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NOTE SUR LE RAPPORT DE LA FORME DES NOMS PROPRES AVEC LA NATIONALITÉ A L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE I'Afl M. EDMOND LE BLANT, Membre résidant. (Extrait du xxvirt' volume des Mémoires de ii Societe impériale des 4esiuures de France.) Dans le quatrième de ses récits mérovingiens, Augustin Thierry énumère les e'véques assemblés pour juger Prétextai: aLes membres du synode, dit-il, venus soit des villes qui formaient primiti- vement le partage du roi Hilpérik, soit de celles qu'il avait conquises depuis la mort de son frère, étaient en partie gaulois et en partie frariks d'o- rigine. Parmi les premiers, de beaucoup les plus nombreux, se trouvaient Grégoire, évêque de Tours, Félix de Nantes, Donmolus du Mans, Ho- noratus (l'Aflhiens, itherius de Lisieux et Pap- peIns de Chartres. Parmi les autres, on voyait Do t ri I il I il II III il il II tA 1'1E

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NOTESUR LE

RAPPORT DE LA FORME DES NOMS PROPRES

AVEC LA NATIONALITÉ

A L'ÉPOQUE MÉROVINGIENNE

I'Afl M. EDMOND LE BLANT,

Membre résidant.

(Extrait du xxvirt' volume des Mémoires de ii Societe impérialedes 4esiuures de France.)

Dans le quatrième de ses récits mérovingiens,Augustin Thierry énumère les e'véques assembléspour juger Prétextai: aLes membres du synode,dit-il, venus soit des villes qui formaient primiti-vement le partage du roi Hilpérik, soit de cellesqu'il avait conquises depuis la mort de son frère,étaient en partie gaulois et en partie frariks d'o-rigine. Parmi les premiers, de beaucoup les plusnombreux, se trouvaient Grégoire, évêque deTours, Félix de Nantes, Donmolus du Mans, Ho-noratus (l'Aflhiens, itherius de Lisieux et Pap-peIns de Chartres. Parmi les autres, on voyait

Dot ri

I il I il IIIII il il IItA 1'1E

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NOTE SUR LE RAPPORT 1)5 LA FORME

Raghenemod, évêque de Paris, Leudowaki deBaveux, Romabaire de Coutances, Marowig (lePoitiers, MalLdf de Seuils et Bertiiramu de Bor-deaux.

Rien dans les textes n'autorise à t'aire, au pointde vue des nationalités, le départ que proposel'illustre historien. Un seul indice le guide, danscette distinction, c'est la forme des noms propres,et plusieurs Fois ailleurs, Augustin Tliierry a pré-senté, de même, comme galloi'omams, (les per-sonnages que leurs vocables lui semblaient ratta-cher à la race des vaincus'. Ce n'est point lit

toutefois, dans son esprit, un système absolu. Iit'ait des exceptions et les signale', et la critique eûtpu, je le pense, sans abjurer aucun de ses droits,traiter avec l)ltJS de respect le sentiment d'unhomme qui a su donner à l'histoire de nos ori-gines tant d'attrait et de vie.

Les redressements, les reproches ne lui ontpoint été ménagés. On a cité pour établir la con-fusion (les noms dans les différentes races, Leu-daste fils d'un gallo-romain, Bertulfus, fils deFlorus, saint Goar, fils de Georges et (le Valérie,Grégoire de Tours, neveu de Gondulfus', et jepuis apporter dans le même sens l'exemple dideux princes barbares, Herminégilde et Cadual

I Cinquième récit, p. 118 et 137, édit. de 1851.12. Quatrième récit, p. 61; cinquième récit, p. 118.3. Aubineau, Critique et réfutations de M. ,IuusIu,

'I'/tir'rr, p. RI i 8.

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DES NOMS PROPRES vc UÀ :

qui prirent au baptême les noms de jean et dePierre Mais il n'y a point dans ce dernier ordrede faits une cause de confusion aussi large qu'onle pourrait croire. Le changement dont je parlen 'a point toujours en effet amené le même ré-sultat; souvent, le nom nouveau était, commel'ancien, de forme germanique; sur les fonts bap-tismaux, Waldon fut appelé Berchtramn' et saintBayou, Allowinus'.

