours, pour ainsi dire, celui des enfants adoptifs. Le sort de l'olivier-sauvage reste encore plus précaire que celui des branches naturelles, elles-mêmes certaines de rien en dehors de la foi. Encore une fois, reprenant synthétiquement les trois thèmes de l'Élection, du refus d'Israël et de la réponse de Dieu, Paul insiste dans cette allégorie sur le constat de la désobéis­sance d'Israël, mais en envisageant une solution dans la ligne de la continuité.

Ces intuitions surgies de l'analyse du vocabulaire et de la thématique se confirment par la lecture continue de l'argumentation de l'Apôtre.

3.2 Vue globale de Γ argumentation de Rm 9—11

La parole de Dieu ne peut tomber (9,6): Israël ne tombera donc pas définitivement (11,11). Voilà ce qui semble être le début et la fin de l'exposé de Paul en Rm 9—11. L'Apôtre se fait pathétique (9,1) et s'implique personnellement, de façon solennelle (9,1-5; 10,1-2; 11,1-3; 11.13-14.33-36). Le problème d'Israël le touche profondément par la solidarité qu'il éprouve pour ses frères (9,3; cf. 10,1), ceux de sa chair (9,3), qu'il veut rendre jaloux (11,11). Comme Elie (11,3-4), Paul intercède, non pas contre, mais en faveur de son peuple (9,3; 10,l)27, en vue d'un salut espéré ardemment (1 l,14.26.28b-29). Peut-être Paul reconnaît-il son propre comportement de persécuteur phari­sien (Ph 3,6), dans la description qu'il fait du zèle-jaloux mal éclairé des Israélites (10,2); peut-être fait-il allusion à sa propre conversion, lorsqu'il parle de la chute temporaire d'Israël (11,11; cf. Ac 9,4)28. Pour lui, la désobéissance d'Israël n'est pas loin d'être un scandale, une pierre qui fait trébucher. Voilà pourquoi il n'hésite pas à étaler ses états d'âme, qui nous conduisent d'une bénédiction trahissant l'insécurité et la tristesse (9,5) à une doxologie finale faisant retentir

27 Si Elie se voit débouté dans son constat de désespoir (il prétend être le seul survivant, mais Dieu lui fait découvrir sept mille autres justes), alors qu'il thialait contre Israel (κατά + génitif), combien plus Paul, espérant et intercédant en faveur d'Israel (υπέρ + génitif) et prêt à être séparé du Christ pour le salut de ses frères (Rm 9,3), sera-t-il exaucé Paul n'aimait-il pas les a fortiori?

28 Sur cette intuition d'un Paul qui reconnaît dans l'attitude d'Israel endurci l'attitude de Saul le persécuteur, cf Β W LONGENECKER, «Different Answers to Diffe­rent Issues Israel, the Gentiles and Salvation History in Romans 9-11 », JSNT 36 ( 1989), pp 100-101

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des notes triomphalistes (11,33-36). Voyons le parcours qui l'amène d'un extrême à l'autre, en trois étapes, comme en trois questions successives.

Première étape: «la Parole de Dieu est-elle tombée?» (9,6b-29). Paul s'interroge sur la valeur des promesses de Dieu. Sa réponse est catégorique: il n'y a rien à craindre, puisque la souveraineté de Dieu est absolue. Or, la souveraineté divine s'établit par une dialectique élection/rejet d'autant plus paradoxale qu'elle s'inscrit dans une ligne de miséricorde. Cette dialectique se manifeste d'abord en faveur d'Israel, puis se retourne un peu contre lui, pour ainsi dire. Il faut donc lire à deux niveaux les exemples bibliques alignés par Paul29: 1) une lecture au sens propre, où Dieu écarte et endurcit les Païens (Ismael, Esau, Pharaon) pour élire (et en élisant) Israël —les citations de Osée s'appliquent alors à Israel comme promesse de renouvellement d'al­liance—; et 2) une lecture paradoxale, qui applique aux Païens evan­gelises les textes qui jadis s'appliquaient à l'Élection d'Israël et aux reconfirmations de l'Alliance initiale. Par transposition, les endurcis deviennent les Juifs30. Selon qu'il est judéo-chrétien ou pagano-chré-tien, l'auditeur de Paul décodera différemment cet alignement subtil d'exemples31. Le judéo-chrétien tirera la leçon suivante: «si Dieu l'a fait pour vous, il peut le faire pour les autres», tandis que le pagano-chrétien se fait dire: «vous ne fûtes point les premiers». —Encore une fois, Paul cherche à établir l'équilibre entre Juifs et Païens, comme dans le reste de la lettre. Un peu plus loin, il se fera très dur envers

29 Cette hypothèse se situe dans le prolongement de A M GETTY, «Paul and the Salvation of Israel A perspective on Roman 9-11», CBQ 50 (1988), pp 456-469, et de Ν DAHL, «The Future of Israel», dans Studies in Paul Minneapolis Augsbourg, 1977, pp 146-147 Voir aussi J W AAGESON, «Typologie, Correspondence and the Applica­tion of Scripture in Romans 9-11», JSNT 31 (1987), pp 51-72, qui tend à démontrer l'utilisation de l'Écriture par Paul en termes de correspondance

30 Paul fait jouer cette transposition d'un bout à l'autre de Rm 9—11 (sinon dans toute la lettre aux Romains) Dans l'histoire de l'interprétation, cette lecture paradoxale qui ne devrait venir que dans un deuxième temps en est venue à prendre le dessus sur la première et à la faire oublier totalement' La nécessité d'une double lecture saute aux yeux si on envisage le sens de la phrase inachevée de 9,22-23, où les vases de colère sont souvent identifiés aux Juifs incrédules Or, la parole semble pouvoir s'appliquer d'abord à Pharaon, donc aux Païens «Si Dieu, voulant montrer sa colère [par le châtiment égyptien de la mort des premiers-nés et du désastre de la Mer Rouge] et faire connaître son pouvoir [par la libération d'Israel], a porté en une grande patience [tout au long des dix plaies d'Egypte] des vases de colère mis-en-ordre en vue de leur perte [les Égyptiens], afin qu'il fasse connaître la richesse de sa gloire sur des vases de pitié [les esclaves hébreux] qu'il a préparé en vue de la gloire [théophanie du Sinai] » Ici serait sous-entendu « imaginez combien plus il fera pour des vases de pitié virés en vases récalcitrants dignes de la colère » Bien sûr, il n'est pas faux d'appliquer la lecture paradoxale, dans un deuxième temps, à Israel endurci

