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Histoire du Panthéon De l’église Sainte-Geneviève au temple républicain Maurice Ricolleau

Histoire du Pantheon - Numilog · 1 Le lycée Henri-IV, ancienne abbaye Sainte-Geneviève. 2 La rue Clovis, emplacement de l’église abbatiale détruite en 1807. 3 L’église Saint-Étienne-du-Mont

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  • Histoire du Panthéon

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    De l’église Sainte-Geneviève au temple républicain

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  • Maurice Ricolleau

    Histoire du Panthéon

    De l’église Sainte-Geneviève au temple républicain

  • © Éditions Beauchesne – 20197, cité du Cardinal-Lemoine 75005 ParisISBN 978-2-7010-2279-6

    Conception et réalisation graphique, intérieur et couverture : Geneviève Bellissard

  • 3Introduction

    Introduction

    P endant plus d’un millénaire, il y eut au sommet de la colline qui dominait le Paris d’alors un sanctuaire, aujourd’hui disparu, où l’on vénérait la mémoire d’une femme des temps mérovingiens dont la cité avait fait sa figure tutélaire.

    Son nom était Sainte-Geneviève, comme la colline que cette église couronnait. Édifiée par Clovis au début du ve siècle, saccagée par les Normands au ixe, entièrement reconstruite au xiie, elle menaça ruine sous le règne du Roi-Soleil, et l’architecte Claude Perrault esquissa un projet de restauration qui resta sans suite.

    Un demi-siècle plus tard, des circonstances inattendues suscitèrent la décision de Louis XV d’édifier, la jouxtant, une « nouvelle église Sainte-Geneviève », ainsi qu’on la désigna. Conçue par un architecte audacieux, elle s’éleva, écrasant de sa masse son aînée appelée à disparaître.

    Mais alors que sa construction s’achevait, la Révolution survint, qui se l’appropria, et l’édifice devint le Panthéon français voué à la célébration des grands hommes de la nation. Puis l’Empire, dans l’esprit du Concordat, le rendit à la sainte, en même temps qu’il l’associait à sa propre gloire. Il fut église encore sous la Restauration, dans le respect pro-

    clamé de la volonté de l’aïeul de Louis XVIII, mais redevint un Panthéon disputé en des combats d’encre et de sang sous la monarchie de Juillet et pendant la IIe République, avant que Napoléon III le rétablisse, pièce d’un jeu politique inté-ressé, en église Sainte-Geneviève. Panthéon à nouveau et frôlant la destruction sous la Commune, il sera une dernière fois église pendant quinze ans. Puis la IIIe République le vouera définitivement à la mémoire des grands hommes, la mort de Victor Hugo offrant le moment propice en 1885.

    « Le Panthéon semble avoir été créé tout exprès pour subir le contrecoup de nos révolutions et pour les constater. Ce n’est plus un monument, c’est un thermomètre », ironisera alors le journal Le Gaulois, en suggérant que l’on remplace la croix de son dôme par une girouette.

    Les pages de cette histoire où se lisent les ferveurs, les fureurs et les calculs d’un siècle et demi d’événements pari-siens, mais aussi nationaux par leurs échos, méritent d’être relues. Encore faut-il, pour en comprendre bien des aspects, rappeler par quel cours continu d’épisodes la dévotion des humbles et des puissants envers sainte Geneviève aboutit à la promesse de Louis XV, dont tout découla.

