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Musée National du Soudan à Khartoum GUIDE ILLUSTRÉ À LUSAGE DES VISITEURS

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  • Muse National du Soudan

    Khartoum

    Guide illustr lusaGe des visiteurs

  • Pour avoir un aperu de lhistoire du Soudan, il est assez pratique de partir dune carte. La gographie explique en bonne partie lhistoire dun pays, dit-on, mais cest encore plus vrai dans le cas du Nord du Soudan, large tendue de dsert traverse par le mince ruban en S de la valle du Nil moyen barr de cinq des six cataractes. lentre de la salle dexposition du muse, une grande carte bilingue arabe/anglais a t installe il y a trois ans. Il a fallu la modifier suite lindpendance du Soudan du Sud. Pour larchologie, ce qui nous intresse pour cette visite, cest le Soudan proprement dit. On y trouve des vestiges antiques depuis la frontire avec lgypte jusqu la rgion de Khartoum et du Nil Bleu, mais gure plus bas. Au Sud, le terrain et le climat ne se prtent pas la conservation des artefacts et des corps. Les cultures qui sy sont succd ont utilis des matriaux prissables comme le bois qui nont pas survcu leur enfouissement dans les sols acides des zones quatoriales, tandis que dans le Nord, comme Mro par exemple, il sagit dune architecture de pierres et de briques enfouie dans du sable, qui se conserve pendant des millnaires et laquelle les gyptologues sont habitus. La frontire entre lgypte et le Soudan, fixe aujourdhui lgrement au nord de la 2e cataracte, est lune des plus anciennes au monde. Elle est place l depuis environ 5000 ans. Malgr les invasions, dans un sens ou dans lautre, elle na quasiment pas boug. Vous pourrez dcouvrir dans les jardins du Muse le plus ancien tmoin des conflits lis cette frontire (Scne rupestre du Gebel Cheikh Suleiman ). Ces conflits opposrent lgypte et le Soudan, deux frres ennemis, deux civilisations qui se sont interpntres sans arrt pendant des millnaires, qui se sont la fois admires et dtestes et qui se sont beaucoup battues. laube des temps historiques, vers 3300 av. J.-C., lgypte effectue son unification et lon passe de deux royaumes un seul, dirig par un homme, qui sera appel beaucoup plus tard par le titre de Pharaon. Les raisons qui ont men la naissance du royaume dgypte sont essentiellement dues aux modifications climatiques, un phnomne qui sest produit au Soudan 500 ans plus tard avec les mmes consquences politiques, savoir la formation dun grand royaume. Il sagit de la dsertification du Sahara. Vers 8000 av. J.-C., le climat est trs humide : le Sahara est verdoyant, le Nil est tellement

    Une brve histoire du Soudan

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    Carte du Soudan lentre de la salle dexposition du muse

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  • norme (on parle de la priode du Nil sauvage) que la rgion de Khartoum et la Haute Nubie sont couvertes de marcages infests de moustiques, et les berges sont souvent noyes sous des crues dvastatrices. En consquence, les hommes prfrent sinstaller assez loin du Nil, le fleuve tant alors trop dangereux. Les affluents du Nil taient plus hospitaliers, notamment le Wadi Howar, aujourdhui presque totalement dessch, qui venait de lEnnedi au Tchad et se jetait dans le Nil au niveau del-Debba. Le Sahara est donc peupl de tribus qui dcouvrent le pastoralisme partir de 8000-7000 av. J.-C., date du dbut de la domestication du buf en Afrique. Cest grce aux fouilles de lquipe suisse de Matthieu Honegger dans les environs de Kerma que lon a pu rcemment confirmer cette origine locale de la domestication des bovins en Nubie. Vers 5000 av. J.-C., les caprins et les ovins y sont introduits depuis le Sina et le Proche-Orient. Ils sont moins exigeants en eau et en pture que les bovins et correspondent mieux un climat qui est en train de sasscher. Effectivement, vers 4000 av. J.-C. en gypte et 3000 av. J.-C. au Soudan, le Sahara devient progressivement le dsert que lon connat. Les diffrents peuples qui y nomadisent vont alors se rapprocher dun Nil devenu plus hospitalier, puisque lon est dsormais dans des priodes beaucoup moins humides. Cette coalescence de peuples en gypte a finalement men la cration dun vritable royaume afin de fdrer tous les diffrents groupes qui stablissaient dans la valle du Nil, la seule oasis habitable dsormais. Vers 2500 av. J.-C., plus de 500 ans plus tard, le mme phnomne se produit au Soudan. Un premier tat y est alors cr : le Royaume de Kerma. La premire capitale, Kerma, existait dj depuis presque un millnaire sous forme dun grand village que lon nomme Pr-Kerma et qui se trouvait 4 km du Nil, un endroit qui plus tard allait devenir la ncropole du nouveau Kerma. Les habitants en effet se sont dplacs plus prs du Nil, qui tait plus bas et beaucoup moins dangereux. Mais ils ont recycl leur ancien village comme lieu de spulture, ce qui montre bien la continuit entre les deux cultures successives, Pr-Kerma et Kerma. peu prs la mme poque, le Groupe C sinstalle dans le Nord du Soudan, il sagit sans doute dun peuple assez proche des nouveaux arrivants qui ont transform le village de Pr-Kerma en Royaume de Kerma, les Proto-Mrotes. Groupe C, Proto-Mrotes et dautres sont venus du Darfour et du Kordofan en plusieurs vagues et parlent probablement des langues apparentes. Le Groupe C ne se fdrera jamais en royaume et va rester une culture dleveurs avec quelques petits centres semi-urbains qui servent de marchs. Finalement, il subira linfluence puis une assimilation totale par le royaume de Kerma.

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    Chronologie gnrale du Soudan

    3500

    3150

    2660

    2180

    2040

    1660

    1552

    1070

    732

    332

    30

    392

    639

    1500

    gypte Basse Nubie Moyenne Nubie Haute Nubie 4e cat. Atbara Atbara-Khartoum

    PRDYNASTIQUE

    ARCHAQUE

    ANCIEN EMPIRE

    MOYEN EMPIRE

    NOUVEL EMPIRE

    BASSE POQUE

    PTOLMAQUE

    ROME

    BYZANCE

    ISLAM

    Groupe A

    Nolithique

    Pr-Kerma

    Groupe C

    Royaume de Kerma2500-1500 av. J.-C.

    Royaume de Napata660-300 av. J.-C.

    Royaume de Mro300 av.-350 apr. J.-C.

    Islam

    Alodia(Soba)

    Makouria(Dongola)

    Nobadia(Faras)

    TanqasiBallana el-Hobagi

    Royaumes chrtiens350-550 apr. J.-C.

    Domination gyptienne1500-900 av. J.-C.

    25e dynastie (Pharaons Noirs)732-664 av. J.-C.

    Royaumes post-mrotiques

  • Les noms du Soudan ont t nombreux par le pass et le terme actuel est dutilisation assez rcente. Chez les gyptiens anciens, on parle de la Terre de lArc, Ta-Seti en gyptien, tout simplement parce que les habitants du Soudan, depuis des temps immmoriaux, ont t dexcellents archers. Ils le resteront dailleurs, tel point que les chroniqueurs arabes qui relatent la tentative de prise dOld Dongola lors de la premire invasion musulmane les appellent les viseurs de pupilles, pour faire honneur leur dextrit. partir de 2000 av. J.-C., le Soudan ancien va prendre le nom de Koush dans les textes gyptiens et jusque dans la version hbraque de la Bible. Il sagit probablement du nom que se donnent eux-mme les Koushites. Ce nom va demeurer jusquaux tout derniers textes mro-tiques o Kusha (crit Qes) est le nom du royaume. Quand les Grecs dcouvrent ces populations, cest tout dabord en gypte, o ils sont installs depuis 650 av. J.-C., Naucratis en Basse-gypte. Les Grecs appellent ces gens de couleur fonce ceux au visage brl, Aithiops, qui a donn thiopie. Ce nom va dsigner le Soudan ancien jusqu la Seconde Guerre Mondiale. On le trouve par exemple dans la thse de Jean Leclant dans les annes 1950, Enqute sur les sacerdoces et les sanctuaires gyptiens lpoque thiopienne. Ce nest que rcemment que ce nom d thiopie a dsign systmatiquement le pays quon appelait auparavant lAbyssinie. Cest sous Hail Slassi quune vritable OPA sur ce nom est effectue, notamment parce quil est mentionn dans la Bible et que lon dsirait rcuprer ce pass glorieux au profit de lAbyssinie. Le nom de Soudan vient de larabe et veut dire le pays des Noirs. Un autre nom est celui de Nubie. Apparu vers le Moyen-ge, il est tir du terme Nubien, que les Mrotes, les derniers Koush-ites, ont donn leurs pires ennemis, des tribus pourtant trs proches deux lin-guistiquement et ethniquement, qui vivaient dans le Darfour et le Kordofan. Dans leur propre langue, ils sappelaient probablement les Magur, mais les Mrotes les dsignrent comme esclaves, en mrotique Nuba, qui donnera nubien. Le mot na rien voir avec le terme gyptien pour lor (nebou, en copte noub). Les gyptiens dailleurs nutilisaient pas le nom de Nubie ou Nubiens. Les gyptologues en revanche lemploient systmatiquement, mme pour dsigner les peuples les plus anciens du Soudan, alors que les Nubiens proprement parler napparaissent que relativement tardivement dans lHistoire. En rsum, Terre de lArc, Koush, thiopie , Nubie et Soudan sont les cinq noms qua ports

    ce pays.

    Cinq noms pour un pays !

    ! Le Royaume de Kerma est fond vers 2450 av. J.-C., moment o le dsert sest en bonne partie assch. Ltat kermate tire ses richesses notamment de ses ressources agricoles, trs importantes dans cette rgion grce une bordure de vgtation large de plusieurs kilomtres, aujourdhui couverte de palmeraies. Ce riche potentiel agricole va permettre au royaume de se dvelopper et de gagner des territoires jusqu la 5e cataracte. Au nord, il sest dj empar des terres du Groupe C, notamment sur lle de Sa, jusqu se trouver face une opposition solide : les gyptiens du Moyen Empire, voyant ce peuple de plus en plus puissant leurs portes, dcident de les stopper. Autour de la 2e cataracte, ils installent vers le dbut du XXe sicle av. J.-C. une ligne de sparation colossale, une dizaine de forteresses normes en briques crues, notamment Semna, Kumma, Ouronarti, Bouhen, Shelfak, Mirgissa, crant autant de colonies gyptiennes autour des garnisons. Cette ligne Maginot sera finalement peu efficace puisquen 1700 av. J-C., le Royaume de Kerma envahira toute cette zone. Le Royaume gyptien connat dnormes difficults cette priode, puisque son territoire est occup au nord par un peuple dorigine cananenne, les Hykss, en quelque sorte les cousins anciens des Hbreux, qui ne laissent aux rois gyptiens que la Haute gypte, autour de Thbes. Cette 17e dynastie de pharaons fauchs, inhums dans dhumbles sarcophages en bois de sycomore, sous de petites pyramides en briques, essaie de survivre entre deux puissances redoutables : les Hykss au Nord et le Royaume de Kerma au Sud, qui essayent de les prendre en tenailles. On a gard des copies de lettres envoyes par le roi des Hykss au roi de Kerma pour proposer des alliances contre le Royaume de Thbes, qui a bien failli disparatre. On sait par une inscription trouve en 2003 El-Kab, tout prs de Thbes, que les incursions du Royaume de Kerma ont t dautant plus dangereuses que les Kermates ont suscit autour deux une coalition de diffrents peuples dont le fameux Pount (ce royaume quon suppose situ du ct de lrythre), pour envahir lgypte. Finalement, les gyptiens sen sortent, notamment grce leurs reines, qui tiennent ltat pendant que leurs poux et leurs fils combattent. Ces reines la charnire des 17e et 18e dynasties ont peut-tre conduit des armes, lune dentre elles, la reine Ahhotep, mre du fondateur de la 18e dynastie Ahmosis, a reu la plus haute distinction quon puisse dcerner un chef de guerre, un collier de mouches dor retrouv dans sa tombe. Cest vers 1550 av. J.-C. quAhmosis dcide de sattaquer aux Hykss. Il nest pas le premier de sa famille sy frotter, son pre est mort au combat et son frre les a affronts aussi. Finalement, il parvient

    !