,l'hésiterais donc pour ma part à condamner,aussi complétemeut qu'on a cru pouvoir le faire,un système qui pour l'époque mérovingienne,me semble avoir sa raison d'être et sa valeur, sil'on sait l'appliquer avec mesure. A quelque de-gré qu'ait pu venir la confusion des noms, il estcependant pour un grand nombre d'entre eux, sije puis m'exprimer ainsi, une certaine saveur deterroir qu'il ne saurait ê'e permis de méconnaître. Il suffit, pour s'en assurer, d 'un coupd'oeil jeté sur les souscriptions (les conciles. EnOrient, les vocables bibliques et ceux d'originegrecque dominent dans le concile de Chalcé-(tome, les évêques de la Phrygie Pacatienne senomment Nunécitius, Modestus, Eulalius, Mat-thias, Charis , Thomas, Johannes, Genuadius,[)anieltis, Paulus, Gennadius, Philippus, Evan-

1. Greg. Tur., His. Franc., V, 39. —Fabretti, Inscript

(1O,m'Vt., C. X, n0 463.2. Gre. Tur., Jfjç( Franc., VIII,.3. Mabillon, Acta £S. vrd. Bened., t. II, ip. 39v.

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NOTE SUR LE RAPPORT DE LÀ FORME

dros t ; à Rome le décret du pape Hilaire est ap-puyé de signalures que nul ne s'étonnera detrouver en Italie : Petrus, Prirnus, Gaudentius,Paulinus, rfibuîtius Feux, Justus, Concordius,Constautinus, Pnetextatus, Ciaudius, Crispianus,Majorianus, Januarius, Concordius, Constanti-nus, PratextaLus, Claudius, Tiberi us, Romanus,Florentius, etc.'. La conquête et l'occupation dela ville éternelle par les barbares seront impuis-santes à introduire parmi les noms (le cette série,le mélange des vocables germaniques dont lenombre luit pu" dominer en Gaule'. Si l'on jetteles yeux sur les conciles d'Afrique, tout eu re-connaissant, dans l'appareil de lonomasticonlocal, le caractère romain de cette grande pro-vince, on y retrouvera des noms qui accusentfortement leur origine, (les Donatus', des Boni-fatius', des Adeodatus, des Quodvultdeuseu grandnombre'.

Chaque pays a donc son type, sa tradition, simarqués qu'ils pourraient au besoin permettre

1. P. Pithieus, Codex canona,n, p. lIS.. Id. p. 250.

3. Voir ci-dessous, p. 41f.

4. « Quanquam enim Donati nomen afrum esse soleat D,

dit saint Augustin (Episi. XLIV, Eleusio, Glorio et Felici-bus, S 6.)

5. Voir mes ln.script. chrèt. de la Gaule, t. I, p. 385.6. Vict. Vitens. Persec. ï'andal. Ed. Ruinart, p. 6 et

suivantes

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DES NOMS PROPRES AVEC LA NATIONALITÉ

souvent de rattacher, par la seule forme desnoms, à l'Orient, à l'Occident, au Sud, une sim-ple liste de signatures antiques.

L'adoption générale d'une série de vocablesn'est point d'ordinaire le fait d'une mode irréflé-chie, et ce serait peut-être ici le lieu de dire com -ment on doit onvent chercher dans l'histoiredes idées, dans celle des origines nationales etdes invasions, la cause d'une multiplication biendigne (le remarque. Mais un tel développementme conduirait trop loin ; il me faut serrer del) F S le sujet qui m'occupe et montrer, par unnouvel exemple, l'importance et la valeur desnoms pour la recherche des nationalités. Dansla voie non frayée où je m'engage, j'ai l)csOjnde toute attention, peut-être aussi de toute in-dulgence.

