Upload
others
View
5
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
PERSPECTIVE INFIRMIĂRE NOVEMBRE > DĂCEMBRE 201135
âinfirmiĂšre clinicienne Evelyne Mar-tello applique les connaissances quâelle a acquises durant sa longue
expĂ©rience en pĂ©diatrie, particuliĂšrement en dĂ©veloppement de lâenfant. AprĂšs avoir ĆuvrĂ© au CHU Sainte-Justine, elle sâest associĂ©e Ă Roger Godbout, psycho-logue et chercheur, pour mettre en place une clinique du sommeil Ă lâHĂŽpital RiviĂšre-des-Prairies (HRDP). « Je voulais me consacrer aux troubles du sommeil exclusivement. Et il a fallu monter de toutes piĂšces cette structure qui est plei-nement fonctionnelle depuis quatre ans », explique-t-elle. ComposĂ©e dâenfants ayant un problĂš-me neurologique ou de santĂ© mentale et de personnes autistes de tous Ăąges, avec ou sans dĂ©ficience intellectuelle, la clientĂšle est rĂ©fĂ©rĂ©e par des mĂ©decins. « Les parents qui consultent chez nous sont Ă bout de force, ils ne dorment plus convena blement depuis des mois, voire des annĂ©es », prĂ©cise lâinfirmiĂšre. Quant aux jeunes, ils nâĂ©met-tent que peu de plaintes ; leur sommeil perturbĂ© semble dĂ©tĂ©riorer surtout la qua-
litĂ© de vie de leurs parents. Ces derniers consultent parce quâils Ă©prouvent une vĂ©ritable souffrance. Dâailleurs, quand Mme Martello les reçoit pour la premiĂšre fois, elle leur pose la question : « Quelles sont les raisons qui vous amĂšnent, vous, Ă nous demander de lâaide ? » Ă la clinique, il nây pas dâemblĂ©e de traitement mĂ©dicamenteux pour les trou-bles du sommeil. « Notre approche compor-tementale de la situation fait toute la dif-fĂ©rence ; nous avons Ă©laborĂ© de nombreux outils. Nous ne sommes que quelques pro-fessionnels Ă aborder les troubles du som-meil en pĂ©dopsychiatrie de cette maniĂšre », affirme Mme Martello.
PAR DALILA BENHABEROU-BRUN, INF., M.SC.
L
PĂDOPSYCHIATRIE
© M
arce
l La
Haye
HIBOUĂVALUER ET TRAITER LES TROUBLES DU SOMMEIL. EVELYNE MARTELLO ET SON ĂQUIPE ONT SUIVI
PLUS DE 250 ENFANTS DEPUIS LâOUVERTURE DâUNE CLINIQUE SPĂCIALISĂE Ă LâHRDP.
LâĂQUIPE« Chacun joue un rĂŽle selon ses compĂ©tences propres. Câest ce qui fait la force de notre Ă©quipe. »
> Dre CĂ©line Belhumeur, pĂ©diatre dĂ©veloppementaliste, spĂ©cialiste en troubles du sommeil> Ălyse Chevrier, technicienne en Ă©lectrophysiologie mĂ©dicale> Roger Godbout, psychologue et professeur de psychiatrie de lâUniversitĂ© de MontrĂ©al> Evelyne Martello, infirmiĂšre clinicienne
© Jo
el S
arto
re /
Nat
iona
l Geo
grap
hic
Stoc
k
Evelyne Martello
PERSPECTIVE INFIRMIĂRE NOVEMBRE > DĂCEMBRE 201136
Les problĂšmes de santĂ© des enfants ont une incidence sur leur sommeil et vice versa. « Les troubles du sommeil ne sont pas une fatalitĂ©, ils se traitent ! Une fois quâils sont rĂ©glĂ©s, cela influence grandement la qualitĂ© de vie et la maladie elle-mĂȘme. » En effet, un mauvais sommeil entraĂźne des problĂšmes de concentration, dâapprentissa-ge et de comportement comme lâagita-tion ou encore lâautomutilation.