31 Pour les pagano-chrétiens, c'était le rappel de la préséance d'Israel et de la miséricorde de Dieu à leur égard —ne pouvaient-ils se reconnaître en Pharaon7— Pour le judéo-chrétien, c'était une gifle que de voir Paul appliquer aux Païens les promesses de salut accordées à Israel (particulièrement Os 2,1 25)'

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l'échec d'Israel, aveugle, ignorant, désobéissant, endurci (9,32, 10,3 21, 11,25), mais il tapera ensuite sur l'orgueil des Gentils (11,17-24) et laissera entrevoir la restauration d'Israel (11,11-29)'— Cette dialectique élection/rejet revient au thème de Rm 1,18-3-20 tous ont été endurcis, d'abord les Païens, et aussi les Israélites (cf 9,30-33, 10,1-3 18-21, 11,1-10) Tout comme l'endurcissement des Païens, celui d'Israel était prévu et intégré au plan de salut, à preuve le reste d'Israel Une dernière citation de l'Ancien Testament (Es 1,9), en 9,29, permet cependant de terminer cette étape sur une note d'espé­rance, pour les Juifs comme pour les Nations «Si le Seigneur Sabaoth n'avait laissé subsister pour nous une semence, comme Sodome nous aurions été transformés, et comme Gomorrhe nous aurions été rendus semblables»

Deuxième étape «Pourquoi Israel est-il tombé9» (9,30—10,13) Paul se penche sur la désobéissance d'Israel et en recherche la cause À première vue, il retourne ainsi au thème de la justification par la foi Or ici, Paul ne défend pas ce thème c'est déjà un acquis (Rm 1-8)' Il n'oppose pas tant foi et œuvres, justice de la Loi et justice par le Christ, qu'il n'indique la cause de la maladie d'Israel «For Paul, the Jews err in imagining that they can be saved by keeping the law rather than by believing in Christ» 32 II serait dangereux de lire cette étape de l'argumentation comme une pure illustration de la justification par la foi Paul ne prend pas ici la défense de l'accès des Païens au salut, mais la défense d'Israel, aveuglé et stupide certes, mais non abandon­né par Dieu Cette section aborde directement la relation entre Christ et Israel voilà le problème décisif33 Au cœur d'une argumentation globalement théocentnque, cette deuxième étape délaisse le thème principal (9,6a) pour se centrer sur Christ34 Nous y reviendrons plus loin (section 4 «Pourquoi Israel est-il tombé9» analyse de Rm 9,30—10,13)

Troisième étape «Israel est-il tombé définitivement^» (10,18— 11,32) Après une transition assez débridée qui confirme l'aveugle­ment d'Israel (10,14-17), Paul revient au thème initial (9,6a) et à la dialectique rejet/élection (9,6b-29) par une suite de questions qui marquent une progression vers un retournement de la situation, véri­table coup de théâtre en dépit de toutes les évidences de l'insuccès de Dieu et de la nuque raide d'Israel (10,21), Paul penche en faveur de la continuité du projet salvifique de Dieu d'où l'allégorie des oliviers, dont nous avons déjà traité, et l'apothéose du mystère de 11,25-26ss «Tout Israel sera sauvé1»

Résumons le processus argumentatif de Rm 9—11 Concrètement, Paul pose la question suivante devant le dilemme des deux promesses

32 H RAISANEN op cit ρ 176

33 Ν DAHL, loe cit , ρ 155

34 ídem pp 148 149

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salvifiques de Dieu (à travers la foi en Jésus ou à travers l'Élection) à première vue exclusives l'une à l'autre (9,1-5), la parole de Dieu aurait-elle échoué (9,6)9 Certainement pas' De même que Dieu a dé­montré sa liberté miséricordieuse en élisant et en sauvant Israel, à travers une histoire faite d'une série de choix divins qui mettaient de côté les Païens (9,7-29, 11,1-6 28-29), de même, en se servant de l'endurcisse­ment d'Israel, Dieu sauve en Christ les Païens (9,7-29, 9,31-10,3, 10,14-21, 11,7-10 16-22 25 30), en mettant à l'écart Israel, de manière temporaire Or, Israel lui aussi sera sauvé (11,11-15 23-24 25-27 31), car Dieu fait grâce à toute l'humanité pécheresse (11,32), dans son insondable sagesse (11,33-36) —Tout aussi pécheurs que les Païens (cf Rm 2,12ss), les Juifs peuvent eux aussi aspirer à la grâce — Car le τέλος de la Loi, c'est le Christ (Rm 10,4) Le Reste d'Israel et la désobéissance des endurcis ne sont que des moments de la dialectique rejet/élection L'attitude provisoire d'Israel se trouve englobée dans la miséricorde de Dieu, elle n'est pas signe de rupture et de condamnation, mais d'espé­rance Paul présente l'Élection comme une suite de renversements il ne cherche pas à nier l'Élection d'Israel, mais à en démontrer l'aspect paradoxal

Bref, le contexte global de Rm 10,4 confirme à nouveau l'intérêt de notre hypothèse initiale

4 «POURQUOI ISRAEL EST-IL TOMBÉ?» ANALYSE DE Rm 9,30—10,13

(contexte immédiat)

Dans toute exégèse, il faut confronter les données recueillies lors de l'observation du contexte lointain (ensemble de Romains et particu­lièrement Rm 9—11) aux résultats émergeant de l'analyse du contexte immédiat C'est ce que nous ferons maintenant Nous avons vu que Rm 9,30—10,13 forme un moment important de l'argumentation de Paul, centré sur la question «Pourquoi Israel est-il tombé7» En étant attentif à la structure et au contenu de Rm 9,30—10,13, nous trouve­rons de nouveaux indices nous permettant de vérifier encore une fois si le Christ accomplit l'espérance de l'Élection d'Israel exprimée par la Loi (continuité), tout en relativisant35 celle-ci (discontinuité) La traduction suivante servira au lecteur de point de repère Elle se veut littérale, de manière à mettre en relief les mots de même racine, les citations vétéro-testamentaires sont en caractère gras

9 30 Que dirons-nous donc9 Que des nations ne poursuivant pas la justice ont reçu la justice, et la justice [sortie] de la foi, 31 et Israel, poursuivant la Loi de justice, en vue de la Loi n'est pas arrivé 32 À cause de quoi9