Si je relève séparément, dans nos antiques in-scriptions de la Gaule, les vocables des ecclésias-tiques et ceux des séculiers, une large différenceapparaît. SurhS?' noms masculins de laïques, il enest 108 d'origine barbare; sur 82 noms d'hom-mes d'Eglise, je n'en trouve que 8 ; soit, dans lepremier cas, presque le quart, dans l'autre, àpeine le dixième. ,J'hésiterais à penser que surune masse dc 569 noms', le hasard ait engendré

1. Je dois expliquer comment j'ai établi ces chiffres, IIva sans dire, (l'abord, que je ne tiens pas compte, parmi les001115 que fournit mon rtciieil, des signatures tracées Sur

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NOTE SUR LE RAPPORT DE LA FORME

seul une différence supérieure à la moitié; maisbien que nos inscriptions appartiennent surtoulau sixième siècle, le nombre des marbres anté-rieurs aux invasions paraîtra peut-être suffisantpour jeter du doute sur la portée du résultat queje signale. L'examen des listes de signatures four-nies par nos conciles, c'est-à-dii'e par des textes

me placera sur un terrain plusà date certaine, sûr. I)el'an 475 oùj'ytrouve pour la première foisun nom germanique, jusqu'à l'an 578, les voca-bles de cette espace s'y présentent dans une pro-portion de 28 sur 508, qui n'atteint pas 1118e;

l'autel de Minerve (ln.veription, n° 609) par des pèlerins duonzième siècle. Je supprime également vingt noms mascu-lins que donnent les marbres datés antérieurement à 40.Il y aurait peut-être encore lieu à un autre retranchement. Sil'on admet avec moi que les inscriptions de Trèves s'arré-tent en 46 1s (Revue archéologique, 1864, p. 531 et la Préfacede mes laser. elirét.), on ne peut faire entrer en ligne (lecompte les monuments d'une population antérieure à l'in-vasion et dans laquelle l'élément barbare n'a pu être mêléqu'accidentellement. Or, si du chiffre 487 que je viens d'in-diquer, on supprime les 63 noms masculins donnés par lesinscriptions de Trèves, la difîérence se marque puis encore,puisque je trouve, dans ce cas, parmi les séculiers, 108 flOusgermaniques contre 424 vocables grecs et latins. En faisantdans mes autres inscriptions le tri de celles qui sont évideni-ment antérieures à l'étahlissemezit des Barbares dans laGaule, il serait facile de démontrer que la proportion desnoms germaniques est encore plus grande, et que par con-séquent leur petit nombe sur les monuments du clergé est1 1 111 , 01,C 1 diis (ligne de runla rque

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DES NOMS PROPRES AVEC LA NATIONALITÉ.

ils ne commencent à se multiplier qu'à la fin dusixième siècle et dans le courant du septième,c'est-à-dire à un temps où le mélange des racesdevait être presque accompli.

Devant le résultat fourni par l'onoinasticondes marbres et des conciles, il ne m'a point sem-blé inutile de rechercher si, comme le fait acquispeut le donner à croire, l'élément romain ne do-mina point longtemps, dans ]'É glise, l'élémentgermanique.

Par sa constitution, sa vie, notre clergé se rat-tache à la race vaincue. Dans les lieux mêmesqui obéissent aux codes barbares, il se régit parla loi romaine; pour citer les textes les plus an-ciens, des conciles d'Orléans' et de Tours', uneconstitution royale rendue vers l'année 560 , laloi des Ripuaires en témoignent. Sous le sceptre

1. Conr. Aurel, 1, a° 541, c. 4. De hoinicidis, adulteris etfurihus, si ad ecclesiam confugerint, id constituiiuus obser-vandum quod ecclesiastici canones et tex romana constituit.

. Conc. Turon. II, a° 567, c. 20. Quia lex romana con-stituit.... C. 21. ]Itemque ait sacra sententia legum....

3. Ch lot arii regis Constitutio generalis, SI 3 (dans BaLuze,Capital. t. I,p. 9 et 10).

4. Tit. LVIII, I. . ..... Secundum legeni romanam quaEcclesia vivit (dans Canciani, Lees Barbarorum, t. II,p. 311). Voir aussi Du Cange, y0 Lex romana; Canciani, pag.cit., flot. 4; Savignv, Hist. du droit romain au moyen age,t. I, P. 10. J'ajoute que sous Marie II, la promulgation dela loi romaine fut faite en présence des évêques (('one. gall.,i). 689).

