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Gilles Rotillon Économie des ressources naturelles

Gilles Rotillon-Économie des ressources naturelles

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Gilles Rotillon

Économiedes ressources

naturelles

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Remerciements

Je voudrais tout d’abord remercier chaleureusement BrunoRiotte, Henri et Marie-France Guillaume qui, une semaine dejuin 2003, ont su créer les conditions favorables au démarragede ce travail. Sans eux, je n’aurais sans doute pas entreprisd’écrire ce livre. Mes remerciements vont également à PhilippeMichel, Marie Llorente, Olivier Godard, Denis Babusiaux,Vincent Martinet, Pierre-André Jouvet, Katheline Schubert etNguyen Man Hung qui ont bien voulu donner leur avis surcertaines parties du manuscrit.

Je dédie ce livre à la mémoire de Jean-Paul Piriou, qui m’aaccueilli chaleureusement dans sa collection, et de PhilippeMichel, qui fut mon maître et surtout mon ami.

ISBN 2-7071-4322-7

Le logo qui figure au dos de la couverture de ce livre mérite une explication. Sonobjet est d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, toutparticulièrement dans le domaine des sciences humaines et sociales, le développementmassif du photocopillage.

Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressé-ment la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cettepratique s’est généralisée dans les établissements d’enseignement supérieur, provo-quant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour lesauteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’huimenacée.

Nous rappelons donc qu’en application des articles L. 122-10 à L. 122-12 du Codede la propriété intellectuelle, toute reproduction à usage collectif par photocopie, inté-gralement ou partiellement, du présent ouvrage est interdite sans autorisation duCentre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins,75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intégrale ou partielle, est égalementinterdite sans autorisation de l’éditeur.

Si vous désirez être tenu régulièrement informé de nos parutions, il vous suffitd’envoyer vos nom et adresse aux Éditions La Découverte, 9 bis, rue Abel-Hovelacque,75013 Paris. Vous recevrez gratuitement notre bulletin trimestriel À la Découverte.Vous pouvez également retrouver l’ensemble de notre catalogue et nous contacter surnotre site www.editionsladecouverte.fr.

© Éditions La Découverte, Paris, 2005.Dépôt légal : janvier 2005

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Introduction

On peut schématiquement distinguer deux périodes dansl’étude économique des problèmes posés par l’utilisation parl’homme des ressources naturelles. La première est centrée surla question de l’épuisement des ressources naturelles et de sesconséquences pour la croissance économique. Elle commencedès la constitution de l’économie comme discipline autonome,par exemple avec Ricardo [1821] qui voyait, dans la baisseprogressive de la qualité productive des terres mises en culture, lacause de l’arrêt futur de la croissance. Jevons [1865] fait le mêmediagnostic à partir de l’analyse du rôle du charbon dansl’économie britannique et de son épuisement supposé. Plus prèsde nous, le célèbre rapport Meadows du Club de Rome [1972]reprend la même antienne en l’étendant à toutes les ressourcesminérales. Très récemment encore, Lester Brown [2001] actualisele constat et fait le lien avec la seconde période, celle qui corres-pond à la montée des mouvements écologistes au plan politiqueet qui met davantage l’accent sur les dégradations environne-mentales dues à nos modes de consommation et de produc-tion. L’Économie de l’environnement [Bontems et Rotillon, 2003]présentait les concepts proposés par les économistes pouranalyser les causes de ces dégradations et les méthodes pour yremédier et participer à la décision publique. Cet ouvrage a unobjectif similaire concernant l’économie des ressources natu-relles, telles qu’elles ont été abordées avant que l’accent ne soitmis sur les problèmes plus spécifiquement environnementaux.

Il existe sur le sujet une énorme littérature, principalementanglo-saxonne, et donc difficilement accessible à un large publicde langue française. On peut considérer le livre de Dasgupta et

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Heal [1979] comme la synthèse de l’approche théorique de cechamp d’étude. Mais, outre la langue et la longueur de l’ouvrage(500 pages), il est écrit pour un public universitaire au moinsau niveau de la licence (bac + 3) et spécialisé en économie. Lesquelques rares ouvrages en français abordant ces questions sontégalement destinés à ce public et ils sont en général nettementmoins réussis que leurs homologues anglo-saxons.

Notre propos est donc d’abord pédagogique. Nous souhaitonsoffrir aux lecteurs francophones une introduction à l’économiedes ressources naturelles telle qu’on peut la trouver dans le livrede Dasgupta et Heal, les maths en moins, tout en en préser-vant l’essentiel du contenu. Un certain nombre de questions ontcependant été négligées, comme celles concernant la fluctua-tion des prix et ses effets sur les pays producteurs, les traitéscommerciaux, la spéculation ou les marchés à terme, qui concer-nent plutôt ce que l’on nomme « commodités » que « ressourcesnaturelles ». Elles sont évidemment très importantes et fontl’objet du livre de Pierre-Noël Giraud [1989], auquel nousrenvoyons le lecteur. Ici, l’accent sera principalement mis sur lesproblèmes posés par l’utilisation des ressources naturelles dans lelong terme.

Le premier chapitre présente le concept économique deressource naturelle et discute la distinction traditionnelle entreles ressources de stock, dites épuisables, et les ressources de fluxou renouvelables. Concernant les premières, il aborde le débatentre l’approche des géologues de la mesure des stocks etl’approche des économistes. La question récurrente du nombred’années de consommation encore possibles d’une ressourceépuisable avant son épuisement est illustrée par l’exemple dupétrole. Enfin, il introduit à la dynamique de l’évolution d’uneressource renouvelable, indépendamment de son utilisation parl’homme.

Le chapitre II est consacré à l’exploitation des ressources épui-sables. Puisque, par définition, l’utilisation d’une telle ressourceréduit irréversiblement le stock disponible restant, à quel rythmedoit-on utiliser ces ressources ? La réponse, qui dépend bienévidemment des conditions économiques de l’exploitation de laressource, peut néanmoins trouver une formulation théoriquesimple : la règle d’Hotelling, du nom de l’économiste qui l’a miseen évidence le premier en 1931. Le chapitre discute la signifi-cation économique d’une telle règle et en évalue la portée

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empirique. La seconde question posée par l’exploitation d’uneressource épuisable est celle d’une mesure de sa rareté. Peut-ontrouver un indicateur qui nous renseigne suffisamment sur l’étatdes stocks encore disponibles ? Nous présentons et discutons lesprincipales réponses apportées à cette question.

Le chapitre III s’intéresse, quant à lui, à l’exploitation desressources renouvelables. La question du rythme d’exploitationest la même que celle concernant les ressources épuisables, avecla contrainte supplémentaire, impliquée par la dynamiquepropre d’une telle ressource, que ce rythme ne soit pas excessifet ne transforme pas la ressource renouvelable en ressource épui-sable. Potentiellement, une ressource renouvelable est inépui-sable et le problème posé par son exploitation tient précisémentà la sauvegarde de ce potentiel. Là encore, la réponse théorique àcette question prend la forme d’une règle simple qui est, pour lesressources renouvelables, le pendant de la règle d’Hotelling pourles ressources épuisables. Comme dans le chapitre précédent,nous dégageons la signification économique de ce résultat théo-rique et nous en discutons la portée. La fin du chapitre prendacte des nombreux comportements de surexploitation d’uneressource renouvelable. Il en analyse les causes et discute lesdifférentes solutions qui ont été proposées pour y mettre fin.

Le chapitre IV délaisse l’approche principalement normativeet théorique du chapitre précédent pour présenter quelques casconcrets d’exploitation de ressources renouvelables. Y sontsuccessivement présentés les ressources halieutiques, la forêt, leclimat et l’eau.

Enfin, le dernier chapitre fait le lien entre les deux périodesque nous avions schématiquement distinguées au début de cetteintroduction, concernant l’étude des ressources naturelles. Lapériode de l’utilisation sans frein de ces ressources et celle de lamontée des préoccupations induites par les conséquences decette utilisation immodérée. Cette conjonction des deux côtés dela médaille se décline aujourd’hui sous l’appellation de dévelop-pement durable. Le succès de cette notion est tel qu’il en devientproblématique. Le développement durable semble aujourd’huiinspirer aussi bien les hommes politiques que les chefs d’entre-prise. Et pourtant, notre planète n’a sans doute jamais paru aussimenacée à ses habitants. Le développement durable est-il uneauberge espagnole ou un concept utile à l’action ? Ce dernierchapitre donne le point de vue d’un économiste sur le sujet.

INTRODUCTION 5

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I / Les ressources naturelles

Chacun d’entre nous peut donner des exemples de ressourcesnaturelles, comme le pétrole, le charbon, le bois, les fruitssauvages…, si bien qu’il ne semble guère nécessaire d’en diredavantage, tellement l’expression paraît parler d’elle-même.« Ressource » renvoie à quelque chose d’utile à l’homme et« naturelle » au milieu dont elle provient, milieu qui est lui-même déjà donné et extérieur à l’activité humaine. Nous allonsmontrer que le concept économique de « ressource naturelle »demande à être mieux précisé. Ceci nous conduira à faire unedistinction fondamentale entre deux types de ressources natu-relles : les ressources épuisables et les ressources renouvelables.

Le concept économique de ressource naturelle

Pour que quelque chose existant dans la nature soit utile àl’homme, encore faut-il que ce dernier puisse, d’une part, enavoir conscience et, d’autre part, avoir les moyens de s’en servir.Le radium, aujourd’hui indispensable en médecine, existait bienévidemment avant sa « découverte » par Marie Curie en 1896. Enle mettant en évidence, cette dernière a dévoilé un aspect de lanature qui nous était jusqu’alors inconnu, mais elle n’en a pasfait pour cela une « ressource ». Il a fallu de nombreux progrès enphysique nucléaire, en biologie et en technologie pour arriver àle domestiquer et en faire un outil de lutte contre le cancer, alorsmême qu’il a coûté la vie à Marie Curie. Et si, aujourd’hui, leschercheurs de champignons savent bien qu’ils ne peuvent pas

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consommer n’importe quelle espèce, la cueillette à l’aube del’humanité a dû causer bien des drames.

Ainsi, une « ressource naturelle » n’est pas si naturelle quecela. Elle n’a d’existence que par rapport à une technologied’utilisation donnée. Au début du XXe siècle, le minerai de cuivrecontenant moins de 10 % de métal n’était pas exploité. Quaranteans après, le développement de la demande et une nouvelletechnologie permettaient l’exploitation d’un minerai avec uneteneur en cuivre de 1 %, et aujourd’hui certains dépôts sontexploités avec 0,4 % de métal.

Mais la technologie ne suffit pas, il y faut aussi des conditionséconomiques favorables. On sait aujourd’hui extraire le pétroledes schistes bitumineux mais à un coût bien supérieur au prix demarché, ce qui rend, actuellement, toute exploitation à des finsproductives inutile.

En résumé, on parlera donc de ressource naturelle au senséconomique quand la ressource sera utilisable avec la techno-logie existante et exploitable avec les prix actuels.

Une dernière distinction doit être faite concernant lesressources naturelles. Étant utiles à l’homme, leur usage peutconduire à leur disparition et elles sont donc souvent descontraintes pour la croissance économique. Les économistesclassiques du XIXe siècle, comme Ricardo et Malthus, ont eu uneconscience aiguë de cette question au travers de leurs analysesdu développement économique et du rôle qu’y tenait la terrecomme facteur de production. Le premier prévoyait l’évolutionde l’économie vers un état stationnaire à cause de la limitationdes terres cultivables et de leur fertilité décroissante, et le secondvoyait une contradiction indépassable entre la croissance de lapopulation et cette même limitation des terres. En 1865, dansThe Coal Question, Jevons annonçait la fin de la révolution indus-trielle en Angleterre à partir de l’observation des limitesphysiques des gisements de charbon et du rôle de cette énergiepour la croissance économique. Au XXe siècle, il a fallu attendrela publication du livre de Forrester, World Dynamics [1971], etles travaux du Club de Rome, avec le rapport Meadows [1972],pour voir repris le même discours sur la limitation essentielle desressources naturelles conduisant à l’arrêt de la croissance.

Dans tous ces avertissements, on retrouve le même argumentdu caractère fini des ressources naturelles essentielles à la crois-sance et donc la conclusion d’un arrêt de cette dernière. On voit

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que c’est davantage une conception physique de la notion deressource naturelle qu’une conception économique qui sous-tend ce raisonnement. La ressource naturelle est avant tout unstock fini de matière, dont l’usage ne peut que conduire à sonépuisement final. On parlera dans ce cas de ressource épuisable,comme toutes les ressources minérales, charbon, or, alumi-nium…, mais aussi comme le gaz ou le pétrole. Notons enfinqu’il existe une différence entre ressources épuisables selon leurcaractère durable ou non. Une ressource n’est pas durable si sonextraction et sa consommation la rendent inutilisable pour desusages futurs. Certains minéraux, comme l’or ou l’argent,peuvent être recyclés dans certains de leurs usages et sont doncdurables, contrairement au pétrole par exemple. Cependant, sice caractère peut retarder l’épuisement de la ressource, il ne peutpas l’empêcher définitivement.

Dans ce sens, les ressources épuisables s’opposent à d’autresressources naturelles qui ont une capacité propre de régénéra-tion et qu’on nomme pour cela des ressources renouvelables. Laforêt ou les poissons en sont les exemples les plus classiques.Bien entendu, ces distinctions ne sont pas absolues et il estparfois difficile de caractériser une ressource à l’aide de ces caté-gories. Une forêt d’un millier d’années est-elle vraiment renou-velable ? On atteint une limite de temps au-delà de laquelle ilest difficile de parler de régénération, du moins à une échellehumaine, car sinon, à une échelle de temps géologique, lesressources dites épuisables deviennent aussi renouvelables : il seforme toujours du pétrole dans les bassins sédimentaires de laplanète ! L’eau est considérée généralement comme uneressource renouvelable, mais ce n’est sûrement pas le cas pourdes aquifères souterrains datant de millions d’années. De même,le sable et le gravier sont des ressources minérales finies, doncépuisables, mais on les produit si facilement que le qualificatifn’est plus pertinent. Toutefois, au moins pour les ressources lesplus utilisées dans l’industrie ou les ressources fossiles énergé-tiques, la distinction est sans ambiguïté.

D’un point de vue plus économique, toutes les ressources sonten fait épuisables si on entend par épuisable la possibilité d’uneutilisation qui conduise à la disparition de la ressource. Les crisd’alarme de ce début de siècle sur la perte de biodiversité et ladisparition de nombreuses espèces animales montrent que cettepossibilité n’est pas seulement théorique. Néanmoins, la

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distinction précédente entre ressources épuisables ou renouve-lables du fait de l’existence ou non d’une capacité de régénéra-tion naturelle est utile en ce qu’elle met l’accent sur les enjeuxdifférents qu’induit leur usage. Du fait de sa régénération natu-relle, une ressource renouvelable est potentiellement inépui-sable si son usage prend correctement en compte sa dynamiquepropre, c’est-à-dire si son rythme d’utilisation n’est pas systéma-tiquement supérieur à son rythme de reproduction. La ques-tion principale posée par l’utilisation de ces ressources est doncd’éviter leur extinction. Cette question ne se pose pas pour lesressources épuisables au sens physique, puisque leur utilisationconduit nécessairement à leur disparition.

Les ressources épuisables

Les ressources naturelles épuisables se présentent dans lanature sous la forme de stocks finis d’un point de vue physiqueet on a vu que c’est cette caractéristique qui justifie leur dénomi-nation. Quand ces ressources sont essentielles au mode deproduction, comme le pétrole aujourd’hui, se pose la questionde l’avenir de l’économie, une fois cette ressource épuisée.Toutefois, l’estimation de ces stocks est incertaine et cet avenirn’est pas facile à dater. On conçoit que la question de l’après-pétrole se pose de manière très différente selon que nous puis-sions encore maintenir notre mode de consommation présentpendant dix ans ou pendant cent ans. Dans le second cas, onpeut raisonnablement espérer trouver un substitut sans modifierbrutalement nos comportements actuels alors que ce serait sansdoute impossible dans le premier cas.

On doit constater que, dans le passé, l’humanité s’est trouvéeconfrontée à cette question. C’était le fond de l’argumentationde Jevons à propos du charbon, pour lequel il ne voyait pas desubstitut disponible dans un proche avenir. À cette époque, lepétrole servait surtout à l’éclairage sous forme de pétrolelampant, obtenu à partir de la distillation du charbon. On peutcomprendre qu’il n’était pas facile d’y voir un substitut futur dece même charbon !

C’est pourquoi l’estimation des stocks de ressources natu-relles épuisables, pour délicate qu’elle soit, est un élémentimportant de notre appréciation sur le devenir de notre système

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de production. On va voir, cependant, que la mesure des quan-tités disponibles de ressources se heurte à de nombreusesdifficultés.

Le problème de la mesure des stocks

Jusqu’à la fin des années 1970, une grande confusion régnaitdans le vocabulaire désignant les ressources naturelles minérales.Ainsi, par réserves prouvées, on entendait aussi bien les gise-ments de minerai de fer dont 85 % étaient estimés récupé-rables, le pétrole qui était estimé récupérable à 100 %, ou lecharbon qu’il soit récupérable ou non. Progressivement, deuxagences américaines, l’US Bureau of Mines et l’US GeologicalSurvey, ont proposé une normalisation du vocabulaire qui estmaintenant adopté par l’industrie et les autres pays, et dont ontrouvera en encadré quelques définitions.

Comme on peut le constater, la notion de réserve n’est paspurement physique, mais physico-technico-économique. Ils’agit pourtant d’une normalisation qui est loin de régler tous lesproblèmes.

Les réserves

Réserves prouvées : Ressources découvertes et récupérables avec une certituderaisonnable, et économiquement exploitables compte tenu des prix courants etde la technologie disponible.

Réserves probables : Ressources découvertes mais non exploitées. Il s’agitd’une extrapolation de ressources potentielles, fondée sur la connaissance desformations géologiques et de leur lien avec la ressource. Ainsi, on sait que lepétrole se forme dans les bassins sédimentaires dont 600 sont recensés dans lemonde, les deux tiers ayant été explorés. On considère généralement que cesressources ont au moins 50 % de chances d’être exploitables avec la technologieet les conditions économiques du moment.

Réserves : Réserves prouvées + réserves probables.Ressources présumées : Ressources non découvertes mais qu’on suppose

pouvoir trouver un jour dans les sites connus et déjà explorés. Ainsi, on ne connaîtpas le potentiel de pétrole en mer du Nord.

Ressources spéculatives : Ressources non découvertes dans des sites nonencore explorés mais où on sait pouvoir trouver la ressource. La plupart desbassins sédimentaires non encore explorés sont dans les fosses profondes du Paci-fique que la technologie actuelle ne permet pas de visiter mais dont on sait avecune quasi-certitude qu’ils contiennent du pétrole. Il faut noter que, il y a unecinquantaine d’années, la mer du Nord ne contenait que des ressourcesspéculatives.

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Le tableau ci-dessous donne une estimation des réserves dequelques ressources dans le monde en milliards de tonnes équi-valent pétrole (tep).

Ressource Réserves prouvées Réserves probables

Pétrole 140 250Gaz 120 130Charbon 500 3 000

Source : ADEME.

Toutefois, si le vocabulaire est commun, ni les définitions, niles pratiques ne le sont. En particulier, les Américains ne tien-nent compte que des réserves prouvées quand la plupart desautres pays considèrent les réserves (prouvées + probables) pourévaluer les stocks. En effet, la Security & Exchange Commission(SEC) impose à toutes les compagnies enregistrées à la Bourseaméricaine de ne déclarer que les réserves prouvées.

Le montant des réserves prouvées dépend aussi du coût auquelon considère que la ressource ne sera plus exploitable du pointde vue de sa rentabilité économique. Avec un prix du baril depétrole à 80 dollars, on n’utiliserait plus cette matière premièremais des substituts parfaits qui peuvent être produits à partir ducharbon à un coût inférieur.

Pour le pétrole, les réserves prouvées mondiales sont publiéesannuellement par l’Oil and Gas Journal et le World Oil. Le tableauci-dessous donne leurs estimations pour le 1er janvier 2002 enmilliards de barils (1 tep = 7,33 barils).

Estimations des réserves prouvées de pétrole en janvier 2002

Oil and Gas Journal World Oil

Amérique du Nord (dont le Mexique) 54,2 50,9Amérique du Sud 96 69,1Europe de l’Ouest 17,3 17,7Europe de l’Est 58,4 67,1Moyen-Orient 685,6 662,5Afrique 76,7 94,9Asie et Océanie 43,8 56,5Monde 1 032,0 1 018,7

Source : Energy Information Administration/International Energy Annual 2001.

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On constate que ces estimations sont sensiblement diffé-rentes, en particulier pour l’Amérique du Sud et l’Afrique, ce quirend les prévisions et la gestion des stocks délicates.

Combien d’années de pétrole ?

En faisant le ratio entre les réserves, prouvées ou non, et laproduction (ou la consommation) de l’année, on obtient lenombre d’années pendant lesquelles il est possible d’utiliser laressource épuisable au même rythme que l’année de base. C’estce type de ratio qui donne lieu aux annonces médiatiques sur lenombre d’années pendant lesquelles il nous reste du pétrole.

Il dépend donc de la définition retenue pour le choix dunumérateur. Le tableau ci-dessous donne des exemples de cesratios pour plusieurs ressources épuisables. La troisième colonnedonne un ratio systématiquement plus élevé que la secondepuisqu’elle prend en compte les réserves alors que seules lesréserves prouvées sont considérées dans l’autre.

Minéral Réservesprouvées/production

Réserves/production

Aluminium 207 252Cuivre 33 62Minerai de fer 152 233Plomb 23 47Nickel 59 137Étain 41 59Zinc 20 48

Source : World Resource Institute (1996).

Il faut cependant relativiser de tels indicateurs et ne pas y voirdes indicateurs de rareté, comme le montre le tableau suivant oùle ratio réserves/consommation pour le pétrole est donné à diffé-rentes dates.

On constate que le ratio a augmenté de 35 en 1972 à 45 en1990 alors que la consommation de pétrole a cru de plus de 50 %entre 1971 et 1991. En 2003, ce ratio est évalué à une quaran-taine d’années. C’est donc que les réserves ont augmenté demanière encore plus importante pendant toute la fin duXXe siècle.

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Années Ratio réserves/consommation

1950 221960 371972 351980 271990 45

Source : Slade (1987), World Resource Institute (1996).

Compte tenu de la définition des réserves prouvées, leuraugmentation ne peut a priori venir que de quatre sources. Lapremière est évidemment la découverte de nouveaux gisements.Toutefois, les découvertes annuelles sont actuellement infé-rieures à la consommation annuelle et il n’y a pas eu de gise-ment géant nouveau répertorié depuis 1980 (ceux à plus de2 milliards de barils, qui peuvent vraiment changer fortementl’évaluation des réserves). La deuxième voie est d’améliorer lestechnologies de récupération. On considère aujourd’hui qu’unchamp est épuisé quand on a récupéré 35 % de son pétrole. Or,une amélioration du taux de récupération de 1 % correspond àune bonne année de consommation. Les compagnies pétrolièresestiment que, en trente ans, le taux de récupération est passé de25 à 35 %, ce qui correspondrait à une augmentation de 50 %des réserves. Toutefois, les compagnies, étant seules à déclarer lesréserves, ont intérêt à surestimer ce facteur qui met l’accent surle progrès technique. La troisième possibilité est un change-ment des conditions économiques, l’augmentation du prix dubrut, conduisant à rendre rentables des gisements dont le coûtd’exploitation était jusque-là trop élevé. Depuis le premier chocpétrolier en 1974, le prix du baril de pétrole a nettementaugmenté, rendant des pétroles d’autres régions exploitables,comme le montre le tableau suivant (en dollars/baril).

Années Dubaï Brent Niger Texas

1972 1,90 – – –1973 2,83 – – –1974 10,41 – – –1975 10,70 – – –1976 11,63 12,80 12,87 12,232002 23,85 25,19 25,04 26,16

Source : BP 2003 Statistical Review of World Energy.

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Cependant, le doublement du prix du pétrole entre 1974 et2002 ne s’est traduit que par une croissance des réservesprouvées de quelques pour-cent. Il faut toutefois rappeler que,les réserves prouvées faisant référence à la rentabilité écono-mique de la ressource et le passage d’une ressource (spéculativeou présumée) au statut de réserves prouvées étant coûteux, il y aune limite à l’incitation à « prouver » des réserves.

Enfin, la dernière source possible d’une augmentation desréserves tient aux comportements stratégiques des acteurs. C’estainsi que la valeur de l’action des compagnies pétrolières estproportionnelle à la quantité de réserves qu’elles déclarentposséder. L’évaluation des réserves est aussi un enjeu politiqueimportant, en particulier pour l’OPEP, dont les quotas deproduction dépendent des réserves qu’elle annonce (de 1984 à1990, les réserves du Moyen-Orient et du Vénézuéla ontaugmenté de plus de 50 % sans grandes découvertes), ou pourun pays comme le Mexique, qui a intérêt à annoncer de fortesréserves pour obtenir un prêt du FMI.

Au total, la notion de réserves prouvées est très ambiguë etintroduit beaucoup d’incertitudes dans l’évaluation desressources.

L’approche des économistes

Les évaluations fournies par les géologues du niveau des stockset le calcul du ratio réserves prouvées/production de l’année sontconsidérés de peu d’intérêt pour les économistes. Ceux-cicomparent plutôt l’évolution de la consommation et celle desprix de la ressource, et constatent que la consommation croîtquand les prix diminuent, posant ainsi la question de la réalitéde l’épuisement des ressources. Au fur et à mesure que laressource devient plus rare, son prix augmente, reflétant cetterareté croissante, et son usage diminue, permettant à des subs-tituts de devenir compétitifs et, à terme, de la remplacer. C’estprécisément cet enchaînement que Jevons ou le Club de Romen’ont pas pris en compte et qui ruine leur discours pessimiste. Ilest cependant nécessaire d’y regarder de plus près.

Pour ce faire, on va examiner les différents éléments compo-sant le coût total d’obtention du pétrole du golfe Persique. Onpeut le décomposer en quatre parties : exploration, développe-ment, exploitation et transport.

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Les coûts de développement et les coûts d’exploration pourdécouvrir de nouveaux gisements sont sans doute les pluscomplexes à estimer. Les travaux d’Adelman [1973] évaluentl’investissement initial pour un nouveau baril à 2,50 dollars.Toutefois, on doit tenir compte du taux d’intérêt, de la prime derisque liée à l’activité pétrolière et d’un taux reflétant l’épuise-ment progressif de la ressource pour calculer le coût de dévelop-pement ajusté selon la formule :

Coût de développement ajusté = investissement initial × (tauxd’intérêt + prime de risque + taux d’épuisement)

En prenant les deux premiers taux égaux à 10 % et le dernierà 2 %, Adelman obtient un coût de développement ajusté de0,55 dollar par baril (2,50 dollars × [0,1 + 0,1 + 0,02]). Quant auxcoûts d’exploitation et de transport, pour l’Arabie Saoudite, ilssont respectivement de 0,25 dollar et de 1,50 dollar par baril,ce qui conduit à un coût total de 2,30 dollars par baril(0,55 + 0,25 + 1,50).

Un calcul semblable pour un baril de brut provenant de la merdu Nord ou d’Alaska le conduit à un coût total de 15 dollars,la différence étant due à des conditions d’exploitation plus diffi-ciles (localisation géographique, climat), conduisant à utiliserdes technologies plus coûteuses.

Il n’est donc pas surprenant que les coûts d’obtention d’unbaril de brut soient très différents selon la région de production,comme le montre le tableau ci-dessous.

Coût technique (hors transport) d’un baril de brut(dollars US)

Exploration Développement Production Total

Russie 3 3,9 5,1 12Mer du Nord 2,4 3,6 5 11Angola 2 4,5 3,6 10,1Golfe du Mexique 1,5 3 4,5 9Amérique latine 2 3 3,6 8,6Mer Caspienne 1,5 2,4 4,1 8OPEP - Moyen-Orient 0,4 1 1,6 3

Source : ENSPM FI, d’après ADL-1999 Long Term Outlook.

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En comparant les coûts d’obtention d’un baril de pétrole et lesréserves disponibles, on constate que la production de pétrolea augmenté dans les régions qui ont les coûts d’exploitation lesplus élevés et les réserves les plus basses. Simultanément, laproduction s’est réduite dans le golfe Persique où les réservessont les plus importantes et les coûts les plus faibles.

Par ailleurs, si on regarde l’évolution du prix du brut, onremarque qu’il était entre 15 et 20 dollars le baril pendant dixdes onze années entre 1986 et 1998. Comment se fait-il quecertains coûts de production soient proches du prix du brut etque ceux du golfe Persique soient si inférieurs ? Nous revien-drons sur cette question dans le prochain chapitre où nousétudierons en détail l’évolution des prix d’une ressource épui-sable et de son rapport aux coûts de production.

Les ressources renouvelables

Une ressource renouvelable est une ressource qui a une capa-cité de reproduction propre, indépendamment de l’interventionhumaine. C’est pourquoi, pour marquer la différence d’avec lesressources épuisables, on parle généralement de population oude biomasse pour désigner le stock de ressource. Dans un écosys-tème donné, une ressource naturelle renouvelable, par exempleune espèce de poissons, croît à un taux égal à la différence entreson taux de natalité et son taux de mortalité. Ce taux n’est, engénéral, pas constant et dépend notamment de l’importance dela population, elle-même étant fonction de son écosystème.Quand les poissons sont peu nombreux, ils ont suffisammentde nourriture pour se reproduire à un taux élevé, et, à l’inverse,quand la nourriture devient rare du fait d’un trop grand nombrede poissons présents dans l’écosystème, le taux de croissancedevient faible et peut même s’annuler quand les taux de natalitéet de mortalité s’équilibrent.

On retrouve la même dynamique dans l’évolution d’une forêt.Sur une surface donnée, la forêt commence par croître rapide-ment parce que les arbres ont suffisamment d’espace mais, aufur et à mesure que le nombre d’arbres augmente, chaque arbrenouveau dispose de moins de terre, d’eau, a plus de difficultés àavoir accès au soleil… et la croissance de la forêt se réduit jusqu’à

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atteindre un équilibre où un nouvel arbre ne peut se développerque si un ancien meurt.

