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Revue québécoise de psychologie (2004), 25(1), 99-118 S’ADAPTER AVEC HUMOUR AU TRAVAIL INTERDISCIPLINAIRE : PISTES DE RÉFLEXION COPING WITH HUMOR IN INTERDISCIPLINARITY WORK : REFLEXIVE STATEMENTS Bruno Fortin 1 Lynda Méthot Centre hospitalier Pierre-Boucher Université du Québec à Trois-Rivières LES ÉQUIPES INTERDISCIPLINAIRES Plusieurs organismes publics (hôpitaux, centres jeunesse, etc.) et certains organismes du secteur privé (résidences pour personnes âgées, bureaux privés, etc.) fournissent des services à une clientèle qui vit des problèmes complexes et multiples nécessitant une évaluation globale de la situation du bénéficiaire. La création d’équipes interdisciplinaires répond au désir d’améliorer la condition du client et de personnaliser la résolution des problèmes qu’il rencontre (Fortin, 1997, 2001). Distinctions entre inter-, multi- et transdisciplinarité L’apparition du concept d’interdisciplinarité est conséquente à celle des équipes multidisciplinaires. La multidisciplinarité juxtapose les savoirs et les actions de diverses disciplines de façon parallèle ou consécutive, sans vision globale commune ou sans objectifs partagés (Fortin, 2000a; Guay, 1998; Larivière, 1997). Selon cette définition, chaque professionnel a son corridor d’expertise et d’action : le médecin prescrit des psychotropes; le psychologue assure la thérapie; le travailleur social visite les milieux du bénéficiaire, etc. Au mieux, une expertise est transmise aux autres professionnels œuvrant auprès du bénéficiaire. La création d’une concertation réelle entre les services dispensés au bénéficiaire est apparue nécessaire afin d'aller au-delà de simples échanges d’information entre professionnels. Pour répondre à ce besoin, l’interdisciplinarité a donc cherché à favoriser les relations d'échange, de travail et de collaboration dans un espace commun afin d'offrir une complémentarité suffisante pour atteindre un but collectif, but auquel les professionnels, sur une base individuelle, ne sauraient parvenir (Fortin, 2000a; Voyer, 2000). Compte tenu de ces distinctions importantes, bien que le terme « équipe multidisciplinaire » soit plus couramment employé par les professionnels de la santé et des services sociaux, nous privilégierons l’appellation « équipe interdisciplinaire » tout au long de l’article. Ainsi, bien que les membres d’équipes interdisciplinaires proviennent dans ce contexte, de professions 1. Courriel : [email protected].

Humour Au Travail Interdisciplinaire

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Humour Au Travail Interdisciplinaire

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  • Revue qubcoise de psychologie (2004), 25(1), 99-118

    SADAPTER AVEC HUMOUR AU TRAVAIL INTERDISCIPLINAIRE : PISTES DE RFLEXION COPING WITH HUMOR IN INTERDISCIPLINARITY WORK : REFLEXIVE STATEMENTS Bruno Fortin1 Lynda Mthot Centre hospitalier Pierre-Boucher Universit du Qubec Trois-Rivires

    LES QUIPES INTERDISCIPLINAIRES

    Plusieurs organismes publics (hpitaux, centres jeunesse, etc.) et certains organismes du secteur priv (rsidences pour personnes ges, bureaux privs, etc.) fournissent des services une clientle qui vit des problmes complexes et multiples ncessitant une valuation globale de la situation du bnficiaire. La cration dquipes interdisciplinaires rpond au dsir damliorer la condition du client et de personnaliser la rsolution des problmes quil rencontre (Fortin, 1997, 2001). Distinctions entre inter-, multi- et transdisciplinarit

    Lapparition du concept dinterdisciplinarit est consquente celle des quipes multidisciplinaires. La multidisciplinarit juxtapose les savoirs et les actions de diverses disciplines de faon parallle ou conscutive, sans vision globale commune ou sans objectifs partags (Fortin, 2000a; Guay, 1998; Larivire, 1997). Selon cette dfinition, chaque professionnel a son corridor dexpertise et daction : le mdecin prescrit des psychotropes; le psychologue assure la thrapie; le travailleur social visite les milieux du bnficiaire, etc. Au mieux, une expertise est transmise aux autres professionnels uvrant auprs du bnficiaire. La cration dune concertation relle entre les services dispenss au bnficiaire est apparue ncessaire afin d'aller au-del de simples changes dinformation entre professionnels.

    Pour rpondre ce besoin, linterdisciplinarit a donc cherch

    favoriser les relations d'change, de travail et de collaboration dans un espace commun afin d'offrir une complmentarit suffisante pour atteindre un but collectif, but auquel les professionnels, sur une base individuelle, ne sauraient parvenir (Fortin, 2000a; Voyer, 2000). Compte tenu de ces distinctions importantes, bien que le terme quipe multidisciplinaire soit plus couramment employ par les professionnels de la sant et des services sociaux, nous privilgierons lappellation quipe interdisciplinaire tout au long de larticle. Ainsi, bien que les membres dquipes interdisciplinaires proviennent dans ce contexte, de professions

    1. Courriel : [email protected].

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    varies, chaque membre fait part de ses impressions diagnostiques, cliniques et thrapeutiques au sujet du client, peu importe son allgeance professionnelle. videmment, comme dans tout groupe voulant accrotre son efficacit, lquipe interdisciplinaire favorise les dcisions consensuelles. Il revient donc lquipe de dcider des actions entreprises et de les coordonner selon une approche multidimensionnelle du client. Les rsultats sont alors attribuables lquipe et non particulirement une discipline ou une personne.

