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Hiérarchisation et coordination des soins pour favoriser l’accessibilité et la continuité des soins publics en orthophonie et audiologie sur l’île de Montréal Octobre 2014 Comité secteur public Association québécoise des orthophonistes et audiologistes Anne-Laure Gille, M.Sc. SLT, orthophoniste François Prévost, Ph.D., M.Sc., audiologiste Justine Ratelle, M.P.A, audiologiste Judith Labonté, M.P.O, orthophoniste Arno Bramann-Bernard, M.Sc., orthophoniste

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Hiérarchisation et coordination des soins pour favoriser l’accessibilité et la continuité des soins publics en orthophonie et audiologie sur l’île de Montréal

Octobre 2014

Comité secteur public

Association québécoise des orthophonistes et audiologistes

Anne-Laure Gille, M.Sc. SLT, orthophoniste François Prévost, Ph.D., M.Sc., audiologiste

Justine Ratelle, M.P.A, audiologiste Judith Labonté, M.P.O, orthophoniste

Arno Bramann-Bernard, M.Sc., orthophoniste

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Table des matières

Collaborations ................................................................................................................... 3

Introduction ....................................................................................................................... 4

L’offre de service en orthophonie et en audiologie .......................................................... 5

État actuel des rôles et des responsabilités des orthophonistes des audiologistes

dans les différentes catégories d’établissements ............................................................... 6

Problématique 1 : Offre de service limitée en première ligne .................................... 8

Problématique 2 : Modalités variables d’accès aux services en orthophonie

et en audiologie .............................................................................................................. 11

Problématique 3 : Le vieillissement de la population ................................................ 13

Répercussions actuelles : des listes et des délais d’attente importants ........................... 16

Conclusion ....................................................................................................................... 17

Références ................................................................................................................... 18

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Collaborations L’Association québécoise des orthophonistes et audiologistes tient à souligner l’appui important de professionnels dans la réalisation de ce document. Mentionnons plus particulièrement :

- Marthyne Brazeau, audiologiste, chef du service d’audiologie et d’orthophonie du Centre hospitalier de l’Université de Montréal ;

- Anne-Marie Hurteau, audiologiste, chef de département d’orthophonie et d’audiologie de l’Hôpital de Montréal pour enfants ;

- Kathy Malas, orthophoniste, chef professionnel en orthophonie et audiologie du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine ;

- Nada Carlomusto, orthophoniste, chef professionnel en orthophonie et audiologie de l’Hôpital Maisonneuve Rosemont ;

- Audrey Hardy, audiologiste, Hôpital de Montréal pour Enfants ;

- Éric Begin, audiologiste, Hôpital Maisonneuve-Rosemont ;

- Ève Bargone-Fisette, orthophoniste, CLSC Hochelaga-Maisonneuve.

Nos remerciements vont également aux membres du conseil d’administration de l’Association québécoise des orthophonistes et audiologistes.

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Introduction

Le système public de santé et des services sociaux contribue au développement social et économique du

Québec. Dans le contexte actuel, les dépenses ministérielles relatives à la santé et aux services sociaux

correspondent à près de la moitié du budget provincial (ministère des Finances et Économie, 2014).

Seule une utilisation judicieuse et efficiente des ressources financières et humaines permet d’assurer

l’accessibilité universelle à des services de santé et de services sociaux de qualité.

Des changements organisationnels importants s’opèrent depuis plusieurs années dans la gestion du

réseau public de la santé afin de s’adapter aux besoins populationnels évolutifs, notamment par

l’implantation de groupes de médecine familiale, de cliniques-réseau et la création des centres de santé

et de services sociaux (CSSS). La performance du travail de la main-d’œuvre du réseau, qui représente

6,6% de la population active au Québec (ministère de la Santé et des Services Sociaux, 2010), est au

cœur des transformations et des réorganisations.

L’Association québécoise des orthophonistes et audiologistes (AQOA) est préoccupée par diverses

problématiques dans l’organisation des services en orthophonie et en audiologie dans le réseau de la

santé et des services sociaux.

À travers ce rapport, l’AQOA présente une réflexion approfondie sur la hiérarchisation des services

offerts en orthophonie et en audiologie pour permettre, selon le mandat des différents établissements,

une meilleure accessibilité et continuité des services. L’AQOA fait part de recommandations concernant

la coordination et le partenariat des établissements selon une approche basée sur l’intervention précoce,

afin d’optimiser les services actuellement offerts.

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L’offre de service en orthophonie et en audiologie

L’expertise du travail en orthophonie et en audiologie s’acquiert par une formation universitaire de

niveau maîtrise, l’expérience et de la formation continue. L’admission aux titres d’orthophonistes et

d’audiologistes est contrôlée par l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec (OOAQ).

L’article 37 du projet de loi no. 90 (Assemblée nationale du Québec, 2002) confère aux audiologistes et

aux orthophonistes quatre activités réservées :

a) évaluer les troubles de l’audition dans le but de déterminer le plan de traitement et d’intervention

audiologiques ;

b) ajuster une aide auditive dans le cadre d’une intervention audiologique ;

c) procéder à l’évaluation fonctionnelle d’une personne lorsque cette évaluation est requise en

application d’une loi ;

d) évaluer les troubles du langage, de la parole et de la voix dans le but de déterminer le plan de

traitement et d’intervention orthophoniques.

