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Hommage à Joffre Dumazedier Itinéraire d’un humaniste

Hommage à Joffre Dumazedier Itinéraire d’un humaniste · “Rendre la culture au peuple et le peuple à la culture”pour favoriser l’avè-nement d’un homme nouveau et d’un

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Hommage àJoffre Dumazedier

Itinéraired’un humaniste

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Sommaire Introduction,Jean Gondonneau, Président de Peuple et Culture 3

Itinéraire de Joffre Dumazedier, vers un humanismedu XXIe siècle,Paule Savane 4

Montage culturel autour de Joffre Dumazedier 9

Extraits des témoignages reçus 24

Bon de commande de la cassette vidéosur Joffre Dumazedier 27

Union Peuple et Culture • 108 rue SaintMaur • 75011 Paris • t/ 01 49 29 42 80 • f/ 01 43 57 62 42 • e/ [email protected] • w/ http://www.peuple-et-culture.org

La Lettre de Peuple et Culture, numéro27, décembre 2002. Tiré à part

Nommé par Jean Guéhenno, en 1945, à la Libération, inspecteurprincipal de l’éducation populaire, Joffre Dumazedier acceptecette nomination à condition de pouvoir créer un mouvement

national et indépendant d’éducation populaire. Fondé par des résistants- Joffre Dumazedier, Bénigno Cacérès, Joseph Rovan, Paul Lengrand etPaulette Borker - ce mouvement sera Peuple et Culture.Aujourd’hui, pour rendre hommage à Joffre Dumazedier, c’est PauleSavane, son épouse, Sylvain et Diane, ses enfants, et Peuple et Culturequi, ensemble, vous accueillent.Ainsi nous allons pouvoir partager ce que nous devons individuellementet collectivement à Duma. En évoquant sa vie et son œuvre, ses enga-gements militants et scientifiques, nous nous retrouvons sur le cheminqu’il a tracé : c’est l’itinéraire d’un humaniste n’ayant jamais cessé de s’in-téresser à l’actualité de notre pays comme à celle de notre mouvement ;c’est l’action inlassable d’un militant d’éducation populaire, enseignant etchercheur, dont la force de conviction et l’énergie vitale n’ont cessé de sti-muler nos démarches, nous aidant à les interroger pour que s’affirme leursens.

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Jean Gondonneau

Introduction

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Homme d’action, de réflexion et d’organisation, Joffre Dumazedierétait un militant d’une éducation populaire en révolte contre lesinjustices et les inégalités socio-culturelles. Il était également le

premier chercheur français en sociologie du temps libre et du loisir et leprofesseur des universités qui a fondé la première chaire de socio-péda-gogie des adultes à la Sorbonne-René Descartes (Paris V). Ceci est bienconnu.

Ce qui l’est peut-être moins, c’est que l’interaction constante entre cestrois composantes, militante, sociologique et professorale, a été le socleà partir duquel Joffre Dumazedier, penseur et acteur national et interna-tional, a inventé une société nouvelle et ouvert un chemin vers un huma-nisme nouveau. Nous entendons inventeur au sens archéologique demise au jour de ce qui a été profondément et plus ou moins longtempsenfoui et ignoré.

Cette mise au jour a été construite à partir de ce qu’il a vécu, d’aborddans son enfance et son adolescence, puis dans les Collèges du travailde Noisy-le-Sec et les Auberges de la Jeunesse, ensuite dans les maquisdu Vercors, avec trois questions formulées dans son autobiographie :- pourquoi une telle injustice dans l’accès aux savoirs savants des milieuxdéfavorisés ? - pourquoi et comment des minorités trouvent-elles les moyens de résisterà cette situation, sans jamais désespérer, au point de pouvoir en sortir ?- pourquoi et comment la société pourrait-elle les aider davantage àdépasser les savoirs de leur condition initiale ?

Ce questionnement s’est considérablement élargi et diversifié au fur etmesure de ses expériences et observations nationales et internationalesmais toujours avec un souffle et un élan humanistes amplifiés.

En 1940, c’est la débâcle et l’occupation nazie pendant 4 années. Il fallaitreconstruire le pays sur des bases nouvelles pour éviter, si possible, la

Paule Savane,15/11/02

Itinéraire de Joffre Dumazedier

Vers un humanisme du XXIe

siècle

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reproduction du drame. Comment donner, à chacune, chacun, les moyensd’analyser les situations, de les comprendre et de proposer des solutions ?

En 1945, au sortir de la clandestinité, Joffre Dumazedier fonde Peuple etCulture avec la collaboration de Bénigno Cacérès et d’une vingtaine demilitants. Il s’agit de se donner le moyen de diffuser le plus largement pos-sible “une technique pédagogique révolutionnaire” forgée dans les maquisdu Vercors, à partir de l’entraînement sportif : l’entraînement mental.“Rendre la culture au peuple et le peuple à la culture” pour favoriser l’avè-nement d’un homme nouveau et d’un nouvel humanisme, tels étaient l’ob-jectif et l’esprit énoncés dans le Manifeste de Peuple et Culture de 1945.

Trente ans après, en 1975, Joffre Dumazedier écrit un nouveau manifes-te au titre symptomatique des profonds changements de la société : “Pourune réévaluation radicale de la politique culturelle de Peuple et Culture,1971-1975”. Trente ans après la Libération, de profonds bouleversementssociaux et culturels ont transformé, petit à petit et de fond en comble, lavie de tout un chacun.

A partir des années 1950, le machinisme agricole supprime de la maind’œuvre, l’exode rural s’accélère. La France devient un pays d’industries etde services. L’invention de l’électronique transforme les techniques à l’usinecomme au bureau et améliore les conditions de travail mais crée aussi dedouloureuses inadaptations. Avec l’invention de la contraception, des fem-mes deviennent plus libres, d’autres refusent l’autonomie. Le patriarcat frei-ne cette transformation, parfois avec violence mais il commence à reculer.On pourrait citer d’autres exemples en rapport avec la production et laconsommation de masse, la communication qui devient planétaire, la trans-formation de la vie familiale, de la vie religieuse, de la vie syndicale, politique,de la vie artistique, l’avènement d’une nouvelle esthétique de la vie quoti-dienne. Le progrès avance à pas de géants mais produit, en même temps,bien des souffrances, des incompréhensions, des oppositions, des contra-dictions, des ruptures, et aussi de nouvelles délinquances et violences.