Schématiquement, la croissance d’une ressource renouvelableest une fonction d’abord croissante puis décroissante de la taillede la population. Elle est nulle quand il n’y a pas de ressourceet redevient nulle quand le taux de natalité s’équilibre avec letaux de mortalité. Le niveau de la population correspondant àcette situation est la capacité de charge de la ressource. C’est unéquilibre stable, hors de toute intervention humaine, puisque,au-delà de ce seuil, une unité de ressource supplémentaireimplique un taux de mortalité supérieur au taux de natalité etdonc une réduction de la population qui revient à sa capacité decharge. Inversement, si la capacité de charge n’est pas atteinte, lacroissance de la population est positive et sa taille se rapprochede sa capacité de charge jusqu’à la rejoindre finalement.

Par ailleurs, la forme de la relation entre la croissance de lapopulation et sa taille implique qu’il existe un niveau de stockXpme où cette croissance est maximum. On nomme ce niveau destock le prélèvement maximum équilibré ou prélèvement soutenablemaximum. En effet, si l’homme ponctionne cette ressource d’unmontant égal à la variation de population correspondante, lataille de la population reste constante et égale à Xpme. Enfin, unautre paramètre est utile pour caractériser une ressource renou-velable, c’est son taux de croissance intrinsèque, qui est la limite deson taux de croissance quand la taille de la population tend verszéro. Une ressource avec un taux de croissance intrinsèque élevéest une ressource qui se développe très rapidement dès qu’ellecompte quelques unités.

Il a été estimé pour plusieurs espèces de poissons dont letableau suivant donne quelques exemples avec la capacité decharge et la production soutenable maximum correspondantes.

Ce chapitre a permis de définir les concepts de ressourcesnaturelles épuisables et renouvelables, mais il n’a pas abordé lesproblèmes économiques liés à leur exploitation. C’est l’objet desdeux prochains chapitres.

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Espèce Tauxde croissanceintrinsèque

Capacitéde charge

Productionsoutenablemaximum

Baleinesde l’Antarctique

0,08 400 000 200 000

Baleines bleues 0,29 136 000 68 000

Flétans du Pacifique 0,71 80,5 millionsde tonnes

40,25 millionsde tonnes

Homardsde Miminegash

1,29 3,26 millionsde livres

1,63 million de livres

Homardsde Port Maitland

1,80 3,50 millionsde livres

1,75 million de livres

Sources : C. Clark, Mathematical Bioeconomics, Wiley (1976) ; T. Tietenberg, Environ-mental and Natural Resource Economics, HarperCollins College, New York (1996) ;J.-M. Hartwick et N. Olewiler, The Economics of Natural Resource Use, Addison Wesley,Reading (1998).

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II / L’exploitation des ressources épuisables

Le débat sur l’épuisement d’une ressource se cristallise autourde la mesure de sa rareté : l’approche géologique, avec ses ratios,s’oppose à l’approche économique, davantage centrée surl’examen des prix et des coûts de production. C’est cette secondevoie que nous allons explorer dans ce chapitre avec l’examen dela règle d’Hotelling, dont l’objet est précisément de construire unindicateur de rareté économique. Même si Lionel Gray [1914]en avait posé les premières bases, c’est en effet Harold Hotellingqui donne le premier exposé rigoureux de la théorie écono-mique néoclassique des ressources épuisables. Dans son article,« The Economics of Exhaustible Resources », publié dans TheJournal of Political Economy [1931], il détermine notamment lavaleur d’un stock de ressource épuisable, l’évolution de cettevaleur et le rythme d’extraction de la ressource en fonction durégime économique (concurrence, monopole, gestion centra-lisée) en vigueur. Mais, au lendemain de la grande crise, lestemps n’étaient pas mûrs et son article passa plutôt inaperçu,pour n’être redécouvert qu’au début des années 1960, puissurtout avec le premier choc pétrolier. On dispose aujourd’huid’une énorme littérature sur ce thème, que ce chapitre a pourobjectif de présenter.

La règle d’Hotelling

Si l’analyse que présente Hotelling de l’exploitation d’uneressource épuisable et des conséquences de cet épuisement sur leprix de la ressource et son rythme d’extraction est formalisée en

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recourant au calcul des variations, l’intuition économique sous-jacente n’en est pas moins très simple.

Un stock d’une ressource épuisable peut être considéré commeun actif particulier produisant un revenu dans le temps. L’extrac-tion, puis la consommation d’une unité de ressource impli-quent l’impossibilité d’extraire et de consommer cette unité plustard, puisque le stock (supposé ici fini et connu avec exacti-tude) est réduit suite à cette décision. Extraire aujourd’huientraîne donc la perte demain du revenu qu’aurait procuré cetteunité que l’on vient d’extraire. Une firme qui cherche à maxi-miser la valeur actuelle de ses profits est alors placée devant uncoût d’opportunité, conséquence de l’arbitrage entre extraire etvendre aujourd’hui contre perdre demain le revenu qu’elle auraittiré de la ressource si elle n’avait pas été extraite. Si la firmedécide d’extraire une unité, la valeur de cette unité extraite, savaleur d’extraction, est égale à son prix de vente diminué ducoût d’extraction. Si elle décide de ne pas extraire, c’est que lavaleur de la ressource en terre est pour elle plus importante quela valeur d’extraction. Cette « valeur de non-extraction » est lecoût d’opportunité d’épuisement de la ressource. À la marge,c’est-à-dire pour la dernière unité extraite, il doit être égal à lavaleur d’extraction. En effet, tant que la valeur d’extraction luiest supérieure, la firme a intérêt à extraire et elle s’arrête justeavant que le coût d’opportunité de l’épuisement devienne supé-rieur à la valeur d’extraction, puisque cela signifierait que cettedernière unité aurait plus de valeur non extraite qu’extraite. Cetarbitrage, impliqué par la décision d’extraire ou non, se posant àchaque instant, le raisonnement précédent implique que cetteégalité entre valeur d’extraction et coût d’opportunité d’épuise-ment doit aussi être vérifiée à chaque instant.

Ce coût d’opportunité est connu sous une variété de noms.On parle ainsi de coût d’usage, pour refléter le coût de lamoindre disponibilité future de la ressource. On le désigne aussipar valeur in situ, ou valeur en terre, pour indiquer que laressource non extraite a une valeur en tant que telle. On ledésigne enfin comme une rente de rareté, puisqu’on vient devoir qu’il est égal à la valeur d’extraction, c’est-à-dire à la diffé-rence entre le prix de marché de la ressource et son coût d’extrac-tion (d’où la rente).

En résumé, si la firme veut maximiser son profit actualisé, elledoit tenir compte de la perte future de recette due à l’extraction

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Rente de raretéet rente différentielle

[Cet encadré doit beaucoup à GérardGaudet, 1982, chez qui on trouverade plus amples développements.]

Dans son livre Des principes del’économie politique et de l’impôt[1821, 3e éd.], David Ricardo écrivaitque, le principe de la rente minière« étant précisément le même quecelui que nous avons posé par rapportà la terre, il serait inutile de nous yarrêter davantage ». Le principe enquestion était celui de la rente ditedifférentielle ou ricardienne, qui naîtdes différences naturelles de coûtd’exploitation. Si la demande de bléjustifie la mise en culture de terres defertilités différentes, le prix du blé seraégal au coût de production sur la terrela moins fertile, faisant apparaître unerente sur les autres terres, égale à ladifférence entre le prix du blé et soncoût marginal de production. Demême, les stocks d’une ressourcenaturelle ne sont pas homogènes etdiffèrent par la profondeur du gise-ment, la teneur en minerai ou la locali-sation qui caractérisent ce que l’ondésigne de manière synthétique par laqualité de la ressource. Là encore, sila demande justifie l’exploitation degisements de différentes qualités, lesmeilleurs gisements bénéficierontd’une rente différentielle par rapportà ceux de qualité inférieure, égale àl’écart entre leurs coûts marginauxd’extraction.

Ainsi, Ricardo et avec lui tous leséconomistes classiques du XIXe sièclen’ont pas fait de distinction entre lamine et la terre, entre ressources épui-sables ou non. Le mécanisme de rentedifférentielle expliqué ci-dessus estcertes pertinent pour les deux typesde ressources naturelles, mais lanature épuisable d’un gisementminier conduit à l’apparition d’uneautre forme de rente dont le premierexposé rigoureux a été donné parHotelling. La base même de cetterente se dissipe au fur et à mesure del’exploitation, ce qui n’est pas lecas pour la terre, et tient à la naturefondamentalement dynamique duproblème de la mine, alors que leconcept de rente différentielle est paressence statique.

Une unité de ressource extraiteaujourd’hui ne peut plus l’être demainet cette irréversibilité dans la décisionimpose à l’exploitant qui veut maxi-miser son profit de prendre encompte toute la trajectoire d’extrac-tion jusqu’à l’épuisement et pas seule-ment la production courante commedans le cas de la terre. Il ne peut plusêtre optimal d’égaliser le revenumarginal au coût marginal d’extrac-tion, car on négligerait le fait que ladernière unité exploitée aujourd’huipourrait procurer un bénéfice net enfin d’horizon que l’on sacrifie si onl’exploite aujourd’hui. Il apparaît alorsune rente égale à la différence entrele revenu marginal et le coût marginald’extraction qui ne provient que ducaractère épuisable de la ressource.

présente de la ressource, ce qui la conduit à égaliser à chaqueinstant la valeur d’extraction de la ressource et sa valeur en terre.

Mais puisque la ressource est un actif, en concurrence parfaiteil s’oppose aux autres actifs et doit à l’équilibre avoir le mêmetaux de rendement (sinon, tout le monde investirait sur l’actif

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La règle d’Hotelling

On suppose ici que le coût d’extrac-tion d’une unité de ressource est nul.Soit un actif de rendement r(t) surl’intervalle de temps [t, t + 1], et soitp(t) le prix de marché unitaire de laressource en t. Un agent qui possèdedes actifs d’une valeur de p(t) estassuré d’avoir un revenu dep(t)(1 + r(t)) en t + 1. Alternativement,il peut acheter (extraire) une unité deressource en t et la revendre en t + 1

où elle vaut p(t + 1). En concurrenceparfaite, il doit être indifférent entreces deux possibilités, d’où p(t + 1) =p(t)(1 + r(t)), ou encore, en convenantde noter ^x le taux de croissance d’une

variable, ^x =x(t + 1) – x(t)

, ^p = r(t)x(t)

ce qui est l’expression de la règled’Hotelling avec un coût d’extractionnul.

On en déduit que dans ce cas trèssimple, le prix de la ressource croît autaux d’intérêt, évolution représentéesur la figure ci-dessous.

L’autre conséquence importantede la croissance de la valeur en terre(ici égale au prix de marché sousl’hypothèse de coûts d’extractionnuls) est l’épuisement de la ressource.En effet, un stock de ressources enterre n’est un actif dont la valeur estpositive que si les flux de demandes

cumulées dans le temps suffisent àl’épuiser. Par ailleurs, la croissance duprix implique la décroissance de lademande et l’évolution des quantitésextraites q(t) est représentée sur lafigure ci-dessous, le stock total deressource étant égal à la surfacehachurée.

présentant le meilleur taux de rendement et l’équilibre ne seraitpas atteint). Dans son modèle le plus simple, Hotelling supposeque la ressource est homogène en qualité, en quantité finie etconnue, et que le coût d’extraction est indépendant du stock

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restant. Alors, le rendement de la ressource est uniquement dûà sa valeur en terre. Si on note l(t) cette valeur en terre à ladate t, ne pas extraire une unité en t implique qu’elle aura unevaleur de l(t + 1) à la période suivante, d’où un taux de rende-ment (c’est-à-dire le rendement par euro investi) de (l(t + 1) –l(t))/l(t), (par exemple 0,2 : un investissement de 100 rapporteun revenu de 20). Le taux de rendement d’un autre actif à l’équi-libre est égal au taux d’intérêt r(t) et on doit donc avoir l’égalitéà l’équilibre, en concurrence parfaite, entre le taux d’intérêt et letaux de croissance de la valeur en terre, soit (l(t + 1) – l(t))/l(t) =r(t) qui est l’expression la plus simple de la règle d’Hotelling.

Comme la valeur en terre de la ressource est égale à sa valeurd’extraction, cette dernière doit aussi croître au taux d’intérêt.Si on note p(t) le prix de la ressource à la date t, c’est-à-dire leprix unitaire auquel elle est vendue sur le marché, et c(t) le coûtd’extraction à la même date, on a donc l’égalité p(t) – c(t) = l(t),ou encore : p(t) = c(t) + l(t) qui montre que le prix de marché dela ressource est composé de deux termes, son coût d’extractionet sa valeur en terre. La règle d’Hotelling nous dit que la valeuren terre croît au taux d’intérêt. L’évolution du coût d’extrac-tion est plus complexe car il est soumis à deux effets opposés.D’une part, le progrès technique permet d’abaisser ce coût, mais,d’autre part, la ressource est plus difficile à extraire au fur et àmesure de son épuisement. C’est ainsi qu’en France, parexemple, le charbon restant dans les mines est maintenant tropdifficilement accessible pour qu’il soit possible de l’extraire à descoûts compétitifs. Schématiquement, on peut considérer que, audébut de l’exploitation d’une ressource épuisable, le coûtd’extraction reste faible, mais qu’il augmente fortement quandon se rapproche de l’épuisement, et ce quel que soit le progrèsde la technologie. Entre les deux, il peut croître ou décroîtreselon l’effet qui l’emporte. Par exemple, dans l’industrie pétro-lière, les coûts techniques (exploration et exploitation) ontconnu une réduction spectaculaire depuis une dizaine d’annéesgrâce à un gros effort technologique, comme le montre lediagramme suivant.

Si on regarde maintenant la relation entre les taux de crois-sance de ces trois variables, on obtient immédiatement à partir de

l’égalité précédente, lp =c(t)

. lc +l(t)

. ll =c(t)

. lc +l(t)

. r(t).p(t) p(t) p(t) p(t)

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Évolution des coûts techniques

Source : Total Fina Elf.

Ce qui montre que le taux de croissance du prix de marché dela ressource est égal à la moyenne pondérée des taux de crois-sance du coût d’extraction et du taux d’intérêt, les coefficients depondération étant les parts respectives du coût et de la valeur enterre dans le prix.

Cette égalité montre que le prix de la ressource peut décroîtresi le progrès technique diminue suffisamment le coût d’extrac-tion et que ce dernier est proche du prix, ce qui est le cas audébut de l’exploitation. En effet, ^c est alors négatif et le ratioc(t) proche de 1, le second terme étant négligeable. Cependant,p(t)le coefficient du taux d’intérêt croît avec la valeur en terre et, sile coût d’extraction continue à décroître, le taux de croissancedu prix redevient positif. En conséquence, en abaissant les coûtsd’extraction, le progrès technique peut conduire à une évolutiondu prix selon une courbe en U. Une telle courbe a été mise enévidence par Margaret Slade [1982] pour plusieurs minéraux surla période 1870-1978.

Bien sûr, en l’état, ces résultats sont obtenus sous des hypo-thèses très restrictives et peu réalistes (absence d’incertitude,concurrence parfaite) et nous verrons dans la suite de ce chapitrece que devient la règle d’Hotelling avec des hypothèses moinscontraignantes, mais même dans ce cadre restreint, il faut souli-gner l’intérêt qualitatif de cette règle.

Elle nous dit en effet que le prix d’une ressource épuisablen’est pas sans rapport avec le taux d’intérêt. Cette variable étant

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particulièrement influencée par les politiques macroécono-miques, on conçoit l’importance de cette relation.

Considérons, par exemple, une augmentation soudaine dutaux d’intérêt à la date t1. Quelle va en être la conséquence pourle prix de la ressource ? La règle d’Hotelling nous indique toutd’abord que la ressource, devenant moins attractive du fait decette augmentation, doit voir son prix diminuer. Mais d’autrepart, ce prix va croître à un taux plus élevé que l’ancien. La figuresuivante résume cette évolution.

La règle d’Hotelling est-elle vérifiée ?

La plupart des études qui ont tenté de vérifier la validité empi-rique de la règle d’Hotelling n’ont pas été couronnées de succès.Une exception est le nickel sur les périodes 1946-1949 et1956-1973 [Stollery, 1983]. Compte tenu des hypothèses souslesquelles cette règle est obtenue, il n’est pas très surprenant queles données réelles, qui incorporent l’effet de nombreux autresfacteurs, supposés inopérants dans le modèle de base, ne permet-tent pas de la retrouver. Halvorsen et Smith [1991] considèrentqu’au minimum les hypothèses d’absence d’incertitude, de subs-tituts, de nouvelles découvertes et celle d’arbitrage parfaitdoivent être abandonnées pour trouver une règle en accord avecles données disponibles.

Une autre méthode pour tester le modèle d’Hotelling est dechercher à vérifier le principe de valorisation d’Hotelling quistipule que la valeur moyenne des réserves est égale au prix dela ressource nette du coût d’extraction. Ce principe s’obtient

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aisément à partir de la règle d’Hotelling. En prenant en comptele coût d’extraction, celle-ci nous apprend que le bénéficemarginal croît au taux d’intérêt, soit p(t) – c(t) = l (0)(1 + r)t, oùl (0) = p(0) – c (0) est la valeur en terre au début de l’exploitation.En notant q(t) la quantité extraite à la date t, la valeur totale du

stock est égale à V(0) =T

Sp(t) – c(t)

q(t) = l(0)T

S q(t) = l(0)S(0) =t = 0 (1 + r)t t = 0

(p(0) – c(0))S(0), où S(0) représente le niveau initial du stock. Le

principe de valorisation s’en déduit immédiatement, soitV(0)

,S(0)

la valeur moyenne du stock est égale au prix net du coûtd’extraction (p(0) – c(0)). Là encore, les tests empiriques sont loind’être concluants, même si Miller et Upton [1985] trouvent uneconfirmation du principe pour 39 firmes productrices de pétroleet de gaz aux États-Unis, sur des données de décembre 1979 àaoût 1981.

De toute évidence, la complexité du fonctionnement desmarchés de ressources épuisables ne se réduit pas à une règlesimple, et le plus étonnant n’est pas le résultat largement négatifdes tests du modèle hotellinien, mais que certains aient pupenser que les données le valideraient. C’était sans doute setromper sur la signification du résultat d’Hotelling, qui n’est pasde proposer une théorie positive de l’exploitation d’uneressource épuisable, mais de conceptualiser, toutes choses égalespar ailleurs, l’effet de la nature non renouvelable de la ressource.

Extensions théoriques de la règle d’Hotelling

Nous nous proposons d’examiner dans cette section ce quedevient la règle d’Hotelling quand on relâche certaines des hypo-thèses qui nous ont permis de l’obtenir. La littérature sur ce sujetest immense et le lecteur non spécialiste peut en retirer l’impres-sion d’une grande complexité. En réalité, l’idée fondamentalequi est sous-jacente à la règle d’Hotelling, c’est la notion d’arbi-trage entre deux actifs, qui implique un rapport entre le prixde la ressource et certains paramètres économiques, dont le tauxd’intérêt est le plus évident. Au fur et à mesure que l’on prend encompte d’autres paramètres (incertitude, exploration, diffé-rences de qualité dans les gisements…), c’est toujours la même

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règle d’arbitrage qui est en jeu, bien qu’elle prenne des formesdifférentes dans chaque cas. Ce qui importe, c’est justementqu’on puisse toujours utiliser le même principe (la règle d’Hotel-ling) donnant ainsi son unité à cette approche.

Le monopole

Le pouvoir de marché est une caractéristique essentielle denombreux marchés de ressources épuisables, dont le pétrole estsans doute le meilleur exemple. Le cas le plus extrême est celuidu monopole, où ce pouvoir est dévolu à une seule firme. Celaimplique que le prix n’est plus indépendant de la quantitéextraite comme en concurrence parfaite, puisque la firme doitservir toute la demande. Elle doit donc prendre en compte laréaction de celle-ci à sa décision d’extraction. Plus elle extraitet plus le prix baisse, mais ceci ne change pas le raisonnementd’arbitrage précédent : le revenu tiré de la dernière unité extraitedoit égaler le coût d’opportunité d’épuisement de la ressource,c’est-à-dire sa valeur en terre. Dans le cas du monopole, cerevenu marginal, noté m(q(t)), décroît comme le prix avec laquantité extraite q(t) mais ne lui est pas égal [voir Rotillon, 1996,pour plus de développements]. Ainsi, la règle d’Hotelling prendla forme de l’égalité entre le revenu marginal net m(q(t)) – c(t)et la valeur en terre l(t). Il en résulte que le revenu marginalnet croît également au taux d’intérêt. On peut d’ailleurs remar-quer que, sous cette forme, la règle d’Hotelling est aussi valableen concurrence parfaite, puisque dans cette situation le revenumarginal est égal au prix.

Il est intéressant de connaître les conséquences de ces règlessur le rythme d’extraction. En fait, cela dépend essentiellementde l’élasticité-prix de la demande. Dans le cas très simple où iln’y a pas de coût d’extraction et où l’élasticité de la demandeest constante (c’est-à-dire que la demande varie du même pour-centage pour une variation de 1 % du prix, quelle que soit laquantité extraite), Joseph Stiglitz [1976] a montré que les trajec-toires d’extraction étaient identiques en monopole et en concur-rence parfaite. En effet, sous ces hypothèses le revenu marginalest proportionnel au prix et ils ont donc le même taux de crois-sance que la valeur en terre, soit le taux d’intérêt. C’est parconséquent la même équation qui détermine le rythmed’extraction.

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Prix de monopole et de concurrence

On suppose ici que l’élasticité-prix de la demande est élevée, c’est-à-dire qu’unpourcentage donné d’augmentation du prix entraîne une augmentation de lademande proportionnellement plus importante. C’est ce qui se passe, parexemple, sur un marché où les substituts deviennent concurrentiels quand le prixde la ressource augmente. Un monopole rationnel utilisera alors son pouvoir demarché pour éviter de se retrouver dans cette situation et choisira une évolu-tion de prix moins rapide que l’entreprise en concurrence parfaite. Au commen-cement de l’exploitation, le prix de monopole sera donc plus élevé que celuiqu’aurait impliqué un marché concurrentiel et ce sera l’inverse quand on serapprochera de l’épuisement de la ressource. Dans ce cas, le monopole exploitela ressource plus longtemps que l’entreprise concurrentielle (on dit qu’il est plusconservateur), ce qu’illustrent les figures suivantes, où est respectivementprésentée l’évolution des prix de monopole pm et de concurrence pc, et celle desniveaux d’extraction correspondants.

Dans le cas général, l’élasticité-prix de la demande n’estévidemment pas constante, ni même nécessairement mono-tone et plusieurs cas sont possibles. Mais plutôt que de faire uncatalogue qui risquerait de n’intéresser que le lecteur économiste

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(nous renvoyons celui-ci au livre somme de Dasgupta et Heal[1979] et à l’encadré pour un exemple), nous souhaitons mettrel’accent sur la différence fondamentale de comportement dumonopole sur le marché d’une ressource épuisable et sur lemarché d’un bien « ordinaire ». On sait que, dans ce dernier cas,le monopole vend des quantités plus faibles à des prix plus élevésque l’entreprise concurrentielle. En transposant ce résultat ànotre marché de ressource, on s’attendrait à ce que le prix demonopole soit systématiquement plus élevé que le prix deconcurrence parfaite à chaque instant. Or c’est précisément leseul cas qui ne se réalise pas. L’explication de ce résultat a prioriparadoxal est en fait très simple. Si le monopole avait toujoursun prix plus élevé que celui de l’entreprise concurrentielle, ilvendrait moins à chaque date, et donc moins au total. Or on a vuque l’évolution du prix en concurrence parfaite conduit à l’épui-sement de la ressource. Cette condition ne serait donc pas véri-fiée pour un monopole qui resterait avec un stock invendu etne maximiserait pas son profit. L’encadré précédent illustre lacomparaison entre monopole et marché concurrentiel quandl’élasticité-prix de la demande est élevée.

Une application à l’analyse des deux chocs pétroliers

Pour schématiques qu’ils puissent paraître, les modèles précé-dents n’en ont pas moins été utilisés avec un certain succès parJean-Michel Chasseriaux [1982] pour une analyse des deux chocspétroliers de 1973 et 1979. Utilisant les données statistiques surle prix du pétrole, la croissance économique et la consomma-tion énergétique de 1973 à 1981, il est en mesure d’estimer unefonction de demande pour le pétrole sur la période. Le premierchoc pétrolier se traduit par une augmentation du prix du barilde pétrole de 2,90 dollars à 11 dollars en 1975. L’auteur voit danscette augmentation le passage d’une période d’exploitation où leprix du pétrole est approximativement égal à son coût marginald’extraction, ne prenant pas ainsi en compte le caractère épui-sable de la ressource, à sa prise en considération. Si c’est bien lecas, l’écart de prix doit être égal, d’après la règle d’Hotelling, àla valeur en terre de la ressource. Celle-ci est évaluée à 8 dollarsà l’aide du modèle théorique présenté plus haut, soit très prochede la différence de 8,10 dollars constatée, validant ainsi l’inter-prétation proposée. Cette augmentation du prix, ayant été

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décidée par les pays producteurs de l’OPEP, n’est d’ailleurs passeulement l’intégration de la rente de rareté au prix de marché,mais aussi son appropriation par ces pays, qui à cette époqueachèvent de nationaliser leurs champs pétrolifères.

À la veille du second choc, ils ont au contraire le contrôle deleurs ressources et on peut interpréter ce choc comme une tenta-tive d’imposition d’un prix de monopole. Comme on l’a vu dansl’encadré, avec une élasticité-prix de la demande élevée, ce quiest le cas de celle estimée par Jean-Michel Chasseriaux, cela doitse traduire par une augmentation du prix par rapport à la situa-tion concurrentielle. C’est bien ce qu’il vérifie en constatant quele prix après le second choc se situe entre les prix théoriques decourt terme et de long terme, obtenus en estimant les fonctionsde demande correspondantes.

De plus, ce pouvoir de monopole, qui a permis d’augmenterle prix du pétrole nettement au-dessus des coûts de productiondu golfe Persique, a du même coup permis la mise en exploita-tion de nouveaux champs pétrolifères, qui n’auraient pas étérentables avant l’augmentation du prix. Ceci explique, d’unepart, le constat que nous avions fait au chapitre I des diffé-rences d’écart entre coûts de production et prix selon les régionsde production, et, d’autre part, le soutien des États-Unis à la poli-tique de hausse de prix décidée par l’OPEP, dans la mesure oùelle lui permettait de mettre en service de nouveaux gisementssur son propre territoire.

La prise en compte de l’incertitude

Les formes que peut prendre l’incertitude à propos d’unmarché de ressources épuisables sont très diverses [Épaulard etPommeret, 1998]. Sans vouloir être exhaustif, on peut noterqu’en fait on ne connaît ni l’état réel du stock [Loury, 1978], cedernier changeant d’ailleurs en fonction de l’activité, elle-même aléatoire, d’exploration [Pindyck, 1980], ni l’évolution dela demande future, qui peut changer suite à une modificationdes préférences, de la démographie ou de transformations poli-tiques [Long, 1975], ni encore celle du progrès technologique,si important pour l’évolution des coûts d’extraction [Pindyck,1980].

Plutôt que de nous attacher à préciser les conséquences dechacune de ces diverses formes d’incertitude, renvoyant le

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lecteur intéressé (et déjà bien informé en économie) aux réfé-rences données ci-dessus, nous nous contenterons ici d’en indi-quer l’impact qualitatif sur la règle d’Hotelling.

Une manière simple de considérer l’ensemble de ces sourcespossibles d’incertitude est de considérer que, au moment t deprendre la décision d’extraire la ressource, le prix futur suit larègle d’Hotelling (avec une probabilité (1-a)), ou bien suit uneautre évolution (donc avec une probabilité a). Dans le premiercas, on aura p(t + 1) = (1 + r) p(t), et dans le second, p(t + 1) = p̃.Pour mettre l’accent sur l’essentiel, on suppose encore que lescoûts d’extraction sont nuls, donc que le prix de marché p(t) estégal à la valeur en terre l(t). L’arbitrage qui nous avait conduits àla règle d’Hotelling reste valable ici. Si l’exploitant possède, àla date t, un actif d’une valeur de p(t), en le plaçant au tauxd’intérêt r, il aura un revenu en t + 1 de (1 + r)p(t). La secondepossibilité est d’extraire en t et de vendre en t+1. À l’équilibre,c’est-à-dire pour la dernière unité extraite, il doit être indifférententre ces deux alternatives. Mais la seconde est incertaine et luioffre une espérance de gain égale à ap̃ + (1 – a)p (t + 1). S’il estneutre envers le risque, on doit donc avoir (1 + r)p(t) = ap̃ +(1 – a)p(t + 1), ce qui peut se réécrire :

p(t + 1) – p(t)= ^p = r + a (

p(t + 1) – p̃)

p(t) p(t)ou encore :

^p = r + a [1 + r –p̃

]p(t)

qui est la nouvelle expression de la règle d’Hotelling. Onretrouve cette dernière comme un cas particulier de la précé-dente, quand il n’y a pas d’incertitude (a = 0) ou quand celle-cine modifie pas les prix (p̃ = p(t)). Pour comprendre la significa-tion de cette nouvelle règle, nous allons considérer deux casparticuliers.

Supposons dans un premier temps que l’événement qui seproduit avec une probabilité a soit la découverte d’un substitutparfait et moins coûteux, ou une nationalisation de la ressourcequi exproprie l’exploitant. Dans ces conditions, la ressource nelui est plus d’aucune utilité, soit parce qu’il ne peut plus lavendre, soit parce qu’il n’y a plus accès. Autrement dit, p̃ = 0 etla règle devient ^p = r + a [1 + r]. Elle signifie que le rendementde l’actif ressource ^p ne doit plus être comparé au taux d’intérêt,

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mais à un taux supérieur à cause de l’incertitude. a [1 + r] estdonc une prime de risque d’autant plus élevée que la probabilitéde l’événement est elle-même élevée. Comme on l’a vu quandon a discuté de l’impact du taux d’intérêt sur l’évolution du prix,celui-ci va être plus faible initialement que ce qu’il aurait été sansincertitude et il va croître plus rapidement. En conséquence, lestock de ressource sera exploité lui aussi plus rapidement.