L'article 37 du projet de loi no. 21 (Assemblée nationale du Québec, 2009) leur confère deux activités

réservées :

e) évaluer un élève handicapé ou en difficulté d’adaptation dans le cadre de la détermination d’un plan

d’intervention en application de la Loi sur l’instruction publique.

f) évaluer un enfant qui n’est pas encore admissible à l’éducation préscolaire et qui présente des indices

de retard de développement dans le but de déterminer des services de réadaptation et d’adaptation

répondant à ses besoins.

Les audiologistes évaluent les déficiences du système auditif, soit la baisse de sensibilité auditive, les

neuropathies de type dys-synchronie auditive, l’acouphène, l’hyperacousie et la fonction vestibulaire.

Plusieurs audiologistes travaillent dans un but diagnostique ayant comme objectif d’évaluer et d’émettre

des recommandations. Les interventions audiologiques, qui s'appuient sur une évaluation globale des

besoins, visent à réduire ou éliminer les situations de handicaps vécues par la personne ayant une

déficience auditive ou par les individus qui interagissent avec elle. Le recours à des aides techniques, des

stratégies de communication ou à des adaptations du milieu sont autant de moyens qui peuvent être

recommandés par l'audiologiste. L’utilisation de prothèses auditives, d’un implant à ancrage osseux,

d’un implant cochléaire, d’aides techniques de suppléance à l’audition (système par modulation de

fréquence, réveille-matin adapté, etc.) peut permettre une utilisation plus optimale des capacités

auditives. Une évaluation globale des besoins peut également mettre en lumière la nécessité d’un suivi

audiologique en réadaptation selon la sévérité des handicaps rapportés.

Les orthophonistes évaluent et interviennent sur les difficultés de langage oral et écrit, la parole, la voix

et la déglutition. L’orthophoniste évalue le langage en considérant le volet expressif soit la fluidité

verbale, la phonologie, la morphosyntaxe, le contenu et l’utilisation du langage ainsi que le volet réceptif

soit la compréhension des questions, des concepts, des consignes, la compréhension morphosyntaxique

et la pragmatique du langage. La coordination des mouvements de l’articulation et la langue, ainsi que

l’intégrité des structures du larynx peuvent également être évaluées en présence de difficultés praxiques,

de résonance ou de dysphagie. Plusieurs séances sont nécessaires pour établir une évaluation précise du

langage d’un individu et de ses problématiques. Un suivi à court terme est souvent effectué avant de

juger de la pertinence d’un suivi thérapeutique à long terme dans un centre de réadaptation.

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État actuel des rôles et des responsabilités des orthophonistes des audiologistes dans les différentes catégories d’établissements

Le ministère de la Santé et des Services Sociaux (2008) a établi des balises claires sur le rôle et les

critères d’admissibilité des différents établissements liés à la déficience physique. Les établissements ont

établi des critères spécifiques par discipline afin d’appliquer ces normes. Les orthophonistes et les

audiologistes se sont soumis à ces politiques. Voici un aperçu des services offerts en orthophonie et en

audiologie sur l’île de Montréal1.

Première ligne

Les services de première ligne sont offerts par les centres locaux de services communautaires (CLSC) et

les Centres hospitaliers de soins généraux et spécialisés (CHSGS). Ces établissements sont le point de

contact direct et la porte d’entrée de la population, notamment des personnes vulnérables, dans le réseau

de la santé et des services sociaux. Aucune référence médicale n’est nécessaire. Les services sont

réalisés dans des infrastructures de base en lien avec des problématiques de santé de nature mineure,

mais à grande prévalence. Les interventions cliniques sont réalisées à court terme.

En audiologie, il n’existe aucune offre de service dans les CLSC. Les évaluations audiologiques

conventionnelles offertes à la population ayant une problématique simple sont réalisées dans les

CHSGS2

, généralement suite à une référence médicale, selon la politique de chaque

établissement.

En orthophonie, une évaluation du langage peut être réalisée en première ligne dans les CLSC3,

seulement dans le cadre du programme famille-enfance-jeunesse. Les interventions peuvent être

réalisées en groupe ou de façon individuelle. Les orthophonistes qui travaillent en première ligne

offrent une évaluation et, dans la mesure du possible, un suivi aux enfants ayant un retard de

langage réceptif et expressif de degré léger ou modéré. Les enfants ayant été évalués avec des

difficultés de langage sévères sont orientés vers la deuxième ligne. Les enfants ayant des besoins

spécialisés dans les problématiques développementale, communicationnelle et sociale sont

également orientés vers la deuxième ou troisième ligne pour une évaluation plus approfondie, les

services étant offerts au CLSC jusqu’à leur prise en charge. L’intervention précoce est

privilégiée, car elle permet souvent de faire la différence entre l’apparition et l’aggravation de

problèmes de communication. Ainsi, des services de dépistage peuvent être réalisés dans les

centres de la petite enfance et des solutions proposées pour les enfants souffrant d’une sous-

stimulation langagière.