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    Intr

    oduc

    tion

    Nouvelle église Sainte-Geneviève

    Panthéon Église Sainte-Geneviève Panthéon Panthéon

    Premier Empire

    Monarchie de Juillet

    Restauration Second Empire

    IIIe République

    IIe

    Rép. Commune

    1870

    Église Sainte-Geneviève

    1830

    1804

    1814 1815

    1789

    1848

    1852

    Sépulture

    des serviteurs de l’Empire

    Monarchie

    Louis XV Louis XVI

    Panthéon

    Consulat

    1744

    1885

    1851

    1806

    1791

    à

    Révolution

    1871

    1 Le lycée Henri-IV, ancienne abbaye Sainte-Geneviève.

    2 La rue Clovis, emplacement de l’église abbatiale détruite en 1807.

    3 L’église Saint-Étienne-du-Mont.

    4 Le Panthéon.

    5 La bibliothèque Sainte-Geneviève.

    6 L’université Paris I Panthéon-Sorbonne.

    7 La mairie du Ve arrondissement.

    1. Les temps.

    2. Les lieux.

    De la nouvelle église Sainte-Geneviève au Panthéon

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  • 5Introduction

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    3. L’abbaye Sainte-Geneviève au XVIIIe siècle. L’abbatiale et l’église Saint-Étienne-du-Mont sont mitoyennes.

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    Du ve au xviiie siècle

    Sainte Geneviève et sa première église

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    G eneviève, de Nanterre ou de Paris, comme on la nomma, et sainte, comme on la vénéra, vécut au ve siècle. Elle fut constamment honorée depuis, et c’est dans la conti-nuité de cette dévotion que s’inscrivit en 1744 la décision de Louis XV de lui faire édifier un sanctuaire.

    Il n’est pas dans notre propos de dérouler amplement cette histoire multiséculaire. Bornons-nous à en rappeler les faits marquants, connus, pour les premiers, grâce à une Vita sanctae Genovefae qu’un clerc anonyme rédigea peu de temps après le décès de son héroïne. Ils fixèrent l’image posthume de la sainte et suscitèrent les expressions de son culte.

    Une vie singulière

    La Vita ne date pas les événements qu’elle rapporte. Il faut les situer approximativement dans l’histoire de la Gaule du ve siècle, elle-même lacunaire.

    Geneviève naît à Nanterre vers 422. L’orientation de sa vie se décide le jour où l’évêque d’Auxerre, Germain, une figure considérable du temps, passe par cette cité en 429. Il conforte la petite fille en sa décision de se consacrer à Dieu. Il lui confie également une pièce de monnaie marquée d’une croix qu’elle portera à son cou sa vie durant (un signe particulier que retiendra l’iconographie). Elle confirmera son choix de vie vers sa vingtième année. Selon l’expression de la Vita, elle est famula Dei, servante de Dieu – sans pour

    autant être une moniale : au ve siècle, les ordres religieux féminins ne sont pas constitués.

    Devenue parisienne dès sa jeunesse, après la mort de ses parents, elle est tout autant femme de pouvoir dans la cité, les circonstances s’y prêtant. Plusieurs épisodes témoignent de l’ascendant dont elle use pour le bien commun. Elle convainc les Parisiens affolés de ne pas fuir devant Attila qui ne s’intéresse pas à leur ville, sans importance stra-tégique pour lui ; le chef hun lui donne raison : il ignore Paris dans sa marche de Metz vers Orléans. Quand, soit blocus franc, soit mauvaises récoltes, la famine menace, elle réquisitionne une flottille de bateaux, la conduit aux terres à blé de la région de Troyes où elle a des propriétés et préside au retour à la distribution du grain à qui a un four et de pains à qui n’en dispose pas. Elle s’impose face aux rois francs Childéric et Clovis ; le premier la vénère et plie quand elle exige la libération de prisonniers de guerre qu’il veut exécuter, le second honorera sa tombe. Elle prend l’initiative de la reconstruction du sanctuaire qui abrite la tombe de saint Denis. Sa notoriété, affirme la Vita, porte jusqu’en Syrie où Siméon le Stylite charge des marchands parisiens de passage de la saluer et de demander sa prière.

    Autre pouvoir, qu’elle tient de son intimité avec Dieu : son don de guérison et son action sur les éléments. Sa prière rend la santé à des malades et des infirmes. Elle écarte la pluie des champs où s’activent ses moissonneurs et calme un orage sur la Seine au retour des bateaux qui rapportent

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    du blé à Paris. Miracle encore : alors qu’au petit matin elle va avec des compagnes prier sur la tombe de saint Denis, leur lanterne éteinte par un coup de vent se rallume dans sa main (l’iconographie future fera de l’épisode un affrontement entre un démon et un ange autour du cierge de la sainte).

