Il n'est pas facile d'aimer ses enfants
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Il n'est pas facile d'aimer ses enfantsGEORGES SNYDERS
Pour nos enfants, ce livre qui se demande ce que signifie ici « nos
», ce qui donne le droit de l'employer, à quelles conditions il
peut s'accorder avec le « nous, enfants » qu'ils proclament.
Deuxième édition augmentée
PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE
DU MÊME AUTEUR
La pédagogie en France aux XVII et XVIII siècles, Paris, PUF, 1965,
« Biblio- thèque scientifique internationale ».
Le goût musical en France, Paris, Vrin, 1967. Pédagogie
progressiste. Education traditionnelle et éducation nouvelle,
Paris, 3e éd.,
1975, collection « L'Educateur », n° 34. Où vont les pédagogies non
directives ? Autorité du maître et liberté des élèves,
Paris, PUF, 3e éd., 1975, collection « L'Educateur », n° 45. Ecole,
classe et lutte de classes, Paris, PUF, 2e éd., 1982, « Pédagogie
d'aujourd'hui ».
ISBN 2 13 037592 8
Dépôt légal — 1 édition : 1980, mars 2 édition augmentée : 1982,
juin © Presses Universitaires de France, 1980 108, boulevard
Saint-Germain, 75006 Paris
L'un des rares, l'un des derniers « tabous » qui subsistent dans
notre société, laquelle se pose comme fort affranchie, c'est que
les parents aiment leurs enfants.
On peut fort bien déclarer qu'on n'aime pas son conjoint, qu'on vit
plus ou moins ou tout à fait séparé de lui et avec un autre, voire
avec d'autres, mais allez donc dire que vous n'aimez pas vos
enfants : quel scandale ! Le terme, assez étrange lorsqu'on y
réflé- chit, de « dénaturés » s'applique essentiellement à des
parents, et plus encore à des mères, qui ne témoignent pas à
l'égard de leur progéniture de cette affection douce et constante.
Et si j'aimais l'enfant du voisin plus que le mien, serais-je
dénaturé ?
Je suis exaspéré d'entendre l'immense majorité des parents déclarer
que leur amour pour leurs enfants ne pose aucun pro- blème : il va
de soi, il est toujours allé de soi ; une idylle, pas de nuage.
C'est seulement lorsque la conversation continue que les parents
laissent entrevoir — et souvent à leur insu — dans quelles gênes
ils se débattent. Suis-je un monstre parce que l'amour pour mon
enfant ne va pas sans mal ?
Car tout de même, la mise en présence d'un jeune et d'un pas jeune
est terriblement malaisée. Et l'on doit bien attribuer à une
censure psychologique et morale qu'on en parle si rarement, alors
que la littérature, les films, les chansons nous répètent la
fragilité et les échecs des amours entre adultes.
Et c'est cette difficulté qui m'a atteint dans ma vie de père,
parce que je me suis d'abord trop peu occupé d'eux (mais
comment
trouver le temps à la fois de « faire de la pédagogie » et de
s'occuper de ses enfants ?) et un peu trop par la suite ;
maintenant ils sont grands, c'est joué.
Si je me suis tourné vers les auteurs et si j'ai écrit ce livre,
c'est pour dépasser et contredire les hésitations que j'évoquerai
mainte- nant en quelques pages, mais qui voudraient refléter bien
des heures de souci.
Ambiguïté à la fois à aimer son enfant, à justifier cet amour, à
s'interroger sur sa légitimité.
Aimer ma femme, mon enfant, mes enfants
Il est possible, mais nous savons tous combien cela est rare, de
réussir un amour avec un conjoint que, malgré tout, à un moment de
ma vie au moins, j'ai choisi ; et puis nous vieillissons ensemble,
nous traversons d'une façon souvent semblable des épreuves sem-
blables. Mais mon enfant, je ne l'ai jamais choisi ; au plus j'ai
choisi le moment où nous voulions avoir un enfant ou plutôt où nous
cessions de le refuser.
Si je suis lassé de ma femme, je peux prendre, du moins songer à
prendre celle du voisin ; mais si j'en ai assez de mon enfant, je
peux, au pire, le délaisser, je ne peux pas en prendre un autre ;
nous sommes enchaînés pour la vie, sans avoir évidemment jamais pu
le décider en connaissance de cause — et cette carte forcée,
n'est-ce pas le contraire de ce que nous avons coutume d'appeler
amour ? Nos mouvements se font en sens contraires : à mesure qu'il
prend des forces, je vieillis et j'en perds : est-ce que ce sont
les miennes dont il s'est emparé ?
Je sais que je dois aimer mes enfants, tous mes enfants d'un amour
égal, sinon le mal-aimé va en souffrir. Alors j'essaie de faire
comme si mon affection était la même pour chacun ; mais j'y arrive
péniblement, ils sont tellement différents entre eux et d'eux à
moi, je me sens coupable; et cela ne m'aide pas du tout à aimer
davantage celui qui alimente ma culpabilité.