Tant en audiologie qu'en orthophonie, il n'existe aucune offre de services publics de première ligne pour

la population adulte.

1 Inclusion: CLSC, centres hospitaliers, centres de réadaptation.

2 Exemples : Hôpital Maisonneuve-Rosemont, Hôpital St. Mary.

3 Exemples : CSSS Ahuntsic-Montréal-Nord 2), CSSS St-Léonard St-Michel 3) CSSS Cœur de l’île 4) Pointe de l’île-

Mercier-Est 5) Clinique communautaire Pointe St-Charles 6) CSSS Lucille-Teasdale (CLSC Rosemont, Mercier Ouest,

Hochelaga) 7) CSSS Jeanne-Mance 8) CSSS de la Montagne.

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Deuxième ligne

L'offre de services de deuxième ligne est généralement assurée par les centres de réadaptation. Ces

services sont offerts aux personnes ayant des problématiques sévères ou complexes, requérant une

équipe interdisciplinaire, et dont le suivi à moyen ou long terme est nécessaire. Une évaluation et une

référence d’un professionnel, orthophoniste ou audiologiste, sont généralement nécessaires pour

l’admissibilité.

En audiologie, les personnes de tous âges qui présentent des difficultés d’intégration sociale,

scolaire ou professionnelle ou des situations de handicaps liées à une déficience auditive

permanente congénitale ou acquise, un acouphène ou de l’hyperacousie sont généralement

suivies sur l’île de Montréal à l’Institut Raymond-Dewar et au Centre MAB-Mackay. Certains

centres hospitaliers, par exemple le Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM),

proposent des services de réadaptation précoce, soit dans l'attente d'un suivi à long terme en

centre de réadaptation ou lorsqu'une équipe interdisciplinaire n'est pas requise.

En orthophonie, une prise en charge thérapeutique est offerte aux personnes ayant des difficultés

communicationnelles importantes dans différents centres de réadaptation, selon l’âge et le type

de problématique associée. Les enfants qui présentent un retard sévère de langage reçoivent un

suivi en orthophonie au Centre de réadaptation Marie Enfant, à l’Institut Raymond-Dewar ou au

Centre de réadaptation MAB-Mackay. Les enfants qui présentent une déficience intellectuelle ou

un trouble envahissant du développement entraînant des difficultés de communication sont suivis

au Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et trouble envahissant du développement

(CRDI-TED) de Montréal ou au CRDI Myriam. Les adultes ayant subi une atteinte neurologique

par une maladie, un traumatisme ou un accident vasculaire cérébral peuvent être suivis à

l’Institut de réadaptation Gingras-Lindsay de Montréal (IRGLM), à l’Hôpital de réadaptation

Villa-Médica ou aux centres de réadaptation Constance-Lethbrige et Lucie-Bruneau. Toutefois,

les critères spécifiques de chaque établissement, parfois restrictifs, ne permettent pas l’accès à

tous les patients nécessitant une prise en charge. Un guichet unique permettrait l'orientation des

personnes au centre désigné.

Troisième ligne

L'offre de services de troisième ligne est assurée par les centres hospitaliers universitaires. Le mandat de

ces établissements est d’offrir à la population qui réside sur le Réseau universitaire intégré de services

(RUIS) auquel elle est rattachée des services spécialisés et surspécialisés. Le travail des orthophonistes

et des audiologistes requiert une expertise de pointe, soit en raison de problématiques de santé

complexes ou rares, ou parce que les interventions cliniques offertes sont spécialisées. Les patients ayant

une déficience du système auditif ou un déficit communicationnel significatif qui requièrent des

interventions thérapeutiques à moyen ou long terme sont transférés en deuxième ligne.

En audiologie et en orthophonie, des services de troisième ligne sont offerts à la population

pédiatrique au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine et à l’Hôpital de Montréal pour

enfants et les services pour la population adulte au CHUM, au Centre universitaire de santé

McGill (CUSM) et à l’Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis.

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Problématique 1 : Offre de service limitée en première ligne Les soins offerts à la population s’organisent dans un réseau de services. Malgré une organisation

hiérarchique des services, les dysfonctionnements engendrés par le manque de services de première

ligne contraignent les professionnels orthophonistes et audiologistes, qui ont à cœur la communication

de leurs patients, à pallier les services non offerts préalablement. En effet, les établissements dont le

mandat est d'offrir des soins de deuxième et troisième ligne reçoivent directement des patients n’ayant

pas bénéficié de services de première ligne.

La réalité en audiologie

Actuellement, aucun plan d'accès ne régit l'offre de service en audiologie, tant pour la population

adulte que pédiatrique. L’organisation actuelle du réseau oblige les audiologistes des CHSGS à

effectuer des évaluations de première ligne auprès des patients, généralement suite à une

référence médicale. L’accessibilité à un médecin de famille est souvent nécessaire pour

bénéficier d'une évaluation audiologique, mais n’est souvent pas directement possible pour la

population générale. Considérant les difficultés actuelles de la population à avoir accès à un

médecin, les services dont bénéficient les personnes avec une déficience auditive sont très limités.

