Upload
lyduong
View
225
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
ISSN 2112-6798
Revue n° 18 - octobre 2016
éditée par le Groupement des hôpitaux de jour psychiatriques - ASBL -
Hôpitaux de jour Psychiatriques
Thérapies Institutionnelles
SOINS DE JOUR EN PSYCHIATRIE MULTIPLES DÉNOMINATIONS POUR UNE TENSION ENTRE
PROGRAMME, ADAPTABILITÉ ET CRÉATIVITÉ
XLIIIème Colloque des Hôpitaux de jour
2 et 3 octobre 2015
CAEN
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 2
Groupement des Hôpitaux
de Jour Psychiatriques
ASBL
153, boulevard de la Constitution
B - 4020 LIÈGE
Président
Dr Christian MONNEY
Ancien Médecin Directeur Adjoint des
Institutions Psychiatriques du Valais Romand
La Jauguettaz 1
1808 LES MONTS-DE-CORSIER
SUISSE
Téléphone : 41 (0) 79 449 22 83
Courriel : [email protected]
Secrétariat général
Pr Jean BERTRAND
Marie-France CHARON
Hôpital de jour universitaire “La Clé”
Bd de la Constitution, 153
B-4020 LIEGE
BELGIQUE
Téléphone : 32 (0) 4/342 65 96
Télécopie : 32 (0) 4/342 22 15
Courriel : [email protected]
Courriel : [email protected]
Secrétariat français
Pr Bernard KABUTH
Service de pédopsychiatrie
Rue du Morvan
54511 Vandœuvre les Nancy
FRANCE
Téléphone : 00 33 (0)3 15 45 53
Télécopie : 00 33 (0)3 83 15 45 57
Courriel : [email protected]
Dr Patrick ALARY
Ancien psychiatre des hôpitaux
BP 90053
64990 MOUGUERRE
FRANCE
Téléphone : 33 (0) 6 80 21 16 28
Courriel : [email protected]
Secrétariat SUISSE
Dr Christian MONNEY
Courriel : [email protected]
URL : www.ghjpsy.be
Comité scientifique
Docteur P. ALARY Pau
Professeur J. BERTRAND Liège
Professeur W. BETTSCHART Crissier
Docteur H. BOOREMANS Bruxelles
Madame M.-F. CHARON Liège
Docteur J.-Y. COZIC BohAgence Régio-
nale de Santé
Docteur M.-F. DESSEILLES Beaufays
Docteur Patrick GENVRESSE Caen
Docteur Ph. GOOSSENS Bruxelles
Docteur Ph. GUIGNARD Corsier sur Vevey
Monsieur B. HUMBLET Liège
Monsieur B. HUNZIKER Lausanne
Docteur M. JADOT Verviers
Docteur G. JONARD Namur
Professeur B. KABUTH Nancy
Monsieur M. KYNDT Verviers
Docteur P. LISIN Liège
Docteur Ch. MONNEY Martigny
Docteur Ch. PLUMECOCQ Lille
Madame M. REBOH-SERERO Lausanne
Docteur M. SQUILLANTE Nantes
Professeur J.-M. TRIFFAUX Liège
© La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
et des Thérapies Institutionnelles
ISSN 2112-6798
est éditée par
Le Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques ASBL
– juillet 2016 – Liège
BELGIQUE
La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
et des Thérapies Institutionnelles n°18
octobre 2016
« Dans le Phédon, Platon pose que la construction de la science est la seule vraie réponse que l’on puisse faire à l’opinion (doxa). La mise en œuvre du savoir est en même temps la preuve de sa validité. Le Philodoxe se laisse fasciner par la perception, le philosophe accepte l’idée que connaître, ce n’est pas seulement percevoir, mais égale-
ment accéder au réel qui n’est pas que perçu… »
XLIIIème Colloque des Hôpitaux de jour
2 et 3 octobre 2015
CAEN
Soins de jour en psychiatrie
multiples dénominations pour une tension entre
programme, adaptabilité et créativité
On lit, parfois, que le premier hôpital de jour psychiatrique aurait vu le jour à Moscou en 1933
mais nul doute que cette “datation au carbone 14” est sujette à controverse !
L’hôpital de Jour en Psychiatrie fait partie de l’éventail des ressources de soins proposé à nos
patients, charnière entre l’intra et l’extra, entre l’hôpital et l’ambulatoire, certes le soin est hospi-
talier mais de Jour…
Qu’est-ce donc qu’un soin hospitalier de Jour en psychiatrie ?
En quoi s’origine-t’il à la fois d’une forme de sociothérapie, d’un accompagnement éducatif, de
la psychoéducation jusqu’au soin proprement dit chimiothérapique et relationnel ?
En effet, dans le gradient allant du plus près de l’environnement usuel au plus institutionnalisé, il
existe une succession de prises en charge entre l’accueil, prémisse d’une possible consultation et
l’hospitalisation. Cette chaîne à partir de l’ambulatoire déploie notamment ce que l’on appelle le
Centre de Jour, le club thérapeutique, l’atelier thérapeutique ou le Centre d’accueil Thérapeutique
à Temps Partiel. Pour les initiés, tout cela sonne comme une évidence et les différences entre ces
structures vont de Soi, mais pour les néophytes (les familles, les patients, les médecins de famille),
que d’interrogations que l’on pourrait condenser en une seule :
Quelles sont les différences fonctionnelles et d’objectifs entre le Centre de Jour, un club thérapeu-
tique et l’hôpital de Jour ?
Il est une question qui mérite d’être posée même si elle peut sembler triviale et réductrice aux
professionnels : lorsque les structures existent dans un dispositif de soins, avons-nous la réactivité,
le dynamisme et le courage nécessaire pour réinterroger leur pertinence, leur efficience au regard
des troubles, de la psychopathologie et surtout de la vie quotidienne de nos patients ?
Ce préambule propose une sorte de réflexion à rebours. En effet, il est de règle de partir du symp-
tôme du patient, de l’expression d’une souffrance pour penser le soin utile pour lui. On n’aura
jamais assez répété que ce ne sont pas les établissements qui soignent mais bien ce que l’on veut
bien y mettre dedans. Pour autant, pourquoi cela nous empêcherait-il de questionner notre façon
d’instituer le soin, ne serait-ce que pour en confirmer la validité ? L’adaptabilité et la créativité
sont deux idéaux fréquemment et fantasmatiquement convoqués en clinique psychiatrique. En
quoi peuvent-ils s’exprimer au travers de nos structures pour le mieux-être de nos patients ?
Docteur Patrick GENVRESSE
Maison des adolescents
Caen
France
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 3
© La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
et des Thérapies Institutionnelles
ISSN 2112-6798
Comité de lecture
BELGIQUE : Pr J. BERTRAND, Liège
Pr M. ANSSEAU, Liège
Dr M.-F. DESSEILLES, Beaufays
Dr M. JADOT, Verviers
Pr J.-M. TRIFFAULT, Liège
FRANCE : Dr P. ALARY, Pau
Dr J.-Y. COZIC, Brest
Pr B. KABUTH, Nancy
Dr Ch. PLUMECOCQ, Lille
SUISSE : Pr W. BETTSCHART, Crissier
Dr Ph. GUIGNARD, Corsier sur Vevey
Dr Ch. MONNEY, Martigny
Rédacteur en chef de la Revue
Dr Patrick ALARY, Pau
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des
Thérapies Institutionnelles n° 18
ISSN 2112-6798
octobre 2016
Rédacteur en chef adjoint pour ce volume
Dr Patrick GENVRESSE, Caen
Organisation locale du colloque
Responsable :
Dr Patrick GENVRESSE
Maison des adolescents
9, place de la Mare
14000 CAEN
FRANCE
Secrétariat pour ce numéro de la Revue
Docteur Patrick ALARY
Les numéros antérieurs peuvent être commandés au secrétariat
général du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
sous réserve de leur disponibilité.
Tous droits de reproduction strictement réservés.
Toute reproduction d’article à des fins de vente, de location, de
publicité ou de promotion est réservée au Groupement des Hô-
pitaux de Jour Psychiatriques.
Toute reproduction d’article dans un autre support (papier, inter-
net, etc.) est interdite sans l’autorisation préalable de la rédaction
de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Théra-
pies Institutionnelles.
Les articles sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs.
Soins de jour en psychiatrie multiples dénominations pour une tension entre ...... 2
programme, adaptabilité et créativité ................................................................................... 2
La Revue évolue… ........................................................................................................................... 6
Hommage à Guy Jonard .............................................................................................................. 7
Allocutions de bienvenue ................................................................................................... 8 à 12
Haute Tension en hôpital de jour : attention, changements ! ...................................... 13
Muriel Rebboh-Serrero
La clinique de concertation ..................................................................................................... 19
Dr Jean-Marie Lemaire
Rétablissement, pouvoir d’agir et citoyenneté Des recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé à l’application en France ................................... 25
Dr Jean-Luc Rœlandt
“Experiment” et compagnieQuand l’espace transitionnel s’invite au sein d’un atelier “Volume et mosaïque”................................................................................................................ 32
Justine COUDOUX, Christine VANHAVERBEKE
Profamille : impact sur l’humeur des participants ......................................................... 38
Pierre TAVARES, Annick NEUVILLE, Aurélie MONTAGNE-LARMURIER
Quand les soignants mettent en scène les patients ......................................................... 43
Stéphanie BARON, Marie-Elodie DUBOST-VIEL
L’hôpital de jour : un menu unique ou des soins à la carte ? ........................................ 47
Kerstin WEBER, Michèle CHARTRIN, Anne-Charlotte PAPORÉ, Eric VERGER, Alessandra CANUTO
Visite à domicile ou quand la clinique amène l’hôpital de jour pour enfant à s’ouvrir et se montrer créatif .................................................................................................................. 50
Dr Yannick FISCHER, Aurélie GUASCH
Les soins en hôpital de jour : du trou de serrure au jeu de clés... ................................ 53
Dr Benjamin REUTER, Céline TIBERGHIEN, Stéphanie NOIRFALISE, Pr Jean-Marc TRIFFAUX
Privilégier l’ambulatoire même en phase aigüe L’expérience d’un hôpital de jour de courte durée en psychiatrie ..................................................................................................... 59
Dr Amélie DEROUET
Quitter l’Espace de Soin et de Médiation : donner une dimension thérapeutique à la fin de la prise en charge des adolescents ............................................................................ 63
Delphine AUCOUTURIER, Jacques LEROY, Docteur Hélène NICOLLE, Anne-Françoise REGNOUF
Evolution du projet pilote “Archimède” : s’adapter, créer, dans un souci de cohérence et de cohésion .......................................................................................................... 68
Christophe MILECAN, Claire BELLANGER, Anne BOEGNER, Docteur Vincent LUSTYGIER
Etre soi, être soigné : se soigner ou se travailler ? ........................................................... 74
Dr Frédéric SCHNEEBERGER, Emmanuel PECHIN
L’Hébergement Thérapeutique : des soins de nuit comme alternative aux soins de jour dans la clinique de l’adolescent .................................................................................... 78
Dr Aymeric de FLEURIAN, Stéphane POULAIN
Incarcération et thérapie : deux “mondes” antagonistes ? L’expérience d’un Hôpital de Jour au Centre Pénitentiaire de Caen ............................................................................. 83
Virginie COLLOMB, Christel FERE
« La Terre est bleue comme une orange » : de la perception à l’élaboration, le groupe « Les cinq sens » ............................................................................................................ 87
Dr Mazen ALMESBER, Christine GARCIA-ADAMEZ, Alexandra MIARD, Virginie PERRIN
A corps et à cri : quand pixels et pinceaux s’en mêlent ................................................... 92
Emilie SNAKKERS, Carolin JANETSCHEK, Gabriel ZEGNA, Fiona PARMENTIER
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 4
Janus ou les mutations d’un hôpital de jour Le paradoxe de la femme aux chats 97
Dr Jean-Benoît DESERT, Joanne ARTUS, Isabelle GODFRIN, Viviane LOMBART, Latifa MACHKOURI, Dr Pierre GERNAY
Réflexion sur l’historique des programmes de jour à Genève .................................... 104
Athina PETSATODI, Aline POCHON, Françoise LEBIGRE, Béatrice DELESSERT, Martine GOURNAY, Javier BARTOLOMEI
Des blancs dans le programme : exercer en équipe l’art de border le vide ........... 108
Olivier RENARD, Alexandra SMAL, Dominique VALETTE, Ulrich WEILAND
Programme de Renforcement de l’Autonomie et des Capacités Sociales (PRACS) : un module original pour patients psychotiques à l’Hôpital de jour du secteur Caen Nord ............................................................................................................................................... 112
Aurélie MONTAGNE LARMURIER, Leila VARGAS, Fabienne VRINAT
La ferme thérapeutique de May sur Orne : cohabitation d’une psychiatrie institutionnelle et des principes de réhabilitation psychosociale ............................ 116
Arnaud DUMOULIN, Dr Julie CAUCHY, Estelle LEROUX, Cécile PERRINE
Soins de jour au KaPP : la pertinence et l’efficience mesurées dans l’après... ...... 121
Charles-Emmanuel BLONDIAU, Bruno MALEVEZ, Claire SAVEANT, Marguerite VAN DEN BERGH
Oublis et vivre, créer au présent .......................................................................................... 126
Dresse Dragana FAVRE, Eric LAUBER, Catherine GARDIOL, Dr Aimilios KRYSTALLIS
Synthèse du colloque ................................................................................................................ 134
Dr Xavier De LONGUEVILLE
Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation ................................................. 136
Au menu : symptôme sur son lit de soignants servi en hôpital de jour : Cuisine, Contre-Transfert et Dépendances ....................................................................................... 142
Dr Gilles SIMON, Dr Dino CARNEVALE, Sophie CHAMPAGNE, Claire LEHMAN, Florence PILOTTI, Robin LEJEANNE
Amener le patient à bon port ? L’équipe soignante : entre singularités et synergies ......................................................................................................................................................... 149
Pr Yasser KHAZAAL
La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles151
BULLETIN DE DEMANDE D’ADHESION ................................................................................ 152
BULLETIN DE RENOUVELLEMENT D’ADHESION .............................................................. 153
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 5
La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
et des Thérapies Institutionnelles
Déjà parues
n° 1 : Entre idéal thérapeutique et réalité(s) économique(s): quel avenir pour les hôpitaux de jour?,
Martigny, 1999
n° 2 : Violences et hôpital de jour, Nancy, 2000
n° 3 : Place, magie et réalité du médicament à l’hôpital de jour pour enfants, adolescents et adultes,
Namur, 2001
n° 4 : Comprendre et (re)construire à partir de l’hôpital de jour, Brest, 2002
n° 5 : Évolution des structures de soins: rivalité ou partenariat?, Montreux, 2003
n° 6 : Actualités des psychothérapies institutionnelles pour l’hôpital de jour?, Lille, 2004
n° 7 : Quels projets aujourd’hui pour l’hôpital de jour... de demain?, Liège, 2005
n° 8 : Sorties, à quelles adresses?, Grenoble, 2006
n° 9 : diversite-hyperspecificite@hôpital de jour psy.lu, Luxembourg, 2007
n° 10 : Entre bouée et corset: devenirs de l’étayage à l’hôpital de jour, Champéry, 2008
n° 11 : Dépendances - d’une autonomie à l’autre, le risque de l’altérité, Bruxelles, 2009
n° 12 : Du sexe à l’hôpital de jour: place du pulsionnel dans la vie institutionnelle, Nancy, 2010
n° 13 : Émotions, résonance émotionnelle et hôpital de jour, Verviers, 2011
n° 14 : Dessine-moi un mouton… Cadre, permanence et temporalité à l’hôpital de jour, Saint Lô, 2012
n° 15 : Le modèle dans tous ses états, Lausanne, 2013
n° 16 : Le travail avec les familles en hôpital de jour, Brest, 2014
n° 17 : Au-delà du symptôme… la porte du soin en hôpital de jour, Namur, 2015
n° 18 : Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabi-
lité et créativité, Caen 2016
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 6
Cette année 2016 marque une importante
évolution pour notre Revue des Hôpitaux de
Jour Psychiatriques et des Thérapies Insti-
tutionnelles.
Le Colloque de Caen, en 2015, a été le mo-
ment de propositions d’évolution du Col-
loque, certaines ont bousculé les traditions
et les habitudes.
D’autres seront conservées, ayant fait la
preuve de leur intérêt. Comme les hôpitaux
de jour eux-mêmes, le Groupement évolue
et espère ainsi, sans rien trahir de ses va-
leurs, rester en phase avec le temps dans le-
quel son activité s’inscrit.
Il en va donc de même pour la Revue.
Née en 1979, elle est la fille naturelle des
Actes qui, depuis l’origine du Groupement,
(il en est cette année à son 44ème Col-
loque !), étaient publiés après chaque mani-
festation.
A partir de 2003, avec la création du site in-
ternet du Groupement, la revue est devenue
disponible sous forme informatisée un an
après le Colloque dont elle rendait compte.
Dans les prochains mois, le site est amené à
évoluer et nous envisageons de rendre ainsi
disponibles l’ensemble des revues depuis le
numéro 0, paru à la suite du Colloque de
Saint Lo, en 1978.
Depuis 2003, également, le Prix de la Revue
a été instauré qui récompense chaque année
le travail de qualité d’une équipe, une ma-
nière de rappeler qu’il faut plus que jamais
soutenir ce travail pluridisciplinaire qui
reste le fondement de l’activité en hôpital de
jour.
L’informatique a pris une part importante
dans l’activité des professionnels de santé,
certains le regrettent mais peut-on raisonna-
blement échapper aux conditions-mêmes de
notre existence ?
Et, si l’on en croit Michel Serres, « petite
poucette » est aujourd’hui le moyen le plus
usité pour communiquer, s’informer, sa-
voir…
Le personnel de soins, et bien entendu en
hôpital de jour comme ailleurs, use (et par-
fois abuse dirons les anciens qui en ont
même fait une addiction nouvelle !) de ces
nouveaux moyens de communication.
Au détriment du papier, écologie oblige !
Alors s’est posé la question de maintenir la
revue sous sa forme imprimée et notre Con-
seil d’administration en a âprement débattu,
sans que cela ne tourne à une querelle des
anciens et des modernes...
Pour les plus anciens cependant, l’attache-
ment à l’objet-revue est profond... ce qui ne
signifie pas qu’ils n’utilisent pas eux aussi
leur smartphone ! C’est vrai, il est impor-
tant, pour ceux qui ont animés un atelier ou
qui ont participé activement à l’un de nos
Colloques, d’en garder une trace concrète.
Mais, si nous voulons être présents auprès
du plus grand nombre, dans un moment où
la diversité des pensées et des pratiques est
un enjeu éthique majeur, si nous souhaitons
être reconnus de nos jeunes collègues, qui
sont la psychiatrie de demain, il faut désor-
mais que l’on puisse trouver la revue et ses
articles en tapant chaque titre sur Google,
ou tout autre moteur de recherche...
C’est pourquoi nous avons décidé de sauter
le pas.
A partir de 2016, la Revue sera disponible
au plus grand nombre sur Internet et sur le
site du Groupement.
Cela ne signifie nullement une moindre exi-
gence éditoriale, bien au contraire. Notre
comité de lecture ne modifie pas ses critères
de validation, on pourra le constater cette
année encore.
Nous continuerons également à publier des
articles concernant le travail en hôpital de
jour ou questionnant la psychothérapie ins-
titutionnelle, qui nous semble encore au-
jourd’hui un outil majeur.
Voici donc le premier numéro d’une nou-
velle aventure !
Nous la souhaitons longue et fructueuse !
Longue vie à la Revue des Hôpitaux de Jour
Psychiatriques et des Thérapies Institution-
nelles informatisée !
Je voudrais sincèrement remercier le Doc-
teur Marie-Noëlle Alary pour sa relecture
attentive qui m’a évité beaucoup d’erreurs
et fait gagner beaucoup de temps…
Le rédacteur en chef
Docteur Patrick ALARY
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 7
Chers collègues, mon introduction sera un peu particulière cette année puisque le groupement des hôpitaux de jour est en deuil. Nous avons
perdu au mois de mai le docteur Guy Jonard, qui était l’un des membres fondateurs du groupement, et je vais laisser Jean Bertrand retracer
quelques lignes de sa carrière.
Bonjour Guy.
Il me revient de vous faire part de notre émotion, et de la souligner en raison du dernier voyage que notre ami et vice-président Guy Jonard a
entrepris, sans vraiment y croire, je peux en témoigner.
Il n’a pu surmonter les dernières interventions chirurgicales, qu’il croyait au départ bénignes.
Le connaissant bien, il n’aurait pas aimé nous voir s’apitoyer sur son départ. C’était pour nous un véritable ami, un compagnon de route, et
aussi un bon vivant, comme vous le verrez sur les clichés de la revue splendide qu’a réalisé Patrick Alary pour saluer sa mémoire, et de même
que le texte de Christian Monney.
Je voudrais simplement souligner qu’il a toujours été très actif dans le groupement. Je citerais entre autres le fait qu’à l’heure de la première
rencontre que nous avions initialisée en 73, il avait eu le plaisir de revoir le Docteur Georges Daumezon, qui était notre président à l’époque.
Moment historique et marquant pour l’histoire de notre Groupement. Rappelons aussi son originalité puisqu’il avait introduit dans un colloque
précédent, celui de Namur, en 2000, une réflexion originale pour l’époque : la place du médicament à l’hôpital de jour.
Enfin, je voudrais vous signaler qu’il adorait les photos, et qu’il aimait vraiment qu’on le photographie. Je pense que l’inconscient de Patrick
Alary était sans doute en action car on le retrouve à chaque page de la revue.
Grâce à ceci aussi, Guy, tu ne nous quittes pas.
Merci.
Merci Jean. Jean Bertrand est avec Guy Jonard le fondateur du groupement des hôpitaux de jour en Belgique. Ici, nous nous trouvons en
France, avec un président de ce groupement qui est suisse. En Suisse, nous avons une habitude, une tradition, qui est celle de faire une minute
de silence en l’honneur des personnes que nous avons perdues. Aussi, vous serai-je reconnaissant de bien vouloir vous lever et de faire une
minute de silence en la mémoire de Guy Jonard s’il vous plaît.
...
Je vous remercie.
Comme Jean Bertrand l’a rappelé, Guy Jonard était un bon vivant ; il aurait souhaité que ce colloque soit joyeux, et il le sera.
J’aimerais dédier ce colloque à sa mémoire, et j’espère que nos travaux seront à la hauteur de ce qu’il espérait, c’est-à-dire festifs, joyeux,
pleins d’échanges et de vivacité.
Je vous remercie de votre attention.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 8
Bonjour à tous,
Tout d’abord, je m’associe aux remercie-
ments :
- à l’Agence Régionale de Santé de nous
faire l’honneur d’ouvrir ce colloque ;
- à la municipalité Caennaise de son ac-
cueil et de son soutien dans la tenue de
ces journées ;
- à nos conférenciers d’avoir bien voulu
répondre présents ;
- à l’Etablissement Public de Santé
Mentale de Caen et l’Association
PRISME pour le travail en commun
dans l’organisation du colloque ;
- à Metilde et à Vincent, pour leur effi-
cacité et leur sympathie ;
- à vous tous d’être là et à tous ceux que
j’oublie, notamment notre équipe logis-
tique qui vous accueille.
Alors Soins de Jour en Psychiatrie, tel est
l’intitulé général de ces Journées.
Nous sommes convenus d’explorer les
différentes modalités des actions théra-
peutiques de Jour en Psychiatrie, selon le
lieu, le tempo, la technique, les principes
et jusqu’aux programmes. Ce n’est donc
pas étonnant que nous trouvions au fil des
intitulés des ateliers les mots tels que
« Expérience, Créativité, Hospitalité,
Autonomie, Capacités sociales, Menu,
Jeu, Laboratoire. » Ce sont tous ces mots
qui ont été le fil conducteur de l’organi-
sation de ce colloque.
Ainsi nous avons souhaité que ce col-
loque repose sur l’expérience, la créati-
vité, l’autonomie et la socialisation de
vous tous.
Nous proposons à chacun de déterminer
les 6 ateliers, une sorte de menu, auquel il
souhaite participer demain et d’en retenir
d’ores et déjà les lettres et les salles cor-
respondantes.
Un responsable d’atelier vous accueillera
et se chargera de la répartition dans la
salle.
Cette organisation qui semble flottante
n’a pas manqué d’inquiéter notre comité
scientifique…Nous comptons sur vous et
vos choix actifs d’ateliers (les sessions
sont affichées clairement dans le hall)
pour que tout se déroule aussi bien que
possible.
De Caen, vous direz soit qu’il s’agissait
d’un joyeux bazar, soit que tout cela
n’était pas si mal.
Nous comptons sur vous. Et pour ce faire,
nous vous le rappellerons tout au long de
nos journées, merci de penser à rensei-
gner la fiche d’évaluation qui vous a été
remise à votre arrivée
Par ailleurs, sachez que nous aurons au
cours de cet après-midi, des intervenants-
surprise.
Enfin, pensez, pour ceux que cela inté-
resse, à vous inscrire pour la visite guidée
du cloître et de l’hôtel de ville qui aura
lieu ce soir à 19 heures. Les inscriptions
se feront pendant la pause cet après-midi.
Je déclare officiellement le XLIIIème Col-
loque du Groupement des Hôpitaux de
Jour Psychiatriques ouvert !!!
Merci à vous.
L’AUTEUR
Dr Patrick GENVRESSE Psychiatre, Directeur médical
Maison des Adolescents du Calvados 9 Place de la Mare 14000 Caen France
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 9
Bonjour,
Il m’appartient d’ouvrir ce colloque en
ma qualité de premier intervenant. Je ne
vais pas abuser de cette primauté pour
vous accabler sur des considérations gé-
nérales. Je souhaite simplement faire part
de quelques observations puis adresser,
en ma qualité de directeur de l’ETABLIS-
SEMENT PUBLIC DE SANTÉ MEN-
TALE, quelques remerciements et pour
conclure glisser une suggestion.
Je voudrais :
- Tout d’abord saluer l’existence du
Groupement des hôpitaux de jour psy-
chiatriques francophone, société qui a le
mérite d’être transnationale dans un con-
texte où, malheureusement, les nationa-
lismes s’affichent de plus en plus. La
présence de près de 80 belges, de 40
suisses et de 6 luxembourgeois à côté de
130 français est aussi l’illustration d’un
esprit européen à défendre.
- Saluer également la diversité des parti-
cipants français qui viennent de plu-
sieurs régions même si la composante
normande, forte de 80 personnes, est im-
portante, me réjouir de la présence d’une
vingtaine des congressistes venant d’une
région qui m’est chère, la Bretagne. A ce
propos on pourrait, au moment où les
deux Normandie vont se retrouver dans
une seule région, réévaluer l’importance
de cette délégation régionale en y inté-
grant les 6 autres participants venant de
Loire Atlantique. Mais j’en resterai là
car je ne voudrais pas susciter des réac-
tions à ce propos d’autant que nos amis
belges et suisses savent combien il peut
être difficile d’être confronté à l’altérité
dans son propre pays.
- Saluer aussi la diversité profession-
nelle de votre assemblée où se côtoient
nombre d’infirmiers, de médecins, de
psychologues, d’ergothérapeutes et
d’autres catégories professionnelles.
Cette diversité montre que la pluri-pro-
fessionnalité recommandée pour d’au-
tres spécialités médicales est une réalité
déjà ancienne dans le champ de la psy-
chiatrie.
- Souligner que dans une période où les
pouvoirs publics français nous invitent à
pratiquer avec le “benchmarking”, votre
société est depuis longtemps un lieu de
confrontation des pratiques où les lo-
giques comparatives sont à l’œuvre.
En matière de remerciements, je souhaite
tout d’abord remercier le Groupement des
hôpitaux de jour psychiatriques franco-
phones de la confiance qu’il a accordé à
l’établissement en lui confiant l’organisa-
tion de son XLIIIème colloque.
Je tiens aussi à remercier Patrick
Genvresse pour l’initiative qu’il a prise en
proposant au groupement que Caen soit le
lieu de cette manifestation.
Je me réjouis aussi que, compte tenu des
perspectives nouvelles que va fixer la loi
de santé en discussion devant le Parle-
ment français, les équipes de
l’ETABLISSEMENT PUBLIC DE
SANTÉ MENTALE de Caen et celles du
Centre Hospitalier Universitaire de Caen
ont pu travailler ensemble à la réussite de
cette manifestation. La nouvelle loi va
inéluctablement nous conduire à nous
rapprocher tant la situation Caennaise,
voire calvadosienne, est atypique. Il con-
vient, malgré les nombreuses inquiétudes
qui s’expriment quant à la place faite à la
psychiatrie dans le nouveau paysage hos-
pitalier qui se dessine, d’aborder cette
nouvelle période avec sérénité et con-
fiance.
Pour en terminer avec les remerciements,
je veux saluer la petite équipe au sein de
laquelle Métilde Havard et Vincent
Kubker ont occupé une place essentielle
et qui, depuis plusieurs mois, s’est activée
pour que ce colloque soit une réussite.
Mes remerciements seraient incomplets
si je ne mentionnais pas la Ville de Caen
qui, dès les premiers jours, nous a mani-
festé son soutien et dont une des modali-
tés pourra être appréciée par les person-
nes qui participeront ce soir au diner de
gala.
Enfin, Monsieur le Président, je vous sug-
gère de modifier le libellé de votre grou-
pement pour qu’il reflète mieux le champ
de vos intérêts et d’adopter comme déno-
mination l’intitulé de la thématique de ce
colloque : les soins de jour en lieu et place
des seuls hôpitaux de jour.
Bon colloque !
L’AUTEUR
Jean-Yves BLANDEL Directeur
Etablissement Public de Santé Mentale 15 ter, rue Saint-Ouen BP 223 14012 Caen cedex France
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 10
Bonjour à tous,
En tant que représentant de l’Agence Ré-
gionale de Santé de Basse-Normandie1,
c’est un grand honneur et un grand plaisir
de pouvoir accueillir à Caen le XLIIIème
Colloque du Groupement des hôpitaux de
jour psychiatriques francophones.
Vous le savez, notre offre de soins est en
constante évolution pour s’adapter aux
besoins d’une société en profonde muta-
tion, dans un contexte où la ressource mé-
dicale et les moyens financiers sont
comptés comme rarement auparavant.
Simultanément, l’interpellation forte de
notre système de soins par les individus,
les usagers, la société, la contestation par-
fois de ce système de soins, la dénoncia-
tion de ses manquements avérés ou sup-
posés, les difficultés de ce système de
soins, nous renvoient collectivement,
nous en tant qu’autorité de tutelle, vous
en tant que professionnels de santé, à la
question incessante de notre capacité
d’adapter nos organisations pour tenter de
répondre au mieux aux attentes expri-
mées, et en même temps, ce qui n’est
d’ailleurs pas forcément toujours la
même chose, de prendre en charge les pa-
thologies de la manière la plus appropriée
dans une interaction constante et parfois
compliquée avec la société.
En région Basse-Normandie, la directrice
générale de l’Agence Régionale de Santé,
que je représente aujourd’hui, a engagé
une profonde réorganisation de l’offre de
soins dans la région pour tenter de ré-
soudre les difficultés que nous rencon-
trons : démographie médicale atone, dif-
ficultés financières des établissements,
accès aux soins pour la population.
Nous pourrions croire que cette réflexion
n’aborde que très marginalement la psy-
chiatrie tant elle paraît aujourd’hui, en
tout cas dans cette région, se concentrer
sur la recomposition des plateaux tech-
niques spécialisés du court séjour. Ce
sont d’ailleurs les difficultés suscitées par
cette même recomposition que nous
avons engagée qui m’empêcheront d’as-
sister, je le regrette, à vos travaux cet
après-midi, pris par d’autres manifesta-
tions, sous une autre forme.
Je crois cependant que cette recomposi-
tion et que les réponses que nous tentons
d’apporter aux difficultés sur ces activités
peuvent peu ou prou inspirer des évolu-
tions que nous devons engager dans le do-
maine de la psychiatrie. Il nous faut réus-
sir en effet à concilier en permanence des
contradictions et relever au quotidien le
défi du soin juste et adapté.
Je souhaite vivement que ces journées
d’échanges puissent alimenter, par le
croisement des expériences menées dans
vos pays, nos réflexions et nos actions à
venir.
Bon colloque !
L’AUTEUR
Vincent KAUFMANN Directeur Général Adjoint
Agence Régionale de Santé de Normandie 31, rue Malouet BP 2061 76040 Rouen France
1 Le 1er janvier 2016, les deux Normandie
ont été réunifiée…
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 11
Bonjour,
Je suis ravie de représenter Monsieur le
maire, Joël Bruneau, pour vous accueillir
aujourd’hui.
Vous êtes tous des praticiens, des per-
sonnes au contact avec la société, qui a
besoin de vous, et vous venez de diffé-
rents pays européens : étant en charge
également dans ma délégation de maire-
adjoint aux délégations européennes, je
suis d’autant plus ravie de vous accueillir
aujourd’hui.
Je voudrais tout simplement rappeler et
saluer tout le travail accompli au niveau
des équipes de l’Etablissement Public de
Santé Mentale de Caen, car organiser un
colloque n’est pas toujours facile. Au
nom de toute l’équipe municipale, je te-
nais à vous en remercier, et à tous vous
souhaiter la bienvenue.
Très documentées et riches en échanges,
les conférences et ateliers sur le thème
des soins de jour en psychiatrie vont
ponctuer ces deux jours et favoriser, je
l’espère, les relations entre les différentes
structures, encourager une réflexion com-
mune sur les actions, la place, la spécifi-
cité de ces unités de soins dans la trajec-
toire du patient.
Les travaux de ce colloque vous donne-
ront aussi l’occasion de réfléchir et de tra-
vailler ensemble sur l’évolution des pra-
tiques en hôpitaux de jour.
Je tiens aujourd’hui à remercier et à avoir
un petit mot pour Monsieur Blandel, pour
l’implication de l’Etablissement Public
de Santé Mentale et de toute son équipe,
car ils sont très importants au niveau de
l’engagement actif au service de la lutte
contre les maladies mentales. Je salue
également le dévouement et le travail de
monsieur Patrick Genvresse, qui en tant
que chef du pôle de psychiatrie de l’en-
fant et de l’adolescent à l’Etablissement
Public de Santé Mentale et directeur mé-
dical de la maison des adolescents du Cal-
vados, est à l’initiative de ce colloque. Je
tiens à vous en remercier très sincère-
ment.
Comme vous le savez certainement, la
ville de Caen est assez au fait de toutes
ces problématiques et a réalisé un dia-
gnostic pour élaborer son plan local de
santé. Pour développer les initiatives et
faire de la ville de Caen un territoire
exemplaire, un conseil local de santé
mentale a été élaboré en partenariat avec
l’Etablissement Public de Santé Mentale.
Inscrit sur toute la durée du contrat local
de santé, ses missions vont consister à dé-
velopper un observatoire permanent des
questions de bien-être sur la ville de
Caen, à améliorer la gestion des situations
complexes, de crise, et des cas probléma-
tiques, à développer des espaces de for-
mation et d’information des acteurs du
terrain, à constituer un guichet unique
pour les Caennais, et enfin, développer
des événements et des actions visant à dé-
stigmatiser la souffrance psychique et lut-
ter contre l’exclusion des personnes en
souffrance psychique, car il est important
de savoir ne pas les exclure.
A ces fins, le conseil local de santé men-
tale sera composé de différentes instances
de coopération : je pense à la cellule de
coordination qui pourra saisir de théma-
tiques spécifiques et apporter des ré-
ponses collectives aux besoins des Caen-
nais et des acteurs du territoire, mais éga-
lement à la cellule de gestion de cas com-
plexes et de crise, qui aura pour mission
d’apporter des pistes de réponse à des si-
tuations complexes repérées. Pour toutes
ces raisons, la ville de Caen est très fière
d’accueillir votre colloque sur les soins de
jour en psychiatrie, car ce colloque œuvre
aussi pour l’évolution des pratiques par le
biais de vos conférences et ateliers.
En tant que maire-adjointe de la ville de
Caen, je peux affirmer que nous avons ré-
gulièrement l’occasion de nous rencon-
trer avec les associations et les structures
locales. Je pense à l’Agence Régionale de
Santé et je salue Monsieur Kaufmann. Je
tiens tout particulièrement au maintien de
ce lien pour permettre la mise en œuvre
des projets toujours plus adaptés aux
soins de jour.
J’en terminerai en remerciant toutes les
personnes qui sont engagées autour de ce
colloque dont la dynamique me ravit. J’ai
appris que votre colloque se déplace en
Europe, et donc je suis toujours très heu-
reuse de pouvoir faire de Caen le centre
sur une ou deux journées au niveau de ce
que nous pouvons vous aider à réaliser.
Je vous remercie de votre attention, et je
vous souhaite un excellent moment. Je ne
serai pas parmi vous ce soir, je vous prie
de bien vouloir m’en excuser.
Pour ceux qui l’ont souhaité, vous pour-
rez visiter notre Hôtel de ville, qui est
aussi un monument historique. Je vous
souhaite de travailler pour le mieux-être
de tous les patients et toutes les personnes
qui souffrent au niveau psychiatrique et
pour lesquelles on ne trouve pas toujours
la solution.
Bon colloque à tous et merci !
L’AUTEUR
Catherine PRADAL-CHAZARENC Maire-Adjointe
Mairie Esplanade Jean-Marie Louvel 14000 Caen France
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 12
Mesdames, Messieurs, chères consœurs,
chers confrères,
Je ne vais remercier personne mais je
n’en pense pas moins. Je vais surtout vous
remercier de votre présence, d’avoir pris
ce moment pour consacrer du temps à la
réflexion, à pouvoir enfin penser à nos
pratiques, à échanger, ce que nous avons
tant de mal à faire.
Je vois ma collègue qui va animer un ate-
lier demain, madame Aurélie Montagne-
Larmurier ; nous travaillons au même en-
droit très souvent mais nous passons
pourtant la journée sans avoir le temps de
nous poser pour discuter, et je crois que
ce doit être aussi pour vous souvent le
cas.
Avec cette première séance plénière,
nous allons d’emblée prendre les choses
en main puisque nous accueillons deux
professionnels de pratiques différentes,
peut-être complémentaires, nous le ver-
rons en prenant connaissance de leurs ex-
posés.
En tant que responsable de Centre Mé-
dico-Psychologique, nous sommes sou-
vent aux prises avec des situations de per-
sonnes de plus en plus complexes, de plus
en plus douloureuses, de plus en plus dé-
structurées, qui nous mettent personnelle-
ment en difficulté. Parfois, on se dit en ré-
union : « Mais par quel bout va-t-on
prendre cette histoire ? Par quel bout va-
t-on pouvoir aborder la personne telle-
ment tout semble chaotique et déstruc-
turé ? ».
Donc je pense que nous aurons grand pro-
fit à faire connaissance avec vos ap-
proches.
L’AUTEUR
Pr Perrine BRAZZO Praticien hospitalier universitaire
Centre Hospitalier Universitaire Avenue de la Côte de Nacre CS 30001 14033 Caen cedex 9 France
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 13
Réflexions introductives
À nouveau, Patrick Genvresse et son
équipe nous proposent, dans le XLIIIème
Colloque des hôpitaux de jour, de nous in-
terroger sur nos pratiques au travers de
trois questions principales :
- Qu’est-ce qu’un soin de jour en psy-
chiatrie ?
- Qu’est-ce que le soin en hôpital de
jour ?
- Une définition de l’hôpital de jour est-
elle possible ?
Après 42 colloques, on ne peut que faire
le constat d’une grande diversité parmi les
hôpitaux de jour, diversité fondée sur une
multiplicité de critères, modèle théorique,
structure architecturale, organisation des
soins, équipe thérapeutique, tranches
d’âges, pathologies traitées, situation géo-
graphique dans la ville...
Aujourd’hui, il faut ajouter à cette multi-
plicité les définitions administratives. En
Suisse, par exemple, pour prétendre à la
facturation “hôpital de jour”, il faut défi-
nir et justifier d’un nombre prédéterminé
d’heures d’activités thérapeutiques pro-
posées par une équipe composée de pro-
fessionnels bien spécifiques. Cela soulève
toute sortes de questions, on peut l’imagi-
ner. Ainsi, une question essentielle : qui
détermine le soin en hôpital de jour ?
Mais au-delà de ces tentatives de défini-
tion, ce qui demeure fascinant dans le
quotidien d’un hôpital de jour, c’est de
constater à quel point il est un espace de
vie, un organisme complexe qui se main-
tient en équilibre et, dans le même temps,
est en constante évolution.
Véritable bambou, subtile mais forte ten-
sion entre des racines solides, perma-
nentes et des branches souples, adap-
tables, le soin en hôpital de jour n’est pas
seulement technique, il est intriqué dans
la vie et donc animé par différentes ten-
sions sources de conflits, mais aussi diffé-
rents leviers, pour autant qu’on puisse en
avoir conscience et, encore mieux, en
jouer.
Qu’est-ce que le soin en hôpital de jour ?
Pourquoi va-t-on à l’hôpital de jour ?
Qu’y fait-on et comment le fait-on ?
Dans notre hôpital de jour, un jeune pa-
tient de 22 ans, en retrait, venait pour sa
2ème journée de visite en vue d’une inté-
gration. Il s’est subitement exprimé lors
de notre Forum hebdomadaire en ces
termes : « Comment l’Institut Maïeutique
soigne ses patients » ?
La question de ce jeune interpelle. Lui bé-
néficie d’un réseau de professionnels
composé de différents partenaires, il est
résident dans un foyer et il est également
suivi par une case manager et un psy-
chiatre dans le programme d’intervention
précoce pour la psychose émergente.
Que nous demande-t-il ? Comment la
psychiatrie soigne-telle ses patients ?
Comment l’hôpital de jour peut-il prendre
une part dans ses soins ? Sommes-nous
vraiment différents des autres interve-
nants ?
La question de ce jeune homme soulève
aussi la question de l’identité de l’hôpital
de jour. Nous y reviendrons car chaque
hôpital de jour a une identité et une cul-
ture différente.
Et si on remplaçait « Institut Maïeutique »
par le nom de d’un autre hôpital de jour ?
« Alors que l’avenir reste insaisissable, les incertitudes du présent exigent de maquiller l’angoisse par une hyperactivité leurrante. » Toute prise en charge multidisciplinaire est mise à l’épreuve de tensions. L’hôpital de jour n’échappe pas à cette réalité, pour ceux qui soignent ou accompagnent, comme pour ceux qui sont soignés et accompagnés. Après avoir mis en évidence ces diverses tensions, entre thérapeutique et éducatif, entre sources et continuité, entre soin et réinsertion, entre tension et flottement, entre imperméabilité et perméabilité, entre processus et résultat, entre changement et résistance au changement, entre clinique et administratif, entre professionnalisation et humanisme, entre homogénéité et hétéro-généité, entre psychothérapie institutionnelle et modèle du rétablissement, entre permanence et adaptabilité, entre besoins indi-viduels et besoins groupaux, entre appartenance et autonomie, entre espaces formels et informels..., l’auteur montre comment la conflictualité est inhérente à la vie institutionnelle. Les conflits doivent être regardés comme nécessaires et constructifs s’ils permettent à l’équipe et aux patients de sortir d’une zone de confort, d’explorer, de jouer, d’évoluer. Mettre l’institution sous haute tension, c’est accepter de cheminer ensemble vers un équilibre sensible qui traverse le séjour du patient en hôpital de jour. La condition de ce cheminement, prélude au changement, c’est que chacun garde la capacité de maintenir une écoute flottante du patient et de ce qui se passe au niveau institutionnel : c’est dans l’équilibre entre la tension et le flottement qu’émerge la rencontre authentique et la vitalité institutionnelle.
Mots-clefs : hôpital de jour, soin, changement, permanence, identité, médiations thérapeutiques, équilibre, alliance thérapeutique
High Voltage day hospital: attention changes!
“While the future remains elusive, the uncertainties of this demanding makeup anxiety by luring hyperactivity.” Any multidisciplinary care is put to the test voltages. Day Hospital is no exception to this reality, for those who care or accompany, as for those who are cared for and accompanied. Having highlighted these various tensions between therapeutic and educational, between sources and continuity between care and rehabilitation, between tension and flutter between waterproofing and permeability between process and result, between change and resistance to change, between clinical and administrative between professionalism and humanism, between homoge-neity and heterogeneity between institutional psychotherapy and model of recovery, between permanence and adaptability, be-tween individual needs and requirements grouped between belonging and autonomy, between formal and informal spaces ..., the author shows how conflictuality is inherent in the institutional life. The conflict must be regarded as necessary and constructive if they allow the team and patients out of a comfort zone, to explore, to play, to evolve. Turn on the high voltage institution is willing to walk together towards a delicate balance that runs through the patient’s stay in hospital day. The condition of this path, prelude to change, is that everyone keeps the ability to maintain a patient’s floating attention and what happens at the institutional level: this is the balance between tension and floating emerges authentic encounter and institutional vitality.
Keywords: day hospital, care, change, permanence, identity, therapeutic mediation, balance, therapeutic alliance
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 14
Que répondrait-on ? Au Centre Esquirol à
Caen ? A la clinique Saint Jean à
Bruxelles ? A l’ESCAL à Genève ? A la
Clé à Liège ?
Où situer les similitudes ? Comment dé-
crire les divergences ?
Et ces questions ne se posent-elles pas
aussi à l’intérieur même des structures ?
L’interpellation de ce patient a réactivé
une réflexion qui sourde constamment en
colloque d’équipe.
L’hôpital de jour “d’aujourd’hui” n’est
plus celui “d’hier”, le contexte dans lequel
il évolue s’est considérablement modifié.
Désormais, l’hôpital de jour fait partie
d’un système de santé psychiatrique qui
s’est métamorphosé, étoffé et diversifié. Il
en va ainsi au travers de la réorganisation
de l’hôpital et la diminution de la durée
des hospitalisations, du développement
des programmes spécifiques par patholo-
gie, tel que le programme de traitement et
intervention précoce dans les troubles
psychotiques, ou, encore, du développe-
ment des équipes mobiles qui intervien-
nent dans le milieu et qui sont parfois
d’excellentes alternatives à l’hôpital de
jour.
De l’hospitalier à l’intervention dans le
milieu, chacun voit sa mission et son man-
dat évoluer, le travail en réseau se multi-
plier. …Réseau de soin qui, soit dit en
passant, est tenu de bien s’articuler pour
la santé psychique de tous ! Des patients,
mais aussi des équipes !
Dans ce nouveau contexte, il est impor-
tant d’ajouter aussi les contraintes admi-
nistratives qui mettent en tension l’hôpital
de jour. D’un concept “vendu” » comme
une intervention moins onéreuse que l’hô-
pital, l’hôpital de jour devient parfois
“trop cher”. Mais, s’il est aujourd’hui im-
pératif de ne pas négliger le coût de la
santé, ce serait avoir une vision trop ré-
ductrice de l’évolution de l’hôpital de jour
que de limiter la logique de son évolution
à cette seule prise en compte des coûts.
Pour penser cette évolution, plus fruc-
tueuse est une piste multifactorielle qui
ajoutera à ce qui précède la modification
de l’attente des patients et des proches.
Avec sa question, le jeune homme, pas en-
core admis, nous invite à prendre en
compte ce que lui attend spécifiquement
des soins. Plus généralement, nous de-
vons nous laisser interroger par la de-
mande de chaque patient.
A la création de l’Institut Maïeutique en
1955, les patients et les proches venaient
chercher une alternative à l’asile. C’était
une communauté thérapeutique où l’hôpi-
tal de jour était investi comme un projet
de vie avec une prise en charge globale et
en continu.
Dans les années 80’, le projet de vie laisse
place au projet de soin, un soin qui s’as-
sume et se définit de plus en plus fine-
ment. La durée des hospitalisations ayant
beaucoup diminué, l’hôpital de jour de-
vient une alternative ou une intervention
post-hospitalière, la stabilisation y est une
forme de consécration.
Depuis une quinzaine d’années, l’hôpital
de jour est investi par le patient comme un
lieu de réinsertion, une structure intermé-
diaire, souvent fréquentée à temps partiel
et qui l’accompagne pour un temps… un
temps qui diminue de plus en plus avec le
temps !
Tous ces changements mettent l’hôpital
de jour sous haute tension !
De plus en plus, la prise en charge se
construit sur une conception où la maladie
devrait être une parenthèse vite fermée
qui conduite à une contraction du champ
du soin. Les impératifs, plus ou moins ex-
plicites, tendent vers un chevauchement
entre le processus et la finalité ce qui en-
gendre des enjeux de performance et d’ef-
ficience pour tous les acteurs de l’hôpital
de jour.
Ce nouveau contexte amène de nouvelles
questions : jusqu’où le soin reste-t-il le
soin ? Quelle est l’articulation entre le
soin et la réinsertion ? Et de quelle réin-
sertion parle-t-on ? Sociale ? Scolaire ?
Professionnelle ?
Le fil conducteur du soin en hôpital de
jour est-il encore l’accueil inconditionnel
de la souffrance ?
Comment donner du sens à ces change-
ments relevant de pressions intérieures et
extérieures ?
Le changement est un processus dyna-
mique et constant, à l’instar de la vie.
Alors que le non-changement, l’homéos-
tasie, implique la mort, lente, mais cer-
taine.
Dans ce contexte, les hôpitaux de jour
doivent-ils s’adapter pour survivre ? Et, si
la réponse est affirmative, jusqu’où peu-
vent-ils le faire sans se dévoyer ?
Derrière la porte d’un hôpital de jour sous haute tension…
A l’intérieur de l’hôpital de jour, cette
haute tension résonne et fait vibrer
d’autres cordes sensibles.
En pratique, bien que notre volonté d’ac-
cueillir une patientèle hétérogène en âge
et en pathologie ait toujours été constante,
la population a évolué. Aujourd’hui, 70%
des patients ont entre 16 et 30 ans. Et cette
patientèle arrive avec de nouvelles at-
tentes.
Nous constatons quotidiennement, que
peu d’adolescents et de jeunes adultes
sont demandeurs de soins. Période où
l’enjeu identitaire est sensible, l’adoles-
cence est en soi un bouleversement et une
perte de repères. La construction d’un
avenir y est centrale avec l’idée que le fu-
tur professionnel se joue à ce moment-là.
Les soins devant s’articuler avec ces con-
tingences, ils n’en sont que plus difficiles
à gérer et introduire.
Les jeunes patients n’ont donc pas tou-
jours de motivation pour un soin et n’en
voient pas souvent le sens. La demande
verbalisée c’est d’avoir une vie normale,
avoir des amis, sortir ou ne pas sortir de
son lit, ne pas prendre de médicaments, al-
ler à l’école... Souvent, dans un premier
temps, ils parlent peu de leur maladie
mais plutôt de ses conséquences sur la vie
concrète.
L’intégration à l’hôpital de jour peut re-
présenter une rupture dans la construction
sociale avec cette question sous-jacente,
comment construire un projet de vie alors
que la scolarité/la formation est mise de
côté ? Et pour nos patients, il est parfois
difficile de s’engager dans des soins sans
certitude quant à leur durée ou leur fina-
lité.
Il faut donc les amener à concevoir ce
temps du soin, perçu comme perdu,
comme un temps gagné.
On pourrait dire que notre défi va être de
“danser avec le patient” sur cette tension,
entre le projet du patient, parfois trop am-
bitieux, et le nôtre, parfois trop concret.
Notre objectif est alors de s’allier à l’at-
tente du patient qui se situe souvent dans
un premier temps au niveau de la forme,
tout en tentant de le mobiliser aussi autour
de la souffrance.
Nous avons besoin d’humilité et de sou-
plesse pour accompagner le jeune patient
à s’engager intentionnellement et contrac-
ter une part de responsabilité dans son
propre projet de soin. Le nom « Maïeu-
tique », avait d’ailleurs été choisi pour il-
lustrer cela à travers la métaphore de So-
crate de la sage-femme et de l’accouche-
ment pour valoriser la mobilisation des
ressources et du partenariat dans le soin.
La construction de ce partenariat prend
place dans la tension entre la pression des
différentes temporalités, celle du patient,
des proches, du réseau, et les hésitations
nécessaires et propres à ce processus
d’engagement.
Haute Tension en hôpital de jour : attention, changements !
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 15
Dans ce sens, l’adhésion au soin est en soi
un processus thérapeutique car il renforce
le jeune dans une position d’autodétermi-
nation où il est accompagné dans sa glo-
balité, tout en étant un sujet singulier et
unique, pris dans sa culture et son histoire.
Dès le premier contact et pour tout le sé-
jour, le lien, la relation tissée avec le pa-
tient, la rencontre intersubjective va être
au cœur du soin de jour.
Le programme thérapeutique
Malgré la modification de la demande des
patients, le soin que l’on propose en hôpi-
tal de jour reste fondamentalement per-
manent. Mais cette stabilité est néanmoins
bousculée et animée par des tensions.
Pour le patient, le pari est de s’inscrire
dans un programme de soins personnalisé
qu’il aura co-construit. Il va investir cette
organisation en fonction de sa probléma-
tique, de ses ressources, et les enjeux pour
chacun se déploieront ensuite à des ni-
veaux différents, suivre ou non son pro-
gramme de soins, y être seulement présent
ou y travailler ses difficultés.
Il s’agit donc principalement d’activités
groupales et à médiation car la médiation
dans les groupes permet la rencontre avec
des patients qui ont des difficultés impor-
tantes de symbolisation, à penser, à se
penser. La médiation, le “faire ensemble”,
permet également la valorisation des res-
sources et chacun peut retrouver, voire
trouver, du plaisir. De plus, il s’agit aussi
d’être en lien avec les autres, les pairs, et
de développer ainsi un sentiment d’appar-
tenance au groupe.
Un travail thérapeutique individuel s’ef-
fectue au sein d’un groupe thérapeutique.
Et il y a toujours une tension entre les en-
jeux individuels et les enjeux groupaux.
De même, entre les aspects thérapeutiques
et les aspects éducatifs. Autrement dit,
entre des éléments relevant de la vie psy-
chique et ceux relevant de la réalité.
Au sein de cette permanence, les types de
médiations ont naturellement évolué avec
le rajeunissement de notre population, pa-
tiente et soignante, la comédie musicale,
les activités de la vie quotidienne, le slam,
la pâtisserie, le montage vidéo sont des
exemples d’activités qui ont vu le jour ces
dernières années à l’initiative des patients
et des membres de l’équipe. Ces nou-
velles activités côtoient des activités qui
existent depuis toujours comme la musi-
cothérapie, le psychodrame, le séminaire
de psychologie, l’ergothérapie.
Pour rencontrer le patient autour de sa de-
mande, nous avons aussi mis en place des
temps individuels pour accompagner les
jeunes dans leur projet de stage ou de re-
cherche de formation. L’expérience de
ces dernières années nous montre que
c’est finalement une médiation comme
une autre : le jeune a envie de parler de
son avenir, qui le préoccupe, mais il ne va
pas forcément au bout d’actions con-
crètes… Alors, bien souvent, il n’est pas
nécessaire dans un premier temps de réfé-
rer le jeune à un spécialiste en orientation
mais plutôt de porter ce projet d’ouverture
extérieure, au sein du soin. La situation
s’inverse évidemment lorsque le jeune se
prépare à partir.
L’équipe en tension
L’équipe doit s’adapter à l’évolution du
soin de jour. Par évolution, évidemment,
on n’entend pas roulement des collabora-
teurs mais bien conception d’une équipe
et de son fonctionnement au sein de l’hô-
pital de jour.
D’une équipe qui fonctionnait en continu
et plutôt comme un tout indifférencié, les
culture-métiers et les champs de compé-
tences se sont spécifiés à travers le temps
pour aboutir aujourd’hui à une équipe plu-
ridisciplinaire. La polyvalence des colla-
borateurs demeure un ingrédient fonda-
mental du soin en hôpital de jour. Et nous
veillons à préserver de nombreux mo-
ments de la vie institutionnelle où nous
nous retrouvons tous ensemble aux côtés
des patients car l’équipe forme un tout et
ce tout a une fonction contenante.
Cette différenciation à travers la « profes-
sionnalisation » de l’équipe a été vécue en
même temps comme une nécessité et une
évidence mais également, par moments,
comme un risque de perdre en humanité.
La tension est bien palpable… Il ne s’agit
pas de prendre une position d’expert tout
puissant, ni de se spécialiser indéfiniment
dans les actes, mais bien de percevoir la
possibilité d’émergence de capacités nou-
velles.
L’AUTEUR
Muriel REBOH SERERO Psychologue
Fondation Institut maïeutique Giovanni Mas-tropaolo Rue Sainte-Beuve 4 1005 Lausanne Suisse
BIBLIOGRAPHIE
1. BAREIL C. et BOFFO C. (2003), Qui dit changement, dit préoccupation et non plus résistance, in G. KARNAS, C. VANDEN-
BERGHE, et N. DELOBBE (Dir.), Bien-être au travail et transformation des organisations : Actes du 12ème congrès de psychologie du travail et des organisations, tome 3, (p. 541-551). Bel-gique, Presses universitaires de Louvain.
2. BERTHOUD V. (2012), Les médiations thérapeutiques avec les adolescents, Le Coq-héron, 2 (209), 93-99.
3. BLANCHARD B. (2009), La temporalité à l’adolescence : les avatars du processus de temporalisation pubertaire, La psychiatrie de l’enfant, 2, 373-402.
4. BOTBOL M. (2003), Les médiations entre groupe et institution, Revue de psychothéra-pie psychanalytique de groupe, 2 (41), 71-76.
5. DELION P. (2006), Accueillir la personne psychotique : espaces thérapeutiques, temps interstitiels et vie quotidienne, In P. DELION (Dir.), Psychose, vie quotidienne et psychothérapie (pp.11-20). Paris : Eres.
6. ELKAÏM M. (2014), Où es-tu quand je te parle ? Paris : Seuil.
7. FUSTIER P. (2004), Le travail d’équipe en institution : clinique de l’institution mé-dico-sociale et psychiatrique, Paris : Dunod.
8. FUSTIER P. (2012), L’interstitiel et la fa-brique de l’équipe, Nouvelle revue de psycho-sociologie, 2 (14), 85-96.
9. GUILE J.-M. (2009), Logique de perfor-mance et soins psychiques, Perspectives Psy, 2 (48), 113-116.
10. GUTTON P. (2005), Nos ados ne sont pas des enfants terribles, (S.I) : JC Lattès.
11. GOLDBETER-MERINFELD E. (1989), Temps et institution, In J. PLUYMAEKERS (Dir.), Familles, institutions et approche systé-mique. Paris : E.S.F.
12. HIRSCH S. (2013), Interview : rencontre avec Siegi Hirsch pionnier de la thérapie fa-miliale francophone, par Claudio Piccirelli et Annig Segers-Laurent. Cahiers de Psychologie Clinique, 40, 245-257.
13. HOLZER L. (Dir.). (2014), Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : une approche basée sur les preuves, Paris : De Boeck-Solal.
14. KAES R. (2010), Les médiations entre les espaces psychiques dans les groupes, Le Carnet PSY, 1 (141), 35-38.
15. OURY J. (2003), Transfert, multiréféren-tialité et vie quotidienne dans l’approche thérapeutique de la psychose, Cahiers de psy-chologie clinique, 2 (21), 155-165.
16. SEGERS-LAURENT A. (2013), Familles, jeunes et institutions : quelques réflexions, Cahiers critiques de thérapie familiale et de pra-tiques de réseaux, 1 (50), 151-161.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 16
BIBLIOGRAPHIE (suite)
17. VACHER-NEILL N. (2001), Un entre-deux, l’hospitalisation soins-étude à long terme, Enfances & Psy, 1 (13), 101-107.
18. VIAUX A., PORTET C., DENIS D., SAM-SON D., ESNAULT F., BESNARD L., BU-LOURDE L., BRIAND L., SECHET M.-C., MAILLET M.-C., GABRIEL M., CATHELI-NEAU C., SERAIN M., LEBEAU P., DELA-CROIX P. (2006), Cuisine institutionnelle : soignant ou à point ?, In P. DELION (Dir.), Psychose, vie quotidienne et psychothérapie (pp.183-190). Paris : Eres.
19. VICENTE F. (2006), Le psychanalyste dans l’institution au quotidien, In P. DE-LION (Dir.), Psychose, vie quotidienne et psy-chothérapie (pp.147-151). Paris : Eres.
20. WINNICOTT D. W. (1975), Jeu et réa-lité : l’espace potentiel, Paris : Gallimard.
Parallèlement les exigences de transmis-
sions écrites, des procédures et du travail
administratif ont augmenté, possibles ori-
gines de résistances. Quoiqu’il en soit,
chaque membre de l’équipe peut être tra-
versé par des tensions entre sa fonction et
son vécu, entre un idéal et la réalité quoti-
dienne, sans compter les tensions qui ani-
ment les patients et qui entrent en réso-
nance avec celles de l’équipe.
Mais au sein de ces tensions, l’équipe fait
preuve d’une incroyable capacité d’adap-
tation et de créativité en se mobilisant
quotidiennement pour rencontrer de ma-
nière authentique les patients. Car c’est un
véritable travail d’équilibriste d’accueillir
leur demande, de les accompagner à pren-
dre un bout de vie psychique à travers
l’institution tout en les emmenant vers
l’autonomie. A l’hôpital de jour, les pa-
tients doivent pouvoir être accueillis tout
en se préparant à aller ailleurs. Cette ten-
sion entre le processus d’appartenance et
celui d’autonomisation est un autre axe
fondamental du soin en hôpital de jour.
La vie institutionnelle
Nous vivons chaque jour une vie institu-
tionnelle qui transcende la somme des
parties.
L’hôpital de jour est un tout complexe, vi-
vant et dynamique car il accueille heure
par heure la relation avec le patient. Et à
l’image de ce dernier, il peut s’adapter à
des changements mais ne peut pas se di-
viser indéfiniment et se retrouver déman-
telé et morcelé.
C’est d’ailleurs pour cette raison que nous
défendons la facturation forfaitaire, à
l’instar d’une facturation à l’acte qui
pourrait paraître de prime abord plus
avantageuse financièrement mais qui ne
traduirait pas l’entièreté de notre travail.
D’autre part, “l’action thérapeutique”
prend place dans un programme de soin
formel mais également dans des inters-
tices qui habitent différents espace-temps
du soin de jour.
Ces moments informels, parfois perçus
comme des flottements ou des vides, sont
loin d’être anodins car ils offrent la possi-
bilité de se rencontrer “sur le côté”, un
subtil jeu relationnel.
Ils sont également un excellent baromètre
ou régulateur des différentes tensions.
Certains espaces interstitiels ne sont pas
prévisibles. Certains sont proposés par les
patients alors que d’autres peuvent être
“construits” et pensés par l’équipe soi-
gnante pour favoriser l’émergence du lien
thérapeutique.
Dans ce sens, notre réflexion en équipe
sur les repas illustre de nombreux élé-
ments déjà abordés.
Il faut dire que même si nous nous
sommes installés en 1955 au centre-ville
pour favoriser l’insertion dans la cité, la
discrétion était de rigueur et les frontières
étaient plutôt imperméables. Les repas ont
toujours été un moment important de la
vie à l’hôpital de jour. Durant de nom-
breuses années, toute l’équipe et tous les
patients prenaient leur repas ensemble.
Chacun était accueilli à table par une pe-
tite plaquette personnalisée qui lui signi-
fiait où était sa place. C’était le rôle du
psychologue responsable que d’assigner à
chacun, chaque matin, sa place.
Progressivement, reflet de l’évolution de
nos réalités, les patients ont commencé à
venir à temps partiel, et certains souhai-
tent manger dans les bistrots du quartier,
ce que nous encourageons comme un
signe d’intégration. L’équipe, jusque-là
ensemble en continu, voit ses horaires se
diversifier et le nombre d’activités for-
melles augmente pour répondre aux exi-
gences administratives. L’espace-temps
repas se retrouve peu à peu compressé.
Et pourtant, on continue à défendre ce
moment comme un liant important de la
vie en hôpital de jour. On en parle beau-
coup en équipe, on laisse tomber les pla-
quettes, on met en place un soignant “hôte
d’accueil” qui place à table, on fait des
listes et des listes à n’en plus finir, on se
définit comme une salle à manger et non
comme une cafétéria, on se met même
d’accord sur un temps qui respecte les dif-
férents rythmes avant de se lever pour
faire la vaisselle ensemble car ce qui n’a
pas changé en 60 ans c’est « qui mange
range ! ». On refuse les pique-niques, ar-
gumentant qu’un repas partagé ou amené
n’a pas la même symbolique, on invente
un cybercafé dans la salle à manger après
le repas, on crée des ateliers cuisine…
Bref, par “essai-erreur”, nous cherchons à
combler une insatisfaction, la tension et
Haute Tension en hôpital de jour : attention, changements !
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 17
l’écart qui se sont créés entre un mythe
fondé sur la nostalgie de la communauté
thérapeutique et notre réalité actuelle.
On continue à en parler régulièrement en
équipe.
Un jour, il y a quelques mois, un bel hôtel
lausannois procède à une liquidation et
nous offre des tables rondes en bois qui
font penser à ces tables conviviales.
Ce réaménagement d’intérieur imprévu
provoque un véritable changement. Il
prend évidemment place suite à une
longue élaboration mais néanmoins, du
jour au lendemain, le climat se modifie,
les échanges sont facilités, les frustrations
diminuent.
Encouragés par ce mouvement, nous pre-
nons ensuite la décision de prendre soin
de cet espace thérapeutique en restructu-
rant l’organisation de notre journée pour
nous donner ce temps de rencontre tout en
laissant aux jeunes comme à l’équipe la
possibilité de manger dans le quartier qui
est très animé.
L’hôpital de jour d’aujourd’hui a des
frontières claires et contenantes mais
aussi perméables. Et à l’image de l’impor-
tance de la relation au sein de l’hôpital de
jour, par la vie commune dans le quartier,
les patients et l’équipe sont des citoyens
qui évoluent dans la cité.
Rien n’est anodin à l’hôpital de jour !
L’identité de l’hôpital de jour en tension
L’institutionnel transcende la somme des
parties, mais ce tout occupe une place par-
ticulière, toujours singulière et symbo-
lique, empreinte de filiation. L’hôpital de
jour est un concept mouvant, en perpé-
tuelle adaptation, faisant face aux change-
ments mais aussi en défense de son iden-
tité propre.
Chaque hôpital de jour a une généalogie,
même si la filiation n’est pas biologique,
avec une évolution au cours du temps, un
moment fondateur allant vers des objec-
tifs constants ou changeants.
Il est donc fondamental de prendre soin de
l’institution qui se modifie en étant à
l’écoute de la crainte de ce qui disparaît et
de la curiosité de ce qui émerge. Avec
cette question sous-jacente, jusqu’où
l’hôpital de jour peut-il évoluer sans
perdre son âme ?
Cette question nous mène à un nouveau
champ de tension interne : la tension entre
les sources et la continuité, entre la
loyauté à l’histoire et l’évolution, entre la
permanence et l’adaptation ou encore,
entre le changement et la résistance au
changement
« Changement et résistance au changement
sont, comme les deux faces d’une même pièce, irrémédiablement liées. »
Bareil et Boffo, 2003
Cette tension résonne, vibre plus ou
moins, à différents moments et au sein de
différentes sphères de la vie institution-
nelle de l’hôpital de jour. En ce moment,
l’Institut Maïeutique est en pleine réso-
nance avec ce sujet puisque nous fêtons
cette année nos 60 ans mais également
parce qu’il y a un “passage de direction”
après 40 ans. C’est une période riche mais
tumultueuse. Va-t’on s’enraciner ? Se dé-
raciner ?
Pourquoi tenir tant à garder son identité ?
Pour qui est-ce important ? Pour les pa-
tients ? Pour l’équipe ? Pour la qualité du
soin en hôpital de jour ?
Nous sommes profondément convaincus
que l’identité se joue au quotidien à tra-
vers la culture institutionnelle et que c’est
un outil thérapeutique. C’est un référen-
tiel commun qui, certes, s’apparente par-
fois à un ensemble de croyances fantas-
mées sur ce qu’il constitue, mais qui offre
un cadre sécurisant tout en étant unique.
Qu’on s’entende bien… ce n’est pas notre
histoire qui remplit cette fonction mais le
simple fait qu’il y en ait une.
Chaque hôpital de jour a son histoire.
Nous pouvons faire de l’identité institu-
tionnelle un levier thérapeutique parce
qu’elle permet une rencontre à l’autre hu-
manisante et particulière. Tous ensemble,
patients, membres de l’équipe et chacun
individuellement, nous pouvons nous ins-
crire pour un temps dans cette histoire.
Cet ancrage permet à nos patients de cons-
truire et renforcer leur identité et leur rap-
port à leur propre historicité. Ainsi,
l’identité institutionnelle est utilisée
comme un élément du cadre de l’hôpital
de jour qui offre la possibilité aux patients
de trouver des repaires pour se structurer.
Les manifestations autour de notre 60ème
anniversaire illustrent ce propos.
Chaque année, nous avons l’habitude
d’organiser une soirée conférence, parfois
en lien avec la psychiatrie, la plupart du
temps non. Ainsi, l’année passée, avec
l’écrivain Joël Dicker ou le chef d’or-
chestre Michel Corboz l’année précé-
dente, et nous invitons les proches et les
membres du réseau.
Cet événement est toujours une occasion
de bousculer un rythme rassurant, de se
mobiliser ensemble pour un projet, de
penser autour du thème de la conférence,
ou encore de renforcer le sentiment d’ap-
partenance car “on reçoit à la maison”.
Différents événements ont traversé cette
année d’anniversaire, une présentation in-
titulée « Jouons ensemble », une visite
guidée d’une exposition et une soirée con-
férence donnée par Nicole et Philippe
Jeammet sur la transmission.
Au printemps, le groupe a mis en scène un
aller-retour entre l’ici et maintenant et
l’histoire de notre hôpital de jour.
Cette présentation dynamique a été prépa-
rée par tous, jouant et superposant les
sources et la continuité, composée de
textes, musique, théâtre, danse, montage
vidéo.
Cette élaboration groupale a été passion-
nante et a mis en tension la perception
commune, mais parfois également diffé-
renciée, du présent, du passé et de l’avenir
de l’Institut Maïeutique, des soins en psy-
chiatrie et, bien au-delà, du rapport au
temps et au vécu des patients.
Elle a permis à chacun de s’inscrire dans
des racines solides, vivantes, qui se déve-
loppent, foisonnent, se complexifient tout
en vivant l’expérience de la souplesse, de
l’évolution et du changement.
Le temps de conclure…
Tensions entre thérapeutique et éducatif,
entre sources et continuité, entre soin et
réinsertion, entre tension et flottement,
entre imperméabilité et perméabilité,
entre processus et résultat, entre change-
ment et résistance au changement, entre
clinique et administratif, entre profession-
nalisation et humanisme, entre homogé-
néité et hétérogénéité, entre psychothéra-
pie institutionnelle et modèle du rétablis-
sement, entre permanence et adaptabilité,
entre besoins individuels et besoins grou-
paux, entre appartenance et autonomie,
entre espaces formels et informels... Tant
de tensions animent l’hôpital de jour.
Toutes font vie tout en impliquant des
conflits. Ces conflits sont nécessaires et
même constructifs s’ils sont vécus comme
l’opportunité de sortir d’une zone de con-
fort, d’explorer, de jouer, d’évoluer.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 18
On pourrait débattre longuement sur cha-
cune de ces tensions, mais n’était-il pas
préférable de mettre sous haute tension
aujourd’hui, celles qui émanent de la de-
mande des patients, de l’articulation du
soin et de la construction de l’avenir. Un
équilibre sensible qui traverse le séjour du
patient en hôpital de jour.
A l’image de l’hôpital de jour, les patients
qui y cheminent devraient pouvoir être ac-
compagnés dans un processus de change-
ment et d’autonomisation.
Le souhait de chacun d’entre nous est de
permettre aux patients d’avancer, d’évo-
luer en dehors d’un projet psychiatrique.
Dans le même temps, nous savons que
cette perspective n’est pas adaptée pour
tous et qu’on peut se réinsérer sociale-
ment et professionnellement, y compris
de manière protégée, comme on peut ré-
ussir des parcours de vie en étant utile à
son institution.
Si le projet institutionnel à long terme
n’est jamais centré sur un projet de départ,
nous devons néanmoins donner du sens à
ce départ lorsqu’il se profile.
Nous avons vu à quel point l’hôpital de
jour est influencé par la culture actuelle.
Ce cadre nous rappelle que le soin se doit
d’être performant et ne peut pas être dé-
connecté du contexte dans lequel il prend
place.
Evidemment, affirmer cela n’amorce pas
même une once de réponse autour de la
question de ce qui constitue un soin ré-
ussi ? Ce que l’on sait, en revanche, c’est
qu’il n’y a pas de modèle performant en
lui-même.
Notre devoir de performance se situe au
niveau de la rencontre avec le patient,
c’est de toujours mettre au centre ce qu’il
exprime de son vécu. Mais c’est aussi
notre capacité à penser, à formuler des hy-
pothèses et à rester attentif à nos propres
résonances car, en dépit de notre inten-
tionnalité, de notre professionnalisme et
de notre humanité, nous ne sommes pas à
l’abri de sombrer dans un équilibre chro-
nicisant.
Ainsi, le défi de tous les professionnels du
soin est de rester en tension tout en ayant
la capacité de maintenir une écoute flot-
tante du patient et de ce qui se passe au
niveau institutionnel.
Car c’est dans l’équilibre entre la tension
et le flottement qu’émerge la rencontre
authentique et la vitalité institutionnelle !
« Alors que l’avenir reste insaisissable, les incertitudes du présent exigent de maquiller
l’angoisse par une hyperactivité leurrante.
C’est pourquoi, il s’agira tantôt de valoriser un temps de l’ennui, de substituer à l’avidité
ou à la boulimie d’activités programmées la
disponibilité d’un temps en jachère où l’im-prévu et la surprise peuvent advenir (…) »
Vacher Neill, 2001
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 19
Présentation
Je vous remercie de m’avoir invité à ce
joyeux bazar, à plus forte raison parce que
la clinique de concertation est, comme le
disait Lacan, « un dispositif qui laisse à
désirer ».
Depuis trente ans, dans la partie séden-
taire de mon travail, je suis directeur de ce
qui correspond à un Centre Médico-Psy-
chologique en France, un service de santé
mentale en Belgique, qui a cette particu-
larité de ne pas du tout être subordonné au
milieu médical mais au travail social.
C’est l’un des services du centre public
d’action sociale de notre commune, soit
l’équivalent de votre Centre Communal
d’Action Sociale, mais sachant que ce qui
est géré à l’échelle départementale en
France l’est à l’échelle municipale en Bel-
gique.
Depuis trente ans, j’évolue plus dans les
codes administratifs et le langage du sec-
teur social que dans les codes de commu-
nication médicaux, ce qui fait que, bien
souvent, les psychiatres disent qu’ils ne
me comprennent plus parce que je parle
comme un travailleur social, et les travail-
leurs sociaux me disent que je parle tou-
jours comme un psychiatre. Je vis donc
une vie très solitaire.
1 Conflits de pouvoir, émulations de compé-tences, partage des responsabilités, émulsion
de créativité
Je suis redevable de beaucoup à cet ac-
compagnement des travailleurs sociaux
dans ma carrière.
Aujourd’hui, je suis invité aussi en tant
que médecin directeur d’un centre de réa-
daptation fonctionnelle qui fonctionne
dans des dispositifs très proches de ce que
l’on a entendu décrire à Lausanne, c’est le
centre de réadaptation fonctionnelle du
Club André Baillon à Liège.
La clinique de concertation m’a alors
amené à avoir une partie de mon travail
qui est plutôt itinérant puisqu’aujourd’hui
existent des associations nationales de cli-
niques de concertation en Italie, en
France, en Belgique et en Algérie, et que
nous y avons des activités de formation et
des activités cliniques.
La clinique de concertation
J’ai repris dans le texte de présentation du
colloque, ce passage, une question qui
mérite d’être posée même si elle peut
sembler triviale et réductrice aux profes-
sionnels : « lorsque les structures existent
dans un dispositif de soins, avons-nous la
réactivité, le dynamisme et le courage né-
cessaires pour réinterroger leur perti-
nence, leur efficience, au regard des
troubles de la psychopathologie, et sur-
tout de la vie quotidienne de nos pa-
tients ? »
2 http://concertation.net/site/texte/les-lettres-concertatives/
La clinique de concertation essaie de ré-
pondre à cette question en incluant les
personnes qui bénéficient d’un diagnostic
de pathologie psychiatrique sévère, les fa-
milles en détresses multiples, en les asso-
ciant à des tentatives de réponse à ces
questions. Nous entendons, sous le terme
“clinique”, tout à la fois un dispositif thé-
rapeutique, un dispositif de recherche et
un dispositif de formation où se rencon-
trent les personnes qui vivent ensemble,
les membres d’une famille et leur envi-
ronnement, et les personnes qui travaillent
ensemble, c’est-à-dire qui sont mises au
travail par ces personnes bénéficiant d’un
diagnostic de pathologie psychiatrique sé-
vère.
Bien sûr, à l’échelle territoriale, à
l’échelle du réseau, nous rencontrons des
conflits. Comme l’indique l’intitulé de la
sixième journée de formation à la clinique
de concertation1, formations qui ont lieu à
Liège, Bruxelles, Turin et Alger, on pour-
rait dire que la clinique de concertation a
pour objet de passer des conflits de pou-
voir, présents souvent dans le réseau, à
des émulations de compétences. En effet,
ce qui apporte plus de bénéfice à partir du
moment où il existe une émulation des
compétences de chacun des cliniciens et
des services, cela peut également être au
bénéfice de ces personnes ; les conflits de
pouvoir, beaucoup moins. Éventuelle-
ment, il est possible d’évoluer vers des
partages de responsabilités et à une émul-
sion de créativité.
Lors du troisième congrès international de
la clinique de concertation à Paris, Patrice
Maniglier2, philosophe, était venu nous
aider, et a écrit un texte où il dit ceci :
« Ainsi, à un problème admirablement
terre à terre, les cliniques de concertation
apportent elles-mêmes une réponse admi-
rablement pragmatique : créer des es-
paces relativement neutres, permettant
aux différents individus engagés à un titre
ou à un autre, voire sans titre, simplement
parce qu’ils se sentent concernés, de se
retrouver de sorte à potentialiser ainsi les
dynamiques positives qui tiennent à ce
Le Travail Thérapeutique de Réseau soutenu par la « Clinique de Concertation » encourage les relations humaines les plus fiables (familiales, amicales, professionnelles, institutionnelles et politiques) et reconstruit des identités singulières. Activé dans et par le débat contradictoire convoqué par les personnes en détresses multiples, ce dispositif a été initié en 1996 par le Dr Jean-Marie Lemaire et de nombreux cliniciens de réseau. La « Clinique de Concertation » trouve ses étayages principaux dans l’éthique relationnelle posée par I. Boszormenyi-Nagy comme dimension incontournable de la relation.
Mots-clefs : Clinique de concertation, sociogénogramme, thérapie contextuelle, réseau, thérapie familiale, formation, Contexte Extensif de Confiance, nomadisme concertatif, résistance, justice relationnelle
Symptom, Diversity and Humanity Jivaros, Patterns of a Post-Modern Nosology?
“Work Therapeutics Network” supported by the “Concertation Clinic” encourages the most reliable human relationships (family, friends, professional, institutional and political) and rebuilt-border identities. Activated in and through open debate convened by multiple people in distress, this device was launched in 1996 by Dr. Jean-Marie Lemaire and numerous network of clinicians. The “Concertation Clinic” has its main underpinnings in relational ethics posed by I. Boszormenyi-Nagy as essential dimension of the relationship.
Keywords: “Concertation Clinic”, sociogénogramme, contextual therapy, network, family therapy, training, Extensive Back-ground Trust, “concertatif nomadism”, resistance, relational justice
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 20
que les uns sont prêts à faire pour les
autres, mais non pour soi. » Autrement
dit, mettez les problèmes ensemble et
vous trouverez une solution. C’est en ad-
ditionnant les problèmes qu’on les résout,
merveilleuse arithmétique de cette cli-
nique.
C’est donc un problème d’ingénierie du
travail social, de tuyauterie des institu-
tions de prise en charge. Le clinicien de
concertation est une sorte de plombier un
peu bizarre qui vient raccorder des canali-
sations orphelines et réagencer un réseau
qui ne conduit pas ses flux là où ils pour-
raient circuler. Il s’agit même d’un pro-
blème presque d’économie de l’état social
qui concerne l’efficacité des dispositifs de
prise en charge.
C’est d’ailleurs de ce point de vue écono-
mique qu’il convient d’évaluer ces dispo-
sitifs.
L’appui de ces cliniques de concertation
va trouver ses sources au bord du lac Le-
man dans les séminaires auxquels je par-
ticipais avec Ivan Böszörményi-Nagy,
thérapeute familial, hongrois d’origine,
avec qui j’ai travaillé pendant treize ans.
Les séminaires avaient lieu au-dessus de
Vevey. Ivan Böszörményi-Nagy définit
comme ceci le contexte : c’est le fil orga-
nique entre ceux qui donnent et ceux qui
prennent qui forme une toile de confiance
et d’interdépendance.
Le contexte humain étant les relations ac-
tuelles d’une personne autant à son passé
qu’à son avenir, il est constitué de la tota-
lité de tous les grands livres d’équité dans
lesquels les mérites et les obligations de
telles personnes sont enregistrés. Son cri-
tère dynamique relève de la considération
due et non de la réciprocité de donner et
prendre. Dans les cliniques de concerta-
tion, c’est bien par cette porte de la justice
relationnelle que nous entrons.
Ivan Böszörményi-Nagy , qui avait émi-
gré aux États-Unis et qui bénéficiait d’une
position particulière en termes de re-
cherche sur les personnes ayant un dia-
gnostic de psychose, et qui bénéficiait de
cette position dans le sens où il ne devait
pas respecter les standards de traitement,
constatait que quand on ouvrait la ques-
tion de la justice relationnelle dans une fa-
mille au sein de laquelle un membre bé-
néficiait d’un diagnostic de pathologie
psychiatrique sévère, la question de la jus-
tice remettait les propos dans la cohé-
rence.
Les cliniques de concertation sont héri-
tières de ce travail que j’ai eu la chance de
mener pendant treize ans avec lui en l’ac-
compagnant dans son travail, soit à Phila-
delphie, soit lorsqu’il venait en Belgique
3 http://concertation.net/site/ressources/le-
sociogenogramme/
dans les rencontres contextuelles qui ont
eu lieu dans les années 90.
Les formations de cliniciens de concerta-
tion ont débuté en 1999.
Il existe des associations belges, fran-
çaises, italiennes et algériennes. Dès lors,
quand une personne sur un territoire con-
naît le dispositif et le trouve intéressant,
elle sollicite l’association, qui dépêche un
clinicien de concertation.
Par exemple, en Champagne-Ardenne, la
Maison Départementale des Personnes
Handicapées et l’Agence Régionale de
Santé faisaient appel à eux pour des
jeunes gens de 16, 17 ans dont les Instituts
Médico-Educatifs ne voulaient pas. Ces
jeunes se retrouvaient en service de pé-
dopsychiatrie mais cela ne convenait car
on avait affaire à de grands jeunes gens, et
ils mettaient en péril la sécurité des petits.
On les plaçait alors dans le service de psy-
chiatrie pour adultes, mais on les mettait
en isolement pour qu’ils ne soient pas,
eux, influencés par les adultes. Pour finir,
les adultes venaient hurler à la Maison
Départementale des Personnes Handica-
pées ou à l’Agence Régionale de Santé en
disant que ce n’était pas possible, et à ce
moment-là, la réponse était, après des an-
nées pendant lesquelles on avait dit :
« Vous ne savez pas faire, nous allons
faire » que faute de mieux, on les rendait
à la famille. Cela ne convenait pas non
plus.
C’est dans ce contexte, à l’invitation de la
Maison Départementale des Personnes
Handicapées et de l’Agence Régionale de
Santé en Champagne-Ardenne, que nous
avons travaillé quelques années.
Le financement en est très divers. Dans
certains services, comme par exemple à
l’hôpital Malévoz, c’était “à monter”, tan-
dis que c’était une “belle idée” à Genève.
En l’occurrence, c’était plutôt une institu-
tion qui demandait des sensibilisations. A
Cergy-Pontoise, c’est la communauté
d’agglomérations qui finance. A Royan,
c’était le conseil général. Voilà un peu
comment cela fonctionne.
Le sociogénogramme3
La clinique de concertation a des outils.
Elle s’appuie aussi sur la réalisation d’un
sociogénogramme où nous soulignons les
mots “avec” » et “grâce à” la participation
de toutes les personnes concernées, ceux
qui travaillent ensemble et ceux qui vivent
ensemble, et parmi celles-ci, des per-
sonnes qui bénéficient d’un diagnostic de
pathologie psychiatrique sévère.
Le “avec” » et “grâce à” a été une bascule
qui a eu lieu à Brive-la-Gaillarde en Cor-
rèze, à un moment où, prévoyant avec un
service qui s’occupe plutôt de jeunes gens
dans des dispositifs de contrainte, à un
moment où ce service Trampoline travail-
lait autour des familles, des textes circu-
laient dans lesquels il était men-tionné
qu’ils accordaient de l’importance au tra-
vail qui se faisait autour des familles. Et
l’on pouvait, entre les lignes, lire “à
cause” des familles, ces familles qui sont
dans la désobéissance, qui sont inca-
sables, etc. En travaillant avec les
membres de cette équipe, nous nous
sommes dits que, tout compte fait, on tra-
vaillait “avec” les membres des familles,
et nous sommes même parvenus à pouvoir
dire que nous travaillons “grâce à” elles,
que nous sommes d’une certaine manière
redevables, dans les cas les plus com-
plexes, les plus difficiles, redevables à ces
personnes de nous aider à progresser dans
notre travail.
Progressivement, cette expression est de-
venue “avec”, puis “grâce à” la participa-
tion des membres des familles, et ce qui
s’est passé à Brive-la-Gaillarde, c’est
qu’une famille qui doutait ou qui hésitait
à nous rejoindre pour travailler avec nous
dans une clinique de concertation, quand
elle a entendu “avec” » et “grâce à”, a dé-
cidé de venir.
Le sociogénogramme est une représenta-
tion des circuits relationnels mis sous ten-
sion ; on va retrouver ces tensions dans les
cas complexes et les situations de dé-
tresses multiples.
Le sociogénogramme est né dans l’hôpital
psychiatrique de la Citadelle à Liège où,
en tant que thérapeutes familiaux, nous
nous intéressions aux génogrammes.
Nous avions un groupe au moment où se
mettait en place le travail de réseau des
plateformes psychiatriques, etc., dans les
années 80. Ce groupe s’appelait le tiers
demandeur.
Travaillant dans un CMP, dans un service
de santé mentale, nous étions frappés par
le fait que, dans notre monde, il existait
une hiérarchie de la qualité des de-
mandes : les demandes exprimées par la
personne qui avait bénéficié du soin
étaient mieux considérées que celles qui
étaient exprimées par un tiers demandeur.
A l’époque, Marcel Bini, qui a évolué,
c’était l’une de ses grandes qualités, dé-
nonçait le risque que le tiers demandeur
soit quelqu’un qui passe la “patate
chaude” et se débarrasse de la situation.
Nous avons dû sortir de ce regard suspi-
cieux, que l’on rencontre encore assez
souvent, sur le tiers demandeur. Nous
avons commencé à travailler, à réaliser
des génogrammes et nous nous sommes
La clinique de concertation
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 21
rendus compte, dans des situations com-
plexes, que notre dessin s’enrichissait : il
représentait au fur et à mesure, avec le
même feutre, l’école, le médecin généra-
liste, le juge, etc. Mais à un moment
donné, nous sommes arrivés à quelque
chose d’illisible.
Nous avons alors mis des couleurs pour
nous y retrouver. Nous avons choisi le
feutre vert pour représenter les profes-
sionnels, le noir pour représenter le géno-
gramme. Mais ce qui était surtout impor-
tant dans ce génogramme, c’était les flux
d’activation, et pas les demandes néces-
sairement ; le hurlement ou la récalci-
trance sont considérés comme ayant au-
tant de noblesse que la demande : nous
sommes “activés par”. Nous avons repré-
senté les flèches vertes entre les profes-
sionnels, bleues entre les gens qui vivent
ensemble, et pour ce qui concerne les rap-
ports entre les professionnels et les
membres de la famille, rouge quand c’est
à l’initiative des membres de la famille.
C’est de cette manière qu’est né le socio-
génogramme.
Aujourd’hui, c’est devenu ma façon de
prendre des notes. Si je décroche le télé-
phone, je ne prends pas de notes, je fais un
dessin. Je peux très facilement recons-
truire le récit à partir du dessin mais je ne
pourrais pas représenter la situation avec
autant de détails si je passais par mon écrit
pour refaire le dessin.
Le sociogénogramme, c’est un gribouillis
ou un embrouillis. Dans les cliniques de
concertation, bien souvent, des gribouillis
ont été effectués avant la rencontre.
Lorsqu’une rencontre a lieu, si celle-ci est
complexe, on fait appel à un clinicien de
concertation. Or, la formation d’un clini-
cien de concertation dure quatre ans.
Donc, le sociogénogramme devient un
objet transitionnel. Et il se construit avec
toutes les personnes concernées.
Dans le Gard en France, et nous avons tra-
vaillé la semaine dernière avec une petite
fille qui nous a demandé si l’on pouvait y
ajouter une feuille. Pendant tout le temps,
les enfants dessinent. Comme ils sont
moins paralysés que les grandes per-
sonnes, ils demandent des feutres, et il est
extrêmement étonnant d’observer à quel
point leurs dessins sont en rapport avec les
thématiques abordées.
Le temps de concertation
Il est d’une heure et demie. Une demi-
heure précède pour une rencontre des pro-
fessionnels, afin de vérifier la sécurité du
dispositif pour ceux-ci. En effet, les pro-
fessionnels qui rejoignent ce dispositif
pour la première fois peuvent être extrê-
mement inquiets quant au déroulement de
la concertation. On ne parle pas de la fa-
mille, on ne parle pas de la situation, on
parle plutôt de la procédure avec laquelle
les professionnels rejoignent ce dispositif.
Ensuite, une heure est consacrée au retour
sur l’expérience afin de déterminer com-
ment celle-ci a pu être formatrice.
Donc, une concertation clinique dure trois
heures. Cela, c’est le temps de la séance.
S’agissant de la feuille de route d’une cli-
nique de concertation, nous n’en organi-
sons pas plus d’une tous les six mois, de
façon à ce qu’il soit bien clair que la cli-
nique de concertation est au service du
travail thérapeutique. Si la fréquence de
ce dispositif, qui est assez spectaculaire,
était plus grande, nous risquerions de di-
minuer proportionnellement les interven-
tions quotidiennes, qui restent les inter-
ventions principales. La clinique de con-
certation est au service de ces interven-
tions. Il y a un remodelage du réseau.
A l’heure actuelle, les expériences les plus
longues que nous connaissons sont à
Cergy-Pontoise, où nous travaillons de-
puis 2005. Nous y suivons une famille de-
puis quatre ou cinq ans, au début tous les
six mois, puis tous les ans.
A l’heure actuelle, dans les recherches
que nous menons, nous essayons de
mettre en œuvre ce type de démarches
avec des jeunes gens qui bénéficient du
placement en famille d’accueil, etc. Nous
essayons de faire en sorte d’obtenir un fi-
nancement sur trois ans des cliniques de
concertation. Je pense à des jeunes gens
qui sont des « Formule 1 du réseau”,
comme par exemple Miguel, dans le
Gard, qui est passé par dix-sept services
en un an.
Il s’agit de faire en sorte qu’à partir du
moment où une personne n’appartient
plus à un service, ou en tout cas appartient
à un réseau, nous puissions avoir à es-
paces réguliers ce type de réunion, sans
qu’elle soit liée à un seul service mais plu-
tôt liée à un financement du conseil dépar-
temental.
Antonella
Nous sommes en 2003. La clinique de
concertation est activée par Francesca
Sacco et Silvia Vintimilla, qui travaillent
toutes les deux au service social d’Asti.
Elles sont mises au travail par Antonella,
qui a 31 ans à l’époque et dont les débor-
dements sont très difficiles : Antonella se
rend au service social sans respecter né-
cessairement les heures de permanence, et
menace de se jeter par la fenêtre dans des
récriminations où elle demande à récupé-
rer des contacts plus fréquents avec ses
enfants. A plusieurs reprises, l’hôpital
psychiatrique a été activé par Antonella,
où elle a effectué de nombreux séjours.
Elle est maman de Sara, qui est née en 91,
elle est séparée du papa, et la maman de
L’AUTEUR
Docteur Jean-Marie LEMAIRE Neuropsychiatre, thérapeute familial, Directeur de l’ILTF, Institut Liégeois de Thérapie Familiale et Directeur du Service de Santé Mentale de Flémalle en Belgique. Membre de l’EFTA (European Family Therapy Association)
26, Impasse de l’Ange 4000 Liège Belgique
BIBLIOGRAPHIE
1. BOSZORMENYI-NAGY I. (1973), Reciproc-ity in Intergenerational Family Therapy, in In-visibles Loyalties, New York, Harper and Row, Brunner/Mazel, 1984
2. CACCAVO M., DONADIO L. (2008), La Clinica della Concertazione : una pratica pubblica e collettiva di ricostruzione dei legami, Intervista a Jean-Marie LEMAIRE pubblicata nella rivista Salute e Società, Anno n°VII – 1/.
3. CERIANI L ., RAVARINO R ., SCAZZOLA G. (2002), Puzzle Istituzionali, Servizi pubblici e modello sistemico : possibili applicazioni, fra cui la Clinica della Concertazione, Sinte-si: Introduzione alla Clinica della Concerta-zione in Connessioni, n°10, Orizzonti cornici prospet-tive, Milano, Marzo, pp. 97-98.
4. CHAUVENET A. (1992), La protection de l’Enfance, une pratique ambigüe, L’Harmattan, Paris.
1. CHAUVENET A., DESPRET V., LEMAIRE J.-M. (1996), La Clinique de la Reconstru-ction, L’Harmattan, Paris.
2. DESPRET V. (1998), Quelques figures de la traduction : du thème à la version, in Réseaux, 82-83- 84, pp. 123-137.
3. DESPRET V. (2006), Le secret est une dimen-sion politique de la thérapie, in T. Nathan (dir.), La guerre des psys. Manifeste pour une psy-chothérapie démocratique, Les Empêcheurs de Penser en Rond, Paris, pp. 153-176.
4. FONTON C. (2009), L’investigation : de nou-veaux champs à explorer – quand les familles deviennent expertes, in ASH n° 2623, 11 sep-tembre.
5. LEMAIRE J.-M. (2001), Les interventions dé-concertantes, in Cahiers critiques de thérapie fa-miliale et de pratiques de réseaux, n°24, 1/2000. (Traduzione Italiana « Gli Interventi Sconcertanti » a cura E. Vittone,)
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 22
BIBLIOGRAPHIE (suite)
5. LEMAIRE J.-M., DESPRET V. (2001), Collec-tive Postraumatic Disorders, Residual Re-sources, and an Extensive Context of Trust (Creating a Network in refugee Camp in For-mer Yugoslavia), in International Journal of men-tal Health, Vol. 30, 2, pp. 22-26.
6. LEMAIRE J.-M. (2002), Dansez sur moi, et autres rencontres, Cahiers critiques de thérapie fa-miliale et de pratiques de réseaux, vol. /1, n° 28, pp. 210.
7. LEMAIRE J.-M ., VITTONE E., DESPRET V. (2002), Clinica della Concertazione : alla ricerca di un setting aperto e rigoroso in Connessioni, n°10 « Orizzonti cornici prospettive », Milano, Marzo, pp. 99/108. (traduction française : « Cli-nique de Concertation et Système : à la recherche d’un cadre ouvert et rigoureux » in Génération, Pa-ris, Agence Régionale de Santé 2003, n°28, pp. 23-26).
8. LEMAIRE J.-M., VITTONE E., DESPRET V. (2003), Clinica della Concertazione : alla ricerca di un setting aperto e rigoroso in Connessioni, n°10 Orizzonti cornici prospettive, Milano, Marzo
2002, pp. 99/108. (www.concertation.net) ; trad. Fr. "Clinique de Concertation et Système : à la re-cherche d’un cadre ouvert et rigoureux" in Généra-tion, Paris, mAgence Régionale de Santé, n°28, pp. 23-26.
9. LEMAIRE J.-M., HALLEUX L. (2005), Service public et Clinique de Concertation : espaces habitables pour une psychothérapie authen-tique, in L’inventivité démocratique aujourd’hui, Brausch G. et Delruelle E. (dir.), Editions du Ceri-sier, pp.109-134.
10. LEMAIRE J.-M., HALLEUX L. (2010), Con-fiance, loyautés et Cliniques de Concertation au service du Travail Thérapeutique de Ré-seau, in Cahiers Critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, /1, n°44, pp. 137-152.
21. TREMINTIN J. JOSEPH M. (2011), La Cli-nique de Concertation. Rencontre avec une praticienne de la Clinique de Concert-ation, Lien Social, n° 1036 27/10/.
Gino était hospitalisée dans le même hô-
pital. Gino, qui rendait visite à sa maman,
a rencontré Antonella, ils ont formé un
couple, et Valentina est née en 1998. Les
inquiétudes des services sociaux ont ac-
tivé le juge, qui a décidé du placement de
Sara dans une famille d’accueil. Les pa-
rents essaient de maintenir des contacts
avec les enfants, et à un certain moment,
en 1999, ils font un enlèvement et partent
dans leur région d’origine, les Pouilles en
Italie, dans le talon de la botte, avec ceci
de particulier que, pendant le voyage, An-
tonella signale son départ aux travailleurs
sociaux.
Les travailleurs sociaux du service social
sont aussi mis au travail par des appels
très fréquents de la maman d’accueil
puisqu’Antonella ne fait pas qu’activer le
service social directement par ses me-
naces, etc., la maman de la famille d’ac-
cueil estime être harcelée par les visites
fréquentes, les rapprochements d’Anto-
nella de cette famille. Le service social est
en collaboration avec la doctoresse Bo-
rello, neuropsychiatre infantile, puisque le
comportement des petites filles inquiète
les services sociaux et la famille d’ac-
cueil.
Pendant ce temps, Antonella vit des con-
flits graves avec Gino, dans cette région
de l’Italie, et elle commet un acte gravis-
sime : elle incendie la grange de la ferme
du père de Valentina.
L’hôpital psychiatrique va mettre au tra-
vail le service d’hygiène mentale avec la
doctoresse Martinengo, psychiatre pour
adultes.
Cette situation active la commune d’Asti,
petite ville où nous avons commencé à
travailler invités par la prison, en 2003.
Nous y travaillions précédemment depuis
quatre ans. Les cliniques de concertation
ont lieu à Asti tous les mois, elles se dé-
roulent dans la Maison de la culture, qui
est un lieu de la ville fréquenté par les
jeunes gens et dans lequel sont organisés
des événements culturels. Tout travailleur
mis en difficulté, mis sous tension par des
situations complexes qui débordent les
compétences propres, spécifiques du ser-
vice, peut mettre au travail cette clinique
de concertation, et c’est ce qu’a fait Fran-
cesca Sacco.
Dès lors, une invitation se met en route,
une invitation rédigée et signée en colla-
boration entre les travailleurs sociaux les
plus proches de la famille et la famille
elle-même. Un lieu-dit neutre sera dési-
gné par le juge pour les visites des enfants
et d’Antonella.
Nous sommes dans ce que nous appelons
des situations activatrices du travail théra-
peutique de réseau, c’est-à-dire là où ré-
fléchir à ce qui peut se passer dans chaque
structure de soins n’est plus suffisant, et
que nous devons plus travailler sur les
flèches du schéma que travailler sur les
petites maisons qui représentent les ser-
vices. A titre de comparaison, on peut dire
que si nous nous intéressons à la SNCF,
nous ne pouvons pas nous intéresser seu-
lement aux gares, nous devons aussi nous
intéresser aux rails et à ce qui se passe
dans les wagons.
Donc, la clinique de concertation va pren-
dre soin des concertations. Je vais vous ci-
ter un mot qui n’existe pas en français,
« lo sconcerto », qui est la déconcertation,
c’est-à-dire cet état dans lequel nous pou-
vons être lorsque nous sommes perplexes,
lorsque nous sommes déprofessionnali-
sés, dépersonnalisés par des situations qui
dépassent nos compétences spécifiques.
A ce moment-là, se met en place un travail
qui, peut-être, doit plus remettre sur le
métier la question des compétences non
spécifiques, c’est-à-dire toutes celles que
nous partageons, les responsabilités que
nous partageons dans les différents ser-
vices, mis au travail par une situation de
détresses multiples.
Lucia Donadio est l’une des personnes qui
s’est formée à la clinique de concertation
et qui continue aujourd’hui à travailler à
Turin dans le service de détention pour
mineurs dans les mains de la justice.
Lors de la rencontre, Lucia fait une ré-
ponse remarquable. Lorsque Antonella
dit : « Sono agitata (je suis stressée) »,
elle répond : « Siamo in due. »
A partir de ce moment, lorsque se réunis-
sent cliniquement les réseaux de ceux qui
vivent ensemble et ceux qui travaillent en-
semble, effectivement, on se retrouve
dans une situation clinique de gestion de
stress et, curieusement, c’est du côté des
professionnels que c’est insupportable
plus souvent que du côté des membres des
familles. En général, nous avons plutôt
des familles.
Ici, Antonella est seule. Gino va la re-
joindre à la moitié de cette clinique.
Antonella est revenue en clinique de con-
certation six mois plus tard, et six mois
plus tard, étaient présents tous les acteurs,
ou au moins la plupart, une grande majo-
rité des soignants qui accompagnaient
Valentina et Sara. Je pense que deux ans
plus tard, avec des aides sociales, la fa-
mille s’est reconstruite, et nous avons en-
core aujourd’hui des nouvelles d’Anto-
nella.
Face aux résistances
Il est quand même très important de savoir
que la plupart des résistances que nous
rencontrons sont souvent des résistances
des professionnels à ce type de travail. Et
il est tout à fait acceptable et légitime que
les professionnels puissent dire que ce
dispositif menace leur sécurité : ils font
La clinique de concertation
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 23
partie d’une hiérarchie, ils font partie de
services, ils ont des missions, des respon-
sabilités, et nous n’avons pas la garantie,
dans une clinique de concertation, de pou-
voir assurer la sécurité des professionnels,
sachant que les professionnels entre eux,
souvent, et la famille et les professionnels,
peuvent vivre des conflits dangereux.
Qu’un professionnel dise qu’il ne veut pas
participer à une clinique de concertation
parce que le dispositif est insécurisé et in-
sécurisant, c’est tout à fait recevable et lé-
gitime. Ce qui est plus problématique,
c’est lorsque les professionnels refusent
de venir au nom de l’insécurité des
membres de la famille alors que les
membres de la famille, eux, en sont de-
mandeurs.
Par exemple, dans le Val d’Oise, à Cergy
Pontoise où existe une clinique de concer-
tation depuis 2005, les membres des fa-
milles communiquant entre elles ont évi-
demment connaissance de l’existence de
ce dispositif, notamment à partir de tout
ce qui se passe dans l’enseignement. C’est
à partir d’une association qui s’appelle
École et familles que nous travaillons.
Lorsque la porte d’entrée est l’Éducation
nationale, les enseignants, mais aussi les
parents, les familles, connaissent ce dis-
positif de clinique de concertation, et à
partir du moment où ils le connaissent, ils
peuvent le demander. C’est dans ce terri-
toire, principalement à partir de l’école,
qu’ont lieu les cliniques de concertation.
Une part importante du dispositif de la cli-
nique de concertation réside dans le fait
que ces cliniques de concertation sont des
lieux de recherche, ils peuvent s’apparen-
ter assez bien à ce que Kurt Lewin propo-
sait dans les recherches action. Ici, il
existe une part de recherche, toute une lit-
térature qui se construit autour des cli-
niques de concertation. C’est donc un lieu
de recherche, mais aussi un lieu de forma-
tion : dans ce type de laboratoire, s’orga-
nise une formation à ce type de travail, au
travail thérapeutique de réseau, soutenu
notamment par la thérapie contextuelle, et
les familles perçoivent qu’elles viennent
soutenir ce processus de formation.
Or, pour des familles qui sont la cible
d’interventions multiples, il se passe là
quelque chose qui est de l’ordre d’une in-
version du donner et du prendre. C’est-à-
dire que dans ces circonstances, on peut,
de manière congruente, dire aux familles
que nous les remercions de venir nous ai-
der à apprendre une partie du métier que
nous connaissons mal, celle de travailler
ensemble.
J’ai fait cinq années de spécialisation en
psychiatrie et, pendant ce temps, je n’ai
jamais appris à travailler avec les autres
dans une échelle qui serait plus large que
celle de l’équipe, à travailler avec les tra-
vailleuses familiales, les aides ménagères,
etc. C’est quand j’ai commencé à travail-
ler dans le service social qu’à un moment,
on m’a bombardé superviseur de quatre
équipes d’aides familiales, de travail-
leuses familiales, et je dirais que dans
cette position de superviseur, j’ai appris
mon métier, que ce sont elles qui ont pu
m’apprendre le travail dans la proximité,
un travail dans lequel on porte les res-
sources sur le lieu des détresses, et non
plus où l’on veut faire entrer les détresses
à tout prix dans le lieu des ressources.
Cette inversion de la flèche du donner et
du prendre est perçue par ces familles.