Supposons maintenant que l’incertitude porte sur la décou-verte d’un nouveau stock. Si cela se produit, la ressource seramoins rare et son prix baissera, du fait de la baisse de sa valeur enterre. On aura donc p̃ ^ p(t) et r ^ ^p ^ r + a [1 + r]. Le casprécédent apparaît alors comme un cas particulier où le stockdécouvert est infini, la ressource n’étant plus épuisable. L’inter-prétation est la même que précédemment en termes de prime derisque, la prime étant d’autant plus élevée que le nouveau stockest important. La figure ci-dessous représente l’évolution du prixcorrespondant. Sans découverte, le prix aurait suivi la trajectoirepointillée mais l’apparition du nouveau stock le fait baisser poursuivre ensuite la trajectoire en trait plein.

La mesure de la rareté d’une ressource épuisable

On a vu au chapitre Ier que la mesure physique des stocks,qu’on utilise pour évaluer les réserves prouvées ou probables,n’était pas une bonne mesure de la rareté de la ressource. Nousprésentons dans cette section l’approche économique de ce

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problème. Elle consiste, d’une part, à définir un indicateur théo-rique de rareté et, d’autre part, à chercher à le quantifier.

À la recherche d’un indicateur

Les trois variables économiques précédentes (coût d’extrac-tion, prix de marché et valeur en terre) ont été utilisées commeindicateurs de rareté. On a vu que ces trois variables ne sont pasindépendantes, puisque l’exigence d’une utilisation rationnellede la ressource implique que son prix soit à chaque instant égalà la somme des deux autres.

Il y a eu de nombreux débats quant à savoir laquelle de cesvariables fournit le meilleur indicateur de rareté, et on s’estmême demandé si un indicateur économique pouvait lamesurer. Ainsi, Richard Norgaard [1990] considère que la théoriehotellinienne peut être caractérisée par le syllogisme suivant :si les ressources sont rares et si les usagers le savent, alors unindicateur économique reflétera cette rareté. Selon lui, lesanalyses empiriques qui ont tenté de vérifier cette théorie ontoublié la seconde condition, rendant les indicateurs écono-miques logiquement inconsistants. Une conception alternative,défendue notamment par Adelman [1990], consiste à consi-dérer les indicateurs économiques comme une mesure reflétantl’information disponible du moment sur la rareté, mais nepermettant pas d’anticiper les évolutions futures. Cette posi-tion n’est d’ailleurs pas en contradiction avec la règle d’Hotel-ling, comme le montre la figure ci-dessous.

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Jusqu’en t1, le prix croît, reflétant l’épuisement progressif dela ressource, et, ensuite, la découverte du nouveau stock modifiel’information existante et donc l’indicateur-prix qui diminue enfonction de l’ampleur de la découverte. Si le taux d’intérêt resteinchangé, le prix reprend alors sa croissance comme dans lapériode précédente.

Pour Anthony Fisher [1979], un indicateur de rareté doitprendre en compte les coûts directs et indirects de l’obtentiond’une unité de ressource, ce qui plaide pour utiliser le prixcomme indicateur, puisqu’il intègre à la fois le coût d’extrac-tion et la valeur en terre. Mais on a vu précédemment que le prixpouvait suivre une courbe en U du fait du progrès technique,et donc décroître pendant un certain temps quand la raretéaugmente. La décroissance du coût d’extraction indique uneplus grande facilité d’accès présente à la ressource, alors mêmeque sa disponibilité future diminue. Par ailleurs, le prix peutaugmenter pour de tout autres raisons qu’une rareté croissante.Il peut par exemple refléter une modification de la structure demarché, comme on l’a illustré dans la section précédente avecl’analyse des chocs pétroliers de 1973 et 1979.

Il est clair que le coût d’extraction est aussi un indicateurbiaisé, puisque le progrès technique peut conduire à ce qu’ilbaisse bien que la rareté de la ressource augmente. C’est davan-tage un indicateur statique, traduisant un accès immédiat plusou moins aisé à la ressource, qu’un indicateur dynamique reflé-tant l’évolution future de cet accès. De plus, il ne capture éven-tuellement que l’information sur le côté de l’offre, alors que larareté peut augmenter du fait d’un accroissement de la demandeplus rapide que la décroissance des coûts. Enfin, les coûtsd’extraction peuvent croître alors que la rareté diminue du faitdu développement de substituts.

Il reste la valeur en terre, qui est théoriquement le bon indi-cateur puisque son évolution est fondamentalement liée à l’épui-sement de la ressource [sur ce point, on consultera avec intérêtGérard Gaudet, 1984]. Son utilisation présente toutefois deuxdifficultés. D’une part, l’hypothèse d’arbitrage, qui nous aconduits à la règle d’Hotelling, repose sur l’existence de marchésà terme complets, reflétant toutes les possibilités futures (appa-rition de substituts, découverte de nouveaux stocks, modifica-tions des préférences…). En réalité, l’arbitrage se fait sur la basedes prévisions des agents sur ces possibilités et la valeur en terre

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ne fera que refléter ces anticipations, elles-mêmes sujettes à révi-sion en fonction des informations disponibles. Cela ne remetpas en cause la valeur en terre comme indicateur théorique derareté mais il n’est que conditionnel à l’état des connaissances etnon pas absolu. D’autre part, il ne suffit pas d’avoir un indica-teur théorique, il est aussi nécessaire de pouvoir le mesurer, or lavaleur en terre est rarement directement observable.

Une première possibilité est l’observation directe des prixauxquels s’échangent les réserves, mais il y a peu d’échanges dece type et encore moins de séries chronologiques. Comme lavaleur en terre est en théorie égale au profit marginal (prix netdu coût marginal d’extraction), si on dispose de séries longuessur les prix de marché et les coûts d’extraction, on peut endéduire la valeur en terre.

Enfin, on peut observer le coût de découverte. En effet, l’acti-vité d’exploration n’est menée qu’à condition que le coût del’unité découverte soit inférieur au bénéfice marginal. Enthéorie, elle s’arrêtera donc quand le coût marginal d’explora-tion sera égal au bénéfice marginal, c’est-à-dire à la valeur enterre de la ressource, reflétant ainsi la valeur que le marchéaccorde à l’unité marginale de ressource en terre.

Finalement, en pratique, chacune des trois variables précé-dentes apporte des informations sur la rareté de la ressource, etune analyse approfondie de son évolution doit toutes les prendreen compte.

Mesures empiriques de la rareté des ressources épuisables

Les travaux réalisés pour mesurer empiriquement la rareté desressources naturelles épuisables utilisent d’une manière ou d’uneautre les approches théoriques que nous avons présentéesci-dessus.

Le coût d’extraction comme indicateur de rareté. — C’est lepoint de vue adopté par Barnett et Morse [1963] dans ce quiest considéré comme la première tentative d’ampleur de mesurerla rareté de différentes ressources naturelles. Leur étude répon-dait aux inquiétudes suscitées par les fortes pressions exercéessur les ressources naturelles pendant la Seconde Guerremondiale, ce qui conduisit à la création en 1952 de Resources forthe Future qui parraina leur travail. En construisant un indice de

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coût unitaire d’accès à la ressource reposant sur l’hypothèse deson utilisation dans l’ordre de qualités décroissantes, ils se ratta-chent à une conception ricardienne de la rente. En réalité, ladécouverte de nouveaux stocks de qualité supérieure à ceux quisont exploités réduit le coût d’accès, de même que les progrèstechnologiques, tandis que l’épuisement de la ressourcel’augmente. Barnett et Morse considèrent que leur indicateursynthétise ces différents effets et leur permet de tester l’hypo-thèse ricardienne.

Ils l’évaluent sur des données américaines de 1870 à 1957,pour plusieurs ressources naturelles, tant épuisables que renou-velables. Dans pratiquement tous les cas (la seule exception estle secteur forestier), ils trouvent un indicateur avec une nettetendance à la baisse, qui les conduit à rejeter l’hypothèse d’unerareté croissante des ressources naturelles. Des travaux plusrécents ont repris leur méthodologie et confirmé leurs résultats[Johnson et al., 1980].

Si Barnett et Morse ont choisi de calculer un indice fondé surle coût d’exploitation plutôt que d’utiliser la valeur en terre, c’estqu’ils considèrent que celle-ci, dépendant du taux d’intérêt, dela demande et des anticipations sur la disponibilité future de laressource, ne peut être un indicateur de rareté objectif. En fait,on peut noter avec Vernon Smith [1980] que cela signifie qu’ilscherchent à mesurer la rareté indépendamment des préférencesdes consommateurs qui sont précisément reflétées par le tauxd’intérêt, la demande pour la ressource et les anticipations sur lesstocks.

La valeur en terre comme indicateur de rareté. — Le recours à lavaleur en terre pour mesurer la rareté pose un problème pratique.En effet, elle n’est généralement pas directement observable etil existe peu de données sur les prix auxquels s’échangent lesréserves sur les marchés (et encore moins de longues sérieschronologiques).

Une autre possibilité est de reconstituer cette valeur en terre,puisque la théorie nous dit qu’elle est égale à la différence entrele prix de marché et le coût d’extraction. Cela nécessite des sériessuffisamment longues et homogènes pour ces deux dernièresvariables. Cette approche a été suivie pour différentes ressourceset a permis de conclure soit à une rareté croissante des ressourcesétudiées sur certaines périodes, comme pour le nickel dans

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l’étude déjà citée de Stollery [1983], où le coût d’usage est légè-rement croissant de 1950 à 1971, soit au contraire à une plusgrande disponibilité, comme pour le pétrole canadien, avec uncoût d’usage décroissant [Lasserre et Oulette, 1991].

Enfin, il reste une dernière possibilité, c’est d’évaluer la valeuren terre indirectement par le coût marginal d’exploration quilui est égal en théorie. En effet, tant que l’unité découverte coûtemoins cher que le bénéfice marginal net qu’elle procure (et doncque sa valeur en terre), l’exploration se poursuit et elle doits’arrêter au moment où ces deux valeurs sont égales. Devarajanet Fisher [1982] ont ainsi montré que le coût moyen de décou-verte du pétrole aux États-Unis avait augmenté de façon signifi-cative de 1946 à 1971, traduisant une rareté croissante. Il fauttoutefois remarquer que cette égalité n’est valable que sous deshypothèses très restrictives (pas d’incertitude, concurrenceparfaite) et qu’un coût d’exploration élevé peut davantagerefléter un pouvoir de marché qu’une augmentation de la rareté.Grâce à leur pouvoir d’oligopole, la production des pays du golfePersique est inférieure à ce qu’elle serait en concurrence parfaite.Il en résulte un prix du pétrole plus élevé qui encourage un plusgrand effort d’exploration dans les régions du monde où lescoûts de découverte sont supérieurs à ceux du golfe Persique,c’est-à-dire partout ailleurs.

Finalement, aucun des indicateurs économiques considérés nepermet de conclure sans ambiguïté que les ressources épui-sables deviennent plus rares. Ils suggèrent au contraire que l’exis-tence de substituts, les découvertes de nouveaux stocks ou leprogrès technique dans les technologies d’extraction ont large-ment contribué à retarder ce constat. Que cette situationperdure, en particulier avec une population croissante et la pour-suite du développement économique, est une question ouverte.

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III / L’exploitationdes ressources renouvelables

Nous avons caractérisé les ressources renouvelables auchapitre I, en opposition avec les ressources épuisables, commedes ressources qui ont une capacité naturelle de régénération.De ce fait, à l’inverse de ces dernières, elles peuvent être indéfi-niment exploitées, à condition de ne pas les utiliser au-delà d’unseuil garantissant l’équilibre entre la ressource et son milieu. Si,pendant la première moitié du XXe siècle, l’abondance des stockspour la plupart des ressources renouvelables exploitées parl’homme (eau, air, forêts, poissons) a été telle que le risque deleur extinction ne s’est pas posé, l’apparition de plus en plusfréquente de problèmes de surexploitation a conduit les écono-mistes à en analyser les causes et à tenter d’y remédier. Ce sontces travaux que nous présentons dans ce chapitre.

L’exploitation optimale d’une ressource renouvelable

Que les ressources renouvelables soient potentiellementinépuisables ne nous dit pas à quel rythme nous pouvons lesutiliser. La capacité de reproduction naturelle de ces ressourcesse traduit par la production d’un surplus. La totalité de ce surpluspeut être prélevée sans que le niveau initial du stock en soitmodifié, c’est le prélèvement soutenable. Au-delà, le stockdiminue, en deçà il augmente. L’importance de ce surplusdépend essentiellement du niveau initial du stock. On a vu dansle chapitre I que l’on représentait généralement la croissanced’une ressource renouvelable par une fonction d’abord crois-sante puis décroissante du niveau du stock existant et qu’il y

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avait donc un niveau particulier du stock (noté Xpme) où cettecroissance était maximum. Le prélèvement du surplus corres-pondant est lui aussi maximum, d’où sa dénomination deproduction maximum équilibrée (PME). Cette PME semble unbon candidat pour notre recherche d’un niveau optimal deprélèvement. Bien entendu, il n’y a aucune raison pour que leniveau de la ressource soit justement égal à celui où sa croissanceest maximale au moment où l’on décide de l’exploiter, mais ilpermet de définir une règle de gestion simple pour cette exploi-tation : rejoindre au plus vite le niveau du stock où l’on pourraextraire la PME.

« Au plus vite » veut dire que, si le stock initial de la ressourceest inférieur à Xpme, il ne faut rien prélever pour qu’elle croisse,tandis que, s’il lui est supérieur, il faut exploiter la ressource aumaximum des capacités de prélèvement pour qu’elle décroissejusqu’à l’atteindre. Ensuite, on pourra extraire la PME indéfini-ment sans modifier le niveau atteint. Ainsi le niveau du stockcorrespondant à la PME est à la fois un objectif et un critèrequi permet de juger de l’existence ou non d’une surexploita-tion, tout stock en deçà de ce niveau étant considéré commesurexploité.

Toutefois, malgré sa simplicité et son apparence raisonnable,puisqu’elle semble promettre un prélèvement maximum, cetterègle ne tient pas compte des conditions économiques del’exploitation de la ressource. Aujourd’hui, les références à ceseuil de référence sont pourtant encore fréquentes dans lagestion des ressources renouvelables. Ainsi, par exemple,l’article 61 du LOST (Law Of the Sea Treaty) donne pour directivede maintenir le niveau des stocks de poissons à celui correspon-dant à la PME.

La règle fondamentale de gestion d’une ressource renouvelable

Cette section est consacrée à la présentation, pour uneressource renouvelable, de l’équivalent de la règle d’Hotellingpour les ressources épuisables. C’est dire que, d’une part, nousadoptons un point de vue normatif et, d’autre part, que la règleobtenue n’est valide que sous un certain nombre d’hypothèses,dont la principale est l’absence d’incertitude sur les stocks.

Historiquement, les économistes ayant abordé cette questionde la gestion d’une ressource renouvelable l’ont fait en

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considérant les ressources halieutiques et nous suivrons cettetradition en utilisant le vocabulaire qui s’est progressivementimposé dans la littérature. Toutefois, les problèmes de pollu-tion ou de régénération des milieux naturels peuvent être assi-milés aux problèmes d’exploitation de ressources renouvelables.Rejeter des effluents dans une rivière, des gaz dans l’atmo-sphère, des pluies acides sur des forêts ou des nitrates dans unenappe phréatique est une forme d’exploitation d’un actif naturelqui utilise sa capacité d’assimilation. Au prix d’un changementde vocabulaire, les résultats que nous présentons ci-dessous sontparfaitement transposables à ces problèmes. Comme nous allonsle voir en détail dans la suite de ce chapitre, la règle fondamen-tale de gestion d’une ressource renouvelable repose sur la mêmenotion d’arbitrage qui nous a permis d’aboutir à la règle d’Hotel-ling : le stock d’une ressource renouvelable peut en effet s’assi-miler à un stock de capital pour lequel l’exploitant recherche, àl’équilibre, un rendement identique à celui des autres actifs exis-tants, à savoir le taux d’intérêt. Nous présentons tout d’abord lemodèle statique classique de Gordon [1954], puis nous prenonsexplicitement en compte la dynamique de la ressource.

L’exploitation économique d’une ressource renouvelable.— Nous supposons ici que cette exploitation se fait dans le cadred’une concurrence parfaite, c’est-à-dire que, pour les exploitants,le prix p auquel ils peuvent vendre la ressource est une donnéequi ne dépend pas de la quantité capturée. Cette capture dépendévidemment des moyens utilisés (techniques de localisation dela ressource, moyens de transport, matériel de capture…) qu’onrésume généralement sous le terme générique d’effort.

C’est le niveau de cet effort qui constitue la variable de déci-sion déterminant les conditions de l’exploitation (combien debateaux, quels types de filets, combien de jours de pêche…).Pour un niveau d’effort E fixé, l’hypothèse la plus simple est deconsidérer que la quantité totale capturée H (Harvest en anglais),sera proportionnelle à la taille de la population X, soit H = EX(on peut penser qu’il serait plus réaliste de considérer que si lapopulation est peu nombreuse, la quantité capturée pour unniveau d’effort fixé E sera plus faible que pour une populationimportante, auquel cas on aurait H = H(EX) où H est une fonc-tion croissante de X. C’est sans doute vrai, mais l’hypothèse deproportionnalité ne changeant pas qualitativement les résultats

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obtenus, nous la maintiendrons dans la suite). Ainsi, à unmoment donné, si on note F(X) le surplus naturel provenantd’une population de taille X, la croissance de cette populationsera égale à la différence entre sa croissance naturelle et la quan-tité capturée, soit F(X) – EX. La ressource renouvelable pourracontinuer à être indéfiniment exploitée au niveau d’effort E si etseulement si elle reste constante à ce niveau de capture, c’est-à-dire si et seulement si F(X) – EX = 0. On note X#(E) la solution decette équation. X#(E) représente la taille de la population compa-tible avec le niveau d’effort E et autorisant perpétuellement lacapture H#(E) = E X#(E). La figure ci-dessous représente cettepopulation d’équilibre pour trois niveaux d’efforts différents,dont celui compatible avec la production maximum équilibrée.On notera que plus le niveau d’effort est important, moins lapopulation stable est nombreuse.

On sait maintenant que si la ressource est exploitée à unniveau d’effort E, on obtiendra une production constante égaleà EX#(E), mais cela ne nous dit pas quel effort on doit faire.Répondre à cette question suppose de prendre en considéra-tion les aspects strictement économiques liés à l’exploitation dela ressource, à savoir les revenus et les coûts déterminant le

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rendement de l’activité et la nature des droits de propriété sur laressource.

Les revenus et les coûts. — Du côté des revenus, les choses sontsimples sous l’hypothèse de concurrence parfaite. Les exploi-tants sont « preneurs de prix » et la recette totale est égale à lacapture H#(E) multipliée par le prix unitaire de la ressource p,soit pH#(E). On peut constater sur la figure précédente que lacapture H#(E) est d’abord croissante avec E quand celui-ci croît de0 à Epme, puis décroissante avec E quand il augmente au-delà deEpme. En résumé, la recette totale est une fonction croissante puisdécroissante de l’effort et est maximum quand celui-ci est égal àEpme.

Pour ce qui concerne les coûts, ils sont bien sûr fonction del’effort et, là encore, l’hypothèse la plus simple est de supposerqu’ils lui sont proportionnels, soit C(E) = cE. En fait, une fonc-tion de coût intégrant des économies d’échelle, les coûts dimi-nuant proportionnellement de plus en plus au fur et à mesureque l’effort augmente, ne modifierait pas qualitativement nosrésultats. Toutefois, on pourrait penser que les coûts indivi-duels augmentent quand la population diminue, la capturedevenant alors plus difficile, la population elle-même dimi-nuant soit à cause d’une augmentation de la capture due à unplus grand nombre N de pêcheurs, soit pour des raisons qui nedépendent pas directement de l’activité d’exploitation (catas-trophe écologique…). Ainsi, la fonction de coût la plus généraleserait de la forme C(E, N, X), croissante en E et N et décrois-sante en X. Retenir ici une fonction de la forme C(E) revient àsupposer que les deux autres effets ne sont pas pris en comptepar les exploitants, soit parce qu’ils n’en ont pas conscience, soitparce qu’ils ne pensent pas pouvoir agir dessus.

Finalement, le profit de l’exploitation peut s’exprimer commeune fonction de l’effort total p(E) = pH#(E) – cE. Ce profit seramaximum pour le niveau d’effort E0 où l’écart entre la recettetotale pH#(E) et les coûts cE sera maximum. On peut très facile-ment déduire ce niveau d’effort optimal de l’examen de la figureci-contre.

On constate que, pour tout niveau d’effort inférieur ou supé-rieur à E0, le profit correspondant est inférieur à celui obtenu enE0. Le niveau d’effort optimal E0 est caractérisé par le parallélismeentre la tangente à la fonction de recette totale pH#(E) et

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la fonction de coût cE, soit pH#’(E) = c. On retrouve ici la condi-tion bien connue de maximisation du profit en microéconomiedéfinie par l’égalité entre le revenu marginal pH#’(E) et le coûtmarginal c.

Nous terminerons cette section par deux remarques. D’unepart, l’effort optimal E0 ne peut être égal à l’effort correspondantà la production maximum équilibrée Epme que si et seulement sile coût de l’effort est nul. On comprend ainsi l’inadéquationpratique de la règle de gestion suggérée plus haut. D’autre part,plus le coût marginal est élevé, plus le niveau optimal d’effort estfaible, celui-ci pouvant même devenir nul.

L’importance du régime de propriété de la ressource. —L’analyse que nous avons présentée plus haut repose en fait surune hypothèse importante concernant la nature des droits depropriété sur la ressource renouvelable. L’analyse de Gordon[1954] concernait une ressource renouvelable sous un régime depropriété commune en accès libre. Dans ce cas, la ressourcen’appartient en propre à personne (propriété commune) etquiconque en a les moyens peut chercher à l’exploiter sans queles exploitants déjà en place puissent l’en empêcher (accès libre).

Dans ces conditions, le résultat précédent ne peut être obtenuà l’équilibre, car le profit obtenu est en fait une rente d’exploi-tation due à un trop faible nombre d’exploitants. L’existence decette rente en attire de nouveaux à qui personne ne peut

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interdire l’entrée à cause de l’accès libre à la ressource. L’entréecontinuera donc jusqu’à la dissipation complète de la renteobtenue pour un niveau d’effort Eq où le revenu total sera égalau coût total. Par ailleurs, un niveau d’effort supérieur à Eq

conduirait à un coût total supérieur au revenu total, induisant,pour une raison symétrique, des exploitants à quitter l’activitéréduisant ainsi le niveau d’effort jusqu’à Eq.

La maximisation du profit obtenue dans la section précédentene peut donc durer en situation d’accès libre à une propriétécommune. Elle peut en revanche caractériser le cas d’une gestioncollective de la ressource ou d’un propriétaire unique qui, dufait de son droit exclusif de propriété sur la ressource, peut eninterdire l’entrée aux exploitants potentiels. La figure ci-dessousrésume cette discussion.

On constate que l’effort optimal du propriétaire unique estinférieur à l’effort d’équilibre de la ressource exploitée en accèslibre. Plus précisément, il est inférieur à l’effort correspondant auniveau de la production maximum équilibrée dans le premier cas(ou égal si le coût total est nul) et supérieur dans le second. Il enrésulte que le niveau d’équilibre de la population correspon-dante est supérieur en situation de propriétaire unique à celui dela propriété commune en accès libre.

Toutefois, l’ensemble de ces résultats sont obtenus dans lecadre d’un modèle statique, ne prenant pas en compte l’évolu-tion de la ressource au cours de son exploitation. C’est ce quenous allons examiner maintenant.

La prise en compte du temps dans l’exploitation d’une ressourcerenouvelable. — On se place ici du point de vue de la recherched’une gestion optimale d’une ressource renouvelable, au sens de

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la maximisation des profits que l’exploitation de cette ressourcepeut produire. Autrement dit, on considère un propriétaireunique, ou une agence gouvernementale, cherchant à gérer aumieux de ses intérêts la ressource en question qu’on supposeraêtre une ressource halieutique.

On note toujours X(t) la taille de la population à la date t etH(t) la quantité capturée à cette même date. Comme pour uneressource épuisable, il s’agit d’arbitrer entre capturer un certainnombre de poissons pour les vendre, ou les laisser se repro-duire en vue d’accroître son revenu grâce à leur capture future.En revanche, au contraire d’une ressource épuisable, la capturene réduit pas obligatoirement le stock et il s’agit même de lemaintenir à un niveau constant qui permette justement laproduction d’un profit constant, c’est-à-dire soutenable. Nousnoterons X* ce niveau recherché de la population.

Pour une population de taille X et avec un effort E, on peutcapturer une quantité de poissons H = EX et obtenir un profitp = pH – cE. Ou encore, en éliminant E entre ces deux relations,p = (p – s(X))H, avec s(X) = c/X = cE/H, le coût de capture d’unpoisson, p – s(X), étant le profit net de cette capture.

Si l’exploitant cherche un profit soutenable, il doit pêcher demanière à garder la taille de la population constante, ce quiimplique que sa capture H(t) soit égale à la reproduction natu-relle de la ressource F(X), c’est-à-dire au nombre de poissonsnouveaux qui naissent quand la taille de la population est égaleà X. Dans ce cas, son profit sera égal à p(X) = (p – s(X))F(X).Ne pas pêcher un poisson de plus entraîne donc un profitsupplémentaire à la période suivante égal à la variation margi-nale dp/dX = p’(X). Cette variation correspond à la valeur d’unpoisson supplémentaire qui est laissé dans son milieu naturel etpourra accroître la taille de la population à la prochaine période.Cette « valeur en mer » est l’équivalent de la valeur en terre dela ressource épuisable que l’on renonce à extraire. En revanche,le pêcher rapporte un profit instantané égal à p – s(X) et donc,placé au taux d’intérêt r, un revenu supplémentaire de (p – s(X))raprès une période, (ce qui revient à effectuer la comparaison ent + 1, donc sans actualisation ; cela revient au même si le tauxd’actualisation est supposé égal au taux d’intérêt alors qu’il nerevient pas au même d’aller du présent vers le futur ou de« revenir » du futur vers le présent). L’équilibre est atteint quandl’exploitant est indifférent entre ces deux alternatives parce

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qu’elles sont d’un rendement équivalent, autrement dit quandp’(X) = (p – s(X))r.

Cette équation en X a pour solution X* qui est la taille de lapopulation autorisant un profit soutenable maximum. On peutcette fois-ci énoncer notre règle de gestion : rejoindre le plus vitepossible la taille X*.

On peut donner une autre interprétation de l’égalité entre legain marginal de renoncement à la capture et le gain marginal decette capture en explicitant p’(X). Comme p(X) = (p – s(X))F(X),un calcul simple donne p’(X) = F’(X)(p – s(X)) – s’(X)F(X) et notrecondition d’équilibre peut s’écrire F’(X)(p – s(X)) – s’(X)F(X) = (p– s(X))r, ou encore

F’(X) – s’(X)F(X)/(p – s(X)) = r.C’est cette expression que l’on désigne comme la règle fonda-

mentale de gestion d’une ressource renouvelable. C’est une autremanière de caractériser la taille X* de la population que l’oncherche à rejoindre le plus rapidement possible et qui est la solu-tion de cette équation en X. On notera d’ailleurs que cette solu-tion est effectivement bien différente de la taille de la populationXpme correspondant à la production maximum équilibrée,puisque Xpme est défini par F’(Xpme) = 0, impliquant que F(X) estmaximum en Xpme.

Pour interpréter cette expression sous cette nouvelle forme,commençons par supposer que l’exploitation de la ressource sefait à coût nul ou que le coût est indépendant de la taille de lapopulation. Dans le premier cas, on a s(X) = s’(X) = 0 et s’(X)= 0 dans le second, l’équation fondamentale s’écrivant alorsF’(X) = r. F’(X) est le nombre supplémentaire de poissons quel’on obtient quand la taille X de la population augmente d’uneunité. C’est donc la « productivité marginale » de la populationde taille X, ou encore le rendement de l’« actif » poisson, produitpar la décision de ne pas pêcher ce poisson supplémentaire.Quant à r, il représente le rendement de tout autre actif en situa-tion concurrentielle et notre égalité exprime simplement quel’exploitant est, à l’équilibre, indifférent entre un placement surl’« actif » poisson ou sur un autre actif, parce que leurs rende-ments sont égaux.

Considérons maintenant l’expression complète. s’(X) est lecoût marginal de capture d’un poisson supplémentaire quand lataille de la population est X. s’(X)F(X) est donc le coût de capturedes nouveaux poissons qui vont naître si on renonce à pêcher ce

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poisson. Quant à p – s(X), c’est la valeur nette d’un poissonpêché. s’(X)F(X)/(p – s(X)) est donc l’impact marginal sur lerendement qu’implique la décision de ne pas pêcher un poissonde plus, ce qui réduira les coûts de capture futurs et doncaugmentera le rendement F’(x) de – s’(X)F(X)/(p – s(X)) qui estpositif puisque s’(X) est négatif. Ainsi notre équation fondamen-tale n’est rien d’autre que l’égalité entre la productivité margi-nale nette de la ressource et le taux d’intérêt.

L’influence du taux d’intérêt sur la taille optimale de la popula-tion. — Il est intéressant de regarder l’influence du taux d’intérêtsur la taille optimale de la population, solution de notre équa-tion fondamentale, ce qui va nous permettre de mieuxcomprendre les résultats obtenus avec le modèle de Gordon[1954].

Nous n’étudierons ici que deux cas particuliers. Supposonstout d’abord que le taux d’intérêt soit nul. Dans ce cas, l’équa-tion s’écrit p’(X) = 0 et implique que le profit soit maximum,ce qui correspond à la solution du propriétaire unique et donnedonc une taille de population égale à X0, tel que le profit soitdéfini par p’(X0) = 0. Le second cas correspond à un taux d’intérêtinfini, cas évidemment limite, mais qui signifie que le place-ment dans la ressource renouvelable est nécessairement moinsintéressant que celui dans les actifs alternatifs. Il n’y a donc pasde raison de vouloir conserver un profit soutenable dans cesconditions, ce qui conduit à chercher à atteindre la taille de lapopulation Xq telle que le profit correspondant p(Xq) soit nul.Comme p(X) = (p – s(X))F(X) = (p – c/X)H = (p – c/X)EX, celaimplique que la recette totale pEX soit égale au coût total cE,ce qui donne le niveau d’effort Eq correspondant à la situationde propriété commune en accès libre (et explique la notationEq que nous avions introduite alors et qui a peut-être intrigué lelecteur).