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  • chasser lenvahisseur hors dgypte et livrer des batailles jusquen Palestine pour assurer un pouvoir durable sur la Basse-gypte. Une fois la question du Nord rsolue, les gyptiens se tournent vers le Sud pour rgler leur compte aux ennemis de Kerma. Cette entreprise va demander du temps. On pensait il y a peu que cette guerre avait t laffaire dun rgne ou deux mais on sait maintenant quil a fallu cinq ou six rgnes. Les conqutes ont t suivies dinsurrections et un sicle et demi a t ncessaire pour pacifier la rgion, cest--dire y faire rgner la domination des pharaons. Aprs plusieurs pisodes, Kerma est finalement dtruite et une nouvelle ville est btie proximit, Doukki Gel, ce site o lon a retrouv en 2003 les fameuses statues des Pharaons noirs. Les gyptiens stablissent sur lensemble du Royaume de Kerma. Thoutmosis Ier, puis Thoutmosis III, font graver une inscription marquant la frontire Kourgous, dans la rgion de la 5e cataracte qui marquait dj la limite du Royaume de Kerma. Tout lensemble du territoire est spar en deux provinces, Ouaouat au nord (Basse-Nubie) et Koush au Sud (Haute Nubie et Soudan central). Revenons la situation du Soudan sous la XVIIIe dynastie, vers 1600 av. J.-C. Jusquen 900 av. J.-C., les gyptiens psent de tout leur poids sur cette rgion en lexploitant de manire coloniale, important au nord tout ce qui les intressait, le bois dbne (on ne trouve quasiment pas de bon bois en gypte), les esclaves, lor qui se trouvait en grande quantit dans la rgion de Ouaouat et tous les produits qui proviennent traditionnellement dAfrique : les peaux de panthres, les ufs dautruches, choses peu utiles pour la vie courante mais qui servent au culte et aux cadeaux diplomatiques des Pharaons aux souverains du Proche-Orient. Au dpart, ils installent au Soudan un prince, le fils royal de Kush, devenu par la suite juste un haut fonctionnaire, qui stablit dabord Aniba, aujourdhui en Nubie gyptienne et plus tard Tombos, prs de la 3e cataracte. Les fonctionnaires gyptiens au Soudan se font btir des pyramides, car si les pharaons ont abandonn ce type de spulture, elle est encore utilise pour les lites sous le Nouvel Empire. Ces pyramides sont plus pointues que celles des rois de lAncien Empire pour ne pas utiliser trop de matriaux. Les Koushites sen inspireront plus tard. Vers 900 av. J.-C., les gyptiens sont obligs de se recentrer vers le Nord, cause de problmes avec les Libyens notamment, qui ont envahi plusieurs principauts du delta du Nil et y ont cr des royaumes indpendants. Ils se retirent du Soudan, laissant derrire eux une lite locale fortement imprgne de culture gyptienne. Autour du Djebel Barkal, les gyptiens avaient cr une

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    Carte des principaux sites archologiques mentionns dans le texte

  • considrs car trs pieux. Ils adorent des divinits comme Amon, dont le culte commence tomber en dsutude en gypte, o lon prfre dsormais se tourner vers des divinits de salut comme Isis ou Osiris. Ils restaurent les temples, construisent de nouveaux difices, remettent en vigueur les vieilles coutumes et, mme dans le domaine artistique, sinspirent des priodes les plus anciennes, lanant une mode de larchasme qui survivra dans les dynasties suivantes. Les pharaons koushites se maintiendront la tte dun royaume uni qui va, en gros, de Jrusalem jusqu Khartoum. Ce territoire est peu pratique parcourir car il est tout en longueur et il faut des mois pour emmener une arme dun bout lautre. Cest dire que des guerriers africains, parfois recruts dans des tribus du Sud ou de lOuest du Soudan, ont affront les Assyriens prs de Jrusalem. Imaginez la distance parcourue, sans doute pied, les chars tant rservs la noblesse et le fleuve barr par les cataractes ! Au Proche-Orient, les Koushites ont affaire un peuple extrmement puissant, le principal prdateur de cits cette poque, les Assyriens. Malgr leur puissance militaire, ceux-ci vont avoir beaucoup de mal battre les Kushites, mais par deux fois, leur roi Assurbanipal forcera les pharaons soudanais se retirer sur leurs terres. La deuxime et dernire dfaite inflige aux Pharaons noirs a lieu en 664 av. J.-C. sous le rgne de Tanoutamani (ou Tanoutamon), qui naura rgn que neuf mois en gypte. Et, catastrophe suprme, Thbes, qui en un millnaire et demi dexistence, navait jamais t conquise, est atteinte et tous ses trsors pills par des ennemis. Les Assyriens ne saventureront pas plus bas. Leur empire disparatra mme totalement, balays par les Babyloniens quelques annes plus tard. Fina-lement, le territoire de Koush sera dlimit par la deuxime cataracte et descen-dra jusquaux environs de Khartoum mais ne comprendra plus lgypte. Cela nempchera pas que le roi (ou la reine) de Koush continue se proclamer roi de Haute et Basse-gypte, fils dAmon, pharaon. Si bien que de 664 av. J.-C. jusqu la fin de lEmpire Romain, il y a aura deux pharaons, un au nord qui la plupart du temps sera un tranger, perse, grec, puis romain, et un au sud qui est soudanais. Au temps de Cloptre, il y a une reine qui rgne ici et qui porte exactement le mme titre quen gypte. On appelle cette nouvelle re dans lhistoire du Soudan la priode napatenne, du nom de Napata, la mtropole religieuse autour de laquelle sont enterrs les souverains. Nuri, ils font btir des pyramides, dont les formes sont inspires de celles que les fils royaux de Koush, vice-rois de la colonisation gyptienne, avaient fait construire la frontire dans la province de Ouaouat.

    ville sans importance considrable, mais le Djebel passait pour la demeure du dieu Amon, cause du piton en forme de cobra royal qui le flanque au Sud. Cette ville appele Napata (aujourdhui Karima) devient la capitale dun nouveau pouvoir local. Les Napatens prennent de plus en plus dimportance dans le pays, notamment grce leur excellence dans le domaine militaire. Ils imitent ce quil y a de meilleur et de plus efficace en gypte, ladministration pharaonique, la religion, son ordonnancement de la socit et son idologie royale. Ds le IXe sicle, on trouve donc Napata un roi qui se proclame fils dAmon, puisquils ont aussi emprunt lgypte cette divinit quils ont place la tte de leur panthon, en la mlant lun de leur dieux originels, qui dj au temps de Kerma tait un blier. Le dieu-blier Amon va alors devenir le dieu tutlaire de la dynastie napatenne. Profitant de la faiblesse des gyptiens qui se sont diviss dans le Delta du Nil en principauts indpendantes, les Koushites reprennent toute la Basse-Nubie, commencent grignoter des territoires sur lgypte et, sous le rgne de leur premier grand roi, Kashta, vers 760 av. J.-C., finissent par semparer de Thbes et de la Haute-gypte. Le roi installe Thbes sa propre fille comme divine adoratrice, une sorte de papesse locale, les rois dgypte se faisant reprsenter par leur fille en Haute-gypte depuis un moment dj. Les divines adoratrices sont vierges, considres comme les pouses du dieu Amon et dirigent une sorte de principaut thocratique. Elles se succdent par adoption, plus ou moins contrainte lors des changements de dynastie. Le fils de Kashta, Pinkhy, sempare finalement vers 732 av. J.-C. de lensemble de lgypte, dans ses frontires anciennes, quasiment jusqu la Palestine. Mais il a le tort de revenir sinstaller dans sa capitale, Napata, aprs ses conqutes. Aussitt, tous les petits rois gyptiens du Delta du Nil qui lui avaient prt allgeance, sachant leur suzerain deux mille kilomtres deux, reprennent leur indpendance. Il faudra que le frre de Piankhy, Shabaqo, recommence la mme conqute le rgne suivant. Il sinstalle cette fois Memphis en gypte. Les chroniqueurs gyptiens considrent alors quils ont affaire un vritable Pharaon et cest partir de Shabaqo que lon fait commencer la XXVe dynastie dgypte, celle que lon appelait autrefois la dynastie thiopienne, que lon prfre appeler maintenant la dynastie koushite ou, dans la grande vulgarisation, la dynastie des Pharaons noirs. Commence de facto sous le rgne de Kashta vers 760 av. J-C., cette dynastie, jusqu la fin de la domination sur lgypte en 664 av. J.-C., reprsente donc prs de cent ans de rgne soudanais en gypte. Ces souverains sont bien

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  • culture toujours trs gyptianise, mais moins que le Royaume de Napata. La royaut koushite sest en effet politiquement et gographiquement loigne de lgypte et ce dernier pays connat tant de dominations trangres quil nest plus en mesure de servir de modle. Finalement, les rois de Mro vont accueillir dans le panthon dynastique les anciens dieux locaux, qui taient sans doute adors par le peuple mais ne recevaient pas de culte officiel de la part des rois. Le dieu Apdmak tte de lion par exemple, qui est honor Naga et Musawwarat, est un dieu purement soudanais. Vers 200 av. J.-C., les Mrotes vont mme finalement crire la langue quils parlaient depuis des millnaires, la langue mrotique, avec des signes emprunts lgyptien. Le royaume de Mro est une continuation du royaume de Napata mais il prsente des traits locaux plus prononcs et une influence gyptienne de moins en moins marque. En revanche, il souvre linfluence de la Grce et de Rome. Leur culture mditerranenne va finir par toucher ce mythique royaume des thiopiens que les Grecs admirent. Homre parle ainsi des thiopiens, de leurs parfaites hcatombes (des sacrifices de 100 bufs) et du fait quils sont considrs comme un modle de pit, tel point quune fois par an, Zeus et tous les dieux de lOlympe viennent dner chez eux. Vers 350 apr. J.-C., les Mrotes se trouvent face de nouveaux ennemis, non plus des gens venus du nord comme les gyptiens, mais cette fois venus du sud. Deux ennemis redoutables, un trs bien organis, le royaume dAxoum, le premier royaume thiopien dirig alors par le roi Ezana rcemment converti au christianisme et, lOuest du Soudan, un ensemble de peuples semi-nomades, que les Mrotes appellent avec mpris Nouba, cest--dire esclaves. Ceux-ci se rapprochent progressivement de la valle du Nil avec leurs troupeaux cause de lasschement du Sahara qui entre dans sa phase finale. Chaque fois, ils sont repousss mais force de tenter, ils vont finir par percer, un peu comme les peuples germaniques dans lEmpire Romain. Cette conjonction des tribus nubiennes qui viennent du Kordofan et du royaume dAxoum entrane la chute de lempire mrotique. Les Nubiens, qui depuis mille ans espraient un accs au Nil, se prcipitent sur la valle, y imposent leurs lites et crent trois royaumes sur les ruines de ltat mrotique. Ces trois royaumes sont : Nobadia (le terme est grec et vient de lethnique Nouba), dont la capitale est Faras, Makouria, avec sa capitale Old Dongola, et le royaume du Sud, Alodia, dont Soba, juste au sud-est de Khartoum, est la capitale. Llite change et sur le plan culturel, ce changement se fait sentir : la langue mrotique cde du terrain face au grec lcrit et au vieux-nubien

