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«J’ai traduit en français près de 400 chansons, entre autres pour Les Classels, Les Baronets, Michèle Richard, Ginette Reno, et même pour Gerry Boulet et son groupe, Les Gants Blancs.» Monsieur Brown, vous avez été une grande star de la chanson. Pouvez-vous nous parler de votre parcours? J’ai étudié en journalisme et j’ai fait de la radio en province pour ensuite travailler à CJMS, à CKAC et à CKVL. J’ai toujours fait de la musique en parallèle. Après mes études, j’ai créé un groupe qui s’appelait Les Valentins et qui a connu un grand suc- cès avec la ballade Parce que — qui conti- nue d’ailleurs à tourner lors d’émissions rétro. Après Les Valentins, j’ai concen- tré mes activités pendant une bonne dizaine d’années à la radio, à la réalisation d’albums et à l’écriture de chansons pour tous les artistes populaires de l’époque. J’ai traduit en français près de 400 chan- sons, entre autres pour Les Classels, Les Baronets, Michèle Richard, Chantal Paris, Jean Nichol, Ginette Reno, et même pour Gerry Boulet et son groupe, Les Gants Blancs. Puis je me suis orienté vers les médias écrits. J’ai commencé à interviewer des peintres, et ça m’a amené à acheter une maison à Baie-Saint-Paul et à ouvrir une galerie d’art à Montréal. Ce sont un peu mes droits d’auteur qui me permettaient d’avoir une certaine latitude financière. C’était la grande époque des chansons populaires anglaises ou américaines traduites en français. La compétition était- elle féroce pour savoir qui allait traduire un hit avant l’autre? Non. De temps en temps, certains auteurs en faisaient, comme Stéphane Venne et Pierre Sénécal, mais ceux-ci préféraient écrire des chansons originales. J’avais alors un peu le champ libre. Lorsqu’une chanson populaire de Roy Orbison, d’Elvis, des Beatles ou d’autres groupes avait un gros succès — soit 2 millions de disques vendus —, on savait qu’il en serait de même en français et qu’on vendrait de 25 000 à 50 000 exemplaires. J’ai fait de la traduction et des chansons originales aussi. Parfois on enregistrait une traduction d’un côté du disque et une chanson originale de l’autre. Tes yeux, de Nicole Martin, dont j’ai écrit le texte et Jimmy Bond, la musique, devait être une chanson côté B, mais le public l’a adorée et elle est devenue un côté A. Quel est votre plus grand succès en tant que chanteur? C’est Ce soir je vais te faire pleurer. Je fai- sais surtout des ballades et j’avais un look assez classique. Les mamans disaient à leurs filles qu’elles pouvaient venir voir mes spectacles, car j’avais l’air moins Gilles Brown à l’âge de 25 ans Gilles Brown QUAND LES MOTS DEVIENNENT DES IMAGES Auteur de grands succès musicaux dans les années 60, autant pour lui-même que pour les vedettes de l’époque, il s’est retrouvé au sommet de la popularité grâce au duo Les Valentins et à la chanson Parce que . Si une image vaut mille mots, cette phrase prend tout son sens lorsque ce journaliste de formation devient propriétaire, en 1975, de la grande galerie d’art Clarence Gagnon à Montréal et à Baie-Saint-Paul. Digne représentant de la famille Brown dans la capsule Le Québec, une histoire de famille, il nous parle ici de sa carrière dans le showbiz, de son parcours comme galeriste ainsi que de son histoire de famille. PAR Marie-Anne Alepin PHOTO: ARCHIVES TVA

Gilles Brown

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Page 1: Gilles Brown

«J’ai traduit en français près de

400 chansons, entre autres pour Les Classels, Les

Baronets, Michèle Richard, Ginette

Reno, et même pour Gerry Boulet et son groupe, Les

Gants Blancs.»

Monsieur Brown, vous avez été une grande star de la chanson. Pouvez-vous nous parler de votre parcours?J’ai étudié en journalisme et j’ai fait de la radio en province pour ensuite travailler à CJMS, à CKAC et à CKVL. J’ai toujours fait de la musique en parallèle. Après mes études, j’ai créé un groupe qui s’appelait Les Valentins et qui a connu un grand suc-cès avec la ballade Parce que — qui conti-nue d’ailleurs à tourner lors d’émissions rétro. Après Les Valentins, j’ai concen-tré mes activités pendant une bonne dizaine d’années à la radio, à la réalisation d’albums et à l’écriture de chansons pour tous les artistes populaires de l’époque. J’ai traduit en français près de 400 chan-sons, entre autres pour Les Classels, Les Baronets, Michèle Richard, Chantal Paris, Jean Nichol, Ginette Reno, et même pour Gerry Boulet et son groupe, Les Gants Blancs. Puis je me suis orienté vers les médias écrits. J’ai commencé à interviewer des peintres, et ça m’a amené à acheter une maison à Baie-Saint-Paul et à ouvrir une galerie d’art à Montréal. Ce sont un peu mes droits d’auteur qui me permettaient d’avoir une certaine latitude financière.C’était la grande époque des chansons populaires anglaises ou américaines traduites en français. La compétition était-elle féroce pour savoir qui allait traduire un hit avant l’autre?Non. De temps en temps, certains auteurs en faisaient, comme Stéphane Venne et Pierre Sénécal, mais ceux-ci préféraient écrire des chansons originales. J’avais alors un peu le champ libre. Lorsqu’une chanson populaire de Roy Orbison, d’Elvis, des Beatles ou d’autres groupes avait un gros succès — soit 2 millions de disques vendus —, on savait qu’il en serait de même en français et qu’on vendrait de 25 000 à 50 000 exemplaires. J’ai fait de la traduction et des chansons originales aussi. Parfois on enregistrait une traduction d’un côté du disque et une chanson originale de l’autre. Tes yeux, de Nicole Martin, dont j’ai écrit le texte et Jimmy Bond, la musique, devait être une chanson côté B, mais le public l’a adorée et elle est devenue un côté A. Quel est votre plus grand succès en tant que chanteur?C’est Ce soir je vais te faire pleurer. Je fai-sais surtout des ballades et j’avais un look assez classique. Les mamans disaient à leurs filles qu’elles pouvaient venir voir mes spectacles, car j’avais l’air moins