En réinterprétant le taux d’intérêt comme un taux de préfé-rence pour le présent, la signification de ces deux cas particuliersest claire. Pour le propriétaire unique, il n’y a pas de préférencepour le présent puisqu’il est libre d’exploiter sa ressource commeil l’entend, sans craindre l’arrivée de nouveaux concurrents. Enconséquence, il va chercher à maximiser à chaque instant sonprofit instantané. Au contraire, si la ressource est en propriétécommune d’accès libre, la préférence pour le présent est infinie,

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puisque tout profit futur est impossible du fait de l’entrée denouveaux exploitants s’il devient positif. On a vu que celaconduisait à la dissipation de ce profit d’exploitation.

Retour sur quelques hypothèses. — Les résultats précédents sontobtenus sous des hypothèses restrictives, dont l’absence d’incer-titude sur les stocks est sans doute la plus discutable. En effet,ne sachant pas si la taille de la population est inférieure ou supé-rieure à la taille optimale, la règle de gestion que nous avonsexplicitée n’est plus applicable. En 2003, le conflit opposant laCommission européenne et les pêcheurs français à proposnotamment du cabillaud prenait précisément sa source dans cedébat sur l’état des stocks. La Commission soutenant l’idée d’unfaible niveau justifiant la diminution de l’effort de pêche, quandles pêcheurs développaient l’idée opposée, le conflit ne pouvaitguère trouver de solution.

Les travaux réalisés pour tenir compte de l’incertitude [Clarket Kirkwood, 1986 ; Charles, 1983 ; Clemhout et Wan, 1986]introduisent l’idée d’un choc aléatoire sur la ressource etmontrent que la présence d’incertitude conduit à limiter lesprélèvements, ce qui peut s’interpréter comme un principe deprécaution et conduit à un niveau de stock d’équilibre plus élevéque dans le cas sans incertitude. Il faut toutefois noter que ladistribution de probabilité du choc est supposée connue, ce quine fait que repousser le débat sur la connaissance de cette distri-bution. Une autre conséquence de l’incertitude sur le stock est deconduire à l’extinction possible de la ressource du fait d’un prélè-vement trop important. Toutefois, l’extinction peut très bien seproduire sans aucune incertitude et pose le problème majeur dela gestion des ressources renouvelables que nous traiterons dansla prochaine section.

Dans les développements précédents, nous n’avons traité quedes situations de propriété commune en accès libre et de proprié-taire unique. Il existe pourtant d’autres alternatives, et en parti-culier les ressources en propriété commune mais en accèsrestreint, où l’entrée d’un nouvel exploitant est difficile, voireimpossible, comme quand deux pays partagent une mêmenappe phréatique. Dès lors, il n’y a pas nécessairement dissipa-tion de la rente et chaque exploitant doit décider de son prélè-vement en tenant compte des décisions des autres exploitants,perceptibles en particulier via l’évolution du stock de la

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ressource. Quand chaque exploitant agit de manière non coopé-rative en cherchant à maximiser son profit, la ressource atteintun équilibre où la somme des profits individuels est inférieure auprofit correspondant à l’exploitation par un propriétaire unique,ce qui peut s’interpréter comme le coût de la non-coopération.

Cependant, le relâchement des hypothèses faites plus haut(auxquelles on peut ajouter celle concernant le prix constant dela ressource) ne modifie pas fondamentalement les résultatsqualitatifs qui ont été obtenus et que l’on peut résumer ainsi :l’exploitation d’une ressource renouvelable conduit à un équi-libre où la quantité prélevée est égale à la reproduction de laressource. Le niveau de stock d’équilibre le plus élevé corres-pond à la situation de propriétaire unique, qui produit de plusune rente maximum. Toute autre situation traduit une forme desurexploitation de la ressource.

La « culture » des ressources renouvelables

La théorie de la gestion d’une ressource renouvelable, telle quenous venons de l’exposer, concerne essentiellement lesressources présentes dans la nature indépendamment de l’actionhumaine. Mais il en existe aussi d’autres qui sont introduites parl’homme pour ses propres besoins et qui posent des problèmesde gestion très différents. En effet, pour ces ressources« cultivées », le risque d’extinction n’existe pas puisqu’il esttoujours possible de reconstituer le stock. Il s’agit donc d’abordd’une activité industrielle, recherchant la rentabilité écono-mique sous la contrainte de la reproduction naturelle de laressource (cette contrainte est de plus en plus faible avec la crois-sance de l’industrialisation, comme on peut le voir en agricul-ture où le cycle de reproduction des animaux est de plus en pluscontrôlé, au risque d’une baisse de qualité pouvant aller jusqu’àrendre la consommation dangereuse et posant alors d’autresproblèmes).

Les deux exemples les plus importants qui ont été étudiés parles économistes sont l’aquaculture, qui s’oppose à la pêche decapture que nous avons considérée dans la section précédente,et la plantation forestière. En 2001, l’aquaculture représentait28,9 % de la production mondiale contre 22,2 % en 1996, four-nissant l’essentiel de son augmentation. Mais si la pêche decapture a été le cas d’application privilégié de la théorie de

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l’exploitation des ressources renouvelables non cultivées, c’estl’exploitation forestière qui a été celui des ressources cultivées.C’est pourquoi nous en présenterons les principaux résultats àpartir de l’exemple de la forêt.

La gestion optimale d’une forêt de plantation. — La gestionéconomique des forêts est un des plus vieux problèmes del’économie des ressources renouvelables. Dès le début duXIXe siècle, un débat public eut lieu en Allemagne sur le choix dela meilleure date d’abattage des arbres, tout en tenant compte deleur nécessaire régénération. C’est Martin Faustmann [1849] quiformula le problème en le considérant comme un problème demaximisation de la valeur forestière se répétant de période enpériode.

La règle de Faustmann. Ce qui distingue fondamentalementune ressource renouvelable non cultivée, comme les ressourcesmarines, des ressources renouvelables cultivées, comme les forêtsde plantation, c’est que, pour la pêche de capture, il est impos-sible de ne prendre que des poissons du même âge, alors quec’est justement ce qui fait l’intérêt de la plantation à la mêmedate de tous les arbres d’une forêt.

Dans une forêt de plantation, la seule question qui se pose estdonc celle de sa date d’abattage, compte tenu de la croissance del’espèce qui dépend de la nature de l’arbre. À chaque période, siles conditions économiques le permettent, on replante complè-tement la forêt et on la coupe quand les arbres sont à matu-rité, c’est-à-dire quand ils répondent à une demande spécifiquesur un marché. Si on s’intéresse à une espèce en particulier, etsi le contexte ne change pas (prix, taux d’intérêt, connais-sances biotechnologiques) il est intuitivement évident que lesarbres seront abattus au même âge, définissant ainsi la périodeoptimale de rotation. Celle-ci est donc définie à la fois par uncontexte économique et les caractéristiques naturelles del’espèce. Ainsi, l’eucalyptus ou l’acacia, vont connaître des rota-tions entre six et douze ans pour un usage comme bois dechauffe domestique ou industriel ou pour de la pâte à papier,tandis que pour le teck elles seront entre cinquante et soixante-dix ans pour des usages décoratifs très valorisants. Les pins ont,pour leur part, des rotations de vingt à trente ans à moins qu’ilsne soient plantés pour leur pulpe, auquel cas les rotations sontplus courtes.

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Pour bien mettre en évidence la spécificité du problème dela rotation optimale, nous allons supposer que l’exploitantcherche à maximiser son profit dans un contexte économiquestationnaire (prix du bois, des inputs et taux d’intérêt constants).Comme toujours, cette maximisation sera réalisée quand lerevenu marginal tiré de la forêt sur la période sera égal à soncoût marginal. Compte tenu des hypothèses faites, son revenune dépend que de la date de l’abattage, qui détermine la taillede l’arbre et donc la quantité vendue. Autrement dit, il nedépend que de la fonction de reproduction naturelle de l’espècecultivée, et plus précisément de sa croissance. Si on note f(T) labiomasse de la forêt à la date d’abattage T, le supplément debiomasse obtenu en reculant cette date d’une période est égal àla productivité marginale de la forêt, soit f(T + 1) – f(T), d’où unrevenu marginal de p(f(T + 1) – f(T)), où p est le prix de vente dubois.

Bien entendu, la décision de replanter une forêt qui aura àla date T une valeur de pf(T) est soumise à l’arbitrage classiqueavec le coût d’opportunité lié aux placements alternatifs que l’onpeut faire au taux d’intérêt r. Ce coût d’opportunité est égal àl’intérêt que rapporterait l’équivalent de la valeur de la forêt surune période, soit rpf(T). Toutefois, le coût marginal d’exploita-tion ne se réduit pas à ce seul coût d’opportunité, comme c’estle cas pour une ressource épuisable (on notera en effet qu’onretrouverait alors la règle d’Hotelling ((f(T + 1) – f(T))/f(T) = r))parce que, à l’issue de la période, la même décision de replanterse pose dans les mêmes conditions. Il y a donc un autre coûtd’opportunité, correspondant à l’intérêt que rapporterait l’équi-valent non plus de la valeur de la forêt sur une période, maisl’équivalent de la valeur de la forêt sur toutes les périodes. Cettevaleur est égale à la somme actualisée des revenus de chaquepériode et est donc une fonction V(T) de la date d’abattagepuisque chaque période a la même longueur et fournit unrevenu identique p(f(T)). Le coût d’opportunité correspondantest donc égal à rV(T).

D’où la règle de Faustmann, qui détermine la date optimaled’abattage d’une forêt comme la date T* solution de l’équationp(f(T + 1) – f(T)) = rpf(T) + rV(T).

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Comment éviter la surexploitationd’une ressource renouvelable ?

Les résultats précédents résument bien l’enjeu de toute tenta-tive de gestion des ressources renouvelables : se rapprocher del’exploitation en situation de monopole, le plus souvent sousl’égide d’une autorité centrale. En réalité, une institution de cetype suppose que les droits de propriété de la ressource soientparfaitement établis et n’offrent pas sujet à contestation, ce quiest loin d’être toujours le cas, comme l’illustre l’encadré à proposdes ressources halieutiques maritimes.

La source principale des risques d’extinction des ressourcesrenouvelables tient dans la conjonction de deux phénomènes :le libre accès à la ressource et l’existence d’externalités deproduction.

Une ressource renouvelable est en effet intermédiaire entrebien privé et bien public. Elle partage avec le premier son carac-tère rival qui fait que sa consommation par un agent l’interditaux autres, et elle possède comme le second la difficulté d’exclu-sion de son usage. La capture d’un poisson supplémentaire parun pêcheur entraîne une diminution de la taille de la popula-tion, donc de sa taille future, et conduit à rendre plus difficileset donc plus coûteuses les captures ultérieures. On est là enprésence d’une externalité de production, où l’activité d’unpêcheur a des conséquences sur l’ensemble des exploitants (onentend ici par externalité l’existence d’une différence entre lecoût privé pris en compte par le pêcheur dans sa décision decapture et le coût social supérieur qui sera supporté par la collec-tivité du fait de cette décision, voir Bontems et Rotillon [2003]pour une présentation plus détaillée du concept d’externalité).La combinaison de ces deux facteurs, externalité d’exploitationet accès libre, conduit à la « tragédie des biens communs »analysée par Hardin [1968].

Peut-on échapper à la « tragédie des biens communs » ?

Telle que l’a présentée Hardin, la tragédie des biens communsse produit sur un pré communal partagé par des éleveurs debétail. Chacun est libre de choisir le nombre d’animaux qu’ilmet en pâture sur le pré. Ajouter un animal augmente le profitindividuel de l’éleveur mais diminue la quantité de fourrage

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L’exploitation des ressourceshalieutiques maritimes

[Cet encadré doit beaucoup au travailde Dominique Lefaudeux, 1998.]

Les ressources halieutiques mari-times sont actuellement régies par ledroit de la mer, dont l’essentiel a étéadopté lors de la troisième Conven-tion sur le droit de la mer de l’ONUen 1982 (UN Convention of the Law Ofthe Sea). Les eaux maritimes sontdivisées en deux parties : les « zoneséconomiques exclusives » (ZEE) quisont placées sous la juridiction desÉtats côtiers et les eaux internatio-nales au-delà de 200 milles nautiques(370,4 km) qui sont libres d’accès. LesZEE représentent 35 % des surfaces etune estimation de 90 % desressources [Eckert, 1979]. Pourtant,de nombreux problèmes subsistentpour mettre en place une gestionsatisfaisante des ressources.

C’est le cas de l’établissement deslimites des zones pour des pays

voisins. Ainsi, la Cour internationalede Justice a dû intervenir pour fixer lesjuridictions du Canada et desÉtats-Unis dans le golfe du Maine(12 octobre 1982), et la France et leCanada ont porté leur différenddevant la chambre de commerceinternationale à propos de la fron-tière au large de Terre-Neuve, autourdes îles françaises de Saint-Pierre etMiquelon (10 juin 1992).

Un second problème tient à lanature des ressources elles-mêmes quine tiennent pas toujours compte desarrangements entre les hommes. Ondéfinit ainsi des stocks migrateurs,dont la localisation est très variable aucours du temps et qui se déplacententre plusieurs ZEE et zones de hautemer, et des stocks chevauchants, quiconcernent des espèces plus séden-taires mais qui sont localisées surplusieurs zones. Il est clair que lecomportement biologique de cesressources rend largement illusoire lamise en place de politiques de gestiondifférenciées selon les zones.

disponible pour chaque animal présent. Ainsi, si le coût del’élevage augmente du fait de la raréfaction du fourrage, ce coûtest partagé avec les autres éleveurs. Ce qui incite chacun d’entreeux à ajouter des animaux supplémentaires, puisqu’ils s’appro-prient le gain privé correspondant sans avoir à supporter l’inté-gralité du coût de leur décision, conduisant ainsi à lasurexploitation du pré, voire à sa disparition totale.

Bien sûr, ajouter un animal peut aussi avoir un coût privé pourl’éleveur et limiter le nombre d’animaux qu’il décidera de fairepaître, ce que Hardin ne prenait pas en compte. Il n’en reste pasmoins que cette logique d’une recherche d’un profit individuelen présence d’une externalité de production implique un stockfinal de ressource plus faible que celui qui découlerait d’unegestion centralisée où cette externalité serait prise en compte.

Cependant, si la présence d’externalités de production etd’accès libre peut conduire à la « tragédie » décrite par Hardin, il

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n’y a aucune nécessité à cet enchaînement fatal. Comme l’écritCiriacy-Wantrup [1938], « la propriété commune des ressourcesnaturelles n’est en soi-même pas plus une tragédie en termes dedégradation environnementale que sa propriété privée. Toutdépend des institutions sociales […] qui guident l’usage de cesressources ». L’institution sociale visant à empêcher la tragédiedes biens communs la plus étudiée d’un point de vue théoriqueprend la forme d’une agence chargée de définir les conditionsd’accès à la ressource.

La régulation centralisée. — La mise en place d’une telle agencesuppose que les droits de propriété de la ressource lui ont étéattribués, ce qui est évidemment plus facile dans un cadrenational, où les règles juridiques sont appliquées à tous, quedans un cadre international où ces règles doivent émerger d’unenégociation préalable. Il reste alors à l’agence à définir les condi-tions de l’accès à la ressource, ce qui revient à chercher àmoduler l’effort des exploitants.

Puisque l’effort de pêche, décidé par l’exploitant individuel,dépend de sa perception des conditions économiques souslesquelles se déroule son activité, la régulation de cet effort vase faire en modifiant ces conditions. L’agence est en fait placéedevant un problème classique en économie de l’environnement,qui est l’internalisation d’une externalité, c’est-à-dire l’élimina-tion de l’écart entre le coût privé pour les exploitants et le coûtsocial engendré par leurs décisions non coordonnées.

Pour augmenter ses captures, un exploitant doit changer sonbateau, acheter un sonar, utiliser des filets plus grands… ce quiaugmente le coût de son activité qui, de son point de vue,dépend essentiellement de son niveau individuel de capture h,soit une fonction de coût de la forme C(h), croissante en h. Maisla quantité capturée n’est pas le seul déterminant de ses coûts.D’une part, ceux-ci vont aussi augmenter avec le nombre N depêcheurs, puisque plus ils sont nombreux, plus la ressource seraréfie et devient plus difficile, donc plus coûteuse, à attraper.D’autre part, ils augmentent également si la taille X de la popu-lation elle-même se réduit, que ce soit à cause des capturespassées ou d’un déséquilibre de l’écosystème. Une agence quiprendrait en charge la gestion de la ressource devrait tenircompte de ces deux types d’effets sur les coûts, en considérantune fonction de coûts de la forme C(h, N, X).

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L’incitation à la surexploitation

La surexploitation d’une ressource enaccès libre, du seul fait de la présencede plusieurs agents qui l’exploitent enmême temps, est un exemple dedilemme du prisonnier. Supposonspour simplifier que chaque pêcheurait le choix entre deux options : prati-quer une « pêche responsable »compatible avec la reproduction natu-relle de la ressource et la présence desautres pêcheurs (PR) ou pêcher aumaximum de ses capacités deproduction sans s’occuper de rien(PM). Pour deux pêcheurs, la situa-tion peut se résumer dans le tableauci-dessous.

1/2 PR PM

PR 2 ; 2 4 ; 1PM 1 ; 4 3 ; 3

Les chiffres dans le tableaureprésentent l’ordre des préférences dechacun des pêcheurs pour chacun descas possibles. Ainsi, la pire situation (4)pour le pêcheur 1 est représentée parla case (PR, PM) où il pêche peu etoù l’autre pêche au maximum. Cettesituation est, au contraire, celle quiest la préférée (1) du pêcheur 2puisqu’il bénéficie des efforts del’autre pour préserver les stocks, cequi diminue d’autant ses proprescoûts. On constate que le pire pourl’un est le meilleur pour l’autre.Autrement dit, si un pêcheur estresponsable, il offre à l’autre la possi-bilité d’obtenir son meilleur choixtout en ayant soi-même son plusmauvais. La seule solution ration-nelle pour chacun pour éviter cettesituation est de ne pas être « respon-sable », c’est-à-dire de pêcher aumaximum. Ce faisant, chacunn’obtient que son troisième choixalors qu’ils s’accordaient à trouver lasituation responsable meilleure.

Dans les conflits qui opposent les instances de régulation et lespêcheurs, ces derniers ont parfaitement conscience de ces deuxeffets. Mais en général ils pensent que l’état du stock est suffi-samment élevé pour négliger leur influence sur le coût indivi-duel. Quant au nombre de pêcheurs, son augmentation crée aucontraire une incitation qui va dans le mauvais sens, poussantchaque exploitant à augmenter aujourd’hui ses captures pouréviter d’être le seul à les limiter et se retrouver demain devant desconditions d’exploitation encore plus difficiles (voir encadré).

Les principales solutions d’internalisation sont bien connueset nous renvoyons le lecteur à Bontems et Rotillon [2003] pourleur présentation détaillée. On peut utiliser la réglementation enédictant des normes quantitatives, instaurer des taxes modi-fiant directement les coûts perçus par les exploitants ou mettreen place un marché de quotas de production échangeables. Auniveau théorique où nous nous situons ici, ces trois options sontéquivalentes.

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Concernant la première, cela consiste à contrôler le nombrede bateaux, le nombre de jours de pêche, la taille des filets…bref, tout ce qui constitue l’effort de pêche global, c’est-à-dire lesvariables H et N. La deuxième implique la création de deux taxes,une sur chaque prise, qui est égale au coût marginal social dûà la diminution d’une unité du stock, et une autre, forfaitaire,c’est-à-dire identique pour tous les pêcheurs, égale au coûtmarginal social dû à l’entrée d’un pêcheur supplémentaire. Cesdeux taxes obligent ainsi chaque pêcheur à intégrer dans sescoûts les conséquences des deux externalités liées à la taille dela population et au nombre total de pêcheurs. Cette solution,par des moyens tout à fait différents, revient aussi à contrôlerl’effort de pêche. Enfin, la troisième solution consiste à émettreun nombre de quotas de pêche égal au total de la capturesouhaitée (donc théoriquement égal à X0), à les distribuer auxpêcheurs et à permettre leur échange sur un marché spécifique,chaque pêcheur devant avoir un nombre de quotas égal au totalde ses prises.

L’extinction peut-elle être optimale ? — Nous avons supposédans les développements précédents qu’il était nécessaired’éviter l’extinction de la ressource, ce qui justifiait la mise enplace d’une instance de régulation. On peut cependant sedemander si, pour certaines ressources, l’extinction ne serait pasoptimale. Après tout, si on assimile la ressource à un capitalrapportant un certain rendement, investir dans la ressource,c’est-à-dire la préserver pour en toucher les dividendes futurs,n’est optimal que si ce rendement est au moins aussi importantque les placements alternatifs. Dans le cas le plus simple, avecdes coûts de capture indépendants de la taille de la population,on a vu que la règle fondamentale de gestion de la ressourceconsistait à égaler la productivité marginale de la ressource F’(X)et le taux d’intérêt r. Si r est supérieur à F’(X), même en l’absenced’externalités, la maximisation du profit conduit à l’extinctionde la ressource.

Ainsi, les taux de croissance des populations de baleinesvarient, en l’absence de prélèvements, entre 2 % et 5 % par an,soit nettement moins que les taux de retour en vigueur dansles autres secteurs de l’économie. Il semble donc que le raison-nement que nous venons de tenir conduise à décider de leurextinction. Cependant, nous n’avions pas pris en compte les

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Accès libre et extinction

Dans le modèle de Gordon [1954], la fonction de reproduction naturelle de laressource est donnée par F(X) = aX(1 – X/K) qui est égale à l’équilibre à la captureEX. Quant à la dissipation de la rente, conséquence de l’accès libre, elle se traduitpar l’égalité entre la recette totale pEX et le coût total cE. En éliminant X entreces deux équations, on obtient l’expression de l’effort total à l’équilibre de libreaccès, soit Eq = a(1 – c/pK). Si le coût marginal c est trop élevé (supérieur à pK),on aurait un effort négatif et il est donc optimal de ne pas exploiter la ressource.À l’opposé, si ce coût est nul, le stock d’équilibre Xq = c/p est également nul etil devient optimal de ne pas conserver la ressource. D’une manière générale etmoins schématique, ce que nous indique ce modèle, c’est que plus le coût estinférieur au prix de marché de la ressource (plus le rapport c/p est faible), plusl’accès libre conduit à une faible taille de la population d’équilibre. En particulier,si les prix sont très supérieurs aux coûts quand la taille de la population est trèsfaible, le risque de l’extinction est très grand en accès libre, indépendamment dela nature des droits de propriété sur la ressource.

coûts de capture, dont on a vu qu’ils augmentaient la producti-vité marginale nette de la ressource, et, pour ce qui concerneles baleines, les coûts de capture des dernières baleines nageantdans l’océan Antarctique (25 millions de kilomètres carrés) sontévidemment exorbitants. Ainsi, si les baleines sont préservées,bien que la faiblesse de leur taux de croissance rende leur conser-vation peu attractive, c’est parce que l’extermination complèten’est pas rentable. Encore faut-il ajouter que des considérationssur le rôle des baleines dans le système écologique ou l’impor-tance accordée par certains au seul fait de leur existence, que cesoit pour des raisons morales ou esthétiques (ce que l’on nommevaleur d’existence et qui traduit l’existence d’une valeur spéci-fique liée à la présence du stock, indépendamment de tout usageprésent ou futur, voir Bontems et Rotillon [2003]), se traduisentpar de nouvelles externalités et impliqueraient de prendre encompte des coûts supplémentaires pour décider du niveauoptimal de prélèvement.

Théorie de l’agence et gestion des ressources renouvelables

Comme on l’a précisé ci-dessus, les différentes solutionsd’internalisation sont équivalentes en théorie, du moins si onfait l’hypothèse d’information parfaite. En réalité, l’informationest loin d’être parfaite et elle est souvent inégalement partagée

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entre les agents concernés. On parle alors d’asymétries d’infor-mation pour caractériser ces situations. Dans la situation quinous intéresse ici, où une agence cherche à modifier les compor-tements des utilisateurs de la ressource, la théorie étudie surtoutle cas où l’information est possédée par ceux qui sont soumis àla régulation, tandis que l’agence a le pouvoir d’édicter des règlesà partir de l’information que les utilisateurs lui communi-quent. L’information est ainsi une variable stratégique manipu-lable, que ceux qui la détiennent ont tout intérêt à utiliser demanière à minimiser leurs coûts privés. Ceci conduit l’agence àune certaine perte d’efficacité, l’obligeant à verser des rentes,dites d’information, incitant ceux qui la possèdent à la révéler.Le but de l’agence est alors, à partir de l’information recueillie,de construire des mécanismes qui empêchent la surexploita-tion de la ressource, tout en minimisant non seulement le coûtdu prélèvement, mais aussi les rentes versées aux utilisateurs. Dece fait, les niveaux d’effort qui seront choisis par les utilisa-teurs seront différents de ceux qu’ils auraient pris en informa-tion parfaite. Les rentes informationnelles sont ainsi à la sourced’un arbitrage entre l’efficacité et le coût de la régulation[Laffont et Martimort, 2001]. On trouvera dans la thèse deDaniel Fuentes-Castro [2003] une application de cette théorie àla surexploitation de ressources en régime de propriétécommune.

L’approche institutionnelle de la gestion des ressources renouvelables

Cette approche est particulièrement représentée par ElinorOstrom [1990] qui, bien qu’acceptant la valeur explicative de la« tragédie des biens communs », souligne sa nature métapho-rique et la difficulté qu’il y aurait à en induire des prescrip-tions politiques. Constatant que la disparition de la baleinebleue de l’Antarctique ou de la sardine du Pacifique illustre lacapacité prédictive de ce modèle quand les situations empi-riques correspondent approximativement aux conditions théo-riques, elle souligne néanmoins qu’il ne constitue pas unethéorie générale de l’usage des ressources renouvelables. Enparticulier, s’il est relativement bien adapté aux ressourcespartagées par de très nombreux utilisateurs potentiels indépen-dants, il est beaucoup moins bien adapté pour analyser lepartage des ressources entre un nombre restreint d’utilisateurs

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qui peuvent fréquemment communiquer. Elle critique égale-ment l’idée, qui en découle souvent, que seuls l’État ou lemarché sont à même d’empêcher la tragédie de se produire etelle met l’accent sur l’importance de l’expérience acquise ettransmise sous forme de coutumes.

Dans son ouvrage de 1990, consacré aux ressources concer-nant un nombre relativement réduit d’utilisateurs potentielsdans un seul pays, elle décrit de nombreux cas de gestion deressources par des communautés qui ont su éviter la surexploi-tation. Partant de ces études de cas (voir l’encadré pour quelquesexemples), elle propose une théorie de l’organisation humainequi vise à expliquer le succès de certains régimes de gestion et àidentifier les stratégies qui pourraient être mises en œuvre dansles situations d’échec de la gestion d’une ressource commune.Sa démarche s’inscrit dans le cadre général de l’IAD (Institu-tional Analysis and Development), développé à l’universitéd’Indiana et qui décrit comment des règles, opérant à différentsniveaux d’organisation sociale, influencent les résultats obtenuspar des individus qui utilisent des ressources naturelles. Combi-nant aussi bien des idées en provenance de l’économie classiqueet néoclassique, de la théorie du choix public, de l’économie descoûts de transaction ou de la théorie des jeux non coopératifs,l’IAD est une grille de lecture des types de règles que les hommesmettent en œuvre dans leurs interactions avec la nature.

Le concept central qui est au centre de cette approche est celuide common-pool resource, que l’on pourrait traduire par ressourcecommune, mais que l’on désignera, en suivant la tradition, parson sigle : CPR. Elle se distingue de la ressource dite en propriétécommune en ce que celle-ci désigne le mode de gestion de laressource (la gestion « en commun »), quand la CPR décrit seule-ment la nature de la ressource, sans préjuger a priori de son modede gestion. Plus précisément, une CPR présente deux caractèresprincipaux. D’une part, la difficulté d’exclure des usagers poten-tiels de son utilisation à cause de ses caractéristiques physiqueset, d’autre part, le fait que la consommation d’une partie de laressource par un utilisateur réduit le montant disponible pour laconsommation des autres. C’est ce que les économistes appellentle caractère rival d’un bien. La combinaison de ces deux carac-tères permet une classification des biens qui est donnée dans letableau ci-dessous [voir Lévêque, 2004, pour des compléments].

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Quelques exemples de gestionde ressources communes

Törbel est un petit village suisse ducanton du Valais qui possède desrègles locales de gestion de certainesressources communes (forêts, prés,systèmes d’irrigation…) qui remon-tent au XIIIe siècle. Ainsi, une règle« hivernale », encore en vigueur,stipule qu’aucun citoyen ne doitconduire plus de vaches au pâturagequ’il ne peut en nourrir l’hiver.L’infraction à la règle entraîne de subs-tantielles amendes perçues par un offi-ciel local qui peut en garder pour luila moitié. Une association, compre-nant tous les propriétaires de bétail, etdont les statuts sont votés par tous lescitoyens du village, discute annuelle-ment des règles de gestion et del’élection des officiels chargés deveiller à l’application de la régulation.Ce type de régulation est présent dansde nombreux autres villages suisses,mais on le trouve aussi au Japon oùprès de 3 millions d’hectares de forêtset de prés de montagne non cultivéssont encore aujourd’hui gérés sur cemode.

En Espagne, on nomme huertasdes zones d’irrigation bien délimitéesautour ou proches des villes. Ceshuertas sont gérées par des institu-tions qui définissent les droits d’accèsà l’eau, les modes d’élection desgérants et les sanctions pour non-respect des règles. À Valence, parexemple, chaque canal d’irrigation estgéré par un syndic, élu par les paysans

possédant des terres irrigables. Cessyndics participent chaque semaineau tribunal de Las Aguas, qui traite lesconflits d’usage et définit les sanctionset dédommagements correspon-dants, en fonction des règles d’alloca-tion de l’eau du canal concerné. Lesrègles de base sont fonction desconditions environnementales carac-térisant la disponibil ité de laressource : abondance, rareté, séche-resse exceptionnelle. Dans le cas leplus fréquent, celui de la rareté,l’ordre de distribution de l’eau est fixéà l’avance et le fermier dont c’est letour peut se servir autant qu’il lesouhaite. Bien que l’incitation àprendre de l’eau en dehors de sontour puisse paraître forte, les infrac-tions relevées sont faibles (ainsi, pourla huerta de Castellon, le taux d’infrac-tions est estimé inférieur à 3 %),montrant une bonne efficacité dusystème.