    La transition se droule bien pendant quelques rgnes. Malgr leur viction dgypte, les rois de Napata sont toujours trs puissants. Toutefois, aprs la mort du troisime dentre eux, Anlamani, se produit apparemment un diffrend sur sa succession. Le roi qui doit succder, Aspelta, est un enfant, et sa mre qui linstalle sur le trne est probablement conteste. Les gyptiens de la XXVIe dynastie, qui viennent de se dbarrasser de la tutelle assyrienne, profitent de ce moment pour mener une guerre prventive contre un royaume qui est peru comme toujours puissant et donc dangereux. Sous le pharaon Psammtique II, en 591 av. J.-C., les armes gyptiennes, renforces de mercenaires grecs et cariens, descendent jusqu Napata et peut-tre plus bas encore, dans la rgion de Dangeil, et dtruisent tout sur leur passage, notamment les temples quils brlent et pillent. Ils brisent toutes les statues des pharaons noirs, des deux derniers rois et de leurs successeurs napatens. Ils nont pas lintention de rester au Soudan et retournent en gypte aprs cette dmonstration de force. Aprs leur dpart, cest la consternation. Il faut tout rebtir ou rnover. Les prtres enterrent pieusement les restes des statues, dans des fosses, au nombre de deux au Djebel Barkal. Dcouvertes et fouilles au dbut du XXe sicle, ces cachettes livreront des uvres superbes comme la belle statue de Taharqo, avant-dernier pharaon de la XXVe dynastie, qui se dresse face lentre dans la salle dexposition. Une autre fosse se trouvait Kerma, o sept statues magnifiques des mmes souverains ont t dcouvertes en 2003 par larchologue suisse Charles Bonnet. Suite cette catastrophe, les Koushites sont traumatiss, la ville de Kerma, la premire capitale du Soudan, tait dj trop proche de lgypte, mais Napata est encore trop prs de lennemi hrditaire. Ils installent donc leur capitale administrative 350 km au sud-est, Mro, en 591 av. J.-C., suite la campagne de Psammtique II contre le petit roi Aspelta. leur mort en revanche, les rois continuent dtre enterrs dans le cimetire napaten de Nuri, puis de Barkal. Finalement vers 300 av . J.-C., se cre une dynastie locale de Mro. force sans doute dpouser des princesses de la rgion, les souverains se sentent plus proches de Mro que de Napata. Vers 300 av. J.-C. commence alors ce que nous appelons le royaume de Mro, qui, dans les faits, nest rien dautre quun changement de ncropole. Napata continue exister, elle reste un centre religieux important mais elle ne reprsente plus grand-chose au niveau politique et dynastique puisquautour de lre chrtienne cest Mro que les souverains rsident dsormais, quelques exceptions prs. Jusquen 350 apr. J.-C., le Royaume de Mro est caractris par une

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  • des armes islamiques est stopp et on dcide dune trve, suivi dun trait de paix, appel le baqt. La Nubie ne fera partie ni des amis ni des ennemis de lIslam, le pacte permet dchanger des marchandises : lgypte fournit des textiles et du bl, et le Soudan de lor et des esclaves, tous en en bonne sant et au nombre de 365. Pour lanecdote, on a retrouv rcemment une lettre du gouverneur de Haute-gypte qui se plaint de la mauvaise qualit des esclaves. Cette paix, avec des hauts et des bas, dure jusquen 1270 lorsque David, lun des rois chrtiens de Dongola, essaye de semparer du port dAydhab sur la mer Rouge. Lgypte rplique immdiatement, le sultan Babars envoie une arme qui cette fois arrive percer. Cen est dsormais fini du royaume de Makouria, qui sera en quelques sicles converti lIslam. En 1317, la salle daudience des rois de Dongola est transforme en mosque, la premire du Soudan. Au sud en revanche, le royaume dAlodia tiendra jusqu la fin du Moyen-ge. Il ny a donc gure plus de cinq cents ans que la population est musulmane et ne parle plus nubien dans la rgion de Khartoum. En 1504, le Royaume dAlodia est occup par un peuple noir islamis, les Funj, qui viennent de la frontire avec lthiopie semble-t-il. Sa capitale, Soba, est rduite en cendres. Les sultans Funj crent un royaume centr sur le Nil Bleu et installent leur capitale Sennar. Le sultanat de Sennar va durer jusquen 1822. En 1820, le khdive dgypte, Mehemet Ali, dcide que lgypte, province presque indpendante de lEmpire ottoman, aura elle aussi ses colonies. De plus, il faut poursuivre les fameux Mamelouks, rfugis au Soudan aprs la prise du Caire par Bonaparte. Lexpdition sera mene par le cinquime fils de Mehemet Ali. Ainsi, les Turco-gyptiens descendent jusquau Royaume de Sennar accompagns dun franais, Frdric Cailliaud, un minralogiste de Nantes qui sera le premier dessiner les monuments du Soudan. Il est accompagn dun dessinateur, un aspirant de marine, dont on voit le nom grav dans certaines chapelles royales de Mro, Letorzec. En 1826, Cailliaud publie son Voyage Mro. Quatre ans aprs le dchiffrement des hiroglyphes par Champollion, la science occidentale dcouvre le Soudan ancien et dispose enfin dun matriel de premire main pour connatre les civilisations anciennes de ce pays.

    loral. Au niveau de la religion, ces royaumes dans un premier temps restent fidles aux cultes mrotiques. Par exemple, dans le royaume situ le plus au Nord, les monarques ont t retrouvs dans le cimetire de Ballaa ceints de couronnes qui portent des ranges de cobras ou le blier dAmon. Un pommeau de selle figure Isis aux ailes dployes. Deux cents ans plus tard, vers 550 apr. J.-C., cette religion va changer. Il y avait dj quelques chrtiens la cour du roi, mais lempereur de Byzance, Justinien, envoie une grande dlgation pour convertir les royaumes nubiens, en mme temps quil fait fermer le dernier temple paen dgypte, Philae, o ne se rendaient en plerinage plus gure que les Nubiens. Justinien tait mari Thodora, une belle femme ttue qui ne voulait en aucun cas renoncer sa religion, la religion copte, cest dire le christianisme monophysite. La concurrence entre monophysites et dyophysites a t une source majeure de conflits dans le christianisme oriental. La diffrence nest pourtant pas trs grande. Les monophysites considrent que Jsus na quune seule nature, la fois divine et humaine, et les dyophysites quil en possde deux cte cte, une humaine et une divine. Actuellement, sont monophysites les glises thiopienne et copte (gyptienne). Revenons Thodora qui envoie sa propre mission galement pour convertir les Nubiens, mais au christianisme monophysite. Elle envoie une lettre aux autorits de Haute-gypte, majoritairement monophysites, afin de retarder la mission de son mari. Stratagme qui sera efficace, puisque lensemble du royaume de Nobadia sera converti la religion chrtienne monophysite de Thodora. Cest dire quils dpendront du patriarche dAlexandrie et non pas de Constantinople. Pendant ce temps-l, il semble que le royaume de Makouria au milieu de la Valle du Nil se convertit au christianisme dyophysite : peut-tre ont-ils reu la visite de la mission de Justinien, trs peu de temps aprs. Mais finalement, quelques dcennies ou sicles plus tard, cest le monophysisme qui lemporte aussi Makouria. Le royaume dAlodia, au Sud, a dailleurs t converti aussi au christianisme monophysite par Longinus, premier vque de Nobadia, vers 570. Peu aprs ces pisodes, le royaume du nord, Nobadia, est aval par son voisin du Sud, si bien que lorsque les Arabes arrivent en gypte vers 651 apr. J.-C., la Nubie ne compte plus que deux royaumes, le royaume de Makouria avec la province septentrionale de Nobadia, et le royaume dAlodia au sud. Les armes arabes descendent avec lespoir de semparer du Soudan et cest alors que se passe lpisode voqu plus haut : la rsistance acharne des archers nubiens face la tentative de prise dOld Dongola. Pour une fois, llan conqurant

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    Les dbuts de larchologie au

    Soudan Frdric Cailliaud est le premier savant occidental venir au Soudan. En 1820/1822, il accompagne Ismal Pacha gnral des armes de son pre Mehemet Ali, exactement comme une escouade de savants accompagnait Bonaparte en gypte. Mehemet Ali a une grande admiration pour Bonaparte et souhaite donner une sorte de prtexte scientifique son expdition coloniale en sentourant dun certain nombre de savants souvent franais, parfois anglais. Cest ainsi quen 1820-1822, Cailliaud visitera ce Soudan quil va faire dcouvrir quelques annes plus tard la France et lEurope par ses volumes illustrs. Si vous vous rendez Musawwarat es-Sufra, allez voir derrire la grande terrasse, deux inscriptions en franais perdues au milieu de la savane soudanaise ! Lune a t rdige par Cailliaud et lautre par Linant de Bellefonds, qui a accompagn lexpdition anglaise de Bankes. Il sagit de la mme formulation, montrant bien la rivalit entre les deux savants. La seule diffrence notable est que Cailliaud dclare avoir t mand de la France et Linant de Bellefonds mand par lAngleterre. Un petit peu plus tard vint le temps des aventuriers indpendants, notamment un mdecin italien Giuseppe Ferlini. Dcid trouver des trsors Mro, il fait exploser sans scrupules les plus belles des pyramides avec de la poudre canon pour, au bout du compte, trouver dans la tombe de la reine Amanishakhto un petit chaudron rempli de bijoux quil vendra avec beaucoup de mal. Ces bijoux sont en effet trs tranges pour les spcialistes qui connaissaient lart gyptien. Il faudra que lgyptologue allemand Lepsius, de retour du Soudan, prouve quil sagit bien de trsors mrotiques et non de faux grossiers. Ils sont achets pour moiti par le roi de Prusse et pour moiti par le roi de Bavire et sont aujourdhui spars entre les muses de Berlin et de Munich. A lpoque o sinstalle la nouvelle colonisation gypto-turque de Mehemet Ali, on possde peu de tmoignages sur lactivit archologique mais en 1842, une expdition est lance par le roi de Prusse, sous la direction de

    Carl Richard Lepsius, le meilleur gyptologue de son temps et le successeur allemand de Champollion. Richard Lepsius parcourt la valle du Nil en gypte, mais cette fois, il va remonter le fleuve jusquau cur du Soudan. Champollion tait en effet venu vingt ans auparavant avec une expdition envoye par le roi de France mais il stait arrt la 2e cataracte. Lepsius descend alors jusqu Mro, et mme un peu plus bas, en collectant tout ce quil peut, ce qui explique que le muse de Berlin soit le plus riche dEurope en antiquits soudanaises. En 1845, avec laccord du khdive dgypte, les bateaux reviennent chargs dobjets Hambourg. La publication des Denkmler aus Aegypten und Nubien Monuments dgypte et de Nubie va permettre de redcouvrir la rgion, de prsenter quantit de textes et de dessins beaucoup plus prcis. Cailliaud en effet ne connaissait pas lgyptien alors que Lepsius tait excellent gyptologue, do de meilleurs fac-simils. Avec ces fameux Denkmler, on a enfin vritablement du matriel de grande qualit scientifique. Aprs Lepsius et Ferlini, va venir la priode de la Mahdiyya, poque o le Soudan se rvolte contre le pouvoir turco-gyptien. Ladministration coloniale est soutenue par les Occidentaux, avec des administrateurs souvent chrtiens. Le poids des impts levs sur le pays et loccidentalisation croissante des Turcs explique la raction des Soudanais contre ce gouvernement impie et ltablissement dun pouvoir islamique pendant une douzaine dannes. Le Mahdi meurt en 1885, son bras droit Abdullahi le remplace et larchologie se trouve videmment au point mort durant toute cette priode. Sous la direction du gnral Kitchener, entre 1896 et 1898, les Anglais semparent du Soudan, en excutant la mitrailleuse plus de 15 000 soldats arms de lances lors de la bataille dOmdourman. Kitchener met en place un nouveau pouvoir colonial, le condominium anglo-gyptien, associant les deux pays. Les archologues commencent alors revenir. Ils sont essentiellement britanniques dans un premier temps, puis allemands. Les Franais, quant eux, sont passionns par lgypte la suite des dcouvertes de Champollion et il faudra attendre trs longtemps pour quils sintressent au Soudan. Tout cela explique quil y ait des collections soudanaises importantes Berlin, au British Museum mais quasiment rien au Muse du Louvre.