C’est-à-dire que ces familles à qui l’on dit
comment vivre, que faire, comment se
soigner, etc., de qui on demande une
obéissance, tout à coup, et elles le com-
prennent, elles viennent étayer un proces-
sus d’apprentissage dans lequel elles
n’ont pas cette position de cobaye.
Je me souviens, à Alessandria, d’un mon-
sieur dénommé Marco, qui avait une ex-
périence d’errance dans la rue, de con-
sommation de produits à haut risque, etc.
Avec lui, c’était la première fois que nous
recevions un an après une famille avec qui
nous avions travaillé un an précédem-
ment. Aujourd’hui, il est devenu beau-
coup plus courant que, pendant cinq ans,
nous ayons un processus dans lequel les
cliniques de concertation ont lieu, par
exemple, tous les six mois. Quand nous
avons demandé à Marco : « Qu’est-ce que
vous avez pensé de ce qui s’était passé
l’année dernière ? », il nous a ré-
pondu « Je ne me suis pas senti cobaye. ».
Et la réponse que je lui ai donnée, c’est
que, oui, évidemment, c’était nous qui
étions les cobayes dans cette histoire
parce que nous étions dans des dispositifs
improbables, des dispositifs à risque. Ce
Marco nous a bien aidés.
Les cliniques de concertation articulent ce
qui se passe entre les personnes qui vivent
ensemble, la plupart du temps la famille
(la petite famille, la grande famille).
Quand nous travaillons en clinique de
concertation, il est deux éléments au
moins sur lesquels les personnes ont rare-
ment pu être privées de leur position d’ac-
teur, de leur position de sujet.
Le premier élément, c’est de choisir com-
ment elles souhaitent que l’on s’adresse à
elles. On est toujours sûr de les rejoindre
sur un domaine d’expertise. L’autre do-
maine d’expertise, c’est l’échelle à la-
quelle les personnes ont envie que l’on
travaille. Lorsque s’organise une clinique
de concertation, l’expression standard
employée est : « Venez avec toutes les
personnes dont vous jugez la présence
utile. » Notre record, dans la banlieue
d’Alger, c’était 70 personnes dans la salle
de la municipalité.
Donc, sur certaines questions, nous ren-
controns des gens qui n’ont jamais perdu
leur place de sujet, leur place d’acteur ; le
problème, c’est de les rejoindre là où ils
l’ont gardée. Les cliniques de concerta-
tion réussissent cette opération.
Pratiques et décideurs
Il y a deux jours, j’ai reçu un courrier d’un
ami, Philippe Guillaumot, de Pau, dans
les Pyrénées Atlantiques. J’ai été ému par
ce texte. Il dit : « On est au cœur de la
triade concertative. ».
La triade concertative, c’est le fait que
l’on ne peut pas aborder des sujets de
santé mentale sans se poser des questions
dans une triade qui est évidemment celle
de ceux qui travaillent ensemble : nous,
les soignants, les travailleurs sociaux,
etc., les membres des familles et les res-
ponsables politiques élus ou les respon-
sables administratifs.
C’est cela que l’on appelle la triade con-
certative, qui est mise en action dans les
territoires où nous travaillons.
Il convient de préciser que ces territoires
où nous travaillons s’inscrivent la plupart
du temps dans des échelles relationnelles
qui varient entre 30 000 et 60 000 habi-
tants. Nous ne travaillons pas à l’échelle
de grandes métropoles, ou alors sur des
quartiers, mais pas à l’échelle de grandes
villes.
Philippe Guillaumot est médecin psy-
chiatre, thérapeute familial et contextuel
au CCAS de Pau, président de l’associa-
tion contre la maltraitance des personnes
âgées, et très actif dans cette ville.
Lors de la journée de sensibilisation à
l’Institut du travail social à Pau, il a pré-
senté la clinique de concertation en l’inté-
grant à la question du parcours de soins,
qui envahit à présent tous les discours mi-
nistériels, ceux des Agences Régionales
de Santé, ainsi que ceux des conseils dé-
partementaux, en plus des termes “coordi-
nation” et “intégration”.
La représentante de l’Agence Régionale
de Santé était dans la salle, elle m’en a re-
parlé car je l’ai revue récemment à une
inauguration. Elle a trouvé cela intéres-
sant. Elle a bien sûr saisi le clin d’œil sur
le parcours de soins. A partir du moment
où l’on a une ambition thérapeutique,
nous avons besoin de ces décideurs finan-
ceurs, surtout si un jour on lance une for-
mation action au travail thérapeutique de
réseau soutenu par la clinique de concer-
tation et la thérapie contextuelle sur le ter-
ritoire palois.
Le travail de proche en proche est-il né-
cessaire et suffisant pour faire reconnaître
la clinique de concertation dans le pay-
sage socio-sanitaire de notre société ?
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 24
Faut-il viser l’institutionnalisation de la
clinique de concertation ?
Comment ?
Avec quels risques et avantages ? Le la-
bourage du travail de terrain, de proche en
proche, rendra-t-il évident ce passage
pour les décideurs ?
J’ai le sentiment que les convergences
n’ont jamais été aussi fortes entre le dis-
cours des décideurs et nos pratiques espé-
rées. Mais pour avoir fréquenté les arènes
du pouvoir, je les ai expérimentées
comme étant très fatigantes et souvent sté-
riles dans ma carrière.
La justice relationnelle
Le terme de « justice relationnelle4 »,
dans la thérapie contextuelle, a le mérite
d’être intégratif. Il reconnaît la dimension
des faits, c’est-à-dire peut-être un dys-
fonctionnement physiologique ; on n’a
pas besoin de nier l’existence du dysfonc-
tionnement physiologique, on peut agir
sur lui en administrant, par exemple, un
médicament.
Il reconnaît bien sûr la dimension indivi-
duelle de l’économie psychique, de la
psychodynamique, et donc, il reconnaît ce
type d’intervention, qui a toute sa place
dans un processus thérapeutique com-
plexe.
Ce terme reconnaît la dimension de la sys-
témie : le tout est plus que la somme de
ses parties, et par conséquent, il existe une
sorte de génie relationnel qui appartient à
l’ensemble et non pas à chacun des élé-
ments ensemble.
En outre, il introduit cette quatrième di-
mension que voit Imre Nagy : la régula-
tion des rapports humains par une justice,
ou comment les gens usent et abusent les
uns des autres. C’est là qu’il nous invite à
placer notre levier thérapeutique, en ou-
vrant ce débat. Ainsi, pour avoir rencontré
avec Imre Nagy des personnes qui bénéfi-
cient d’un diagnostic de pathologie psy-
chiatrique sévère dans les hôpitaux, à
l’hôpital Saint Vincent à Bordeaux par
exemple, un jeune homme délirant, quand
on ouvre cette question dans la famille et
dans le réseau : « Est-ce qu’il y a justice
relationnelle ou pas ? Est-ce que les gens
usent ou abusent les uns des autres ? »
Il se passe quelque chose d’extrêmement
étonnant, à savoir que se rétablit la cohé-
rence des choses, parfois dans des reven-
dications sous haute tension. C’est là que
Imre Nagy va placer son projet thérapeu-
tique.
Nous l’avons élargi : là où Imre Nagy le
situait, le focalisait très fort sur la dimen-
sion de la thérapie familiale, la clinique de
concertation accepte des échelles beau-
coup plus larges puisque nous avons des
situations qui n’entreront jamais dans le
cabinet du thérapeute familial. On peut
évidemment se lamenter et le regretter,
mais cela ne sert pas à grand-chose. En re-
vanche, ces familles sont activatrices de
réseaux extraordinaires. Si l’on prend le
risque de dire : « Mettons entre quatre
murs, dans une salle suffisamment
grande, toutes les personnes qui ont été
activées par cette famille, alors, nous
pourrons commencer à poser ces ques-
tions peut-être du côté des professionnels
avant d’aller vers la famille. ».
En effet, il existe aussi dans les institu-
tions, dans la vie d’un réseau, des conten-
tieux lourds entre les différents services,
les différentes institutions ; et la problé-
matisation familiale, souvent, se projette
dans le réseau, par exemple, autour d’un
enfant hyperactif avec le défenseur de
telle approche, le défenseur d’une autre
approche, et à l’intérieur de la famille, les
activations, les alliances qui s’organisent
dans le réseau.
La clinique de concertation n’est pas seu-
lement au service des familles, elle est
également au service des professionnels,
car ces derniers sont en danger dans ce
genre de situation.
En conclusion
C’est l’occasion d’aborder la question de
la thérapie contextuelle, où les pratiques
de dialogue sont éloignées de la relation
de pouvoir. Ce qui est difficile dans les
débats, par exemple sur la coordination au
conseil départemental, c’est de pouvoir
argumenter sa fondamentale différence
avec la concertation et son ambition
comme figure thérapeutique du travail
thérapeutique de réseau sans pouvoir in-
troduire la thérapie contextuelle de façon
simple. Dans ses interviews, Ivan Böször-
ményi-Nagy ne veut pas en faire une nou-
velle théorie, qu’il ne veut pas en faire une
école où il suffirait de connaître par cœur
le glossaire.
A l’heure actuelle, la clinique de concer-
tation continue à progresser de proche en
proche, avec les personnes qui s’y intéres-
sent, c’est-à-dire en général des travail-
leurs de proximité. Si jamais un jour cette
pratique s’institutionnalisait, il faudrait
rester vigilant à ce que l’institutionnalisa-
tion ne dénature pas la chance que nous
avons de travailler de cette façon, avec et
grâce aux familles en détresses multiples.
4 http://www.syste-
mique.be/spip/spip.php?article840
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 25
Je remercie Monsieur Genvresse de cette
invitation.
Préambule
Je suis psychiatre. J’ai fait le psychiatre
pendant quarante-cinq ans, et actuelle-
ment, je suis directeur du Centre collabo-
rateur de l’Organisation Mondiale de la
Santé pour la recherche et la formation en
santé mentale, basé à Lille, qui travaille
également avec un groupement de coopé-
ration sanitaire en recherche et formation
en santé mentale regroupant quinze hôpi-
taux en France.
Les Centres collaborateurs sont au
nombre de douze en Europe, sachant qu’il
y a cinquante-deux pays et qu’il n’y en a
pas un dans tous les pays. Ce sont les re-
lais des politiques de l’Organisation Mon-
diale de la Santé au niveau local, et réci-
proquement, ils sont là pour faire con-
naître au niveau de l’Organisation Mon-
diale de la Santé ce qui se passe dans les
différents pays.
J’ai essayé de reprendre un peu les con-
cepts actuels qui mènent les politiques de
l’Organisation Mondiale de la Santé dans
le monde en santé mentale, puisque le
plan santé mentale mondial 2013-2020 a
été adopté par les 195 pays, dont la
France, mais aussi la Suisse, la Belgique,
tous les pays francophones, afin d’essayer
de voir ce que cela peut donner concer-
nant son application locale.
Le principe est toujours de penser global
et agir local.
Je vais vous parler de la conférence
d’Alma-Ata, de la charte d’Ottawa, de la
santé mentale dans le monde et en Europe,
avec les plans votés au niveau mondial et
au niveau européen, de l’application pra-
tique en France, à partir de trois concepts-
types, qui sont le rétablissement, le pou-
voir d’agir (l’empowerment) et la ci-
toyenneté. Je vous parlerai également un
peu de la santé mentale communautaire et
de la manière dont le secteur de la psy-
chiatrie peut appliquer ces concepts ac-
tuellement.
Nous menons à Lille l’expérience de cette
application.
Alma-Ata et Ottawa
Vous connaissez certainement la déclara-
tion d’Alma-Ata sur les soins de santé pri-
maire.
C’est là que l’Organisation Mondiale de
la Santé a sorti, pour la première fois, sa
définition selon laquelle la santé est un
état complet de bien-être physique, men-
tal et social, qui ne consiste pas unique-
ment en une absence d’infirmité. C’est un
droit fondamental de l’être humain et l’ac-
cession au niveau de santé le plus élevé
possible est un objectif social extrême-
ment important, qui intéresse le monde
entier. Cela suppose, bien entendu, la par-
ticipation de nombreux acteurs socio-éco-
nomiques puisqu’on voit bien que les dif-
férences d’espérance de vie dans les pays
sont aussi liées aux problèmes socio-éco-
nomiques. Quand il existe des problèmes
de dénutrition, des problèmes de guerre,
des problèmes de famine, bien évidem-
ment, le niveau de vie et le niveau d’accès
au système de santé diminuent considéra-
blement.
L’Organisation Mondiale de la Santé dit
que tout être humain a le droit et le devoir
de participer - ça a été le changement -,
d’une manière individuelle et collective à
la planification de la mise en œuvre des
soins de santé qui lui sont destinés. C’est
Les troubles mentaux touchent des centaines de millions de personnes. Lorsqu’ils ne sont pas traités, ces troubles engendrent un énorme tribut de souffrances, d’invalidité et de perte économique. Pourtant, malgré le potentiel de traiter avec succès les troubles mentaux, seule une petite minorité de ceux qui en ont besoin reçoivent le traitement le plus élémentaire. L’intégration des services de santé mentale dans les soins primaires est le moyen le plus viable de réduire l’écart de traitement et s’assurer que les personnes présentant un problème de santé mentale reçoivent les soins dont elles ont besoin. Dès 2001, l’Organisation Mondiale de la Santé a recommandé d’intégrer le traitement des troubles mentaux au niveau des soins primaires. Le principe général des actions de l’OMS est « penser global et agir local ». Depuis, l’OMS a produit des outils et des guides afin d’accompagner et orienter les pays pour intégrer les soins des troubles mentaux à un système de soins primaires holistique, centré sur la personne. Nous ferons référence dans cet article aux principaux textes fondateurs de l’OMS structurant les orientations de sa politique de santé mentale, qui est basée sur les trois concepts suivants : l’empowerment, le rétablissement et la citoyenneté. Le cadre conceptuel de la mise en place de ces trois concepts est la santé mentale communautaire. Nous illustrerons ces orientations politiques par l’exemple concret de services de santé mentale intégrés dans la banlieue est de Lille.
Mots-clefs : intégration, soins primaires, empowerment, rétablissement, citoyenneté, santé mentale communautaire
Recovery, power to act and citizenship Recommendations of the World Health Organization to the implementation in France
Mental disorders affect hundreds of millions of people. When not treated, these disorders create an enormous toll of suffering, disability and economic loss. Yet despite the potential to treat mental disorders with success, only a small minority of those in need receive the most basic treatment. Integrating mental health services into primary care is the most viable way to reduce the treatment gap and ensure that people with mental health problems receive the care they need. In 2001, the World Health Organization has recommended to integrate the treatment of mental disorders in primary care. The general principle of the WHO action is "think global and act local". Since then, WHO has produced tools and guides to accompany and guide countries to integrate the care of mental disorders in a holistic primary care system, centered on the person. We will refer in this article the main founding texts of the structuring WHO guidelines for mental health policy, which is based on three concepts: empowerment, recovery and citizenship. The conceptual framework of the implementation of these three concepts is the community mental health. We illustrate these policy orientations by the concrete example of mental health services integrated in the suburbs of Lille.
Keywords: integration, primary care, empowerment, recovery, citizenship, community mental health
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 26
un changement radical parce qu’aupara-
vant, c’était la relation médecin-malade,
système de soins-malade. Le malade était
passif et le système de soins actif. Ce
changement, on le situe généralement à
partir de l’épidémie de Sida.
En fait, pas du tout.
Il a eu lieu dès 78, quand l’ensemble des
pays s’est réuni lors de la conférence
d’Alma-Ata et a déclaré que les pro-
blèmes de santé étaient l’affaire de tout le
monde. C’est l’affaire de tout le monde.
C’est l’affaire de chacun d’entre nous
pour sa santé. Nous avons tous des pro-
blèmes de santé, nous les prenons en
charge. On doit faire attention à sa santé.
Mais c’est aussi une affaire collective.
L’Organisation Mondiale de la Santé ne
dit pas que c’est une affaire individuelle
uniquement. Elle dit que les États, en tant
que tels, doivent prendre en compte majo-
ritairement l’état de santé de leur popula-
tion.
La charte d’Ottawa va compléter la décla-
ration d’Alma-Ata. Cette charte, c’est la
promotion de la santé, qui a pour but de
donner aux individus davantage de maî-
trise sur leur propre santé et davantage de
moyens de l’améliorer. La santé est une
ressource de la vie quotidienne. Cela doit
être conçu comme tel, et cela doit être
promu. C’est un concept positif qui va se
baser sur les ressources sociales person-
nelles et les capacités physiques.
Les déclinaisons de la déclaration d’Alma-Ata et de la Charte d’Ottawa
pour la santé mentale
Parmi les conditions indispensables à la
santé, très peu dépendent du système de
soins. Ici, vous êtes quasiment tous des
agents du système de soins, votre part
dans la santé représente peut-être 10 ou
15 %.
La première condition, c’est de pouvoir se
loger. L’espérance de vie des SDF est
drastique. Les personnes qui vivent dans
la rue meurent beaucoup plus tôt : 45, 50
ans dans nos pays, bien moins dans
d’autres pays. Il faut également pouvoir
accéder à l’éducation : pas de santé sans
éducation. Il faut pouvoir se nourrir con-
venablement. Avec l’Organisation Mon-
diale de la Santé, on travaille avec des
pays où le problème de l’alimentation est
un problème récurrent. Je vous assure
qu’il n’est pas facile pour les gens, quand
ils ne se nourrissent pas convenablement,
d’avoir accès aux soins de santé. Il faut
pouvoir disposer d’un certain revenu ;
c’est vrai pour tout le monde, c’est vrai en
France aussi. Il faut bénéficier d’un éco-
système stable. Vous voyez ce qui se
passe en Syrie, je pense que les problèmes
de santé mentale et de santé physique sont
considérables. Il faut enfin pouvoir comp-
ter sur un apport durable de ressources et
avoir droit à la justice sociale.
Vous voyez là tous les préalables qui con-
ditionnent une bonne santé.
Par rapport à cela, quels ont été les plans
de santé mentale de l’Organisation Mon-
diale de la Santé ? Je ne vais pas tous les
reprendre, il y en a un certain nombre, je
vais reprendre les derniers : le plan de
2013, qui a été adopté à l’Assemblée
mondiale de la santé et le plan européen
qui a suivi.
L’Organisation Mondiale de la Santé dis-
tingue six régions dans le monde, et nous
faisons partie de la région Europe (soit
cinquante-deux pays, et pas uniquement
les vingt-huit de la Commission Euro-
péenne, mais aussi l’Azerbaïdjan, la Tur-
quie, et Israël qui est rattaché à l’Europe,
on ne sait pas pourquoi).
Dans son plan global, l’Organisation
Mondiale de la Santé développe une vi-
sion, la vision de tous les États. C’est un
monde où la santé mentale serait promue
véritablement, mise en valeur, protégée,
où les troubles mentaux seraient recon-
nus. En effet, une quantité de sociétés ne
reconnaissent pas les troubles mentaux, et
même dans la nôtre, parfois, on entend
dire : « Oh, ils le font exprès ». C’est un
vrai problème, que nous allons dévelop-
per par la suite.
Les personnes affectées par ce type de
troubles sont capables d’exercer tous
leurs droits humains ; et le problème, en
psychiatrie et en santé mentale, est essen-
tiellement celui des droits. Concrètement,
pour les personnes hospitalisées actuelle-
ment dans le monde, parfois dans des si-
tuations catastrophiques, mais en France
aussi (contention, isolement et compa-
gnie), quels sont véritablement leurs
droits ? Quels sont les droits des ci-
toyens ?
C’est, pour ce qui nous concerne, un accès
à des soins, à des services sociaux de qua-
lité et culturellement appropriés (il ne
s’agit pas d’importer des thérapies qui ne
sont pas culturellement appropriées à un
État, cela ne marchera jamais) à des per-
sonnes dans le but de promouvoir le réta-
blissement.
C’est la première fois que l’Organisation
Mondiale de la Santé utilise le mot « re-
covery » en anglais, donc « rétablisse-
ment ». Il va changer toute la donne en
santé mentale et en psychiatrie : essayer
d’atteindre le plus haut niveau possible de
santé, de participation complète à la so-
ciété, au monde du travail, libre de toute
stigmatisation et discrimination.
Quand on sait la stigmatisation, la discri-
mination liées aux personnes qui ont des
troubles mentaux, cette vision n’est pas
acquise et elle le sera à la fin du plan. Il
faudra encore attendre des siècles avant
que cela aille un peu mieux.
Donc, les principes transversaux sont les
soins universels pour tout le monde et par-
tout, les droits de l’homme, les pratiques
basées sur les preuves (ne pas faire n’im-
porte quoi), une approche tout au long de
la vie.
Dans la plupart des cas de troubles de
santé mentale, 50 % des troubles des
adultes ont commencé avant l’âge de
quinze ans. Ce sont des chiffres interna-
tionaux. Si vous ne prenez pas les choses
tout au long de la vie, vous risquez de ne
pas comprendre, en saucissonnant les
gens en tranches d’âge.
Il faut également une approche multisec-
torielle, parce que si quelqu’un n’a pas de
logement, vous aurez du mal à soigner sa
santé mentale.
Il faut donc une véritable approche avec
tous les domaines de la société.
Enfin, il faut se baser sur le pouvoir d’agir
des personnes. C’est le pouvoir d’agir des
personnes, qui effectivement doivent don-
ner leur opinion sur les soins qu’elles re-
çoivent, sur l’organisation des soins, et
doivent être intégrées dans les systèmes
d’organisation des soins.
Le plan d’action européen sur la santé
mentale va reprendre tout cela, en insis-
tant, en Europe, sur la question de la santé
physique des personnes qui ont des
troubles psychiques, puisqu’il existe un
fossé de vingt ans de différence d’espé-
rance de vie pour les hommes qui ont des
problèmes de santé mentale et de quinze
ans pour les femmes. Cette situation est
scandaleuse à plus d’un titre, elle n’a ja-
mais été abordée frontalement, et l’Orga-
nisation Mondiale de la Santé demande
actuellement que tous les États l’abordent.
C’est repris actuellement dans les plans
mis en place en France.
Le bureau régional va décliner tout cela.
Ce sont les cinquante-deux pays. Le péri-
mètre, c’est le bien-être, les droits et les
services. Les déterminants du bien-être,
comme je vous l’ai dit auparavant, cela re-
couvre beaucoup d’aspects en dehors des
soins : la petite enfance, l’école, l’emploi,
le statut social, le revenu, les relations, le
milieu, les groupes, les minorités.
Une série d’études épidémiologiques ont
été menées en Europe de l’Ouest.
Les gens de l’Europe du Nord et les An-
glais sont très pointus dans ce domaine et
leurs études montrent que, y compris dans
nos pays, le fossé est considérable entre
les gens qui ont des troubles et les gens
qui se soignent. Par exemple, pour la dé-
pression majeure et sévère, 45 % des gens
ne se soignent pas. Pour l’alcoolisme, en
France, c’est 92 %. Pour les cas de psy-
chose, c’est beaucoup moins en Europe de
l’Ouest, mais en Europe de l’Est, c’est
Rétablissement, pouvoir d’agir et citoyenneté : des recommandations de l’OMS à l’application en France
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 27
beaucoup plus important. En Afrique, on
est à des taux de 80 % de gens qui ne se
soignent pas. Et pour les troubles bipo-
laires, malgré les évolutions, encore 40 %
des gens ne se soignent pas. Ensuite,
quand les gens commencent un traite-
ment, 25 % ne viennent pas et 25 % se dé-
sengagent dès la première ou deuxième
visite.
Vous le voyez dans vos statistiques tous
les jours dans les hôpitaux, dans les files
actives.
Quels sont donc les objectifs ?
Le projet de vie
L’égalité et la possibilité de bien-être
mental à travers le projet de vie pour les
plus vulnérables (ce sont toutes les
équipes EMPP) est le premier.
La crise économique a fait augmenter
d’une manière importante le nombre de
tentatives de suicide et les suicides, ainsi
que les personnes ayant des problèmes de
troubles de santé mentale. Moins en
France qu’ailleurs tout de même ; à croire
que le système de protection sociale a été
plus amortisseur ici qu’ailleurs.
Vingt-cinq ans plus tôt, il n’y en avait pas
ou très peu de “SDF”, il s’agissait de
quelques clochards que l’on connaissait
tous. Ce phénomène a pris beaucoup
d’ampleur dans nos sociétés occidentales.
La citoyenneté
Les personnes avec problème(s) de santé
mentale sont des citoyens et leurs droits
humains sont mis en valeur, protégés et
promus. Cela, ce sont les asiles tels qu’on
les a connus, tels qu’ils existent encore.
J’ai appris que la mise en pyjama était une
pratique assez courante en France et ail-
leurs. Des gens qui devaient rester tout le
temps en pyjama, ce sont des atteintes à la
liberté, au respect des droits, au respect
des hommes. Quant aux histoires de con-
tention, d’isolement, ce sont des catas-
trophes. J’ai connu des périodes où cela
n’existait plus. Dans certains endroits,
cela n’existe d’ailleurs toujours pas. En
revanche, cela a fleuri en France.
Quant aux signataires de la convention
des droits des personnes handicapées,
comme vous le voyez, ce n’est pas encore
tout le monde. Cette convention est vrai-
ment bien faite, je vous conseille de la
lire, elle figure sur le site de l’Organisa-
tion Mondiale de la Santé.
L’accessibilité
La troisième condition, ce sont des ser-
vices de santé mentale accessibles. En
Turquie, il a été décidé voici quatre ans,
pour se mettre aux normes européennes,
de fermer les hôpitaux psychiatriques et
de rapatrier tous les services dans les
villes et dans les services d’hôpitaux gé-
néraux. Ils sont venus en France pour ob-
server comment fonctionnait le secteur et
ils ont découvert la psychiatrie de secteur,
la psychiatrie intégrée dans la commu-
nauté.
La fameuse pyramide de l’Organisation
Mondiale de la Santé, c’est intéressant.
En bas de la pyramide, c’est l’importance
des besoins de soins et services de soins.
On y retrouve le self care, les soins infor-
mels dans la communauté. Le self care si-
gnifie comment on prend soin de sa santé.
Les soins informels, c’est tout ce qui n’est
pas lié aux services de soins.
Ensuite, la pyramide diminue un peu,
c’est-à-dire qu’on a moins recours à la
médecine générale.
Puis on arrive aux services de psychiatrie,
ambulatoires et hospitaliers. Chez nous,
ils sont encore reliés, j’espère pour un cer-
tain temps.
Ensuite, viennent les services de long sé-
jour, qui coûtent très cher mais qui con-
cernent très, très peu de personnes.
Donc, quand vous êtes en santé mentale,
vous êtes en bas de la pyramide. Si vous
mettez un système qui est basé unique-
ment sur la psychiatrie, vous mettez la py-
ramide à l’envers. Cela devient un sys-
tème extrêmement coûteux et inefficace.
Donc, il faut remettre la pyramide à l’en-
droit, prendre les déci-sions quant aux be-
soins de soins tels qu’ils se manifestent
dans la société.
Si l’on reprend la définition du self care,
c’est l’ensemble des soins non dispensés
par les professionnels de santé. Le self
help, c’est le style de vie adopté pour pré-
server la santé (vous avez les groupes de
soutien, d’entraide, les GEM), les mouve-
ments d’émancipation des patients. Puis,
vient la trilogie qui va fonder la pair-ai-
dance. Les pair-aidants, des médiateurs de
santé, c’est une expérimentation qui a eu
lieu en France et dans bien d’autres pays.
Elle se base sur le self care, le self help et
les valorisations des acquis expérientiels.
Cela signifie que tout patient a une con-
naissance de sa maladie, que sa connais-
sance lui est propre, et que la connais-
sance de sa maladie par le patient doit être
prise en compte par le système hospita-
lier.
Reprenons le modèle du XXème siècle :
vous aviez un gros hôpital, un peu de
santé primaire, ambulatoire, quelques in-
firmiers psychiatriques qui allaient faire
des visites à domicile.
Au XXIème siècle, véritablement, on est
dans un système de réseau de soins. On
parle de parcours de soins et autres, mais
vous avez des systèmes avec des équipes
mobiles, des soins à domicile, un système
intégré dans la communauté, intégré avec
la médecine générale, qui tiennent compte
du self care, du self help. C’est ce qu’ont
mis en place les Anglais, qui nous ont dé-
passés de vingt ans depuis quelque temps,
et j’en suis tout à fait désolé en tant que
Français, d’ailleurs, pour des raisons di-
verses et variées. C’est ce que nous es-
sayons donc de mettre en place avec un
peu de retard.
Vous avez la déclaration de l’Organisa-
tion Mondiale de la Santé sur l’empower-
ment en santé mentale. Un groupe a tra-
vaillé avec les associations européennes
de familles et de patients sur l’empower-
ment dans la santé mentale, et il a produit
ce document que je vous conseille de lire,
qui est vraiment très intéressant et qui
donne une série d’orientations sur l’em-
powerment.
Respect, efficacité, sécurité
Quatrième objectif : les personnes ont
droit à un traitement respectueux, effi-
cace, garantissant la sécurité.
Cela concerne tout ce qui est médicamen-
teux ou autre, c’est le respect des doses,
notamment. Il existe maintenant des co-
mités de retours d’expérience dans les hô-
pitaux, où l’on fait attention aux erreurs
médicamenteuses, mais il faut bien savoir
aussi que les pratiques de soins doivent
être efficaces et sûres. On ne peut pas don-
ner n’importe quoi aux gens, il faut être
vraiment à des doses minimales de traite-
ment pour qu’ils se portent bien et il faut
toujours faire attention aux effets secon-
daires. C’est l’objet de toutes les recom-
mandations.
Dans notre pays, ainsi qu’en Suisse, en
Belgique, au Luxembourg, ces recom-
mandations existent, mais pas dans cer-
tains pays, et dans ce cas, on ignore ce que
les gens prennent comme médicaments.
Ensuite, vient l’intersectorialité : bien se
coordonner avec les autres secteurs, ce
que nous avons mis en place en France
avec les Conseils locaux de santé mentale.
La santé somatique
L’objectif cinq, c’était la santé somatique,
mais je vous en ai parlé.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 28
La gouvernance
Elle est organisée à partir de bonnes infor-
mations et connaissances.
L’Organisation Mondiale de la Santé a
diffusé aux 195 pays une demande pour
savoir précisément, dans chaque pays,
quelles étaient les sommes allouées à la
santé mentale, comment elles étaient al-
louées, ce qui allait aux patients, etc. Très
peu de pays ont pu répondre à tout. Même
en France, on n’a pas pu répondre à tout ;
nous avons pourtant des données en quan-
tité, mais elles ne sont pas utilisables pour
obtenir des comparatifs. Or, si nous vou-
lons que la santé mentale progresse dans
le monde, il faut que nous ayons des don-
nées stables, mondiales, et que nous exa-
minions d’année en année comment cela
progresse. Or, nous n’avons pas cela,
même en France.
Les priorités pour l’Organisation Mon-
diale de la Santé Europe, ce sont les op-
portunités associées à la pleine citoyen-
neté, égale à celle des autres personnes.
Quand on a des troubles mentaux (nous
sommes un certain nombre à en avoir eu),
on n’a pas une diminution de sa citoyen-
neté, et heureusement ; mais dans bien des
cas, dans le monde, lorsque l’on souffre
de troubles mentaux, on peut avoir une di-
minution de citoyenneté.
- Tenir compte des ajustements néces-
saires pour compenser les handicaps :
sur ce point, les lois françaises sur la
compensation du handicap sont bien
faites. Il reste à les appliquer, mais elles
sont relativement bien faites.
- Participer à la conception, à la mise en
œuvre et le suivi de l’évaluation des po-
litiques et services de santé mentale :
c’est vraiment important, il faut que les
usagers y participent. Ce sont eux qui de-
vraient être majoritaires dans les conseils
de surveillance, ils devraient être dans
les CME, ils devraient être un peu par-
tout.
- Rendre possible la mobilisation des re-
présentants des patients et des familles
avec le soutien financier (qui n’est ja-
mais suffisant), et impliquer les utilisa-
teurs et les familles dans l’amélioration
de la qualité. A L’Etablissement Public
de Santé Mentale Lille-Métropole à Ar-
mentières (je fais encore un peu partie de
cet établissement), toute la certification
s’est faite avec les représentants d’usa-
gers et de familles, qui étaient constam-
ment présents et ont donné leur point de
vue au fur et à mesure sur la manière
dont nous donnions les soins.
L’empowerment en santé mentale
L’empowerment fait référence au niveau
de choix et de contrôle que les usagers
peuvent exercer sur les événements de
leur vie. La clé de l’empowerment est la
modification des barrières informelles et
la transformation des relations de pouvoir
entre individus, communautés, services et
gouvernements. Faire donner du pouvoir
aux patients.
L’empowerment est complètement au
cœur de la vision de la promotion de la
santé prônée par l’Organisation Mondiale
de la Santé. Quand je dis « prônée par
l’Organisation Mondiale de la Santé »,
cela signifie prônée par tous les pays.
C’est le niveau de choix, de décision,
d’influence et de contrôle que les usagers
et services de santé mentale peuvent exer-
cer sur les événements de vie. J’ai déjà dit
que c’est une transformation des rapports
de force.
L’empowerment a commencé avec un
certain nombre de luttes.
C’est un mot qui vient d’abord des luttes
des femmes pour leurs droits et qui a été
repris par les Afro-Américains victimes
d’oppression (cela a été bien été étudié par
Salomon en 1976).
C’est le respect de la dignité, c’est l’infor-
mation partagée, la possibilité d’avoir ac-
cès aux informations. Les patients ont ac-
cès directement au dossier médical dans
les hôpitaux de jour. Ils peuvent regarder
un dossier médical. Cela se fait également
en médecine générale, où vous pouvez re-
garder votre dossier.
- La participation : est-ce qu’ils décident
de la manière dont ils sont soignés, dont
sont organisés les services ?
- Le soutien mutuel, l’entraide mutuelle.
- L’autodétermination : je fais ce que je
veux quand je veux, si je veux.
- Et l’autogestion (on en est loin) indivi-
duelle et collective, donc la promotion
de la santé.
Cela a été les domaines généraux des
luttes pour les droits des minorités. Il est
vrai que les femmes ne sont pas une mi-
norité mais bien plutôt une majorité, mais
considérée comme une minorité en termes
de droits, raison pour laquelle elles se
considéraient comme minoritaires.
Ensuite, dans le domaine de la santé, c’est
surtout le Sida qui a transformé les rap-
ports entre les soignants et les soignés,
très nettement, ce qui a donné les lois de
2002 chez nous, et qui a transformé tout
le système de santé dans le monde.
Le savoir médical n’est pas absolu, il ne
remplace pas le savoir expérientiel. En ce
qui concerne la défense des droits des ma-
lades, il y a eu une quantité de dysfonc-
tionnements, mais nous avons fini par
avoir la loi sur les class-actions, ici en
France. L’histoire du Mediator est un
scandale, mais il y en a eu d’autres.
La lutte contre les exclusions qui en dé-
coulent et l’autoformation, des soins plus
démocratiques, c’est vraiment ce qui a été
demandé.
L’association européenne d’usagers a
produit la déclaration de Bucarest pour
une meilleure santé et une meilleure vie,
qui reflète vraiment le système d’empo-
werment.
Une réunion s’est tenue à Lille avec l’Or-
ganisation Mondiale de la Santé Europe et
la Commission européenne, au cours de
laquelle 21 recommandations d’empo-
werment ont été faites avec 400 per-
sonnes, dont 150 représentants d’associa-
tions d’usagers et de familles euro-
péennes. Nous avons conçu quelles de-
vaient en être les définitions. Il y a trois
grands thèmes :
- La défense des droits fondamentaux,
c’est important, ainsi que l’assistance lé-
gale et juridique. Depuis cette réunion,
dans notre hôpital, dès que quelqu’un ar-
rive sous régime de contrainte, il peut
voir un avocat, qu’on lui fournit en plus
de son avocat, parce que ce dernier n’est
pas toujours au point. Cela permet de ga-
rantir l’accès des soins de santé mentale
en prison, et, évidemment, de limiter les
pratiques de soins sous contrainte. C’est
une demande générale. Les pratiques de
soins sous contrainte vont de 1 à 50 en
proportion des secteurs en France. On ne
me fera pas croire qu’il y a cinquante fois
plus de gens à mettre sous contrainte à
un endroit qu’à un autre ; ce sont, nette-
ment, des différences de pratique médi-
cale.
- La participation à l’organisation,
l’évaluation des soins. Il est vraiment
important qu’il y ait des commissions
des usagers dans les hôpitaux, des com-
missions des usagers dans les secteurs,
qui puissent participer aux conseils de
pôle, qui puissent être acteurs, ainsi
qu’une organisation de forums des usa-
gers si c’est nécessaire, et le développe-
ment des réseaux d’entraide mutuelle
entre eux.
- L’information et la communication,
qui sont essentielles car on ne peut pas
avoir de santé sans information et com-
munication.
Dans dix ou vingt ans, nous n’en serons
plus où nous en sommes actuellement
dans le domaine de la santé avec le déve-
loppement de la e-santé, y compris la e-
santé mentale. Tout notre dispositif psy-
chique d’organisation des soins devra
évoluer de manière considérable.
Le rétablissement
Pour terminer, cette définition fait à peu
près consensus : le rétablissement est un
processus fondamentalement personnel
(c’est-à-dire : mon rétablissement à moi,
ce n’est pas celui du voisin), unique, qui
vise à changer les attitudes, les valeurs,
ses sentiments, ses objectifs, ses aptitudes
et ses rôles.
Rétablissement, pouvoir d’agir et citoyenneté : des recommandations de l’OMS à l’application en France
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 29
Quand on a eu une maladie grave ou une
maladie chronique, des choses se modi-
fient en soi, et après, il faut se réappro-
prier sa manière de vivre. La question
n’est pas de savoir si l’on est guéri ou pas,
on est dans le rétablissement, en sachant
que le mot « recovery » n’est pas tout à
fait équivalent à « rétablissement » ; c’est
le processus de guérison, c’est un proces-
sus plus qu’un rétablissement qui se-
rait « Retomber sur ses pieds comme
avant ».
Mais ce n’est jamais comme avant.
Quand vous avez traversé un tel épisode
dans votre vie, ce n’est jamais ainsi. C’est
un moyen de vivre une vie satisfaisante,
remplie d’espoir, et productive malgré les
limites résultant de la maladie. C’est-à-
dire que l’on peut être malade et rétabli.
On peut être malade et en bien-être. Et on
peut ne pas être malade et être très mal. Il
faut réussir à modifier toutes ces concep-
tions traditionnelles habituelles, cela aura
des changements considérables dans vos
pratiques au jour le jour avec les patients.
Cela permet aussi de dire que toutes les
personnes peuvent réussir leur vie et avoir
des aspirations, comme tout un chacun,
malgré la maladie.
Sans refaire l’historique, cela a com-
mencé avec les malades alcooliques. On
est passé d’une vision très négative à une
vision un peu plus positive. La maladie a
été considérée très longtemps comme
quelque chose de négatif. Essayez de dire
à quelqu’un qu’il a une schizophrénie, par
exemple, vous allez voir. Il faudrait trou-
ver des mots qui donnent l’espoir, sinon
ce sera un peu compliqué.
Cela a entraîné un changement de para-
digme, que j’ai connu ; étant un vieux
psychiatre, j’ai connu une transformation
des services, qui étaient centrés unique-
ment sur le pouvoir sur la personne (la
personne devait rentrer dans un pavillon,
tout était fermé, elle ne pouvait rien faire)
à un changement de paradigme permet-
tant de s’orienter beaucoup plus sur le ré-
veil du pouvoir de la personne. A nous,
professionnels, de nous adapter à la per-
sonne, complètement ; il s’agit non pas
d’essayer de faire rentrer les gens dans des
structures, mais d’offrir des services aux
personnes, des services de soins, des ser-
vices sociaux.
C’est Marianne Farkas, de Boston, qui a
montré la situation en Albanie, à la fin du
soviétisme.
Vous avez bien vu que l’Union soviétique
avait inventé les hôpitaux de jour, mais
enfin bon... Ici, c’est la même personne, à
l’hôpital, après avoir travaillé avec elle
sur son rétablissement, l’avoir mise dans
un système à peu près normal. Donc, il
suffit de transformer les équipes, transfor-
mer la vision des choses, transformer les
structures, pour avoir une transformation
des personnes.
La citoyenneté
Tout cela pour en arriver à la citoyenneté.
Nous sommes tous citoyens, nous avons
tous le droit de vote, nous sommes recon-
nus comme membres d’une cité ou d’un
État. Cela implique la reconnaissance des
droits civils, des devoirs, et aussi d’avoir
un rôle dans la société (démocratie, accès
à l’État et autre). La pleine citoyenneté est
le principe directeur de tout cela.
C’est le principe actif du rétablissement :
non seulement de maintenir des gens dans
la communauté, mais faire en sorte qu’ils
soient de la communauté comme tout le
monde. On ne dit pas : « Un malade men-
tal, on va le réinsérer dans la cité. » C’est
quelqu’un qui vient de la cité, donc on es-
saie de trouver comment il peut continuer
à y vivre.
Le fait de la communauté implique des re-
lations de réciprocité entre concitoyens.
C’est surtout Larry Davidson, avec tous
les chercheurs de Yale, qui a développé
cela. J’ai eu la chance de travailler un peu
avec lui. C’est assez extraordinaire si vous
regardez tout ce qui a été écrit. Larry Da-
vidson dit lui-même qu’il a eu une dépres-
sion sévère, dont il est sorti, et il a remis
en place tout un service de recherche à
Yale avec des patients chercheurs.
Ces notions de rétablissement, pouvoir
d’agir et citoyenneté sont évidemment
très liées.
La santé mentale communautaire
L’outil de tout cela, c’est la santé mentale
communautaire. C’est important, mais
c’est un peu ce que le secteur a loupé
parce que le secteur est parti de l’hôpital
et il a essaimé dans la ville.
On parle de santé communautaire quand
les membres d’une collectivité géogra-
phique sociale réfléchissent en commun
sur leurs problèmes de santé.
En Suisse, une petite ville à côté de Ge-
nève est un exemple international (San-
drine Motamed a énormément publié à ce
sujet), où les habitants ont pris en compte
leurs problèmes collectifs de santé. Ils ex-
priment les besoins prioritaires et ils ont
eu le droit de prendre des décisions. Par le
système suisse, il leur est possible de
prendre des décisions adéquates à leur
santé, y compris dans l’urbanisme et dans
le fait d’avoir des personnes de différents
âges et de différentes classes sociales vi-
vant ensemble.
Donc, ils font participer activement à la
mise en place et au déroulement des acti-
vités les plus aptes à répondre à ces prio-
rités.
L’AUTEUR
Jean-Luc RŒLANDT Psychiatre
CCOMS 211, rue Roger Salengro 59260 Hellemmes France
BIBLIOGRAPHIE
1. RŒLANDT J.-L. (2002), Manuel de psychia-trie citoyenne – L’avenir d’une désillusion, Edi-tions In Press.
2. RŒLANDT J.-L. (2010), Focus: The east Lille Mental Health services experience: Citizen Psychiatry integrated in the city, in Deinstitu-tionalization in European best practices in mental health. Edizioni Alphabeta Verlag, 455 pages, pp 223-269
3. MARSILI M., FRANÇOIS G., CARIA A., RŒLANDT J.-L. (2002), Intégrer d’anciens usa-gers aux équipes soignantes en santé mentale : une expérience pilote, « La santé de l’homme », Institut national de prévention et d’éducation à la santé, Numéro 413 « Empowerment et santé men-tale », pp 32-33, mai-juin 2011
4. RŒLANDT J.-L., VAGLIO A., MAGNIER J., DEFROMONT L. (2015), La santé mentale en France et dans le monde : Des hommes, pas des murs, Pratiques en santé mentale 1, 61ème an-née, p. 47-58.
5. SOLOMON B. B. (1976), Black Empower-ment: Social Work in Oppressed Communities, Columbia University Press, 438 pages
6. FARKAS M. (2007), The vision of recovery to-day: What it is and what it means for services. World Psychiatry 6:2, 1–7.
7. FARKAS M., GAGNE C., ANTHONY W., & CHAMBERLIN J. (2005). Implementing recov-ery oriented evidence based programs: Identi-fying the critical dimensions, Community Mental Health Journal, 41, (2), 145-153.
8. DAVIDSON L., RAKFELDT J., & STRAUSS J. S. (2010), The roots of the recovery movement: Lessons learned, London: Wiley-Blackwell, 296 pages.
9. DAVIDSON L., TONDORA J., O’CONNELL M. J., LAWLESS M. S., & ROWE M. (2009): A practical guide to recovery-oriented practice: Tools for transforming mental health care, New York: Oxford University Press.
10. DAVIDSON L., HARDING C. M., & SPAN-IOL L. (2005 and 2006), Recovery from severe mental illnesses:Research evidence and impli-cations for practice, Volumes 1 and 2. Boston, MA: Center for Psychiatric Rehabilitation of Bos-ton University.
11. DAVIDSON L. (2003), Living Outside Men-tal Illness: Qualitative Studies of Recovery in Schizophrenia, New York: New York University Press.
12. MOTAMED S. (2015), Qu’est-ce que la santé communautaire ? Un exemple d’une approche participative et multisectorielle dans une com-mune du Canton de Genève, en Suisse, L’infor-mation psychiatrique, Volume 91, numéro 7, John Libbey Eurotext, pp. 563-567
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 30
L’institut Renaudot, en France, dispense
une série de formations sur ce thème, je
vous le recommande si vous avez le temps
dans vos formations. Vous pourrez vous
former à la santé communautaire. C’est
extrêmement intéressant et participatif.
Cela a donné aussi les ateliers Santé et
Ville, dans les communes, pour les quar-
tiers en difficulté dans le cadre de la poli-
tique de la ville, qui va créer par la suite,
à travers les ateliers Santé et Ville, les
conseils locaux de santé mentale qui se
développent maintenant partout en
France.
Une application pratique des prin-cipes de l’OMS en France : expé-
rience de psychiatrie citoyenne dans la banlieue Est de Lille
En ce qui concerne l’application pratique
en France, je vais essayer de vous parler
un peu de mon expérience. Comment
avons-nous essayé de mettre cela en ap-
plication concrètement ?
En France, la loi du 4 mars 2002 a modifié
considérablement les rapports entre pa-
tients et les services de soins, et donc,
l’accès à la prévention, l’information sur
les maladies, l’éducation thérapeutique et
les droits. Cela a constitué un changement
considérable, qui est encore en cours. Il
faudra des décennies pour qu’il soit com-
plètement effectif.
En outre, la loi du 11 février 2005 a créé
les GEM (les Groupements d’entraide
mutuelle), qui sont au nombre de 380 en
France maintenant, et prône l’égalité des
droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes en situation de
handicap.
Les principes
Les principes que nous avons mis en place
sur la psychiatrie citoyenne sont les sui-
vants :
- Le premier, c’est de ne pas avoir de
partenaire mais d’être partenaire. Les
mairies ont mis en place un conseil local
de santé, avec les usagers, le service de
santé et la psychiatrie.
- L’hospitalisation alternative aux soins
dans la communauté : sur ce secteur,
75 % du personnel est en ville et 25 % à
l’hôpital. Donc, l’hôpital est une alterna-
tive aux soins communautaires, très clai-
rement, avec des équipes mobiles un peu
partout.
- L’insertion à la porte du patient : vous
avez pu observer que lorsque les patients
viennent vers le système de soins, une
fois sur quatre, ils ne viennent qu’une
fois et ils arrêtent le traitement. Donc, si
vous n’allez pas vers les patients, si vous
ne bougez pas, si vous n’êtes pas à la
porte pour les accompagner, cela ne ser-
vira pas à grand-chose. C’est là qu’inter-
viennent les équipes mobiles. On a vu la
création des équipes mobiles en Angle-
terre, développées en France, sur toute la
Belgique (c’est l’expérience 107), et vé-
ritablement, c’est d’une efficacité ex-
traordinaire.
- L’autonomisation des usagers, c’est le
quatrième point : rien à propos de nous
sans nous. Ce sont les GEM, les média-
teurs de santé pairs.
On est passé en quarante ans de trois cents
lits en pavillon fermé en pyjama avec de
la contention à dix lits à l’hôpital général
entièrement ouvert, sans salle d’isolement
et autre. Il n’y avait qu’une contention par
an, qui est une catastrophe nationale. On
en est là. Tout cela parce que l’offre de
soins était complètement variée et organi-
sée dans la cité avec la cité.
L’accès aux soins immédiat pour tous
Nous avons passé un accord avec les mé-
decins généralistes. Nous leur avons dit :
« Maintenant, nous ne recevons plus un
patient s’il n’est pas envoyé par vous. »
En effet, les médecins traitants peuvent
prendre en charge un grand nombre de pa-
tients, et ils le font déjà.
Un grand nombre de personnes ne se tour-
nent pas vers le système de psychiatrie, et
pour un grand nombre d’entre elles, ce
n’est en effet pas nécessaire. C’est le self
help, le self care, et le médecin généraliste
suffit. Ces personnes vont voir le médecin
traitant ; soit il peut les prendre en charge,
soit il trouve ses réseaux. Les personnes
pour lesquelles c’est trop lourd, il nous les
envoie. Nous avons mis les infirmières en
première ligne, les fameuses pratiques
avancées, avec délégation de tâches et de
compétences. Nous voyons tout le monde
en moins de quarante-huit heures de ma-
nière systématique parce que plus vous at-
tendez, moins il y a d’accès aux soins,
plus les choses s’aggravent et plus vous
risquez de retrouver ces patients à l’hôpi-
tal. Le système fonctionne donc ainsi,
avec l’ISO pour bien vérifier.
Nous proposons donc un accueil infirmier
en moins de quarante-huit heures. Les in-
firmiers cliniciens sont excellents. J’avais
vu cela en Mauritanie, on comptait deux
psychiatres et trois infirmiers pour trois
millions d’habitants. Les infirmiers fai-
saient tout. J’ai fait venir les infirmiers
mauritaniens pour former les infirmiers
français en leur disant : « Vous êtes
bac+3, vous pouvez faire beaucoup plus
qu’eux. » Et nous avons mis en place les
pratiques avancées.
Lieux de soins psychiatriques
S’agissant des lieux de soins psychia-
triques intégrés, on essaye de fermer les
CMP et les hôpitaux de jour, qui sont des
émanations de l’hôpital psychiatrique. Il
faut parvenir à s’intégrer complètement
dans la cité. Il faut réussir à faire en sorte
que les activités aient lieu dans les centres
d’activité, que les dispenses de soins aient
lieu dans les cabinets de médecine géné-
rale, que l’on aille avec les infirmiers li-
béraux. On y arrive peu à peu, on s’est im-
planté dans la structure de la cité. On a
fermé l’hôpital de jour, qui a bien été utile
pendant vingt ans. On a dit : « Non, c’est
terminé, les groupes de malades s’en-
nuient trop, on va fermer. »
La disponibilité, la flexibilité, on a trans-
formé tout cela en équipes mobiles. Tout
notre dispositif a été transformé en
équipes organisées, avec deux types
d’équipes mobiles : des équipes mobiles
de crise, des équipes mobiles d’interven-
tion à domicile, de soins aigus (sachant
que les patients restent très peu à l’hôpital
parce qu’ils sont suivis quinze jours à do-
micile avec tout le dispositif de soins). On
prend le virage ambulatoire un peu par-
tout.
Les familles d’accueil
C’est le modèle de Madison aux États-
Unis, où on a vu des familles de crise.
C’est un peu compliqué chez nous. Aux
États-Unis, ils sont dans des ranches, ils
sont armés. On ne pouvait pas faire cela
chez nous.
On a créé des familles “aiguës” pour les
personnes ne pouvant pas rentrer chez
elles en raison de problèmes familiaux.
Auparavant, ces personnes étaient obli-
gées de rester à l’hôpital. Nous avons ré-
glé ce problème avec des familles d’ac-
cueil : les personnes restent trois semaines
dans la famille d’accueil, et tournent.
Comme à l’hôpital.
Le service hospitalier
En ce qui concerne le service hospitalier,
nous tenons bon sur les droits, avec des
forums organisés par les usagers eux-
mêmes dans le service pour savoir com-
ment apporter des améliorations à chaque
fois qu’une difficulté se présente, et faire
rentrer l’extérieur. Les familles y ont ac-
cès, nous avons installé des lits pour elles
afin qu’elles puissent rester avec leur pa-
tient. Je passe sur les contrats de soins et
les alternatives.
L’empowerment
Pour les actions d’empowerment, nous
avons intégré les médiateurs de santé
pairs, c’est une expérience que nous avons
menée au centre collaborateur nationale-
ment. Ce fut une aventure.
Je pense qu’en Suisse, ils ont attendu un
peu, mais le système des médiateurs est en
route. Je pense qu’il en sera ainsi dans le
Rétablissement, pouvoir d’agir et citoyenneté : des recommandations de l’OMS à l’application en France
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 31
monde entier. Je peux vous dire qu’en
France, cela a bien résisté. Mais ceci dit,
quel bonheur d’intégrer des gens dans les
équipes en médiation ayant une expé-
rience de savoir expérientiel. Ils sont d’un
apport aux équipes qui est vraiment inté-
ressant. C’était une pièce manquante. Je
pense que plus il y a de compétences dans
les équipes et mieux cela vaut. On ne reste
pas dans l’entre soi. C’est donc vraiment
un point positif.
On les utilise pour l’éducation thérapeu-
tique aussi. Il existe deux GEM gérés par
les usagers eux-mêmes : ils participent
aux conseils de pôle, conseils de service
et ils sont intégrés dans le dispositif à tous
les niveaux.
Les fiches d’information
Enfin, nous avons distribué des fiches
d’information dans tous les services sur la
manière de faire avec les maladies. Nous
essayons maintenant d’avoir des fiches
pour les patients sur la présentation des
médecins, des infirmiers, des psycho-
logues, leurs compétences, afin qu’ils sa-
chent à qui ils s’adressent quand ils ren-
contrent des professionnels.
Mais aussi…
Il existe encore beaucoup d’autres choses,
comme les forums usagers, qui ont lieu en
ville mais également à l’hôpital.
Nous avons créé les conseils locaux de
santé mentale. Il s’agit d’un ensemble ré-
unissant tous les services sociaux, les usa-
gers, les familles qui décident de la poli-
tique de santé mentale d’une zone.
J’ai entendu dire que les zones, pour la
concertation, ne devaient pas excéder 20
à 30 000 habitants. Il est vrai que j’ignore
comment nous nous en sortirions avec une
zone de plus de 100 000 habitants. La
proximité est importante. Cela permet la
mise en place d’observations en santé
mentale : nous avons une série de chiffres
et de données qui nous permettent l’obser-
vation en santé mentale, en France, ac-
tuellement, dans tous les quartiers. C’est
très précis.
L’accès et la continuité des soins, l’inclu-
sion sociale, permettent de participer à la
lutte contre la stigmatisation. Toutes les
mairies se sont mises à organiser les se-
maines d’information en santé mentale. Je
pense que partout où l’on met en place ce
dispositif, cela permet une sensibilisation
de la population. Et promouvoir la santé
mentale, bien sûr.
Ce sont donc des actions très concrètes.
Le point le plus spectaculaire réside dans
le fait que les mairies ont mis à disposition
de personnes souffrant de troubles psy-
chiques, 170 appartements en trente ans.
On a sorti tout le monde de l’hôpital. Nous
avons mis en place des équipes mobiles
pour suivre les patients, pour les habituer,
puis on les a sortis de l’hôpital. Avec
l’autogestion des patients, cela a fonc-
tionné tout seul. Cela intègre maintenant
les contrats locaux des villes
Il existe actuellement 120 conseils locaux
en France, et 200 sont en voie de création.
C’est exponentiel. Je pense que c’est une
vraie résurgence pour la psychiatrie fran-
çaise de secteur.
Les chiffres montrent que nous sommes
passés d’une manière radicale d’un sys-
tème centré sur l’hôpital, avec ses émana-
tions qu’étaient le secteur, les hôpitaux de
jour, etc., à un système centré sur la com-
munauté, avec une hospitalisation qui de-
vient un temps de passage très court
puisque les patients restent sept jours en
moyenne à l’hôpital.
Nous avons réglé le problème des patients
chroniques depuis longtemps puisque ces
patients vivent en ville avec leur établis-
sement et les systèmes autour d’eux. Le
système est passé essentiellement de jour-
nées d’hospitalisation à un système entiè-
rement ambulatoire.
60 000 actes ont été faits par l’équipe
alors qu’elle n’en faisait aucun quarante
ans plus tôt ! Le personnel exerce ses mis-
sions à 72,5 % hors de l’hospitalisation.
D’où la diminution drastique des hospita-
lisations. Cela se poursuit dans la durée,
avec une augmentation de plus en plus im-
portante des prises en charge communau-
taires.
En conclusion
L’Organisation Mondiale de la Santé, qui
représente 195 États, peut paraître à cer-
tains moments comme ayant des positions
avancées, mais elle ne fait que reprendre,
d’une certaine manière, ce qui existe un
peu partout dans le monde.
Nous avons parlé de la France, mais
l’Australie a un système beaucoup plus
avancé que le nôtre, sur tous les thèmes.
On peut trouver des approches et des pra-
tiques très intéressantes un peu partout
dans le monde.
En Belgique, une grande réforme est en
cours.
En Suisse, on en parle depuis longtemps,
mais je ne suis pas sûr qu’elle aura lieu !
Quoi qu’il en soit, ce changement de pa-
radigme fait que l’espoir et le rétablisse-
ment sont certainement dans le camp de la
santé mentale des patients et des équipes
dorénavant.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 32
Présentation d’Helix
Helix est l’hôpital de jour psychiatrique
de la clinique Saint Jean, situé au cœur de
Bruxelles. Notre service accueille des pa-
tients adultes en souffrance psychique
pouvant profiter d’un suivi thérapeutique
en groupe et où le lien à la parole est pos-
sible.
Les patients nous sont adressés par les ser-
vices psychiatriques des différents hôpi-
taux de la région bruxelloise, par des ser-
vices de santé mentale, par des psy-
chiatres ou des psychologues indépen-
dants, par leurs médecins généralistes.
Rarement le patient se présente de lui-
même.
Nous travaillons avec différentes patholo-
gies, parmi lesquelles nous retrouvons
principalement les psychoses, les troubles
de l’humeur, les troubles anxieux, les né-
vroses, les troubles de la personnalité, les
problématiques d’assuétude.
Le travail thérapeutique au sein de notre
service est basé sur des ateliers de groupe.
A son entrée, le référent accueille le pa-
tient, ensemble ils établissent une grille
d’ateliers. Le référent est la personne qui
accompagne le patient durant son séjour
hospitalier en partenariat avec le médecin
et l’équipe pluridisciplinaire.
Lors de l’élaboration de la grille, le réfé-
rent veillera à ce que la personne puisse
investir les différents axes de travail pro-
posés, à savoir : la parole, le corporel, les
médias créatifs ainsi que certains ateliers
en lien avec l’extérieur.
Pourquoi présenter notre travail au colloque ?
Après presque un an d’atelier, nous avons
été marquées par la sensation, en fin de
parcours, qu’il s’était passé quelque chose
d’important, tant au niveau de la “créati-
vité” que du “vivre ensemble”.
Nous avions envie de :
- Prendre recul face à notre pratique
d’atelier.
- Relier certaines de nos observations à
des concepts théoriques. Lien avec le
jeu, l’espace, l’espace potentiel de D. W.
Winnicot
Nous souhaitions nous attarder sur
quelques observations effectuées en vi-
vant l’atelier durant neuf mois, telles que :
- La régularité des participants sur une
longue période.
- L’engagement, la ténacité et la volonté
dans le travail de création malgré les
nombreuses difficultés rencontrées.
- Les formes apparues au sein de l’ate-
lier, l’investissement affectif par l’appa-
rition de “petits noms” donnés à leur
pièce en cours de réalisation.
- Les retours des patients sur la “bonne
ambiance”, le plaisir de “chercher en-
semble” les rires, et l’envie de retrouver
le groupe pour vivre le temps de l’atelier.
- Nous avons aussi été étonnées par l’en-
vie manifestée par un participant de lais-
ser sa pièce pourtant fort investie à l’hô-
pital de jour, alors qu’il clôturait son sé-
jour
- Enfin nous avons aussi été intriguées
par l’envie d’exposer les pièces et la
question du choix du lieu pour cela.
Animation en duo
Qui a donc mis en place cet atelier ?
Deux femmes, 2 corps en présence, 2 voix
différentes, 2 âges, 2 fonctions diffé-
rentes, 2 prises de paroles à la fois diffé-
rentes et complémentaires.
Nous travaillons ensemble depuis 7 ans et
nous avions une envie grandissante de
mettre sur pied un atelier créatif.
Nous avions un point commun, une envie
de nouveauté et nous étions attirées l’une
l’autre par l’envie de découvrir le média
habituellement manié par l’autre en asso-
ciant nos compétences propres pour créer
un “tout” plus grand que nos deux singu-
larités.
Pour dire simple, l’une voulait sortir « de
la pose de mosaïque sur des planches
plates en bois », elle ressentait le besoin
L’atelier « Volume et mosaïque » est un élément du cadre de l’hôpital de jour Helix. Cet espace offre des possibilités théra-peutiques multiples. Dans cet atelier les attentes sont modestes, la performance, le résultat ne sont pas à l’ordre du jour, ne sont pas notre priorité. La seule chose qui est demandée aux patients, c’est de créer une forme en volume selon leur désir et de la couvrir de mosaïque. C’est ainsi que s’est créé un espace transitionnel où ce qui est mis en jeu est in fine le « vivre ensemble » avec toutes ses péripéties. La relation étant au cœur du processus thérapeutique. Contrairement à une hyper spécialisation qui se centrerait sur des objectifs à atteindre en fonction d’une pathologie déterminée, cette forme de travail transversal nous semble tout à fait pertinent pour la mission globale des hôpitaux de jour, et convoque nos propres ressources de créativité, de dynamisme et de courage. Cette mobilisation ne passe pas inaperçue auprès des patients et nourrit leur propre élan. L’exposé évoque la construction, le déroulement et l’aboutissement de cet atelier, tant auprès des soignants que des patients et tentera dans un second temps de déployer certaines balises théoriques permettant de comprendre ce qui était à l’œuvre.
Mots- clefs : Expérimentation, jeu, espace, corps, création, forme, processus, volume, dispositif groupal, espace/objet transi-tionnel
“Experiment” and company When the transitional space invites himself in a workshop “Volume and tiled”
The workshop "Volume and mosaic" is part of the framework of the Helix day hospital. This space offers multiple treatment options. In this workshop expectations are modest performance, the result is not in the agenda, are not our priority. The only thing that is required of patients is to create a shape in volume according to their desire and cover mosaic. Thus was created a transitional space where what is involved is ultimately the "living together" with all its vicissitudes. The relationship is at the heart of the therapeutic process. Unlike a hyper specialization that would focus on objectives based on a specific disease, this form of transversal work seems entirely relevant to the overall mission of day hospitals, and convene our own creative resources, dynamism and courage. This mobilization has not gone unnoticed with patients and feeds their own momentum. The statement mentions the construction, the progress and outcome of this workshop, both with caregivers and patients and will try a second time to deploy some theoretical guidelines for understanding what was at work.
Keywords: Experiment, play, space, body, design, form, process, volume, groupal device space / transitional object
“Experiment” et compagnie : quand l’espace transitionnel s’invite au sein d’un atelier “Volume et mosaïque”
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 33
d’explorer d’autres potentialités de ce mé-
dia.
L’autre avait envie de nourrir de possibi-
lités son expérience de créations de vo-
lumes en y incluant un média inconnu
pour elle, la mosaïque.
Notre ligne de conduite fût dès le départ
basée sur la confiance, l’écoute, le respect
de nos différences, le désir et la volonté de
dépasser les difficultés si elles devaient
survenir... Pas de « Mais... » Juste des
« Et-Et-Et... » pour ouvrir. Nous avons
donc décidé de nous engager l’une envers
l’autre pour une durée de 9 mois, ce qui
correspondait à la durée de la grille an-
nuelle.
Spontanément, une dénomination d’ate-
lier intitulé “Volumes et mosaïques” s’est
imposée à l’image du rassemblement de
l’accordage de nos deux compétences, ce
qui est apparu au sein du service dans la
grille proposée comme un nouvel atelier,
une nouvelle co-animation offerte à un
nouveau groupe de patients.
Que voulait-on y faire ? Quels en étaient
les moyens ?
- Une réelle autonomie en tant qu’ani-
matrices pour la création de l’atelier, en
nous dégageant d’une obligation de réus-
site d’une pièce aboutie, finalisée.
- Proposer aux patients un laboratoire de
découverte, de recherche, avec, comme
horizon, créer une forme en fil de fer,
n’importe laquelle, et tenter de la recou-
vrir d’une matière non encore définie
pouvant accueillir par la suite la pose de
tesselles de mosaïque. Nous proposions
ainsi un jeu à partir d’un bout de fil de
fer de deux tensions et duretés diffé-
rentes.
- Nous voulions un espace (un local) qui
grâce à son aménagement ouvrirait à la
possible création d’un terrain de jeu, afin
que le jeu puisse devenir une activité
dans laquelle le corps entier puisse parti-
ciper et pas seulement “le bout des
doigts” qui manipule de petites pièces
sur une table
- C’est ainsi qu’avant la naissance de
l’atelier, nous avons commencé à jouer,
un squelette de chien est alors né à l’aide
de tuyaux de chauffage récupérés. Ce
squelette de chien était posé dans le ser-
vice à la vue de tous, suscitant chez cer-
tains patients de la curiosité.
- La ligne de conduite importante qui
nous guidait en toile de fond était le res-
pect du patient, de son projet en devenir
ou pas, et sa sécurité au sein de l’atelier
pour que les mains puissent s’engager à
la naissance de formes.
- Afin que les patients puissent s’enga-
ger dans leur projet et faire naître des
formes, nous étions conscientes de l’en-
jeu d’offrir aux patients un espace sécu-
risé.
Comme Winnicott en a souligné l’impor-
tance, nous espérions tisser une relation
avec les patients basée sur un sentiment de
confiance. Confiance réciproque afin que
le jeu se développe en interaction avec les
participants, pour permettre l’investisse-
ment de la relation grâce à la création d’un
espace transitionnel. (Winnicott, 1971)
Comment avons-nous tenté d’amener
cette confiance, cette sécurité en nous ap-
puyant sur le cadre de notre environne-
ment de travail ?
Le cadre, structure spatio-temporelle
L’espace et le temps de la structure de
notre atelier furent au préalable pensés à
partir de ce dans quoi nous sommes ins-
crites, à savoir un hôpital de jour psychia-
trique ouvert 5 jours par semaine de 9h à
16h, chaque journée étant divisée en 2
plages de deux demi-journées où il est
possible de placer une période d’atelier
d’une durée de une ou deux heures, en
matinée ou en après-midi.
Rapidement, il nous a paru évident que le
média qui allait nous occuper durant ces 9
mois à venir nécessite une plage de 2h
d’atelier, défini par la suite dans la grille
annuelle, le mardi de 14h à 16h.
La construction de cet atelier nous a éga-
lement plongées dans la réflexion du lieu
qui allait pouvoir nous accueillir, et nous
donner suffisamment d’aisance et de con-
fort pour voir émerger croquis, formes,
volumes et outils parfois volumineux. Il
nous importait de pouvoir avoir la liberté
de travailler sans devoir trop nous soucier
de la propreté au moment même du temps
réservé à la création, permettant de nous
mouvoir dans un espace suffisamment
grand, pouvant permettre les allées et ve-
nues, un engagement corporel, mais aussi
permettre à chacun de voir ce qui se passe
chez son voisin.
Nous souhaitions qu’il y ait aussi la pos-
sibilité de créer au sein de cet espace de
“petites niches” de petites tables afin que
les patients ou nous-même puissions au
besoin modifier l’aménagement dans l’es-
pace du lieu pour, au besoin, pouvoir se
créer un espace adapté durant la séance.
Nous avons ensuite réfléchi au temps en
termes de structure au sein même de l’ate-
lier. Début d’atelier à 14h et qui se ter-
mine à 16h.
A 15h, il y avait une possibilité d’une
pause (si elle était souhaitée par les parti-
cipants ou nous-même en milieu de
séance).
La règle non négociable était le range-
ment collectif de l’atelier en fin de séance
et la responsabilité de chacun pour le ran-
gement de sa pièce en cours et ses “petites
affaires” (ex, Monique et ses photocopies,
Renata et ses plumes, Marianne et son
tissu…).
Nous étions décidées à ne pas devoir aller
“pêcher” les patients qui trainent dans les
couloirs ou autres, à rappeler notre souhait
de ponctualité pour le début d’atelier.
Nous étions dans une dynamique de res-
ponsabilité et d’engagement face à leur
inscription librement choisie pour ce
choix d’atelier. Dès lors, nous avons
énoncé notre souhait de commencer tous
ensemble notre travail à 14h et qu’au-delà
du quart d’heure dépassé, l’accès à l’ate-
lier ne serait plus possible pour cette fois-
là, ET... que nous les attendions à l’heure
la semaine d’après.
Au fil du temps, nous avons constaté que
les retardataires se faisaient de plus en
plus rares et dans les derniers temps, les
patients étaient devant la porte avant l’ou-
verture de l’atelier.
Accueil du groupe, début des premières expérimentations
La composition du groupe, animatrices
comprises, s’est avérée être multicultu-
relle : 2 personnes d’origine marocaine, 2
polonais, 1 roumain, 1 albanaise, 1 sici-
lienne, 1 espagnol, 2 français, 4 belges, 1
luxembourgeoise. L’échelle des âges des
participants était variée, allant de 24 ans
pour le plus jeune à 67 ans. Au-delà des
origines ethniques, la diversité se retrou-
vait aussi au niveau de la psychopatholo-
gie ayant justifié le séjour.
Cette diversité, évidente et riche d’entrée,
a ponctué le temps d’accueil en une table
de conversation où chacun a pu, s’il le
souhaitait, dire « bonjour » dans sa langue
d’origine. Les premiers regards et rires
sont apparus entre les patients, lorsque
nous essayions de les répéter pour ac-
cueillir chacun personnellement dans sa
langue maternelle. Ce petit rituel d’ac-
cueil s’est reproduit quelques séances.
L’empressement des patients à jouer avec
la mosaïque était tel que nous avons sorti
les raviers de tesselles, les carrelages, les
vaisselles cassées, et nous leur avons pro-
posé d’aller à la découverte de ces diffé-
rentes matières en les prenant en mains.
Rapidement, est venue la question du sup-
port en vue du titre de l’atelier “Volumes
et Mosaïques” et c’est ainsi que nous
avons demandé aux patients d’apporter
une bouteille vide tandis que nous, de
notre côté, allions approvisionner le stock
de tesselles. Nous étions conscientes que
nous leur demandions d’être acteurs, de
poser un acte d’engagement qui pourrait
éventuellement enclencher un début de
processus. Pourquoi une bouteille ? Pour
l’accessibilité de l’objet, l’absence d’in-
tervention financière, le fait que ce soit un
objet connu de tous et faisant partie de la
vie quotidienne. Un appui connu.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 34
A notre grand étonnement, à l’exception
d’un ou deux patients, la majorité avait
apporté sa bouteille pour la séance sui-
vante.
L’espace s’est agencé naturellement avec
la grande table de travail où les patients se
sont rassemblés avec leurs bouteilles et
une petite table recouverte de la bâche
verte où trônait le squelette du chien, ra-
mené du couloir dans l’atelier.
La découverte de la mosaïque a débuté par
quelques informations à propos de cette
technique, et la découverte tactile, tou-
cher, sentir, regarder, observer, recon-
naître parfois des morceaux de carrelage,
une anse de tasse, la lisière d’une jolie as-
siette, un reste d’un vase japonais. Nous
avions également des tesselles achetées
en pot dans des commerces, des tesselles
en pâte de verre, en céramique, des mini-
galets.
L’essence même de la mosaïque est l’as-
semblage de ces petits bouts qui, au dé-
part, ne semblent rien dire, ou sont les
souvenirs d’un bel objet passé et hérité, à
qui l’on souhaite redonner une vie, et qui
prendront formes aux côtés d’autres mor-
ceaux pour raconter une nouvelle his-
toire...
Ainsi Monique, qui a amené son assiette
cassée lors du précédent week-end, et qui
tenait à ce que cela soit donné à l’atelier
car elle appréciait le bord qui pourrait être
récupéré !
Ou encore une tasse cassée d’une collègue
peinte par l’un de ses enfants et qui ne
pouvait se résoudre à la jeter à la pou-
belle !
Les premiers essais de pose de la mo-
saïque sont apparus sur leur support en
3D ; premières réactions et ajustements.
En même temps, Christine s’essayait pour
la première fois à cette technique, Justine
faisant des allées et venues entre ses pre-
miers essais de plâtre sur le squelette du
chien ramené dans l’atelier sur la bâche
verte non loin de la grande table occupée
à l’apprentissage par essais erreurs de la
technique de la mosaïque. Pour jouer avec
la mosaïque, on peut la tailler, lui donner
une courbe, parfois la matière nous
échappe, ça s’effrite, ça se coupe dans le
mauvais sens, ça se casse complètement
et parfois cela peut blesser !
Petit à petit, des échanges sont apparus et
certains patients partageaient leurs trucs
et astuces pour que les tesselles ne tom-
bent pas du support. Certains travaillant à
plat, d’autres posant les petites tesselles
avec une pince à épiler afin de ne pas salir
leurs doigts et d’autres essayant tantôt
colle blanche, tantôt compactuna (adju-
vant pour ciment). Ces moments furent
précieux car ils nous donnaient à voir
comment ils abordaient le travail et ce qui
leur procurait une motivation, un désir.
Ainsi Saïd, attiré par les galets ronds et
qui les pose ensuite de façon répétitive et
qui semble aléatoire sur sa bouteille
comme un remplissage d’une surface. Re-
nata qui a un projet dessiné bien précis et
qui stocke à la manière d’un écureuil de
peur de manquer dans l’intérêt de sa
propre pièce sans conscience de la collec-
tivité. Pascal, tel un architecte fidèle à son
idée de départ, trace des lignes avec des
petits miroirs. Jean-François, discret, lent,
et qui avance son petit bonhomme de che-
min. Fernando, en partance du centre qui
souhaite enfin ramener quelque chose de
son passage à Helix pour ses enfants et qui
réalise en mosaïque le prénom de sa fille
sur la bouteille. Enfin Alita, qui fonce et
colle, colle pour s’apercevoir enfin de par-
cours qu’elle n’a pas assez de pièces pour
finaliser son dessin.
Petit à petit, les patients devenant auto-
nomes dans la pose de la mosaïque sur
leur bouteille, nous nous sommes retrou-
vées de plus en plus à deux autour du
squelette du chien, nous n’étions plus uni-
quement des “mères toujours bonnes”. Il
nous arrivait de demander aux patients un
temps de latence entre leurs demandes et
notre temps de réponse. Une émulation ré-
ciproque est rapidement apparue suite aux
difficultés rencontrées (ainsi le plâtre qui
n’adhère pas, recherche d’autres bandes
de résine en orthopédie, etc.), et une envie
d’apprendre, de chercher à résoudre en
analysant nos actions ou en tentant de les
anticiper. Nous nous sommes nourries
l’une, l’autre pour faire évoluer notre tra-
vail par des confrontations et des
échanges. Nous avons pris de risques, il y
a eu de la place pour l’approximation, le
questionnement, les tâtonnements et aussi
du vide.
Nos propres ressources différentes nous
amenant à répondre, agir différemment
face à la même situation vécue, nos ma-
nières de procéder étaient parfois bien
éloignées de ce que l’autre aurait imaginé
ou souhaité.
C’est sur cette petite table que nous avons
fait ce que nous appelons notre « petit
théâtre à deux ! » Et ce que les patients
ont appelé par la suite « tout votre petit
chipotage ! ».
Notre petit Théâtre à 2 !
Nous remarquions que nos discussions de
“coulisses” apparentes et visibles au
groupe, provoquaient de plus en plus de
réactions (enfin audibles !) au sein du
groupe de patients.
Parfois l’un d’eux venait voir le résultat
de nos recherches fructueuses ou plus dé-
sastreuses.
Les rires sont apparus, ou encore des re-
gards qui se voulaient discrets vers nous,
mais qui scrutaient nos réactions lorsque
l’une de nous deux osait plus que l’autre,
ou que l’une était en désaccord, ou mar-
quait son « ras-le-bol » et l’envie de tra-
vailler à un autre endroit sur la pièce. Cer-
taines fois, des participants sont venus ai-
der au travail en cours ou regarder ce qui
se passait.
Voici une petite illustration du contenu de
nos échanges. Avec le recul nous avons
constaté qu’ils avaient pour teneur des
propositions, des autorisations, du lâcher
prise, de l’audace quant à l’issue de l’ex-
périmentation, de la valorisation pour les
compétences reconnues, des demandes
d’aide, des étonnements, des inquiétudes,
des mises en action, des remises en ques-
tion, de la réserve, et de l’humour…
Nous en bruits de fond qui “chipotons...”.
« - Et si on essayait avec du plâtre ?
« - Tu crois que cela va marcher ?
« - On s’en fout on essaye, on verra
bien ! pourquoi pas ?
« - Zut, c’est moche, cela s’effrite...
« - Cela ne tient pas... Qu’est- ce qu’on
fait, tu as une idée ?
« - On casse ! Comment ? Avec la
pince ? Moi, je prendrais le marteau !
« - Vas-y, je te fais confiance, go !
« - Allez, pour la semaine prochaine, je
termine la tête.
« - Et si on essayait avec de la résine, il
y en a dans l’hôpital.
« - On aurait dû commencer par solidi-
fier les pattes... Mais oui, c’est évident !
La prochaine fois on commencera par
cela.
« - On ne peut plus avoir de résine, c’est
réservé pour les fractures, c’est coû-
teux ! Qui a une idée ? [attente...] Si on
essayait avec du ciment ? Qui a déjà fait
cela, qui a déjà fabriqué du ciment, qui
connait éventuellement la recette ?
« - Et moi après, je terminerai la patte
comme cela tu auras la surprise et enfin
il tiendra debout !
« - ET si on coulait du ciment dans un
pot de yaourt pour l’assise des pattes ?
« - Il y en a ?
« - NON, je vais voir dans le frigo ! J’en
ai trouvé un, je le mange, tiens voilà le
pot !
« - Et si on rajoutait de la colle compac-
tuna en plus grande quantité ? »
Comme nous jouions à une certaine dis-
tance « proche de l’espace de jeu des pa-
tients », cela a vraisemblablement permis
de faciliter les interactions.
Nous interpellions et demandions l’avis
du groupe pour valider une idée et/ou
nous aider à réfléchir sur une difficulté.
(Par exemple Pascal, qui propose une re-
cette de ciment où nous devions mettre
plus de sable). En dehors de ces appels de
notre part, aucun d’entre eux n’intervenait
spontanément dans notre “scène”.
“Experiment” et compagnie : quand l’espace transitionnel s’invite au sein d’un atelier “Volume et mosaïque”
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 35
LES AUTEURS
Justine COUDOUX Assistante sociale
Christine VANHAVERBEKE Art-thérapeute
Hôpital de jour psychiatrique HELIX Clinique Saint-Jean 100, rue du Méridien 1210 Bruxelles Belgique [email protected]
BIBLIOGRAPHIE
1. FLORENCE J. (1997), Art et thérapie liaison dangereuse ?, Presses de l’Université Saint-Louis, Bruxelles, 159 p.
2. TELLIER-LOUMAGNE F. (2010), 1000 Ma-nières de créer, Editions de La Martinière, 365 p.
3. WINNICOTT D. W. (1975), Jeu et réalité, Gallimard, Paris.
C’est progressivement, que certains
d’entre eux ont commencé lors du tour de
table à évoquer la bonne humeur, impor-
tante à leurs yeux, parfois produite par nos
mini-scénettes, à dire leur étonnement
lorsqu’on osait tout casser et donc recom-
mencer, à sourire de nos petits défis lors-
que l’une de nous deux était absente lors
de la prochaine séance à finir ceci ou cela.
A cet instant, nous avons pu mesurer que
nos échanges avaient eu pour certains un
impact sur leur propre manière d’aborder
leur travail et quelque fois alimenter leurs
propres ressources afin de surmonter une
difficulté ou de faire appel à leur imagina-
tion ! C’était devenu une sorte d’appui, à
l’image d’un puits dans lequel ils pou-
vaient aller se servir à leur guise, une idée
pour leur pièce (Ex : naissance de formes
de différents animaux), une recette de ci-
ment, une méthode de pose de mosaïque,
etc, tout cela en toute liberté et avec le
même rapport que nous face à l’agir c’est-
à-dire, Se Permettre de faire/ Oser sans
objectif de réussite ! C’est ainsi qu’un
jour, en cours d’atelier, un patient a de-
mandé comment s’appelait le chien, un
patient a proposé un nom, « EXPERI-
MENT ».
Ces moments de rassemblement en fin
d’atelier ont naturellement été baptisés :
« les réunions de chantier ».
Retours de participants
Saïd : « Mes oreilles sont toujours ou-
vertes, pour apprendre beaucoup, être à
la hauteur. C’était un bon guide. Quand
je vois des problèmes chez les animateurs,
je fais attention pour ne pas tomber dans
le piège. Le mardi matin, je réfléchis à des
idées pour continuer mon boulot l’après-
midi ! »
Mihaï : « A entendre les animatrices dis-
cuter de leur projet, essayer, ne pas être
d’accord, casser, recommencer leur tra-
vail, tout ce chipotage, c’était amusant ! »
Les réunions de chantier...
Ces réunions se placent en fin d’atelier au
moment où le groupe après avoir bien
rangé la pièce de façon communautaire et
individuelle pour leur mise en sécurité de
leur pièce se retrouvent autour de la
grande table.
- Direction donnée de ces réunions de
chantier.
- Prise de risque de la parole pour les ani-
mateurs qui se propage au groupe, vigi-
lance à ce que la prise de parole soit tein-
tée de bienveillance, encouragement,
écoute des instants de doute, de vides, les
commentaires étant centrés sur la pièce
en cours et non sur son auteur, la valori-
sation et reconnaissance dans l’explora-
tion du potentiel de chacun (un mouve-
ment qui apparaît, une découpe, un lis-
sage, une façon de ligaturer le fil, la
force, la patience, la valorisation des
compétences).Et surtout pour chacun du
groupe le moment de se féliciter d’avoir
osé entrer et être présent dans l’atelier ce
jour-là. Avec humour on mimait qu’on
recevait une médaille !
- Inscrire l’expérience dans la continuité.
- Que s’est-il passé pour votre pièce de-
puis la dernière fois ? Avez-vous eu des
difficultés, tout en nommant les nôtres ?
Pour la semaine prochaine de quoi avez-
vous besoin ? Voulez-vous faire une de-
mande d’aide ? Y a-t-il un endroit de
votre pièce que vous aimez et où vous
souhaitez réintervenir ? Juste besoin de
réfléchir ou de ne plus y penser pour
l’instant…
C’est ainsi qu’un jour, Philippe qui sem-
blait impassible durant son temps de créa-
tion mais que nous ressentions comme
bloqué devant un obstacle de faire tenir
droite sa girafe, prend le risque de se dé-
voiler et nous confie en fin d’atelier avoir
ressenti une tension intense à l’intérieur
de lui et un besoin « de crier par la fenêtre
et de se défouler en tournant autour de la
table ». L’engagement dans le jeu avait
provoqué une tension, une pression in-
terne qui semblait insupportable. Un
échange s’est passé entre eux. Ils ont fait
des propositions “pour se soulager”,
comme quitter sa place, faire un tour dans
l’atelier, regarder ce que font les autres,
demander de l’aide, s’arrêter, prendre une
pause.
... Philippe, toujours, la semaine sui-
vante : « je vais m’attaquer aux pattes ! ».
... Saïd, pas satisfait de la tête de son ani-
mal décide pour la prochaine séance de re-
cimenter une partie afin que ce soit plus
lisse car il anticipait les problèmes à venir
lors de la pose des futures tesselles.
... Renata, qui parvient après plusieurs
séances à demander enfin de l’aide, ou
propose du bout des lèvres un peu de son
matériel “personnel” pour le groupe.
... Pascal, qui organise son travail dans la
durée et évalue le nombre de séances en-
core nécessaires selon lui tout en énumé-
rant ce qu’il lui reste à faire avant de pas-
ser à l’étape de la pose de mosaïque
... Aelita, qui réalise qu’elle ne sait pas
vraiment comment c’est une coccinelle,
combien elle a de pattes et décide de re-
garder d’ici la prochaine fois comment est
finalement une vraie coccinelle et finale-
ment réalise que sa coccinelle mesure en-
viron 80 cm !
... Monique qui doit s’acclimater de sa
surprise de la transformation de son bi-
chon frisé en oiseau « Bon, eh bien il lui
faut un bec, alors ! ».
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 36
Interrelation entre le jeu et l’espace
Au fil du temps, nous avons pu remarquer
l’évolution dans la taille, le volume des
pièces en cours de réalisation, des dépla-
cements des participants et l’apparition de
nouvelles aires de jeux.
Celles-ci se sont naturellement délimitées
de par la nature du jeu (cimentage, pose
de mosaïque, peinture, fil de fer, …) et de
par le volume des pièces prenant de l’am-
pleur.
En fin de parcours, il s’est créé un espace
de jeu polyvalent par l’apparition d’une
aire de jeu plus informelle qui a pu ac-
cueillir alternativement, moments de ci-
mentage, dessin, pose de mosaïque pein-
ture, petit à petit les patients ont pris pos-
session de l’espace en le modifiant.
Ceci nous ramène à l’idée de Winnicott
selon laquelle l’enfant joue en agissant sur
son environnement. Progressivement, les
patients ont étendu leurs espaces de jeux,
où ils se rencontrent, se croisent, pour se
retrouver en fin d’atelier autour de la
grande table pour les réunions de chan-
tier. L’espace s’est aussi modifié physi-
quement, des traces de ciment sont appa-
rues sur le sol, l’évier s’est bouché, les
pièces ont augmenté de volume, elles ont
commencé à joncher le sol, les tables...
Certaines pièces en cours se sont retrou-
vées suspendues au plafond de l’atelier.
Les petites maquettes ont occupé de l’es-
pace dans l’armoire ce qui a demandé une
réorganisation de celle-ci, certains maté-
riaux se sont épuisés, d’autres ramenés
par les patients sont apparus.
Quelques séances d’atelier...
Début octobre
Sur la table le fil de fer et les pinces, nous
ne savions pas ce qui allait se passer...
Comme le dit Winnicott, l’intérêt du jeu
est qu’il soit une expérience à l’initiative
de l’enfant. La première initiative posée
par les patients est de prendre la bobine,
dérouler le fil à la longueur voulue, et de
le séparer de son support en le coupant.
(Le choix de la pince, coupante, plate ou
ciseaux est laissé à l’initiative des pa-
tients.)
La mise en route a été plus ou moins
longue ; hésitations, impatience, agressi-
vité, sensation de vide, il a fallu un certain
temps pour que “la mayonnaise prenne” et
c’est ainsi qu’est apparu chez les patients
le désir de réaliser une forme d’animal.
Passer du croquis en deux dimensions
vers une maquette en 3D, fabriquer un
“squelette”, une armature solide, un sup-
port rigide qui restera à l’intérieur de la
pièce, prévoir les formes, comment les
agencer, rechercher l’équilibre, la stabi-
lité. Ce processus fut difficile pour les pa-
tients, et demandait de la vigilance, du
soutien de notre part.
Monique craint de se lancer sans appui,
dessine une forme au crayon sur laquelle
elle s’appuie pour tordre son fil. Elle res-
tera attachée à son “plan” jusqu’à cons-
truire le volume en papier sur ce même
appui, pour ensuite la déployer dans l’es-
pace.
Pour Pascal, ce fut un squelette de chat à
deux pattes qui ne trouvait pas de stabilité,
pour Philippe un projet de girafe qui se
transformera en ce qu’il appellera long-
temps « la chose » pour terminer « dino-
saure ». Renata et son perroquet baptisé
« Coco Chanel »
Février...
Brouette ! L’ambiance est au travail. Le
matériel se met à manquer, les patients
nomment ce dont ils ont besoin, en font la
liste et, cette fois, c’est ensemble que nous
sortons au Brico du coin, poussant une
brouette remplie de ciment, de sable, de
clôture, de plâtre, de compactuna, et que
nous traversions allègrement la salle d’at-
tente de l’hôpital, l’ascenseur pour arriver
au 7ème étage, passer la porte du service
Hélix et nous diriger vers la porte verte,
lieu de notre caverne créatrice !
Mars
Les corps sont engagés, un investissement
très physique pour certains participants,
« un bain d’expériences multisenso-
rielles ». Toucher, frotter, gratter, lisser,
arracher, casser, des actions qui s’exer-
cent sur une limite définie par le volume
de la pièce crée par chacun des partici-
pants, des actions qui s’impriment sur leur
peau…. (Rachida, à pleines mains, étale
le ciment sur la surface de son support,
l’odeur de la colle ; Monique coupe le mé-
tal, tord le fil qui la blesse, le sang qui
perle au bout du doigt).
L’espace est investi, on entend des bruits
de pinces, de fil de fer qui frottent sur la
table, l’eau qui coule dans la bassine en
fer, la cuillère qui tourne, racle le métal,
la consistance du ciment, trop liquide,
trop sec, mesurer, peser, lire des notices,
les roulettes du chariot de matériel qui se
déplace dans le local, l’armoire s’ouvre,
se ferme, un objet tombe, le froissement
du papier journal qui se glisse sous le mé-
tal pour faire apparaître le volume, le bruit
du scotch qui se déroule... Certains parti-
cipants échangent autour de ce qu’ils sont
en train de faire, une certaine collabora-
tion naî parfois entre eux.
Saïd, le costaud du groupe, tord à pleines
mains les tuyaux de métal pour Marianne
qui porte un corset. Raoul porte le sac de
sable. Le matériau, essentiellement “du
bâtiment” était une sorte de défi physique
où les patients semblent avoir voulu se
mesurer ou se retrouver, Raoul, qui a eu
une grande expérience de vie de chantier,
retrouve avec plaisir exprimé certains
gestes connus qu’il n’a plus pratiqués de-
puis son hospitalisation.
La couleur du ciment gris, la couleur du
journal, gris, le plâtre, blanc, la colle
blanche, nous avons baigné dans un dé-
gradé de tonalités de gris pour ensuite al-
ler vers la couleur, le gris qui nous a ac-
compagné durant toute la naissance de la
mise en forme du volume pour qu’appa-
raisse ensuite la couleur lors de la pose
des tessons sur le support et en finalité
pour certains le choix d’une pose de cou-
leur acrylique sur leur pièce venant la fi-
naliser.
L’humour est présent :
- « pin-pon ! Je vais à l’infirmerie me
soigner. », et nous, animatrices à rappe-
ler que nous ne sommes ni l’une ni
l’autre infirmières, alors « s’il vous plait
ne coupez pas votre doigt, on pourrait
tomber dans les pommes !!!! ».
- « Le coucou de trois heures ! » Rires,
toutes les onomatopées entendues durant
le temps de l’atelier qui, parfois avec
soutien à la mise en mots, signifiaient
avoir mal aux doigts, ressentir de l’impa-
tience, de la déception face aux ratages,
du découragement ou de l’enthousiasme.
Les visites durant le temps de pause
Les patients des autres ateliers curieux,
qui viennent voir l’évolution de la nais-
sance des pièces, les encouragements, les
surprises, les étonnements.
Etonnement car décalage entre le média,
le chantier et le cadre de travail : un hôpi-
tal !
Mai-Juin
La période de pose de mosaïque a fait
naître une nouvelle énergie au sein de
l’atelier. Tous étaient portés par un désir
d’esthétisme, de faire jaillir les couleurs
sur leurs pièces cimentées.
La nature des tons, exclamations, et con-
seils ont aussi changé à ce moment, fai-
sant place à des « WAW ! Oh c’est joli !
Tiens c’est original, ça ! Ce morceau tu
l’as trouvé où ? »
Nous avons pu observer le changement de
leur propre regard qui s’est ouvert pro-
gressivement tout au long des séances,
une ouverture qui a permis à chacun d’être
tantôt sensible à l’expérience de son voi-
sin de table, tantôt conseiller et solidaire,
on a pu entendre même dans la bouche de
certains s’appeler par « eh collègue ! ».
La difficulté de l’un devenait un souci de
groupe pour réfléchir ensemble et dépas-
ser celle-ci.
L’envie d’exposer les animaux dans le
service, une fierté de leur réalisation avec
un regard parfois critique, les pièces té-
moins des matériaux transformés, pièces
“Experiment” et compagnie : quand l’espace transitionnel s’invite au sein d’un atelier “Volume et mosaïque”
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 37
en chantier, finalisées ou pas, données à
voir, transformant à leur tour l’espace du
couloir où elles se retrouvent groupées
non loin du local de jeu.
Conclusion
Etonnement grandissant de notre part
pour ces patients qui engagent une rela-
tion « corporelle intense » avec la matière
et en même temps trouvent là une sorte de
tremplin pour assouplir la rigidité de leurs
défenses psychiques. Jouer, créer...
C’est S’ajuster...
A chaque étape on se retrouve en ap-
prenti...
Chaque nouvelle expérience multiplie les
possibles...
Recherche de compromis satisfaisants...
Prévoir des stratégies...
S’ajuster...
Prendre du recul... Seul ou à plusieurs...
Organiser le travail, parfois déléguer, de-
mander de l’aide...
Partager son expérience, échanger, mettre
en commun...
Aller chercher dans l’environnement ce
dont on a besoin...
Regarder, s’enrichir, s’émouvoir...
Tester des recettes, déchiffrer des modes
d’emploi, attendre le résultat des expé-
riences qui si elles sont ratées révèlent des
informations souvent essentielles...
Faire des choix, se positionner...
En résumé, créer, jouer, c’est un peu
comme “jongler”, s’envoler d’une idée à
une activité et l’inverse.
C’est aussi expérimenter avec générosité,
sans s’économiser.
Les idées sont exponentielles. Il n’y a pas
d’irréversibilité, chaque nouvelle expé-
rience multiplie les possibles, permet
d’évoluer, de se renouveler, de se con-
naître...
Quand le jeu est divertissement, quand
chacun, soignants et patients, s’amuse, le
jeu permet d’explorer des positions psy-
chiques différentes, d’expérimenter d’aut-
res façons de jouer un rôle social.
Comme le dit Winnicott l’activité de jouer
favorise la croissance psychique, donc la
santé.
Laisser agir le temps avec confiance. Les
prises de conscience personnelles, qui
peuvent éventuellement surgir durant le
jeu, le processus de création dépendent de
la personnalité et de la disponibilité de
chacun.
L’effet thérapeutique, s’il y en a un, vient
« de surcroit ».
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 38
Introduction Les programmes psychoéducatifs desti-
nés aux proches de malades souffrant de
schizophrénie se développent depuis plu-
sieurs décennies. Ces interventions, qui
avaient initialement comme objectifs le
soutien et la formation des familles, se
sont développés dans le contexte particu-
lier de l’évolution des structures de soins
et de l’ouverture de nouveaux champs de
recherche concernant les interactions
entre le malade et ses proches.
Le mouvement de désinstitutionalisation
et l’éloignement de la tradition asilaire,
depuis les années 1960, a eu pour objectif
le retour des patients dans la commu-
nauté. Comme le relève Carpentier, les
conséquences pour le milieu familial sont
de plusieurs ordres : « À mesure que s’in-
tensifie le mouvement de désinstitutiona-
lisation, les décideurs et les politiciens
considèrent la famille comme source pri-
vilégiée de soutien émotionnel et social
ainsi que comme place de choix pour re-
localiser le patient psychiatrique. On dé-
couvre alors les vertus des “soins infor-
mels” ; l’environnement professionnel
s’appuie de plus en plus sur la famille
pour, principalement, fournir du soutien
matériel et, potentiellement, des soins à
long terme aux personnes souffrant de
troubles psychiatriques. » (Carpentier
2001).
Les aidants dits naturels, ou informels,
sont alors confrontés à des difficultés liées
à la symptomatologie de la maladie schi-
zophrénique. D’une part une symptoma-
tologie bruyante, positive, hallucinations,
idées délirantes, bizarreries comporte-
mentales, troubles du cours de la pensée.
Et d’autre part une symptomatologie né-
gative, plus lancinante, comme l’appau-
vrissement des affects et du discours,
l’apathie, l’anhédonie, les troubles de l’at-
tention et de la mémoire, la perte de la
motivation. Cette symptomatologie est
plus difficile à repérer pour les familles, et
l’attribution de ces signes à la maladie n’a
rien d’évident.
Il en résulte un stress et des répercussions
sur le fonctionnement global et la qualité
de vie de la famille. Ce fardeau fait le lit
d’autres difficultés, notamment sur le plan
de l’humeur des aidants, ou encore sur
l’ambiance émotionnelle de la famille,
avec le risque d’entrer alors dans un en-
grenage : l’aidant naturel (typiquement un
membre de la famille), lui-même en diffi-
culté, réagit moins bien, perd sa capacité
à faire face, majorant en retour tous les
dysfonctionnements.
C’est dans ce contexte que les premiers
programmes psychoéducatifs destinés
aux familles se sont développés, avec
comme objectif d’apporter de l’aide, du
soutien, mais aussi des connaissances et
des savoir-faire aux proches, pour leur bé-
néfice et celui des malades.
Apparition des premiers programmes
Le premier programme psychoéducatif
dans la schizophrénie est celui du docteur
Carol Anderson en 1980 (Anderson et al.
1980). L’approche retenue consistait à dé-
velopper un modèle pour des interven-
tions familiales dans le but de diminuer le
taux de rechute des patients souffrant de
schizophrénie.
Ce modèle prend notamment acte de la
plus grande vulnérabilité des patients aux
stimuli externes et aux environnements
stressants, en s’appuyant sur un ensemble
de recherches pluri-disciplinaires concer-
nant l’étude du milieu familial.
Plus de 20 plus tard, Hogarty (Hogarty
2003) reviendra sur le contexte théorique
qui avait poussé l’équipe à développer un
tel programme. Il citera notamment 3
études décisives :
- en 1975, une étude (Hirsch, Leff 1975),
qui avait échoué à montrer la contribu-
tion du comportement parental dans
l’étiologie de la schizophrénie.
- en 1976, une autre étude (Vaughn, Leff
1976) qui montrait que le comportement
des proches pouvait influer sur le cours
de la maladie de façon favorable ou dé-
favorable.
- en 1978, une troisième étude (Gold-
stein et al. 1978) qui montrait l’efficacité
d’interventions familiales ciblées sur la
résolution des situations de crise sur les
taux de rechute à court terme.
Le programme Profamille
Le programme a été initialement déve-
loppé au Canada par Cormier en 1988,
avant de diffuser dans toute la francopho-
nie. Il est actuellement coordonné par le
Dr Hodé et son équipe du Centre Hospita-
lier du Rouffach en Alsace. Le réseau
comporte actuellement une cinquantaine
de centres organisa-teurs.
Profamille a pour particularités d’une part
d’être un programme standardisé - le con-
tenu et le déroulé des séances est théori-
quement identique pour chaque centre -
et, d’autre part, d’être un programme
Profamille est un programme de psychoéducation familiale dans la schizophrénie très utilisé dans la francophonie. Le but est de réduire le taux de rechute des malades et le fardeau familial. Il comprend des séances d’information et d’amélioration de la communication, de la capacité à faire face et de la résolution de problème. Un point clé du programme est l’amélioration de l’humeur. Nous avons étudié l’évolution de l’humeur de 57 participants au programme au cours des 4 dernières années. Nos résultats ont montré une amélioration significative de l’humeur, en particulier pour les sujets les plus déprimés initialement.
Mots- clefs : Schizophrénie, psychoéducation, fardeau familial, dépression
Profamille: impact on mood of participants
Profamille is, in the French-speaking world, one of the most used psychoeducation program for schizophrenia patients’ families. The goals of the program are to decrease the risk of the patient’s relapse and to decrease the family burden. It includes infor-mation about the illness, and training in coping, communication and problem-solving skills. A key characteristic of Profamille is that it targets mood improvement. We studied the program impact on the mood of 57 participants in the Profamille program over the last 4 years. Results show that Profamille enabled a statistically significant improvement for the most depressed participants.
Keywords: Schizophrenia, psychoeducation, family burden, depression
Profamille : impact sur l’humeur des participants
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 39
long, puisque le module principal du pro-
gramme est composé de 14 séances de 4
heures chacune.
Enfin, le programme propose un en-
semble d’évaluations en début, en cours,
et en fin de programme. Ces évaluations
permettent de déterminer les répercus-
sions du programme, d’obtenir des don-
nées socio-démographiques sur les parti-
cipants, mais également de le faire évo-
luer au mieux et d’établir des critères de
qualité pour les centres organisateurs.
Les objectifs du programme sont mul-
tiples :
- directement, assurer un soutien aux fa-
milles, aux aidants naturels des malades,
soumis à un important fardeau lié aux
soins ;
- indirectement, améliorer le taux de re-
chute des malades et leur qualité de vie.
Profamille développe 3 aspects classiques
des programmes psychoéducatifs : un vo-
let pédagogique, un volet comportemental
et un volet psychologique.
Contenu du programme
La version V3 du programme se structure
autour de 14 séances de 4 heures dans un
premier module s’écoulant sur la pre-
mière année, et de séances de révisions et
d’approfondissement dans un deuxième
module qui se déroule dans un second
temps -quelques mois après la fin du pre-
mier module.
Module 1
Le module 1, au contenu dense, s’articule
autour de quatre étapes dont l’ordre ne
doit rien au hasard, les acquis de chaque
séance étant régulièrement réinvestis par
la suite et servant de base à la progression.
La première étape est consacrée à l’édu-
cation à la maladie et vise à corriger des
erreurs d’attribution (attribution de la res-
ponsabilité à la famille, attribution de la
responsabilité au malade), à favoriser une
meilleure acceptation de la maladie par
une meilleure compréhension du diagnos-
tic et de l’évolution de la maladie.
La seconde étape s’attache au développe-
ment des habiletés relationnelles, qui im-
pactent sur le fardeau porté par la famille
(à travers notamment les problèmes com-
portementaux, le défaut d’activité ou en-
core le risque suicidaire), afin de limiter le
niveau de conflit et mieux aider le malade.
La troisième étape est centrée sur les pa-
rents, elle aborde la gestion des émotions
et le développement de cognitions (repré-
sentations, jugements, croyances et con-
naissances de la personne) adaptées.
L’objectif visé ici est à la fois une action
directe, ciblée sur l’humeur des proches
des malades, mais également une action
indirecte intimement liée à la première :
abaisser le niveau d’émotions exprimées
dans la famille, améliorer la qualité de vie
et la santé des familles et enfin de faciliter
les apprentissages.
La quatrième étape enfin est consacrée au
développement des ressources, des possi-
bilités de trouver de l’aide (à la fois pour
le malade et pour le proche) à travers l’in-
sertion à un réseau social, le développe-
ment de liens d’entraide.
Séance 1 : Accueil
Cette séance permet de mettre en place en
place le groupe et de présenter le pro-
gramme. Au-delà de ces aspects, cette
première séance permet de procéder aux
évaluations initiales, sous forme de ques-
tionnaires :
- la situation au cours des douze derniers
mois : l’anxiété, l’irritabilité, l’activité
du malade, les hospitalisations, les fluc-
tuations de la symptomatologie, les ten-
tatives de suicide ;
- l’évaluation du malade et l’évolution
des troubles : le mode de vie du malade,
la gravité des symptômes, le fonctionne-
ment social et professionnel, la connais-
sance du diagnostic et ses répercussions ;
l’évaluation des pensées et émotions do-
minantes, avec la réalisation de l’échelle
Center for epidemiologic studies-depres-
sion scale (Radloff 1977) sur les impres-
sions ressenties, une échelle sur les juge-
ments et croyances et un questionnaire
sur le souci ;
- l’évaluation de la répercussion de la
maladie sur l’état de santé et le fonction-
nement du participant ;
- l’évaluation des connaissances, avec
quatre mises en situation ;
- l’évaluation du coping.
Séance 2 : Connaître la maladie
La séance aborde des données épidémio-
logiques, la symptomatologie, les comor-
bidités, le pronostic, les rapports au corps
médical, les causes possibles de la mala-
die. Une part importante de la séance est
consacrée à l’explication du fonctionne-
ment cérébral et aux mécanismes à l’ori-
gine des symptômes.
Le modèle de fonctionnement cérébral
schématise simplement les différentes
structures impliquées et leurs rôles res-
pectifs, les transmissions d’informations :
le thalamus filtre et oriente les informa-
tions, l’amygdale est impliquée dans la
gestion des émotions, l’hippocampe dans
la mémoire et la prise en compte du con-
texte, le cortex préfrontal dans l’initiative
et le maintien de l’action, l’action sur le
striatum. Il est ainsi exposé la notion de
neurotransmetteur, du déséquilibre de
l’activité du striatum et de l’excès de do-
pamine par le contrôle déficient en prove-
nance de l’hippocampe, de l’amygdale,
du cortex préfrontal.
LES AUTEURS
Pierre TAVARES Assistant Spécialiste
Annick NEUVILLE Aide-Soignante
Aurélie MONTAGNE-LARMURIER Praticien Hospitalier
Service de Psychiatrie du CHU de Caen Avenue de la Côte de Nacre CS 30001 14033 Caen cedex 9 France
BIBLIOGRAPHIE
1. ANDERSON C. M., HOGARTY G. E., RELSS D. J. (1980), Family Treatment of Adult Schizo-phrenic Patients: A Psycho-Educational Ap-proach, Schizophrenia, Bulletin.; 6 (3) : p. 490–505.