Il est trop évident que mon enfant m'oblige à des renoncements, à
des sacrifices — et d'abord financiers ; on a du mal à sortir, à
voir d'autres gens, il faut limiter ses projets, souvent renoncer à
avoir des projets; et puis il faut sans cesse penser, sentir et
vivre au niveau du bambin. Cette infantilisation, est-elle ce dont
j'ai besoin ?
J'étais très résolu à faire de notre amour pour notre enfant
une
grande chose. Mais l'usure, la fatigue, une sorte d'érosion ; il
fait du bruit, je sais bien qu'il a besoin de bruit, de mouvement ;
il n'empêche que, moi, il me faut du calme. Frottement continuel
dans les petites choses, les petits malentendus, les incidents, les
escar- mouches : qui cédera ? jusqu'où céder ? passer tant d'heures
ensemble, alors qu'on est si différent, qu'on a des désirs si
diffé- rents : comment tenir le coup — avec le sourire ?
Amour pour mon enfant, amour pour ma femme : les deux ne sont pas
si aisément conciliables. L'enfant ne va-t-il pas s'installer comme
un intrus entre elle et moi, accaparer son amour ? et quoi qu'en
dise le poète, je ne l'aurai plus tout entier. Peut-être va-t-elle
l'aimer plus que moi...
Et si je n'aime pas tellement mon conjoint, dans les périodes où je
n'aime pas tellement mon conjoint, je m'aperçois vraiment sans
aucun plaisir à quel point notre enfant lui ressemble.
Est-ce que je suis capable de bien l'aimer ? Eh bien oui, je l'aime
; mais c'est parce que je l'aime que je
n'arrive pas à l'aimer. Je voudrais tant qu'il soit heureux ; un
enfant, c'est fait pour
être heureux. Je rêve que les épreuves lui soient douces, que je
puisse les lui adoucir — et je n'y parviens pas ; je m'en veux, je
lui en veux de ne pas réussir à être heureux avec moi, grâce à moi.
J'ai souvent l'impression que mon enfant se débrouille moins bien
que ses camarades, tous ces jeunes que je vois passer calmes,
assurés, gracieux. Mon bonheur dépend d'un autre, du bonheur d'un
autre — et je suis si peu capable de l'y aider.
Entre les accidents, les bêtises et les idées saugrenues (« Que
va-t-il aller chercher encore ? »), on ne sera plus jamais
tranquille. Inquiétude, responsabilités, et ces responsabilités me
sont d'autant plus lourdes qu'on me répète de toutes parts qu'elles
sont lourdes, que si mes enfants piétinent ou dévient, c'est que
nous n'avons pas su créer l'atmosphère familiale qui leur aurait
été favorable.
Je crains de ne pas être à la hauteur de ma tâche, de ne pas être «
le bon parent » dont les mass media diffusent l'image heu- reuse.
Mon entourage va m'imputer les échecs et les défauts de mon enfant.
Comment les persuader que j'ai fait de mon mieux, mais le peu
d'influence réelle dont je dispose ?
La crainte de mal aimer n'aide pas à aimer. C'est trop dur,
je
voudrais souffler un peu, mais on ne peut pas démissionner du rôle
de parent, sinon dans le sens tout à fait figuré du terme ; et
peut- être aussi que je l'aime pour les angoisses qu'il me crée et
qu'il conti- nuera jusqu'au bout à me créer.
Il me ressemble, je me retrouve en lui ; mais qui oserait dire
qu'il vit dans la joie cette analogie ? Il me ressemble — et donc
j'ai peur pour lui des déceptions, des échecs que j'ai moi-même
connus. Souvent j'ai l'impression qu'il est ma caricature plutôt
que mon portrait, qu'il a hérité plutôt de mes défauts que des
qualités auxquelles je prétends. D'où ce malaise quand je me
reconnais en lui, quand je suis obligé de me reconnaître en
lui.
C'est vrai, je l'aime même pour certains de ses défauts ; mais
c'est peut-être parce qu'ils me rappellent les miens, d'autrefois,
de maintenant — ou parce qu'ils les compensent. Et aussi parce que
je me demande anxieusement si je n'en suis pas la cause : ne les
lui ai-je pas inoculés, peut-être par mon mode de vie, peut-être
parce qu'il a voulu prendre le contre-pied de mon mode de vie
?
Amour et autorité
Je me suis bien promis de n'utiliser mon pouvoir sur lui que pour
l'aider à s'en libérer ; je ne vais pas jouer les pères nobles,
j'ai répudié solennellement toutes les formes de contrainte et
d'oppression. Mais je découvre que mon pouvoir s'insinue par- tout
: c'est moi qui décide de l'amener ou non à la messe, de lui faire
faire de l'anglais ou du latin, il vivra avec nous à la ville ou à
la campagne selon ce que nous, nous avons décidé. Je ne veux pas le
forcer, mais il y a tout de même des bêtises que je ne peux pas lui
permettre, des risques qu'il ne connaît pas et dont je dois le
protéger. Et puis ce serait abdiquer, capituler que de lui concéder
tout ce qu'il demande — et l'image du père en serait ternie. Mais
l'amour et le pouvoir peuvent-ils faire bon ménage ?