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    Le sauvetage des temples de Nubie

    En 1959, le prsident gyptien Nasser dcide de construire un barrage gigantesque Assouan pour contrler les crues et irriguer lgypte. Il sera mis en eau en 1964. En 1960, lUNESCO lance une campagne de sauvetage, les missions disposent de quatre ans pour ratisser les sites archologiques et sauver les monuments de toute la Nubie gyptienne et soudanaise, avant que ce barrage ne cre un lac (appel le lac Nasser en gypte et le lac de Nubie au Soudan) de prs de 500 km de long. Il va falloir dplacer des temples entiers, ce qui reprsente un travail norme particulirement en gypte : le gigantesque temple dAbou Simbel par exemple est dplac par les Franais ; celui de Kalabsha par les Allemands. Le temple de Philae, le grand temple dIsis dpoque tardive et beaucoup frquent par les Mrotes dailleurs, sera finalement dplac ultrieurement par les Italiens alors quil tait dj dans leau. Au Soudan, les temples taient plus petits mais il ny avait rien proximit, et aucune possibilit de crer autour deux des complexes touristiques comme en gypte. On a donc transport Khartoum trois temples entiers plus les vestiges de quelques autres, et comme Khartoum connat une saison des pluies annuelle beaucoup plus abondante quen Basse-Nubie (150 mm/an contre 2,5 mm/an), on les a installs sur des plaques de plomb et protgs par des hangars dont le toit coulissant devait originellement rester ouvert la priode sche. cause des nombreux oiseaux qui les salissaient de leurs fientes, il a t dcid de les laisser ferms. Le terrain o slve le Muse aujourdhui, ct de lancien jardin zoologique, a t choisi pour accueillir les temples de Nubie et pour difier un nouveau btiment qui puisse abriter les collections. Auparavant, elles taient disposes dans une annexe de luniversit de Khartoum. Le sauvetage des monuments de Nubie et laide de lUNESCO offraient loccasion de construire un vritable muse national. Lun des principaux acteurs de ce projet fut un architecte est-allemand, Friedrich Hinkel. Cest sous sa direction que les temples furent dplacs. Il eut aussi lide de raliser une sorte de rplique miniature du Nil en faisant creuser un long bassin sinueux, au bord duquel chaque temple fut replac sur la rive, gauche ou droite, et dans lorientation quil avait originellement en Basse-Nubie. Linauguration du Muse et de ses jardins a eu lieu en 1971. Une

    fois son travail achev, Hinkel resta au service des Antiquits soudanaises. Il a notamment travaill sur la restauration des pyramides de Mro, souvent avec laide de mcnes. Le sauvetage des monuments de Nubie fut loccasion de faire venir au Soudan de nombreuses missions archologiques. Quatre ans pour essayer de sauver le patrimoine dun des endroits au monde o les civilisations sont parmi les plus anciennes et se sont succd sans interruption reprsentent un dlai trs court. De nombreuses quipes furent ncessaires. Prs de 21 pays et 30 quipes archologiques ont offert leur aide : britanniques, amricaines, allemandes, espagnoles et mme indiennes, argentines ou ghanennes. Les Franais ont videmment t prsents ds de dbut. Le Soudan tait devenu indpendant en 1956, et les Soudanais dsiraient avoir un Commissioner for Archaeology, un directeur des Antiquits, qui ne soit plus un Anglais. En attendant que des spcialistes soudanais soient forms, on a donc sollicit un Franais, Jean Vercoutter, professeur luniversit de Lille. Cest lui qui a cr la Section Franaise de la Direction des Antiquits du Soudan (SFDAS). Ici, la France jouit dune position privilgie avec ses bureaux au sein-mme du Muse de Khartoum, grce une coopration trs troite avec le Service des Antiquits soudanaises. Ainsi, une grande partie des autorits du Service des Antiquits ont obtenu leur doctorat en archologie luniversit de Lille III. Voil comment la France, aprs avoir longtemps boud le Soudan, est devenue lune des reprsentations archologiques les plus actives dans ce pays. Les temples actuellement conservs dans le jardin du Muse ont t difis une premire fois au temps o les pharaons du Moyen-Empire btissaient dnormes forteresses pour se protger du royaume de Kerma vers 2000 av. J.-C. Ces temples taient destins aux dieux de la cataracte, principalement Khnoum, dieu tte de blier, son pouse Satis et leur fille Anoukis. Mais dautres dieux leur sont associs. Dans les villes de garnison tablies autour de ces diffrentes forteresses, on rigea dabord des sanctuaires en briques. Puis, aprs que les gyptiens eurent ananti le royaume de Kerma, ils reconstruisirent les anciens temples en grs de Nubie. Cest un poncif assez frquent, dans les inscriptions de ddicace des sanctuaires, que les Pharaons se vantent davoir rebti un temple plus solide quil tait du temps de leurs prdcesseurs. Cette reconstruction se fit principalement lpoque o la Nubie fut dfinitivement soumise, sous les rgnes de Thoutmosis II, de son pouse, la fameuse reine Hatchepsout (voir le temple de Bouhen ), et enfin de son successeur Thoutmosis III.3

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    Faras tait la capitale de Nobadia, qui a dabord t un royaume indpendant puis partir du VIIe sicle la province nord du royaume chrtien de Makouria. La cathdrale a t dcouverte dans les annes 1960 par les Polonais, spcialistes, jusqu aujourdhui, de larchologie chrtienne au Soudan. Ils fouillent dsormais plutt vers la capitale de Dongola puisque Faras est sous les eaux. Ont pu tre sauves de lglise ces colonnes de granit (a) qui viennent de la cataracte, puisquil ny a que l quon trouve du granit, plus solide que le grs dans lequel ont t btis les temples de Nubie. De Faras subsistent galement les splendides fresques prsentes au premier tage de la collection permanente du Muse national.

    Colonnes de la cathdrale de Faras

    Le temple dAksha, bti par Ramss II (vers 1250 av. J.-C.) trs prs du Nil, a trop souffert des crues pour quil ait t possible de le sauver en entier. Seuls les restes du mle ouest du pylne qui en marquait lentre ont pu tre transports Khartoum, avec laide financire de la France, alors que les tats-Unis et la Grande-Bretagne avaient financ le transport du vaste temple de Bouhen. Dans la partie conserve dans toute sa hauteur apparat le pharaon adorant le dieu dynastique Amon (b). Ldifice tait consacr cette divinit et

    la statue vivante de Ramss lui-mme et nomm la maison de Ramss en Nubie. Il perptue ainsi la tradition de temples difis en Nubie par des rois en lhonneur de leur propre divinit, commencer par le grand temple jubilaire dAmenhotep II, deux cents ans auparavant, Soleb. Les lments latraux, comme Soleb, dtaillent les nations soumises, ou considres comme telles. Chaque peuple est figur (c) avec ses caractristiques physiques, les mains lies et le torse recouvert dun blason leur nom (en fait la forme stylise dune cit fortifie). Ils sont orients selon leur gographie : lOuest, les Libyens, au Nord les Asiatiques, autrement dit les nations du Proche-Orient, et au Sud les Nubiens, aux traits africains prononcs.

    leur tte apparat un prisonnier affubl du nom de Koush la misrable, o ladjectif traditionnel conjure, trois cents ans plus tard, les guerres difficiles qui avaient oppos lgypte aux redoutables archers de Kerma.

    1 Abri 12

    (c) Reprsentation de peuples soumis

    (b) Pharaon adorant Amon

    Mur du teMple dAkshA

    (a)

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    Ce temple est le mieux conserv de ceux de la 2e cataracte, il tait adoss lune des plus grandes forteresses, celle de Bouhen. Le sanctuaire tait consacr au dieu Horus. On peut lire ds lentre : Horus seigneur de Bhn. Ce temple fait partie de ceux btis par la reine Hatchepsout. Fille de Thoutmosis Ier, son pre ador, elle dcide, en arrivant sur le trne dabattre tous ses monuments pour les rebtir en mieux. Ce zle filial explique que lon nait presque aucun temple de lpoque de Thoutmosis Ie. On sait par ailleurs que les colonnes riges tout autour dun temple sont caractristiques de cette transition entre Thoutmosis Ie et Hatchepsout. Cest le cas ici, on dit de ce plan particulier quil est priptre (a). On le retrouve trs rpandu en Grce, entre autres au Parthnon et dans tous les grands sanctuaires hellniques jusquen Italie du Sud, Paestum par exemple.

    Hatchepsout pouse son frre, Thoutmosis II, qui ne rgne pas trs longtemps, laissant derrire lui une veuve pleine dnergie mais qui ne lui a donn que des filles. Le fils an, aussi appel Thoutmosis et hritier prsomptif, nest pas dHatchepsout mais dune pouse secondaire. Cest donc celui-ci que

    doit revenir le trne, mais Hatchepsout a pris au got au pouvoir et la rgence se transforme en rgne complet : elle se fait reprsenter en roi avec un corps masculin, parfois mme massacrant les ennemis de sa main. Cela durera bien aprs la majorit du jeune Thoutmosis III qui, arriv sur le trne la mort de sa tante et martre, dtruira partout le souvenir de celle-ci. Quand il ne fait pas marteler son image, il dtruit son nom. Vous ne trouverez nulle part dans ces temples le nom dHatchepsout. En regardant bien, vous verrez que le cartouche o se trouve le nom est creus et que lon a regrav le nom de Thoutmosis III sur un nom plus ancien. Il sagit l dun procd trs frquent la 18e dynastie, qui se reproduira dailleurs sous Akhenaton. Lorsquil voudra imposer un seul dieu, ce pharaon effacera partout le nom du dieu Amon. Durant les rgnes suivants, partir de Toutankhamon, cest le nom dAkhenaton qui sera effac. On appelle cela la damnatio memoriae, la condamnation du souvenir en latin. Cette 18e dynastie a connu bien des soubresauts, mme si elle correspond la plus belle et plus puissante priode de lgypte, au sommet de son art et de son influence gopolitique. Entrons. L, seuls les prtres, une fois purifis, totalement rass, les sourcils pils et vtus de lin blanc, pouvaient pntrer. Observez ici le chambranle o se trouvait la porte avec ses deux vantaux et lemplacement des gonds. Larchitecture de ce lieu est assez trange par rapport la plupart des temples gyptiens qui sont gnralement des successions dans un mme axe de pylnes, de salles hypostyles et de salles carres, une disposition quont repris les temples dAmon napatens et mrotiques. Ici, le plan est en colimaon, ce qui est en fait une caractristique des difices construits par larchitecte de la reine, Senenmout. Trs proche de la reine, un graffito un peu indiscret trouv dans la Valle des rois laisse entendre quil tait plus que son architecte.