2. CARPENTIER N., (2001), Le long voyage des familles : la relation entre la psychiatrie et la fa-mille au cours du XXème siècle, Sciences sociales et santé, ; 19 (1) : p. 79–106.
3. FUHRER R., ROUILLON F. (1985), Évalua-tion de la version française de l’échelle : Center for Epidemiologic Studies-Depression Scale, Congrès de la Fédération internationale d’épidé-miologie psychiatrique, Bruxelles.
4. GOLDSTEIN M. J., RODNICK E. H., EVANS J. R., MAY P. R. A., STEINBERG M. R. (1978), Drug and Family Therapy in the Aftercare of Acute Schizophrenics, Archives of General Psy-chiatry, (35) : p. 1169–77.
5. IRSCH S., LEFF J. (1975), Abnormalities in the parents of schizophrenics, London: Oxford Uni-versity Press.
6. HOGARTY G. (2003), Does family psy-choeducation have a future ?, World Psychiatry; 2 (1) : p. 490–505.
7. KEITNER G., ARCHAMBAULT R., RYAN C., MILLER I. (2003), Family therapy and chronic depression, Journal of Clinical Psychol-ogy. 59 (8) : p. 873–884.
8. KNIGHT B. G., SILVERSTEIN M., MCCALLU T. J., FOX L. S. (2000), A Sociocul-tural Stress and Coping Model for Mental Health Outcomes Among African American Caregivers in Southern California, The Journals of Gerontology Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, (55) : p. 142–150.
9. PROFAMILLE (2012), Guide de l’animateur, Version 3.2.
10. RADLOFF L. (1977), The CES-D scale: a self-report depression scale for research in the general population, Applied Psychological Meas-urement, (1): p. 385–401.
11. TAVARES P. (2015), Profamille, programme psychoéducatif dans la schizophrénie : impact sur le fonctionnement familial, Mémoire de Di-plôme d’Études Spécialisées en Psychiatrie : CHU de Caen.
12. TAVARES P. (2015), Profamille, programme psychoéducatif pour les familles ayant un proche souffrant de schizophrénie : impact sur l’humeur des participants, Thèse d’exercice : mé-decine : CHU de Caen.
13. VAUGHN C., LEFF J. (1976), The influence of family and social factors on the course of psychiatric illness: A comparison of schizo-phrenic and depressed neurotic patients, British Journal of Psychiatry; (129): p. 125–137.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 40
Ces données théoriques, présentées
comme ayant valeur d’hypothèse, four-
nissent un support pour tous les autres
points clé du programme.
Séance 3 : Connaître son traitement
Cette séance développe les principes de
prise en charge, les différents traitements,
leur efficacité, effets secondaires.
Séance 4 : Développer des habiletés en commu-nication (1) Séance 5 : Développer des habiletés en commu-nication (2) Séance 6 : Développer des habiletés à poser des limites Séance 7 : Révision des séances 4 et 5 et 6
Cet ensemble de séances s’intéresse aux
règles de communication et à la relation
au malade. Il s’agit d’une part de mieux
communiquer avec le malade, mais égale-
ment avec les autres (pour demander de
l’aide, par exemple). Cela passe par l’ap-
prentissage d’un certain nombre de tech-
niques, et de nombreux exercices de mise
en pratique.
Le principe général des séances visant à
développer des habiletés de communica-
tion est d’établir avec le malade une com-
munication ouverte, claire et directe, en
évitant les fortes charges émotives. Un
rappel est fait sur les conséquences des
déficits cérébraux sur la communication
(dysfonctionnement de l’amygdale, de
l’hippocampe, du cortex préfrontal).
Des moyens mnémotechniques sont trans-
mis. On note en particulier la règle des 4P,
qui vise à augmenter le renforcement :
Être Prompt à être Positif sur des Petits
Progrès précis et éviter le “mais...” après
un point positif.
Cette règle sera mise en pratique à toutes
les séances et pendant les exercices à la
maison, avec de nombreuses mises en si-
tuation. On note également la règle des 4S
(diminution des facteurs négatifs) : éviter
la surcharge émotionnelle, la sur-stimula-
tion, le surinvestissement, la surprotec-
tion. D’autres techniques sont abordées
pour la formulation de demandes d’aides
efficaces, l’affirmation de soi, la négocia-
tion et l’amplification de la motivation.
Il s’agit, globalement, d’apprendre à dia-
loguer de façon pacifiée en pouvant abor-
der les sentiments positifs comme les sen-
timents négatifs.
Un autre point clé de ces séances concerne
la pose de limites, avec là encore de nom-
breux exercices de mise en situation. On
observe que les familles redoutent les li-
mites, craignant la réaction du malade. Il
s’agit ici d’éviter “d’acheter la paix” à
court terme ce qui favorise l’épuisement
des familles, la colère, les tensions qui fi-
niront par s’exprimer dans la communica-
tion et risquent de ne pas être compris par
le proche malade. L’absence de limites est
nocif pour le proche et pour les familles et
contribue à la majoration du niveau
d’Emotions Exprimées.
Les données théoriques abordées en
amont prennent ici tout leur sens, puisque
cette mise en pratique s’appuie sur la
compréhension des comportements du
malade résultant des dysfonctionnements
cérébraux et de l’importance des facteurs
de stress dans la rechute.
Séance 8 : Culpabilité et anxiété Séance 9 : Habiletés à gérer ses émotions / réduire sa souffrance Séance 10 : Habiletés à gérer ses pensées parasites / réduire sa souffrance Séance 11 : Approfondissement séance 10 et révision des séances 8, 9 et 10 Séance 12 : Développer des habiletés à avoir des attentes réalistes
Ce bloc de séances couvre la thématique
“Gestion des émotions et développement
de cognitions adaptées”.
Un des objectifs est une action ciblée sur
l’humeur des proches, qui est justifiée par
plusieurs études montrant que l’évolution
favorable de la maladie n’entraîne pas né-
cessairement une amélioration de l’hu-
meur des familles (Keitner et al. 2003,
Knight et al. 2000, cités dans le Guide de
l’animateur, Profamille 2012). L’amélio-
ration de l’humeur des proches permet
d’une part d’améliorer leur qualité de vie
et leur état de santé avec pour consé-
quence d’abaisser le niveau d’émotions
exprimées (qui a des répercussions,
comme vu plus haut, sur le taux de re-
chutes du malade), et d’autre part de faci-
liter les apprentissages du programme.
Le programme s’inspire ici de différents
courants, des thérapies cognitivo-compor-
tementales, du mindfullness, de la Théra-
pie d’Acceptation et d’Engagement.
D’une façon générale, l’accent est mis sur
l’apprentissage des différences et des
liens entre cognitions et émotions, l’in-
fluence de ces émotions sur les processus
cognitifs, sur le repérage de cognitions
inadaptées et de jugements erronés. Des
techniques pour la correction de ces co-
gnitions et la meilleure utilisation des
émotions sont mises en pratique.
La séance 8 s’intéresse au sentiment de
culpabilité. Elle permet de faire le point
sur les différents courants théoriques
ayant parfois attribué un rôle à la famille
dans l’apparition de la maladie ainsi que
d’aborder les différentes situations culpa-
bilisantes susceptibles d’être rencontrées
(hospitalisation par exemple). Elle décrit
également les mécanismes de l’anxiété et
des moyens pour la réduire. Enfin, une
partie de la séance est consacrée à la re-
connaissance des émotions et sur la rela-
tion entre pensées et apparition d’émo-
tions négatives.
La séance 9 va plus loin dans la reconnais-
sance des émotions. Les liens entre émo-
tions, cognitions et comportement sont
abordés, ainsi que des techniques pour ré-
duire l’intensité des émotions, ou encore
en réduire les influences négatives.
La séance 10, explicitement intitulée “Dé-
velopper des habiletés à gérer ses pensées
parasites et développer une bonne estime
de soi” est particulièrement riche. Les
thèmes abordés sont notamment :
- Agir sur les émotions par action sur le
comportement.
- Agir sur les émotions par action sur nos
pensées.
- Les pensées automatiques.
- Les règles de déduction et de raisonne-
ment rapide.
- Découvrir et adapter ses schémas de
pensée.
L’apprentissage des “attentes réalistes”
dans la séance 12 peut se décrire de façon
triviale comme “apprendre à voir la réalité
en face”. Il est ici question de l’avenir, et
des croyances et évitements qui s’y ratta-
chent. Le développement d’attentes réa-
listes permet d’éviter des situations de
souffrance et de stress à la fois au patient
et à sa famille, générées par des attentes
déçues.
Il s’agit donc de développer des projets et
des attentes en accord avec les capacités
réelles et actuelles du malade. A contrario
une attente irréaliste est décrite dans le
programme comme “les projets que l’on
aimerait voir se réaliser mais dont on per-
çoit intuitivement que les chances de réa-
lisation dans les 6 mois sont peu pro-
bables”.
Séance 13 : Savoir obtenir de l’aide Séance 14 : Développer un réseau de soutien
Il s’agit ici de développer les ressources
des proches face aux différents problèmes
et obstacles susceptibles d’être rencontrés
directement ou indirectement en rapport
avec la maladie : consolidation des pro-
grès obtenus auparavant et passage vers
une attitude active et efficace, avec l’ob-
tention d’un certain équilibre émotionnel.
Concrètement, le programme permet ici
de préciser les types d’aides et les divers
soutiens institutionnels ou associatifs ;
l’apprentissage d’une demande d’aide ef-
ficace ; la lutte contre la stigmatisation des
malades et de leurs familles.
Les familles apprennent à repérer les
signes d’alarme, à pouvoir en parler avec
le proche et être autorisé à joindre
l’équipe de soin.
Module 2
Le module 2 se déroule sur 24 mois et dé-
bute environ 3 mois après la fin du pre-
mier module. Il vise à maintenir les acquis
Profamille : impact sur l’humeur des participants
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 41
et renforcer l’apprentissage, après un mo-
dule 1 très riche et souvent concentré sur
une période relativement courte.
Évaluation du programme
L’évaluation fait partie intégrante de Pro-
famille et a permis les nombreux ajuste-
ments et améliorations du programme au
fil du temps, aussi bien concernant le con-
tenu que l’animation.
L’efficacité du programme est évaluée à
travers des questionnaires (avant, après et
à distance des séances) qui en explorent
plusieurs aspects :
- les connaissances acquises
- l’amélioration de l’humeur
- l’amélioration de l’état du malade
- l’acquisition de savoir-faire
- le coping
- la gestion émotionnelle
- la modification des croyances et des ju-
gements
- l’évaluation de la validité sociale
- la santé somatique des participants
L’évaluation se fait également au fil du
déroulement du programme, avec des
exercices à réaliser entre les séances qui
permettent de mettre rapidement en pra-
tique les connaissances acquises.
Centralisés au niveau national, les résul-
tats recueillis permettent par ailleurs de
vérifier des critères de qualité pour les
centres dispensant le programme.
Etude de l’impact du programme sur l’humeur des participants
Objectif Une particularité du programme Profa-
mille est de cibler spécifiquement l’hu-
meur des participants grâce à des séances
dédiées. L’amélioration de cette humeur
est un paramètre essentiel des résultats
positifs du programme.
Elle doit permettre l’amélioration des ca-
pacités d’apprentissages des participants,
d’améliorer le climat émotionnel de la fa-
mille et de faciliter l’évolution des capa-
cités de coping.
Notre objectif a donc été de comparer
l’humeur des participants entre le début et
la fin du programme (Tavares 2015b).
Matériel et méthodes
Les sujets de l’étude sont les 57 partici-
pants de 4 sessions de Profamille au
Centre Hospitalo-Universitaire de Caen,
de 2010 à 2014.
L’échelle CES-D est l’outil d’évaluation
de l’humeur choisie par le programme
Profamille. Cette échelle a fait l’objet
d’une première publication en 1977
(Radloff 1977). La vocation première de
cette échelle est l’évaluation de l’humeur
dans des populations variées et non le dé-
pistage individuel de syndromes dépres-
sifs caractérisés. Il s’agit d’un auto-ques-
tionnaire de 20 items, qui interrogent la
symptomatologie présentée au cours de la
dernière semaine : appétit, concentration,
sommeil, tristesse, estime de soi, entrain,
pleurs, repli social notamment. Les scores
totaux vont de 0 à 60. L’échelle a été tra-
duite et validée en 1985 (Fuhrer, Rouillon
1985).
Le questionnaire est complété au cours
d’une séance, au début et à la fin du pro-
gramme.
Nous avons distingué pour l’analyse :
- les sujets à risque de syndrome dépres-
sif majeur (score initial > 16) ;
- les sujets à haut risque de syndrome dé-
pressif majeur (score initial >22) ;
- les sujets non déprimés initialement
(score initial inférieur ou égal à 16) ;
Les comparaisons de moyennes ont été ré-
alisées via le logiciel de statistiques R, en
utilisant un test de Wilcoxon bilatéral sur
données appariées.
Résultats
Trente-trois participants voient leur score
à la CES-D s’améliorer entre le début et la
fin du programme, soit 58% d’entre eux.
Les sujets initialement à risque de syn-
drome dépressif majeur (n=23), amélio-
rent de façon marquée et significative leur
humeur (p < 0,001, écart des moyennes de
12,1 points).
Pour les sujets initialement à haut risque
de syndrome dépressif majeur (n=18),
l’amélioration est également significative
(p < 0,001, écart des moyennes de 13,6
points).
Les résultats ne sont pas significatifs pour
les patients non déprimés initialement
(n=31). Notre étude ne permet pas de
mettre en évidence une dégradation de
l’humeur des participants non déprimés
initialement.
Discussion
Ces résultats sont importants sur plusieurs
plans.
Ils montrent tout d’abord que le choix fait
par Profamille de cibler spécifiquement
l’humeur des participants porte ses fruits :
en moyenne, l’humeur des participants
s’améliore entre le début et la fin du pro-
gramme et en particulier pour les plus dé-
primés d’entre eux. Le travail sur la ges-
tion des émotions et le développement de
cognitions adaptées (séances 7 à 11 en
particulier) semble donc efficace.
Il était par ailleurs important de vérifier
qu’en contrepartie d’une amélioration
pour les participants déprimés, l’humeur
des participants non déprimés ne pâtissait
pas du programme. Des participants ont
ainsi pu clairement exprimer verbalement
leurs craintes initiales : « si je parle de la
maladie, je vais aller moins bien ». Notre
étude ne permet pas de mettre en évidence
une dégradation de l’humeur pour ces su-
jets et ne valide donc pas cette inquiétude.
Enfin, il faut souligner que cette amélio-
ration de l’humeur est centrale parmi les
bénéfices attendus du programme. Les ef-
forts d’apprentissage demandés par le
programme, sur le plan théorique mais
aussi sur le plan des comportements, se-
ront facilités par la bonne santé psychique
des participants.
Le proche moins déprimé gère mieux le
stress aigu, les frustrations répétées, com-
munique mieux. Il peut observer les chan-
gements positifs et désapprend l’impuis-
sance. Par ailleurs, il apprend mieux les
apports de Profamille, les reproduit et les
maintient dans le temps. Ces différents as-
pects se renforcent mutuellement.
La figure 1 tente de représenter ces inte-
ractions.
Les conditions du changement pour le
malade sont alors réunies. Idéalement, il
ne subit plus de surprotection ni de sous-
stimulation, et l’aidant trouve une bonne
distance. Une étude complémentaire que
nous avons réalisée en 2015 permettait de
retrouver une amélioration statistique-
ment significative des capacités de coping
des participants (évaluées par le Family
Coping Questionnaire -Magliano et al.
1996), des connaissances (évaluées par un
auto-questionnaire spécifique au pro-
gramme).
Les bénéfices sont doubles : d’un côté la
famille est en meilleure santé et donc en
meilleur capacité d’apporter une aide
utile ; d’un autre côté, le proche acquiert
avec plus d’efficacité des connaissances
et des outils qui l’aideront à maintenir un
climat émotionnel favorable.
Conclusion
Notre étude a permis de mettre en évi-
dence une amélioration significative de
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 42
l’humeur des participants au programme
Profamille.
Une étude complémentaire (Tavares
2015a) a permis de confirmer que les as-
pects pédagogiques, psychologiques et
comportementaux du programme Profa-
mille s’articulent avec cohérence. Le
proche aidant, en moyenne, réagit mieux
face aux situations difficiles, connaît
mieux la maladie et ses conséquences, et
in fine adapte ses comportements -dans un
contexte global d’amélioration de son hu-
meur. Les bénéfices se retrouvent aussi du
côté du malade, dont les aptitudes et capa-
cités progressent. Ce double bénéfice il-
lustre de façon concrète le cadre théorique
dans lequel s’est développée la psychoé-
ducation familiale dans la schizophrénie,
qui montre l’importance des interactions
entre le malade et ses proches.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 43
Introduction
Pouvoir se voir, se regarder, accepter son
image, sa représentation face aux autres,
sont des difficultés souvent rencontrées
chez les patients psychotiques.
La possibilité d’accéder à ces capacités
parfois altérées peut être appréhendée à
travers l’imagination, la créativité, le dé-
passement de ses propres limites, etc.,
comme une opportunité d’avancer dans sa
prise en soin en accédant à la partie saine
de nos patients afin de les accompagner
vers des projets de réinsertion sociale, de
réhabilitation psychosociale et d’autono-
misation.
C’est à partir de ce postulat, que nous
avons choisi de travailler avec un nouvel
outil : la caméra. Ce médiateur s’est ré-
vélé un outil formidable et nous avons
souhaités vous faire part de notre expé-
rience à travers cet article.
Présentation
Le pôle de psychiatrie de Mantes compor-
tait deux hôpitaux de jour. Suite à des pro-
blèmes de locaux, les deux hôpitaux se
sont réunis en septembre 2014. La bruta-
lité du rapprochement a été source de con-
flits et de tensions assez importants. Com-
ment regrouper deux équipes aux fonc-
tionnements opposés et concepts de tra-
vail différents ?
C’est avec ces difficultés que le groupe Acteurs Studio est né.
Il s’est constitué à partir du désir des in-
firmiers des deux équipes de travailler au-
tour de la vidéo. Les soignants ont fait le
choix d’utiliser le conflit, la différence de
pratique, pour monter un groupe en-
semble. Nous avons réfléchi et collaboré
pendant plusieurs semaines afin de mettre
en commun les envies et les attentes de
chacun par rapport à ce groupe. Il s’est ra-
pidement avéré que les deux équipes
avaient une vision globale et assez simi-
laire des objectifs pour cet atelier, et c’est
très naturellement que les infirmières in-
téressées à mettre en œuvre ce groupe ont
pu se concerter et définir les fonctions de
chacune.
En effet, l’atelier est composé de trois in-
firmières, deux centrées plus sur la créati-
vité et l’écriture des scénarios tandis que
la troisième a un rôle plus axé sur la tech-
nique et le matériel. Le groupe étant nou-
veau, nous avons fait le choix pour cette
première expérience d’utiliser du matériel
personnel (caméra, logiciel vidéo), en es-
pérant selon l’avancée du groupe, pouvoir
obtenir un financement dans les mois à
venir pour l’achat de matériel adapté et
nécessaire à la continuité de l’atelier.
Les premières séances de travail, en
équipe réunifiée, ont permis de réfléchir
sur l’offre de soin de notre hôpital de jour
réuni qui avait déjà de nombreux ateliers
thérapeutiques. Il nous a semblé qu’il
manquait des ateliers permettant aux pa-
tients de se mettre en scène et de s’expri-
mer.
Lors de la création du groupe, il existait
déjà un groupe théâtre qui avait des objec-
tifs concomitants au groupe Acteurs stu-
dio mais qui, toutefois, n’étaient pas ac-
cessibles à certains de nos patients. C’est
dans cette optique que nous avons élaboré
les objectifs propres à notre groupe et à la
façon dont nous souhaitions le mener.
En effet, dans un premier temps, nous
avons voulu travailler autour de la restau-
ration narcissique à travers l’image de soi.
L’une des problématiques de nos patients
est d’arriver à exister en tant qu’individu
et non en tant que sujet malade. Si nous
définissons l’estime de soi comme étant
une adéquation entre l’amour du Moi (au-
trement dit le narcissisme) et l’idéal du
Moi (présentant un modèle d’identifica-
tion, qui décrit la satisfaction éprouvée
face à la représentation en étant conforme
aux représentations investies comme po-
sitives), nous pouvons accompagner le
patient à trouver ou à retrouver une image
de soi dans laquelle il ait assez confiance
pour s’autoriser à aller de l’avant. Prenons
l’exemple d’un patient que l’on nommera
Antoine, de nature plutôt introvertie et an-
goissée. Celui-ci a eu beaucoup de mal à
“jouer” un rôle mais, lors des répétitions,
il a été régulièrement sollicité et valorisé.
Si bien que, lors du visionnage du film
produit par le groupe, il se présente avec
un grand sourire disant que c’était bien,
sous-entendu « je me trouve bien », et
c’est alors qu’il nous demande quand
sera le prochain film ?
On peut comprendre cette situation, en
lien avec la pensée de Winnicott lorsqu’il
La fusion de deux hôpitaux de jour aux pratiques différentes n’est pas simple, il est parfois difficile de trouver une cohésion d’équipe. L’opportunité de créer un nouvel atelier thérapeutique nommé Acteurs Studio, basé sur l’utilisation de la vidéo, donne l’occasion à chacun d’apprendre sur la pratique de l’autre. Grâce à la mise en place conjointe de cet atelier, les soignants ont pu découvrir sur leur façon de travailler. Les infirmières référentes du groupe ont accompagné des patients psychotiques à travailler et dépasser leurs difficultés d’estime de soi en lien avec la représentation qu’ils ont d’eux-mêmes, en stimulant leur créativité et leur imagination et en développant la communication, en favorisant l’échange, tout ceci pour une participation intégrante et totale au projet du groupe par la concrétisation d’un film nommé “Où est le Nord ?”.
Mots clefs : imagination, créativité, dépassement des limites, réinsertion sociale, réhabilitation psychosociale, autonomie, restau-ration narcissique, estime de soi.
When caregivers are staging patients
The merger of two hospitals in day to different practices is not easy, it is sometimes difficult to find a team cohesion. The opportunity to create a new therapeutic workshop named Actors Studio, based on the use of video, gives the opportunity for everyone to learn about the practice of the other. Through setting up joint workshop, caregivers were able to discover on their way to work. Referent nurses of the Group were accompanied by psychotic patients to work and overcome their difficulties of self-esteem in connection with the representation that they themselves, by stimulating their creativity and their imaginations and develop communication by promoting exchange all this for an integral and total participation in the project of the group by the realization of a film named “Where is North?”.
Keywords: imagination, creativity, exceeding limits, social reinsertion, psychosocial rehabilitation, autonomy, narcissistic resto-ration, self esteem
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 44
LES AUTEURS
Stéphanie BARON Marie-Elodie DUBOST-VIEL Infirmières Hôpital de Jour Corot Hôpital F. Quesnay 1 boulevard Sully 78200 Mantes-la-Jolie France [email protected]
BIBLIOGRAPHIE
1. GRUNBERGER B., (1975), Le narcissisme, Payot, p. 19.
2. Klein M. (1989), L’amour, la culpabilité et le besoin de réparation, in L’amour et la haine, de Mélanie Klein et Joan Rivière, Petite Bibliothèque Payot, p. 145.
3. WINNICOTT D. W. (1986), Jeu et réalité. L’espace potentiel, Editions Gallimard, p. 155.
dit « Peut-être un bébé au sein ne re-
garde-t-il pas le sein ? Il est plus vraisem-
blable qu’il regarde le visage (...). Que
voit le bébé quand il tourne son regard
vers le visage de sa mère ? Généralement,
ce qu’il voit, c’est lui-même… » [3]. Nous
pensons que le cadre étayant et rassurant
du groupe a permis à ce patient de trouver
en lui une certaine estime de soi. D’autres
psychanalystes, en particulier Mélanie
Klein [2] et Bela Grunberger [1], nous ont
montré que l’amour de soi était une con-
dition indispensable pour s’ouvrir à la re-
lation objectale, c’est-à-dire à la relation
aux choses, aux autres et au savoir.
C’est à partir de ses réflexions que nous
avons pensé les objectifs suivants :
- relancer la créativité et le plaisir de
création,
- savoir se saisir de tout ce qui se passe
lors de l’atelier (dynamique du groupe,
ressentis, émotions, échanges, …),
- développer l’imaginaire, l’expression
de soi et la projection dans un person-
nage dans un but de valoriser le patient
et de diminuer l’isolement physique et /
ou psychique ainsi que l’autoriser à ac-
céder à une autre identité que celle de
malade,
- construire un projet commun et concret
et atteindre un niveau de reconnaissance,
auprès des autres patients de la structure
mais aussi au sein de la structure fami-
liale,
- aider à la reconstruction en favorisant
la perception que le patient a de lui-
même,
- rassurer, restaurer la confiance en soi et
l’estime de soi, réinvestir la réalité et
s’investir et s’impliquer sur l’extérieur,
- stimuler les fonctions cognitives et les
capacités sociales,
- redécouvrir son corps en tant qu’une
unité d’un ensemble,
- développer des techniques de commu-
nications verbales et non-verbales.
Impliquer les patients dans le champ artis-
tique, sous-tend une forte motivation et
une participation active lors de l’atteinte
d’un but précis : la production du film
comme objectif concret et l’opportunité
de le diffuser en public (professionnels du
pôle et familles) a permis une reconnais-
sance du travail fourni et surtout un inves-
tissement important des patients.
Une fois les objectifs pensés en commun,
nous nous sommes concentrées à la cons-
truction et au déroulement du groupe.
Nous avons décidé de partager la durée de
séances en 3 parties :
- écriture d’un scénario, par petits grou-
pes de 3à 4 personnes (45 mn)
- jeu et la mise en scène (45 mn)
- “débriefing” permettant de parler des
émotions ressenties lors du jeu, d’évo-
quer les difficultés rencontrées mais
aussi de stimuler et d’encourager les pa-
tients (30 mn).
Puis, nous avons réfléchi aux patients sus-
ceptibles de participer.
Cette étape nous a pris peu de temps car
nous étions d’accord sur les indications
des patients envisagés. Le plus difficile
fût finalement, lors de notre flash hebdo-
madaire en équipe complète, de présenter
notre projet d’atelier thérapeutique et de
proposer les patients pressentis. Il nous a
fallu longuement argumenter le bien-
fondé de l’indication de certains patients.
Une fois le groupe défini, nous avons ren-
contré chacun des 7 patients pressentis
lors d’un entretien individuel pour leur
présenter ce nouvel atelier et connaitre
leurs attentes. Tous ont eu l’envie de s’en-
gager dans cette aventure.
Pour respecter le cadre légal, nous avons
fait signer une autorisation de diffusion de
droit à l’image à chacun des participants.
Nous pensions rencontrer quelques réti-
cences de leur part, de celle des familles
ou des curateurs mais, à notre grande sur-
prise, il n’en a rien été.
Fin janvier 2015, le groupe commence.
Nous débutons la construction d’une his-
toire et d’un scénario. Rapidement, les
différents échanges entre les patients ont
permis la création d’un esprit d’équipe et
un lien de confiance entre eux et nous.
Cette cohésion a facilité le développe-
ment d’une communication entre eux en-
traînant une certaine aisance à jouer un
rôle, avec une capacité à différencier leurs
propres émotions et celles attribuées au
personnage, surprenante au regard de
leurs pathologies.
L’apport de la caméra s’est fait progressi-
vement au cours de séances afin d’habi-
tuer les patients à ce nouveau médiateur et
les préparer à intégrer la possibilité de
voir sa propre image et accepter qu’elle
soit regardée, observée, interprétée voire
critiquée par les autres. Tout un travail
préparatoire a été nécessaire pour arriver
à cette étape et éviter ainsi tout malaise ou
mal-être pouvant être engendré par son in-
troduction.
Il faut admettre que jouer un rôle devant
la caméra peut être un exercice difficile
pour les patients qui, au travers du jeu,
peuvent exprimer leurs fantasmes incons-
cients et leur agressivité. « C’est en jouant
et peut-être seulement quand il joue que
l’enfant ou l’adulte, est libre de se mon-
trer créatif » remarque Winnicott [3]. Il
précise que c’est un « processus exclusi-
vement intrapsychique et fantasmatique
où la représentation de soi est transférée
à une représentation de l’objet ». Comme
l’a défini Sigmund Freud à propos du
cadre de la cure, il s’agit de permettre un
transfert qui témoigne de la réalité psy-
chique interne du patient. Pour rendre ce
Quand les soignants mettent en scène les patients
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 45
transfert possible, il convient de mettre en
place un cadre thérapeutique, c’est-à-dire
faire en sorte que les éléments de la réalité
du patient n’interviennent pas directement
sur le soin. Cette réalité n’est prise en
compte qu’à travers la subjectivité du pa-
tient.
D’où l’importance de l’alliance thérapeu-
tique créée dans la relation de soin et de la
mise en place d’une distance thérapeu-
tique adéquate entre patients et soignants.
L’idée étant que les soignants amènent les
patients à l’individuation en tant que su-
jet, à travers l’étayage porté par les soi-
gnants qui occupent le rôle d’une “mère
suffisamment bonne” au sein du groupe.
Dans les années 30, Winnicott élabore dif-
férents concepts, notamment l’interaction
de l’enfant avec sa mère qui va lui per-
mettre de forger son Moi.
Il utilise la notion d’une “mère suffisam-
ment bonne” qui doit prodiguer à l’enfant
des soins (Handling) en lui permettant de
prendre conscience de son corps et qui
doit aussi apporter un soutien physique
(holding). Si la mère est “suffisamment
bonne”, il développera un « vrai-self » à
partir duquel il pourra réaliser son iden-
tité.
Mise en place
Nous sommes mi-février et l’hôpital de
jour organise pour la première fois en mai
une représentation de ses ateliers auprès
du pôle de psychiatrie et des familles dans
une salle de spectacle.
A cette occasion, le groupe Acteurs studio
est sollicité.
C’est avec ce challenge que nous com-
mençons la construction du scénario du
film. Celui–ci s’est fait de manière collé-
giale et chaque patient a pu apporter ses
idées de façon à se sentir investi dans ce
projet. Le choix de la thématique s’est
porté sur un film à suspense en mettant à
profit l’expérience de l’angoisse, senti-
ment connu par l’ensemble des patients
sans qu’ils soient forcément eux-mêmes
toujours angoissés même au moment des
séances. Le titre choisit est « Où est le
Nord ? ».
La distribution des rôles s’est faite en pre-
mière intention sur des personnalités dif-
férentes des leurs mais il s’est avéré que
les traits-forts de caractères principaux de
chaque patient sont finalement ressortis
dans le personnage en conservant tout de
même cette distance entre personnalité
propre et personnage.
D’un commun accord, il a été décidé que
notre présence et notre rôle se centreraient
sur l’accompagnement et l’encadrement
de l’atelier. Cette participation hors
champ n’a jamais dérangé les patients qui
avaient conscience d’être les acteurs prin-
cipaux du film et de l’atelier en général.
Bien au contraire, on peut penser que cette
présence soignante, rassurante, a facilité
le déploiement de contenu chez les pa-
tients, qui se sont sentis sécurisés par la
prise en charge exclusive du cadre par les
soignantes.
Au niveau du scénario, nous avons fait le
choix de laisser les patients libres de se
laisser à l’improvisation, avec la possibi-
lité de s’appuyer sur une phrase type no-
tée sur le script. Cette façon de fonction-
ner s’est montrée apaisante et leur a donné
une certaine souplesse et liberté dans la
façon de tourner et de s’approprier leur
rôle. Ce mode de fonctionnement a ren-
forcé la confiance avec l’équipe soignante
qui n’attendait pas la perfection et l’at-
teinte d’un résultat précis.
De ce fait, toutes les séances consacrées à
ce projet ont développé au fur et à mesure
une ambiance de groupe solidaire, atmos-
phère souvent ressentie dans les groupes
où les patients se “mettent à nu”.
De plus, de par leur investissement et leur
motivation, les patients ont répondu pré-
sents et se sont montrés actifs lorsqu’il
leur a été demandé de venir pour des
séances de tournage supplémentaires,
souvent hors planning. Ils ont été particu-
lièrement présents, participants et ont res-
pecté les consignes comme l’apport de
leurs tenues quelques semaines avant le
tournage. Le groupe s’est montré très pro-
ductif à l’annonce de ce projet et l’histoire
a été rapidement choisie.
Le scénario parle d’un groupe de randon-
neurs qui partent pour la journée accom-
pagné d’un guide.
Or, rien ne se passe comme prévu. Les
randonneurs, en fait un groupe d’amis,
sont accompagnés par un guide, François,
qui les emmène en forêt, mais celui-ci
perd vite ses repères et ne trouve plus le
nord. Jean-Pierre marié à Cinderella se
rapproche d’Isabelle, flattée par cette
marque d’attention. Claire, la meilleure
amie d’Isabelle se montre jalouse et ne
supporte pas l’attitude de son amie. Yacin
profite de la situation et essaye désespéré-
ment de séduire Claire sans succès. Jo-
seph, vieil ami de François est à l’origine
de cette randonnée. Lors de celle-ci, des
évènements étranges se produisent : des
disparitions curieuses notamment. Voilà
en quelques mots l’intrigue développée
par le groupe.
De la mi-février à la mi-avril, nous avons
travaillé sur la mise en scène du scénario
et le jeu d’acteur. Il est important de rap-
peler que l’introduction de la caméra ne
s’est faite que plus tard et de manière pro-
gressive au fur et à mesure des répétitions,
de façon à ce que les patients mémorisent
l’histoire et se familiarisent avec leur per-
sonnage. L’interaction entre eux s’est dé-
ployée assez facilement, résultat du tra-
vail élaboré tout au long des séances et a
permis un jeu de rôle assez juste et adapté.
Dès lors, la caméra a pu être introduite de
manière à habituer le groupe à sa présence
et envisager, enfin, le tournage en condi-
tion réelle. A chaque étape de travail, les
échanges se sont montrés de plus en plus
constructifs amenant les patients à bien
supporter le regard des autres, la critique
- positive comme négative – mais, surtout,
un lien de confiance s’est confirmé lors du
tournage, les uns connaissant les phrases
et les moments d’intervention des autres.
Réalisation
Pour le tournage, nous avons filmé en ex-
térieur et, pour ce faire, nous avions pro-
grammé plusieurs jours.
Or, le jour du tournage, les patients se sont
montrés très impliqués malgré la diffi-
culté de la tâche. Il faut rappeler que ce
sont des randonneurs dans l’histoire et
qu’il a fallu plusieurs prises pour obtenir
l’effet souhaité, ce qui veut dire qu’ils ont
beaucoup, beaucoup marché et jamais ils
ne sont plaints, alors qu’en temps normal,
il s’agit de patients plutôt apathiques.
Finalement, le tournage s’est effectué en
une seule journée. Les patients satisfaits
de pouvoir enfin concrétiser leur travail
ont montré un certain professionnalisme.
Une fois le tournage terminé, nous avons
mis les patients à contribution pour le
choix des prises de vues lors du montage,
toujours en maintenant cette cohésion
créée par le film, de façon à les impliquer
à toutes les étapes du projet commun.
Cela nous a donné un film de 22 minutes
au lieu des 15 envisagées.
Un peu intimidés lors des premières dif-
fusions, ils ont au fur à mesure développé
un esprit critique et su apprécier à juste
titre leur prestation et leur travail.
Lors de la diffusion du film au spectacle,
les patients ont eu de nombreux retours
positifs des familles, des soignants et des
autres patients ce qui a été très valorisant
pour des personnes ayant peu l’occasion
de se mettre en valeur, et a été source de
fierté et de satisfaction pour chacun. Cela
a également suscité chez d’autres patients
l’envie de vivre à leur tour cette expé-
rience si enrichissante et constructive.
Nous sommes début juin. Le groupe n’est
pas terminé, il nous reste un mois avant la
fin du groupe qui fera une pause pendant
l’été. La construction du film ayant été
menée à bien, nous avons eu l’idée de pro-
poser un travail sur des publicités. Nous
avons demandé aux patients de créer une
publicité plutôt humoristique et une plutôt
classique autour d’un même produit.
Mais dès la première séance, nous consta-
tons une baisse manifeste d’investisse-
ment et de créativité. Ils sont de moins en
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 46
moins assidus, on note beaucoup d’absen-
téisme et le groupe s’arrête ainsi.
L’été se passe, période qui est l’occasion
chaque année de mettre en place des ate-
liers ponctuels. Nous avons ainsi créé un
groupe Jeux de mimes lors duquel nous
demandions aux patients, par petits
groupes, de jouer une scénette préalable-
ment définie. Ce groupe était ouvert à tous
les patients, afin de se faire une idée de
ceux étant susceptibles de pouvoir inté-
grer notre groupe à la rentrée.
Fort du résultat, nous avons pu intégrer 3
nouveaux patients aux 7 déjà présents
dans le groupe. Nous nous orientons, en
effet, vers un agrandissement du groupe et
la production d’un second film.
Conclusion
Le groupe Acteurs studio est un jeune
groupe qui a su tirer profit d’une situation
difficile pour inventer un nouveau dispo-
sitif de soins. L’engouement provoqué par
le film auprès du public ainsi que la moti-
vation et l’envie du groupe dans l’inves-
tissement et la réussite de ce premier film
ont permis de concrétiser cette fusion des
deux hôpitaux de jour “au pas de course”,
pour les soignants mais aussi pour les pa-
tients, en la transformant en quelque
chose de positif.
Il convient de pointer que la finalité du
projet a été un moteur des plus stimulants
pour nos patients et a mis l’équipe soi-
gnante sous tension pour produire un ré-
sultat satisfaisant. En effet, chacun a dû
puiser au fond de ses réserves psychiques
et émotionnelles pour développer ses ca-
pacités de dépassement et de sublimation.
A la reprise du groupe en septembre, nous
avons émis le souhait d’assister au festival
Vidéo psy en santé mentale à la Villette
en novembre 2015 afin de pouvoir ren-
contrer d’autres équipes et de découvrir le
travail d’autres structures de psychiatrie.
Pour autant, la pérennité de cet atelier thé-
rapeutique n’est pas acquise aux vues de
la situation économique de l’hôpital. En
effet, aujourd’hui, nous ne sommes pas
sûres d’obtenir les fonds nécessaires à la
poursuite du groupe pour l’achat du maté-
riel.
Il reste que cette expérience innovante
laissera une trace stimulante à l’hôpital de
jour et source, nous le souhaitons, d’une
certaine émulation.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 47
Introduction
Chacun de nous a sa propre ligne mélo-
dique, son rythme, son tempo. Cette mé-
lodie nous caractérise comme individu de
manière unique. Elle s’exprime notam-
ment dans notre relation avec la nourri-
ture, une relation de nature archaïque et
complexe. Nous mangeons trop ou pas as-
sez, parfois jusqu’à nous mettre en dan-
ger. Avec le temps, certaines personnes -
nos patients -, à force de rejouer leur mé-
lodie trop souvent de la même manière, ne
savent plus comment faire pour la jouer
d’une façon différente.
Cette mélodie caractérise l’expression de
la souffrance des patients, mais également
leur manière de demander de l’aide, d’en-
trer en soin, d’accepter du soutien et un
cadre thérapeutique, de s’engager dans un
processus de guérison, de s’adapter au
changement et de quitter la relation
d’aide. La mélodie du patient est compo-
sée d’un côté, de répétitions et de retours
à l’identique, et, de l’autre côté, d’une or-
ganisation singulière de la temporalité.
En psychothérapie, la mélodie du patient
rencontre la mélodie du soignant, les deux
s’expriment, se mêlent, se lient. Chacune
de ces rencontres est unique. En décrivant
la rencontre entre une mère et son enfant,
Daniel Stern utilise la métaphore d’une
chorégraphie musicale pour décrire les re-
lations mère-bébé ou thérapeute-patient.
Les accordages et les ajustements de cette
chorégraphie visent à trouver ou à créer le
rythme qui soutiendra la rencontre inter-
subjective, la communauté d’expérience,
le partage d’expérience (Ciccone, 2006).
Dans cette rencontre, l’improvisation du
patient consiste à avancer sans cesse dans
sa phrase musicale, en ayant l’impression
de se tromper à tout moment, mais de se
rattraper à chaque instant. L’intensité et le
rythme des soins se doivent d’être iso-
morphes à cette dynamique émotionnelle.
Le rythme comme base de sécurité
Une infirmière décrit sa rencontre avec
une jeune patiente anorexique au sein de
l’unité hospitalière des Espaces de soins
pour les troubles du comportement ali-
mentaire (ESCAL) des Hôpitaux univer-
sitaires de Genève. Mlle A. arrive dans le
service, accompagnée par sa mère. Elle
est admise en hospitalisation non volon-
taire. La mère exprime son sentiment
d’impuissance face aux malaises à répéti-
tion de sa fille, qui mange une galette de
riz le matin et boit des jus et de l’eau le
reste de la journée. L’infirmière accom-
pagne la patiente pendant les repas en
chambre pour éviter le dégoût face aux as-
siettes des autres. La première semaine, la
patiente est en observation sans obligation
de manger. Le but est d’éviter un syn-
drome de renutrition : ¼ d’une portion
normale est servie. « Mlle A. me dit avoir
des angoisses dès qu’elle entend la sonne-
rie retentir au sein de l’unité à 8h, elle sait
que ce sont les chariots repas qui arri-
vent. Elle nécessite un calmant pour dimi-
nuer ses pensées obsessionnelles. Mlle A.
décide de regarder le plateau repas, me
dit être rassurée de voir qu’un quart du
plateau. Elle commence par enlever le
surplus de mie de pain puis elle effleure le
couteau de beurre sur son pain et boit
normalement son thé. Pendant le repas, la
patiente me raconte le divorce de ses pa-
rents, sa relation avec ses parents et ses
frères et sœurs et m’avoue à la fin du re-
pas que cela lui permet de ne pas penser
à ce qu’elle mange. »
Après le repas, l’infirmière débarrasse le
plateau. La patiente est allongée sur son
lit en pleurs. « Elle me dit ne pas se sentir
bien, et avoir l’impression de ressembler
à E.T., notamment le gros ventre... me dit
aussi avoir l’impression d’avoir un ventre
de femme enceinte... Je lui rappelle que
son BMI est inférieur à la moyenne,
qu’elle présente une atrophie cérébrale et
que son bilan sanguin présente des
troubles électrolytiques. La patiente est
d’accord avec les données que je lui an-
nonce mais me dit avoir tout de même ses
ruminations. »
L’infirmière lui propose des techniques
de relaxation, elle a pu observer dans la
chambre que la patiente a des huiles es-
sentielles. Puis elle lui accorde un temps
de repos. Sachant qu’elle doit passer régu-
lièrement pendant cette heure afin de vé-
rifier que la patiente ne se lève pas ou
fasse des exercices abdominaux. Le res-
pect du rythme de la patiente lui offre une
base de sécurité. Daniel Stern dirait que
pour cela, l’objet ne doit pas s’absenter un
temps au-delà duquel le bébé est capable
d’en garder le souvenir vivant. L’objet ne
doit pas démentir la promesse de retrou-
vaille, et la retrouvaille doit s’effectuer de
manière rythmique, et à un rythme qui ga-
rantisse la continuité (Ciccone, 2006).
Deux mois plus tard, la patiente est sortie
de l’unité hospitalière et intègre l’hôpital
de jour d’ESCAL. Elle participe à présent
Chaque patient a son rythme et évolue selon sa propre mélodie. La rencontre psychothérapeutique nécessite un accordage et ajustement constant du rythme du dispositif de soin à celui du patient. Les programmes des Espaces de soins pour les troubles du comportement alimentaire (ESCAL) offrent au patient la possibilité d’une chorégraphie personnalisée, modulable selon ses besoins, son évolution clinique et les indications médicales du moment. Afin de garantir la synchronisation du rythme des soins avec la mélodie du patient, il importe d’accorder les objectifs et les délais psychothérapeutiques dans une relation de co-expertise entre le patient et l’équipe soignante. La modulation du rythme nécessite un jonglage constant entre continuité et rupture de l’intensité thérapeutique, les fausses-notes faisant partie intégrante du processus.
Mots-clés : Trouble du comportement alimentaire, intensité des soins, rythmicité, rencontre psychothérapeutique
Day hospital: same treatment for everyone or treatment “à la carte”?
Each patient has his own rhythm and evolves according to his own melody. The psychotherapeutic relationship needs constant attunement and adjustment between the care setting and the patient’s rhythm. The treatment program of the “Espaces des troubles du comportement alimentaire” (ESCAL) offers the patient the possibility of a personalized choreography, customized according to his needs, the evolution of his clinical state and the actual medical indications. To ensure the synchronicity between the care intensity and the patient’s melody, it is necessary to tune the psychotherapeutic treatment objectives and deadlines, within a co-expertise relationship between the patient and the caregiving team. The modulation of the rhythm requires a continuous juggling between continuity and interruption of care intensity. Hitting the false note is an integral part of the process.
Keywords: Eating disorders, intensity of care, rhythmicity, psychotherapeutic relationship
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 48
LES AUTEURS
Kerstin WEBER Michèle CHARTRIN Anne-Charlotte PAPORÉ Eric VERGER Alessandra CANUTO
Espaces de soins des troubles du comportement alimentaire (ESCAL) 15, rue des Pitons 1205 Genève Suisse
BIBLIOGRAPHIE
1. AUSLOOS G. (1995), La compétence des fa-milles : temps, chaos, processus, Toulouse : Erès Relations, 174 p.
2. CICCONE A. (2006), Partage d’expériences et rythmicité dans le travail de subjectiva-tion, Le Carnet PSY, 109, pp. 29-34
3. DELLUCCI H. (2014), Psychotraumatologie centrée compétences, Thérapie Familiale ; 35, pp. 193-226.
4. FRAMBATI L., PLUCHART K., WEBER K., CANUTO A. (2014), Quand les mains parlent : le jeu de sable, Rev Med Suisse ; 385-388
5. MEKUI C., WEBER K. (2015), Troubles du comportement alimentaire et prise en charge en hôpital de jour psychiatrique, Rev Med Suisse ; pp. 406-408
6. ONNIS L. (2013), Anorexie et boulimie, le temps suspendu. Individu, famille et société, Paris : De Boeck, 336p.
aux repas en groupe. Dans la salle à man-
ger commune, elle aide à mettre la table
pour les autres patients et les soignants
dans la salle à manger. Elle angoisse face
à ce moment de convivialité, d’échange,
de partage. Elle se sent terriblement seule
avec les autres. Elle se sert elle-même son
assiette. Très peu de féculents, beaucoup
de légumes. Les jours suivants, un tout pe-
tit peu plus de féculents, toujours beau-
coup de légumes. Et elle boit de l’eau,
toujours de l’eau.
Sa nouvelle infirmière référente raconte à
nouveau la rencontre. « Un jour, en man-
geant mon orange, grosse, juteuse, appé-
tissante, je lui tends un quartier. Elle le
goûte, le termine, l’avale. Trois semaines
plus tard, elle peut déjà manger trois
quartiers en ma compagnie. Après 3 mois,
elle se sert elle-même une orange entière
et m’en tend une par la même occasion...
Elle se demande comment elle pourrait
arriver à faire de même à la maison... »
Une chorégraphie personnalisée
Cette vignette clinique illustre l’évolution
de la mélodie de la patiente et la modula-
tion de la rencontre thérapeutique par
l’équipe de soins pour accompagner les
changements progressifs de l’état clinique
de la patiente. Le programme ESCAL
(www.escal.ch) s’adresse à toute per-
sonne dès 16 ans exprimant une souf-
france psychologique à travers un trouble
du comportement alimentaire (associé ou
non à d’autres problématiques psy-
chiques). Il offre une porte d’entrée
unique, une évaluation multidisciplinaire,
puis ensuite une orientation de la prise en
soins selon les besoins identifiés.
L’intensité et le rythme des soins sont
ainsi à tout moment adaptés et modulés
selon les besoins du patient, afin de tenir
compte au mieux de son évolution cli-
nique. Trois niveaux de prise en soins sont
à disposition :
- La Consultation offre une prise en
soins psychothérapeutique individuelle
et groupale, à travers des approches di-
verses (thérapie cognitivo-comporte-
mentale, psychothérapie psychodyna-
mique, thérapie par le jeu de sable, thé-
rapie de famille).
- L’Hôpital de jour, sur le modèle de la
communauté thérapeutique, propose une
approche intensive (plusieurs jours par
semaine) en individuel et en groupe. La
psychothérapie, la psychomotricité, l’er-
gothérapie et la thérapie par le jeu de
sable sont les axes d’intervention de
l’équipe multidisciplinaire (Mekui &
Weber, 2014).
- L’Unité de psychiatrie hospitalière
adulte accueille les personnes nécessi-
tant des soins en milieu hospitalier. Elle
possède des compétences à la fois psy-
chiatriques et somatiques.
Des approches transversales (groupe mul-
tifamilial, auto-traitement par Internet,
travail en réseau) s’intègrent dans les trois
niveaux de soins.
Accordage des instruments
Un autre patient, âgé de 17 ans, ne vient
plus à l’hôpital de jour. Il consulte aux ur-
gences psychiatriques, ayant mis son état
de santé en danger. Trop de vomissements
ont fait ralentir son cœur. Après avoir sta-
bilisé ses constantes vitales, l’équipe des
urgences psychiatriques le ré-adresse à
l’hôpital de jour pour une nouvelle éva-
luation.
A travers des productions dans le groupe
de psychothérapie par le jeu de sable
(Frambati et coll., 2014), le patient ex-
prime son ambivalence face aux soins. Il
dit avoir besoin d’aide, mais il redoute
l’intensité de ses soins.
« Je ne veux pas être hospitalisé à nou-
veau, j’ai besoin d’aide… mais je ne veux
pas annuler mes vacances... »
Il pose deux murs faits des petits mor-
ceaux mobiles entre lui (pantin en bois) et
tous les intervenants de son suivi, l’équipe
de l’hôpital de jour, la psychologue sco-
laire, le thérapeute de famille, le doyen de
l’école, le médecin traitant, etc.
Une autre patiente du groupe lui propose
« Pourquoi tu ne penses pas à la possibi-
lité d’enlever un morceau à la fois au lieu
de penser de les abattre tous d’un
coup ? ». En retirant une brique du mur, il
explique aux membres du groupe qu’il y
a qu’une seule possibilité d’ouverture
pour lui, une seule proposition de soins à
la fois. Il illustre ainsi clairement qu’il ne
sert à rien de multiplier les intervenants,
L’hôpital de jour : un menu unique ou des soins à la carte ?
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 49
et de jongler avec différents lieux et inten-
sités de soins. Le patient ne peut se mon-
trer disponible que pour un seul projet à la
fois.
Cette vignette illustre comment les instru-
ments s’accordent parfois difficilement.
Tout accordage demande d’abord de ré-
gler les instruments du patient et des soi-
gnants et de déterminer la note selon la-
quelle les instruments seront accordés.
Dans notre cas, il s’agit de définir si le but
du suivi du trouble du comportement ali-
mentaire sera la reprise d’un poids dans la
norme, la résorption des symptômes dé-
pressifs, la normalisation des valeurs mé-
taboliques et du rythme cardiaque, l’amé-
lioration de la qualité de vie, ou la reprise
de l’école ou du travail ?
Deuxièmement, il importe de fixer un dé-
lai pour l’objectif retenu, afin d’accorder
le tempo de la mélodie et le degré d’ur-
gence. Or, ce délai varie selon l’état de
santé physique du patient, les exigences
familiales, les limites fixées par l’école ou
l’employeur et enfin des contraintes des
assurances maladie. Luigi Onnis (2013)
souligne que toute chorégraphie est orga-
nisée par une logique familiale, une lo-
gique qui dit comment les membres doi-
vent se comporter dans la famille, mais
aussi comment ils doivent sentir, ressentir
et même penser. Souvent, il s’agit d’une
logique, d’un mythe, qui exalte l’unité et
l’harmonie familiale et qu’il faut mainte-
nir à tout prix. Le fantasme de rupture est
constamment présent avec la peur qu’une
manifestation conflictuelle menace et
rompt la chorégraphie familiale. Ainsi,
l’adhésion du patient à la chorégraphie fa-
miliale est profonde, et il est indispen-
sable de composer avec cette chorégra-
phie dans tout objectif thérapeutique du
patient et du délai associé.
Le positionnement thérapeutique est
orienté vers les compétences et les res-
sources, l’équipe psychothérapeutique et
le patient travaillent ensemble avec une
expertise partagée, mais différente. Dans
cette relation de co-expertise, les théra-
peutes, avec tout ce qu’ils ont appris, leur
expérience, leurs acquis, leurs ressources,
sont expert que de la thérapie en général.
La personne est experte de sa vie dans son
contexte, de ses ressources et de son
symptôme et, par là même, capable d’éva-
luer les procédés de sa thérapie (Ausloos,
1995 ; Dellucci, 2014).
De cette expertise partagée découle égale-
ment la notion de responsabilité partagée :
le thérapeute est responsable d’un cadre
de travail sécurisant et de la mise en place
de bonnes conditions de travail, sans les-
quels il serait illusoire de demander à des
personnes, même motivées, de se mettre
au travail. La personne, elle, est respon-
sable du contenu qu’elle amène en théra-
pie et des changements dans sa vie.
Modulation du rythme
Une fois les instruments accordés, la mé-
lodie se joue, se rejoue, s’affine et se per-
fectionne, toujours en adaptant le rythme
des soins au plus près de l’état, des res-
sources et des limites du patient et des
équipes. Afin de réussir la modulation de
ce rythme, le programme ESCAL concilie
deux dynamiques, respectant à la fois la
continuité et la rupture du rythme.
A tous les niveaux d’intensité et à chacun
des trois niveaux, que ce soit à la consul-
tation, à l’hôpital de jour ou dans l’unité
hospitalière, tous les types de troubles ali-
mentaires sont confondus. Tout au long
du suivi, la prise en charge est pluridisci-
plinaire, l’approche est globale, tenant
compte de la personne dans son entièreté
avec des axes de travail à la fois corporels,
verbaux et artistiques. Les temps indivi-
duels alternent avec les espaces psycho-
thérapeutiques de groupe. Le travail en ré-
seau et avec les familles et les autres in-
tervenants extérieur (médecin traitant,
école, etc.) se poursuit lorsque le patient
passe d’un des trois niveaux à un autre.
Simultanément, cette continuité est vo-
lontairement interrompue pour souligner
l’évolution de l’état clinique, que ce soit
la survenue d’un moment de crise ou
l’amélioration du trouble. L’intensité du
suivi peut être à tout moment accrue ou
diminuée, selon un gradient allant d’un
entretien d’une heure de Consultation en
passant par un suivi semi-intensif de 3-4
demi-journées en hôpital de jour et, ce,
jusqu’à une hospitalisation temps com-
plet.
De même, la fréquence peut être modulée
et varie d’un rythme hebdomadaire à quo-
tidien à un rythme de jour ou de jour et
nuit. Les délimitations avec l’extérieur du
lieu de soins, la contenance et la sécurité
offertes par les soins sont modulées pour
favoriser l’autonomie du patient, allant
d’espaces ouverts et libres d’accès aux
chambres avec contacteurs et un contrôle
alimentaire et hydrique strict. La perméa-
bilité entre le lieu de soin et l’environne-
ment se diminue ou s’accroît selon les in-
dications et les besoins du moment.
La rythmicité est une succession d’enga-
gements et de retraits (Ciccone, 2006). Un
sur-engagement continu conduira à la dé-
pendance, si les anticipations sont trop
confirmées, le jeu devient monotone.
C’est dans le manque que naît l’anticipa-
tion, l’autonomie.
C’est là que commence, potentiellement,
le ludique.
Potentiellement, car l’écart peut être an-
goissant, faire craindre le manque, la soli-
tude. Or, si après le défaut survient les re-
trouvailles, l’écart produit de la jubilation,
du plaisir.
Les fausses notes
Mme A, 27 ans, est accompagnée à sa pre-
mière évaluation par trois amis, à vélo.
Les amis souhaitent qu’elle soit prise en
soins car elle est très maigre et tellement
faible qu’elle tombe de son vélo.
Suite à l’évaluation, la patiente est orien-
tée vers le service des urgences qui lui
sauve la vie et elle est ensuite admise à
l’unité hospitalière d’ESCAL. Après plu-
sieurs mois à l’hôpital, Mme A. a repris
quelques kilos et, sortie de l’hôpital, elle
intègre le programme de l’hôpital de jour
d’ESCAL.
Mme A décrit ce changement d’intensité
comme une bouffée d’air, une façon de
sortir la tête de l’eau. Or, après quelques
semaines à l’hôpital de jour, Mme A. a de
nouveau perdu du poids. Elle est ré-hos-
pitalisée. Elle sortira à nouveau après
quelques semaines, mais refusera cette
fois-ci tout nouveau suivi à l’hôpital de
jour. Elle tient cependant à venir dire « au
revoir ! » à l’équipe de l’hôpital de jour.
Sur son choix, elle sera suivie en cabinet
privé hors ESCAL.
Il y a de nombreux “faux-pas” dans les
danses chorégraphiques.
La majorité des interactions sont des inte-
ractions d’ajustement.
Selon Ciccone (2006), les microanalyses
des interactions révèlent que les trois-
quarts environ sont des interactions
d’ajustement. Seuls un quart des interac-
tions sont des interactions de communica-
tion, ou de communion.
Autrement dit, il est normal de se rater, la
dysrythmie est normale.
Conclusion
Albert Ciccone (2006) souligne que le
partage émotionnel et affectif repose sur
et suppose l’implication, contrairement à
l’explication. Seule l’implication permet
la rencontre et la compréhension. Un pa-
tient qui ne se sent pas compris d’un autre
ne peut pas en apprendre quelque chose.
On ne peut rien apprendre de quelqu’un
qui ne nous comprend pas, même s’il sait
très bien tout nous expliquer.
La position clinique, thérapeutique et ses
effets de soin supposent une implication,
un accordage, un ajustement (se mettre au
plus juste et renvoyer le plus juste de l’ex-
périence subjective, affective, émotion-
nelle de l’autre), qui conduit à un partage
suffisant (pas trop mais suffisant) de l’ex-
périence subjective pour produire une
compréhension.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 50
Introduction
On entend souvent que les hôpitaux de
jours pour enfants en pédopsychiatrie sont
des lieux clos, peu perméables et pas as-
sez ouverts sur l’extérieur. Si cette “im-
perméabilité” permet une contenance psy-
chique des troubles psychotiques des en-
fants accueillis, il n’en est pas moins vrai
qu’une nécessité d’ouverture vers l’exté-
rieur semble de nos jours de plus en plus
d’actualité.
Le cas d’un jeune accueilli à l’hôpital de
jour, que nous nommerons Denzel, a été
pour nous l’occasion de nous questionner
sur nos pratiques et à nous encourager à la
créativité en le replaçant, lui et sa mère,
au centre du soins institutionnel par le
biais d’une visite à domicile réalisée par
son infirmière référente. Cet effort d’ou-
verture s’est fait naturellement en permet-
tant à l’institution d’être au service du pa-
tient.
Nous vous proposons, après une courte
présentation de l’hôpital de jour, de vous
montrer, à partir du cas clinique de Den-
zel, comment l’inattendu de la situation a
permis une évolution de nos pratiques en
nous offrant l’opportunité d’une nouvelle
ouverture vers l’extérieur par le biais de
visite à domicile réalisée par les infirmiers
de l’hôpital de jour.
Présentation de l’hôpital de jour
L’hôpital de jour de Cormelles le Royal
est une unité du secteur de pédopsychia-
trie Caen-Falaise qui appartient au pôle de
pédopsychiatrie de l’Etablissement Public
de Santé Mentale de Caen. Nous accueil-
lons des enfants âgés de 3 à 11 ans présen-
tant des pathologies diverses telle que des
troubles envahissants du développement,
des troubles de l’attachement, des dyshar-
monies psychotiques, ou des troubles
graves de la personnalité.
L’équipe soignante se compose de trois
infirmiers, de deux aides médico-psycho-
logiques, d’une aide-soignante et d’une
maitresse de maison qui sont présents tous
les jours sur les temps d’ouverture de
l’hôpital de jour. Elle comprend égale-
ment une cadre de santé, un psychiatre, un
psychologue et une assistante sociale qui
interviennent régulièrement sur l’hôpital
de jour dans la semaine.
L’hôpital de jour accueille actuellement
14 enfants avec une prise en charge sous
forme de journée complète ou de demi-
journée. Nous fonctionnons avec des ate-
liers à médiation thérapeutique qui sont
menés par 2 soignants pour des groupes
de 2, 3 ou 4 enfants.
La prise en charge des enfants suivis à
l’hôpital de jour repose sur un axe théra-
peutique, un axe éducatif et un axe péda-
gogique ou scolaire.
Un système de référence des enfants par
un soignant et un co-référent est mis en
place à l’arrivée de l’enfant. Aucune visite
à domicile n’était pratiquée à l’hôpital de
jour par les soignants. Celles qui pou-
vaient avoir lieu étaient effectuées par
l’assistante sociale.
La situation de Denzel a été l’occasion
d’instaurer cette “nouvelle” pratique, la
visite à domicile par un soignant.
Présentation de Denzel
Denzel est né en juin 2011, il a au-
jourd’hui 4 ans.
Il consulte pour la première fois en dé-
cembre 2013 pour un retard global de dé-
veloppement affectant notamment l’ac-
tualisation du langage et s’accompagnant
d’un trouble relationnel majeur et d’une
agitation psychomotrice nécessitant une
contenance permanente.
Le contexte familial et social est très pré-
caire. Sa mère, d’origine Malienne, est ve-
nue seule en France enceinte pour fuir un
mari violent et ce en désaccord avec sa fa-
mille. L’accouchement a lieu 48 heures
après son arrivée sur le territoire Français
à 32 semaines d’aménorrhée. S’en suit
une hospitalisation d’un mois du nou-
veau-né pour une maladie des membranes
hyalines. Il est à noter que le bilan soma-
tique de Denzel, comprenant un élec-
troencéphalogramme, des potentiels évo-
qués auditifs et une échographie trans-
fontanellaire, est normal.
Denzel et sa mère sont ensuite initiale-
ment pris en charge par le Centre d’ac-
cueil de demandeurs d’asile puis sa mère
obtient un droit de séjour au titre d’ac-
compagnante d’un enfant malade et ils
sont alors hébergés par le 115 (durant sa
prise en charge, leur appartement restera
le même).
Cet article a pour but de vous montrer la créativité dont a fait preuve l’hôpital de jour de Cormelles le Royal par l’instauration de visite à domicile par des soignants. L’un des enfants accueillis a beaucoup questionné l’équipe de l’hôpital de jour notamment en raison de sa situation familiale et de ses troubles. En ce sens, nos interrogations ont rejoint celles des équipes l’ayant précédemment ou conjointement pris en charge. Ainsi nous souhaitons vous faire partager le cheminement clinique qui a abouti à cette visite à domicile et vous la présenter.
Mots- clefs : hôpital de jour, enfant, visite à domicile, psychose, créativité, ouverture, trouble envahissant du développement, pédopsychiatrie, retard global de développement
Home visits, when clinical facts brings the day hospital for children to open itself to the outside and to be creative
The aim of this article is to show how the creativity of the day hospital of Cormelles le Royal led to the instauration of home visits by its caregivers. One of the children we are taking care of questioned a lot the team because of his mental disorders and family situation. Our interrogations were the same has the teams that had previously or jointly taken care of him. We would like to share the clinical path that has led to this home visit and give a brief view of the visit itself.
Keywords: day hospital, children, home visit, psychosis, creativity, pervasive development disorder, child psychiatry, global de-velopment delay.
Keywords: Eating disorders, intensity of care, rhythmicity, psychotherapeutic relationship
Visite à domicile, ou quand la clinique amène l’hôpital de jour pour enfant à s’ouvrir et se montrer créatif
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 51
Sur le plan clinique, l’évaluation initiale
montre une absence de réactions aux sol-
licitations (aucune réaction verbale, ni vi-
suelle de sa part), une absence d’investis-
sement du jeu et la nécessité d’une conte-
nance permanente au domicile car il pré-
sente des conduite auto-agressives (ingère
ses excréments et se tape la tête contre les
murs).
Une hospitalisation à temps complet à vi-
sée évaluative est programmée et des
soins sont mis en place au sein du service
(groupe thérapeutique bi-hebdomadaire et
prise en charge individuelle) en attendant
une hospitalisation de jour.
En avril 2014, la mère de Denzel est hos-
pitalisée en urgence pour un pneumotho-
rax ce qui entraine le placement en foyer
de Denzel.
Devant les difficultés du foyer à le conte-
nir malgré un renforcement de l’équipe,
l’hospitalisation à temps complet se fait
en urgence. Après une évaluation de deux
semaines et devant l’amélioration du ta-
bleau clinique dans le contexte d’un cadre
hospitalier sécure, les soins se poursui-
vent en ambulatoire conjointement à des
temps d’hospitalisation séquentielle jus-
qu’en novembre 2014, date du début de
l’hospitalisation de jour.
A son arrivée à l’hôpital de jour
Sur le plan symptomatique on note une
agitation psychomotrice modérée, exacer-
bée par la présence de sa mère. Denzel ga-
zouille, ne parle pas mais est en mesure de
pointer pour se faire comprendre. Il a ten-
dance à coller l’adulte et ne cherche pas le
contact de ses pairs (il ne les rejette pas et
peut même les imiter à postériori ou se
saisir des jouets qu’ils ont utilisé). On
note une ébauche de jeu symbolique qui
se construira en cours de prise en charge.
La propreté diurne est acquise mais pas
nocturne. La séparation ne semble pas af-
fecter Denzel, ce qui avait déjà été ob-
servé lors de l’hospitalisation à temps
complet.
Parallèlement aux soins, une scolarité en
classe passerelle se met en place. Des dif-
ficultés sont rapidement pointées et la pré-
sence d’une Auxiliaire de Vie Scolaire est
nécessaire.
Les rencontres avec la mère sont régu-
lières par le biais d’entretiens médicaux
en présence de son infirmière référente.
Le lien mère/fils semble pathologique (un
peu comme si le lien primaire ne s’était
pas mis en place). Cette maman ne met
pas les choses en mots. Les affects ne sont
pas exprimés verbalement et quasi ab-
sents physiquement voire même, par mo-
ment, discordants. Son récit n’est pas
teinté d’émotion et reste très vide et assez
flou. Elle semble de bonne volonté et ac-
cepte les soins et les conseils prodigués
sans forcément s’en saisir et les mettre en
œuvre. Elle se montre peu accessible à
l’élaboration (malgré la volonté de bien
faire les choses).
Parallèlement à ces rencontres, il nous
semble que Denzel progresse. Il se montre
moins agité, est plus en relation avec les
autres enfants et est en recherche de celle-
ci. Les premiers mots apparaissent. Cette
évolution positive est également observée
à l’école.
Au domicile, la mère est en mesure de
percevoir quelques progrès mais, globale-
ment, le tableau qu’elle dépeint semble
peu évoluer (contenance quasi perma-
nente, mise en danger). Les échanges sont
peu informatifs sur le plan clinique mais
nous tentons tout de même d’appréhender
au mieux cette relation mère/fils par le
biais de son parcours de vie et de sa cul-
ture. Malgré nos efforts pour étayer au
mieux cette mère, elle se montre de plus
en plus épuisée et nous lui faisons part de
notre inquiétude.
Devant l’épuisement maternel, le peu
d’informations que celle-ci est en mesure
de nous donner et, enfin, son appréhen-
sion plutôt dramatique de la situation, il
nous paraît important de réfléchir à
d’autres modalités d’intervention. Après
concertation et échanges au sein de
l’équipe, nous envisageons de proposer
une visite à domicile par l’infirmière réfé-
rente, eu égard à plusieurs questions qui
se posent :
- Tout d’abord, qu’en est-il du cadre
éducatif au domicile ? En effet, nous
avons été informés à plusieurs reprises
des difficultés comportementales au do-
micile (mise en danger, fugue). Sa mère
peut dire que c’est difficile, que son fils
s’agite beaucoup, qu’il se tape la tête
contre les murs, qu’il dérange tout, qu’il
jette les objets, qu’il ne parle pas, qu’il
s’endort le soir par épuisement, alors
qu’à l’hôpital de jour il semble plus posé
et calme ne présentant que peu de mo-
ments d’agitation.
- Ensuite, se pose la question du lien
mère/fils devant l’absence d’émotion et
d’ajustement maternel dans les interac-
tions dont nous sommes les témoins.
Ainsi, lors des retrouvailles avec sa
mère, Denzel peut manifester des émo-
tions en se mettant à courir ou en se je-
tant sur elle. Du côté de sa mère, nous ne
ressentons aucun affect. Notre regard sur
ce lien qui semble perturbé est croisé
avec celui de l’équipe de l’hospitalisa-
tion à temps complet (nombreux progrès
de Denzel durant l’hospitalisation et ab-
sence de prise de nouvelles de sa mère et
absence de désir de revoir son enfant)
Nous notons également une certaine dif-
férence d’appréciation dans les données
cliniques. En effet, la psychologue ayant
LES AUTEURS
Dr Yannick FISCHER médecin psychiatre Aurélie GUASCH infirmière
Hôpital de jour 25 rue de la libération 4123 Cormelles le Royal France
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 52
initialement pris en charge Denzel pensait
qu’une guidance et un accompagnement
maternel suffirait à améliorer l’état psy-
chique de Denzel alors que l’équipe de
l’hospitalisation à temps complet pensait
plutôt à un placement familial.
Bien qu’à l’hôpital de jour l’état psy-
chique de Denzel s’améliore, il semble
qu’au domicile, sa mère ne relate que peu
d’amélioration malgré le travail de gui-
dance parentale que nous lui prodiguons.
Par ailleurs, l’épuisement maternel de
plus en plus visible, à la fois physique et
psychique, et ce, malgré notre interven-
tion, semble renforcer l’idée qu’un étay-
age plus important est nécessaire pour
permettre à Denzel d’aller mieux et pour
permettre un travail du lien mère/fils.
Enfin, il nous semble essentiel d’avoir
une approche clinique au plus juste du
quotidien en raison des difficultés d’éla-
boration de cette mère.
Ainsi, face aux interrogations soulevées
par les équipes ayant précédemment pris
en charge Denzel concernant les troubles
de la relation mère-enfant, nos propres in-
terrogations, le peu d’éléments cliniques
obtenus en entretien avec sa mère et l’état
de fatigue qu’elle présente, il est décidé de
réaliser une visite à domicile dans le but
d’ajuster notre prise en charge thérapeu-
tique.
Déroulement de la visite à domicile
Le logement est vétuste et se trouve au
rez-de-chaussée d’un vieil immeuble du
115. La mère de Denzel attendait l’arrivée
de l’infirmière. Lorsqu’elle a vu l’infir-
mière, elle est sortie pour l’accueillir. La
pièce principale est composée d’un lit
pour 2 personnes, d’une armoire qui ne
ferme pas et d’une petite table où est po-
sée la télé. Denzel et sa mère dorment
dans le même lit. Il a des jouets à disposi-
tion (jouets dont il ne se sert pas selon sa
mère). La télé est allumée en permanence
et diffuse en boucle des clips musicaux.
Denzel ne doit pas sortir car l’entrée de
l’immeuble donne sur la route.
Le garçonnet est surpris de cette visite,
surprise marquée par un long moment
d’excitation et d’agitation. Sa mère tente
en vain de le canaliser en lui demandant
d’arrêter sur un ton monocorde, lisse, puis
tente de le contenir physiquement sans lui
parler. L’enfant crie, se débat et finit par
se calmer. Sa maman le lâche alors. Un
temps de jeu très bref est alors possible
mais Denzel se disperse et s’agite à nou-
veau.
A aucun moment de la visite, madame
n’élèvera le ton de la voix et ce malgré la
forte agitation et la mise en danger de
Denzel. Il court partout, grimpe sur les
meubles et rapporte tous les objets qu’il
peut saisir (médicaments, ustensiles de
cuisine…). Lorsqu’il arrache un fil élec-
trique, elle lui demande simplement de le
rebrancher.
Madame explique qu’habituellement,
Denzel reste tout nu dans l’appartement,
et qu’elle ne l’habille que pour sortir. Elle
n’a pas expliqué à Denzel qu’il est habillé
en raison de la visite et non en raison
d’une sortie. De ce fait, il cherchera à de
multiples reprises à sortir en mettant ses
chaussures, en essayant d’ouvrir la porte,
en mettant son manteau...
Durant la visite, il n’y a eu que très peu
d’interactions entre la mère et l’enfant,
peu de paroles, Denzel allant plus volon-
tiers vers l’infirmière lorsqu’il veut
quelque chose (pas de jeux de regards
entre la mère et l’enfant).
Quand l’infirmière annonce son départ,
Denzel met son manteau et son écharpe
très rapidement et sa mère dit « il va me
faire une crise quand vous allez partir »
et, effectivement, l’enfant se met à crier
quand la porte se referme
En sortant du domicile, l’infirmière se
sent vidée et presque déprimée. La ques-
tion d’une pathologie dépressive chez la
mère de Denzel semble s’objectiver.
Apports de cette visite et évolution de nos pratiques
Cette visite au plus près du quotidien nous
a permis de repenser nos interventions et
d’ajuster notre prise en charge pour Den-
zel et sa maman. Nous avons renforcé la
prise en charge de Denzel mais également
de sa mère en proposant à la fois un ac-
cueil plus important à l’hôpital de jour et
des entretiens médicaux plus fréquents.
Nous avons également sollicité nos parte-
naires, notamment sociaux, pour renfor-
cer l’étayage de cette mère.
Cette visite à domicile nous a encouragé à
repenser nos façons de faire notamment
en estimant indispensable de concevoir
notre pratique de l’hôpital de jour beau-
coup plus ouverte vers l’extérieur en lais-
sant libre cours à l’initiative de chacun.
Ouverture non seulement auprès du pa-
tient mais également au sein de l’équipe
par une réflexion prospective concernant
nos “habitudes” professionnelles (cette
visite dont l’initiative et l’indication a
beaucoup fait débat - les limites du soin,
la redéfinition des missions d’un hôpital
de jour pour enfants…).
Au-delà de notre structure, cette visite à
domicile a également permis de stimuler
la créativité du secteur. Une prise en
charge singulière nous semblait indispen-
sable pour cette maman devant ses diffi-
cultés dans le lien mère/fils, devant son
parcours de vie chaotique et traumatique
et devant son épuisement psychique.
En ce sens, une consultation transcultu-
relle est en train de se créer au sein du ser-
vice de pédopsychiatrie.
Conclusion
La visite à domicile est devenue pour nous
un nouvel outil à notre disposition mais
nous ne l’utilisons pas systématiquement.
Nous l’employons au cas par cas, selon le
tableau clinique présenté par l’enfant et
ses parents.
Initialement questionnant l’équipe, la vi-
site a permis de faire évoluer l’institution
en l’ouvrant un peu plus sur l’extérieur et
sur le quotidien de nos patients. Au-delà
d’une simple visite, cet outil permet un
apport clinique d’éléments à travailler
avec les parents.
Plus globalement il pose la question au
sein de notre secteur de pédopsychiatrie
de créer une équipe mobile de soins dé-
diée à cette tâche pour l’ensemble des uni-
tés du service de pédopsychiatrie.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 53
Introduction
L’Hôpital de Jour a-t-il une fonction soi-
gnante spécifique ? Si oui, laquelle ?
N’obtiendrions-nous pas des résultats
comparables si nos patients se rencon-
traient quotidiennement dans un club de
loisirs ?
Telle est la question qui pourrait être po-
sée par un profane ou par un neuroscien-
tifique positiviste.
La thérapie institutionnelle mériterait au-
jourd’hui d’être confrontée aux données
récentes des neurosciences et de sou-
mettre son modèle à l’évaluation théra-
peutique de sa fonction soignante.
Accordant la priorité à la clinique du su-
jet, nous avons pris le parti d’avoir,
comme fil conducteur, le discours d’une
patiente au travers de son parcours insti-
tutionnel, ce qu’elle nous a confié lors
d’un entretien-vidéo réalisé plusieurs se-
maines après sa sortie de l’Hôpital de
Jour.
Au travers de ce cheminement, de cette
progressive transformation, nous avons
tenté d’en comprendre les enjeux.
Caractéristiques de l’Hôpital de Jour La Clé
Notre Hôpital de Jour La Clé est un hôpi-
tal autonome pouvant accueillir quoti-
diennement 30 patients pour des séjours
de 6 à 12 semaines.
Sa gestion n’est inféodée ni à une grande
structure hospitalière, ni à un groupe
d’hôpitaux, ni à l’Université de Liège.
Dans le trajet de soin du patient, l’hôpital
de Jour se situe en première ligne dans
75% des cas. Ce sont principalement les
psychiatres traitants (40%) (Annexe I) qui
nous adressent leurs patients. Certains
services partenaires (centres de réadapta-
tion, clubs thérapeutiques) sont également
des interlocuteurs privilégiés.
25% des patients sont admis en seconde
intention (transfert d’une prise en charge
hospitalière à temps complet). Certains
ont bénéficié d’un sevrage en toxique (al-
cool, drogues), d’autres ont bénéficié de
la fonction de contenance plus dévelop-
pée qu’offre l’hospitalisation à temps
complet (patients suicidaires, patients
avec délires agissants…).
A l’instar d’autres institutions psychia-
triques, l’Hôpital de Jour La Clé remplit
une fonction phorique dans un découpage
spatio-temporel particulier inhérent à l’es-
pace et la temporalité des soins prodigués.
Cette fonction primaire d’accueil « per-
met de se sentir porté et conduit et de se
porter soi-même » (P. Delion [1]). L’ac-
cueil, le cadre, le portage sont les premiers
ingrédients d’une nouvelle aire transition-
nelle dans laquelle le patient va rejouer sa
problématique bien souvent à son insu.
Grâce à cette fonction de portage, la souf-
france subjective va pouvoir s’exprimer à
l’attention de l’équipe soignante devenant
porteuse et décodeuse des signes émis par
le patient.
Selon Milner, « la substance malléable
est une substance d’interposition à tra-
vers laquelle les impressions sont trans-
mises aux sens. Cette substance, à la-
quelle on peut faire prendre la forme de
nos fantasmes, peut inclure la substance
du son et du souffle qui devient nos pa-
roles ». P. Delion reprend cette notion en
ces termes : « l’équipe soignante va pou-
voir être considérée comme ce medium
malléable, qui va se déformer par ce qui
vient des patients, elle ne peut pas se dé-
truire de les recevoir tout en conservant
une trace sur sa feuille sémaphorique ».
La fonction sémaphorique est donc le re-
cueil des signes par l’utilisation des mots,
par l’usage de la parole. A l’Hôpital de
Jour, le nombre élevé d’activités et de mo-
ments partagés ainsi que l’intensité des
contacts patients-soignants, font que nous
observons énormément de ces signes. Au-
delà de l’observation, le vécu des patients
transféré sur l’équipe sera analysé et mé-
tabolisé notamment lors des réunions
d’équipe quotidiennes et des supervi-
sions. Cette fonction métaphorique per-
met de découvrir et de mettre en sens ce
qui paraissait impensable voire insensé.
Dans une nouvelle vague de désinstitutionalisation rompant avec la tradition hospitalière des soins psychiatriques, la plus-value thérapeutique de l’Hôpital de Jour reste à démontrer. La dimension métaphorique du “passe-partout” pourrait s’appliquer aux hôpitaux qui s’inscrivent encore aujourd’hui dans l’histoire de la thérapie institutionnelle : les équipes soignantes ont efficacement remplacé les murs pour accueillir les souffrances psychiques les plus complexes. Différentes “clés” thérapeutiques y sont ainsi fabriquées et co-construites avec pour objectif fondamental de permettre au patient de (re)conquérir des parcelles de liberté perdues sous le poids de sa psychopathologie. Si depuis 40 ans l’Hôpital de Jour ne cesse d’évoluer et de se réinventer, il traverse étonnamment les crises avec une stabilité inhérente à son originalité. Stabilité ne signifie pas pour autant immobilisme : la remise en question quotidienne du travail thérapeutique en groupe nous amène à nous adapter en permanence aux réalités de nos patients. A travers cet article, nous mettrons en lumière plus spécifiquement l’impact thérapeutique observé au travers des différents modèles de prise en charge à l’Hôpital de Jour.
Mots-clefs : Hôpital de Jour, psychothérapie institutionnelle, transfert/contre-transfert, symbolisation
Care day hospital: the keyhole to the key set
During a new period of disruption with the hospital-tradition of psychiatric care, the specificity and originality of the Day Hospital remains to be defined. The metaphoric dimension of the therapeutic “passe-partout”, could be appliqued to hospitals which are to this day, part of institutional therapy story: The care teams have effectively replaced the walls to accommodate the most complex mental diseases. Several therapeutic “keys” are well produced and co-constructed with the fundamental goal of allowing the patient to (re) gain freedom-bridges lost under the weight of his psychopathology. Even though in 40 years the Day Hospital continues to evolve and reinvent, it interestingly gets through crises. This ability to overcome crises is seen in the deinstitutionalization crisis where it was handled with stability due to its originality. Stability does not mean stagnation: the daily questioning of the therapeutic work group leads us… Through this article, we will specifically highlight the therapeutic effect observed across the different support models to the Day Hospital.
Keywords: day-hospital, institutional therapy, transference/counter-transference, symbolization
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 54
Thérapie institutionnelle et
dynamique de groupe
Tout au long de sa prise en charge, le pa-
tient va être stimulé par de nombreuses in-
teractions groupales. Nous observons très
rapidement une activation de leurs méca-
nismes de défense habituels, associés aux
manifestations pulsionnelles et à leurs re-
lations d’objets internalisés. Un conti-
nuum apparaît entre ce qui a été assimilé
durant leur construction psychique et la
réactivation durant le “bain institution-
nel”. L’équipe, le cadre, l’institution vont
être à leur tour le support de projections
transférentielles complexes que nous veil-
lons ensuite à méta-analyser.
« Le groupe est thérapeutique parce qu’il
est le lieu de la réunification interne, le
lieu du sens et le lieu du lien, l’accord re-
trouvé entre le rêve et le mythe » (Kaes,
1999).
Le groupe va également pouvoir renvoyer
en miroir les comportements qui pertur-
bent l’homéostasie de ce dernier, il va
avoir un rôle régulateur des excitations
psychiques des membres qui le compo-
sent.
La dynamique du groupe dans notre insti-
tution peut être analysée en 3 niveaux
principaux :
- Le groupe dans son ensemble peut être
considéré comme une entité psychique
unique, avec ses aspirations, ses méca-
nismes de défense, sa pulsionnalité ten-
dant vers des objets qui lui sont propres.
Cette entité psychique va bien au-delà de
la somme des entités psychiques des
membres qui la composent.
- La place du sujet dans le groupe est
analysée ainsi que ses modalités de rela-
tions intersubjectives. Au travers d’acti-
vités groupales codifiées, les processus
d’empathie sont particulièrement activés
au cours du traitement.
- La thérapie institutionnelle va avoir
une implication sur la vie intrapsychique
des membres qui composent le groupe.
Chacun réagira de façon individuelle au
bain institutionnel. Les psychés peuvent
réagir de manières très différentes à des
stimulations groupales similaires. Les
paramètres qui régissent ces différences
sont souvent à mettre en perspective
avec la structure de personnalité et le
vécu antérieur des patients.
René Kaes a identifié une série de prin-
cipes (Kaes, 1999) qui tentent de com-
prendre et d’analyser la vie du groupe. La
constante mobilité du groupe et les diffé-
rentes oscillations qui permettent de
maintenir une homéostasie groupale im-
pliquent une série d’allers-retours entre
principes qui s’opposent ou plutôt se com-
plètent.
Plaisir / Déplaisir
Cela se traduit par le plaisir d’être en
groupe, de former un tout, d’être protégé,
de recevoir une stimulation de pensée ré-
gulée. Le groupe se constitue et se main-
tient selon le principe de plaisir et d’évi-
tement du déplaisir. Le principe de plaisir
s’oppose également au principe de réalité,
basé sur la dimension de loi sociale qui en
est le principe organisateur. L’individu va
pouvoir revivre ce passage de la toute
puissance confronté au principe de réalité
inhérent au groupe.
Indifférenciation / Différenciation L’oscillation entre l’indifférenciation des
psychés suite à la vie de groupe et la pro-
gressive différenciation s’observe quand
le patient prend de la distance psychique
avec le groupe. On peut faire le parallèle
avec le progressif détachement de l’enfant
de la dyade maternelle.
Dehors /Dedans Le groupe va créer une frontière, sorte de
nouvelle peau englobant l’entièreté des
psychismes du groupe. Cela va également
permettre, pour les patients présentant un
pôle d’organisation de personnalité fragi-
lisé, de réassimiler, ou du moins, d’appro-
cher ce principe de base de la construction
psychique.
Autosuffisance / Interdépendance Cela organise les relations dans le groupe
et se base sur des présupposés incons-
cients organisateurs.
Constance / Transformation C’est le rapport qui met en évidence la
tendance du groupe à maintenir une ten-
sion minimale malgré les excitations et les
conflits intragroupes.
Répétition / Sublimation Le groupe va permettre de surmonter les
expériences traumatiques qui traversent
l’expérience collective. Le passage de la
horde au groupe se dégage du meurtre du
père par le renoncement à la réalisation di-
recte des buts pulsionnels (Freud, Totem
et Tabou,1913).
Le patient acteur du changement
A La Clé, le patient établit lui-même,
chaque semaine, son propre programme
d’activités. Il privilégie des ateliers ex-
pressifs, corporels ou productifs, ce qui
lui semble porteur et en phase avec son
propre rythme. Il s’engage dans les sorties
extérieures ou les activités sportives.
Chaque activité se veut réfléchie et ré-
flexive. Premièrement réfléchie dans le
sens où chaque atelier est pensé, travaillé
en équipe, évalué, amélioré et adapté aux
symptomatologies individuelles.
Deuxièmement, réflexive par le fait que
tant le groupe constitué par les patients
que l’animateur sont un miroir pour le pa-
tient lui-même. « Le patient est au centre
de la prise en charge, il bénéficie d’une
équipe soignante à son service, cela va lui
permettre de s’appuyer sur cette constel-
lation transférentielle, quel que soit son
état clinique et ce tout au long de son par-
cours. » (Delion, 2012).
La temporalité
L’observation de l’équipe soignante dans
le processus évolutif du patient au décours
de l’hospitalisation a permis de mettre en
évidence une succession de phases quasi-
ment communes à tous. La différenciation
se transcrit dans la durée de chaque phase
et l’aisance pour le patient à passer de
l’une à l’autre.
Une première phase, qualifiée d’isolation,
est associée à une grande détresse, à une
phase d’observation du groupe, au fonc-
tionnement de l’Hôpital, à la prise de con-
naissance des autres patients et de
l’équipe de professionnels. Plus la dyna-
mique du groupe est à un niveau de bien-
veillance suffisant, moins cette phase va
être longue.
Une seconde phase souligne l’ouverture
du patient, une participation plus active à
la vie de groupe, aux ateliers. C’est l’em-
preinte sociale du groupe sur l’individu.
L’hôpital devient alors un port d’attache
pour le patient (Désert, 2013).
Survient alors la troisième phase, la re-
mise en question personnelle, qui s’ac-
compagne d’une affirmation de soi au
sein du groupe permettant, à ce moment-
là, la différenciation sociale.
Finalement, une quatrième phase de dis-
tanciation prend sens : distance par rap-
port au groupe, naissance d’un sentiment
de nécessaire sevrage, du besoin de lar-
guer les amarres, de s’éloigner du port
d’attache.
Evaluation du travail clinique
A l’heure de l’evidence-based medecine,
les soins psychiatriques n’échappent pas
aux procédures d’évaluation afin de vali-
der la pertinence de ses interventions dont
la plus-value reste à démontrer.
Dans ce contexte, nous évaluons systéma-
tiquement en fin d’hospitalisation le par-
cours du patient selon l’échelle STAR (J.
Bertrand, M. Jadot, J.-M. Triffaux, An-
nexe II) dans laquelle nous cotons collé-
gialement l’évolution du symptôme, l’at-
titude face à celui-ci et la dynamique rela-
tionnelle. Nous invitons également le pa-
tient à s’auto-évaluer avec les mêmes cri-
tères. Généralement, nous notons peu de
différences entre la cote du patient et celle
de l’équipe (Annexe III).
Les soins en hôpital de jour : du trou de serrure au jeu de clés...
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 55
LES AUTEURS
Dr Benjamin REUTER Médecin-assistant en Psychiatrie Céline TIBERGHIEN Psychologue Stéphanie NOIRFALISE Infirmière en chef Pr Jean-Marc TRIFFAUX Médecin Directeur
Hôpital de Jour Universitaire « La Clé » Boulevard de la Constitution, 153 4020 Liège Belgique
[email protected] [email protected] France
BIBLIOGRAPHIE
1. DELION P. (2001), Thérapeutiques institu-tionnelles, EMC, [37-930-G-10]
2. DELION P. (2012), Qu’est-ce que la psycho-thérapie institutionnelle ? Yapaka.be, http://www.yapaka.be/video/quest-ce-que-la-psy-chotherapie-institutionnelle.
3. DESERT J.-B., CHARON V., TRIFAUX J.-M. (2012), Chronos et la clé du temps, Revue des hô-pitaux de jours psychiatriques, pp.79-85.
4. FREUD S. (1913/2001, Totem et Tabou, Paris, Payot.
5. KAES, R. (1999/2014), Les Théories psycha-nalytiques du groupe, 5ème édition, Paris, PUF col-lection Que sais-je.
6. MIKOLAJCZAK G. et al. (2015), En-deçà du symptôme, en-dedans du cadre, au-delà du symptôme..., Revue des hôpitaux de jours psychia-triques, pp 98-104.
7. REYCHERTS M. (2007), Dimensions de l’ou-verture aux Emotions (DOE)- Un modèle de l’affect de traitement, Manuel n ° 168, Rapport de recherche. Université de Fribourg / Suisse, Dépar-tement de psychologie ; (www.unifr.ch/psycho/cli-nique/DOE), 34 pages.
8. ROUSSILLON R., (1991), Un paradoxe de la représentation : le médium malléable et la pul-sion d’emprise, Paradoxes et situations limites de la psychanalyse, Paris, PUF, pp. 130-140.
9. VANDER BORGHT C. (2014), Travailler en-semble en institution, Yapaka.be.
Afin de tester l’impact de la thérapie ins-
titutionnelle sur les processus émotion-
nels de nos patients, nous évaluons depuis
2008, en début et fin d’hospitalisation, les
dimensions suivantes : perceptions phy-
siologiques internes (PERINT) et ex-
ternes (PEREXT) des émotions, représen-
tations cognitives des émotions (REP-
COG), capacité de communication des
émotions (COMEMO) et capacité de ré-
gulation des émotions (REGEMO).
Pour ce faire, nous avons utilise la DOE-
36 (Dimension Ouverture Emotionnelle)
a laquelle nous avons associe une auto-
évaluation de l’alexithymie en adminis-
trant simultanément la TAS-20 (Toronto
Alexithymia Scale de Taylor, Bagby &
Parker, 1992).
Cet échantillon, constitue de 240 patients
âgés de 16 à 75 ans, présente les caracté-
ristiques démographiques suivantes : 71
sont classés comme état-limites, 82
comme névrotiques, 31 comme psycho-
tiques, 6 comme troubles adolescentaires
et 50 comme diagnostics non spécifiés.
Les différences entre l’entrée et la sortie
ont été testées pour chaque variable avec
un t-test de Student pour données appa-
riées (test t paire).
La majorité des variables montre une dif-
férence significative entre l’entrée et la
sortie (cf Annexe IV). Les variables CO-
MEMO, REGEMO et TAS-20 en particu-
lier présentent une différence entrée/sortie
nettement plus marquée, ce qui plaide en
faveur d’une meilleure gestion des émo-
tions tant sur le plan individuel que social
a l’issue du traitement.
Symbolisation du changement
Lors de leur hospitalisation, les patients
sont amenés à réfléchir à ce processus de
changement que ce soit au travers des ate-
liers d’expression ou des entretiens psy-
chothérapeutiques. D’autre part, ils sont
encouragés à “matérialiser” ce processus
d’évolution au travers d’une création per-
sonnelle de “leur propre clé symbolique”.
Le but étant de permettre au patient un tra-
vail de symbolisation de leur voyage psy-
chique à l’Hôpital de Jour.
Cette activité a souvent l’art de réactiver
leurs capacités de symbolisation, d’oni-
risme, de souplesse, capacités souvent fi-
gées sous l’éteignoir de la souffrance psy-
chique.
Le développement concernant la fonction
sémaphorique de l’institution a introduit
cette notion de médium malléable. Dans
la Revue du Colloque 2014, G. Micko-
lajack l’évoquait, en parlant de l’objet
ainsi créé, mais également en parlant du
thérapeute. Si nous élargissons notre vi-
sion, cette « substance intermédiaire au
travers de laquelle des impressions sont
transportées aux sens » pourrait s’appli-
quer à l’ensemble de l’équipe, de la théra-
pie voire de l’institution comme un mé-
dium malléable. Cinq caractéristiques ont
été définies par R. Roussillon : l’indes-
tructibilité, l’extrême sensibilité, l’indéfi-
nie transformation, l’inconditionnelle dis-
ponibilité et l’animation propre (Roussil-
lon, 1991).
Indestructibilité Malgré les constants mouvements pul-
sionnels envers l’équipe et la structure,
l’Hôpital de Jour a trouvé, depuis 40 ans,
les moyens de les contenir, de les absor-
ber, de les métaboliser et de les analyser.
Pour ne pas imploser, les pare-feux
comme les réunions d’équipes et les su-
pervisions, sont indispensables afin de
maintenir cette capacité d’accueil de la ré-
alité psychique des patients.
Extrême sensibilité La proximité du groupe et de l’équipe per-
met d’être au plus près des réalités vécues
par les patients.
Indéfinie transformation « On ne se baigne jamais deux fois dans
la même eau du fleuve » disait Héraclite.
A l’Hôpital de Jour La Clé, la constella-
tion transférentielle et ses infinis mouve-
ments, font en sorte que le moment vécu
est unique. Si cette mutation constante est
inhérente à la thérapie institutionnelle, le
cadre est, lui, garant d’une certaine idée
d’inflexibilité et d’intemporalité. Il devra
aussi être réfléchi, réévalué et réapproprié
par tout le monde.
Inconditionnelle disponibilité Nous pouvons tout entendre, mais le
groupe et à travers lui la vie psychique qui
lui est propre, primera si un de ses
membres la met en danger. Ici, l’incondi-
tionnalité reste particulièrement difficile-
ment transposable à la vie institutionnelle.
Animation Propre Si nous arrivons à positionner notre insti-
tution comme un médium malléable suf-
fisamment efficace, les patients vont don-
ner sens au travail de l’Hôpital de Jour,
vont lui donner vie et le rendre animé.
Cas clinique
Lors de notre présentation, 3 extraits vi-
déo nous ont montré la réalité psychique
d’une patiente avant, pendant et après son
hospitalisation. Ce cas clinique fût choisi
pour être présenté lors du colloque au vu
de l’illustration de ce processus de chan-
gement observé dans l’histoire de cette
patiente.
Madame A. est une patiente de 48 ans. Le
motif d’admission est un épisode dépres-
sif majeur. Début 2015, suite à une tenta-
tive de suicide médicamenteuse, elle a été
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 56
hospitalisée dans le service de psychiatrie
d’un hôpital général de la région.
C’est un médecin de ce service qui a pro-
posé à la patiente de poursuivre sa “reva-
lidation” à l’Hôpital de Jour La Clé.
Lors de l’entretien de pré-admission, on
note des symptômes dépressifs de forte
intensité : anhédonie, aboulie, pleurs,
perte de poids... La profondeur du déses-
poir de la patiente et sa rigidité nous ont
particulièrement interpelés. Elle présente,
et ce depuis de nombreuses années, de
gros troubles relationnels tant au niveau
familial que professionnel.
Au moment de son entrée dans notre ser-
vice, aucun investissement libidinal ne
semblait émerger de cette personnalité ri-
gidifiée. Son implication dans la vie du
groupe fût, au début, très limitée. Elle
était pourtant présente dans le groupe, elle
en faisait partie, elle écoutait beaucoup,
parlait peu.
Parfois nous avons observé des manifes-
tations pulsionnelles massives, des mo-
ments de colères, vis à vis du groupe et de
l’équipe. Elle était profondément sous le
poids d’un contrôle de ses désirs. Petit à
petit au travers des ateliers, notamment
ceux axés sur l’aspect corporel, nous
avons vu la vie progressivement réinté-
grer ce corps vide de sens.
Lors d’entretiens individuels, à contrario
des ateliers d’expressions en groupe, elle
élaborait, remettait sans cesse en question
ses expériences passées et présentes.
Il a fallu du temps, du soutien, pour que la
patiente puisse à nouveau élaborer sur sa
vie psychique et petit à petit appréhender
son mode de fonctionnement qu’elle a pu
regarder d’un point de vue différent lors
de son parcours grâce à une prise en char-
ge psychothérapeutique aux multiples fa-
cettes qui s’est révélée d’une grande ri-
chesse.
Lentement nous avons vu s’amorcer ce
processus de mutation.
La capacité de symbolisation est peu à peu
réapparue chez la patiente. Si bien qu’elle
a produit, via l’atelier « Ma Clé », un ob-
jet particulièrement “parlant” (Annexe
V). Elle a illustré sa capacité à intégrer le
lien qui s’est développé entre elle et l’ins-
titution. Par un jeu de représentation
d’elle-même, elle a symbolisé son évolu-
tion en appui sur un pilier. Ce pilier repro-
duit étonnamment la sculpture qui orne
l’entrée de l’Hôpital (Annexe VI).
Cette sculpture ornementale est symbo-
lique par bien des aspects, chacun y trou-
vera la signification qu’il voudra y voir. Il
a été demandé à l’artiste de créer libre-
ment une œuvre d’art représentant l’Hô-
pital de Jour.
L’assise en triangle peut évoquer, entre
autres, le triangle œdipien. Les strates de
plus en plus convexes vers le haut symbo-
lisent la possibilité de quitter le, trop con-
traignant, principe de réalité.
Pas de clé, mais un trou de serrure, lais-
sant entrevoir l’avenir et la réactivation
des capacités oniriques.
L’animal chimérique, posé au sommet,
est un être avec des caractères de lapin,
d’oiseau, de chat... Il symbolise une forme
de mixité et hybridité entre espèces diffé-
rentes formant néanmoins un tout : il
semble saluer les patients qui entrent puis
sortent de l’Hôpital de Jour, métaphore ar-
tistique du cadre thérapeutique que l’on
intègre et que l’on quitte quotidienne-
ment...
Conclusion
Un jeu de Clé(s), voilà une image faite sur
mesure pour conclure notre réflexion.
Si le changement est un processus émi-
nemment personnel voire intime, cet ar-
ticle tente de trouver les déterminants
communs aux mouvements d’évolution
des patients lors de leurs parcours en hô-
pital de jour.
Pour construire, pour grandir, pour évo-
luer, le patient doit se trouver dans un cli-
mat de sécurité, de portage qui est apporté
par la structure ferme de l’hôpital, ainsi
que par une équipe pluridisciplinaire et
cohérente.
Le patient est au centre de la prise en
charge, il va, via les différents moments
thérapeutiques (ateliers, entretiens psy-
chothérapeutiques), être l’acteur principal
de son changement.
La thérapie institutionnelle est au cœur de
notre philosophie de travail. La méta-ana-
lyse de tous les enjeux qui en découlent
est un défi que nous tentons de relever au
jour le jour.
Au rythme de chacun, nous veillons à ce
que les psychés des patients puissent tra-
verser les différentes phases jusqu’à ce
qu’ils puissent conclure le parcours par un
travail de symbolisation.
Annexe I
Distribution des différents modes d’arrivée des patients, (n=170) Source : Rapport d’activité 2013 (HJU La Clé)
Annexe II
Statistiques liées à l’admission
H.J.U. La Clé - Rapport d’activité 2013 14
3. Origine du patient
a) Données
Psy
chia
tre T
raitant
(consu
ltation h
ors
Hôpital)
Médeci
n tra
itant
Hôpital
/ Serv
ice p
sych
iatr
ique
Hôpital Généra
l
Psy
cholo
gue /
PM
S
CR
F /
CSM
/ S
SM
Lui-
mêm
e
Ento
ura
ge
FO
REM
Autr
e
Inco
nnu
NOMBRE 67 9 42 5 10 12 21 2 0 2 0 170
POURCENTAGE 40% 5% 25% 3% 6% 7% 12% 1% 0% 1% 0% 100 %
b) Représentation graphique
67
9
42
5 10 1221
2 0 2 00
1020304050607080
NO
MB
RE
DE
PA
TIEN
TS
MODE D'ARRIVÉE
Graphique 10 : Distribution des différents modes d'arrivée des patients (n = 170)
Les soins en hôpital de jour : du trou de serrure au jeu de clés...
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 57
Echelle STAR (J. BERTRAND, M. JADOT)
Axe 1 Axe 2 Axe 3
Symptômes cibles Attitude face aux
symptômes Relations humaines
Disparition 3
Amélioration 2 2 2
Stagnation 1 1 1
Aggravation 0 0 0
Annexe III
Distribution des patients en fonction de leur combinaison de scores sur l’échelle STAR (n = 170). On note qu’une majorité de patients sont évalués avec au
moins 1 item en amélioration (n=22), la cote la plus fréquemment retrouvée est 222 (n=36), ce qui signifie une amélioration sur les 3 axes.
Source : Rapport d’activité 2013 (HJU La Clé)
Annexe IV
Comparaison des scores aux échelles DOE-36 et TAS-20 évalués en début et fin d’hospitalisation.
Légende : REPCOG Représentation cognitive des émotions REGEMO Capacité de régulation des émotions
COMEMO Capacité de communication des émotions RESNOR Restrictions normatives du vécu émotionnel
PERINT Perceptions physiologiques internes TAS-20 Toronto Alexithymia Scale
PEREXT Perceptions physiologiques externes
Annexe V
ENTREE SORTIE
Variables Moyenne Ecart-type Moyenne Ecart-type p d
REPCOG 1.99 0.80 2.35 0.74 0.000001 0.46
COMEMO 1.60 0.78 2.08 0.72 0.000001 0.63
PERINT 2.30 0.74 2.18 0.78 0.014 0.16
PEREXT 2.18 0.80 2.09 0.65 0.085 -
REGEMO 1.38 0.83 1.92 0.76 0.000001 0.64
RESNOR 2.40 0.75 2.42 0.71 0.59 -
TAS-20 57.42 12.08 50.93 12.56 0.000001 0.58
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 58
Photographie de l’objet réalisé par la patiente lors de l’atelier « Ma Clé »
Annexe VI
Photographie de la sculpture ornant l’entrée de l’Hôpital de Jour La Clé.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 59
Introduction
L’Hôpital de Jour de Courte Durée
(HJCD) « Dour-Tan » a ouvert ses portes
au Centre Hospitalier Guillaume Régnier
(CHGR), hôpital psychiatrique de Ren-
nes, en juin 2012.
Cet outil de soins a été créé par l’établis-
sement dans une période particulière qui
faisait suite à plusieurs années de majora-
tion des demandes d’hospitalisation abou-
tissant à un surencombrement de l’établis-
sement, notamment de ses unités d’admis-
sions.
Cette augmentation des besoins, ressentie
et identifiée sur l’ensemble du territoire
français (Cases C., 2004), était en lien
avec une nette augmentation de la popula-
tion rennaise, des files actives et de l’acti-
vité sur ces dernières années, le nombre
de lits restant constant sur l’établissement.
Le tout aboutissant à une saturation des
services, alors même que les durées
d’hospitalisation complète étaient en di-
minution, ainsi qu’à une altération de la
qualité des soins.
Des moyens de soins supplémentaires
étaient donc indispensables à court terme.
Deux services du CHGR ont souhaité les
privilégier en dehors de l’hospitalisation
complète en proposant une alternative
supplémentaire aux outils thérapeutiques
déjà existants, notamment en phase aigüe
de la pathologie, en proposant via cet hô-
pital de jour mutualisé, des soins intensifs
ambulatoires regroupés sur la journée.
Concept
Le concept initial était donc la création
d’un hôpital de jour de courte durée, pro-
posant des prises en charge d’une durée
moyenne de quelques semaines pour des
problématiques psychiatriques aigües à
subaiguës.
Ce projet place le patient dans une pers-
pective plus active et plus dynamique, en
visant une rémission symptomatique et
fonctionnelle à court terme dans certaines
situations cliniques habituellement plutôt
prises en charge en unité d’hospitalisation
complète. L’hôpital de jour de courte du-
rée a été pensé comme une alternative qui,
lorsqu’elle est possible, est préférable
pour le patient. En effet la modalité de
prise en charge à la journée est souvent
mieux acceptée par le patient et sa famille,
ce qui influe sur l’engagement dans les
soins (Seulin C., 1995). Elle permet éga-
lement de diminuer les complications
liées à l’hospitalisation complète, la stig-
matisation, l’évolution vers la régression
(Ferrero F., 1986) et la chronicité ; le tout
à moindre coût et, du fait de son implan-
tation sur le site, en utilisant de façon op-
timale les ressources du plateau technique
du Centre Hospitalier Guillaume Régnier.
L’hôpital de jour de courte durée assure
des soins polyvalents individualisés en fa-
vorisant le maintien des patients dans leur
milieu habituel de vie. C’est un espace in-
termédiaire, un lieu temporaire permet-
tant au patient de continuer à investir ou
de réinvestir son propre lieu de vie.
Chaque soir constitue un point d’appui à
la dynamique des soins (Barrelet L.,
1983).