Enfin, on trouve aux Philippinesdes systèmes d’irrigation, les zanjeras,qui comme les huertas donnent unrôle central à de petites commu-nautés de fermiers qui déterminentleurs propres règles, choisissent leursgérants, surveillent et entretiennentleurs installations.

Ces modes de gestion ont touspour caractéristique d’avoir évité lasurexploitation de la ressourceconcernée sur le long terme. Sil’exemple de Törbel remonte auXIIIe siècle, les huertas datent du XVe etles premières zanjeras du XVIIe siècle,indiquant que la « tragédie des bienscommuns » n’est pas une fatalité.

Faible rivalité Forte rivalité

Exclusion difficile Biens publics CPRExclusion facile Biens de club Biens privés

ÉCONOMIE DES RESSOURCES NATURELLES60

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L’approche économique traditionnelle des CPR consiste àconsidérer que la société développera un régime de libre accèsà une ressource abondante (donc bon marché) et/ou ayant descoûts de gestion élevés, tandis que l’appropriation privative et lemarché seront les réponses adéquates à l’allocation la plus effi-cace d’une ressource se raréfiant. Ainsi, les ressources halieu-tiques, présumées abondantes et perçues comme telles au moinsjusqu’aux années 1970, relevaient du régime de libre accès, et laprise de conscience de leur épuisement progressif a vu la mise enplace de politiques de régulation s’appuyant sur le marché (voirle chapitre IV). Ostrom (et d’autres) montre que le marché et lapropriété privée ne sont pas les seules réponses institution-nelles possibles à cette rareté croissante. Des utilisateurs d’uneCPR peuvent se mettre d’accord sur des règles d’usage de laressource qui soient bénéfiques à tous et limitent le risque desurexploitation qui conduirait à la tragédie des biens communs.

En étudiant les nombreux cas de gestion réussie de CPR dansle monde, les chercheurs se rattachant à cette approche souli-gnent que les institutions mises en place dans ce but doiventpermettre que les utilisateurs s’engagent à suivre des règles satis-faisant cinq principes :

— définir ceux qui sont autorisés à utiliser la CPR ;— préciser les liens entre les caractéristiques spécifiques de la

CPR et la communauté des utilisateurs. Par exemple, une asso-ciation d’irrigation a des règles qui spécifient comment unfermier peut en devenir membre, quelles qualifications il doitavoir pour être éligible à une responsabilité en son sein, et l’étatde la ressource justifiant une régulation (situation de sécheressepar exemple) ;

— faire élaborer les règles (au moins en partie) par les utilisa-teurs eux-mêmes ;

— faire mettre les règles en application par des individusresponsables devant les utilisateurs ;

— définir des sanctions graduées pour ceux qui ne les respec-teraient pas.

Enfin, il faut noter que les institutions qui obtiennent de bonsrésultats sont rarement soit uniquement privées, soit unique-ment publiques. Tout au contraire, elles sont, le plus souvent, un« mélange » complexe des deux types qui défie la classificationdans ces deux catégories extrêmes. Par exemple, en Californie, lagestion d’un réservoir naturel d’eau (Raymond Basin) s’est mise

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en place après des négociations entre les différentes villes utili-satrices (à l’instigation de Pasadena, la plus importante) pouraboutir, en 1984, à un jugement créant un comité de gestion, leRaymond Basin Management Board, composé de représentantsdes utilisateurs et du Département des ressources en eau de Cali-fornie. L’accès à la ressource se fait au moyen de permis négo-ciables, sans que la ressource soit privatisée, et le Départementdes ressources en eau se voit attribuer un pouvoir de contrôle.Enfin, les coûts de gestion sont partagés entre les utilisateurs etles pouvoirs publics. Ces différentes innovations institution-nelles n’auraient pu avoir lieu sans l’aide du Département desressources naturelles de Californie et de l’US Geological Survey,qui a fourni des études sur la structure géologique de la Cali-fornie du Sud. Il faut aussi souligner l’importance dans leprocessus de négociations de l’institution judiciaire, sanslaquelle la définition des droits d’accès à la ressource n’aurait pasobtenu la légitimité nécessaire pour qu’ils soient acceptés par lesutilisateurs.

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IV / Les ressources renouvelables en pratique

Le chapitre précédent était, pour l’essentiel, consacré àprésenter les bases de la théorie économique des ressourcesrenouvelables. Le point de vue adopté était donc principale-ment normatif, visant à donner des règles de gestion en fonctiond’objectifs bien définis (maximisation du profit et/ou préserva-tion de la ressource). Ce chapitre adopte au contraire un point devue positif et s’attache à traiter des problèmes et des solutionsqui ont été mises en place (ou qui tentent de l’être) pour régulerl’usage de certaines ressources renouvelables.

Les ressources halieutiques

Les ressources halieutiques sont entièrement consacrées àl’alimentation. La production mondiale, qui a dépassé les centmillions de tonnes en 2001, était destinée pour 75 % à laconsommation humaine et pour 25 % à la fabrication d’alimentspour les élevages porcins et l’aquaculture. Le secteur emploieprès de trente-cinq millions de personnes, mais plus de deuxcents millions en dépendent, soit par des liens familiaux, soitpar leur emploi dans des industries et activités connexes. C’estun secteur en crise, de nombreuses espèces étant menacéesd’extinction à cause d’une surexploitation des stocks. Leproblème essentiel posé par ces ressources est celui d’un retour àune exploitation qui ne menace pas leur caractère renouvelable.

Une régulation efficace des pêcheries est donc indispensable,ce qui nécessite une bonne connaissance de l’état des stocks etde l’effort de pêche. Des statistiques non fiables impliquent, en

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effet, une baisse de confiance dans la capacité des gestion-naires des pêches à faire leur travail, et ce aussi bien de la part despêcheurs que du public.

État des stocks et effort de pêche

L’essentiel du suivi statistique des captures et de l’état desstocks est assuré par l’Organisation des Nations unies pourl’alimentation et l’agriculture (FAO) (deux autres organismesinterviennent également dans ce suivi : le Conseil internationalpour l’exploration de la mer, CIEM, et l’International Commis-sion for the North-West Atlantic Fisheries, ICNAF). Les princi-paux indicateurs de l’état d’un stock sont la capture et l’effortde pêche [FAO, 2001]. La capture est exprimée en tonnes ets’évalue à partir de l’examen des livres de bord des pêcheurs,des ventes aux principales criées, de campagnes spécifiques decomptage sur des chalutiers spécialement équipés (sonars…) etde modèles théoriques où ces données sont interprétées. L’effortde pêche correspond à l’ensemble des moyens mis en œuvre parles pêcheurs pour la capture d’une quantité donnée durant unepériode déterminée. Il s’exprime en temps de pêche, longueurde filet, taille des mailles, nombre d’hameçons… Le tableauci-dessous donne (en millions de tonnes) l’évolution de laproduction des pêcheries maritimes pour quelques espèces dansle monde.

1950 1960 1970 1980 1990 2001

Flets,flétans,soles

450 030 1 203 212 1 318 726 1 087 951 1 221 409 973 694

Morues,merlus,églefins

3 266 851 4 766 431 10 482 650 10 690 670 11 589 920 9 224 573

Poissonscôtiersdivers

1 053 762 1 752 082 3 297 604 4 385 466 4 829 959 7 055 248

Harengs,sardines,anchois

5 001 046 10 065 520 21 341 530 15 464 050 22 228 170 20 460 640

Source : <apps.fao.org>

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Ce tableau indique bien la pression croissante sur lesressources halieutiques depuis les années 1950, mais commentjuger de l’existence ou non d’une surexploitation ? D’un pointde vue économique, on a vu qu’on pouvait parler de surexploi-tation si le niveau de capture à l’équilibre était supérieur à celuique déciderait un propriétaire unique. Toutefois, la FAO se réfèreplutôt à la production maximum équilibrée (PME) pour jugerde la surexploitation, un stock étant considéré surexploité si laproduction est supérieure à sa PME. La PME étant supérieure àla production optimale, les statistiques disponibles présentéesselon les critères de la FAO tendent à sous-estimer le phénomènede surexploitation.

L’état de la surexploitation des stocks. — Les évaluations les plusrécentes de l’état des stocks, réalisées par la FAO, datent de fin1999. On identifiait 590 types de stocks, avec des informationssur 441 d’entre eux. Ces statistiques doivent être prises avecprécaution, d’une part, parce qu’elles ne recouvrent pasl’ensemble des stocks et, d’autre part, parce que ceux-ci sont enréalité des conglomérats de stocks (et souvent d’espèces). Ellessont cependant confirmées par des enquêtes conduites à deséchelles plus fines et on peut considérer qu’elles donnent unebonne approximation des tendances mondiales.

Les stocks sont classés en six catégories selon leur situation,en termes de biomasse et de pression de pêche, par rapport auxniveaux de PME. Les stocks sous-exploités (U) et modérémentexploités (M) peuvent produire davantage à conditiond’augmenter l’effort de pêche (ce qui ne veut pas dire que c’estsouhaitable). Les stocks pleinement exploités (F) sont, par défi-nition, à des niveaux proches de leur PME. Les stocks classés (O)sont surexploités et ceux classés (D) épuisés. Enfin, les stocksclassés (R) sont en reprise, c’est-à-dire qu’ils sont très inférieurs àleurs niveaux antérieurs. En principe, l’effort de pêche y a étéréduit, mais il est possible qu’ils continuent néanmoins à baisser,par exemple s’ils sont exploités de manière indirecte, en tantque captures accessoires dans une autre pêcherie. La régulations’impose pour tous les stocks de type F, O, D et R. Le diagrammesuivant présente les statistiques disponibles.

Compte tenu de son critère de surexploitation, la FAO consi-dère que si 75 % des stocks nécessitent une modification del’effort de pêche, 72 % sont encore capables de fournir leur PME.

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État des stocks en 1999

Source : <www.fao.org>

En fait, c’est au moins 75 % des stocks sur lesquels on a desinformations qui doivent faire l’objet de mesures rigoureuses dediminution de l’effort de pêche. La surexploitation varie forte-ment d’une zone d’exploitation à l’autre. Elle concerne 41 % desstocks dans le Pacifique Centre-Est qui est le moins touché et95 % dans l’Atlantique Centre-Ouest qui l’est le plus. Globale-ment, dans la plupart des régions, au moins 70 % des stockssont surexploités. Les tendances d’évolution existantes confir-ment l’importance de la surexploitation. Depuis 1974, lesstocks U et M ont régulièrement diminué, quand ceux detypes O, D et R passaient de 10 % au début des années 1970 àprès de 30 % à la fin des années 1990. L’ensemble de ces statis-tiques traduit bien l’importance de la régulation de l’effort depêche, ce qui suppose d’en avoir une estimation.

L’effort de pêche. — On peut d’abord le mesurer par l’évolutiondu nombre de pêcheurs. L’emploi dans ce secteur a continuel-lement augmenté dans de nombreux pays au cours des trentedernières années, comme le montre le tableau ci-contre donnantle nombre de pêcheurs dans le monde en milliers.

Les pêcheurs asiatiques représentent à eux seuls 85 % du totalmondial, suivis des pêcheurs africains (7,5 %). Le taux moyend’augmentation du nombre de pêcheurs a été de 2,2 % par andepuis 1990 (contre 7 % en aquaculture, principalement en Asieet tout particulièrement en Chine). Cependant, l’emploi a baissédans les économies développées comme le Japon ou la Norvège,où la pêche est à forte intensité capitalistique.

ÉCONOMIE DES RESSOURCES NATURELLES66

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1970 1980 1990 2000

Afrique 1 360 1 553 1 917 2 585Amérique du Nordet centrale

408 547 767 751

Amérique du Sud 492 543 769 784Asie 9 301 13 690 23 656 29 509Europe 682 642 654 821Océanie 42 62 74 86Total 12 285 17 036 27 837 34 536

Source : <www.fao.org>

Cependant, l’effort de pêche ne dépend pas seulement dunombre de pêcheurs, mais aussi des moyens utilisés pour lacapture et du temps passé en mer. L’estimation la plus récentede la flotte mondiale de pêche recensait environ 1,3 million denavires pontés et 2,8 millions non pontés, dont 65 % sansmoteur. Le tableau ci-dessous donne en pourcentage la réparti-tion de ces navires selon les régions.

Pontés Non pontésà moteur

Sans moteur

Afrique 1 16 ndAmérique du Nordet centrale

4,5 21 nd

Amérique du Sud 0,8 6 ndAsie 84,6 51 83Europe 8,9 3 ndOcéanie 0,2 3 ndTotal 100 100 100

Source : <www.fao.org> (NdA : non disponible).

La flotte mondiale a augmenté jusqu’à la fin des années 1980et le nombre de navires pontés est stable autour de 1,2 milliondepuis 1990. Il n’y a pas d’indications sur les évolutions de laflotte depuis 1998, mais on sait que la flotte de pêche de laCommunauté européenne est passée de 100 085 unités en 1985à près de 96 000 en 2000. Toutefois, 99 % de la flotte mondialeest composée d’embarcations de petite taille, le reste constituantla flotte industrielle qui représente plus de 50 % de la capacité depêche mondiale.

LES RESSOURCES RENOUVELABLES EN PRATIQUE 67

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Et la baisse du nombre de bateaux, même associée à la limita-tion des jours de pêche, ne signifie pas nécessairement la baissedes captures. En effet, devant les politiques de régulation misesen place, qui toutes consistent en une tentative de réduction del’effort de pêche, les pêcheurs investissent dans des techno-logies plus efficaces pour accroître leur productivité. Les bateauxles plus performants sont de véritables usines flottantes, pouvantatteindre la taille d’un terrain de football et recourant à desmoyens électroniques sophistiqués ou à l’hélicoptère pour lalocalisation des bancs de poissons.

Le contrôle de l’effort de pêche est donc très difficile, nécessi-tant soit la régulation de nombreux paramètres (temps passé enmer, puissance des bateaux, moyens techniques de pêche), soitcelle de la prise annuelle. Un bon exemple des problèmes poséspar la première voie est donné par la pêche aux homards, parles pêcheurs des îles de la Madeleine, dans l’Atlantique. Aunombre de 325, chacun d’entre eux pêche avec 300 casierspendant neuf semaines. Pourtant, malgré ces limitations strictes,on s’est aperçu que, à partir de 1975 et jusqu’au début desannées 1990, les débarquements de homards augmentaient régu-lièrement. Face à la régulation qui leur était imposée, lespêcheurs ont joué sur les facteurs qui n’étaient pas régle-mentés. Ils ont ainsi modifié leurs bateaux (taille, puissance,robustesse) et utilisé des systèmes de navigation électronique etdes sondeurs couleur qui les ont rendus plus mobiles, leurpermettant de passer d’une pêche d’interception à une pêche depoursuite. Ils ont également modifié leurs casiers (taille, poids,anneau d’entrée, proportions, design) et leur méthode de pêche(place des casiers sur les lignes, positionnement stratégique).L’ensemble de ces transformations a ainsi contribué à l’augmen-tation des captures, et on conçoit qu’il soit difficile de contrôlerla totalité des paramètres impliqués.

C’est sans doute la raison pour laquelle le contrôle de la priseannuelle a été la mesure de gestion la plus largement utilisée.Elle n’en présente pas moins ses propres difficultés, liées en parti-culier aux déclarations délibérément erronées ou aux non-décla-rations des pêcheurs opérant légalement et à la présence depêche illégale, un problème critique dans les pays développéset dans les pêcheries internationales, aux dires de la plupart desgestionnaires.

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Les politiques de régulation

Comme toutes les politiques de ce type, elles se composentd’une part de l’édiction de règles définissant la quantité depoissons qui peut être prise, par qui et par quels moyens, où età quel(s) moment(s), et, d’autre part, de la mise en place decontrôles a priori et/ou a posteriori du respect de ces règles.

À l’heure actuelle, ces politiques rencontrent plus de diffi-cultés que de succès, comme le montre d’une manière généralel’état des stocks. La politique commune de pêche (PCP) de laCommunauté européenne est une bonne illustration de cettesituation.

Prévue dès le traité de Rome en 1957, elle repose sur quatrevolets dont les bases ont été posées en 1983. Le premier concernela conservation des ressources et vise à limiter l’effort de pêche.Chaque année sont fixés des totaux admissibles de capture (TAC)pour 120 stocks de poissons en Atlantique, en mer du Nord, dansla Manche, la Baltique et la Méditerranée. Les TAC sont ensuiterépartis en quotas nationaux en fonction de références histo-riques (principe du « grand-parentage ») et complétés par desmesures techniques (réglementation des engins de pêche,établissement de périodes de pêche, fixation de tailles mini-males de capture…). Le deuxième volet consiste en programmesd’orientation pluriannuels (POP), prévoyant en particulier desréductions de capacité assorties d’aides financières. Le troi-sième volet est l’organisation commune des marchés, fixant unrégime commun des prix et permettant le retrait d’une partiede la production si les prix chutent en deçà d’un certain seuil.Enfin, le quatrième volet porte sur la négociation des accords depêche avec des pays tiers.

Les résultats de cette politique sont jugés décevants par laCommission de l’Union européenne elle-même. Parmi lesraisons invoquées, on trouve au premier rang la difficulté descontrôles de l’effort de pêche et l’amélioration de l’efficacité deleurs bateaux par les pêcheurs. Le fait que ces derniers ne soientpas assez associés à la définition de la PCP la transforme en unecontrainte imposée par la technocratie bruxelloise, ce qui necontribue pas à faciliter leur adhésion aux mesures conserva-toires adoptées.

Certains pays ont pourtant réussi, comme l’Islande ou laNouvelle-Zélande, à réformer leur secteur halieutique en

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diminuant leur capacité de pêche et en imposant des quotasstricts. Du même coup, la rentabilité s’améliore et les stocks sereconstituent.

En fait, le diagnostic est simple et tient en peu de mots. Il ya trop de pêcheurs pour pas assez de poissons et une mauvaisecoordination internationale pour gérer cette ressource commune(voir encadré sur le thon rouge).

Le thon rouge de l’Atlantique

Cette espèce est fortement pêchée,principalement en haute mer. Il existeune organisation régionale d’aména-gement des pêcheries concernées quia compétence pour réglementer sapêche. Toutefois, cette compétencene s’applique qu’à ses propresmembres et elle n’a en réalité aucunmoyen de traiter avec des bateauxbattant un pavil lon d’État nonmembre. En effet, en haute mer, unÉtat n’a le droit de contrôler que sespropres bateaux.

Or, la plupart des bateaux de paysnon membres battent pavillon depetits pays qui s’intéressent peu à lapêche et tiennent des registresouverts. Ainsi, non seulement ilsn’exercent aucun contrôle sur lesnavires inscrits sur leurs registres, maisils ne déclarent que peu de captures,les bateaux concernés n’étant pastenus de déclarer et de débarquerleurs captures dans l’État du pavillon.Il en résulte une grande incertitude surles quantités pêchées, et la régula-tion de la pêche en est fortementcompliquée.

Une solution a été trouvée par laCommission internationale pour la

conservation des thonidés de l’Atlan-tique (CICTA). Tout thon rougeimporté dans l’un des pays membresde la CICTA doit être accompagnéd’un certificat identifiant le paysd’origine. On a pu ainsi enregistrer lescaptures des navires des pays nonmembres et s’apercevoir qu’ellesreprésentaient jusqu’à 30 % de lacapture totale. La menace d’une éven-tuelle interdiction des exportations dethon rouge pour ces pays les aconduits soit à adhérer à la CICTA, soità exercer un contrôle sur leurs navires.

Cependant, comme les proprié-taires de navires qui ne voulaient pasrespecter ces mesures pouvaientchanger de registres ouverts, certainspays comme le Panama, le Hondurasou Belize ont accepté ces navires surleurs registres. Et ce, bien que laCommunauté européenne ait interditles importations de thons rouges enprovenance de ces pays en 2001.

L’initiative de la CICTA a ensuiteété imitée par d’autres organismes derégulation, comme la Commissionpour la conservation de la faune et dela flore marines de l’Antarctique(CCAMLR) ou les membres duProgramme international de conserva-tion des dauphins (APICD).

ÉCONOMIE DES RESSOURCES NATURELLES70

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La forêt

Contrairement aux ressources halieutiques, la forêt se caracté-rise surtout par sa multifonctionnalité : production (bois etproduits non ligneux), biodiversité, protection des sols, cycle del’eau et du carbone, tourisme… Il y a huit mille ans, elle couvraitla moitié de la surface terrestre [Ball, 2001]. Les statistiques dela FAO indiquent que, en l’an 2000, elle ne couvrait plus que3 869 millions d’hectares, soit 30 % de la surface du globe.Durant la dernière décennie du XXe siècle, la forêt a perdu9,4 millions d’hectares, se décomposant en 14,6 millionsd’hectares de déforestation et 5,2 millions d’hectares de forêtsnouvelles. Le tableau ci-dessous donne, en millions d’hectares, larépartition des forêts par grandes régions.

Région Surfacede terre

Forêtnaturelle

Plantations %de terre

Variationpar an

1990-2000

%de forêt

Afrique 2 978 642 8 22 5,3 17Asie 3 085 432 116 18 0,4 14Europe 2 260 1 007 32 46 0,9 27Amériquedu Nord etcentrale

2 137 532 18 26 0,6 14

Océanie 849 194 3 23 0,4 5Amériquedu Sud

1 755 875 10 51 3,7 23

Total 13 064 3 682 187 30 9,4 100

Source : <www.fao.org>

Si ce tableau donne une photographie de la situation au débutdu XXIe siècle, il ne traduit pas les évolutions passées. Historique-ment, la déforestation a été beaucoup plus importante dans lespays tempérés que dans les pays tropicaux, alors que c’estl’inverse aujourd’hui. Outre les fluctuations climatiques, le prin-cipal facteur en a été le développement de l’agriculture, avec untaux de déforestation moyen de deux cent cinquante millehectares par an.

Actuellement, ce sont surtout les forêts primaires, c’est-à-direcelles qui n’ont jamais été exploitées et qui sont évidemment lesplus riches en multifonctionnalité, qui subissent le déboisement.

LES RESSOURCES RENOUVELABLES EN PRATIQUE 71

Page 72: Gilles Rotillon-Économie des ressources naturelles

Cette déforestation concerne essentiellement les forêts tropi-cales, comme le montre le tableau ci-dessous, qui fait le bilande l’évolution des forêts naturelles de 1990 à 2000 (en millionsd’hectares).

Déforestation Conversionen plantations

Expansionnaturelle

Changementnet

Forêt tropicale 14,2 1,0 + 1 14,2Forêt non tropicale 0,4 0,5 + 2,6 + 1,7Total 14,6 1,5 + 3,6 15,9

Source : <www.fao.org>

Si la culture sur brûlis et la production de bois de feu jouentun rôle dans cette déforestation, la principale cause en estaujourd’hui l’exploitation forestière, souvent illégale.

En 1992, la Conférence sur l’environnement et le développe-ment des Nations unies a adopté des principes visant à tenircompte de la multifonctionnalité de la forêt, faisant référenceau développement durable tel qu’il avait été défini dans lerapport Bruntland (cette notion est maintenant tellementrépandue dans les discours publics que nous nous dispensonsici de la préciser davantage, renvoyant le lecteur au chapitre V

pour une discussion approfondie). Une des conséquences prin-cipales de cette conférence a été le démarrage de processus decertification, visant à développer des critères et des indicateurspour évaluer la gestion durable de la forêt, tant aux niveaux localet national qu’international.

Fin décembre 2000, il existait neuf initiatives d’élaboration decritères et d’indicateurs concernant 149 pays, participant à aumoins une d’entre elles : la Paneuropéenne, Montréal, Tara-poto, Dry Zone Africa, Near East, Lepaterique, Dry Forest Asia,et des actions initiées par l’ITTO (International Tropical TimberOrganization) et l’ATO (African Timber Organization). Si cesinitiatives ont chacune leurs spécificités, elles ont une approchecommune et des objectifs similaires, concernant en particulier larecherche de critères sur l’extension des ressources forestières, labiodiversité biologique ou les bénéfices socio-économiques.

Les différences entre les pays concernés sont cependant trèsimportantes, beaucoup d’entre eux étant limités par l’absencede personnel compétent ou de moyens institutionnels pour

ÉCONOMIE DES RESSOURCES NATURELLES72

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recueillir et analyser les informations nécessaires. Le tableauci-dessous donne le nombre de pays qui participent à cesinitiatives.

Région Nombretotal

de pays

Nombrede pays

participants

Initiatives

Afrique 56 46 Near East, Dry ZoneAfrica, ATO, ITTO

Asie 49 36 Near East, Dry Forest Asia,ITTO, Montréal, Paneuro-péenne

Océanie 20 5 Montréal, ITTO

Europe 41 40 Near East, Montréal,Paneuropéenne

Amérique du Nordet centrale

34 11 Lepaterique, Montréal,ITTO

Amérique du Sud 14 11 Tarapoto, ITTO, Montréal

Total 213 149

Source : <www.fao.org>

Il faut toutefois relativiser les données de ce tableau. Si97 pays, dont tous les grands pays industrialisés, participent àces initiatives et fournissent des informations au niveau nationalsur leur gestion forestière, c’est encore loin d’être le cas pour denombreux pays en développement, même si certains en fontformellement partie. En Asie, des informations au niveaunational sont données par 21 des 49 pays concernés, ce quireprésente 30 % de la surface forestière. En Afrique, la situationest encore moins bonne. Seuls sept pays, soit moins de 3 % de lasurface forestière, donnent de telles informations. Sur l’ensembledes pays non industrialisés, 123 millions d’hectares, représen-tant moins de 6 % de leurs forêts, sont concernés par un plan degestion, approuvé sur une base nationale, pour une période d’aumoins cinq ans.

Si les critères et les indicateurs sont des moyens, dans un paysou pour une forêt donnés, sur une certaine période de temps,pour mettre en place et évaluer une gestion forestière durable, la

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certification est un instrument de marketing utilisé par lespropriétaires forestiers pour signaler la réussite de leur gestion.

Il existe aujourd’hui de nombreuses procédures de certifica-tion, tant aux niveaux régional et national qu’international.Celles-ci concernent surtout les forêts exploitées pour la produc-tion de bois. Le tableau ci-dessous donne, par grandes régions eten milliers d’hectares, les surfaces de forêt certifiées fin 2000.

Région Surface forestière certifiée

Afrique 974Asie 158Océanie 410Europe 46 708Amérique du Nord et centrale 30 916Amérique du Sud 1 551Total 80 717

Source : <www.fao.org>

Ces chiffres sont sans doute décevants, mais il faut souli-gner, d’une part, que la surface forestière bien gérée n’est pasréduite aux forêts certifiées et, d’autre part, que la situations’améliore rapidement. Une étude, réalisée par l’ITTO en 1988,n’estimait qu’à un million d’hectares, dans 17 pays, les forêtstropicales bien gérées pour la production de bois [Poore et al.,1989]. Fin 2000, dans ces mêmes pays, 35 millions d’hectaresfaisaient l’objet d’un plan formel de gestion et 1,7 millionétaient certifiés. On peut aussi citer le Forest StewardshipCouncil (FSC) qui certifie quarante millions d’hectares à la fin2003, dont plus de dix millions nouveaux pour cette seuleannée. Ou encore les dix-neuf pays européens pour lesquels uneinformation est disponible sur les forêts closes faisant l’objetd’un plan et dont la proportion était de 64 %, 71 % et 95 %,respectivement en 1980, 1990 et 2000.

Il n’en reste pas moins que, malgré les progrès accomplis, lagestion forestière durable reste davantage un vœu qu’une réalité.

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Le Programme européendes forêts certifiées

En 1993, la Conférence interministé-rielle d’Helsinki pour la protection desforêts en Europe définit la gestion fores-tière durable comme « la gérance etl’utilisation des forêts et des terrainsboisés, d’une manière et à une inten-sité telles qu’elles maintiennent leurdiversité biologique, leur productivité,leur capacité de régénération, leur vita-lité et leur capacité à satisfaire, actuel-lement et pour le futur, les fonctionsécologiques, économiques et socialespertinentes, aux niveaux local, nationalet mondial, et qu’elles ne causent pasde préjudices aux autres écosystèmes ».Cette définition est alors traduite dansles six « critères d’Helsinki » :

— conservation et amélioration desressources forestières et de leur contri-bution aux cycles mondiaux ducarbone ;

— maintien de la santé et de la vita-lité des écosystèmes forestiers ;

— maintien et encouragement desfonctions de production des forêts ;

— maintien, conservation etamélioration de la diversité biologiquedans les écosystèmes forestiers ;

— maintien et amélioration desfonctions de protection de la gestiondes forêts (notamment vis-à-vis des solset de l’eau) ;

— maintien d’autres bénéfices etfonctions socio-économiques.

En juillet 1998, après la Conférencede Lisbonne sur la protection desforêts, à l’initiative de propriétairesforestiers de six pays européens, lesindustriels de la filière forêt-bois, lesassociations de protection de la nature,les consommateurs, les pouvoirspublics… réfléchissent à un système decertification de la gestion forestièredurable. Le 30 juin 1999, l’associationPan European Forest CertificationCouncil est créée à Paris par douzepays : Allemagne, Autriche, Belgique,Espagne, Finlande, France, Irlande,Norvège, Portugal, Républiquetchèque, Suède, Suisse. Ils serontensuite rejoints par la Lettonie, le Dane-mark et l’Italie. Fin 2002, elle compteseize pays européens membres, plus leCanada et les États-Unis, et attendl’entrée de huit nouveaux pays.

Le climat

Le climat n’est pas à proprement parler une ressource renou-velable au sens où nous avons défini ce concept. Il n’existe passous la forme d’un stock ayant une capacité naturelle de régéné-ration, mais il est le résultat de processus complexes, dontcertains sont naturels, comme les cycles de l’eau et du carbone,et d’autres, comme la pollution, d’origine humaine.

S’il peut être très différent d’une région à une autre, la fin duXXe siècle a vu émerger, au niveau de la planète, le problèmeglobal dit de l’« effet de serre », qui place l’humanité devant deschoix qui peuvent s’analyser dans le cadre de la gestion desressources renouvelables.

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L’effet de serre

Les gaz à effet de serre (gaz carbonique, méthane, protoxyded’azote, hydrofluorocarbones, hydrocarbures perfluorés et hexa-fluorure de soufre) retiennent une partie du rayonnement solaireréfléchi par la terre et contribuent à maintenir à sa surface unetempérature suffisante pour permettre le développement de lavie. En leur absence, celle-ci serait aux alentours de moins 20 ºC.