Il a beau grandir, je le trouve trop frêle encore pour le laisser
sortir de l'univers protégé de l'enfance ; sans moi, il ne peut pas
se débrouiller, cela me paraît tellement évident ; alors il
proteste contre la dépendance, et notre amour en souffre ; ou il
s'en accommode, et je crains d'avoir ralenti sa marche vers la
maturité.
J'aime sa faiblesse, je l'aime dans sa faiblesse et dans ses
tâtonnements ; ils me permettent de me donner en modèle à imiter :
« Regarde, fais comme moi. »
Mais lui, il n'aime pas sa faiblesse, il ne veut pas qu'on
accueille ce qu'il fait avec un sourire indulgent, il veut que ce
soit « pour de vrai » que les choses se passent ; et à égalité. Et
tout naturellement il va préférer la compagnie de ses camarades à
la mienne, leur en dire tellement plus qu'à moi ; c'est dur à sup-
porter.
J'aime sa faiblesse, mais en même temps elle m'irrite et j'attends
avec impatience le moment où je trouverai en lui un parte- naire
réel : mais ce jour-là, il sera aussi un rival. La première fois où
j'ai été dépassé par lui dans un domaine qui me tient à cœur et où
j'ai quelques prétentions...
J'étais si heureux de ses progrès et de sa joie à découvrir le
monde tant qu'ils me laissaient une marge confortable de
supériorité.
Comme je suis mal à l'aise devant lui ! Il est le lieu où se
rencontrent les images les plus contradictoires, et je suis
incapable de les concilier : est-il vrai qu'il est la proie de ses
instincts — ou au contraire est-il vierge des conflits, des
angoisses dans lesquels nous nous débattons ? Est-ce le moment de
l'infériorité, de la faiblesse aussi bien affective que physique ou
est-ce la plus belle époque de la vie et dont l'adulte gardera la
constante nostalgie ? La séduction qu'il exerce évidemment sur les
grandes personnes, est-ce la preuve d'une sorte de perfection qu'il
aurait atteinte ou un rêve dans lequel elles veulent à tout prix se
réfugier ?
Mon enfant, les autres enfants, les autres adultes
Je sais bien que les difficultés que je rencontre à aimer mon
enfant, je ne suis pas le premier à les connaître : à travers
l'histoire, les accusations des adultes, leurs plaintes incessantes
que les jeunes sont en décadence par rapport à ce qu'eux-mêmes ils
étaient à cet âge, portent bien la preuve d'un malaise constant. Et
il est tout de même étrange qu'on trouve si peu de voix, en
contrepartie, pour se féliciter du progrès représenté par les
nouveaux venus. J'ai ten- dance à penser : il y a d'un côté « les
jeunes », de l'autre mon enfant ; lui, il est gentil, il a un bon
fonds ; le danger vient des autres, il risque de se laisser
entraîner par les autres. Mais il n'entre pas dans ce jeu : il se
veut solidaire de sa génération, il ne veut pas que je l'aime hors
de ses contemporains, encore moins contre eux. Les reproches qu'il
m'adresse visent bientôt, à travers ma personne, la société que je
représente pour lui — une société
qui ne leur assure pas de droit, de garantie, qui rogne dès qu'il
s'agit d'eux : depuis... jusqu'à ces fameux terrains de jeu dans
les villes. J'ai beau lui dire que je me désolidarise de cette
société, je la combats — je vois bien qu'il a beaucoup de mal à me
croire, car il m'y trouve tout de même confortablement
installé.
Avec mes amis, c'est tout de même plus facile J'ai des amis qui ne
partagent pas mes opinions, et notre
amitié persiste. Mais que mon enfant refuse mes valeurs, mes
choix... Je me suis dit cent fois qu'aimer, c'était aimer un autre
non pas seulement malgré sa différence, mais bien dans sa diffé-
rence, pour sa différence. Tout de même, c'est bien à lui que je
pouvais le mieux transmettre ce que j'ai acquis, ce qui m'appa-
raît précieux ; et il n'en veut pas, cela ne l'intéresse pas. Quand
je le vois faire, être sans rapport avec ce que mon amour avait
espéré pour lui, comment ne pas craindre qu'il se perde, comment ne
pas être déçu ? Alors j'ai peur qu'il n'y ait plus guère de paroles
vraies entre nous : le silence va peut-être s'installer — ou une
animation de façade, qui s'en tiendra prudemment aux astuces sans
danger.