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Une révolution culturelle est en marche, le loisir en est le temps privilégié.En effet, à partir du milieu du XIXe siècle, en l’espace de 150 ans, on estpassé de 3 500 heures de travail par an à 1 560 aujourd’hui, avec plusieurspaliers échelonnés selon les inventions et les luttes sociales. Les progrèsscientifiques et techniques ont considérablement réduit le temps de travail.La population laborieuse, hier taillable et corvéable à merci, dispose,aujourd’hui, d’environ 2 000 heures par an pour mettre en pratique uneautre vie, plus à son gré, en dehors des obligations professionnelles.

Paradoxalement, cette nouvelle société, vécue par tout un chacun, estmal perçue quand elle n’est pas carrément ignorée. Alors, comment lamettre au jour pour aider chacune et chacun à mieux se situer ?

En 1953, encouragé par Henri Wallon, puis Georges Friedmann, JoffreDumazedier constitue au CNRS “les équipes nécessaires pour mener àbien les enquêtes nationales et internationales sur le temps de loisir”.

En 1956, il fonde à Amsterdam, avec Rolf Meyerson (New York), B.Patruschev (Novosibirsk) et des sociologues de neuf autres pays, le Comitéde Recherche du Loisir de l’Association Internationale de Sociologie.

Au long des années, il produit, avec ses collaboratrices et collaborateurs,quatorze livres, un nombre incalculable d’articles, de mémoires, de rap-ports, de rubriques, auxquels il faut ajouter une immense correspondan-ce, pour lui pédagogiquement et amicalement fondamentale.

Le renom international de ses idées, de ses travaux historico-empiriqueset de ses livres lui a valu de nombreuses invitations à donner des cours,des séminaires, des conférences, dans les universités étrangères de tousbords : celles de Sao-Paulo, Rio, Récife et Quito, celles de New-Dehli,Agadir, Jérusalem, celles de Prague (avant 68), Varsovie et Belgrade.Partout, il est reçu en libérateur de l’esprit. Partout, il entraîne les intel-lectuels, les cadres, les dirigeants à observer avec rigueur leurs propres

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sociétés avant de décider, à partir d’idées toutes faites et souvent abstrai-tes, ce qu’il convient de mettre en œuvre pour améliorer la vie des gens.Joffre Dumazedier savait que les hommes sont capables du pire commedu meilleur ; sans illusions, il avait, cependant foi dans les possibilités de“l’évolution de l’esprit humain”.

En 1968, Maurice Debesse, Président de Paris V, ébranlé par les reven-dications du mouvement des jeunes adultes, lui demande de devenir pro-fesseur de l’U.F.R. des Sciences de l’éducation de l’Université RenéDescartes (Paris V). Dès 1969, il fait un cours sur la dynamique socialede la société éducative.

En 1971, Jacques Delors parvient à faire voter la loi sur la formation pro-fessionnelle continue.

En 1974, après avoir passé sa thèse d’Etat qui deviendra le contenu deson livre Sociologie empirique du Loisir (traduit en anglais sous le titreSociety of Leisure), il fonde la première chaire de socio-pédagogie desadultes, à Paris V. Il montre, dans son cours de maîtrise et son séminairede 3e cycle, “comment une sociologie de l’autoformation volontaire, indivi-duelle et collective (associative) pouvait naître d’une double analyse cri-tique de la sociologie de l’éducation et de la sociologie du loisir“. Par l’in-termédiaire de sa principale collaboratrice, Nicole Samuel, il associe à l’u-niversité l’équipe du loisir et des modèles culturels qu’il avait constituéeen 1953.

Dans son enseignement universitaire, il explore systématiquement lesconditions et processus d’émergence de la société éducative avec l’aidede ses étudiants. Joffre Dumazedier n’était pas un mandarin sûr de lui etdominateur qui dispense son savoir, du haut de sa chaire, sur les mal-heureux qui sont en dessous et essaient de suivre. Il était un entraîneur,un compagnon d’apprentissage, ce qui n’excluait nullement un dialoguecritique, rigoureux, exigeant et souvent très sévère. Mais, en même

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temps, il manifestait une tolérance généreuse et s’intéressait à chaqueêtre avec une affection attentive.

Au bout du compte, qu’est-ce que ce nouvel humanisme rêvé par JoffreDumazedier depuis sa jeunesse et auquel il a travaillé sans relâche, jus-qu’à la fin de sa vie ? Ce n’est évidemment pas une idéologie abstraite,désincarnée et élitiste.

Cet humanisme-là commence par l’autonomie des hommes et des fem-mes qui cherchent, eux-mêmes, leurs moyens d’apprentissage : unedocumentation écrite, audio-visuelle et, tout autant, une recherche d’aideauprès d’un ami, d’un voisin, d’un collègue de travail, d’un enseignant,d’une association, d’un institut de formation.

Cet apprentissage individuel et collectif ouvre sur une compréhensionplus large, une attitude plus critique (au sens de l’analyse) et une inven-tion plus éclairée du fonctionnement de la société. Cette dynamique auto-formatrice conduit également à plus de tolérance dans les relations socia-les, plus d’ouverture sur la vie citoyenne, avec un esprit de résistance cul-turelle aux idées manipulatrices de tous bords. Elle est un apprentissageaux savoirs savants et en même temps aux savoir-faire et savoir-être, leplus souvent ignorés du collège, voire de l’université, qui s’obstinent à ladidactique des matières alors même qu’elle est rejetée.

Cette dynamique est aujourd’hui possible grâce aux 2 000 heures annuel-les de temps libéré du travail professionnel contraint. C’est cette dyna-mique que Dumazedier a mise au jour, à partir d’une observation tita-nesque nationale et internationale. C’est à partir d’elle qu’il a ouvert laroute, balisé le chemin pour entraîner vers la connaissance le plus grandnombre.