Parce que ne [sortant] pas de la foi mais comme [sortant] des œuvres ils

35 Faut il le rappeler9 Relativiser, ce n'est pas niveler les choses, ni leur enlever leur valeur encore moins les abolir Tout au contraire cela leur donne leur valeur reelle, en évitant de les absolutiser, et donc de les dénaturer

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ont buté-contre le rocher d'achoppement, 33 comme il est écrit «Voici que je place en Sion une pierre d'achoppement et un rocher de trébuchement, et [l'humain] qui-a-foi [s'appuyant] sur lui ne sera-pas-confondu» (Es 8,14, 28,16) 10 1 Frères, le souhait de mon cœur et la demande vers Dieu en leur faveur [est] en vue du salut 2 Car je témoigne pour eux qu 'ils ont une jalousie-zélée de Dieu, mais non selon la vraie-gnose, 3 car ignorant la justice de Dieu et cherchant à mettre-debout leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu, 4 car [le] télos de la Loi, [c'est] christ en vue de la justice pour tout [humain] qui-a-foi 5 car Moïse écrit [au sujet de] la justice [sortant] de la Loi «l'humain les faisant vivra par eux» (Lv 18,5). 6 Or la justice [sortant] de la foi dit ainsi «Ne dis pas en ton cœur: Qui montera au ciel?» c'est-à-dire pour faire descendre christ 7 ou «qui descendra dans l'abîme?» c'est-à-dire pour faire monter christ [sortant] des morts, & mais que dit-elle7 «Près de toi est le mot, dans ta bouche et dans ton cœur» (Dt 30,12-14) c 'est-à-dire le mot de foi que nous proclamons 9 Si tu confesses par ta bouche le seigneur Jesus, et [si] tu as-foi en ton cœur que Dieu l'a ressuscité [le sortant] des morts, tu seras-sauvé, 10 car par le cœur il est-[donné]-foi en vue de la justice, et par la bouche il est confessé en vue du salut U car l'écriture dit «Tout [humain] qui-a-foi [s'appuyant] sur lui ne sera pas confondu» (Es 28,16) 12 car il n'y a pas de distinction de Juif et aussi de Grec, car [c 'est] le même seigneur de tous, riche envers tous ceux qui Vappellent-sur-eux 13 car tout [humain] qui-appelle-sur-lui le nom du seigneur sera sauvé (J13,5)

4 1 Structure

Rm 10,4 apparaît comme le nœud de Rm 9,30—10,13 Tel un rocher solidement ancré au milieu du courant tumultueux d'une rivière, ce verset est le point d'arrivée du flot impétueux de la pensée paulinienne en 9,30—10,3, et le lieu d'où jaillit un nouveau développement, en 10,5-1336 Pour visualiser la structure37, nous proposons le Tableau I Structure simplifiée de Rm 9,30-10,13

36 Contra C Τ /?HYNE, «Nomos Dikaiosynes and the Meaning of Romans 10 4'» CBQ 47 (1985), pp 486-99 L'auteur sépare Rm 9,30-10,4, dont il donne une interpre tation teleologique, de Rm 10,5-11, dont il donne une interpretation antithétique

37 Dans le cadre de cet article, nous ne pouvons aller dans les moindres details Nous projetons de creuser dans une etude ultérieure nos presents résultats, en suivant de plus près la méthode d'analyse structurelle A partir de l'analyse rhétorique J Ν ALETTI [L'épître aux Romains et la justice de Dieu Clefs pour I interpretation Pans Seuil, 1991, pp 122-127] propose une structure qui, en certains points, se rapproche de la nôtre, mais par rapport a laquelle nous avons certaines reserves Comme les deux propositions de structures ont ete élaborées indépendamment l'une de l'autre, il est interessant de les comparer

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Tableau I. STRUCTURE SIMPLIFIÉE DE Rm 9,30-10,13.

A) Constat d'échec: image de la poursuite:

9,30a: formule de transition: «que dirons-nous?»

9,30b-31 constat de succès pour les Païens et d'échec pour Israel

9,32: raison de ce constat: œuvres Φ foi

9,33 éclairage scripturaire: confluence de Es 8,14 + Es 28,16

A') Nouveau constat d'échec

Α Ί ) Causalité imbriquée:

10.1 formule solennelle et constat d'échec

10.2 car zèle, mais ignorant

10.3 car non soumis à la justice de Dieu

10.4 car le Christ est le τέλος de la Loi

A'2) Explication de Vénoncé de 10,4 (Loi, Foi, Christ, τέλος)

[10,4b «En vue de la justice pour tout humain qui a-foi» ]

10.5 * Justice de la Loi Citation de Lv 18,5

10,6-8 *Justice de la foi Citation et explication pesher de Dt 30,12-14

10,9-10 *Chnst Confession de foi christologique

[10,10 «...par le cœur, il est donné-foi en vue de la justice» ]

10,11 *Τέλος Eclairage scripturaire: Es 28, 16

10,12-13 Conclusion

Le Tableau I appelle quatre remarques:

a) En amont de 10,4, on retrouve d'abord un développement cohérent mais rapide, qui, nous l'avons vu, privilégie l'image de la course (9,30-33).

b) Toujours en amont de 10,4, nous rencontrons une cascade où Paul enfile ses idées (10,1-4). Il s'agit ici d'une suite de propositions causales emboîtées les unes dans les autres, ou encore, d'une causalité imbriquée38. Rm 10,4 forme le dernier maillon d'une chaîne argumen-

38 10,1 -4 nous place en présence de quatre propositions principales coordonnées par la particule gavr [F BLASS , op cit, § 452], propositions construites autour des verbes εστίν (être, sous-entendu), μαρτυρώ (témoigner), υπεταγησαν (se soumettre) et εστίν (être, sous-entendu) De même, une cinquième proposition introduite par γαρ suit au verset 5 Cette accumulation de γαρ donne un style assez lourd II ne faut pas en exagérer l'importance, puisque Paul aime coordonner ainsi ses énoncés et que la particule γαρ peut parfois se substituer à δε [d'après M ZERWICK, Biblical Greek Illustrated by Examples I English Edition Adapted from the Fourth Latin Edition by J SMITH, Rome Scripta Pontificii Instituti Biblici, 1982 (1963), § 473]