Ces gaz à effet de serre (GES) s’accumulent dans l’atmo-sphère et l’accroissement de cette concentration s’accompagned’une élévation de la température. En 1988, à l’initiative del’Organisation météorologique mondiale et du Programme desNations unies pour l’environnement, est créé le Grouped’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).Celui-ci a pour mission de faire le point sur les connaissancesscientifiques concernant les processus d’interaction entre lesémissions et les concentrations de GES, les scénarios d’évolu-tion des émissions à long terme, les effets des concentrationssur les phénomènes climatiques, l’incidence de ces phéno-mènes, les possibilités techniques de prévention et d’adapta-tion des sociétés humaines, les conséquences socio-économiqueset écologiques de politiques caractérisées par une répartitiontemporelle différente des efforts de maîtrise des émissions. Lesconclusions de son troisième rapport [GIEC, 2001] sont claires :les concentrations de GES se sont accrues de façon significativedepuis le début de l’ère industrielle, ce phénomène excède lavariabilité naturelle et il est attribuable à l’activité humaine ; surla base de la compréhension théorique du climat (les lois de laphysique), la modélisation climatique conclut au diagnosticd’un réchauffement, en moyenne, du climat de la Terre et à lapossibilité d’importantes perturbations dues notamment à larapidité avec laquelle le changement se produit.

Selon les simulations climatiques, la température moyenneglobale de surface pourrait s’élever de 1,4 à 5,8º C en 2100 parrapport à 1990, principalement du fait des émissions de GES.Fonte des glaces, montée des eaux, progression des déserts,bouleversement du cycle de l’eau et du régime des précipita-tions, croissance en fréquence et en intensité des événementsclimatiques extrêmes (cyclones, tempêtes, canicules…) sontquelques-unes des conséquences attendues de ces rejets. Il existe,bien entendu, de nombreuses incertitudes sur les mécanismes à

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l’œuvre et l’ampleur réelle des changements à venir et de leursimpacts, mais elles n’ont pas empêché la communauté interna-tionale, dès 1992 avec la convention-cadre sur le changementclimatique de Rio, de mettre en place une coordination plané-taire visant à réduire les émissions de GES. Il s’agit en effet duproblème inverse de celui de la gestion d’une ressource renouve-lable, où l’on cherche à préserver un stock de l’extinction enchoisissant un taux de prélèvement adéquat. Ici, le stock (de GESrésidant dans l’atmosphère) est au contraire à ne pas tropaugmenter, à cause des conséquences nocives qu’il implique, cequi suppose de réduire de façon importante les flux annuelsd’émissions qui contribuent à le faire grossir. Et, de même que lechoix d’un taux de prélèvement modifie les coûts d’extractionde la ressource, celui d’un taux de réduction modifie les coûts deproduction des secteurs où ces réductions sont faites.

La mobilisation internationale

Le problème posé par l’accentuation de l’effet de serre, suite àla croissance des émissions de GES, n’est donc pas formelle-ment différent de celui de la gestion durable d’une ressourcerenouvelable. Même s’il existe des différences (l’impact clima-tique des émissions de GES est indépendant de leur localisation,la variation des flux d’une année sur l’autre est bien moindre, leproblème est planétaire), il partage même beaucoup des caracté-ristiques des ressources halieutiques en haute mer : absence dedroits de propriété bien définis, interdépendance des décisions,risques d’irréversibilité, incertitude, asymétries d’information…qui rendent à la fois indispensables et difficiles les négociationsentre les parties concernées.

Notre propos, dans cette section, n’est pas de faire l’histoire dela mobilisation internationale contre l’effet de serre [le lecteurintéressé par cette question pourra consulter Faucheux et Noël,1990, et le rapport de Guesnerie, 2003], mais de présenter, dansle cas du climat, les solutions qui sont progressivement mises enplace pour tenter de résoudre ce problème.

Les engagements ont été pris en deux temps. À Rio en 1992,les pays industrialisés ont pris l’engagement de faire leur possiblepour ramener leurs émissions de GES en 2000 à leur niveau de1990, mais aucun instrument particulier n’a été mis en placepour atteindre cet objectif. Constatant l’échec de cette approche

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« de bonne volonté », les pays signataires ont voulu signer unprotocole plus contraignant quant aux moyens à mobiliser parchacun. C’est ainsi que l’on a débouché sur le protocole deKyoto en 1997. Ce dernier prévoit que les pays industriels iden-tifiés dans l’annexe B du protocole (OCDE, pays d’Europecentrale en transition, Russie, Ukraine) aient réduit en moyenne,sur la période 2008-2012, leurs émissions de GES d’environ 5 %par rapport à leur niveau de 1990. Des objectifs individuels deréduction ont été définis pour chaque pays : les pays membres del’Union européenne se sont engagés sur – 8 % (avec une nouvellerépartition interne allouant, par exemple, 0 % à la France, – 25 %à l’Allemagne ou + 17 % à l’Espagne), les États-Unis sur – 7 %, leJapon et le Canada sur – 6 %, la Russie sur 0 % et l’Australiesur + 8 %. La solution négociée consiste donc en une restric-tion quantitative qui est l’équivalent des TAC de la régulationdes ressources halieutiques, la grande nouveauté consistant dansla possibilité du commerce des quotas attribués à chaque pays.

Un marché de permis négociables. — L’année 2008 devrait doncvoir la mise en place du premier marché international de permisnégociables. De tels marchés existent déjà sur une base natio-nale, les plus connus concernant le plomb dans l’essence, ledioxyde de soufre (SO2) et les oxydes d’azote (Nox) auxÉtats-Unis. Pour les GES, un marché fonctionne au Royaume-Unidepuis avril 2002 et le Danemark a créé un marché pour le CO2

en 2000. En 2005, en application d’une directive adoptée en2003, entrera en vigueur un marché européen des quotas d’émis-sion de CO2 avec les secteurs industriels les plus émetteurs. Cemarché couvrira 46 % des émissions européennes de CO2 etdevrait être étendu aux autres gaz en 2008.

Les pays qui signent le protocole de Kyoto acceptent donc delimiter leurs émissions de GES. Pour donner de la souplesse ausystème et permettre d’abaisser les coûts de réduction, quatremécanismes de flexibilité sont prévus : un échange de quotasentre pays, constituant le marché de permis proprement dit ;deux formes d’échanges de crédits obtenus par la certificationde réductions d’émissions liées à des projets dans les pays entransition ou dans les pays en développement ; la possibilité demettre en réserve pour une période ultérieure les droits d’émis-sion non utilisés en 2008-2012. À cela s’est ajoutée ultérieure-ment la prise en compte limitée des possibilités de fixer le

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carbone atmosphérique à travers, principalement, le développe-ment de la couverture forestière et de certaines cultures (les« puits de carbone »). Le tableau ci-dessous résume les diffé-rents moyens prévus par le protocole. L’annexe I regroupe lespays industrialisés et en transition qui ont pris des engagementsquantifiés de réduction lors de la signature de la convention deRio, tandis que l’annexe B regroupe les pays qui se sont engagéseffectivement sur des objectifs précis de réduction d’émissionsdans le cadre du protocole de Kyoto. Seuls ces derniers paysavaient des obligations de réduction d’émission, ce qui signifieque les pays en développement n’ont pris aucun engagement decette sorte.

Actif créé Responsabilitéinstitutionnelle

Acteursimpliqués

Périodesde validité

Unité de réductiond’émission ERU(Emission ReductionUnit)

Émission d’unERUpar conversiond’unAAU du pays hôte

Parties del’annexe Iet autrespersonnesjuridiques(entreprises)

À partir de 2008pour desréductions2008-2012

Réductiond’émission certifiéeCER (CertifiedEmission Reduction)

Émission d’unCERpar le Conseilexécutif aprèsvérification/certification

Parties del’annexe Iet autrespersonnesjuridiques(entreprises) etparties hors del’annexe I

À partir de 2002pour desréductions2000-2012

Unité de montantalloué AAU(Assigned AmountUnit)

Émission d’AAUpar le pays aprèsagrément parl’équipe de revued’expert de soninventaire 1990

Parties del’annexeB et autres per-sonnes juridiquesautorisées(entreprises)

À partir de 2008

Unité desuppression RMU(Removal Unit)

Émission de RMUpar le pays aprèsagrément parl’équipe de revued’expert de soninventaire

Parties del’annexeB et autres per-sonnes juridiquesautorisées(entreprises)

À partir de 2009

Source : Cros et Gastaldo [2003].

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Pour que l’accord puisse être appliqué, il doit être ratifié parau moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions deGES. En octobre 2004, plus d’une centaine de pays représentant44,2 % des émissions avaient ratifié le protocole, qui n’était doncpas encore entré en vigueur.

Les difficultés de mise en œuvre du marché des permis. — Lapremière difficulté a concerné l’existence même de ce marché.La condition sur le pourcentage des émissions permettant lamise en application du protocole de Kyoto n’est réalisée quedepuis novembre 2004. Avant cette date, les principaux non-signataires étaient les États-Unis, la Russie et l’Australie, repré-sentant respectivement 36,1 %, 17,4 % et 2,1 % des émissions.L’arrivée au pouvoir du président Bush avait complètementmodifié la position du gouvernement américain, qui est passéed’une coopération heurtée au retrait à la conférence de La Hayeen 2000. De ce fait, seule la Russie avait un taux d’émission suffi-sant pour faire atteindre la barre des 55 % édictés par le proto-cole. La décision américaine la mettait ainsi en situationd’arbitre, et ce n’est que quatre ans plus tard qu’elle s’est finale-ment décidée à la ratification.

Mais, même après cette ratification du protocole par la Russie,conduisant à sa mise en vigueur en février 2005 et au démar-rage du marché en 2008, il reste plusieurs obstacles à son bonfonctionnement. Un marché de permis négociables ne peutfonctionner que si, d’une part, il est possible de contrôler lesdéclarations d’émissions des acteurs pour vérifier qu’elles sonten conformité avec le nombre de permis qu’ils possèdent et,d’autre part, que des sanctions crédibles soient applicables encas de non-respect des règles. Sur le premier point, des proto-coles d’inventaire ont été mis au point, et ont été définies lesconditions dans lesquelles chaque pays doit établir des rapportsréguliers sur sa politique de l’effet de serre, ses émissions et sesmouvements de transferts internationaux de permis. Le secondpoint a été un point important d’achoppement. Les proposi-tions de pénalités financières ont été rejetées, car elles auraientimpliqué une perte de souveraineté jugée inacceptable. Il fautdire que l’effet de serre touche à des secteurs sensibles commel’énergie et les transports. Les solutions trouvées consistent àprévoir une pénalité « en nature » sur les permis de la périodesuivante, après 2012, à suspendre la capacité d’un pays à

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participer aux transactions comme vendeur de permis et, enfin,à demander à chaque pays de demeurer en possession d’uneréserve de permis correspondant au moins à 90 % de ses émis-sions annuelles.

La faiblesse du dispositif de sanction est d’autant plus gênanteque la nature même d’un protocole issu d’une négociation entreÉtats souverains le rend fragile et instable. En effet, non seule-ment aucun pays ne peut être forcé à signer par les autres, maisil existe une forte incitation pour chaque pays à ne pas parti-ciper à l’effort commun et ce d’autant plus que les autres sontplus nombreux à participer. C’est le comportement bien connudu « passager clandestin » dû à l’impossibilité d’exclusion del’usage d’un bien public une fois que celui-ci est disponible. Lerecul de l’effet de serre, du fait des efforts de réduction des payssignataires, profitera de toute façon aux autres pays.

Enfin, tel qu’il est prévu, le marché qui doit se mettre en placeen 2008 n’est qu’une toute première étape pour commencer àaffronter le problème de l’effet de serre. Après le retrait améri-cain, les engagements de réduction des émissions ne concer-nent qu’une part minoritaire des émissions annuelles mondiales.Ce n’est pas suffisant pour réduire durablement le stock de GESdans l’atmosphère. Aller plus loin suppose d’impliquer les paysen développement dans l’effort de maîtrise des émissions,d’autant que c’est dans ces pays que les émissions seront les plusimportantes dans le futur, au fur et à mesure de leurdéveloppement.

On comprend bien que l’approche adoptée à Kyoto pourdéfinir des engagements quantifiés (réduire les émissions en réfé-rence à l’année 1990, règle dite du « grand-parentage »), si elleétait concevable dans une logique de limitation des coûts etd’acceptabilité politique du protocole entre pays industriels, nepourrait pas être acceptée par des pays comme l’Inde ou la Chinequi dépassent le milliard d’habitants et dont les émissions totalesdoivent pouvoir augmenter en fonction de leur croissance. Cespays militent d’ailleurs pour une distribution attribuant àchaque pays un quota proportionnel à sa population. C’est laquestion de l’équité des règles d’allocation des permis qui estposée, question difficile sur laquelle nous renvoyons le lecteurintéressé à Godard [1997 et 1999].

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Kyoto, et après ?

La mobilisation d’un certain nombre de pays industriels faceau risque de changement climatique peut donner lieu à deuxtypes d’interprétations, selon le modèle de la bouteille à moitiévide ou à moitié pleine. On peut y voir le début de la prise deconscience collective d’une menace pour les générations futureset la mise en œuvre, certes difficile mais réelle, d’actions poury faire face. On peut aussi mettre l’accent sur les difficultés etregretter que la poursuite des intérêts particuliers à chaque pays,dont les États-Unis donnent un si bel exemple, conduise à tantd’atermoiements et de faux départs.

Mais on peut aussi privilégier une lecture de Kyoto commele premier pas nécessaire (donc limité si on le veut réel) au débutd’un processus dont l’objectif essentiel est l’intégration des paysen développement, pour une coopération à la fois efficace etéquitable. Comme pour les ressources halieutiques ou la forêt,les incantations au développement durable sont encore loin dedéboucher sur une réduction des atteintes à l’environnementqu’elles dénoncent ; mais c’est en 2013, au moment où lepremier bilan des réductions réalisées par les pays de l’annexe Bsera fait, qu’on pourra mieux juger, à partir du niveau d’engage-ment des pays en développement, de la réelle volonté de tous àmaîtriser l’effet de serre et de nos chances d’y parvenir.

L’eau

Il est difficile de caractériser l’eau en tant que ressource natu-relle. Si d’un point de vue écologique son cycle, parfaitementconnu (évaporation, condensation, retour à la mer), en fait uneressource renouvelable, l’eau douce, celle dont nous dépendonspour les usages domestiques, industriels et agricoles, est plutôtune ressource épuisable. C’est d’ailleurs ainsi que l’a caracté-risée la Conférence internationale sur l’eau et l’environnementqui s’est tenue à Dublin en 1992 dans son principe nº 1 : « L’eaudouce — ressource fragile et non renouvelable — est indispen-sable à la vie, au développement et à l’environnement. »

Cependant, son caractère épuisable tient moins à ses caracté-ristiques physico-chimiques propres qu’à la fragilité de sonprocessus de reproduction naturelle. Cette fragilité est due, d’une

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part, aux conflits d’appropriation et/ou d’usages engendrés parson inégale répartition sur notre globe et, d’autre part, auxconséquences des multiples pollutions qu’elle subit.

Les ressources d’eau sont donc renouvelables (sauf certaineseaux souterraines), mais avec des différences de disponibilité trèsimportantes selon les régions du monde et des variations consi-dérables, en termes de précipitations saisonnières et annuelles(par exemple, les précipitations en Inde sont concentrées surquelques semaines avec la mousson).

D’un point de vue économique, l’eau potable est théorique-ment un bien public dans les pays riches, puisque le serviced’eau est conçu pour être accessible à tous les habitants d’unecommune avec un tarif fixé de manière à n’exclure aucun usageret sans rivalité d’usage. Pratiquement, l’exclusion des usagers quine paient pas leur facture peut la rapprocher d’un bien de club.Dans les pays en développement, la pratique courante de laconnexion illégale au réseau fait de l’eau un bien commun.

La majorité de l’eau sur terre est de l’eau de mer, la quantitéglobale d’eau douce ne représentant que 2,53 % du total. Surces 2,53 %, l’eau de surface (lacs et rivières) compte pour 0,3 %,les eaux souterraines pour 29,9 % et les glaciers et les neiges éter-nelles pour 68 %, le reste correspondant aux mares, zoneshumides, etc. Le volume global d’eau douce utilisable s’élèveainsi à 12 500 milliards de m3. Ce volume serait suffisant s’il étaitéquitablement réparti, ce qui n’est le cas ni dans l’espace, ni dansle temps. Le tableau ci-dessous donne la disponibilité en eau pargrandes zones géographiques par rapport à la population.

Zones Disponibilité en eau Population

Amérique du Nord et centrale 15 % 8 %Amérique du Sud 26 % 6 %Europe 8 % 13 %Afrique 11 % 13 %Asie 36 % 60 %Australie et Océanie 4 % 1 %

Source : site Internet de l’UNESCO/PHI.

Le tableau souligne bien la disparité entre continents et lasituation difficile de l’Asie qui ne possède que 36 % des

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ressources alors qu’elle représente 60 % de la populationmondiale.

Du point de vue des usages, l’agriculture est de loin le secteurle plus consommateur avec 70 % du total, quand les usagesindustriels en représentent 22 % contre 8 % pour les usagesdomestiques. Toutefois, les usages industriels augmentent enfonction du revenu des pays et ils représentent 59 % du totaldans les pays à revenu élevé et 10 % dans les pays à faible revenuet revenu moyen inférieur. L’augmentation prévue des usagesindustriels devrait se faire, pour l’essentiel, dans les pays endéveloppement.

Sur le plan de la qualité, la pollution affecte de plus en plusles réserves. Environ deux millions de tonnes de déchets(effluents industriels, produits chimiques, engrais, pesticides…)sont déversées chaque jour dans des eaux réceptrices et onestime que la pollution mondiale pourrait atteindre 12 000 km3.Comme trop souvent, ce sont les populations les plus pauvresqui sont les plus touchées, 50 % de la population des pays endéveloppement étant exposée à des sources d’eau polluées.

Le développement économique et la croissance démogra-phique devraient accentuer la raréfaction progressive de laressource et, selon les estimations, c’est 2 à 7 milliards d’indi-vidus dans 48 à 60 pays qui devraient souffrir de pénuries d’eauet des maladies qui lui sont liées (paludisme, dengue, infectionsgastro-intestinales) vers le milieu de ce siècle. C’est pourquoi onparle aujourd’hui de crise mondiale de l’eau et que beaucoup yvoient le grand défi de ce début de troisième millénaire.

L’enjeu principal : satisfaire la demande

La priorité, c’est d’assurer l’accès à l’eau potable pour tous.À l’heure actuelle, 1,1 milliard de personnes n’ont pas d’équipe-ments leur permettant de s’approvisionner en eau et2,4 milliards n’ont pas accès à des systèmes d’assainissement.Encore faut-il souligner que le taux de raccordement d’unepopulation à un réseau n’est pas synonyme d’accès à l’eaupotable car, dans certains cas, l’eau du réseau n’est disponibleque quelques heures et avec une pression variable [voir MarieLlorente, 2002, pour le cas de Delhi].

Il est donc nécessaire non seulement de créer des réseauxperformants, mais aussi de mettre en place des systèmes

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d’assainissement dans une approche par bassin qui est le niveauadéquat de gestion de la ressource à cause de sa nature de biencollectif.

Mais la demande c’est aussi (surtout) celle de demain. Dansles trente prochaines années, on assistera à un doublement dela population urbaine (60 millions supplémentaires par an). Unetelle croissance en un laps de temps si court pose des défisnouveaux que n’ont pas eu à relever les pays richesd’aujourd’hui qui ont pu construire et financer leurs réseaux surdes temps beaucoup plus longs et sans explosiondémographique.

Il y a donc un problème de financement. Ainsi, la Banquemondiale chiffre à 180 milliards de dollars par an jusqu’en 2025le règlement des problèmes d’eau (tous usages compris : hydroé-lectricité, eau potable, irrigation…). Toutefois, ces estimationssont obtenues à partir de normes techniques prévalant dans lespays industrialisés et font ainsi l’impasse sur des scénarios ayantrecours à d’autres types de technologies, mieux adaptées auxpays en développement. Comme le note Pierre-Noël Giraud[2002], « le modèle des grands réseaux centralisés fournissant100 % d’eau potable et traitant 100 % des eaux usées sans réutili-sation ni réinjection dans les aquifères, qui caractérise les paysriches, en particulier d’Europe, est et restera beaucoup trop cherpour une large partie des populations urbaines du tiers-monde ».

Mais s’il est clair que les populations des pays en développe-ment n’ont pas les moyens d’autofinancer les équipementsnécessaires, leurs classes moyennes en voie de constitution n’ensont pas complètement dépourvues. Toutefois, devant lamauvaise qualité des services existants, due précisément à leurdégradation par manque d’entretien, elles se réfugient dans dessolutions individuelles, pourtant plus coûteuses à la fois pourelles et socialement, pérennisant ainsi la faiblesse du finance-ment dans un cercle vicieux parfait.

Il est toutefois vain d’imaginer que les habitants des pays endéveloppement auront une capacité à payer l’eau suffisante pourcouvrir les coûts. Ce qui revient à dire que les usages de l’eaudans ces pays seront nécessairement subventionnés, puisqu’il y asubvention dès que le prix payé par l’usager ne couvre pas lecoût de fourniture du service, défini comme un coût annuel defonctionnement et de maintenance auquel il faut ajouter uncoût d’amortissement du capital (coût marginal de long terme).

LES RESSOURCES RENOUVELABLES EN PRATIQUE 85

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Généralement, les subventions sont synonymes d’ineffica-cité, d’une part à cause du gaspillage qu’elles impliquent(l’usager ne reçoit pas le bon signal sur le prix réel de la ressourceet a tendance à la consommer excessivement), et, d’autre part,à cause du manque de recouvrement des coûts qui conduit aucercle vicieux dénoncé ci-dessus.

Pourtant, les réseaux des pays riches n’existeraient pas sansleur subventionnement par la puissance publique et, si l’OCDEconsidère que les pays développés recouvrent 100 % de leurscoûts de fonctionnement et de maintenance, ce n’est pas le caspour les coûts d’amortissement du capital. On voit donc malcomment les pays en développement pourraient s’en passer. Etce d’autant plus que ces subventions sont sans doute justifiéespar l’importance des externalités négatives associées à lamauvaise qualité des réseaux (maladies, décès…).

Mais on touche là sans doute au cœur de la crise de l’eau.

Quelle(s) solution(s) à la crise de l’eau ?

Faire des problèmes (réels) de financement le cœur de la crisede l’eau, c’est mettre l’accent sur la nécessaire intervention desgrandes entreprises du secteur et lancer le débat stérile de l’alter-native public/privé. Stérile parce que la solution ne peut résiderni dans la seule privatisation, impossible à cause des externalitésliées à la ressource, à son caractère de bien public ou commun età la nécessité des subventions, ni dans la seule gestion publiquequi ne peut se passer de la compétence technique des majorsde l’eau, qui s’est construite historiquement au sein d’entreprisesprivées et qu’aucune entreprise publique ne possède actuelle-ment et ne pourrait acquérir rapidement.

Cette compétence ne peut s’obtenir qu’au prix « normal » deleurs services et suppose que les pays en développement aientun environnement institutionnel suffisamment stable pour queces compagnies jugent les contrats qui leur sont proposés d’unrisque acceptable. Ainsi, la dévaluation du peso en Argentine en2001 a coûté à Suez plus de 400 millions d’euros et lui a faitporter l’affaire devant un tribunal arbitral international. Il a parla suite renoncé à plusieurs contrats à l’étranger (Porto Rico,Djakarta, Manille) et la plupart des grands groupes préfèrentinvestir aujourd’hui en Europe plutôt qu’en Asie ou en Amériquedu Sud.

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Il n’y aura pas de solution(s) à la crise de l’eau sans la coopé-ration entre des institutions publiques, crédibles et responsables,qui définissent des règles du jeu claires, et les grands fontai-niers apportant leur savoir-faire (optimisation des réseaux, effetsd’échelle…). Mais il y faut aussi la participation des usagers dontles modalités d’implication font partie des défis à résoudre. C’estce dernier volet qui est aujourd’hui largement sous-estimé par lesinstitutions internationales qui ont surtout pensé à une sortiede crise fondée sur le système de la délégation que connaissentles pays développés et qui paraît de moins en moins adapté auxpays en développement. En effet, dans ce système, les collecti-vités territoriales délèguent la gestion de leurs services d’eau àune entreprise privée ou à un syndicat intercommunal, qui peutlui-même la confier à un délégataire privé. En France, parexemple, les deux tiers des 36 000 communes se sont regroupéesau sein d’environ 2 000 syndicats intercommunaux des eaux etplus de 80 % de la population est desservie par une entrepriseprivée (dont Vivendi – désormais Veolia-Environnement – 43 %,Suez-Lyonnaise 24 % et Saur-Cise – du groupe Bouygues – 10 %).Ce mode de régulation est caractérisé par de nombreuses asymé-tries d’information qui impliquent des contrôles coûteux qu’unpays en développement peut difficilement mettre en place.

Dans cette équation où les trois inconnues sont les rôles dechaque partie (État, collectivités locales comprises, firmes etusagers), il n’existe pas de solution unique, c’est sans doute laseule chose dont on puisse être sûr. Pour le reste, le mieux à faireest d’analyser ce qui se fait et de chercher à en tirer les leçons.

LES RESSOURCES RENOUVELABLES EN PRATIQUE 87

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V / Le développement durable

Qu’elles soient épuisables ou renouvelables, les ressourcesnaturelles jouent un rôle essentiel dans nos modes de consom-mation et de production. On a déjà souligné que, dès l’émer-gence de l’économie comme champ disciplinaire relativementautonome, de grands économistes avaient attiré l’attention surles limites de la croissance qu’impliquait l’utilisation deressources naturelles essentielles. Le diagnostic ainsi posé estsouvent fondé sur une projection des évolutions passées dansle futur. Un tel exercice repose sur des conditions dont la listemême suffit à ruiner tout espoir de crédibilité de la prévision.Prenons l’exemple du pétrole, ressource stratégique s’il en est ence début de XXIe siècle, dont on nous annonce l’épuisementavant quelques dizaines d’années. L’épuisement en soi n’est unecatastrophe qu’autant qu’aucun substitut ne soit devenu dispo-nible. Ce qui dépend, entre autres, du progrès technique, desprix relatifs d’autres ressources (à 80 dollars le baril, on peutobtenir du pétrole par distillation de charbon et l’épuisementdu pétrole ne peut que faire monter son prix), de l’évolutionde la demande, d’une évaluation fiable des réserves et des coûtsd’extraction, y compris futurs… Une prévision utile, reposant surune modélisation de l’économie mondiale réaliste, doit doncintégrer la spécification des fonctions de demande et d’offre desprincipaux biens, des hypothèses sur l’évolution des anticipa-tions des acteurs concernés (présents et futurs), la connaissancedes stocks et des coûts d’exploitation, l’estimation des élasticitésde substitution entre le pétrole et tous les biens dont l’utilisa-tion a un lien avec lui (par exemple, l’automobile ou le transportaérien), la prise en compte des effets en retour sur l’emploi, donc

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Les mésaventures de la prévision

En 1967, Herman Kahn, un des pères de la prospective, et Anthony Wienerpubliaient un livre expliquant comment le monde allait se développer d’icil’an 2000 sur les plans politique, économique, démographique, scientifique ettechnologique. Ce livre, traduit un an plus tard en français [Kahn et Wiener,1968], décrivait les scénarios les plus probables auxquels on devait s’attendredans les trente prochaines années.

Mais, au-delà de toutes les précautions oratoires pour prévenir le lecteur desnombreuses erreurs possibles qu’un tel exercice impliquait, deux événementsfondamentaux n’avaient absolument pas été prévus, qui rendent caducl’ensemble du travail. Il s’agit d’une part de la chute du mur de Berlin et de l’écla-tement consécutif du bloc soviétique et, d’autre part, de l’avènement de la micro-informatique. Il en résulte une vision du monde futur construite sur une logiqued’affrontement entre blocs de l’Est et de l’Ouest, renforcée par une informatiquehors de portée des individus et nécessitant de plus en plus une gestion centraliséepar les États, de par les investissements qu’elle implique.

sur la demande future… tout en priant pour qu’aucune transfor-mation sociétale majeure ne vienne ruiner tout ce travail.

On conçoit que, jusqu’à présent, les prévisions de ceux quise sont risqués à de tels exercices aient toujours été démentiespar les faits. À la fin des années 1980, la montée des questionsenvironnementales dites globales (effet de serre, « trou » dans lacouche d’ozone, pluies acides…) a contribué à inverser la pers-pective en remettant en cause l’idée de la nécessité d’une « crois-sance zéro », pour s’interroger au contraire, de façon pluspositive, sur les conditions qui rendraient compatibles crois-sance et environnement. C’est cette problématique qui a étépopularisée sous la dénomination de développement durableque nous allons examiner dans ce chapitre.

On peut la dater de 1987, année de la publication du rapportfinal de la Commission mondiale sur l’environnement et ledéveloppement, Our Common Future, commission présidée parle Premier ministre norvégien Gro Harlem Brundtland et quipropose de définir le développement durable comme un « déve-loppement qui permet la satisfaction des besoins présents, sanscompromettre la capacité des générations futures à satisfaire lesleurs ». Très vite, l’expression a connu un succès extraordinaire,à tel point que, seulement deux ans plus tard, Pezzey [1989]pouvait en dénombrer plus de soixante définitions différentes.Ce succès ne s’est pas démenti par la suite. En 1996, Dobson en

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relève plus de trois cents et il devient difficile depuis de trouverune mesure économique ou politique, qu’elle soit locale, natio-nale ou internationale, qui ne soit pas justifiée au nom du déve-loppement durable. Cet usage intensif de l’expression etl’abondance des définitions qui en sont proposées amènent à seposer la question de l’utilité du concept.

Dans ce chapitre, nous allons mettre l’accent sur le dévelop-pement durable en relation avec l’utilisation de ressources natu-relles. Tout d’abord avec les travaux prolongeant ceuxd’Hotelling et qui utilisent le cadre formel des modèles de crois-sance intégrant l’environnement et/ou les ressources naturelles.Cette voie de recherche, dite de la « soutenabilité faible », enfrancisant directement le terme anglais « sustainable », part duconstat que l’idée de développement durable, quelle que soit ladéfinition retenue, suppose toujours que quelque chose doiverester constant dans le temps. Il y a en revanche débat sur lanature précise de ce quelque chose. Ainsi Solow [1993] déclare-t-il que, « si la durabilité est un engagement émotionnel et vaguede conserver quelque chose dans le long terme, il est très impor-tant de comprendre la nature de ce quelque chose ». Nous abor-derons ensuite la conception dite de la « soutenabilité forte »,où ce sont certains actifs naturels bien définis qui doivent êtreconservés, en raison de leur caractère irremplaçable.