L’hôpital de jour de courte durée permet
d’accueillir aussi bien des patients connus
que des premières admissions et propose
à la fois des admissions directes, des re-
lais d’hospitalisation, et des accueils de
week-end.
Les admissions directes ont lieu en phase
aigüe ou subaiguë, dans un but thérapeu-
tique ou préventif. Il peut s’agir d’hospi-
talisations en urgence, d’hospitalisations
programmées, ou de séjours de rupture.
Les relais d’hospitalisation doivent per-
mettre de raccourcir les durées d’hospita-
lisation complète, de consolider la rémis-
sion clinique et d’insister sur le travail de
liens avec les structures de soins qui ac-
cueilleront le patient au décours de leur
L’hôpital de jour « Dour-Tan » a été créé en Juin 2012, au Centre Hospitalier Guillaume Régnier, dans l’idée de proposer une alternative aux hospitalisations temps plein, pour des troubles psychiatriques aigüs ou subaigüs. Cet hôpital de jour de courte durée accueille des patients, déjà suivis ou non, en admission directe afin d’éviter une hospitalisation temps plein. Il propose également des relais pour des patients en hospitalisation complète, permettant ainsi un retour au domicile plus rapide. Cet outil de soins se situe dans une perspective active et dynamique, qui vise une rémission symptomatique et fonctionnelle à court terme en proposant des soins polyvalents et en favorisant le maintien des patients dans leur milieu de vie habituel. L’hôpital de jour n’est exclusif d’aucune pathologie, dès qu’il y a chez la personne l’autonomie suffisante et le consentement aux soins. Cette modalité de prise en charge est souvent mieux acceptée par les patients et leurs familles. Cet article nous permettra de revenir sur la genèse du projet, les principes et modalités de fonctionnement de l’unité, le rythme des soins, les principes thérapeutiques. Puis nous terminerons par une analyse de notre activité sur l’année 2014.
Mots-clés : hôpital de jour, soins aigüs, intensif, courte durée, autonomie
Emphasize even outpatient acute phase Experience a brief psychiatric day hospital
The day hospital “Dour-Tan” was founded at psychiatric hospital “Centre Hospitalier Guillaume Régnier”, Rennes, France, on June 2012. The main objective is to offer an alternative approach to full-time hospitalization in the cases of acute and subacute disorders. This short-stay day hospital receives patients, already followed or not, with a direct admission, in order to avoid a full-time hospitalization. The Dour-Tan day hospital can also represent a stepping stone for patients coming from full-time hospitalization, enabling to fasten the transition from hospital to home. This structure puts the patient in a more active and dynamic behavior, aiming at a short-term clinical remission, by offering polyvalent cares and favoring keeping patients as much as possible in their living environment. There are no restrictions in terms of targeted disorders, as long as the patient is autonomous enough and consents to treatment. Such a day hospitalization is often better accepted by patients and their relatives. In this paper, we present the genesis of the Dour-Tan project, its therapeutic approach, its main modalities, and the various cares which are offered. The paper ends with a synthetic report of its activity for year 2014.
Keywords : day hospital, acute care, intensive, short stay, autonomy
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 60
prise en charge à l’hôpital de jour de
courte durée.
Les accueils de week-end, comme un deu-
xième projet au sein du projet initial, doi-
vent permettre d’accueillir les patients
déjà pris en charge la semaine sur l’hôpi-
tal de jour, mais ils sont également propo-
sés à une population non prise en charge
la semaine par notre structure. Il peut
s’agir de patients suivis dans un centre
médico psychologique, en consultation li-
bérale, de patients pris en charge sur
d’autres hôpitaux de jour en semaine, qui
nécessitent soutien et étayage soignant les
week-ends et qui jusque-là ne pouvaient
le trouver qu’en hospitalisation complète
sur le temps du week-end.
Les spécificités de cette structure sont :
l’accueil d’une population adulte, pour
une durée de séjour variant de quelques
jours à quelques semaines au maximum,
et des soins dispensés 7 jours sur 7.
Structure
La structure a été créée en Juin 2012, au
sein de l’établissement Guillaume Ré-
gnier, dans des locaux déjà existants, ré-
habilités pour le projet.
Sur le plan architectural elle s’étend de
plein pied, sur un seul niveau, et com-
prend deux ailes principales réparties au-
tour d’une véranda centrale donnant sur
un jardin. L’entrée pour les patients s’ef-
fectue par ce jardin, et l’accueil dans la
véranda.
La véranda centrale est donc utilisée pour
les temps d’accueil du matin, et de prépa-
ration au retour au domicile en fin
d’après-midi. Elle sert également au
temps du repas du midi et aux temps
libres. Son orientation sur le jardin en fait
un puits de lumière et un lieu convivial
ouvert sur l’extérieur. Autour de cette vé-
randa, deux ailes sont réservées aux
soins : une première où sont répartis les
bureaux médical, infirmier, la salle de
soins, la pharmacie, une salle de repos,
une chambre à deux lits, et une seconde
réservée aux activités thérapeutiques.
L’hôpital de jour Dour-Tan étant une
structure mutualisée nous accueillons les
patients de deux secteurs géographiques
de Rennes (secteurs G5 et G10). Il s’agit
de deux secteurs urbains. L’hôpital de
jour est situé de manière centrale et faci-
lement accessible depuis ces deux sec-
teurs géographiques, et au sein de l’hôpi-
tal psychiatrique Guillaume Régnier.
Il a été choisi pour cet hôpital de jour le
nom breton de Dour Tan, dans l’idée de
s’harmoniser avec les hôpitaux de jour
déjà existants sur le secteur G10 (« Ster-
gann » et « Pen-Ty »). Dour Tan signifie
« le phare », symbole positif qui guide et
indique une direction notamment durant
les soins.
La structure est ouverte tous les jours de
l’année, 7 jours sur 7, y compris les jours
fériés. Sa capacité d’accueil est de 20 pa-
tients.
L’équipe soignante
Elle est composée d’un médecin psy-
chiatre, d’un cadre de santé, de 7 infir-
miers, de 2 agents hôteliers, d’une psy-
chologue et d’un médecin généraliste.
Dès le début de la prise en charge des pa-
tients dans notre unité, nous travaillons en
étroite collaboration avec leurs deux sec-
teurs de rattachement. Ceci dans un souci
de continuité du lien thérapeutique. Une
attention particulière est accordée au tra-
vail de transmission entre les équipes in-
firmières et les médecins référents de
chaque patient. Chaque patient peut, du-
rant la prise en charge, débuter, reprendre,
ou poursuivre sa psychothérapie sur son
secteur d’origine. Nous sommes égale-
ment très en lien avec les assistantes so-
ciales des secteurs.
Les critères d’admission
Comme sur d’autres structures de jour et
pour d’autres équipes, la question des cri-
tères d’admission s’est également posée
(Bouvet C, 2006). Par principe, l’hôpital
de jour de courte durée n’est exclusif
d’aucune pathologie, dès qu’il y a chez la
personne l’autonomie suffisante et le con-
sentement aux soins. Les facteurs limi-
tants se situent également en termes d’in-
tensité des symptômes, de comportement
suffisamment adapté, de facteurs environ-
nementaux suffisamment favorables pour
permettre un retour au domicile le soir.
Concernant les hospitalisations sous con-
trainte, le cadre de l’hospitalisation de
jour ne nous permet pas d’admission di-
recte en soins à la demande d’un tiers
(SDT), ou à la demande du représentant
de l’état (SDRE) sur l’hôpital de jour de
courte durée, mais nous proposons des
prises en charge dans le cadre de pro-
grammes de soins, souvent en relais
d’hospitalisations complètes.
Les modalités d’admission
Les admissions se font sur indication mé-
dicale, d’un médecin psychiatre : psy-
chiatres des deux secteurs G5, G10, des
urgences, du service d’accueil et d’orien-
tation du CHGR, ou psychiatres libéraux.
Les demandes nous sont adressées par
contact téléphonique et via une fiche mé-
dicale de liaison. Cette fiche médicale re-
prend l’ensemble des caractéristiques in-
dividuelles (nom, prénom, date de nais-
sance, adresse, mesure de protection
éventuelle, personne de soutien, etc) et
des éléments cliniques nécessaires à
L’AUTEUR
Docteur Amélie DEROUET Psychiatre
Centre Hospitalier Guillaume Régnier 108 Avenue du Général Leclerc 35703 Rennes France
BIBLIOGRAPHIE
1. BARRELET L. (1983), Nouvelle approche pour la prise en charge institutionnelle : l’exem-ple du Centre thérapeutique de jour de Ca-rouge (Genève), Médecine & Hygiène, vol. 41, pp. 3156-3162
2. BOUVET C. (2006), Les indications vers un centre de soins de réadaptation : Étude compa-rative des patients admis et non admis dans un hôpital de jour proposant des soins de réadap-tation, L’information psychiatrique, vol. 82, pp. 149-154
3. CASES C., SALINES E. (2004), Statistiques en psychiatrie en France : données de cadrage, Re-vue française des affaires sociales, vol. 1, num 1., pp. 181-204
4. FERRERO F., BARRELET L. (1986), Chapitre 8 : Intervention de crise et dispositifs de sec-teur, In : A. Andreoli J. Lalive G. Garrone, Crise et intervention de crise en psychiatrie, SIMEP
5. POMINI V., GOLAY P., REYMOND C. (2008), L’évaluation des difficultés et des be-soins des patients psychiatriques Les échelles lausannoises ELADEB, L’information psychia-trique, vol. 84, pp. 895-902
6. SEULIN C., DAZORD A. (1995), Processus psychothérapique dans un hôpital de jour : ré-sultats d’une enquête et intérêt des données qualitatives, L’Encéphale, ISSN 0013-7006, vol. 21, num. 3, pp. 235-245
7. WALTER M., TOKPANOU I. (2003), Identifi-cation et évaluation de la crise suicidaire, An-nales Médico-psychologiques, Elsevier, vol. 161, num. 2, pp. 173–178.
Privilégier l’ambulatoire même en phase aigüe : l’expérience d’un hôpital de jour de courte durée en psychiatrie
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 61
l’évaluation de la situation par l’équipe de
l’HJCD : motif de la demande de soins,
état clinique du patient et symptômes
cible, objectifs de la prise en charge à
l’HJCD, outils de soins déjà existants, et
prise en charge en soins libres ou en pro-
gramme de soins. Elle comprend égale-
ment à titre indicatif, pour aide à la pres-
cription, un tableau récapitulatif des situa-
tions cliniques et des facteurs environne-
mentaux favorables ou limitant les prises
en charge à l’HJCD.
A la réception de la demande de soins par
l’équipe de l’HJCD, un entretien de pré
admission est proposé au patient. Cet en-
tretien peut, en fonction des besoins, être
proposé très rapidement (le jour même ou
dans les 48 heures), ou programmé, l’im-
portant, dans ce type de projet, étant de
pouvoir traiter les demandes de manière
réactive et proposer des admissions ra-
pides lorsque nécessaire.
L’entretien de pré admission est réalisé
par le psychiatre de l’unité et un membre
de l’équipe infirmière, à l’HJCD. Cette
première rencontre permet de préciser
l’historique des troubles, d’évaluer leur
intensité, les facteurs psychosociaux pré-
cipitants ou protecteurs, la pertinence de
la prise en charge à l’HJCD, les objectifs
thérapeutiques, la durée des soins et leur
fréquence.
Cet entretien va permettre de définir un
premier programme de soins personnalisé
du patient, qui s’apparente à un contrat
thérapeutique (Barrelet L., 1983), ainsi
qu’une date d’admission, et d’initier sa
prise en charge. Cet entretien permet éga-
lement de présenter l’unité au patient, de
lui faire visiter la structure, de lui présen-
ter l’équipe, l’organisation des soins et les
activités thérapeutiques proposées.
Suite à cela l’équipe de l’HJCD reprend
contact avec l’équipe qui adresse le pa-
tient (service, centre médico psycholo-
gique, psychiatre libéral), transmet les in-
formations relatives à l’admission en
cours (date et des modalités d’admission
définies lors de l’entretien de préadmis-
sion) et au programme de soins initié.
Déroulement d’une journée type
La journée de soins commence par un
temps d’accueil le matin entre 9h30 et
10h. Ce temps permet une reprise de con-
tact du patient avec les soignants et le lieu
de soins après la rupture de la nuit. C’est
un temps qui permet la reprise des soins
avec l’évaluation du déroulement de la
soirée de la veille et de l’état de santé du
patient en début de journée, et l’organisa-
tion de la journée.
La matinée est consacrée aux entretiens,
médicaux, infirmiers, psychologues, aux
activités thérapeutiques et aux rendez-
vous divers.
Le repas du midi est un repas thérapeu-
tique auquel participent 2 soignants. Il
permet également l’évaluation des moda-
lités relationnelles du patient, de ses com-
pétences fonctionnelles, de son hygiène
de vie, de ses conduites alimentaires.
Le temps de l’après-midi commence par
un temps de transmissions pour l’équipe,
d’une trentaine de minutes. C’est un
temps libre pour les patients qu’il est né-
cessaire d’anticiper et d’expliquer, car pas
toujours facile pour eux à investir. Le con-
tenu de l’après-midi est assez similaire à
celui de la matinée et centré sur la reprise
des entretiens et des activités thérapeu-
tiques.
La journée de soins se clôture entre 16h30
et 17h30 sur un moment convivial autour
d’un goûter. Il est accordé une attention
particulière à ce moment qui doit per-
mettre au patient de quitter l’unité en se
projetant sur une interruption des soins
durant laquelle il testera son autonomie,
devra investir sa soirée et son lieu de vie,
avant de reprendre les soins le lendemain
matin.
Les actions thérapeutiques
Les soins proposés par l’hôpital de jour de
courte durée sont des soins polyvalents et
individualisés (Ferrero F., 1986), adaptés
aux demandes du médecin qui adresse,
aux besoins du patient, et aux difficultés
identifiées durant la prise en charge. Le
projet de soins est individualisé et person-
nalisé.
Les actions proposées peuvent être des ac-
tions d’évaluation : des symptômes, de
leur intensité, de l’autonomie du patient
notamment par rapport à son traitement,
de ses habiletés sociales. Des outils d’éva-
luation peuvent nous servir de support
pour cette évaluation, comme par
exemple le RUD (Risque Urgence Dange-
rosité) concernant le risque suicidaire
(Walter M., 2003), ou l’échelle ELADEB
(échelle Lausannoise d’autoévaluation
des difficultés et des besoins) concernant
les difficultés et les besoins du patient
(Pomini V., 2008).
Il peut s’agir d’actions thérapeutiques ci-
blées, par des instaurations ou des adapta-
tions thérapeutiques. Elles ciblent l’en-
rayement d’un processus aigu, une conso-
lidation clinique, une surveillance d’un
traitement d’entretien (traitement par Zy-
padhera® par exemple).
Il peut s’agir également d’actions de pré-
vention, par des séjours séquentiels, par
des hospitalisations programmées, ou par
un travail d’éducation à la santé.
Une attention particulière est également
accordée au maintien ou à la reprise
d’autonomie.
Ainsi chaque soirée constitue un point
d’appui à la dynamique des soins à
l’HJCD (Barrelet L., 1983). Par ailleurs,
toute démarche allant vers un réinvestis-
sement du patient à l’extérieur (réinser-
tion sociale, professionnelle) et en dehors
du soin est valorisée. Chaque patient peut
voir ses soins aménagés autour de ses dé-
marches personnelles de réinsertion.
Activités thérapeutiques et autres actions spécifiques proposées
Les activités thérapeutiques sont diversi-
fiées et ciblent 4 axes principaux, à sa-
voir :
- L’anxiolyse : via la relaxation, la bal-
néothérapie, la gymnastique douce, la
marche.
- L’expression des émotions : via les arts
créatifs, l’art floral, la musique, l’écri-
ture.
- La restauration narcissique : via l’at-
tention portée au patient, la valorisation
de ses compétences, via des soins de
bien-être et d’esthétique.
- Le maintien de la santé : via des ap-
proches de sensibilisation concernant
l’hygiène de vie (le sommeil, l’alimenta-
tion, la gestion du traitement) et l’éduca-
tion thérapeutique du patient, et par
l’orientation vers des programmes psy-
choéducatifs spécifiques concernant la
maladie.
D’autres actions spécifiques sont propo-
sées :
- Les évaluations à domicile : elles sont
proposées dans des situations bien spéci-
fiques, soit par l’équipe elle-même en
cas de besoin ponctuel ou d’absence pré-
occupante du patient, soit en partenariat
avec le service d’ergothérapie du CHGR
(service d’ergothérapie et d’intervention
à domicile ou SEDOM). Ces évaluations
à domicile permettent une vision com-
plémentaire des difficultés et besoins du
patient. Elles peuvent déboucher sur des
interventions programmées, et parfois
durables, pour le traitement des difficul-
tés identifiées.
- La reprise de la socialisation (Barrelet
L., 1983) : la prise en charge en elle-
même relance cette dynamique de rela-
tion à l’autre, par le contact avec les soi-
gnants, avec les autres patients, par la re-
prise pour certains d’un rythme de vie
compatible avec une vie sociale et des
activités. Durant la prise en charge nous
incitons et accompagnons nos patients
vers une reprise du lien social et la fré-
quentation de lieux d’activités, soit en
lien avec les soins (comme les ateliers
d’ergothérapie extériorisés ou les
groupes d’entraide mutuelle), soit en de-
hors du soin (associations, maisons de
quartiers, centres départementaux d’ac-
tion sociale ou CDAS).
- Le travail des relais : nous accordons
une grande attention, notamment en fin
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 62
de prise en charge, au travail des relais
avec les partenaires (soignants et autres).
Un accompagnement des patients vers
leur(s) lieu(x) de soins ultérieurs est pro-
posé, avec une visite des structures
(centres médico-psychologiques, centres
d’activités thérapeutiques à temps par-
tiel, unité d’ergothérapie extériorisée,
autres hôpitaux de jour). Enfin un
compte-rendu d’hospitalisation est sys-
tématiquement rédigé et adressé, avec
l’accord du patient, aux médecins parte-
naires (traitant, psychiatre).
Quelques indicateurs
Sur l’année 2014, l’hôpital de jour de
courte durée a pris en charge 158 situa-
tions.
Concernant la provenance des patients, il
s’agissait d’entrées directes dans 38% des
cas, et d’entrées mutations, donc de relais
après une hospitalisation temps plein,
dans 62% cas, avec une légère majorité de
femmes (56% de femmes et 44 %
d’hommes).
L’âge moyen des patients était de 40 ans,
avec une forte disparité (âges compris
entre 18 et 75 ans).
Concernant le type de pathologies prises
en charge, une majorité des patients pré-
sentait des troubles schizophréniques
(40,5%) et des troubles de l’humeur
(30,7%), puis des troubles de l’adaptation,
de la personnalité et autres troubles
(28,8%).
La durée moyenne de séjour était de 14
jours. Ceci correspond au nombre de jours
de présence moyen des patients sur l’unité
(il peut s’agir de 14 jours en continu, ou
en discontinu, la durée réelle du séjour
étant alors plus conséquente).
Concernant les relais proposés à la fin de
la prise en charge à l’hôpital de jour de
courte durée, il s’agissait en grande majo-
rité d’un relais vers les centres médico-
psychologiques, les centres d’activité thé-
rapeutiques à temps partiel, le psychiatre
traitant libéral, ou le médecin généraliste.
Des relais ont également eu lieu vers des
hôpitaux de jour proposant des prises en
charge plus longues. Pour certaines situa-
tions une hospitalisation complète s’est fi-
nalement avérée nécessaire. Celle-ci pou-
vant d’ailleurs déboucher à nouveau sur
un relais à l’hôpital de jour de courte du-
rée. Enfin dans de rares situations le pa-
tient ne souhaitait pas de suivi au décours
de sa prise en charge à l’hôpital de jour de
courte durée. Dans ces situations les coor-
données du centre médico-psychologique
de son secteur lui sont remises lors de la
sortie.
Pour une grande majorité des patients la
prise en charge à l’hôpital de jour de
courte durée a été vécue de manière très
positive, avec une bonne adhésion, une
bonne implication dans les soins, et une
évolution favorable permettant d’éviter
l’hospitalisation temps plein.
Conclusion
Dans cet article nous avons présenté le
projet et la mise en place d’un hôpital de
jour de courte durée en psychiatrie au
Centre Hospitalier Guillaume Régnier de
Rennes.
L’objectif de ce nouvel outil de soins était
de proposer une alternative supplémen-
taire aux hospitalisations temps plein, soit
par des admissions directes, permettant
d’éviter l’hospitalisation temps plein, soit
par des relais permettant d’écourter l’hos-
pitalisation temps plein. Les particularités
de ce dispositif de soins sont de proposer
une prise en charge intensive du patient,
sur des durées courtes de quelques se-
maines en moyennes, via un hôpital de
jour ouvert 7 jours sur 7. Les moyens né-
cessaires pour développer un projet de ce
type sont un personnel qualifié, multidis-
ciplinaire, une disponibilité particulière
des soignants, et un travail de collabora-
tion étroite avec les secteurs ou soignants
référents du patient en amont et au dé-
cours de leur prise en charge à l’HJCD.
Le bilan, après 3 années d’exercice, est
que, pour une grande majorité des patients
admis à l’HJCD, l’hospitalisation com-
plète est évitée et que l’insistance sur le
travail des relais permet une sortie sécuri-
sée du patient à la fin de sa prise en
charge. Cet hôpital de jour de courte durée
reste, à l’heure actuelle, le seul outil de ce
type sur l’établissement. Il permet d’ac-
cueillir une partie de la population ren-
naise correspondant uniquement à deux
secteurs de la ville. Les résultats actuels
nous laissent penser que ce modèle de
soins constitue un complément straté-
gique à l’offre de soins ambulatoire per-
mettant de pallier davantage les hospitali-
sations temps plein et que son extension
au-delà des secteurs actuellement concer-
nés serait profitable au reste de la popula-
tion rennaise.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 63
Introduction
L’espace de soin et de médiation (ESM)
est un accueil de jour à temps partiel, thé-
rapeutique, éducatif et pédagogique. Ou-
vert en 2007 au sein de la Maison des
Adolescents du Calvados (MDA14), il
est, historiquement, le prolongement
d’une équipe mobile de soins destinés aux
adolescents hospitalisés en service de
psychiatrie d’adultes, à l’EPSM de Caen.
Comme dans tout le dispositif de la
MDA14, l’équipe de l’ESM souhaite
s’inscrire dans une prise en charge globale
de l’adolescent en multipliant les regards
et les approches : soignante, éducative,
sociale et pédagogique. L’équipe est ainsi
composée de professionnels issus de l’hô-
pital psychiatrique, de l’Education Natio-
nale et du champ socio-éducatif. Si les
différences entre les formations initiales
de chacun, les milieux professionnels
d’où nous venions, nos référentiels, nos
modes de lecture pouvaient être une véri-
table richesse dans le regard que nous por-
tions sur les adolescents, il nous a fallu
quelques années pour trouver une com-
préhension des problématiques et un lan-
gage suffisamment communs... au risque
de laisser certaines questions de côté,
comme ce fut le cas de la question de la
fin de la prise en charge.
Modalités de prise en charge à l’Espace de Soin et de Médiation
Nous disposons de 10 places d’accueil, 5
au titre de l’hôpital de jour et 5 au titre du
médico-social, de par notre montage ad-
ministratif original.
Nous y recevons des jeunes de 12 à 18 ans
à raison d’une à quatre demi-journées par
semaine, pour des problématiques di-
verses mais dont le dénominateur com-
mun est la difficulté d’intégration dans le
monde usuel, celui de l’école ou des lieux
de formation, celui des pairs et de la so-
ciété, mais aussi celui de la famille ou
d’autre lieu de vie (famille d’accueil,
foyer…). Toutefois, on peut distinguer 2
grandes catégories de symptômes condui-
sant à une admission : la 1ère est celle des
troubles du comportement, qui existent
souvent de longue date et peuvent s’ins-
crire dans des troubles de personnalité sur
fond de failles narcissiques massives, des
dysharmonies évolutives de l’enfance, ou
des troubles émergents de type dépressif
ou psychotique lors de troubles du com-
portement plus récents. Les autres types
de symptômes sont des difficultés à fré-
quenter l’école en raison de phobies sco-
laires, de phobies sociales, d’inhibitions,
d’angoisses de séparation ou de mouve-
ments dépressifs, et le plus souvent la
combinaison de ces différents facteurs.
De notre point de vue, ces problématiques
s’ancrent aussi bien dans le champ de la
psychopathologie individuelle et fami-
liale que dans celui de l’éducatif. C’est ce
pourquoi l’équipe en lien direct avec les
adolescents est composée d’infirmiers,
d’éducateurs spécialisés et d’un ensei-
gnant, au sens où ces métiers sont en com-
plémentarité opérante pour la plupart de
ces adolescents. Au-delà d’hypothèses de
compréhension à la fois psychodyna-
miques et systémiques, un travail de par-
tenariat étroit avec les autres services en
charge de l’adolescent est indispensable,
que ces services soient du champ du sco-
laire, du sanitaire, du socio-éducatif ou du
handicap.
La prise en charge des adolescents s’ef-
fectue dans un collectif restreint (maxi-
mum 12 jeunes accueillis en même temps
dans la structure), avec un taux d’encadre-
ment important d’un adulte pour 2 jeunes
en moyenne.
Nous utilisons comme support à la rela-
tion et à la parole les activités de média-
tion : corporelles, manuelles, d’expres-
sion, pédagogiques ou socialisantes. Les
principaux axes de travail des médiations
sont l’intégration dans le groupe de pairs,
le travail de confiance et d’estime de soi,
le travail autour de l’image corporelle, le
réinvestissement de la pensée et de pos-
sibles projets. La participation à tel ou tel
groupe est autant déterminée par la mé-
diation en elle-même que par la dyna-
mique que nous présupposons de ces
groupes fermés. Pendant les temps inters-
titiels où tous les jeunes se croisent, la part
d’accompagnement éducatif est plus
large. La permanence de lieu, la pérennité
des temps d’accueil et encore plus des
personnes, soignants et pairs apportent
Après quelques années d’expérience, l’équipe de l’Espace de Soin et de Médiation constate que les sorties des adolescents de l’hôpital de jour sont peu satisfaisantes, pour les jeunes comme pour les professionnels. La question de la séparation, inhérente à la problématique d’adolescence, était contournée. Afin de mettre cette question au cœur du travail de l’hôpital de jour, l’équipe décide d’aménager différemment la prise en charge, notamment en introduisant une temporalité spécifique dans la prise en charge et en abordant d’emblée la sortie à venir…au plus tard à 18 ans. Nous présentons ici les outils que nous avons mis en place pour travailler cette sortie dans le souci de rendre ce temps de la prise en charge thérapeutique : le groupe de parole des jeunes en partance et l’accueil libre dit « auto-prescription ». Quelques exemples cliniques illustrent les enjeux de cette mise au travail de la séparation.
Mots-clefs : adolescence, hôpital de jour, séparation, groupe de parole, fin de prise en charge
Leaving the day hospital: how to give a therapeutic dimension at the end of the treatment of adolescents
After a few years of experience, the team of the “Espace de Soin et de Médiation” noted that the releases of the adolescent day hospital are unsatisfactory for young people as for professionals. The question of separation inherent in adolescence problematic, was avoided. To treat this subject, the team decides to develop differently the care in the day hospital, including the introduction of temporality in the processing and talking immediately the next release …at the latest 18 years. We present here the measures we have implemented to work this release in order to make therapeutic this time of the care: the speaking group of young people leaving and free reception called "auto-prescription ". Some clinical examples illustrate the issues of this work of separation.
Keywords: adolescence, day hospital, separation, group therapy, end of care
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 64
une sécurité indispensable à l’investisse-
ment de ce lieu et à la possibilité de l’uti-
liser comme un espace thérapeutique.
De la difficulté à penser la séparation aux remaniements de la proposition
de soin
Après 5 années de fonctionnement,
l’équipe a constaté qu’à défaut de s’inter-
roger sur la fin de la prise en charge avec
le jeune et ses parents, celle-ci finissait
toujours par se déliter ou être escamotée.
Petit à petit, certains jeunes manifestaient
une lassitude, une démotivation vis à vis
des médiations... avec un absentéisme de
plus en plus marqué. Les jeunes finis-
saient par ne plus venir sans que cela
puisse être parlé ou reparlé, ils actaient
pour nous la séparation. L’équipe restait
alors avec le sentiment d’un travail non
accompli. Et, pour ces adolescents, il est
possible, bien qu’ils aient été acteurs de la
rupture, qu’ils en aient gardé un sentiment
d’abandon, de lâchage, bien peu structu-
rant pour eux.
D’autres jeunes, au contraire, conti-
nuaient à venir à l’ESM, bien qu’irrégu-
lièrement, et leur prise en charge ne pre-
nait plus sens pour eux, ni pour l’équipe.
Pour autant, l’équipe avait bien du mal à
mettre fin à ces prises en charge... et, ré-
gulièrement, l’équipe demandait à ce que
l’âge de sortie de l’ESM soit retardé, 19
ans, puis 20 ans... c’était sans fin ! Il y
avait là une forme d’évitement pour ne
pas travailler la séparation : la difficulté à
se séparer était notable tant pour les
jeunes que pour l’équipe.
Car la fin de prise en charge, c’est aussi
regarder l’écart entre ce que nous avions
projeté initialement, la réalité du projet
engagé et l’aboutissement. Cela peut acti-
ver du déplaisir et de la déception. Proba-
blement que dans notre toute jeune struc-
ture, nous n’avions pas envie de regarder
nos “échecs”, et tentions de reculer cette
échéance. Pour autant, la séparation ne
peut pas être évitée.
Nous avons constaté combien cette posi-
tion de l’équipe rendait plus difficile le
départ des adolescents de l’ESM et que
nous escamotions ainsi l’accompagne-
ment du processus d’individuation-sépa-
ration propre à l’adolescence, décrit par
Peter Blos. Se posait alors la question de
comment soigner et penser la dernière
étape de la prise en charge à l’ESM pour
mieux se séparer ?
Nous avons alors repensé les prises en
charge, leur inscription dans le temps et la
nécessité d’un travail au plus tôt concer-
nant la sortie de l’ESM, et de là, la possi-
bilité d’un véritable travail autour des
questions de séparation et dépendance
chez les adolescents.
Dès le début, quelque chose est dit de
cette séparation à venir, dans le sens où la
prise en charge est limitée dans le temps,
au maximum à l’échéance des 18 ans. Il
s’agit d’un repère temporel connu de tous,
c’est la loi du temps. Les bilans intermé-
diaires de prise en charge sont de véri-
tables moments où la séparation est mise
en scène, puisque la question de continuer
ou de s’arrêter s’y trouve posée.
Pour structurer de manière plus lisible
pour tout le temps de prise en charge,
l’équipe a fait évoluer l’organisation de
l’ESM en 3 temps successifs de prise en
charge avec :
- un temps d’évaluation et d’observa-
tion, nommé « Groupe entrants », de 2 à
4 mois, où il s’agit essentiellement de
travailler “l’accroche” avec le jeune et
élaborer son projet de soin à l’ESM.
- un temps de prise en charge avec des
médiations spécifiques, qui se décline en
cycle d’une vingtaine de semaines, re-
nouvelable autant de fois qu’utile au
jeune. Le projet de soin évolue lors des
synthèses pluridisciplinaires et des bi-
lans avec le jeune et sa famille.
- un temps de travail de la sortie de
l’ESM, qui s’articule autour du « Grou-
pe de parole de Jeunes en Partance ».
La fin de la prise en charge des jeunes à
l’ESM s’envisage dans trois situations :
- dans le meilleur des cas, elle est déter-
minée par l’atténuation des symptômes,
une insertion scolaire ou professionnelle,
la reprise d’une vie sociale de meilleure
qualité et la possibilité de poursuivre un
travail thérapeutique en individuel.
- Pour d’autres, l’arrêt s’impose en rai-
son de leur âge et des limites d’accueil
que nous nous sommes fixées. Les 18
ans viennent alors marquer la fin de la
prise en charge à l’ESM, avec un relais
vers d’autres structures du champ du
soin, de la Protection de l’Enfance ou du
handicap, qui s’est travaillé au cours des
derniers mois de prise en charge.
- Il arrive aussi que nous décidions d’ar-
rêter la prise en charge avant la majorité
malgré la persistance de certains symp-
tômes, lorsque nous pensons que notre
structure ne peut pas apporter plus à ce
jeune ou que la prise en charge ne prend
plus de sens pour les uns et les autres.
Quoiqu’il en soit, la fin de la prise en
charge à l’ESM a pu être anticipée et pen-
sée avec le jeune et sa famille. L’arrêt dé-
finitif est alors programmé pour le cycle
suivant : l’intégration du groupe de parole
des jeunes en partance vient symboliser le
début du processus de sortie et de sépara-
tion. A l’issue des 8 séances du groupe de
parole, le jeune sort de la structure, il n’y
est plus attendu de manière programmée
et contractualisée. Toutefois, le travail de
séparation peut se poursuivre, si besoin,
par la fréquentation d’un temps d’accueil
libre, que nous nommons « Auto-pres-
cription ».
Le groupe de parole des jeunes en partance : un cheminement
progressif vers une séparation
Afin de travailler cette fin de la prise en
charge à l’ESM, nous avons pensé la mise
en place d’un groupe de parole fermé, qui
se déroule sur 8 séances hebdomadaires
de ¾ d’heure.
Le groupe a lieu le mercredi en fin de
journée en dehors des vacances scolaires.
Il peut se dérouler au maximum 2 fois par
an, comme les autres cycles. Le groupe
accueille l’ensemble des jeunes pour qui
une décision de sortie a été prise, le
nombre de jeunes varie donc d’un cycle à
l’autre. Idéalement composé pour la dyna-
mique de groupe, de 4 à 6 jeunes, il n’a
jamais dépassé 5 jeunes et ne se tient pas
si le nombre de participants initiaux est in-
férieur à 3.
Afin de créer une cohésion suffisante à la
venue dans le groupe, nous proposons
préalablement 2 temps d’accueil à l’en-
semble des jeunes de ce groupe à venir.
Cela leur permet de s’identifier, car tant
bien même qu’ils sont pris en charge de
longue date à l’ESM, certains d’entre eux
ne se sont que croisés en raison de par-
cours pour soin bien différents.
Les règles de fonctionnement sont fixées
en groupe à la première séance. Nous in-
sistons sur les questions d’écoute mu-
tuelle et du respect de la parole de l’autre,
la prise de parole se fait au rythme de cha-
cun. Ce qui est dit dans le groupe reste
dans le groupe sauf si le jeune était amené
à exprimer des éléments inquiétants qui
nécessiteraient une forme de protection.
La participation au groupe est un engage-
ment sur les 8 séances et un calendrier des
rencontres est remis à chaque participant.
En cas d’absence, le jeune se doit d’en in-
former son référent afin que nous puis-
sions le relayer auprès du groupe. En cas
de refus de poursuivre la participation au
groupe de parole, la sortie de l’ESM est
prononcée de manière prématurée.
Les objectifs du Groupe sont de clore avec
les jeunes le travail thérapeutique mené à
l’ESM et de se donner du temps pour se
dire au revoir, avant de partir. Pour cela,
nous proposons aux jeunes de :
- revisiter, relire leur parcours de soin ;
- relier, reconnecter le passé au présent
pour pouvoir aborder l’avenir...
- partager leur expérience individuelle
de leur intégration à l’ESM, car il y a
certes un trajet commun, mais chacun y
a mené un parcours singulier.
- Echanger autour de ce que l’ESM a pu
leur apporter et éventuellement de ce que
cela pourrait apporter à d’autres.
Quitter l’Espace de Soin et de Médiation : donner une dimension thérapeutique à la fin de la prise en charge des adolescents
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 65
- Partager leurs projets et leurs projec-
tions dans l’avenir, et les doutes atte-
nants, se soutenir mutuellement dans
leurs projets et dans leur nécessaire dé-
part de l’ESM.
En parallèle à la participation à ce groupe
de parole, le jeune est reçu par son réfé-
rent en entretiens individuels et c’est aussi
l’occasion de reprendre et d’analyser avec
le parcours réalisé au sein de l’ESM, à
partir d’éléments de leur histoire person-
nelle qui ne peuvent être évoqués dans le
groupe. Il s’agit d’affiner et confirmer
l’éventuel projet de prise en charge ulté-
rieure.
Le dispositif groupal a été pensé avec une
co-animation du groupe à 3 adultes de
l’équipe de l’ESM, dont 2 adultes en prise
directe avec les jeunes lors de leur accueil
à l’ESM. Ces 2 soignants, qui sont té-
moins du parcours des jeunes au sein de la
structure, vont être eux aussi mis au tra-
vail. En effet, il y a un double travail de
mémoire et de séparation à l’œuvre dans
ce groupe, celui des jeunes qui vont partir
mais aussi celui des adultes qui vont res-
ter. La présence de ces 2 soignants permet
de rendre dynamique un échange, qui se
déroule parfois devant les adolescents,
avant de pouvoir s’effectuer avec eux.
Chacun des soignants a un regard diffé-
rent sur les jeunes, avec qui ils ont partagé
des relations singulières et différenciées.
Cette co-animation à 3 permet aussi qu’un
adulte puisse accompagner un jeune qui
sortirait au décours de la séance, du fait
des émotions suscitées par ce processus
de sortie-séparation. Nous avons pensé
utile la présence d’un tiers médiateur dans
cette co-animation : parce qu’il n’a pas
d’histoire commune avec les adolescents,
il facilite les témoignages et le partage
d’expériences vécues. Il peut aussi ques-
tionner un discours trop convenu et tenter
de le reformuler, interroger des évi-
dences pour le groupe, des modes rela-
tionnels jeunes - adultes qui se reprodui-
sent. Le tiers médiateur introduit une pen-
sée, un mode relationnel différents et une
possible différenciation. Il est enfin le ga-
rant du cadre et assure la mémoire du
groupe.
C’est l’assistante sociale de l’ESM qui
joue cette fonction tierce. Elle a, en effet,
une place singulière au sein de l’ESM :
d’une part, elle n’est pas engagée avec les
jeunes dans un suivi où l’intime vient
s’exprimer et, d’autre part, de par son tra-
vail d’accompagnement des jeunes et de
leur famille, dans la construction de relais
de prise en charge et des dossiers inhé-
rents, elle vient symboliser quelque chose
de l’ordre du passage.
Or l’adolescence n’est-elle pas un passage
de l’enfance à l’âge adulte, d’un état de
dépendance totale aux parents à un état
d’autonomie psychique suffisant ?
Lors de la première séance, les jeunes
marquent chacun à leur manière leur en-
trée dans le groupe et disent quelque
chose de leur problématique de départ et
de leurs éprouvés quant à la sortie de
l’ESM et à la séparation imposée. La fin
de la prise en charge ne manque jamais de
réactiver les séparations passées, s’expri-
ment alors des affects dépressifs, des fan-
tasmes d’abandon, et l’intérêt du groupe
est questionné... de cette question com-
mune, nait le groupe qui peut se mettre au
travail. Ainsi, Louis dit combien il ne veut
pas partir « je veux rester toute ma vie, il
faudra me tuer pour que je parte ».
Sophie, jeune fille carencée au passé trau-
matique, était un peu sauvage à son arri-
vée à l’ESM, qu’elle avait eu beaucoup de
mal à intégrer. Elle s’était d’abord présen-
tée particulièrement grossière, avec moult
propos sexualisés, cherchant à mettre
l’autre à distance, puis elle s’était montrée
de plus en plus confiante à l’égard des
adultes, voire profondément attachée
même si cela était impossible à recon-
naître pour elle. Elle progresse beaucoup
au décours de sa prise en charge et ses
troubles du comportement s ’amendent. A
son arrivée dans le groupe de parole de
jeunes en partance, elle se présente de
nouveau comme à son arrivée à l’ESM,
elle arrive dans la salle en vociférant,
grossière, elle jette son sac à travers la
pièce puis s’assoit bruyamment. Elle en-
voie des messages avec son téléphone,
provoque les adultes, déclare que sa « ré-
férente est une mongole » et qu’elle ne re-
viendra pas. Elle quitte de manière préci-
pitée la salle, mais finalement juste à
l’heure de fin, et sera présente à l’en-
semble des séances suivantes.
Au cours des séances suivantes, nous tra-
vaillons à l’expression des souvenirs en
s’appuyant sur des techniques imagées :
nous proposons aux jeunes d’ouvrir en-
semble “l’album photos de leur histoire à
l’ESM”, de revenir sur les premiers pas de
chacun dans cet espace, de se rappeler des
moments clef qu’ils y ont vécus et de re-
visiter les différentes étapes de leur prise
en charge. Les soignants aident les jeunes
dans ce travail par un « je me rappelle
que... », « est-ce que tu te souviens de... »
afin de convoquer la mémoire, faciliter
l’émergence des souvenirs de chacun. Les
souvenirs des uns réactivent les souvenirs
des autres, les jeunes et les adultes conju-
guent leurs souvenirs de manière différen-
ciée, les adultes y associent des ressentis
pour amener les adolescents à exprimer
leurs émotions.
Le groupe prête sa mémoire, chacun ap-
porte son témoignage et partage ses sou-
venirs : chacun se souvient avec l’autre et
vient ainsi valider son témoignage. Le
groupe a une fonction contenante et de ré-
ceptacle de cette histoire.
Après les souvenirs collectifs joyeux,
vient l’expression de souvenir plus per-
sonnel…on passe du groupal à l’indivi-
duel. Au-delà de faire revivre le passé, il
s’agit de le reconsidérer, notamment à la
lumière du présent : se rapprocher de son
passé pour mieux prendre de la distance.
Les 2ème et 3ème séances sont consacrées à
l’évocation de l’avant, de la période de
pré-admission et nous demandons aux
jeunes de créer une image photographique
de ce moment et de se représenter « moi
tel que j’étais, tel que je me percevais, tel
que je me sentais être à mon arrivée ».
En écho aux propos de Christine Ulivucci
dans son livre « Ces photos qui nous par-
lent », les photos proposées par les jeunes
mettent en scène une part de leur problé-
matique. Ces images photographiques
questionnent l’absence, l’illusion de ce
qu’on montre à voir ou pas, les confusions
et les différenciations difficiles par le flou,
le brouillard dans lequel ils peuvent se
trouver au moment de leur arrivée à
l’ESM. Une narration se crée autour de
cette première image de soi et de la mise
en scène... c’est une révélation progres-
sive... petit à petit, le jeune parle de ce
qu’il était, de ses difficultés, de sa place,
de sa souffrance, de ce pourquoi il est ar-
rivé à l’ESM...
Sophie se décrit sur une photo en noir et
blanc, « elle était violente, une sorte de
bandit, elle faisait des fugues, elle traitait
les éducateurs et les tabassait », « sur la
photo, il y avait mon père, j’étais toujours
avec mon père, triste ».
Martin décrit lui une photo de son arrivée
à l’ESM, « j’étais timide, j’étais étonné de
ce qui se passait ici », « il y avait des gens
qui n’avait pas les mêmes problèmes que
moi, je me demandais pourquoi je suis
seul à être différent, pourquoi je suis
comme ça », « j’étais limite pas con-
cerné », il évoque alors une scène sympa-
thique de jeux extérieurs avec d’autres
jeunes de l’ESM, la photo est haute en
couleur.
Lors des séances suivantes, nous revisi-
tons les temps forts de leur accueil à
l’ESM : la rencontre avec les jeunes, les
adultes, les médiations qu’ils ont aimées,
les séjours thérapeutiques, les contrariétés
et déceptions éprouvées. Nous tentons de
déterminer ceux qui pourraient être à
l’origine de changement chez eux.
Alors, est abordée la question de leur
changement : « Comment je me suis vu
grandir ? comment je t’ai vu changer ?
comment les parents me voient grandir ?
comment cela se traduit ? ». A partir de
cette réflexion, nous leur proposons de
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 66
LES AUTEURS
Delphine AUCOUTURIER Monitrice-éducatrice Jacques LEROY Educateur Docteur Hélène NICOLLE Psychiatre Anne-Françoise REGNOUF Assistante sociale
Maison des Adolescents du Calvados 9, place de la mare 14000 Caen France
BIBLIOGRAPHIE
1. CLEACH C. (2015), Adolescents en hôpital de jour : comment envisager l’après, Le journal des psychologues, /4 n°327, p. 38-42.
2. HAGMANN V., SERVANT B. (2011), Se ren-contrer, se connaître, se séparer : la cure des états limite en hôpital de jour soins-études, Re-vue française de Psychanalyse, /2 vol.75, p. 451-465.
3. HOCHMAN J. (1994), La consolation : Essai sur le soin psychique, Editions Odile Jacob.
4. JEAMMET P., CORCOS M. (2001), Evolution des problématiques à l’adolescence. L’émer-gence de la dépendance et ses aménagements, Doin, Références en Psychiatrie.
5. ULIVUCCI C. (2014), Ces photos qui nous parlent : une relecture de la mémoire familiale, Essais Payot.
WEBOGRAPHIE
6. VIRLOUVET N., La fin de la prise en charge, enjeu de séparation, http://www.meta-bole.asso.fr/espace-de-recherche/114-la-fin-de-la-prise-en-charge-enjeu-de-separation.html
créer une 2ème image photographique,
sorte d’« auto-portrait d’aujourd’hui tel
que je suis, tel que je me sens ». Le groupe
mesure et valide ensemble le chemin par-
couru en faisant retour sur la 1ère image
photographique, celle de l’arrivée à
l’ESM.
Martin qui a été longtemps déscolarisé dit
« aujourd’hui j’ai grandi mentalement,
mais en plus j’ai changé », « je vais en
cours, tout est mieux globalement, je
m’amuse en cours, avec les autres, je suis
content d’être avec les autres, c’est un
changement ». « J’ai de la barbe mainte-
nant, je suis un homme ». « J’ai changé de
rail et j’ai continué... ».
Sophie évoque une photo très en lien avec
la séparation en cours, « mon père n’est
plus là sur la photo, il est mort… il y a
plus d’éduc’ », « je suis trop bonne, je
suis courageuse depuis la maternelle »,
« une éducatrice m’a dit que j’étais cou-
rageuse, elle ressemble à ma mère [décé-
dée pendant l’enfance de Sophie], c’est
mon père qui le dit ».
Nous pouvons alors aborder la question
du départ et de la séparation, qu’est-ce
que cela leur fait, qu’est-ce que cela nous
fait de les voir partir. Chacun peut repartir
enrichi l’un de l’autre et de l’expérience
partagée à l’ESM...
Comme de bons parents, nous leur rappe-
lons une dernière fois les projets que nous
avons construits avec eux, les points d’ap-
pui possibles, auprès de leurs consultants,
des institutions où ils peuvent être ac-
cueillis... et la possibilité de revenir par-
fois en auto-prescription.
Ce groupe de parole des jeunes en par-
tance repose ainsi sur une co-construction
du “roman thérapeutique” de chacun : le
jeune va déplier son vécu, partager avec le
groupe les événements marquants de son
parcours à l’ESM, et l’écoute des autres,
leurs témoignages participent à la mise en
forme du roman thérapeutique par la mise
en lien du vécu du jeune et des évène-
ments de son parcours de soin. Le récit
prend petit à petit sens, s’enrichit d’émo-
tions, de ressentis... ceux du jeune mais
aussi ceux du groupe, c’est ainsi que le
“roman thérapeutique” peut s’élaborer...
« Voilà ce que j’ai traversé et ce que je
suis devenu aujourd’hui. ». Le “roman
thérapeutique” devient pensable et racon-
table, d’autant plus que le groupe assure
une fonction contenante et rassurante. Il y
est possible de penser ensemble pour
l’autre, penser l’autre, se laisser penser
par l’autre et être pensé par le groupe. Un
décalage des statuts s’opère au décours du
groupe, de soigné, on devient soignant,
“co-thérapeute” les uns pour les autres.
De la prise en charge groupale proposée
par l’ESM, peut renaitre une individualité
de par ce roman thérapeutique singulier.
Poursuivre le travail de séparation malgré la sortie de l’ESM
« l’Auto-prescription »
Dès l’ouverture de l’ESM, nous avions
pensé un espace d’accueil libre, d’une
heure fixe par semaine, pérenne toute
l’année, que nous nommions « Auto-pres-
cription ». Nous pensions cet espace-
temps, soit comme un temps supplémen-
taire que les jeunes pouvaient se prescrire
dans la semaine alors qu’ils étaient enga-
gés dans un contrat de soins avec nous,
soit comme une veille possible pour les
jeunes sortis de l’ESM, qui pouvaient
continuer à nous interpeller.
Lorsque les jeunes sont sortis de l’ESM,
la possibilité de participer à l’auto-pres-
cription a des intérêts multiples :
- aménager la séparation après la sortie.
Si nous signifions clairement aux adoles-
cents que nous les croyons capables de
poursuivre leur évolution sans venir à
l’ESM et capables de s’éloigner de nous,
nous leur offrons la possibilité de s’ap-
proprier l’objet de la séparation. Ainsi,
ils deviennent acteur complet de leur
prise en charge, en décidant de venir ou
non, au moment où ils le souhaitent et
quelles que soient leurs attentes.
- Activer, réactiver devant nous une
bonne image interne, par la validation
avec nous de leur parcours, leurs choix et
leur évolution globale.
- Venir réactiver après de nous les
images, les identifications insuffisam-
ment intériorisées au décours de leur
prise en charge.
- S’émanciper de nous, se hisser avec
nous dans un rapport d’adulte à adulte,
en nous exprimant leur reconnaissance
pour l’attention que nous leur avons
porté, dans une forme parfois de contre-
don.
Jacques vient depuis 2 ans en auto-pres-
cription après 3 ans de prise en charge
dans un contexte d’angoisses massives en
milieu scolaire, pouvant mettre en péril la
poursuite de sa scolarité. Il s’agissait au-
tant d’angoisses de séparation que d’an-
goisses de performance apparues lors de
son entrée au collège. Cette étape d’indi-
viduation-séparation était difficile pour ce
fils unique de parents se montrant assez
déprimés, d’autant plus qu’il était victime
de moqueries des pairs, notamment du fait
de son manque d’habiletés sociales. Pen-
dant la prise en charge, il se montre très
volontaire, se surpassant dans certaines
activités comme la réalisation d’un court-
métrage.
Si d’emblée, il est en mesure de s’appuyer
sur les relations avec les soignants, il ne
trouve que petit à petit sa place dans le
groupe de pairs de l’ESM. Il gagne en
confiance en lui et peut prendre de la dis-
tance avec ses parents avec sécurité, au
Quitter l’Espace de Soin et de Médiation : donner une dimension thérapeutique à la fin de la prise en charge des adolescents
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 67
point d’envisager un internat après son
cursus au collège. Il l’intègre sans diffi-
culté et poursuit sa scolarité avec beau-
coup plus d’apaisement. Jacques vient
nous rendre visite 2 à 3 fois par an et fait
à chaque fois état de progrès, il semble
avoir besoin de vérifier ce que nous en
pensons.
Lisa a été accueillie pendant 4 ans à
l’ESM, sa prise en charge a été extrême-
ment difficile du fait de l’attaque récur-
rente du lien : fréquemment, elle s’op-
pose, elle s’absente, fugue ou ne vient pas,
elle refuse de participer aux activités. Elle
continue malgré tout de fréquenter l’ESM
malgré les changements de lieux de vie
itératifs, et peut investir pendant quelques
semaines certaines médiations. Elle se dé-
brouille pour que nous lui montrons com-
bien nous tenons à elle et à son mieux-
être... toutefois, elle rompt brutalement
peu de temps avant sa majorité de par une
longue fugue de son lieu de vie. Nous
avons quelques nouvelles peu rassurantes
par téléphone, ou par le biais d’autres
jeunes qui la croisent. Elle nous contacte
deux ans plus tard pour nous annoncer la
naissance de son enfant, elle tient à venir
le présenter à l’équipe avec son conjoint :
elle a pu enfin se poser et accepte de s’ap-
puyer sur différents professionnels pour
accompagner son enfant.
Pour les jeunes majeurs qui ont rompu
avec nous avant qu’ils aient pu s’appro-
prier un projet d’accompagnement ulté-
rieur, c’est la possibilité de les amener à
réfléchir aux possibles en termes de relais.
En effet, certains réalisent dans l’après-
coup que leurs difficultés perdurent et
peuvent enfin être demandeurs de prise en
charge adaptée. Ce travail est d’autant
plus important que nous constatons régu-
lièrement qu’il existe un fossé entre le
type de prise en charge proposée aux mi-
neurs et celui proposé aux majeurs, et que
les structures pour jeunes adultes sont
bien peu nombreuses. Un travail de mail-
lage, sans se réengager complétement, est
indispensable pour soutenir ces jeunes
majeurs dans l’élaboration de leur projet
d’accompagnement et l’attente de la mise
en place de celui-ci.
Nous évoquons ici le cas de Corinne, ad-
mise dans un contexte de déscolarisation
après une tentative de suicide, elle présen-
tait des carences narcissiques sévères et
majorées par une histoire traumatique.
Soutenue par l’équipe de l’ESM, elle
avait réussi à retourner en scolarité et ob-
tenir son diplôme de fin d’étude malgré
ses difficultés cognitives. Elle avait
trouvé à l’ESM un espace où elle prenait
de plus en plus confiance en elle et s’ex-
périmentait dans des relations différentes
avec les pairs et les adultes, qu’elle avait
beaucoup investi au cours de ses 2 années
de prise en charge. L’annonce de la fin de
prise en charge est compliquée pour Co-
rinne qui aurait souhaité poursuivre des
accueils à l’ESM malgré sa majorité, nos
propositions de soins ultérieurs ne peu-
vent être alors acceptés. Elle participe
avec difficulté au groupe de parole de
jeunes en partance, puis vient chaque se-
maine en auto prescription. Lorsqu’elle
réalise qu’elle ne peut plus faire les
mêmes activités dans ce contexte, elle
rompt tout lien avec nous pendant deux
ans. Elle revient finalement en auto-pres-
cription pour évoquer ses difficultés à
s’insérer dans le monde du travail et à
s’émanciper de ses parents. Elle est alors
prête à engager de nouveau des consulta-
tions, qu’elle avait cessé, et à demander
une reconnaissance de handicap pour être
accompagnée dans son insertion socio-
professionnelle.
Il s’agit bien plus d’une aide à la réflexion
et à l’élaboration que d’un travail d’ac-
cueil. En effet, après quelques années de
fonctionnement mal défini, nous avons
constaté que cet espace d’auto-prescrip-
tion était beaucoup fréquenté et même
embolisé par les jeunes les plus carencés,
dans une demande plus affective qu’une
réelle mise au travail psychique. Nous
mesurions alors le risque d’entretenir une
dépendance à notre service, et de contra-
rier d’autres projets ou une adhésion aux
services adaptés. Nous avons alors décidé
d’imposer aux jeunes un entretien indivi-
duel systématique à chaque visite, en plus
d’un temps plus convivial d’accueil, afin
de pouvoir évaluer et travailler la de-
mande, sans leurrer le jeune sur la possi-
bilité de maintenir une pseudo-prise en
charge en l’état.
Sauf inquiétude majeure de notre part,
nous ne fixons pas de rendez-vous à ces
jeunes, qui peuvent nous interpeller quand
ils le souhaitent : c’est ainsi que nous pou-
vons revoir certains jeunes pendant plu-
sieurs années, avec des présences souvent
très espacées dans le temps.
Conclusion
Il nous semble utile de nous rappeler que
se séparer à l’adolescence signifie aussi
grandir et devenir sujet. Aussi, il est de
notre devoir d’aider les adolescents à nous
quitter.
S’il est indispensable que les soignants
s’engagent fortement dans la relation avec
ces jeunes pour que la prise en charge
puisse commencer, nous ne devons pas
les leurrer sur ce que nous pouvons leur
apporter et sur le temps possible de notre
accompagnement. Pour l’équipe, il faut
opérer là un véritable renoncement aux
fantasmes de toute puissance et de sauve-
tage…et ceci n’est pas sans douleur et de-
mande toujours à être remis au travail.
Comme l’a théorisé Jacques Hochmann
pour les enfants psychotiques, bien que
proposant une approche globale des ado-
lescents, l’ESM a tout intérêt à rester par-
tielle, “lacunaire” et à renoncer à servir les
jeunes de façon totale, à satisfaire tous
leurs “besoins”.
Car du manque peuvent naitre l’envie et
l’échange, et n’avons-nous pas tous
quelque chose à y gagner ?
Chaque départ est l’objet d’une interroga-
tion. Que savons-nous de l’avenir de ces
adolescents lorsqu’ils nous quittent ?
Nous espérons qu’eux savent que la porte
de l’ESM leur reste ouverte pour un autre
travail, celui de la séparation et du relais,
cela témoignerait d’une forme d’internali-
sation du travail que nous avons mené
avec eux.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 68
Introduction
En 2007, débutait à l’Hôpital de jour Paul
Sivadon le projet pilote Archimède, mo-
dule de réhabilitation psychiatrique à des-
tination de jeunes patients schizophrènes
entre l’âge de 20 à 35 ans, au décours
d’une des premières décompensations. Le
développement de ce projet a fait l’objet
d’une communication au colloque des
Hôpitaux de jour en 2008 [3]. A l’époque,
l’ensemble du programme n’avait pas en-
core été mis en œuvre totalement, ce qui
rendait l’évaluation du travail réalisé dif-
ficile.
Huit années plus tard, que peut-on dire de
l’évolution de ce projet ? Comment-a-t-il
mis l’équipe à l’épreuve ? Comment-a-t-
il fait évoluer la dynamique institution-
nelle ? Quels sont les défis et les perspec-
tives d’avenir ?
1 L’IPT, Integrated Psychological Treatment ou Programme Intégratif de Thérapies Psy-
chologiques, est une approche de réadapta-
tion destinée aux personnes souffrant de
Pour rappel, le projet Archimède se don-
nait comme objectif de permettre une ré-
insertion de jeunes patients schizo-
phrènes, basée sur leur environnement
spécifique, les habilités revalidées et les
déficits résiduels dans le cadre d’un séjour
de neuf mois en hôpital de jour.
Basé sur les données scientifiques de la
littérature sur les troubles psychotiques,
ce module de réhabilitation psychiatrique
avait pour objectif d’intégrer différentes
dimensions considérées comme majeures
dans la prise en charge des pathologies
psychotiques [3], à savoir :
- la disponibilité et la motivation du pa-
tient à s’engager dans son traitement,
- le traitement médical prenant en
compte les différents déficits observés, y
compris les symptômes négatifs et dé-
pressifs,
schizophrénie, développée en 1992 en Suisse par Brenner et ses collaborateurs.
- la revalidation cognitive des déficits
observés dans la psychose,
- l’aménagement psychosocial de l’envi-
ronnement du patient.
Le travail réalisé dans ce module visait à
la fois à évaluer les déficits cognitifs et à
établir un programme de revalidation spé-
cifique et non spécifique de ces déficits,
de manière à permettre un retour à une
autonomie maximale dans l’environne-
ment choisi par le patient, voulant ainsi
éviter autant que faire se peut la chronici-
sation. Il existait une volonté d’intégrer
les programmes de revalidation cognitive,
tel l’IPT de Brenner1 [1].
Pour l’implémentation du programme Ar-
chimède, c’est le modèle de réhabilitation
psychiatrique développé par Anthony,
Farkas et Cohen (2004) dans le cadre de
l’école de Boston qui a été utilisé, modèle
d’orientation Cognitivo-Comportemen-
tale. Ce modèle intègre une approche mé-
dicale (incluant notamment la revalida-
tion cognitive) et psychosociale, dans une
vision bio-psycho-sociale de la maladie
mentale. Le modèle de réhabilitation psy-
chiatrique tel que développé par l’école de
Boston consiste en une tentative d’inté-
gration du modèle médical de la psychia-
trie et du modèle social de la réhabilitation
psychosociale. Le patient est envisagé
dans sa globalité et dans l’environnement
dans lequel il évolue. Il s’agit d’un mo-
dèle pluridisciplinaire, pluridimension-
nel, sensé faciliter le retour d’un individu
à un niveau optimal de fonctionnement
autonome dans la communauté [3].
Ce modèle différencie et intègre diffé-
rentes phases de traitement :
- le traitement médical : traitement mé-
dicamenteux, traitement psychothéra-
peutique, approche psycho-éducative
(familiale et individuelle), revalidation
cognitive.
Prolongeant le projet pilote « Archimède », module de réhabilitation psychiatrique à destination de jeunes patients schizo-phrènes débuté en 2007, nous développerons les différentes étapes et processus qui ont abouti à l’élaboration d’un programme thérapeutique spécifique, appelé module Emergence, destiné à une patientèle majoritairement psychotique ou souffrant de troubles bipolaires. Nous discuterons des modalités d’interventions progressivement déployées, évolutives et dynamiques (activités à médiation, psychoéducation, modèle ergothérapeutique KAWA, revalidation cognitive…), dans une démarche d’intégration des référents théoriques, des modèles psychothérapeutiques et des apports de la pluridisciplinarité. Nous verrons, au travers de l’évolution du projet Archimède, comment la cohésion de l’équipe a été mise à l’épreuve, comment la dynamique institutionnelle a évolué, comment les soignants ont été confrontés et ont pu réagir aux spécificités du transfert psychotique. Enfin, après quasiment deux ans de fonctionnement de ce module Emergence, nous aborderons la question de l’évaluation des pratiques et des inter-ventions.
Mots-clefs : projet Archimède, intégration des modèles théoriques, cohésion d’équipe, modèle ergothérapeutique KAWA, trans-fert psychotique, isomorphisme, évaluation des pratiques
Evolution of the pilot project “Archimedes” Adapt, create, for the sake of coherence and cohesion
As a continuation of the Archimedes project, psychiatric rehabilitation module for young schizophrenic patients started in 2007, we will develop the steps and processes that led to the development of a specific therapeutic program called Emergence module. We will discuss the modalities of interventions gradually deployed, scalable and dynamic (mediated activities, psy-choeducation, KAWA model, cognitive revalidation...), in a process of integration of theoretical referents and psychotherapeutic models. We will see, through the evolution of the Archimedes project, how the cohesion of the team was put to the test, how the institutional dynamic has evolved, how caregivers have faced and have responded to the specificities of psychotic transference. Finally, we will approach the issue of the evaluation of the practices.
Keywords: Archimedes project, integration of theoretical referent, team cohesion, KAWA model, psychotic transference, iso-morphism, evaluation of the practices
Evolution du projet pilote “Archimède” : s’adapter, créer, dans un souci de cohérence et de cohésion
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 69
- le traitement psycho-social, visant à
améliorer le fonctionnement concret du
patient dans ses environnements de vie,
à trouver ou retrouver des rôles sociaux
valorisants. Le but est d’aider le patient
à choisir, obtenir puis garder les environ-
nements et les rôles qu’il préfère [3].
La littérature scientifique de ces 15 der-
nières années donnant aux déficits cogni-
tifs (par lesquels on entend classique-
ment : troubles de l’attention, de la mé-
moire, des fonctions exécutives) une
place centrale dans la schizophrénie, une
partie importante du projet consistait à
tenter d’y remédier. Les hypothèses scien-
tifiques évoquaient l’existence dans la
schizophrénie d’un déficit fondamental de
remémoration consciente. Fondé sur ces
hypothèses, la revalidation des stratégies
de remémoration consciente et de projec-
tion dans le futur devait permettre une
amélioration de la capacité d’identifica-
tion des patients, favorisant les prises de
décision et la résolution de problèmes.
Le projet consistait également à accompa-
gner le patient sur le terrain et développer
des tâches spécifiques en fonction des
souhaits exprimés (suivre une formation,
reprendre une activité professionnelle,
vivre seul en appartement...). En fonction
des déficits résiduels observés, une aide
de réseau était organisée avec le patient,
sa famille et les différents intervenants
potentiels. Ce qui impliquait dès lors de
travailler avec l’environnement proche
pour aider celui-ci à accepter les fragilités
du patient et s’y adapter.
Il existait également au sein du projet ini-
tial une volonté de proposer à l’admis-
sion, à la sortie et six mois après la sortie,
une évaluation globale pluridimension-
nelle (symptomatologie présentée, éva-
luation neuropsychologique, évaluation
de la qualité de vie…). Il s’agissait d’éva-
luer les déficits mais aussi les ressources
disponibles.
Evolution du projet Archimède Confrontation à la pratique
Une thérapeute a été formée en IPT Bren-
ner et il existait une volonté d’implémen-
ter le programme tel qu’il avait été éla-
boré.
Confronté à la pratique, le constat majeur,
qui a débouché sur la nécessité de s’adap-
ter, a certainement été celui de la diffi-
culté de constituer une patientèle homo-
gène, répondant aux critères de départ :
jeunes patients schizophrènes entre l’âge
de 20 et 35 ans, dans le décours d’une des
premières décompensations. Difficulté de
constituer une patientèle homogène sur le
plan du diagnostic, de la conscience mor-
bide, de la stabilisation de l’état psy-
chique général, de l’âge ou encore de la
chronicité.
A l’été 2013, une transition s’est progres-
sivement effectuée entre le programme
initial Archimède et sa version actuelle
appelée module Emergence.
Comment s’est opérée cette transition ?
Un épuisement se faisait ressentir : lutter
pour garder une dynamique de groupe
avec trois patients qui n’arrivaient pas à
être présents le même jour devenait épui-
sant.
A cette même période, il n’y avait pas
d’autres candidats susceptibles d’intégrer
le programme Archimède, même en ne re-
tenant que le diagnostic comme unique
critère d’inclusion. Pendant plus de trois
mois, nous nous approchions à reculons
des ou le plus souvent DU patient, ne sa-
chant plus que “faire avec”. Celui-ci per-
dait toute motivation à revenir le lende-
main... et DES participants nous sommes
passés à UN (et en fin de séjour !!). La dé-
cision du staff de clôturer le groupe, mo-
mentanément, fût inévitable et nous avons
trouvé un programme individuel pour ce
patient avec soulagement. Mais la belle
saison passant, il n’y avait toujours pas de
candidatures à l’horizon et rester à ne rien
faire n’était pas acceptable, tant du point
de vue des thérapeutes que de l’institu-
tion, d’autant que la liste d’attente de pa-
tients pouvant intégrer les autres modules
de l’Hôpital de jour s’allongeait de ma-
nière de plus en plus conséquente. Nous
partîmes alors de l’idée de créer un nou-
veau module pouvant à la fois accueillir
les “profils” Archimède, où un travail spé-
cifique continuerait d’être réalisé, et
d’autres patients sur liste d’attente depuis
plusieurs mois parfois. Le binôme des
thérapeutes engagés au sein du pro-
gramme Archimède (ergothérapeute-as-
sistante sociale) ressentait également le
besoin de vivre d’autres expériences pour
se ressourcer, retrouver de l’énergie,
avant peut-être de s’y remettre par la
suite, d’une autre façon.
La nouvelle structure, sans assistante so-
ciale impliquée au quotidien, compren-
drait 2 ergothérapeutes (devenus 3 un an
plus tard) avec intervisions avec le psy-
chologue fraîchement arrivé dans
l’équipe. Le psychiatre responsable du
projet Archimède interviendrait régulière-
ment dans le programme de réhabilitation,
tout particulièrement sur les aspects de
psychoéducation, avec une volonté de dé-
marrer un programme spécifique autour
des troubles bipolaires.
Il y eu beaucoup de débats au sein de
l’équipe de l’Hôpital de jour, période
éprouvante pour les porteurs du nouveau
projet, et quelques mois plus tard, le pro-
jet s’est définit et, la poussée d’Archi-
mède aidant, le nom d’EMERGENCE... a
fini par émerger. L’importance voulait
être donnée aux activités à médiation,
mettant en jeu l’infra verbal : faire émer-
ger un désir, une étincelle, une lueur dans
l’univers intrapsychique du patient... et un
nouvel élan vital pour les soignants con-
frontés aux spécificités du transfert psy-
chotique ?
L’accent voulait être mis sur l’utilisation
d’un tiers, le média, pour amener progres-
sivement, si possible mais pas nécessaire-
ment, à une verbalisation.
L’utilisation du corporel, la mise en mou-
vement serait également privilégiée.
Il était important de ne pas oublier la pré-
cédente structure Archimède et de pou-
voir continuer à travailler avec certains
concepts du modèle de Boston.
Le projet consistait à repenser la prise en
charge de patients considérés comme
“plus fragiles”, telles que les structures
psychotiques et les personnes souffrant de
troubles bipolaires, en conservant les élé-
ments positifs du programme Archimède
tout en ayant à l’esprit les difficultés prin-
cipales progressivement rencontrées sur
le terrain au fil des années (voir tableau I,
infra).
Ce sont sur ces bases que le module Emer-
gence a débuté en novembre 2013, avec
une capacité d’accueil maximale de 10
patients, pour une durée de séjour de 6
mois. Le travail, articulé sur cinq jours par
semaine et non plus trois, y était envisagé
autour de trois axes : l’activité, le travail
dans le présent, la communication non
verbale et verbale, facilitée par l’utilisa-
tion de différents médias concrets et/ou
créatifs, artistiques.
Exemples d’outils proposés
- Psychoéducation, entretiens avec la fa-
mille,
- Cercle relationnel, gestion du temps,
- Collage, l’île, le blason...
- Jeux de rôles (type mise en situation),
- Bilan patient, activité patient,
- Écriture, dessin, bois, terre, corporel...
- Photo, image, livre,
- Sorties diverses,
- Cycle avec intervenants extérieurs.
Dès le début, les activités à médiation ont
été nombreuses et diversifiées : picto-
grammes, photos, marionnettes... Les in-
tervenants extérieurs multiples : kinési-
thérapeute diplômé en sophrologie, artiste
intervenante, psychiatre. Mais la conti-
nuité dans la venue des intervenants exté-
rieurs a été difficile à assurer.
Il existait également une volonté de tenir
compte de ce qui émane du groupe : adap-
ter notre programme en fonction de la dy-
namique observée, comme il est de tradi-
tion de travailler à l’Hôpital de Jour. Nous
avons pris en compte certains besoins. Par
exemple, la rigidité du corps, la mécon-
naissance du schéma corporel nous a
amené à proposer de la danse, du corps en
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 70
mouvement, de la relaxation, plus de
sport. Nous avons également travaillé
avec certains désirs, si désir il y a, ou
centres d’intérêt. Ce qui nous a entrainé
vers une activité de jardinage.
Dans le panel d’outils proposés et d’acti-
vités à médiation déployées, dont un des
objectifs est d’aider les patients psycho-
tiques à reconstruire un espace intersub-
jectif cohérent et petit à petit rassurant [2],
nous voulions détailler un outil de ma-
nière un peu plus spécifique : le modèle
KAWA.
Le modèle KAWA
Basé sur l’utilisation des métaphores, le
modèle KAWA, qui signifie rivière en ja-
ponais, est le premier modèle ergothéra-
peutique non occidental. Ce modèle, où le
patient détermine lui-même ses difficul-
tés, permet de valider les objectifs ergo-
thérapeutiques.
Il s’agit de dessiner une rivière, qui repré-
sente le cours de la vie, jusqu’à l’arrivée à
la mer qui symbolise la mort. L’eau repré-
sente la capacité d’agir, inséparable des
facteurs environnementaux représentés
par les rives et le lit de la rivière. Les ro-
chers représentent quant à eux les obs-
tacles, les problèmes rencontrés.
Ce modèle, qui respecte la culture des per-
sonnes concernées, se donne comme ob-
jectif de « permettre au sujet de perce-
voir, de décrire intuitivement ses pro-
blèmes et ses déterminants personnels
dans son environnement » [5]. Il donne un
cadre pour organiser les problèmes de fa-
çon plus signifiante, permet de valider les
objectifs ergothérapeutiques, de négocier
les moyens à mettre en œuvre et de ren-
forcer le courant de vie.
Fort de quelques résultats encourageants
chez plusieurs patients, il existe une vo-
lonté de poursuivre l’utilisation de cet ou-
til au sein du module Emergence et de
l’intégrer à divers projets d’études au sein
de l’Hôpital de Jour.
Cohérence et intégration des modèles théoriques, mise à l’épreuve
de la cohésion de l’équipe thérapeutique
Depuis les années quatre-vingt, l’Hôpital
de jour Paul Sivadon s’inscrit dans une
démarche d’intégration et de complémen-
tarité des référentiels théoriques, mul-
tiples en institution. Le cadre se veut inté-
gratif, multiple, inspiré des différents ré-
férents théoriques : analytique, cognitivo-
comportemental et systémique, mais
néanmoins contenant et limitant [6].
Ces dernières années, l’équipe de l’Hôpi-
tal de jour a vécu beaucoup de départs
(mise à la pension essentiellement) avec,
en contrepartie, de nouveaux arrivants qui
sont venus la rejoindre. Ainsi, une nou-
velle dynamique d’équipe animait les ré-
unions, chacun essayant d’y trouver et de
s’y faire une place. De nouvelles idées, se
mêlant aux anciennes, étaient lancées lors
des réunions institutionnelles : psychoé-
ducation des troubles bipolaires, intégra-
tion de projets d’intervenants extérieurs,
repenser la structure des modules…
Nous avons pu alors constater la difficulté
de faire s’accorder et coexister des désirs
multiples portés par différents membres
de l’équipe. Chacun défendait son do-
maine, son orientation spécifique, avec
des objectifs bien différents, et parfois op-
posés.
Il y eu beaucoup de débats au sein de
l’équipe avant que le projet ne se définisse
sous le nom de module Emergence, où
l’importance voulait être accordée aux ac-
tivités à médiation, tout en conservant un
travail spécifique avec les patients schizo-
phrènes.
Mais, pour reprendre la vision développée
par Kinoo quand il décrit le paradigme
multifonctionnel interactif [4], il man-
quait un “liant”, le ciment du projet théra-
peutique commun.
Dans le modèle multi-référentiel décrit
par Kinoo, la cohérence se fait par adhé-
sion dynamique et réfléchie des travail-
leurs au projet thérapeutique [4]. C’est
cette dynamique interactive entre les tra-
vailleurs, avec leurs propres références,
qui cimente l’équipe et construit les pro-
jets thérapeutiques. « Ce n’est pas le col-
lage des références qui fait le projet, c’est
la reconnaissance de fonctions multiples
et également nécessaires, assumées par
des professionnels chacun compétent
dans son domaine » [4].
Ce qui, progressivement, a pu faire lien,
en dépassant les clivages d’écoles et de
professions, s’est déroulé au sein de la ré-
union d’équipe, via l’engagement dans un
projet collaboratif et par l’intégration
d’expériences professionnelles com-
munes et conjointes. Progressivement, la
cohésion et la confiance entre les diffé-
rents membres de l’équipe s’est installée
par la réunion d’équipe et par des mo-
ments de “travailler ensemble” : être in-
vité sur le terrain de l’autre et s’y laisser
emmener. Comme le souligne Kinoo : « Il
ne suffit pas d’avoir les meilleurs profes-
sionnels, compétents dans leurs fonctions,
il faut pouvoir travailler ensemble. Pas
seulement dans le respect des différences
mais dans une réelle intégration des ap-
ports différents de chacun » [4].
Illustrons ces deux points
Importance de la réunion d’équipe et élabora-tion d’un premier projet collaboratif commun.
En réunion d’équipe, temps minimum
pour partager convergences et diver-
gences, nous avons pu faire l’expérience
d’un premier véritable projet collaboratif
mais aussi de l’importance de disposer
d’un espace de partage autour des diffi-
cultés rencontrées par chacun. La commu-
nication et la transmission des informa-
tions en a été sensiblement améliorée, de
même que le sentiment de confiance entre
les collègues. Il existait une volonté par-
tagée de se réunir une matinée par mois,
en plus de nos intervisions hebdoma-
daires, afin de construire notre projet
commun et de consacrer suffisamment de
temps à des moments d’élaboration théo-
rico-clinique. Ce premier projet collabo-
ratif commun, qui a commencé à produire
du lien et à cimenter l’équipe, est celui
que nous avons appelé « L’accueil amé-
lioré ».
Nous sommes partis du constat suivant :
nous étions interpellés par le nombre con-
séquent de patients qui arrêtaient rapide-
ment leur séjour (parfois après un ou
quelques jours), et n’arrivaient donc pas à
“accrocher” avec l’Hôpital de jour et avec
le module Emergence. Cela a fait partie
d’une réflexion globale étalée sur plu-
sieurs mois qui a fini par aboutir à l’éla-
boration d’un trajet de candidature spéci-
fique appelé accueil amélioré.
Nous avons fait l’hypothèse que cette pa-
tientèle, présentant pour la plupart une
fragilité psychotique, présentait fort pro-
bablement des difficultés à établir un lien
sécurisant et à contenir leurs angoisses,
par moments massives.
Le premier objectif de cet entretien d’ac-
cueil amélioré, réalisé par le binôme d’er-
gothérapeutes présents en module, est de
“faire du lien”, expliquer le cadre théra-
peutique et le travail en module aux pa-
tients qui restent sur liste d’attente plus
d’un mois. Dans le cours de nos réflexions
et de nos échanges, est survenue une pro-
position créative d’un membre de
l’équipe d’aller, à la fin de cet entretien,
visiter l’accueil avec le futur patient afin
d’amorcer un lien avec les infirmières
d’accueil. La production d’un schéma
couleur à destination de tous les membres
de l’équipe est en cours d’élaboration.
S’il est trop tôt pour évaluer l’impact au-
près des patients de ce nouveau dispositif
(peu de patients en ont encore bénéficié)
il est certain qu’il a permis d’apporter de
la cohésion dans l’équipe par l’engage-
ment dans un projet commun qui donne
du sens au travail d’équipe.
Evolution du projet pilote “Archimède” : s’adapter, créer, dans un souci de cohérence et de cohésion
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 71
“Etre invité sur le terrain de l’autre et s’y laisser emmener”
Pour véritablement être intégratif, le tra-
vail d’équipe se construit par des mo-
ments de travail en commun, des ateliers
en partage [4]. C’est le principe de la co-
intervention, déjà pratiquée au sein du
module, que nous avons étendue aux en-
tretiens avec la famille. Cela a été pour les
thérapeutes un moment de découverte de
l’autre, d’écoute et d’enrichissement mu-
tuel. Cela a certainement modifié notre fa-
çon de percevoir le travail de l’autre et de
travailler ensemble.
Dans le même ordre d’idées, une demande
a été faite pour que le psychologue tra-
vaille en co-thérapie au sein du module, et
ne soit plus limité aux intervisions et aux
échanges informels, car il existait et per-
sistait au fil du temps un sentiment d’in-
compréhension réciproque. Cette de-
mande, récemment rencontrée, participe
certainement au nouage et au recouvre-
ment des fonctions [4].
Ce sont ces éléments, et probablement
bien d’autres, qui mis bout à bout ont per-
mis d’engager une dynamique cohésive et
d’amener du liant entre les différents
membres de l’équipe.
Transfert psychotique, contre-transfert soignant, réactions
isomorphiques et épuisement thérapeutique
En préparant cette communication et en
échangeant entre thérapeutes, un élément
est apparu : l’épuisement ressenti et rap-
porté après deux ans de fonctionnement
du module Emergence. Epuisement mis
en lien avec les efforts déployés pour
créer une cohésion d’équipe autour d’un
projet thérapeutique commun mais aussi,
et sans doute de manière plus fondamen-
tale, en lien avec les spécificités du trans-
fert et des angoisses psychotiques, aux-
quelles les thérapeutes étaient à présent
confrontés au quotidien et non plus trois
jours par semaine. Comme le précise Hen-
drick : « le contact avec les patients psy-
chotiques, avec son cortège d’angoisses
de mort, de morcellement, d’éclatement,
de perte d’élan vital, évoque une confron-
tation avec la mort » [2].
Hendrick nous rappelle également que
soulager la souffrance psychotique ne se
fait pas sans souffrance pour le personnel
soignant et utilise le concept de « souf-
france psychique partagée » pour décrire
l’idée « que le patient ne souffre jamais
seul et que son entourage d’abord, les
équipes soignantes ensuite peuvent elles
aussi entrer en souffrance. Ce qui peut
amener son cortège d’épuisement théra-
peutique, burn-out mais aussi rejet des
patients par le personnel » [2].
Il s’est également intéressé aux processus
dit isomorphiques, dont la nature est dy-
namique et groupale : « comme un phéno-
mène contagieux, l’exposition continue à
la psychose conduit l’équipe soignante à
des angoisses, vers des modes de pensée,
des attentes réciproques et des processus
relationnels similaires à ceux qui sont
éprouvés par la famille du patient. Un
système thérapeutique, une équipe psy-
chiatrique, adopte et répète les patterns
interactionnels dysfonctionnels de cer-
taines familles de patients » [2].
En vertu du principe d’isomorphisme,
« cette perte d’élan vital finit par affecter
les membres de l’équipe. On en arrive à
des réactions défensives compréhensibles
mais inappropriées du personnel soi-
gnant. Dans l’équipe thérapeutique, des
sentiments d’être déniés, inexistants, sans
rôle peuvent se développer. Pour se pro-
téger, on incrimine le patient, la famille.
Les soignants voudraient voir évoluer les
comportements “inadaptés” du psycho-
tique mais les mesures qui sont prises vi-
sent bien plus à se protéger des affects
éveillés par le psychotique que de soigner
celui-ci » [2].
Les réactions défensives inappropriées
que décrit Hendrick, telles un resserre-
ment du cadre, où le patient est obligé de
faire comme le soignant l’entend, ou un
activisme thérapeutique, qui consiste à ré-
pondre à la passivité chronique et dépri-
mante des patients par l’activité, voire la
suractivité, pour éviter sentiment d’im-
puissance et perte de contrôle [2], ont été
certainement présentes, à des degrés di-
vers, au sein du module Emergence.
Nous avons également pu expérimenter
toute l’importance qu’il accorde à la con-
certation clinique, « qui fonctionne
comme un antidote face à la pensée chao-
tique et au fonctionnement fragmenté des
patients psychotiques, qui permet d’iden-
tifier les phénomènes d’isomorphisme et
d’assurer la cohérence des interventions,
cohérence structurante pour le patient »
[2].
Dans ce contexte de prise en charge insti-
tutionnelle de patients psychotiques, nous
voulions proposer une illustration du tra-
vail quotidien qui témoigne de difficultés
spécifiques à travailler avec les personna-
lités psychotiques autour d’un projet com-
mun mais aussi des émotions que les thé-
rapeutes peuvent ressentir lorsqu’une
étincelle jaillit, quand il “se passe quelque
chose” d’inattendu et sans doute d’ines-
péré.
A nos yeux, il s’agit d’un exemple illus-
tratif de la nécessité d’adapter le pro-
gramme initialement prévu (en fonction
de la pathologie des patients, de la dyna-
mique qui s’installe) et de faire preuve de
créativité.
LES AUTEURS
Christophe MILECAN Claire BELLANGER Anne BOEGNER Docteur Vincent LUSTYGIER
Hôpital de jour Paul Sivadon Institut de Psychiatrie et de Psychologie médicale 4, place Van Gehuchten 1020 Bruxelles Belgique
BIBLIOGRAPHIE
1. BRENNER H.D et al. (1998), Thérapie psy-chologique des schizophrénies, Edition Mar-daga.
2. HENDRICK D. et DENIS J. (2014), Familles - Psychose - Institution et co-résilience, in Rési-lience. De la recherche à la pratique, sous la direc-tion de Marie ARNAUT et Boris CYRULNIK. Odile Jacob.
3. LUSTYGIER V. ZAIT E. (2009), La Réhabili-tation Psychiatrique entre majoration de l’auto-nomie et acceptation de la dépendance, Revue des hôpitaux de jour Psychiatriques, n°11, Groupe-ment des hôpitaux de jour psychiatrique ed., pp. 109-112.
4. MEYNCKENS-FOUREZ M., VANDER BORGHT C. et KINOO P. (2011), Eduquer et Soigner en Equipe, Manuel de pratiques institu-tionnelles, De Boeck.
5. MOREL-BRACQ M.-Ch. (2009), Le modèle Kawa (rivière) de Michel Iwana, in Modèles con-ceptuels en ergothérapie : introduction aux con-cepts fondamentaux, Marseille, Solal, pp. 89-96.
6. OUEHHABI S. (2012), Poupées russes : un cadre peut en cacher un autre, Revue des hôpi-taux de jour Psychiatriques, n°14, Groupement des hôpitaux de jour psychiatrique ed., pp. 63-67.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 72
Illustration : film d’animation
Ce projet a été présenté au festival
« Images Mentales » (Bruxelles, 11-12-
13 février 2015) en présence des patients.
Au départ, il s’agissait de proposer un tra-
vail sur les émotions en réalisant un livre
pop-up à base d’ombres chinoises. Deux
ergothérapeutes encadraient l’activité, à
raison d’une séance hebdomadaire de
deux heures.
Première séance
Après avoir défini les émotions de base,
nous proposons aux patients de les repré-
senter derrière un drap. Un patient est très
motivé et amène une certaine dynamique.
Les autres se laissent entrainer. En deu-
xième partie, voyant que la dynamique est
un peu retombée, nous leur laissons la li-
berté de faire ce qu’ils veulent derrière
l’écran.
Deuxième séance
Nous leur proposons de refaire le même
exercice que la séance précédente mais
nous remarquons qu’il est très difficile de
les faire bouger. Les patients semblent
peu motivés : « Je n’ai pas envie », « Je
ne sais pas quoi faire », « Je ne sais pas
comment faire », « Encore pareil ! »...
Peu de patients osent participer. Nous
nous interrogeons. Différentes hypothèses
sont envisagées : nous ne sommes pas
dans le même local, nous ne sommes pas
les mêmes thérapeutes, le nombre de pa-
tients est différent, sont-ils fatigués ? Se
lassent-ils de la répétition de l’activité ?
Nous leur proposons de seulement traver-
ser l’écran et ensuite de mimer des petites
scènes collectives du quotidien. Certains
tentent de faire quelques propositions
mais beaucoup restent en retrait. Entre
thérapeutes, nous devons nous concerter
et trouver comment adapter, réarticuler le
projet pour que les patients aient envie de
l’investir. Nous nous rendons compte que
nous n’avons pas assez de matière pour
continuer le projet pop-up mais que les
photos les unes à la suite des autres peu-
vent créer une histoire. Nous vient alors
l’idée de réaliser un mini-film d’anima-
tion.
Troisième séance
Nous leur proposons la nouvelle orienta-
tion du projet : ils sont d’accord. Nous dé-
cidons donc de choisir collectivement les
photos que nous garderons pour le mini
film. Les choix semblent évidents et assez
unanimes. Seul un patient reste en retrait
avec des « Comme vous voulez ».
Comment intégrer ce patient dans le projet ?
Nous avons réussi à attirer l’attention de
tous les patients, chacun a trouvé sa place,
à sa manière, dans ce projet qui est devenu
le leur. Nous avons du mal à accepter
qu’un seul reste en retrait. Nous savons
qu’il adore la musique et qu’il joue de la
guitare.
Vient alors l’idée de proposer une séance
musicale qui pourrait compléter le film.
Pour la prochaine séance, nous leur de-
mandons, s’ils le souhaitent, d’apporter
une guitare ou un autre instrument de mu-
sique de leur choix.
Quatrième séance
Nous mettons à leur disposition des per-
cussions et le patient resté à l’écart la
séance précédente a apporté sa guitare.
Nous leur demandons de découvrir, de
tester les instruments mis à disposition.
Ce patient, habituellement très en retrait,
qui ne verbalisait pas, rentre directement
dans cette proposition et commence à
jouer de la guitare (magnifique !!). Les
autres patients l’ont instinctivement ac-
compagné avec les percussions. Nous ne
nous attendions pas à un résultat aussi
concluant, aussi rapidement ! Après un
échauffement, nous leur proposons de les
enregistrer pour créer un fond sonore au
film. Tous sont d’accord et même enthou-
siastes. Ce média a permis à ce patient de
lui donner une autre place dans le groupe.
Il a mené le groupe quelques minutes.
Nous pensons qu’il a apprécié ce nouveau
rôle mais jamais il ne nous l’a dit, évidem-
ment !
Cinquième et dernière séance
Pour clôturer le projet, nous organisons
un atelier écriture, « Pour vous, l’Emer-
gence, qu’est-ce que c’est ? ».
Les patients paraissent peu enthousiastes
dans un premier temps mais finissent par
se prendre au jeu. Nous lisons les textes et
le retour est très positif, pour un des textes
en particulier. Proposition leur est faite de
lire ce texte en voix-off et de l’insérer au
film. Après de longues conversations, tout
le monde lira une phrase !
Epilogue
L’investissement des patients a claire-
ment grandi au fur et à mesure de la cons-
truction du projet. Nous avons, après
chaque séance et parfois même au milieu
de certaines séances, imaginé la suite, ré-
orienté, réadapté le projet sans savoir où
nous allions. Nous avons abouti à un ré-
sultat très éloigné de ce que nous avions
prévu de faire. Ce type de projet, avec une
population majoritairement psychotique,
demande une grande capacité d’adapta-
tion, de réactivité et de créativité. Ce qui
peut, à long terme, être épuisant.
Evaluation des pratiques
Prendre le temps et le recul suffisant pour
tenter d’évaluer la pertinence, l’apport
d’un projet, ce qui fonctionne, ce qui peut
être amélioré ou repensé, nous semble être
un moment indispensable. L’évaluation
des pratiques peut se concevoir à diffé-
rents niveaux, dont par exemple celui
d’une supervision externe mais aussi, et
c’est ce point que nous souhaitons briève-
ment aborder pour en souligner toute la ri-
chesse, celui de l’utilisation réfléchie de
données statistiques.
L’apport des statistiques nous semble
riche d’enseignements lorsque l’on se
pose la question de l’évaluation des pra-
tiques. Il s’agit de confronter nos expé-
riences subjectives, recueillies au contact
quotidien des patients et de la vie institu-
tionnelle, qui ont évidemment tout leur in-
térêt, à des données objectives que sont
les statistiques.
Depuis 2014, à l’initiative de la psycho-
logue S. Ouehhabi qui y consacre une pu-
blication à venir, il existe à l’Hôpital de
jour un recensement statistique plus
fourni, qui ajoute aux traditionnelles dates
d’entrée, date de sortie, diagnostic, des
éléments pertinents, comme par exemple,
une éventuelle reprise du travail, une for-
mation, une rechute avec hospitalisation
résidentielle, une prise en charge en centre
de jour…
Cet outil statistique permet de réfléchir à
nos pratiques sur base de données objec-
tives. Il permet des réflexions pouvant
servir de base à d’éventuels ajustements,
évolutions, remises en question et orienta-
tions futures.
Cela permet aussi de constater que la con-
frontation aux statistiques amène son lot
de surprises et ouvre la voie à des ques-
tionnements qui n’auraient sans doute pu
advenir autrement. C’est sur cette base
que l’on est parfois amené à constater
l’écart qu’il existe entre la perception sub-
jective amenée par le fonctionnement
quotidien et la réalité des données statis-
tiques.
Au sein du module Emergence, nous
avons pu faire l’expérience de l’intérêt de
ces statistiques (pourcentage élevé de pa-
tients qui arrêtent leur séjour avant terme,
absence de réintégration professionnelle
des patients…) pour entamer des chan-
tiers de réflexion. Cette démarche quanti-
tative peut certainement s’intégrer et
coexister en bonne intelligence avec une
démarche qualitative, centrée sur le vécu,
l’histoire, la subjectivité du patient.
Se passer des statistiques, en tout cas de
leur utilisation et de leur intégration dans
une réflexion globale, c’est se priver d’un
levier majeur et puissant dans l’évaluation
de la pertinence des pratiques et comme
source d’orientations thérapeutiques fu-
tures.
Evolution du projet pilote “Archimède” : s’adapter, créer, dans un souci de cohérence et de cohésion
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 73
Conclusions et perspectives d’avenir
Le projet Archimède, dans son évolution
depuis 2007 jusqu’à ce jour, a mis
l’équipe à l’épreuve dans ses capacités
d’adaptabilité, de créativité et de cohésion
autour d’un projet thérapeutique com-
mun. Sur le plan de la dynamique institu-
tionnelle, on peut constater qu’il a intro-
duit à l’Hôpital de jour une dimension de
travail spécifique (la revalidation cogni-
tive et la psychoéducation au sens large),
tout en conservant une approche globale
du patient, où le lien reste au centre de nos
pratiques et l’institution envisagée
comme agent thérapeutique.
Comme le souligne S. Ouehhabi, « notre
ambition reste avant tout que le patient
puisse recréer du lien avec lui-même et
autrui » [6]. Le lien : la manière dont il se
fait, dont il ne se fait pas, dont il peut être
brisé, cassé, reconstruit, dont il peut être
levier thérapeutique... reste le cœur de
notre travail quotidien.
Cela étant, il ne nous semble pas incom-
patible et dénué d’intérêt thérapeutique,
de proposer à nos patients des moments de
travail spécifique tout en les conservant
comme sujets.
Au cours des années, le projet Archimède
a certainement ouvert l’équipe à une vi-
sion Cognitivo-Comportementale de la
maladie mentale et ouvert la voie à
d’autres projets orientés Thérapies Cogni-
tivo-Comportementales (dont ACT, Ac-
ceptance and Commitment Therapy, Thé-
rapie d’Acceptation et d’Engagement en
français, en cours d’implémentation ac-
tuellement). Il a fait évoluer le fonction-
nement de l’Hôpital de jour en y amenant
des ateliers et programmes spécifiques, en
fonction des difficultés et des déficits ob-
servés mais aussi de la demande du pa-
tient et de ses ressources.
Les perspectives du module Emergence
impliqueront avant tout de maintenir la
cohérence et la cohésion dans l’équipe,
d’essayer de continuer à fonctionner en
bonne articulation et complémentarité.
Dans les années qui viennent, il existe
également une volonté de mettre en œuvre
des chantiers autour de l’évaluation de
l’efficacité thérapeutique de nos pro-
grammes et de nos prises en charges.
Tableau I Programme Archimède : aspects positifs et difficultés rencontrées
Ce qui nous est apparu positif Difficultés rencontrées
- Psychoéducation
- Remédiation cognitive avec ou sans pro-
gramme précis (petits jeux)
- Entretien de famille/travail en réseau
- Bilans centrés sur la qualité de vie
- Travail sur les émotions
- Travail avec interprétation des images
(émotions, journaux)
- Sorties /situations concrètes
- Intégration les après-midis aux autres pa-
tients de l’Hôpital de jour
- Réunion hebdomadaire pluridisciplinaire
-
- Côté stigmatisant du regroupement par symptôme et d’un rythme différent (3j/semaine pendant 9 mois au lieu
de 5j/semaine durant 6 mois pour la plupart des autres modules de l’Hôpital de jour)
- Difficulté de constituer un groupe homogène pour appliquer le programme initial
- Peu de personnel et peu de pluridisciplinarité
- Résistance d’une partie de l’équipe à ce nouveau concept (base TTC, vision de la psychose)
- Résistance à accueillir cette population spécifique dans les activités
- IPT peu adaptée à une patientèle pas suffisamment déficitaire
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 74
Les ateliers de
l’unité de réhabilitation
L’unité de réhabilitation est intégrée dans
un dispositif de soins complexes au sein
du Centre Hospitalier Universitaire Vau-
dois de Lausanne – Suisse. Elle s’adresse
aux personnes pour lesquelles les consé-
quences psycho-sociales de leurs troubles
psychiques sont importantes. Elle vise à
favoriser leur rétablissement.
Il s’agit non seulement de soigner médi-
calement leurs troubles, mais aussi de les
aider à retrouver un rôle et des relations
sociales, une identité intégrée et la satis-
faction d’une vie remplie. L’unité com-
prend une dimension thérapeutique (con-
sultation ambulatoire, hôpital de jour,
soutien à l’emploi) et ateliers de travail.
Durant l’année 2014, les Ateliers ont ac-
cueilli 343 personnes, dont 112 entrées et
107 sorties. Ces personnes signent un
contrat de collaboration et sont reconnues
en qualité d’employés ou d’artisans sui-
vant leur activité, qu’ils soient rattachés
aux Ateliers de production ou aux espaces
de création. L’âge moyen est de 45 ans et
le groupe est composé de 131 femmes et
212 hommes. L’équipe d’encadrement
compte 19 collaborateur(trice)s salariés,
dont une grande majorité de maîtres so-
cioprofessionnels.
Plus précisément, la mission des Ateliers
de l’Unité de Réhabilitation est de fournir
à des personnes présentant des difficultés
passagères, récurrentes ou invalidantes
sur le plan psychosocial, des activités de
production (sous-traitance industrielle),
artisanales, artistiques et de bien-être.
Les participants aux espaces de création,
reconnus comme artisans, évoluent au
sein de Césure (peinture, dessin, poterie,
céramique et textiles), de Baz’art (créa-
tions avec divers matériaux), d’Erga-
sia (galerie d’art, expositions) et de la bu-
reautique (initiation au traitement de
texte, image).
Quant aux ateliers de production, leurs ac-
tivités se déploient sous les filières et les
appellations suivantes : Imprim’ser-
vices (travaux pour l’imprimerie, coupe
pliage, façonnage, reliure, assemblage),
Conditionnement et recyclage informa-
tique (emballage, étiquetage, expédition,
démontage et récupération de matériel in-
formatique), Artisanat bois (fabrication et
restauration de meubles, travaux d’artisa-
nat, d’ébénisterie et de menuiserie), Agro-
alimentaire (espaces verts, huile de noix,
bois de feu, tresses et pain), Maintenance
informatique (récupération, assemblage
et configuration d’ordinateurs).
Préambule à l’audace
L’audace est sans doute une qualité, on
peut aussi la considérer comme une vertu
politique, sociale, sportive. Elle se noue
dans un élan, une expression, un geste, qui
impriment leur marque dans un temps
donné. L’audace et l’audacieux ou l’auda-
cieuse se déploient ainsi dans un champ
d’activités qui les précède, qui est donc
antérieur à leur propre déploiement. L’au-
dace n’est pas l’innovation, bien qu’elle
puisse concourir à une nouvelle forme
d’expression qui ouvrira un nouveau
champ d’activités. Par exemple, dans le
champ des arts, modifier le cadre et cer-
taines règles qui permettaient l’émer-
gence d’un objet considéré jusqu’alors
comme relevant de leur champ, est un
geste initiateur de nouvelles expériences,
restant néanmoins soumis aux critères
d’évaluation antérieurs dont sont garants
le cadre et les règles.
Mais il peut aussi s’en écarter pour finale-
ment les contester dans l’espoir d’ouvrir
de nouvelles perspectives qui, solidifiées,
après leur déstabilisation, édifieront un
nouveau champ d’activité. Ou bien il peut
mener directement à ce que l’on nomme
prosaïquement “le bide”, l’échec. Il ne
faut pas l’oublier : modifier le cadre et les
règles dans le champ des arts est un risque
L’Unité de Réhabilitation du Service de Psychiatrie Communautaire de Lausanne (DP CHUV) est composée d’une unité de soins ambulatoires, d’un hôpital de jour et d’ateliers. La démarcation entre lieux de soin pour les deux premiers et lieu d’activité, de production et de création artistique pour les derniers ne dépend pas exclusivement de leurs modes de financement (pour les deux premiers, par l’assurance maladie de base obligatoire en Suisse ; par le Service de Prévoyance et d’Aide Sociales (SPAS) pour les derniers). En effet, l’expérience lausannoise montre que la prescription du soin est sous tension et solidaire de l’inscription des patients dans la formulation personnelle, singulière, de nouvelles marques, de nouveaux sillons, pourvoyeurs d’identités. L’engagement et le travail par une activité spécifique aux ateliers peut en faire partie. Sans doute des lieux deviennent des lieux de soin, des lieux d’activité et sont investis comme tels à condition d’être des lieux de mise en relation, mise en circulation (mise en circulation de la parole, mise en circulation de biens à produire, produits). Ainsi, de la prescription du soin à l’inscription personnelle, et de leur dynamique propre peut émerger ce que nous empruntons volontiers au domaine musical : une forme de transcription. La phase de reconstruction, décrite dans le processus de rétablissement, fait appel à l’audace (« oser faire autrement ») et aux ressources de chacun, comme la transcription musicale qui consiste à noter de la musique pour un instrument autre que celui pour lequel elle est initialement écrite, dans la perspective d’une exécution différente.
Mots-clefs : psychiatrie, travail, travail social, rétablissement
Being oneself, being healed: to take care of oneself or to shape one’s life?
The Psychiatric Department of Community Unit of Lausanne (CHUV DP) is composed of the ambulatory care unit, of the day hospital and of workshops. The separation in terms of location between medical care and activities for the ambulatory care unit and the day hospital, as well as the separation between production and artistic creation for the workshops, is not only a consequence of their source of funding (the ambulatory care unit and the day hospital are financed by the mandatory Swiss basic health insurance whereas the workshops are financed by the Welfare Services and Social Assistance (SPA)). Indeed, the Lausanne experience shows that the prescription of care is under tension but also linked with the inscription of the patients in personal language, new landmarks, new paths and finally produces new identities. The engagement and the work itself in a specific activity made in workshops can also participate to it. There is no doubt that the spaces used for medical care or activities are experienced as such, provided that these spaces allow personal relations and the circulation of speech, of the things to produce and goods. Thus, from the prescription of medical care to the personal engagement with their own dynamic, it may emerge a kind of transcription that is used in the musical field. The reconstructing phase, described in the process of recovery, needs audacity (“dare to do things differently”) and personal strength. A comparison can be made with the musical transcription that would consist to write a piece of music for another instrument that is initially written for and in the perspective to play the piece of music differently.
Keywords : psychiatry, employment, social work, recovery
Etre soi, être soigné : se soigner ou se travailler ?
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 75
à prendre, sans garantie contre l’apprécia-
tion négative, le rejet ou l’incompréhen-
sion.
L’audace et l’audacieux ne s’autorisent
donc pas que d’eux-mêmes, ils prennent
leur élan dans un lieu et en un temps ins-
titués. En terres normandes, qui nous in-
vitent en octobre 2015 à partager l’expé-
rience lausannoise concernant certains as-
pects des soins en psychiatrie sociale de
l’unité de réhabilitation, l’audace n’est
pas un vain mot, il résonne même histori-
quement avec force, en nous renvoyant,
nous qui ne l’avons ni vécu ni connu, sur
le théâtre des opérations militaires du dé-
barquement allié en juin 1944. L’audace
commémorée, illustrée par différents
“moments du combat militaire” et de leur
répercussion immédiate au niveau de la
population civile, prend une dimension
héroïque, dimension que nous n’occul-
tons pas mais que nous souhaitons, à notre
mesure, questionner : quelle place pour
l’audace, dans un rapport institué, entre
clinique, malades psychiques et interven-
tions sociales ?
Pour nous aider nous nous appuyons sur
un livre remarquable de l’écrivain suisse-
allemand Ludwig Hohl, « Die Notizen
oder Von der Unvoreiligen Versöh-
nung » [2], traduit en français en 1989,
sous le titre : « Notes ou de la réconcilia-
tion non–prématurée ». Dans ce livre
dense, foisonnant, un peu fou, l’écrivain
prospecte, en notre compagnie, différents
territoires plus ou moins connus, dans un
style d’écriture sobre, précis. Le territoire
humain qu’il sonde en un premier cha-
pitre, réparti en 51 notices, prend en con-
sidération la notion du travail.
Nous avons choisi, dans la première no-
tice de ce chapitre, les trois phrases sui-
vantes :
- « La vie humaine est brève. »
- « Car la mesure d’une vie, ce n’est pas
une horloge, c’est le contenu de cette
vie. »
- « Ce faire-là, est nul autre, voilà ce que
j’appelle le travail. »
Ces trois phrases n’ont pas pour nous va-
leur de vérité mais de guide pour dévelop-
per une perspective, c’est-à-dire échafau-
der un point de vue sur notre pratique ins-
titutionnelle.
Ce point de vue, Monsieur Gérald, patient
rencontré dès août 2012, par son histoire
et sa maladie, le complexifiera.
La vie humaine est brève
Monsieur Gérald est arrivé aux ateliers de
l’unité de réhabilitation à l’automne 2013,
en rage et sans espoir, dans le cadre d’une
mesure de réinsertion socioprofession-
nelle, sous mandat de l’office de l’assu-
rance invalidité (AI). Il fulminait, ne se re-
connaissant plus ni dans ce qu’il était ni
dans ce qu’il avait traversé. Sa vie n’était
plus vraiment sa vie, son sentiment
d’existence en voie d’extinction. Il n’était
plus temps de penser à ses origines, à
l’élève moyen qu’il disait avoir été.
Quand on a été très investi dans son tra-
vail, quand on est méticuleux, apprécié
par sa hiérarchie, quand on a obtenu à de
nombreuses reprises des postes à respon-
sabilité, “l’utilité sociale” devient une se-
conde nature, une forme d’assurance,
l’assurance que l’on existe bien, pour soi
et pour autrui. Alors, se retrouver dans un
endroit un peu vétuste, confiné, où l’on
vous propose comme activité la mise sous
pli... à proximité d’un hôpital psychia-
trique en plus...
Et on aura beau expliquer au psychiatre
qu’on consulte depuis 2012 sur le même
site que les ateliers qu’on ne se sent plus
utile à rien, comment... Comment d’ail-
leurs lui expliquer que jamais, par le
passé, on ne s’était figuré qu’un jour on
aurait recours à lui ?