C’est cela l’humanisme du XXIe siècle. A nous de continuer à le diffuserpour ceux qui ne le connaissent pas encore.

Montage culturel

réalisé par

Corinne BaudelotCatherine BeaumontLine ColsonJean-Paul DefranceBenjamin LebrasJean-Claude Lucien

II est venu, alors que je ne l'attendais pas. Lui qui allait si complètementmodifier ma vie, lui avec lequel, pour toujours, j'allais partager lesmêmes idées, les mêmes combats, mieux : les mêmes buts.

[…] mon frère de fraîche date vint me dire : « Il est venu, tu dois prendrele train aujourd'hui même avec lui, jusqu'à une certaine gare, puis tu lesuivras jusqu'à un endroit qui ne m'a pas été précisé et où tu dois demeu-rer pour longtemps. Tu reconnaîtras l'homme à un sac de montagne rem-pli de poireaux dont les tiges dépasseront. Pour le reste, tu sais de quoi ils'agit. » […]D'abord je ne l'ai vu que de dos avec son sac de poireaux. Cheveux encrête, lunette et serviette, c'était la face. Nous sommes montés dans lecompartiment. Il y faisait aussi très froid. Lui ne sentait rien, c'était mani-feste. Dès son arrivée, une fois son sac de montagne monté dans le filet,il a ouvert sa serviette remplie de livres ; le compartiment est devenu unebibliothèque. Assis dans un coin, près de la vitre, il s'est immédiatementmis à lire. Rien ne le troublait. […]Pourtant je savais que là-haut, dans le sac de montagne, à travers lestiges de poireaux qui dépassaient très visiblement, se trouvait unemitraillette. A cette époque, elles étaient extrêmement rares. […] Luitransportait ce précieux instrument, au manche de fer plat, sans aucuntrouble apparent.Le jour déclinait peu à peu. Une teinte bleue descendait du Vercors et l'ob-scurité gagnait le wagon. Il lisait toujours. Son livre semblait garder lalumière. Les voyageurs étaient des masses d'ombres serrées les unescontre les autres.Un bruit insolite nous a tirés de la torpeur dans laquelle nous glissionsalors que la nuit maintenant arrivait. […]- Papier.Un Allemand se tenait sur le seuil de la porte. Dans la nuit presque com-plète, on ne distinguait qu’une ombre […]. L’ombre alluma une torcheélectrique. […]Le faisceau lumineux se promena au-dessus de nous et s'immobilisa surle sac de montagne. L'homme que je suivais ne bougeait pas. L'Allemand

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Bénigno Cacérès,Peuple et Culture,

1953

Le Président

s'approcha sans hâte, et sonlong bras plongea dans les poi-reaux... J'étais blanc, muet, iner-te, sans pensées. Le soldat alle-mand souleva légèrement lemanche de la quincaillerieanglaise dénommée mitraillet-te... Sa joie éclata, spontanée,totale, joie naïve de celui qui atrouvé ce qu'il cherchait. Toutsourire, il demanda au lecteurassidu qui n'avait même pas levéles yeux :- Chignolle ?- Oui... répondit-il sans manifes-ter la moindre surprise.- Moi mécanicien gut.Et il donna des tapes paternellessur l'épaule de l'homme à la chi-gnolle que gênait tant de familia-rité. Il lisait, et n'aimait pas êtredérangé quand il concentrait sonattention.- J'ai beaucoup percé de trousavec chignolle comme ça.Par dignité, l'homme que je sui-vais se tut.

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Il n'y avait pas encore d'étu-des historiques et empiriquesde sociologie à la Sorbonne.

Alors je n'ai pu compléter mesétudes littéraires initiales quepar des études de linguistiqueavec Meunier et Vendryes. C'estau niveau du diplôme d'étudessupérieures que j'ai bifurquévers les sciences sociales. Lalinguistique, c'était mon premiercontact avec elles. AvantSaussure, c'était une linguis-tique très marquée par l'histoire.Ce que je voulais comprendre,c'était comment pouvaient accé-der mes anciens camarades del'école primaire, devenusmaçons, plombiers, menuisiers,etc., aux connaissances que j'a-vais moi-même acquises aulycée et que je cherchais à leurfaire partager le soir au Collègede Travail de Noisy-le-Sec etdans les réunions des Aubergesde Jeunesse. Ce fut l'origine dece diplôme d'études supérieuresen linguistique à la Sorbonne oùj'essayais d'analyser l'utilisationde la langue ordinaire pour per-mettre l'accès au langage spé-cialisé de la science. C'est l'ana-lyse de la langue et du style

Interview réalisée parNicole Samuel

Temps libre etmodernité, mélanges

en l’honneur deJoffre Dumazedier,

Dir. Gilles Pronovost,Claudine Attias-Donfut,

Nicole Samuel,L’Harmattan, 1993

Un peuple une cultureManifeste de Peuple et Culture, 1945

La culture vraie ne se limite pas à la sphère des idées ; elle conduit à unart de s'exprimer et à un art de vivre. L'ouvrier qui résume son idéal dansun style simple et direct est plus proche d'une vraie culture que l'étudiantqui, pour un examen, apprend par cœur une liste de citations.

La culture populaire ne saurait être qu'une CULTURE COMMUNE ATOUT UN PEUPLE : commune aux intellectuels, aux cadres, aux mas-ses. Elle n'est pas à distribuer. Il faut la vivre ENSEMBLE pour la créer.Elle ne saurait être plaquée sur la vie du peuple. Elle doit en émaner. Lesporteurs de la culture vraie ne sont pas seulement ceux qui en font pro-fession.

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d'Anatole France qui me donnale matériau de cette premièreconfrontation. Car AnatoleFrance cherchait souvent àexprimer des idées assez com-pliquées dans un langage extrê-mement ordinaire, celui desharangères, comme il disait. Cetravail devrait plus tard m'êtred'une très grande utilité pour pra-tiquer et théoriser la méthoded'éducation populaire, diteméthode d'entraînement mental.