    3 Temple de Bouhen

    (a)

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    Voil justement la reine. Si vous allez Karnak et que vous contemplez ses oblisques, vous verrez la mme reprsentation du dieu Amon qui procde son couronnement (a). Cest pourquoi elle lui tourne le dos : Amon fixe sur sa nuque la fameuse double couronne des pharaons. Devant elle, se trouve la reprsentation dune divinit, Inmoutef, dieu-tutlaire des princes hritiers. Cest une reprsentation du futur Thoutmosis IIIqui attend son heure ! Et qui sen souviendra, voyez ici comment le cartouche a t aras (b) pour y graver libis de Thot, dbut du nom de Thoutmosis que nous avons ici et qui a remplac le nom dHatchepsout ; parfois il mettra le nom de son pre, Thoutmosis II. Nulle part vous ne trouverez le nom dHatchepsout !

    Lart du temps dHatchepsout est souvent qualifi de fminin, presque tendre. Cest le cas ici (c), o lune des vaches du domaine sacr est en train de lcher son petit veau qui vient de natre et o un petit Nubien, reconnaissable son profil africain, est install dans les grandes cornes en lyre qui rappellent les bufs du Soudan du Sud.

    Vous voici prsent dans le sanctuaire, l ne pouvait pntrer quun prtre par jour. Le matin, il dshabillait la statue du dieu, la lavait, lenduisait dhuiles prcieuses et la rhabillait avec des vtements neufs et des bijoux, avant de se retirer reculons en effaant lempreinte de ses pas. Ici se trouvait une statue du dieu principal Horus. Vous pouvez constater la conservation des pigments, qui nont pourtant jamais t restaurs ! Ils ont parfois un peu vir, le bleu est devenu un peu turquoise, mais en gnral leur tat de fracheur est incroyable. Hatchepsout est reprsente en roi comme son habitude, jamais en femme. Elle est ici (d) face Horus, on a dispos une table avec toutes sortes de pains, des viandes dont une tte de veau, et puis surtout des vases quelle tend au dieu, avec linscription redi irep donner le vin. Cette boisson de luxe fait partie des offrandes principales que le pharaon prsente aux dieux.

    Dans la dernire pice situe derrire le sanctuaire, reprsent sur le mur du fond, apparat le matre des lieux, Horus, sur le seul mur conserv dans toute sa hauteur ou presque (page suivante, (a)). Seule la partie infrieure des textes est conserve. Le cartouche du pharaon auquel il fait face est curieusement non pas celui dHatchepsout regrav au nom de Thoutmosis III, mais au nom de couronnement de son pre (Aakheperener), frre et poux de la reine Hatchepsout. Horus est lanctre mythique de tous les pharaons. Selon les mythes gyptiens, son pre Osiris, qui rgnait sur la terre, avait t assassin par son propre frre Seth, dieu du dsert, et dcoup en morceaux disperss dans toute lgypte. Lpouse (et sur) dOsiris, ayant rcupr tous les fragments,

    (a) Scne du couronnement de Hatchepsout

    (b) Cartouche regrav

    (c)

    (d)

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    les emmaillota, faisant de son corps la premire momie, et lui redonna vie par magie. Elle conut de lui un enfant, Horus, avant quOsiris rejoigne lAu-del dont il devint le souverain. Le dieu Horus figur ici nest pas celui de Bouhen. Bien que la partie suprieure du texte qui le dcrit ait disparu, il reste un signe figurant un fourr de papyrus suivis de deux signes ronds traverss dune croix (le hiroglyphe de la ville). Ce sont les signes qui terminent le nom de Khemmis, la ville mythique du delta du Nil prs de laquelle Isis, aprs la mort dOsiris, a lev son fils Horus dans les fourrs, de manire ce que Seth ne le trouve pas. Quand il est devenu grand, Horus a affront Seth en combat singulier et, layant vaincu, a recouvr lhritage de son pre, le royaume dgypte. Vous pouvez admirer la qualit extraordinaire des hiroglyphes, rehausse videmment par la conservation des pigments. Chaque signe est un petit tableau. Ici, par exemple, est inscrit comme le soleil mi R. La prposition comme, mi (b), est une petite gourde enserre dans une vannerie rouge ou orange sur fond jaune, dont les dtails sont minutieux. On est davantage dans

    une reprsentation de lobjet que dans un hiroglyphe. Regardez galement ce faucon la tte absolument tonnante (c). Dtail amusant : une petite caille de pigment est tombe de lil et le point blanc apparu alors donne finalement un regard vivant au faucon. On distingue clairement les cires, parties cornes autour des yeux qui sont caractristiques du faucon plerin. Voyez galement ce serpent par exemple (d), cest tout simplement le son dj. L encore ce nest plus seulement une lettre, mais une vritable composition : toutes les petites cailles forment des motifs qui ornent son cou et sa tte. Regardez enfin ce poussin de caille (e) (le son w), fidlement reprsent avec son petit duvet juvnile.

    (b) Hiroglyphe de la prposition comme

    (d) Hiroglyphe du son dj(e) Hiroglyphe du son w

    (a)(c) Faucon

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    Sur le mur de gauche apparat le souverain rendant hommage aux divinits de lgypte (a). Malheureusement, les ttes sont ici perdues. On sait o est le dieu parce quil tient le signe de la vie, la croix anse. Le grand public imagine souvent que cest une prfiguration de la croix chrtienne, mais cest simplement un hiroglyphe qui reprsente une lanire de sandale. La boucle enserrait la cheville et les bras sont les courroies attaches la semelle. Cette lanire de sandale se disait ankh en gyptien et le mme mot signifiait aussi la vie. Du coup, par rbus, la lanire de sandale reprsente la vie. Cette utilisation de rbus correspond aux principes gnraux de lcriture gyptienne.

    Par la suite, les vice-rois de Nubie et les Grands de la colonie gyptienne sont chacun venus adorer Horus de Bouhen et ont laiss sur les colonnes de la premire salle des ex-voto plus tardifs, qui sont compltement diffrents en style du reste du temple. gauche de la porte en sortant, sur un registre en hauteur de la premire colonne apparat une scne (b) figurant un prtre nomm Bakour, plac derrire le dieu Horus auquel font face trois autres prtres flabellifres (porteurs dventails). Ce nest pas du tout la mme gravure ou la mme composition qu la XVIIIe dynastie, o fut bti le temple. Nous sommes au temps des Ramss, vers 1200/ 1100 av. J.-C. Regardez les trois prtres qui se suivent : aucun na la mme taille, ni exactement la mme position. Il y a un sens de la composition trs recherch. Les hiroglyphes sont styliss, nerveusement inciss. La scne a beaucoup dallure, mais elle est plus enleve, plus dynamique que les reprsentations du temple. Ce nest pas ce classicisme tendre et immobile du temps dHatchepsout.

    (a) Le pharaon gauche, rendant hommage un dieu, droite, tenant la la croix anse

    (b) Le prtre Bakour, le dieu Horus et trois prtres flabellifres (de gauche droite)

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    Trois monuments sont rassembls sous cet abri. Celui de droite est un relief rupestre. Il ne sagit pas vraiment au premier abord dun chef duvre de lart gyptien ou mme koushite. La gravure est maladroite, presque enfantine. Pourtant, cest un des tmoignages historiques les plus importants conservs au Muse de Khartoum. Linscription vient de la falaise du Gebel Cheikh Suleiman. Elle en a t dtache parce quil sagit dun graffito extrmement archaque. Les gyptiens en sont leurs dbuts dans le bas-relief, ils ne sont pas encore aussi habiles quils le deviendront par la suite. Ce graffito date de la fin du IVe millnaire av. J.-C., donc des tout premiers pharaons, peut-tre plus prcisment du troisime des rois de la premire dynastie, dont le nom devait figurer ici. Malheureusement le cartouche est dtruit, on voit simplement laile dHorus le dieu-faucon, ainsi quune faade de palais juste en dessous. Il pourrait sagir du pharaon Djer, de la premire dynastie, vers 3100 av. J.-C. Le faucon surmontant le cartouche royal tient au bout dune corde un

    4relief du Gebel sheikh suleiMAn

    Abri 2 ennemi aux bras attachs dans le dos tandis que des cadavres dcapits ont t jets dans le Nil, certains percs de flches. On voit galement en bas de la scne le signe hiroglyphique de la ville (ce nest pas une roue !) avec une enceinte circulaire et les deux rues principales, qui dsigne les principauts conquises. Un petit hiroglyphe situ au-dessus dsigne chaque cit, mais lon nest pas capable de les replacer sur une carte : nous avons trop peu de rfrences. On a affaire ici la description de la premire guerre connue entre les gyptiens et un peuple soudanais, probablement ceux quon appelle le Groupe A, que les gyptiens vont totalement anantir. Cette gravure rupestre provient de la 2e cataracte, cest l une des frontires les plus anciennes au monde, o les conflits entre les deux pays ont commenc il y a dj 5000 ans. Cette frontire va rester quasiment inchange jusquaujourdhui, et lanimosit entre lgypte et le Soudan ne sest jamais dmentie mme si elle saccompagne dune certaine admiration des gyptiens pour la probit et la valeur des Soudanais, et des Soudanais pour le raffinement de la civilisation gyptienne. Derrire le muse, la rue qui longe lambassade dgypte a reu le nom de Taharqo (Shara Tirhaka), cest dire lun des pharaons soudanais ayant rgn sur lgypte et le Soudan. On se souvient quen Angleterre, avant lEurostar, les Franais arrivaient en train la gare de Waterloo. Cest un peu la mme ironie

    (a) Scne rupestre

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    proximit du temple de Semna bti sous Hatchepsout et Thoutmosis III, le pharaon koushite Taharqo (appel aussi, moins correctement, Taharqa) a fait construire vers 700 av. J.-C. un temple de briques et de grs dont il ne reste que ces deux lments en pierre. Cette pierre rectangulaire servait de reposoir pour la barque sacre (a). On appelle souvent ce bloc sculpt un naos par mtonymie, car la barque contenait effectivement un coffre o tait enferme la statue de culte et qui porte le nom de naos (sanctuaire en grec). Linscription honore Ssostris III divinis : Le roi de Haute et Basse-gypte, Taharqo, quil vive ternellement, a fait son monument pour le dieu bon, Khakaour (nom de couronnement de Ssostris III), son pre qui laime. Le temple de Taharqo tait donc, comme celui de ses prdcesseurs, consacr au souverain divinis. Cest une ironie de lhistoire que Ssostris III, le conqurant de la Nubie (au moins jusqu la 2e cataracte) au XXe sicle av. J.-C., celui qui dcrit dans ses stles les habitants de Koush comme des guerriers lches au cur bris, reoive lhommage dun roi descendant des chefs qui ont affront les gyptiens. Mais les pharaons koushites ont intgr totalement lide quils sont les successeurs lgitimes (et pourquoi pas les descendants, donc ?) des grands rois qui ont fait la gloire de lgypte. Ils en ont fait clairement un outil de propagande pour lgitimer leur pouvoir sur lensemble de la valle du Nil. tant donn le peu de connaissance du pass lointain que lon pouvait avoir lpoque, lexception de quelques scribes de haut vol peut-tre, il nest pas impossible que cette filiation mythique ait t crue par les rois eux-mmes. Cest la mme idologie royale qui prside la figure du souverain sur le portique du temple, llment le plus gauche sous labri (b). Bien que les reliefs ne soient pas des plus habiles, on admirera la figure de Taharqo (c), qui arbore deux grands cobras (uraei) sur la calotte, typique des pharaons noirs, qui enserre sa tte. Lun porte la couronne blanche de Haute-gypte, lautre la couronne rouge de Basse-gypte. Mais en fait, il sagit dune duplication du royaume de Taharqo, car ces deux cobras symbolisent aussi et surtout la dualit de sa domination de lgypte et de Koush. Le reste du temple na pu tre sauv, comme toutes les constructions en briques de la zone submerge par le lac de Nubie, dont, hlas, les forteresses elles-mmes, qui taient un des chefs-duvre de larchitecture militaire mondiale, au mme titre que le mur dHadrien ou la Muraille de Chine.