Le développement durable ne se réduit naturellement pas àces deux approches, même si on les présente souvent commeles deux principaux paradigmes sur ce thème et si des livresentiers sont consacrés à leur présentation, comme celui deNeumayer [2003]. Ainsi, en France, il faut mentionner lestravaux d’Olivier Godard qui se réclame d’une « socio-économiequi souligne l’inscription du rapport au milieu naturel et à sesressources dans des institutions, des cultures, des visions morales[…] et leurs modes de coordination » [Godard, 2004]. Dans celivre consacré aux ressources naturelles, nous en resterons auxdeux premières, qui relient directement développement durableet utilisation de ces ressources.

La soutenabilité faible

Cette approche du développement durable se caractérise parun haut degré d’abstraction et part d’un critère très général qu’il

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s’agit ensuite de maximiser sous les contraintes qui caractérisentl’économie. Ce sera, par exemple, le niveau de consommationpar tête [Pezzey, 1989], le maintien des capacités productives[Solow, 1986], la somme infinie des utilités actualisées [Dasguptaet Heal, 1974] ou encore l’utilité de la génération la « moins bienlotie » [Solow, 1974]. Nous présentons dans la section suivantequelques-uns des modèles les plus représentatifs de cettedémarche.

L’allocation intertemporelle de ressources épuisables

Le point de vue adopté dans tous ces travaux est donc celuidit du «planificateur bienveillant », qui maximise un critèretraduisant les préférences d’un consommateur « représentatif »,c’est-à-dire ayant les mêmes préférences que tous les autres. Géné-ralement, ces préférences sont représentées par une fonctiond’utilité, commune, par hypothèse, à tous les membres del’économie, et le planificateur bienveillant est censé n’avoird’autre intérêt que celui de ce consommateur (d’où le qualificatif).

La fonction d’utilité est classiquement croissante (plus onconsomme, plus on augmente son utilité) mais à un rythmedécroissant, ce qui signifie que la consommation d’une unitésupplémentaire augmentera moins l’utilité que la consomma-tion de l’unité précédente. Pour utiliser le jargon des écono-mistes, on dira que l’utilité marginale de la consommation estdécroissante.

Le critère utilitariste. — Il s’agit en fait de la poursuite destravaux d’Hotelling, lequel avait étudié le problème de la maxi-misation de la somme infinie actualisée des utilités de laconsommation quand celle-ci provenait d’une ressourceépuisable.

L’objectif poursuivi par le planificateur bienveillant est doncla maximisation de l’expression suivante :

St = + q u(ct)t = 0

(1 + d)t

où u(ct) est l’utilité de la consommation à la date t et d le tauxd’actualisation, dont on rappelle la signification ci-après.

La question posée par Hotelling était celle du rythme optimalde la consommation, c’est-à-dire du choix de la consommation

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à chaque période qui maximise l’objectif retenu. Sa réponse estde même nature que celle qu’il avait déjà donnée concernantle rythme d’extraction d’une ressource épuisable et qu’on aprésentée comme la règle d’Hotelling. Ici, ce n’est pas le prix dela ressource qui doit croître au taux d’intérêt, c’est l’utilité margi-nale de la consommation qui doit croître au taux d’actualisa-tion. En effet, le consommateur veut bien renoncer à une unitéde ressource aujourd’hui à condition d’obtenir 1 + d unités deressources demain. Le taux d’actualisation d est un taux de préfé-rence pour le présent, puisqu’il mesure la quantité supplémen-taire que demande un consommateur pour différer saconsommation. Inversement, si d est nul, cela signifie que leconsommateur est indifférent pour la consommation d’uneunité aujourd’hui ou demain et donc qu’il n’a pas de préfé-rence pour le présent. L’unité supplémentaire d’aujourd’hui luiprocurerait une utilité marginale de u’(ct) et les 1 + d unités dedemain, une utilité marginale de u’(ct+1)(1 + d). Si ces deux utilitésmarginales ne sont pas égales, c’est que le consommateur peutaugmenter son utilité en consommant davantage à la périodeoù l’utilité marginale est plus élevée. Il maximise donc son utilitéquand elles deviennent égales à chaque instant. On a alorsu’(ct+1)(1 + d) = u’(ct), quel que soit t, ce qui se réécrit [u’(ct) –u’(ct+1)]/ u’(ct+1) = d, soit l’égalité entre le taux de croissance del’utilité marginale et le taux d’actualisation comme annoncé.Mais si l’utilité marginale de la consommation croît, c’est quela consommation elle-même décroît, et ce jusqu’à l’épuisementde la ressource. Dans ce cas, il est clair que rien ne peut resterconstant, puisque consommer, même de moins en moins,revient à extraire de la ressource et donc à diminuer le stockrestant.

Pour introduire la préoccupation du développement durabledans ce cadre, on introduit généralement le stock st de ressourcedisponible à la date t dans la fonction d’utilité qui s’écrit alorsu(ct, st) [Krautkraemer, 1985 ; Heal, 1998]. Cela signifie que leconsommateur accorde une valeur à l’existence de la ressourceen soi et pas seulement comme bien de consommation. Il appa-raît ainsi un problème d’arbitrage entre consommer ou conserverla ressource puisque les deux options procurent de l’utilité. Mis àpart cette modification, le modèle reste le même que le précé-dent : il s’agit de maximiser la somme actualisée des utilités sousla contrainte d’évolution de la ressource. Sous certaines

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hypothèses sur la fonction d’utilité, il est optimal de garder uncertain stock de ressource s* strictement positif, la consomma-tion décroissant, puis devenant nulle une fois ce stock atteint.

En particulier, l’utilité marginale d’une consommation nulledoit être finie, sinon le consommateur choisirait toujours deconsommer un peu, plutôt que de ne pas consommer et delaisser le stock intact. En effet, une unité de ressourceconsommée lui apporterait une utilité marginale infinie et l’arbi-trage entre consommation et conservation se ferait toujours enfaveur de la consommation. Cette hypothèse signifie en fait quele consommateur n’est pas « obsédé » par la consommation aupoint de ne pouvoir s’en passer. On ne peut qu’espérer qu’ellesoit vérifiée, sinon le développement durable, quel que soit lesens qu’on lui attribue d’une manière un peu raisonnable, auraitpeu de chances d’exister.

Dasgupta et Heal [1974] montrent que, en présence d’uneressource épuisable, le critère utilitariste actualisé conduit à uneconsommation décroissante vers zéro. Ce résultat vient del’actualisation qui implique d’accorder à l’utilité d’une généra-tion un poids d’autant plus faible dans le critère qu’elle est éloi-gnée dans le temps. Ce caractère inéquitable du critère actualisé,puisqu’il privilégie les premières générations, a conduit uncertain nombre d’économistes comme Ramsey ou Kaldor àrefuser cette pratique.

Est-il alors possible de maintenir la consommation constantesur la trajectoire optimale de l’économie dans ce typed’approche ? C’est évidemment impossible, tant que l’utilitéprovient directement de la consommation de la ressource. Enrevanche, si la ressource est un input dans un processus deproduction, cela devient possible selon la nature de la techno-logie disponible et du progrès technique (caractérisés par lespropriétés de la fonction de production). La règle d’Hartwick[1977] fournit le résultat principal de cette ligne de recherche.

La règle d’Hartwick. — Sous sa version la plus simple, la règled’Hartwick stipule que la consommation peut être constante lelong d’une trajectoire d’équilibre de l’économie si et seulementsi la valeur de l’investissement total (évaluée aux prix d’équi-libre) est nulle à chaque instant. Pour illustrer ce résultat simple-ment, supposons que l’économie ne possède que deux types decapitaux : un capital physique et un stock de ressource épuisable.

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Comme le stock de ressource ne peut que diminuer si on l’utilise,on est devant un investissement négatif, la valeur du stock dimi-nuant de la valeur du montant prélevé, qui est la rente hotelli-nienne. Pour que la consommation reste constante, il faut, selonla règle d’Hartwick, que le stock de capital physique s’accroissed’une valeur égale à cette rente. D’où la formulation normativede la règle d’Hartwick : investir à chaque instant la rente tirée del’exploitation des ressources naturelles dans le capital physique.

Il est clair que cette règle n’est applicable que s’il y a une substi-tuabilité parfaite entre les différents types de capitaux. Il faut enoutre supposer que les comportements d’offre et de demandepermettront la substitution. En effet, à proximité de l’épuisement,la rente de rareté associée à la ressource sera très élevée et, inverse-ment, le prix du capital physique sera faible puisque la presquetotalité de la ressource aura été « transformée » dans ce type decapital. Il n’est donc pas certain que ces prix permettent d’appli-quer la règle, le montant nécessaire d’investissement en capitalphysique pouvant être trop élevé. Enfin, il faut noter que l’appli-cation de la règle suppose que l’on connaisse la valeur de l’investis-sement à chaque instant, une condition bien difficile à vérifierpratiquement et qui fait retomber dans les apories de la prévision.

La prise en compte de l’équité intergénérationnelle

Le critère utilitariste actualisé n’est pas le seul pris en comptedans l’approche de la soutenabilité faible, en particulier par lesauteurs qui considèrent que les questions d’équité intergénéra-tionnelle sont une des dimensions fondamentales du dévelop-pement durable.

Maximin et règle d’or verte. — En s’inspirant de la définition del’équité de Rawls [1971], on peut définir un critère particulier, ditmaximin parce qu’il s’agit de maximiser l’utilité de la génération lamoins favorisée (en termes d’utilité). Toutefois, l’extrême rigiditéde ce critère, qui interdit toute substitution d’utilité entre le présentet le futur, le rend peu adapté à une définition du développe-ment durable. Avec ce critère, une société pauvre le resterait indéfi-niment parce qu’elle ne pourrait pas épargner pour augmenter laconsommation future sans diminuer la consommation présente,donc au détriment de la génération actuelle qui serait ainsi défa-vorisée, en contradiction avec le critère retenu.

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Une autre façon de représenter la notion d’équité intergéné-rationnelle consiste à chercher quelle est l’utilité maximale quel’on peut atteindre à l’infini [Heal, 1998]. Dans ce cas, le critèrerevient à chercher la consommation qui maximise la limite del’utilité quand t tend vers l’infini, soit :

maxctlimto+q u(ct, st).

Cette optique mène à la « règle d’or verte », qui préconise uneconsommation nulle des ressources épuisables, et donc le main-tien du stock initial s0, afin de maximiser l’utilité des générationsles plus éloignées. Cette fois-ci, à l’opposé du critère utilitaristeactualisé, ce sont les générations présentes qui sont ignorées.

Dans tous ces travaux, la démarche est la même : on se donneun critère défini a priori et les contraintes auxquelles est soumisel’économie, dont celle(s) censée(s) traduire l’idée de durabilité(consommation non décroissante, niveau d’utilité non décrois-sant…), et on caractérise les trajectoires optimales. Celles-ci sontensuite réinterprétées en fonction de la définition posée a prioride la durabilité, ce qui conduit à des résultats du type : « Pourque l’économie suive une trajectoire “durable”, il faut quel’utilité (respectivement, la fonction de production, le progrèstechnique, la technologie de dépollution…) soit de la forme… »Bien entendu, ces résultats n’ont que peu de valeur d’un point devue positif et leur intérêt normatif semble aussi fort restreint,si on prend conscience de la nature de très long terme duproblème. Ainsi, on voit mal comment interpréter lescontraintes de forme sur la fonction d’utilité de ce point de vue.Le planificateur bienveillant du problème d’optimisation doit-ilaller jusqu’à imposer la fonction d’utilité à l’agent représentatifpour obtenir un développement durable ?

Nous terminons cette rapide présentation des principaleslignes de recherche suivies par les tenants de la soutenabilitéfaible avec les travaux de Graciela Chichilnisky [1996].

Le critère de Chichilnisky. — À première vue, sa démarche esttrès différente de celle des auteurs que nous venons de passer enrevue. Plutôt que de partir d’une définition a priori de ce qu’est ledéveloppement durable, elle adopte une réflexion de natureaxiomatique, qui impose des contraintes « raisonnables » sur cequi devrait caractériser des préférences « durables », c’est-à-direfavorables à un développement durable. L’idée essentielle est trèssimple : aucune génération (c’est-à-dire, ici, aucun agent

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représentatif à une date t quelconque) ne doit pouvoir imposerses préférences aux autres générations. On a vu ci-dessus que le

critère actualisé St = + q u(ct) conduit à une consommation det = 0(1 + d)t

de plus en plus faible pour les générations futures (et même nulleà l’infini). Il ne représente donc pas des préférences durables,on dit qu’il est une « dictature du présent », puisqu’il accordedavantage de poids aux générations présentes qu’aux généra-tions futures. À l’inverse, le critère qui conduit à la règle d’orverte, maxct

limto+q u(ct, st) privilégie ces dernières et est doncune « dictature du futur ». Dès lors, Chichilnisky pose en axiomeque des préférences durables ne doivent être ni une dictature duprésent, ni une dictature du futur. La question est maintenantde savoir s’il existe un critère dont la maximisation garantit lerespect de ces préférences durables. Elle montre que la réponseest positive et que le seul critère satisfaisant ces exigences est unemoyenne pondérée des deux critères précédents, c’est-à-dire un

critère de la forme a St = + q u(ct, st) + (1 – a) limto+q u(ct, st), oùt = 0(1 + d)t

a (strictement positif) est le coefficient de pondération. Si ladémonstration de ce résultat n’est pas simple, le fait que cecritère satisfasse les axiomes posés l’est beaucoup plus. Du fait dela présence du premier terme, le critère ne peut, en effet, pas êtreune dictature du futur et celle du second terme lui interdit d’êtreune dictature du présent. Avec ce critère, Heal [1998] montrequ’une trajectoire optimale d’une économie où l’on cherche àmaximiser ce critère, avec comme seule contrainte l’utilisationd’une ressource épuisable comme bien de consommation, estcaractérisée par la conservation d’un stock de ressource s*c et parune consommation décroissante puis nulle une fois atteint cestock. Comme on pouvait s’y attendre, ce stock est supérieur austock s* qui est conservé avec le seul critère actualisé et infé-rieur au stock initial s0 de la règle d’or verte. La figure ci-dessousreprésente l’évolution du stock de ressource dans le temps pourchacun des critères considérés.

Toutefois, pour séduisant qu’il soit intellectuellement, lecritère obtenu, étant une moyenne pondérée, pose la questiondu poids qui doit être accordé à chacune de ses composantes. Or,ce poids n’est pas déterminé et peut prendre n’importe quellesvaleurs entre zéro et un (sauf les valeurs extrêmes). D’où, en

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réalité, une infinité de critères possibles qui laisse entière l’indé-termination de la trajectoire optimale puisque celle-ci dépenddu choix (par le planificateur ?) de ce coefficient de pondération.On n’échappe donc pas à une conception a priori du dévelop-pement durable, comme dans les travaux précédents.

Développement durable et décision publique

Les recherches sur le développement durable ne se réduisentpas à celles dont nous venons de rendre compte. On peut aussil’aborder d’un point de vue plus orienté par la prise de décisionpublique.

Il n’est pas difficile de citer de nombreuses décisions, prisessur la base d’une argumentation économique, et qui ont desconséquences environnementales. Le choix d’une filière énergé-tique, l’exploitation d’une ressource naturelle, l’augmentationdes taxes sur l’essence, l’interdiction des filets dérivants en sontautant d’exemples. Pour prendre des décisions favorables àl’environnement, il faut adopter des « règles du jeu » qui luisoient favorables. Et comme les décisions économiques sontprises sur la base des prix qui déterminent les coûts et/ou lerendement des alternatives possibles, le changement des règlesdu jeu revient, au moins en partie, à changer les règles de fixa-tion des prix. Toute l’économie de l’environnement s’estconstruite sur cette idée, le concept d’externalité caractérisant

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justement cette situation où les prix ne reflètent pas toutes lesconséquences des décisions qui sont prises.

C’est particulièrement important pour les décisionss’appuyant sur une analyse coûts-avantages (ACA, voir Bontemset Rotillon [2003] pour davantage de développements), puisqueles prix servent précisément à comparer les différentes consé-quences de ces décisions. On conçoit que si ces prix ne tien-nent pas compte, par exemple, de la dégradation de certainesressources naturelles, celle-ci sera sous-estimée et s’aggravera.

C’est également central pour l’évaluation de la richesse d’unpays telle qu’elle est mesurée par un indicateur comme leproduit intérieur brut (PIB) de la comptabilité nationale. Dans lecadre de la soutenabilité faible, cette évaluation se situe dans lalignée de Hicks [1939] et de sa conception du revenu national.

Le revenu national hicksien

Cette conception du revenu est attribuée à Hicks [1939], même sion peut déjà la trouver esquissée dans les travaux de Fisher [1906]et Lindahl [1933]. Hicks définit le revenu comme le montantmaximum qu’un individu peut consommer au cours d’une périodesans s’appauvrir. On retrouve bien ici une idée de durabilité et onparaphrase souvent cette définition en notant que c’est la consom-mation maximum qui maintient le capital intact. La premièreformalisation de cette conception du revenu appliquée au dévelop-pement durable est due à Weitzman dans une série de travaux[Weitzman, 1976, 1997, 2003 ; Asheim et Weitzman, 2001].

Sa démarche consiste tout d’abord à définir la soutenabilité d’uneéconomie par le niveau hypothétique constant de consommation quiproduirait le même bien-être total que ce que la trajectoire deconsommation de l’économie actuelle peut produire (voir l’encadré).

Il opère ensuite un détour par la comptabilité nationale et samesure de la richesse au moyen du produit intérieur brut (PIB).Ce dernier est construit à partir d’une nomenclature des biens etdes services produits, et représente la valeur disponible pour lesemplois finals, essentiellement consommation et investisse-ment. Imaginons qu’on puisse évaluer un PIB « vert », qui pren-drait en compte l’ensemble des externalités environnementales.La découverte d’un nouveau stock de ressource augmenterait larichesse, même s’il n’était pas utilisé, et la destruction d’uneforêt ou la dégradation de la qualité de l’air la réduirait.

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Une définition formelle de la soutenabilité

Soit C(t) une variable dépendant du temps (par exemple la consommation). Onnote [C] l’équivalent constant annuel de C(t), qui procure la même valeur actua-

lisée totale que la série {C(t)}, c’est-à-dire que l’on aq

S [C](1 + d)–t =q

S C(t)(1 + d)–t.t = 0 t = 0

Supposons, par exemple, que la valeur actualisée au taux d de C(t) soit égale à

(1/21)t. La valeur actualisée totale de la série est alorsq

S (1

)t, soit une sériet = 0 21

géométrique dont la somme est de 21/20. Par définition, [C] est tel queq

S [C](1 + d)–t =21

. Comme [C] est constant par hypothèse, on peut le mettre ent = 0 20facteur dans le signe somme, ce qui fait apparaître une autre série géométriqueq

S (1 + d)–t = 21 pour d = 5 % et montre que [C] = 1/20.t = 0

Ainsi, une économie qui à chaque date t consommerait (1,05/21)t, cequi correspond, d’après le calcul qui vient d’être fait, à une consommationactualisée totale de 21/20, pourrait, pour un même montant total, avoir uneconsommation constante à chaque date de 1/20. D’une manière générale, on a

[C] =d q

S C(t)(1 + d)–t. Avec ces notations, la soutenabilité d’une économie à1 + d t = 0

la date t est mesurée par S(t) =d q

S C*(t)(1 + d)s–t, où C*(t) est la consommation1 + d s = t

optimale en t au sens où elle maximise l’objectif de la société compte tenu descontraintes auxquelles est soumise l’économie.

On peut alors définir le développement durable comme une trajectoire deconsommation où, à chaque date t, S(t) est supérieur ou égal à C*(t), ce quisignifie qu’à partir de t, l’économie peut consommer indéfiniment une consom-mation constante égale à S(t) qui soit au moins égale à C*(t). Et la soutenabilitéde l’économie à l’instant initial est S(0) = [C*].

D’un point de vue théorique, c’est-à-dire si l’on était capable dequantifier l’ensemble des externalités subies par l’économie,Weitzman [1997] montre l’équivalence des deux concepts de PIBvert et de soutenabilité. Ce résultat est fondamental, puisqu’il iden-tifie un niveau hypothétique d’une trajectoire future de consomma-tion (donc inobservable d’un double point de vue) avecl’évaluation actuelle de la richesse produite. Bien entendu, la priseen compte exhaustive de toutes les externalités n’est pas possibleen pratique. Le PIB qui est mesuré, même s’il intègre certainescorrections environnementales, n’est pas identique à la soutenabi-lité telle qu’elle a été définie. En ignorant certains investissementsnets qui peuvent être des sources de richesse (ou de pauvreté)future, tout PIB vert réellement mesurable avec des données exis-tantes sera une estimation biaisée de la soutenabilité. Plus

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précisément, quand le système de comptabilité est incomplet, ausens où il omet des investissements nets qui influencent les possi-bilités de croissance future, la soutenabilité est égale au PIB vertqui inclut un facteur correctif T pour tenir compte de cette omis-sion. Ce facteur correctif est de même nature que le résidu au sensde Solow, qui caractérise les facteurs non pris en compte dans lamesure de la croissance, et peut être positif (cas d’un progrès tech-nique augmentant les possibilités de production) ou négatif (cas duréchauffement climatique ou d’une diminution de la biodiversité).

Weitzman peut alors évaluer quelle serait la perte de croissancefuture due à l’épuisement des ressources naturelles. En effet, avecles notations présentées dans l’encadré précédent, le PIB vert d’uneéconomie utilisant des ressources naturelles est égal à la consom-mation présente C*(0), (au sens large, donc investissement inclus),moins la valeur des ressources extraites P*(0)E*(0) (où E*(0) est laquantité de ressources et P*(0) leur prix relatif), plus le facteurcorrectif T*(0). Il est donc égal à C*(0) – P*(0)E*(0) + T*(0) et à lasoutenabilité [C*], c’est-à-dire au niveau constant annuel deconsommation future. Il faut noter que la valorisation desressources au prix P*(0) n’est pas nécessairement correcte, la correc-tion éventuelle étant alors prise en compte dans T*(0).

Considérons maintenant une économie identique à la précé-dente, avec les mêmes possibilités de croissance future dues auprogrès technique, mais qui chaque année pourrait utiliser laquantité E*(0) de ressources, qui ne seraient donc plus épui-sables. Il n’y aurait plus lieu de soustraire la valeur des ressourcesextraites pour évaluer le PIB et on aurait dans ce cas C**(0) +T*(0) = [C**]. Mais puisque la quantité de ressource utilisée est lamême et que les autres contraintes sont identiques, on a C*(0) =C**(0). On en déduit immédiatement que la perte de croissancedue à l’épuisabilité des ressources, DC/C = ([C**] – [C*])/[C**], estégale à P*(0)E*(0)/(C*(0) + T*(0)). Les trois termes P*(0), E*(0)et C*(0) apparaissant dans cette expression correspondent à desdonnées de l’année de base. Elles sont donc disponibles etWeitzman évalue, pour les 14 ressources minérales les plusimportantes, le ratio P*(0)E*(0)/C*(0) à 1,5 % pour 1994.

Par ailleurs, T*(0)/C*(0) a été évalué empiriquement à 40 %pour la période 1950-1995 (Weitzman [1997]). Il en résulte uneperte de richesse due à l’épuisement des ressources naturellesDC/C de 1,1 %. Même en tenant compte des grandes incertitudessur les ordres de grandeur respectifs de ces données, il ne peut

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dépasser 2 %, ce qui relativise les discours catastrophistes surl’épuisement des ressources. Si on fait l’hypothèse que cettetendance va se poursuivre dans les prochaines décennies, etmême en prenant, là aussi, cette hypothèse avec toute laprudence nécessaire, on peut tenir pour certain que le dévelop-pement durable, du moins la part qui dépend de l’utilisation deressources épuisables, dépend beaucoup plus crucialement duprogrès technique futur que de l’épuisement de ces ressources.

La principale leçon que l’on doit tirer de cette analyse estd’abord qualitative, mais elle est justifiée par les évaluationsquantitatives que nous avons présentées. On peut la résumer endisant que ce qui compte avant tout pour avoir un développe-ment durable, ce sont les orientations technologiques que nousprenons au présent mais qui n’ont leurs effets que souvent beau-coup plus tard. Il ne faut pas se tromper sur le sens de ce résultat.Il n’implique pas une croyance aveugle dans le progrès tech-nique, et il ne nous en dit pas la nature. Il indique seulementque nos choix technologiques sont fondamentaux pour résoudrenos problèmes actuels liés à l’épuisement de ressources naturellesaujourd’hui essentielles comme le pétrole. Mais rien ne prouveque nous ferons les bons choix, ni que nous les ferons à temps.

La soutenabilité forte

On oppose souvent la soutenabilité faible, dont on vient deprésenter les principaux aspects, à l’approche de la soutenabi-lité forte. On la distingue généralement de la précédente parl’hypothèse qu’elle fait sur la substituabilité entre les diffé-rentes formes de capitaux. Cette substituabilité serait parfaitepour la soutenabilité faible et incomplète pour la soutenabilitéforte. Nous pensons toutefois que, pour importante et réelle quesoit cette distinction, l’essentiel n’est pas là. Ce qui différenciefondamentalement ces deux approches du développementdurable, c’est leur degré d’abstraction, et donc la démarchequ’elles empruntent pour traiter du développement durable.Dans la soutenabilité forte, on cherche à définir concrètementdes biens ou des espèces qui ne doivent pas décroître, sans réfé-rence à un critère abstrait comme dans la soutenabilité faible.

Cette approche peut déboucher sur une vision très conservatricedu développement durable. Comme la croissance économique

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suppose qu’au moins quelque part quelque chose décroisse, autre-ment dit, pour reprendre une idée chère aux économistes, qu’il n’yait pas de repas gratuit (There is no free lunch), on peut penser ledéveloppement durable comme une injonction à ce que rien nedécroisse, ce qui est une autre forme de la croissance zéro. Danssa version la plus extrémiste, on trouve l’écologie profonde, quiaccorde une valeur à la nature indépendante des besoins humainset qui conduit nécessairement à un état stationnaire. Cette positionest cependant très minoritaire et on ne s’y attardera pas davantagedans la suite de ce chapitre.

Beaucoup plus intéressantes et répandues sont les diversesautres conceptions de la soutenabilité forte.

Capitaux critiques et indicateurs du développement durable

Dans ces conceptions, on distingue des capitaux naturels,baptisés « critiques », et qu’il s’agit de ne pas laisser décroître endessous d’un certain seuil. Cette approche part de l’idée, a prioritout à fait raisonnable, que toutes les formes de capitaux ne sontpas substituables. On distingue en général trois types de capi-taux : le capital physique construit par l’homme (bâtiments,machines…), le capital humain (l’homme lui-même en tantqu’accumulation de connaissances) et le capital naturel, celuiqui nous est donné par la nature et que nous n’avons qu’àutiliser (à condition d’avoir la technologie et les conditionséconomiques adéquates ; voir sur ce point le concept deressource naturelle discuté dans le chapitre I). Pour définir lesseuils, il faut s’accorder sur une mesure des stocks considérés.Certains préconisent une mesure physique (tonnes ou hectares àconserver), d’autres une mesure monétaire, qui a l’avantage depermettre d’agréger des capitaux de nature différente, mais posedes problèmes d’évaluation, d’autres enfin, comme le courant del’économie écologique, tentent une synthèse entre les deux posi-tions précédentes [voir Faucheux et Noël, 1995 ; Vivien, 1994].

Il faut aussi rattacher à cette approche la construction d’indi-cateurs du développement durable, démarche le plus souventpragmatique et qui fait l’objet de très nombreux travaux[EUROSTAT, 2000 ; IFEN, 2001, 2003].

Pour séduisante et raisonnable qu’elle puisse paraître, nouspensons cependant que cette approche pose plus de difficultésqu’elle n’en résout.

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Pour ce qui concerne la construction d’indicateurs, on ne peutque constater que leur nombre a tendance à augmenter trèsfortement, et ce d’autant plus que les questions d’environne-ment deviennent un enjeu de société. D’ailleurs, cette construc-tion même n’a de sens que si l’on pense que l’environnement sedégrade : on ne prend pas sa température quand on ne se sentpas malade. Les indicateurs « dans le rouge » tendent donc à êtrede plus en plus nombreux. Se pose alors la question de la mise enplace de politiques environnementales. On est placé devant unproblème d’allocation de ressources. Comment hiérarchiser lesurgences ? Où faire porter l’effort en priorité ? Bien sûr, ce typede questions ne se poserait pas si les politiques à mettre en placeétaient peu coûteuses, mais ce n’est malheureusement pas le cas,et c’est souvent au nom de ces coûts jugés aujourd’hui tropélevés que de nombreux pays refusent des politiques environne-mentales, comme, par exemple, les États-Unis et les pays endéveloppement face au réchauffement climatique.

Plus la liste d’indicateurs dans le rouge s’allonge et plusl’économie de l’environnement revient à un problème de rela-tion « entre des fins et des moyens rares à usages alternatifs »,pour reprendre la célèbre définition de Robbins [1947]. Curieuseruse de l’histoire quand on sait que les tenants de l’approche dela soutenabilité forte sont en général très critiques vis-à-vis decette conception de l’économie !

L’idée de capital critique se heurte au même écueil. C’est leproblème de la liste de ces capitaux et/ou de l’échelle à laquelleon les définit. Va-t-on protéger telle orchidée à Gometz-le-Chatel, ou toutes les orchidées de ce type dans le mondeentier ? Telle espèce de thon ou tous les poissons ? Il est clairque plus l’échelle se réduit, plus la liste s’allonge et on retrouvele problème d’allocation de ressources posé par les indicateurs.Mais il y a aussi la question du choix de ces capitaux critiques.Qui décide de ce qu’il faut conserver ? L’État, des experts, lapopulation par référendum ? Cette dernière possibilité pourraitparaître la plus légitime, mais comment la mettre en place pourles pollutions globales ? De plus, comme ce choix est par défini-tion un choix de long terme, il engage aussi les générationsfutures et l’encadré suivant illustre les impasses où cette « solu-tion » nous entraînerait.