J'avais déjà beaucoup tra-vaillé à une sociopédagogiede l'éducation populaire au

Bureau d'Études d'Uriage où j'é-tais chargé d'organiser desstages ouvriers et j'ai continué auVercors. J'étais de plus en pluspersuadé que la transformationde la société suppose l'éveil dementalités nouvelles pour ne pasêtre biaisée, dégradée, trahie.J'étais convaincu que des mou-vements d'action culturelledémocratiques puissants sontnécessaires pour le changementde la société. J'étais persuadéque ces mouvements devraient

être indépendants des syndicatset des partis pour pouvoir élabo-rer et diffuser les cultures capa-bles de susciter non seulementdes lois nouvelles mais des hom-mes nouveaux, pour faire vivreles institutions sociales selon descirconstances éventuellementrenouvelées, des institutions plusrespectueuses de la justice, de laliberté, de la vérité, du rêvedémocratique, malgré les excèsde la publicité et de la propagan-de. Un développement cultureldémocratique, au niveau de lacréation, de la diffusion et de laparticipation m'apparaissait dès

lors encore plus indispensableque le développement écono-mique et social. Ce fut désormaispour moi l'axe majeur à la foisd'une politique éducative et d'unerecherche sociologique ou socio-pédagogique auxquelles j'allaisconsacrer toute mon énergie.

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Dans le refus des situations- les mouvements socio-politiques dénoncent les situations négativescréées par les manques d'une pratique institutionnelle, d'une loi munici-pale ou nationale que les autres partis proposent ;- les mouvements socio-culturels affrontent surtout les situations d'igno-rance, de dépendance, de soumission, d'égarement des esprits prison-niers de stéréotypes sociaux, d'interprétations partisanes, de préjugés etde routines.Dans le choix des valeurs - les mouvements socio-politiques choisissent surtout des idéologies uto-piennes ou opportunistes capables de mobiliser des foules, des masses,en vue d'élections locales, nationales ou européennes ;- les mouvements socio-culturels choisissent, en dehors des idéologiesgénérales socio-politiques, des valeurs partielles, sectorielles, capablesd'améliorer les pratiques technologiques, scientifiques, artistiques ouéthiques de la vie quotidienne, en chaque condition sociale.Dans le choix des publics visés - les mouvements socio-politiques visent avant tout les classes et caté-gories sociales qui pourront les porter au pouvoir, par une démarche sou-vent plus démagogique que démocratique ;- les mouvements socio-culturels visent surtout, à l'intérieur des classeset catégories sociales dominées ou dominantes, les groupes et les indivi-dus qui ont le plus besoin d'une action culturelle démocratique pour eux-mêmes ou pour leurs relations avec autrui.Dans le choix des modes d'intervention - les mouvements socio-politiques agissent le plus souvent par des entre-tiens médiatiques, des tournées de propagande à la base, des grandsspectacles de foule, des formations le plus souvent orientées, dogma-tiques ou sectaires ;- les mouvements socio-culturels procèdent en général tout autrement,par des formes d'action informative et éducative, plus attentives à larecherche de l'objectivité, à la relativité des points de vue, au développe-ment plus lent, plus différencié et plus réel du sujet social apprenant.

La Lettre dePeuple et Culture,n° 12, février 1995

Points d’impact entreles mouvements

socio-politiques et lesmouvements socio-

culturels

Joffre Dumazedier

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Chateaurouge, le 18 mai 1998

Mon cher Bourdieu,

J'ai une raison de me réjouir. Depuis 1935 où, étudiant à la Sorbonne, je me passionnais pour les combats duFront populaire, pour la semaine de 40 heures, les congés payés, le "droit au loisir" pour tous, j'ai souventdéploré que les gauches de gauche (qui me sont chères) échouent à cause des idéaux de justice et de libertéproposés par le cœur dans l'ignorance des conditions réelles nécessaires à leur réalisation probable. Aucunsociologue n'était là pour aider les militants à découvrir et à construire "le champ des possibles". Ils illustraientce vieil adage "le mieux est l'ennemi du bien“. Habitués aux "raisons d'agir" sans les confronter aux moyensd'agir, ils réduisaient le plus souvent la complexité d'une décision gouvernementale ou institutionnelle à la sim-plicité courante d'une attitude revendicative.

C'est donc une chance que l'exigence de ta connaissance sociologique puisse les aider à construire le champdes possibles d'une décision gouvernementale tout en la stimulant.

Tu as contribué à donner une forme nouvelle aux raisons d’agir, puisses-tu contribuer à renouveler ainsi uneconnaissance des moyens d'agir, des plus illusoires aux plus efficaces, en perfectionnant la connaissance desforces de changement dans leurs réussites et leurs échecs, ici et ailleurs, aujourd'hui et hier...[…] De façon très générale, pour accroître encore la crédibilité de ta "référence intellectuelle" pour l'action, il mesemble que ton questionnement sociologique qui oriente brillamment surtout vers les phénomènes de repro-duction du conservatisme et des privilèges des classes dominantes, aurait besoin d'être complété par unquestionnement aussi exigeant vers la dynamique de toutes les forces de résistance, de changement, demodification, même limitée, des situations d'injustice. Ton analyse fournirait ainsi de précieuses informationspour créer aujourd'hui un meilleur champ des possibles. Tu ne crois pas ?

Même dans l'habitus que tu mets si souvent en lumière pour limiter les illusions d'une liberté abstraite, verba-le..., ne serait-il pas opportun de distinguer plus fortement en lui la part majeure des forces reproductives et lapart mineure, mais réelle, des forces de changement réel ou potentiel ? […]

Joffre Dumazedier

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Nous voulons des hommes qui aient des “pouvoirs” autant que des“connaissances”. Nous faisons écho au cri d'alarme de Marx et deNietzsche “contre une culture conservatrice“ et sans élan créa-

teur. Du primaire au supérieur, et malgré ses grandeurs, notre enseigne-ment est trop souvent orienté vers le “savoir“ plutôt que vers “l'action“.[…]Nous ne voulons pas des hommes soumis au destin. Certes, la sciencenous montre le poids des déterminations biologiques, psychologiques,économiques, sociologiques qui pèsent sur nous. Mais nous leur refusonsun caractère fatal. En s'appuyant sur l'hérédité, l'inconscient et lescontraintes sociales, l'homme peut retrouver la liberté et la maîtrise de lui-même.