    En contexte interdisciplinaire, il importe donc de redfinir le rle de

    chaque membre de lquipe (mdecin, psychologue, travailleur social, ergothrapeute, professeur, etc.) et, par consquent, la discipline de chacun. Le dfi consiste respecter lapport spcifique des disciplines tout en favorisant la synergie et lclosion dune identit propre lquipe. En ce sens, linterdisciplinarit se dgage de la transdisciplinarit o les interactions entre les diffrentes disciplines sont si fondamentales et cautionnes quelles donnent naissance une nouvelle discipline1 (Voyer, 2000). Moins ambitieux, lidal interdisciplinaire rappelle au professionnel les forces et les limites de sa discipline ainsi que la richesse d'une interdpendance professionnelle consentie.

    Les contraintes des quipes interdisciplinaires

    Bien que la plupart des intervenants reconnaissent les bienfaits du

    travail interdisciplinaire pour le traitement des problmatiques complexes, les expriences ngatives et le sentiment dobligation alimentent chez certains une rticence envers le travail dquipe. Ils prtextent ainsi le manque de temps, de motivation, de ressources, de formation ou de confiance (en eux, aux autres ou l'quipe) pour viter le travail interdisciplinaire (Fortin, 2000a, 2000b, 2001). Il faut dire demble que les contraintes des quipes interdisciplinaires sont nombreuses.

    Ainsi, le simple fait de se runir dans un lieu commun peut tre

    astreignant pour les membres de lquipe. Les rencontres interdisciplinaires sajoutent aux runions des autres comits (dpartemental, syndical, etc.). Le professionnel en ressort parfois avec limpression que son emploi du temps est majoritairement consacr ces runions au dtriment du temps disponible pour ses clients (Fortin, 2000a).

    Dans plusieurs contextes institutionnels, les intervenants doivent de

    plus travailler avec des collgues inconnus, imposs ou trs diffrents d'eux tant sur le plan idologique que personnel (Fortin, 2000a). Les membres des quipes interdisciplinaires se plaignent aussi de la surcharge

    1. Par exemple, la neuropsychologie, la psychosociologie, la grontologie sociale et la

    psychologie communautaire dcoulent de la transdisciplinarit.

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    de travail, du manque de reconnaissance des comptences rciproques et de la confusion des rles (Fortin, 2000a).

    En fait, le travail dquipe interdisciplinaire demande au professionnel

    beaucoup dadaptation et de souplesse dans la faon de concevoir son rle, car il lui faut la fois composer avec les rles relis aux professions et avec ceux assums dans lquipe. Dune part, chaque intervenant a son identit professionnelle qui dtermine des attentes diffrentes selon la profession, le contexte de l'institution en gnral et le poste spcifique quil occupe (Fortin, 2000b). Ses opinions cliniques sont la fois tributaires de sa formation, de son exprience, de sa personnalit et de ses aspirations professionnelles. Chacun a donc une ide qui lui est propre quant aux besoins rels du client, la priorit d'intervention, au rythme d'action et la responsabilisation (Larivire, 1997). Le travail dquipe interdisciplinaire demande une grande adaptation quant lidentit professionnelle, voire sa remise en question sur les plans thorique (approche thrapeutique, par exemple), pratique (priorisation des soins et des techniques utilises) et personnel (idologies relatives au client, visions des professions).

    Chaque intervenant apporte ses propres attentes par rapport la

    situation de groupe quant aux buts (orients vers le bien-tre du client, la hirarchisation des professions, etc.), aux besoins des membres (besoins dexpertise, dchanges, de formation, etc.), au fonctionnement de lquipe (leadership, processus de prise de dcision, autonomie professionnelle, etc.) et la dimension socio-affective (relations chaleureuses ou froides, degr dappartenance, etc.) (Boisvert, 2000; Johnson et Johnson, 1997; Larivire, 1997).

    Ces attentes envers lquipe peuvent dissimuler des erreurs de

    pense, par exemple : La raction de lquipe dtermine ma valeur en tous points. Un bon fonctionnement dquipe rglera tous mes problmes. Il ny a quun fonctionnement dquipe qui me convienne. Le leader de lquipe dcouvre et rgle tous les problmes. Une fois que lquipe fonctionnera bien, nous serons heureux jusqu

    la fin des temps. Si je naime pas lquipe ds le dbut, il ny a rien faire : cest une

    cause dsespre. Si lquipe nest pas parfaite, je ne serai pas satisfait. Je peux transformer compltement cette quipe et y faire tout ce que

    je dsire si je fais assez deffort1.

    1. Ces fausses croyances sont inspires de celles cites dans le chapitre de Nevo (2001).

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    Ces attentes exagres prdisposent d'importantes dceptions et de douloureuses frustrations. Consquemment, elles suscitent ventuellement une attitude ngative devant l'interdisciplinarit. La confiance en soi, les comptences personnelles, la perception individuelle de la participation et la comprhension des buts sont d'autres facteurs qui influencent grandement le dsir dadhsion et lapport de chaque membre (Boisvert, Cossette et Poisson, 1995).

    Que faire face ces contraintes? Quels chemins s'offrent ceux qui souhaitent favoriser le bien-tre des membres de l'quipe, la crativit dans la rsolution de problme et la qualit de la communication interpersonnelle? Plusieurs recherches en psychologie et en ducation suggrent de prendre le chemin humoristique. AVANT-PROPOS SUR LHUMOUR

    En recherche comme en socit, lhumour est caractris par un statut ambigu (Martin, 2001). Il est tantt considr comme stimulus (film de comdie, par exemple), comme processus mental (perception ou cration dincongruits amusantes), comme trait de personnalit (facilit percevoir, apprcier ou produire de lhumour) ou comme rponse (rire). Cooper (2002a) note cependant que lhumour est dabord et avant tout relationnel et quainsi, un vnement est humoristique en fonction de son effet (sourire/rire) et non de lintention de celui qui la suscit (dtre drle).