En audiologie, l’absence de services de première ligne en pédiatrie dans le réseau public de santé

sur l’île de Montréal engendre une pression sur les établissements de troisième ligne, qui sont les

seuls à en offrir4. Tous les patients de 18 ans et moins doivent se présenter dans ces hôpitaux, peu

importe le motif de consultation, car aucun établissement de première ligne n’offre ce type de

service5. Les établissements de troisième ligne contournent leur mandat et pallient l’absence de

ressources de première ligne en pédiatrie. Les enfants présentant une problématique temporaire

et à prévalence élevée, comme la présence d’otite moyenne séreuse, devraient avoir l’opportunité

de recevoir une évaluation auditive en première ligne. Toutefois, comme ils sont jugés non

prioritaires par les établissements de troisième ligne, les enfants ont de la difficulté à obtenir les

services dont ils ont besoin.

En palliant l’absence de services de première ligne, et compte tenu que ces services ne sont

généralement pas priorisés par les établissements, les listes d'attente en pédiatrie et pour la

clientèle adulte s'en voient indûment allongées (se référer à la section « Répercussions

actuelles : des listes et des délais d’attente importants »). De plus, à l’égard de la population

générale, l’absence d’audiologistes dans les CLSC diminue considérablement l’offre de service

aux personnes vulnérables, dont les personnes âgées, diminuant ainsi le potentiel de maintien à

domicile.

4 Hormis l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont, qui offre des services de première ligne en audiologie

5 Exceptions: Le CHUM et l’Hôpital général juif Sir. Mortimer B. Davis offrent des services d’orthophonie et d’audiologie

aux patients âgés de 16 ans et plus.

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La réalité en orthophonie

Le plan d’accès en orthophonie rédigé par l’Agence de la santé et des services sociaux (ASSS,

2009) de Montréal pour les enfants de cinq ans et moins est actuellement peu respecté. La

contribution de l’ASSS dans l’organisation des services a établi des balises claires mais leur

application est quasi-inexistante. Par exemple, les services offerts pour une évaluation

pédiatrique dans les CLSC ou dans les CHSGS se dédoublent. Un plan d’accès similaire a été

rédigé pour la région de Québec (CSSS de la Vieille-Capitale, 2013) et montre une applicabilité

particulièrement efficace. Toutefois, la population montréalaise étant multiethnique, cela entraîne

différentes réalités dont l’allophonie (langue maternelle qui n’est pas le français ou l’anglais), le

multilinguisme, la défavorisation sociale, et des pratiques culturelles différentes, qui rendent

difficile la transposition directe de ce modèle. D’après une étude de l’ASSS de Montréal

(L’intervention de première ligne à Montréal auprès des personnes immigrantes : estimé des

ressources nécessaires pour une intervention adéquate, 2007), une intervention auprès d’une

personne immigrante est plus longue de 40% et ce sont les Montréalais d’immigration récente

(moins de 10 ans) dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais, qui ont le plus besoin

de services adaptés, tant sur le plan culturel que linguistique.

Les orthophonistes œuvrant en première ligne auprès de la population pédiatrique ne peuvent

réaliser entièrement les tâches requises pour répondre à leur mandat, en raison de la charge de

travail trop élevée. Il est actuellement difficile de répondre aux besoins des enfants identifiés.

Aussi, les enfants en attente d’une évaluation globale de développement (très souvent jusqu’à 2

ans d’attente), ayant par exemple une hypothèse d’un trouble envahissant du développement,

doivent recevoir des services d’orthophonie au CLSC jusqu’à leur prise en charge par le CRDI.

La majorité des services offerts se substituent à ceux qui devraient pouvoir être assumés par un

autre établissement, ce qui empêche les orthophonistes du programme 0-5 ans du CLSC d’offrir

les services qui répondent à leur mandat. Par conséquent, les orthophonistes de première ligne ne

peuvent pas offrir des interventions précoces auprès des enfants ciblés à risque ou présentant un

trouble léger à modéré lors d’un dépistage ou d’une évaluation. Par exemple, un enfant identifié

comme ayant un retard d’acquisition du langage léger pourrait, grâce aux interventions précoces

en orthophonie, rejoindre le développement attendu. Toutefois, sans prise en charge précoce, les

difficultés de cet enfant perdurent et risquent grandement de s’aggraver.

Il n’existe pas de services orthophoniques publics de proximité en première ligne pour les adultes

ayant des besoins orthophoniques plus chroniques. En effet, tout comme dans le cas de

l’audiologie, les CSSS et leurs points de contact en communauté, les CLSC, n’offrent pas de

services en orthophonie à la population adulte (ASSS de Montréal - État de situation sur les

services d’orthophonie et la main-d’œuvre, 2007), des services sont pourtant offerts en

ergothérapie, en physiothérapie et en nutrition. Ainsi, alors qu’un usager atteint d’une affection

aigüe est traité en urgence dans un CHSGS et ainsi rapidement vu en orthophonie interne, celui

atteint d’une maladie chronique (démence, maladie de Parkinson, sclérose en plaques, aphasie

progressive primaire, etc.), en plus de devoir obtenir une référence de son médecin afin

d’amorcer le processus d’intervention, doit souvent attendre longtemps avant d’être vu par

l’orthophoniste du CHSGS, faute d’effectifs (ASSS de Montréal - État de situation sur les

services en orthophonie et la main-d’œuvre, 2007). En outre, plusieurs usagers ne pourront avoir

accès à des services en externe à leur sortie d’un CHSGS. Par exemple, si un patient, après une