Nous voulons des hommes qui sachent trouver un équilibre dans la viefamiliale, la vie professionnelle et une vie sociale plus large. Notre époqueest privilégiée ; chaque jour elle nous invite à ouvrir plus largement noscœurs.

Des hommes qui tendent à réaliser intégralement leur condition d'homme.Des milliers de travailleurs, libérés par la machine d'un labeur opprimant,pourront connaître une vie plus pleine. Les loisirs permettront l'avènementd'une civilisation où l'action pourra être “la sœur du rêve“. C’est pour elleque nous nous préparons.

Enfin, des hommes qui allient les exigences de la vie moderne aux loispermanentes de la nature humaine. Des hommes qui, engagés sansréserve dans le présent, sachent remonter aux sources de l'idéal et de laspiritualité. Nous voulons des hommes qui mettent en valeur toutes lespossibilités humaines.

Manifestede

Peuple et Culture1945

Un peupleune culture

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Ouvriers del’entraînement mentalRapport d’étape, 1997

La méthode est conçue pourêtre vérifiable ou vérifiée. C'esttrès important. C'est ce qui medistingue fondamentalementde la démarche d'Edgar Morin.Je le connais bien. Nousavons travaillé dans le mêmebureau. E. Morin nes'intéresse pas au problèmede la vérification de ce qu'ilpropose. II construit. Saméthode est une méthodepseudo philosophique. C'esttout. Moi, je cherche toujoursl'association des deuxcaractères de la conception etde la vérification.

Joffre Dumazedier

Joffre Dumazedier fait partie de la très riche pépinière de sociologues(avec Michel Crozier, Viviane Isambert-Jamati, Edgar Morin, AlainTouraine) issue du séminaire de Georges Friedmann. De ce dernier, il

retient surtout le possible contrepoids qu'offre la progression du temps libreface à la déshumanisation du travail. Mais, de celui qu'il reconnaîtra tou-jours comme son maître en sociologie, il ne partage pas le pessimismefinal, ni le déterminisme unilatéral du travail, ni la réduction du loisir à saseule fonction compensatoire. De cette position critique, Dumazedier opèreune sorte de renversement par rapport à la tradition de l'époque, en se don-nant le loisir comme objet et comme concept à part entière. De déterminé,le loisir devient déterminant. Dans l'extension du temps comme des pra-tiques de loisir, Dumazedier perçoit une dynamique sociale originale, rela-tivement autonome et libératoire, dont on ne peut ignorer l'influence poursaisir l'émergence de nouvelles valeurs et des comportements sociaux quis'y rattachent. A la suite d'Herbert Marcuse et des enquêtes internationalesqu'il poursuit sur les budgets temps, il observe l'inversion des tempssociaux entre travail et temps libre. Il propose alors de définir le loisircomme temps majeur de l'existence, temps à soi dégagé des obligationsdu travail professionnel, du travail domestique et des engagements socio-politiques ou socio-religieux. Dans plusieurs ouvrages, il étudie précisé-ment les fonctions liées à cette dynamique du loisir (Sociologie empiriquedu loisir, Seuil, 1974), tout particulièrement celle de la détente (loisirs spor-tifs et de plein air), celle du divertissement (loisirs sociaux ou pratiques) etcelle du développement (loisirs culturels), ramassées dans la formule des3 D de Dumazedier. Mais il montre surtout qu'au-delà de ses aspects fonc-tionnels, l'importance prise par le temps de loisir produit une révolution cul-turelle (Révolution culturelle du temps libre, Méridiens-Klincksieck, 1988)silencieuse - une révolution sur des "pattes de colombe" comme il aimait àle dire en citant Nietzsche – transformant insensiblement le rapport à soi,le rapport aux autres et le rapport à l’environnement.

Contribution de Roger Sue (extrait)

Joffre Dumazedier : la liberté d’être soi

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Une (…) expérience internationale a tenu une place particulièredans ma réflexion, cette fois sur le loisir et le sous-développe-ment : c'est celle du Brésil. Ce fut pour moi une surprise d'être

appelé en 1963 dans l'État de Pernambuco par la sœur du Président dela République, Violeta Araes. Elle était convaincue qu'une lutte efficacecontre l'analphabétisme devait passer par des centres de développementculturel des quartiers d'une ville comme Recife, qui incluraient l'écoledans une unité plus large utilisant des activités de loisir pour les enfantset leur famille. Elle avait repris une idée émise par moi lors de stages d'é-ducation populaire de Peuple et Culture qu'elle avait suivis en France :c'était une militante à Recife du Movimento de Cultura Popular. Le projetfut ébauché avec l'aide de Darcy Ribeiro, alors Recteur de l'Université deBrasilia. Mais il ne put être réalisé car je fus chassé du Brésil par l'arrivéeau pouvoir à Brasilia des militaires (1964) sans qu'aucune explication neme fût donnée.