La santé, c’est le travail, et ce n’est pas à
un homme approchant la soixantaine à qui
on dira le contraire, surtout quand il en est
la preuve vivante ! Trente-cinq ans dans
un service après-vente comme technicien,
que ce soit pour les pompes à essence ou
encore les machines à café, appelable
dans toute la Suisse, couvrant l’ensemble
de ce petit territoire d’accord, mais qui
connaît cette terre ? En effet, en 1997,
suite au décès de son beau-père, Monsieur
Gérald reprend l’exploitation agricole de
feu celui-ci, tout en conservant son acti-
vité professionnelle habituelle. Créatif, il
développe, avec l’aval de sa famille, l’éle-
vage d’autruches, d’alpagas et, plus ré-
cemment, la culture d’épeautre. La santé,
c’est le travail à condition de pouvoir gar-
der la main mise sur la gestion du do-
maine et du travail technique. Se retrouver
à travailler dans une mesure à caractère
socioprofessionnel, dans une activité ré-
pétitive et évaluée par un maître sociopro-
fessionnel, a suscité frustration et dépit
qui nourrissaient sa colère.
Au début, Monsieur Gérald subit la me-
sure qu’il lui avait été demandé d’entre-
prendre. Il ne s’inscrit pas dans ce “pro-
jet” préférant faire valoir son caractère
obstiné, « je n’accepte pas ». Il restait à
son poste de travail, sans contacts avec ses
collègues d’atelier et bougonnait. Iro-
nique, « un technicien qui plie des enve-
loppes », remarque adressée aux profes-
sionnels d’encadrement. D’avoir son
corps à “l’arrêt” et statique sur un poste de
travail qui l’exigeait remet en cause son
identité de travailleur “actif”, remet en
cause son statut ainsi que l’emploi et l’in-
telligence de son corps.
Assez rapidement, malgré les réticences,
Monsieur Gérald s’est intéressé au sens de
son “nouveau job” et a posé des questions
quant à la commande : mailing publici-
taire d’une entreprise d’horlogerie. Il a
alors commencé à s’inscrire dans la com-
munauté de travail, communiquant son
enthousiasme et discutant avec ses col-
lègues d’atelier. Il profite des pauses et
des repas pour partager avec fierté son ex-
périence personnelle d’agriculteur et éle-
veur. La cafétéria devient pour lui un lien
de convivialité.
D’une mesure à “remplir”, prescrite admi-
nistrativement, Monsieur Gérald choisit
de négocier cette période de son existence
et d’en faire une nouvelle inscription dy-
namisant sa vie.
Car la mesure d’une vie, ce n’est pas une horloge, c’est le contenu de cette
vie
La vie humaine est brève, elle est rythmée
par des obligations, des enthousiasmes et
des déceptions. Ludwig Hohl affirme de
manière lapidaire « Sans la conscience
que notre existence est brève, nous n’ac-
complirons aucune action qui vaille ».
La vie de Monsieur Gérald, “avant”, était
séquencée par sa vie de famille et ses dif-
férentes casquettes, son emploi de techni-
cien, d’agriculteur et l’engagement en po-
litique auquel il renoncera plus tard.
Dans son dernier emploi, Monsieur Gé-
rald, alors chef de groupe, accumule stress
et “usure”. Il fait remonter son mal-être à
l’arrivée d’un nouveau responsable au-
quel il doit rendre des comptes, celui-ci
« voulant montrer qu’il est le chef » en le
dénigrant, le critiquant.
Monsieur Gérald bénéficie d’un certificat
d’arrêt de travail dès juin 2012. Des négo-
ciations avec son employeur sont menées
mais celui-ci se montre peu enclin à pro-
poser des alternatives à son retour au tra-
vail (aménagement du poste de travail).
Sa situation de santé générale s’exacerbe
suite à l’annonce de son licenciement
pour fin janvier 2013.
A ce moment-là, un retournement de si-
tuation se produit : le licenciement est ré-
voqué et une proposition de poursuite du
contrat de travail est discutée au même
poste de technicien-chef de groupe. Il re-
fuse. Dans l’intervalle, au niveau médical,
le diagnostic d’épisode dépressif sévère
est posé et confirmé par une expertise psy-
chiatrique.
Monsieur Gérald essaie, puis refuse, puis
essaie à nouveau, dans un va-et-vient in-
cessant, de mesurer sa vie, d’en faire le bi-
lan comme les professionnels le disent
parfois, mais à quelle aune ? A l’aune
d’une horloge implacable comme toutes
les horloges ?
Et le temps qui passe, et avance, avance...
Ou bien en sous-pesant « le contenu de
cette vie », comme l’écrit Hohl.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 76
LES AUTEURS
Dr Frédéric SCHNEEBERGER Médecin Chef de clinique adjoint Emmanuel PECHIN Intervenant socio-éducatif
CHUV, Département de psychiatrie Service de psychiatrie communautaire Les Ateliers de l’Unité de réhabilitation Route de Cery 1008 Prilly Suisse
BIBLIOGRAPHIE
1. Guide du rétablissement, Unité de réhabilita-tion, Lausanne, 2013, 61, pp. 5-6.
2. HOHL L., (1981), Die Notizen oder Von der Unvoreiligen Versöhnung, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 536, 11
Il n’y a sans doute pas de réponses
simples à ces questions, des réponses im-
médiates, évidentes, tranchées. Et c’est
justement ce dont il dit souffrir le plus,
« Vous savez, je n’arrive plus à prendre
de décisions, je remets au lendemain ;
même pour les foins... ».
La maladie psychique de Monsieur Gé-
rald le rend, pense-t-il, inutile. Ce qui
rythmait sa vie prend des allures morbides
de tocsin, comme si le contenu de sa vie
ne devenait par moments plus qu’affaire
d’horloge. D’ailleurs, il voudrait en finir.
Il dit sa lassitude de cette attente d’un
meilleur jour… qui s’éloigne de jour en
jour. A ce propos, Ludwig Hohl écrit :
« [...] nous serons peut-être actifs en ap-
parence, mais nous vivrons, pour l’essen-
tiel, dans une attente perpétuelle [...] ».
Dans le cas de Monsieur Gérald, ce senti-
ment d’attente, en dehors des circons-
tances et des événements extérieurs l’af-
fectant au moment de l’acmé de sa mala-
die, a peut-être aussi été favorisé, du
moins nous sommes-nous posés la ques-
tion, par les échéances de la mesure de ré-
insertion socioprofessionnelle aux ate-
liers, les bilans fixés périodiquement,
avec des objectifs “serrés” le mettant dans
la position de devoir rendre des comptes
concernant sa capacité de travail.
En progression ? Stationnaire ? Nulle ?
Durant le suivi thérapeutique, Monsieur
Gérald s’est ouvert de ses idées suici-
daires, douloureuses pour lui, d’autant
plus quand un voisin agriculteur dont il
était proche a mis fin à ses jours. Il a pu
reconnaître que le fait “d’en parler” le
soulageait un peu. Au fil des mois, et bien
après sa mesure de réinsertion aux ateliers
(soit fin 2014), sa situation clinique
s’améliore jusqu’au moment où il nous
annonce vouloir innover « en cultivant de
l’épeautre ».
Ce qui nous frappe, durant ce laps de
temps, c’est sa meilleure santé, et son si-
lence quant à celle-ci, perçue par nous. Il
faut dire que notre suivi thérapeutique
s’échelonne toujours sur un rythme heb-
domadaire, alterné en binôme médico-er-
gothérapique... comme si Monsieur Gé-
rald était encore en pleine période de cas-
sure, brisure ! En évoquant avec lui cette
absence d’ajustement du suivi thérapeu-
tique en fonction de son évolution, il ap-
paraît que Monsieur Gérald, effective-
ment, ne sait plus trop comment investir
les soins : comme s’il devait répondre à
l’exigence de voir les soignants régulière-
ment, « parce qu’au fond ça ne va pas
vraiment », alors même qu’il se sent
mieux et nous fait part de ses projets ! Le
cadre des soins l’a mis dans une situation,
là aussi, d’attente perpétuelle « de revenir
comme avant » alors même que le proces-
sus de changement est enclenché...
Ce faire-là, et nul autre, voilà ce que j’appelle le travail
Dans notre expérience lausannoise, les
personnes qui ont vécu une cassure, une
brisure, et se retrouvent en soins, nous
parlent souvent du travail et des compé-
tences qu’ils ont perdu suite aux symp-
tômes de la maladie.
La capacité de reprise d’une activité pro-
fessionnelle peut être le signe que le pro-
cessus de rétablissement dans leur vie est
en action. Travailler est aussi le signe de
la récupération d’une place dans la com-
munauté, d’une source de motivation
mais cette perspective de reprise d’acti-
vité engendre aussi des anxiétés, la con-
frontation à la réalité, et la perte d’illu-
sions.
L’écrivain Ludwig Hohl oppose de ma-
nière radicale ce qu’il nomme « des forces
extérieures » et « sous la contrainte de
forces extérieures, étrangères » à « ce qui
t’est propre, sous la seule poussée de
force intérieure », faisant de cette der-
nière l’unique moteur de l’action et du tra-
vail. Il semble qu’à la question devant la-
quelle nous souhaitions trouver au moins
une prémisse de réponse il oppose une fin
de non-recevoir. En effet, toujours dans
cette première notice, il écrit « Faire
quelque chose, et de cette manière, c’est-
à-dire faire ce qui t’est propre, sous la
seule poussée de forces intérieures : cela
seul donne la vie, cela seul peut sauver ».
Au vu de notre pratique institutionnelle,
nous nuançons cette affirmation. En effet,
nous pouvons assimiler « les forces exté-
rieures » de Hohl à la prescription médi-
cale mais aussi sociale et sa « seule pous-
sée de force intérieure » aux ressources de
chacun favorisant le jeu de nouvelles ins-
criptions, l’enjeu des soins psychiques
étant alors l’art de les connecter.
D’une certaine manière, Monsieur Gérald
était “holhien” avant que nous ne lisions
Hohl, un tenant de cette position tranchée
qui compte, exige tout de soi, puise à l’in-
térieur - pour s’orienter vers l’extérieur ;
il exigeait de ses forces intérieures seules
qu’elles le portent et le mènent là où il de-
vait aller, ne comptant que sur elles pour
faire ce qu’il avait à faire. L’histoire de sa
vie en témoignait... jusqu’à l’épuisement !
Evidemment, nous ne nous permettrons
pas de porter un jugement sur cette atti-
tude et conviction humaines, relevant sans
doute aussi d’un choix - et donc à respec-
ter en tant que tel -, préférant nous con-
centrer sur ce que Monsieur Gérald nous
a donné à saisir de certains enjeux au cœur
de notre travail, au moment où nous
l’avons rencontré et suivi.
Pour terminer, nous aimerions souligner
que Monsieur Gérald a aussi osé faire au-
trement quand il a conjugué et travaillé un
Etre soi, être soigné : se soigner ou se travailler ?
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 77
élément hétérogène à sa vie et à son iden-
tité professionnelle vacillante : être tech-
nicien et plier des enveloppes ; sans
doute, nous rétorquerait-il, qu’il s’en se-
rait bien passé, et qu’il n’a cessé d’oser
faire autrement, en tant qu’agriculteur vi-
vant dans le canton de Vaud, en conti-
nuant de construire des projets à la ferme.
Conclusion
De la prescription du soin à l’inscription
personnelle émerge une forme de trans-
cription qui, comme dans une partition de
musique, compose une harmonie de vie.
Dans l’exemple cité dans notre présenta-
tion, nous relevons que “la mélodie” de
Monsieur Gérald a été ponctuée de
croches et de modulations, de soupirs et
d’altérations, d’a capella et d’orchestra-
tion.
La prescription du soin couplée à l’ins-
cription du patient exécute une mélodie
qui se module et évolue apportant ainsi de
riches et différentes exécutions.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 78
Introduction
L’Hébergement Thérapeutique (HT) est
une structure médico-sociale rattachée à
la Maison des Adolescents (MDA) du
Calvados. Il est ouvert depuis le mois de
février 2012 bien que son projet existe de-
puis la création de la MDA en 2006.
C’est un dispositif d’accueil de soirée et
de nuit pensé dès l’origine en complémen-
tarité de l’Espace de Soin et de Médiation
(Hôpital de jour pour adolescents de la
MDA). Il a pour fonction d’accueillir des
adolescents en état de souffrance psy-
chique quel que soit le contexte psycho-
pathologique.
Ce projet expérimental a pu se mettre en
œuvre au regard du constat d’un manque
dans le soin aux adolescents, particulière-
ment pour les problématiques de sépara-
tion de plus en plus présentes dans la cli-
nique actuelle. Dans le panorama local,
les seules solutions pour permettre une
mise à distance du milieu usuel sont l’hô-
pital ou le placement au titre de la protec-
tion de l’enfance, l’un comme l’autre ne
convenant pas à toutes les situations cli-
niques. Il nous semblait alors important
de développer une alternative ancrée dans
le champ du soin.
Les objectifs princeps de ce dispositif sont
de permettre une séparation partielle
d’avec le milieu usuel pour favoriser un
apaisement psychique, d’engager l’ado-
lescent dans une autre dynamique rela-
tionnelle au sein d’un collectif de jeunes
et d’adultes et ainsi de lui offrir une scène
pour agir et penser sa souffrance avec
l’aide de l’équipe.
Les trois “conditions” permettant un ac-
cueil sont l’existence d’un état de souf-
france psychique, l’absence de décom-
pensation psychiatrique aigue qui relève-
rait de l’hôpital, et d’avoir un lieu d’hé-
bergement usuel en dehors de la structure.
L’HT a été pensé dès son origine comme
un espace à même de soutenir un travail
d’élaboration chez l’adolescent, à l’instar
du concept de psychothérapie par l’envi-
ronnement énoncé par Botbol, « Un “trai-
tement par l’environnement” a certes un
but limité : permettre aux patients aux-
quels nous le proposons de se réappro-
prier leur espace psychique élargi grâce
au travail élaboratif dont il est l’objet.
C’est bien sûr moins que les visées habi-
tuelles d’une psychothérapie analytique.
Mais, pour autant, c’est plus que l’objec-
tif contenant classiquement dévolu aux
institutions soignantes ». (Botbol M.
2000)
Ainsi, le travail psychothérapeutique mis
en œuvre au sein de l’HT doit permettre à
l’individu de mettre en lien sa réalité psy-
chique interne avec la réalité externe, les
deux venant souvent s’entrechoquer dans
le social, entraînant souffrance et aliéna-
tion. Ce travail de lien doit s’appuyer sur
une articulation entre l’enveloppe formée
par l’HT au sein même de ses murs – lieu
privilégié de l’expression de la réalité in-
terne – et la réalité externe s’exprimant au
sein du lieu de vie habituel, du lieu
d’étude ou de travail, dans la famille.
C’est pourquoi ce dispositif a été pensé
dans des modalités d’intervention discon-
tinues où l’HT n’est pas l’acteur central
du projet. En effet, être seul rendrait ca-
duque ce travail, l’élaboration psychique
dans un système différencié devenant im-
possible. De plus, un travail partenarial
soutenu s’est imposé comme une néces-
sité afin de s’assurer de la continuité des
espaces d’accompagnement autour de
l’adolescent.
Au travers de la présentation formelle du
dispositif, nous essaierons de décrire les
bases du fonctionnement de l’HT pour en-
suite en développer certain aspects et va-
leurs cliniques fondateurs de notre pra-
tique.
Le dispositif
L’HT accueille 8 à 10 adolescents de 12 à
18 ans tous les soirs de la semaine sauf le
samedi soir. Les accueils sont pensés sur
des temps séquentiels fixes sur chaque se-
maine (entre deux et six nuits par se-
maine). La file active représente une ving-
taine de jeunes différents accueillis sur
chaque semaine. Les projets s’inscrivant
sur des durées allant de 3 à 6 mois, nous
accueillons une cinquantaine de jeunes
différents chaque année. De manière ex-
ceptionnelle, les durées d’accueil peuvent
être plus longues si la situation clinique le
nécessite.
L’encadrement est assuré par des infir-
miers diplômés d’état, des éducateurs spé-
cialisés, une maitresse de maison, un chef
de service éducatif, un interne en psychia-
L’Hébergement Thérapeutique a été pensé dès l’origine en complémentarité fonctionnelle avec les autres espaces de soin de la Maison des Adolescents du Calvados. On le nomme communément « La Maison des Ados de nuit » puisqu’il permet de recevoir des adolescents en souffrance psychique sur des temps d’accueil de soirée et de nuit dans le cadre de projet à moyen terme. En quoi un accueil de nuit est-il pertinent face aux évolutions de la clinique de l’adolescence ? Cette question rythme les évolutions nombreuses de ce dispositif encore très récent. Au travers de la présentation du dispositif, de son fonctionnement et ses étayages théoriques, nous discuterons en quoi ce type d’accueil nous paraît nécessaire et pertinent dans le panorama des soins aux adolescents et comment il s’inscrit dans une continuité avec les soins de jour.
Mots-clefs : hébergement, soin, cadre, institution
Night Care as an alternative way of treatment in adolescent psychiatry
Originally, the “Therapeutic Accommodation” was thought to function in synergy with la Maison des Adolescents as a whole. Usually, we name it the Maison des Adolescents of the night as it permits to take in adolescents in psychic suffering from the evening until the morning. Care last from 3 to 6 months. What profit does adolescents can take from such a night medical facility in the light of recent adolescence disorders development? This issue constantly shapes the various evolutions of this young facility. Through a description of the facility, her organization and theoretical principles, we will discuss how this innovative approach might help suffering adolescents by creating efficient links with adolescent psychiatric day care.
Keywords: accommodation, care, environment, institution
L’Hébergement Thérapeutique : des soins de nuit comme alternative aux soins de jour dans la clinique de l’adolescent
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 79
trie et un médecin psychiatre. Nous es-
sayons d’assurer la permanence d’un bi-
nôme infirmier/éducateur au quotidien.
Trois à quatre professionnels sont pré-
sents dans les temps forts de l’accueil
pour permettre un accompagnement per-
sonnalisé de chaque jeune aussi bien en
collectif qu’en individuel. Les nuits sont
assurées par un infirmier pour permettre
la continuité des soins.
Le processus d’admission se décline en
plusieurs étapes afin de permettre un in-
vestissement progressif du projet par
l’adolescent mais aussi par les adultes qui
l’entourent (famille et partenaires). En ef-
fet, l’accueil à l’HT n’étant pas contraint
par un mandat ou un besoin de soin en ur-
gence, il est indispensable que l’adoles-
cent et son entourage puissent y mettre du
sens.
La première étape de ce processus est la
pré-admission qui permet la rencontre des
différents partenaires engagés dans la si-
tuation, notamment le service demandeur.
C’est à cette occasion que le projet d’ac-
cueil est co-construit afin d’en assurer la
cohérence. En effet, l’HT ne doit pas
prendre une place centrale dans l’accom-
pagnement mais plutôt s’adosser à un dis-
positif pluriel déjà existant et venir le sou-
tenir. Les demandes peuvent émaner aussi
bien des services de soin (hospitalier ou
ambulatoire), que d’établissements mé-
dico-sociaux, de services de la protection
de l’enfance ou de la protection judiciaire
de la jeunesse (PJJ).
Par la suite, l’adolescent est reçu avec ses
représentants légaux durant le temps de
l’admission. Le dispositif est présenté et
une visite des locaux est proposée. C’est
le premier temps de l’investissement du
lieu et de l’équipe. C’est aussi l’occasion
de la contractualisation formalisée de
l’accueil avec la signature du contrat de
séjour par le jeune et ses parents. C’est un
temps qui permet un échange autour de la
problématique, même si nous faisons le
choix de ne pas revenir sur l’anamnèse
des troubles. Les échanges se construisent
principalement autour des objectifs envi-
sagés par chacun.
Enfin, une soirée de contact, une semaine
avant l’accueil définitif, est organisée afin
que l’adolescent puisse venir “tâter” le
terrain avant d’y dormir. Durant cette soi-
rée, il rencontre plusieurs membres de
l’équipe et les autres adolescents accueil-
lis ce soir-là. Il participe à la vie du groupe
et notamment aux médiations proposées
s’il y en a.
Ce processus doit s’accompagner d’un
travail avec les partenaires demandeurs.
En effet, nous avons l’expérience que le
fait de s’engager dans un tel projet mobi-
lise espoirs et résistances tant chez l’ado-
lescent que chez les parents et partenaires.
Cela doit être mis en pensée pour per-
mettre que le lieu soit investi pour les
bonnes raisons. Ainsi, nous évoquons tou-
jours avec les partenaires demandeurs
l’importance de faire vivre le projet dans
la tête de l’adolescent et de ses parents,
même quand le délai d’attente semble
long.
Durant l’accueil, le travail thérapeutique
s’ancre sur deux axes principaux : le col-
lectif et les médiations. Le collectif per-
met une expérimentation relationnelle
dans un cadre contenant, aussi bien avec
des adultes aux postures différenciées
qu’avec des jeunes de provenances di-
verses permettant une réelle hétérogénéité
du groupe (âge, milieu social, parcours,
problématique, psychopathologie). Le
partage de la vie quotidienne autour de
temps symboliques forts (goûter, diner,
coucher…) permet une richesse des inte-
ractions et des émotions qui y sont liées.
Les médiations s’appuient sur de mul-
tiples supports centrés aussi bien autour
du corps que d’approches culturelles. Ce
sont des groupes ouverts le plus souvent
avec une modification du groupe régu-
lière tant au niveau des adolescents que
des professionnels qui l’encadrent. Par-
fois, les jeunes bénéficient de groupes fer-
més en lien avec la MDA.
Outre l’accueil de soirée et de nuit, l’HT
est en mesure de s’appuyer sur un en-
semble d’autres possibilités d’accompa-
gnement qui ont pour fonction de per-
mettre à des adolescents trop en difficulté
d’accéder différemment à un accueil clas-
sique. Les séjours thérapeutiques en sont
une illustration, de même que l’accueil de
journée ou les suivis extérieurs. Les sé-
jours permettent en outre un accueil sur
les périodes de vacances scolaires en évi-
tant l’écueil d’aller et retour entre l’HT et
le domicile, peu efficient dans un travail
de séparation. Ils sont construits autour de
projets de cinq jours durant les petites va-
cances, et de neuf jours durant les grandes
vacances. Nous essayons autant que pos-
sible de les inscrire dans une thématique
qui donnera envie aux adolescents de s’y
investir tout en s’assurant une continuité
entre les différents supports de médiation.
L’accompagnement des familles est un
point central du travail, tout comme le
partenariat. Il nous paraît en effet primor-
dial de pouvoir intervenir auprès de l’en-
vironnement des adolescents accueillis en
parallèle de leur accompagnement en hé-
bergement. Ce travail se décline à plu-
sieurs niveaux, tant dans le quotidien dans
des espaces interstitiels que dans des ren-
dez-vous plus formalisés avec les réfé-
rents, le coordinateur ou les cadres. Les
bilans réguliers de l’accompagnement en
sont la déclinaison la plus formelle. Ils
rythment la prise en charge et permettent
d’ajuster régulièrement les objectifs et les
modalités d’accueil.
Au décours de cette présentation non ex-
haustive du dispositif, nous souhaitions
proposer quelques pistes de réflexion cli-
nique autour de notre pratique. Ce sont
des aspects qui nous apparaissent particu-
lièrement importants et opérants dans la
clinique actuelle de l’adolescent. (Saint
André et al. 2008)
Le travail du cadre
Le cadre thérapeutique de l’HT s’inscrit
dans une filiation qu’on ne peut renier.
L’HT s’inscrit dans la continuité de la
MDA. Il est à la fois dans le champ sani-
taire, social, médico-social. Le cadre syn-
thétisé par l’HT ne peut s’extraire de cette
filiation.
A contrario, le cadre singulier, adressé à
un individu, est modulable, adaptatif et
évolutif. Ce cadre singulier ne peut être
englobant du sujet et ne doit pas être ex-
haustif, au risque d’enfermer le sujet, de
l’aliéner dans une vision fermée de lui-
même : « La marge, l’espace vide définis-
sant le “partiel” du “cadre singulier”,
sépare et individualise » (Chaperot,
2003).
C’est cet espace de liberté subjectivant
qui peut activer des processus psychiques
et donner une valeur thérapeutique au dis-
positif. C’est la rencontre du cadre théra-
peutique et du cadre interne de l’individu
qui va permettre un jeu au sens de Winni-
cott et la réactivation de processus transi-
tionnels. En suivant Chaperot, on peut po-
ser au sein du cadre thérapeutique une dis-
tinction entre l’épi-cadre et l’hyper-
cadre : « l’épi-cadre correspondra à l’ap-
port institutionnel. L’hyper-cadre quant à
lui, correspondra à l’élaboration par le
sujet de son propre système de balisage de
la jouissance. Cela invite à penser un hy-
per-cadre en croissance amenant l’épi-
cadre à se restreindre jusqu’au “point li-
mite” au-delà duquel le sujet se sent “lâ-
ché”. Il s’agit bel et bien de la mise en
dialectique dynamique des composantes
d’étayage (épi) et d’élaboration singu-
lière (hyper) » (Chaperot, 2003).
L’épi-cadre, du fait de son incomplétude,
de sa dimension partielle laisse la place à
un hyper-cadre appartenant au sujet.
L’enjeu est donc bien d’offrir un cadre
flexible et malléable par le sujet mais suf-
fisamment solide pour que le sujet ne le
détruise pas en le manipulant, « le jeu pru-
dent d’un vide peut amener le sujet à s’ap-
proprier la béance pour y fonder son dis-
cours, son repérage, sa vérité : autrement
dit son hyper-cadre balisant sa jouissance
propre comme celle de l’Autre » (Chape-
rot, 2003).
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 80
Le cadre doit donc pouvoir accueillir la
vie de l’autre sans la restreindre, sans la
contraindre. Sinon, l’institution est prise
dans une dynamique mortifère où le sujet
n’est plus pensant. Il ne peut alors plus al-
ler mieux. La dialectique entre épi-cadre
et hyper-cadre va permettre au soignant
de progressivement se représenter l’évo-
lution des jeunes accueillis, jusqu’à pou-
voir penser leur capacité à être seul, lâché.
« De fait, l’Epi-cadre peut se réduire,
hors conceptualisation, à mesure de la
naissance d’un hyper-cadre qui est in-
consciemment perçu et dont la qualité
amènera les soignants à penser puis à
dire « il va mieux », « il peut sortir » (de
l’épi-cadre actuel, pour un autre ména-
geant un espace partiel plus vaste). »
(Chaperot, 2003)
Un patient qui va mieux se caractériserait
alors par un hyper-cadre ayant pris une
ampleur suffisante pour permettre à l’in-
dividu d’exister dans la relation à l’autre
sans avoir besoin du soutien de l’epi-
cadre. Il peut donc nous quitter ! L’epi-
cadre dans sa dimension partielle offre un
espace fondateur de l’hyper-cadre, c’est
l’effet thérapeutique véritable de l’institu-
tion. D’où la nécessité que l’HT ne soit
pas engagé dans tous les domaines qui en-
toure l’individu. On ne doit pas penser son
projet dans une pensée désubjectivante ne
laissant plus place à l’autre. Il faut que
l’hyper-cadre de l’individu trouve un es-
pace pour grandir. L’hébergement théra-
peutique doit faire advenir du Sujet là où
il n’y en avait plus.
La mise en œuvre du cadre a donc avant
tout pour fonction de permettre l’émer-
gence d’un espace-temps propice à l’acti-
vation de processus psychiques proches
de ce qui peut se mobiliser dans un travail
psychothérapeutique. Ce travail peut être
artificiellement décrit en trois temps dis-
tincts : « Dans un premier temps, il s’agit
de donner forme à la conflictualité du pa-
tient, cette conflictualité qui, à l’évidence,
ne peut s’accommoder d’un espace théra-
peutique comme la psychothérapie indivi-
duelle, du fait de la violence et de l’am-
pleur des mouvements excitatoires mobi-
lisés, trouve un terrain propice au niveau
d’une multitude d’intersubjectivités : plu-
sieurs parties de cette conflictualité se
trouvent comme détachées les unes des
autres et mises en acte dans les relations
différenciées que le patient noue avec les
différents membres de l’équipe. Aucun
travail de mentalisation des conflits n’est
encore en cours, mais il y a modification
dynamique et économique : tout ne se joue
plus en même temps et avec tout le monde.
Il y a alors mise en forme du conflit et
fragmentation de sa densité. » (Botbol,
2000).
Dans un second temps, les équipes doi-
vent se saisir de ce qui a été déposé auprès
d’eux avec toute leur subjectivité. Alors,
« les témoignages des soignants concer-
nant le même patient commencent à diver-
ger, pour peu que le médecin responsable
reste vigilant afin que le discours et les at-
titudes des soignants ne soient pas conti-
nuellement soumis à une exigence d’ho-
mogénéité. Ces différents témoignages se
parlent, s’élaborent et convergent vers la
mise en forme d’une série de pensées »
(Botbol, 2000). Le dernier temps est celui
de la restitution de ce travail d’élaboration
auprès du patient : « cet ensemble plus ou
moins cohérent est progressivement resti-
tué au patient en cours de traitement, lors
des entretiens avec le médecin ou dans les
interactions et médiations multiples avec
les soignants » (Botbol, 2000).
Un tel travail ne peut se dérouler qu’en
adoptant trois positions successives : ex-
position - construction - restitution. Il
s’agit donc « d’exposer une équipe aux
mouvements d’identification projective
du patient qui contre-investit sa conflic-
tualité interne et l’“exporte” dans cet en-
vironnement psychique disponible ».
Puis, « à partir des effets de cette exposi-
tion produire de la représentation, en s’en
tenant au plus près de ce que l’on peut
percevoir ou co-construire du monde in-
terne et de l’histoire du patient, en s’ap-
puyant sur les capacités d’empathie mé-
taphorisante de chaque soignant en parti-
culier et de l’équipe dans son ensemble ».
Enfin, il faut « restituer au patient les ef-
fets de cette élaboration, sous une forme
acceptable par lui : par la parole ou, plus
souvent, au travers d’actes multiples à
l’occasion d’interactions quotidiennes,
d’interactions plus exceptionnelles ou de
recontractualisation du cadre des soins.
On aura ici recours, le plus souvent, à ce
que, avec Racamier, nous dénommerons
des actions parlantes, c’est-à-dire des ac-
tions qui valent plus par leur sens que par
ce qu’elles réalisent concrètement. »
(Botbol, 2000)
Bien évidemment, ces postures se recou-
vrent en permanence et ne se succèdent
pas de manière artificielle dans le temps.
Dans le quotidien, les professionnels sont
dans des va et vient permanents entre les
différentes postures pour se situer à la
juste distance et produire de la représenta-
tion partageable. Pour autant le cadre
pensé au sein de l’institution doit per-
mettre ces mouvements. Il est le support
élaboré qui donne accès à un mode de
mise en relation des jeunes avec les pro-
fessionnels ouvrant l’accès à un travail
psychothérapeutique par l’environne-
ment.
La dynamique thérapeutique de l’HT ne
semble alors pouvoir être pensée que dans
un travail constant d’élaboration du cadre
thérapeutique au sens de ce qui « consiste
en l’ensemble des mesures et prescrip-
tions qui établissent des limites aux com-
portements, de même qu’il consiste en la
matrice sensée favoriser l’élaboration
psychique ou l’articulation au champ so-
cial » (Chaperot, 2003). Il est finalement
l’outil par lequel le collectif vient organi-
ser et médier les échanges afin de les
rendre supportables pour ceux qui n’ont
pas les moyens de s’en protéger avec leur
seul psychisme, et enfin permettre aux
professionnels de leur donner du sens.
Dans cette mesure, les questions de l’ac-
cueil, du travail du sens de la séparation et
la flexibilité du dispositif sont au centre de
nos préoccupations quotidiennes.
L’accueil, la fonction phorique, la contenance psychique
L’accueil est un aspect particulièrement
important à l’HT. Il se décline à différents
niveaux et peut concerner aussi bien les
jeunes, les parents, nos partenaires, de
nouveaux professionnels de l’équipe que
des stagiaires. Prendre le temps de rece-
voir l’autre dans de bonnes conditions est
le préalable à une rencontre de qualité. La
sensibilité d’un individu pour l’autre, le
fait de prodiguer de l’attention, sont le lit
d’une relation de confiance qui permettra
à chacun de se sentir sécurisé. Cet énoncé
semble une évidence, mais le fait de le si-
gnifier permet de prendre conscience de
tous les écarts qu’un quotidien parfois
sous tension peut amener dans le désir de
bien accueillir.
Le sentiment de sécurité nous semble être
le fondement d’une éventuelle contenance
psychique tant de l’équipe que des jeunes.
Cette notion de contenance que l’on peut
rapprocher du holding de Winnicott
(Winnicott, 1992) ne se construit que lors-
que la singularité de l’autre est respectée
et entendue pour ce qu’elle est. C’est ce à
quoi nous nous attachons dans le lien quo-
tidien avec les adolescents. Depuis leur
retour de l’école avec un accueil indivi-
dualisé pour faire le point, accompagné
d’un temps de gouter, jusqu’au coucher,
source d’angoisse, et nécessitant parfois
de savoir s’accorder avec une ritualisation
nécessaire, l’accueil de la sensibilité de
l’autre est au centre de nos réflexions quo-
tidiennes.
Cette question de l’accueil nous semble
rejoindre les conceptualisations clas-
siques de la psychothérapie institution-
nelle autour de la fonction phorique : « La
fonction phorique concerne l’accueil, le
cadre de la thérapeutique, le portage, tout
ce qui est nécessaire pour définir une
scène sur laquelle le patient va pouvoir
jouer sa problématique, souvent à son
insu dans un premier temps » (Delion,
L’Hébergement Thérapeutique : des soins de nuit comme alternative aux soins de jour dans la clinique de l’adolescent
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 81
2006). Comme le signifie bien Pierre De-
lion, la fonction phorique est une posture
qui permet d’accueillir la souffrance de
l’autre dans la rencontre. Cette posture se
travaille au quotidien dans une volonté de
portage de l’individu afin de lui permettre
l’expression de sa subjectivité. Il faut lui
permettre de prendre une position de su-
jet, seule apte à lui offrir l’opportunité de
s’engager dans un processus de change-
ment.
Prendre cette posture implique d’offrir un
espace propice à la mise en scène de la
subjectivité, mais aussi d’être prêt à rece-
voir cette subjectivité et de s’en impré-
gner. La scène que l’on propose trouve
tout son intérêt en institution où les es-
pace-temps sont multiples permettant une
multiplication des contextes. On s’assure
ainsi qu’il y ait une place pour que l’indi-
vidu dépose ses difficultés. On peut alors
envisager d’y avoir accès : « Prétendre
appliquer à des pathologies délirantes ou
comportementales une écoute stricte, ne
considérant que ce qu’ils peuvent verba-
liser en séance, nous ferait ressembler au
quidam s’obstinant à chercher sous un ré-
verbère sa montre perdue – non qu’il
pense que c’est le lieu probable de cette
perte, mais simplement parce que là au
moins il trouve de la lumière ! » (Penot,
2004)
En effet, le premier pas vers la compré-
hension et l’élaboration des troubles pré-
sentés par un adolescent est de s’offrir en
tant que réceptacle et conteneur de l’ex-
pression de la souffrance psychique, ce
que permet la fonction phorique. « L’ins-
titution qui assure cette fonction d’ac-
cueil, de mise à l’abri et de contenance
devient le lieu fécond où une conflictualité
psychique peut se faire jour, en ce qu’elle
permet aux forces en présence de se ren-
contrer et de se dire sur la scène institu-
tionnelle, afin qu’un travail de transfor-
mation et de subjectivation puisse
s’amorcer » (Billard, 2011).
Ces préoccupations constantes nous sem-
blent permettre l’émergence d’un désir,
d’une parole signifiante qui nous aide
chaque jour à mieux cerner les adoles-
cents et à leur proposer un sens à leur
souffrance dans une pensée collective.
Cette pensée collective n’est possible que
si l’équipe se sent elle-même suffisam-
ment sécurisée pour se risquer à la ren-
contre avec l’autre dans une intersubjecti-
vité authentique. L’équipe doit donc être
contenue, portée et accueillie. C’est donc
bien une culture de l’accueil qui est culti-
vée à tous les niveaux afin que chacun soit
contenu.
La séparation comme outil de pensée
L’HT a pour particularité d’offrir des
temps de séparation d’avec le milieu usuel
qui peuvent parfois être de plusieurs jours
consécutifs. On peut le prendre comme un
simple fait ou l’exploiter comme un outil
de travail pensé dans le champ de la cli-
nique.
Le premier aspect d’importance est
l’apaisement que peut offrir une sépara-
tion. Quand le symptôme est trop bruyant
et qu’il envahit chaque aspect du quoti-
dien, ce qui s’avère de plus en plus vrai
avec l’ensemble des conduites externali-
sées (Jeammet, 2006), il devient difficile
pour un adolescent, des parents ou des
professionnels de se décaler et de mettre
du sens sur cette « violence » relation-
nelle. Se séparer c’est s’apaiser pour pen-
ser et peut-être pouvoir commencer à aller
mieux.
A un autre niveau, la séparation physique
peut être une nécessité pour mettre en
mouvement les processus de différencia-
tion et de subjectivation propres à l’ado-
lescence. La clinique de l’adolescence
nous confronte de plus en plus à des situa-
tions dans lesquelles les problématiques
de séparation sont au premier plan. Il est
parfois nécessaire que l’adolescent et les
parents l’expérimentent dans le réel pour
envisager de s’y confronter psychique-
ment. Dans ces contextes, la mise en
œuvre d’une hospitalisation à temps com-
plet peut s’avérer difficile et la flexibilité
d’une séparation sur mesure permet une
expérimentation progressive et moins an-
xiogène pour tous. De plus, l’alternance
entre les temps au domicile, en scolarité et
à l’HT permet les allers et venues propres
au travail psychique de l’adolescence.
Enfin, se séparer de ses attaches habi-
tuelles c’est aussi pouvoir venir se jouer
différemment, s’autoriser à être un autre
soi dans cet autre lieu. Cet aspect est par-
ticulièrement saillant chez les jeunes
d’institution pour qui cet espace tiers dé-
gagé des enjeux habituels permet éven-
tuellement de s’autoriser à aller mieux.
Pas à pas ce mieux-être, initialement loca-
lisé à l’HT, peut se translater aux autres
espaces de vie de l’individu. Peut alors
émerger une réelle amélioration clinique
là où cela compte pour l’adolescent.
La flexibilité et l’adaptabilité pour répondre au temps de l’adolescence
Dans toute institution à dimension théra-
peutique se joue le temps du cadre : « or-
ganisation sociale réelle et symbolique du
dispositif soignant, inscription des par-
cours dans des limites chronologiques,
durée des activités, des interventions, des
séances, rythmes institutionnels, person-
nels, corporels, psychiques, rythmes des
LES AUTEURS
Dr Aymeric de FLEURIAN Psychiatre Stéphane POULAIN Chef de service éducatif
Maison des Adolescents du Calvados 9, place de la Mare 14000 Caen France
BIBLIOGRAPHIE
1. BILLARD M., COSTANTINO C. (2011), Fonction contenante, groupes et institu-tion soignante, Cliniques 1/ (n° 1), p. 54-76
2. BOTBOL M., PAPANICOLAOU G., BAL-KAN T. (2000), Une psychothérapie par l’envi-ronnement. Soigner les états limites au quoti-dien, Enfances & Psy 4/ (no 12), p. 96-104
3. CHAPEROT C., PISANI C., GOULLIEUX E., GUEDJ Ph. (2003), Réflexions sur le cadre thé-rapeutique et l’institution : médiatisation et ca-ractère partiel, Evol psychiatr; 68
4. COHOU D., (2006), Les groupes médiatisés en hôpital de jour, Revue de psychothérapie psy-chanalytique de groupe 2/ (n° 47), p. 93-107
5. DELION P., (2006), Accueillir la personne psychotique : espaces thérapeutiques, temps interstitiels et vie quotidienne, in ERES « Hors collection », p. 11-20.
6. JEAMMET Ph., (2006), Du bébé à l’adoles-cence : les chemins de la destructivité, Le Car-net PSY.; 112 (8) : 21-9.
7. KEBIR A.-K. (2008), Le temps prend corps à l’adolescence, Empan; 69 (1) : 38-45.
8. SAINT-ANDRE S., LAZARTIGUES A., RI-CHARD Y. et al. (2008), Nouvelles familles, nou-velles personnalités de base : Nouvelle offres de soins ?, Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’ado-lescence 56, 494–505
9. PENOT B. (2004), Travailler psychanalyti-quement à plusieurs : la reprise d’un temps pre-mier du processus subjectivant, Adolescence, n° 50, p. 834
10. WINNICOTT D.W. (1992), Le bébé et sa mère, Paris : Payot
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 82
échanges, de leur intégration, interpréta-
tion, perlaboration, répartition des actes
et de leurs niveaux de sens dans le temps
en fonction des interventions tierces et des
repères chronologiques extérieurs. » (Ké-
bir, 2008)
En effet, le soin psychique est une pra-
tique du temps, les cadres cherchant un ef-
fet de contenance et de transformation à
visée thérapeutique étant pris dans une
temporalité spécifique. Ce constat est par-
ticulièrement juste quand on s’occupe
d’adolescent dont la temporalité est prise
dans les allers et retours entre immédia-
teté et passivité. Un dispositif de soin qui
leur est destiné doit pouvoir prendre en
compte cette spécificité, avec en filigrane
l’idée d’amener l’adolescent dans le
temps du soin qui nécessite une certaine
continuité.
L’adolescent en souffrance est par es-
sence dans l’urgence. Sa temporalité s’ac-
corde souvent mal avec celle des institu-
tions. Bien qu’il ne faille pas se laisser
emporter par cette urgence, au risque de
ne plus penser, il nous paraît nécessaire de
la prendre en compte pour contenir psy-
chiquement l’adolescent. Il faut recevoir
et entendre pour mieux penser et mettre
du sens dans un temps plus long.
Pour pouvoir s’accorder avec ce besoin
parfois irrépressible d’être entendu, pris
en compte, il nous semble nécessaire de
se montrer flexible et adaptable dans nos
modalités d’accueil et de travail. Cela
nous semble vrai autant dans le quotidien
(se rendre disponible quand l’adolescent
va mal) que sur le cadre plus large de la
prise en charge (pouvoir augmenter le
nombre de nuits d’accueil ou le dimi-
nuer).
Le fonctionnement même de l’HT de-
mande beaucoup de flexibilité psychique
aux professionnels puisque sur deux sé-
quences de travail d’un jour sur l’autre, le
groupe peut être sensiblement différent
avec une dynamique et des besoins spéci-
fiques. Cette adaptation permanente, bien
qu’éreintante, réinterroge à chaque fois
sur sa posture vis à vis des jeunes et du
groupe et nous semble être porteuse d’une
disponibilité à être dans le tempo de
l’autre.
Encore une fois, s’accorder avec le
rythme des adolescents en souffrance ne
veut pas dire fonctionner en miroir et dans
l’urgence. Les temps de réflexion clinique
hebdomadaires sont le lieu de la pensée et
de la décision hors de l’urgence. Pour au-
tant il est toujours urgent de savoir écou-
ter de la bonne oreille.
La complémentarité du soin et de l’éducatif
La spécificité historique de la MDA du
Calvados est d’avoir voulu associer au
même niveau l’intervention socio-éduca-
tive et le soin dans l’approche thérapeu-
tique des adolescents en souffrance. L’HT
n’échappe pas à cette philosophie et cette
réalité s’exprime d’emblée dans la com-
position de l’équipe : des éducateurs et
des infirmiers en première ligne - un chef
de service éducatif et un psychiatre
comme cadres responsables.
Cette double valence dans l’approche thé-
rapeutique, théorique à l’origine, nous ap-
paraît aujourd’hui comme une évidence.
Le regard croisé des deux champs nous
offre une richesse dans la compréhension
des situations, mais nous permet aussi une
diversité des modes d’intervention auprès
des adolescents. Les professionnels, au-
delà de leur individualité, s’engagent dif-
féremment dans la relation et offrent ainsi
des figures d’identification variées et pro-
pices à de multiples mouvements transfé-
rentiels.
Enfin, la spécificité des cultures de l’édu-
catif et du sanitaire nous permet de béné-
ficier de compétences tant dans la prise en
compte des dynamiques groupales que de
l’écoute singulière de la souffrance de
l’individu. En résulte un équilibre propice
à l’épanouissement de chaque individua-
lité dans le groupe sans que les troubles de
l’un ou de l’autre ne viennent entraver la
place de chacun.
Conclusion
L’HT du haut de ses trois années de fonc-
tionnement n’a que peu de recul. Cepen-
dant, les évolutions de nos modalités de
travail ont déjà été nombreuses et nous
semblent encore rester en constante évo-
lution. Chaque situation nouvelle est pour
nous l’occasion de créer un nouveau dis-
positif singulier. Cette créativité remanie
nos pratiques enrichissant ainsi le disposi-
tif.
La “bonne disponibilité psychique” des
professionnels est un enjeu majeur du bon
fonctionnement du dispositif et s’appuie
sur un co-pilotage médical et socio-édu-
catif quotidien qui doit garantir une orga-
nisation sécure.
L’autorisation “expérimentale” de l’HT
nous force pour le moment à être dans
cette permanente remise en question. Es-
pérons que la possible reconduction du
dispositif ne nous enferme pas dans nos
habitudes !
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 83
Introduction
Si carcéralité et psychiatrie peuvent appa-
raître de prime abord comme deux
“mondes” antagonistes, ceux-ci coexis-
tent depuis 1994 et trouvent leur point
commun dans la notion de l’institution to-
tale de Goffman (1968).
Ces deux institutions auraient alors une
même définition, « un lieu de résidence et
de travail où un grand nombre d’indivi-
dus, placés dans la même situation, cou-
pés du monde extérieur pour une période
relativement longue, mènent ensemble
une vie recluse dont les modalités sont ex-
plicitement et minutieusement réglées »
(Goffman E., 1968). Mais deux logiques
et deux missions s’opposent fondamenta-
lement : la privation de liberté sous sur-
veillance et soigner la souffrance psy-
chique.
Grâce à la loi 94-43 du 18 janvier 1994
relative à la Santé Publique et à la Protec-
tion Sociale, la prison a ouvert ses portes
à l’hôpital public par la création des Uni-
tés de Consultations et de Soins Ambula-
toires (Unité Sanitaire-Dispositif de Soins
Somatiques) et des Services Médico-Psy-
chologiques Régionaux (Unité Sanitaire-
Dispositif de Soins Psychiatriques).
Les SMPR, rattachés aux Etablissements
Publiques de Santé Mentale, permettent
aux détenus de bénéficier d’un accès aux
soins comparables à ceux dispensés en
milieu libre, à savoir le repérage, la pré-
vention, le diagnostic et la prise en charge
des troubles psychiques. S’y ajoutent
deux axes spécifiques au monde carcéral :
le suicide et l’addiction.
Dans cette même logique, en 2010, le rôle
spécifique des SMPR a été redéfini par le
Plan d’Actions Stratégiques 2010-2014
relatif à la Politique de Santé des Per-
sonnes Placées sous mains de Justice :
toutes les régions devront disposer d’au
moins une Unité Sanitaire de niveau 2, en
d’autres termes une unité d’hospitalisa-
tion de jour.
Depuis août 2012, le SMPR de Caen dis-
pose d’une nouvelle offre de soin : un Hô-
pital de Jour. Nous vous proposons donc
de visiter cette nouvelle unité : un espace
contenant dans un milieu fermé.
Pour une meilleure compréhension des
enjeux et limites de cet Hôpital de Jour, il
est nécessaire que vous puissiez vous le
représenter.
De l’indication à l’admission
Il est essentiel de spécifier au préalable
qu’en aucune façon l’Administration Pé-
nitentiaire influe sur l’indication, l’admis-
sion ou encore la fin d’hospitalisation
d’un patient détenu. Face à une popula-
tion incarcérée parfois agitée, transgres-
sive même derrière les murs voire indisci-
plinable pour certains, l’Administration
Pénitentiaire pensait trouver un nouveau
“quartier” de mise à l’écart à travers la
création de cette unité d’hospitalisation de
Jour annexée à des cellules d’héberge-
ment spécifiques. Ce “lieu de vie” ratta-
ché à l’Unité de Jour répond de prime
abord du fonctionnement pénitentiaire
mais il s’articule également avec celui du
soin. Un espace au sein du milieu carcéral
où seul le médical, en l’occurrence psy-
chiatrique, décide. L’admission se fait
donc sur décision pluridisciplinaire mé-
dico-psychologique uniquement.
Quels patients peuvent bénéficier de cette
prise en charge ? Pour quelles indications
thérapeutiques un patient va être adressé ?
Combien de temps une hospitalisation
peut-elle durer ?
Cinq temps seront nécessaires pour une
décider d’une admission : celui de
l’Orientation par les soignants, puis la
Présentation de la situation en staff, les
Echanges et regards croisés qui vont don-
ner lieu à la Décision. Et enfin celui de la
Proposition de l’hospitalisation au patient
avec signature du contrat de soin et con-
sentement du patient avec le référent mé-
dical.
Le milieu carcéral se définit comme un lieu de privation de liberté et non comme un espace thérapeutique, où la qualité de “détenu” prend souvent le pas sur celle de “malade”. Le Service Médico-Psychologique Régional de Caen a été créé en 1995 pour pallier ce clivage et répondre à l’objectif principal de la loi du 18 janvier 1994 stipulant « faire rentrer l’hôpital dans les prisons » en y prodiguant des soins psychiatriques comparables à ceux dispensés en milieu libre, au travers du service public hospitalier. Depuis 3 ans, le SMPR a élargi son offre de soin par la création d’un Hôpital de Jour. Pour certains patients-détenus, ce lieu permet un premier contact avec les soins psychiatriques et pour d’autres la continuité de leur prise en charge initiée avant l’incarcération. Cette unité hospitalière est située dans les murs du Centre Pénitentiaire : quand deux logiques se doivent de coexister. Nous vous présenterons ce nouvel espace de soin, ses principes et ses outils de médiation, ses différents intervenants, mais aussi les limites et perspectives de cette activité thérapeutique hors norme...
Mots-clefs : hospitalisation de jour, incarcération, rupture, pluridisciplinarité, violence, bienveillance
Incarceration and therapy: two antagonists “worlds”? The experience of a Day Hospital in Caen Prison
The prison is defined as a place of deprivation of liberty not as a therapeutic space where the quality of “detainee” often takes precedence over that of “sick”. The Regional Medico-Psychological Service (SMPR) was created in Caen in 1995 to address this divide and meet the main objective of the law of 18 January 1994 stating “back to the hospital in prisons” are in providing psychiatric care comparable to those provided in free society, through the public hospital service. For 3 years, the SMPR expanded its care offer by creating a Day Hospital. For some patients, prisoners, this place makes first contact with psychiatric care and for other their continued support initiated prior to incarceration. This hospital-based unit is located within the walls of Prison when two logics have to coexist. We present this new treatment area, its principles and tools of mediation, its stakeholders, but also the limits and prospects of this exceptional therapeutic activity ...
Keywords: day hospital, incarceration, rupture, multidisciplinarity, violence, kindness
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 84
Les patients susceptibles d’être accueillis
sont tous des hommes majeurs, prévenus
ou condamnés, incarcérés à la Maison
d’Arrêt ou au Centre Pénitentiaire de
Caen ou dans d’autres Etablissements
Pour Peines de la région Basse Norman-
die. En revanche, un refus d’admission se
motivera pour un patient en crise suici-
daire ou en décompensation psychotique,
celui qui ne pourra gérer sa prise de trai-
tement seul le soir et le week-end, un pa-
tient sous prescription de Méthadone® et
enfin pour les mineurs et les femmes.
Pour quelles indications thérapeutiques
adresse-t-on un patient ? On en compte
cinq. Pour quatre d’entre elles, l’unité de
jour est alors utile comme rupture d’avec
une carcéralité souvent pathogène : l’ob-
servation à visée diagnostique, la prépara-
tion à la sortie, l’initiation d’un nouveau
traitement et son observance, le séjour de
rupture nécessité par une souffrance car-
cérale trop prégnante. La cinquième indi-
cation consiste en l’évaluation clinique de
la prise en charge des Auteurs de Violence
Sexuelle.
Un séjour à l’Hôpital de Jour
« Exercer la psychiatrie en détention c’est
prendre en compte la coexistence de deux
logiques, celle du soin et celle de l’enfer-
mement. » (Lhuilier D., 2001).
Comment cette coexistence s’articule et
fonctionne au sein de notre Unité de
Jour ?
Le patient sera accueilli à 9h00 par son ré-
férent infirmier puis par un Chef de Dé-
tention détaché à l’hébergement SMPR. Il
est à noter que toute admission se fait en
début de semaine pour permettre un temps
d’observation suffisant avant le week-
end. Une cellule lui est attribuée, le règle-
ment intérieur donné et le contrat de soin
bien réexpliqué.
Quelle prise en charge pluridisciplinaire
sera proposée au patient ? L’équipe est
composée de psychiatres, de deux in-
ternes en psychiatrie, d’une équipe infir-
mière, d’une psychologue référente ainsi
que d’une assistante sociale. Il s’agit éga-
lement de travailler avec les partenaires
quotidiens de l’univers carcéral, à savoir
l’Administration Pénitentiaire, le Service
Pénitentiaire d’Insertion et de Probation,
l’US-DSS (CHU de Caen), l’Association
Nationale de Prévention en Alcoologie et
Addictologie, les familles et enfin le culte.
C’est un travail de lien et en lien, autour
du patient souvent mis à mal par le choc
carcéral (traumatisme d’arrivée en déten-
tion), le monde carcéral et sa violence in-
trinsèque, les faits commis et une possible
pathologie psychiatrique.
Cette unité de Jour résonne pour certains
comme un premier contact avec la psy-
chiatrie ou la continuité d’une prise en
charge initiée à l’extérieur et pour
d’autres, un premier contact avec une en-
ceinte bienveillante. Certains patients
vont découvrir le jeu, la notion de cadre
contenant résistant aux angoisses et à la
destructivité. L’hospitalisation proposée
se situera entre individualité et groupe, un
cadre thérapeutique où règnera reconnais-
sance de l’altérité, parole, corps et jeux.
Temps carcéral et temps de soin s’allient
et se superposent. Nous proposons, dans
l’Annexe 1 (cf infra), une semaine type
pour un patient : quelles activités lui se-
ront proposées et pourquoi ?
Dans le contrat de soin et règlement inté-
rieur donné est souligné que les activités
thérapeutiques sont obligatoires (sauf cas
exceptionnels). Il est expliqué aux pa-
tients qu’accepter de participer aux activi-
tés signifie prendre une part active à la vie
de groupe de l’Hôpital de Jour.
La prise en charge du patient accueilli à
l’hôpital de jour s’effectue du lundi au
vendredi de 9h à 17h par l’équipe médi-
cale pluridisciplinaire. Elle est ponctuée
par des temps alloués aux soins et au
temps carcéral. Cette unité de soins à
taille humaine a pour vocation d’offrir un
espace bienveillant, bien traitant avec une
prise en charge individuelle et groupale.
Le patient est pris en charge dans sa glo-
balité.
Le matin est un espace où l’on propose
des entretiens individuels, lors de la déli-
vrance des traitements en cellule ou dans
un bureau de consultation. C’est souvent
un moment propice pour évaluer l’intérêt,
le regard du patient sur sa prise en charge,
comment il va, d’évoquer les projets en
lien avec l’accompagnement à la sortie,
l’attente d’un jugement ou la mise en
place de nouvelle thérapeutique. L’après-
midi est un temps dédié aux médiations
thérapeutiques qui ont lieu de 14h30 à
16h00 dans la salle d’activité ; pour la mé-
diation sport elle a lieu le matin, deux
jours par semaine. Elles se déroulent au
sein des structures sportives du Centre Pé-
nitentiaire.
Les activités sont animées par un binôme
infirmier, pour certaines médiations en
présence d’un intervenant extérieur (ani-
mateurs sportifs ou diététicienne) ou
d’une psychologue (médiation Photo-
Langage). Les médiations thérapeutiques
permettent d’évaluer la capacité d’inté-
gration, d’échange au sein du groupe.
Elles sollicitent l’accès au champ émo-
tionnel, l’imaginaire, la créativité. Elles
mobilisent le corporel, tout en respectant
les limites de chacun. Elles permettent de
collecter des éléments cliniques. Nous
proposons un panel large de médiation
thérapeutique tels que le Photo-langage,
Relaxation, Écoute Musicale, Atelier Su-
cré Salé, Groupe de paroles autour de dif-
férentes thématiques (addictions, échange
sur l’actualité, sensibilisation aux phéno-
mènes sociétaux). Les médias utilisés sont
très variables : extrait de musique, photos,
journaux...
La fin d’après-midi est dédiée à la déli-
vrance des traitements médicamenteux,
aux entretiens médicaux, au suivi psycho-
logique. En dehors de ces différents temps
de prise en charge soignante, les patients
sont sous le régime pénitentiaire.
Comme énoncé précédemment, les pa-
tients hospitalisés peuvent bénéficier de la
prise en charge d’une assistante de service
social.
Quelles sont ses fonctions spécifiques et
leur mise en œuvre ?
Evaluer les besoins sociaux des patients
détenus au cours de leur prise en charge
thérapeutique constitue sa mission princi-
pale. L’accompagnement social doit con-
sidérer les difficultés psychologiques lors
de l’évaluation globale de la situation de
la personne et lui permettre l’accès aux
droits sociaux (très restreints en déten-
tion). Pour ce faire, l’assistante de service
social interpelle les partenaires internes et
externes compétents selon les demandes
exprimées par le patient et les besoins
évalués par l’équipe soignante (SPIP, fa-
milles, mandataires judiciaires, avocats,
associations, structures médicales et
d’aide à l’insertion professionnelle, etc.).
La mise en place d’un projet de sortie est
une des actions centrales de l’assistante de
service social. Le projet doit prendre en
compte les obligations et restrictions judi-
ciaires post-carcérales de la personne con-
damnée, ses souhaits et projections quant
à sa sortie, l’état de santé global du patient
ainsi que son degré d’autonomie. Cet ac-
compagnement comprend d’une part la
réalisation de dossiers de demandes liés à
des pathologies psychiatriques (ex : re-
connaissance du handicap, aide à l’ouver-
ture de mesure de protection, demande
d’admission en foyer de vie ou Etablisse-
ments et Service d’Aide par le Travail,
etc.) et d’autre part l’accompagnement de
demandes liées à des troubles de l’addic-
tion visant à orienter les personnes vers
des structures spécialisées et adaptées
(ex : postcure en Alcoologie, communau-
tés thérapeutiques, orientation vers des
Centres de Soins d’Accompagnement et
de Prévention en Addictologie).
Cet accompagnement social se fait majo-
ritairement dans le cadre d’entretiens in-
dividuels, mais également au cours de co-
entretiens avec un soignant afin de faire le
point sur le projet thérapeutique et de vie
post-carcérale du patient. Des co-entre-
tiens avec les Conseillers d’Insertion et de
Probation (SPIP) peuvent être également
proposés au patient détenu pour l’aider à
Incarcération et thérapie : deux “mondes” antagonistes ? L’expérience d’un Hôpital de Jour au Centre Pénitentiaire de Caen
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 85
comprendre sa réalité pénale, parfois très
complexe. En outre, des rencontres avec
les familles peuvent avoir lieu, visant à
créer une certaine cohérence dans les pro-
jets de sortie, tout en leur permettant de
questionner les soignants sur l’évolution
des symptômes du proche détenu, la prise
du traitement, le dispositif de soins exis-
tants en vue de sa prise en charge future,
etc.
En résumé, l’assistante de service social
participe à la co-construction du projet de
sortie, de vie et de soin de la personne. En
ce sens, elle peut accompagner des pa-
tients détenus pour la visite de structures
extérieures après l’accord de la Juge
d’Application des Peines.
La place du psychologue au sein de l’Hô-
pital de Jour s’articule autour de deux psy-
chologues distincts et donc de deux fonc-
tions : celle de la supervision clinique et
celle de la prise en charge psychologique
du patient hospitalisé. Les jeudis, une se-
maine sur deux, se déroule au sein de
l’unité un temps de supervision de
l’équipe infirmière où participe également
la psychologue référente. Ce temps est
destiné à croiser les regards sur les pa-
tients accueillis, de faire part des difficul-
tés rencontrées, de pouvoir constater une
évolution chez le patient et d’analyser la
prise en charge et la pertinence de l’indi-
cation d’hospitalisation.
Le patient hospitalisé peut également bé-
néficier d’un suivi psychologique, celui-
ci n’est pas automatique mais il est pro-
posé au patient lors de son admission. Soit
il s’en saisit et dans ce cas, la demande
peut se faire par le patient lui-même et elle
sera relayée par l’équipe infirmière. Soit
elle peut éclore au cours de l’hospitalisa-
tion sur idée de l’équipe soignante soit du
patient. Un suivi initié en Maison d’Arrêt
ou au Centre Pénitentiaire pourra se pour-
suivre avec le même psychologue, sinon
le patient sera pris en charge par la psy-
chologue référente.
La participation à l’évaluation clinique
des Auteurs d’Infractions à Caractère
Sexuel représente une autre mission de la
psychologue au sein de l’Hôpital de Jour.
Depuis 2011, le SMPR de Caen s’est doté
d’une Unité Clinique d’Evaluation des
Auteurs de Violence Sexuelle. Le suivi
médico-psychologique des AICS est sou-
vent complexe en raison de la structure
psychique des patients, de la gravité des
faits et du risque potentiel de récidive.
Cette unité clinique offre aux soignants en
difficulté dans une prise en charge de re-
penser le dispositif proposé au patient. La
psychologue référente de l’Hôpital de
Jour procède en binôme avec un psy-
chiatre à ces évaluations dans le cadre
d’une admission pour cette indication.
Quand l’hospitalisation prend fin
A la signature du contrat de soin, il est ex-
plicité au patient que la durée d’hospitali-
sation est d’un mois renouvelable. Après
ce mois d’hospitalisation, les référents du
patient (psychiatre, infirmiers, psycho-
logue, assistante sociale) procèdent à une
synthèse qui a lieu en équipe. Il sera alors
décidé soit du retour du patient dans son
lieu d’incarcération soit d’une poursuite
de l’hospitalisation. Dans le cas où le pa-
tient reste hospitalisé jusqu’à sa libéra-
tion, la continuité des soins est organisée :
un rendez-vous sera pris avec le Centre
Médico Psychologique de secteur, une
hospitalisation en psychiatrie pourra être
envisagée. Pour certains patients dont les
pathologies sont lourdes, les soignants
pourront présenter le patient aux futures
équipes qui le prendront en charge.
L’hospitalisation de jour est définie par la
Circulaire DHOS/F3/02 no 2005-553 du
15 décembre 2005. C’est « une alterna-
tive à l’hospitalisation complète et se ca-
ractérise, à cet égard, par des soins poly-
valents et intensifs prodigués dans la
journée[...] A l’appui de projets indivi-
dualisés de prise en charge, des activités
polyvalentes et collectives sont privilé-
giées alors que les temps de prises en
charges individuelles, qui doivent rester
minoritaires, doivent permettre notam-
ment une réévaluation périodique de la
prise en charge du patient, afin d’éviter
toute chronicisation et d’introduire, dès
que possible, les éléments de préparation
à la sortie et à la réinsertion ». L’Hôpital
de Jour du SMPR de Caen n’a donc de
spécifique que son lieu d’implantation.
Retours d’expériences et bilan
Quelles sont les difficultés les plus fré-
quemment rencontrées ? Quelles sont les
limites de ce dispositif ? Quels sont les
avantages d’une telle structure au sein
d’un SMPR et donc de l’univers carcé-
ral ?
Depuis son ouverture, l’Hôpital de Jour a
accueilli 52 patients (pour une moyenne
de 20 par an) et majoritairement incarcé-
rés à la Maison d’Arrêt. Les séjours ont pu
durer de trois jours à plus d’un an. Les
deux principales indications ont été l’ob-
servation à visée diagnostique et la prépa-
ration à la sortie.
Depuis ces trois ans, les difficultés les
plus récurrentes ont été l’apparition de dé-
compensations psychotiques au décours
de l’hospitalisation, le recours pour cer-
tains patients à des gestes suicidaires et
auto-mutilatoires. Ces situations ont né-
cessité des hospitalisations sous con-
trainte à l’EPSM de Caen ou à l’Unité
Hospitalière Spécialement Aménagée de
Rennes.
LES AUTEURS
Virginie COLLOMB Psychologue Clinicienne Christel FERE Infirmière Sophie GUEGUEN Assistante de Service Social
SMPR 36, rue du Général Moulin 14000 Caen France
BIBLIOGRAPHIE
1. LHUILLIER D. (2001), Le choc carcéral, Pa-ris : Bayard, 310 p.
2. GOFFMAN E. (1968), Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, Paris : Les Editions de Minuit, 451 p.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 86
La question de l’hygiène et notamment de
l’incurie a nécessité de se questionner sur
la limite entre soin de jour et respect des
cellules d’hébergement pénitentiaires.
Certains patients ont montré des pro-
blèmes disciplinaires et de comportement
tels que le trafic de stupéfiants, des com-
portements agressifs vis-à-vis des surveil-
lants pénitentiaires ainsi que des compor-
tements sexuels non adaptés. Une bonne
entente et compréhension entre le corps
pénitentiaire et le corps soignant est alors
primordiale. Ceci nécessite un ajustement
et une réflexion sur ce qui relève de la
pure transgression et de la pathologie. La
maltraitance du cadre de l’Hôpital de Jour
est fréquente, des mouvements de des-
tructivité, de tests de l’équipe médico-
psychologique mais parfois il s’agit de
difficultés à tenir et respecter le cadre pro-
posé et donc la question d’une orientation
inadaptée se pose. Mettre fin à un séjour
est souvent compliqué car la plupart du
temps synonyme de retour en détention.
Mais nous avons pu nous apercevoir que
malgré la crainte de l’équipe soignante, le
patient n’a aucune difficulté à réintégrer
la détention.
Concluons ce retour d’expériences sur les
bénéfices apportés par cette unité au sein
du SMPR.
Nous avons pu noter pour la majorité des
patients une véritable amélioration des
symptomatologies observées avant
l’orientation, un réel investissement de
leur part dans la vie de l’unité de jour.
Avoir la possibilité d’accompagner les
patients dans leur projet de sortie, de
mettre en place des médiations avec la fa-
mille, de créer un tissu pluridisciplinaire
et avec tous les partenaires loin des fracas
de l’univers carcéral constitue une véri-
table respiration pour le patient. Pour
l’équipe du SMPR, c’est un nouvel outil
de prise en charge, permettant un autre re-
gard sur le patient. L’Hôpital de Jour
amène aussi au SMPR un nouveau temps
et un nouvel axe de réflexion institution-
nel créant une nouvelle dynamique au
sein de l’équipe.
Conclusion
Exercer en milieu fermé dans un service
extra-hospitalier suppose de ne pas se
laisser enfermer dans un fonctionnement
psychique et institutionnel sclérosant.
Cette clinique nécessite donc d’être en
lien, de sans cesse questionner sa position
et réfléchir à sa pratique. Agis par la vio-
lence intrinsèque à l’univers carcéral,
contenants d’une souffrance archaïque et
crue, les acteurs du SMPR se doivent de
respirer psychiquement, tout comme leurs
patients.
Annexe 1
Annexe 2
Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi
7h00 Douche
8h00 Promenade
A partir de 9h00 Délivrance du traitement
Sport
adapté
Sport
adapté
Midi Repas en cellule
Promenade Jeudi : Régulation des soignants (1 semaine sur
2)
14h00 Consultations: infirmier référent, psychiatre, psychologue ou assistante
sociale
14h30 activités
obligatoires
Groupe
Photo
Langage
Relaxation, atelier Sucré Salé, groupe de parole, médiation
autour du jeu,
Ecoute musicale, sensibilisation aux risques de consommation
de toxiques
16h00 Délivrance du traitement pour le soir & coucher / Consultations
Parloirs, accès au téléphone….
18h00 Fermeture des cellules pour la soirée et la nuit
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 87
Il n’existe rien dans l’intelligence qui ne préexiste dans nos sens physiques
Ludwig Feuerbach1
Introduction
L’hôpital de Jour (HJ) de Psychiatrie de
l’Âge Avancé à Lausanne fait partie du
centre ambulatoire du Service Universi-
taire de Psychiatrie de l’Âge Avancé (SU-
PAA), qui appartient lui-même au dépar-
tement de psychiatrie du Centre Hospita-
lier Universitaire Vaudois (CHUV).
Ouvert du lundi au vendredi, de huit
heures à dix-sept heures, l’HJ suit actuel-
lement une soixantaine de personnes
âgées de plus de soixante-cinq ans, vivant
à domicile (sauf Etablissements Médi-
caux Sociaux, c’est-à-dire les maisons de
retraite). La fréquence de suivi à l’hôpital
de jour est décidée en fonction des besoins
1 Pensées sur la mort et l’immortalité (1830)
individuels, de un à cinq jours par se-
maine. Nous accueillons des personnes
souffrant de différents troubles psychia-
triques (psychose, troubles de l’humeur,
troubles anxieux, troubles de l’adaptation,
dépendance à l’alcool, troubles cognitifs
légers), excepté les démences avancées.
Notre équipe, sous la responsabilité d’un
médecin cadre, est composée de six infir-
miers(ères), une infirmière cheffe, deux
ergothérapeutes, une psychomotricienne,
une assistante sociale, une psychologue et
un médecin responsable.
Les objectifs généraux de l’hôpital de jour
sont l’évaluation diagnostique et théra-
peutique, la stabilisation psychique, la ré-
intégration dans la communauté, le main-
tien du lien avec le réseau et la prévention
des rechutes.
Le rétablissement psychologique
Au niveau conceptuel, le département de
psychiatrie a choisi de travailler sur la
base du modèle d’Andresen et al. (2003),
qui définissent le « rétablissement psy-
chologique » comme « la réalisation
d’une vie pleine et significative, d’une
identité positive fondée sur l’espoir et
l’auto-détermination ».
Ce modèle comporte cinq stades :
1. Le moratoire : ce stade se caractérise
par le déni, le repli, la confusion, la perte
d’espoir, et une limitation de l’identité à
la maladie.
2. La conscience : il s’agit de la première
lueur d’espoir en une vie meilleure et
dans la possibilité se rétablir.
3. La préparation : la personne com-
mence à travailler sur le rétablissement,
en faisant le bilan de ses ressources, va-
leurs et limitations, en s’informant sur
ses troubles et sur les soins disponibles,
en s’impliquant dans des groupes ou en
établissant des contacts avec des pairs
engagés dans ce processus.
4. La reconstruction : c’est le stade le
plus difficile, impliquant de se forger
une identité plus positive, d’établir de
nouveaux objectifs personnels et de tra-
vailler à leur réalisation. L’individu as-
sume la responsabilité de gérer sa mala-
die, en prenant des risques et en surmon-
tant les rechutes.
5. La croissance : l’individu, souffrant
encore ou non de symptômes, sait com-
ment gérer sa maladie et rester stable.
Les caractéristiques associées à ce stade
sont la résilience, la confiance en soi et
l’optimisme pour le futur, une estime de
soi positive et la croyance que l’expé-
rience du rétablissement rend l’individu
meilleur.
S’inspirant d’une expérience réalisée en psychiatrie adulte auprès de personnes déprimées (Croquet-Kolb C. et Sachetto S.), le groupe « Les cinq sens » propose une médiation inédite dans notre unité, stimulant notre créativité. Dans le cadre d’une approche multidisciplinaire, nous utilisons le modèle de la médiation par l’objet, en trois étapes successives au cours d’une séance : la description objective de l’objet (perception sensorielle), la description subjective (expression des émotions) puis l’élaboration et la mise en lien (accès aux représentations). Chaque participant est aussi encouragé à se concentrer sur le moment présent. D’un point de vue théorique, ce groupe s’appuie sur le constat suivant : un certain nombre de patients de notre unité présentent des troubles de l’élaboration, exacerbés par la crise. Beaucoup d’entre eux présentent un déficit de mentalisation, entraînant des difficultés à élaborer leur souffrance par la parole seule. Dès lors, en quoi ce groupe est-il thérapeutique ? Quelles sont ses indications ? Comment s’inscrit-t-il dans l’offre des soins de jour ? Quelle place tient la créativité dans ce projet ?
Mots-clefs : groupe thérapeutique, cinq sens, créativité, multidisciplinarité, médiation, crise, mentalisation
“The Earth is blue like an orange” The perception in the development, the group “The Five Senses”
The group “The Five Senses”, a new kind of mediation in our geriatric psychiatry center, which stimulate our creativity, is inspired by a research realized in adult psychiatry with adults suffering from depression (Croquet-Kolb & Sachetto). As part of a multidisciplinary approach, we use the model of mediation by therapeutic object in three successive stages during a single session: an objective description of the object (sensory perception), a subjective description (expression of emotions) and finally, a psychological development process (access to mental and psychological representations). We guide each patient in order to focus on the present moment. From a theoretical perspective, this group is based on the following observations: numerous patients present difficulty in thought process, which is exacerbated by the crisis. Many of them have a mentalizing deficit, causing difficulty in verbalize their suffer-ings. Therefore, in which way this group is therapeutic? What are the indications? How is it integrated into the whole therapeutic process at the psychiatric unit? What is the place of the creativity in this project?
Keywords: therapeutic group, five senses, creativity, multidisciplinary approach, psychiatric crisis, mentalization
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 88
Des allers-retours sont possibles entre les
stades, et font du rétablissement un pro-
cessus plutôt qu’un résultat (voir d’autres
auteurs comme Huguelet, 2007 ou An-
thony, 2003).
Ce concept s’appuie sur les récits, abon-
dants dans la littérature, de personnes re-
latant leur expérience personnelle du réta-
blissement. Andresen et al. sont partis de
récits d’individus souffrant de schizo-
phrénie ou d’autres maladies psychiques
sérieuses, pour en faire une synthèse et fi-
nalement aboutir à quatre dimensions es-
sentielles constitutives du rétablissement
et à une modélisation du rétablissement en
stades.
Les quatre dimensions constituant la clé
de voûte du rétablissement psychologique
sont selon eux : l’espoir, la redéfinition de
l’identité, le fait de trouver un sens à sa
vie et la prise de responsabilité dans son
rétablissement.
Les cinq sens
Selon ce modèle, le groupe « Les cinq
sens » s’inscrit dans le stade du moratoire.
Les patients traversant cette phase identi-
fient difficilement leur problème, car ils
sont, soit dans le déni de la maladie, soit
dans l’incapacité de mettre leur souf-
france en mots.
Notre groupe thérapeutique peut jouer un
rôle important en aidant ces personnes à
franchir cette étape.
En s’inspirant du modèle de symbolisa-
tion de R. Roussillon, nous pensons que la
médiation par les sens permet de travailler
les capacités représentatives à partir des
perceptions. C’est ce processus qui per-
met de développer la capacité de mentali-
sation, dont nous parlerons un peu plus
loin.
Ainsi, nous définissons le groupe « Les
cinq sens » comme un « groupe thérapeu-
tique utilisant des médiums afin de stimu-
ler chaque sens, ceci permettant au pa-
tient de se centrer sur ses perceptions sen-
sorielles, d’exprimer les émotions qui en
émergent, puis de travailler le lien entre
les affects et les représentations ».
Il s’agit d’un groupe semi-ouvert, qui se
déroule sur dix séances d’une heure cha-
cune, à raison d’une par semaine.
Chaque sens occupe deux séances.
Après un rapide tour de table, nous distri-
buons une feuille (cf infra, Annexe 1) et
un crayon à chacun des participants. Nous
observons alors différentes réactions en
lien avec la prise de notes : la surprise (le
support écrit est rarement utilisé dans les
autres groupes), la méfiance, l’appréhen-
sion (en lien avec des troubles cognitifs
débutants ou des difficultés avec la langue
ou l’écriture par exemple). Par ailleurs,
écrire demande un investissement impor-
tant et empêche les tentatives de se mettre
en retrait du groupe. Nous avons égale-
ment constaté que les participants avaient
besoin d’être rassurés au sujet du devenir
de leurs écrits. Nous leur indiquons donc
que cette feuille leur appartient et qu’en
fin de groupe ils peuvent soit nous la don-
ner, soit la jeter, soit la garder. Quant aux
personnes d’origine non francophone,
elles peuvent écrire dans la langue qui leur
convient (langue maternelle par
exemple).
Nous pouvons citer ici l’exemple de Mon-
sieur G., qui présentait une dépression
mélancoliforme.
Né en Suisse et de langue maternelle fran-
çaise, Monsieur G. mettait en avant le fait
d’être allé à l’école jusqu’à quatorze ans
seulement et d’avoir peu écrit dans sa pro-
fession de boucher. Nos interventions
consistaient alors à le rassurer autour du
devenir de la feuille et de l’absence d’en-
jeu de performance. Au bout de quelques
séances, son vocabulaire s’est enrichi, ses
descriptions se sont structurées, il évo-
quait plus facilement ses souvenirs.
Ajoutons que durant toute la séance, nous
invitons les participants à se concentrer.
Le support écrit, s’il peut être anxiogène
comme nous venons de le voir, peut aussi
devenir le support physique de cette con-
centration.
La suite consiste à présenter deux mé-
diums en lien avec le sens concerné (par
exemple : ail et vanille pour l’odorat, bet-
terave crue et cuite pour le goût, tableau
abstrait et figuratif pour la vue, musique
de film et musique classique pour l’ouïe,
perles et papier de verre pour le toucher).
L’objectif ici est de mobiliser les fonc-
tions sensorielles et cognitives.
Lors des premières séances de ce groupe,
nous proposions trois objets. Nous nous
sommes rapidement aperçus que ce
nombre était trop ambitieux, au vu du
temps imparti et des difficultés psy-
chiques des patients. Nous avons entre
autres constaté qu’au-delà de deux propo-
sitions, les capacités de concentration des
participants étaient mises à rude épreuve.
L’expérience nous a aussi conduit à faire
des propositions contrastées pour amener
les membres du groupe en dehors de leur
zone de confort et favoriser la perception
des sensations. Cela autorise également
les personnes à expérimenter un ressenti
négatif ou désagréable. Par exemple, lors
d’une séance sur le toucher, nous avons
proposé du gravier et de la laine mohair.
S’agissant de la description à proprement
parler, nous proposons d’abord aux per-
sonnes de décrire de façon objective le
premier objet, afin de permettre à chacun
d’identifier et de nommer ses sensations.
Au fil des séances, nous nous sommes
aperçus qu’il était nécessaire d’accompa-
gner la réflexion sur la méthodologie de la
description. Nous avons donc ajouté une
étape préalable consistant à réfléchir en-
semble à la façon de décrire un objet, une
image, une odeur, une musique, un ali-
ment. Comme nous l’avons expliqué plus
haut, le fait de proposer des objets con-
trastés facilite également la description.
Citons par exemple une des premières
séances sur le goût. Nous avions proposé
la dégustation de trois types de chocolats
différents. Les nuances entre ces trois pro-
positions gustatives étaient trop subtiles à
décrire pour les participants.
Par la suite, nous avons pu proposer par
exemple pomme et fromage. Nous nous
sommes également aperçus que les parti-
cipants avaient tendance à vouloir nom-
mer directement l’objet, le “reconnaître”,
plutôt que le décrire. Cela nous a conduits
à proposer des objets difficilement identi-
fiables, comme par exemple de l’écorce
de bois, des musiques de films, des mu-
siques contemporaines.
Concrètement…
Voici deux types de réaction rencontrées
dans le groupe, allant d’une description
assez pauvre en termes de vocabulaire, à
une extrême précision.
Face à un tableau de Rothko, Monsieur A.
pouvait seulement dire : « Je vois des cou-
leurs », tandis que Monsieur J. nous dé-
crivait la largeur des bandes au centimètre
près, les différentes nuances de couleur,
etc.
Par ailleurs, nous nous attendions à ce que
les descriptions objectives se recoupent
plus ou moins. Or nous avons constaté
que chacun, dès cette étape pouvait voir,
entendre ou sentir de façon différente.
Citons l’exemple de Madame P.. Lors des
séances sur l’ouïe, nous utilisons un ordi-
nateur pour diffuser la musique, Madame
P. décrivait le fond d’écran plutôt que le
morceau de musique. Ensuite, nous pro-
posons aux participants de décrire l’objet
de façon subjective. L’objectif est de fa-
voriser la mise en lien des sensations avec
les émotions.
Décrire ce qu’elles ressentent s’avère dif-
ficile pour certaines personnes. Repre-
nons l’exemple de Monsieur A.. Quel que
soit le sens étudié ou l’objet proposé, il
partageait un vécu très ritualisé et peu ha-
bité émotionnellement, « Je ressens le
calme ».
Pour certains, se positionner déjà entre
l’agréable et le désagréable est complexe.
En revanche, certaines personnes, comme
Madame P., sont plus à l’aise pour déve-
lopper cette partie. Il arrive aussi que les
descriptions objectives divergent entre les
membres du groupe, tandis que l’expé-
rience subjective est partagée. Nous nous
souvenons ici d’une séance sur l’ouïe
dans laquelle nous avions écouté une
« La Terre est bleue comme une orange » : de la perception à l’élaboration, le groupe « Les cinq sens »
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 89
chanson de l’artiste Woodkid. Plusieurs
participants avaient évoqué la musique
sacrée, alors que cette chanson n’appar-
tient pas à proprement parler à ce réper-
toire.
Suite aux étapes descriptives, nous de-
mandons aux participants d’évoquer un
souvenir en lien avec l’objet. L’objectif
est alors d’échanger autour des expé-
riences sensorielles de chacun.
Pour l’ouïe et la vue, nous proposons sou-
vent non pas d’évoquer un souvenir, mais
de donner un titre à l’œuvre proposée. De
façon un peu caricaturale, nous sommes
dans le domaine des réminiscences avec
les sens plus archaïques que sont le tou-
cher, l’odorat et le goût, et dans le do-
maine de la créativité avec les sens plus
“évolués” que sont la vue et l’ouïe.
Nous avons également constaté que l’évo-
cation des souvenirs peut conduire à un
échange qui se fait difficilement en entre-
tien individuel. Cela permet parfois de fa-
voriser le lien avec la personne par le re-
cueil d’éléments biographiques et l’accès
à la sphère émotionnelle.
Nous pensons ici à Monsieur N. au début
de son suivi à l’hôpital de jour. Il se mon-
trait très méfiant en entretien individuel,
et il était difficile de recueillir des élé-
ments anamnestiques. Lors d’une séance
sur l’odorat, il a pu exprimer que l’infu-
sion de sauge lui rappelait que durant la
guerre, en Italie, sa mère cultivait des
plantes aromatiques dans leur jardin en
l’absence de médicaments à cette période.
Ce souvenir a été pour Monsieur N. l’oc-
casion de s’exprimer sur son rapport à sa
mère.
Nous émettons l’hypothèse que le cadre
structuré et rassurant du groupe, ainsi que
l’utilisation d’un medium, facilitent l’ex-
pression des émotions. Le groupe permet
aux personnes d’être accompagnées dans
leurs perceptions, pour les mettre en lien
avec leurs émotions, afin qu’ils puissent
avoir une meilleure perception de soi-
même et de l’autre. Ici apparaît la notion
de mentalisation, que nous allons déve-
lopper maintenant.
Mentaliser...
Nous pouvons penser le groupe « Les cinq
sens » de plusieurs manières.
Il s’agit d’un groupe hétérogène du point
de vue diagnostique, au sens de la CIM 10
(dépression sévère avec symptômes psy-
chotiques, trouble délirant persistant,
trouble de l’humeur...).
Nous repérons toutefois deux éléments de
dysfonctionnement chez les patients : un
2 Peter Fonagy et Anthony Bateman ont dé-veloppé la psychothérapie par mentalisation
MBT.
défaut de mentalisation et une pensée opé-
ratoire, qui, au fond, sont liés. Nous pou-
vons aussi parler de problème de symbo-
lisation.
Bateman et Fonagy2 définissent la menta-
lisation comme « le mécanisme mental
par lequel un individu interprète implici-
tement et explicitement ses actions et
celles des autres comme ayant un sens,
sur la base d’états mentaux intentionnels
comme les désirs, les besoins, les senti-
ments, les croyances et les raisons ». John
G. Allen, quant à lui, indique que « l’ac-
tion de mentaliser consiste à percevoir et
interpréter d’une manière imaginative les
comportements comme étant liés à des
états mentaux intentionnels ».
La mentalisation est une notion mise au
point au début des années 1970 par P.
Marty. Elle s’intéresse à des dimensions
de l’appareil mental. Dans le concept de
mentalisation, il est question de la qualité
des représentations psychiques consti-
tuant la base de la vie mentale de chacun
d’entre nous. Ces représentations appa-
raissent le jour sous forme de fantasmes et
la nuit sous forme de rêves. Elles permet-
tent les associations d’idées, les pensées,
la réflexion intérieure et sont constam-
ment utilisées dans nos relations directes
ou indirectes avec les autres. La mentali-
sation traite donc de la quantité et de la
qualité des représentations chez l’indi-
vidu. Elle n’a pas été objet direct des tra-
vaux de Freud, sans doute dans la mesure
où il s’intéressait spécialement à certaines
organisations pathologiques de l’époque,
c’est-à-dire les névroses mentales.
La mentalisation est en lien avec la fonc-
tion alpha proposée par Bion, qui est un
processus de mentalisation du monde. Ce
processus permet de passer de l’expé-
rience sensorielle à la forme mentale de
cette expérience. Bion déploie la concep-
tualisation suivante :
1. Certains éléments peuvent être appré-
hendés par le sujet, tel des phénomènes.
Ces éléments sont dit éléments-alpha.
2. Certains éléments, par contre, ne sont
pas appréhendables, et conservent une
valeur de chose en soi, mais continuent
cependant de travailler l’expérience du
monde. Ce sont des éléments-béta.
Les éléments-béta sont des impressions
de sens, et les éléments-alpha sont des
éléments de pensée. Il s’agit d’une déli-
mitation assez classique, mais toute
l’originalité de Bion est de penser la
transformation du béta en alpha.
P. Marty, quant à lui, nous a indiqué com-
bien nous construisons la réalité à partir
LES AUTEURS
Dr Mazen ALMESBER psychiatre hospitalier, psychothérapeute FMH Christine GARCIA-ADAMEZ ergothérapeute Alexandra MIARD infirmière Virginie PERRIN infirmière
Hôpital de Jour de Psychiatrie de l’Âge Avancé CAPAA – CHUV ch. de Mont-Paisible 16 1011 Lausanne Suisse
BIBLIOGRAPHIE
1. ANTHONY W. A. (1993, Recovery from Men-tal Illness: The Guiding Vision of the Mental Health Service System in the 1990s, Psychosocial Rehabilitation Journal, 14(4), 11-23A.
2. ANDRESEN R., CAPUTI P. & OADES L. (2006), Stages of recovery instrument: develop-ment of a measure of recovery from serious mental illness, Australian and New Zeeland Jour-nal of Psychiatry, 40, 972-980.
3. ANDRESEN, R., OADES, L., & CAPUTI, P. (2003), The experience from recovery schizo-phrenia: towards an empirically validated stage model, Australian and New Zeeland Journal of Psychiatry, 37, 586-594.
4. ALLEN J. P., FONAGY P. (2006), Handbook of Mentalization-Based Treatment, John Wiley & Son, Chichester, UK.
5. BONSACK Ch. (2003), Le suivi psychiatrique intensif dans le milieu, L’écrit, 51, 3-6.
6. BION W. R. (1962), Aux sources de l’expé-rience, Paris, P.U.F. , 137 pages.
7. DELORME A. & FLÜCKIGER M. (2003), Per-ception et réalité, une introduction à la psycho-logie des perceptions, Bruxelles : De Boeck, 516 pages.
8. FIELD T. (2006), Les bienfaits du toucher, S.I : Edition Payot, 250 pages.
9. Formation 5 sens, ASE, cours du 29 septembre 2013.
10. FONAGY P. (2001), Théorie de l’Attache-ment et Psychanalyse, Ed Érès. Ramonville, St-Agne, 272 pages.
11. FONAGY P. TARGET M. (1997), Attach-ment and reflexive function their role in self-or-ganization, Dev. Psychopathology.
12. FREUD S. (1895), De l’esquisse d’une psy-chologie scientifique, dans La naissance de la psy-chanalyse, Paris, PUF, 2003, 432 pages.
13. HUGUELET P. (2007), Recovery as an or-ganising principle for the care of patients with severe mental disorders, Schweiz Arch Neurol Psychiatr.
14. LAZORTHES G. (1986), L’ouvrage des sens : fenêtre étroite sur le réel, Paris : Flamma-rion, 228 pages.
15. LE BRETON D. (2006), La Saveur du monde, une anthropologie des sens, Paris : Edi-tions Métailié, 428 pages.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 90
BIBLIOGRAPHIE (suite)
16. MARTY P. (1991), Mentalisation et psycho-somatique, Paris. Ces empêcheurs de tourner en Rond. Ulysse.
17. MANTILLA LAGOS C. (2007), La théorie de la pensée et de la capacité à mentaliser : Une comparaison des modèles de Fonagy et de Bion, Le Journal espagnol de psychologie, vol. 10, N° 1, 189-198
18. MONTAGU A. (2007), La peau et le tou-cher : un premier langage, Paris : édition du Seuil.
19. ROUSSILLON R. (1999), Agonie, clivage et symbolisation, PUF, 245 pages.
20. SABOURIN R. (1999), Des outils du quoti-dien, Belgique : Erasme.
21. SACHETTO S. & CROQUET-KOLB C. (2011), Expériences interdisciplinaire : de la naissance d’une équipe à la mise en place d’un programme groupale pour personnes dépres-sives, Entretiens de Bichat, pp. 50-54.
22. WINNICOTT D. W. (1970), Processus de maturation chez l’enfant, Paris, Payot, 259 pages.
de la sensorialité éprouvée, des émotions
vécues et des représentations plus ou
moins disponibles dans le préconscient,
en fonction de nos mécanismes de dé-
fense.
Marty et Fain ont formalisé le concept de
mentalisation grâce à des patients qui
semblaient présenter un déficit de l’es-
pace imaginaire avec une défaillance des
capacités de mentalisation. Ceci conduit à
ce que l’on décrit comme la pensée opé-
ratoire (pensée essentiellement orientée
vers des préoccupations concrètes), ou en-
core l’alexithymie (difficulté à identifier,
différencier et exprimer ses émotions, ou
parfois celles d’autrui), se traduisant par
un discours sans expression émotionnelle.
A. Fonagy et ses collègues (Fonagy. Tar-
get–1997) ont considéré quant à eux la
mentalisation à partir de la théorie de l’at-
tachement et de leurs travaux sur la “fonc-
tion réflexive”, tributaire de la “théorie de
l’esprit”.
Commençons par la matière première du
psychisme, les traces psychiques, que
Freud appelle traces mnésiques. Ce qui
est inscrit sur la surface du psychisme,
que l’on appellera plus tard, quand la
symbolisation sera apparue, le Ça, part du
“soi brut” à laquelle nous n’avons pas
d’accès direct. Ce sont des traces infraver-
bales, polysensorielles, de nos expé-
riences passées et présentes.
Nous avons parlé plus haut de défaut de
mentalisation. Dès lors, qu’est-ce qu’une
“bonne mentalisation” ?
Pour Pierre Marty, la qualité de la menta-
lisation dépend de l’inscription psychique
des perceptions et de la possibilité de les
évoquer ultérieurement sous forme de re-
présentations accompagnées d’affects.
Lorsque la mentalisation est défaillante,
les représentations semblent reproduire
des perceptions vécues dans la réalité. Ces
représentations sont de simples témoi-
gnages de perceptions inscrites.
Nous pensons par ailleurs que cette
“bonne mentalisation” serait activement
soutenue par le processus de symbolisa-
tion. Attardons-nous un instant sur ce
point.
R. Roussillon propose de différencier
deux modalités du processus de symboli-
sation, en faisant la distinction entre sym-
bolisation primaire et symbolisation se-
condaire. De manière schématique, la
symbolisation primaire concerne la pro-
duction des représentations de choses, ou
« symboles primaires », à partir d’une
première inscription essentiellement per-
ceptive. La symbolisation secondaire relie
quant à elle la représentation de choses et
la représentation de mots. Ce modèle
s’appuie sur une différenciation entre
trois types d’inscriptions psychiques de
l’expérience vécue, décrites dans les tra-
vaux de S. Freud : la trace mnésique per-
ceptive, la trace inconsciente (la représen-
tation de choses) et la trace verbale pré-
consciente (la représentation de mots). La
nécessité de définir une symbolisation
primaire vient d’une réflexion sur les con-
ditions permettant la mise en place de
l’activité représentative, qui échoue, au
moins en partie, dans les problématiques
psychotiques ou limites.
La notion de symbolisation primaire per-
met de compléter et complexifier le mo-
dèle classique du passage de la trace mné-
sique perceptive à la représentation basée
sur la “simple” rétention énergétique,
comme le propose S. Freud dans « L’es-
quisse pour une psychologie scienti-
fique ». Ce modèle est essentiel pour ex-
pliciter la différenciation entre l’expé-
rience première et sa représentation. Cette
théorie de la retenue, fondée sur la perte
et le deuil, rend nécessaire les notions de
“symbolisation”. En effet, selon ce mo-
dèle, la capacité de représentation im-
plique de renoncer à retrouver une « iden-
tité de perception » au profit d’une iden-
tité symbolique, une « identité de pen-
sée ». C’est l’absence qui est alors le mo-
teur du travail représentatif, soutenu par la
rétention d’énergie.
Pour finir, il nous semble aussi qu’un lien
existe entre défaut de mentalisation et
crise.
En effet, la crise comporte plusieurs as-
pects. En mettant en tension le système
défensif, elle exacerbe la difficulté rela-
tionnelle, perturbe l’équilibre psychique
et favorise la pensée de type opératoire
chez les patients qui ont un problème de
mentalisation.
Si le groupe « Les cinq sens » permet
d’accompagner les patients vers une sor-
tie de la crise par un renforcement des ca-
pacités de mentalisation, il implique un
investissement important de la part des
soignants. En ce sens, la créativité joue un
rôle majeur, afin de renforcer la fonction
alpha de Bion citée plus haut. La dimen-
sion créative de ce groupe nous permet
également de le préparer et de l’animer
avec plaisir, ce qui contribue d’après nous
à sa dimension thérapeutique. Nous es-
sayons également de rendre une part de
cette créativité aux patients, à l’intérieur
du cadre très étayant du groupe. Par
exemple, nous changeons parfois la der-
nière consigne, qui est habituellement
d’évoquer un souvenir en lien avec le sup-
port sensoriel présenté. Ainsi, pour la vue
et l’ouïe, nous proposons de donner un
titre au tableau ou au morceau.
Conclusion
Nous avons montré la place que notre
groupe occupe au sein de l’hôpital de jour.
« La Terre est bleue comme une orange » : de la perception à l’élaboration, le groupe « Les cinq sens »
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 91
S’inscrivant dans la phase du moratoire
du rétablissement psychologique, il joue
un rôle très spécifique chez des patients
qui ont une difficulté de mentalisation.
Nous avons aussi abordé la base théorique
qui a permis de faire le lien entre la men-
talisation et le processus de symbolisation
en travaillant à partir de la perception sur
les trois étapes du groupe.
Ce travail thérapeutique en groupe permet
une progression dans le processus de réta-
blissement de nos patients en développant
leurs capacités représentatives. Cette évo-
lution participe au traitement de la période
de crise et très probablement à la préven-
tion de la rechute. Des études plus pous-
sées permettraient de valider nos observa-
tions cliniques.
Nous avons enfin évoqué la question de la
créativité qui nous aide à accompagner les
patients vers cet objectif : leur permettre
de se centrer sur leurs perceptions senso-
rielles, d’exprimer les émotions qui en
émergent, puis de travailler le lien entre
les affects et les représentations.
Le titre, La terre est bleue comme une orange, est
le 7ème poème du 1er chapitre « Premièrement » du
recueil 1 L’amour la Poésie, de Paul Eluard.
.
Annexe 1
exemple de feuille utilisée dans le groupe
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 92
Lors du Colloque, la présentation s’est accompa-
gnée de la réalisation d’un atelier photo selon les modalités pratiquées au CITE.
Ainsi, cet atelier a permis de se plonger au cœur
même du travail effectué au CITE avec les enfants et de découvrir les sensations, émotions et pen-
sées qui peuvent émerger au cours d’un tel atelier
à médiation.
Introduction
Le travail qui est réalisé au Centre d’In-
tervention Thérapeutique de l’Enfance de
Lausanne est riche et varié, requérant des
soignants - et de l’équipe multidiscipli-
naire dans son ensemble - une grande sou-
plesse psychique et une créativité cer-
taine, afin de faire face aux aléas des
jeunes Sujets qui y séjournent. Ainsi,
chaque enfant accueilli au CITE intègre
un groupe - encadré par plusieurs soi-
gnants, éducateurs ou infirmiers - où il re-
trouve des pairs du même âge et voit sa
journée structurée dans ses grandes
lignes, toute adaptation ou changement
impromptu n’étant par essence pas à ex-
clure, au vu de la souffrance psychique
des enfants et des adolescents. Dans ce
cadre-là, divers ateliers à médiation sont
proposés, au fil de la journée – dans des
temps bien précis et avec un ou deux soi-
gnants de référence -, ateliers qui sont par
ailleurs entrecoupés par des moments de
jeux libres sous l’œil bienveillant des soi-
gnants ou par des entretiens individuels
ou familiaux, avec l’équipe médico-psy-
chologique du Centre. Les patients peu-
vent ainsi être amenés à faire de la cuisine
- tout en étant accompagné de manière
plus ou moins soutenue en fonction de
leur degré d’autonomie -, à travailler la
terre, le plâtre ou la peinture dans un ate-
lier à visée créatrice ou encore à expéri-
menter divers sports d’équipe dans l’ate-
lier d’exercices physiques. Tous ces ate-
liers permettent à l’équipe - dans une at-
mosphère ludique et vivante - de se faire
une meilleure représentation des enfants
accueillis, afin de mieux comprendre la
singularité du fonctionnement psychique
de chacun, avec ses difficultés propres et
ses fêlures mais également avec toutes les
potentialités qui peuvent germer sous de
meilleurs auspices, familiaux, sociaux et
environnementaux. L’atelier photo s’ins-
crit donc pleinement dans ce contexte de
prise en charge, permettant aux enfants
une véritable « forme de participation em-
pathique au monde » pour reprendre
l’heureuse expression de Tisseron. Cet
atelier à médiation permet de mettre au
travail le « champ de l’intermédiaire »
(Kaës, 1983), véritable ouverture tant spa-
tiale que temporelle entre plusieurs psy-
chés en présence, afin que se développe
une aire de jeu commune, à même de ma-
térialiser et de transformer certains pro-
cessus, certaines problématiques psycho-
pathologiques dont l’abord ne peut se
faire, à ce moment précis, par un autre
biais. L’atelier photo sera présenté de ma-
nière plus détaillée dans la seconde partie
de cet article, après celle portant sur le
CITE.
Notre travail s’inscrit donc bien dans le
cadre du colloque qui se tient à Caen en
octobre 2015.
L’atelier photo met en exergue de manière
spécifique la tension entre le “pro-
gramme” qui se doit d’être tenu dans un
centre d’intervention thérapeutique tel
que le nôtre mais ne pouvant faire fi de la
nécessaire adaptabilité créatrice qui est à
rechercher en chacun de nous afin de
transformer, quand cela s’avère néces-
saire, la destructivité à l’œuvre en proces-
sus de liaison, menant alors à un dire por-
teur de sens et d’ouverture vers une alté-
rité - certes parfois anxiogène - plutôt qu’à
un retour vers un informe angoissant.
Néanmoins, et afin de ne pas vous laisser
sur votre faim, nous avons choisi d’illus-
trer in vivo nos propos en invitant certains
Le CITE est une structure de soins pédopsychiatriques qui accueille des enfants présentant des troubles psychiques dans une situation de crise et /ou dans une impasse thérapeutique, pédagogique ou sociale. Dans le cadre de ce travail institutionnel, différentes modalités d’interventions sont proposées, notamment des ateliers à média-tions artistiques effectués par des soignants, permettant un abord de la symptomatologie et de son dépassement afin de créer un nouvel espace d’expérience à même d’aider l’enfant à être dans un lien secure avec lui-même et autrui. La dimension créative des processus soignants mis en jeu permet une souplesse de fonctionnement non négligeable face à des psychopathologies souvent graves, portant atteinte au narcissisme même de l’individu, qui entravent la qualité d’un espace transitionnel apte à favoriser un jeu souple entre réalité interne et réalité externe. Il s’agit de pouvoir encourager ici une « activité libre spontanée » de l’enfant, en ne cherchant pas à tout prix ni à ne le comprendre ni à le “calibrer” selon certains standards. L’un des objectifs est d’aider l’enfant à avoir accès à son monde interne et ses vécus archaïques, non intégrés dans la personnalité en devenir, pour leur donner voix au chapitre et consistance, dans un processus de liaison et de symbolisation au travers d’une activité ludique. Ces espaces permettent aux patients et aux soignants de s’appréhender mutuellement d’une manière non conventionnelle afin de découvrir le plaisir « d’être ensemble » dans l’ici et maintenant via les médiations. Dans cet atelier, nous allons vous proposer de participer à une expérience interactive et ludique pour vous permettre une immersion vivante dans l’univers d’un de nos ateliers à médiation, ou quand les pixels sont à mêmes de faire des étincelles !
Mots-clefs : Créativité, processus, informe, plaisir ludique, transformation, médiations artistiques
Hue and cry: when pixels and brushes get involved
CITE is a child psychiatric care structure that welcomes children with psychological problems in a crisis and / or a therapeutic impasse, educational or social. As part of this institutional work, different types of intervention are proposed, including workshops in artistic mediations performed by caregivers, allowing first of symptomatology and its overflow to create a new space of experience in a position to help the child to be in a secure relationship with himself and others. The creative dimension of caregivers involved processes enables significant operational flexibility in the face of often severe psychopathology, affecting the same narcissism of the indi-vidual, which hinder the quality of a transitional space adapted to promote a flexible game between reality internal and external reality. This is to encourage here a "spontaneous free activity" of the child, by not trying at all costs not to understand nor to the "calibrate" according to certain standards. One goal is to help the child to have access to his inner world and its archaic lived not integral personality in the making, to give them a voice and consistency in the process of connecting and the symboli-zation through a fun activity. These spaces allow patients and caregivers to understand each other in an unconventional way to discover the pleasure of "being together" in the here and now through mediations. In this workshop, we will offer you to participate in a fun, interactive experience for you a living immersion in a universe of our workshops in mediation, or when the pixels are similar to sparks!
Keywords: creativity, processes, reports, playful enjoyment, transformation, artistic mediations
A corps et à cri : quand pixels et pinceaux s’en mêlent
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 93
d’entre vous à participer à notre atelier,
afin de comprendre de l’intérieur - mais
surtout de ressentir au plus profond de soi
-, quels sont les processus qui peuvent être
remis en jeu dans un tel contexte, cela
pouvant déboucher sur une rêverie... créa-
trice !
Présentation du CITE
Le Centre d’Intervention Thérapeutique
pour Enfants (CITE) est une unité du Ser-
vice Universitaire de Psychiatrie de l’En-
fant et de l’Adolescent (SUPEA) du
Centre Hospitalier Universitaire a Lau-
sanne (CHUV).
Le CITE est un espace de soins qui ac-
cueille des enfants de la naissance a 13
ans, répartis en deux groupes distincts :
celui des 0-7 ans et celui des 8-13 ans. Ini-
tialement le CITE s’appelait Centre de
soins pédopsychiatriques, créé en 1989, il
voit son mandat redéfini en 2003 et il
s’oriente dès lors vers la crise, comme
conceptualisée par Nicolas de Coulon. Le
CITE offre des soins pédopsychiatriques
intensifs et donne a l’enfant, a sa famille
et au réseau, la possibilité d’une reprise
évolutive par la construction d’un projet
de soins, pédagogique et/ou social. Le
CITE est un lieu d’observation et d’éva-
luation permettant d’offrir la compréhen-
sion du fonctionnement de l’enfant, de sa
famille et du réseau, mais également la
compréhension des ressources de chacun.
Cadre de notre pratique
Le CITE fonctionne sur le modèle d’un
hôpital de jour et accueille les enfants
toute l’année. Selon les indications défi-
nies par les cadres de soins, ils seront pris
en charge suivant trois modalités :
- sur un mode ambulatoire, deux jours
par semaine pendant trois mois ;
- sur un mode d’hospitalisation complète
pendant trois semaines ;
- sur un mode ambulatoire intensif jus-
qu’a cinq jours par semaine.
A noter que lors d’une hospitalisation
complète, les enfants sont accueillis et
pris en charge par le service de pédiatrie
de l’hôpital de l’enfance et par le service
de liaison pédopsychiatrique du SUPEA.
Cliniquement nous accueillons une
grande diversité de tableaux cliniques et il
n’y a pas de restriction “pathologique”,
mis a part les troubles du comportement
alimentaire. Les enfants présentent ainsi
des troubles du comportement, de la com-
munication, du langage, des refus sco-
laires, des tableaux d’hyperactivité, des
dépressions... Ils appartiennent au registre
des troubles du spectre autistique, des pa-
thologies limites, dysharmoniques et des
troubles de l’humeur ou alors n’appartien-
nent a aucun registre.
Les demandes de prise en charge sont
adressées au cadre infirmier du service,
qui peut ainsi centraliser et coordonner les
demandes. Elles sont ensuite examinées et
triées par le cadre infirmier et le chef de
clinique selon un rapport indications/mis-
sions du CITE. Le cadre infirmier, dans
son rôle de coordinateur, peut écarter des
demandes pour lesquelles le CITE ne
pourrait pas répondre, du fait de critères
tels que l’âge ou d’indications hors man-
dat.
Le soin au CITE est conceptualise comme
un travail d’équipe. C’est l’intervention
groupale coordonnée qui est thérapeu-
tique, tout le monde participe au soin, in-
dépendamment des activités, ateliers ou
moyens de médiation et de rencontre.