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tative qui origine de 10,l39 il s'agit du fondement de l'argumentation, plutôt que de son point de départ40

c) En aval de 10,4, on retrouve un développement où Paul semble commenter chacun des éléments de sa formule-choc très condensée de Rm 10,4 (cf inclusion 10,4b <-> 10,10) Paul explique les mots τέλος, Loi, Christ et justice en confrontant deux citations de l'Ancien Testament4 1 (Lv 18,5 et Dt 30,12-14) Voyons rapidement comment il procède D'abord, au verset 5, Paul commente brièvement la Loi Ensuite, aux versets 6-10, Paul explique comment l'action du Christ est effectivement en vue de la justice pour tout croyant —Pour cela, il se sert d'une paraphrase de type pesher qui n'est pas sans rappeler celle du Targum Neofiti42, ainsi que d'une d'une confession de foi traditionnelle — Enfin, au verset 11, Paul résume en quoi Christ est τέλος de la Loi Ainsi un parallèle est établi entre l'énoncé de 10,4 et le développement qui suit De même que 10,4 met en relation Christ et Loi, de même 10,5-11 met en relation la justice de la foi (vv 6-10) et la justice de la Loi (v 5) Autrement dit de même que τέλος (Rm 10,4) est le point de rencontre du Christ et de la Loi, de même le verset 11 synthétise la conjonction des deux justices qui leur correspondent Pour comprendre le rapport (continuité/discontinuité) que Paul éta­blit, par le biais du mot τέλος, entre Christ et Loi, il faut comprendre, aux versets 5-11, le contraste établi entre la justice de la foi et la justice de la Loi complémentarité ou antinomie7 Notons aussi que Paul prend la peine de citer à nouveau Es 28,16 (inclusion 9,33 <-> 10,11) cette phrase indique peut-être la clé de lecture de l'ensemble, son interprétation est importante

d) Enfin, on constate un parallèle entre ce qui précède et ce qui suit 10,4 (sections A et A' du Tableau I) Un parallèle entre 9,30-33 et 10,l-4ss avait déjà été proposé par certains auteurs43 Nous avons donc tenté le même exercice {cf Tableau II Parallèle entre Rm 9,31-33 et Rm 10,2-11) Le parallèle le plus évident se trouve dans la répétition de la même citation d'Esaie (28,16), déjà évoquée Par

39 Le verset 10,1 se presente clairement comme un nouveau depart en Rm 9—11 il reprend le ton solennel de 9,1-3 et le problème evoque la II s'agit d'une transition abrupte souvent utilisée par Paul, soit la figure de style dite έξ αποστάσεως (F BLASS , op cit, § 463) De plus, l'utilisation de δε sans μεν (qu'on peut paraphraser par la périphrase «en ce qui concerne ») accentue la coupure Idem, § 447(4)

40 Cf H RAISANEN, op cit, ρ 175

41 Nous avons presente sur ce sujet un atelier (A GIGNAC, «Citation de Lv 18 5 en Rm 10 5 et Ga 3 12 deux lectures différentes des rapports Christ Τ or ah 7») au congres de l'ACEBAC 1992, dont les actes seront publies dans Eglise et Theologie Voir aussi, J -N ALETTI, op cit, ρ 123

42 S LYONNET, «Saint Paul et l'exegese juive de son temps A propos de Rom 10 6 8» dans Melanges bibliques rediges en l honneur de A Robert Paris Bloud et Gay, 1957, pp 494 506

43 Rm 9 30 33 // 10,1 4 E KASEMANN, op cit, ρ 270, H PONSOT Une intro

auction a la lettre aux Romains Pans Cerf, 1988 (Initiations ), ρ 154 Rm 9 30 33 // 10 1 6 F REFOULE «Unite de l'epître aux Romains et histoire du salut» RSPhTh 71 (1987) pp 218 242, Idem «Note sur Rm 9,30 33», RB 92 (1985), pp 182 183

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contre, le commentaire pesher de 10,5-8, cœur du développement de l'affirmation de Rm 10,4, n'a aucun correspondant en 9,31-32. Paul accueille positivement l 'attitude fondamentale d'Israël et ne condamne pas la Loi (9,31a et 10,2a). Il attribue l'aveuglement d'Is­rael au refus de ce dernier de reconnaître que le Christ est le moyen décisif, absolu, radical pour atteindre la justice (9,32 et 10,4). Dans l'ensemble, le tableau II confirme la convergence entre Rm 9,31-33 et Rm 10,2-1144, et nous autorise à éclairer Rm 10,4a par Rm 9,32c (la citation d'Es 28,16 apparaît à nouveau fort importante).

Tableau IL PARALLÈLE ENTRE Rm 9,31-33 ET Rm 10,2-11

Rm 9,31-33 Rm 10,2-11

Aspect positif Israel, poursuivant la Loi de justice (31a)

ils ont une jalousie-zélée de Dieu (2a)

Échec/ égarement

en vue de la Loi n'est pas arrivé (31b)

mais non selon la vraie-gnose (2b)

Cause

-ce qu'ils ne font pas,

ce qu'ils font

À cause de quoi7 Parce que

ne [sortant] pas de la foi (32a)

mais comme [sortant] des œuvres (32b)

car

ignorant la justice de Dieu (3a) ils ne sont pas soumis à la justice de Dieu (3c)

et cherchant à mettre debout leur propre justice (3b)

Le rôle du Christ

ils ont buté-contre le rocher d'achoppement (32c)

car [le] τέλος de la Loi, [c'est] christ (4a)

en vue de la justice pour tout humain qui-a-foi (4b)

Pesher [d'après Lv 18,5 et Dt 30,12] [justice de la Loi (5)] [vs justice de la foi (6-8)]

Preuve scriptural re

comme il est écrit (33a) car l'écriture dit ( l ia)

Décision voici que je place en Sion un rocher d'achoppement et une pierre qui-fait-trébucher (33b) [Es 28, 16a + Es 8,14] Si tu confesses par ta bouche le

seigneur Jésus, et [si] tu as foi dans ton cœur que Direu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé, car par le cœur il est-[donné]-foi en vue de la justice, et par la bouche il est confessé en vue du salut (9-10)

Es 28,16c et [l'humain] qui a-foi [s'appuyant] sur lui ne sera pas confondu (33c)