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consultation en première ligne et un passage en réadaptation, a besoin de services continus et de

suivis périodiques vu la nature chronique et/ou évolutive de sa maladie, il devra souvent s’en

remettre à un rendez-vous de suivi annuel, ou même à aucun rendez-vous. Ainsi, nombre de

patients devront se tourner vers les cliniques privées. Ceux n’ayant pas les moyens de le faire

seront privés de services, les CLSC n’offrant pas de services de cette nature.

En somme, les établissements actuels s’éloignent du mandat établi par le plan d’accès aux services pour

les personnes ayant une déficience (ministère de la Santé et des Services Sociaux, 2008) en tentant de

pallier la lacune de services qui devraient être offerts ailleurs dans le réseau. Une offre trop limitée de

services de première ligne en orthophonie et en audiologie se répercute par une diminution de

l’accessibilité des clientèles ayant des besoins courants. Comme le nombre de postes est limité en

première ligne et que les professionnels en place ne peuvent assumer la tâche entière, le réseau entier

doit en assumer les répercussions.

Par ailleurs, en réponse aux exercices d'optimisation et de rationalisation exigés des établissements,

ceux-ci se voient obligés de restreindre leur offre de service sans mesurer l’impact de ces décisions sur

l’ensemble du réseau. Il n'est pas rare de voir un établissement fermer sa porte à une population clinique

et même l'orienter vers un autre établissement, sans même qu'il y ait eu concertation entre les deux.

Orientation ministérielle compromise du plan stratégique 2010-2015

ENJEU 5 : L’ATTRACTION, LA RÉTENTION ET LA CONTRIBUTION OPTIMALE DES RESSOURCES HUMAINES

Orientation 5.1 : Équilibre entre l’offre et la demande et un plan de main-d’œuvre annuel.

Axe d’intervention : disponibilité et utilisation optimale de la main-d’œuvre du réseau.

Pistes de solutions possibles

Créer une offre de service en audiologie sans référence médicale.

Identifier quel établissement devrait avoir le mandat d’effectuer des évaluations en audiologie

pédiatrique en première ligne.

Évaluer l’application du plan d’accès en orthophonie effectué en 2009 sur l’île de Montréal (Agence

de la santé et des services sociaux de Montréal, 2009) et faire les modifications nécessaires pour une

application efficace.

Limiter l’intervention des orthophonistes des CLSC au mandat de première ligne par rapport aux

CHSGS.

Favoriser le partenariat entre les établissements ayant des mandats différents pour diminuer les bris

de services, soit établir un corridor continu de services, de façon à ce que les délais n’imposent pas

des réévaluations fréquentes, coûteuses en temps.

Envisager l’ajout de postes cliniques en orthophonie et audiologie afin de répondre à la demande

réelle.

En orthophonie, faire appel à des techniciens (agents de correction du langage) sous supervision

d’un orthophoniste pour poursuivre l’intervention des patients ayant une maladie chronique

(population adulte).

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Problématique 2 : Modalités variables d’accès aux services en orthophonie et en audiologie

Le choix des critères de priorité utilisés dans le traitement des requêtes est défini par chaque

établissement. Une grande variabilité existe dans la hiérarchisation des priorités entre les différents

établissements de la région de Montréal ayant un même mandat. Les critères qui définissent les

politiques sectorielles varient selon :

- les axes médicaux de l'établissement ;

- le lieu de résidence de la personne référée ;

- l’âge ;

- le motif de consultation.

L’ensemble des orthophonistes et des audiologistes qui travaillent dans un centre hospitalier (de

première ou troisième ligne) réalisent des évaluations suite à la réception d’une demande de consultation

effectuée par un médecin. Le médecin à l’origine de la requête représente, par sa spécialité clinique et

son lieu de pratique, un critère de décision dans la hiérarchisation des priorités d’accès. Par exemple, les

médecins qui travaillent à l’intérieur d’un CHSGS où se situe le service d’orthophonie et d’audiologie

peuvent voir leur demande de consultation priorisée devant celle des médecins qui travaillent hors de

l’établissement. De plus, certains services d’orthophonie et d’audiologie acceptent seulement les

requêtes des médecins affiliés à l'établissement, par exemple, le service pédiatrique d’orthophonie de

l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont ou le département d'orthophonie et d’audiologie du CUSM. Par

conséquent, les personnes référées par des médecins travaillant hors des CHSGS, par exemple ceux

exerçant dans un groupe de médecine familiale ou dans une clinique-réseau, ont plus de difficulté à

avoir accès aux services en orthophonie et en audiologie.

Certains centres hospitaliers établissent des critères de priorité selon le lieu de résidence. Par exemple,

l'Hôpital de Montréal pour enfants priorise les requêtes de la clientèle du territoire de Montréal, peu

importe le motif de consultation. Ainsi, les patients dont le lieu de résidence est hors de l’île de Montréal

ne sont pas priorisés, même s’ils doivent avoir recours à des services spécialisés.