    En accord avec la conception de Cooper (2002a) et en nous inspirant

    de celle de Ziv et Ziv (2002), nous dfinissons le sens de lhumour comme tant laptitude percevoir, crer et exprimer (par des mots ou des gestes) des liens originaux entre des tres, des objets ou des ides, liens qui font (sou)rire celui qui on les communique car il les comprend et les apprcie. Sous le concept de sens de lhumour se cachent entre autres les capacits dobservation (de soi-mme, des autres et du milieu), de comprhension (des liens et des rfrences relatives la culture ou lactualit, etc.) et de cration (originalit, incongruit, exagration, etc.). Une diffrence avantageuse

    Tous ne sont pas gaux face aux dfis de l'humour. Le sens de

    lhumour est une habilet inne que lindividu dveloppe au cours de sa croissance. Dune part, le dveloppement du sens de lhumour est affect par les expriences de vie (Fry, 1992), notamment par son degr de valorisation dans le milieu (par exemple, les parents aiment-ils rire? comment sont perus les collgues qui font des blagues?) ainsi que par la frquence, la qualit et la diversit des stimulations humoristiques (films, bandes dessines, blagues, etc.). Dautre part, certaines caractristiques individuelles favorisent son dveloppement et son utilisation. Selon Costa

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    et McCrae (1993), les gens recourant le plus lhumour comme faon daffronter le stress ont comme points communs dtre ouverts lexprience, cratifs, empathiques, explorateurs, curieux et libraux. Franzini (2001) ajoute que le succs dune blague ou de lhumour est souvent associ la spontanit, un autre dfi devant lequel nous ne sommes pas tous gaux.

    Il a t dmontr que lhumour offre plusieurs avantages sur le plan individuel. On sait quil est un mcanisme dadaptation efficace pour celui qui lutilise (Holland, 1982). Ds 1905, Freud (1905/1960) souligne quil correspond un des mcanismes de dfense les plus volus, ce que confirment rcemment, sous lappellation stratgie dadaptation mature , des recherches longitudinales de Vaillant (2000, 2002). Plusieurs auteurs soulignent aussi avec insistance la composante cognitive de lhumour qui favoriserait un point de vue diffrent du point de vue motionnel (Epstein et Zelman, 1997; Kuiper, McKenzie et Blanger, 1995; Morreall, 1997), une mise distance de la ralit pleine de sollicitude consolatrice (Freud, 1927/1985). Il semble en fait que lhumour permette de dvelopper un sentiment de contrle de soi et defficacit personnelle, do ses multiples impacts sur le plan individuel : une rduction des manifestations dpressives et anxieuses et une meilleure estime de soi (Deaner et McConatha, 1993; Frecknall, 1994, Lalibert, 2002), un sentiment de bien-tre accru (Kuiper et al., 1995; Johnson, 1990), voire de plus grandes capacits de rsilience (Henman, 2001) et une meilleure qualit de vie (Thorson, Powell, Sarmany-Schuller et Hampes, 1997).

    Ce nest pas non plus par hasard si le tiers des participants (n = 86) une tude de Nezlek, Austin-Lane et Null (2001) en font un critre de base pour dcrire leur environnement social : lhumour des autres apporte aussi des bnfices. En contexte de groupe de travail, par exemple, lhumour favoriserait notamment la sant, la flexibilit mentale, les relations sociales harmonieuses et la productivit des membres de lquipe (Clouse et Spurgeon, 1995; Morreall, 1997). LES FONCTIONS DE LHUMOUR

    Que ce soit en contexte interdisciplinaire ou non, lhumour permet de

    nuancer les croyances personnelles, de dvelopper la crativit, de mieux communiquer et, plus spcifiquement, dexprimer linsatisfaction de faon socialement acceptable. Nuancer les croyances personnelles

    Dans une quipe de travail, lhumour permet de remettre en question

    certaines notions prconues ou sacres et de mettre en vidence les

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    rsistances des membres au changement, notamment par la relativit, la minimisation ou lexagration. Lhumour permet de reconnatre les absurdits et les contradictions, tout comme il met en vidence la nature errone des croyances irrationnelles. Il permet didentifier nos penses voiles et celles des autres.

    En fait, les procds humoristiques ont beaucoup en commun avec les procds permettant le recadrage. La mise distance par lexagration ( Jespre que cest vrai la rincarnation. Je suis tellement fatigu que a va me prendre deux vies pour rcuprer. , la recherche du pire Si je trompe ma femme, elle finira par le savoir, elle me quittera, je frquenterai une autre femme et je devrai bien un jour la marier aussi! , et le reflet dune incompatibilit logique (dont le classique : Sois autonome! ) en sont des exemples.

    En ce sens, lintervenant dexprience sait que les procds humoristiques remplacent des dfenses inefficaces et permettent ainsi dlever le groupe au-dessus des susceptibilits et des problmes personnels que rencontrent ses membres. Lexemple suivant illustre comment une situation irritante peut tre aborde dune faon indirecte et dans un climat de travail agrable.