Devant sa critique véhémente ou silencieuse, j'en viens à me
demander si moi-même j'ai bien choisi ; et se remettre en question
tout en se croyant obligé de paraître assuré (car un parent
hésitant c'est encore pire, et j'ai passé l'âge des hésitations),
la situation est inconfortable ; je lui en veux de m'y
forcer.
Je sais bien : en l'aimant, je pense un peu trop à moi ; mais
n'est-il pas précisément ce prolongement de moi-même, en même temps
qu'un être tout neuf ? Je me promets de respecter, de favo- riser
son autonomie, mais je compte bien qu'il m'aimera en retour
puisqu'il m'est si proche, qu'il a tout de même des chances de me
ressembler et que j'ai tout fait pour qu'il me ressemble.
Les bébés, les tout-petits : ils sont délicieux, c'est entendu, et
celui qui oserait dire le contraire aurait une pierre à la place du
cœur. Mais je ne peux pas m'empêcher de me demander ce que j'aime
en eux : n'est-ce pas leur faiblesse, parce qu'elle me garantit ma
prééminence ? Leur inexpérience qui me confère le pouvoir de régler
leur vie ? La confiance dont ils sont encore prodigues et que je
traduis dans la conviction que je ne suis pas inutile, qu'il a
besoin de moi, que le monde avait besoin de moi ? Son sourire
me
rassure sur mon dévouement, mon exquise simplicité qui me fait
abandonner un moment mes lourdes tâches pour partager ses jeux. Et
lui-même, est-ce que je ne l'ai pas un peu oublié entre temps
?
Et lui ?
Mon enfant, lui aussi, a du mal à m'aimer au fur et à mesure qu'il
découvre que je ne suis pas aussi remarquable qu 'il se l'était
figuré ; il ne me dit guère ses craintes, car il sent que je m'en
alarmerais outre mesure ; il veut me cacher ses difficultés ; il
redoute que je ne le considère comme faiblard. Ce qu'on dit aux
parents restera, marquera, et c'est pourquoi il parle bien plus
facilement aux autres. De mon côté, je ne voudrais surtout pas
qu'il me croie déçu par ce qu'il est.
On dit que l'amour parental est le type de tout amour mais un
assemblage aussi paradoxal peut-il réussir : moi, avec mes cheveux
gris — et lui qui en est à guetter l'éveil de ses forces ? L'amour
demande peut-être plus de sérénité, nous avons tellement peur de
nous inquiéter et de nous décevoir l'un l'autre ; nous attendons
trop l'un de l'autre, peut-être nous aimons-nous trop pour nous
aimer.
Voici le moment de citer l'écrivain qui m'a forcé à poser comme un
problème et non plus comme un fait l amour pour les enfants. De
Montaigne, je connaissais évidemment les passages où il s'élève
contre la violence en éducation. Mais il y a bien autre chose :
Montaigne déclare que « l'affection que l'engendrant porte à son
engeance » est une « loi naturelle », une « force naturelle »,
dominante chez les animaux comme chez l'homme et il la situe au
même plan que l'instinct de conservation, le plan de la détermina-
tion physiologique. A quoi il oppose ce qui relève du jugement, de
la raison, de la liberté et qui consiste à « choisir et embrasser
ce qui le vaut ». Or les enfants valent-ils d'être aimés ? Mon
enfant vaut-il que je l'aime ? Certainement pas tant qu'ils n'ont
aucune physio- nomie définie : ils sont « à peine encore nés » ;
guère plus tant qu'ils sont dans les « trépignements, jeux et
niaiseries puériles » ; enfin lorsqu'on peut réellement prendre en
considération leurs actes, le parti raisonnable est de les aimer «
s'ils le valent » et s'en détacher « s'ils sont autres ».
1. MONTAIGNE, Essais, liv. II, chap. 8 : « De l'affection des pères
aux enfants ».
Et Montaigne passe à la contre-offensive : aimer mon enfant
simplement parce qu'il est mon enfant, c'est l 'aimer « comme des
guenons, non comme des hommes », c'est l 'aimer « pour notre
passe-temps », p a s pou r sa personnalité, p a s pou r lui-même ;
y a-t-il là autre chose qu 'un désir de me regarder complaisamment
en lui ? Egoïsme à plusieurs ; pou r aimer a ins i ses enfants, il
suffit de se laisser aller au simple instinctif. J ' essa ie de
répondre à Montaigne qu'aimer mon enfant dans la mesure où il s'en
sera montré digne, ne p a s l 'aimer autrement que j ' a ime les
autres enfants, ne p a s l 'a imer parce qu'il est mon enfant...
c'est reporter l 'amour à de longues années et le réserver à bien
peu ; je suis tout de même très troublé.