L’âge des patients est souvent considéré comme un critère dans le traitement prioritaire des requêtes.

Dans certains hôpitaux pédiatriques, plus les enfants sont jeunes, plus la priorité est élevée. Les enfants

d'âge scolaire sont ainsi désavantagés et doivent attendre plus longtemps avant de recevoir des services.

De même, dans certains hôpitaux desservant une population adulte, l’accessibilité peut être meilleure

pour les patients actifs sur le marché du travail, au détriment de la clientèle aînée et vieillissante.

Le motif de consultation sert également à prioriser les patients dans le tri des requêtes. Les patients dont

l’état de santé est le plus lourd sont souvent priorisés dans les services d’orthophonie et d’audiologie. En

d’autres mots, plus la déficience rapportée est importante ou préjudiciable, plus les patients sont vus

rapidement. Les patients en bonne santé ou ayant des pathologies légères sont souvent pénalisés, car les

services de première ligne ne sont pas assez développés pour répondre aux besoins de cette clientèle.

En somme, dans un contexte où les ressources humaines et financières sont nécessairement limitées pour

l’ensemble des établissements du réseau de santé et des services sociaux, un tri prioritaire des requêtes

s’impose dans la gestion des listes d’attente. Parallèlement, puisque l’organisation des services est

différente selon les établissements en fonction de leur cadre administratif, et qu’il n’y a pas de

concertation entre les acteurs du réseau de santé et des services sociaux, l’efficience du continuum de

soins est compromise.

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Orientation ministérielle compromise du plan stratégique 2010-2015

ENJEU 2 : LA PRIMAUTÉ DES SERVICES DE PREMIÈRE LIGNE DANS UNE PERSPECTIVE D’INTÉGRATION ET DE

HIÉRARCHISATION DES SERVICES.

Orientation 2.2 : Assurer un suivi interdisciplinaire et continu des clientèles ayant des besoins

particuliers.

Axe d’intervention : Personnes ayant une déficience et leur famille.

ENJEU 3 : UN DÉLAI RAISONNABLE POUR L’ACCÈS AUX SERVICES

Orientation 3.1 : Assurer l’accès aux services dans les délais acceptables.

Axe d’intervention : Services sociaux et de réadaptation.

ENJEU 4 : LA QUALITÉ DES SERVICES ET L’INNOVATION

Orientation 4.1 : Assurer la qualité et la sécurité des soins et des services.

Axe d’intervention : Démarche intégrée de qualité

Pistes de solutions possibles

Poser des critères de hiérarchisation similaires pour les établissements d’une même ligne de services

dans la gestion prioritaire des requêtes de consultation et s’assurer de les faire respecter.

Définir les mandats de chaque établissement et les services offerts pour les clientèles desservies en

orthophonie et en audiologie, à l'intention de la table de concertation des responsables en

orthophonie et en audiologie.

Offrir un guichet unique dans la réception des requêtes de première ligne en orthophonie et en

audiologie.

Indiquer une date d’entrée unique dans le réseau public de la santé.

Informer par écrit le patient et le référent de la décision rendue concernant l’admissibilité de la

demande. La réponse devrait comprendre notamment le moment réel où commenceront les services

en orthophonie et en audiologie.

Baliser les interventions selon les données probantes.

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Problématique 3 : Le vieillissement de la population

La proportion des 65 ans ou plus, qui représentait 14,6 % de la population totale en 2008, en constituera

28 % en 2056 (Institut de la statistique du Québec, 2012). Les situations de handicap vécues par les

personnes âgées sont souvent peu visibles. De plus, les services offerts par les professions

d’orthophoniste et d’audiologiste dans ce domaine sont souvent méconnus. Ainsi, il est difficile de

répondre adéquatement aux besoins de cette population.

Les besoins en audiologie

L’Organisation mondiale de la santé (Surdité et déficience auditive, 2014) estime qu’au-dessus

de 65 ans, une personne sur trois est atteinte d’une perte auditive affectant sa qualité de vie. Des

données américaines abondent en ce sens (par exemple, Lin et al., 2011), estimant que la

prévalence de la surdité atteint 26,8 % des personnes de 65 à 69 ans, augmentant à 55 pour les

70-79 ans et à plus de 79 % des personnes de 80 ans et plus. Les conséquences de la perte

auditive sont multiples, incluant les difficultés à communiquer avec son entourage, la difficulté à

comprendre la parole ou à réagir face à son environnement sonore. La surdité peut également

conduire à l’isolation sociale et à la stigmatisation. La surdité a également été identifiée comme

facteur de risque important dans le développement de déficit cognitif tel que la démence (Lin et

al., 2011). En effet, plus une personne présente un niveau de surdité important, plus elle a de

chances de développer une démence. La surdité est également liée à un risque accru de chute

(Lin & Ferrucci, 2012), à une augmentation du risque d’être hospitalisé (Genther et al., 2013) et à

une augmentation de la mortalité (Fisher et al., 2014). Une prise en charge audiologique précoce

permettrait d’éviter ou de retarder ces problématiques, ce qui réduirait certains coûts du système

public de santé. Le vieillissement étant la première cause de perte auditive dans le monde, il est

concevable de prévoir que la demande pour des services audiologiques ne fera qu’augmenter au

cours des prochaines années avec le vieillissement de la population du Québec. Il est important

d’agir en amont afin de dépister de manière efficace la surdité et ainsi prévenir la progression du

trouble. Il est essentiel d’offrir à la population les services et les outils nécessaires pour pallier

efficacement les situations de handicap vécues par les patients.