    Jocelyne a t rcemment employe titre domnipraticienne. Enthousiaste et nergique, elle en fait trop. Sans vouloir la blesser, les membres de lquipe interdisciplinaire souhaitent lui souligner que sa faon de vouloir venir la rescousse de tout le monde devient irritante la longue. Linfirmire lui dit alors : Je sais que tu aimerais me donner un coup de pouce, un coup de main ou une tape dans le dos, mais je dois refuser, car un rien me fait des bleus en ce moment. Lattitude de Jocelyne toujours vouloir venir en aide pourra tre

    aborde plus facilement par la suite. Son attitude est recadre sans quon lui enlve toute sa valeur. Lintervenant pourrait lui-mme utiliser lhumour pour se dgager de sa tendance tout prendre en charge et pour mieux faire face ses imperfections. Dans notre exemple, Jocelyne peut utiliser lhumour pour freiner son perfectionnisme :

    En arrivant au travail le lundi matin suivant, Jocelyne dclare ses collgues rassembls autour de leurs cafs : Aprs-demain, cest mercredi et je nai toujours rien fait!

    En riant delle-mme par lexagration, elle indique quelle a compris le

    message de ses collgues et quelle peut en rire.

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    Dvelopper la crativit On sait que la crativit et le sens de lhumour sont fortement lis

    (Csikszentmihalyi, 1996). Firestien (1990) rapporte une augmentation significative dindications verbales et non verbales de lhumour chez les personnes entranes une stratgie crative de rsolution de problme. linverse, Isen, Daubman et Nowicki (1987) mentionnent quun affect positif suscit par lobservation dun film comique amliore la performance des sujets dans une tche demandant de la crativit. Comme le conclut Morreall (1997), la recherche de crativit amne naturellement des associations humoristiques, ce qui favorise le processus cratif. Sur le plan individuel, certaines formes dhumour sont associes un mode de pense incongru (associations inattendues), ce qui peut faciliter la crativit dans la rsolution de problme (Martin, 2001), notamment dans les cas qui amnent une rinterprtation de la situation et une mise en perspective.

    Daniel est un nouvel intervenant de liaison entre les diffrents services psychiatriques (services internes, services externes, urgence, centre de crise, suivi intensif, intervention communautaire, centre de jour). Il aborde un des mdecins de son quipe de travail et lui dit : Mme Lafatigue est sortie de linterne et personne ne soccupe delle. Elle est tombe entre deux chaises. Le mdecin lui rpond avec le sourire (l'aidant passer de la complainte la responsabilisation) : Il y a un trou l. Et dans le cadre de ton nouveau travail, cest toi le bouche-trou.

    Dans la recherche dides et de solutions, les membres de lquipe

    interdisciplinaire utiliseront ici une technique bien connue : le remue-mninges (brainstorming). Cette technique de travail consiste obtenir un grand nombre dides dun petit nombre de personnes en un minimum de temps (Morreall, 1997). Pour tre efficace, le processus crateur doit passer successivement dune phase de divergence une phase de convergence. Dans ltape de divergence, les membres de lquipe donnent libre cours leur imagination, explorant les ides les plus farfelues sans censure. En leur faisant place, ils favorisent le processus cratif :

    Constatant que linitiative lui revient, Daniel convoque une runion avec un reprsentant de chacun des services pour un remue-mninge sur : Que pouvons-nous faire pour donner Mme Lafatigue et tous ses semblables les soins dont elle a besoin et viter ainsi un retour rpt lurgence? . Il les avise que sa nouvelle fonction de super-bouche-trou ne lui permet pas daccepter la cration dun trou noir ou le recours la poubelle comme solution. Le brainstorming autour d'une mtaphore tablissant un parallle entre le recyclage et la rducation permit de mettre en lumire le fait que tous ne connaissaient pas les fonctions des autres services. Il permit galement de mettre sur pied une procdure

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    plus souple de rfrence aux services communautaires comprenant un feedback au moment de la prise en charge.

    Ce processus cratif permettra aux intervenants de se rappeler

    lexistence de certaines ressources inhabituelles, de faire des liens avec des solutions adoptes antrieurement ou avec des expriences personnelles. Pour sortir des sentiers battus, il devient utile de penser autrement grce lhumour. Quant ltape de la convergence (de rationalisation), elle demande aux membres de mettre de lordre dans le fouillis quils viennent de crer (Ziv, 1988), valuant les ides lances et retenant celles qui pourraient savrer efficaces. Communiquer, persuader et favoriser lapprentissage avec humour

    Dans une quipe interdisciplinaire, le professionnel transmet plusieurs

    informations. Il partage aussi son opinion clinique et ses connaissances spcifiques. Les membres de lquipe interdisciplinaire devront connatre suffisamment lunivers professionnel dautrui pour pouvoir communiquer efficacement, notamment par lapprentissage dun langage commun. Lhumour peut tre utile dans le cadre de cet apprentissage constant puisquil aide persuader et favorise lapprentissage.

    Une prsentation stimulante et motivante peut effectivement favoriser lacquisition, la mmorisation et lintgration de nouvelles connaissances (Powell et Andresen, 1985; Prosser, 1997). Les tudiants adultes rapportent dailleurs limportance de lhumour dans leur apprentissage (Prosser, 1997), souvent associ un environnement dapprentissage dtendu (Lyttle, 2001). Dans lenseignement stratgique systmique, il est utilis pour amliorer les attitudes, rduire lanxit et augmenter la performance (Berk et Nanda, 1998). Il augmente galement le degr de satisfaction des enseignants envers leur travail et celui des tudiants leur gard (Graham, West et Schaller, 1992).

    Lhumoriste qui blague son sujet peut augmenter sa crdibilit en

    ayant moins lair de vouloir se mettre en position avantageuse (non pas pour se vanter, se valoriser, se justifier, se dfendre, etc.) (Lyttle, 2001). Cet effet est favoris si la personne est attrayante, semblable lauditoire et si lauditoire est laise.