    Sur ces épisodes marquants se fonde la dévotion envers Geneviève après son décès à quatre-vingts ans passés, un 3 janvier des premières années du vie siècle, et son inhu-mation dans un cimetière situé hors de Paris sur la rive gauche de la Seine, au sommet de la colline qui perpétuera sa mémoire par sa dénomination hardie de « montagne » Sainte-Geneviève. Ce sera le lieu majeur du culte qui lui est immédiatement rendu.

    Sur la vie de sainte Geneviève, on pourra lire les ouvrages de Jacques Dubois et Laure Beaumont-Maillet, Max Gallo, Jean-Pierre Soisson, Yvon Ybram cités dans la bibliographie.

    4. Épisodes de la vie de sainte Geneviève. Paris, église Saint-Leu-Saint-Gilles.

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    De la première église à l’abbaye prestigieuse

    Sitôt sa mort, Geneviève est reconnue sainte par la vox populi, et l’on vient la prier au modeste oratoire qui abrite sa sépulture. C’est là que Clovis décide la construction d’une basilique qui abritera son propre tombeau et qu’il dédie aux saints apôtres Pierre et Paul.

    Après la mort du roi en 511, son épouse Clotilde achève le sanctuaire, où elle-même sera inhumée. Elle le dote de ressources foncières qui assureront la subsistance de la communauté de clercs qu’elle y établit pour le service cultuel et l’accueil des pèlerins. Des pèlerins pour qui le lieu deviendra bientôt l’église Sainte-Geneviève. Le noyau de la grande abbaye où les Parisiens vénéreront leur patronne est constitué.

    Dès lors, le sanctuaire croît en renom et puissance. Sa haute flèche dominera le paysage parisien jusqu’en 1764 (frappée alors par la foudre, elle ne sera pas réédifiée). La qualité de l’enseignement des maîtres de l’abbaye suscite la création de collèges autour d’elle sur la colline, hors du contrôle épiscopal ; ils formeront le noyau de l’université de Paris.

    Ses religieux sont des chanoines réguliers de saint Augustin ; on les nommera communément génovéfains. Au xviie siècle, à la suite d’une réforme, leur ordre se nommera la Congrégation de France. Connus pour leur érudition, ils assembleront une bibliothèque qui deviendra célèbre

    par sa richesse et son accessibilité au public, au point qu’à la Révolution elle ne sera pas dispersée comme les autres bibliothèques d’abbaye et constituera le fonds ancien de l’actuelle bibliothèque Sainte-Geneviève.

    Le sarcophage de la sainte repose dans la crypte de l’église. La châsse de ses reliques est exposée dans le chœur, surélevée sur un socle dont la disposition, on le verra, inspirera deux architectes de la future nouvelle église Sainte-Geneviève.

    5. La châsse de sainte Geneviève, par Pierre Nicole, 1614. Marie de Médicis offrit le bouquet de diamants qui le surmonte.

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    6. Sainte-Geneviève au xiiie siècle. À droite de l’église, un bâtiment abbatial. À gauche, Saint-Étienne-du-Mont avant son agrandissement.

    7. Le chœur.

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    La patronne de Paris et protectrice du royaume

    Pendant plusieurs siècles, la dévotion à sainte Geneviève resta de l’ordre de l’invocation personnelle et privée. Malades et infirmes venaient à son tombeau où, Grégoire de Tours l’attestait vers 590, « la fièvre se dissipe ». Mais quand survinrent des situations critiques pour la cité, le recours devint collectif. Spectaculairement exaucé à plu-sieurs reprises, il vaudra à la sainte le statut de protectrice de Paris et du royaume.

    En 822, lors d’une crue de la Seine, les Parisiens constatent que les eaux épargnent la maison où, selon la tradition, Geneviève a vécu. À son invocation, le reflux s’amorce. Ce miracle ravive le souvenir de la puissance de la sainte sur les éléments. Il en naîtra l’habitude de la prier quand des désastres météorologiques menaceront.