Tout [humain] qui-a-foi [s'appuyant] sur lui ne sera pas confondu (1 lb)

44 On pourrait aussi voir un rapprochement thématique entre 9,30-31 et 10,12 Les deux phrases évoquent la perspective d'un salut universel, à la différence près qu'en 9,30-31, les Nations sont sauvées et Israel chute, alors qu'en 10,12, les Grecs sont sauvés, ainsi que les Juifs

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4.2. Message

Nous devons faire maintenant un pas de plus. Nos observations sur la structure du contexte immédiat déterminent notre compréhension du message de Paul. Structure et contenu: Tun ne va pas sans l'autre. Par conséquent, nous voulons d'abord saisir le sens que Paul prête à Es 28,16, une citation qui indique la portée de Rm 9,32-33 et de Rm 10,11, deux clés pour la compréhension de Rm 10,4. Nous devons aussi comprendre Rm 10,4 à la lumière de Rm 9,30-33, puis de Rm 10,1-3 (ces deux derniers textes étant placés, comme nous venons de le voir, en parallèle). —Notre but est toujours d'interpréter Rm 10,4 en termes de continuité et de discontinuité: nous n'entreprendrons donc pas l'exégèse complète du passage.—

a) Citation de Es 28,1645: En Rm 9,33, Paul se sert d'une référence biblique pour éclairer l'échec d'Israël (vv. 30-32). L'Apôtre, à son habitude, rapproche deux paroles (ici: Es 28,16b.d et 8,14) possédant des termes communs (έπ' αύτώ et λ ίθον) 4 6 . La citation de Es 28,16 est tirée d'une version modifiée de la Septante (probablement répan­due dans les cercles chrétiens)47; celle de Es 8,14, d'une version hébraisante à mi-chemin entre Théodotion et Aquila48. Voici une traduction faite à partir du texte de la Septante, pour illustrer la manière dont Paul opère la fusion des deux textes (caractère gras), introduisant 8,14 au cœur de 28,16:

« aA cause de cela, ainsi parle le Seigneur. ^Voici que je jette sur les fondations de Sion une pierre ^précieuse, choisie, angulaire, estimée, [oui] sur ses fondations, <W que celui-qui-a-foi [sf appuyant] sur elle^ ne soit [vraiment]pas confondu» (Es 28,16 LXX).

«Et si tu as confiance en lui, il sera pour toi un sanctuaire et vous serez en contact avec lui, non comme [avec] une pierre [qui provoque] Vachop­pement, ni comme [avec] un rocher [qui provoque] la chute» (Es 8,14 LXX).

«Voici que je place en Sion I une pierre d'achoppement et un rocher de trébuchement, I et celui-qui-a-foi [syappuyant] sur lui ne sera-pas-confondu» (Rm 9,33).

45 Nous avons consulté l'étude très précise C D STANLEY, Paul and the Lan­guage of Scripture Citation Technique in the Pauline Epistles and Contemporary Literature Cambridge Cambridge University Press, 1992 (SNTS, Monograph Series, 69 ), pp 120-125, ainsi que J D G DUNN, op cit, pp 583ss

46 II s'agit du procédé du gezewah shewa 47 La citation ne correspond ni à la LXX, ni aux autres versions grecques, ni au

TM On pourrait aussi imaginer que Paul a modifié la syntaxe, les temps verbaux, les cas, pour adapter Es 28,16 à son propre texte, mais cela est beaucoup moins probable, selon C D STANLEY [op cit, pp 121, 125, note 125]

48 Idem, pp 123-124 49 L'expression έπ' αύτώ (un ajout par rapport au TM) était explicitement

interprétée par les Targum en un sens messianique Cet emploi de πίστειν + έπ' αύτω, grammaticalement une exception [F BLASS, op cit, 187(6)], se comprend en référence à l'image de la foi qui prend appui sur la pierre

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Certes, Paul s'arrange pour modifier volontairement les deux cita­tions, de manière à y faire entrer la perspective négative nécessaire à son argumentation Est-ce à dire que Paul passe complètement sous silence le rôle positif joué par la pierre de Sion50 (Es 28,16c)9 Certai­nement pas' L'utilisation paulinienne de 28,16d indique plutôt le contraire et rend nécessaire la référence mentale à 28,16c, pour celui qui connaît ce passage51, de plus, Es 8,14, en son contexte originel, propose la même nuance salvatrice que Es 28,16d Enfin, comme le démontre IP 2,6-852, qui associe pierre d'angle, pierre de trébuche-ment et pierre rejetée par les bâtisseurs (cf Ps 118) —et peut-être aussi Ac 11,8—, il existait une tradition orale messianique primitive, du moins dans les cercles pauhniens, qui jumelait les deux rôles «The idea of a "stone" having a negative as well as a positive role in relation to Israel and as something intended by God himself is in line with the original meanings of both Isaiah texts [ ] The fact that 1 Pet 2 6-8 also combines Isa 28 16 (in fuller form) with Isa 8 14 (with Ps 118 22 in between) is probably sufficient indication that a collec­tion of "stone " testimonies was early made in Christian circles for apologetic use » 5 3 D'où l'intention de Paul montrer le caractère paradoxal, décisif et conforme à la volonté de Dieu, de l'événement Jésus Christ, salut pour les uns, chute pour les autres Le Christ peut aussi bien devenir pierre de fondation (réalisation de la justice) que pierre de scandale (obstacle et cause de chute) Ouvert à tous, le salut se dérobe aux Israélites Paul transforme la citation pour marquer cette discontinuité, mais sans pour cela nier l'aspect positif des contextes originaux d'où il tire ses citations En évoquant Es 28,16 et 8,14, il suscite aussi chez le lecteur qui connaît les Écritures, le rappel de la continuité de l'Élection

b) Sens de Rm 10,4 à la lumière de 9,32c-33: Puisqu'il y a correspon­dance entre 10,4 et 9,32c, l'image du rocher est susceptible de nous faire comprendre le sens du mot τέλος Le Christ est le rocher sur lequel on trébuche ou sur lequel on s'appuie // est incontournable, comme le dit l'expression populaire II est fondement, visée, réalisa­tion, sommet, il est moment décisif, absolu, eschatologique En ce sens, 9,32c et la citation de Es 28,16 renforcent la dynamique conti­nuité/discontinuité de Rm 10,4