    Charlotte est reconnue comme tant souvent dans la lune. Vous me connaissez! Jai encore failli mettre le lait dans larmoire en prparant mon caf il y a deux minutes. Je risque doublier des choses importantes. Y a-t-il quelquun parmi vous qui serait assez gentil pour prendre des notes?

    Bien que lhumour puisse parfois compenser pour des arguments

    faibles, il peut aussi appuyer une argumentation solide et dsamorcer les

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    critiques en dtournant les interlocuteurs de leurs contre-arguments (Cline et Kellaris, 1999; Lyttle, 2001). Lexemple suivant illustre que lhumour peut tre efficace pour viter un dbat de fond et les critiques lorsque ce nest pas lobjectif de la rencontre :

    Marc, psychiatre, sait que les intervenants sociaux sont rticents la prescription de mdicaments chez les enfants. Prsentant son compte-rendu dun congrs sur le sujet, il dbute en disant, sourire en coin : Aujourdhui, je ne vous parlerai pas de prendre des mdicaments comme des bonbons, mais je vous ai apport des ides qui seront des gteries pour votre cerveau.

    Le psychiatre met tout de suite en vidence que, malgr les techniques

    de vente des compagnies pharmaceutiques, il conserve son esprit critique et demeure conscient des rticences des autres membres de lquipe. Il attire ainsi lattention des membres sur le contenu de son propos, ce qui lui permet de rendre compte des nouvelles connaissances acquises lors de ce congrs.

    Exprimer linsatisfaction dune faon socialement acceptable

    Bien videmment, les conflits sont nuisibles au bon fonctionnement

    dun groupe (Ct, 1994). Pour que les groupes de travail puissent se concentrer sur leur tche principale, lnergie des membres de lquipe ne doit pas tre perdue dans des conflits et des tensions interpersonnelles (Boisvert, 2000; Payne, 2000). Lhumour, comme stratgie de gestion motionnelle, permet dexprimer son insatisfaction et dattnuer les conflits.

    Lhumour permet de traduire des sentiments ambivalents et

    contradictoires. Lorsquun intervenant observe une incongruit, lhumour peut remplacer avantageusement les ractions de tristesse, danxit ou de colre quil ressent. Lhumour peut, par exemple, tre une faon socialement acceptable dexprimer sa lassitude, son hostilit ou sa rvolte (Holmes et Marra, 2002; Kahn, 1989) :

    Lors dun expos du psychologue, lergothrapeute lve la main : Vous parlez de la ncessit de mettre des limites et de tenir compte de ses besoins. Est-ce quon peut appliquer cela et prendre une pause?

    Si la communication nest pas assez ouverte pour que des vrits

    importantes puissent tre exprimes, il y a un risque pour quelles sexpriment indirectement travers des commentaires corrosifs. Le sarcasme et lironie peuvent contenir une trop grande part dhostilit :

    Le chef de dpartement reproche la prpose laccueil de ne pas sourire. Cette dernire lui rpond : Commencez par sourire, et je vais

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    vous sourire en retour. Coopratif, le chef sourit. La prpose lui dit alors : Bien, maintenant gardez ce sourire pendant huit heures. 1

    APPORTS SPCIFIQUES DE LHUMOUR EN CONTEXTE INTERDISCIPLINAIRE

    Plusieurs auteurs louent galement les mrites de lhumour comme stratgies de survie et dadaptation (Burchiel et King, 1999; Wormer et Boes, 1997) au sein dune quipe de travail. Landis-Schiff (1992) rapporte que lhumour se dploie comme une manifestation extrieure de relations sous-jacentes. Il dfinit quatre phases dhumour en relation avec les tapes de dveloppement dun groupe de tche : 1) ce nest quune blague, 2) nous nous provoquons pour tablir les normes, les frontires et les pouvoirs, 3) nous canalisons les nergies du groupe vers la tche et 4) nous badinons amicalement en nous concentrant sur la tche, en maintenant et en renforant lidentit du groupe, les normes et les frontires. Cette volution humoristique touche particulirement quatre grands volets : le climat socio-affectif serein, lattention dirige vers la tche, lchange de diffrents points de vue et lefficacit du leadership.

    Favoriser un climat socio-affectif serein

    Lambiance de la runion interdisciplinaire influence grandement lefficacit et la satisfaction des membres. Les relations entre les membres de lquipe seront facilites sils adoptent des comportements visant dtendre lambiance, attnuer les tensions, encourager les collgues et leur donner un appui (Boisvert et al., 1995). Lhumour permet de crer et de maintenir un climat dquipe sain, satisfaisant et efficace. Plusieurs recherches ont dmontr que dans les organisations, lhumour est associ une amlioration du moral des employs (Martineau, 1972; Hayden-Miles, 2002), une augmentation de la motivation (Crawford, 1994; Dienstbier, 1995), la cration dune culture organisationnelle plus positive (Clouse et Spurgeon, 1995) et ventuellement une plus grande cohsion de groupe (Duncan, Smeltzer et Leap, 1990).

    Lhumour permet effectivement de maintenir un bon climat de travail en dirigeant lattention du groupe vers des penses agrables. Cest une puissante technique de distraction qui permet de prendre temporairement une distance par rapport un problme ou une proccupation, de marquer une pause, pour mieux revenir la rsolution de problme. Le sujet de lhumour importe alors trs peu. Une anecdote rcente, une blague lue sur Internet, un rsum de film ou dmission de tlvision peuvent faire laffaire. Souvent, le rire peut tre vu comme lindication dun

    1. Cet exemple est inspir de Kahn (1989).

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    accord et dune comprhension partage de ce qui se passe (Landis-Schiff, 1992).