    Quelques années plus tard, un fléau d’autre nature sur-vient, avec les incursions danoises. Pendant un siège en 887, au témoignage du moine Abbon, contemporain du fait, « les reliques de Geneviève, la vierge du Seigneur, sont postées à l’entrée de la ville, et sur-le-champ, grâce aux mérites de cette sainte, les nôtres prennent l’avantage et chassent les assiégeants ». La foi en l’intercession de sainte Geneviève en est accrue : l’assaut repoussé est rapporté à la panique devant la menace hunnique qu’elle avait apaisée quatre siècles plus tôt.

    En 1129 ou 1130 sévit une épidémie particulièrement meurtrière d’ergotisme, ou « mal des ardents » – ainsi nommé en raison des sensations de brûlure interne qu’il produit, et dû à la consommation de pain fait avec du seigle contaminé par un champignon, l’ergot, qui s’y développe lors des années pluvieuses. Prières publiques et jeûnes sont inopérants. L’évêque de Paris demande aux génovéfains de descendre les reliques de sainte Geneviève à la cathédrale, où cent trois malades sont assemblés. Mémoire sera gardée que tous ceux qui touchèrent la châsse furent guéris et que l’épidémie s’arrêta.

    Ces trois événements font le prestige de la sainte et de son sanctuaire. Patrona parisiensis et Galliae Patrona, Geneviève sera invoquée dans les grandes calamités : colères de la nature, menaces sur la santé publique, périls pour le royaume. « Ayant besoin de sec ou d’eau / Pour les fruits de la terre, / Menacé de quelque fléau, / Comme de peste ou guerre, / On recourt au sacré vaisseau / Qui sa relique enserre », attestera le cantique. L’iconographie prendra en compte, en les rapportant à des traits marquants de sa vie, ces aspects de son culte.

    Les rites de la dévotion

    Après le miracle des Ardents, le rite de la descente de la châsse à Notre-Dame s’institutionnalise, donnant lieu à une procession solennelle. Elle est motivée par des circons-

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    tances particulièrement graves et décidée selon un protocole impliquant la Cour, les autorités de la Ville et de l’Église. L’itinéraire est immuable  : descente par la rue Saint-Jacques, remontée par la rue Galande, la place Maubert, la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève. On compte qu’en-viron quatre-vingts de ces processions solennelles eurent lieu, la dernière en 1765.

    Le peuple de Paris et des alentours se confie aussi à sainte Geneviève sans cérémonie, en ses maux ordinaires, devant sa tombe et la châsse de ses reliques. Il accomplit les rites immémoriaux avec sa foi naïve, dont, au siècle des Lumières, le caustique auteur du Tableau de Paris, Louis-Sébastien Mercier, ne sait trop que penser, hésitant entre agacement et émotion : « À Dieu ne plaise que je me moque de sainte Geneviève, patrone antique de la capitale ! Le petit peuple vient faire frotter des draps & des chemises à la châsse de la Sainte, lui demander la guérison de toutes les fièvres. […] Il prie de toutes ses forces : son cœur se fond, s’amollit, se répand ; & l’âme du philosophe reste quelquefois sèche & aride, même lorsqu’il veut s’élever vers un culte plus sublime & plus pur… Je retournerai au pied de la châsse de Sainte Geneviève, je me mettrai à genoux au milieu des dévots, & et je respecterai leur foi & leur confiance. »

    Mais voici que Mercier poursuit : « On bâtit une magni-fique église pour placer cette châsse sous une superbe coupole. » Nous sommes en effet en 1782 et l’abbatiale, trop petite et en fort mauvais état depuis longtemps, voit

    s’élever à vingt toises de sa façade une nouvelle église Sainte-Geneviève qui la remplacera. C’est dans l’histoire mouvementée de celle-ci qu’il nous faut maintenant entrer.