Les besoins en orthophonie

Plus de 20 % des adultes de 60 ans et plus souffrent d’un trouble de santé mentale ou

neurologique (Organisation mondiale de la santé - Santé mentale et vieillissement, 2014).

Certains troubles comme les maladies d’Alzheimer et de Parkinson sont susceptibles d’entraver

le contrôle musculaire des muscles de la parole et de la déglutition et d’entraîner une aspiration

(de liquide ou nourriture) pouvant mener à de graves maladies pulmonaires ou au décès.

Certaines conditions engendrent également des atteintes neurologiques touchant le langage

(aphasies) qui restreignent considérablement la capacité à comprendre ou à s’exprimer du patient

et qui, par conséquent, diminuent ses relations sociales. En chiffres, ce sont 10 % des personnes

de plus de 65 ans qui souffrent de démence. Par ailleurs, environ 60 % des personnes ayant subi

un accident vasculaire cérébral (AVC) souffrent d’un trouble de langage ou de parole (Weinfeld,

1981) et ce taux augmente avec l’âge (Dickey et al., 2010). Sans inclure la prévalence de

l’aphasie liée aux traumatismes cranio-cérébral (TCC) et les troubles orthophoniques présents

dans les maladies dégénératives, la prévalence de l’aphasie suite à un AVC se situe entre 0,1 et

0,4 %. De plus, celle-ci augmente avec le taux de survie aux AVC, lequel est en augmentation

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(Code & Petheram, 2011). En ce qui concerne la maladie de Parkinson, 60 % des personnes

atteintes souffrent de dysarthrie, sans compter la dysphagie et les difficultés

communicationnelles liées aux déficits cognitifs (Mlcoch, 1992).

Ainsi, les aînés présentent des besoins particuliers qui devraient davantage être considérés par le

système de santé; maintenir de bonnes habiletés de communication améliorerait grandement leur

autonomie. La réadaptation offerte par les orthophonistes est essentielle chez les adultes pour

leur permettre de conserver des acquis plus longtemps, donc de jouir d’une meilleure qualité de

vie. Il est important d’agir en amont afin de dépister de manière efficace les troubles de langage

causés par des atteintes neurologiques afin de prévenir la progression des troubles ainsi que de

donner les outils nécessaires aux patients afin que ceux-ci puissent pallier efficacement les

situations de handicap.

Le constat actuel des services offerts en orthophonie et audiologie

L’offre de services en place est très déficitaire et l’accès à ces services est souvent laborieux.

Actuellement, les services en orthophonie et en audiologie sont disponibles dans les centres hospitaliers

généralement suite à une référence médicale. Il n’existe aucun service dans les CLSC pour favoriser le

maintien à domicile. Les personnes âgées en perte d’autonomie sont contraintes de se déplacer

jusqu’aux centres hospitaliers grâce à leur famille ou à un transport adapté, ce qui est un second obstacle.

Par exemple, une personne âgée qui désire consulter un audiologiste ou orthophoniste à l’Hôpital

général de Montréal (HGM), doit d’abord obtenir une référence d’un médecin généraliste vers un

médecin oto-rhino-laryngologiste (ORL) affilié à l’HGM avant d’être référée. Ce processus implique

plusieurs consultations avant de pouvoir bénéficier de ces services. Cette organisation des soins est

particulièrement compliquée pour les personnes âgées et les étapes sont difficiles à surmonter lorsque la

personne présente une problématique de santé complexe, surtout si elle ne bénéficie pas du support de

proches (mobilité, difficultés cognitives).

Orientation ministérielle compromise du plan stratégique 2010-2015

ENJEU 2 : LA PRIMAUTÉ DES SERVICES DE PREMIÈRE LIGNE DANS UNE PERSPECTIVE D’INTÉGRATION ET DE

HIÉRARCHISATION DES SERVICES

Orientation 2.3 : Répondre aux besoins d’une population vieillissante.

Axes d’interventions : Réseaux de services intégrés. Adaptation de services.

Orientation 2.4 : Favoriser le soutien à domicile des personnes ayant des incapacités.

Axe d’intervention : Services de soutien à domicile

Pistes de solutions possibles

Implanter une offre de services qui correspond aux besoins de cette population :

o déterminer une première ligne d’intervention pour cette clientèle (CLSC ou autre);

o définir les établissements responsables d’offrir des services dans les centres d’hébergement

et de soins de longue durée (CHSLD) et à domicile (ex. : programme aînés).

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Favoriser un continuum de services : liens directs entre les CLSC et les centres de réadaptation.