Ce ne fut qu'en 1975 que je pus aller de nouveau au Brésil lorsque le gou-vernement militaire décida de l'“abertura”. Ce fut à São Paulo que je fusinvité par Renato Requixa, universitaire chargé du Service social du com-merce (le SESC). Renato était un lecteur inattendu de mes ouvrages surla sociologie du loisir et pensait qu'une des tâches de son service socialurbain était de répondre à des besoins d'activités de loisir plus diversi-fiées que le football, la samba et la consommation d'alcool. Et cela, grâceà une politique sociale de parcs naturels, de centres comportant descamps de plein air, de centres de cinéma, de maisons de la culture,comme la Pompeia, née dans une usine désaffectée. Pendant une dizai-ne d'années, j'ai formé les cadres d'un centre d'études du loisir à l'échel-le de l'État : le CELAZER. J'ai orienté la réalisation d'une grande enquê-te sur le loisir dans une ville moyenne, de taille comparable à celled'Annecy (Americana) où il apparut qu'il y avait plus de membres dans lesorganisations de loisir que dans les syndicats et les communautés chré-tiennes. Il apparut aussi que déjà dans la modernisation des villes d'unesociété en voie de développement, le loisir pouvait occuper dans la vie

Interview réalisée parNicole Samuel

Temps libre etmodernité, mélanges

en l’honneur deJoffre Dumazedier,

Dir. Gilles Pronovost,Claudine Attias-Donfut,

Nicole Samuel,L’Harmattan, 1993

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Très jeune, avec mesanciens camarades declasse de Noisy-le-Sec et

beaucoup d'autres, j'ai trouvédans l'expérience du stade - c'é-tait l'Alsace-Lorraine de Paris aubord de la Reillet - un style devie corporelle, un style de rela-tions sociales avec des partenai-res et des adversaires, une viequ'on peut appeler culturelleavec des gens de tous lesmilieux sociaux que j'ai cherchéplus tard à analyser et à fairerayonner autour de moi. Bienavant la mode du jogging, dèsl'âge de 15 ans, j'ai pratiquéchaque jour la course à pied etla culture du corps. Et cette pra-tique sportive, je l'ai continuée àtous les âges de ma vie. Dansles années soixante, je fusmême - c'est anecdotique -champion de France du 100mètres de l'Association des écri-vains sportifs qui était dirigéepar Giraudoux puis par Berger.La pratique physique me parais-sait doublée d'une pratique sym-bolique, applicable à touteaction et que j'ai appelée en1942, dans les “Cahiersd'Uriage” : l'esprit du sport. Pour

quotidienne de la population une place qui ne se limitait pas au carnavalet aux autres fêtes folkloriques collectives et que le football, forme moder-ne du loisir, pouvait être complété par beaucoup d'autres activités de loi-sir en tous genres.[…]Plus récemment, dans les années 90, en collaboration avec un ancienétudiant marocain, Aziz El Ouarti, devenu professeur spécialiste du tou-risme à Agadir, je me suis plus particulièrement intéressé aux problèmesliés à l'éveil aux valeurs du loisir dans les zones urbaines du Maroc. AzizEl Ouarti a fait sa thèse à Paris sous ma direction sur ce thème. II est lepremier à avoir observé comment ces valeurs interfèrent avec les valeursculturelles de la religion islamique. Ces problèmes de l'évolution de la viequotidienne arabe me paraissent avoir une telle importance que j'ai déci-dé de concentrer désormais ma recherche internationale sur ce sujet, encollaboration étroite avec Aziz El Ouarti mais aussi avec Hakima Laala quiétudie l'éveil difficile des valeurs du temps à soi et du loisir dans la vie desfemmes de Casablanca et avec Amina Guednaoui qui travaille sur l'éveilde la jeunesse de Marrakech à ces valeurs nouvelles dans les différentstypes de famille.

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moi, la pratique attentive dusport représentait un moyen deculture toujours possible malgrétout ce qui menace et dégradequotidiennement cette pratique.J'ai appris beaucoup de ce moded'action sportive. D'abord àaimer réaliser le mieux possibleune tâche en recherchant l'ex-cellence pour elle-même, en uti-lisant des modèles stimulants dechampions qui conduisaient àtenter de se dépasser plutôt que,comme disait ma mère, de faireles choses à moitié ou d'être“ailleurs”. Deuxièmement, cetteexpérience, surtout dans la pra-tique du basketball et de l'avironcollectif, m'a appris à coopérersans trop d'états d'âme avecceux qui vous sont imposés parune division efficace du travailmême si j'aurais préféré d'autresvoisins. Troisièmement, cetteexpérience de la forte confronta-tion sportive m'a révélé qu'unadversaire n'est pas fatalementun ennemi et qu'une lutte aveclui pouvait être très sévère - jus-qu'à se défoncer comme on dit -tout en le respectant à traversles règles du jeu. Enfin, quatriè-mement, de telles tâches, de tels

rôles sociaux exigent une prépa-ration rigoureuse qu'on appellel'entraînement.[…]Cette idée m'a inspiré dans l'éla-boration progressive sur le ter-rain, avec mes camarades de l'é-ducation populaire, depuis lescollèges de travail jusqu'auxmaquis ouvriers du Vercors, puisà Peuple et Culture, d'uneméthode sociopédagogique oùl'apprentissage au travail intel-lectuel naîtrait du désir d'excellerdans les réflexions sur les pra-tiques quotidiennes dans les dif-férents milieux sociaux. Cetteméthode dite d'entraînementmental a souvent été incomprisepar ignorance de cette inspira-tion initiale ressentie dès l'ado-lescence, fondée sur l'extensionvolontaire du modèle de déve-loppement sportif au développe-ment de l'esprit, au cœur despratiques, des coopérations etdes affrontements du quotidiendans toutes les classes et caté-gories sociales.

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La sonnerie du téléphones'est fait entendre. Je mesuis levé : c'était le com-

missariat de police.- Nous avons au poste un clientdont la voiture avait les pharesextrêmement mal réglés. Leditmonsieur n'avait ni carte grise, nipapier d'identité. Il a donné votrenuméro de téléphone commeétant le sien. Amenez donc sespapiers.