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Les plaines du Middle West américain

[Cet exemple est emprunté à Weitzman, 2003.]Les grandes plaines du Middle West américain, qu’Hitchcock a immorta-

lisées dans North by Northwest, où Cary Grant tente d’échapper à un avion sulfa-teur dans d’immenses champs de maïs, et qui sont aujourd’hui les plus grandesplaines cultivées du monde, étaient, au milieu du XIXe siècle, les plus grandesprairies vierges de hautes herbes du monde. Pourtant, ces prairies sont relative-ment récentes et datent de moins de dix mille ans. Elles doivent leur existenceaux nombreux feux allumés par les Américains natifs et qui ont progressive-ment supprimé la forêt primitive, principalement pour les besoins de la chasse.Actuellement, les feux sont utilisés, de façon concertée, comme un instrument derestauration et de préservation de la prairie sauvage d’il y a un siècle et demi.

Ainsi, au nom d’une conception de la soutenabilité forte du développementdurable qui aurait inscrit la forêt primitive comme capital critique, il aurait falluinterdire aux habitants d’il y a dix mille ans d’allumer des feux. Et c’est au nomde cette même conception qu’on allume aujourd’hui des feux pour préserver cequi reste de la prairie de hautes herbes, elle-même résultat de l’action passée del’homme. Qu’on puisse faire référence au même concept de capital critique pourdéfinir des biens environnementaux qui s’excluent mutuellement à dix mille ansde distance montre le caractère problématique de ce concept.

Lester Brown et le développement durable

On peut aussi juger d’une idée en poussant à son terme lesconséquences qu’elle implique, en prenant l’exemple d’un livrede Lester Brown [2001] publié en France en 2003. Son messagetient en trois points :

Tout d’abord, un constat sur l’« état (mauvais) de la planète »,qui débouche sur la prédiction d’une catastrophe prochaine.Ensuite, l’appel à redéfinir les rapports entre économie et écologiepour « cesser de détériorer les ressources de la planète ». Enfin,l’ébauche de solutions, curieux mélange entre l’usage renouvelé dela bicyclette et le recours à l’hydrogène comme source d’énergie, oùla réforme de la fiscalité tient une place centrale. Malheureuse-ment, ces trois points souffrent de trop d’approximations.

Concernant le constat, il est difficilement contestable que nosmodes de production et de consommation sont à l’origine desmultiples dérèglements des écosystèmes de notre planète. Qu’onpuisse en inférer que la catastrophe soit imminente (deux ou troisans !) l’est beaucoup moins. Et l’accumulation des données ne vautpas toujours preuve. La première faiblesse de l’argumentation estl’abus du syllogisme fondé sur le raisonnement « toutes choseségales par ailleurs », pourtant un défaut d’économiste !

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Majeure : si X continue (au choix, la fonte des glaces, l’assè-chement des fleuves ou des nappes phréatiques, la surexploita-tion des pêcheries, l’afforestation…) ;

Mineure : et si rien ne change ;Conclusion : Y se produira (la réduction des surfaces émergées,

la chute de la production agricole, la pénurie de protéines, ledérèglement du cycle de l’eau…).

Donc il faut agir pour que ça change, CQFD.Hélas, le rôle pédagogique dévolu aux terribles conséquences

futures énoncées pour éveiller nos consciences endormies nepeut exister que sous l’hypothèse de la mineure. On trouve làle second défaut du raisonnement : il n’est pas vrai que rien nechange. Et ce, même si on ne fait rien. Que les prix soient dessignaux imparfaits et induisent des décisions aujourd’hui large-ment défavorables à l’environnement est parfaitement exact,mais, quoique imparfaits, ils restent néanmoins des signaux. Et,en tant que tels, ils suscitent des réactions. Ainsi, l’épuisementdes réserves de pétrole entraîne la hausse de son prix, quiimplique à son tour la recherche de substituts et celle denouveaux gisements. Les « réserves », il faut décidément insistersur ce point, ne sont pas indépendantes de l’état de la techno-logie et des conditions économiques. Lester Brown pense quela production de pétrole baissera dans les vingt prochainesannées, comme le Club de Rome le pronostiquait déjà en 1972.C’est prendre ses angoisses pour une analyse. On ne peut vrai-ment faire un état dépassionné de notre rapport à la naturequ’en ayant à l’esprit les interactions qui le caractérise, ce qui està l’opposé de la prolongation de tendances.

Quant à la différence entre l’« éco-économie », que Brownappelle de ses vœux, et l’économie, elle ne peut que laisser dubi-tatif quelqu’un qui, comme l’auteur du présent livre, travailleen économie de l’environnement. Des milliers d’articles sontpubliés dans les revues économiques sur la surexploitation despêcheries, l’afforestation, la perte de biodiversité, le change-ment climatique, l’usage des sols… pour étudier les conditionsd’usages non destructifs de ces ressources renouvelables. Il y atrès longtemps que les économistes ont pointé les dysfonction-nements découlant de l’écart entre les coûts privés qu’un déci-deur (individuel ou institutionnel) prend en compte dans sadécision et le coût social que la collectivité supporte réellement(ce qu’ils nomment des externalités). Et qu’ils ont proposé des

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solutions. D’une part, pour mieux mesurer ces coûts sociaux.D’autre part, pour prendre des décisions plus favorables à l’envi-ronnement en les intégrant au processus de choix.

Parmi ces solutions, il y a sans aucun doute la réforme de lafiscalité, dans le sens préconisé par Lester Brown, consistant àintégrer aux prix les coûts environnementaux. Mais s’il y a unedifférence entre économie et « éco-économie », c’est que, pourun économiste, cette solution est loin d’être la seule. Entre autresparce que c’est faire un peu trop confiance au seul marché etoublier notamment le rôle des institutions, existantes ou à créer.

Mais il reste un dernier point. Qui est le sujet de ces transfor-mations nécessaires, qui n’apparaît jamais que sous la forme del’article indéfini on ou du pronom personnel nous ?

Pourquoi, pour ne prendre qu’un exemple, la réforme de lafiscalité souhaitée par Lester Brown ne se met-elle pas en place ?Ce n’est pas l’« économie » qui la refuse (et encore moins leséconomistes), c’est la volonté politique qui manque. Non pascelle qui conjugue le « développement durable » à tous lestemps, mais celle des actes, des budgets et des traités. Ellemanque parce que le temps de l’action politique, scandé par lerythme des élections, est beaucoup trop court face au temps desévolutions environnementales. Mais elle manque aussi parceque les peuples ont d’autres priorités, majoritairement axées surle court terme et/ou l’arrière de leur jardin.

C’est pourquoi les cris d’alarme du type de ceux de Lester Brownne sont sans doute pas inutiles, mais gagneraient à être mieux argu-mentés. De notre point de vue, le débat sur le développementdurable ne peut pas se réduire à un marchandage sur une listed’indicateurs ou de capitaux critiques, marchandage d’autant pluspérilleux qu’il exclut par nature les générations futures, qui sontpourtant au moins aussi concernées que nous. L’approche du déve-loppement durable dite de la soutenabilité faible évite certes cetécueil, mais sans être beaucoup plus convaincante.

Soutenabilité faible versus soutenabilité forte :un premier bilan

La principale difficulté de ces approches est qu’elles pensentle développement durable à la fois comme une définition tech-nique (caractérisation d’une trajectoire par rapport à des

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contraintes) et une injonction morale (niveau effectif descontraintes à respecter et optimalité des trajectoires). Pourtant,définir une trajectoire particulière de développement commetechniquement réalisable n’implique aucune force morale pourla suivre. Il en résulte qu’on ne distingue plus entre des propo-sitions positives concernant les menaces impliquées par la pour-suite d’une trajectoire donnée et des propositions normatives surson optimalité éventuelle. Il serait plus raisonnable de définirune trajectoire durable comme une trajectoire pouvant êtresuivie pendant une période à préciser. Qu’elle doive l’être estune tout autre question. Pour nous, la durabilité est d’abord unconcept technique (ce qui ne préjuge pas de la plus ou moinsgrande facilité qu’il y a pour le construire) tandis que l’optima-lité est un concept normatif, qui implique le choix d’un objectifdonné a priori (un seuil à ne pas dépasser, un critère). Denombreuses activités économiques peuvent parfaitement êtrenon durables et pourtant optimales (par exemple l’utilisation deressources épuisables), et, inversement, certaines activitésdurables ne sont en aucun cas souhaitables (par exemplel’exploitation non rentable de ressources renouvelables).

Pour une définition abstraite du développement durable

Pour conclure ce survol des deux principales approches dudéveloppement durable, nous voudrions insister sur le principede différenciation que nous avons mis en avant, à savoir le plusou moins haut degré d’abstraction de l’approche en question. Lapratique de l’enseignement de l’auteur de ce livre lui a appris quela grande majorité des étudiants sont plus favorables à la soute-nabilité forte qu’à la soutenabilité faible. Et cela principale-ment parce que la première leur apparaît de prime abord commeplus concrète, débouchant « naturellement » sur des politiquesenvironnementales de gestion des ressources bien identifiées. Laseconde, avec ses critères ésotériques, son planificateur bienveil-lant et son consommateur représentatif, est à mettre au débitdes économistes académiques, coupés des réalités et perdus dansleurs mondes imaginaires. On peut penser que de nombreuxlecteurs de ce livre auront le même jugement. Pourtant, le prin-cipal point faible de la soutenabilité forte nous semble précisé-ment résider dans son manque d’applicabilité, justement dû à

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une abstraction insuffisante, le « concept » de capital critiquen’ayant de sens que défini en extension.

L’abstraction n’est évidemment pas ce qui manque à la soutena-bilité faible et, si on peut s’interroger sur sa qualité, on ne peutpas lui reprocher son existence. La démarche scientifique estnécessairement fondée sur l’abstraction et c’est précisément ce quila rend efficace. Pour l’illustrer d’un exemple, on peut remarquerque ce n’est qu’après la découverte du concept d’énergie auXIXe siècle, concept abstrait s’il en fut, puisque l’énergie en tantque telle n’existe pas mais apparaît seulement sous des formesphénoménales particulières (chaleur, électricité, nucléaire…), quel’homme a acquis un pouvoir très concret de transformation dela nature (pour le meilleur et pour le pire). C’est justement aumoment où l’on a compris l’équivalence de ses manifestationsparticulières, culminant dans la célèbre formule d’Einstein,E = mc2, impliquant l’équivalence entre l’énergie et la matière, quenotre civilisation industrielle a vraiment commencé (y compris,hélas, avec ses aspects les plus négatifs).

Toutes proportions gardées, le concept de développementdurable ne peut être vraiment utile que s’il atteint ce niveaud’abstraction permettant ainsi de faire le lien entre des phéno-mènes que nous percevions jusqu’alors comme indépendants.C’est pourquoi, si nous pensons, comme Solow [1993], que la dura-bilité est liée à la conservation de quelque chose dans le longterme, ce quelque chose ne peut pas être posé a priori, au contrairede la position de Solow lui-même, qui ajoute : « Je pense que c’estune capacité générale à produire du bien-être. » Nous allons voirqu’il est possible de renverser la démarche et de proposer un test denos représentations de l’économie quant à leur pertinence vis-à-visde cette recherche d’invariant associé au développement durable.

Que doit-on conserver dans le long terme ?

Schématisons au maximum le problème pour n’en garder quel’essentiel (l’abstraction !). D’une part, l’idée de développementdurable implique à la fois le développement, donc d’une façonou d’une autre une certaine forme de croissance, et le main-tien des conditions de ce développement. Or, la nécessitéd’utiliser des ressources épuisables pour continuer la croissanceactuelle est sans doute l’obstacle principal à surmonter pouratteindre le développement souhaité. On peut aussi penser à la

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pollution, c’est-à-dire à la dégradation de l’environnement quipeut, à terme, rendre invivable notre planète, ou du moins inter-dire tout développement. Néanmoins, d’un point de vueconceptuel, la pollution, qu’elle soit de flux (fumées, particulesen suspension…) ou de stock (effet de serre), est très semblableà une ressource renouvelable et est donc moins problématiqueque l’utilisation d’une ressource épuisable. S’il est possible decontrôler immédiatement la pollution en émettant moins depolluants (c’est tout l’enjeu du protocole de Kyoto, qui montred’ailleurs que possibilité ne signifie pas facilité), il est impos-sible de faire voler les avions sans kérosène, du moins pourl’instant. D’autre part, le long terme impliqué par l’adjectifdurable est nécessairement en contradiction avec le caractère finides ressources non renouvelables. Même si la fin du pétrole n’estpas si proche que peuvent le dire certains prophètes, il est certainqu’un jour nous n’en aurons plus. La seule manière de ne passubir cet événement, c’est de trouver au pétrole des substitutsinépuisables (sinon le problème du développement durable n’estque repoussé). D’une manière générale, c’est toute notre dépen-dance énergétique vis-à-vis des ressources fossiles qui est la plusforte contrainte. Par exemple, il est possible de nourrir dixmilliards d’habitants sur terre si l’agriculture devient plusproductive dans les pays en développement, mais cela impliqueune considérable augmentation de la consommation mondialed’énergie. En fait, cette contrainte énergétique ne peut êtredépassée qu’en la supprimant. Si l’on refuse la croissance zéro,ce qui semble bien être le cas de la majorité des habitants de laplanète, il ne reste que le progrès technique. Mais lequel ?

Résumons donc le point où nous sommes arrivés. Nous consi-dérons une économie qui utilise du capital k et une ressourceépuisable e pour produire. La production à la date t, f(kt, et), estutilisée pour la consommation et l’investissement. Cetteressource est la seule contrainte que subit l’économie. Parailleurs, on suppose que les méthodes de production peuventévoluer avec le temps grâce au progrès technique z(t) et que laquantité produite est z(t) f(kt, et). Nous ne faisons aucune hypo-thèse particulière a priori sur les fonctions f et z. Ce squeletted’économie est présent dans la plupart des modèles néoclas-siques de croissance avec ressource épuisable, à ceci près que deshypothèses sont faites sur f et/ou z pour rendre la croissancepossible malgré la contrainte de la ressource. Ici, nous

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renversons la démarche et nous nous demandons s’il est possiblede trouver au moins un invariant dans cette économie et quelleshypothèses cela implique sur les fonctions de production et deprogrès technique. Cet invariant peut alors être interprétécomme le « quelque chose qui doit rester constant » dans notrerecherche abstraite du développement durable.

Bien entendu, pour que le modèle soit complet, il faut se fixerun objectif, qui va traduire les préférences de la société. Toutefois,le développement durable ne doit pas lui-même dépendre de cespréférences particulières (ni dictature du présent, ni dictature dufutur). La question qui se pose peut alors se formuler de plusieursmanières équivalentes. Est-ce que la représentation ainsi donnéede l’économie est compatible avec un concept de durabilité ? Lespréférences traduites par l’objectif donné sont-elles cohérentesavec les contraintes du fonctionnement économique ? Quellesdoivent être les caractéristiques des fonctions de production et/oude progrès technique pour qu’il existe un invariant (ou plusieurs)dans cette économie ? Nous sommes ainsi amenés à étudier lespropriétés d’une représentation modélisée de l’économie et toutparticulièrement sa capacité à définir au moins un invariant dusystème. Ce type d’étude est possible à l’aide de méthodes mathé-matiques (le théorème de Noether) disponibles depuis le début duXXe siècle, mais très peu utilisées en économie.

Nous avons appliqué cette démarche [voir Costes, Martinet etRotillon, 2003] à l’examen de la théorie néoclassique de la crois-sance intégrant une ressource épuisable. Dans cette théorie stan-dard de la croissance, l’objectif est la maximisation de la sommedes utilités actualisées et la fonction d’utilité u(ct, st) reste elle-même inchangée, c’est-à-dire qu’elle ne dépend pas du temps t.Concernant le développement durable, cette hypothèse noussemble très forte et il est plus raisonnable de penser que, sur unhorizon très long, les préférences de la société ne seront pasconstantes. C’est en tout cas ce que nous montre l’évolution denos sociétés dans le passé. Une manière simple de prendre encompte ce changement des préférences est de supposer que lafonction d’utilité se modifie et est de la forme ut(…) = x(t) u(…),où x(t) traduit l’évolution de ces préférences dans le temps (plusgénéralement on peut étudier le cas u(…, t)). On cherche alorssous quelles hypothèses sur les fonctions de production, deprogrès technique et d’évolution des préférences il existe un inva-riant qui pourrait s’interpréter comme le « quelque chose qui doit

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rester constant » du développement durable. Nous montrons quesi, effectivement, il existe des invariants dans cette représenta-tion, ce n’est que sous des hypothèses très restrictives. Ainsi, pourle modèle le plus simple, la fonction de progrès technique doitêtre l’inverse de celle d’évolution des préférences. Même si préfé-rences et progrès technique ne sont pas indépendants, le lien misainsi en évidence est sans doute trop mécanique. L’étude demodèles plus complexes conduit à des résultats équivalents et ilnous faut en conclure que le cadre standard de la théorie de lacroissance n’est sans doute pas adapté pour construire un conceptutile de développement durable, même si des recherches plusapprofondies doivent être entreprises pour confirmer ou non cetteconjecture et pour examiner des modèles de l’économie utilisantd’autres critères que la somme des utilités actualisées.

Un résumé, à ce stade, de ce que nous ont appris les diffé-rentes conceptions du développement durable ne peut être quesuccinct. Ni la soutenabilité forte, ni la soutenabilité faible nesemblent en mesure de nous aider à mieux cerner ce concept, aupoint qu’on pourrait être tenté de l’abandonner. Certains n’hési-tent pas à franchir le pas.

Du concept aux discours

The Sceptical Environmentalist, le livre de Bjørn Lomborg, initia-lement publié en danois en 1998, est devenu un « best-sellermondial », après sa parution en anglais aux Presses universitairesde Cambridge [2001]. Sa thèse est simple et à l’opposé de celle deLester Brown : l’état réel de la planète n’a jamais été aussi bon etne peut que s’améliorer dans l’avenir, si, au lieu de financer decoûteuses politiques environnementales, on investissait dans lacroissance. Ainsi, non seulement il n’y a pas de conflit entre lacroissance et l’environnement mais, tout au contraire, celle-ci estla condition de l’amélioration de la qualité de celui-là. Dès lors,il n’y a pas de sens à chercher les conditions d’un développe-ment durable puisqu’il est déjà là.

Comme il résume lui-même le message de son livre à ladernière page : « Les enfants nés aujourd’hui […] vivront pluslongtemps et seront en meilleure santé ; ils seront mieux nourris,plus instruits, auront un niveau de vie plus élevé, plus de loisirset bien plus de possibilités, sans pour autant que l’environne-ment de la planète soit détruit. Le monde est vraiment

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magnifique. » Marx disait que l’homme ne se posait que lesproblèmes qu’il pouvait résoudre, Lomborg ajoute qu’il lesrésout toujours.

Nous renvoyons le lecteur intéressé à Sceptical Questions andSustainable Answers, rédigé par des spécialistes danois et où iltrouvera une réponse argumentée aux thèses de Lomborg (dispo-nible sur www.ecocouncil.dk). Nous nous contenterons ici, ennous appuyant sur l’article d’Hourcade et Journé [2003], demettre en évidence les procédés rhétoriques grâce auxquelsLomborg peut servir de caution scientifique.

Un de ses procédés favoris est l’usage répété de l’adverbe proba-blement, placé incidemment entre chiffres, notes et références. Ilsert selon les cas soit à « justifier » une assertion, soit à discré-diter une position non conforme à l’avis de l’auteur. Ainsi, aprèsune critique du GIEC, au motif que les nombreux scénarios qu’ilpropose pour examiner les conséquences du réchauffementclimatique ne sont pas assortis d’une probabilité, il en élit uncomme étant probablement le plus vraisemblable, sanscomprendre que c’est justement pour éviter de privilégier desscénarios par rapport à d’autres qu’ils n’ont pas été probabilisés,risquant ainsi de clore le débat démocratique autour des optionspossibles, qui sont loin d’être encore stabilisées. Plus discutableencore est l’usage par l’auteur de textes de statuts très différents :résultats scientifiques, opinions d’experts, articles de presse,qu’ils présentent sur le même plan à l’appui de son argumen-tation. Il accrédite ainsi l’idée que « toutes les paroles se valent »et que la science n’a, pas davantage que le sens commun, de légi-timité à dire le vrai.

Un dernier point mérite notre attention. C’est l’utilisationsystématique par Lomborg de l’argument d’arbitrage entre alter-natives s’excluant mutuellement. Par exemple, quand ilexplique, page 535 de l’édition française, que « nous aurions tortde vouloir dépenser d’énormes sommes d’argent pour réduireune partie infime de l’élévation thermique totale alors que nouspourrions probablement (nous rajoutons ici cet adverbe qui n’apas été traduit en français mais qui se trouve dans l’éditionanglaise p. 322) utiliser ces fonds de manière bien plus efficacedans les pays en voie de développement ». Un lecteur peuinformé pourrait y voir un raisonnement d’économiste, compa-rant deux décisions possibles sur la base d’une analyse coûts-bénéfices, mais il y manque l’essentiel : l’évaluation, fondée sur

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une méthodologie précise, des coûts et des bénéfices des optionsen concurrence. S’appuyant sur l’évaluation par la Banquemondiale d’un taux moyen d’intérêt de 16 % dans les pays endéveloppement, Lomborg avance que le coût d’une seule annéede stabilisation des émissions de CO2 rapporterait sur soixanteans deux fois le PIB mondial actuel, disqualifiant d’avance toutevelléité de prévention. Hélas, ces 16 % ne représentent pas uneproductivité du capital, mais tout au contraire sont le signe de sarareté et de l’existence d’une prime de risque, facteurs expliquantjustement la faiblesse du développement de ces pays.

Faut-il croire aux discours sur le développement durable ?

Si nous nous posons la question, en ce début de XXIe siècle,c’est justement parce que nous avons le sentiment que nos choixtechniques passés, nos modes de consommation, nos comporte-ments individuels eux-mêmes nous mènent à une impasse. Lerecours incessant au développement durable dans nos discoursapparaît ainsi davantage comme un symptôme de notre senti-ment collectif que notre développement actuel ne l’est juste-ment pas.

Encore faut-il relativiser ce « nous ». Il désigne avant tout leshabitants des pays industrialisés ou certaines élites de quelquespays en développement. Car, pour la grande majorité de ceuxqui vivent sur notre planète, l’objectif reste encore le dévelop-pement tout court, sur le modèle des pays industrialisés actuelset dont la Chine donne le meilleur exemple. Il suffit d’observercomment les grands pays industrialisés, anticipant surtout lapromesse de fabuleux nouveaux marchés, aident ce pays à allerdans cette direction, pour craindre que le développementdurable ne soit qu’un slogan ne résistant pas à l’épreuve des faits.

La France vient de donner un exemple de cet écart entre lesdiscours et les politiques réellement suivies avec son plan Climatqui ne retient que quelques micromesures de court terme, vrai-semblablement insuffisantes pour respecter son engagement destabilisation de ses émissions de CO2 au niveau de 1990, alorsmême qu’elle déclare vouloir faire de la qualité de l’environne-ment un droit constitutionnel.

Le XXe siècle a été marqué par l’utopie du communisme, le XXIe

le sera-t-il par celle du développement durable ?

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE 113

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Conclusion

« Bien entendu, partout, […] il y a des politiciens et des prêtres,des ayatollahs et des économistes, qui essaieront d’expliquer quela réalité est ce qu’ils disent qu’elle est. Ne les croyez jamais,croyez seulement les romanciers » [Bradbury, 1983, p. 8].

Au contraire de Malcom Bradbury, ce livre a cherché àmontrer l’intérêt d’une approche économique de l’utilisation desressources naturelles dans nos modes de production et deconsommation. Certes, l’économie n’est pas la physique et onne peut parler de lois économiques que de manière contingentedans un contexte suffisamment stable. Il n’y a pas un équivalentde la loi de la gravitation en économie. Toutefois, le monde telqu’il est depuis la révolution industrielle, au-delà des crises etdes retournements de conjoncture, présente un caractère suffi-sant de stabilité, résumé par la prégnance de formes diverses decapitalismes, pour que l’on tente d’en inférer quelques considé-rations générales.

La première porte sur l’évolution du prix d’une ressource épui-sable. À la fin de l’année 2004, on assiste à une flambée du prixdu baril de pétrole qui nous ramène aux crises pétrolières desannées 1970. Les explications ne manquent pas : la guerre en Irak,la faiblesse des stocks et des capacités de production utilisées aumaximum, l’explosion de la demande (la consommation depétrole a augmenté de 306 % en Corée du Sud depuis vingt ans,de 192 % en Chine ou de 240 % en Inde) ou l’exploration insuf-fisante de nouveaux gisements sont parmi les plus invoquées.

À ces raisons, on doit en ajouter une qui est indépendante desprécédentes et qui tient à la nature épuisable de la ressource. C’estcelle qui est résumée par la règle d’Hotelling étudiée au chapitre II.

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Elle signifie que tant qu’une telle ressource fera l’objet d’unmarché, l’épuisement progressif de la ressource doit se traduire parune augmentation de son prix à long terme. Et ceci n’a rien à voiravec l’OPEP, les grandes compagnies pétrolières, l’instabilité poli-tique du Moyen-Orient ou la politique extérieure des États-Unis.Elle nous apprend également que seule la découverte de subs-tituts rendant le pétrole inutile peut stopper cette tendance à lahausse. Bien entendu, cela ne veut pas dire que l’évolution du prixdu pétrole ne dépend que de son caractère épuisable. L’ensembledes facteurs énoncés ci-dessus peuvent y jouer un rôle dans uneproportion variable et la règle d’Hotelling est, à elle seule, insuffi-sante pour décider d’une politique quelconque. Mais il serait toutaussi erroné de ne pas en tenir compte.

Notre seconde considération porte sur l’utilisation desressources renouvelables. Là encore, tant que le marché et lanature de bien commun de beaucoup de ces ressources perdure-ront, leur surexploitation restera une réalité et le risque de lestransformer en ressources épuisables existera. Ce risque n’est laconséquence d’aucun machiavélisme, d’aucune noirceur constitu-tive de l’homme. Juste la mise en œuvre de comportements enréponse à des incitations inadéquates : institutions inefficaces,règles perverses, gouvernements corrompus… Nous avons vu qu’ilest possible d’utiliser des ressources renouvelables sans mettre encause leur existence. Des solutions existent et l’économie peutnous aider à les concevoir et à les mettre en œuvre. Que nous levoulions n’est plus affaire d’économie mais de politique.

Le développement durable, et ce sera notre dernière considéra-tion, est exemplaire de ce partage. S’il n’est guère possible deproduire sans transformer la nature, cette transformation doit êtreremise en question quand la survie de l’espèce est en jeu. Au débutdu XXIe siècle, pour beaucoup, le développement durable résumecette évidence. Le problème vient de la polysémie du concept,renforcée par les divergences entre les discours et les actes. Il y ades conceptions du développement durable et l’économie ne peutpas nous aider à en choisir une rationnellement. De nouveau c’estl’affaire de la politique. Que des peuples et leurs gouvernementsfassent aujourd’hui des choix différents, c’est l’évidence. Tout auplus peut-on demander à l’économiste, une fois défini ce que nousvoulons, de nous aider à l’atteindre au moindre coût.

CONCLUSION 115

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ÉCONOMIE DES RESSOURCES NATURELLES120

Page 121: Gilles Rotillon-Économie des ressources naturelles

Table des matières

Introduction 3

I Les ressources naturelles

Le concept économique de ressource naturelle 6Les ressources épuisables 9

Le problème de la mesure des stocks, 10_ Encadré : Les réserves, 10

Combien d’années de pétrole ? 12L’approche des économistes, 14

Les ressources renouvelables 16

II L’exploitation des ressources épuisables

La règle d’Hotelling 19_ Encadré : Rente de rareté et rente différentielle, 21_ Encadré : La règle d’Hotelling, 22

La règle d’Hotelling est-elle vérifiée ?, 25Extensions théoriques de la règle d’Hotelling 26

Le monopole, 27_ Encadré : Prix de monopole et de concurrence, 28

Une application à l’analyse des deux chocs pétroliers, 29La prise en compte de l’incertitude, 30

La mesure de la rareté d’une ressource épuisable 32À la recherche d’un indicateur, 33Mesures empiriques de la rareté

des ressources épuisables, 35

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III L’exploitation des ressources renouvelables

L’exploitation optimale d’une ressource renouvelable 38La règle fondamentale de gestion

d’une ressource renouvelable, 39La « culture » des ressources renouvelables, 49

Comment éviter la surexploitationd’une ressource renouvelable ? 52Peut-on échapper à la « tragédie des biens communs » ? 52

_ Encadré : L’exploitation des ressourceshalieutiques maritimes, 53

_ Encadré : L’incitation à la surexploitation, 55_ Encadré : Accès libre et extinction, 57

Théorie de l’agence et gestiondes ressources renouvelables, 57

L’approche institutionnelle de la gestiondes ressources renouvelables, 58_ Encadré : Quelques exemples de gestion

de ressources communes, 60

IV Les ressources renouvelables en pratique

Les ressources halieutiques 63État des stocks et effort de pêche, 64Les politiques de régulation, 69

_ Encadré : Le thon rouge de l’Atlantique, 70

La forêt 71_ Encadré : Le Programme européen des forêts certifiées, 75

Le climat 75L’effet de serre, 76La mobilisation internationale, 77Kyoto, et après ? 81

L’eau 82L’enjeu principal : satisfaire la demande, 84Quelle(s) solution(s) à la crise de l’eau ? 86

V Le développement durable

_ Encadré : Les mésaventures de la prévision, 89

La soutenabilité faible 90L’allocation intertemporelle de ressources épuisables, 91La prise en compte de l’équité intergénérationnelle, 94

Développement durable et décision publique 97Le revenu national hicksien, 98

_ Encadré : Une définition formelle de la soutenabilité, 99

L’ÉCONOMIE DES RESSOURCES NATURELLES122

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La soutenabilité forte 101Capitaux critiques et indicateurs

du développement durable, 102_ Encadré : Les plaines du Middle West américain, 104

Lester Brown et le développement durable, 104Soutenabilité faible versus soutenabilité forte :

un premier bilan 106Pour une définition abstraite

du développement durable, 107Que doit-on conserver dans le long terme ? 108Du concept aux discours, 111Faut-il croire aux discours

sur le développement durable ? 113

Conclusion 114

Repères bibliographiques 116

TABLE DES MATIÈRES 123