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Nettoyage ethnique, eugénisme, ségrégationnisme, antisémitisme. Certains, dans l'Amérique des années vingt, brassent des idées nauséabondes dont un certain Hitler saura s'inspirer. Voici un dossier dérangeant consacré aux influences américaines dans l'élaboration du nazisme.
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Le passé éclaire le présentwww.historia.fr AVRIL 2015 - N° 820
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24 avril 1915 Le début du génocide arménien
RomeÀ la découverte du palais de Néron
De Daumier à Cabu La bataille pour la liberté de la presse
4 HISTORIA AVRIL 2015
CONTRIBUTEURS
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DR
Bertrand Van RuymbekeSpécialiste des États-Unis, il retrace les différentes vies du plus connu – et du plus dan-gereux – des groupes suprématistes raciaux, le Ku Klux Klan (p. 38).
Raphaël CzarnyJournaliste, il retrace les premières heures du génocide arménien. Quarante-huit heures qui initient la première entreprise extermina-trice du XXe s. (p. 52).
Lionel RichardSpécialiste de l’Alle-magne du XXe s., il vient de publier Malheureux le pays qui a besoin d’un héros (Autrement, 2014) et signe les encadrés de notre dossier.
Frédéric GueltonLa similitude entre les guerres indiennes et le front Est ? La même volonté d’éliminer les autochtones, répond ce grand connaisseur des affaires militaires (p. 44).
Françoise LabaletteHistorienne de for-mation, productrice pour la radio, elle tire aujourd’hui de l’oubli un humaniste globe-trotteur du XVIe s., André Thevet (p. 60).
6 ActualitésLiberté de la presse : des siècles pour en arriver là
10 À l’afficheExposition, cinéma, théâtre…
20 L’art de l’HistoireDiego Velázquez : le portraitiste éclairé de la Couronne
52 Ce jour-là24-25 avril 1915 : le début du génocide arménien
60 PortraitAndré Thevet, le grand géographe de la RenaissanceAprès avoir voyagé en Orient, c’est à l’ouest que ce francis-cain navigue : vers le Brésil et une éphémère colonie française.
66 Les hauts lieux de la préhistoireLa Chapelle-aux-Saints
68 L’inédit du moisLa pouponnière de Michelin
Jean-Louis VulliermeAncien de la rue d’Ulm, agrégé de philosophie, il éclaire de manière inédite le programme hitlérien, inspiré de « l’exemple » nord-amé-ricain (p. 24 et 37).
Olivier TosseriCe journaliste et romancier nous entraîne dans une Rome souterraine qui recèle un joyau archi-tectural antique : la Domus aurea (p. 80).
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70 L’air du tempsDéshabillez-moi, par Juliette Gréco.
72 Pas si bête !Le porc-épic, royal rongeur
74 À tableAgneau de Blaye façon Conti
76 Une illustre inconnueLa Castiglione
78 MythologieLa boîte de Pandore
80 ReportageLe Palais doré de NéronCette grandiose – et éphémère – résidence a fasciné les Romains par son luxe et inspiré, bien plus tard, les artistes de la Renaissance.
89 Un mot, une expressionPorter au pinacle
91 Mots croisés
92 Livres
98 Les couacs de l’HistoireMessaline, la « putain impériale »
DossierHitler : comment il s’est inspiré de l’Amérique des années 1920Laboratoire du nettoyage ethnique, de l’eugénisme, du ségrégationnisme et d’une nouvelle forme d’antisémitisme, les États-Unis fournissent au futur Führer des modèles et des pistes de réflexion pour fourbir son terrifiant arsenal idéologique.
// 24 Son maître à penser : Madison Grant
// 32 Son idole : Henry Ford
// 38 Sa fascination pour le Ku Klux Klan
// 44 Sa référence : la conquête de l’Ouest
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ACTUALITÉS Par Véronique Dumas
6 HISTORIA AVRIL 2015
Après les tueries de Paris et de Copenhague, retour sur les moments clés d’une conquête devenue l’un des piliers de nos sociétés démocratiques.