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NOTE SUR L5 RAPPORT DE LA FORME

des Francs, des Visigoths, alors que les actes ci-vils sont datés des années du règne de leurs prin-ces, le clergé suit la supputation consulaire, quiest celle du 'vieil empire'. Pendant qu'une modesingulière et que les anciennes lois con'ani rien t,porte les vaincus à imiter le costume des barba-res', l'Église conserve le vêtement du romain,la coupe de sa chevelure. Elle n'accepte ni la saieécourtée', ni les longs cheveux des envahisseurs'-la langue latine demeure aussi la sienne, car c'estl'un des trois idiomes par excellence, ceux quifigurèrent seuls sur l'écriteau (le la croix'. Jeanle Diacre le fait voir et l'explique, alors qu'il dé-peint l'entourage de saint Grégoire le Grand

1. Inscripi, chrés. de la Garde, Préface.2. Paulus, Sentent. recept., 1. III, t, IV, S 1b; Cod.

Theod. XiV, 10, 2 et les notes de Godefro y, t. V, p. 235,237, éd. Ritter. Cf. 1'Anûnvriie de Valois (Amm. Marceil.éd. -Wagner, p. 621) Ronianus miser imitatur Gothum »;Cassiod. Variar. Viii, 21, Cypriano viro Patritio viro Atha-o laricus rex: « Pucri stirpis romanœ nostra lingua loquun-o tur, 'eximie indicantes exhibere se nobis futuram tidem,« quorum jam videntur affectasse sermonein.

3. Voir ci-dessous, page 9, note 1.4. Conc. carth. 1V, 41; Sid. ANtI ., Episi. IV, 2 h ; Gr.

Tur., Hist. Fr., VIII, 20; Hicron., I. Xlii, in Eznch., C. xLIV

o Nec rursus comam demittere, quod proprie luxuriosorumest Barbarorumque. » Voir POUF les longs cheveux des Bar-bares, Canciani, t. Il, 13h, et l'abbé Cochet, k Tombeau deChildéric, p. 371-373.

5. Hilar.Pictav. Prolog, in libr. Psalm.,S 15, cd. Bened.p. 9 ......Quia bis niaxiine tribus linguis sacramenta voluri-

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DES NOMS PROPRES AVEC LA NATIONALITÉ

INullus pontifici farnulantium, a rniniîno usquead maximum, barbarum quodiibet in sermone

s

vel liahitu praferebat ; sed togata , Quiritummore, seu trabeata Latinitas secuin Latium inipso Latiali palatio singulariter obtinebat'. Sui-vre la coutume de la Gens togala', s'éloigner(le ce que fait le barbare, c'est en effet le mot(l'ordre dans l'Église; elle gardera intacte l'an-tique tradition, et lorsque, après tant d'années,Charlemagne entrera dans la 'ville des Césars, il latrouvera toujours latine, conservant la chlamydeet la tunique flottante pour lesquelles il quitteralui-même les chers habits de sa nation'.

Voilà donc, si je ne fais fausse route, les prétres se distinguant des barbares par la chevelure,les vêtements, la loi sous laquelle ils vivent, le

tatis Dei et beati regni exspectatio prdicatur; ex quo illudPilati fuit ut in his tribus linguis regem Judeorum Doininumnostruni Jesum Christum esse prescrihe "et . »

1. V/ta S. Gregor. Magni, auct, Joh. Diac., I. II, S '(dans le S. Grég. le Gr. des Bénéd., t. IV, p. fl). Voir en-core pour les vêtements longs spéciaux au clergé, Cone.

4gat/i., e, 20; Conc. Matisc., c. 5; Coac. Rom. I, c. 3; Conc.Sues.ç., C. 3; conc. Lipi., C.