HIBOUNon, il ne sâagit pas dâun rapace nocturne, mais plutĂŽt dâun outil quâEvelyne Martello et Roger Godbout ont adaptĂ© en sâinspirant de BEARS, pour Ă©valuer et orienter les enfants prĂ©sentant des troubles du som-meil. HIBOU est en fait un acrostiche qui comprend une Ă©chelle qui Ă©value la frĂ©-quence de divers paramĂštres relatifs Ă la qualitĂ© du sommeil (voir encadrĂ©). BEARS est un outil validĂ© et utilisĂ© par les anglophones, qui signifie : Bedtime Resistance, Excessive daytime sleepiness, Awakenings, Regularity, Snoring, soit une difficultĂ© Ă se coucher, une somnolence diurne excessive, des rĂ©veils, la rĂ©gularitĂ© et des ronflements. Mme Martello reconnaĂźt que lâoutil HIBOU constitue une traduc-tion, certes non validĂ©e, mais trĂšs utile pour
aider Ă Ă©valuer les problĂšmes de sommeil et soutenir les intervenants de premiĂšre et deuxiĂšme ligne. « Nous aimerions faire vali-der HIBOU », espĂšre lâinfirmiĂšre. Cet outil sâadresse pour lâinstant aux professionnels de la santĂ©, mais idĂ©a-lement, il devrait ĂȘtre un outil dâautoĂ©valuation. HIBOU est lâune des pierres angulaires du travail dâEvelyne Mar-tello. Une fois complĂ©tĂ©,
le score obtenu per-met dâorienter les personnes
vers les ressources appro-priĂ©es. « Nous ne voyons que les enfants dont le score est au moins de 16 et qui ont Ă©tĂ© diagnostiquĂ©s pour des troubles neurologiques ou psychiatriques », dĂ©clare lâinfirmiĂšre. Les enfants qui ne corres-pondent pas Ă ces critĂšres diagnostiques ou dont le score est infĂ©rieur Ă 16 sont dirigĂ©s vers la premiĂšre ligne qui a pour mission de rĂ©pondre Ă des problĂšmes de santĂ© moins aigus que les ser-vices spĂ©cialisĂ©s.
RĂSULTATS« Pendant deux semaines, les parents produi-sent lâagenda du sommeil de leur enfant, ils
rĂ©pondent Ă des questionnaires quant Ă ses habitudes de sommeil, les rituels au coucher, ses comportements ou encore lâenviron-nement oĂč il dort », explique Mme Martello. En plus de son Ă©valuation de la condition
physique et mentale, lâoutil HIBOU donne une vision globale de la
situation de lâenfant et de sa famille. Evelyne Martello collige les informations et Ă©met une ou des « hypo-thĂšses » sur les causes de ces troubles. Quelquefois,
lâenfant doit passer une nuit en laboratoire pour une
analyse de sommeil qui complé-tera les données.
Selon la situation clinique, Mme Martello et son Ă©quipe suggĂšrent des changements Ă apporter Ă lâhygiĂšne du sommeil, Ă la
dimension sensorielle ou encore Ă lâenvi-ronnement immĂ©diat : « Je suis trĂšs auto-nome dans mon travail : je peux Ă©valuer
les troubles du sommeil, Ă©mettre des hypothĂšses, proposer des solutions et
faire des suivis. Dans le futur, lâappli-cation dâordonnances collectives per-
mettra dâoptimiser la prise en charge des enfants de la clinique. » « Notre rĂŽle ne se termine que lorsque lâenfant finit par bien dormir, et ses parents aussi ! » poursuit lâinfirmiĂšre. Si les recom-mandations sont suivies, le problĂšme peut ĂȘtre rĂ©glĂ©. Evelyne Martello a constatĂ© des rĂ©sultats dans un intervalle allant de quel-ques jours Ă quelques mois selon la com-plexitĂ© de la situation. En se basant sur les donnĂ©es probantes, lâĂ©quipe recommande diverses stratĂ©gies par-fois assez simples, comme diminuer lâinten-sitĂ© lumineuse dans la chambre, ou rĂ©duire le niveau dâactivitĂ© en fin de journĂ©e, juste avant le coucher. Il faut aussi tenir compte de lâĂ©tat de santĂ© physique de lâenfant.