    En fait, lhumour contribue ltablissement de relations positives avec

    celui qui lintroduit. Lhumour augmente lattrait interpersonnel tout en facilitant le soutien social et la cration dalliances (Martin, 2001). Il facilite lexpression de laffection, favorise lintimit et met laccent sur laspect positif dune situation (Martineau, 1972; Hayden-Miles, 2002).

    Louise adapte une blague populaire pour son collgue Bernard : Cela fait longtemps que nous nous connaissons. Tu tais mes cts quand jai chou un examen. Tu tais l lorsque jai failli perdre mon emploi, lorsque je doutais de mes comptences, lorsque jtais dcourage de la vie. Tu tais l chaque fois que jai travers des moments difficiles. Finalement, je pense que tu me portes malheur!

    Puisque lhumour contribue diminuer lanxit et linconfort, il peut

    tre utile de lutiliser dans un contexte ducationnel pour aborder des sujets dlicats tels que le vieillissement, la mort, le deuil et le suicide afin de vrifier si les canaux de communication sont ouverts (Johnson, 1990). Confronts rgulirement des thmes malaiss, les membres dune quipe interdisciplinaire utiliseront lhumour pour dsamorcer les situations charges motivement. Les blagues qui mettent en vidence le partage dune condition humaine commune peuvent galement permettre daborder du matriel dlicat ou potentiellement embarrassant et permettre de constater que lon nest pas unique ou seul devant la douleur ou une situation tragique (McGhee, 1999).

    Louise prend la parole en runion dquipe : Jai dj donn un atelier de gestion du stress un groupe dinfirmires travaillant lurgence. Nous explorions les critres de succs. Certaines croyaient que pour tre satisfaites de leur journe de travail, il fallait quil ny ait aucun mort. Elles ntaient pas satisfaites souvent! Cest invitable quil y ait des morts lurgence tout comme il est invitable quil y ait des suicides dans notre clientle si nous choisissons de travailler auprs de personnes suicidaires.

    Lintervenant passe ainsi un message despoir en soulignant que

    devant la situation, il nest pas submerg par langoisse.

    Toute activit qui favorise la cohsion de l'quipe et qui cre un climat agrable peut tre bnfique. Le temps et l'nergie disponibles tant toutefois limits, souvent l'attention des membres de l'quipe ne portera sur le climat de travail que lorsqu'il y aura un problme rsoudre dans ce domaine. Aucune quipe ne survivrait si elle consacrait toute son nergie au bien-tre de ses membres. Il faut savoir se mettre au travail.

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    Rediriger lattention vers la tche

    Lquipe interdisciplinaire est avant tout un groupe de tches. On sattend y trouver une activit srieuse, structure, dirige vers latteinte de buts productifs (Fortin, 1997; Morreall, 1997). Lhumour sera plus apprci sil est peru comme utile. Il est dailleurs souvent utilis pour communiquer des messages srieux (Lalibert, 2002). Qui n'a pas entendu :

    Nous ferions mieux de commencer si nous voulons finir! , Il faudrait commencer la runion si on veut pouvoir s'arrter pour prendre une pause ou Vous vous tes assez amuss les enfants, la rcration est finie . On peut aussi penser Il faut bien gagner son salaire! ou Il faudrait avoir l'air de travailler, le patron pourrait passer .

    Lhumour favorisant la cohsion (Martineau, 1972), il contribue ce

    que chaque membre de lquipe devienne un participant actif qui collabore latteinte des objectifs (Bertcher, 1987). Duncan (1984) observe que des travailleurs utilisent souvent lhumour pour convaincre ceux qui ne font pas leur part de travail de faire plus defforts.

    Alain prend la parole en runion d'quipe : J'ai un problme. Je vois un psychopathe toxicomane suicidaire et homicidaire qui est prsentement en conflit avec les Hells Angels. Ayant l'attention des gens, il ajoute : Ironie du sort, le Dr Malodo m'a rfr ce patient violent parce qu'elle ne voulait pas tre seule avec lui... Et elle est en cong de maladie depuis six semaines. Ce qui fait que c'est moi qui suis seul avec lui. Au secours!

    Lhumour attire lattention. Il peut aider focaliser sur les lments les

    plus pertinents pour atteindre les buts fixs. Lhumour favorise un quilibre entre les besoins ludiques et le travail. Il permet de circuler entre la tche, la procdure et le climat. Il peut constituer une premire tape vers une discussion plus srieuse.

    Line aborde son collgue Tommy : Veux-tu bien me dire ce que tu as fait Monsieur Baboune? Je le connais depuis dix ans et je ne l'ai jamais vu sourire! Et il est sorti de ton bureau en riant! Lui donnes-tu de la drogue? Est-ce que tu le chatouilles? Aprs cette entre en matire, elle a obtenu un rendez-vous avec Tommy pour parler plus srieusement de ses stratgies d'intervention.

    Explorer diffrents points de vue

    Bien que la cohsion soit un lment dune communication efficace, une certaine htrognit doit y subsister pour favoriser le dynamisme du groupe, pour que chacun puisse profiter de la richesse et de lexprience

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    des membres et conserver un esprit critique envers lopinion majoritaire (Leclerc, 1999). Lhumour favorise cette htrognit.