L 'amour , la raison et les raisons
La pensée de Montaigne, dans ce passage, implique une oppo- sition
tranchée entre l ' instinct et la raison, l ' instinct qui f a i t
qu'on s'attache à se conserver soi-même et les êtres qu'on a
engendrés, la raison p a r laquelle on estime chaque être selon son
mérite. Ce qui ne trouve p a s place ici, ce sont des modes de
pensée capables de dépasser ces deux catégories : notamment la
confiance délibérée, réfléchie que je place dans un progrès
possible du monde ; ce n'est pas appréciation rationnelle d 'une
valeur, le f u tu r n ' a pas encore réalisé le valable pu isqu ' i
l n'est p a s encore réalité ; ce n'est p a s non plus instinct
aveugle. Ma i s on se rappellera que les massacres de la
Saint-Barthélemy se déroulent en 1572, la première édition des
Essais p a r a î t en 1580 : p lus le monde présent est rude, plus
les perspectives apparaissent sombres, p lus il devient difficile
de s'insérer avec confiance dans le cours de l'histoire — et p lus
il devient difficile d 'a imer ses enfants ; ou plutôt on s'efforce
de ne p a s les aimer, et Montaigne en arrive à cet aveu qui m'a
touché : « J ' a i g rand soin d'augmenter p a r étude et discours
( = ra ison) ce privilège d'insensibilité » .
C'est alors que je me suis tourné vers les auteurs, vers la pensée
systématique des auteurs — et que j ' a i arrêté cette introduction
pour aborder le sujet ; pourquoi aime-t-on tellement ses enfants ?
Pourquoi a-t-on tant de difficulté à les aimer ?
1. MONTAIGNE, Essais, liv. III, chap. X : « De ménager sa volonté
».
PREMIÈRE PARTIE
PÉRILS D'AMOUR
CHAPITRE PREMIER
Les cinq assimilations. L'amour dévalorisé
Il n'y a pas que les enfants qui soient des enfants, qui aient été
considérés comme des enfants : les esclaves dans l'Anti- quité, les
Noirs colonisés, les domestiques, le peuple et les femmes ont été
traités d'enfants et souvent traités comme des enfants. Il nous
paraît important, dans une réflexion sur l'enfant et l'amour qu'on
lui porte, de prendre intérêt à ces cinq caté- gories, qui ont été
ainsi assimilées à des enfants.
I | L'ESCLAVE ANTIQUE EST UN ENFANT
En nous arrogeant le droit de traiter comme une entité unique toute
l'Antiquité gréco-latine, depuis Homère jusqu'à Ausone, nous
n'ignorons pas que nous allons nous attirer les foudres, et
justifiées, des spécialistes. Mais il suffit à notre projet de
peindre à gros traits — et nous voudrions seulement faire
apparaître ceci : dans une société à civilisation certes brillante
et raffinée, mais qui est en même temps une société esclavagiste,
une série d'assimilations, de glissements, de rap- prochements
s'opèrent entre les esclaves et les enfants.
Engels a bien montré que la société ne pouvait être qu'escla-
vagiste tant que le développement des forces de production était
très faible. Pour que les moyens de subsistance ne soient pas trop
insuffisants par rapport aux besoins, l'immense majo- rité de la
population est contrainte de consacrer absolument tout son temps au
« travail manuel simple » et c'est cela l'escla- vage. Seul un tout
petit groupe de maîtres dispose de loisirs, profite de ces loisirs
à la fois pour diriger la cité, voire l'Empire, et pour participer
aux douceurs de la culture
Esclavage dont on ne peut pas s'indigner, qui a été, à un moment,
condition du développement de la civilisation, mais qui n'en reste
pas moins la marque de cette société.
PREMIER THÈME : PROXIMITÉ ESCLAVE-ENFANT
C'est à un esclave que l'enfant est confié Le « pédagogue » est un
esclave privé, attaché à la personne
de l'enfant ; il l'accompagne dans ses trajets quotidiens entre
l'école et la maison, le protège des dangers de la rue ; il joue
avec lui, il lui apprend les bonnes manières ; souvent il est le
répétiteur de ce qu'ont enseigné les maîtres. D'où il a autorité
sur lui, exerce une surveillance, le punit et le bat — quitte à
être battu à son tour. Dans la maisonnée, l'ensemble des esclaves
est très proche de l'enfant et s'occupe beaucoup de lui. Il semble
que, souvent, on ait plus de confiance dans l'esclave que dans le
maître d'école, peut-être parce qu'il fait partie de la « famille
», peut-être parce que le père a davan- tage pouvoir sur lui.
On frappe les enfants comme on frappe les esclaves Pendant des
siècles, une des coutumes les plus solidement
établies a été de punir par châtiments corporels aussi bien les
enfants que les esclaves ; et c'est là une preuve « cinglante
»
1. ENGELS, Anti-Dühring, 2 partie, chap. 4. 2. Livres de références
: entre tant d'autres, Joël SCHMIDT, Vie et mort des esclaves dans
la Rome antique et naturellement MARROU, Histoire de l'éducation
dans l'Anti- quité. Aussi NOONAN, Contraception et mariage.
de l'assimilation entre eux. Les protestations de quelques auteurs
témoignent de l'ampleur du fait et du malaise qu'il suscite.