. £neid., I, 286,3. Peregrina vero indumenta, quamvis pulcherrima res-

puebat,nec unquam eisindui patiebatur, cxcepto quod Romseniel, Adriano pontifice petente, et iterum Leone succes-sore ejus supplicante, longa tunica et chlamyde amictus, cal-cd» quoquc romano more formatis induebatur. (Eginhard,lita !nr,1i inperat. , C. xxiir.)

L1

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NOTE SUE LE RAPPORT DE LA FORME

libellé des actes, le langage. Un pas encore ets nous pourrons peut-être saisir pour la personne

des envahisseurs le même éloignement que pourleurs usages, voir le clergé se recrutant surtoutparmi ces Romains dont il garde les coutumes,et n'admettant que par exception dans son ordredes hommes de la race conquérante. Si Von veutpour im instant admettre comme résolu le pointen question, c'est-à-dire concéder que la fbrme desnoms peut avoir quelque valeur polir établir ladistinction des nationalités, nous tiendrions uncommencement de preuve dans la différence simarquée que nous donne le relevé comparatif dunombre des vocables germaniques chez les sécu-liers et chez les clercs; mais je ne puis certes son-ger à chercher un appui dans le point en litige,et j'invoquerai d'autres éléments pour tenterde faire voir que les nouveaux maîtres furentlongtemps en minorité parmi les ecclésiastiques.

Il existe une homélie célèbre dans laquelle saintJean Chrysostome explique aux chrétiens lagrandeur d'un fait qui vient de se passer sousleurs yeux. A Constantinople, dans l'église deSaint-Paul, un homme de la race des Goths, or-donné prêtre, venait (le célébrer la messe, et desclercs de la même nation avaient rempli près delui l'office de lecteurs.

C'était là, semble-t-il, un fait étrange et dont lepeuple devait s'étonner, si nous écoutons le saintdocteur Que personne, dit-il, ne regarde coinnie

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DES NOMS PROPRES AVEC LA NATIONALITEli

une honie pour l'Église que nous ayons appris àdes barbares à se lever, ii parler au milieu d'elle.C'est là sa gloire et sa splendeur, le témoignage(le CC que peut la loi. C'était la ce qu'annonçaitle prn[)llète quand il (lisait il n'est point de lan-gage dans lequel leur voix ne puisse se faire corn-pren(lre; leur parole s'est répandue sur toute laterre et leurs discours jusqu'aux confins dumonde'. C'est encore là ce qu'un autre prophèteprédisait par ces mots : les loups et les agneauxbrouteront ensemble, la panthère reposera avecle chevreau, la paille sera la nourriture du lion,comme celle du boeuf'. Or, il ne s'agit dans sapensée ni du lion et de la brebis, ni de la pan-thère et du chevreau; le prophète annonce qu'unerace d'hommes farouches s'adoucira jusqu'à serapprocher des nations civilisées'.

Mais nous voici loin de la Gaule, du temps Oà

les barbares en ont pris possession; et d'ail-leurs, le caractère si distinct du christianismeoccidental me commande de chercher ailleursque dans les oeuvres des Pères grecs un appuipour ce que je veux démontrer. 1e le trouve chezGrégoire de Tours et dans l'histoire nième denotre sol.

1. Ps. xviii, 4.2. Is. LXV, 25.3. Ilornilia habita in ecclesia Saiwti Pauli, Goulus leen-

t,/ms, pOSuf/(uun j,re.çhyter gotultas CoiwiOflatilS (carat,Idit. P1oiitfauc.XII, p. 372

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12NOTE SUS LE RAPPORT DE LA FORME

Le pieux évêque raconte qu'auprès d'lvoy, ilvit un diacre nommé Ulfilaïc, auquel la contréedevait sa conversion. Le dévouement de ce saintpersonnage avait été sans bornes. Venu dans lepays de Trèves, où les invasions avaient dépriméle christianisme', il avait trouvé mie idole qu'a-doraient de sauvages habitants; il s'était fait sty-lite, avait vécu, malgré la dureté des hivers, de-bout, pieds nus, sur une colonne; ses onglestombaient par la rigueur du froid et des glaçonspendaient à sa barbe. Quand le peuple venaitvoir cesingulier spectacle, Cliilaïc faisait entendrela parole de Dieu et savait gagner des âmes. Cethomme, si rempl it de courage et de conslancen'é-tait point (le race romaine, et ce fut là un sujetd'étonnement pour Grégoire de Tours: « Nous lepriâmes, dit-il, (le flOUS raconter quelques cir-constances de sa conversion et (le nous dire com-ment il était arrivé aux fonctions ecclésiastiques,car il était Lombard d'origine'. »