    L’iconographie génovéfaine

    Les représentations de sainte Geneviève évoluèrent. Les plus anciennes privilégiaient trois traits : à son cou, la pièce de monnaie crucifère reçue de l’évêque Germain ; le livre de prière, symbole de sa piété ; le miracle du cierge.

    Au xve siècle, Geneviève deviendra bergère : la métaphore de la protection de la cité, symbolisée par la nef des nautes

    8. Jeton de présence des porteurs de la châsse, 1685. À l’avers, la patronne de Paris. Au revers, la procession de la châsse.

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    ou les clefs de la ville, était aisée. Cette image persistera, non sans s’affadir en afféteries par la suite.

    Seront souvent figurés aussi le ravitaillement de Paris, sa protection contre Attila, des scènes de guérison…

    9. Statue, 1855, tour Saint-Jacques, Paris.

    10. Vitrail, cathédrale Notre-Dame, Senlis.

    11. Copie d’une toile peinte par A. Van Loo en 1681, abbaye Notre-Dame, Celles-sur-Belle.

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    Août 1744. Alors que perdure la guerre de Succession d’Autriche et que Louis XV est à Metz auprès de ses armées, une fièvre maligne le saisit, telle que bientôt on craint pour sa vie. L’alarme gagne Paris. La Cour et la Ville prient pour le roi, lequel se contraint à se mettre en règle avec la religion. Et, alors qu’on le croit perdu, le « miracle de Metz » survient. La guérison donne lieu à manifestations de joie et actions de grâces pour celui qui, pour un temps, devient le Bien-Aimé.

    17 novembre 1744. La promesse

    Le roi au plus mal a prié sainte Geneviève. A-t-il fait un vœu ? Cela n’est pas attesté. Mais il vient la remercier solennellement en son église, le 17 novembre 1744. C’est à l’issue de ce pèlerinage que les choses se nouent, dans un échange sans doute concerté à l’avance : en réponse à l’abbé qui représente au roi le délabrement de l’église abbatiale, tel que les fidèles n’y sont point en sûreté, le roi promet de faire édifier un nouveau sanctuaire digne de la protectrice de Paris et de la Maison royale.

    Sans doute, Louis XV n’a-t-il pas, en l’instant, une idée arrêtée du monument grandiose qui va naître de son enga-gement. Mais il est un bâtisseur et entend marquer son empreinte dans Paris. La capitale lui devra la place qui portera brièvement son nom – aujourd’hui, place de la Concorde –, l’École militaire, l’église de la Madeleine, et

    12. Charles Coypel, La France rend grâce au ciel de la guérison du Roy, 1744.

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    cette église nouvellement promise, pour laquelle le chemin va être long de la promesse à la réalisation.

    Dix ans passeront, en effet, avant l’annonce officielle de sa construction, dix également avant la pose de sa première pierre, vingt-cinq encore avant son quasi-achèvement.

    9 décembre 1754. La décision

    En 1754, les religieux de Sainte-Geneviève réitèrent leurs doléances  : « Les Abbé & Chanoines réguliers de cette Abbaye présentèrent au Roi, le 9 décembre 1754, une Requête, disant que le bâtiment de leur Église menaçoit une ruine si prochaine que les fidèles n’y étoient point en sûreté, & que sa réédification étoit indispensable ; que lesdits Abbé & Chanoines n’étant point en état de fournir à une dépense si considérable, ils ont eu recours à la piété de Sa Majesté, pour y pourvoir de la façon la plus convenable. Sur quoi, S. M. voulant conserver une Église précieuse aux habitans de Paris, & désirant à l’exemple des Rois, ses prédécesseurs, donner des marques de sa protection à une Abbaye aussi distinguée, n’a point jugé de moyen plus facile & moins onéreux que celui qui a déjà été employé pour le soutien de semblables établissemens, à savoir, le produit des loteries. »

    Le financement sera donc assuré par une retenue sur les bénéfices de trois loteries parisiennes. Le prix du billet passera de vingt à vingt-quatre sols. Des quatre sols ainsi

    acquis, deux iront à l’augmentation des lots et les deux autres à la construction de la nouvelle église. On en attend pour celle-ci un apport annuel de quatre cent mille livres.