50 Sion n'apparaît que deux fois en Paul, ici et en Rm 11,26 (citation de Es 59,20) Dans les deux cas la connotation messianique est evidente mais difficile a évaluer dans sa portee

51 Contra C D STANLEY, op cit, ρ 120 52 « Voici queje place en Sion une pierre élue, angulaire, précieuse; et qui

se fie en elle ne saurait avoir honte. A vous donc l honneur vous qui croyez, mais pour ceux qui refusent de croire la pierre qu'avaient rejetée les bâtisseurs, c'est elle qui est devenue tête d'angle, et pierre d'achoppement, et roc où l'on trébuche Ils achoppent parce qu ils refusent de croire a la Parole et c est a quoi ils ont ete destines » (IP 2,6 8, OSTY) L'extrait de Es 8,14, 28,16 est en caractère gras

53 J D G DUNN op cit ρ 584, cf C D STANLEY, op cit, ρ 122

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c) Sens de Rm 10,4 à la lumière de J O, II54: En Rm 10,5-10 Paul juxtapose justice de la foi et justice de la Loi pour expliquer l'énoncé de 10,4. En Rm 10,11, Paul met un terme à cette explication. En citant à nouveau Es 28,16, il fusionne la justice de la Loi (Lv) et la justice de la foi (Dt): l'espérance du Lv est accomplie, et par le fait même dépassée, par l'interprétation christologique de Dt. Du contraste jaillit la complémentarité. Encore une fois, le Christ, τέλος de la Loi, accomplit celle-ci et la dépasse, mais sans l'abolir.

d) Sens de Rm 10,4 à la lumière de 9,30-33: Certains auteurs ont affirmé que 10,4 résumait Rm 9,30-3355. Sans aller aussi loin, il nous faut tirer profit du parallèle que nous avons tracé plus haut (section 4.1d) entre 9,30-33 et 10,1-11. L'affirmation de 10,4 ne peut que se situer dans le prolongement des versets qui précèdent. En 9,30-33, Paul établit d'abord un constat d'échec (vv. 30-31), puis il évoque la raison de cet échec (vv. 32-33). De manière paradoxale ou ironique, des Païens, qui avaient été relégués au second plan par l'Élection (9,7-13, 14-23), atteignent la justice, alors qu'ils ne la poursuivaient pas56. En contraste, Israël, qui poursuivait une Loi ayant pour but la justice57, ne l'a pas atteinte, mais a trébuché à l'arrivée. Notons d'abord le ton positif qui indique que Paul évite tout durcissement définitif. L'Apôtre ne dit pas: «Israël, parce qu'il poursuit une Loi de justice, n'est pas arrivé...» Il se contente de constater l'échec. Paul ne reproche pas à Israël de poursuivre cette Loi, mais bien de ne pas avoir atteint la justice de cette manière58. Notons aussi que la justice de la Loi ne s'oppose pas à la Loi de justice59. En 9,30-33, la pointe ne porte pas sur l'antithèse Loi/Christ ou œuvres/foi, mais sur l'antithèse de ceux qui réussissent contre toute attente (puisqu'ils ne poursuivaient rien) et des favoris qui échouent lamentablement. Bref, entre Loi et Christ, il y a continuité dans le but, mais discontinuité du fait de l'échec des coureurs. Selon Paul, il va de soi qu'Israël, peuple élu,

54 Pour une démonstration plus élaborée des conclusions exposées ici, cf A GIGNAC, «Citation de Lv 18,5 »

55 C Τ RHYNE, loc cit, ρ 493 Selon lui, Rm 10,4 {«car [le] τέλος de la loi, [c'est] christ en vue de la justice pour tout [humain] qui-a-tm») est le résumé de 9,31-33 la Loi atteint son but en Christ (9,32-33), le but de la Loi, c'est la justice (9,31 ), on atteint la Loi par la Foi (9,32ab) Rm 10,4 est alors pris dans son sens téléologique et devient un énoncé portant plus sur la Loi que sur le Christ

56 II s'agit d'ailleurs de la définition typiquement juive d'un Païen quelqu'un qui ne poursuit pas la justice (J D G DUNN, op at, ρ 581)

57 Νο'μον δικαιοσύνης, génitif objectif (F BLASS , op t i r , 163) 58 Dans la même ligne, cf Τ SCHREIEN, «Israel's Failure to Attain Righteousness

in Romans 9 3010 3», TrinJourn 12 (1991), pp 209-220 59 En Rm 9,30-31, Paul ne parle même pas de justice de la Loi, mais de Loi de

justice Les manuscrits s'accordent pour lire νόμον δικαιοσύνης, et non δικαιοσύνη [εκ] νομού Si Paul, par cette inversion, déroge à son habitude, qui réapparaît au verset suivant (¿κ πίστεως vs έξ έ'ργων), ce doit être volontairement et consciemment Selon RHYNE [loc cit, ρ 489], les deux expressions, justice (par la foi) et loi de justice deviennent ici interchangeables

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poursuive le but fixé par la Loi Cela est sain Hélas, le but n'a pas été atteint 6 0

e) Sens de Rm 10,4 à la lumière de 10,1-3 Comme Rm 9,30-33, Rm 10,1-3 constate l'échec d'Israel et en indique le fondement Nous paraphrasons ainsi ce passage, mais en inversant l'argumentation «Puisque le Christ est le τέλος de la Loi Israel se découvre coupable d'insoumission il ignore la justice de Dieu et cherche la sienne Ce verdict contraste avec son zèle Par conséquent, Paul ne peut que prier en faveur de ses frères ils sont à la fois bien intentionnés et égarés» Une lecture attentive de ces versets génère trois observations qui orientent l'interprétation de Rm 10,4

1) Il y a un lien étroit entre l'acceptation du Christ comme τέλος de la Loi et la conformité effective à la justice de Dieu Tout zèle qui n'admet pas l'affirmation de 10,4 est un zèle en dehors de la vraie connaissance