[…] Le commissariat était sem-blable à lui-même : vieilles cou-leurs tristes, plafond haut, maléclairé, bureau très anciennerépublique, banc marron, surlequel était assis un homme trèsgai qui avait toutes les peines dumonde à rester silencieux […].Cet homme n'était pas lePrésident en état d'ébriété. LePrésident était assis autourd'une longue table, derrière lecomptoir, entouré d'agents deville. Il parlait le plus sérieuse-ment, le plus calmement dumonde, aux agents devenussimples étudiants de premièreannée.Je n’osais l’interrompre dans sonexposé ; les agents, bien sage-

Un peuple une cultureManifeste dePeuple et Culture, 1945

Il ne s'agit pas de donner àl'esprit des connaissances, maisde développer ses facultés.Avant de "faire de l'histoire", ilfaut créer dans l'esprit le réflexehistorique. Avant de "faire de lagéographie", il faut habituerl'esprit à se situer dansl'espace. Avant d'exposer unethéorie économique, il fautexercer l'esprit à passer desfaits aux causes, des causesaux théories, des théories àl'action.Bref, avant de présenter unenseignement culturel, il faudraitdévelopper une aptitude culturelle.Ce n'est ni la lecture du journal, nila fréquentation du cinéma qui ontdonné à l'esprit du travailleur lamusculature mentale nécessairepour parcourir et explorer lesrégions de la connaissance qui luisont jusqu'alors restéesinconnues. Sans faire renaître larhétorique ou la scolastique, nousdévelopperons cette musculaturepar un véritable ENTRAINEMENTMENTAL.

Bénigno Cacérès,Peuple et Culture,

1953

Le Président

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venu me changer, je suis encoreresté debout devant un mar-chand de radio à regarder.C'était beau.- Eh oui, c'était beau, a ajouté lePrésident. La finale de la coupe,le couronnement de la reined'Angleterre, les chanteurs.Tenez, Georges Brassens, c'estun chanteur. Peut-être l'exempleest-il mal choisi, bien sûr, il dit dumal des agents, mais la chan-son, vous le savez, est unemanière de traduire les senti-ments du plus grand nombre.[…]- Minute, a dit un autre agent(plus réglementaire), c'est inté-ressant. On va dire à l'inspecteurde descendre.Personne ne s'occupait de moi.Sur le banc, le monsieur gai riaittrès fort. II avait une paix royale,une douce chaleur et un bancpour lui tout seul. L'inspecteurest descendu. Le Président adécliné ses titres et qualités.- Il faut penser, monsieur, aux loi-sirs culturels de vos agents. Lemilieu environnant, les condi-tions d'éclairage, les couleurs,les jeux, la radio, la télévision,autant de moyens que vous

ment, avaient rangé leurs jeuxde cartes sur un coin de table etécoutaient :- Ce n'est même pas la radio qu'ilvous faudrait, mais la télévision.Parfaitement, la télévision. Vousavez un service social, il a desmoyens ; tous les automobilistesou presque ont la carte desœuvres sociales de la police,alors ces moyens, pourquoi nepas les utiliser ? C'est à vous defaire une enquête sur vosbesoins et d'établir un compterendu circonstancié sur ce quevous désirez. Quand vous avezachevé vos rondes, vos perma-nences aux carrefours, vosenquêtes extérieures, que faites-vous ? Vous venez ici au poste etcela n'est pas plus gai pour vousque pour le monsieur assis surce banc qui, à ce qu'il semble, adépassé le stade du buveurmodéré. Vous jouez à la belote ?Bon. Mais vous vous rendezcompte, si vous aviez la télévi-sion ? Tenez, vous aimez le foot-ball, eh bien, moi, j'ai vu en directla finale de la coupe du monde ;ce n'est rien, ça ?- Moi aussi, a dit un agent. J'étaisà un carrefour et quand on est

devriez utiliser. Je me tiens àvotre disposition pour tous ren-seignements complémentaires.Et il a encore parlé pendant unedemi-heure.L'inspecteur lui a serré la main eta trouvé ces idées très intéres-santes.[…]Le Président m'a fait signe devenir derrière le comptoir.- Je vous présente mon collabo-rateur, Victor Bonenfant.J'ai salué monsieur l'inspecteur,pendant que le Président, surune feuille de papier à en-tête ducommissariat (que très aimable-ment lui présentait M. le commis-saire) inscrivait son nom, sonadresse, ses qualités et ses dif-férents numéros de téléphone enprécisant, étant donné ses occu-pations, à quelles heures il fallaittéléphoner à l’un ou l’autre.Nous sommes repartis sansaucune vérification d’identité nide carte grise.

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Le vieux poète que je croisêtre devenu t'est recon-naissant d'avoir en huma-

niste éclairé, dit par avance aux"cognitivistes étroits" que l'onrencontre maintenant dans lesinstances de formation, que lasensibilité, l'imaginaire, l'aban-don à des dérives oniriques maî-trisées, deviennent dans lemonde virtuel et sur médiatiséqui nous regarde comme le "BIGBROTHER" d'Orwell, la garantieque tes trois D (tout le mondecomprendra !) concernent latotalité de la personne dans sesrapports avec elle-même, avecson milieu, avec les autres, quel-les que soient leurs races.

Duma, j'ai connu les probléma-tiques complexes des langages,des écritures et des signes. Cefaisant, j'ai rarement oublié tarigueur. Tu as contribué, commel'avait fait mon vieux maîtreBachelard, à me persuader quela science comme la poésie, àcondition de ne pas les confond-re, nous rendaient en mêmetemps lucides et ouverts à l'opa-cité de l'homme et de ses son-ges.

Contribution deGeorges Jean (extrait)

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Une démarche d’éthique sociale (socio-éducative)

C'est d'abord la poursuite du grand rêve démocratique, égalitaire et édu-catif de Condorcet en l'an I de la République. II a conçu, à la demande del'Assemblée nationale, un projet d'éducation du peuple qui ne se limitaitpas à l'école et qui englobait l’art de s’instruire par soi-même à tous lesâges de la vie, dans une société où l'information continuait la formationet favorisait l'auto-formation permanente collective et individuelle commenous dirions aujourd'hui. Il voulait “rendre la raison populaire” parce quecomme disait son ami l'artiste Goya, "le sommeil de la raison enfante desmonstres”. […]

L'entraînement mental ne se contente pas, comme la plupart des formesd'éducation nouvelle, du "développement de la personnalité", il vise àfaire des militants culturels armés pour la résistance aux influencesnéfastes d'une société de la domination sociale, de l'infantilisation desadultes par le divertissement commercial, des aliénations en tous genresqui les privent de leur droit d'être des citoyens actifs. La fracture socialeest de tous les temps.