ENSEIGNEMENTMme Martello insiste sur le fait que les recommandations sont proposĂ©es et non « imposĂ©es » aux parents. Nombre dâentre eux ont dĂ©jĂ essayĂ© des moyens mais ils ont abandonnĂ© ou nâont pas combinĂ© les stratĂ©gies. Le cas dâArnaud illustre une intervention rĂ©ussie. Dâautres profession-nels, par exemple des psychoĂ©ducateurs qui connaissent dĂ©jĂ les familles, sâimpliquent dans cette dĂ©marche. Il faut parfois utiliser des pictogrammes pour faire comprendre
ENCADRĂ
HIBOU LĂ©gende : 1 : rarement ou jamais âą 2 : 3-4 x/semaine âą 3 : 5-7 x/semaine
H : Horaire irrégulier, somnolence diurne excessive - Levé/couché trop tÎt/trop tard, écart semaine/fin de semaine de plus de 2 heures 1 2 3 - Somnolent le jour 1 2 3
I : Insomnie - Sâendort en plus de 30 minutes 1 2 3 - Incapable de sâendormir seul, prĂ©sence des parents nĂ©cessaire 1 2 3
B : Bouge dans son sommeil Comportement ou mouvements inhabituels la nuit 1 2 3
O : Obstruction - Ronflement, bruits ou pauses respiratoires pendant le sommeil 1 2 3 - Respiration buccale 1 2 3
U : Ultra vigilance - RĂ©veils nocturnes de plus de 20 minutes, plus de 2 fois par nuit 1 2 3 - Rejoint les parents dans leur lit la nuit 1 2 3Score :de 16-24 : RĂ©fĂ©rence Ă la cliniquede 10-15 : Ă surveiller (surtout si 3 dans questions I et U)moins de 9 : ne pas rĂ©fĂ©rer ; enseigner lâhygiĂšne de sommeil
ĂCHELLE DE DĂPISTAGE DES TROUBLES DE SOMMEIL PĂDIATRIQUE (2-18 ANS)
« Combien de fois ai-je entendu les parents dire que nous avions changé
leur vie ! »
PERSPECTIVE INFIRMIĂRE NOVEMBRE > DĂCEMBRE 201137
EXEMPLE DE LâAGENDA DE SOMMEIL DâARNAUD
Date
Jour 1
Jour 2
Jour 3
Jour 4
Jour 5
Jour 6
Jour 7
Jour 8
Jour 9
Jour 10Jour 11Jour 12Jour 13Jour 14Jour 15 10 sept.
9 sept.
8 sept.
... Moment du coucher ... Moment du réveil ... Noircir la case pour indiquer le temps occupé par le sommeil
7 sept.
6 sept.
5 sept.
4 sept.
3 sept.
2 sept.
1 sept.
31 août
30 août
29 août
28 août
27 août
24 h 2 h 4 h 6 h 8 h 10 h 12 h 14 h 16 h 18 h 20 h 22 h
Qualité du sommeil
0 = pauvre2 = trĂšs bon
1 h 3 h 5 h 7 h 9 h 11 h 13 h 15 h 17 h 19 h 21 h 23 h
Samedi
Samedi
Dimanche
Dimanche
QualitĂ© de lâĂ©veil
1 = moyen
les consignes aux enfants ou se rendre Ă la maison pour Ă©valuer lâenvironnement phy-sique. Mme Martello fait ensuite le suivi pour sâassurer que les mesures appliquĂ©es obtien-nent des rĂ©sultats. « Cela fait partie de ma pratique quotidienne », affirme lâinfirmiĂšre clinicienne. En 2007, Evelyne Martello a publiĂ© un livre intitulĂ© Enfin je dorsâŠet mes parents aussi aux Ăditions du CHU Sainte-Justine. Lâouvrage traite des troubles du sommeil gĂ©nĂ©raux. Depuis, lâauteure travaille Ă plusieurs projets. Elle a collaborĂ© Ă la publication dâun article dans la Revue quĂ©bĂ©coise de psychologie avec Roger Godbout et son Ă©tudiant Christophe Huynh sur le sommeil et les adolescents. Mme Martello donne aussi des confĂ©rences aux professionnels de la santĂ© sur les troubles du sommeil en pĂ©dopsychiatrie. Son prochain dĂ©fi ? Un livre traitant du sommeil des enfants autistes en collaboration avec son Ă©quipe.