Ce que Plutarque reproche aux châtiments corporels dans l'éducation
des jeunes, c'est qu'ils sont « indignes des êtres libres », de «
dégrader les êtres de condition libre », à la fois par la
souffrance physique qu'ils causent et surtout l'humiliation morale.
« A ce régime l'enfant devient comme hébété » — ce qui ne semble
d'ailleurs pas troubler notre auteur lorsqu'il s'agit d'un
esclave.
Si Quintilien refuse qu'on batte les élèves, c'est parce qu'un tel
châtiment est « fait pour des esclaves » et donc qu'il apparaît
comme « honteux, injurieux » pour tous les autres. A quoi s'ajoute
que ces coups risquent fort de rester inefficaces, parce que
l'enfant va s'y endurcir, « comme les pires des esclaves » et cette
similitude apparaît évidemment lourde d'arrière- pensée.
Un même nom pour l'esclave et pour l'enfant
Dans une sorte de réciproque, en même temps que l'enfant est confié
à l'esclave et, sous certains aspects, traité comme lui, l'esclave
est appelé enfant, quel que soit son âge.
On sait combien souvent, dans la suite des siècles, les mêmes
termes ont été utilisés pour désigner d'une part la jeunesse, de
l'autre les états de dépendance et de subordination.
Ici le cas est particulièrement net : les Grecs appellent volon-
tiers leur esclave πας, — c'est-à-dire enfant, ce qui permet à
Aristophane un jeu de mots intraduisible en français et qui résume
à lui seul nos deux derniers paragraphes : le πας est là pour se
faire battre, qui se dit παεσθαι (cf. note p. 63).
L'enfant est et n'est pas un esclave
C'est précisément parce qu'enfant et esclave apparaissent, en de
multiples occasions, si proches l'un de l'autre que certains
1. PLUTARQUE, Sur l'éducation des enfants, XXVI. 2. QUINTILIEN,
Institutions oratoires, liv. 1, 3, § 14. 3. ARISTOPHANE, Les
Guêpes, v. 1297.
auteurs déploient force a rguments afin qu 'on ne r isque pas de
les confondre. Plus que des constatat ions, ce sont des exhorta- t
ions à établ i r entre eux une différence.
Le bon père que nous présente Térence désire « accoutumer son fils
à bien agir de son plein gré » il espère établir entre paren ts e t
enfants une compréhension réciproque ; et c 'est pourquoi il
proclame qu' i l ne se compor tera pas à l 'égard de son fils comme
un maî t re (dominus) face à ses esclaves ; il n ' a u r a pas
recours à la crainte, parce que la crainte n 'es t adéquate qu ' à
mener les esclaves. Mais cet homme si sympath ique à la jeunesse et
qui fa i t effort pour séparer les deux catégories, nous est
présenté comme un cas exceptionnel.
Lorsque P l u t a r q u e veu t dé tourner les enfants et du men-
songe et des « plaisirs désordonnés », il déclare que ces vices
comme ces orgies « ne conviennent qu ' à des esclaves » ; le men-
songe est δουλοπρεπς, appropr ié -à -des-esc laves C'est donc en
les appe lan t à se dist inguer des esclaves qu' i l espère les
faire progresser — ce qui prouve bien que cet te séparat ion, si
elle n ' é t a i t pas tenue pour impossible, n ' a p p a r a î t
pas du t o u t évidente dans les mœurs quotidiennes.
L'enfant est esclave de l'esclave mais il en est aussi le maître —
du moins pa r personne interposée
L ' en fan t s 'est fai t pun i r pa r son pédagogue ; il v a se
plaindre à son père. I l y a des chances, ou des risques, que le
père prenne le pa r t i de son fils p lu tô t que de son esclave ;
et préci- sément ce que l 'esclave ava i t t axé de désobéissance,
de rébel- lion, le père l 'appellera courage, audace, légitime
défense : « T u es bien de not re sang... t u sais te défendre »,
proclame-t-il, e t il s 'en v a chât ier l 'esclave, coupable d
'avoir précédemment châtié son r e j e t o n Comment l ' enfant ne
se sentirait-i l pas prisonnier de si tuations équivoques ?
1. TÉRENCE, Les Adelphes, v. 55. 2. PLUTARQUE, Sur l'éducation des
enfants, XIII et XXXIII. 3. PLAUTE, Les Bacchis, v. 440.
DEUXIÈME THÈME : IL SERAIT FAUX DE CROIRE QUE L'ANTIQUITÉ N'A PAS
CONNU L'AMOUR DES PARENTS POUR L'ENFANT
Les exemples ici sont innombrables dans la littérature et nous nous
bornerons à citer un très bref échantillon.