LIBERTÉ DE LA PRESSE : DES SIÈCLES POUR EN ARRIVER LÀ
L’attentat dont ont été victimes, notam-ment, les journalistes et dessina-teurs de Charlie hebdo rappelle à quel point la liberté d’expression et son corollaire, la liberté de la presse, sont
des notions fragiles qu’il est, hélas, encore nécessaire de défendre en 2015. Elles ont été gagnées de haute lutte par des écrivains, journalistes, polémistes, caricaturistes en butte à la censure des régimes successifs.
Dès la fin du Moyen Âge, des feuilles de nou-velles imprimées, les occasionnels, ayant trait à des actualités, batailles ou cérémonies offi-cielles, sont vendues, en librairie et par col-portage, en France et dans d’autres pays d’Eu-rope (Allemagne, Italie), comme le rapporte Pierre Albert dans Histoire de la presse (PUF).
Canards, libelles et placards. D’autres feuilles volantes vont les remplacer : les canards (le plus ancien connu en France date de 1529), faisant le récit de faits divers, et, au début du XVIe siècle, les libelles et pla-cards, qui, à partir du début des guerres de Religion, vont entretenir des polémiques religieuses et politiques. L’ordonnance de François Ier du 15 janvier 1535, à la suite de l’affaire des Placards (des écrits injurieux affichés dans tout Paris et jusqu’à la porte de la chambre royale), lance le principe de la censure, mise en place en 1537 alors que sévit déjà celle de l’Église.Le premier périodique français, né en 1631, est La Gazette, de Théophraste Renaudot. Riche-lieu comme Mazarin verront dans cette publi-cation un support efficace de la propagande du gouvernement. Dès l’année de la fondation de sa Gazette, Renaudot obtient un privilège lui assurant le « droit de faire imprimer et vendre, par qui bon lui semblera, les gazettes nouvelles et récits de tout ce qui s’est passé et se passe tant dedans que dehors le royaume ». En 1762, elle devient La Gazette de France puis est rachetée en 1787 par l’éditeur lillois Charles Joseph Panckoucke, l’un des pre-miers magnats de la presse.Sous l’Ancien Régime, elle ne joue encore qu’un rôle très secondaire. Les contributeurs
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PÉPIN Louis-Philippe en poire : il fallait oser, Honoré Daumier l’a fait, d’après le dessin original de Charles Philipon. Ce dernier, directeur de l’hebdomadaire La Caricature, est condamné à six mois de prison et à 2 000 francs d’amende.
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REPÈRES
1789 La Déclaration des droits de l’homme garantit la « libre communication des pensées ».
1881 La loi du 29 juillet forme le cadre légal des droits et responsabilités des publications.
1941 Parution de journaux clandestins sous l’Occupation, tels Combat ou Le Franc-Tireur.
2007 Le procès contre Charlie hebdo relance le débat sur la liberté d’expression.
n’ont pas le droit de parler de politique, chasse gardée des feuilles officielles. L’opposition – car elle existe – ne s’exprime que de l’étran-ger. De plus, alors que les quotidiens sont déjà nombreux en Angleterre, il faut attendre 1777 pour que paraisse le premier quotidien français, Journal de Paris.Pour avoir le droit d’exister, les journaux doivent obtenir un privilège par lettre patente du roi. Ce contrôle est assoupli au milieu du XVIIIe siècle grâce au système des « permis-sions tacites », qui permet leur publication sans qu’ils aient été ni autorisés ni interdits officiellement. Une innovation due à Males-herbes, le directeur de la Librairie (la cen-sure royale sur les imprimés). Ce proche des Encyclopédistes en justifie l’emploi dans son Mémoire pour la liberté de la presse.
1 500 nouveaux titres entre 1789 et 1800. La Révolution abolit l’autorisation préa-lable de l’Ancien Régime. Fondement de la liberté de la presse en France, l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789 en pose le principe et les limites : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre des abus de cette liberté dans les cas déter-minés par la loi. » De 1789 à 1800, plus de 1 500 titres nouveaux, du pamphlet pério-dique au quotidien, font leur apparition, soit deux fois plus que pendant les cent cinquante ans qui ont précédé. Pierre Albert estime le tirage de certains hebdomadaires à plus de 15 000 exemplaires. Pour la première fois, la presse joue un rôle politique. Les journaux
les plus engagés, comme L’Ami du peuple, de Jean-Paul Marat, et Le Père Duchesne, de Jacques Hébert, visant un lectorat popu-laire, sont aussi les plus virulents. Face à eux, les feuilles contre-révolutionnaires font preuve d’une égale violence. Après la jour-née du 10 août 1792, qui consacre la chute de la monarchie, les journaux royalistes sont toutefois supprimés, et la liberté de la presse suspendue. Le 29 mars 1793, la Conven-
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MALGRÉTOUT « On a tué Charlie hebdo ! » lancent, le 7 janvier, les vengeurs autoproclamés du Prophète. Sorti la semaine suivante, le no 1178 s’écou lera à près de 8 millions d’exemplaires. Record absolu pour un journal en France.