2) Encore ici, le ton est positif, sous deux aspects D'abord, on constate l'attitude engagée de l'Apôtre Paul lance un appel solennel en faveur du salut d'Israel et une prière pressante où il s'engage personnel­lement (cf Rm 9,1-3) Il s'agit moins d'une attaque que d'une lamenta­tion comme les prophètes de la Torah (cf Ga 1,15-16), l'Apôtre s'apprête à dénoncer son peuple, non pas tant pour le condamner sans appel que pour le secouer II intercède pour son peuple Ensuite, notre attention se porte sur l'attitude d'Israel Comme Paul (Ph 3,6, cf Ga 1,14), Israel possède un ζήλον Θεού, ι e une jalousie-zélée (ou un zèle-jaloux) qui vise Dieu61, mais qui est, hélas, mal éclairée, non conforme à la vraie connaissance (έπίγνωσις) Ζήλος peut être rendu en français par zèle ou par jalousie, selon qu'on accentue l'aspect positif ou négatif du sentiment A priori, en Rm 9—11, ce zèle n'est pas une mauvaise chose, puisqu'il concerne le premier commandement du Dieu Unique, mais s'il devient jalousie, s'il prétend conserver l'exclusivité ethnocentree du salut au détriment des Païens, il s'égare Que le mot ζήλος, en son sens positif, plaide en faveur d'Israel, cela est confirmé plus loin, lorsque Paul affirme sa volonté d'amener (ou de ramener) Israel à cette attitude de zèle (παραζηλοω 10,19, 11,11 14) Non seulement faut-il être zélé, mais il faut le devenir encore plus, au spectacle des Gentils greffés à l'olivier Aiguillonné par l'envie de suivre l'exemple du frère cadet, le frère aîné pourra concourir pour reprendre la place qu'il avait refusé, alors qu'elle lui était réservée Autrement dit, Paul désire se servir du ζήλος-jaloux d'Israel pour le ramener au ζήλος véritable, celui de la foi en Christ qui permet à tous d'accéder au salut Quoi qu'il en soit d'un jeu de mots possible autour de la racine -ζήλ- en Rm 9—11, Paul reconnaît en 10,2a l'aspect positif de l'attitude fondamentale d'Israel, pour en déplorer en 10,2b la dévia-

60 J D G DUNN op cit ρ 581

61 Ζήλον θ ε ο ύ génitif objectif {cf F BLASS op cit 163)

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tion ou la caricature Bref, le climat qui se dégage des quatre versets est favorable à Israel, malgré sa malcroyance L'interprétation de Rm 10,4 se doit de s'accorder à ce climat positif

3) Rm 10,4 se présente comme le fondement du diagnostic paulinien de 10,1-3, comme la raison qui met en relief le refus d'Israel Si cela est juste, il appert que Paul ne saurait fonder son constat de l'aveuglement d'Israel, le reproche implicite derrière ce constat, ainsi que son espé­rance de salut, sur un argument évoquant la discontinuité, ι e sur l'utilisation de τέλος entendu comme terme de la Loi Bien plutôt, c'est parce que l'Apôtre voit la continuité entre Christ et Loi, alors qu'Israël ne la voit pas, qu'il est désespéré, et c'est parce qu'il met sa foi en une telle continuité (en dépit des apparences de la rupture) qu'il espère et intercède auprès de Dieu pour ceux de sa race

En résumé, l'analyse du contexte immédiat de Rm 10,4 nous a permis de dégager de nouveaux arguments Paul décrit en Rm 9,30-33 un problème et il en indique la cause L'image qu'il a en tête est celle de la poursuite en butant sur la pierre d'achoppement chnstologique, c'est-à-dire en refusant de croire au Ressuscité, Israel n'a pas atteint le but qu'il poursuivait et n'a pas touché au fil d'arrivée Cette image paradoxale d'un messie perçu comme critère décisif d'un choix à faire s'enracine dans une interprétation chrétienne primitive de Es 8,14, 28,16 Cette lecture converge étonnamment avec celle de Rm 10,1-13 Même climat a priori favorable à Israel Même constat un zèle louable en soi, mais ignorant Même exigence se décider face à l'événement (eschatologique) Jésus Christ Même complémentarité entre Christ et Loi celle-ci est accomplie et dépassée par celui-là Même diagnostic chnstologique refuser le Christ, c'est s'empêcher d'atteindre la justice, but de la Loi Même espérance par la foi, l'accomplissement de cette juste quête est possible

5 LA RICHESSE SÉMANTIQUE DU MOT τ έ λ ο ς

Nous avons réservé pour la fin l'analyse de ce mot trop souvent (et trop facilement) les auteurs se contentent de confirmer leur option en choisissant l'acception du mot τέλος qui leur convient II est vrai que l'étude du contexte primera toujours sur toute enquête philologique —Avant même d'aborder le sens philologique de τέλος, nous avons réussi à exposer quatre arguments en faveur de notre hypothèse d'une continuité/discontinuité entre les paradigmes de l'Élection centrés respectivement sur la Loi et sur le Christ, tant à partir des concepts théologiques employés ou du contexte rédactionnel circonscrit, que de l'argumentation générale de Rm 9—11 ou de l'exégèse spécifique de Rm 9,30—10,13 Rappelons que notre hypothèse appelle au dépas­sement de l'exclusivisme but/terme ce n'est pas tant la valeur précise du mot τέλος qui nous intéresse (objet de débat autour duquel la discussion tourne en rond), que la perspective interprétative qu'il

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génère — Il demeure cependant essentiel de préciser le sens philolo­gique de τέλος, en plaçant quelques instants entre parenthèses nos présupposés, et ce que nous a apporté l'étude du contexte