Amour pour le petit enfant : Hector, au moment des adieux, implore
les divinités : « Permettez qu'un jour on dise d'Astyanax : Il est
bien meilleur que son père. Il dit et met son fils dans les bras de
sa femme, Andromaque ; elle le reçoit avec un rire en pleurs » On
aura été sensible à ce que nous oserions appeler la composante
dynamique de cet amour : appel à l'avenir et espoir même d'être
surpassé par son enfant.
Le thème du sourire échangé entre la mère et son bébé et la valeur
pour ainsi dire nutritive de ces échanges affectifs sont déjà
érigés par Virgile en loi universelle : « Commence, petit enfant, à
reconnaître ta mère à son sourire Celui qui n'a pas vu ses parents
lui sourire, un dieu ne l'a pas jugé digne de sa table, ni une
déesse de sa couche »
On ne craint pas d'évoquer les aspects corporels de cet amour : « 0
tendre enfant que ta mère aimait tant à caresser dans ses bras, ô
suave odeur de ton corps »
C'est la détresse du nouveau-né que chante Lucrèce, et avec une
intense pitié : « L'enfant qui vient de naître, semblable au
matelot que la tempête a jeté sur le rivage, est étendu à terre,
nu, incapable de parler, dépourvu de tout ce qui aide à vivre... Il
remplit de ses cris plaintifs le lieu de sa naissance et il a
raison, sans aucun doute, le malheureux, à qui la vie réserve tant
de maux à traverser »
L'Hercule d'Euripide s'adresse à ses enfants, juste en âge de
marcher et si petits face au héros : « Allons, suivez votre père à
la maison... Pourquoi vous attacher à mes vêtements ?... Mais quoi,
ils ne me lâchent pas... je vais les conduire par la main, comme de
légers esquifs qu'un vaisseau traîne à la
1. HOMÈRE, Iliade, chant VI, v. 468. 2. On peut traduire : ou «
reconnaîtra ta mère par son sourire » ou « par ton sourire ». 3.
VIRGILE, 4e Bucolique. 4. EURIPIDE, Les Troyennes, v. 740. 5.
LUCRÈCE, De Natura rerum, liv. V, v. 222.
remorque. » Et Hercule ajoute ce commentaire : « Les hommes sont
tous pareils : malgré les différences de condition que met la
fortune entre les riches et les pauvres, tous aiment leurs enfants
»
Sens de l'innocence enfantine, tout à l'opposé de l'idée du péché
originel : si, pour un enfant mort en bas âge, on n'accom- plit pas
les cérémonies funèbres, c'est qu'il « prétend à de meilleures
conditions d'être (que l'adulte), comme se redressant d'un pli plus
doux et d'une curvature plus molle et moins f o r c é e , e t s e r
e m e t t a n t à s a n a t u r e l l e d r o i t u r e »
Martial compose l'épitaphe d'un petit garçon disparu à 2 ans et qui
s'écrie par la bouche du poète : « De quoi m'ont servi ma beauté,
ma jeunesse, mon babil ? », et aussi l'inscription pour sa fille
qui allait avoir 6 ans : « Elle était la joie de mes lèvres, mes
délices... Et toi, terre, ne pèse pas sur elle ; elle n'a pas pesé
sur toi »
Et puisque nous sommes amené à parler de fille, remarquons que la
tragédie d'Iphigénie cesserait d'exister s'il n'y avait un amour
immense entre Iphigénie et son père ; aussi bien dit-elle à
Agamemnon : « La première, je t'ai nommé mon père et tu m'as nommée
ta fille ; la première, abandonnée sur tes genoux, je t'ai donné,
j'ai reçu de toi de tendres caresses. » Et son père lui répond : «
Je chéris mes enfants, sans quoi je serais fou »
Juvénal proclame que « le plus grand respect est dû à l'enfant » :
dès le berceau, il est marqué par ce qu'il vit et il ne doit
apercevoir que de bons exemples, les actions qu'on voudrait que
plus tard il imite — et celles-là seulement. « Que ta maison soit,
sous le regard de ton fils, d'une pureté sans tache » : ni
goinfrerie, ni cruauté envers les esclaves, ni amants.
Lorsque les enfants deviennent des adolescents, il y a, c'est trop
évident, des discordes, des querelles ; il y a aussi beaucoup
d'amour.
« Parce que mon fils n'est pas rentré, qu'est-ce que je vais
m'imaginer ? Ou bien qu'il aura pris froid ou qu'il aura fait
1. EURIPIDE, Héraclès, v. 623. 2. PLUTARQUE, Consolation à sa femme
sur la mort de sa fille, traduction AMYOT. 3. MARTIAL, Epitaphes,
liv. 7-96 et liv. 5-34. 4. EURIPIDE, Iphigénie à Aulis, v. 1220 et
1255. 5. JUVÉNAL, Satires, XIV.