    portique de tAhArqo seMnA etreposoir de bArque

    (b) (c)

    (a)

  • 32 33

    Temple de Semna-Ouest5 La faade du temple (a) a la particularit davoir t grave de reliefs plusieurs poques, expliquant que ceux-ci soient compltement dcoups, si bien que cest plus de 600 ans dhistoire de la Nubie qui sy sont superposs. Le temple a en effet t reconstruit sous Thoutmosis III, vers 1450 av. J.-C. De ce rgne datent la scne du haut et lex-voto du vice-roi de Koush Seni, en bas gauche. lpoque de Ramss III, vers 1170 av. J.-C., le vice-roi Hori sest fait reprsenter en bas droite. Enfin, sans doute au dbut de lpoque koushite (vers 800 av. J.-C.), une inscription, consacre la reine dfunte Karimala, a t superpose, accompagnant la reprsentation de la souveraine. Les hiroglyphes sont assez frustes et le contenu est nigmatique, juxtaposant des lments historiques qui restent obscurs et des considrations philosophiques assez acrobatiques (celui qui fait le bien fait le mal , par exemple). Une nouvelle interprtation de cette inscription curieuse a rcemment t propose par Philippe Colombert, un spcialiste franais de lgyptien tardif. Le temple de Semna est ddi deux divinits, le dieu Ddoun, dune part, assez rare, qui est toujours reprsent comme un homme et dpourvu de couronne. Ici comme Koumma, il est dcrit comme celui qui prside la Terre de lArc, cest-dire la Nubie. Le deuxime dieu nest autre Ssostris III divinis, le pharaon qui a fait difier lessentiel de ces fameuses forteresses, sest battu de nombreuses fois contre le royaume de Kerma, et qui du coup a t adopt localement par les gyptiens dans un premier temps. Bizarrement, il est galement adopt par les Koushites par la suite, alors quils descendent des mmes tribus contre lesquelles les gyptiens se sont battus.

    (a) Faade du temple de Semna

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    Dans la longue salle du sanctuaire trne encore la statue de Ssostris III (a). Les murs figurent la procession, en barque, de son effigie enferme dans un naos (b). Le roi dfunt est en costume de jubil, coiff de la haute couronne blanche et le corps enserr dans un manteau couvrant. Bien quexcute par des artistes du Nouvel Empire, six sicle aprs son rgne, cette reprsentation dpoque est justement celle quaffectait les souverains de la XIIe dynastie. Sur la gauche du sanctuaire, une ouverture donne sur un portique aux hiroglyphes magnifiques. Le texte qui figure en haut (c), au nom de Thoutmosis III, nous indique quil a fait ce monument pour son pre le roi de Haute et Basse-gypte, Khakaour (nom de couronnement de Ssostris III) afin quil lui donne la vie jamais. Curieusement, le titre royal a t martel. On admirera particulirement sur le montant du portique la gravure impeccable du scarabe dans le prnom de Thoutmosis III (d), Menkheperr. Reprsentant le terme kheper transformation, ce hiroglyphe figure le bousier. Les premiers gyptiens avaient t frapps par le spectacle de cet insecte roulant des boules de bouse o ils injectent leurs ufs. Ctait pour eux limage du soleil, pouss dans le ciel par un invisible scarabe gant, le dieu Khpri.

    (a) Statue de Ssostris III

    (b) Procession en barque de leffigie de Ssostris III dans un naos

    (c) Inscription du linteau extrieur, au centre : le titre royal martel

    (d) Montant de pilier droit, prnom de Thoutmosis III (Menkheperr)

  • 36 37

    La statue de grenouille qui ferme le bassin au Sud (c) est dpoque mrotique. Une autre ferme le bassin au Nord. Elles proviennent du complexe de Basa lest de Mro, dont on reparlera propos des lions de lentre monumentale de la salle dexposition. Elles reprsentent Heket, la desse grenouille des gyptiens, une des divinits qui participaient la protection des femmes en couche et des enfants venant de natre. Cest une desse des eaux, lie au liquide amniotique.

    7 Grenouilles de Basa lpoque du Moyen Empire, au niveau de la 2e cataracte, les nobles gyptiens des villes de garnison ont faire inscrire leurs diffrents titres ou leur biographie (a) sur les falaises des alentours. Les fragments de parois inscrits ont t rcuprs au moment du sauvetage des sites de Nubie et ont t intgrs trs rcemment ces rochers factices, qui finalement avec quelques annes de patine, prsentent bien. Il ny a pas si longtemps, cette zone du Muse tait une friche dsertique. Grce un rare mcnat dune entreprise soudanaise, DAL, des jardins ont pu tre amnags, o la mme compagnie a galement financ linstallation des blocs inscrits. Parmi les inscriptions biographiques, on trouve aussi des tmoignages de la hauteur atteinte par la crue, ou nilomtres. Ce nilomtre porte une inscription (b) rdige en gyptien avec une graphie peu habile. On y distingue les symboles du jonc et de labeille, reprsentant la royaut sur la Haute et la Basse-gypte, ct desquels est inscrit le nom dune reine du Moyen-Empire, Nfrousobek, une des rares femmes avoir gouvern lgypte et dont le rgne, qui clt la XIIe dynastie, est assez mal connu.

    Rochers inscrits6

    (a) Inscription biographique de notable gyptien

    (b) Nilomtre

    (c)

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    Ce premier temple de Basse Nubie soudanaise, le seul conserv de la rive orientale, est ddi au dieu Khnoum, dieu associ la cration et matre des cataractes. Son principal lieu de culte tait dailleurs lphantine, sur la 1re cataracte. La cour dentre du temple de Koumma a aujourdhui disparu et on pntre donc directement dans la seconde salle, soutenue de deux colonnes. Face au visiteur, le dieu Khnoum apparat sur la faade, accueillant le pharaon dans son sanctuaire. Il est reprsent avec une tte de blier de type archaque, dont les cornes se dploient horizontalement. Ses mains tiennent le signe de leau (une vaguelette) quil fournit lgypte. Associ au limon de la crue, cest aussi un dieu-potier qui a model les premiers humains. Son nom scrit dailleurs en hiroglyphes avec un vase dargile. Le roi lui est amen par un autre dieu, Dedoun (voir temple de Semna ), figur dans une posture acrobatique puisque sa tte est retourne vers le souverain et sa main tendue vers lui, offrant la croix anse, signe de la vie, tandis que le bas de son corps fait face Khnoum, en sens inverse.

    Au-dessus de cette scne, sous la gorge de la faade, des visiteurs ont grav leurs noms. On remarquera celui de Pierre Letorzec, le dessinateur lorientais qui accompagna Frdric Cailliaud en 1820/21.

    Temple de Koumma8

    5

    (a) De gauche droite, le roi, le dieu Ddoun marchant vers le dieu Khnoum qui porte le signe de leau dans la main gauche

    (c) Face extrieure du linteau de la porte

    On accde aux salles suivantes par une porte dont le linteau arbore lextrieur le cartouche de Thoutmosis II et lintrieur celui de son fils Thoutmosis III. La mention aim de Khnoum de Itjenou-Pedjout qui laccompagne nous livre le nom ancien de Koumma : Itjenou-Pedjout celle qui repousse les arcs, allusion claire aux archers de Kerma. Cest lorigine le nom de la forteresse rige cet endroit par le pharaon Ssostris III, vers 1850 av. J.-C.

    (b) Gravure de Letorzec

  • 40 41

    (c) Le dieu Khnoum asperg deau lustrale

    (a) Thoutmosis III et Ssostris III assis prs de Khnoum

    (b) Thoutmosis III accourant auprs de Hathor

    La porte souvre sur deux salles contigus. Sur le mur de la premire ( droite), on distingue deux pharaons assis auprs de Khnoum. Lun est Thoutmosis III, le roi vivant. Il reoit le signe de vie (la croix anse) de son lointain prdcesseur, Ssostris III, qui rgnait 400 ans avant lui et qui a t considr par la suite comme une sorte de saint patron de la Nubie. Ce roi dfunt est donc une divinit invite dans le temple de Khnoum. Sur le mur principal de la salle de gauche, le mme Thoutmosis III accourt grandes enjambes auprs de la desse Hathor, qui il offre un vanneau, symbole du peuple gyptien, et dont il reoit un collier en signe de victoire.

    Une nouvelle porte droite ouvre sur le sanctuaire du dieu Khnoum. Deux petites salles annexes ont partiellement conserv les couleurs originales de scnes de culte effectues par le pharaon Amnophis II. Le roi est en gypte le seul desservant lgitime des dieux. Tout culte seffectue en son nom par les prtres qui ne sont que ses substituts. Dans les chambres, sur les parois de gauche, le dieu Khnoum est habill par le souverain. Sur celles de droite, il est baign par une eau lustrale (c). Ces deux oprations font partie des rites qui, chaque matin, taient effectus sur la statue de culte de la divinit.

  • Face aux colosses de Tabo, se dresse un curieux tumulus moderne. Cest l quont t installes, aprs dmontage, les parois de la tombe de Djhouty-hotep, qui tait creuse dans la falaise du Gebel Dabarosa, une vingtaine de kilomtres au sud de lactuelle frontire avec lgypte. Chef de la principaut de Teh-khet qui stendait de part et dautre de la 2e cataracte, Djhouty-Hotep appartenait cette aristocratie locale que la colonisation gyptienne a laisse en place, tout en exerant sur elle un strict contrle et en lui imposant un tribut annuel. Fortement acculturs jusqu adopter des noms gyptiens, ces chefs se sont fait construire des tombes amnages par des artistes venus dgypte. Les fresques de la spulture de Djhouty-hotep, qui datent du rgne dHatchepsout vers 1460 av. J.-C., montrent ainsi le matre dans les activits quotidiennes dun noble gyptien, inspectant ses vergers ou, comme ici, participant un banquet (a) qui aurait pu aussi bien se tenir dans la rgion de Thbes.