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22 HISTORIA AVRIL 2015
DOSSIER
HITLERComment il s’est inspiré de l’Amérique des années 1920
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« Identifier les racines de l’événement le plus destruc-
teur de l’histoire moderne pour chercher à les extir-
per », tel est l’objectif de l’universitaire Jean-Louis
Vullierme dans Miroir de l’Occident, le nazisme et la ci-
vilisation occidentale. Ce livre nous a donné à réfléchir
par sa démonstration édifiante, tendant à prouver que
la folie meurtrière de Hitler s’est largement nourrie
d’influences occidentales, notamment le nationalisme,
hérité de la Révolution française, ou la notion de parti
unique, empruntée aux Russes. La part du modèle amé-
ricain dans la construction idéologique du nazisme est
encore plus étonnante. Une Amérique à deux visages,
dont les valeurs de liberté et de résistance à la tyrannie,
symbolisées par les G.I. tombés sur nos plages de Nor-
mandie en 1944, ne doivent pas faire oublier une face
beaucoup plus sombre : celle des années 1920, où les
théoriciens de l’eugénisme, du suprématisme racial, de
l’antisémitisme et du ségrégationnisme donnèrent de
la voix sans restriction. Et avec succès. Source malé-
fique à laquelle Hitler s’est largement abreuvé pour
étancher sa soif de puissance et renforcer sa propre
pensée totalitaire. Une vérité difficile à accepter, mais
qu’il faut savoir entendre.
Éric PincasRédacteur en chef
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Miroir de l’Occident, de Jean-Louis Vullierme (éditions du Toucan, 504 p., 25 €).
DOSSIER HITLER ET L’AMÉRIQUE
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AVRIL 2015 HISTORIA 25
Son maître à penser : Madison Grant
Hitler fonde son idéologie sur le suprématisme racial. Sa bible ? L’ouvrage d’un Américain ardent défenseur de l’eugénisme. Une convergence intellectuelle dévastatrice.
Par Jean-Louis Vullierme
Avocat, tenant des t h é o r i e s r a c i a -listes et conserva-teur naturaliste, M a d i s o n G r a nt
naît en 1865 – année de l’aboli-tion de l’esclavage aux États-Unis, de la découverte des pre-mières lois de la génétique et de l’invention de l’eugénisme par Francis Galton (voir l’en-cadré p. 26). Il meurt en 1937, date de la construction du camp de Buchenwald, alors que Hit-ler, son admirateur, s’emploie à donner une suite industrielle à plus d’un de ses enseignements.
Au cou rs de ses jeu nes années, la société américaine est dominée par les WASP (citoyens de race blanche, d’ori-
refoulés dans des réserves, au motif de leur « sauvagerie », nom donné à leur résistance. Les descendants des esclaves, traités avec condescendance, sont vus comme des « primi-tifs ». Les discrètes populations asiatiques sont méprisées. Catholiques et Juifs, comme l’ensemble des immigrés d’Eu-rope centrale ou méridionale, sont accusés de déficit moral, les premiers par inclination atavique vers la compromis-sion, et les seconds par cupidité (« le Juif polonais, écrit Grant, nain par nature et concentré sur son intérêt particulier »). Les autres popu lations du monde sont ignorées ou trai-tées en faune exotique.
gine anglo-saxonne et de reli-gion protestante), membres de la classe dirigeante qui aiment à se présenter en « patriciens » – un terme emprunté à l’aristo-cratie romaine –, descendants des « Pères fondateurs ».
Formé par un précepteur à Dresde
Ils se persuadent que les vertus dont ils auraient hérité les destinent à gouverner les États-Unis, en imposant leur vision du monde. Ainsi, beau-coup perçoivent le pays comme leur patrimoine, et ses habi-tants non-WASP comme des serviteurs ou des parasites. Les Amérindiens, décimés, sont
Ancien élève de l’École normale
supérieure, agrégé de
philosophie, il est égale-
ment docteur en droit
et en sciences politiques.