Gilles Brown à l’âge de 25 ans

Gilles BrownQUAND

LES MOTS DEVIENNENT DES IMAGES

Auteur de grands succès musicaux dans les années 60, autant pour lui-même que pour les vedettes de

l’époque, il s’est retrouvé au sommet de la popularité grâce au duo Les Valentins et à la chanson Parce que. Si une image vaut mille mots, cette phrase

prend tout son sens lorsque ce journaliste de formation devient propriétaire, en 1975, de la

grande galerie d’art Clarence Gagnon à Montréal et à Baie-Saint-Paul. Digne représentant de la famille Brown dans la capsule Le Québec, une histoire de

famille, il nous parle ici de sa carrière dans le showbiz, de son parcours comme galeriste ainsi

que de son histoire de famille.PAR Marie-Anne Alepin

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Page 2: Gilles Brown

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Les Brown en Bref

• On compte près de 4300 Brown au Québec. Ils sont surtout originaires d’Écosse, d’Angleterre et d’Irlande. Certains venaient des États-Unis et du Nouveau-Brunswick.

• Originaire d’Écosse, William Brown fonde en 1764 le premier journal publié au pays, La Gazette de Québec.

• Thomas Storrow Brown (1803-1888) a été chef de 200 patriotes à Saint-Charles. Il est né au Nouveau-Brunswick, et ses parents sont natifs des États-Unis. Ces derniers ont fui leur pays natal lors de la guerre d’Indépendance.

• Léonard Brown (1792-1852), né aux États-Unis, s’installe avec sa famille à Dunham en 1819. Il est médecin et patriote. Il assiste à la fameuse assemblée anticoercitive à Stanbridge, le 4 juillet 1837, en réaction aux résolutions Russell. Un autre médecin-patriote Brown, Nathaniel S. Brown, y est présent et propose même une résolution.

• Herbert Brown Ames (1863-1954), dont les parents venaient des États-Unis, est né à Montréal. Il a été un homme d’affaires réputé, un politicien, un philantrope et un écrivain. Il a consacré une partie de sa richesse à la construction de logements sociaux à Montréal.

• Patrick Brown, originaire du Royaume-Uni, devient rédacteur en chef de Radio-Canada international en 1974 et journaliste pour les Nouvelles nationales de Montréal en 1976. Il est ensuite correspondant à l’étranger, et produit plusieurs documentaires et séries pour les nouvelles de CBC et de Radio-Canada.

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C’est en tant qu’annonceur à la radio que Gilles Brown a entamé sa carrière dans les médias.

Dans la vague des chanteurs

yéyé, Gilles Brown était

un artiste au look classique

qui interpré-tait surtout

des ballades.

dangereux que les autres... (rires) Écrire des textes rapidement (environ 10 par semaine) dans lesquels le public pouvait se reconnaître était mon point fort. Je pense à Lolita, de Joël Denis, par exemple. et en tant qu’auteur-traducteur?Il s’est vendu dans les 90 000 exemplaires de Trois petits coups, de Johnny Farago, et environ 75 000 de Les boîtes à gogo pour Michèle Richard. Quand tu liras cette lettre, de Stéphane, s’est écoulé à plus de 125 000 exemplaires et m’a rapporté un gros 25 $ de droits d’auteur! En France, j’aurais fait une petite fortune! Un autre de mes textes qui a connu un grand succès, et dont Pierre Laurendeau a fait la musique, c’est La moustache à papa, repris récem-ment par Carmen Campagne. Avez-vous une anecdote à nous raconter?J’ai traduit la chanson I’m Telling You Now, du groupe Pace Maker, pour Gerry Boulet et Les Gants Blancs. Je lui ai donné le texte Je n’aime que toi et je lui ai demandé de la chanter pour voir si ça fonctionnait. Je lui ai dit que je travaillais à CKVL, à l’émission Discothèque, et que s’il chantait en roulant les «r», c’était certain que ça ne tournerait pas à la radio. (rires) Avant l'arrivée de Robert Charlebois, il fallait toujours bien prononcer à la française. Imaginez, j’avais même dit à Gerry de suivre des cours de diction! Je l’ai revu plusieurs années après, et il m’a dit à la blague, avec un bel accent français: «Bonjour, Gilles Brown.» (rires) Je lui ai répondu qu’il avait bien fait de ne pas écouter mon conseil dans les années 60!» (rires) C’est son côté très «joual» qui a fait son succès.Pouvez-vous nous parler de votre galerie d’art, Clarence-Gagnon?J’ai fondé la galerie en 1975 avec mon