Joffre Dumazedier

Ouvriers del’entraînement mentalRapport d’étape, 1997

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Bénigno Cacérès,1953

- Voilà, me dit-il encore,l'essentiel, étant donné lasituation de notre pays qui nesemble pas s'acheminer versdes structures qui donnentréellement, matériellement, auplus grand nombre les moyensde se cultiver, l'essentiel n'estpas le travail que nousaccomplissons. Nous devonspréparer la société de demain.Le Président a un art véritablede penser pour demain. Acroire que la notion de tempsn'est pas la même pour nousdeux. Moi, je suis aujourd'huidans mon travail concret. Pourlui, la petitesse de l'homme,explique-t-il, vient de sonimpossibilité à penser l'avenir,c'est-à-dire à être réellementdans le présent.

Le président,Peuple et Culture,

Nous sommes déjà au tempsoù l'on pourrait fonder desamicales ; nous nouscontentons de nous raconterparfois nos souvenirs.Dépouillés de petits détails, ilsdeviennent aujourd'hui presquedes épopées.Notre mouvement est resté àtravers toutes les vicissitudesde l'histoire, à travers tous lespetits et grands événements quiont séparé les uns, renduennemis les autres, un havred'unité. L'amitié aussi nous unit.Ensemble, nous continuons deformer des éducateurs. Nousavons dans notre cœur desrésultats qui nous permettent devivre joyeux. Le Président estavec nous pour toujours.Ensemble, nous tironsl'attelage.

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De lui, j’ai appris l’art de la prospective et acquis quelques lectures de ladestinée du monde.Bernard Smagghe

Il m’a appris l’importance de la détermination, de la passion même.Andrée Durand

Long, tendu, amical, conflictuel compagnonnage durant trente ans.Pierre Besnard

Nous avions repris ensemble tout un travail - qui me préoccupait autantque lui - sur l’accession du prolétariat à la culture et il envisageait uneétude sur mon parcours d’autodidacte qui lui apparaissait exemplaire, demon entrée en usine à 13 ans (1931) à l’entrée chez Gallimard et auTNP Vilar (1959) et à la Comédie française (1971).Gabriel Cousin

Je garde le souvenir d’une grande liberté d’esprit, d’idées à l’époquetotalement utopiques, qui se sont révélées par la suite porteuses d’avenir(civilisation des loisirs, éducation permanente…). Merci de m’avoir offertdes rencontres qui ont contribué à construire mon parcours personnel.Jeanne Bolon

Un militant, un moine, un soldat, un homme d’idéal, un militant de l’hu-manisme au sens le plus noble du terme.Maurice Herzog, ancien ministre de la Jeunesse

A chaque réunion qu’il animait, une fois évacués les problèmes adminis-tratifs et conflictuels (ils furent parfois nombreux, notamment au lende-main de la guerre, avec les communistes, et plus tard lors de l’efferves-cence autour de Mai 68), il introduisait une réflexion souvent basée surdes lectures de chercheurs américains - je songe à Max Kaplan et DavidRiesman - réflexion qui nous forçait à penser autrement certains problè-

Extraits destémoignages reçus

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mes, à réajuster nos pratiques éducatives de tous les jours.Nourri de la pensée des grands esprits de l’époque des Lumières, deCondorcet - qu’il évoquait souvent - des expériences du Front populaireet de celles vécues dans la Résistance, des pratiques acquises dans l’a-nimation d’un grand mouvement d’éducation populaire, JoffreDumazedier restera une des grandes figures emblématiques de laseconde moitié du XXe siècle. Pour beaucoup, il restera le “père” de lacivilisation des loisirs.Valmy Féaux, ancien ministre belge de la Culture

Cet éminent sociologue qui s’est engagé toute sa vie au service de l’é-ducation populaire fut de ceux dont la pensée a éclairé ma jeunesse etpar conséquent aussi mon engagement politique et ma consciencecivique.… une vie qui a laissé à toutes et à tous le sens de la considération,l’élévation collective, la survivance d’un mot qui semblerait bienaujourd’hui devenir obscène : peuple.Jean-Pol Baras, secrétaire général du parti socialiste belge

Pendant les cinq années où j’ai eu en charge le ministère de la Jeunesseet des Sports, la pensée et les actions de Joffre Dumazedier m’ont beau-coup inspirée. En particulier la réflexion engagée sur la pertinence duconcept d’éducation populaire doit beaucoup à l’œuvre de JoffreDumazedier.Au long de sa longue militance, il n’a jamais abandonné le principe fon-dateur de l’éducation populaire, qui veut que des hommes et des fem-mes s’organisent volontairement et proposent une autre conception del’organisation sociale. Joffre Dumazedier a été le penseur du temps libre,y voyant une réforme en profondeur de l’organisation de la société. Pourlui, le temps libéré était du temps pour se consacrer à l’Autre, à l’actioncollective.Cet homme brillant, intelligent, profondément humain est resté toute savie humble et curieux, en témoigne l’une de ses dernières actions avec

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des élèves et des enseignants de la ville de Sevran.Joffre Dumazedier a toujours refusé d’être honoré par la République. Laseule décoration qu’il ait acceptée fut la médaille d’or de la Jeunesse etdes Sports, que j’ai eu le plaisir de lui décerner. Mais, ironie de l’histoire,malgré de nombreuses tentatives réciproques, nous n’avons jamais trou-vé le moment de la remise officielle de cette distinction.C’est dommage car j’aurais enfin pu lui dire tout ce qu’il a apporté à l’é-ducation populaire et à la sociologie moderne et qui, pour lui commepour moi, ne sera jamais une pensée dépassée mais bien un beau chan-tier d’avenir.Joffre Dumazedier a accompagné votre association depuis sa création.C’est donc à vous, à sa famille que je pense au moment de sa dispari-tion.Marie-Georges Buffet, secrétaire nationale du PCF, ancienne ministrede la Jeunesse et des Sports

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