L’efficience au CITE réside dans une
équipe pluridisciplinaire qui réunit méde-
cins, psychologue, infirmiers, éducateurs,
enseignant spécialisé et cuisinière.
L’atelier photographique au CITE
L’atelier en pratique
La particularité de cet atelier photo est de
permettre un rendu de très grand format.
C’est sur papier ordinaire, provenant
d’une simple imprimante de bureau, celle
qui imprime vos mails et vos synthèses,
que l’on tire les photos, on obtient un
grand format en recomposant une mo-
saïque composée de fractions de la photo.
L’intérêt est multiple :
- avoir un objet photographique, maté-
rialisé, conservable par les participants ;
- obtenir de très grands formats ;
- avoir une activité peu onéreuse.
Ainsi, ce grand format permet, outre l’as-
pect esthétique, d’obtenir une confronta-
tion avec sa propre image. Un alter égo de
taille identique peut facilement être ob-
tenu, la photo se fait plus présente, à l’op-
posé d’une photo sur un écran, plus petite,
que l’on peut zapper.
L’image papier, elle, est immuable,
l’image sur écran est labile.
Une autre particularité de cet atelier est de
donner les pleins pouvoirs à la personne
qui est prise en photo. Cela fait partie des
conditions pour sécuriser l’atelier : c’est
elle qui choisit qui doit la prendre en
photo, qui va déterminer quelle est la
bonne photo à exploiter, à imprimer…
À tout moment il lui est possible de sortir
du travail, effacer son image, avoir un
veto absolu quant à l’utilisation de celle-
ci.
De ce fait, on se retrouve entre le portrait
et l’autoportrait.
L’atelier est proposé de façon collective :
un groupe de 3-5 enfants accompagné de
2 soignants, ceux-ci sont là pour donner
des conseils dans la réalisation, c’est à
dire adapter les idées aux contraintes tech-
niques, pour maintenir une atmosphère
sécurisante, propice à la créativité et au
confort des patients.
L’atelier d’autoportrait s’articule autour
de 3 parties distinctes :
- la séquence de prises de vue ;
- la partie informatique de choix, de tra-
vail et de mise en valeur de la photo ;
- la partie de l’impression, la recomposi-
tion, l’exposition de la photo.
Peu importe le type d’atelier photo, peu
importe le thème, nous suivrons toujours
cette trame qui revient à un allez retour
entre la personne et son image où l’on
capture puis apprivoise et enfin restitue
une image de soi.
Ainsi l’on peut aussi noter un aller/retour
entre la réalité et le virtuel, qui transforme
la personne.
Un large éventail de possibilités est offert
allant d’une prise de vue directe sans arti-
fice (portrait simple) à une photo faisant
appel à plus de trucages et de manipula-
tions.
L’atelier présenté au Colloque est celui du
« portrait en exposition multiple ».
Parmi ces différents processus, le portrait
en exposition multiple est exactement à
mi-chemin entre la simplicité d’un rendu
brut et celui d’un trucage photo plus éla-
boré, mais pas toujours facile d’accès
pour tous.
Le principe, simple, est d’additionner plu-
sieurs clichés sur la même exposition qui
vont s’entremêler par transparence.
Pour la première séquence de l’atelier,
celle de la prise de vue. Le visage ou le
corps est, plusieurs fois, pris en photo, su-
perposé, par exemple face, profils ne lais-
sant que quelques détails apparents et in-
telligibles, ceux qui se recoupent, se che-
vauchent.
La notion de “être beau/être moche” dis-
parait puisque la personne est rendue mé-
connaissable, du moins n’est reconnais-
sable uniquement que par elle-même ou
des personnes connaissant bien son vi-
sage.
Le trucage est réalisé directement par le
boitier, sans l’aide d’un ordinateur, ren-
dant les opérations très intuitives.
Le rendu, sans pour autant être aléatoire,
n’est pas maitrisable, ni par le sujet pris en
photo, ni le photographe, permettant ainsi
d’éluder les questions de maîtrise de l’ap-
pareil pour le photographe comme de
maîtrise des poses et attitudes pour le mo-
dèle.
La technique peut être utilisée pour un
portrait en gros plan comme pour un plan
plus général (visage, buste, vues d’en-
semble). La distance sera clarifiée au dé-
but de l’atelier, tout en laissant finalement
le choix à la personne prise en photo d’en
changer.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 94
LES AUTEURS
Emilie SNAKKERS Carolin JANETSCHEK Gabriel ZEGNA Fiona PARMENTIER
CITE (Centre d’intervention Thérapeutique pour Enfants) Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) Avenue d’Echallens 9 1004 Lausanne Suisse [email protected]
BIBLIOGRAPHIE
1. De COULON N. (1999), La crise, stratégies d’intervention thérapeutique en psychiatrie, édition Gaétan Morin.
2. BRUN A. (2011), Repères pour une évaluation de la créativité, Gérontologie et Société, numéro 137, pp 49-65.
3. BRUN A. et al. (2014), Formes primaires de symbolisation, Paris : Dunod.
4. CHOUVIER B., et al. (2002), Les processus psychiques de la médiation, Paris : Dunod.
5. TISSERON S. (1996), Le mystère de la chambre claire, Photographie et inconscient, Pa-ris : Les Belles Lettres.
Le cadre de l’atelier implique aussi, autant
que possible, de demander aux modèles
de garder une expression neutre, évitant
un rendu parfois monstrueux avec des gri-
maces, évitant aussi de rentrer dans des
critères esthétisants (beau sourire...) au
moment de la prise de vue, pouvant dé-
courager les moins à l’aise.
Pas non plus de mélange de visages de
plusieurs personnes, pour rester à chaque
fois centré sur la personne prise en photo,
mais aussi pour des questions de partage
et de droit à l’image de chacun.
Ensuite, la partie de choix de la photo, de
mise en valeur de celle-ci, est faite sur
l’écran de l’ordinateur : il faut donc avoir
réussi à faire faire plusieurs prises par per-
sonne, ce qui n’est pas toujours facile.
Il faut accompagner ce choix, souvent
l’animer, par exemple en donnant assez
rapidement un rendu esthétique, un ca-
drage, qui mettra au mieux en valeur
chaque photo.
Parfois, la motivation du groupe, ou de
certains s’effrite à cette étape.
Plusieurs explications :
- le changement de support, qui implique
d’être tous proches autour d’un même
objet, pouvant entraver certains pa-
tients ;
- le temps d’attente qu’il va mécanique-
ment produire (chacun son tour) avec ce
qu’implique l’attente comme difficul-
tés ;
- l’implication dans cet atelier devient
d’un coup tangible : on a un résultat, on
est présent ailleurs, sur l’ordinateur, à la
vue de tous, cela peut être gênant.
Le choix se fait à plusieurs, chacun donne
son avis mais c’est, bien sûr, la personne
sur la photo qui donne l’avis décisif. En-
core une fois, cette liberté est à rappeler
pour sécuriser l’atelier.
La partie où l’on choisit et travaille sa
photo peut être exécutée de façon auto-
nome par un participant plus chevronné,
l’apprentissage fait aussi partie des inté-
rêts de l’atelier.
Pour la partie d’impression, de restitution,
le rendu sur papier, en grand format, la re-
construction (assemblage des feuilles)
rend les détails du visage, du corps, plus
visibles, moins intimes.
Ces mêmes parties se chevauchent, se mé-
langent pour donner un rendu éthéré, dé-
sincarné.
Cette reconstruction, monumentale, de-
mande de trier, de recomposer un puzzle,
et de joindre bord à bord chaque fraction
de la mosaïque. Le processus est facilité
car l’aspect irréel demande beaucoup
moins de rigueur que dans un portrait
classique pour lequel il faudrait joindre
très précisément les feuilles A4 entre
elles.
Enfin, pour l’exposition, il est important
de souligner encore une fois que le choix
est laissé au propriétaire de la photo : l’af-
ficher ou pas, la mettre dans un lieu de
passage, dans un endroit plus discret...
C’est une fois la photo accrochée, et par-
fois après avoir dû soutenir le regard du
participant sur celle-ci, par exemple en
proposant de faire le tour des réalisations,
que l’intérêt s’éveille, certains vont préfé-
rer être seul pour regarder les photos.
Les patients pris en photo témoignent sou-
vent d’un sentiment de non reconnais-
sance, d’étrangeté, alors que les specta-
teurs (les autres), connaissant celui-ci,
vont y retrouver certains détails du visage,
des traits familiers.
“Oui c’est vraiment toi” en parlant de dé-
tails inconnus par le sujet.
La technique de la double exposition per-
met d’accueillir avec plus de sécurité psy-
chique quelqu’un qui ne veut pas se voir
de façon trop brute.
Elle peut faire réagir, rire ou déranger
quelqu’un dont l’image, l’image de soi est
problématique.
Aspects théoriques des ateliers à médiation
Cette capacité peu commune...
de muer en terrain de jeu le pire désert. Michel Leiris
L’atelier photographique a pris corps dans
le courant de l’année 2014, au CITE,
après l’arrivée de Gabriel Zegna, infir-
mier, photographe semi-professionnel à
ses heures, adepte de nouvelles tech-
niques et de matériaux novateurs dans ce
champ spécifique. C’est donc tout natu-
rellement que l’idée d’ouvrir un tel atelier
s’est faite, dans le but de rencontrer les en-
fants par le biais des images réalisées tant
par eux-mêmes que par les soignants réfé-
rents de l’atelier, et de les travailler en-
suite à l’aide de l’informatique, avant
qu’elles ne soient exposées dans le couloir
du Centre, visibles à tous, matières à par-
ler, échanger, critiquer, frémir, sourire, vi-
brer... à chaque fois différemment.
Le champ de la photographie est resté
longtemps lettre morte de nombreux do-
maines relatifs aux sciences humaines, si
ce n’est Roland Barthes qui a rédigé deux
essais à ce sujet au début des années 1980
ou bien la photographie se retrouvait
noyée dans le domaine plus vaste de l’ico-
nographie - Debray, Sontag, etc.-, n’ac-
quérant que le statut d’une façon de cap-
turer le monde tel qu’il était, sans ré-
flexion plus approfondie au sujet des pro-
cessus psychiques à l’œuvre (Tisseron,
1996). A cette époque, la photographie
est surtout comprise comme étant une ma-
nière de figer un événement, afin que ce
dernier reste inchangé dans la mémoire de
celui qui l’a capturé, véritable crypte in-
A corps et à cri : quand pixels et pinceaux s’en mêlent
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 95
tangible, prémices de la mort à venir (Tis-
seron, 1996). Cependant, la fin du XXème
siècle - et les développements technos-
cientifiques fulgurants qui l’accompa-
gnent - verra s’ouvrir d’autres horizons en
ce domaine et la photographie pourra se
conceptualiser, progressivement, comme
faisant partie intégrante du processus de
symbolisation, permettant alors au sujet
de retrouver des émotions, des sensations,
des traces fugitivement éprouvées et de
pouvoir enfin les intégrer au sein de son
monde interne (Tisseron, 1996). La pho-
tographie serait donc un moyen - à l’occa-
sion de la vision d’une image - de pouvoir
retrouver et revivre les diverses compo-
santes d’une expérience - avec un certain
recul néanmoins - pour pouvoir se les ap-
proprier d’une manière plus sereine, en
étant éventuellement accompagné par un
autre, à même de refléter et de nommer ce
qui se joue pour le sujet à cet instant, tout
comme l’a fait une mère suffisamment
bonne en son temps (Tisseron, 1996).
L’atelier photographique s’inscrit dans le
champ des ateliers à médiation qui font
florès dans les institutions soignantes à
l’heure actuelle, l’idée de médiation en
tant que telle n’étant pourtant pas nou-
velle. En effet, ces derniers donnent l’op-
portunité à des sujets en grande souf-
france psychique - ayant de ce fait peu ac-
cès à l’espace transitionnel au sens de
Winnicott - d’éprouver, mais également
de partager et de pouvoir intérioriser - tout
en étant accompagné par un soignant dont
le regard fait office de psyché maternelle
dans son sens large - une expérience qui
apporte satisfaction et qui assouplit
quelque peu les imposantes barrières nar-
cissiques mises en place par certains pa-
tients limites face à autrui (Chouvier et al.,
2002). Le « médium malléable » pour re-
prendre l’expression que l’on doit à Mil-
ner (Brun, 2011) - si tant est que le statut
de la photographie puisse être considéré
comme tel - permettrait à ces patients de
matérialiser hic et nunc certains aspects
de leur problématique intrapsychique
(Roussillon, 1991, in Brun, 2011) mais de
manière externalisée, évitant ainsi une
confrontation trop directe avec ce qui fait
souffrir et permettant alors une certaine
latence pour traiter ce qui est source de
douleur (Gimenez, in Chouvier, 2002).
Dans ce champ spécifique qualifié d’in-
termédiaire, il est à souligner que les ob-
jets - cela peut être une photographie en
l’occurrence - possèdent un statut particu-
lier, n’étant ni interne ni externe mais
étant plutôt « entre deux » (Gimenez, in
Chouvier, 2002). Cependant, et il est im-
portant de le relever, un objet n’a pas un
statut d’intermédiaire par essence, ce der-
nier n’étant acquis et ne prenant sens qu’à
travers une relation de soin, devenant par
ce biais même un véritable « objet de re-
lation » (Gimenez, in Chouvier, 2002).
Bien que l’analyse du transfert et du
contre-transfert ne soit pas l’objet du tra-
vail dans le cadre de notre atelier à média-
tion, notre médium permet par divers
biais - cela va de l’attitude envers soi -
même, envers d’autres patients ou les soi-
gnants dans le contexte d’une séance
d’atelier à la manipulation du papier sur
lequel est imprimé la représentation pho-
tographique – de révéler des facettes de la
dynamique transféro-contre-transféren-
tielle en présence (Gimenez, in Chouvier,
2002). En outre, le point nodal de tout
atelier à médiation est la rencontre senso-
rielle avec les qualités - à chaque fois di-
verse et diversement vécu par chacun - du
médium, ce qui met en route une dyna-
mique sensorimotrice que l’on retrouve
dans tout groupe à médiation, que cette
dernière soit analysée ou qu’elle reste en
arrière-fond, ne faisant pas l’objet d’un
travail plus spécifique (Brun, 2014).
C’est effectivement cette rencontre, ce
vis-à-vis particulier avec la sensorialité du
médium mais également avec l’espace-
temps dans lequel l’atelier se déroule qui
va véritablement réactualiser sur la scène
psychique des expériences dites sensori-
affectivo-motrices qui n’ont pas pu être
parlées en leur temps et qui trouvent ici
une nouvelle chance d’être non seulement
exprimées mais aussi reçues et entendues
et mises en forme (Brun, 2014).
La photographie étant un domaine de pré-
dilection pour Gabriel Zegna, il est tout à
fait envisageable que certains patients
aient repéré que cela représentait un lieu
d’investissement privilégié pour notre in-
firmier et qu’ils aient donc utilisé cet es-
pace de façon particulière, « pensant »
sans doute que ce dernier pouvait être à
même de repérer des mouvements et pro-
cessus passés jusqu’alors inaperçus aux
yeux des autres (Gimenez, in Chouvier,
2002). La photographie en tant qu’objet
médiateur peut ici acquérir une fonction
pare-excitante, permettant d’élaguer et de
tenir à une distance raisonnable ce qui ris-
querait sinon - via des vagues d’affects
non métabolisées - de déborder tant le pa-
tient que le soignant et qui entraverait le
bon déroulement du travail psychique ul-
térieur (Gimenez, in Chouvier, 2002).
« L’objet de relation » est à même de ré-
activer toute la machine du préconscient
et permet alors une reprise associative au
sein même de la relation, mettant à jour
des aspects en souffrance enfouis depuis
longtemps mais dont les effets ne ces-
saient de se faire ressentir, sans qu’aucune
pensée ne puisse s’y accoler (Gimenez, in
Chouvier, 2002). Cet auteur insiste sur
l’importance de la relance d’une « fonc-
tion métaphorique » sur soi et son exis-
tence - même courte ! -, apte à permettre
enfin l’introjection d’une problématique
restée alors en suspens, en attente d’un ré-
cepteur potentiel. L’objet de relation
donne aux interlocuteurs en présence l’es-
pace et le temps pour explorer dans un
cadre qui se veut sécure – mais aussi fil-
trer et reconnaître - ce qui est là - en fili-
grane - touchant la problématique d’un
sujet (Gimenez, in Chouvier, 2002). Le
but de ce processus est ainsi de co-créer
un lieu permettant dans un premier temps
le partage d’une expérience sensorielle,
affective, cénesthésique puis de la trans-
former petit à petit en expérience de pen-
sée, rendant incongrue la part dévolue aux
impensés.
Il serait injuste, dans cette partie du tra-
vail, de ne pas mentionner Winnicott qui
a tant apporté à l’espace de jeu, à l’aire de
jeu à laquelle le travail avec les média-
tions se réfère, souvent de façon non ex-
plicite. En effet, ce que le médium permet
souvent - et avant tout - c’est un certain
plaisir du jeu au sens large, donnant l’oc-
casion à chacun de donner forme à ce qui
est d’abord informe, en soi, face à l’autre,
en l’autre et de commencer à pouvoir
amorcer une pensée – par le biais de sen-
sations, émotions, images brutes – sur ce
qui se passe en soi, dans son monde in-
terne, qui peut parfois se résumer à des
tensions à peine nommables, au-delà de la
sensation désagréable et douloureuse.
Mais, comme l’affirme Winnicott (1971),
c’est d’un état de non intégration de la
personnalité que peut surgir l’acte créa-
teur, porteur d’un sens en devenir. Et c’est
seulement si cette créativité trouve à être
réfléchie – comme le fait la mère miroir
dans les premiers temps de l’infans -
qu’elle pourra s’intégrer harmonieuse-
ment à la personnalité, de façon authen-
tique et pérenne, l’humain se donnant
ainsi la capacité de ressentir ce qu’il sent
vraiment. Pour ne pas paraphraser mala-
droitement Winnicott (p. 85, 1971), nous
préférons le citer in extenso : « c’est en
jouant et seulement en jouant que l’indi-
vidu, enfant ou adulte est capable d’être
créatif et d’utiliser sa personnalité toute
entière ; c’est seulement en étant créatif
que l’individu découvre le soi ».
Aspects théoriques portant sur la photographie
L’appareil photographique est l’instru-
ment de familiarisation, d’assimilation et
d’appropriation du monde le plus efficace
que l’être humain ait jamais mis à son ser-
vice et le champ de la photographie cons-
titue également un terrain très favorable
pour travail d’introjection psychique et de
symbolisation sensori-affectivo-motrice
et verbale, étant en continuité immédiate
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 96
avec la vie psychique. L’ensemble des
gestes par lesquels le preneur de vue se
déplace, se rapproche ou s’éloigne de son
objet, participe à l’opération de symboli-
sation de l’évènement, sur un mode sen-
sori-affectivo-moteur.
Le cadrage participe plus particulièrement
à la mise en forme et à l’appropriation
symbolique du monde de façon certaine.
Le travail de développement et de tirage
des images confronte en effet le "tireur" à
une fabrication de la représentation du
monde, représentation qu’il a choisie de
privilégier. Ne montrant qu’un fragment
de la réalité, la photographie nous renvoie
alors le fait que le monde n’est pas non
plus semblable à l’image que nous en
avons ou que nous souhaitons.
Chaque acte photographique s’intrique
dans deux d’ensembles d’opérations psy-
chiques, à la fois contradictoires et com-
plémentaires, de coupure (de flux lumi-
neux, fermeture de la lentille) de capture
(l’ombre, la lumière, l’image) d’une part,
d’ouverture-connexion (la connexion a-
vec le monde permet le geste de coupure,
psychique et physique, qui fixe l’ima-
ge) d’autre part.
L’ensemble de ces différentes étapes éta-
ye la certitude du photographe d’être pré-
sent au monde de la même façon que les
premiers traits de l’enfant étayaient sa
certitude d’être psychiquement présent
pour la figure maternelle. Enfin, au mo-
ment où l’on regarde la photographie,
s’ajoute, en règle générale, la symbolisa-
tion verbale à la symbolisation sensori-af-
fectivo-motrice. Parler autour d’une pho-
tographie mobilise les processus de sym-
bolisation propres à chacun(e).
Certaines des expériences soumises à
l’assimilation par la photographie
sont partagées par l’ensemble des êtres
humains. D’autres, au contraire, sont par-
ticulières à chaque individu et à chaque
groupe. Certaines sont liées à des conflits
entre désir et interdit, des évènements
traumatiques, un sentiment de honte ou de
culpabilité ou des secrets appartenant aux
générations précédentes alors que d’au-
tres ne le sont pas. Ainsi, selon Barthes, le
noème de toute photographie renverrait,
au-delà du contenu anecdotique de
l’image, au questionnement central de
chaque spectateur sur ses propres ori-
gines, le “ça a été” de sa propre concep-
tion. Il est également possible que les
images témoignent d’expériences diffi-
ciles à introjecter, et sont à peine regar-
dables. Il semble que, dans ces cas, le pro-
cessus de symbolisation sensori-affec-
tivo-moteur mis en jeu dans le moment de
la prise de vue ait alors été suffisant.
Conclusion
Notre objectif, dans le cadre de cette pré-
sentation et du présent article, était de pro-
poser et mettre en pratique un alliage -
heureux espérons-le - entre le soin et la
photographie, plus particulièrement dans
le cadre de notre Centre d’Intervention
Thérapeutique de l’Enfance, à Lausanne.
Il nous importait de pouvoir tenter une
théorisation générale des éléments psy-
chiques qui sont en jeu dans le contexte
d’un tel atelier, mettant alors l’accent sur
les processus et leur développement plu-
tôt que sur tel ou tel aspect trop techniciste
à notre goût. L’atelier photographique a,
en tout cas, pleinement sa place dans un
centre tel que le nôtre, donnant alors l’op-
portunité aux patients mais aussi aux soi-
gnants de se rencontrer de manière peu
formelle autour d’un média à même de
susciter des réactions diverses et variées,
au-delà de toute stigmatisation psychopa-
thologique. C’est le corps, dans toute son
incarnation - et avec ses avatars - qui est
reçu dans cet atelier, véritable aire transi-
tionnelle de rencontre dans laquelle les
subjectivités se croisent et s’entrecho-
quent parfois, donnant alors lieu à des
étincelles riches en découverte de soi, des
autres et de soi en présence des autres. Un
tel espace peut aussi donner la possibilité
à un enfant ou à un jeune adolescent de
rêver son corps, de virtualiser des possibi-
lités non encore advenues ou plus simple-
ment non réalisables afin d’appréhender
progressivement ce qui relève de l’imagi-
naire et ce qui revient à la réalité, de sentir
plus finement que les désirs ne peuvent
pas tous prendre forme dans l’instant et
que la transformation, le fait de grandir,
est un processus sur le long terme. Tel
peut être l’une des métaphorisations
propres à cet atelier photographique.
Si le ‘voir” permis par la photographie fait
sans aucun doute appel à la pulsion sco-
pique avec toute la charge libidinale et /
ou agressive qu’elle peut entraîner et dé-
chaîner, l’appareil photo permet égale-
ment de mettre un tiers entre soi et
l’image qui en est rendue, permettant
donc d’aborder certaines problématiques
liées à la chair et à la psyché au sens large
au travers d’un filtre, de façon pare-exci-
tante. Cette mise à distance entraîne ainsi
la possibilité d’un espace ludique et expé-
rientiel qui va favoriser l’émergence de
processus créatifs dont l’une des finalités
serait de pouvoir appréhender certains as-
pects de soi et du monde avec davantage
de sécurité, de confiance et peut-être de
force. Ainsi donc, l’atelier photogra-
phique participe - au sein d’une large pa-
lette d’ateliers - à favoriser, mettre en jeu
ce qui est du ressort de la symbolisation
sensori-affectivo-motrice, symbolisation
première sur laquelle se construiront la
symbolisation primaire et secondaire, au
fil des expériences de la vie, des ren-
contres, des hasards et des reprises inéluc-
tables. Cet atelier est alors une « petite
pièce » parmi d’autres donnant toute sa
vitalité et sa force à la co-construction
d’un sujet en devenir, dont les avatars
psycho-affectifs et / ou développemen-
taux l’ont amené à être pris en charge dans
notre centre, entre créativité et lucidité.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 97
Introduction
Un an avant d’établir nos quartiers aux
pieds du magnifique château de Caen,
nous avons pris connaissance de l’argu-
mentaire de ce 43ème colloque des hôpi-
taux de jour.
Si nous étions déjà coutumiers de la ma-
nière toute singulière que les normands
ont de répondre aux questions, nous avons
agréablement découvert leur remarquable
aptitude à questionner.
Ainsi, derrière une réflexion qui nous était
annoncée comme triviale, nos collègues
caennais nous ont en fait dirigés dans un
mouvement interrogatif vers les fonde-
ments même de l’hôpital de jour et l’iden-
tité propre de chacune de nos institutions.
« Multiples dénominations pour une ten-
sion entre programme, adaptabilité et
créativité » ...
Il n’en fallut pas plus, effectivement, pour
que, suite au questionnement de notre dé-
nomination, nous entreprîmes un travail
réflexif de fond sur notre identité.
« Qui sommes-nous ?»
De la sorte, pouvions-nous résumer notre
compréhension globale de la question qui
nous était posée à travers l’argumentaire
de ce colloque caennais ?
Cette question fondamentale, nous avons
souhaité l’aborder au travers d’un raison-
nement capable de figurer tant la com-
plexité de notre existence institutionnelle
que la pluridisciplinarité de notre travail
au quotidien. Ainsi sommes-nous partis, à
l’instar d’Erikson, dans une quête intros-
pective de notre identité au travers de cinq
axes privilégiés capables de relever ce
défi figuratif lors de notre atelier pour ce
43ème colloque des hôpitaux de jour.
Nous proposons donc ici de reprendre ce
raisonnement et de déployer notre pensée
selon ces cinq pôles.
Le questionnement fondamental pouvant
se résumer par « Qui sommes-nous ? »,
nous aborderons un premier axe que l’on
pourrait identifier à l’aphorisme suivant :
« D’où venons-nous ? ».
Au travers de cette interpellation, nous in-
troduirons la question de l’Histoire. Sans
résister aux plaisirs poétiques de la my-
thologie, nous commencerons par une
présentation succincte du Dieu antique Ja-
nus que nous avons choisi comme guide
pour notre aventure réflexive. Ce bref
aperçu de notre Histoire commune sera le
prélude à un développement plus abouti
sur notre Histoire institutionnelle avec un
intérêt particulier porté sur les éléments
historiques conditionnant notre pratique
psychiatrique actuelle.
Le deuxième pôle réflexif s’établira sur
l’aphorisme « Que pensons-nous que
nous sommes ? ». Il sera ici question de
notre philosophie de soins. Nous rendrons
compte du travail d’analyse de cette phi-
losophie, auquel nous nous sommes atte-
lés en nous basant sur l’ouvrage récent de
notre confrère, le Dr Jean-Louis Feys.
Concernant le troisième pôle, et reprenant
avec Roussillon les étapes du développe-
ment psycho-sexuel des individus, nous
rappellerons que la structure œdipienne,
point culminant de ce développement, ar-
ticule la question de la différence des
sexes et la question de la différence des
générations. Nous conviendrons égale-
ment que l’identité, sujet de notre propos,
se forge au chiasme de ces deux diffé-
rences et de leur articulation. (Roussillon
R., 2007)
Transposant la théorie métapsycholo-
gique à l’échelle institutionnelle, nous re-
tiendrons l’importance accordée à la
question de la différence, qui implique
une nécessaire altérité. Nous développe-
rons donc une réflexion concernant notre
identité par rapport aux autres structures
de jour ; et tout particulièrement la singu-
larité de notre hôpital de jour semi-inten-
sif - l’Envol - par rapport à son binôme
intensif - Goéland -.
Janus, Dieu antique tourné à la fois vers le passé et vers l’avenir, sera la figure représentative de la réflexion d’équipe que nous avons entrepris dans le cadre de ce 43ème colloque des hôpitaux de jour et que nous retranscrivons ici sous forme d’article. Cette réflexion s’est construite sur deux piliers principaux. Le premier pilier est bien entendu l’argument de ce 43ème colloque qui, derrière une question présentée comme triviale, interrogeait en fait l’essence même de notre existence institutionnelle de jour. Le deuxième pilier de notre réflexion est l’ouvrage récent du Dr Jean-Louis Feys, « Quel système pour quelle psychiatrie ? », qui constitue un effort remarquable et sans précédent de clarification épistémologique des systèmes de pensées philosophiques caractérisant le soin en psychiatrie. « Qui sommes-nous ? ». Voici donc la question essentielle que nous développons dans notre article au travers d’une quête d’identité institutionnelle introspective. Nous avons tenté que cette dernière représente tant notre complexité existentielle que notre travail en pluridisci-plinarité. Notre démarche introspective aborde donc successivement des aspects historiques, philosophiques, politiques, pratiques et créatifs pour tenter de figurer le développement de notre service de jour et ses mutations récentes qui, d’un outil occupationnel, l’ont transformé en un outil médical psychiatrique complexe visant des objectifs affirmés de réinsertion sociale.
Mots-clefs : hôpital de jour, désinstitutionalisation, système, humanisme, liberté, nosographie, modèle, droits du patient, psy-chose, loi
Janus or mutations in a day hospital: the paradox of the cats’ women
Janus, ancient God oriented towards both the past and the future, will be the representative figure of the team-reflection process we have undertaken as part of this 43th symposium of the Psychiatric Day Hospitals and that we transcribe here into an article. This thinking is built on two main pillars. The first pillar is of course the argument of this 43th symposium that, behind a question introduced as trivial, is in fact questioning the very essence of our day hospital existence. The second pillar of our thinking is the recent work of Dr. Jean-Louis Feys, “Which system for what psychiatry” which constitutes a remarkable and unprecedented epistemological clarification effort between the philosophical thoughts systems characterizing the psychiatric care. “Who are we? “. Here is the key issue that we develop in our article through an introspective search of institutional identity. Our answer to this question will try to represent the complexity of our existence as an institution and the diversity of our work as a team. Our approach therefore addresses successively historical, philosophical, political, practical and creative aspects trying to shape the development of our day service and its recent mutations, an occupational tool turned into a complex psychiatric medical tool targeting stated goals of rehabilitation.
Keywords: day hospital, deinstitutionalization, system, humanism, freedom, nosology, model, patient rights, psychosis, law
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 98
LES AUTEURS
Dr Jean-Benoît DESERT Joanne ARTUS Isabelle GODFRIN Viviane LOMBART Latifa MACHKOURI Dr Pierre GERNAY
Clinique Notre-Dame des Anges Rue Emile Vandervelde 67 4000 Liège Belgique
BIBLIOGRAPHIE
1. DAMIRON Ph ; (1842), Cours de philoso-phie : deuxième partie : Morale, Paris : Hachette
2. FEYS J.-L. (2014), Quel système pour quelle psychiatrie ?, ISBN 978-2-13-063208-5, Paris : Presses Universitaires de France
3. Guide vers de meilleurs soins en santé men-tale par la réalisation de circuits et de réseaux de soins, consultable à l’adresse http://www.psy107.be
4. HUME D. (1740), Traité de Nature Humaine et appendice, L’entendement, Garnier Flamma-rion / Philosophie, 1999, 433 pages
5. KEMPENEERS J.-L. (2004), Philosophie des soins et politique organisationnelle à la Cli-nique Notre Dame des Anges, Liège : Clinique Notre Dame des Anges
6. KEMPENEERS J.-L. (2014), Inauguration du nouvel Hôpital de jour au CHS N.D. des Anges, Liège : Clinique Notre Dame des Anges
7. OVIDE (1857), Les Fastes, traduction M. Ni-sard, Firmin Didot, Paris : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k282076j
8. ROUSSILLON R., CHABERT C., CICCONE A. et al. (2007), Manuel de psychologie et de psy-chopathologie clinique générale, ISBN 978-2-294-04956-9, Issy-les-Moulineaux : Elsevier-Mas-son
9. ROUSSILLON R. (2013), Paradoxes et situa-tions limites de la psychanalyse, ISBN 978-2-13-062061-7, Paris : Presses Universitaires de France.
Imprégnés de la théorie œdipienne, nous
ferons précéder cette réflexion identitaire
par un développement théorique tradui-
sant les exigences surmoïques étatiques
incarnées dans les lois en matière de santé
publique. Nous transcrirons ensuite les
mutations que notre offre de soins de jour
a subies pour tenir compte du récent pro-
jet de Loi 107, en matière de soins en
santé mentale, établi dans notre pays en
2012.
L’aphorisme choisi pour cette partie sera
« Nous et les Autres, Nous et l’Etat », et
nous y rendrons compte de notre politique
appliquée.
A la suite de ces développements théo-
riques sur notre philosophie et sur notre
politique appliquée, nous exposerons
notre Pratique - « Que faisons-nous ? ».
Nous traiterons alors d’un cas clinique qui
nous éclairera sur les spécificités de notre
pratique et qui nous permettra, par un dé-
tour dans le paradoxe, d’établir des liens
entre théorie et pratique institutionnelles.
Notre dernier aphorisme, « Comment
nous repensons-nous ? », nous amènera
enfin, à travers un exemple concret, à
montrer comment notre pensée théorique
institutionnelle, qui se veut évolutive et
créative, peut nous conduire à matérialiser
des projets au quotidien.
D’où venons-nous ? Notre Histoire
Suivant Roussillon, nous aborderons cet
axe en nous basant sur le premier énoncé
fondamental de la métapsychologie psy-
chanalytique :
« Le premier énoncé - ce fut le premier
formulé par Freud - est que le signe, le
symptôme porte la trace d’un moment de
l’histoire passée, d’une relation, d’une si-
tuation ou d’un événement de celle-ci. »
(Roussillon R., 2007)
Nous pouvons relever ici la place majeure
attribuée par Freud à l’histoire de l’indi-
vidu dans son effort pour théoriser la mé-
tapsychologie.
A l’échelle d’une institution, il nous a
donc paru essentiel, même si partant d’un
raisonnement à l’inverse, de nous intéres-
ser à notre Histoire pour prétendre abor-
der notre existence, notre identité et notre
fonctionnement institutionnel. Si François
Mitterrand a pu dire qu’« un peuple qui
n’enseigne pas son histoire est un peuple
qui perd son identité », vous nous laisse-
rez probablement inférer qu’une institu-
tion qui entreprend une quête de son iden-
tité se doit d’analyser son histoire.
Par politesse, nous faisons précéder ce dé-
veloppement historique par une brève
présentation de celui que nous avons
choisi comme guide pour notre entreprise
réflexive, le Dieu Janus.
« Janus est le dieu romain des commence-
ments et des fins, des choix, du passage et
des portes. Il est bifron et représenté avec
une face tournée vers le passé, l’autre sur
l’avenir. Son mois, Januarius (Janvier),
marque le commencement de l’année
dans le calendrier romain. » (Wikipédia
citant Ovide, Les Fastes, 15 ap. J. C.)
Ainsi faites les présentations, nous pou-
vons entamer notre périple historique en
revenant sur les fondements mêmes de
notre institution et sur les évènements qui
ont marqué son développement ainsi que
celui de notre hôpital de jour.
En 1928, la Clinique Notre Dame des
Anges ouvre ses portes. Mère Marie Mag-
deleine, fondatrice de la congrégation, et
le Professeur Divry pour l’Université de
Liège, jettent les bases du premier hôpital
psychiatrique de Liège qu’ils voulaient
moderne et dynamique, à la pointe de la
recherche biomédicale.
D’emblée les valeurs d’accueil, chères à
la communauté chrétienne fondatrice, se
matérialisent en la volonté d’accepter
sans condition et discrimination sociale,
nationale et religieuse, tout patient en né-
cessité de soins. Le souci des familles est
également présent au cœur même des fon-
dements de l’hôpital.
Cette volonté transparait clairement dans
le projet des Pères fondateurs de la cli-
nique et que nous rappelle notre médecin
directeur, le Dr Kempeneers : « Accueillir
en leur sein les plus souffrants et les plus
rejetés, exemplairement les souffrances
psychiques, et les accompagner sans ju-
ger, quel que soit leur parcours de vie ».
(Kempeneers J.-L., 2004)
La prise en charge des pathologies les plus
complexes s’est, par ailleurs, d’emblée
transformée en un moteur d’innovations
qui ont été légion jusqu’à nos jours. Nous
en retraçons ici les plus marquantes. En
1943, la sismothérapie est introduite dans
la clinique par le Pr Jean Bobon. En 1953,
de nouveaux pavillons sont construits et
un nouvel outil diagnostic est introduit :
l’électroencéphalogramme. En 1958,
commence « l’inauguration des premiers
traitements efficaces sur les psychoses
hallucinatoires et délirantes, qui ont per-
mis de briser les chaînes de nombres de
nos patients et de leur ouvrir l’espoir d’un
après hors les murs ». (Kempeneers J.-L.,
2014)
Dans les années soixante, un atelier créa-
tif d’art-thérapie voit le jour et la psycho-
thérapie est introduite dans la clinique. Un
service social et un service de kinésithéra-
pie sont créés ainsi qu’un service d’ergo-
thérapie, d’abord occupationnel puis thé-
rapeutique. C’est également durant cette
décennie que le ministère nous accorde
une orientation psychiatrique définitive
pour deux cent trente lits.
Janus ou les mutations d’un hôpital de jour : Le paradoxe de la femme aux chats
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 99
Nous pouvons observer que la clinique a
toujours mis un point d’honneur à « adap-
ter ses outils aux nouvelles données des
sciences biomédicales, aux possibilités
nouvelles de désinstitutionalisation of-
fertes par les avancées chimiothérapeu-
tiques et psychothérapeutiques et les in-
novations en thérapie institutionnelle ».
(Kempeneers J.-L., 2014)
Par ailleurs, notre Clinique a compris de-
puis longtemps le phénomène de désinsti-
tutionalisation amorcé dès l’après-guerre
et s’accompagnant d’un effort d’écono-
mie demandé au secteur de la santé qui se
concrétisent actuellement dans le projet
107. Dans son discours pour l’inaugura-
tion de notre nouvel hôpital de jour, notre
médecin directeur revient sur les jalons
historiques de ce mouvement vers la dé-
sinstitutionalisation : « La clinique s’est
[...] rapidement tournée vers des solu-
tions alternatives à l’hospitalisation. En
1989, la clinique créait ses premières ha-
bitations protégées. En 1992, l’hôpital de
jour ouvrait ses premiers lits. La polycli-
nique devenait un outil d’orientation et
permettait d’affiner les indications d’hos-
pitalisation en vue d’éviter les hospitali-
sations superflues. Le mécanisme de post-
cure était organisé et utilisé intensive-
ment pour poursuivre en ambulatoire la
thérapie institutionnelle et rétrécir les du-
rées d’hospitalisation. Enfin, dès les pre-
miers moments, nous nous sommes empa-
rés du projet 107 pour déposer, dans le
même esprit, un projet intégré, avec une
proposition de réforme fondamentale de
notre institution, réforme qui ne se limi-
tait pas à la création d’équipes mobiles,
mais voulait s’inscrire dans un réseau de
soins étendu, pluraliste et multitâche, ca-
pable de s’articuler adéquatement aux
besoins multiples du patient et de la pre-
mière ligne. » (Kempeneers J.-L., 2014)
Ainsi exposés les repères de notre histoire
institutionnelle, nous voyons plus claire-
ment les évènements qui ont mené à la
naissance de notre hôpital de jour. Avant
de détailler les contours fonctionnels de
notre outil, il nous paraît indispensable de
caractériser le système de pensées qui lui
a donné sa forme par les décisions prises.
Que pensons-nous que nous sommes ?
Notre Philosophie
Encouragée par le Pr Jean Bertrand, la
lecture du récent et passionnant ouvrage
de notre confrère le Dr Jean-Louis Feys,
« Quel système pour quelle psychia-
trie ? », sur les systèmes philosophiques
en psychiatrie, nous a permis de porter sur
les fonds baptismaux de notre institution
une réflexion fondamentale sur la maladie
mentale et sur le soin en psychiatrie.
Une analyse détaillée de cet ouvrage nous
a permis d’entreprendre un travail de ré-
flexion, en équipe pluridisciplinaire, sur
la maladie mentale, la philosophie du soin
et le déterminisme en psychiatrie.
Ce travail d’analyse a pu aboutir à une
confrontation de la théorie développée par
l’auteur à nos propres représentations in-
dividuelles et à une riche discussion
d’équipe.
Au-delà des représentations individuelles,
nous avons entrepris un travail de con-
frontation de la thèse développée par le Dr
Feys à notre philosophie institutionnelle
et nous proposons de développer ici ce
travail.
Dans son introduction, le Dr Feys établit
le constat selon lequel « la psychiatrie ne
possède pas de fondement conceptuel
propre et que la pratique clinique y est
dominée, selon les époques et les régions,
par le bon sens, l’humanisme, la morale,
le paternalisme médical, les statistiques
ou le souci sécuritaire. La psychiatrie ne
serait qu’un conglomérat de sciences et
de disciplines. En résulterait un manque
de cohérence entre les principes explica-
tifs utilisés par les différents psychiatres
[...] » et donc un discrédit de leur propos
qui « [...] disqualifie politiquement la dis-
cipline et contrarie son enseignement. »
(Feys J.-L., 2014)
Le Dr Feys constate aussi que « Certains
auteurs auraient tenté une synthèse de
modèles dont le plus emblématique est le
modèle bio-psycho-social ». Mais ces mo-
dèles sont pauvres sur le plan épistémolo-
gique et ils ne résolvent pas la question
fondamentale de la psychiatrie, « Quelle
idée nous faisons-nous des phénomènes
psychiatriques ? ». De cette question en
découlent d’autres tout aussi impor-
tantes : « Quelles sont les lois qui permet-
tent de classifier ces phénomènes ? »,
« Quelles sont les lois qui permettent d’en
penser une causalité ? », « La classifica-
tion et la causalité laissent-elles une place
à la liberté de la personne ? ». » (Feys J.-
L., 2014)
Selon le Dr Feys, « nous occultons toute
question concernant les fondements de la
discipline et nous nous limitons à une pra-
tique qui a la prétention d’être globali-
sante. Or, nous finissons toujours par bu-
ter sur certaines questions telles que
celles de la responsabilité du patient. La
question de la responsabilité du patient
est inséparable de la question qu’on se
fait de la pathologie, qui elle-même déter-
mine la classification. Notre tentative d’y
répondre variera en fonction de notre
conception personnelle de la pathologie
en présence, même si, faute de fondement
épistémologique, c’est souvent le bon sens
supposé commun qui dicte la pratique cli-
nique. » (Feys J.-L., 2014)
L’hypothèse développée dans l’ouvrage
est celle-ci : « Tous ces courants et ten-
dances s’appuient, le plus souvent sans le
savoir, sur des épistémologies différentes
qui, toutes, se réfèrent à un système phi-
losophique déterminé. Derrière chaque
courant psychiatrique se cache un cou-
rant philosophique. Différencier et préci-
ser ces systèmes philosophiques permet
ainsi de clarifier les différentes tendances
rencontrées dans le champ de la psychia-
trie ». (Feys J.-L., 2014)
L’ambition de l’ouvrage s’ensuit. « Au-
delà de l’effort de clarification des diffé-
rents modèles rencontrés, il s’agit de ne
pas se limiter à une position relativiste (à
chaque modèle sa vérité) mais de claire-
ment et cliniquement prendre position
pour une conception intuitionniste des
soins psychiatriques. » (Feys J.-L., 2014)
La dernière partie de l’ouvrage entend dé-
velopper cette philosophie - la conception
intuitionniste - pour démontrer la domi-
nance de sa valeur épistémologique sur
les autres systèmes philosophiques.
Acquis au raisonnement et à la cause du
Dr Feys, l’enjeu est pour nous de nous as-
surer que notre pratique psychiatrique re-
pose bien sur cette philosophie intuition-
niste du soin en psychiatrie.
Afin de démontrer cette hypothèse nous
détaillons donc ici les éléments de la con-
ception intuitionniste du soin psychia-
trique telle que développée par le Dr Feys
afin de les comparer à la philosophie de
soin stipulée dans l’article rédigé par
notre médecin directeur en 2004 : « Phi-
losophie et politique organisationnelle à
la Clinique Notre-Dame des Anges ».
Le Dr Feys, se référant au philosophe
français Jules Vuillemin, établit une liste
exhaustive de six systèmes philoso-
phiques. De ces six systèmes philoso-
phiques, quatre sont des systèmes dogma-
tiques et deux sont des systèmes de l’exa-
men. Les systèmes dogmatiques ont ceci
de caractéristique qu’ils ne tiennent pas
compte, au contraire des systèmes de
l’examen, de la subjectivité de celui qui
est à la source de l’acte de connaissance.
Les symptômes psychiatriques sont de
l’ordre du relationnel. Il n’est donc pas
possible de les extraire d’une dimension
d’échange et de réflexivité pour les ins-
crire dans un système philosophique dog-
matique.
Des deux systèmes de l’examen, le scep-
ticisme mène à un relativisme qui renonce
à la notion de vérité, ce à quoi on ne peut
concéder. Seule la méthode intuitionniste
s’avère appropriée pour fonder la pratique
psychiatrique.
Toujours selon le Dr Feys, « au sein du
système intuitionniste une pathologie
n’existe pas en tant que telle. Il s’agit tou-
jours d’un diagnostic, d’un processus de
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 100
construction, d’un acte de connaissance
et de classification de la part du soignant.
Cet acte n’a de sens qu’à l’intérieur du
soin lors d’une rencontre avec le patient
et à partir d’une réflexion sur la pensée,
la définition et la classification. Accueillir
les troubles psychiatriques est le fonde-
ment de toute attitude thérapeutique. Etre
avec le patient ici et maintenant et l’ac-
compagner à partir de cette situation pré-
sente vers l’avenir, en lui ouvrant le
champ des possibilités. Ceci n’empêche
pas un traitement psychothérapeutique ou
médicamenteux mais ils sont secondaires.
C’est sur cette dimension de rencontre
(l’être avec l’autre) que reposent la thé-
rapie et le savoir médico-psychologique,
fait de connaissances médicales, pharma-
cologiques et de techniques psychothéra-
peutiques. Une telle situation n’est pos-
sible qu’à partir d’une conception intui-
tionniste du phénomène. Elle doit per-
mettre une méthode de construction avec
le patient qui laisse une possibilité à l’im-
prévisibilité et à l’improvisation. Le soi-
gnant peut se laisser porter par le mouve-
ment existentiel qui se manifeste par la li-
berté de sa relation avec son patient. »
(Feys J.-L., 2014)
Le Dr Feys conclut sur l’importance du
transfert qui nécessite l’abandon des lo-
giques de vérité propres aux systèmes
dogmatiques qui évoluent par ailleurs
sous le primat de la loi du tiers exclu1. Il
insiste sur l’importance d’intégrer l’équi-
voque comme part indissociable du dis-
cours du patient et la nécessité de prendre
appui sur ces équivoques afin de provo-
quer le mouvement et le changement.
Nous pouvons maintenant détailler les
principes fondateurs de notre institution
afin de nous assurer de la compatibilité
avec les caractéristiques de la philosophie
intuitionniste telle que développée ci-des-
sus. L’article développant la philosophie
des soins et la politique organisationnelle
dans notre institution prend appui sur
notre appartenance chrétienne pour déve-
lopper ses principes fondateurs résumés
ci-dessous.
- Le malade est une personne dont l’inté-
grité et le respect ne peuvent être amoin-
dris par le statut momentané de patient
- Au-delà du statut de thérapeute, cha-
rité, commisération et solidarité doivent
prendre le pas sur la technicité et la thé-
rapeutique
- Ce respect de la personne humaine doit
imprégner la relation thérapeutique et
implique une exigence de responsabilité
1 La loi ou principe du tiers exclu affirme la
disjonction d’une proposition p et de sa né-
gation non-p. Il faut choisir entre p et non-p : si l’une est vraie, l’autre est fausse. Un objet
existe ou n’existe pas sans autre possibilité.
réciproque et partagée, malgré la limita-
tion des ressources personnelles du pa-
tient, conséquence de la maladie psy-
chiatrique
- Les choix thérapeutiques doivent repo-
ser sur des valeurs humaines avant des
convictions scientifiques.
- Le souci du patient doit être au centre
de nos préoccupations, avec un souci
d’abnégation plus grand que celui d’une
activité économique quelconque
- Un souci concomitant doit exister con-
cernant la qualité de vie, l’épanouisse-
ment et le plaisir au travail de l’ensemble
de la communauté thérapeutique
Ce travail de synthèse de l’ouvrage du Dr
Feys et de l’article reprenant nos principes
fondateurs nous permet de conclure à une
cohérence manifeste sur l’importance ac-
cordée à la notion de Rencontre2, base et
préalable incontournable au soin psychia-
trique. Il nous permet, dès lors, de pouvoir
revendiquer la conception intuitionniste
comme système philosophique sous-ja-
cent à notre fonctionnement institution-
nel.
Conscient de notre système philoso-
phique, il nous appartient maintenant
d’envisager les applications décision-
nelles de ce système d’idées et leur agen-
cement en une politique appliquée.
Nous et les Autres, Nous et l’Etat Notre Politique Appliquée
Nous allons ici détailler comment nos
décisions théoriques, méthodiques et
pratiques nous positionnent dans le pay-
sage psychiatrique liégeois au cœur des
réformes politiques actuellement en cours
dans notre pays.
« L’objet social d’une clinique hospita-
lière est d’offrir, dans un cadre thérapeu-
tique efficace, au plus grand nombre, les
soins les plus adéquats à sa patientèle.
Les moyens mis en œuvre doivent corres-
pondre aux normes édictées par le pou-
voir subsidiant, et au-delà répondre à des
critères de qualités humaines et scienti-
fiques les plus performants possibles dans
un cadre de contraintes économiques qui
définit en grande partie la politique d’or-
ganisation des soins et des investisse-
ments. » (Kempeneers J.-L., 2014)
Ces “normes édictées par notre pouvoir
subsidiant” trouvent leur transcription la
plus formelle dans le Guide vers de meil-
leurs soins en santé mentale et plus légiti-
mement dans la déclaration conjointe du
24 juin 2002 des Ministres de la Santé pu-
Pour les systèmes dogmatiques, un énoncé
complet est vrai ou faux, sans alternative
possible. 2 Au sens du concept « Umgang » tel que dé-
veloppé par Viktor von Weizsäcker (1886 –
blique et des Affaires sociales sur la poli-
tique future en matière de soins de santé
mentale.
Cette déclaration prescrit neuf principes
de base qu’elle somme de respecter. Nous
proposons d’en dégager ici les éléments
essentiels afin d’expliciter plus loin com-
ment nous avons pu en tenir compte lors
de la conception de notre nouvel hôpital
de jour.
- Premier principe : la politique en ma-
tière de soins de santé mentale doit être
fondée sur les besoins du patient.
- Deuxième principe : la population de
patients sera subdivisée en groupes
cibles selon l’âge.
- Troisième principe : nécessité d’une
nouvelle organisation des soins de santé
mentale suivant les concepts de circuits
de soins ou de réseaux d’équipements de
soins ou de prestataires de soins.
- Quatrième principe : un point crucial
au sein d’un circuit de soins, de même
par-delà les limites des circuits de soins,
est la liberté de choix du patient et l’exer-
cice de ses droits. La responsabilité de la
continuité des soins au patient incombe
aux prestataires de soins.
- Cinquième principe : les soins doivent
de préférence être offerts dans un cadre
ambulatoire ou à domicile.
- Sixième principe : le réseau doit accor-
der de l’importance à la prévention, à
l’éducation et à la promotion des soins de
santé mentale.
- Septième principe : il faut encourager
la collaboration au sein des circuits.
- Huitième principe : les autorités con-
viennent de coordonner leurs politiques
respectives.
- Neuvième principe : la réforme préco-
nisée est fondée sur l’offre existante.
En reprenant un passage de l’exposé tenu
lors de l’inauguration de nos nouveaux
hôpitaux de jour, nous pourrons mettre en
exergue comment nous avons pu tenir
compte de ces principes dans la concep-
tion de ces deux nouveaux outils de jour :
« Il faut [...] que l’hôpital abandonne sa
fonction asilaire, à charge pour nos déci-
deurs de trouver des solutions alterna-
tives. Nous acceptons ce prérequis. Mais
l’hôpital psychiatrique a une fonction
beaucoup plus incontournable, c’est celle
de restauration des compétences sociales
minimales, nécessaires à la réinsertion. Si
nous définissons comme intensives les
fonctions diagnostiques et thérapeu-
tiques, centrées sur le contrôle des symp-
tômes florides, l’hospitalisation peut être
courte dans la plupart des cas. Mais nos
1957), médecin allemand ayant théorisé une
science de l’être vivant dans une démarche
typiquement intuitionniste.
Janus ou les mutations d’un hôpital de jour : Le paradoxe de la femme aux chats
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 101
équipes savent bien que c’est alors que
commence le vrai travail psycho-socio-
thérapique qui implique toutes les res-
sources pluridisciplinaires les plus poin-
tues. En dehors de la gestion de la crise,
souvent résolutive à long terme, pour
toute autre décompensation psychia-
trique, négliger cette phase est synonyme
de rechute rapide et in fine de chronicisa-
tion. Que l’on appelle ce travail : soin
semi-intensif, raison d’être des lits T, ou
fonction 3 du réseau en hôpital psychia-
trique, voilà qui est au fond de peu d’im-
portance. Mais nous savons que pour être
efficace ce travail nécessite les outils plu-
ridisciplinaires pointus [...]. Et le temps
nécessaire. Maximum 6 mois. Avant de
pouvoir passer la main à la fonction 1 ou
au CRF pour la réhabilitation socio-pro-
fessionnelle proprement dite. » (Kempe-
neers J.-L., 2014)
Nous voyons se dessiner ici les contours
de nos deux nouveaux hôpitaux de jour
dans une esquisse qui poursuit des objec-
tifs essentiels : la gestion intensive des
symptômes, une durée limitée en hospita-
lisation résidentielle, voire un court-cir-
cuit de cette dernière quand la situation le
permet mais aussi une efficacité de la
prise en charge ambulatoire, la poursuite
de projets individualisés, un travail en
pluridisciplinarité et l’ancrage au sein de
circuits et de réseaux de soins. Un hôpital
de jour est dit intensif, et il est baptisé
Goéland. L’autre hôpital de jour est décrit
comme semi-intensif, et il est baptisé
l’Envol.
Le Goéland est un lieu de mise au point
diagnostique et de mobilisation de
moyens thérapeutiques multidiscipli-
naires. Il s’adresse à toute personne ayant
besoin d’une prise en charge thérapeu-
tique brève (six semaines) et dont ses res-
sources lui permettent de rester dans son
milieu de vie.
L’Envol est un service accueillant des pa-
tients ayant besoin d’un encadrement mé-
dico-psycho-social en vue d’accroître leur
autonomie et de favoriser leur réinsertion
tout en les maintenant à domicile. La du-
rée d’hospitalisation y est limitée à un
maximum de six mois.
Notre équipe travaillant majoritairement
dans l’hôpital de jour semi-intensif l’En-
vol, nous proposons maintenant de vous
présenter un cas clinique qui permettra de
mettre en évidence le fonctionnement de
notre outil.
3 Ce cas clinique très félin nous a, par asso-
ciations, amenés à réfléchir sur l’expérience du chat de Schrödinger que nous détaillons
ici : Erwin Schrödinger, physicien, philo-
sophe et théoricien scientifique autrichien, imagina en 1935 une expérience de pensée
dans laquelle un chat est enfermé dans une
boîte avec un dispositif qui tue l’animal dès
Que faisons-nous ? Notre Pratique : Le paradoxe de la
femme aux chats
Reprenant Roussillon dans l’introduction
de son ouvrage « Paradoxes et situations
limites de la psychanalyse » nous pou-
vons dire que « En chauffant à blanc la
situation psychanalytique, les formes du
transfert paradoxal qui s’y déploient
alors amènent celle-ci à expliciter ses
conditions de possibilité. » (Roussillon
R., 2013)
Poursuivant notre logique d’application
de la pensée métapsychologique à
l’échelle institutionnelle, nous choisis-
sons donc de vous exposer un cas clinique
difficile qui questionnera les limites théo-
riques des outils décrits ci-avant pour in-
sister sur l’indispensable réflexion qui
doit subsister à la manœuvre de ses outils.
Volontairement, notre description cli-
nique éclipsera les aspects anamnestique,
sémiologique et thérapeutique pour faire
la part belle aux enjeux de l’hospitalisa-
tion de jour et pour mettre en exergue
l’application concrète des réflexions phi-
losophiques et politiques développées ci-
avant.
La patiente est âgée de soixante-et-un ans.
Elle est célibataire et sans enfant. Elle est
la deuxième d’une fratrie de trois enfants.
Sa sœur aînée est son administrateur de
biens et a été notre unique allié familial
durant la prise en charge.
Elle souffre d’un trouble psychotique de-
puis quarante ans, un diagnostic de schi-
zophrénie ayant été posé lorsqu’elle était
âgée de vingt-et-un ans.
Originaire de Bruxelles, un délire enva-
hissant de persécution l’a poussée à démé-
nager à Liège début 2014.
Alertées par le voisinage de la patiente
suite à des troubles du comportement de
cette dernière sur la voie publique, les
forces de police sont intervenues pour que
la patiente puisse, en urgence, être éva-
luée par un psychiatre. Le délire agissant
a pu être objectivé par les psychiatres des
urgences, la patiente expliquant devoir
courir après ses chats bien-aimés sous
peine qu’ils ne soient agressés par des
turcs malfaisants.
Suite à cette prise en charge au service des
urgences, la patiente accepte un suivi par
une équipe mobile de soins psychia-
triques. Elle n’acceptera de participer
qu’à trois entretiens avant de marquer son
qu’il détecte la désintégration d’un atome
d’un corps radioactif. Si les probabilités in-diquent qu’une désintégration a une chance
sur deux d’avoir lieu au bout d’une minute,
la mécanique quantique indique que, tant que l’observation n’est pas faite, l’atome est
simultanément dans deux états (intact et dé-
sintégré). Or le mécanisme imaginé par
refus de prise en charge dans une opposi-
tion qui aboutira à une hospitalisation
sous contrainte légale.
Elle est admise dans un service résidentiel
de notre clinique où elle est prise en
charge par un des psychiatres de notre ins-
titution.
Deux mois plus tard, la patiente est trans-
férée dans notre hôpital de jour semi-in-
tensif l’Envol. Si les règles théoriques
sous-jacentes au fonctionnement pratique
de notre hôpital de jour semi-intensif, ex-
plicitées plus haut, sous-entendent qu’un
transfert survient lorsque la symptomato-
logie est maîtrisée, tel ne fut pas le cas
pour notre patiente. En effet, aucun des
traitements chimiothérapeutiques instau-
rés ne parvint à juguler le processus déli-
rant en cours chez cette patiente.
C’est en fait le paradoxe à l’œuvre dans
cette situation clinique qui nous a poussé
à activer notre créativité thérapeutique
pour tenter de répondre à cette impasse
clinique avec comme aboutissement un
transfert dans notre hôpital de jour.
Le paradoxe se cristallise dans l’inadé-
quation fondamentale entre le soin requis
par la situation et le caractère néfaste de
ce dernier.
En effet, l’état clinique de cette patiente
est tel qu’un soin a été imposé juridique-
ment en réponse à son refus de prise en
charge. D’autre part, l’intensité de la
symptomatologie nécessite assurément
une prise en charge hospitalière. Cepen-
dant, la patiente, fortement isolée sociale-
ment, semble avoir établi un attachement
sans commune mesure envers ses chats
qui comblent son domicile comme son es-
prit. Toute mise à l’écart de ces derniers
est donc vécue comme une atteinte persé-
cutrice à la raison de vivre de la patiente
dont le vécu subjectif paranoïde ne fait
que s’intensifier.
Cette situation clinique nous a ainsi placés
face à un dilemme que nous n’aurions ja-
mais pu dépasser en usant d’une pensée
dogmatique, mais qu’une pensée intui-
tionniste nous a permis de solutionner.
La question qui nous était posée était ef-
fectivement « comment être et ne pas être
hospitalisée ? ».
Une approche dogmatique nous aurait
probablement poussés à choisir de ma-
nière univoque entre ces deux proposi-
tions.
Mais si Schrödinger a pu mettre en évi-
dence dans sa célèbre expérimentation3
Schrödinger lie l’état des particules radioac-
tives à l’état du chat (mort ou vivant), de sorte que le chat serait simultanément dans
deux états (l’état mort et l’état vivant),
jusqu’à ce que l’ouverture de la boite (l’ob-servation) déclenche le choix entre les deux
états.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 102
qu’un chat pouvait être conceptuellement
tout à la fois mort et vivant, être et ne pas
être, il nous appartenait de trouver une
prise en charge qui permettrait à notre
« femme aux chats » d’être hospitalisée
sans l’être. Cette solution équivoque,
nous avons pu la concrétiser par une prise
en charge dans notre hôpital de jour.
Dans notre cas clinique, la prise en charge
de jour est clairement le fruit de l’imagi-
nation d’une pensée clinique et institu-
tionnelle fondamentalement intuitionniste
par son acceptation de l’équivoque et son
refus de la loi du tiers exclu (p et non-p ne
sont pas les seules propositions pos-
sibles).
Par une adaptation de notre politique de
fonctionnement, nous avons ainsi choisi
de prendre en charge dans notre hôpital de
jour cette patiente à la symptomatologie
active. Ce faisant, nous avons ainsi pu
prendre en considération son vécu subjec-
tif paranoïde en évitant corollairement la
position de persécuteur dans laquelle cette
situation clinique plaçait chacun des soi-
gnants actifs dans cette prise en charge.
C’est donc bien le transfert qui, au-delà de
toute position dogmatique sur la maladie
mentale, fut le moteur de cette prise en
charge.
Une fois dépassée cette impasse thérapeu-
tique, notre travail a pu se focaliser sur les
objectifs de réinsertion inhérents à la mis-
sion thérapeutique de notre structure de
jour. La volonté d’inscription de notre ac-
tion dans un réseau et des circuits de
soins, telle que préconisée par les recom-
mandations officielles susmentionnées, a
pu se matérialiser au cours de plusieurs ré-
unions extra-institutionnelles pluridisci-
plinaires visant à réunir la patiente, son
entourage familial et son réseau de pre-
mière ligne (maison médicale de quartier,
aides sociales, infirmières à domicile) afin
de renforcer les liens entre ces différents
acteurs.
La patiente a ensuite pu quitter notre ser-
vice après une hospitalisation d’une durée
de six mois pour réintégrer complètement
son domicile, conformément à ses at-
tentes, mais tout en bénéficiant d’un ré-
seau de soin de première ligne qui a pu
être considérablement renforcé par notre
prise en charge.
Comment nous repensons-nous ?
Notre créativité
S’il est vrai qu’on ne puisse bien vivre en ce
monde sans songer sérieusement à l’autre, si le présent même le meilleur ne vaut que par cet
avenir, comme le réel ne vaut que par l’idéal, la
vertu par la sainteté, la perfection de la terre par la perfection du ciel ; Si le commencement n’a
de prix que par la fin qui le couronne, si, en un
mot, notre grande affaire est de vivre pour mou-rir, c’est à dire pour revivre, et pour suivre, en
passant du temps à l’éternité, de l’ordre de
l’épreuve à celui de la justice, le cours de notre destinée ; la philosophie, qui, ainsi que je l’ai
dit, a charge d’âmes comme la religion, n’a pas de devoir plus sacré que de s’occuper de ces
questions, non pas sans doute pour les agiter
précipitamment et sans règle, mais pour les
aborder à leur rang, au terme, et non au début
de ses sérieuses recherches, avec les précau-
tions, les soins et le respect qu’elles méritent. Ph Damiron
Cours de philosophie volume 2
page 475-476
Vivre pour mourir... Etre et ne pas être...
Etre et ne pas être hospitalisé... Etre et ne
plus être hospitalisé.
D’un paradoxe à un autre, notre pensée est
ainsi inlassablement mise au défi de
mettre du sens dans l’absurde. Ainsi, par-
tant qu’une hospitalisation à l’hôpital de
jour n’a d’autre but que de quitter l’hôpi-
tal, notre équipe n’a pourtant de cesse de
s’interroger sur ce qui crée et nourrit le
lien thérapeutique momentané dans ce
qu’il a de plus concret.
Comme annoncé dans notre introduction,
il nous est essentiel que notre réflexion
laisse transparaître de manière cristalline
l’importance que nous accordons au tra-
vail en pluridisciplinarité dans ses aspects
les plus abstraits comme les plus concrets.
C’est pourquoi nous souhaitons laisser la
place aux images pour exemplifier ce qui,
à l’instar de l’argument de ce colloque
peut paraître trivial, mais représente la
concrétisation d’un travail d’amélioration
de notre local de vie par notre personnel
et symbolise notre réflexion continue sur
l’accueil et le partage dans le lien.
Conclusion
Si le philosophe anglais David Hume a pu
dire que «(…) Former l’idée d’un objet et
former tout simplement une idée, c’est la
même chose, puisque la référence de
l’idée à un objet est une dénomination ex-
trinsèque dont elle ne porte ni marque ni
caractère en elle-même », nous avons,
pour notre part, voulu relever le défi lancé
par ce 43ème colloque de marquer et ca-
ractériser notre dénomination.
Au terme de notre développement, nous
pouvons dès lors énoncer notre dénomi-
nation complète, « L’hôpital de jour semi-
intensif l’Envol de la Clinique Notre-
Dame des Anges », et inférer des caracté-
ristiques à partir de chaque mot et que
nous résumons ici.
- Le mot “Hôpital” renvoie, par la dia-
lectique Hôpital-Médecin-Maladie, à la
notion de prise en charge médicalisée et
de travail dans le champ de la maladie
mentale telle qu’elle a été définie dans le
chapitre sur la philosophie.
- Le mot “Jour” implique un engagement
en faveur de la “désinstitutionalisation”.
- “Semi-intensif” signale un rythme
propre caractérisé par une souplesse et
une adaptabilité.
- “Envol” souligne l’intérêt porté à la ré-
insertion et à l’intégration dans un réseau
social tourné vers l’extérieur.
- Enfin, l’annexion du nom “Clinique
Notre-Dame des Anges” garantit une
prise en charge s’inscrivant dans une
philosophie intuitionniste des soins.
Nous terminerons cet article en nous per-
mettant de marquer notre stupéfaction
suite à l’intervention du Docteur Rœlandt
lors de la séance plénière de ce 43ème col-
loque.
En toute humilité et suite à l’étude de
l’ouvrage de notre confrère le Dr Feys,
nous nous étonnons en effet que les re-
commandations préconisées par l’Organi-
sation Mondiale de la Santé en matière de
santé mentale ne semblent reposer que sur
un prétendu bon sens s’inspirant unique-
ment d’une comparaison statistique entre
différents pays. Les éléments de réflexion
sur la conception de la maladie mentale et
sur la politique des soins en matière de
santé mentale nous ont paru d’une grande
pauvreté.
Si dans la description de notre cas clinique
nous nous sommes targués d’avoir pu
court-circuiter une hospitalisation à temps
complet grâce à notre prise en charge de
jour, il n’en reste pas moins que le par-
cours psychiatrique de cette patiente a
quand même nécessité, et à bon escient,
une prise en charge temporaire à temps
complet. Il nous semble donc que la poli-
tique aveugle de fermeture de lits en psy-
chiatrie, préconisée par l’Organisation
Mondiale de la Santé, ressort d’un déni de
la maladie mentale dont les conséquences
sont aussi délétères qu’une politique op-
posée, d’enfermements arbitraires, pour-
rait l’être également. Il nous semble que
Janus ou les mutations d’un hôpital de jour : Le paradoxe de la femme aux chats
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 103
seule une réflexion profonde et continue
puisse permettre de trouver, entre ces
deux positions dogmatiques, une position
juste et équivoque dans la question de
l’hospitalisation des malades mentaux.
Nous nous réjouissons dès lors d’apparte-
nir à un Groupement qui, malgré cette
mouvance politique actuelle peu consis-
tante, nous encourage continuellement à
réfléchir à notre pratique.
Nous exprimons enfin notre satisfaction
que ce 43ème colloque des hôpitaux de jour
nous ait permis cette aventure introspec-
tive institutionnelle. Nous avons souhaité
que ce travail réflexif tende vers une cer-
taine globalité. Toutefois, une telle dé-
marche introspective institutionnelle ne
pourrait prétendre à une forme d’exhaus-
tivité, si tant est qu’il en soit possible,
qu’en abordant les enjeux inconscients de
notre fonctionnement.
Un tel développement nécessiterait un ar-
ticle à part entière et nous nous réjouis-
sons donc que le colloque de l’année pro-
chaine nous permette d’aborder en partie
cet aspect du fonctionnement institution-
nel par son questionnement sur la division
du pouvoir au sein des équipes, compor-
tant nécessairement des enjeux incons-
cients.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 104
Introduction
Un long chemin a été parcouru dans le
service ambulatoire du service de psy-
chiatrie adulte à Genève, depuis la créa-
tion d’un hôpital de jour dans les années
1970 jusqu’à l’actuel Programme de Jour.
Inspirée par le thème de ce colloque,
l’équipe du Programme de Jour du secteur
Servette a tenté de revisiter sa courte et ré-
cente histoire en s’interrogeant sur les dif-
ficultés rencontrées dans la création d’une
identité de soignant œuvrant dans un hô-
pital de jour. En découle une réflexion sur
les conditions nécessaires à l’émergence
d’un sentiment d’appartenance à un
groupe thérapeutique chez les soignants,
et à ses répercussions sur le groupe de pa-
tients.
A Genève, les programmes de jour en
psychiatrie adulte ont été en activité dès
les années septante puis interrompus à
l’aube des années 2000.
Depuis près de 2 ans, ils participent à nou-
veau à l’offre de soins de nos structures
ambulatoires. Différentes interrogations
sont apparues au cours de leur processus
de reconstruction : dans quelle filiation
s’inscrivent-ils après quinze ans d’inter-
ruption d’activité ? Comment construire
une identité de soignants de Programme
de Jour après plusieurs années pendant
lesquelles les centres de crise étaient à
l’avant-plan des soins ambulatoires à Ge-
nève ?
Nous verrons dans cet atelier quels ont été
les modèles prédominants dans le passé,
quelles évolutions nous nous sommes ef-
forcés de développer et les écueils qui en
ont découlés. Actuellement, le Pro-
gramme de Jour offre une prise en soins
qui se veut singulière et adaptée à la psy-
chopathologie de chaque patient. Une at-
tention particulière est donnée à cette no-
tion de singularité, tout en veillant à ce
qu’une dynamique groupale puisse émer-
ger et permettre à chacun de ressentir un
sentiment d’appartenance ayant souvent
fait défaut dans sa trajectoire de vie.
Retour sur l’Histoire
A partir de 1970 jusqu’à 1983 se met en
place une ébauche d’Hôpital de Jour sur
Genève pour pallier au manque de struc-
tures intermédiaires entre l’hospitalier et
les consultations ambulatoires. Il fait donc
office de lieu de transition entre l’hôpital
et les soins communautaires usuels. Ce
changement est inspiré par le mouvement
de désinstitutionalisation qui se déploie à
cette époque dans toute l’Europe ainsi
qu’aux Etats-Unis (Basaglia, 1970 ; Ross-
man-Parmentier, 1984). L’hôpital de jour
se voulait un lieu d’accueil et d’expéri-
mentation de nouvelles approches théra-
peutiques d’inspiration psychodynamique
et visait à favoriser le processus d’autono-
misation de chaque patient, entravé ou
mis à mal par l’émergence d’un trouble
psychique.
Dès 1983, l’hôpital de jour s’agrandit et
se dénomme Centre de Thérapie Brève
(CTB). Il réunit en un même lieu un centre
de crise et un hôpital de jour. L’Hôpital de
Jour se structurait comme un lieu de tra-
vail thérapeutique avec un horaire précis
dans lequel différentes activités devaient
permettre au patient un réentraînement
progressif à la vie en société. Le modèle
systémique s’impose peu à peu comme
une nouvelle référence théorique. Ainsi
tout patient était reçu avec son entourage
pour l’élaboration d’un projet thérapeu-
tique commun. La famille du patient était
considérée comme un partenaire de soin
incontournable, et la dynamique familiale
indissociable de la compréhension et de
l’accueil du symptôme. L’institution s’ex-
porte de plus en plus dans la ville et se
transforme peu à peu en un lieu de travail
et d’entraînement où le patient va em-
ployer “ses collègues patients” et l’équipe
soignante jour après jour afin de (re)trou-
ver certaines capacités, de développer des
liens sociaux et/ou d’initier des projets
d’activité ou de formation (Barrelet,
1983, 1987). Initialement les soins étaient
adressés aux jeunes patients souffrant de
troubles psychotiques pour finalement
Les soins en hôpital de jour en psychiatrie adulte à Genève ont commencé en 1974 pour s’interrompre en 1998. Presque 15 ans se sont écoulés avant la remise en place en janvier 2013 de ces programmes de soins dans les différents secteurs du service de psychiatrie adulte. La réinstauration de ce type de prise en charge a pour but d’offrir des soins ambulatoires intensifs et au long cours à des patients souffrant de psychopathologies graves et chroniques qui multipliaient les hospitalisations dans un phénomène de “porte tournante”. La création du Programme de Jour au Centre Ambulatoire de Psychiatrie et de Psychothérapie Intégrées (CAPPI) de la Servette est passée par différentes étapes. Le processus de construction d’un cadre thérapeutique a en effet buté contre différents écueils chez les soignants dont nous pûmes observer les résonances auprès de nos patients. Par le présent travail, nous aimerions mettre l’accent sur les conditions d’émergence au fil du temps d’un sentiment d’appartenance à une entité groupale, tant chez les soignants qu’auprès des patients. Ce document vise également à reporter comment la constitution d’une identité thérapeutique a finalement permis de partir à la recherche d’une filiation conceptuelle dans le contexte d’une histoire institutionnelle complexe et marquée par la discontinuité.
Mots-clefs : hôpital de jour, programme de jour, centre de crise, sentiment d’appartenance, généalogie institutionnelle
Reflection on the history of day hospital programs at Geneva
The adult psychiatric day hospital program of Geneva began in 1974 and ended in 1998 undergoing a series of changes and modifications throughout this period. After a pause of almost 15 years, the programs were reinstated progressively in different sectors of the adult psychiatry program in Geneva in January of 2013. The reinstatement of these programs was designed to offer intensive outpatient and long-term care for patients with serious and chronic psychopathology who were being cared for at the time by crisis centers which were experiencing a multiplication of hospitalizations, also known as the “revolving door” phenomenon, with these patients. Since its inception, the adult psychiatric day hospital program at the Ambulatory Centre of Psychiatry and Psychotherapy (CAPPI) of the Servette district of Geneva passed through different stages during which the process of building a therapeutic setting stumbled against various pitfalls notably amongst the caregivers which resonated onto the patients. In this work we aim to describe the conditions that emerged over time that allowed for a sense of belonging to the group to develop for both the caregivers and the patients and how the creation of this therapeutic identity came into being despite the complex institutional history and often marked by discontinuity.
Keywords: psychiatric day hospital program, day program, crisis centre, sense of belonging, institutional genealogy
Réflexion sur l’historique des programmes de jour à Genève
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 105
s’élargir à d’autres pathologies. Les soins
- essentiellement groupaux - étaient dis-
pensés de 9 h à 17 h du lundi au vendredi
(quatre groupes par jour et un repas théra-
peutique) et ponctués d’entretiens médi-
caux et infirmiers. Le programme de soins
se voulait le même pour tous, sans diffé-
renciation, et l’accent était mis sur leur ef-
fet structurant.
En 1997, les hôpitaux de jour sont fermés
en psychiatrie adulte suite à une restructu-
ration de l’institution. Les CTB en tant
que centres de crise ambulatoires, tout
comme les programmes spécialisés cen-
trés sur un type de pathologie spécifique
(trouble borderline, trouble bipolaire,
etc), prennent leur essor. S’inspirant des
centres de crise tels qu’ils ont été dévelop-
pés aux Etats-Unis, les CTB développent
une pratique clinique d’inspiration psy-
chanalytique et centrée sur la notion de
conflit intrapsychique réactualisé suite à
différents facteurs de crise (De Coulon &
Von Oberbeck Ottino, 1999 ; Andreoli et
al., 1986). Ces centres étaient destinés es-
sentiellement aux patients souffrant de
troubles de l’humeur ou de l’adaptation et
leur offraient une véritable alternative à
un séjour en hôpital psychiatrique (Bac-
chetta et al., 2009 ; Sentissi El Idrissi et
al., 2014, Dorsaz, 2006). En revanche, les
patients souffrant de pathologies psycho-
tiques ou de troubles graves de la person-
nalité nécessitant régulièrement des hos-
pitalisations y avaient peu accès (Bartolo-
mei, 2011).
La création de programmes de jour secto-
risés, début 2013, se veut une réponse à
une surcharge hospitalière croissante en
partie alimentée par un phénomène de
“porte tournante” particulièrement mar-
qué chez les patients souffrant de psycho-
pathologies chroniques, de désinsertion
sociale et échappant au concept de l’inter-
vention de crise focalisée et résolutive
(Sentissi El Idrissi et al., 2014). Ils font ré-
férence au modèle de psychiatrie commu-
nautaire et sont très centrés sur la réim-
mersion et le maintien du patient dans sa
communauté, au sein de la cité. Une inva-
lidité psychique peut être au premier plan,
souvent associée à de graves difficultés
d’adaptation au milieu socio-profession-
nel et conduisant à des isolements sociaux
conséquents. Ce modèle de soins s’étaye
sur la notion de réhabilitation, c’est-à-dire
la réalisation pour le patient d’une vie
pleine et significative, d’une identité po-
sitive fondée sur l’espoir et l’autodétermi-
nation. Le fonctionnement du Programme
de Jour est ainsi organisé pour que le pa-
tient soit un partenaire actif dans les soins,
ayant accès à un large dispositif thérapeu-
tique (Henzen, 2015 ; Baeriswyl-Cottin et
al., 2015).
Mise en place d’un Programme de Jour au CAPPI Servette de 2013 à
aujourd’hui : contre vents et marées
La remise en place des programmes de
jour dans le Service de Psychiatrie Adulte
découle, comme nous l’avons vu précé-
demment, d’une volonté institutionnelle.
Différents groupes de travail impliquant
les équipes soignantes de chaque secteur
se sont dès lors déployées au cours de
l’année précédant le début de leur activité
afin de jeter les bases d’un concept théra-
peutique dans lequel chacun puisse se re-
connaître. De ce fait, il n’existait pas de
modèle unique et défini pour tous les sec-
teurs du service.
Néanmoins, chaque Programme de Jour
devait répondre à des exigences com-
munes : être accessibles aux patients les
plus sévèrement touchés par la maladie
psychique en leur offrant une opportunité
de sortir de l’isolement dans lequel ils
étaient confinés, mais sans pour autant re-
créer des “poches d’exclusion organisées”
dans chaque secteur. Dans notre centre
ambulatoire, au cours de ces séances de
groupe de travail, différents fantasmes
groupaux émergent au fil des discussions.
Parmi ceux-ci principalement des peurs
d’intrusion voire d’annihilation des soi-
gnants du pôle crise : il est alors évoqué
que les patients chroniques pourraient ve-
nir en nombre “envahir” le centre et y de-
meurer toute la journée, que les soins de
crise disparaîtraient au profit du retour des
soins asilaires. En filigrane apparaissait
sans être nommée la menace d’une “ré-
institutionnalisation”.
D’un point de vue organisationnel, au mo-
ment de la création du Programme de Jour
dans le secteur Servette en janvier 2013,
deux infirmières à 130% et un médecin
chef de clinique sont attribués au pro-
gramme.
Toutefois, les infirmières ont de multiples
autres activités et le médecin rattaché au
Programme de Jour n’intervient que
ponctuellement auprès du groupe de pa-
tients, chacun d’entre eux ayant gardé son
médecin référent initial. Une réunion cli-
nique hebdomadaire entre soignants est
également mise en place : elle vise à favo-
riser la réflexion et l’échange sur ce nou-
veau type d’activité, et par là même l’ap-
propriation par les soignants de la nou-
velle identité thérapeutique qu’implique
cette activité. La répartition diagnostique
correspondait à seulement 27 % de
troubles psychotiques, contre 59 % de
troubles de la personnalité associés à des
troubles dépressifs récurrents, 9% de
troubles anxieux sévères (agoraphobies
LES AUTEURS
Athina PETSATODI cheffe de clinique Aline POCHON infirmière Françoise LEBIGRE infirmière Béatrice DELESSERT infirmière Martine GOURNAY infirmière Javier BARTOLOMEI médecin adjoint responsable de secteur
Hôpitaux Universitaires de Genève Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothé-rapie Intégrées (CAPPI) secteur Servette, Programme de Jour Rue de Lyon 89-91 1203 Genève Suisse
BIBLIOGRAPHIE
1. ANDREOLI A., LALIVE J., & GARRONE, G. (1986), Crise et intervention de crise en psychia-trie, Simep.
2. BACCHETTA J.-P., ZANELLO A., VARNIER M., STEBLER E., SAFRAN E., FERRERO F., & MERLO M. C. G. (2009), Développement des centres de crise à Genève : impact sur les hos-pitalisations, Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie, 160(3).
3. BAERISWYL-COTTIN R., FRAMORANDO D., ZANELLO A., ZERMATTEN A., BARTO-LOMEI J., BACCHETTA J.-P., SENTISSI El IDRISSI O. (2015), Intensive outpatient care psychiatric units in Geneva: who are the pa-tients ?, 2ème Congrès Européen de psychiatrie so-ciale, Genève
4. BARRELET, L. (1983), Nouvelle approche pour la prise en charge institutionnelle : l’exemple du Centre thérapeutique de jour de Carouge (Genève), Médecine & Hygiène, 41, 3156-3162.
5. BARRELET L. et GALLAY B. (1987), Moment institutionnel et traitement psychothérapeu-tique. A propos des indications des hospitalisa-tions et des traitements de jour (CTB), Cahiers psychiatriques genevois, tome 2, Langage et réédu-cation
6. BARTOLOMEI J., BARDET BLOCHET, A., ORTIZ N., ETTER M., ETTER, J.-F., & REY-BELLET P. (2012), Le plan de crise conjoint : familles, patients et soignants ensemble face à la crise, Schweizer Archiv fur Neurologie und Psy-chiatrie, 163(2), 58.
7. BARTOLOMEI J., SENTISSI O., BAERIS-WYL-COTTIN, R., & REY-BELLET P. (2011), Centres de Thérapies Brèves (CTB) à Genève : la crise dans les centres de crise ?, Schweizer Ar-chiv fur Neurologie und Psychiatrie, 162(4), 161.
8. BASAGLIA F. (1970), L’institut en négation, Paris : Seuil.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 106
BIBLIOGRAPHIE (suite)
9. de COULON N., von OVERBECK OTTINO S., & FEDIDA P. (1999), La crise: stratégies d’in-tervention thérapeutiques en psychiatrie, Gaëtan Morin.
10. DORSAZ O. (2006), Les Centres de Théra-pies Brèves dans la psychiatrie genevoise : perspective historique et point de vue actuel des patients, Thèse 10464. Genève.
11. HENZEN A. (2015), Facteurs prédictifs des drop-outs dans un centre de crise à Genève, Doctoral dissertation, University of Geneva.
12. NEUBURGER R. (2014), Exister : le plus in-time et fragile des sentiments, Éditions Payot.
13. POMINI V., GOLAY P., & REYMOND, C. (2008), L’évaluation des difficultés et des be-soins des patients psychiatriques, L’information psychiatrique, 84(10), pp. 895-902.
14. ROSSMAN-PARMENTIER A. (1984), Les interventions de crise en psychiatrie tendances actuelles aux Etats-Unis, Thèse 5048. Genève, 1984.
15. SENTISSI El IDRISSI O., BARTOLOMEI J., MOEGLIN C., BAERISWYL COTTIN R., REY-BELLET Ph. (2014), The Geneva model of crisis intervention: a retrospective study of 323 pa-tients, Psychology and Psychotherapy: 44.
ou TOCs) et 5% de troubles cognitifs.
L’ensemble de la cohorte (n = 22 pour les
derniers chiffres) présentait un retrait so-
cial sévère associé à un fort apragmatisme
et à une perte de motivation majeure. On
retrouvait sans surprise également des dif-
ficultés prononcées sur le plan relationnel,
avec une tendance à éviter toute forme de
contact social par manque de confiance et
d’estime de soi. La grande majorité des
patients bénéficiait d’une rente (pension)
d’invalidité et la tranche d’âge se situait
entre 30 et 65 ans.
Initialement, un seul groupe thérapeu-
tique est destiné uniquement aux patients
du Programme de Jour, qui est combiné à
un « Espace Accueil ».
Il s’agissait d’un groupe de parole ayant
pour objectif d’aider les patients à remo-
biliser leurs compétences sociales, à
structurer leur semaine et à pouvoir parta-
ger certains de leurs ressentis. Les patients
du Programme de Jour avaient par ailleurs
accès à l’ensemble des groupes thérapeu-
tiques proposés dans le centre ambula-
toire (plus d’une dizaine de groupes diffé-
rents, combinant groupes de paroles et
groupes à médiation). Il faut par ailleurs
mentionner qu’à l’époque, si la singularité
des soins proposés et la volonté d’ouver-
ture sur la cité vectorisaient le déploie-
ment de cette nouvelle activité thérapeu-
tique, les critères d’indication et les mo-
dalités de prise en charge (durée, objec-
tifs, outils psychométriques employés, in-
terface avec les autres programmes de
soins) n’étaient pas encore définis, ame-
nant un sentiment de confusion parmi les
soignants, et de manière similaire auprès
des patients.
Ceux-ci en réponse ramenaient diffé-
rentes interrogations : en quoi leurs pro-
jets de soins étaient-ils différents de ceux
des autres patients ? Quelle était la réalité
de leur statut de patient faisant partie du
Programme de Jour ? La volonté de faire
des soins “à la carte” contribuait proba-
blement au maintien d’un flou identitaire
et nos observations allaient dans le sens
d’un manque d’engagement de la part des
patients qui semblaient éprouver de
grandes difficultés à adhérer aux soins.
Parallèlement, les soignants du Pro-
gramme de Jour décrivaient le sentiment
que leur activité était peu reconnue par les
autres soignants du centre ambulatoire,
mais peut-être également peu reconnais-
sable du fait d’un manque de différencia-
tion par rapport aux autres activités théra-
peutiques proposées par leurs collègues.
Ils éprouvaient de ce fait certaines diffi-
cultés à se sentir appartenir à ce nouveau
programme. Après ces douze premiers
mois de vie, l’effectif infirmier est doublé,
tandis que le nouveau médecin respon-
sable commence à suivre en tant que réfé-
rent direct tous les patients inscrits dans le
programme. Une majoration du temps de
travail exclusivement consacré à ce sous-
groupe de patients est négociée par les
soignants tandis qu’un bureau leur est at-
tribué, aménagements qui pourraient être
lus comme une reconnaissance des be-
soins primaires d’espace et de temps d’un
groupe de soignants émergeant. Un senti-
ment d’appartenance semble peu à peu
naître et il est observé en écho de la part
des patients un plus grand investissement
du seul groupe thérapeutique spécifique
existant. Notre prise de conscience de
l’importance d’éprouver un tel sentiment
alimente alors une volonté de développer
également notre cadre thérapeutique sur
ces dimensions d’espace et de temps. Se-
lon Neuburger (2012), la construction de
notre sentiment d’exister dépend essen-
tiellement des relations que nous établis-
sons avec les autres et celles que les autres
établissent avec nous, ainsi que nos appar-
tenances à des groupes qui nous recon-
naissent et nous acceptent. Nous mettons
ainsi l’accent sur le développement de
l’appareil groupal spécifiquement pro-
posé aux patients du Programme de Jour
afin de renforcer le sentiment d’exister
mutuel entre patients et soignants, per-
mettant également de clarifier les fron-
tières avec les autres programmes de soins
dans un mouvement de différenciation.
Parmi ceux-ci on retrouve :
1. Le groupe « Eveil Corporel » conduit
par une psychomotricienne et une infir-
mière du programme qui a pour objectif
d’aider les patients à prendre conscience
de leur état du moment, dans leurs sen-
sations, leurs tensions, leurs émotions,
ainsi qu’apprendre à se relâcher, respi-
rer, se mobiliser et trouver de l’énergie
au travers d’exercices de centration et
d’activation corporelle.
2. Le groupe « Espace et Découvertes »
animé par deux infirmières du pro-
gramme. Le nom du groupe a été défini
par les patients et les principes de son
fonctionnement ont été élaborés avec
eux afin de mieux répondre à leurs be-
soins. Il vise ainsi à les accompagner
dans une redécouverte de la cité, dans un
mouvement de réappropriation de la
ville, faisant parfois suite à de longues
années d’isolement. Il s’inscrit dans cette
volonté déjà nommée de maintenir un
contact permanent avec l’extérieur afin
d’éviter un fonctionnement en “circuit
fermé” qu’un tel programme pourrait gé-
nérer.
3. Enfin, assez rapidement, en miroir au
groupe de parole déjà mentionné du dé-
but de semaine, apparaît le groupe « Bon
Week-End » : par son contenu, il a pour
objectif un bilan de la semaine et un
Réflexion sur l’historique des programmes de jour à Genève
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 107
échange sur l’organisation du week-end,
afin que ces 2 jours particuliers puissent
devenir autre chose qu’un moment de so-
litude programmé. Par son contenant, il
vise à marquer les contours d’une enve-
loppe groupale se déployant tout au long
de la semaine.
Nous observons que ce dernier groupe est
d’emblée fortement investi par les pa-
tients, qui le présentent comme un point
d’ancrage et une source d’étayage à un
moment de la semaine où certains décri-
vent l’impression de « n’avoir plus rien à
quoi s’accrocher ». Nous décidons rapi-
dement de rendre ce groupe obligatoire
pour tous les patients du Programme de
Jour tout comme celui du début de se-
maine, les autres groupes restant faculta-
tifs.
Dans la dialectique singularité/collecti-
vité, nous prenons ainsi le parti de définir
certains éléments invariants dans l’orga-
nisation des soins, tout en maintenant une
spécificité pour chaque patient. Les
groupes obligatoires visent à définir un
socle commun et à développer un senti-
ment d’appartenance qui peut enfin faire
écho à celui que nous avons vu émerger
dans le groupe de soignants. Les groupes
optionnels visent plutôt à personnaliser
notre offre de soins en restant au plus près
de la singularité du tableau clinique de
chaque patient. La souplesse du cadre que
nous nous efforçons de proposer nous per-
met de ne pas exclure les patients qui ne
supporteraient pas un cadre trop rigide et
trop exigeant (présence continue du matin
au soir). L’espace accueil prend une autre
forme, celui d’échanges informels autour
d’un café avant le début des groupes, un «
sas » de transition entre l’univers des pa-
tients et leur lieu de soins.
Au fil de notre pratique, nous avons éga-
lement déterminé un cadre temporel glo-
bal se divisant en trois étapes de soins
pour une durée de traitement de trois ans
au plus. Chaque étape (phase initiale et
évaluative, phase de stabilisation et de
consolidation et phase d’accompagne-
ment sur l’extérieur) implique des objec-
tifs définis avec le patient. Dans la pre-
mière phase, nous avons par ailleurs sys-
tématisé l’usage de deux outils psycho-
métriques : l’échelle ELADEB et le plan
de crise conjoint. Ils visent à s’approcher
au plus près des véritables besoins de cha-
cun de nos patients, aussi bien en cas de
crise qu’au long cours, en les désignant
comme les coauteurs du projet de soins
que nous sommes amenés à définir avec
eux.
1. Pour l’identification et la clarification
des objectifs et des attentes de chaque
participant, nous nous basons sur ELA-
DEB, un outil d’autoévaluation des dif-
ficultés et des besoins (Pomini et al.,
2008). ELADEB est une échelle de me-
sure subjective des difficultés et du be-
soin d’aide de la personne évaluée. Le tri
d’une série de cartes thématiques effec-
tué par le patient permet de dresser rapi-
dement son profil de difficultés psycho-
sociales et de mettre en évidence les do-
maines dans lesquels il estime avoir be-
soin d’une aide supplémentaire. Cet outil
peut être employé dans différents con-
textes cliniques et convient particulière-
ment aux personnes peu à même de ver-
baliser une demande de soins, maîtrisant
mal le français et/ou plutôt réticentes de-
vant des questionnaires classiques.
2. Le Plan de Crise Conjoint (PCC) est
un outil qui permet une réflexion avec le
patient et son entourage sur les facteurs
de risque qui pourraient entraîner une dé-
compensation de son état et sur les trai-
tements souhaités afin qu’une interven-
tion thérapeutique contre sa volonté ne
s’avère pas abusive. Lors de la rédaction
du PCC, le patient énonce les traitements
qu’il souhaite et ceux qu’il refuse en cas
de perte de discernement et confie à un
tiers (membres de la famille, conjoint ou
autre proche) certaines tâches à effectuer
au cas où il serait hospitalisé. De même,
il expose les circonstances habituelles et
les premières manifestations d’une crise
contribuant ainsi à la détection rapide et
au traitement précoce d’une rechute
(Bartolomei et al., 2012).
Conclusion
A travers notre expérience de mise en
place d’un Programme de Jour, nous
avons été conduits à nous interroger sur
les conditions nécessaires à l’émergence
d’un sentiment d’appartenance à un
groupe thérapeutique.
Elles impliquent notamment la prise en
compte des besoins primaires du groupe
de soignants et une différenciation des ac-
tivités de ce groupe permettant la création
d’une assise identitaire. Ce n’est qu’après
le vécu de ce sentiment que le groupe de
soignants a pu commencer à se penser et
à construire un cadre de soins dans lequel
il pouvait y retrouver les valeurs thérapeu-
tiques auxquelles il se savait attaché. En
écho, nous avons pu observer comment ce
sentiment d’appartenance pouvait être
peu à peu partagé avec le groupe de pa-
tients et favoriser leur investissement.
Cependant, tout programme est évolutif,
ce qui suscite en permanence des ques-
tions sur notre rôle et notre mission. Com-
ment garder un équilibre entre souplesse
et cohérence du cadre ? La participation
des patients à un tel programme thérapeu-
tique permet-elle de gagner en autonomie
ou représenterait-elle un risque de déve-
lopper une dépendance institutionnelle ?
Quel équilibre garder entre soins indivi-
duels “à la carte” et soins invariants per-
mettant de définir un socle thérapeutique
commun ? Autant de questions que nous
désignons comme compagnons de route
sur le chemin que nous avons commencé
à parcourir.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 108
Trente rayons convergent en un moyeu. Ce qui n’est pas là, rend la roue utilisable.
La terre glaise est pétrie et forme un vase.
Ce qui n’est pas là, rend le vase utilisable. Des portes et des fenêtres sont percées dans les
murs.
Ce qui n’est pas là, rend l’espace utilisable. Prends soin de ce qui est là, utilise ce qui n’est
pas là.
Utilise ce qui n’existe pas versets du Tao Te King
Des blancs dans le programme.
D’un côté, remplir le vide, prévoir un pro-
gramme, donner des réponses. Quand il
s’agit de rassurer, qui et quoi (r)assurons-
nous ?
D’un autre côté, accompagner l’expé-
rience du vide, permettre de prendre posi-
tion, accueillir les questions…
Cette tension constructive entre deux
pôles, certainement inhérente à toute
structure liant le “psycho” et le “social”,
l’individuel et le collectif, est probable-
ment un axe principal de notre travail :
nous la rencontrons si fréquemment sous
différentes apparences, elle surgit si sou-
vent dans le travail clinique et social, que
nous souhaitons y regarder de plus près
encore une fois, et partager ce que nous
pourrons en dire.
Avant-Propos
Des blancs dans le programme... Voilà
tout un programme. Nous nous proposons
ici d’envisager la question de ces blancs
aux différents niveaux de la vie institu-
tionnelle que nous partageons au quoti-
dien avec les patients que nous accueil-
lons.
Pour ce faire nous vous ferons part de la
conception que nous nous sommes faite
du “programme thérapeutique”. Ensuite,
nous examinerons comment nous nous si-
tuons au sein de notre équipe par rapport
aux blancs en soi. Puis, nous ferons un
tour du côté des patients afin de soumettre
à l’écoute ce qu’ils nous disent de ces
blancs.
Ceci nous amènera, vous le verrez, à re-
définir ce que nous entendons par blancs.
Nous parlerons successivement de trou,
de vide et de bord. Ceci permettra de
mieux cerner les enjeux de notre clinique
à cet égard.
Ensuite, nous réexaminerons, à la lumière
de ces considérations, ce qu’il en est de
notre pratique. Nous prendrons quelques
exemples tirés de notre clinique institu-
tionnelle afin de mieux cerner quelques
enjeux de cette clinique du trou, du vide
et du bord.
Finalement, nous vous proposerons de
vous étonner avec nous du fait que les
avancées réalisées au fil du texte nous ra-
mèneront à peu près six siècles avant Jé-
sus-Christ.
Les blancs aux différents niveaux de vie institutionnelle
Le programme thérapeutique
Avant de rentrer dans le vif de notre sujet,
comment appelons-nous les outils de
notre “programme thérapeutique” ? Glo-
balement nous évoluons autour de trois
pôles thérapeutiques principaux :
- La vie communautaire qui comprend
les différents moments partagés dans les
espaces communs ainsi que la réunion
hebdomadaire où tous les patients et
membres de l’équipe sont attendus. La
vie communautaire est également ryth-
mée par le “service repas” (l’équipe cui-
sine journalière est composée de plu-
sieurs patients ainsi que d’un soignant).
- Les activités qui fonctionnent grâce à
une grille horaire plus ou moins fixe du-
rant l’année. La présence à ces activités
n’est pas obligatoire mais nous deman-
dons aux patients, dans la mesure du pos-
sible, de participer à deux activités par
semaine, au choix.
- La fonction d’accueil et de référence.
Chaque patient est suivi plus précisé-
ment par deux membres de l’équipe, un
accueillant et un référent.
Maintenant que nous avons un peu balisé
notre cadre thérapeutique, nous pouvons
nous interroger sur les “blancs” dans le
programme.
A priori, l’ensemble de l’équipe du Wops
de jour s’accorde à ce que notre pro-
gramme thérapeutique comporte des
“blancs”. Ce fut d’ailleurs notre première
idée de titre d’intervention : « Des blancs
dans le programme thérapeutique ».
Nous précisons que nous utilisons le mot
“blanc” comme un espace où il est pos-
sible d’inscrire quelque chose, comme
une page blanche, le support d’une pos-
sible construction.
Ces “blancs” constituent en quelque sorte
des zones laissées libres au sein de notre
programme thérapeutique. Ils seraient
l’occasion de permettre à chaque patient
de se constituer sujet de son parcours psy-
chothérapeutique. Nous pensons qu’un
programme plein, sans blancs, amènerait
nos patients à se constituer objets de nos
soins. En effet, nous misons sur le fait
qu’il est tout à fait opportun que chaque
patient puisse se constituer acteur, à un
moment donné, de son propre parcours
psychothérapeutique.
Ces derniers temps, le mot et l’idée de « programme » semblent omniprésents dans notre secteur ainsi que dans une certaine forme de clinique. En tant qu’équipe pluridisciplinaire, nous avons choisi de nous réunir et de nous questionner ensemble autour de ce qu’il n’y a pas dans le programme... les blancs, les trous, les vides. Que faire de la clinique ainsi que de nous-mêmes là où la tentation de “combler” est si forte ? C’est ce travail de réflexion en équipe que nous vous livrons dans ce texte commun, témoin d’un processus de travail en cours.
Mots-clefs : blanc, institution, programme thérapeutique, trou, vide, bord
Mind the gap!
Recently, the word and the idea of “program” seems ubiquitous in our sector and in some kind of clinic. As a multidisciplinary team we have chosen to meet and question us together around this that there is not in the program ... the white, holes, voids. What of the clinic and of ourselves where the temptation to “fill” is so strong? It is this reflection as a team that we deliver in this joint text, witness of a current working process.
Keywords: “white”, institution, therapeutic program, hole, empty, board
Des blancs dans le programme : exercer en équipe l’art de border le vide
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 109
LES AUTEURS
Olivier RENARD Alexandra SMAL Dominique VALETTE Ulrich WEILAND
WOPS Chaussée de Roodebeek 471 1200 Woluwe-Saint-Lambert Belgique
BIBLIOGRAPHIE
1.ZENONI A. (2009), L’autre pratique clinique : psychanalyse et institution thérapeutique, 1ère édition, Toulouse : Erès,
2.RILKE R. M. (1898), Die frühen Gedichte, Leipzig Insel-Verlag, 162 pages
3.LAO-TSEU (2012), 道德經 Tao-Te-King : Le Livre de la Voie et de la Vertu, Librio Spiritualité, J’ai lu,75 pages
Là où nous laissons ou connaissons des
“blancs” dans notre savoir, dans notre or-
ganisation, dans nos actions... nous espé-
rons que surgira pour chaque patient la
question du trajet psychothérapeutique
qui lui revient. Il est à remarquer d’ail-
leurs que la surprise de ce surgissement
concerne tout autant l’équipe thérapeu-
tique que le patient en question.
Notre travail consiste donc à trouver une
juste interaction entre deux pôles. Le pre-
mier recouvre le programme thérapeu-
tique que nous proposons ainsi que le
cadre institutionnel dont nous sommes les
garants. Le second est tissé de ces
“blancs”, voulus (ou non) que nous espé-
rons propices au travail singulier de
chaque personne que nous accueillons.
Du côté de l’équipe
Malgré ce projet commun institué en-
semble, nous constations dans la pratique
que nous vivions de manière très diffé-
rente voire opposée notre propre rapport à
l’existence de ces “blancs”. Pratiquement,
lors de nos réunions, nous faisions sou-
vent le constat que nous étions divisés en
deux camps opposés :
- d’un côté nous avions ceux qui sont
partisans de “ne pas combler les trous”,
de “supporter le manque”, du “non-
faire”, de “ne pas répondre à la de-
mande” afin de laisser aux patients eux-
mêmes la responsabilité d’en faire
quelque chose.
- De l’autre côté, il y avait ceux qui met-
tent en avant que les blancs ont bien sou-
vent un effet mortifère, ils avancent que
notre rôle est bien souvent de lutter
contre celui-ci en injectant de la vie dans
l’institution.
Ces deux positions (coexistantes) dans
l’équipe nous amènent à évoquer le rap-
port que nous avons individuellement à
l’institution et à ce que nous tentons d’y
faire. Travailler en centre thérapeutique
de jour, c’est être un professionnel de la
santé mentale mais c’est également tra-
vailler avec nous même, ce que nous
sommes, ce que notre histoire personnelle
a imprégné dans notre manière d’être à
l’autre, d’être au soin. Ce qui nous pré-
cède teinte également notre propre rap-
port à l’espace blanc, au trou, au vide et
par conséquent au “rempli”. Finalement,
et parce qu’au Wops nous aimons méta-
phoriser, toutes ces données font de cha-
cun de nous une sorte de funambule au
style particulier.
Concrètement, la vie quotidienne en
centre de jour est une succession de
“trous” et de “remplis” qui réveille le fu-
nambule au style particulier qui som-
meille en chacun de nous ainsi que ses
propres questions.
Pour donner corps à cette métaphore du
funambule et aux débats qu’elle peut ame-
ner en équipe, nous pouvons évoquer une
de nos histoires d’équipe.
Il y a quelques temps, nous avons été tra-
versés par une question institutionnelle
autour du vide : lors de l’absence d’un
collègue, faut-t-il assurer le remplace-
ment de son activité ou donner corps à
cette absence en mettant un “blanc” à la
place de l’activité prévue. Débat et retour
des deux positions : « oui, nous devons as-
surer une autre activité »/« non, nous
laissons une plage horaire blanche ». Au
bout de cette discussion, une décision a
été prise : lorsqu’un collègue est malade,
on ne remplace pas automatiquement son
activité. Or, souvent et malgré cette déci-
sion d’équipe, nous continuons de com-
bler le trou laissé par l’absence de notre
collègue. Cette pirouette régulière sert-t-
elle à protéger les patients de la rencontre
avec un ”trou à remplir” ou à nous proté-
ger du vide que nous devrions traverser
avec eux si nous laissions cette case
blanche ? Les funambules que nous
sommes auraient-ils peur de tomber ?
Récemment, grâce à ce projet commun de
présentation d’atelier, nous nous sommes
attablés pour échanger autour de ces no-
tions de blancs, vides et trous. Au fil de
ces discussions s’est dessinée non pas
deux camps de funambules aux opposés
de la corde mais une troupe. En effet, l’es-
pace blanc que nous avons ouvert entre
nous s’est constitué comme un espace de
rencontre, un vide médian permettant à
chacun de faire un pas dans la direction de
l’autre et d’être entendu pour dépasser la
dichotomie dans laquelle nous pouvons
être pris parfois. Finalement, à l’image de
notre projet thérapeutique destiné aux pa-
tients que nous suivons, c’est peut-être
dans cet espace à remplir que chacun peut
négocier sa position et stabiliser notre fil
commun sans être happé par un côté ou
l’autre.
Du côté des patients
De même, les rapports des patients à ces
blancs semblent différer pour de nom-
breuses raisons.
Voici, en vrac, ce qu’il nous est souvent
donné d’entendre ou d’observer :
- certains paraissent vouloir éviter les
“temps morts” en prétextant que leur
présence n’a pas de sens s’il n’y a pas
d’activité organisée pour eux tout en di-
sant qu’il serait mieux chez eux à faire ce
qu’ils doivent faire.