épouse, Lisette Lortie. Nous avons tou-jours encouragé les jeunes artistes, par exemple André Pitre, Chantale Jean, Patrick Rodrigue et Cynthia Chevalier. Nous avons lancé et soutenu Johanne Corneau pendant une douzaine d’années. Après 37 ans de métier, je suis devenu spécialiste pour authentifier certaines œuvres comme celles de Marc-Aurèle Fortin, de René Richard, d’Albert Rousseau ou de René Ayotte. Quelles sont les œuvres dont vous êtes le plus fier?J’aime beaucoup les tableaux de Jean-Paul Lemieux et de Marc-Aurèle Fortin. J’en ai presque toujours dans ma galerie. Quand l’économie est incertaine, que la Bourse est très volatile et que les taux d’intérêts sont bas, comme maintenant, les œuvres d’art haut de gamme sont un meilleur investissement que la Bourse,

l’immobilier, l’or ou les pierres pré-cieuses... On parle des toiles du calibre des Fortin, Riopelle, Lemieux, Borduas, Pellan et autres Marcelle Ferron... Ce sont des valeurs sûres, car les peintres sont décé-dés et ne peuvent plus produire. Avant de participer à la capsule Le Québec, une histoire de famille, est-ce que vous connaissiez votre histoire ancestrale?Je savais que j’étais d’origine écossaise, car mon épouse avait fait un peu de recherche en généalogie. J’étais heureux d’apprendre qu’un certain Brown avait lancé La Gazette à Québec. J’ai toujours été attiré par le journalisme, les mots, la langue française. Pouvez-vous nous nommer un trait particulier des Brown?On dit que les Écossais ont un bon sens de l’argent. Au cours des années, bien que

j’aie pratiqué des «métiers d’insécurité» et «d’incertitude» (showbiz, radio, arts), j’ai tout de même réussi à bien investir mes sous et à constituer une belle collection de tableaux. Ma grand-mère paternelle était une Couillard, de Bretagne, et on dit que les Bretons ont la tête dure. (rires) Si je pense à mon grand-père et à mon père, cette carac-téristique me semble assez vraie. Pour ma part, c’est assez difficile de me faire changer d’idée. (rires)Quels étaient les métiers de votre père et de votre grand-père?Mon père a eu un commerce pendant près de 40 ans dans Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal, La Vitrerie Brown, et il s’est même présenté comme échevin dans le quartier. Mon grand-père Louis Brown venait de Farnham. Puisqu’il était Écossais et qu’il parlait mieux anglais que français (même si les Brown de ma famille ont tous été éduqués en français), il était intendant au Canadien Pacifique, situé aujourd’hui aux Shops Angus. Ma grand-mère, Joséphine Couillard, venait de la région de Rivière-Ouelle. Avez-vous grandi dans une famille où la

«Quand j’étais enfant, j’allais m’acheter un quarante-cinq tours et je pouvais l’écouter des centaines de fois pour apprendre le phrasé de l’artiste.»

musique était très présente?Ma mère, Jeanne Jacques, avait une tradition familiale plus musicale que celle des Brown. Elle chantait beaucoup à la maison. Quand j’étais enfant, j’allais m’acheter un quarante-cinq tours et je pouvais l’écouter des cen-taines de fois pour apprendre le phrasé de l’artiste. Avez-vous une histoire de famille à nous raconter? Mon grand-père disait que son père venait d’Écosse et qu’il avait un statut privilégié en étant propriétaire de terres. À son arrivée ici, il paraît qu’il a été très déçu de constater qu’il devait travailler à sa ferme pour avoir de l’argent: il croyait qu’il aurait des serviteurs!Pour terminer, pouvez-vous nous parler de la suite de votre lignée?J’ai deux enfants: Frédéric et Vanessa, qui vient d’avoir une petite fille, Romane, âgée de 18 mois. C’est ma fille qui a fait la narration de la capsule Brown. Ma fille travaille avec moi, et mon fils a tourné un peu autour du spec-tacle et a fait aussi du travail en Haïti; c’est le bohème de la famille!

Gilles Brown avec Petula Clark

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Gilles Brown avec ses parents, vers l’âge de sept mois

Propriétaire de la galerie d’art Clarence Gagnon

depuis 1975, Gilles Brown est devenu un expert dans

l’authentification d’œuvres.

Mariage des parents de Gilles Brown, Jeanne Jacques et Maurice Brown, le 23 décembre 1939 à l’église du Très-saint-nom-de-Jésus, à Montréal

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