Voilà pour notre pays et pour l'époqti' ttoto-

1. Revue archéol., 1864, p 531, et la P!acc de I1ieInser. clirêt, de la Gaule.

2. Greg. Tur., Hist. Franc., VIII, 15. En suivant le récitde Grégaire, on voit des évêques trailci' rudement le cou-rageux stylite, dont ils renversent la colonne, et lui dire

Non est aequa hec via quam seqiieris, nec tu, ignobilis,Simeoni Antiocheno qui columDie insedit poteris coinparari. »N'était-ce point sa nationalité qui lui valait cvs dures pa-roles

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DIS NOMS POPRKS AVEC LA NTtONÀLLTÉ.i:

Vingienne un fait parallèle à celui (but témoignel'homélie de saint Jean Chrysostome.

Si donc, comme semblent le montrer les testesdes deux Pères, l'admission des barbares dans lesordres n'était point la règle commune, il est dif-ficile de ne point rapprocher de cette donnéel'infriorité de nombre des noms germaniquesparmi ceux du clergé gaulois, et de ne pas con-clure en même temps que les noms propres, sbien d'accord, clans leur apparence, avec la réa-lité des faits, ne sont point dès lors sans quelquevaleur pour indiquer les nationalités.

Je puis et sans sortir de la route où je viensde m'engager, en apporter une autre preuve.Rome et la Gaule ont subi, également, mais clansdes conditions diverses, la pression des barbares.Ceux qui s'emparèrent de notre sol en demeu-rèrent pour toujours les maîtres et le plus grandnombre d'entre eux professait la foi catholique,qui était celle (les anciens habitants. Rome, aucontraire, fut occupée passagèrement. Les Héru-les la possédèrent de 476 à 493, puis les Gothsjusqu'en 554, les premiers apportant l'idolâtrieet les seconds l'arianisme, c'est-à-dire les condi-tions d'un isolement profond eu pays orthodoxe.

Ils ne purent jamais, dit Montesquieu, en ga-gner l'affection'. » La fusion entre la race vain-eue et les conquérants ne dut clone point se faire

1 Crandeur et décadence, ch. xx.

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I i NOTE 511E LE RAPPORT DES NOMS PROPRES, ETC.

dans irne même mesure sur noire sot et dans laville sainte, et si la forme des rionis a une valeurelle devra témoigner d'un mélange plus facile,plus complet eu Gaule qu'en Italie. Or, clans lesinscriptions chrétiennes de Rouie, de 476 ù 589,époque ou s'arrêtent pour cette ville les marbres

date certaine, je ne vois sur 265 monumentsque 5 noms germaniques', taudis que dans lemême espace de temps 84 (le nos épital)IICS nousoffrent 22 noms de cette sorte s , soit plus d'unquart dans le dernier cas, dans le premier, I /538.Si je compare ensuite les signatures (les concilesgaulois et romains de la même époque je trouve,dans les premiers, 66 noms barbares sur 565,et dans les seconds, un seul sur 754.

Le recensement des noms accuse donc enGaule la fusion Facile des barbares avec la racevaincue, à Rome leur isolement. La liste coin-parée des deux séries de vocables est d'accordavec la réalité des faits, et les éléments que leurforme présente ont donc historiquement, je lerépète, une valeur plus sérieuse que quelques-uns ne l'ont voulu croire.

C'est là une justification du système adopté pal'Augustin Tliierry pour l'âge mérovingien et qui,peut-être, n'appelait point tous les reprochesdont on a cru pouvoir charger son auteur.

De' Rassi, Inser. christ, rom., t. I.Voir mes Jnscr. chrét. de la Gaule.

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