    Tombe de Djhouty-Hotep9

    42 43

    Colosses de Tabo10 Les premires statues grecques sont figures dans cette marche arrte, emprunte la statuaire gyptienne, et qui est systmatique pour les reprsentations des pharaons. Ces deux colosses ont t retrouvs inachevs : lun tait bris, voyez la cassure (page suivante, (c)) et lautre na jamais t rig (ci-dessous). Ils viennent de Tabo, aujourdhui un petit site oubli des touristes, situ dans lle dArgo, au sud de Kerma. Mais dans lAntiquit, il abritait un grand temple construit par le pharaon Taharqo. Le sanctuaire perdure lpoque mrotique grce un couple de btisseurs extraordinaires, le roi Natakamani et la reine Amanitore, probablement non pas son pouse mais plutt sa mre. Ce sont eux qui vous accueilleront si vous allez Naga, sur le temple ddi au dieu Apdmak, o lon voit dun ct du pylne le roi Natakamani en train doccire les ennemis de son glaive, et de lautre ct Amanitore, la mre du roi, la Candace, (Kandak, en mrotique), une matresse-femme aux rondeurs panouies qui saisit une poigne dennemis et les tient en respect avec son arme la main. Ces deux corgents ont reconstruit, entre autres, le temple de Tabo, et il est assez possible que les colosses datent de cette poque, mais on ne peut en tre srs: comme ils nont jamais t achevs, les noms royaux ne figurent pas sur les statues, o ils sont gnralement inscrits en hiroglyphes sur le pilier dorsal. Ces colosses ont t rcemment tudis par Vincent Rondot, ancien directeur

    (a) Scne de banquet de la tombe de Djehouty-Hotep

  • de la SFDAS. Selon lui, ils sont empreints de linfluence de lgypte romaine. Regardez le nud qui ferme le pagne, plutt romain et hellnistique, et surtout la couronne traditionnelle, le pschent, symbolisant lunion des deux gyptes: celle de la statue de gauche porte une couronne de lauriers et une toile, ce qui nest absolument pas gyptien. La couronne de lauriers est videmment grecque, hellnistique et romaine. Cette couronne de lauriers et cette toile se retrouvent sur les portraits du Fayoum, des tableaux peints lencaustique reprsentant les gyptiens dpoque romaine qui sont fixs sur le vrai visage des momie. Ils portent cette couronne de lauriers, symbole du triomphe, pour avoir pass victorieusement les preuves qui attendent tout gyptien et tout Koushite dans lau-del. On pense surtout la pese de lme, qui permet de dterminer lquit du dfunt. Cette couronne est un signe que lon trouve chez les morts glorifis. Selon cette thorie, la statue de gauche serait donc celle du pre du pharaon, dj dcd et justifi, tandis que celle de droite serait le pharaon lui-mme, peut-tre Natakamani.

    44 45

    Il est accompagn du futur pharaon reprsent en Horus lenfant (en gyptien Har-pa-khered, do le grec Harpocrate), et qui est toujours reprsent comme les petits princes gyptiens, avec le crne ras, lexception dune grande mche tresse qui retombe sur lpaule, et suant son pouce. Malheureusement, il ny a pas dinscription qui nous permette de dire quelle priode ils appartiennent. Ils sont clairement mrotiques mais sagit-il de lpoque de Natakamani, vers 60 de notre re, la mme poque que lempereur Nron Rome, dune priode plus ancienne ou plus rcente ? On ne saurait le dire.

    (a) Couronne de lauriers du colosse de gauche (b) Le futur pharaon au pied du colosse de droite

    (c) Colosse de droite

  • Alle monumentale11

    Lalle qui mne aux salles dexposition est inspire des alles monumentales (ou dromoi, sing. dromos) des temples dAmon, flanques de statues impressionnantes. Elle dbute par deux statues de blier dpoque mrotique. Celle de gauche est lune des toutes premires pices tre entres dans les collections archologiques du Soudan. On dit en effet que ce blier fut rapport des ruines de la cathdrale de Soba o il avait t dcouvert, jusquaux jardins du gouverneur de Khartoum au temps de Gordon Pacha, vers 1880. Linscription mrotique quil porte fut la premire tre rpertorie. Elle a livr le nom incomplet dun roi de Mro appel []reqerem. Le dbut du cartouche, sur le devant de la statue, est en effet dtruit. En 1999, des fouilles franaises diriges par Vincent Rondot, ex-directeur de la SFDAS, ont commenc el-Hassa (ou Giblab) 40 km au sud de Mro. Ces fouilles ont dgag un temple dAmon, prcd dune alle de bliers, lanimal qui reprsente le dieu Amon au Soudan ancien (a). Cinq de ces bliers ont pu tre dgags. Ils ressemblent fortement celui de Soba, mais surtout portent tous le nom dAmon de Tabakha. Tabakha dsigne donc el-Hassa en mrotique. Or, on le retrouve sur la statue de Soba. La conclusion, toute surprenante quelle soit, est que le blier de Soba a t amen depuis el-Hassa, sans doute par le Nil puis le Nil Bleu, jusqu la

    cathdrale de Soba, plus de deux cents kilomtres au Sud. Cette rutilisation lpoque chrtienne, peut-tre comme agneau mystique reprsentant le Christ, explique peut-tre que lon ait partout aras la figure du roi debout entre les pattes de lanimal. De plus, ces nouveaux bliers portaient cette fois-ci le nom du roi en entier, Amanakhareqerem, qui rgnait vers 90 av. J.-C. Paralllement, lquipe allemande de Muse de Berlin sous la direction de Dietrich Wildung exhumait Naga un temple consacr par le mme souverain.

    bliers Mrotiques

    Ainsi, en quelques annes, ce monarque oubli dont le nom ntait connu qu moiti est devenu lun des grands btisseurs du royaume de Mro.Les deux bliers ont t runis en 2003 aprs plus dun millnaire de sparation. Linscription quils portent (b), en partie dtriore, est toutefois la mme. Elle offre la particularit dtre un texte grossirement bilingue. Autour du cartouche apparaissent les mentions en hiroglyphes gyptiens: roi de Haute et Basse-gypte et quil vive ternellement, tandis que le texte mrotique qui court sur les autres cts de lanimal, comme le cartouche lui-mme, sont en hiroglyphes mrotiques et proclament Amon de Tabakha, donne la vie au roi aim dAmon, Amanakhareqerem. Le texte mrotique est plus long car lcriture est purement phontique, alors que lgyptien est un systme mixte, o un signe correspond souvent un mot. On observera que les signes gyptiens et mrotiques ne scrivent pas dans le mme sens. En gyptien, les animaux (ici labeille et le serpent) et les personnages ont la tte oriente vers le dbut de la ligne, ici vers la gauche, tandis quen mrotique (chouette, personnages humains, blier, oie) ils regardent vers la fin de la ligne gauche, ici en direction de la droite.

    46 47

    (a)

    (b) Inscription en gyptien et mrotique sur le blier de droite

  • Alle monumentale12

    Lalle monumentale se poursuit par six statues (a) de lion en grs ferrugineux, de couleur sombre. Ces lions ont t trouvs, comme les statues de grenouilles prcdemment cites, Basa, au sud-est de Mro. Elles reprsentent la divinit principale du panthon local, le dieu lion, Apdmak, tandis quAmon est le dieu principal du panthon emprunt lgypte. Apdmak est la fois un dieu-crateur (cest le sens littral de son nom en mrotique), qui a par exemple apport le sorgho Mro, mais aussi un dieu de la guerre qui est capable comme ce lion dit androphage (mangeur dhomme) de dvorer les ennemis du roi. Cette statue a t transporte au Muse du Louvre pour lexposition 2010, Mro, un empire sur le Nil. Les lions de Basa sont dpoque mrotique classique, au dbut du Ie sicle apr. J.-C., comme latteste linscription de deux cartouches sur le premier droite, clbrant le roi Amanakhabal, trois fois vivant.

    lions de bAsA Les Mrotes ont imit, dans les statues de bliers qui ornent leurs temples au dieu Amon, des modles gyptiens. Amenhotep III en avait dj plac vers 1370 av. J.-C. lentre du temple de Soleb. Les rois de Koush en avaient transport plusieurs depuis Soleb jusquau grand temple du Gebel Barkal, o lon peut encore les voir aujourdhui. Les deux statues qui ornent les escaliers dentre aux salles dexposition (b) sont plus tardives et merveilleusement conserves parce quelles proviennent dun temple, celui de Kawa, prs de Old Dongola, qui a t retrouv enseveli sous le sable. Les premiers archologues anglais ont dailleurs d se battre contre ce sable qui en une seule nuit, pouvait recouvrir les fouilles de la veille. Le phnomne est ancien puisque nous possdons la stle de conscration du roi Taharqo (vers 680 av. J.-C.) qui nous raconte lhistoire suivante. Elle se passe durant lpoque des pharaons noirs (XXVe dynastie) o les monarques soudanais rgnaient aussi sur lgypte. Le pharaon tait alors Shabataqo et rgnait depuis Memphis en gypte. Taharqo, son jeune cousin, avait t lev Napata, le fief ancestral de la dynastie. Les rgles de succession complexes de ces souverains faisaient de lui un potentiel hritier, mais laffaire ntait pas assure, comme nous allons le voir. Alors que Taharqo atteignait sa vingtime anne, le roi lappela en renfort auprs de lui en gypte. Lheure tait venue de montrer sa valeur. la tte dun rgiment de jeunes recrues, il prit la route pour le long et prilleux voyage de plus de 1200

    Alle monumentale13bliers de kAwA

    48 49

    (a)

    (b)

  • kilomtres qui sparait Napata de Memphis. Passant par Kawa, il constata avec tristesse que le temple dAmon, construit sous la colonisation gyptienne, tait enfoui sous le sable, au point que le toit tait en partie recouvert de vgtation. Il fit alors un vu. Si le dieu permettait un jour quil montt sur le trne, il ferait rebtir son temple Kawa et lornerait de faon magnifique. Son vu fut exauc et il succda douze ans plus tard son cousin sur le trne dgypte et de Nubie. Respectant les termes du contrat pass avec Amon, il envoya Kawa les meilleurs artisans de Memphis pour construire un temple magnifique. Les bliers (a) que nous voyons ici sont en effet sculpts dans la pure tradition gyptienne, une diffrence prs. Taharqo (b), debout entre les pattes du blier, porte une coiffe orne de deux cobras dresss sur son front et non dun seul, comme les rois dgypte. Lun des deux serpents reprsente son pouvoir sur Koush, lautre la domination sur lgypte. Si vos pas vous amnent un jour Oxford, allez visiter lAshmoleum Museum. L, remplissant une grande salle, vous pourrez voir le sanctuaire du temple dAmon, transport depuis Kawa et lui aussi en superbe tat de conservation.

    50 51

    (b) Taharqo et sa coiffe deux cobras

    (blier de gauche)(a) Blier de droite

  • 52 53

    Salle dexposition

  • 14

    Avant de parcourir les vitrines thmatiques du rez-de-chausse, disposes dans lordre chronologique dans le sens des aiguilles dune montre, saluons le constructeur de Kawa, le pharaon Taharqo, dont la statue se dresse face lentre de la premire salle. Elle provient de Napata et a t rcupre par larchologue George Reisner avec plusieurs autres dans une des deux fosses o les prtres les avaient pieusement ensevelies aprs le sac de la ville par les troupes gyptiennes de Psammtique II en 591 av. J.-C. Cest pour cette raison que vous voyez les traces de cassures. La couronne qui tait pourvue de quatre grandes plumes est devenue une construction psychdlique et beaucoup dlments ont t intentionnellement briss, par exemple le nez qui reoit des dieux le souffle de vie. Un des deux cobras a t attaqu, celui qui reprsente lgypte, puisque les gyptiens de la XXVIe dynastie nacceptaient pas la domination que les pharaons noirs avaient pourtant exerc sur eux pendant prs de 70 ans. Le nom de Taharqo figure non seulement sur sa ceinture mais galement sur le pilier dorsal invisible le long du mur. La statue a t ralise en granit des cataractes. Le corps tait enduit dune patine noire et toutes les parties piquetes, les sandales, les bracelets, le pagne, la couronne et les pupilles taient couvertes de stuc sur lequel tait applique une feuille dor. Cette statue de 3 mtres tait entirement noir et or et devait dgager un puissant magntisme visuel. Elle a t ralise par des artisans gyptiens, probablement venus de Memphis, comme les artisans qui ont ralis le temple de Kawa (voir ci-dessus). Selon la tradition gyptienne, le roi pitine les 9 arcs briss qui sont les emblmes des ennemis de lgypte. Or la Terre de lArc, cest le Soudan, rput pour la qualit de ses archers ! En fait, lorigine, ce geste symbolisait la victoire sur les ennemis nubiens. Mais, sous la XXVe dynastie, ce sont les descendants de ces ennemis qui exercent le pouvoir en gypte par un retournement inattendu de la situation. Taharqo tient dailleurs dans sa main une sorte de rouleau, ltui mks, qui contient le papyrus par lequel Osiris lgue aux pharaons le pouvoir sur lgypte. Cest donc le titre de proprit de lgypte quil enserre dans ses poings. Les successeurs napatens de Taharqo sont galement figurs de cette faon et lon comprend ds lors la fureur des gyptiens de la XXVIe dynastie face de telles statues. Heureusement, les troupes gyptiennes, en grande partie composes de mercenaires grecs,

    repartirent rapidement au nord, non sans avoir ravag les villes koushites. En 2003, une fosse contenant sept statues trs semblables celles de Napata a t trouve dans le temple dAmon Doukki Gel, prs de Kerma, par larchologue suisse Charles Bonnet. Comme Napata, le premier souverain reprsent est Taharqo et le dernier le jeune Aspelta, durant le rgne duquel lexpdition de Psammtique II sest droule. Remontes, ces sept statues font lorgueil du Muse de Kerma qui a t construit pour les abriter.