C'est ce qu'a essayé de faire Badenas dans une étude doctorale62 à la méthodologie originale L'auteur conclut qu'en grec classique et chez Paul l'emploi de τέλος + génitif ne comporte jamais un sens terminal, mais bien une nuance téléologique (consommation de , autorité de , cœur de ) À première vue, cette conclusions semble confirmer à nouveau la continuité que nous avons cherché à mettre en évidence Or, cette conclusion apparaît trop absolue et par conséquent fortement contestable63, de par les exemples apportés par Badenas lui-même 1) L'auteur cite à l'appui un énoncé de Plutarque (Amatorius 750 E)64, qui a une structure strictement identique à Rm 10,4 τέλος γαρ ε π ι θ υ ­μίας ήδονη Si Badenas a raison d'affirmer, avec les philologues qu'il invoque, que le sens premier de la phrase s'entend «Vobjet du désir est le plaisir», il a tort de s'arrêter là Car le désir, une fois réalisé, est assouvi Par le fait même, on ne peut nier qu'est aussi sous-entendue l'idée «l'atteinte du plaisir tue le désir» Le mot τέλος évoque bel et bien, dans ce premier cas, l'idée de cessation ou de relativisation 2) On pourrait faire la même observation à propos d'une autre phrase de Plutarque (Moralia 780 Ε) δίκη μεν oòv νομού τέλος έστιν Non seulement «la justice est le but de la Loi», mais la Loi devient inutile et secondaire lorsque la justice est réalisée L'idée téléologique comporte un arrière-goût de cessation 3) De même (et surtout9), Vutilisation du mot τέλος chez Paul, si elle comporte généralement un sens téléologi­que, est souvent ambivalente, car un sens terminal y est souvent juxta­posé par le contexte^ De plus, dans une perspective eschatologique (qui est celle de Paul), le terme de l'Histoire signifie aussi l'accomplis­sement du projet de Dieu La conception juive du temps, loin d'être abstraite, se rattache à l'expérience concrète du sablier et de la clepsydre qui se remplissent, l'un de sable, l'autre d'eau une période de temps est accomplie (aspect qualitatif) lorsque la mesure est totalement pleine et qu'on a terminé le remplissage (aspect quantitatif) Le temps est une boîte que Dieu remplit Pour Paul, le mot τέλος est relié à une perspec­tive eschatologique où les concepts de temporalité et de finalité sont télescopés L'étude minutieuse de Badenas met en valeur l'apect conti­nuité du rapport Loi-Christ, si difficilement pris en compte, mais, engagé dans une polémique, l'auteur a eu tendance à caricaturer, donc à réduire, le sens du mot En somme, au-delà du sens spécifique du mot, retenons que τέλος est apte à rendre une nuance de continuité/disconti­nuité, tout à la fois

62 R BADENAS, op cit

63 J D G DUNN op cil, ρ 589

64 R BADENAS, op cit, ρ 46

65 Uncoupd 'œi l su rRm6 21 22, ICo 1,8, 10,11, 15,24, 2Co 1,13, 3,13, 11,15, Ph 3 19 ITh 2,16, que nous ne pouvons analyser dans le cadre de cet article, confirme cette ambivalence

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Dans les quatre premiers arguments, nous avions insisté pour mettre en valeur l'aspect continuité sous-entendue en Rm 10,4 (puisque l'as­pect rupture est à l'abord plus évident) Ici encore, le mot τέλος pointe fortement dans le sens de la continuité (cf Badenas), mais ce ne doit pas être au détriment de l'aspect rupture sous-entendue en Rm 10,4 ce qui a atteint son accomplissement (but) a aussi atteint, en quelque sorte, son terme (bout)

6 CONCLUSIONS

Les cinq pistes que nous avons invoquées forment autant d'indices qui convergent vers une même conclusion une lecture nuancée de Rm 10,4 comme l'expression d'une continuité/discontinuité entre l'Élec­tion centrée sur le Christ et l'Élection centrée sur la Loi, est plausible La solution «τέλος νόμου = terme de la Loi», qui serait, selon une recension récente, majoritairement préférée par les exégètes (')66> nous apparaît trop unilatérale et presque simpliste, suspecte a'a priori dogmatiques La solution «τέλος νόμου = visée de la Loi», si elle est l'objet de plaidoyers intéressants depuis une dizaine d'années, ne peut cependant éliminer complètement la nuance terminale de Rm 10,4 D'où notre solution, qui consiste avant tout à changer les perspectives du problème, et à comprendre Paul comme celui qui opère un boule­versement du paradigme théologique de l'Élection Pour prendre une image algébrique, nous avons incorporé le binôme Loi-Christ dans une équation matricielle plus vaste l'Élection de Dieu De cette manière, nous avons pu comprendre comment Paul effectue une trans­formation de cette équation matricielle Dans un premier temps, nous croyons que Paul était conscient d'une rupture apportée par le Christ dans l'ordre ancien des choses En se trouvant accomplie par Christ, la Loi se trouve aussi radicalement relativisée La Loi n'est plus un absolu Les cadres de l'Élection éclatent et lui permettent de s'univer­saliser Dans un deuxième temps, nous croyons cependant que Paul a effectivement cherché à mettre en valeur la continuité entre Christ et Évangile, d'une part, et Loi et Élection, d'autre part —On peut même se demander si, le concernant, l'expression continuité n'est pas mal­adroite, puisque pour lui, Juif de naissance, cela allait de soi1— Le Christ est l'idéal visé par la Loi, il est celui qui permet d'accomplir la Loi L'Élection est confirmée En opérant son changement de paradigme, Paul fait du Christ Jésus le τέλος de la Loi, ι e le cœur, la quintessence, le moteur, la potentialité de la Loi Paul établit ainsi à la fois la discontinuité et la continuité de son nouveau paradigme par rapport à l'ancien

Si notre hypothèse d'une continuité dans la discontinuité était retenue, cela entraînerait certaines répercussions 1) Dans le dialogue

66 J P HEIL CBQ 53 (1991) pp 139 140

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entre Juifs et Chrétiens, Paul pourrait devenir un médiateur, plutôt que îe responsable de la séparation. 2) Dans la discussion œcuménique sur Paul, les positions traditionnelles catholique et protestante, privilégiant respectivement la continuité et la discontinuité, s'en trouveraient rap­prochées. 3) Enfin, dans la présentation de la personnalité, de la carrière et de l'enseignement de saint Paul, les racines juives de l'Apôtre pour­raient enfin être prises en compte, sans pour cela oblitérer le tournant crucial de son expérience de Damas.

1252, av. Fontenay Sainte-Foy G1W 3S9 Québec, Canada

SOMMAIRE

Le débat autour de Vinterprétation du rapport entre Christ et Loi, exprimé en Rm 10,4, a eu tendance à se focaliser autour de Vexclusi­visme: teleologie ou abolition. L'A. propose de dépasser cette aporie en posant le problème autrement, c'est-à-dire en le situant dans le cadre plus large de VÉlection. Après Damas, lorsqu'il réorganise sa pensée dans un nouveau paradigme révolutionnairement christocentrique, Paul ne renie pas ses racines juives. Ainsi se trouve sauvegardée la fidélité de Dieu, tant envers l'Élection d'Israël qu'envers le salut universel des Gentils. Cinq pistes sont présentées, qui permettent d'in­terpréter Rm 10,4 comme un énoncé où Paul cherche à établir, tout à la fois, une continuité et une discontinuité entre Christ et Loi, dans le cadre d'un nouveau paradigme de l'Élection.

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