    Les problmes de communication (messages contradictoires, faible

    capacit dcoute), les diffrences de statuts (surestimation et sous-estimation) et le manque de souplesse (rigidit de pense) nuisent lefficacit de la communication et du groupe (Ct, 1994). Le rire et lhumour peuvent servir ponctuer le discours en soulignant que lquipe vient de solutionner un problme et sapprte en aborder un autre. Par exemple : Ouf! On a russi rgler cela. On pourra dire qu'on a gagn notre salaire aujourd'hui! Si le prochain cas est aussi complexe, je veux une augmentation. Lhumour peut aussi permettre dindiquer que lon aborde un sujet dlicat o lun des participants risque de perdre la face. Par exemple :

    Je ne parle pas beaucoup en runion dquipe parce que ma confiance est limite envers les capacits de comprhension et de soutien des gens. Pas de vous en particulier! Je ne vous connais pas! Des gens en gnral. Ne prenez pas a de faon personnelle. Cest moi qui est paranode!

    Enfin, lhumour peut souligner la prsence dun lien entre les membres

    de lquipe (Adelswrd et berg, 1998). Que l'on est donc du bon monde! Je n'ai pas dit du beau monde! Du bon monde! Bof, du beau monde aussi! Assurer un leadership efficace

    Tout comme le leadership, lhumour implique lutilisation dhabilets qui peuvent tre amliores par la pratique (Dewitte et Verguts, 2001; Franzini, 2001; Gentilhomme, 1992; Powell et Andresen, 1985). Rgulateur social intra-groupe (Landis-Schiff, 1992), lhumour permet, par la rtroaction quil fournit, dencourager le respect des normes et de rejeter la dviance. La tche du leader en est facilite. En utilisant lhumour comme stratgie dadaptation, lintervenant favorise le rendement optimal du groupe (objectifs compris, accepts, climat informel, dcisions prises en groupe, responsabilits claires, dcentralisation du pouvoir, etc.). Selon Anzieu et Martin (1981), lhumour permet dtablir un leadership dmocratique en tentant damener tous les membres partager leurs ides et discuter des dcisions. Lutilisation de lhumour constitue donc un exemple pour lentourage et assure un leadership positif (Anzieu et Martin, 1981).

    Cest pourquoi les bons leaders ont un plus haut niveau dhumour

    (Priest et Swain, 2002). Leclerc (1999) ajoute au sens de lhumour la capacit de reconnatre ses erreurs comme caractristique dun leader efficace. En fait, les leaders qui expriment de lhumour sont plus aims de

  • Sadapter avec humour au travail interdisciplinaire : pistes de rflexion

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    leurs subordonns (Cooper, 2000b). Ils sont galement plus apprcis par leur employeur et leur service est gnralement plus productif (Avolio, Howell et Sosik, 1999).

    Compte tenu de sa position de pouvoir, lanimateur doit toutefois

    utiliser lhumour avec prcaution. Cooper (2002a) dcrit lhumour comme une des stratgies les plus efficaces et les moins risques pour susciter les bonnes grces dautrui. Toutefois, si les individus sont gnralement attirs par ceux qui expriment de lhumour (Byrne et Neuman, 1992), ceux-ci doivent clairement indiquer, par le ton de leur voix et leur attitude non verbale, que lquipe est amene dans une zone de jeu et non dans une zone de menaces, comme lorsquon affirme, par exemple : Que ceux qui veulent tre pays me suivent!

    En fait, lanimateur est souvent le spcialiste du processus et non du

    contenu. Les membres dune quipe interdisciplinaire tant des experts dans leur domaine respectif, il sagit de ne pas y faire d'intrusion exagre :

    Diane dfend rgulirement son territoire dergothrapeute. Elle explique au mdecin : Ne me dis pas comment rdiger mon rapport dvaluation et je ne te dirai pas quoi prescrire. Infirmire responsable des services ambulatoires, Martine anime des runions en se concentrant sur la mission de ltablissement, les contraintes administratives et la mobilisation des forces de chacun. Le psychologue de lquipe lui a dj dit ce sujet : Que les gestionnaires grent! Si javais voulu faire de ladministration, je serais all chercher mon MBA. Jai besoin que tu fasses ce que tu peux pour obtenir le test que je tai demand. Cest un test dans plusieurs sens du terme.

    Le leader fera la diffrence entre les interventions humoristiques qui

    contribuent crer un climat de travail agrable et les dviances nuisibles qui empchent datteindre lobjectif (Morreall, 1997).

    LES LIMITES DE LHUMOUR

    Lhumour nest pas un antidote tous les problmes rencontrs en

    quipe. On sait dores et dj quil ny a pas de lien direct entre limpression subjective dtre drle et le degr rel dhumour utilis (McNinch et Gruber, 1995). Certains se croient donc plus drles quils ne le sont, notamment parce que ce que lon trouve drle diffre dun individu un autre (Olsson, Backe, Sorensen et Kock, 2002).

    Selon Olsson et ses collaborateurs (2002), seuls 20 % des rires mis

    auraient un effet positif sur la personne cible. Les effets de lhumour peuvent devenir nuisibles si, par exemple, notre interlocuteur croit que lon

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    rit de lui. Epstein et Zelman (1997) recommandent dtre particulirement prudent lorsquil sagit dimiter le style de communication de notre interlocuteur, car cette forme dhumour est propice tre vcue comme une attaque lintgrit de la personne. Elles recommandent galement dviter lhumour dans les situations o notre interlocuteur dsire une discussion srieuse, car cela peut disqualifier limportance de ce qui est dit en laissant croire que ce qui est exprim a peu dimportance ou quil ny a pas deffort faire pour lapprendre, lintgrer et le matriser (Sultanoff, 1994).