    Si le financement prévu est important, c’est que l’hy-pothèse d’une simple rénovation de la vieille abbatiale qu’avait proposée Claude Perrault cinquante ans plus tôt a été écartée. Il faut un monument totalement nouveau.

    Voilà donc le projet lancé, même s’il faut encore trois ans pour que toutes dispositions soient arrêtées concernant la libération du terrain, le sort de l’ancienne église, le contrôle financier de l’opération, etc.

    La construction est confiée à Jacques-Germain Soufflot qui a la faveur du marquis de Marigny, directeur général des Bâtiments, Arts et Manufactures du royaume, et a déjà signé à Lyon des ouvrages novateurs.

    Le 2  mars 1757, il est en mesure de le présenter au roi, qui l’agrée et confirme par lettres patentes la décision prise trois ans plus tôt.

    13. Auteur anonyme, Jacques-Germain Soufflot.

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    Lettres patentes pour la construction de la nouvelle Église de Ste Gennevieve

    Au mois de mars 1757.Louis, etc., à tous présens et à venir, salut.Ayant été instruit par nos chers et bien aimés les Abbé, Prieur et

    Chanoines réguliers de notre Abbaye de Ste Gennevieve du mont de Paris, que les batimens de leur Eglise etoient dans un tel etat que la réedification en etoit devenue indispensable, et que les fideles qui la frequentoient ne cessoient de former des vœux pour sa recons-truction, ce qui ne pouvoit s’executer, suivant les ordonnances de notre royaume, sans nos lettres patentes duement verifiées ; et les dits Abbé, Prieur et Chanoines réguliers nous ayant en meme tems representé l’impossibilité où ils etoient, par la mediocrité de leurs revenus, de fournir a une depense aussi considérable ;

    Nous avons cru devoir employer notre autorité pour la conser-vation d’une Eglise precieuse aux habitans de notre bonne ville de Paris par la juste confiance qu’ils ont eu dans tous les tems en la patrone de cette capitale, en procurant aux dits Abbé, Prieur et Chanoines réguliers les sommes necessaires pour un objet si digne de notre piété. […]

    Art. 1er

    Qu’il soit incessament procedé aux ouvrages necessaires tant pour la construction de la nouvelle Eglise de Ste Gennevieve, que pour procurer tout ce qui pourra en faciliter les abords, le tout suivant le plan attaché sous le contresçel des presentes.

    (Suivent douze articles relatifs au mode de financement ; aux compensations pour les propriétaires des terrains et habitations touchés par le futur chantier ; à la tenue des registres de recettes et dépenses le concernant ; à la démolition de l’abbatiale après l’achèvement de la nouvelle église ; au transfert, alors, en cette dernière de la châsse de sainte Geneviève, des inscriptions et de tous les monuments de l’ancienne ; à une nouvelle délimitation territoriale du droit de haute justice de l’abbé à la suite de la modification du cadastre.)

    Archives nationales, O1 101, fol. 97 à 107.

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    Le projet de Jacques-Germain Soufflot

    Soufflot s’est vu confier la construction, au détriment d’Ange Gabriel, premier architecte du roi et directeur de l’École royale d’architecture. Ancien pensionnaire de l’Académie de France à Rome, il avait eu la chance d’ac-compagner M. de Vandières, futur marquis de Marigny, dans un périple italien qui avait ouvert le frère cadet de Mme de Pompadour aux beautés de l’antique.

    D’emblée, son projet surprend : une église en croix aux bras égaux que surmonte un dôme puissant ; une façade de temple antique ; un espace intérieur énorme, lumineux, autour de la châsse de la sainte exposée au centre de l’édi-fice. Tout est monumental, et beaucoup est nouveau pour un œil français.