- Beaucoup campent dans une attitude
passive attendant que nous organisions
des activités toutes faites pour eux et
bien-sûr que nous sachions les soigner
malgré eux.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 110
- Certains s’engouffrent de manière agi-
tée dans une activité démesurée.
- D’autres disent que les temps d’attente
(suspendus) entre deux activités les con-
frontent à un vide plus ou moins difficile
à supporter...
- D’autres encore circulent à la périphé-
rie de la vie institutionnelle laissant sou-
vent des blancs là où l’institution ou ses
membres les attendent.
- D’autres ne trouvent pas de porte d’en-
trée dans le décours de certaines journées
et flottent dans une sorte de no man’s
land...
- Etc...
Nous pensons bien-sûr que la confronta-
tion au manque ou au vide est vécue de
manières bien différentes en fonction du
type de personnes que nous accueillons.
L’épreuve du manque (ou du bouche trou)
chez les personnes névrosées recouvre
d’autres enjeux que celle du vide (ou du
trop-plein) chez les personnes psycho-
tiques...
Sur le versant névrotique, il nous paraît
opportun de ne pas satisfaire à la demande
d’une personne qui viserait à lui épargner
de faire l’épreuve de son manque. Et d’un
autre côté, sur le versant psychotique,
nous sommes parfois appelés à accompa-
gner, en nous sentant sur un fil (si tout va
bien !), des personnes qui se démènent
face au Vide.
Et comme nous accueillons des personnes
sans réserve de diagnostic, il nous arrive
bien souvent de jongler avec bon nombre
de numéros d’équilibristes sollicités par
les différences relevant tant des structures
psychiques que des personnes elles-
mêmes.
Funambules, équilibristes, fil, jonglerie,
... ces mots nous mènent peu à peu avec
leur propre force à la notion abordée au
point suivant de notre “cirque-confé-
rence”. Il s’agit de la notion de bord...
Trou, bord, vide
Ayant retenu comme titre de notre ex-
posé : « Des blancs dans le programme »,
nous nous sommes risqués à faire un tour
de table en équipe afin d’écouter ce que
cela inspirait à chacun de nous. Et sur-
prise, nous avons commencé à dépasser
notre vieille opposition stérile entre les
partisans du “non-faire” et les partisans du
“faire”.
Tout d’abord, l’un d’entre nous a amené
la différence entre « les vides qui tirent
vers le bas et qui sont mortifères » et « les
blancs qui peuvent être des occasions de
prendre en main les choses et de créer ».
Nous sommes donc passés de la notion de
1 Intervention :"la forclusion du Nom du Père", Jean Luc Graber, Formation pour In-
firmier(e)s de Secteur Psychiatrique, mars
“blancs” dans le programme aux deux no-
tions différenciées de “blancs” et de
“vide”.
Puis au fil des discussions, nous avons af-
finé cette première différenciation en par-
lant de “trou” et de “vide”. De là est sur-
venue la notion de “bord”.
Tout d’abord, il nous a semblé que le trou
était muni d’un bord, à l’opposé du vide.
Puis après examen, nous pensons qu’il se-
rait plus juste de dire que le trou comporte
un vide qu’il borde ou pas de son bord.
Nous avons appris qu’il existait des trous
bordés (où le vide est bordé) et des trous
non bordés (où le vide n’est pas bordé).
Nous vous proposons de vous faire part de
l’image que Serge Leclaire a donné des
effets du refoulement et de la forclusion
sur la structure psychique en termes de
trou et de bord : « D’après une image em-
pruntée à Serge Leclaire, on peut compa-
rer l’expérience constituée à un tissu. Ce
tissu est composé d’une trame qui permet
au tissu de tenir. Dans le cas du refoule-
ment, il y aurait une déchirure, une sorte
d’accroc dans cette trame, qui est tou-
jours susceptible d’être reprisée. Par-
contre dans le cas de la forclusion, il y au-
rait un défaut dans la trame même,
comme si les fils, au moment de la confec-
tion, ne se seraient pas mis en place. Le
trou qui en résulte ne peut pas, cette fois,
être reprisé, puisqu’il n’y a pas de prise à
la reprise. Alors pour combler ce trou il
faudrait mettre une autre pièce d’étoffe,
ce qui n’empêche pas le trou en lui-même
d’exister.
La forclusion est donc un trou, un vide. Il
va aspirer toute une série de signifiants, à
la place du signifiant qui manque.1 ».
Ceci nous paraît fondamental afin de
mieux saisir les enjeux cliniques qui sur-
gissent lorsque nous faisons avec l’un ou
l’autre patient (en fonction de sa structure
psychique) l’expérience d’un trou ou du
vide.
Le bord nous est donc apparu comme
étant fondamental car il permet de prendre
appui sur lui par-delà le vide qu’un “trou
bordé” comporte. Par contre dans le cas
des “trous non bordés”, le vide appelle à
s’y engouffrer, faute d’y trouver un point
d’appui.
D’un côté donc (névrose) : des trous bor-
dés comme possibles espaces de création,
à condition de ne pas trop vite céder à la
tentation de les boucher. D’un autre
côté (psychose) : des vides plus radicaux,
sans bord face auxquels un appui exté-
rieur tel que le cadre institutionnel, une
co-présence, ou une activité artistique ou
quelque trouvaille que ce soit est d’un
1983, http://psychiatriinfirmiere.free.fr/in-firmiere/formation/psychologie/psycholo-
gie/forclusion.htm
grand secours si cela parvient à border
malgré tout le sans-bord qu’est le vide
dans ce cas-là. Il s’agit donc dans ce cas
de se trouver un point d’appui extérieur
(institutions, activité artistique, branche-
ment sur un autre, etc. (cf clinique de la
psychose)).
Ainsi, il nous est apparu que notre travail
consistait à de nombreux égards à border
les trous avec les ajustements relatifs à la
prise en compte des différents types de
structure psychique (névrose/psychose en
ce qui concerne notre pratique).
Quelques exemples cliniques
Afin d’avoir une piste de départ, nous
avons voulu différencier les termes, trou,
vide et blanc en cherchant leurs défini-
tions sur internet. Il ne s’agit pas, ici, de
les détailler, ce n’est pas le propos, mais,
après lecture de ces différentes défini-
tions, ce qui ressort est que dans le terme
trou, il y a la notion de contour, de matière
qui entoure. Le blanc est plutôt perçu
comme un arrêt, un silence et le vide
comme quelque chose de plus angoissant,
lié au rien, au manque, à l’absence.
En pensant au vide comment ne pas pen-
ser, en conservant la métaphore du
cirque, aux trapézistes qui se lancent d’un
trapèze à l’autre, au-dessus du vide. Du
vide oui, mais il y a le filet qui garantit la
survie.
Nous sommes tous un peu trapézistes, et
venir au WOPS pour certains patients
c’est se lancer d’un trapèze à l’autre. C’est
quitter quelque chose qu’on connait, pour
découvrir d’autres choses, vivre de nou-
velles expériences. L’expérience du vide
aussi. Celui-ci s’installe à certain moment
de la journée, sans qu’il soit provoqué.
C’est quelque chose que chacun vit, res-
sent différemment, et tente de “faire
avec” comme il le peut.
Comment peut-on amener chacun à com-
poser avec ce vide ?
Peut-être en garantissant une sorte de filet,
gardien d’une certaine sécurité qui nous
permet de s’essayer à d’autres trapèzes.
Intuitivement, on met en place des choses
qui servent de filet. Se lancer sur le tra-
pèze du lundi après un week-end n’est pas
toujours facile, tout comme se lancer sur
le trapèze du week-end après une semaine
passée au Wops. Entourer ces 2 moments
par des rencontres conviviales autour
d’un petit déjeuner, en début de semaine
et un goûter, qui la clôture, c’est rajouter
quelques mailles au filet.
De même, lors de notre déménagement, il
y a de ça à peu près un an, nous avons mis
Des blancs dans le programme : exercer en équipe l’art de border le vide
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 111
aussi en place quelques maillons, une pe-
tite fête dans l’ancienne maison avec la
création d’une petite chanson, il y a eu
aussi une brocante avec les objets qu’on
ne souhaitait pas déplacer dans la nou-
velle maison, et également des visites ré-
gulières lorsque la nouvelle maison était
encore en travaux et, pour finir, une inau-
guration où les patients et leurs familles
étaient invités.
Il y a quelques années dans les lieux de
vie commune, quelques patients étaient là
et ne faisaient apparemment rien...
Manque de désir, vide intérieur, impossi-
bilité de penser, fatigue... des après-mi-
dis, où flotte l’impression d’être aux côtés
des patients, sans filet, face à leur vide, à
son vide. En commençant à tricoter, cro-
cheter, des écharpes, tentative sans doute
de se créer un filet, maille après maille,
certains patients ont accompagné la dé-
marche. Le fil ténu d’un nouveau projet
commun devenait possible. Celui de rê-
ver, de rêver de ce qu’on pourrait faire ou
pas, si on décidait de sortir du centre. Où
irions-nous ? Pour y faire quoi ? Or, après
quelques modifications et remanie-
ments, certains de ces rêves étaient réali-
sables et ont été réalisés. Mailles après
mailles, un filet, lui-même percé de trous,
a été tissé. Incertitudes, improvisations,
ajustements, complicités, partage, décep-
tions, négociations font la trame de ces
aventures diverses.
Depuis, une activité issue de ces rêves
éveillés est entrée dans le programme thé-
rapeutique. C’est la sortie du mois.
Organisée le dernier vendredi du mois.
Nous mettons à disposition des patients
deux membres du personnel, éventuelle-
ment un véhicule (une camionnette) ou
des tickets de train et une somme d’argent
non fixe mais raisonnable. Face à l’infini
des possibilités, apparenté au vide pour
certains, nous avons balisé le chemin en
proposant chaque mois une province dif-
férente. Rien n’est organisé par l’équipe
soignante. On accompagne ce qui émerge
et si c’est le rien, le vide, on l’accom-
pagne aussi. S’il n’y a pas de sortie, ce
n’est pas grave... ça laisse la possibilité de
rêver à la suivante en évitant, et ce n’est
pas toujours facile, de prendre les patients
dans nos filets de l’activisme forcené am-
biant.
En vrac pour conclure Faire et laisser être :
le Tao de l’Emmental
L’“Activisme forcené” c’est, quand on
vient des chantiers d’insertion, la philoso-
phie du « Tu fais quelque chose, donc tu
es quelqu’un » (à peine caricaturé). Or,
ici, prise de conscience : avant de faire, il
faut être, et il y a des personnes qui ont
“un mal fou” à être, à exister.
Or, faire peut aussi amener à découvrir
qui l’on est.
Mais des patients témoignent du vide qui
les “empêche d’être” : intérieur ou exté-
rieur, il traduit un grand manque de désir,
de motivation, comme de contacts so-
ciaux ou repères extérieurs...
Ce vide qu’ils fuient. Ils cherchent une ré-
ponse au Wops, ils cherchent au premier
plan un “remplissage” de ce vide.
Quand l’absence et le manque sont si mas-
sifs, la réponse ne doit pas être en miroir,
mais présence aérée, avec des vides
comme dans l’emmental. D’où l’autre
titre initial, « Le Saint Emmental de la
Santé Mentale ».
Car dans ce vide peut opérer la part du pa-
tient, son être sujet, être acteur. On ne peut
pas lui confisquer cette place, cette res-
ponsabilité.
Nous pouvons aider à border le vide,
comme les collègues mais aussi dévelop-
per la perception de quand les patients le
font tout seuls. Ils matérialisent pour ainsi
dire leurs limites face au néant, ils font
exister, même momentanément, un bord
où s’appuyer face au vide.
Image d’un ponton éphémère posé sur un
rivage marécageux : « Je n’arrive pas à
parler ». Il n’arrive pas à parler, mais il le
dit ! C’est aussi l’art de jeter des pontons,
même éphémères, sur les rivages maréca-
geux du vide.
Pour finir, comment travailler avec ces
“bordures” en équipe ?
Le non-manifeste est par définition une
affaire délicate, si bien illustré par le
poème de Rilke « Ich fürchte mich so vor
der Menschen Wort » (« Je crains tant la
parole des hommes »).
Extraire un creux d’un Emmental et se le
passer, revient à travailler avec des bulles
de savon, à les déplacer en délicatesse, y
toucher c’est les casser, donc apprendre à
se les passer “sans y toucher”. En équipe,
sans tapage, nous bordons les absences et
donc le manque, c’est notre manière d’uti-
liser de manière consciente le “Bonjour”
et le “Au revoir”, ponctuant nos pré-
sences/absences.
« Le travail en équipe, c’est simple
comme Bonjour ! »
Enfin, nous avons vu avec un certain éton-
nement que les mêmes observations ou
idées que nous élaborions en équipe trou-
vaient une formulation assez précise dans
la pensée taoïste.
Le manifesté et le non manifesté, l’exis-
tant et le possible, se conditionnent mu-
tuellement.
Dans cette lecture, le clivage entre « faire
ou laisser être » n’est plus une ligne qui
traverse l’équipe, mais une polarité que
chaque travailleur peut expérimenter et
porter à tout moment.
Notre activité crée un cadre, comme une
porte ou une fenêtre ont un cadre, mais
pour qu’elles fonctionnent, pour que ren-
contre, dialogue, passage ont lieu, la porte
et la fenêtre sont pleins de... vide !
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 112
Le PRACS
Le PRACS est destiné à aider les per-
sonnes souffrant de troubles schizophré-
niques à trouver des solutions concrètes
aux problèmes de la vie quotidienne, à les
amener à un niveau d’autonomie sociale
satisfaisant [3]. Le but est d’améliorer la
qualité de vie, les relations, la vie sociale.
Son intérêt porte sur le lien qui existe
entre ce qui est travaillé en séances théra-
peutiques et la vie au quotidien, ce qui
renforce l’estime de soi et le sentiment de
responsabilité. Il s’adresse en priorité à
des patients souffrant de schizophrénie
présentant une symptomatologie stabili-
sée, certaines équipes le proposent à
d’autres patients ayant des troubles psy-
chiatriques. A l’issue d’une présentation,
à un groupe assez nombreux de patients
relativement stabilisés suivi en CATTP
ou Hôpital de jour, axée sur le quotidien
de la personne, il est demandé à un groupe
de 5 à 10 patients de se déterminer pour
s’engager dans ce module. Un des préa-
lables est la capacité à interagir en petit
groupe, à soutenir son attention et sa mo-
tivation.
Les quatre domaines de compétence sociale travaillés
Le PRACS aide les personnes à repérer,
dans certains domaines de leur vie quoti-
dienne, ce qui ne les satisfait pas et qui fait
obstacle à leur autonomie [4]. Ainsi, il
s’agit de repérer les besoins et les difficul-
tés auxquels ils peuvent être confrontés
dans quatre domaines de compétence so-
ciale spécifiques, puis d’élaborer des so-
lutions efficaces permettant de les sur-
monter. Le PRACS s’articule autour de
quatre domaines de compétences so-
ciales :
- Gérer son argent
Ce domaine vise à apprendre aux partici-
pants à gérer un budget, à avoir de meil-
leures notions du coût de la vie, à aug-
menter leurs connaissances sur leurs
droits et devoirs financiers. Des rensei-
gnements quant aux documents adminis-
tratifs (technique d’archivage, durée de
conservation des différents documents,
...) sont également dispensés.
- Gérer son temps
Ce domaine vise à apprendre aux partici-
pants à mieux gérer leur temps au quoti-
dien. L’objectif est de leur faire prendre
conscience de certains déséquilibres (pé-
riodes de creux, d’ennui) pouvant appa-
raître dans leurs journées et de certains
impératifs à respecter (être à l’heure aux
rendez-vous, payer ses factures dans les
délais, ...)
- Développer ses capacités de communi-
cation et ses loisirs.
Ce troisième domaine vise à renforcer
les habilités sociales et relationnelles des
participants, à leur proposer un cadre
pour mettre en place des sorties sans l’in-
tervention du personnel soignant ou thé-
rapeutique, à les amener à s’inscrire dans
une activité enrichissante sur le plan per-
sonnel et à orienter certains d’entre eux
(ceux pour lesquels cela est possible et
souhaitable) en dehors du milieu psy-
chiatrique.
- Améliorer sa présentation
Ce domaine vise à apprendre aux partici-
pants à améliorer leur présentation. Le
travail est axé sur l’hygiène, la tenue ves-
timentaire et la posture. En effet, la stig-
matisation de la maladie passe, entre
autres, par l’image que l’on renvoie aux
autres. Cette stigmatisation « surajou-
tée » est un obstacle de plus à franchir en
termes de réhabilitation psychosociale.
Il s’agit d’un programme créé par l’équipe marseillaise du Pr Lançon qui aborde plusieurs domaines très pragmatiques du quotidien. PRACS permet d’évoquer des thèmes très variés au travers de 4 modules : gérer son argent, gérer son temps, développer des capacités de communication et de loisirs et enfin améliorer sa présentation qui permet d’accéder à la question de l’hygiène. Ce programme se déroule sur 4 mois, 1 mois par thème, chaque thème est abordé par une alternance entre des séances collectives avec un support pédagogique et ludique et les séances individuelles avec le référent. Les séances individuelles permettent de suivre la progression chaque semaine dans le thème et de faire un parallèle direct avec le quotidien du patient. Des objectifs particuliers et concrets sont ainsi mis en place. C’est un accompagnement individualisé pour mettre en place les propres objectifs du patient dans chacun des domaines afin d’améliorer sa qualité de vie.
Mots-clefs : réhabilitation, psycho-éducation, patients en ambulatoire, hôpital de jour, psychose, difficultés au quotidien, hygiène des patients, objectifs et accompagnements individualisés, troubles schizophréniques
Strengthening Program Autonomy and Social Skills (PRACS) An original module psychotics patients at the Day Hospital of Caen North sector
The “PRACS” program is a rehabilitation training to enhance autonomy and social relationship. The French psychiatric unit in Marseille elaborated this program in order to take into account several very pragmatic aspects of outpatients ‘daily activities. “PRACS” is consisted of four parts: let’s talk about money; about time organization; how to develop abilities of communication and hobbies; how to improve his presentation, this part allowing to approach hygiene. The “PRACS” works through four months, one theme by month. For each part, collective time using a pedagogic and attractive support alternates with individual work with a referent care professional. This individual work allows to evaluate every week the patient’s progression on each theme and to build a really personal response, close to the patient’s real lifetime. Pragmatic and personal goals are defined on the base of discussion between each patient and his referent. This individual care is very helpful for outpatients to organize their own and useful purposes in order to reach a better global quality of life.
Keywords: rehabilitation, psycho-educational program, outpatients, individual purposes and individual care, daily difficulties, hygiene, schizophrenia
Programme de Renforcement de l’Autonomie et des Capacités Sociales (PRACS)
Un module original pour patients psychotiques à l’Hôpital de jour du secteur Caen Nord
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 113
Ce domaine permet aux participants de
réfléchir sur les codes sociaux liés à la
“présentation” et sur la nécessité d’adap-
ter cette dernière aux circonstances de la
vie.
Le PRACS doit permettre aux partici-
pants de gagner en autonomie à l’intérieur
de chacun de ces quatre domaines de com-
pétence. L’objectif est de leur faire pren-
dre conscience que certaines améliora-
tions sont possibles dans la gestion de leur
argent, de leur temps, dans leurs activités
de loisirs et capacités de communication
et dans leur présentation.
Un des intérêts du PRACS est que c’est
un programme basé sur une psycho-édu-
cation de groupe (où l’on recueille des in-
formations et où on fait l’apprentissage de
nouveaux savoir-faire) [5] et sur une prise
en charge individuelle (où l’on travaille
des objectifs personnels à chacun des par-
ticipants, prenant en compte les possibili-
tés et les envies des personnes) ce qui ren-
force l’alliance thérapeutique [2].
Déroulement
Les quatre domaines de compétences sont
travaillés en individuel avec, pour chaque
participant, des objectifs personnels à at-
teindre et en groupe selon plusieurs tech-
niques d’apprentissage (résolution de pro-
blèmes, jeux de rôle, prescription de
tâches hors séance...).
Les groupes, de 5 à 10 participants, sont
animés par deux animateurs qui se parta-
gent à tour de rôle la fonction d’animateur
et de co-animateur. L’animateur est celui
qui anime la séance et qui doit favoriser
les échanges, l’interactivité, l’entraide et
la convivialité au sein du groupe. Le co-
animateur a un rôle de soutien auprès de
l’animateur et n’intervient pas (ou très
peu) verbalement lors de la séance. Il doit
écrire sur le tableau les points importants
signalés par l’animateur et être proche des
participants.
Un support d’animation, le Manuel de
l’animateur fourni lors de la formation
par l’équipe du Pr Lançon, est destiné aux
deux animateurs et sert de guide pour le
déroulement de chaque séance.
Le PRACS est composé d’une trentaine
de séances. A raison de deux par semaine
(une séance de groupe et une séance indi-
viduelle), il s’étend sur 3 à 4 mois. La du-
rée des rencontres est de 2 heures pour les
séances de groupe et d’une ½ heure pour
la séance individuelle. Sont également
prévues, à la fin du module, des séances
de rappel à raison d’une rencontre en
groupe tous les 6 mois pendant 2 ans.
Le contenu de chaque domaine de compé-
tence se déroule selon le même principe
sur un mois. Lors d’une première séance,
les participants sont reçus par un des deux
animateurs en individuel pour identifier,
par le biais de questions prédéfinies, les
acquis et les déficits (selon le domaine de
compétence travaillé), les objectifs, obs-
tacles et solutions à envisager [1]. Puis al-
ternent 5 à 6 séances : en groupe (un par
semaine environ) et en individuel (entre
les séances de groupe) effectuées sur un
mois.
Les séances de groupe permettent aux
participants d’acquérir des savoir-faire
par le biais des techniques d’apprentis-
sage telles que les jeux de rôle, les tâches
hors groupe qu’un certain nombre d’in-
formations utiles. Il est possible de discu-
ter à bâtons rompus des différents sujets
abordés.
Les séances individuelles permettent aux
participants de travailler leurs objectifs
personnels à partir de tout ce qu’ils ont pu
retirer des séances de groupe et des acti-
vités effectuées. On peut définir un ou
plusieurs objectifs par participant pour
chacun des domaines de compétences
abordés [1]. Lors de ces séances, il est
possible de revenir sur les difficultés ren-
contrées au cours des séances précé-
dentes.
C’est le même animateur qui suit en indi-
viduel les participants qu’il a reçus lors de
la première séance d’entretien, tout au
long du domaine de compétence. Les ob-
jectifs fixés doivent être établis en fonc-
tion du niveau de chacun des participants
et doivent être réalisables. Il est clair que
ce n’est pas en quatre séances que l’on
trouve des solutions miracles. Un patient
sous curatelle ne deviendra pas autonome
financièrement après avoir suivi le
PRACS, mais pourra par exemple avoir
de meilleures notions du coût de la vie,
avoir une meilleure connaissance de ses
ressources et de ses dépenses, même si
elles sont gérées par le mandataire de la
mesure de protection.
Domaine 1 : gestion de l’argent
Le but est d’améliorer ses connaissances
et sa gestion du budget, d’améliorer ses
notions de coût de la vie et d’améliorer ses
connaissances sur les droits et devoirs ad-
ministratifs.
- 1ère séance groupe : jeu « gestion du
budget » : savoir gérer entrées/dé-
penses/épargne et faire des choix en
fonction des objectifs d’une personne
fictive : cela permet de mettre en évi-
dence certaines difficultés (capacité à
économiser ? S’accorder des plaisirs ?
Équilibrer le budget ?).
- 2ème séance groupe : 4 tableaux pour gé-
rer le budget : savoir utiliser les 4 ta-
bleaux (ressources ; charges fixes ; dé-
penses courantes ; épargne) pour la tenue
mensuelle du budget d’une personne fic-
tive.
- 3ème séance groupe : informations ad-
ministratives ; organisation documents :
rôle de l’assistant social qui intervient en
séance et explique les domaines où il
peut intervenir et répond aux différentes
questions des personnes ; enfin entraîne-
ment archivage documents administra-
tifs.
- 4ème séance groupe : technique de réso-
lution de problème : présentation de la
technique et application à une personne
fictive.
Les séances individuelles s’intercalent
entre les séances de groupe.
La première séance individuelle se fait
grâce à un questionnaire sur la gestion de
son budget : géré par qui ? Ressources ?
Charges fixes ? Dépenses courantes ? Dé-
penses loisirs ? Tabac ? Équilibre bud-
get ? Épargne ? Difficultés ? Gestion pa-
piers administratifs ?
L’objectif est d’acquérir les connais-
sances sur son budget, identifier les com-
pétences et les difficultés, les objectifs à
envisager. Il peut déboucher sur une ren-
contre, la séance suivante, avec la per-
sonne qui aide à gérer le budget. Une
tâche supplémentaire peut être proposée,
comme noter les dépenses sur 1 semaine.
La deuxième séance permet l’identifica-
tion des objectifs personnels et de la
marche à suivre pour les réaliser avec
l’utilisation des 4 tableaux pour gérer son
budget. Lors de la troisième séance indi-
viduelle il est effectué un retour sur les
objectifs personnels : sont-ils atteints ?
Quelles difficultés persistent ? Qui peut
éventuellement aider ?
Le domaine sur l’argent est un module
bien investi par les participants car il les
rend acteurs, même pour les personnes
sous mesure de protection. De plus ils
soulignent qu’il leur donne une meilleure
perception de leur budget ; une meilleure
évaluation de leurs dépenses courantes ;
une prise de conscience des choix dans
l’établissement d’un budget ; la notion
pour certains de “s’autoriser” à dépenser,
se faire plaisir ; pour d’autres de se cons-
tituer une épargne en modifiant leur con-
sommation de tabac par exemple ; fait
émerger l’idée d’un rendez-vous plus ap-
profondi avec l’assistant social. Pour cer-
tains patients ce module a été le déclen-
cheur pour rendre possible des projets
comme des vacances, un séjour de voile
pour lequel il fallait économiser sur toute
une année. Il est important de réaliser ce
domaine en premier car les domaines 2 et
3 (gestion du temps, des loisirs) en dépen-
dent pour s’adapter au contexte de réalité.
Ce qui reste difficile pour certains est la
réappropriation de la technique de résolu-
tion de problèmes et la gestion des docu-
ments administratifs [4].
Domaine 2 : gestion du temps
Il s’organise comme suit avec l’alternance
des séances :
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 114
LES AUTEURS
Aurélie MONTAGNE LARMURIER praticien hospitalier, psychiatre référente de l’hôpi-tal de jour Leila VARGAS infirmière Fabienne VRINAT ergothérapeute
Centre Accueil MedicoPsychologique d’Hérouville Saint Clair Centre Esquirol, service de Psychiatrie Adulte du CHU de Caen avenue de la Côte de nacre 14033 Caen cedex France
BIBLIOGRAPHIE
1. COTTRAUX J. (2011), Les thérapies cogni-tives et comportementales, Masson, 5ème ed. : Pa-ris, 384 pages.
2. CUNGI Ch., COTTAUX J. (2006), L’alliance thérapeutique, Retz : Paris, 286 pages.
3. HERVIEUX C., GENDRON A.-M., LANCON C., MARTANO B., UMIDO G. (2007), Un nou-veau programme psycho-éducatif de Renforce-ment de l’Autonomie et des Capacités Sociales (PRACS), L’Information Psychiatrique, 83 (4) : p 277-283.
4. LIBERMAN R. P. (1991), Réhabilitation psy-chiatrique des malades mentaux chroniques, Masson : Paris.
5. SIMONET M., BRAZO P. (2004), Modèle co-gnitivo-comportemental de la schizophrénie, EMC Psychiatry, art. 37-290-A-10 :1-19
- Séance 1 de groupe avec l’introduction
du thème et des jeux de questions/ré-
ponses autour de « c’est quoi gérer son
temps ? Quelles sont les différentes acti-
vités d’une journée ? » puis faire l’em-
ploi du temps d’une personne fictive en
groupe. Une tâche est à réaliser à l’issue
de cette première étape : remplir le même
tableau avec leur emploi du temps per-
sonnel.
- Séance 2 en individuel autour d’un
questionnaire personnel sur la gestion du
temps
- Séance 3 en groupe centrée sur l’utili-
sation de l’agenda et un jeu fictif avec
une liste de courses à faire dans diffé-
rents lieux, dans un temps limité, en uti-
lisant le plan de la ville pour s’organiser.
A domicile, les personnes doivent rem-
plir leur agenda pour les 15 jours à venir.
- Séance 4 en individuel qui sert à déter-
miner un à deux objectifs puis les dé-
marches à faire pour réaliser son objec-
tif.
- Les séances 5 et 6 en groupe sont des
mises en situation : emploi du temps fic-
tif à réaliser, avec l’itinéraire pour se
rendre aux lieux de rendez-vous pour
préparer le voyage d’un cousin. Chaque
petit groupe de 2 à 4 patients présente ses
solutions.
- Séance 7 individuelle qui permet un re-
tour sur les objectifs personnels et bilan
de ce domaine.
Domaine 3 : développer des capacités de loisirs et de communication
Pratiquer une activité de loisirs permet de
lutter contre le repli sur soi, l’isolement et
le manque de communication. Une acti-
vité enrichissante sur le plan personnel
permet de renforcer l’estime de soi et ré-
activer une motivation souvent éteinte du
fait de la maladie [5]. Les objectifs de ce
domaine sont de renforcer les habiletés re-
lationnelles et sociales pour s’inscrire
dans une activité de loisirs. On travaille à
l’aide de jeux de rôles filmés, autour de
l’organisation d’une sortie et sa réalisa-
tion dans le groupe PRACS.
- La 1ère séance groupe redonne les bases
de la communication et propose un jeu
de rôle (faire une demande/ un refus/une
critique...) en fonction de la probléma-
tique principale du groupe.
- La séance 2 individuelle propose un
questionnaire sur les satisfactions/insa-
tisfactions dans le domaine de la com-
munication, de la vie sociale et des acti-
vités de loisirs (TV ? Radio ? Lecture ?
Musique ? Lieux fréquentés ? Intérêt et
difficultés à pratiquer une activité de loi-
sirs ? Difficulté de communication ?).
- La séance 3 groupe a pour but de : dé-
velopper des aptitudes au choix et à la
mise en place d’une activité de loisirs. Il
est proposé de lister les activités de loi-
sirs puis les catégoriser (artistiques,
sportives, culturelles, bénévolat, ...), puis
de noter les avantages/inconvénients des
activités et enfin les démarches néces-
saires pour s’y inscrire. Le groupe s’im-
plique dans un jeu de rôle filmé autour
d’une activité de loisirs de groupe et cha-
cun s’entraîne à se présenter.
- Séance 4 individuelle qui cible l’intérêt
à pratiquer 1 à 3 activités de loisirs, la
motivation et les avantages/inconvé-
nients.
- Séances 5 et 6 en groupe qui analysent
des jeux de rôle et proposent un entraî-
nement aux situations de groupe dans les
loisirs avec, comme mise en situation,
une discussion pour organiser une sortie
en groupe et de faire la sortie prévue hors
séance. Il est proposé également d’invi-
ter des amis dans le groupe et de cons-
truire un projet de sortie.
- Séance individuelle 7 qui permet de re-
venir sur le vécu de l’activité de groupe,
l’activité choisie, les acquis du partici-
pant et son inscription à une activité de
loisirs.
Ce domaine reste difficile dans la mise en
application dans la vie courante, car c’est
un domaine qui met en jeu les capacités
relationnelles, organisationnelles. L’im-
plication dans les jeux de rôles et l’accep-
tation de la caméra peut être compliquée
pour certains. Un autre point difficile est
de faire une demande pour inviter
quelqu’un à une séance, de réussir à inte-
ragir en groupe, savoir se présenter en te-
nant compte du contexte et de s’organiser
concrètement pour mettre en place une
sortie. Ce domaine permet de commencer
à faire les démarches pour mettre en place
une activité de loisirs, mais les maintenir
sur le court/moyen terme restent diffi-
ciles. Ces aspects restent à travailler en
dehors du module et nécessitent pour cer-
tains la poursuite d’un accompagnement
individuel.
Domaine 4 : améliorer sa présentation
- Séance 1 de groupe autour d’un jeu
questions/ réponses « Améliorer sa pré-
sentation c’est quoi ? A quoi ça sert ? Ça
signifie quoi une présentation correcte ?
Qu’est ce qui détermine l’idée qu’on se
fait de quelqu’un ? » et réflexions autour
d’adapter l’apparence aux circonstances
afin de préparer la dernière séance de
groupe.
- Séance 2 individuelle qui aborde l’hy-
giène personnelle au travers d’un ques-
tionnaire sur la présentation globale et
sur les actions quotidiennes d’hygiène
des différentes parties du corps.
- Séance 3 de groupe qui reprend les
règles d’hygiène corporelle (vu en indi-
Programme de Renforcement de l’Autonomie et des Capacités Sociales (PRACS)
Un module original pour patients psychotiques à l’Hôpital de jour du secteur Caen Nord
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 115
viduel) ; les règles d’hygiène alimen-
taire, avec un jeu sur les aliments et
l’équilibre alimentaire, composer un dé-
jeuner fictif et un calcul de l’IMC1.
- Séance 4 individuelle qui travaille sur
l’hygiène corporelle, alimentaire, mé-
nage-santé : points forts?/points faibles ?
Pour en faire découler des objectifs per-
sonnels identifiés par la personne.
- Séance 5 de groupe qui retrace les
règles d’entretien de sa maison (salle de
bain, WC, cuisine, lit...) et aussi une édu-
cation à la santé globale mais précise :
suivi médical (médecin traitant, dermato,
gyneco, dentiste, ophtalmo ...), activité
physique, tabac et alcool avec un ques-
tionnaire d’auto-évaluation consomma-
tion alcool/tabac/cannabis.
- Séance 6 de groupe dont le but est
d’adapter sa présentation aux circons-
tances et de la mettre en pratique grâce à
des scénarii où chacun vient avec la te-
nue adaptée.
- Séance 7 individuelle qui fait le bilan et
revient sur les objectifs personnels de ce
domaine et de l’ensemble du PRACS.
Les bilans en groupe à la fin, à 6 mois et
1 an, ont pour but de valoriser les ouver-
tures qu’ont apporté le PRACS, de conti-
nuer de garder des objectifs au quotidien
et de les consolider.
Retour d’expériences et impact sur le quotidien des patients
Les expériences cliniques de deux
groupes sur 4 mois ont été très riches pour
les patients et pour les soignants. Le vécu
est souvent dit “dense” pour les patients
mais reconnu utile. Les domaines sont ré-
ellement interdépendants et confèrent une
cohérence à l’ensemble, très aidant pour
les patients. Les objectifs personnels des
personnes évoluent au cours des 4 mois
pour chacun, avec des bénéfices parfois
très à distance pour certains plus d’un 1 an
après comme si le PRACS permettait le
travail préparatoire, la gestation d’un em-
bryon de projet comme celui de partir un
jour en vacances quand cela fait des an-
nées que la personne se dit que c’est im-
possible ; ou encore une amorce pour aller
vers un rendez-vous en tabacologie avec
comme motivation initiale le budget.
D’autres ont beaucoup plus facilement ac-
cepté suite à ce module la mise en route
d’une aide-ménagère.
Le PRACS a l’art d’aborder de façon
simple et rassurante via le groupe, des su-
jets “complexes” du point de vue du soi-
gnant qui hésite parfois, de peur de trop
confronter la personne à ses difficultés ou
d’être trop intrusif.
Le PRACS est un outil “facilitateur” et
qui demande aussi de travailler en parte-
nariat avec les différents intervenants
dans la prise en charge auprès du patient
afin de poursuivre la réalisation pas à pas
de petits objectifs de réhabilitation sur le
moyen terme et le long terme.
Les quatre domaines du PRACS travaillés
ont pour but d’avoir une influence sur la
qualité de vie des participants à différents
niveaux :
- Le domaine 1 permet d’être plus indé-
pendant au niveau économique, ce qui
peut amoindrir les tensions familiales et
permet de mieux s’organiser pour effec-
tuer certains achats ou projets (voyages,
sorties, appartement...).
- Le domaine 2 améliore le rythme des
participants en diminuant les périodes
d’ennui et en structurant la journée en
différentes périodes.
- Le domaine 3 développe le réseau rela-
tionnel et les activités des participants, et
prend en considération ses difficultés
d’initiative et de maintien d’un engage-
ment dans un groupe lié aux soins et/ou
dans une association en milieu ordinaire,
palier souvent difficile à franchir. Un tra-
vail motivationnel est réalisé.
- Le domaine 4 favorise l’approche de
l’hygiène de façon relativement simple
et non stigmatisante pour les per-
sonnes. Ce domaine permet de mobiliser
le patient autour du soin global de sa per-
sonne au niveau santé (domaines sou-
vent laissés de côté et pourtant si impor-
tants : dentaire, ophtalmologique, car-
diologique, effets d’éventuelles addic-
tions).
Tout cela contribue à améliorer diffé-
rentes dimensions de la qualité de vie :
l’autonomie, les relations sociales, le
bien-être physique et potentiellement psy-
chologique, ainsi que l’estime de soi.
Conclusions
Un des aspects novateurs et stimulant est
l’alternance des séances de groupe et in-
dividuelles qui permet d’essayer de tou-
cher du doigt cette généralisation des
“compétences” acquises en module ou en
atelier thérapeutique qui reste si difficile
dans le soin au patient psychotique.
Ce programme de psychoéducation a été
apprécié par les groupes de patients qui y
ont participé du fait qu’il s’intéresse à la
partie “non malade” des personnes, pro-
gramme qui fait le pont entre la psychia-
trie et le quotidien ; un carrefour entre
psychoéducation, éducation thérapeu-
tique centrée sur les besoins et difficultés
des personnes, et réhabilitation pragma-
tique du quotidien en intégrant les outils
et techniques de remédiation.
1 Indice de Masse Corporelle
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 116
Introduction
Après plusieurs années d’évolution du
projet de soin de la ferme, nous avons
voulu partager notre pratique à propos de
cet outil atypique.
Les usagers de l’hôpital de jour viennent
avec cette idée d’évaluation de leurs com-
pétences et pour certains d’entre eux l’en-
vie de réintégrer un travail.
Ainsi, afin de répondre à cette demande
nous avons modifié les objectifs du projet
de soin de la structure et fait évoluer nos
médiations en collaboration avec les usa-
gers.
Après avoir retracé l’histoire et l’évolu-
tion de la ferme thérapeutique, nous illus-
trerons par une vignette clinique le par-
cours de l’usager afin de mieux com-
prendre notre prise en charge actuelle.
La ferme thérapeutique de la naissance à aujourd’hui
Un peu d’histoire
La « ferme de May » est une structure en
milieu rural située à une quinzaine de ki-
lomètres de Caen. Elle est desservie par
les Bus verts qui sont les bus départemen-
taux.
Le projet de départ a été initié par des
équipes hospitalières qui se rendaient
avec des patients hospitalisés sur la ferme
de May. Ces prises en charge s’organi-
saient avec des membres de l’équipe dis-
ponibles selon le planning.
Le but principal était de limiter la chroni-
cisation, d’évaluer et mettre en place des
projets de soin afin de sortir les patients
d’hospitalisation.
En septembre 1991, cette structure de-
vient administrativement un Hôpital de
Jour avec un élargissement des prises en
charge à des patients hospitalisés ou à do-
micile.
Pendant ces 15 dernières années, la ferme
s’est ouverte à d’autres secteurs psychia-
triques pour devenir une structure inter-
sectorielle.
Les objectifs de prise en charge s’orien-
tent vers une préparation aux structures
appelées à l’époque CAT (Centres d’Aide
par le Travail) ce qui implique :
- d’une part, des prises en charge plus
précoces dans la maladie avec un rajeu-
nissement des patients présents en soin à
la ferme ;
- d’autre part, une temporalité adaptée
avec la notion de synthèse tous les six
mois donnant une notion de début et de
fin aux prises en charge et la précision
des objectifs de soin du patient.
Evolution du projet de soin
Elle s’est faite autour de plusieurs axes et
de manière concomitante, nous essayons
tout de même de la chronologiser ainsi.
Tout d’abord en lien avec la loi n°2002-
303 du 4 mars 2002 relative aux droits des
malades et à la qualité du système de santé
[1] qui indique que « toute personne a le
droit d’être informée sur son état de
santé » et où la place centrale du patient
dans le soin est repositionnée. Mais aussi
en lien avec la loi n° 2009-879 HPST du
La Ferme Thérapeutique de May sur Orne, une structure extra hospitalière de l’EPSM de Caen (14 Calvados), est depuis maintenant 26 ans un lieu de soin pour les personnes souffrant d’une maladie mentale. Pendant ce temps, le projet thérapeutique de la structure s’est naturellement enrichi, en fonction des besoins de la population prise en charge. D’un projet initialement teinté de psychothérapie institutionnelle, il nous semblait pertinent d’intégrer des outils afin de mieux travailler autour des compétences sociales des patients. Ainsi, tout en gardant nos médiations rurales, nous prenons également en compte les troubles cognitifs et la symptomatologie résiduelle. Comment à travers les objectifs du projet de soin individualisé, la malléabilité du cadre thérapeutique et les moyens proposés tentons nous de nous inscrire dans cette réha-bilitation, tant dans un but de réadaptation que de réinsertion ? De la même façon, la place de la structure qui initialement permettait aux patients de sortir de l’institution évolue comme un tremplin vers l’insertion. Pour une structure intersectorielle, comment réinterroger nos liens avec les structures et les établissements qui nous sollicitent ? Comment communiquer auprès d’eux ? Qui plus est, nous devons redéfinir nos attentes et les liens avec les structures d’aval. Quels sont les attentes et les besoins des patients que nous suivons ? Enfin, en fonction du contexte général, quelles sont les perspectives d’avenir d’un tel outil au regard de la pertinence de l’offre et de la situation des hôpitaux ? C’est sur ces questions que l’équipe souhaite échanger et communiquer lors des ateliers en table ronde.
Mots-clefs : ferme thérapeutique, hôpital de jour, information du patient, éducation thérapeutique, projet de vie, évaluation, réhabilitation psychosociale, schizophrénie
The therapeutic farm in May sur Orne: cohabitation of institutional psychiatry and psychosocial rehabilitation principles
May sur Orne’s Farm Therapeutic, which is an extra-hospital structure of the EPSM Caen (Calvados 14) is fore 26 years a place of care for people with mental illness. During this time, the treatment plan of the structure was enriched. He said to the needs of the care population. From an initially tinged institutional psychotherapy project, it seemed appropriate to integrate tools to better work around social skills of patients. Thus, while keeping our rural mediations, we also take into account the cognitive and residual symptomatology. How goals through individualized care project, the malleability of the therapeutic framework and the proposed means we are trying to register us in this rehabilitation as a rehabilitation goal of reintegration? Also, instead of the structure which initially allows patients to leave the institution operates as a springboard to insertion. For an intersectoral structure, how to re-examine our relationship with the structures and institutions that solicit us? How to communicate with them? Moreover, we need to redefine our expectations and links with downstream structures. What are the expectations and needs of the patients that we follow? Finally, depending on the context, what are the prospects of such a tool in relation to the relevance of the offer, and the situation of hospitals? It is on these issues that the team wishes to exchange and communicate during workshops roundtable.
Keywords: therapeutic farm, day hospital, patient information, patient education, life project, assessment, psychosocial rehabil-itation, schizophrenia
La ferme thérapeutique de May sur Orne : cohabitation d’une psychiatrie institutionnelle et des principes de réhabilitation
psychosociale
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 117
21 juillet 2009 [2] qui introduit l’Educa-
tion Thérapeutique du Patient (ETP) par
l’article 84 qui « a pour objectif de rendre
le patient plus autonome en facilitant son
adhésion aux traitements prescrits et en
améliorant sa qualité de vie ».
Il est apparu important de tenir compte du
projet de vie et de soin du patient, de ses
demandes et besoins pour adapter et amé-
liorer la prise en charge en fonction des
attentes du patient.
Nous avons repensé les objectifs du jardin
qui, au départ, était un jardin productif
avec de grandes bandes de terre cultivées
de façon intensive. Les usagers trouvaient
ce travail pénible entraînant une perte de
la motivation. Les soignants n’y trou-
vaient pas d’objectifs thérapeutiques pour
faire avancer les patients dans leur projet
individuel.
Ainsi après une formation d’hortithérapie,
le jardin évolue. Nous redessinons des pe-
tits carrés de terre moins pénibles à entre-
tenir. Nous nous servons du jardin pour
développer la sensorialité et le plaisir de
faire en proposant différentes techniques
de jardinage et en s’adaptant au rythme du
patient [3+5].
Un autre domaine à prendre en compte :
les troubles cognitifs des usagers souf-
frant de psychose majoritaires dans le pu-
blic pris en charge.
Il est démontré que 70% des personnes
souffrant de schizophrénie présentent un
déficit cognitif [6]. Plus précisément des
troubles de l’attention, de l’apprentissage,
de la mémoire, de la résolution de pro-
blème, du langage et des facultés sensori-
motrices [7].
A partir de plusieurs rencontres organi-
sées par le cadre avec l’équipe avec un
psychiatre rompu à la prise en compte des
troubles cognitifs, nous avons pu mieux
comprendre l’impact des troubles cogni-
tifs dans la vie quotidienne, l’insertion
professionnelle et le fonctionnement so-
cial du patient [8].
Le but à ce moment était d’essayer d’inté-
grer cette notion de troubles cognitifs
dans la présentation des ateliers et dans
l’organisation du service.
Nous avons ainsi développé notre intérêt
pour la psycho-éducation et la remédia-
tion cognitive, deux approches de la réha-
bilitation psychosociale que nous avons
développées, au travers de médiations par
des aides cognitives, une mise en lien des
difficultés avec les symptômes de la per-
sonne et une prise en compte des diffé-
rentes aides pour que le patient puisse les
intégrer dans sa vie quotidienne [9, 10, 11,
12].
En intégrant la réhabilitation psychoso-
ciale [13, 14, 15] en utilisant, d’une part,
ses treize grands principes [4].La réhabi-
litation psychosociale pouvant se définir
d’une manière générale comme l’en-
semble des actions mises en œuvre auprès
des personnes souffrant de troubles psy-
chiques au sein d’un processus visant à fa-
voriser leur autonomie et leur indépen-
dance dans la communauté [16].
Nous avons tout d’abord créé une grille
d’évaluation qui nous semblait pertinente
par rapport à nos ateliers. Celle-ci quanti-
fie les habiletés du patient observables en
médiation. Nous les avons classées en
trois catégories principales : les habiletés
cognitives sur les cognitions froides, les
habiletés de vie sociale et les habiletés de
vie quotidienne (10+13+14+15+16 et An-
nexe 1].
Cette évaluation est faite toutes les six à
huit semaines.
Nous utilisons également une évaluation
cognitive, l’évaluation neurocognitive ra-
pide pour la schizophrénie et troubles ap-
parentés (ENRS) [17] et une auto-évalua-
tion de l’autonomie sociale créée par deux
ergothérapeutes |18 et Annexe 2]. Elles
sont reconduites tous les ans.
Ces évaluations nous permettent de met-
tre en lumière les difficultés réelles du pa-
tient nous donnant les axes thérapeutiques
à travailler avec la personne et réajuster
ces axes tout au long de la prise en charge.
Nous avons donc en parallèle réajusté la
portée thérapeutique de nos médiations en
y ajoutant des objectifs de réadaptation et
de réinsertion.
En intégrant tout l’apport théorique dé-
taillé au préalable et en s’appuyant sur les
items de nos différentes évaluations.
Nous nous sommes appuyés sur des tech-
niques pour les médiations qui sont struc-
turantes, de réhabilitation professionnelle
et d’activité de vie quotidienne [19].
Une des dernières démarches a été de ren-
contrer les différents ESAT de notre ag-
glomération pour faire du lien et essayer
d’ouvrir des perspectives lorsque les pa-
tients semblent prêts à expérimenter le
monde du travail.
Ainsi nous pouvons avancer que, depuis
le début, il y a un axe de réhabilitation dé-
veloppé toutes ces années aboutissant à
une véritable inscription dans ce concept.
Néanmoins, la réflexion analytique de la
médiation demeure et nous tâchons de
faire cohabiter les deux approches
Composition de l’équipe
En 1991, l’équipe était composée de 7 in-
firmiers, puis de 5 infirmiers et 2 aides-
soignants.
A ce jour l’équipe est composée d’un mé-
decin psychiatre, de 4 infirmiers, 1 aide-
soignante, 1 cadre à mi-temps, un
LES AUTEURS
Arnaud DUMOULIN cadre de santé Dr Julie CAUCHY médecin psychiatre Estelle LEROUX aide soignante Cécile PERRINE ergothérapeute
Ferme thérapeutique de May sur Orne EPSM Caen 4 rue de la Mine 14320 May-sur-Orne France
WEBOGRAPHIE 1. http://www.le-gifrance.gouv.fr/eli/loi/2002/3/4/MESX0100092L/jo/texte
2. http://www.le-gifrance.gouv.fr/eli/loi/2009/7/21/SASX0822640L/jo/texte
3. http://hortitherapie.avenir.overblog.com/hor-tith%C3%A9rapie-le-jardinage-%C3%A0-vis%C3%A9e-th%C3%A9rapeutique-l-hor-tith%C3%A9rapie-est-la-r%C3%A9habilitation-pratique-et-globale-de-la-personne-par-la-pr
4. http://www.club-association.ch/rehab/ar-ticle_16.htm
BIBLIOGRAPHIE
5. RICHARD D. RIBES A. (2011), Quand jardi-ner soigne, Ed Delachaux et Riestlé.
6. PALMER et al., 1997.
7. HEINRICHS & ZAKZANIS, 1998 ; SAYKIN et al., 1991,1994
8. BOWIE et al., 2008; GREEN, 1996 ; GREEN et al, 2000 ; 2004 ; MCGURK & MELTZER, 2004.
9. FAVROD, J. MAIRE, A. REXHAJ, S. NGUYEN, A. (2015), Se rétablir de la schizo-phrénie. Guide pratique pour les profession-nels, Ed Elsevier Masson SAS. Chapitre 4 : Psy-choéducation. pp.45-60.
10. FRANCK N. (2012), Remédiation cognitive, Ed Elsevier Masson.
11. FRANCK N. (2014), Cognition sociale et schizophrénie, Ed Elsevier Masson.
12. BAZIN N. (2014/2), La remédiation cogni-tive des troubles de la cognition sociale, pp.23-26. Le journal des psychologues : Schizophrénie et remédiation cognitive. n°315. Ed Martin Média
13. VIDON G. (1995), La réhabilitation psycho-sociale en psychiatrie, Ed. Frison-Roche.
14. CHAMBON O. (1992), La réadaptation so-ciale des psychotiques chroniques approche cognitivo-comportementale, Ed. Presse Univer-sitaire de France.
15. LIBERMAN R. P. (1991), Réhabilitation psy-chiatrique des malades mentaux chroniques, Ed. Masson.
16. DUPPREZ M. (2008), Réhabilitation psy-chosociale et psychothérapie institutionnelle, L’information psychiatrique. N°10. Vol. 84. pp. 907-912.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 118
BIBLIOGRAPHIE (suite)
17. BRETEL F., OPOLCYNSKI G., COGNARD C., SOYER C., BIRIEN G., BOURGEOIS V., FRANCK N., HAOUZIR S., GUILLIN O., (2010), A new neurocognitive scale for schizo-phrenia which could be used daily practice, Eu-ropean Psychiatry, Volume 25, Supplement 1, Page 1157
18. POMINI V. NEIS L. BRENNER H. HODEL B., RODER V. (1998), Thérapie psychologique des schizophrénies : Programme intégratif IPT de Brenner, Ed Mardaga.
19. PIBAROT, I. (1977). Dynamique de l’ergo-thérapie essai conceptuel.
20. LIBERMAN R. P. (1989), Entraînement aux habiletés sociales pour les patients psychia-triques, Ed Retz.
1 Direction Départementale des Affaires sa-
nitaires et Sociales
ergothérapeute à 40% et nous avons la
présence d’un psychologue une fois par
mois (2h) pour évoquer les prises en
charge plus complexes.
Les objectifs de soin en 2015
La population prise en charge suppose un
projet en deux temps :
- l’évaluation des compétences et apti-
tudes générales dans le quotidien :
- un projet de retour à l’emploi et donc
une évaluation des compétences en lien
ainsi qu’une prise en charge autour d’un
réentrainement ou d’une mise en place
de compensation des incapacités et d’un
maintien ou renforcement des capacités ;
Les objectifs de soins en lien avec le pro-
jet sont globalement :
- prévenir les rechutes en observant l’état
clinique de l’usager ;
- favoriser la mise en activité de l’usa-
ger ;
- évaluer les capacités et incapacités de
l’usager par l’intermédiaire de diffé-
rentes médiations ;
- mettre en place un projet de soin ouvert
sur des activités extérieures ;
- accompagner l’usager dans son projet ;
- favoriser la ré-autonomisation de vie
quotidienne et de vie sociale.
Avec des objectifs individualisés selon le
projet de soin de chacun des usagers.
Illustration par une vignette clinique
Anamnèse
Nicolas est âgé de 30 ans. Il est hospitalisé
pour la première fois en 2006 (21 ans)
pour angoisses majeures et consommation
de cannabis. Il est hospitalisé une deu-
xième fois en 2008 pour angoisses ma-
jeures, idées noires, idées délirantes à
thème mystique, sensation de vide inté-
rieur et repli.
Il se sent comme différent, solitaire, pré-
sente une difficulté à communiquer et dit
avoir subi du harcèlement à l’école pri-
maire par d’autres enfants puis au collège.
Il a développé une phobie scolaire avec de
multiples échecs, un parcours chaotique et
de multiples orientations.
Ses parents sont issus de la DDASS1 : son
père n’accepte pas la maladie, il est très
autoritaire, il n’a pas de gestes d’amour.
Sa mère est traitée pour un cancer du sein.
Il a une sœur dont il ne parle jamais.
Son diagnostic est celui d’une schizophré-
nie paranoïde.
Il est également affecté d’une maladie de
Verneuil (dermatologie).
Nicolas a une bonne conscience de ses
troubles et investit les différentes proposi-
2 Etablissement et Service d’Aide par le
Travail
tions thérapeutiques. Une très bonne al-
liance thérapeutique, de ce fait, et une
confiance sont instaurées.
Le travail psychothérapeutique lui a per-
mis d’accepter sa maladie et le diagnostic.
Actuellement, il vit avec son amie qui a
une obésité morbide. Nicolas s’occupe de
l’ensemble des activités de vie quoti-
dienne à domicile. Il est autonome pour
ses transports.
Il bénéficie d’un suivi au Centre Médico
Psychologique (CMP) et participe aux
ateliers créatifs au Centre d’Activité Thé-
rapeutique à Temps Partiel (CATTP)
ainsi qu’à des cours de percussions dans
une association dans son quartier.
Il a une orientation ESAT2 depuis 2013.
Suite à la porte ouverte de la ferme théra-
peutique en 2014, il est demandeur d’une
prise en charge pour se donner un rythme
de travail au quotidien ainsi qu’évaluer et
développer ses compétences en vue d’in-
tégrer un ESAT.
Début de prise en charge
Nicolas débute la prise en charge le 12 no-
vembre 2014 en intégrant le groupe du
mardi/mercredi. Après une période d’es-
sai d’environ un mois, concluante pour
Nicolas comme pour l’équipe, l’équipe
convient, en synthèse, de poursuivre cette
prise en charge.
De nouvelles synthèses sont program-
mées tous les six mois.
Les médiations
Nicolas participe aux différents ateliers :
les animaux, le jardin, le bricolage, l’ate-
lier bois, la préparation des repas.
Tous les ateliers ont des objectifs orien-
tés vers la réhabilitation : - stimuler les fonctions cognitives (atten-
tion, concentration, fonctions exécu-
tives...) ;
- développer des habiletés de vie sociale
(vie en groupe, respect des consignes et
des règles de vie...) ;
- développer les habiletés de vie quoti-
dienne (repas, déplacement...) ;
- tenter de préparer les usagers aux at-
tentes d’un ESAT (Etablissement et Ser-
vice d’Aide par le Travail).
Mais aussi des objectifs plus analytiques :
- observer la symptomatologie et détec-
ter d’éventuelles difficultés (rechute,
mauvaise observance du traitement) ;
- favoriser l’expression du ressenti de
l’usager ;
- appréhender la réalité ;
- prendre du plaisir à faire ;
- valoriser l’usager.
Voici une présentation des différents ate-
liers dans lesquels évolue Nicolas :
La ferme thérapeutique de May sur Orne : cohabitation d’une psychiatrie institutionnelle et des principes de réhabilitation
psychosociale
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 119
- l’atelier bricolage a pour objet premier
d’entretenir nos locaux. Il permet aux
patients de stimuler la résolution de pro-
blème, d’utiliser de nombreux outils et
de collaborer en équipe.
Nous utilisons des tableaux (aide cogni-
tive) pour les outils, des bacs pour la vis-
serie permettant aux usagers de se repé-
rer dans l’atelier, de répondre plus faci-
lement à une demande d’outillage et
d’être autonome dans le rangement.
Le jardin propose aux patients d’utiliser
les outils nécessaires, de s’entraîner à la
réalisation de tâches imposées et répéti-
tives (désherbage, tonte, plants…) mais
aussi de ressentir une forme de satisfac-
tion lorsque les légumes ou les fleurs
poussent. Ils peuvent acquérir les pro-
duits récoltés, qui, par ailleurs, agrémen-
tent les repas thérapeutiques (herbes aro-
matiques, légumes, confitures…)
Les ESAT ayant souvent un atelier es-
pace vert, nous invitons nos usagers à
utiliser la débroussailleuse, la tondeuse...
en vue de leur éventuelle intégration.
Les usagers peuvent également disposer
d’un carré de terre où ils font pousser ce
qu’ils veulent en autonomie complète.
- L’atelier animaux permet de s’occuper
des volailles, lapins, chèvres en respec-
tant différentes étapes (nettoyage des
poulaillers, changement de la paille, net-
toyage des bacs à eau, remplissage de
l’eau, nourrir les animaux, sortir les ani-
maux, ramasser les œufs...). Ce sont des
ateliers structurants sur le plan des fonc-
tions exécutives, chaque étape y est im-
portante et est répertoriée sur un tableau
favorisant la mise en autonomie des usa-
gers.
Les usagers sont également confrontés à
la mort, aux naissances, autant de sollici-
tations à des échanges volontiers délicats
et la possibilité de mettre en lien ces su-
jets avec la réalité du quotidien.
L’atelier bois offre la possibilité de tra-
vailler étape par étape et la résolution de
problèmes autour de la restauration de
meubles divers ou la fabrication de petits
meubles (étagères, nichoirs à oiseaux...).
C’est un travail mené en binôme avec le
patient qui permet un échange individua-
lisé. Le temps dans cet atelier n’est pas
“compté” car il n’y a pas de délai à res-
pecter contrairement aux autres ateliers.
- L’atelier cuisine est le creuset d’éva-
luation et d’amélioration des habiletés
nécessaires à confectionner un repas, à
s’organiser, à planifier, à résoudre les
difficultés rencontrées, à utiliser diffé-
rents ustensiles de cuisine... Il donne
également lieu à un accompagnement en
individuel, favorisant les échanges à par-
tir d’un objet de médiation.
Ainsi, Nicolas change régulièrement
d’atelier en fonction de ses demandes et
des évaluations que nous souhaitons ap-
profondir avec lui.
Les évaluations
L’évaluation des cognitions froides
Elle permet de quantifier la cognition
froide sur plusieurs items (mémorisation
court terme, long terme, de travail, atten-
tion, concentration...)
Elle donne un score sur 25 points.
Le score de Nicolas est de 19/25 ce qui
nous indique qu’il n’a pas de déficit ma-
jeur au niveau cognitif mais que nous pou-
vons améliorer ce score grâce à la stimu-
lation cognitive en atelier.
Une évaluation de réhabilitation psychosociale [Annexe 1]
Elle est menée par les soignants après ob-
servation de l’usager en atelier.
Elle côte trois habiletés : cognitive, de vie
sociale et de vie quotidienne.
Nous avons choisi de coter ces trois habi-
letés afin de tenir compte des troubles des
cognitions froides des usagers en atelier,
des difficultés dans l’intégration dans un
environnement et les difficultés sociales
qui en découlent [20] et les éléments de
vie quotidienne que nous pouvons évaluer
à la ferme (hygiène, déplacements, cui-
sine).
Chaque habileté est cotée sur 126 points
et chaque évaluation nous permet d’avoir
une évolution du patient sous forme de
graphique.
Pour une reprise professionnelle ce sont
les compétences de base que nous pou-
vons améliorer avec les usagers.
La cotation se fait en 0/1/2/3.
Cette évaluation se répète toutes les six à
huit semaines.
Une auto-évaluation de l’autonomie sociale
Cette auto évaluation a été conçue par
deux ergothérapeutes dans le but premier
d’harmoniser les groupes de patients par-
ticipant à l’Integrated Psychological The-
rapy (IPT) [18].
C’est le patient qui auto évalue ses capa-
cités sur un panel d’items. Cela permet de
faire des liens avec notre propre observa-
tion et la cotation à l’évaluation de réha-
bilitation. Cette auto évaluation rend
compte également de la connaissance et
de la prise de conscience des difficultés
pour le patient.
Les différents items cotés sont [Annexe
2] :
- les capacités attentionnelles ;
- les capacités d’organisation et de mise
en action ;
- la confiance en soi ;
- la gestion des émotions ;
- l’ouverture subjective à autrui ;
- et la flexibilité mentale.
Chaque item est coté sur 72 points.
Ces différentes évaluations nous permet-
tent de suivre l’évolution du patient selon
nos observations en atelier et selon la per-
ception que le patient a de lui-même.
Ceci permet de revoir les objectifs de
prise en charge et d’objectiver avec le pa-
tient ses progrès et ses difficultés.
Témoignage de Nicolas
Nicolas nous livre son ressenti après plu-
sieurs mois de prise en charge à la ferme :
« Ce que la ferme thérapeutique m’ap-
porte, c’est de pouvoir sortir de mon ap-
partement et de parler avec des gens, de
m’occuper d’animaux et de travailler la
terre et de faire d’autres activités comme
travailler le bois ou faire du béton. »
« J’aime bien car je ne me sens pas jugé
ni sous pression et j’apprends de nou-
velles choses. Ces conditions me donnent
de nouvelles connaissances, du bien-être
et c’est valorisant. »
Conclusion
Par cette illustration et le contenu de notre
présentation, nous vérifions le développe-
ment concomitant des deux grands axes
qui régissent nos prises en charge :
- l’axe structurel de fond dans le registre
analytique et institutionnel qui prend en
compte le patient dans sa singularité, son
histoire, ses ressentis, son vécu et sa ma-
ladie.
- L’axe plus symptomatique et opéra-
tionnel de réhabilitation psychosociale
afin de permettre aux usagers de ré-en-
traîner leurs compétences de vie sociale,
de vie quotidienne, de stimuler leurs
fonctions cognitives et de mener à bien
leur projet de réinsertion.
Cette cohabitation est récente et nous sou-
haitons développer encore l’axe de réha-
bilitation au travail en partenariat avec les
différents ESAT de la région, en réfléchis-
sant à la mise en place d’un atelier espace
vert extérieur à la ferme... mais aussi en
continuant à nous former afin de pérenni-
ser notre action.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 120
Annexe 1
Annexe 2
0,0
10,0
20,0
30,0
40,0
50,0
60,0
70,0
80,0
90,0
100,0
110,0
120,0
12/yy 01/yy 02/yy 03/yy 04/yy 05/yy 06/yy 07/yy 08/yy
sco
res
dates de passation
Graphique des scores à l’évaluation de réhabilitation psychosociale
HABILETES COGNITIVES /126 HABILETES DE VIE SOCIALE /126
HABILETES DE VIE QUOTIDIENNE /126
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 121
Introduction
Dans l’argument du Colloque 2015, le
Docteur Genvresse nous propose de ques-
tionner notre efficience dans le soin ap-
porté aux patients, en sollicitant adaptabi-
lité et créativité pour ajuster les apports
thérapeutiques - le cas échéant notre
structure - à leurs besoins spécifiques.
S’il est indispensable de s’interroger ré-
gulièrement sur la juste adéquation de
notre dispositif au public accueilli et aux
troubles présentés, il nous a semblé tout
aussi important de nous pencher sur ce qui
perdure des progrès et améliorations en-
grangés, une fois l’enfant sorti du KaPP.
Ainsi, après une présentation de notre
unité, nous centrerons notre exposé sur la
réinsertion de nos patients dans leur mi-
lieu de vie, dans leur “vie d’avant”, avec
des aménagements selon les cas et sur les
facteurs qui favorisent un désengagement
réussi.
Le KaPP : le dernier maillon d’une chaîne de soins
En Belgique, il existe un dispositif de soin
d’intensité croissante pour prendre en
charge les enfants en difficulté et leur fa-
mille :
à l’hôpital, en ambulatoire : consulta-
tions et bilans multidisciplinaires,
dans les services de santé mentale :
consultations, bilans, suivi, groupes de
parole, thérapie familiale,
à l’école : enseignement spécialisé
(différents types selon la difficulté mise
à l’avant plan) avec soutien de logopé-
die, de psychomotricité et encadrement
éducatif, selon le type,
autour de l’école, ordinaire et spéciali-
sée : les cellules psycho-médico-sociales
venant en soutien de l’école pour un ap-
profondissement de certaines situations,
voire la réorientation de l’enfant dans un
enseignement plus adapté,
avec la famille : différents dispositifs
d’intervention et de soutien à domicile,
en renfort de la famille : internats spé-
cialisés, internats thérapeutiques,
pour coordonner les soins : le Service
d’Aide à la Jeunesse (SAJ, cadre non
contraignant), le Service de Protection
de la Jeunesse (SPJ, cadre contraignant)
à l’hôpital, en hospitalisation de jour
ou de jour/nuit : quand les autres dispo-
sitifs ne parviennent pas ou plus à appor-
ter un soin suffisant pour apaiser l’enfant
et lui permettre de rester inséré dans son
environnement actuel (école et/ou fa-
mille ou institution d’accueil).
Notre unité, le KaPP, fait partie du service
de Psychiatrie infanto-juvénile des Cli-
niques universitaires Saint-Luc à
Bruxelles. C’est un hôpital de jour pou-
vant accueillir 25 enfants, avec une possi-
bilité de jour/nuit pour 4 d’entre eux. Les
enfants accueillis ont entre 0 et 13 ans. Ils
présentent un large spectre de troubles
psychopathologiques, incluant l’anorexie
(du 1er âge et de la pré-adolescence), les
troubles du développement et du langage
avec troubles du comportement associés,
l’autisme sévère pour 5 d’entre eux, la
psychose infantile, les phobies. Nous
sommes sollicités en dernier recours
quand les autres interlocuteurs ont épuisé
leurs possibilités d’intervention.
Notre dispositif est d’emblée intensif : il
s’agit d’un accueil à temps plein de jour,
comme une école, pour une prise en
compte thérapeutique intensive pensée en
fonction de la demande. À chaque nou-
velle admission, nous interrogeons la né-
cessité de notre intervention et tentons, le
plus possible, de faire appel à des struc-
tures plus légères pour maintenir l’enfant
à l’école.
Si l’hospitalisation de l’enfant est la
bonne indication, nous déployons l’en-
semble de notre dispositif pour lui appor-
ter le maximum de soins : ateliers de
groupes (7 enfants maximum, entre 2 et 4
adultes professionnels) travaillant les
compétences et la socialisation, séances
individuelles, entretiens avec les parents.
En interne, notre adaptabilité repose sur la
personnalisation des soins en fonction des
troubles à traiter. En premier lieu, la durée
d’hospitalisation dépendra de ce que nous
avons défini comme objectif de travail :
de 5 semaines à 2 ans. Par ailleurs, si tous
les enfants bénéficient de la prise en
charge collective, les séances indivi-
duelles sont adaptées dans leur fréquence
et leur domaine (kiné, logo, psycho). De
même, le dispositif de travail familial peut
s’intensifier avec des “ateliers parents”,
des entretiens avec la fratrie, des accom-
pagnements au SAJ ou SPJ. Enfin, la ré-
insertion dans le milieu scolaire peut être
étayée par un accompagnement éducatif
selon la nécessité et la demande de l’école
(ré)accueillant l’enfant.
Tout ce dispositif crée de fait un attache-
ment thérapeutique de la famille à notre
Le KaPP, hôpital de jour pédopsychiatrique a pour mission une intervention ponctuelle alliant un psychodiagnostic précis à une intervention thérapeutique pluridisciplinaire modulable selon les besoins. De façon itérative, la même question revient sur nos lèvres : quand et comment terminer le suivi ? Comment réinsérer les petits patients et leurs parents dans leur milieu de vie, leur vie d’avant. Quels sont les facteurs, la modalité, le style qui favorisent un désengagement réussi faisant suite à un engage-ment qui l’était tout autant ? Comment devons-nous nous y prendre avec nos collègues du réseau, en amont, en aval ? Comment moduler le transfert pour le liquider sans trop de dégâts ? C’est sur ces questions que l’équipe souhaite échanger et communiquer lors des ateliers en table rond.
Mots-clefs : réseau, passage, engagement, désengagement
The therapeutic farm in May sur Orne: cohabitation of institutional psychiatry and psychosocial rehabilitation principles
The KaPP, pediatric psychiatric day hospital, strives to provide a time-appropriate treatment using a combination of accurate psychometrics, along with a flexible, multi-disciplinary therapeutic approach adapted to the needs of the individual. A recurrent question arises: when and how to terminate the treatment? How to reintegrate the little patient and their parents into their former lives? What are the factors, the manner, the approach which will favor successful disengagement and reintegration following a just as much successful engagement? How can we ensure effective communication with other involved healthcare providers, either before or after us? How to manage psychological transference to ensure its clearance without damage?
Keywords: network, transition, engagement, disengagement
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 122
structure, qui porte ses fruits et se montre
efficient la plupart du temps, tant que
l’enfant est hospitalisé chez nous.
Une difficulté que nous rencontrons est
alors de transposer ce lien et ce qu’il pro-
duit dans le système de l’enfant en dehors
de nous afin de garantir le passage pour la
suite du travail dont l’enfant aura encore
besoin pour progresser.
L’efficience de notre intervention n’existe que si le relais est réussi
Comme nous l’avons dit plus haut, l’arri-
vée d’un enfant au KaPP est en général
l’aboutissement d’un cheminement de la
famille et elle est souvent vécue comme le
recours ultime.
L’avantage de ceci est que dans la ma-
jeure partie des situations, la confiance se
tisse facilement et l’alliance thérapeutique
avec les parents peut opérer. Mais cet
avantage comporte un risque, celui de voir
la famille déposer son inquiétude, ses es-
pérances et son « attachement » chez nous
à un niveau tel qu’il nous apparaît très dif-
ficile de passer la main. Le moment de la
sortie du KaPP provoque un nouveau dé-
séquilibre.
Or l’efficience de notre intervention s’ins-
crit, nous semble-t-il, dans une tempora-
lité qui va au-delà de nous, celle de l’en-
fant et de la pérennisation de “ses pro-
grès” dans la suite de sa vie et de son dé-
veloppement.
Pour la famille, il s’agit de retrouver une
certaine autonomie dans le pilotage des
soins.
Pour nous, il s’agit de sortir de la position
d’expert et de référence, dans laquelle
nous nous trouvons placés au cours du sé-
jour, pour confier le pilotage du soin à
d’autres et redonner à l’extérieur et à la
famille toute autonomie pour affronter la
suite. C’est ici que nous devons nous
montrer créatifs et adaptables, tout en po-
sant un programme et un cadre qui nous
permettent d’assumer le reste de nos mis-
sions (en priorité dédiés aux enfants qui
sont “dedans”), et en tenant compte des
différentes durées d’hospitalisation : de 5
semaines (notre durée minimale) à 2 ans.
Dans bon nombre de cas, il faut même
penser le plan de sortie au moment de
l’admission de l’enfant. Dans tous les cas,
il faut l’évoquer dès l’entrée.
Les types de familles
Nous sommes frappés par le nombre
croissant de familles qui présentent des
difficultés financières. Les familles qui
nous confient leurs enfants représentent
un éventail moins varié de niveaux so-
ciaux qu’il y a quelques années. De plus
en plus de familles sont en situation de
précarité : chômage, isolement, mixité
culturelle complexe, endettement, suivi
par des services sociaux et de protection
de l’enfance. Ces familles sont isolées et
en perte de repères.
Les changements dans les structures fami-
liales sont essentiellement constitués par
une augmentation des familles monopa-
rentales (surtout des femmes seules avec
un risque de paupérisation). Nous devons
tenir compte de l’absence des pères, des
familles recomposées avec beaux-pères et
belles-mères qui vont revendiquer leur
place (ou non), davantage de familles en
situation d’isolement et de rupture par
rapport à la famille élargie. Nous recevons
de plus en plus d’enfants de familles mi-
grantes. Au gré des migrations internatio-
nales, les familles arrivent du Maghreb,
d’Afrique noire, de Turquie, mais aussi
d’Europe de l’Est, ... Aux difficultés de
compréhension linguistique, s’ajoutent
des difficultés à partager les représenta-
tions culturelles de la famille et à accepter
leurs manières de penser et de faire. Nous
sommes confrontés à l’impact du voyage
migratoire, potentiellement traumatique,
pour la famille et les enfants.
Un certain nombre de familles nous
semble également de plus en plus submer-
gées/entravées par les difficultés de leurs
enfants. Ce sont des enfants “difficiles”
qui « coûtent » beaucoup en temps, en
rendez-vous, en organisation, en adapta-
tions, en remise en question. Et certains
parents sont en difficulté pour faire face
au quotidien, y compris pour organiser un
loisir pour leurs enfants. Le risque est
double, voir la famille se replier sur elle-
même et voir se mettre en place des
formes de nouvelles “carences” éduca-
tives, par défaut de stimulation et d’ou-
verture.
Nous observons des comportements nou-
veaux de « consommation » de soins ou
de services, les parents voulant toujours
davantage. Parfois la demande peut aller
jusqu’à la substitution. Par exemple, pour
un enfant hospitalisé au KaPP, le parent
demande aussi de s’occuper des soins so-
matiques de celui-ci (dentiste, consulta-
tion ORL, consultation ophtalmo, ...) pen-
dant ce temps d’hospitalisation de jour en
pédopsychiatrie.
Nous rencontrons aussi des parents qui
sont à la recherche de l’immédiateté, de
“solutions clés en main”.
Il faut inventer des pratiques au plus près
de nos patients et des acteurs du réseau de
santé mentale, lui aussi en évolution.
LES AUTEURS
Charles-Emmanuel BLONDIAU psychologue Bruno MALEVEZ éducateur Claire SAVEANT coordinatrice Marguerite VAN DEN BERGH assistante sociale
Cliniques universitaires Saint-Luc Le KaPP Avenue Hippocrate, 10 1200 Bruxelles Belgique
WEBOGRAPHIE 21. http://www.le-gifrance.gouv.fr/eli/loi/2002/3/4/MESX0100092L/jo/texte
22. http://www.le-gifrance.gouv.fr/eli/loi/2009/7/21/SASX0822640L/jo/texte
23. http://hortitherapie.avenir.overblog.com/hor-tith%C3%A9rapie-le-jardinage-%C3%A0-vis%C3%A9e-th%C3%A9rapeutique-l-hor-tith%C3%A9rapie-est-la-r%C3%A9habilitation-pratique-et-globale-de-la-personne-par-la-pr
24. http://www.club-association.ch/rehab/ar-ticle_16.htm
BIBLIOGRAPHIE
1. DELION P. (2001), Thérapies institution-nelles, EMC-Psychiatrie, 37- 930 G10, Ed. Scienti-fiques et Médicales, Elsevier, Paris.
2. EIGUER A. (1963), Un divan pour la famille, Paidos/Le Centurion. Coll. PaÏdos, Paris.
3. KINOO P. (2012), Psychothérapie institu-tionnelle d’enfants. L’expérience du KaPP, Coll. Empan. Editions Erès, Bruxelles.
Soins de jour au KaPP : la pertinence et l’efficience mesurées dans l’après...
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 123
Les champs d’action de l’assistante
sociale
Veiller à penser ensemble et avec la fa-
mille aux meilleurs parcours de vie pos-
sibles en tenant compte des ressources
mises à disposition par la société : les ai-
der dans des tâches administratives
comme par exemple la reconnaissance
d’un handicap pouvant donner droit à
des allocations familiales majorées pour
leur enfant, mettre en place des aides à
domicile via le CPAS, un suivi par une
maison médicale, une maison de quar-
tier, ...
Maintenir le réseau vivant, rester et/ou
renforcer le lien avec le réseau déjà exis-
tant avant l’hospitalisation : Service de
Santé Mentale (SSM, service ambula-
toire) envoyeur, école d’enseignement
ordinaire ou spécialisé, maison médi-
cale, ...
Soutenir la famille dans les démarches
qu’elle devra effectuer pour réaliser son
propre réseau et (re)créer ainsi du lien
social. La particularité de notre travail
d’assistante sociale est de pouvoir sortir
des murs de l’institution hospitalière
pour accompagner la personne à l’exté-
rieur et l’aider dans la reconstruction de
liens sociaux.
Soigner et coordonner les plans de sor-
tie vers les écoles fondamentales ordi-
naires et/ou spécialisées, vers les ser-
vices ambulatoires tels que les SSM ou
les services résidentiels thérapeutiques.
Cette mission reste capitale car considé-
rée selon moi comme le franchissement
d’un cap. Ceci demande un réel engage-
ment de la part du travailleur social et de
l’équipe toute entière, mais aussi une
bonne connaissance des partenaires du
réseau, afin de pouvoir proposer à la fa-
mille la formule la plus adéquate.
Pour illustrer ceci, prenons l’exemple
d’un enfant qui a été hospitalisé au KaPP
pour phobie scolaire. Il est en situation de
décrochage scolaire. Pendant le temps
d’hospitalisation, un travail institutionnel
va s’opérer pendant lequel l’équipe va
être soucieuse de prendre en considéra-
tion l’expertise de chacune des personnes
concernées par les soins de l’enfant hos-
pitalisé. A la fin de l’hospitalisation, au
moment de la sortie, une école d’ensei-
gnement spécialisée a été choisie pour le
soutenir dans ses apprentissages. L’enfant
sera accompagné à l’école pendant la du-
rée nécessaire à une insertion suffisam-
ment solide. L’équipe du KaPP portera
une attention particulière à garantir la
continuité des soins et à passer le relais
vers un service ambulatoire qui veillera à
être à l’écoute de la souffrance du jeune,
de celle de sa famille tout en travaillant
avec lui le lien avec l’école et le parasco-
laire. Il s’agira de trouver les accroches
qui lui permettront de se réinsérer dura-
blement dans un projet scolaire.
Les enjeux du travail en réseau
Pour une situation familiale qui arrive au
KaPP, il n’est pas rare qu’un grand
nombre de professionnels gravitent autour
de la famille (SAJ, Service de Santé Men-
tale, Centre Psycho-Médico-Social,
Centre Public d’Aide Sociale, assistante
sociale du CPAS, infirmière de l’Office
National de l’Enfance, aide familiale, aide
et soins à domicile...). Même si tout le
monde est ouvert à la collaboration, les
professionnels sont différents les uns des
autres, dans les différents services qui tra-
vaillent avec la famille. Préoccupés par
ces situations, ils peuvent avoir des ap-
proches ou des points de vue pouvant pa-
raitre contradictoires ou inconciliables, du
fait de leurs places respectives par rapport
à la situation, ou encore de par leurs ap-
proches théorico-pratiques différentes.
Nouer tout cela, c’est le travail en réseau.
L’aptitude à travailler ensemble nécessite
une bonne articulation entre les équipes
psycho-médico-sociales et les services re-
lais concernés pour aboutir à une zone de
collaboration commune. De cette ren-
contre naît un espace partagé où s’échan-
gent les informations concernant le pa-
tient et les soins/suivis qu’il pourra poten-
tiellement recevoir. L’équipe soignante
doit être attentive à ne pas imposer ses
choix à la famille. Provoquer, par
exemple, des contacts variés avec des ser-
vices psychosociaux sans attendre que ces
démarches acquièrent du sens pour la fa-
mille risque d’aboutir à la construction
d’un réseau tout à fait artificiel qui s’avè-
rera plus investi par la famille, et dès lors,
peu efficace, se démantelant rapidement.
Le cadre de notre travail, au travers de la
modalité de l’hospitalisation de jour, est
un outil précieux dans le champ de la pé-
dopsychiatrie, elle permet une remobilisa-
tion intensive des ressources propres à la
famille et à l’enfant et un soutien vers un
développement plus harmonieux et le
maintien de son inscription dans son tissu
familial et social.
Ces soins incluent une évaluation de la de-
mande, la formalisation du projet théra-
peutique qui se fait lors des deux pré-ac-
cueils et une réévaluation régulière des
partenariats, des échanges avec les pa-
rents tenant compte des projets de vie
pour leur enfant. Il est important de rap-
peler que nous devons tenir compte de la
réalité de ce qui est possible en termes de
moyens, de disponibilité, d’adhésion à
nos propositions.
« Ainsi font les éducateurs, trois p’tits tours et puis s’en vont... »
Le travail de l’après KaPP est parfois dif-
ficile. Nous avons le sentiment, depuis
quelques années, que les enfants doivent
s’ajuster à des situations de plus en plus
compliquées et que nous avons bien du
mal, dans le champ social, à répondre cor-
rectement à leurs besoins.
Maxime est arrivé au KaPP à l’âge de 12
ans. Il vit seul avec sa mère depuis le dé-
cès du père, survenu quand Maxime était
encore très jeune. Madame est africaine et
son arrivée en Belgique survint dans des
circonstances dramatiques. Le père de
Maxime fut la personne qui extirpa la
mère d’une situation périlleuse. Dès lors,
sa disparition laisse un vide immense, ja-
mais comblé, plongeant la mère dans le
désespoir. Ils vivent tous deux dans des
conditions précaires et sont fort isolés.
C’est une psychologue du SSM (Service
de Santé Mentale) qui nous adresse le gar-
çon. Elle suit la situation depuis des an-
nées mais se trouve impuissante face à la
dégradation de celle-ci.
Maxime se trouve en première année se-
condaire différenciée. Il est au bord de
l’exclusion et arrive chez nous pour une
hospitalisation de cinq semaines en vue
d’un bilan global, de la recherche de
pistes thérapeutiques et d’une éventuelle
réorientation scolaire.
Dès les premiers jours, nous nous rendons
bien compte que le comportement de
Maxime est difficile à gérer. Il est impré-
visible, se comporte tantôt comme un
ange, tantôt comme un démon. Il est tou-
jours à la limite de déroger aux règles de
la vie en communauté. Il peut à la fois être
très gentil avec les plus jeunes et en riva-
lité avec les enfants de son âge, les provo-
quant, les poussant à faire des bêtises pour
nier ensuite toute responsabilité.
Déjà dans son école, l’équipe éducative a
mis en place un espace contenant, une
“bulle” où certains enfants peuvent
s’apaiser. Maxime y a fréquemment re-
cours.
Chez nous, il lui a fallu très peu de temps
pour se sentir en sécurité et très vite des
liens se sont créés.
Les signes de révolte annoncés se sont
avérés moindres que prévu, en tout cas,
n’allant jamais jusqu’à la rupture. À
chaque fois il a pu revenir dans le lien, re-
prendre contact avec nous, mettre des
mots, présenter ses excuses, effectuer une
réparation.
Les entretiens entre la mère et nous se
sont avérés positifs, nous avons pu abor-
der des problèmes personnels, ouvrir à
des questions sur son histoire que Maxime
n’osait pas lui poser, par respect ou
crainte de sa mère (elle le “corrigeait” par-
fois physiquement).
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 124
Plusieurs rencontres ont eu lieu avec
l’équipe éducative de son école. Celle-ci
attendait de nous une solution “miracle”.
Nous avons quant à nous “concrètement”
proposé trois pistes :
qu’il puisse être responsabilisé afin de
terminer son année scolaire dans de
meilleures conditions ;
qu’il y ait une meilleure communica-
tion entre la mère et son éducateur réfé-
rent scolaire; celui-ci s’est engagé à télé-
phoner à la mère pour lui donner réguliè-
rement des nouvelles de son enfant,
qu’elles soient positives ou négatives ;
que l’éducateur référent du KaPP se
rende tous les lundis matin à l’école afin
de faire un débriefing de la semaine
écoulée et de soutenir Maxime dans ses
comportements et ses apprentissages.
Lors du retour à l’école, les deux pre-
mières semaines se sont bien déroulées.
Hélas, il n’en a pas été de même par la
suite.
Afin de voir quelles stratégies adopter, le
psychologue et l’éducateur référent du
KaPP ont rencontré l’équipe éducative et
le Centre Psycho-Médico-Social de
l’école.
Les contacts entre le psychologue du
KaPP et la psychologue du SSM se sont
maintenus pendant le séjour.
À l’issue de ces contacts, il a été décidé
qu’il fallait :
Continuer de soutenir l’école.
Rechercher une école d’enseignement
spécialisé plus adapté pour l’année sui-
vante.
Installer une aide supplémentaire par
“l’éducateur scolaire” du KaPP (en plus
de l’éducateur référent) pour soutenir
Maxime lors des examens.
Poursuivre le travail thérapeutique in-
dividuel et familial.
À la sortie, une réunion a été organisée
rassemblant la famille, l’ambulatoire et le
KaPP afin de transmettre toutes les infor-
mations nécessaires.
Nous avons également rencontré l’assis-
tant social du SSM pour qu’il puisse faire
le pont avec la nouvelle école de Maxime.
En septembre, lors du passage vers l’école
spécialisée pour trouble de la personnalité
et des comportements, nous en avons ren-
contré l’équipe éducative.
Quelques heures après cette rencontre,
Maxime est revenu nous voir au KaPP
pour nous annoncer qu’il avait été exclu
une journée de son école. Nous avons té-
léphoné au SSM : un rendez-vous a été
fixé le jour même.
À suivre donc...
C’est “Caen” qu’on s’arrête où ?
Comme nous l’avons vu, sous l’angle so-
cial et éducatif, les enfants et leur(s) fa-
mille(s) qui accèdent - certains pourraient
dire échouent - au KaPP, ont toujours ef-
fectué un long parcours où ils se sont sen-
tis isolés ou incompris.
Maxime, lors de l’entretien de pré-accueil
alors que nous ne sommes ensemble que
depuis cinq minutes, me demande brus-
quement : « Monsieur, vous avez des en-
fants... ici en Belgique ? ». Relativement
décontenancé, je lui réponds : « Oui. Mais
pourquoi me demandes-tu cela ? ». Il me
répond alors : « Parce que quand vous me
regardez comme ça, Monsieur, on croi-
rait que je suis votre fils ! ». Pour
Maxime, comme souvent pour d’autres,
l’attente est énorme, le transfert massif.
Nos hospitalisations sont presque toujours
consécutives à un appel à l’aide émanant
du réseau scolaire, médical ou psychoso-
cial au sens large. Quelle que soit l’ori-
gine de l’appel, on doit constater que la
souffrance des enfants et de leur famille a
débordé le réseau ambulatoire par sa com-
plexité, sa violence ou sa chronicité. Plus
rarement, elle est restée invisible. Y ré-
pondre va donc demander un investisse-
ment important dans la contenance et
l’étayage et, ce, dans une constellation
transférentielle que nous espérons la plus
riche possible.
Comment déployer notre dispositif dia-
gnostique (recherche active et “fonction-
nelle” dans le cadre d’une expérience de
psychothérapie institutionnelle) dans un
temps court (cinq à dix semaines pour une
prise en charge “standard”) avec suffi-
samment de pertinence, de rapidité et de
finesse, sans mettre à mal l’aval potentiel,
sans discréditer l’amont envoyeur par la
“puissance” de notre action pluridiscipli-
naire conviée instamment à faire auto-
rité ?
Comment donc doser cet apport massif
d’attention et d’intention thérapeutiques
afin qu’il soit suffisamment robuste dans
sa construction et progressivement rem-
plaçable dans sa déconstruction partielle ?
Nous devrions en fait pouvoir nous pré-
senter d’emblée comme substituables
alors qu’on nous voit comme indispen-
sables ; notre expertise devrait se dis-
soudre dans le champ psychosocial.
En d’autres mots, il nous faut tendre à être
à la fois “méta” - et “inter”-communi-
cants, nous constituer comme référence
(n+1) ponctuelle et perdre rapidement
notre verticalité par une inclinaison vers
“les autres” pour retrouver l’horizontalité
dans le réseau. Notre présence ne trouvera
son effectivité thérapeutique qu’à se pro-
filer comme absence annoncée. Nous de-
vons faire en sorte, ayant accompli notre
mission catalytique, que "l’avant" se re-
trouve compétent dans “l’après”.
Quel que soit le type de famille rencon-
trée, quelle que soit la pathologie de l’en-
fant hospitalisé, nous ne pouvons éviter la
lourdeur d’une prise en charge complète.
Souvent auparavant une scolarité à temps
partiel a été tentée, souvent l’irrégularité
de la fréquentation scolaire pose pro-
blème, souvent l’enfant a été écarté plu-
sieurs fois pour mesure disciplinaire, par-
fois il se trouve déjà dans une institution
de l’aide à la jeunesse qui, elle-même, est
aux abois.
Nous sommes donc amenés à nous ériger
(verticalement). Nous ne pouvons nous si-
tuer dans le cercle du réseau qu’à y figurer
comme repère, mât totémique ou de co-
cagne, d’où pourrait enfin venir une solu-
tion définitive.
Cette position où on nous met, où nous
nous mettons, nous l’occupons, que l’en-
fant souffre de trouble névrotique, de dys-
harmonie évolutive, d’état limite, de psy-
chose ou d’autisme.
Dès que l’accord se fait avec la famille,
accompagnée ou non par une ou plusieurs
personnes du réseau en amont, ce n’est
pas l’enfant seul mais le plus souvent
toute sa famille qui va profiter de la fonc-
tion phorique de l’institution.
Si le circuit (P. Delion, 2001) se met
Phorique
Métaphorique Sémaphorique
bien en place pour l’enfant, nous avons
l’impression que la famille est maintenue
dans l’étayage, se reposant, voire se ré-
pandant dans le champ institutionnel sans
participer à l’avènement de sens, à l’émer-
gence d’éléments significatifs qui lui per-
mette de nous accompagner dans une éla-
boration, une interprétation.
Nous nous offrons, je pense, comme élé-
ment plus substitutif de la famille que
comme instance prolongeant celle-ci ou
palliant ses difficultés (ce qui serait un
moyen terme).
La famille ayant trouvé le KaPP risque de
ne pas le garder comme direction à suivre
(il y a longtemps qu’elle a perdu la bous-
sole et nous peinons à lui faire retrouver
le Nord), ni de le franchir après avoir sur-
monté une part de ses difficultés, mais
plutôt de s’y appuyer comme sur un pro-
montoire, un genre de KaPP de Bonne Es-
pérance, essuyant les tempêtes.
Comment donc éviter cela, car dès lors
qu’il en est ainsi, tout transfert vers une
autre structure (de soin, scolaire, psycho-
thérapique, rééducationnelle...) risque de
s’avérer périlleux.
En effet, même si cette nouvelle structure
(ancienne déjà investie, mais ayant fait
long feu) nous a suivi dans la façon dont
Soins de jour au KaPP : la pertinence et l’efficience mesurées dans l’après...
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 125
nous avons élaboré de manière construc-
tive, c’est-à-dire en posant un diagnostic,
en proposant un dispositif de soin qui
tienne la route, à partir de nos sensations
contre-transférentielles, elle ne peut occu-
per la même place de par sa fonction am-
bulatoire.
Nous pouvons faire une exception pour
les situations où, en accord avec la fa-
mille, et avec parfois, chose étonnante, la
demande expresse de l’enfant, nous nous
dirigeons vers un internat thérapeutique
ou une structure d’accueil de l’Aide à la
Jeunesse. Les parents auront alors accepté
une aide qui tient compte à la fois de leurs
difficultés et de leurs souhaits de demeu-
rer complètement parents, mais à temps
partiel. Dans ces situations, nous avons pu
travailler, d’une part, la différenciation et
la place dans le rang générationnel,
d’autre part, la capacité de la famille à se
remettre en question en libérant l’enfant
d’une fonction lourde à porter qui a fait de
lui le patient identifié. L’induction au
changement est alors souvent mise en
branle. Nous aurions pu y penser avec
Maxime, sa mère et le SSM.
La plupart du temps, nous restons dans la
difficulté de passer la main car ne peut se
passer d’un lieu à l’autre que ce qui a été
symbolisé, nommé et donc ouvert. On ne
peut faire passer le lien, mais ce qui dans
le lien a été travaillé.
S’ils ne sont que soutenus par l’équipe, les
problèmes familiaux demeurent des élé-
ments bruts et improductifs de l’expé-
rience. Ils constitueront moins des souve-
nirs mentalisés que des faits non digérés,
non symbolisés, non disponibles à la pen-
sée. La famille pourra parler de l’expé-
rience commune mais non des traces
qu’elle a laissées au sein de son propre es-
pace psychique familial. Si Alberto Ei-
guer parle d’un « Divan pour la famille »
[2], ce n’est certes pas pour qu’on s’y as-
seye avec les patients pour les prendre
dans nos bras et les protéger d’un monde
extérieur menaçant.
Quoique convaincus des approches de
Neuburger et Caillé, nous touchons peu
aux mythes familiaux souvent en contra-
diction avec la phénoménologie quoti-
dienne des familles. Nous percevons les
doubles liens mis en évidence par Ferreri
et Ausloos, nous vibrons empathiquement
avec les enfants soumis à divers conflits
de fidélité et d’appartenance mise à jour
par Boszormenyi-Nagy. Nous y touchons
peu.
Le fait est que la massivité de notre prise
en charge, le peu d’espace dévolu au tra-
vail de la demande, contraints que nous
sommes par l’insistance de l’adresse et la
médicalisation (on doit guérir l’enfant),
par la notion d’urgence, même si nous
avons souvent une longue liste d’attente,
tout cela fait que nous sommes peu en-
clins à nous interroger sur les possibilités
de changement de la famille dans l’élabo-
ration de notre prise en charge.
Dès le premier appel et, a fortiori, dès que
nous avons rencontré l’enfant et ses pa-
rents, nous nous posons là, là où personne
n’est plus, comme ultime essai et dernier
recours. Humblement, sans jouer les hé-
ros, mais quasi sans condition, en tout cas
sans période d’essai, ni jour de rencontre
préalable.
Comment garder le même engagement, la
même multidisciplinarité (pédopsy-
chiatres, psychologues cliniciens, ensei-
gnant(e)s, logopèdes, psychomotri-
ciennes, éducateurs(trices), infirmière,
aide-soignante, assistantes sociales en
coordination serrée (fonction de la
coordinatrice) tout en garantissant à
l’issue de la prise en charge une conti-
nuité des soins dont nous ne serons plus
les garants. Si la famille ne peut être ga-
rante de son propre dispositif de prise en
charge, qui doit en assurer par la suite la
responsabilité ? Que devons-nous faire pour redevenir ho-
rizontaux, pour reprendre une place dans
le réseau non encombré d’une autorité que
nous n’avons plus, d’un pouvoir usurpé à
la famille qui paradoxalement nous prête
une toute puissance dont nous n’avons ap-
paremment que faire ?
Ou alors, de quoi devons-nous nous dé-
barrasser pour ne pas occuper cette place
qui nous encombre tant par la suite ?
N’installons-nous pas “à l’insu de notre
plein gré”, un dispositif qui nous rend in-
dispensables... ?
Bref, comment faire trace (ne pas dispa-
raître) sans faire tiers (garder une position
d’autorité) ?
L’intensité de l’engagement, la gratifica-
tion des résultats obtenus ainsi que le fait
que les parents se sentent redevables à
notre égard, nous empêchent trop souvent
de lâcher à bon escient, de renoncer à nous
repointer là où nous n’avons plus à être.
Le KaPP perd-il le Nord magnétisé par sa
culpabilité judéo-chrétienne ? Ou alors,
perd-il complètement la boussole et se
prend-il pour le Nord, égaré par son ego ?
Nous travaillons régulièrement à ques-
tionner le dispositif interne du KaPP, veil-
lant à lutter contre l’augmentation inéluc-
table de l’entropie qui frappe toute insti-
tution, par la créativité et le réaménage-
ment des structures.
Ne serait-il pas temps de reconsidérer la
place qu’on occupe dans le réseau de
soins afin de réinterroger la raison sociale
de notre pratique, les attentes autant en
amont qu’en aval ?
Ou encore... la valeur ajoutée du KaPP
doit-elle toujours se communiquer ? Peut-
elle demeurer dans le champ de la liqui-
dation du transfert sans être absolument
l’objet de transmissions diverses ? Ou du
moins peut-on énoncer ce qui est trans-
missible et ce qui ne l’est pas ?
Le rapport d’hospitalisation doit faire
œuvre utile et il n’est l’objectivation que
d’une partie de ce qui s’est joué entre
nous, l’enfant et les parents. Celui-ci peut
être le passage témoin d’un lieu à l’autre.
Pour le reste, cela va dépendre du contact
et certaines choses demeureront intrans-
missibles.
« La vie est une trajectoire... »
Il y a dix ans déjà, Anne Mathy, assistante
sociale, et Philippe Kinoo, pédopsy-
chiatre, se posaient la question de l’aval
du KaPP, « Sorties, à quelle adres-se ? »
lors du Colloque des Hôpitaux de Jour
psychiatriques de Grenoble, repris par la
suite dans le livre du KaPP [3].
Ils parlaient à l’époque de la réhabilitation
du lien thérapeutique chronique et propo-
saient d’imaginer que chaque structure
puisse être pour un patient à la fois le de-
hors et le dedans, et que celui-ci pourrait
changer de lieu en gardant le lien.
Dix ans plus tard, aujourd’hui, comment
ne pas encore adhérer à ces propos huma-
nistes et généreux ?
Et en même temps, le quotidien des hos-
pitalisations qui se succèdent et se bous-
culent nous permet-il toujours de gérer la
noblesse de la chronicité des soins, nous
qui sommes happés par l’évènementiel ?
Ou encore, garder le lien n’est-il pas une
entrave à l’avancée thérapeutique de la fa-
mille avec d’autres dans d’autres lieux
mais aussi lors d’autres liens ? Le lien qui
rassure peut aussi retenir, figer la créati-
vité, freiner l’induction thérapeutique...
Comment faire ? Comment défaire ? Cela
tient à si peu de choses et pourtant cela
nous tient à cœur... mais pas trop quand
même...
Bon on s’arrête quand ?
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 126
Le sujet vieillissant est condamné à la créativité
Jean-Marc Talpin
La créativité et nous
Dans la définition de la créativité par
Freud (1908), il y a la notion d’« une ca-
pacité de faire des fantasmes, une réalité
inscrite dans une œuvre et donc parta-
geable avec d’autres ». Le fait d’être par-
tageable relève d’une sorte de communi-
cation. Cette communication relie des
êtres humains, elle se situe entre leurs
mondes intérieurs, leurs inconscients et,
également, entre leur inconscient et leur
réalité subjective objective. Par consé-
quent, on peut comprendre la créativité
comme un langage symbolique et univer-
sel. Cette universalité comprend une in-
différence à l’âge, aux symptômes psy-
chiques observables et au pronostic. Le
monde fantasmatique nous appartient tou-
jours.
Dans notre travail quotidien, à l’hôpital de
jour pour patients atteints de troubles co-
gnitifs du Centre Ambulatoire de Psychia-
trie et Psychothérapie de l’Âgé (CAPPA)
à Genève (PTC en abrégé), nous essayons
de garder ouverte la porte à ce monde.
Une autre théorie sur la créativité par Mé-
lanie Klein (1929) met en avant la fonc-
tion réparatrice de la créativité, une force
créatrice qui a pour but d’unifier les objets
primitivement clivés durant notre petite
enfance. Dans notre travail quotidien,
nous ne nous sommes pas basés sur les en-
jeux psychodynamiques dans le dévelop-
pement des troubles cognitifs. Les objets
primaires restaient souvent inaccessibles
à une exploration auto- ou hétéro-anam-
nestiques.
Néanmoins, les contenus et les formes de
l’expression de nos patients dans les
groupes de médiation nous montrent une
force individuelle et déterminée qui tra-
verse la problématique cognitive. La force
de la créativité, semble-t-il, gardait son
aspect réparateur même si les enjeux qui
avaient promu le besoin de la réparation
étaient inaccessibles.
Finalement, Winnicott (1971) a souligné
l’importance de la créativité en tant qu’at-
titude face à la réalité extérieure, « Je crée
donc je suis », disait-il. Pour lui, la créati-
vité est synonyme de « vie », « d’être vi-
vant », de « se sentir réel » et « sain » ; et
ce n’est qu’en étant créatif que l’on peut
vivre pleinement.
Il s’oppose aux aspects fantasmatiques de
la créativité qu’on a vus dans les essais de
Freud. Selon Winnicott, « la pulsion créa-
tive apparaît aussi bien [...] chez l’enfant
retardé [...] que chez l’inspiration de l’ar-
chitecte... » et le modèle principal de l’ac-
tivité créative est le jeu.
Nous avons été attentifs aux notions de
fantasmes de nos patients et nous avons
essayé avec une réussite modérée voire
faible de distinguer les pulsions observées
chez nos patients, leurs origines, leurs
formes et leurs relations avec la vie quoti-
dienne. Quant au jeu, nous avons été at-
tentifs. Nous l’avons utilisé quotidienne-
ment sans le nommer étant donné la fragi-
lité de nos patients quant à la perte de leur
autonomie et une certaine “infantilisa-
tion” dont ils souffraient dans plusieurs
aspects de leur vie.
La spécificité du travail avec les patients
âgés, atteints des troubles cognitifs modé-
rés à sévères est leur accès à l’inconscient
qui est plus intuitif et irrationnel. Les ou-
blis qui les détachent de leurs souvenirs,
de leurs sens de vie et de leurs buts anté-
rieurement imaginés. Les oublis les coin-
cent dans l’« ici et maintenant » qui est,
de son côté, influencé par le passé inac-
cessible. Que faire face à cette incon-
gruence, à cette relation entre vivre, ou-
blier et créer ?
Notre monde fantasmatique envahit de temps en temps le monde réel : dans les rêves, dans l’art, dans les gestes, dans les regards et dans le silence. Notre créativité est présente dans tout ce que nous observons, ce que nous changeons, ce que nous construisons et ce que nous sommes. Le processus créatif et le plaisir de la création associé sont probablement les meilleurs moyens dont dispose l’appareil psychique pour lutter contre les effets négatifs des nombreuses pertes rencontrées lors du vieillissement. En ce sens, la créativité, en tant que sublimation (source de plaisir substitutif), est souvent un moyen de pouvoir continuer la création de Soi jusqu’au bout. Mais peut-on encore créer quand les troubles neurocognitifs entraînent la perte des liens avec les représentations, coupant par là même l’accès à la dimension symbolique ? On assiste chez les patients souffrant de troubles neurocognitifs à un retour massif de la psyché au corps et au perceptif. La créativité quitte alors le monde symbolique pour devenir un processus qui permet d’exprimer des sensations et émotions non représentables et non verbalisables. Nous accompagnons nos patients aînés dans l’exploration de leur créativité en mettant en lumière leurs capacités et en les aidant à les mobiliser. Cette invitation entraîne des mouvements propices à l’expression de ce monde intérieur, plus “brut”, pour trouver le chemin menant vers un possible apaisement et pour soutenir l’identité personnelle jusqu’au bout. Nous vous proposons un atelier pour explorer une forme de liberté, à l’instar de nos patients, au-delà des frontières imposées par les symptômes des troubles neurocognitifs. L’hôpital de jour, pour les patients atteints de troubles cognitifs du Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothérapie de l’Âgé (CAPPA) à Genève, se base sur notre observation et notre certitude que la créativité peut toujours être trouvée si nous la cherchons. Nos patients nous le démontrent quotidiennement dans nos groupes de théâtre, de photo-langage, d’habiletés sociales, et dans nos partages formels et informels.
Mots-clefs : sénior, démences, créativité, parole, habiletés sociales, photo-langage, théâtre, cinq sens
Oblivions but create and live, now...
Our fantasy world could be spread through the real world: via dreams, via art, in the gestures, in facial expression, in silence. Our creativity is present in everything we see, what we influence, what we shape or what shapes us, in whom we are. The creative process and the associated pleasure of creation probably are the best means the psychic apparatus has to fight against the negative effects of numerous losses experienced during aging. In this sense, creativity as sublimation (unwitting substitution of a satisfaction) pursues the creation of the Self throughout life. Still, are we able to continue to create when neurocognitive disorders separate us from the mental representations, thereby cutting off access to the symbolic dimension? We are witnessing in patients with neurocognitive disorders to a massive return of the psyche toward the body and toward the perception. Creativity leaves the symbolic world to become an instrument of expression of feelings and sensations, often non-verbalizable and non-representable. We encourage our patients in exploring their creativity by highlighting their capabilities and helping them to mobilize them. This leads to the expression of that inner world, more “direct” and “raw”, in order to find the path towards healing and toward a further development of one’s identity, regardless their age and difficulties. Here, we offer one workshop in which we try to explore the creativity beyond the boundaries imposed by the symptoms of neurocognitive disorders. The daily outpatient hospital for patients with cognitive disorders at the Psychiatry and Psychotherapy Centre of the Elders (CAPPA) in Geneva, is based on our observation and our belief that creativity can always be found if we search for it. Our patients demonstrate it on a daily basis in theater groups, photo-language groups, social skills groups, and in “sense in sensations”-groups.