L’auteur
WASP Dans son livre
qui le rend célèbre en
1916, Grant se fait le chantre
de la « race blanche » – de
préférence anglo-saxonne et protestante –
qu’il prétend supérieure.
LES COUACS DE L’HISTOIRE Par Joëlle Chevé
98 HISTORIA AVRIL 2015
La nuit, la belle infidèle quitte la couche de l’empereur pour se livrer, dans un bordel de Suburre, à des hommes de la plus basse condition.
qu’aucune source ancienne ne contre-dit, mais qui ne semble guère aller dans le sens des intérêts de Messa-line. Certes, elle y gagne un époux magnifique et un amant efficace, comparé à son vieux mari claudicant et bégayant, mais n’a-t-elle pas tous les hommes qu’elle désire – et ce, au vu et au su de l’empereur ? Et ce jeune époux, dont elle a éliminé la première femme, ne risque-t-il pas, s’il accède au trône, de l’éliminer à son tour ? Claude, après la révélation de son infortune – confirmée par le démé-nagement de ses plus beaux meubles chez Silius –, s’affole. Mais ses affran-chis, qui gouvernent à sa place et qui ont été si souvent les complices de Messaline, craignent d’être évincés par un nouvel empereur. Silius ainsi que d’anciens amants et de nombreux comparses de l’impératrice sont alors exécutés. Ébranlé par les prières de leurs enfants, Octavie et Britannicus, Claude tente de noyer son chagrin dans l’alcool puis réclame sa femme. Celle-ci s’est réfugiée dans les jardins de Lucullus (à l’emplacement de l’actuelle villa Médicis) avec sa mère, qui l’encourage à se suicider afin de mourir en impératrice… Lorsque arrivent les centurions envoyés par l’affranchi Narcisse, Messaline laisse échapper son poi-gnard. Égorgée, son corps est aban-donné et sa mémoire, vouée aux gémonies. Et toutes les statues et ins-criptions qui lui sont dédiées sont détruites ou mutilées, approfondis-sant le mystère qui entoure sa person-nalité, ses ambitions et les raisons de cet incroyable mariage, qui fut pour elle un véritable suicide. L
Fin de l’été 48 après Jésus-Christ, à Rome : la belle Valeria Mes-salina, arrière-petite-fille de Marc Antoine et petite-nièce de l’empereur Auguste, épouse « le
plus beau des Romains », écrit l’his-torien Tacite, le consul Caius Silius. Tout s’annonce sous les meilleurs auspices. Sauf qu’il y a un hic dans ce charmant tableau : la jeune mariée n’est autre que Messaline, l’épouse en titre de l’empereur Claude ! Tacite, ose à peine décrire les faits tant le scandale lui paraît « fabuleux ». Le croirait-on ? L’empereur n’a même pas été averti de sa « répudiation » ! Tandis que la belle affiche sa bigamie aux yeux du sénat, de l’armée et du peuple, il est en voyage officiel à Ostie. Messaline ! Tout a été dit de ses orgies – ne quitte-t-elle pas la nuit la couche impériale pour se livrer dans un bor-del de Suburre à des hommes de la plus basse condition ? –, de ses crimes abominables la délivrant des femmes
qu’elle jalouse ou des hommes qui concurrencent son pouvoir. La meretrix augusta – la « putain impé-riale » –, comme l’a surnommée Juvé-nal, est devenue pour la postérité l’ar-chétype de la nymphomane et de la manipulatrice. Une construction lit-téraire et politique que les historiens ont largement démasquée. Les accu-sations outrancières dont Messaline est l’objet visent en effet à discrédi-ter, à travers elle, le pouvoir de l’em-pereur Claude, jouet entre les mains de son épouse et celles de ses affran-chis, et à stigmatiser, selon des sché-mas mentaux hérités des époques les plus archaïques, le scandale d’un pou-voir au féminin. Reste ce mariage,
Messaline, la « putain impériale »Ainsi la surnomme cruellement le satiriste Juvenal. Et le goût de l’impératrice pour les hommes – avéré ou pas – est passé à la postérité.