Proposer une offre de service particulière à domicile et en CHSLD pour répondre aux besoins afin

d’améliorer la qualité de vie et réduire la perte d’autonomie des personnes âgées considérant leurs

besoins particuliers.

En orthophonie, faire appel à des techniciens (agents de correction du langage) sous supervision

d’un orthophoniste pour poursuivre l’intervention intensive suite au congé de la prise en charge en

réadaptation.

Offrir des suivis dans les CLSC après l’intervention en centre de réadaptation pour les personnes

atteintes de maladies chroniques.

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Répercussions actuelles : des listes et des délais d’attente importants

Les délais d’attente dans le réseau de la santé et des services sociaux sont souvent déraisonnables et

l’offre de services est très limitée, entrainant des situations non éthiques. Par exemple, un enfant

diagnostiqué d’un problème auditif doit attendre deux ans avant une prise en charge en audiologie au

Centre de réadaptation en déficience physique Le Bouclier. De même, un enfant diagnostiqué avec un

trouble envahissant du développement se voit attendre deux ans avant une prise en charge en

orthophonie. La réalité actuelle des établissements diffère considérablement des cibles établies selon les

données probantes et des lignes directrices ministérielles (ministère de la Santé et des Services Sociaux,

2008).

En première ligne, le début des services doit s’effectuer à l’intérieur de 30 jours pour une demande de

consultation urgente. Étant donné que chaque établissement établit sa propre définition d’urgence, ce

critère n’est pas appliqué uniformément. L’augmentation des délais d’attente risque fortement de

compromettre le potentiel de rééducation des usagers ainsi que d’avoir des conséquences négatives sur

le développement de la santé du patient, car un potentiel de récupération est perdu. La nécessité de la

prise en charge précoce est connue, mais pas toujours appliquée.

Afin de s’arrimer à ces lignes directrices ministérielles, certaines stratégies ont été mises en place, soit

offrir des services de groupe plutôt que des interventions individualisées ou débuter les services dans

une autre discipline que l’orthophonie ou l’audiologie (ex.: service en ergothérapie en centre de

réadaptation).

Tant en audiologie qu’en orthophonie, l’offre de service est limitée par les délais d’attente. Par exemple,

en orthophonie au Centre de réadaptation Marie Enfant, le nombre de séances en modalité individuelle

est limité à huit par enfant présentant un trouble sévère, peu importe les besoins de l’enfant, dans le but

d’offrir un minimum de services à un plus grand nombre d’enfants. Pour la population adulte, les

patients en clinique externe atteints d’AVC ne sont suivis que durant la période aigüe et souvent de

façon trop peu intensive faute d’effectifs, limitant le potentiel de récupération du patient. Ceci est

d’autant plus vrai en clinique externe, où l’intensité des thérapies est typiquement moins élevée. Or, les

métadonnées récentes indiquent clairement que l’intensité thérapeutique est le facteur capital dans le

degré de récupération suite à un AVC (Bhogal et al., 2003; Brady et al., 2012; Cherney et al., 2008;

Robey & Schultz, 1998). Une part importante des données indique même que trop peu d’intensité

empêche des améliorations significatives autres que celles apportées par la récupération spontanée. Avec

le bassin de personnes âgées qui est voué à augmenter considérablement dans les prochaines décennies,

un manque d’effectifs portera encore davantage préjudice à la récupération des patients dans la période

critique des mois suivant l’accident.

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Conclusion

L’AQOA propose à l’ASSS de Montréal de se prononcer sur l’efficacité et l’efficience des processus

d’accès et de trajectoire des soins dans le réseau public, notamment en ce qui concerne les trois

problématiques précédemment mentionnées, soit le manque ou l’absence de services d’orthophonie et

d’audiologie en première ligne, l’accès aux services en orthophonie et audiologie étant long et limité et

le manque de services offerts à la population vieillissante.

Le mandat de l’ASSS, décrit dans le document ministériel, est d’assurer aux personnes ayant une

déficience un accès aux services dont elles ont besoin dans des délais raisonnables, en plus d’optimiser

et d’harmoniser les processus, la gestion de l’accès aux services et l’organisation des services. Nous

pensons qu’il est nécessaire d’accroître l’efficience du réseau en coordonnant mieux les actions

cliniques, par une hiérarchisation des services tout en assurant la continuité des services entre les

différents paliers de soins. D’autre part, les ressources devraient être déterminées selon une approche

populationnelle. Il est nécessaire de renforcer les services aux personnes âgées afin d’améliorer leur

autonomie.

Nous suggérons également que la « table de concertation des responsables en orthophonie et

audiologie » soit activement impliquée dans cette démarche. La mobilisation de tous les acteurs

concernés est nécessaire pour établir un processus d’accessibilité et de continuité efficace et réellement

applicable.

Nous recommandons à l’ASSS :

- d’effectuer un plan stratégique montréalais en audiologie qui permettrait une meilleure

accessibilité, et ce, tant pour la population adulte que pédiatrique ;

- d’effectuer un plan d’action montréalais en orthophonie pour la population adulte ;

- d’évaluer l’application du plan stratégique montréalais en orthophonie pédiatrique réalisé en

2009 (ASSS de Montréal, 2009).

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