    Mais les critiques fusent. L’apparence de cette église sur-prend un abbé Laugier, auteur d’ouvrages sur l’architec-ture : « Les yeux sont accoutumés à une longue nef, à une croisée plus courte, à un petit chœur. On n’a rien trouvé de tout cela dans la nouvelle Église, & on a conclu hardiment que c’étoit l’ignorance même qui en avoit tracé le plan. » Les génovéfains sont déconcertés par cet espace inhabituel, où sacristie et clocher ne sont même pas prévus.

    L’architecte modifie donc. Pour obtenir la croix latine traditionnelle, il allonge la nef d’une travée et appro-fondit le chœur par une petite abside. Il place – mais, on peut le penser, sans conviction – deux tours-clochers

    minimales au chevet du monument, au-dessus de salles de sacristie.

    De plan en plan, il affine son projet pour le dôme, dont il imagine plusieurs formes. Parti de l’idée d’une coupole aplatie couronnée par une statue de Sainte Geneviève en figure de la Foi (une croix en main), il finit par asseoir, sur un puissant tambour ceint d’une colonnade, un dôme hémisphérique surmonté par un lanternon sommé d’une croix. Sous ce dôme, il emboîte deux coupoles : une inter-médiaire, à forme en chaînette renversée, porte le lanter-non et s’ornera d’une Apothéose de sainte Geneviève ; une inférieure, aplatie, est ouverte en son centre pour donner vue sur cette Apothéose.

    Le décor du fronton évolue également. En 1757, deux projets sont en concurrence : Le sacrifice de la messe et Sainte Geneviève distribuant du pain aux Parisiens. Mais le choix se porte en définitive sur une Croix rayonnante avec des nuées et des anges adorateurs. L’exécution est confiée à Guillaume II Coustou, qu’assistera Nicolas Dupré.

    Le chantier avance peu à peu. On a empiété sur l’avant-cour de l’abbaye, ses jardins, des maisons voisines. Il a fallu stabiliser le sol, qui s’est révélé truffé de puits d’ex-traction d’argile datant de l’époque gallo-romaine et mal comblés. Les fondations sont maçonnées, la vaste et puissante église basse est édifiée. Les substructures ainsi réalisées en une dizaine d’années, la pose de la première pierre peut avoir lieu.

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    14. Jacques-Germain Soufflot, Plan de la Nouvelle Église de Ste Geneviève, 1757.

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    15. Gabriel-Pierre Dumont, Plan de la Nouvelle Église de Ste Geneviève de Paris, 1775.

    16. Le fronton sculpté par Guillaume II Coustou. Claude Poulleau, Vue de l’église Sainte-Geneviève, 1781, détail.

    On note sur ce plan les modifications apportées par Soufflot à son projet initial :

    1 une abside peu profonde ;

    2 deux sacristies surmontées de clochers ;

    3 une travée supplémentaire.

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  • 17. Jean Rondelet, maquette au 1/25e de l’église Sainte-Geneviève, 1783. Le dôme et les deux clochers.

    18. L’agencement des trois coupoles. 19. François Bélanger (attribué à), Église de Sainte-Geneviève, vers 1790.

    Noter les baies et, à l’arrière, l’un des deux clochers.

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    20. Pierre-Antoine Demachy, Cérémonie de la pose de la première pierre de la nouvelle église Sainte-Geneviève, le 6 septembre 1764.

    CouvertureTable des matièresIntroduction1. Du Ve au XVIIIe siècle. Sainte Geneviève et sa première église siècle2. La promesse de Louis XV. Une nouvelle église pour sainte Geneviève3. De la Révolution au Consulat. Le Panthéon français4. Sous le premier Empire. Pour sainte Geneviève et pour la gloire impériale5. Sous la Restauration. Le retour à la volonté de l’Auguste Aïeul6. Sous la monarchie de Juillet. Un Panthéon aux portes closes7. Sous la IIe République. De l’occupation sanglante au retour au culte8. Sous le second Empire. L’étrange enseigne de l’église Sainte-Geneviève9. L’Année terrible. Au risque de l’explosion10. Sous la IIIe République. L’ultime avatarConclusionÉléments bibliographiques