Arnaud est autiste et prĂ©sente une dĂ©ficience intellectuelle moyenne-sĂ©vĂšre. Il vit dans une famille dâaccueil. Ses troubles de sommeil se manifestent irrĂ©guliĂšrement ; il se rĂ©veille plusieurs fois par nuit, fait des crises et sâautomutile. La situation a empirĂ© depuis quelques mois et tout le monde Ă la maison est Ă©puisĂ©.
COLLECTE DE DONNĂESLe jeune garçon obtient un score HIBOU de 17 points, ce qui le qualifie pour une Ă©valuation et une intervention Ă la clinique. Arnaud se couche entre 20 et 21 h le soir et se rĂ©veille habituellement vers 6 h du matin. Sa routine de soirĂ©e est bien Ă©tablie : douche, collation, jeux et tĂ©lĂ©vision. Il sâendort seul dans sa chambre, porte fermĂ©e, avec veilleuse et « doudou » en une trentaine de minutes.
Ses rĂ©veils nocturnes durent de 15 Ă 60 minutes, une Ă trois fois par nuit ; il hurle, crie, chante et rĂ©veille toute la maisonnĂ©e. Le pĂšre de la famille dâaccueil va vĂ©rifier si Arnaud dort. Son sommeil semble meilleur les nuits de la fin de semaine. Il fait des siestes dâune heure Ă lâoccasion. Arnaud prĂ©sente un problĂšme de constipation chronique (une selle aux quatre jours). Le jeune garçon est suivi par un psychiatre et prend les mĂ©dicaments suivants : mĂ©latonine, ReViaTM, RemeronÂź et PrevacidÂź.
EXTRAIT DES RECOMMANDATIONS DE TRAITEMENT⹠Modification de la séquence de la routine du
soir : réduire le temps consacré à la télévision et prendre la douche en dernier lieu dans la soirée.
âą Modification de lâenvironnement de la chambre : placer le lit contre le mur et poser un coussin de corps le long du mur, installer une toile opaque aux fenĂȘtres et mettre un ventilateur en marche pour obtenir un bruit blanc.
⹠Intervention sensorielle : déposer une couverture lourde sur son corps, selon sa tolérance, pour optimiser la surface corporelle couverte au coucher et, en cas de réveil nocturne, exercer des séances de pression sur les mains et les pieds.
⹠Ajustement des médicaments : augmenter la dose de mélatonine pour renforcer et allonger la période de sommeil.
âą Soulagement de la constipation : la radiographie abdominale a montrĂ© une dilatation des anses intestinales. AprĂšs lâĂ©limination des causes physiques possibles, un laxatif est prescrit pour favoriser une Ă©vacuation quotidienne et lâapport de fibres dans lâalimentation est augmentĂ©.
AprĂšs trois semaines, Arnaud dort de dix Ă douze heures par nuit sans interruption. Ses crises ont diminuĂ©. Son transit intestinal sâest rĂ©tabli. Depuis, le jeune garçon collabore davantage Ă lâĂ©cole. Sa situation continue de sâamĂ©liorer !
ARNAUD, DIX ANS ET DEMI
SourcesOwens, J.A. et V. Dalzell. « Use of the âBEARSâ sleep screening tool in a pediatric residentsâ continuity clinic: a pilot study », Sleep Medicine, vol. 6, no 1, janv. 2005, p. 63-69.Godbout, R., C. Huynh et E. Martello. « Le sommeil et les adolescents », Revue quĂ©bĂ©coise de psychologie, vol. 31, no 2, 2010, p. 133-148.
© la
nlan
gley
/ D
ream
stim
e.co
m