    Dans les situations associes la dtresse dautrui, lempathie sera un

    lment essentiel une utilisation efficace de lhumour (Olsson et al., 2002). On sait que lhumour est difficilement apprci par les personnes obsessives ou dprimes (Rosenheim et Golan, 1986). Les personnes avec des problmes daudition ou des dficits cognitifs peuvent ne pas comprendre ce quil y a de drle (Schnarch, 1990) alors que celui qui est particulirement sensible certaines allusions percevra des attaques o il ny en a pas ncessairement. Il semble que le rire soit trop souvent une rjouissance devant le malheur dautrui, une arme contre un ennemi commun, lidentification dun bouc missaire et une protection contre lextrieur. On peut penser aux ravages associs au harclement moral ou la perscution dun bouc missaire (Landis-Schiff, 1992). Le code pnal permet mme parfois de svir en cas de harclement. Lhumour peut aussi tre raciste, sexiste ou agiste. Lutilisation dun humour dnigrant dans le milieu de travail a dailleurs un impact sur labsentisme (Cooper, 2002b).

    Lhumour peut galement traduire des comportements pouvant nuire

    srieusement au travail et latteinte des objectifs : rechercher la sympathie, distraire de faon inapproprie, rechercher lattention ou rivaliser avec ses collgues (Myers et Myers, 1990). Il peut camoufler les conflits et empcher la personne de faire face aux problmes. Une rsolution de problme interrompue ou reporte ne doit pas devenir une rsolution de problme annule. On peut citer le cas de lintervenant qui socialise lexcs, drange les autres, fait le clown pour viter linspection de son niveau de comptence. Lutilisation constante de lhumour pour fuir les problmes devient une stratgie inefficace dvitement associe au nvrotisme (Moos et Schaefer, 1982).

    Si lhumour est le principal moyen de communication dune personne,

    labsence momentane dhumour chez celle-ci risque dtre perue comme une dsapprobation (Kuhlman, 1984). Mal utilis, lhumour peut tre la source de malentendus. Lambigut souvent associe lhumour peut tre un champ fcond de conflits, de frustrations et dangoisses (Schnarch, 1990). Bertcher (1987) suggre davoir recours lhumour lorsque lquipe est dans une impasse, lorsque latmosphre est tendue, que certains

  • Sadapter avec humour au travail interdisciplinaire : pistes de rflexion

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    membres sont en colre, maussades ou rancuniers parce que les autres nacquiescent pas leurs suggestions ou lorsque aucun progrs apparent nest fait dans la rsolution du problme. Il insiste sur une utilisation ponctuelle de lhumour qui ne disqualifie pas celui qui en est la cible et qui nloigne pas lquipe de sa tche.

    Laisance partager lhumour dpend grandement de la rpartition du

    pouvoir au sein de lquipe (Dwyer, 1991; Kahn, 1989). Certains leaders ne souhaitent pas diminuer la distance sociale associe leur poste. Les blagues provenant dune personne de moindre statut risquent dtre moins bien reues par eux. Ce ne sont pas tous les chefs de service qui accepteront que l'on remette en question un ordre trop autoritaire ou des exigences excessives (Un chausson aux pommes avec a?). Il y a risque d'escalade hostile.

    Notons galement que plus la personne utilisant lhumour est sensible

    au feedback positif (rires spontans, encouragements, etc.), plus elle fera des blagues; alors que la sensibilit au feedback ngatif rendra lusage de lhumour plus pertinent (Dewitte et Verguts, 2001). L'humoriste qui recherche l'attention mettra donc une multitude de farces mdiocres. Celui qui est particulirement sensible la critique s'assurera, quant lui, que l'humour qu'il exprime sera compris et apprci de son public.

    CONCLUSION

    condition dviter den abuser, lhumour peut aider chaque membre dune quipe interdisciplinaire nuancer ses croyances errones sur lui-mme, sur le travail en quipe et sur linterdisciplinarit. Il permet de rencontrer les objectifs de travail dune faon crative, de transmettre linformation de faon persuasive et efficace ainsi que dexprimer son dsaccord dune manire socialement acceptable. Lutilisation des procds humoristiques en contexte interdisciplinaire favorise le maintien dun environnement de travail agrable en redirigeant lattention vers la tche et en permettant lchange des divers points de vue. Enfin, le sens de lhumour est un atout pour le membre voulant exercer un leadership positif, souple et dmocratique. En utilisant lhumour, les membres dune quipe interdisciplinaire peuvent obtenir une certaine satisfaction de leurs diffrents besoins tels que leurs besoins dautonomie, dappartenance, de socialisation et de valorisation. Rfrences Adelswrd, V. et berg, B.-M. (1998). The function of laughter and joking in negociation

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    Les psychologues et les autres professionnels de la sant travaillent de plus en plus en contexte interdisciplinaire. Malgr ses vertus, linterdisciplinarit engendre plusieurs contraintes que lhumour peut allger. Il peut tre utile pour nuancer les croyances personnelles, pour dvelopper sa crativit, pour favoriser les apprentissages, la persuasion et la communication et pour exprimer adquatement un dsaccord. En contexte de groupe, lhumour permet de crer un climat serein, de rediriger lattention vers la tche, dexplorer les diffrentes opinions et dassurer un leadership efficace.

    humour, rire, quipe, interdisciplinarit, adaptation

  • Sadapter avec humour au travail interdisciplinaire : pistes de rflexion

    118

    Abstract Key words

    Psychologists and other health professionals work more and more in an interdisciplinary context. In spit of its advantages, interdisciplinarity brings constraints that can be alleviated by the use of humor. It can be used to revise personal beliefs, develop creativity, facilitate learning, persuasion and communication, and to express disagreement. In a group setting, humor can be used to create a confortable climate, to direct attention toward the task at hand, to explore different viewpoints and to promote effective leadership.

    humor, laugh, teamwork, interdisciplinary adaptation, coping