    Statue colossale de Taharqo

    54 55

  • Lpoque nolithique au Soudan connat des cultures dj brillantes, o notamment la poterie, vers 5000-4000 av. J.-C., est techniquement suprieure ce qui peut exister en gypte cette poque-l. On admirera ces figures gomtriques, dont limpression est mise en valeur par lutilisation de pigments blancs (a). Ces petits vases prsentent des formes trs varies, des motifs trs imaginatifs. Mais il faut dire que les potiers de cette poque possdent dj un savoir-faire prouv puisque le Soudan, avec une apparition de la cramique ds le IXe millnaire, est lun des premiers endroits du monde o elle est atteste (8300 av. J.-C. sur le site de Boucharia prs de Kerma, fouill par Matthieu Honegger). Le got pour labstraction se retrouve dans ces deux figures fminines tailles dans un beau grs lit (b et c). Les veines sombres du grs ont t habilement exploites par lartiste pour confrer du relief aux formes trs stylises des statuettes. Les yeux et le nez sont juste esquisss sous forme de deux lignes perpendiculaires incises. Comme la plupart des cramiques prsentes dans cette vitrine, elles ont t trouves Kadrouka, au sud de Kerma, par lquipe franaise du directeur de la SFDAS dans les annes 1990, Jacques Reinold.

    Nolithique15

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    Le Groupe-C16

    Succdent cette poque nolithique, au dbut de la priode historique, deux cultures contemporaines, lune modeste, le Groupe-C, lautre prestigieuse, le royaume de Kerma. Le Groupe-C, limit au nord de la Nubie, apparat vers 2500 av. J.-C. et se fond dans le royaume de Kerma lors de son expansion vers le Nord. Le Groupe-C est form dleveurs, qui attachent tellement dimportance leurs troupeaux quils se font enterrer avec des centaines de reprsentations en argile de leurs btes (d). Certaines statuettes de bliers portent sur la tte cette sphre dargile piquete de petits trous qui accueillaient des plumes dautruche. On retrouve dailleurs la mme coutume, mais cette fois avec de rels bliers, dans les sacrifices funraires de Kerma, plus au sud. Cette tradition rappelle les bliers dits sphrode reprsents dans lart rupestre du Sahara, jusquau Tassili. Ces peuples sans doute venus assez peu de temps auparavant des savanes sches du Kordofan jusquau Nil, possdent une culture qui prsente des traits communs avec les civilisations disparues du Sahara ancien.

    (a) (b) (c)

    (d)

  • Le royaume de Kerma se dveloppe partir de 2500 av. J.-C. partir dun gros village tabli quelques 700 ans auparavant, dit Pr-Kerma. Il semble quavec la dessiccation du Sahara vers le milieu du IIIe millnaire, les tribus du dsert occidental se sont rfugies dans le bassin de Kerma, un des endroits les plus fertiles de Nubie, et se soient confdres autour des habitants de Pr-Kerma. Petit petit, cest un royaume puissant qui se dveloppe et gagne des territoires. Les souverains sont inhums sous des tumuli qui, lpoque finale, atteignent des dimensions colossales : les derniers font plus de 100 m de diamtre et comportent des appartements centraux. Ce sont de grandes constructions en briques avec plusieurs chambres et magasins. Le long des couloirs, on a retrouv jusqu 220 personnes de la cour, sacrifies pour servir leur matre dans lau-del. Ces morts daccompagnement sont connus dans beaucoup de civilisations, par exemple Sumer, mais les gyptiens ont fait de mme lors des toutes premires dynasties.Voil un lit funraire sur lequel tait allong le roi dfunt de Kerma, non pas momifi dans un cercueil mais entour dune couverture de cuir et en position ftale, les jambes replies. La couverture tait la plupart du temps incruste de petits motifs en mica ou en ivoire.

    Kerma: Lit funraire17

    58 59

    Ces incrustations sont prsentes ici. Elles figurent soit des lments typiquement soudanais comme par exemple ces petites pintades, ces plicans au milieu, et ces palmiers-doum styliss, ou alors imitent des reprsentations gyptiennes comme ces deux mouches ou la desse Thoueris tte dhippopotame, protectrice des femmes en couche.

    Kerma: Incrustations18

  • Dans les arts cramiques, on perptue la trs belle tradition locale existant depuis le Nolithique. Des contenants trs inventifs imitent par exemple les maisons des particuliers, des cases multicolores typiquement africaines (a). Cette cruche (b) possde un bec en forme de tte dhippopotame, cet autre rcipient a t model la ressemblance dune autruche (c). Dautres formes sont beaucoup plus stylises comme ces gobelets en forme de tulipe (d), qui reprennent une tradition plurimillnaire mais font preuve dune matrise incroyable des techniques de cuisson.

    Ces petits vases aux teintes noire et rouge autour dune bande irise datent peu prs de 1600 av. J.-C., cest ce quon appelle le Kerma Classique. Ce sont des gobelets extraordinairement fins, polis avec un galet et dont les teintes sont dues, non des pigments, mais lutilisation de cendres de plantes particulires et de cuissons trs contrles. Ce sont des chefs duvre dans lhistoire de la cramique mondiale. Mme les fragments qui jonchaient les sites par centaines sont magnifiques, tel point quon nen trouve plus beaucoup car les touristes les ont ramasss depuis une dizaine dannes.

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    Kerma: Les arts cramiques19 Toujours venant de Kerma, ces scarabes gyptiens portant les noms de rois hykss nous apportent la preuve de relations intenses entre le royaume hykss du nord (XVIe dynastie) et le royaume de Kerma, pour prendre en tenailles le pouvoir gyptien qui continuait exister simultanment dans la rgion de Thbes (XVIIe dynastie). On connat mme un des pisodes de cette diplomatie secrte durant le rgne du dernier roi de la XVIIe dynastie, Kamosis, le frre du premier roi de la XVIIIe dynastie, Ahmosis.Dans une stle retrouve Karnak en 1954, on raconte que ses soldats ont saisi dans les oasis du dsert louest du Nil un envoy du roi des Hykss qui essayait de gagner Kerma par le dsert pour viter le royaume gyptien. On connat la teneur de la lettre saisie sur le messager, lettre rdige en gyptien, puisque ni les Hykss ni les Kermates navaient dcriture propre. Cette lettre propose une alliance entre le roi des Hykss et le nouveau roi de Kerma, qui vient de monter sur le trne, pour anantir les gyptiens en les attaquant par le Nord et le Sud. Finalement, comme nous lavons vu en introduction, ces plans seront vains et seul le royaume indigne gyptien survivra aprs avoir ananti ses deux rivaux.

    20 Le royaume de Kerma

    (a) (b)

    (c) (d)

  • Ces objets-l sont totalement gyptiens parce quils viennent des garnisons installes sur les forteresses gyptiennes du Moyen Empire (voir ci-dessus introduction), o, au Nouvel Empire, les pharaons btiront ces temples quon a vus dans le jardin, Semna, Kumma et Bouhen. Beaucoup dobjets viennent de Mirgissa, une autre forteresse qui a t fouille par les Franais de luniversit de Lille. Il sagit de pices typiquement gyptiennes, commencer par ces vases taills dans un bloc de calcite (souvent appele tort albtre). Depuis les temps protohistoriques, les gyptiens excellaient dans lart de faire des vases parfaits partir de pierre souvent dune duret incroyable, en y employant simplement beaucoup de temps et dadresse. Ces rcipients servaient en gnral conserver des huiles parfumes et des onguents. Dans ces colonies gyptiennes, on pratique la momification o lhuile parfume et les onguents jouent un rle trs important.

    21 Domination gyptienne Les garnisons de la seconde cataracte protgeaient lgypte contre les incursions des Nubiens, mais elles scurisaient aussi une rgion riche en or, situe lest du Nil, entre deux petits affluents du Nil le plus souvent sec, le Wadi Gabgaba et le Wadi Allaqi. Lors de la colonisation complte de la Nubie sous le Nouvel Empire, cest de cette partie de la province de Ouaouat (Basse Nubie) que proviendra la plus grande partie de lor utilis en gypte. Lexploitation du minerai tait difficile : sous des tempratures torrides, dans un dsert o seuls quelques rares puits profonds fournissaient de leau, il fallait broyer le quartz aurifre, charger sur des caravanes dnes la poussire obtenue et parcourir la longue distance qui sparait les mines du fleuve afin dy laver le minerai et en extraire le prcieux mtal. Le matriel pour peser cet or au Moyen Empire consistait en balances composites, dont on voit un exemplaire ici, rduit au pilier central en bois peint et aux deux plateaux de cuivre. Des poids spcifiques taills dans la pierre figurent ct. Chacun comporte lhiroglyphe de lor (un collier) et un certain nombre de traits qui reprsentent chacun une unit. En gnral, on utilisait le kite (9 g) et le deben (90 g), mais il na pas t possible de dterminer ici une unit rgulire et connue. Le plus gros des poids, droite, correspondait nanmoins un beau lingot.

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  • Les gyptiens ont de sicle en sicle perfectionn lart de la momification et la prsentation des momies. Sous le Moyen Empire est introduit un masque de taille rduite, trs strotyp. Il faut attendre la fin de cette priode pour que les masques funraires gagnent en ralisme. Celui-ci reprsente, malgr sa couleur noire, non pas un Nubien, mais un gyptien. Linscription hiroglyphique en gyptien dtaille les offrandes ddies lme de larchitecte Bbi, justifi, cette dernire pithte voquant un dfunt justifi au tribunal divin. Cette teinte inattendue est une des deux carnations (avec le vert) attribues Osiris. Elle est celle de la terre fertile, du limon du Nil, pourvoyeur de vie.

    22 Masque funraire de Bbi Voici la fameuse stle de Ssostris III, le grand pharaon de la XIIe dynastie (vers 1850 av. J.-C.), qui a install une frontire durable sur la 2e cataracte aprs avoir combattu les Nubiens, et a termin ldification des forteresses de Basse Nubie. Deux stles semblables sont conserves. Lune, celle du Muse de Khartoum, provient de lle dOuronarti et lautre de Semna, sur la rive gauche. Cette dernire, mieux conserve, se trouve aujourdhui au Muse gyptien de Berlin o elle a t rapporte par Lepsius lors de lexpdition finance par le roi de Prusse en 1849-1852. Ssostris III, devenu par la suite une sorte de saint patron de la Nubie, auxquels des temples comme Koumma ou Semna sont en partie consacrs (voir ci-d