Keywords: senior, dementia, creativity, speech, social skills, photo-language, theater, five senses
Oublis et vivre, créer au présent l’après
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 127
LES AUTEURS
Dresse Dragana FAVRE Eric LAUBER Catherine GARDIOL Dr Aimilios KRYSTALLIS
Hôpital de jour pour les patients atteints de troubles cognitifs (HdJ-PTC) Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothérapie de l’Âgé (CAPPA) Hôpitaux Universitaires de Genève 10, rue des Épinettes 1227 Acacias Suisse
BIBLIOGRAPHIE
1. DE MIJOLLA A. (2013), Dictionnaire interna-tional de psychanalyse, Grand Pluriels Hachette, 2122 pages.
2. FREUD S. (1907), Der Dichter und das Phan-tasieren, Erstveröffentlichung: Neue Revue,Bd. 1 (10), 1908, S. 716-24. Gesammelte Werke, Bd. 7, S. 213-223, 1908.
3. KLEIN M. (1929), Infantile anxiety-situations reflected in art, creative impulse, Int. J. Psycho-anal., 10:436-443.
4. WINNICOTT D. W. (2005), Playing and real-ity, London: Routledge; 2 edition (November 11, 204 pages.
Nous allons démontrer au fil de cet atelier
notre méthode, nos questionnements et
nos observations.
Les groupes
Nous allons présenter quatre groupes,
leurs déroulements, leurs objectifs, leur
cadre et les exemples sous forme de vi-
gnettes cliniques.
Tous ces groupes sont hebdomadaires,
chaque groupe a des conducteurs fixes, le
temps et l’espace sont fixes et les patients
sont membres du même groupe passant
ensemble deux ou trois jours par semaine.
Groupe Habiletés Sociales
Ce groupe se base sur notre hypothèse que
l’on peut essayer de contourner des
troubles cognitifs en mettant en avant les
capacités préservées. Ce cadre contenant
va diminuer l’anxiété et permettre à la
personne d’exprimer ses ressources.
Nos objectifs principaux sont de rester en
contact avec le quotidien (« qu’est-ce qui
donne envie de se lever le matin ? »,
« quel plaisir je trouve à vivre ? »,
« qu’est-ce qui motive et non pas ce que
je dois stimuler »), d’échanger les préoc-
cupations, de trouver des solutions
propres à chacun, et de rester connecté à
sa propre créativité. Ce mot créativité les
surprend, ils sont déjà “habitués” aux
pertes. Nous ne négocions pas avec leurs
convictions et leurs peurs, nous les lais-
sons découvrir leur créativité au fil du
groupe et leur montrons les résultats au
bout de la séance.
La disponibilité et l’ouverture des con-
ductrices sont privilégiées. Elles pour-
raient naturellement préparer des thèmes
et les aborder les uns après les autres.
Néanmoins, nous préférons laisser émer-
ger ce qui vient et favoriser la rencontre.
Si nous arrivons à amener un climat de
confiance par le jeu et la créativité, cela
laisse spontanément place aux ressources
de la personne. Ce partage permet parfois
de rassembler les morceaux épars de sa
vie.
Quant aux mots, nos patients ont de la
peine à exprimer une émotion, ou simple-
ment ce qui se passe. Parfois, nous expri-
mons les mots de ce que nous avons com-
pris pour l’autre en lui demandant si c’est
bien cela qu’il souhaite dire (reformula-
tion). La règle de l’expression verbale est
simple : la liberté de dire ou de ne pas
dire.
L’ouverture du groupe se déroule toujours
par un rituel. Ceci est une façon de retrou-
ver le connu, pour se voir et s’entendre -
pour se rencontrer. Le rituel est d’abord
une cymbale, ou un objet de la nature qui
circule puis une trace de couleur, qui de-
viendra une composition du groupe. Cette
trace a été utilisée à l’ouverture de cet ate-
lier. Nous avons construit une chose en-
semble, nous avons vécu l’expérience,
nous avons utilisé le geste qui se trans-
forme. Ce lien est là, visualisé et nous al-
lons le défier à la fin de cet atelier, nous
allons vivre ensemble sa transformation
au fil de notre rencontre, ici, maintenant.
Ensuite, dans notre groupe habiletés so-
ciales, nous abordons un thème, ou l’évè-
nement du moment, par exemple le mé-
tier. Pratiquement nous montrons un geste
pour se présenter, un geste pour un métier
qui nous a occupé une partie de notre vie,
qui deviendra une danse... une chorégra-
phie. Par exemple, le geste permet à Mme
B. qui ne s’exprime plus par les mots, de
nous montrer avec un mouvement ryth-
mique du pied, le geste de la pédale de la
machine à coudre. Elle a été couturière et
elle nous parle de cette partie d’elle. Les
participants se lancent chacun à leur tour,
l’un a été enseignant, l’autre garde-fron-
tière... Et tous ces gestes que l’animateur
rassemble à la fin comme une danse de
groupe.
Un autre exemple : on attrape une idée
comme une collègue qui part en vacances,
et les proches quand ils s’en vont. Qu’est-
ce que ça nous fait ?
A un autre moment, peut-être avons-nous
“juste” trop chaud : nous essayons de mi-
mer cette sensation, de décrire comment
on s’habille quand il fait trop chaud.
Nous abordons les sujets simples, mais in-
dispensables : comment prendre le petit
déjeuner, le décrire, le mimer et, égale-
ment, nous, boire le café pendant le
groupe.
Ou encore une appréhension en cas d’en-
trée en maison de retraite. Par exemple M.
R., actuellement seul et handicapé à la
maison, raconte combien c’est difficile de
ne plus retrouver ses amis au parc pour
jouer aux boules. Son voisin dans le
groupe, qui lui est déjà rentré en EMS et
continue à venir au groupe, lui raconte
que dans son établissement, il existe un
groupe de boulistes. M. R. l’écoute inté-
ressé.
En résumé, on essaie de créer un climat de
jeu, d’ouverture, qui nous semble être fa-
vorable à l’accueil des propositions des
participants. On observe que ce dispositif
met les personnes en confiance et leur per-
met d’exprimer leurs ressources.
Groupe Photo-langage
Ce groupe est en forme de cercle, au mi-
lieu il y a une table. Sur la table, il y a une
dizaine de photos. L’objectif est simple :
choisir une photo et se prononcer sur ce
choix, ensuite la faire circuler dans la salle
et écouter les commentaires des autres.
Il est facile d’expliquer, facile de com-
prendre le but initial : faire des associa-
tions, partager, échanger.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 128
Néanmoins, c’est le choix qui signifie. Le
choix leur appartient – c’est cette photo-là
qui a réussi à détourner leur attention, de
lui consacrer une, deux secondes de plus.
Durant une seconde, nous avons été là, de-
vant ce choix et durant cette seconde,
nous avons été tous là, synchronisés.
Nous nous sommes réveillés de nos rêve-
ries sur le passé, de notre flottement dans
le fil du temps, nous sommes juste là. En-
suite, nous nous perdons à nouveau, cha-
cun avec son histoire, ce que l’autre
écoute ou pas. On la passe, la photo. Ce
que nous observons, nous sommes là du-
rant les commentaires d’autrui sur notre
choix. Tout à coup, le choix, même si
nous nous sommes prononcés sur son ca-
ractère randomisé, il devient notre choix.
Ce que l’autre dit est important. Tout à
coup, nous élargissons notre attention de
quelques secondes. L’autre est là, dans
notre vie personnelle, il ose faire des com-
mentaires sur notre choix.
Ceci est le moment que nous, les conduc-
teurs, aimons le plus, la concentration éle-
vée, l’appropriation de notre choix, les pe-
tits gestes pour le protéger. Tout à coup,
nous sommes auteurs de quelque chose
qui se passe - nous avons produit quelque
chose et cette chose a une influence sur les
autres. Nous sommes importants. Nous
donnons un puzzle de nous. Il circule, nos
patients le récupèrent. Le cercle se com-
plète presque chaque fois. On regarde
notre photo encore une fois avec un nou-
veau regard. Les autres l’ont modelée,
modifiée, épicée.
Nous regardons souvent les réactions
avec les photos qui se répètent, qui prend
la même photo d’autrefois, quelle est la
nouvelle association et qui se l’approprie
cette fois. Comment réagit la personne
dont le choix a été “pris” ?
Par exemple, une image de cercles con-
centriques, une vue sur les escaliers de
l’étage supérieur. Le patient avec une
aphasie et des troubles cognitifs débu-
tants, probablement atteignant l’aire
fronto-temporale, M. S., nous fit part de
son admiration d’une image, selon lui,
parfaite, un équilibre harmonieux et natu-
rel. La semaine suivante, la patiente avec
une démence à corps de Lewy, Mme P., la
choisit. Elle la décrivit comme un cercle
perforé, une activité artistique artificielle
ressemblant aux oreilles perforées des
femmes en Éthiopie. M. S. reconnaît son
image d’autre fois, décidant de ne pas la
décrire à nouveau. Le patient atteint de
démence vasculaire, M. F., la décrit en-
suite, il s’oppose à la patiente Mme P., en
décrivant « un équilibre harmonieux ».
La discussion s’intensifie.
Nous regardons aussi les motifs qui se ré-
pètent dans les choix de certains patients.
Est-ce que les choix similaires suscitent
forcément les mêmes associations ?
Mme I. choisit les animaux. Elle trouve
une gentillesse chez les lions et chez les
tigres, une tranquillité chez les serpents, le
regard calme chez les chats. Une fois,
alors qu’il n’y a pas d’animaux, elle choi-
sit une fille asiatique et décrit sa colère
derrière ses larmes. Les autres patients
voient une tristesse chez cette fille. Mme
I. insiste sur la colère. Mme I. est atteinte
d’une démence très avancée. Elle oublie
régulièrement que son fils cadet est mort
dans un accident en juin cette année et
qu’il avait une fille mineure avec une
femme thaïlandaise que la patiente n’a ja-
mais vue. Une fois, Mme I. choisit un vieil
homme. Les autres patients le trouvent
dur, inquiet, en pleurs, dramatique. Mme
I. trouve que le vieil homme est content,
qu’il a trouvé la tranquillité dans la vieil-
lesse. Elle construit un récit sur sa vie. Sa
voisine dans le cercle change l’opi-
nion : « oui, cet homme est tranquille ».
Parfois, on se pose la question. Ces asso-
ciations sont-elles influencées par le quo-
tidien (comme chez Mme B. qui choisit la
femme qui pleure 5 jours après le décès de
son époux, le décès qu’elle nie, s’oppo-
sant à aller aux funérailles et riant avec les
patients de son groupe) ou par une pul-
sion, un désir (Mme L. qui cherche sa fa-
mille dans toutes les images, dans les
fleurs, les chiffres, les jouets), ou par une
force inconsciente (Mme P., envahie par
la réalité qui change autour d’elle et qui
décrit l’image de pissenlit comme le sym-
bole de filiation et du recueillement des
connaissances que le groupe transmet, ou
les feuilles comme le cycle de vie, le fait
qu’une feuille tombe sur le terrain fertile
pour renaître pour coloniser le territoire).
Est-ce que ces descriptions et ces récits
parlent de leur intérieur et de leur créati-
vité ou de leur besoin de savoir, de con-
naître, de nous impressionner ? Les pa-
tients qui avaient eu une carrière dans le
domaine intellectuel, technique, artis-
tique, se trouvent souvent perdus dans les
définitions sans structure, dans le brouil-
lard d’informations et d’un message très
clair de vouloir transmettre, garder, pré-
server les connaissances d’avant.
On est également attentifs à ceux qui
s’adaptent, qui utilisent ce qui a été dit au-
paravant (les photos répétées, les choix ré-
pétés), à ceux qui oublient, aux associa-
tions liées au passé et celles liées à notre
Hôpital de Jour-PTC.
Vignette clinique
Madame ME. présente une démence à
corps de Lewy (DCL) qui se manifeste
notamment par des troubles du comporte-
ment (une agressivité verbale et une irri-
tabilité surtout l’après-midi), des halluci-
nations visuelles, une désorientation tem-
porelle et surtout une fluctuation impor-
tante de ces symptômes. Le maintien à do-
micile devient difficile en raison des
troubles du comportement. Néanmoins, la
famille de la patiente, notamment son
époux, n’accepte pas une hospitalisation,
ni un placement dans une maison de re-
traite. Il faut noter que la patiente est par-
tiellement anosognosique et que l’époux
et la patiente démontrent un haut niveau
socio-éducatif. Ils connaissent les symp-
tômes de la démence à corps de Lewy et
les décrivent bien. Néanmoins, l’époux
banalise les difficultés dans l’optique du
fonctionnement quotidien et notamment
le style de vie du couple qui est radicale-
ment changé. L’irritabilité et une appré-
hension diffuse et chronique s’avèrent
être en phase avec ce que l’investigation
de la psychopathologie prémorbide révèle
comme étant des traits anankastiques.
D’un autre côté, un haut niveau socioédu-
catif masque les symptômes durant les
moments de nadir de sa maladie fluc-
tuante. Ceci permet à l’époux de la pa-
tiente de la resocialiser et de l’amener à
l’opéra, au théâtre et en vacances. Cepen-
dant, une surexposition de la patiente aux
matériaux culturels et scientifiques creuse
l’écart entre elle et ses anciens amis. Le
contraste est difficilement abordable, la
patiente n’arrive pas à l’exprimer et son
époux le nie, cherchant de l’aide dans les
traitements médicamenteux (notamment
la rivastigmine). Les entretiens du couple
et de famille n’ont qu’un effet transitoire,
la patiente ne pouvant pas exprimer ses
sentiments et se renseignant uniquement
sur les aspects techniques de la prise en
charge. Comme les traits de la personna-
lité font partie intégrante de la personne et
ne sont pas facilement endigués par un
traitement pharmacologique destiné à ré-
duire les symptômes de la démence, nous
avons décidé d’utiliser le cadre stable et
rigide qui était sécurisant et contenant
pour la patiente. Nous n’avons pas pu ré-
duire la fluctuation des symptômes sans
une stabilisation de son entourage, au
moins celui qu’on a pu contrôler. Ensuite,
nous avons introduit la patiente aux
groupes d’expression théâtrale et de
photo-langage. Les rituels et le cadre ai-
daient pour une intégration. Une fois
ayant trouvé sa place, nous avons donné
la chance à la spontanéité. Cette patiente
donnait initialement des réponses très
soutenues, dénuées de charge émotion-
nelle. Au fil de la prise en charge, le con-
cept de “contraste” a commencé à appa-
raître, le contraste entre le naturel et l’ar-
tificiel, entre les fleurs fanées et les fleurs
qui colonisent le territoire, entre les ponts
sur les glaciers et les glaciers. Ne pouvant
pas nous communiquer sa souffrance à
Oublis et vivre, créer au présent l’après
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 129
cause de sa symptomatologie et, proba-
blement, ses traits de personnalité, elle a
trouvé un moyen de nous raconter des his-
toires mises en scènes par son incons-
cient. Ses métaphores et ses récits nous
ont aidés à trouver son alliance durant les
entretiens de couple et de communiquer
l’importance d’un rythme tranquille.
Groupe théâtre
L’activité théâtrale consiste à placer des
personnages dans une situation fictive et
de les faire réagir. Elle demande un inves-
tissement au niveau cognitif, émotionnel
et physique. Elle requiert des participants
de réagir véritablement à des situations
fictives, stimule la concentration, la mé-
moire, demande de la confiance au
groupe, une présence sur scène, de pren-
dre des risques et ainsi renforce la con-
fiance en soi et en l’autre et favorise les
interactions sociales.
S’amuser en faisant du théâtre, permet de
dédramatiser la maladie, les troubles asso-
ciés, en reprenant confiance en soi, les
choses redeviennent possibles.
Quant à l’apport de l’activité théâtrale,
notamment dans le travail avec les pa-
tients atteints des troubles cognitifs, nous
soulignons son rôle pour améliorer la
communication. L’improvisation permet
un travail sur la diction. Elle stimule
l’adaptabilité pour répondre au jeu à
l’autre. Pour être prêt à réagir, il faut
écouter l’autre, être attentif. Le plaisir de
jouer sera trouvé dans cet échange, ce par-
tage d’un moment ludique. Etre sur scène,
c’est communiquer entre acteurs, mais
également entre acteurs-spectateurs (im-
portance de changer de rôle).
L’activité théâtrale stimule également le
travail corporel. Jouer dans l’espace, c’est
créer le mouvement, apprivoiser les
rythmes et développer les réflexes. Possi-
bilité d’imiter l’autre, mais en tenant
compte de son corps, de ses possibilités
physiques rend l’interprétation unique, et
l’exposition du corps au regard de l’autre,
nécessite d’avoir confiance en soi, au
groupe.
La socialisation demeure un des rôles
principaux. Le plaisir d’être en groupe, de
travailler ensemble. Le plaisir d’être vu, le
plaisir de voir l’autre.
Nous revenons toujours à l’importance du
travail émotionnel. L’imaginaire permet
l’accès aux émotions, à la mémoire des
émotions. Grâce au jeu, les émotions sont
vécues réellement, mais avec un écart par
rapport à la réalité. S’identifier aux per-
sonnages permet un travail des émotions.
Le jeu théâtral demande la mobilisation
des souvenirs, des sentiments et de l’ima-
gination. Se dominer, se maîtriser pour
jouer, mais également accepter les frustra-
tions liées au jeu, ses limites, ses difficul-
tés.
Ce qui est spécifique pour l’activité théâ-
trale est l’invitation de changer les re-
gards. Les troubles cognitifs n’empêchent
pas de jouer au théâtre, il y a une place
pour chacun en fonction de ses possibili-
tés. Créer en fonction du groupe auquel on
appartient, besoin de se comprendre, s’ai-
der dans l’action. Face au regard de
l’autre, il faut trouver sa place, se situer
par rapport à l’autre.
Enfin, il ne faut pas sous-estimer les bé-
néfices de la créativité. Le jeu stimule les
fonctions cognitives. Les participants doi-
vent élaborer un scénario, le construire
dans leur tête, puis le réaliser. Ils doivent
tenir compte de l’autre et se repositionner,
s’adapter à nouveau en fonction de
l’autre. Le jeu permet de proposer des ré-
ponses nouvelles aux difficultés : adapta-
bilité.
Les objectifs de notre groupe théâtre sont
divers. Nous ciblons à améliorer la moti-
vation à participer aux groupes. Par le jeu,
l’aspect ludique, il s’agit de faire naître le
plaisir d’être ensemble, de susciter l’at-
trait, la curiosité prompts à favoriser la
mobilisation et la motivation à participer.
Nous favorisons les interactions. Il s’agit
de se placer dans l’ici et maintenant et de
favoriser l’échange des ressentis, des
émotions, des pensées. Etre sur scène, se
mesurer aux regards des autres permet
d’explorer ses émotions et apprendre à les
maîtriser.
La première tâche est de “mettre en mou-
vement”, par l’improvisation, par l’ab-
sence de décors, de costume, elle de-
mande de développer le gestuel par la pos-
ture physique.
Par moments, nous “oublions” la maladie.
La maladie entraîne une perte d’autono-
mie. Ne pas stigmatiser le malade, lui re-
donner un rôle en fonction de ses possibi-
lités, permet de redonner de l’espoir,
rendre possible les choses en s’adaptant,
en reprenant confiance en soi, en l’autre...
On peut se soigner en s’amusant, dédra-
matiser les soins.
Selon nos observations, ceci aide à amé-
liorer la mémoire, par l’apprentissage des
stratégies, en utilisant le support de l’ex-
pression artistique et le travail sur les
émotions.
Le rôle du thérapeute est d’être garant du
cadre (lieu, horaire, organisation, respect,
sécurité...) ; de “toujours faire semblant”
(les situations sont fictives, les person-
nages sont imaginaires) ; de donner des
indications, de ne pas diriger, ne pas im-
poser les rôles (il ne s’agit pas de faire un
spectacle). Le thérapeute renforce le
groupe, permet l’expression du vécu, fa-
vorise les échanges lors du jeu et après le
jeu. S’il prend un rôle d’acteur, il joue un
rôle différent, sur joue les émotions, prend
de la distance pour donner l’exemple. Ce
qui demeure l’essentiel est que le théra-
peute accepte de ne pas avoir le contrôle
sur tout. Il ne sait pas ce qui sera joué, ni
comment, ni par qui. Il ne s’attend pas à
un résultat artistique.
(En annexe, une description détaillée du
déroulement d’une séance du groupe
théâtre)
Quelques actrices qui ont marquées la parenthèse théâtrale
Paulette et son comique
Mme O. est une patiente souffrant d’une
démence dans le déni de ses difficultés
quotidiennes à domicile, palliées par son
fils vivant à proximité et lui-même rédui-
sant l’importance des troubles. Durant les
groupes de l’Hôpital de Jour, madame ne
participe pas aux échanges, évoquant des
problèmes d’audition tout en précisant
son refus d’être appareillée. En cas de de-
mandes insistantes, elle demandera à aller
aux toilettes et quittera le groupe. Durant
les moments informels, les problèmes
d’audition disparaissaient en l’absence
des soignants.
Au groupe théâtre, madame participe
comme spectatrice, refuse de monter sur
scène pour jouer. Après quelques séances,
madame accepte mais sous l’identité de
Paulette et prend du plaisir à faire rire les
autres, plaisir qui restera intact jusqu’à la
fin de sa prise en soins. (C’est à ce mo-
ment qu’on réalise l’importance du nom
de scène et qu’on le généralise à l’en-
semble du groupe). Elle se montrera à
l’aise dans l’improvisation quelles que
soient les sujets abordés, allant même à
improviser sans connaitre le sujet.
Dans les autres groupes, madame ne
change pas d’attitude, sauf si on l’appré-
hende par le biais de l’humour. Lors des
moments informels, madame se montre
plus participative en présence des soi-
gnants.
Madame la marquise et son souci de la diction
Une patiente, Mme D. est diagnostiquée
« Démence débutante », malvoyante et
dépressive, en retrait à domicile depuis le
décès de son mari et en conflit avec ses
enfants qui la sollicitaient pour sortir de
son lit. Durant les groupes, madame ne
s’exprime que sur demande et de manière
limitée.
Au théâtre, Madame la Marquise ne peut
prendre toute sa place comme spectatrice,
ne voyant pas les autres sur scène. Mais
lorsqu’elle intervient comme actrice, ma-
dame peut exprimer son ressenti, ce
qu’elle pense de sa situation, ce qu’elle ai-
merait, ce, par le biais de son personnage.
Elle prend confiance envers les soignants
puis le groupe et participe plus aux
échanges sans être sollicitée.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 130
Cerise et son franc-parler
Mme B. présente des troubles cognitifs
débutants et une dépression sévère avec
beaucoup de dévalorisation et une perte
d’élan vital. Elle se montre réticente à ve-
nir à l’Hôpital de Jour et ne prend plaisir
qu’à se mettre à distance de son conjoint
avec qui elle a des conflits.
Cerise accepte de venir pour voir les
autres, exprime son peu d’envie, mais se
montre intriguée par les possibilités des
autres malgré leurs troubles. Elle accepte
de participer après quelques séances et se
montre très convaincante, parvenant à ex-
primer sa colère refoulée. Elle reprend
confiance en elle et prend du plaisir à voir
les autres et à jouer des rôles de composi-
tion où elle s’exprime avec force ou pro-
vocation. « C’est dingue ce que l’on est
capable de faire », c’est la phrase que Ce-
rise répète à la fin de chaque groupe
théâtre.
Après trois mois, madame part en va-
cances et arrête son suivi, les tensions
avec son conjoint sont moindres, sa dé-
pression est en régression et l’envie d’en-
treprendre retrouvée.
Mary Lou et sa sensibilité
Mme L est une patiente présentant une
maladie d’Alzheimer avancée, s’expri-
mant avec difficulté et présentant des
fausses reconnaissances importantes gé-
nérant des conflits avec les autres patients
qui gardent leur distance et ne discutent
pas ou peu avec elle.
Au théâtre, Mary Lou refuse de prendre
plaisir à regarder les autres. La compré-
hension des consignes est difficile voire
impossible et elle n’agit que par mimé-
tisme. Après quelques demandes, ma-
dame accepte de venir sur scène en expri-
mant son incapacité de jouer mais elle se
sent en confiance d’être avec un soignant
malgré les remarques des autres patients
sur son incapacité. Elle ne comprend pas
le thème mais se laisse guider par le soi-
gnant qui s’adapte. Ses mimiques, les qui-
proquos font fuser les éclats de rires au-
près des spectateurs et la scène se termine
sous un tonnerre d’applaudissement et
d’émotions.
Dès lors les fausses reconnaissances de-
viennent non plus une source de conflits
avec les autres patients, mais des mo-
ments d’acceptation et de complicité.
Groupe essence du sens
Ce groupe est issu d’une perplexité abor-
dée par les patients concernant l’évoca-
tion des 5 sens. Nous avons décidé d’ex-
périmenter de manière plus consciente
nos sensations aux moyens techniques
adaptés à chaque sens. Notre hypothèse
est qu’un lien entre les patients, une place
dans le groupe au travers de leurs ressen-
tis, une ouverture aux autres façons de
voir, sentir, entendre, toucher et goûter
peuvent aider à appréhender une meil-
leure compréhension de soi et une plus fa-
cile compréhension d’autrui.
Nous utilisons des objets, des couleurs,
des sons, des photos, des odeurs et des
matières. Nous jouons avec les contrastes
(par exemple : chocolat-citron, poivre-
yaourt), avec les surprises (la peau de
mandarine dans le sac noir), les objets pu-
tativement dangereux (foulard attaché),
les pulsions libidinales (les parfums
homme vs femme), la confiance (goûter
les yeux fermés), l’orientation (écouter
l’autre les yeux bandés). L’échange ver-
bal est continuel, il y a une liberté d’ex-
pression.
Parfois les groupes sont chargés d’émo-
tions intenses. Par exemple, la demande
d’écrire un sms magique aux membres de
la famille. Ces messages-sms ont été in-
fluencés suite aux différentes images pro-
posées aux patients. Les patients ont été
encouragés à écrire ce qu’ils veulent à
ceux qui leur manquent (pas forcément les
vivants). Une fluidité de parole et une au-
thenticité partagée marquent ce groupe
qui ouvre la semaine de l’hôpital de jour
et l’influence. Les sms ont été une ouver-
ture à une exposition aux sens liés à la fa-
mille (la pomme cuite avec cannelle, la
chanson de C. François : « Si j’avais un
marteau », les photos jaunies...).
Parfois, les patients peuvent juste partager
un morceau de pain afin d’inciter la dis-
cussion autour de l’intimité et les relations
de couple. Au fur et à mesure de l’avancée
de ce groupe, nous nous sommes rendu
compte que les sujets dont on a peur : les
conflits, le contrôle, le respect, les
hommes et les femmes sont en fait les su-
jets dont nos patients ont le plus besoin de
parler. Le fait de s’éloigner d’une vie ha-
bituelle et dynamique ne signifie pas le
besoin de simplification des thèmes abor-
dés.
Discussion
Nous avons présenté certains aspects de
notre travail quotidien. Nous avons ap-
proximativement 12 patients par pro-
gramme et il va de soi que nous nous
adaptons continuellement. Néanmoins, un
fil conducteur persiste, quels que soient la
salle, le cadre, quels que soient les visages
des conducteurs, il s’agit d’un espace con-
tenant où l’angoisse n’est pas persona non
grata mais où elle se perd spontanément.
Nous sommes convaincus que le fait
d’être ensemble, non-jugés, libres, mais
aussi encouragés à s’exprimer, aide à dé-
bloquer la porte de l’inconscient. Et une
fois cette porte ouverte, nous avons accès
à une richesse et à des ressources inesti-
mables.
Néanmoins, certaines questions demeu-
rent. Est-ce que la créativité est un danger
pour nos patients ? Peuvent-ils oser flotter
dans l’imagination ? Craignent-ils cette
imagination, cette ouverture vers le jeu ?
... Et s’ils se perdaient ? ... Et si cela les
éloignait ? ... Et s’ils ont passé leur vie en-
tière afin de refouler ce besoin de rêver ?
Où est la frontière entre le choix conscient
et l’inconscient ? Finalement, est-ce que
la démence avancée est forcément une
porte vers l’inconscient ou est-ce un
leurre qu’on aime conserver ?
Nous réfléchissons continuellement sur
ces questions. Nous sommes sûrs qu’être
ici et maintenant est un pas supplémen-
taire vers les réponses.
Conclusion
La créativité, comme décrite ci-dessus,
est un pont entre l’inconscient et le cons-
cient, entre les inconscients, entre les
rêves et les jeux. Il ne faut pas oublier que
nous, les conducteurs des groupes, les soi-
gnants, nous participons avec notre passé,
nos associations, nos personnalités. Nous
les amenons, nous les dispersons, nous les
échangeons.
Nous créons une vie du groupe pour le
faire évoluer, nous avons besoin de l’ex-
plorer et de la partager avec nos collègues.
Oublis et vivre, créer au présent l’après
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 131
Annexe 1
Déroulement de la séance
Le groupe est animé par deux soignants au minimum. Il est ouvert afin de pouvoir bénéficier de l’appui des pairs aidants. La pièce comprend un espace libre pour les exercices corporels, les discussions et un espace théâtre avec scène, coulisses et places spectateurs. La séance dure 90 min. La séance comprend cinq moments : 1- Comment ça va ?
- Tour d’horizon des personnes - Prise en compte de l’atmosphère, de l’état émotionnel du groupe. - Être dans « l’Ici et Maintenant »
- Durée 5 à 10 min
2- Tour de chauffe
Exercices corporels - Mouvements dans la salle - Mobilisations des membres - Associer gestes et paroles - Mimiques/masques
Exercices vocaux - Exprimer les émotions - Chants - Imitations - Respirations
Exercices en cercle - Passer la parole - Jeu de mots - Écoute active - Thèmes
- Durée 20 à 30 min
3- Seul sur scène - Travail le lien. L’acteur part des coulisses et monte seul sur scène, sans rien dire. Il crée et garde le lien avec le public jusqu’au retour dans les coulisses. Évaluation du ressenti.
- Durée 10 à 15 min
4- Jeu d’improvisation - Se fait toujours à deux - On joue un rôle, un personnage fictif dans une situation fictive. (change les prénoms) - Sur scène, pas de décors, pas de costumes, pas d’accessoires
- Durée 20 à 30 min
5- Comment ça va ? - Tour d’horizon des personnes après avoir passé la séance ensemble. - Modifications ou non des points de vue, de la situation.
- Durée 5 à 10 min
Annexe 2
Avec l’accord des participants de notre atelier, nous présentons deux illustrations du travail du groupe habiletés sociales.
Nous avons demandé aux participants du colloque à Caen de faire une trace (Traces 1 et 2) spontanée durant notre présentation.
Nous avons présenté notre travail à deux reprises. La première présentation a eu plus de participants et un échange plus vif.
Durant la deuxième présentation qui a enchainé la première et qui s’est déroulé à la fin de journée, les animateurs ont été plus fatigués
et moins de gens ont y participé.
Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 132
Trace 1
Première présentation
Oublis et vivre, créer au présent l’après
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 133
Trace 2
Deuxième présentation
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 134
Permettez-moi, tout d’abord de remercier
le Docteur Genvresse et son équipe pour
leur accueil dans cette belle ville de Caen,
pour leur organisation sans faille et leur
disponibilité tout au long de ces deux
jours de Colloque.
Permettez-moi également de le féliciter
pour son initiative de doubler les ateliers
afin de permettre un partage plus long des
expériences et des vécus. Cela a amené du
dynamisme et une mise en mouvement
pour le coup aussi pratique que symbo-
lique.
Je m’en voudrais aussi de ne pas avoir
une pensée pour celui qui m’a lancé dans
l’aventure des hôpitaux de jour, le Doc-
teur Jonard.
Venons-en à la synthèse.
A la première lecture des arguments de
cette année, je me demandais bien par
quel bout nous allions aborder la vaste
question posée par le Docteur Genvresse
sur les tensions entre programmes, créati-
vité et adaptabilité en hôpital de jour.
Comme l’argument proposait un plon-
geon dans le temps, à l’époque des pre-
miers hôpitaux de jour, revenons donc à
la situation qui prévalait à cette époque.
Les patients psychiatriques étaient soi-
gnés dans des structures asilaires très
lourdes dans un modèle de soin asymé-
trique où il est vrai que la liberté du ma-
lade et la vie quotidienne et dans la com-
munauté étaient systématiquement mises
de côté.
Viennent alors les psychothérapies insti-
tutionnelles et les hôpitaux de jour. Ils
s’adressent comme alternative à l’hôpital
psychiatrique sur le fond et sur la forme.
Ils proposent des soins différents. Ces
soins sont d’abord plus ouverts ; ouverts
sur le monde bien sûr, et sur la vie dans
son milieu, ce qu’aucun autre mode de
prise en charge ne permettait à l’époque.
C’était, et c’est toujours, une révolution.
Face à la maladie mentale, l’hôpital de
jour se présente donc comme une struc-
ture d’ouverture, de dés-hospitalisation
et, déjà, de dé-psychiatrisation au sens le
plus noble du terme.
Le deuxième sens de l’ouverture, et on l’a
beaucoup entendu dans les ateliers, c’est
celui de l’ouverture des possibles pour le
patient. Dans cette époque où il n’existe
aucune alternative à l’hospitalisation, la
possibilité de vivre “une vie normale”
était une énorme avancée pour les pa-
tients comme Muriel Reboh-Serero nous
l’a rappelé. Après cette phase d’alterna-
tive à l’hospitalisation, l’hôpital de jour
est devenu le lieu de postcure puis, au-
jourd’hui, devenu un espace de suivi in-
termédiaire qui peut encadrer le patient
pour un temps, de plus en plus court. Cet
espace de vie, comme le caractérise Mu-
riel avec justesse, nous amène à un deu-
xième principe de base : la convivialité.
Quand le Président Monney interroge le
Docteur Rœlandt sur le travail groupal, je
pense que c’est cette dimension qu’il
aborde aussi. L’hôpital de jour est un lieu
de convivialité, de vie sociale pour les pa-
tients de plus en plus isolés, éloignés du
travail, et d’une société féroce pour la-
quelle ils ne sont pas toujours armés.
Avec le développement des équipes mo-
biles en Belgique, qui se rendent sur le
lieu de vie du patient qui n’a souvent pour
seul contact que ce passage mensuel,
j’ajouterai même un point : l’hôpital de
jour est la structure la plus adéquate dans
de nombreuses pathologies psychia-
triques car il offre cette convivialité et
cette socialisation par le groupe que le
contact individuel de la visite au domicile
ne permet pas.
A ces deux prérequis, j’en ajouterai un
autre : la temporalité de l’hôpital de jour.
Elle est pour moi spécifique et double : il
y a la temporalité du quotidien, on rentre
chez soi, l’hôpital de jour a une fonction
structurante pour des patients qui, parfois,
ne quittaient plus leur lit ou ne sortaient
plus de leur chambre comme nous l’a ex-
pliqué Muriel Reboh-Serero. L’autre
temporalité, et je la relis à l’ouverture,
c’est celle du temps du soin dans un sys-
tème de santé de plus en plus statistique
et technique. Quand on entre en hôpital de
jour, un autre temps s’ouvre : celui du pa-
tient. On l’a entendu plusieurs fois dans
les ateliers : se mettre au rythme du pa-
tient.
Contrairement à ce que nous a dit le Doc-
teur Rœlandt, les hospitalisations très
brèves, les soins à domicile, l’aide dans la
famille, ne sont pas toujours des disposi-
tifs les plus adaptés au patient. Si on veut
une clinique centrée sur les besoins du pa-
tient et pas sur la structure de soin exis-
tante, comme il la propose, il faut, c’est
vrai, disposer de plus de moyens théra-
peutiques mais aussi se centrer sur la tem-
poralité du patient, sur le temps qui lui est
nécessaire à lui. C’est la grande lacune de
la pensée de l’Organisation Mondiale de
la Santé avec celle de l’inexistence de la
maladie mentale : c’est celle de s’imagi-
ner que tout patient bénéficiera de la
même manière et dans le même temps des
mêmes soins. C’est l’uniformisation des
soins en santé mentale face à la variété
des situations pathologiques. L’hôpital de
jour, par son dispositif souple et adap-
table, a toute sa place dans un dispositif
de soins en santé mentale.
Le représentant des autorités de l’agence
de soins de Basse-Normandie nous a
d’ailleurs rappelé combien la structure de
soins de jour s’inscrivait également dans
un système large de soins de santé dont la
contingence imprime leur marque sur le
fonctionnement respectif. Ajoutons qu’il
nous faut sans cesse rappeler combien
l’hôpital de jour est quelque chose d’autre
que l’hospitalisation ou l’ambulatoire pur
avec ses propres besoins, sa propre tem-
poralité, ses patients qui ne sont pas spé-
cialement ceux des autres types de struc-
tures. Ces deux structures partagent des
points communs, Muriel Reboh-Serero
nous a aussi rappelé leur grande diversité
selon les modèles théoriques, la situation
administrative, la géographie des lieux et
les alentours, le personnel de soins, les
pathologies des tranches d’âges suivies,
l’articulation favorisée avec la revalida-
tion et la réhabilitation. Voilà une preuve
du mouvement de réflexion permanent
des hôpitaux de jour : il y a quelques an-
nées, ce type de concept n’était pas
abordé au Colloque. C’est la preuve de
l’adaptabilité, on y revient, de nos struc-
tures aux exigences administratives et so-
ciétales modernes. La construction de
l’avenir est aujourd’hui centrale dans les
soins de jour, comme l’a rappelé Muriel,
et l’hôpital de jour va employer une large
palette de moyens tournés vers la créati-
vité, d’activités différentes de travail,
comme le rappelait un atelier ce matin,
par l’absence d’une demande de produc-
tivité et de résultats en termes de rende-
ment, mais dans le souhait de permettre
au patient de construire son projet et d’y
adhérer à son rythme. Dans ce cadre,
Synthèse
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 135
l’hôpital de jour peut être vécu par le pa-
tient comme une rupture dans sa demande
de normalisation, comme réappropriation
progressive de son projet de vie.
Muriel Reboh-Serero nous a aussi donné
une liste de tensions qu’elle avait identi-
fiées dans les fonctionnements des hôpi-
taux de jour. Je vous la livre en vrac : ten-
sions entre processus d’appartenance et
processus d’autonomisation, entre théra-
peutique et éducatif, entre ancrages et
changements, entre soins et réinsertion,
entre processus et résultats, entre imper-
méabilité et perméabilité, entre clinique
et administratif. L’équilibre doit être
constamment recherché entre la tension,
nécessaire au changement, tant pour le
patient que pour l’institution et le flotte-
ment, afin de soigner le patient et de gar-
der la qualité de l’institution. Comme le
disait un atelier ce matin, si l’hôpital de
jour avait un Dieu, ce serait Janus, le Dieu
à la tête unique et aux deux visages, Dieu
du changement et de la transition.
Le Docteur Lemaire nous a parlé d’un
élément central dans le travail en hôpital
de jour moderne : la concertation.
S’il veut s’inscrire dans le parcours de
soin du patient, l’hôpital de jour ne peut
se passer de ce tissage qu’est la concerta-
tion autour et avec le patient et ses
proches. Son idée de mettre ensemble les
problèmes pour leur trouver une solution
illustre bien la nécessité d’un travail par-
tagé autour du patient. Il nous est aussi
rappelé quelque chose qui peut représen-
ter un obstacle majeur dans l’accompa-
gnement de nos patients : c’est plus ou
moins difficile pour les professionnels
que pour les patients de se concerter, ver-
sion moderne de la “résistance et du côté
de l’analyste” de Lacan.
La présentation du courant antipsychia-
trique anglo-saxon par le Docteur
Rœlandt nous a proposé un point de vue
original : il n’y a pas de maladie mentale,
il n’y a que des troubles du social. A l’op-
posé de l’antipsychiatrie francophone qui
a donné naissance aux psychothérapies
institutionnelles soucieuses de faire chan-
ger les institutions de l’intérieur, le mo-
dèle anglo-saxon propose de les suppri-
mer pour concentrer ses efforts sur le so-
cial. Si nous ne pouvons qu’être d’accord
avec l’idée qu’une société en souffrance
produit du trouble psychique, on ne peut
évidemment pas oublier le double-sens de
cette affirmation : le trouble psychique
produit aussi du trouble social, ce que
semble oublier le Docteur Rœlandt. Et
c’est là encore la place des hôpitaux de
jour, au carrefour du social et du médical,
de la société et de l’hôpital, de l’activité
et du soin. Plus ironiquement, le Docteur
Rœlandt a raison sur un autre point : si un
schizophrène ne rencontre jamais un soi-
gnant, il ne saura jamais qu’il est malade.
En effet, comme le rappelait un atelier de
ce matin, c’est dans la rencontre que se
produit l’élaboration. Les symptômes ne
peuvent pas être extraits de la dimension
d’échange et de réflexivité, du transfert.
C’est là qu’est l’ouverture au possible. Le
modèle de soins sans rencontre du Doc-
teur Rœlandt nous prive de ce qui fait le
soin. Mais si le Docteur Rœlandt avait
participé aux ateliers aujourd’hui, il pour-
rait être rassuré. Il existe des structures où
le patient est respecté comme être humain
et citoyen, où les responsabilités de son
bien-être lui sont confiées, où son entou-
rage est entendu, où l’activité est considé-
rée comme un droit, où l’accompagne-
ment permet au patient, qui n’y serait pas
arrivé sans cela, de retrouver le chemin de
la réintégration. Ce sont les hôpitaux de
jour, vos hôpitaux de jour.
Dans les ateliers de ce matin, la créativité
était omniprésente : dans les films, dans
les productions artistiques, dans le travail
à la ferme, dans la photo, et j’en passe,
nos patients peuvent se confronter à leurs
possibilités et les repousser. Nos struc-
tures se sont toujours adaptées aux con-
tingences administratives et légales mais
aussi aux besoins différents des patients,
arrivant avec des demandes, des con-
textes, des attentes différentes.
Merci à tous durant ces deux jours d’avoir
partagé votre créativité, d’avoir montré
votre adaptabilité. Finalement, l’argu-
ment de cette année nous a permis un
beau voyage au Pays des Possibles.
L’AUTEUR
Dr Xavier De LONGUEVILLE Psychiatre
Hôpital de jour du Beau Vallon Rue de Bricgniot, 205 5002 Saint-Servais Belgique [email protected]
Synthèse des questionnaires d’évaluation
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 136
Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation
I - Composition du public présent au Colloque
1 Personnel soignant : aide-soignant, cadre supérieur de santé, cadre de santé, infirmier ; Personnel paramédical : aides mé-dico-psychologique, art-thérapeute, agent des services hospitaliers qualifié, assistant en psychologie, ergothérapeute, kinésithé-
rapeute, psychomotricien, logopédiste, psychologue ; Personnel médical : chef de clinique, cadre de pôle, médecin, interne ;
Personnel Educatif et social : animateur, assistant de service social, éducateur, moniteur éducateur ; Autre : personnel admi-nistratif, personnel de direction, coordonnateur ou n’ayant pas renseigné sa profession.
France49%
Belgique34%
Suisse
15%
Luxembourg2%
PAR PAYS
personnel soignant
40%
personnel paramédical
23%
personnel médical
19%
personnel éducatif et
social9%
autre9%
PAR FILIÈRE PROFESSIONNELLE 1
Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 138
II - Taux de retour des questionnaires de satisfaction
59% des congressistes ont répondu au questionnaire de satisfaction
- soit 150 personnes sur les 255 présentes
83% des répondants attribuent une note égale ou supérieure à 4 sur 5 au Colloque
- (NR : le répondant n’a pas renseigné leur profession)
Sur l’ensemble du personnel soignant présent au Colloque GHJPF, 65% ont répondu au questionnaire de satisfaction
Le personnel soignant représente 44% des répondants au questionnaire de satisfaction
III - Appréciations générales
Lecture : « En moyenne, les répondants évaluent à 5 la qualité de l’accueil qui leur a été fait ».
65 %
51 % 53 %46 %
59 %
0
25
50
75
100
Personnelsoignant
Personnelparamédical
Personnelmédical
Personneléducatif et
social
Répondants
PART DES RÉPONDANTS PAR FILIÈRE PROFESSIONNELLE
44%
20%
17%
7%
12%
RÉPARTITION DES RÉPONDANTS PAR FILIÈRE PROFESSIONNELLE
Personnel soignant
Personnelparamédical
0
1
2
3
4
5
L'organisationdu colloque
L'accueil
Le choix dulieu
L'accessibilité
La pertinencedu thème
L’ACCUEIL ET L’ORGANISATION
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 139
En moyenne, les répondants évaluent à 4 les apports théoriques et pratiques qu’ils ont reçu au cours des séances plénières
En moyenne, les répondants évaluent à 4 la diversité des présentations d’expériences auxquelles ils ont pu assister au cours
des sessions d’ateliers
55% des répondants évaluent en moyenne à 4 sur 5 le Colloque
0
1
2
3
4
5
Apportsthéoriques et
pratiques
Enrichissementprofessionnel
Modifier lareprésentationdu soin de jouren psychiatrie
LES SÉANCES PLÉNIÈRES
012345
La diversité desprésentations
L'intérêt decomposer sonprogramme
Le temps deparole etd'échange
La découverte depratique(s)
intéressante(s)
LES ATELIERS
1%5%
11%
55%
28%
0
25
50
75
100
note 1 note 2 note 3 note 4 note 5
NOTE GÉNÉRALE ATTRIBUÉE AU
COLLOQUE
Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 140
Lecture : « 61% des répondants, qui ont attribué la note 5 au colloque, font partie du personnel soignant »
41% des répondants, qui ont attribué la note 4 au colloque, font partie du personnel soignant
IV - Les suggestions des répondants
90 participants sur les 255 personnes présentes ont fait part aux organisateurs du Colloque de leurs observations, critiques, propositions pour les colloques à venir.
1 - Les thématiques suggérées par les répondants
Pédopsychiatrie, jeunes enfants, petite enfance (4 occurences)
L’intégration des personnes déficientes intellectuelles : perspectives et limites (3 occurences)
Les relations amoureuses, la sexualité chez les patients (2 occurences)
Moins de 2 occurrences :
L’hétérogénéîté des patients dans un même hôpital de jour (pathologies, âges, cultures…)
Le parcours de soin du patient
Le travail avec les familles
L’image de soi, bien-être, estime de soi, affirmation de soi
Logement communautaire
La place des aides-soignants en HJ
Les activités sportives
2 - Axes d’amélioration quant au contenu
Les intervenants devraient veiller à articuler les apports théoriques avec les spécificités des contextes locaux et les pratiques développées dans les
Hôpitaux de Jour (présenter des cas cliniques, des pratiques concrètes).
Comparer les modalités de prise en charge et de financement selon les pays.
Engager le débat entre participants.
3 - Axes d’amélioration quant à la forme
Augmenter le temps dédié aux ateliers.
Aménager davantage de temps pour penser, pour débattre, pour échanger, même de manière informelle, entre professionnels (organiser des « tables
rondes », par exemple).
61%
9%
14%
2%
14%
NOTE ATTRIBUÉE : 5
Personnel soignant
PersonnelParamédical
Personnel Médical
Personnel Educatif etSocial
NR
41%
25%
12%
10%
12%
NOTE ATTRIBUÉE : 4
Personnel soignant
Personnel Paramédical
Personnel Médical
Personnel Educatif etSocial
NR
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 141
Prévoir 10 minutes de battement entre chaque atelier pour laisser aux congressistes le temps de changer de salle.
Mettre en lien les animateurs d’ateliers et les congressistes (les intervenants pourraient reporter leurs adresses mail sur leurs présentations Power
point, par exemple).
Mettre à disposition des congressistes, sous format numérique, les apports théoriques issus des séances plénières et des ateliers.
Elargir la participation aux autres pays francophones.
Prévoir un seul bulletin d’inscription pour le colloque et le diner de Gala.
Le Comité Organisateur du XLIIIème Colloque du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques remercie
les personnes qui ont accepté de participer à l’évaluation de cet évènement
Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 142
ndrc : il n’y a pas de Revue sans un gag... Celle de 2015 n’a donc pas échappé à la règle ! Mes excuses à l’équipe de Porrentruy...
P. A.
Introduction-Présentation
Cuisine et Clinique
Même si comparaison n’est pas raison, le
fait d’utiliser une métaphore culinaire
pour évoquer le travail en Hôpital De Jour
peut s’avérer séduisant et nous allons
donc essayer, au risque de quelques em-
bûches ou autres fautes de goût, de nous
ajuster à cette idée.
Effectivement la cuisine d’un grand res-
taurant, juste en amont d’un service, a
parfois des allures d’Hôpital de Jour
lorsqu’il se trouve en pleine phase d’acti-
vités. Visuellement l’impression générale
est proche, sur le plan sonore aussi d’ail-
leurs : même agitation ou effervescence
avec des personnes se déplaçant sans
cesse, se démultipliant même, laissant vo-
lontiers l’image d’une ruche sous le re-
gard tantôt bienveillant, tantôt critique ici
d’un chef, là d’un responsable pédago-
gique, attentif au moindre aléa qui vien-
drait altérer la “production” du jour. En
gastronomie, tout au moins lorsque l’on
1 Asafumi Yamashita est un maraîcher japo-
nais hors du temps. Son nom est murmuré
avec révérence dans les cuisines des plus grands étoilés. Et seuls quelques chefs, dont
Eric BRIFFARD et Pierre GAGNAIRE ont
aspire à l’excellence, le recours à cer-
taines règles de base ou formulations
nous permet de poursuivre ce parallèle
sans doute audacieux avec la thérapie ins-
titutionnelle qui nous sert de modèle.
Pour des raisons de temps et également
pour rester en phase avec le thème de
cette journée, nous n’en mentionnerons
qu’une seule, “Respecter le produit” ver-
sus “respecter le symptôme”.
Certains parmi vous ont probablement en
mémoire cette scène un peu surréaliste où
Asafumi Yamashita1 [4], en compagnie
de Pierre Gagnaire2, est littéralement
scandalisé à la vue d’un des candidats de
“Top chef” en train de martyriser un de
ses navets blancs, dépecé de manière
grossière à coups d’économes.
Quelle faute de goût pour ce légume pro-
duit par ce maraîcher d’exception où la
culture devient synonyme d’aventure au
singulier, au rythme de chaque plan, de
chaque pousse, et donc de ses aléas pos-
sibles, à des années lumières de toute no-
tion de rentabilité ou de production auto-
matisée.
l’honneur de cuisiner ses légumes uniques,
bichonnés avec amour. La haute couture des
légumes, en somme. (L’express Style du 22 février 2014)
Accompagner le fruit ou le légume jus-
qu’à sa maturité, quel que soit le temps et
les soins que cela requière, quitte à ce que
cela n’aboutisse pas, telle est l’idée maî-
tresse qui guide Asafumi Yamashita [1]
dans l’approche de son travail.
De notre côté également nous considé-
rons aussi le symptôme comme un bien
précieux, unique, fragile, qu’il faudrait
surveiller comme le lait sur le feu et pré-
server de toute intervention intempestive.
En clair, cela signifie que dans notre es-
prit le symptôme n’a pas de valeur dans
l’absolu ni en comparaison avec celui
d’un autre patient ; il n’acquière sa pleine
saveur qu’à la faveur de notre accompa-
gnement, sur un mode aussi singulier que
celui développé par Asafumi Yamashita
[4] dans son jardin potager ; c’est à dire,
au plus près de chaque patient, au rythme
des saisons de son évolution psycho-pa-
thologique et en fonction de paramètres
qui n’appartiennent effectivement qu’à
lui, qu’à son histoire et/ou son environne-
ment.
En bon artisan de la psychothérapie insti-
tutionnelle, seule cette position peut ga-
rantir un véritable travail psychique avec
l’enfant et sa famille.
Mais, un peu comme notre maraîcher cé-
leste, de multiples dangers nous guettent,
nous n’en évoquerons qu’un seul: ici la
cuisine moléculaire, exercice de style
cher à Thierry Marx, sorte de métaphore
chimique de la saveur, qui vise à réduire
un noble légume en une simple pulvérisa-
tion sur le rebord d’une assiette, repro-
ductible à l’envie ; là, une psychiatrie trop
sensible à la pression administrative qui
troquerait ses références à la psychothé-
rapie institutionnelle, et à Marx, Karl
cette fois, pour réduire, là aussi, un symp-
tôme à sa plus simple expression sous
2 Chef trois étoiles, spécialiste des légumes,
dans son restaurant, « L’Arpège »
Les auteurs se proposent d’établir un parallèle entre le fonctionnement de la cuisine d’un restaurant gastronomique et celui d’un Hôpital De Jour. Cette métaphore culinaire servira de fil rouge à ce travail qui porte sur l’importance du contre transfert en lien avec les symptômes de deux enfants pris en charge dans l’Hôpital de Jour la « Villa Blanche ». Les réflexions de C. Gardou et A. Ciccone alimentent notre réflexion sur la bipolarité du contre transfert, à la fois comme outil de connaissance de la psychopathologie de l’enfant et également comme instrument d’évaluation de la qualité de sa prise en charge.
Mots-clefs : gastronomie, contre transfert, institution, symptôme, psychopathologie
On the menu: symptoms on its caregivers’ bed served in day hospital Kitchen, counter-transference and dependencies
The authors propose to establish a parallel between the operation of the kitchen of a gourmet restaurant and a day hospital. This culinary metaphor will be the “red wire” for this work which focuses on the importance of transfer in relation to the symptoms of two children supported in “Villa Blanche” day hospital. C. Gardou & A. Ciccone’s reflections feed our reflection on the bipolarity of transfer, both as a tool of knowledge of psychopathology of the child and also as a tool for assessment of the quality of its support.
Keywords: gastronomy, transfer, institution, symptom, psychopathology
Au menu : symptôme sur son lit de soignants servi en hôpital de jour ; cuisine, Contre-Transfert et Dépendances
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 143
l’effet d’une molécule psychiquement
abrasive.
Dans un cas comme dans l’autre, la mo-
dernité escamote une démarche matura-
tive au profit d’une idéologie frappée du
sceau de l’efficacité scientifique qui di-
minue d’autant la part d’humanité qui fait
le sel de notre travail.
C. Gardou et A. Ciccone
Encore quelques mots pour situer notre
travail à l’Hôpital de Jour de la Villa
Blanche, à Porrentruy donc ; globale-
ment, si nos deux grands maîtres restent
P. Delion et P. Kinoo, véritables chefs
trois étoiles de la Psychothérapie Institu-
tionnelle dans sa spécificité pédopsychia-
trique, il nous a paru intéressant ce jour
de présenter deux autres références, peut-
être moins connues, mais qui viennent
éclairer la pratique au quotidien et consti-
tuent à ce titre deux ingrédients tout aussi
incontournables.
Un peu comme des épices qui viendraient
singulariser un plat, que ce soit par la cou-
leur, la saveur, les senteurs, bref, l’ex-
pression et la créativité au sens large ; à
titre d’illustration on pourrait citer le cur-
cuma ou le piment d’Espelette qui allient
les différentes qualités.
Revenons à nos deux références évoquées
à l’instant. Il s’agit de C. Gardou [2], et
A. Ciccone [32], l’un s’est intéressé aux
particularités de la fonction soignante,
l’autre, à l’importance du Contre-Trans-
fert dans la mise en place du soin.
La fonction soignante selon C. Gardou
C. Gardou, anthropologue de formation,
s’est beaucoup intéressé à la vulnérabi-
lité, au handicap, au sens large, que ce
soit du côté du sujet handicapé ou de celui
de l’éducateur confronté à la prise en
charge de la personne handicapée.
Dans un style quasi lyrique, C. Gardou
isole les aléas propres à la fonction soi-
gnante autour de trois couples opposés,
dont certains rejoignent les hypothèses
d’A. Ciccone, comme nous le verrons
plus avant. Quels sont ces trois points ?
« Refuser le bricolage, rejeter le scien-
tisme »
C’est-à-dire, ne pas se fondre dans l’idéo-
logie de l’expérience, du vécu, des “on a
l’habitude avec ces enfants-là”, “avec
eux, on sait faire”, etc. ; et cela au mépris
du savoir. Mais dans le même temps, ne
pas faire de la science une valeur absolue
avec le risque de décliner les soins sur un
mode de technicité, cette sacralisation qui
nous menace actuellement, expose à
l’éclatement du sujet (évaluation, quanti-
fication, protocolisation des soins, etc.) ;
en d’autres termes, si la théorie peut éclai-
rer la pratique ou la clinique, elle ne doit
pas les supplanter.
« Apprendre le doute, accepter l’impuis-
sance »
Éviter de désespérer de tout progrès chez
un enfant, ne voir que ses manques, ses
difficultés en occultant ce qui va mieux
par ailleurs ; mais d’un autre côté, éviter
également “l’acharnement”, le désir de le
faire changer à tout prix, de le faire ren-
trer dans la norme. Soit, prendre en
compte le rythme de chacun, rester dans
une position d’attente au risque d’avoir
une action limitée, mais respectueuse du
sujet.
« Récuser la relation métallique, se gar-
der de la fusion »
La relation métallique, c’est une relation
superficielle, non investie affectivement,
très défensive, qui ne permet pas l’empa-
thie. Se garder de la fusion, c’est à dire,
éviter la sympathie précisément pour per-
mettre l’empathie. L’idéal étant de pou-
voir accommoder les deux. En d’autres
termes, être disponible, sans être trop dis-
tant ni trop envahissant.
Le Contre Transfert selon A. Ciccone
A. Ciccone postule que le contre-trans-
fert, s’il n’est pas suffisamment pris en
compte, peut être non seulement à l’ori-
gine d’agirs (néologisme employé par A.
Ciccone) violents de la part des soignants
mais également, de façon sans doute
moins spectaculaire mais de manière tout
autant dommageable pour l’enfant, pro-
duire des effets de distorsion sur le soin,
en “pervertissant” les tenants et les abou-
tissants du projet établi initialement.
En outre, A. Ciccone, avance, suivant en
cela H. Rosenfeld ou W. Bion, que le
contre-transfert peut constituer un instru-
ment de connaissance très précieux pour
approcher le fonctionnement psychique
de l’enfant.
Pour ce faire A. Ciccone isole principale-
ment trois formes possibles de contre-
transfert :
« Impuissance et culpabilité »
En premier lieu, configuration la plus ré-
pandue, le contre-transfert marqué par
l’impuissance et la culpabilité, sachant
que c’est régulièrement l’impuissance,
vécue face à l’âpreté de la psychopatho-
logie des enfants, qui fait le lit de la cul-
pabilité ; il n’est pas anodin que C. Gar-
dou ait insisté de son coté sur ce qu’il a
appelé « Apprendre le doute, accepter
l’impuissance ».
Mais, en général, la culpabilité est “tra-
vaillable”, c’est un affect qui reste acces-
sible à l’échange en équipe.
Lorsque ces aspects ne sont pas abordés
institutionnellement, on glisse vers la se-
conde configuration décrite par A. Cic-
cone.
« La honte et la sidération »
La honte et la sidération, comme une
sorte de prolongement de ce sentiment
d’impuissance où la culpabilité, laisserait
place à la honte : on a honte de ne pas ré-
ussir alors qu’on a l’impression que
d’autres, dans des circonstances ana-
logues, parviendraient à de meilleurs ré-
sultats.
Ainsi la honte devient vecteur d’une auto-
dévalorisation, puis d’une disqualifica-
tion. A. Ciccone ajoute que la honte est
moins “partageable” que la culpabilité,
c’est à dire qu’elle risque d’être vécue par
le soignant dans l’isolement car le sujet
honteux est particulièrement sensible au
regard d’autrui ; pour citer A. Ciccone,
« la honte verrouille la relation, elle
pousse au silence, au repli et conduit à la
sidération ».
« Le gel des affects »
Ici, pour citer à nouveau A. Ciccone, « le
sujet se retire de la scène, il n’est ni cou-
pable, ni honteux, il devient indifférent et
étranger à ce qui se passe », c’est-à-dire,
coupé de lui-même et de ce qu’il ressent,
suite à une réaction primaire « qui se tra-
duit par une immobilisation de tout mou-
vement psychique ». Notons que cela se
rapproche de la “relation métallique” dé-
crite par C. Gardou. Pour être moins
spectaculaire cette alternative n’en est pas
moins péjorative pour l’enfant victime
d’un « processus de dé-subjectivation »
où il perd son statut d’être humain, c’est-
à-dire d’un autre semblable.
A. Ciccone insiste sur ces différentes dé-
clinaisons possibles du contre-transfert
dans la mesure où elles peuvent conduire
à des impasses dans le soin ou à des choix
de prise en charge inadaptés.
Afin de confronter cette approche théo-
rique nous nous proposons dans un se-
cond temps de vous exposer deux situa-
tions qui reflètent bien la complexité du
travail au quotidien, d’un côté nous avons
un enfant “qui parle”, de l’autre un enfant
qui “ne parle pas”.
Menu à deux plats
En entrée, quelques points d’anamnèse
Mélanie, « sans accent sur le “e” »
comme elle aime à le préciser est une jolie
fille de 11 ans. Elle passe les 3 premières
années de sa vie avec sa maman, chez les
parents de celle-ci. Le père et la mère de
Mélanie ayant des conduites addictives,
elle est placée en famille d’accueil durant
Au-delà du symptôme… la porte du soin en hôpital de jour
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 144
l’année de ces 3 ans. Peu après ses 4 ans,
sa maman décède et les contacts avec son
père (vivant à l’étranger) sont rarissimes.
Dès lors, elle aura un tuteur et sera placée
en famille d’accueil. Actuellement, Méla-
nie vit toujours dans la même famille
d’accueil et a encore des contacts régu-
liers avec sa famille maternelle (grands-
parents ou oncles).
Plats n°1 : Plat aigre-doux nommé
« Mélanie »
Suite à des observations faisant état de
troubles de la communication et de
l’adaptation sociale en milieu scolaire,
elle est orientée vers une psychologue qui
posera le diagnostic “TED” (troubles en-
vahissants du développement, terme gé-
nérique qui ne présage pas de sa psycho-
pathologie précise, bien sûr). En été 2012,
elle entre à l’hôpital de jour à temps par-
tiel (50 %). Quelques mois plus tard, son
temps de présence dans l’institution a
augmenté de 30 % pour atteindre 90 % en
été 2013, en conservant une intégration
partielle dans l’école de son village.
Selon la “salle à manger” où elle se
trouve, Mélanie dégage des saveurs diffé-
rentes. Nous pouvons la décrire comme
un plat aigre/doux.
Le plat : Mélanie
aigre doux
Elle a un sourire dé-moniaque
Elle a un sourire « angélique »
Elle détecte facile-ment LA faille de
son interlocuteur
Elle a une élocution élevée pour son âge
Elle connaît et peut
utiliser un langage très cru et provoca-
teur
Elle peut se montrer
adéquate, adaptée, voire avec un air ti-
mide.
Elle met régulière-
ment en échec les jeux de groupe si ce
dernier ne lui con-
vient pas
Elle se montre très habile physique-
ment
Elle teste de manière systématique chaque
intervenant (enfant
ou/et adulte)
Elle est preneuse, voir enthousiaste,
de ce qui lui est
proposé
Elle exprime peu
d’émotion et se montre froide, indif-
férente face aux re-marques
Elle a plein d’idées quand cela ne la
concerne pas
Elle peut se montrer violente
Elle est plutôt me-neuse
Elle est très souvent
dans la maîtrise
Elle a un tempéra-
ment décidé
De par ses symptômes, Mélanie dépose
sur nos papilles soit un goût aigre, soit un
goût doux. Non seulement à nous, soi-
gnants, mais aussi à tous ceux qu’elle a
l’occasion de côtoyer. En effet, on ressent
une certaine crispation chez les interlocu-
teurs de Mélanie par rapport à ce qu’elle
peut dire ou pas, à l’un ou à l’autre, elle
exprime parfois des éléments différents,
contradictoires, pouvant déboucher sur
un clivage au sein de l’équipe, ou entre
l’équipe et la famille d’accueil, et/ou
l’école par exemple. Au maximum on a
l’impression qu’elle “ment”, ou ne dit pas
la “même vérité” selon les interlocuteurs,
selon les lieux ou les moments.
Si on se permet de faire quelques liens
avec la première partie théorique, il y a 3
points qui nous paraissent parlant vis à
vis de Mélanie.
A propos du soignant : « apprendre le
doute, accepter l’impuissance... ».
Pour nous, il est vrai qu’au vu du po-
tentiel de Mélanie, de ses capacités
cognitives et psychiques, il nous est
difficile de rester dans une position
d’attente vis à vis d’elle, on serait vite
tenté “d’agir”, d’être dans une posi-
tion plus “éducative”, au sens restric-
tif de ce terme, plus “directive”.
C. Gardou dit également, « récuser la
relation métallique, se garder de la
fusion... », ou A. Ciccone qui parle lui
de « gel des affects ».
Un exemple, lorsque sa maman d’ac-
cueil rentre dans la pièce où Mélanie
est en train de jouer, celle-ci se fige,
stoppe ses activités, cesse toute inte-
raction laissant sa maman d’accueil
d’abord désabusée puis « interdite »,
comme figée elle aussi. La consé-
quence pouvant être une relation mé-
tallique, c’est-à-dire une relation où la
personne (maman d’accueil ou soi-
gnant) va préférer se protéger en se
désengageant de la relation, en évitant
tout investissement affectif, soit un
“gel des affects” ou une « immobili-
sation de tout mouvement psychique »
selon A. Ciccone.
le risque d’une “pseudo écoute”,
c’est-à-dire prendre ce que Mélanie
exprime comme une parole “vraie” et
non comme l’expression de sa
psychopathologie. Par sa manière
déconcertante d’être, Mélanie, proba-
blement, tente de nous faire vivre ce
qu’elle aurait elle-même vécu au
contact de sa mère...
Plat n° 2 : Pain-surprise
Quelques mots d’anamnèse
Hélène, 9 ans, est entrée à l’Hôpital de
Jour en été 2012 avec un diagnostic de
mutisme sélectif, depuis peu elle est par-
tiellement intégrée en classe de soutien.
Elle est l’aînée d’une fratrie de deux en-
fants. La maman se qualifie elle-même
comme étant une personne timide.
Hélène nous renvoie l’image d’un “pain
surprise”, d’aspect lisse et au premier
abord sans grand intérêt mais avec l’idée
d’une certaine richesse intérieure, comme
des saveurs “enkystées”, dont l’expres-
sion resterait entravée.
En effet, Hélène se présente chaque matin
vêtue d’une jupe et d’un pull dans les
teintes roses. Son manque de communi-
cation verbale surprend de prime abord,
de même que la pauvreté de sa mimique
ou sa posture, figée. Hélène n’est pas à
l’aise au sein du groupe, mais également
dans la relation avec l’adulte et certains
enfants. Dans les situations où elle est in-
terpellée verbalement, on la sent dému-
nie, se grattant machinalement la tête et
se touchant les oreilles, parfois elle pro-
nonce un mot, timidement. Lorsqu’elle a
une demande basique (pipi, demande ali-
mentaire, …), elle nous répond par “oui”
ou “non”. Actuellement, nous la sollici-
tons pour qu’elle fasse des phrases, ce qui
semble représenter un réel effort pour elle
et si elle parvient à s’exprimer c’est sur
un ton aigu, stéréotypé et dénué d’affects.
Si l’équipe soignante s’arrête à « l’image
du pain surprise, cela peut susciter une
forme de désintérêt à l’égard d’Hélène. Si
le cadre soignant est défaillant, si le soi-
gnant lui-même présente des défaillances,
il existe un risque que celui-ci se “retire
de la scène” et que la rencontre possible
avec ce sujet en devenir n’ait pas lieu
pour glisser vers ce que A. Ciccone ap-
pelle un “gel des affects” ou une “relation
métallique”, pour citer cette fois C. Gar-
dou.
Au menu : symptôme sur son lit de soignants servi en hôpital de jour ; cuisine, Contre-Transfert et Dépendances
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 145
Voici pour ce qui est de l’aspect extérieur
du plat susmentionné. Si ce pain se laisse
ouvrir, nous découvrons les surprises.
Rapidement, Hélène a trouvé ses repères
au sein du groupe après avoir intégré le
fonctionnement de ce dernier dans un
court délai. Elle se montre performante
dans les diverses situations d’apprentis-
sages scolaires, ainsi que dans les ateliers
proposés pour son accompagnement jour-
nalier. Elle est à l’aise à la gymnastique et
douée dans les jeux stratégiques. Au vu
de ses capacités, nous avons pu envisager
un retour progressif en scolarité ordinaire
sous la forme d’une intégration partielle
dans une classe à petit effectif.
Depuis plusieurs années, Hélène est sui-
vie en logopédie. Dans cet espace théra-
peutique, elle a un langage beaucoup plus
élaboré, teinté d’affects et sa prononcia-
tion est plus distincte.
Le fait d’avoir pu la découvrir pleine de
surprises nous permet d’éviter de « déses-
pérer de tout progrès » (C. Gardou). Ce-
pendant, lorsque l’équipe prend connais-
sance de la manière dont Hélène fonc-
tionne dans le cadre de la logopédie (lors
d’une séquence filmée, il apparaît claire-
ment qu’avec la logopédiste, Hélène
parle, avec des propos relativement
fluides et des intonations quasi nor-
males), le contraste est saisissant : à l’Hô-
pital de Jour, Hélène se montre encore
toujours “empruntée”, réticente pour par-
ler, pour formuler une demande, même
évidente, comme “interdite” dans ce
cadre relationnel, qui lui est pourtant fa-
milier. Grande était la tentation de “faire
changer” Hélène afin qu’elle ait la même
attitude à notre égard et entrer dans une
forme d’acharnement ou de forçage (se-
lon C. Gardou), c’est-à-dire ici, de la
“faire parler”. Autre hypothèse face à
cette situation, la vivre sur le mode de la
rivalité, vis à vis de la logopédiste, « si
elle (la logopédiste) y arrive et moi pas,
c’est que je ne suis pas assez compé-
tente », et basculer sur de la culpabilité ou
le sentiment d’inefficacité profession-
nelle, voire de la honte, terme ultime,
d’un contre transfert non élaboré, comme
l’a montré A. Ciccone.
Visionnage du film
Il apparaît clairement qu’avec la logopé-
diste, Hélène parle, avec des propos rela-
tivement fluides et des intonations quasi
normales. Le contraste est saisissant avec
la séquence filmée sur l’Hôpital de Jour
où Hélène se montre “empruntée”, réti-
3 spécialité dont le but est l’étude et le trai-tement des troubles du langage
cente pour parler, pour formuler une de-
mande, pourtant évidente, comme inter-
dite dans ce cadre relationnel, qui lui est
pourtant familier.
Questions
Le fait de voir parler Hélène en logopé-
die3 (ce qui indique qu’elle en est ca-
pable) a-t-il un effet rassurant ? Ou, à
l’inverse, est-ce que cela remet en ques-
tion les compétences des soignants par
rapport à celles supposées de la logopé-
diste ? Ainsi, je ne serais pas un(e) pro-
fessionnel(le) aussi compétente que la lo-
gopédiste ??
Quelles sont les questions plus géné-
rales qui peuvent se poser après ces deux
observations, ces deux “plats” ? Com-
ment les “métaboliser” ou les “dégus-
ter” ?
- Qu’est-ce qui peut “faire symptôme”
dans ces deux situations, ce qui est vi-
sible, ce que l’on perçoit en creux ?
- Faut-il se focaliser sur le symptôme
pour tenter de le diminuer, de
l’éteindre, avec le risque qu’il soit
remplacé “ailleurs”, ou faut-il essayer
d’amener l’enfant à l’accepter ?
- Doit-on être plus “attentiste”, laisser
davantage émerger les ressources
propres à chacune d’entre elles, avec
l’espoir d’un effet indirect positif sur
son symptôme ?
- Pour ces deux enfants le symptôme
s’exprime et est vécu différemment se-
lon les lieux, les personnes, pour ces
deux enfants, selon des modalités par-
ticulières, comment articuler le tout
dans un accompagnement harmo-
nieux, respectueux de la place de cha-
cun, et de l’enfant ?
- Selon la place que chaque profession-
nel accorde au symptôme, selon la ma-
nière dont il le “reçoit”, régulièrement
à son insu, comment prendre en
compte le contre-transfert, que ce soit
à l’échelon individuel ou sur un plan
plus institutionnel ? Quels enseigne-
ments pourrait-on en extraire ?
Dégustation
Une fois ces deux plats mitonnés avec un
savant dosage alliant passion et savoir-
faire, il est temps de passer à la dégusta-
tion et d’observer par la même selon
quelles modalités l’institution va être en
mesure de les digérer, psychiquement
parlant, de les “métaboliser” donc.
LES AUTEURS
Dr Gilles SIMON Dr Dino CARNEVALE Sophie CHAMPAGNE Claire LEHMAN Florence PILOTTI Robin LEJEANNE
Centre médico-psychologique pour enfants et ado-lescents Hôpital de jour « Villa Blanche » 16 rue Thurmann 2900 PORRENTRUY Suisse [email protected]
BIBLIOGRAPHIE
1. CHAIGNEAU H., Paroles, Editions La boite à outils, Collection dirigée par Jean Oury et Pierre Delion, 2011.
2. CICCONE A., Le contre transfert dans le quotidien des éducateurs avec les enfants qui poussent à bout, Congrès ITEP, Besançon, 11 mai 2011.
3. GARDOU Ch., Les professionnels auprès des jeunes en difficulté, Congrès ITEP, Besan-çon, 11 mai 2011.
4. YAMASHITA A., Yamashita, maraîcher ja-ponais surdoué que se disputent les grands chefs, L’express Style du 11 février 2014
Au-delà du symptôme… la porte du soin en hôpital de jour
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 146
Le plat numéro un, “aigre doux”
Les saveurs aigres douces sont par nature
des saveurs éloignées, “extrêmes”, elles
nécessitent probablement un estomac
“bien préparé” si l’on veut à la fois en sai-
sir toutes les subtilités mais également se
prémunir de certains désagréments.
Quels outils l’institution peut-elle mettre
en place dans ce but ?
Comme nous l’avons déjà évoqué précé-
demment, l’analyse la plus exhaustive du
contre-transfert représente à notre avis
l’outil central de cette stratégie car non
seulement il peut nous renseigner sur le
fonctionnement psychique de l’enfant
mais, en outre, il permet en certaines si-
tuations de moduler ou réajuster sa prise
en charge.
Schématiquement cette hypothèse se con-
crétise sur le plan institutionnel par trois
séquences :
- Première séquence : La psychopatho-
logie de l’enfant peut laisser une em-
preinte, parfois une simple trace, dans
l’appareil psychique du soignant, un
peu comme une pièce le ferait au con-
tact de la cire chaude, en “négatif” en
somme.
- Seconde séquence : il nous appartient
de faire apparaître cette empreinte en
pleine lumière à la faveur d’un travail
de “tamisage” de tout le matériel dé-
posé par les soignants, à partir des dif-
férentes réunions institutionnelles.
- Troisième séquence : “Traduire” ces
signes en essayant de les intégrer dans
un réseau d’hypothèses sur le fonc-
tionnement psychique de l’enfant avec
l’idée que cela produirait, dans notre
idéal bien sûr, des effets thérapeu-
tiques mutatifs en retour.
Une telle perspective recoupe les descrip-
tions de Delion ou Kinoo sur le fonction-
nement institutionnel. Chez Mélanie la
complexité vient du fait que ce qui fait
symptôme apparaît volontiers en creux,
voire de manière décalée et/ou indirecte,
presqu’insidieuse, dans la durée : cela
peut générer des effets péjoratifs à deux
niveaux :
- Non seulement sur l’équilibre, la cohé-
rence de l’équipe, la fluidité des
échanges au sein de l’institution, suite
aux clivages ainsi générés.
- Mais également sur l’aspect qualitatif
du travail sous la forme d’un risque de
glissement vers un accompagnement
plus éducatif, dans sa dimension res-
trictive, au détriment d’une prise en
compte plus large de la souffrance
psychique de l’enfant.
Avec Mélanie, l’utilisation du langage
fonctionne comme un leurre ; ses capaci-
tés à développer des échanges a priori
adaptés, au moins par moments, par
phases, peut nous piéger au sens où nous
risquons de concevoir son discours com-
me quelque chose d’abouti et non comme
le reflet de sa psychopathologie.
C’est ce que A. Ciccone appelle la
« pseudo écoute », c’est-à-dire que cha-
cun écoute, “de son côté”, sans cette arti-
culation plus générale, qui “transcende-
rait” les positionnements divergents.
De manière conjointe, on observe régu-
lièrement un autre “danger”, la confusion
entre les parties saines ou malades de
l’enfant avec forcément des effets néga-
tifs sur la prise en charge de l’enfant.
Les réunions de synthèse en fournissent
un bon exemple par l’expression d’avis
différents, voire opposés sur Mélanie.
Cette impression se redouble aussi dans
les ressentis des soignants, volontiers
aussi séparés et tranchés, à tel point qu’un
observateur extérieur aurait vite le senti-
ment que les gens ne parlent pas du même
enfant.
Pour essayer d’approcher le fonctionne-
ment psychique de Mélanie il faudrait
donc “renverser” cette perspective. En ef-
fet, chez Mélanie, c’est le recours au
multi clivage et aux projections répétées
qui provoquent cet effet de morcellement
chez les soignants. Pour avoir une idée de
son fonctionnement psychique dans sa
globalité il faudrait aller chercher chez
chaque soignant les “morceaux” qu’elle y
a déposé ainsi que les ressentis qui y sont
attachés, tout en les élaborant.
En procédant ainsi, une image à peu près
fidèle de Mélanie pourrait se dessiner.
Dans cette configuration on mesure com-
bien le contre-transfert peut nous être
utile, que ce soit en termes descriptifs du
fonctionnement psychique de l’enfant
mais aussi par l’éclairage qu’il nous ap-
porte concernant les incidences éven-
tuelles sur sa prise en charge.
Le second plat, le “pain surprises”
On peut dire qu’il mérite bien son nom
car même si l’on ne sait pas ce qu’il con-
tient à l’intérieur, il suscite en général
plutôt la curiosité et l’envie bien que chez
certain la part d’inconnue puisse alimen-
ter malgré tout une forme de méfiance.
A la différence de Mélanie ici, le symp-
tôme d’Hélène se montre en “positif”, de
manière “offensive”, on pourrait dire
qu’il “s’affiche” comme le ferait un plat
principal.
Avec un enfant au mutisme sélectif on ne
sait jamais réellement ce qu’il y aura une
fois que la fluidité du langage pourra
s’exprimer dans les différents lieux où il
a l’habitude d’évoluer, si tant est que cela
soit envisageable un jour.
Sous-entendu, derrière le symptôme, y a
t-il quelque chose ou pas ?
Pour ajouter à la complexité du tableau,
quand on sait que l’enfant parle, “pour de
vrai”, comme ici Hélène chez sa logopé-
diste, cela ne facilite pas nécessairement
le travail et ne présage pas non plus de
son bon déroulement.
En effet, cette “preuve dans la réalité”
peut solliciter diverses réactions chez les
soignants, on peut citer : des sentiments
(ou impressions) d’incompétence, voire
de culpabilité de ne pas y parvenir de la
même manière que la logopédiste.
Cela pourrait interférer avec la prise en
charge de l’enfant, au sens où l’idée que
le symptôme serait contrôlable ou maîtri-
sable pourrait s’imposer du simple fait
que l’enfant parvient quand même à par-
ler en certains lieux. Des pensées ou as-
sociations du style, « si elle veut, elle
peut », « il faut la forcer, on sait qu’elle
peut, c’est une question de volonté », etc.
pourraient flotter dans l’esprit des soi-
gnants.
En quoi le contre-transfert peut nous être
utile ici ?
Probablement au moins en partie pour les
mêmes raisons que lors de la situation
précédente, avec cette double dimension
du contre-transfert et, d’une part, des don-
nées qui vont documenter le fonctionne-
ment psychique d’Hélène, ainsi que,
d’autre part, celles qui vont permettre de
moduler ou ajuster sa prise en charge.
Les nuances à introduire concerneraient
plus la temporalité de ces différents phé-
nomènes.
Avec Mélanie les éléments contre-trans-
férentiels auraient plus tendance à se ma-
nifester progressivement, dans la durée,
de façon insidieuse, nous éclairant
d’abord sur son fonctionnement psy-
chique avec des déductions secondaires
pouvant permettre de moduler sa prise en
charge.
Chez Hélène, c’est d’emblée la question
de “s’emparer” du symptôme, et des mo-
dalités pour s’y employer, qui se pose
puisque la présence du mutisme sélectif
est connue des soignants bien avant l’ad-
mission de l’enfant. Il y aurait donc même
une forme d’attention particulière pour le
symptôme et le contre-transfert que l’on
pourrait “imaginer”, un peu pas “antici-
pation”.
Bien sûr, cela ne signifie pas qu’il fau-
drait exclure des effets de la pathologie
sur l’équipe dans la durée mais, avec Hé-
lène, on peut avancer de manière certes
simpliste que cette “anticipation” contre-
transfert pourrait permettre une forme de
“vigilance” quant à la mise en place de la
prise en charge.
Au menu : symptôme sur son lit de soignants servi en hôpital de jour ; cuisine, Contre-Transfert et Dépendances
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 147
On peut aussi envisager un scénario en
deux temps, le premier que nous venons
d’’évoquer, le second si le mutisme se
chronicise, avec une partition à plusieurs
tonalités du côté de l’équipe soignante, en
suivant les hypothèses de C. Gardou ou
A. Ciccone, on peut citer, liste non ex-
haustive, bien sûr :
- Ceux qui acceptent l’impuissance et
récusent le “forçage”.
- Ceux qui, à l’inverse, récusent l’im-
puissance et s’attachent à un “forçage”
sous couvert de continuer à aider l’en-
fant.
- Ceux encore qui sont dans l’évitement
ou se désengagent affectivement de la
relation avec l’enfant, pour se proté-
ger.
- Enfin, toujours à titre d’hypothèse, on
peut aussi envisager qu’il y ait des soi-
gnants qui, après avoir été dans la cul-
pabilité, glissent lentement vers la
honte.
Comme on peut l’imaginer, ces position-
nements divers ne sont pas forcément pré-
sents tous ensemble et en même temps, ils
peuvent évoluer différemment selon les
modalités contre-transfert de chaque soi-
gnant mais aussi en fonction des moyens
que l’institution pourra déployer pour y
être suffisamment attentif.
Mais, ce qui nous paraît judicieux de rap-
peler ici, c’est que, quelles que soient les
configurations contre-transfert, que nous
n’avons pas toutes évoquées, l’incidence
d’une pathologie comme le mutisme sé-
lectif peut s’avérer dans la durée particu-
lièrement péjorative sur l’équipe soi-
gnante et venir ainsi altérer sa potentialité
soignante.
Pour conclure
Nous pourrions “boucler la boucle” en
nous inspirant à nouveau de ces émis-
sions culinaires dont il a été question en
introduction. Deux expressions revien-
nent régulièrement dans la bouche des
présentateurs ou des chefs invités, “s’ap-
proprier” et “revisiter”, sous-entendu le
classique de la gastronomie demandé en
guise d’épreuve.
Ces deux expressions s’intégreraient dans
un gradient plus large, à quatre niveaux,
sensé évaluer les qualités des candidats
face à une recette donnée.
Le candidat se “plante”, passe à côté de
l’épreuve, en accumulant les erreur ; son
plat n’est pas présentable et l’aventure
s’arrête là pour lui. C’est le niveau le plus
bas.
Deuxième niveau, le candidat “bricole”
quelque chose qui ressemble à ce qui est
demandé, mais le produit n’est pas bien
fini ; il y a trop de défauts, mais le candi-
dat aura une seconde chance.
Puis nous arrivons à sensiblement mieux.
Ici le candidat parvient à “s’approprier”
la recette en question, c’est-à-dire bien la
maîtriser, la faire sans trop de panique en
cuisine en la reproduisant quasiment à
l’identique. Avec du travail le candidat
peut continuer à progresser.
Idéalement, un cran au-dessus donc, il
s’agirait de “revisiter” le grand classique
demandé par exemple. En d’autres
termes, non seulement maîtriser la re-
cette, mais aussi pouvoir y mettre un peu
de soi-même, son grain de sel, “un sup-
plément d’âme” pourrait-on dire, qui fe-
rait que l’on saurait qui a pu le réaliser,
juste en dégustant le plat en question, sans
avoir pu observer qui en est l’auteur.
On le comprend, pour l’association qui
nous intéresse aujourd’hui entre théorie,
symptôme et institution, il nous a paru in-
téressant de reprendre cette grille de lec-
ture, juste sur un mode anecdotique,
comme ça, sachant qu’il n’y a rien de
scientifique dans cette approche. Il s’agit
plus d’un prétexte pour confronter nos ex-
périences cliniques avec les vôtres.
Commencer par le bas de l’échelle, ce se-
rait être “hors sujet”, à entendre au propre
comme au figuré, cela renvoie à ce que A.
Ciccone a appelé la « non écoute ou
pseudo écoute » de l’enfant (ou du pa-
tient). C’est-à-dire qu’ici, on a tendance à
interpréter les projections du patient
comme des attaques sadiques contre les
parties nobles des soignants et/ou de
l’institution.
Le risque est alors que les choix thérapeu-
tiques, comme la sortie ou la réorientation
d’un patient par exemple, puissent se
faire non pas en prenant en compte les be-
soins réels du patient mais plus à partir
des effets du patient sur le soignant.
Bien sûr, exprimé de cette façon, cela
sonne comme un jugement lapidaire et
sans appel. De fait, la formulation a un
côté réducteur, voire violent pour une
équipe soignante dévouée et compétente
par ailleurs mais sans doute chacun con-
naît des exemples qui, a postériori, pour-
raient entrer dans cette catégorie.
Ensuite, le “bricolage”. Là encore, nous
allons reprendre une des alternatives dé-
crites par A. Ciccone : l’équipe s’appuie
sur une base théorique a priori “solide”
mais faute de recul, faute de travail d’éla-
boration, faute de “souplesse” aussi, cette
théorie risque d’être utilisée sur un mode
idéologique. Ici « la clinique n’a aucune
chance de démentir la théorie » car la cli-
nique est tellement anticipée pour s’ajus-
ter aux présupposés théoriques que cela
annule tout espace de discussion ou re-
mise en question. Au total, « dans ce cas
de figure la prise en compte du patient est
secondaire, ce qui compte c’est la sou-
mission du patient, de sa pathologie, au
modèle, à la théorie devenue idéologie ».
A un degré supplémentaire, il s’agirait
donc de pouvoir travailler avec les outils
théoriques de base propres à la psycho-
thérapie institutionnelle, déjà évoqués ici
(soit, P. Delion et P. Kinoo pour ce qui
nous concerne), en ayant pensé en amont
les conditions minimales pour que chaque
soignant, chaque thérapeute puisse “s’ap-
proprier” les outils en question afin de ne
pas basculer dans l’alternative que nous
venons d’envisager.
Très rapidement, quelles peuvent être ces
“conditions minimales” ?
Pour des raisons de temps, nous n’en ci-
terons qu’un qui s’inscrit dans la série des
invariants de la psychothérapie institu-
tionnelle, le passage à une hiérarchie dite
“fonctionnelle”.
Cela correspond à ce que H. Chaigneau
[4] appelle « l’égalité de parole » au sein
d’une équipe.
Il s’agit d’une condition nécessaire mais
pas toujours suffisante. Cela ne garantit
pas forcément la fluidité ou la diversité
des échanges lors des réunions par
exemple. S’exprimer, témoigner d’une
séquence avec un enfant lors d’une syn-
thèse, devant les autres, quand bien même
il s’agit de collègues et parfois d’amis,
c’est aussi s’exposer, c’est aussi accepter
une forme de risque. Cela ne va pas de
soi, cela n’est pas donné à tout le monde
et, en tant que tel, cela ne saurait être
exigé de tout le monde.
A nous de délimiter ce qui serait une sorte
“d’espace Schengen institutionnel” dont
le but serait de permette une libre circula-
tion de la parole et des ressentis ou asso-
ciations de chacun, en ayant en tête qu’ef-
fectivement la parole de l’un vaut la pa-
role de l’autre, au-delà d’enjeux en lien
avec la hiérarchie, en deçà de tout juge-
ment, qu’il soit moral ou qualitatif, débar-
rassée de toute anticipation théorique,
historique ou réductrice.
Enfin, le terme ultime consisterait à “re-
visiter” les classiques de nos deux pen-
seurs incontournables de la psychothéra-
pie institutionnelle en y apportant une sa-
veur particulière, conséquence de nou-
velles “rencontres ou hypothèses théo-
riques”.
Comme celles dont nous vous avons
voulu témoigner aujourd’hui auprès de
vous.
Bien sûr, il serait à la fois présomptueux
et indélicat de nous situer dans cette
Au-delà du symptôme… la porte du soin en hôpital de jour
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 148
échelle, si tant est qu’elle recouvre effec-
tivement une approche à peu près fiable
des aspects qualitatifs de notre travail.
Plus simplement, reste, sans exclusive, à
questionner ce qui constitue le fondement
de notre exercice, à savoir les articula-
tions si complexes entre clinque, théorie
et dispositif institutionnel.
.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 149
Esquiper, étymologiquement lié au mot
équipe, veut dire pourvoir un navire de ce
qui est nécessaire à la navigation et lui
faire prendre la mer. Chaque hôpital de
jour comporte une équipe soignante. Elle
se compose de différentes personnes, de
différentes professions, et de différentes
fonctions, réunies autour d’une tâche
commune : prendre soin des patients. Se-
lon la métaphore du navire, l’esprit
d’équipe, la possibilité de coopérer, la ca-
pacité de construire une cohésion et de
poursuivre une cohérence dans les soins,
sont tous des éléments qui permettront au
bateau de faire face aux difficultés, de
supporter les tempêtes et parfois aussi de
résister aux pirates.
Garder le cap est un défi que nous rele-
vons quotidiennement. Mais qu’est-ce qui
est nécessaire à la navigation ?
La diversité de fonctions, de savoir-faire,
et d’appréciations nous permet de faire
face aux situations les plus disparates, à
des problématiques diverses, à des ques-
tionnements auxquels nous n’étions pas
préparés. Dans ce sens, les ressources de
l’équipe ne s’additionnent pas de manière
arithmétique, mais constituent plutôt un
ensemble d’expériences thérapeutiques
qui se complètent et se différencient, dans
un mouvement constant, dans la même
matrice : celle du projet de soin.
Mais parfois le projet n’est pas partagé, la
direction à prendre est soumise à discus-
sion, les individus se fatiguent et ont l’im-
pression de ne pas avancer, les ambiva-
lences du patient semblent se répartir en
plusieurs fractions de l’équipe, qui s’af-
frontent dans le quotidien. Pour faire face
à ceci, l’équipe met en place des stratégies
pour faire en sorte que le travail commun
devienne un lieu de partage, de communi-
cation et une occasion d’accueillir de la
différence et de la déviance.
Enfin, les caractéristiques du bateau, la
mission confiée par l’armateur, le temps à
disposition et les coûts à assumer sont au-
tant d’éléments qui s’inscrivent dans la
vie de l’équipe.
Ce colloque vous invite à débattre de cet
équilibre complexe et ambitieux :
• Une fois embarqués, qui donne le cap et
comment se divise le pouvoir de décision
?
• Comment gérer les espaces communs et
comment structurer le temps, la durée et
la fréquence des différents soins ?
• En plein orage ou dans le brouillard,
quelle place, quelle légitimité donner aux
réunions d’équipe et aux supervisions ?
Quelle gestion des conflits adopter ?
L’infinité des expériences en relation
avec le travail en équipe nous donnera
l’occasion d’échanger autour des solu-
tions trouvées, des inquiétudes partagées
et des questions qui, pour le moment,
n’ont pas encore trouvé de réponse.
.
XLIVème COLLOQUE DES HÔPITAUX DE JOUR
PSYCHIATRIQUES
7 et 8 octobre 2016
Genève, SUISSE
L’ORGANISATEUR
Pr Yasser KHAZAAL Psychiatre
Société Suisse de Psychiatrie Sociale, section Romande Hôpitaux Universitaires de Genève Grand pré 70 C 1202 Genève Suisse
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 150
Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
- ASBL -
www.ghjpsy.be
BREF RAPPEL HISTORIQUE
À la fin des années 60, quelques années après la France, la Belgique ouvre une nouvelle structure thérapeutique au sein du Département
de Psychologie Médicale et de Médecine Psychosomatique de l’Université de Liège. Elle sera appelée “Hôpital de jour Universitaire
La Clé” en référence à ce qui avait été antérieurement créé au Canada.
L’hôpital de jour est pour nous une unité thérapeutique à temps partiel où sont dispensés des soins intensifs variés. Dans ce tte unité,
le patient est pris en charge par une équipe multidisciplinaire. Le but recherché est bien sûr adapté aux problèmes mis en évidence au
début de la prise en charge.
Très rapidement, le besoin s’est fait sentir d’organiser des rencontres entres équipes soignantes de Belgique et de France pour réfléchir
à nos actions, notre place et notre spécificité comme unité de soins dans la trajectoire psychiatrique du patient.
Ces rencontres ont évolué ensuite vers des échanges autour d’un thème général stimulant et l’on a rapidement constaté une participa-
tion nombreuse et de plus en plus interactive des équipes à l’occasion de ces colloques.
Il fallait une structure juridique pour informer les pouvoirs publics et la société de l’existence voire de la pertinence de ce modèle de
prise en charge. En 1979, le Groupement ainsi que son Comité Scientifique se réunissent pour la première fois de manière officielle à
Liège, à l’occasion du VIIème colloque. Le Luxembourg et la Suisse s’associant à ce Groupement, le Groupement des Hôpitaux de
Jour Psychiatriques Belgique - France - Suisse, sous la forme qu’on lui connaît actuellement, est créé en 1986.
Le premier président, fondateur du Groupement et de l’association, est le Professeur Jean Bertrand.
De 2000 à 2012, le flambeau a été transmis au Docteur Patrick Alary.
L’un et l’autre sont aujourd’hui présidents d’honneur et, depuis le 6 octobre 2012, le président est le Dr Christian Monney.
MEMBRES DU GROUPEMENT
- membres institutionnels : ce sont les hôpitaux de jour psychiatriques de Belgique, de France, de la Suisse et du Luxembourg.
- membres individuels : ils se répartissent en membres effectifs, ce sont les divers professionnels des structures sus-nommées, et
membres adhérents, tout professionnel de la santé mentale qui montre un intérêt particulier pour les activités de l’association.
OBJECTIFS DU GROUPEMENT
- favoriser les relations entre les différentes structures “Hôpital de jour psychiatrique”.
- faciliter la diffusion des travaux réalisés au sein du Groupement.
- organiser des conférences, des réunions, des colloques.
- coordonner et promouvoir les échanges et la formation continue de ses membres.
- être un centre de diffusion de l’école de psychothérapie institutionnelle en hôpital de jour.
- coordonner les contacts avec les personnalités et les pouvoirs, publics ou privés, du monde médical et scientifique aux niveaux
nationaux et international.
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 151
RECOMMANDATIONS AUX AUTEURS
DES ACTES À LA REVUE…
De 1973 à 1997, les actes des colloques ont été
régulièrement édités sous forme de monogra-
phies. Les textes des présentations en séance plénière et
en ateliers et ceux des discussions sur ces présen-
tations ont été rassemblés par l’organisateur de chaque colloque.
Depuis 1998, les actes sont publiés dans la Revue
des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thé-rapies Institutionnelles.
La Revue des Hôpitaux de jour psychiatriques
et des thérapies institutionnelles est éditée à l’occasion de chaque Colloque des Hôpitaux de
jour.
Elle publie les actes du Colloque de l’année pré-cédente et des textes concernant l’activité des
Hôpitaux de jour psychiatriques et les thérapies
institutionnelles.
COMITÉ DE LECTURE
Les propositions de texte sont soumises à un co-
mité de lecture composé de membres du comité
scientifique du groupement des hôpitaux de jour psychiatriques.
Il est le garant de la qualité des publications et
peut refuser certains textes, en particulier lorsque les règles éditoriales n’ont pas été respectées.
Il prend contact, s’il y a lieu, avec les auteurs,
pour les modifications qui lui paraissent oppor-tunes.
Les décisions du comité de lecture sont sans ap-
pel.
CONDITIONS DE PUBLICATION
Les manuscrits sont rédigés en langue française
et doivent être dactylographiés en TNR corps 10.
Ils seront adressés à l’organisateur du colloque par courriel.
Dès réception, deux exemplaires seront adressés
par l’organisateur du colloque concerné l’un au rédacteur en chef de la revue l’autre à l’un des
membres du comité de lecture.
L’organisateur du colloque communique la ré-
ponse du comité de lecture à l’auteur principal de
l’article.
Si des changements sont demandés, l’article, une fois modifié, est relu par l’organisateur du col-
loque avant toute acceptation définitive.
DÉLAIS DE PUBLICATION
Après chaque Colloque : les textes doivent être adressés au plus tard le
30 novembre suivant le Colloque,
l’avis du Comité de lecture sera donné au plus tard le 31 décembre suivant le Colloque,
en cas de demande de modifications par le Co-
mité de lecture, le texte définitif doit parvenir à l’organisateur du Colloque le 31 mAgence
Régionale de Santé de l’année suivant le Col-
loque.
PRÉSENTATION
La première page comporte en haut :
le titre de l’article (court, explicatif, facile à ré-
pertorier dans les index, éventuellement suivi
d’un sous-titre succinct), le nom du (des) auteur(s), en majuscules, pré-
cédé du (des) prénom(s), en minuscules en
dehors des initiales et de la fonction, l’adresse de l’auteur.
Puis :
le résumé, en français, 15 lignes au maximum,
le titre de l’article en anglais,
le résumé, en anglais, 15 lignes au maximum,
les mots-clés, en français et en anglais, 10 au maximum.
En l’absence de ces éléments, les articles ne se-
ront pas publiés. Les manuscrits doivent comporter 25 lignes par
page, recto seulement, en double interligne, avec
une marge de 5 cm à gauche et une numérotation des pages.
TEXTE
Les textes ne doivent pas dépasser 20 pages dac-
tylographiées, bibliographie comprise. Ils doivent commencer par une introduction et se
terminer par une conclusion.
ILLUSTRATIONS ET TABLEAUX
Leur nombre doit être limité. Ils doivent être nu-mérotés (en chiffres arabes pour les graphiques,
en chiffres romains pour les tableaux) et corres-
pondre à un appel précis dans le texte.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Elles doivent être classées par ordre alphabétique
d’auteur, numérotées et dactylographiées, en
double interligne, sur une page séparée. Il ne sera fait mention que des références appelées dans le
texte ou dans les tableaux ou figures.
Leur nombre maximum est de 30. Elles doivent être conformes aux normes interna-
tionales.
formats des citations : Les appels bibliographiques (citations des réfé-
rences) se font par le nom de famille et de l’ini-
tiale du prénom, année (Bertrand J., 2006). Ils
doivent renvoyer à une référence bibliographique
en fin d’article. Les mentions du type loc. cit ou
op. cit., id., ibid., etc. sont absolument proscrites. Si le nombre d’auteurs est supérieur à six, seuls
les trois premiers auteurs sont indiqués. L’intitulé
est alors suivi de « et al. ». La liste bibliographique
Chaque appel fait dans le texte doit être déve-
loppé dans la bibliographie. Réciproquement, chaque référence bibliographique doit avoir été
appelée dans le texte.
Ouvrage
Auteur., Année, Titre de l’ouvrage, numéro
d’édition, Ville de l’éditeur : Nom de l’éditeur.
Ouvrage édité
Auteur., Année, Titre de l’ouvrage, numéro
d’édition, Ville de l’éditeur : Nom de l’éditeur.
Chapitre d’ouvrage
Auteur de la partie., Année, Titre de la partie, In
Auteurs de l’ouvrage, Titre de l’ouvrage, numéro
d’édition, Ville de l’éditeur : Nom de l’éditeur, pp-pp.
Article Auteur., Année, Titre de l’article, Titre de la re-vue, Volume, Numéro, pp-pp.
Pour les revues électroniques, faire suivre la ré-
férence de l’adresse électronique du document.
Par exemple : Article : Auteur. (Année). Titre de
l’article. Titre de la revue. Volume (Numéro), pp-
pp. http://www.xxx.yyy /zzz.htm (date : jour, mois, année de la consultation par l’usager).
Thèse, mémoire, etc.
Auteur., Année, Titre, Intitulé du diplôme, éta-blissement universitaire.
Rapport Auteur., Année, Titre, Références du rapport, Ville : Institution.
Pour les sites web
Auteur (Organisme ou auteur personnel dans le cas d’une page personnelle), Titre de la page
d’accueil, Type de support, Adresse URL : four-nir l’adresse URL de la ressource (date : jour,
mois, année de la consultation par l’usager).
ABRÉVIATIONS, SIGLES, UNITÉS DE
MESURES
Pour les unités de mesure et les sigles, elles doi-
vent être conformes aux normes internationales.
Pour les noms, l’abréviation doit être indiquée dès son premier emploi, entre parenthèses.
Si le nombre d’abréviations est important, leur si-
gnification doit être fournie sur une page séparée.
NOTES DE BAS DE PAGE
Elles doivent être limitées. Elles seront désignées
uniquement par des chiffres, sans se répéter d’une
page à l’autre, et doivent correspondre à un appel précis dans le texte.
OBLIGATIONS LÉGALES
Les manuscrits originaux ne doivent pas avoir fait
l’objet d’une publication antérieure, ni être en
cours de publication dans une autre revue.
Les opinions exprimées dans l’article ou repro-
duite dans les analyses n’engagent, sur le plan
scientifique, que leurs auteurs. Tout article est une œuvre de l’esprit, il est donc
à ce titre protégé par le droit d’auteur. En soumet-tant son article au Comité de lecture de la Revue,
l’auteur autorise de facto sa publication dans la
Revue. Il peut, avant la publication, retirer à tout moment son texte s’il n’en souhaite plus la publi-
cation. Dès lors que l’article est publié, l’auteur
est réputé avoir transféré ses droits à l’éditeur à qui devront être adressées les demandes de repro-
duction.
TIRÉS À PART
Actuellement, il n’est pas édité de tirés à part.
Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
- ASBL -
BULLETIN DE DEMANDE D’ADHESION
Vous souhaitez devenir membre du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques :
à titre individuel : cotisation annuelle 50 € ou 80 CHF
à titre institutionnel : cotisation annuelle 210 € ou 350 CHF
Vous pouvez adresser au secrétariat national dont vous dépendez le bulletin d’adhésion ci-dessous
complété.
La cotisation annuelle vous donne droit :
à être tenu régulièrement au courant de nos activités
à une priorité à l’inscription au colloque annuel dont le nombre de participants est limité
à un tarif réduit à l’inscription (cotisation institutionnelle = tarif valable pour 5 membres de
l’équipe)
à un exemplaire de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institution-
nelles (cotisation institutionnelle = 2 exemplaires)
à une voix à l’Assemblée Générale statutaire
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………..………………………………...
Renvoyez le bulletin ci-dessous complété (en caractères d’imprimerie SVP) au secrétariat natio-
nal dont vous dépendez accompagné de votre règlement :
À TITRE INDIVIDUEL
NOM : PRÉNOM :
FONCTION :
ADRESSE PERSONNELLE (facultatif) :
ADRESSE PROFESSIONNELLE :
TÉLÉPHONE PERSONNEL : TÉLÉPHONE PROFESSIONNEL :
TÉLÉCOPIE : E-MAIL :
Je travaille en hôpital de jour depuis 2 ans au moins
Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :
DATE : SIGNATURE :
À TITRE INDIVIDUEL
NOM DE L’INSTITUTION :
NOM DU MEDECIN RESPONSABLE :
ADRESSE :
TÉLÉPHONE : TÉLÉCOPIE :
e-mail :
Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :
DATE : SIGNATURE :
Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 153
Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
- ASBL -
BULLETIN DE RENOUVELLEMENT D’ADHESION
Vous souhaitez renouveler votre adhésion au Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques :
à titre individuel : cotisation annuelle 50 € ou 80 CHF
à titre institutionnel : cotisation annuelle 210 € ou 350 CHF
Vous pouvez adresser au secrétariat national dont vous dépendez le bulletin d’adhésion ci-dessous complété.
La cotisation annuelle vous donne droit :
à être tenu régulièrement au courant de nos activités
à une priorité à l’inscription au colloque annuel dont le nombre de participants est limité
à un tarif réduit à l’inscription (cotisation institutionnelle = tarif valable pour 5 membres de l’équipe)
à un exemplaire de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles
(cotisation institutionnelle = 2 exemplaires)
à une voix à l’Assemblée Générale statutaire
Renvoyez le bulletin ci-dessous complété (en caractères d’imprimerie SVP) au secrétariat national
dont vous dépendez accompagné de votre règlement :
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………..………………………………………….………..
À TITRE INDIVIDUEL
NOM : PRÉNOM :
FONCTION :
ADRESSE PERSONNELLE (facultatif) :
ADRESSE PROFESSIONNELLE :
TÉLÉPHONE PERSONNEL :
TÉLÉPHONE PROFESSIONNEL :
TÉLÉCOPIE : COURRIEL :
Je travaille en hôpital de jour depuis 2 ans au moins
Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :
DATE : SIGNATURE :
À TITRE INSTITUTIONNEL
NOM DE L’INSTITUTION :
NOM DU MÉDECIN RESPONSABLE :
ADRESSE :
TÉLÉPHONE : TÉLÉCOPIE :
COURRIEL :
Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :
DATE : SIGNATURE :
Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques
- ASBL –
www.ghjpsy.be