une chute... Faut-il qu'un homme installe en son cœur et s'attache
un être qui lui soit plus cher que lui-même ? »
Chez Térence encore, un amour paternel qui va jusqu'à une volonté
d'expiation pour les dommages qu'il craint d'avoir causés à son
enfant : le fils avait une maîtresse ; son père a dévidé les
réprimandes habituelles : « Moi, à ton âge, je ne m'occupais pas
d'amour » j'étais pauvre, je devais gagner ma vie moi-même et je
suis parti faire la guerre en Asie. Mais ne voilà-t-il pas que le
jeune homme, à la fois lassé et persuadé par de tels reproches, en
vient à s'engager dans l'armée. « Il a pensé que, par mon âge et
mon affection, j'en savais plus que lui. »
Dès lors le père est en proie au repentir : « Je l'ai chassé d'ici
par ma dureté, mon injustice. » Solennellement, il prend la
résolution de se punir lui-même : « Tant qu'il mènera cette vie de
privations, éloigné de sa patrie par ma faute, je m'offrirai pour
lui au supplice, peinant, me faisant esclave pour lui. »
Effectivement, il a vendu ses biens, ne gardant qu'une petite
propriété où il s'éreinte sans arrêt. L'amour paternel devient ici
exigence de vivre en « sympathie », en même intensité d'épreuves
que le fils : « J'ai décidé que j'aurais moins de torts envers mon
enfant tant que je serais malheureux, j'ai décidé que je n'avais le
droit de jouir d'aucun plaisir tant qu'il ne sera pas revenu pour
en prendre sa part avec moi. »
Ausone écrit à son fils qui vient de partir — et il faut le
rapporter à la place immense que tenait l'amitié dans la vie
antique : « J'étais seul, en vain un cercle d'amis m'entourait,
j'étais seul »
Le mot de la fin à Euripide : Celui qui n'a pas d'enfant « a sans
doute moins de souffrances ; mais son bonheur n'est qu 'un malheur
»
1. TÉRENCE, Les Adelphes, v. 35. 2. TÉRENCE, Celui qui se punit
lui-même, v. 100. 3. AUSONE, Lettre XX. 4. EURIPIDE, Andromaque, v.
416.
Lorsque Didon est abandonnée par Enée, elle évoque la consolation
qu'aurait pu être pour elle la présence d'un enfant : « Si du
moins, avant ta fuite, j'avais mis au monde un enfant de toi, si je
voyais jouer dans ma cour un petit Enée qui, malgré tout, me
rendrait ton visage, je ne me sentirais pas tout à fait délaissée
et trahie » (VIRGILE, Enéide, liv. IV, v. 325).
TROISIÈME THÈME : ET POURTANT CET AMOUR SE HEURTE À DE NOMBREUX
OBSTACLES — À QUOI L'ASSIMILATION DE L'ENFANT À L'ESCLAVE N'EST
CERTAINEMENT PAS ÉTRANGÈRE
Des institutions très rudes à l'égard de l'enfance : certains
nouveau-nés sont noyés ou étranglés par leurs parents ou « exposés
» dans des lieux isolés : il s'agit souvent d'enfants déficients,
malformés, sans doute aussi d'enfants en « surnombre ». Sénèque le
justifie ainsi : « Nous abattons les bêtes malades pour qu'elles ne
contaminent pas le troupeau ; nous étouffons les petits monstres,
nous noyons même les enfants quand ils sont venus chétifs et
anormaux » On ne fera pas semblant d'ignorer quels problèmes
posaient, dans ces civilisations, la survie et l'existence
d'enfants non souhaités et d'enfants qui ne sont pas comme les
autres. Pourtant la transition du bétail aux enfants ne passe pas
facilement. Si l'on en croit saint Justin, une partie seulement des
enfants ainsi « exposés » mouraient ; une autre était recueillie et
préparée à la prostitution C'est seulement en 374 après J.-C. que
l'exposition des enfants sera officiellement interdite.
En quelques mots, on se contentera de rappeler qu'à Athènes, même
après Solon, la fille séduite et prise en faute peut être vendue
par son père — et elle devient esclave ; les fils désobéissants
peuvent être chassés de la maison et déshérités.
A Rome la patria potestas est un pouvoir absolu et légale- ment
reconnu au père sur la vie de ses enfants. Il est bien certain que,
peu à peu, la coutume l'avait limité. Pourtant, c'est seulement en
318 après J.-C. que la mort donnée par le père à son enfant fut
tenue pour un crime et en 374 que le meurtre d'un enfant fut
légalement considéré comme homicide.
Et puis, dans les mœurs, tous les cas où l'enfant n'est pas pris au
sérieux : on va nous dire expressément que cette irres- ponsabilité
est commune aux enfants et aux esclaves. De là à penser qu'elle
provient des assimilations entre enfants et
1. SÉNÈQUE, De Ira, liv. XV, 2 ; TACITE (Histoires, V, 5) est tout
étonné que les Juifs n'agissent pas de même : « C'est un sacrilège
(chez eux) de tuer un enfant. »
2. SAINT JUSTIN, Première apologie pour les chrétiens, § 27 et
29.
esclaves, que les enfants l'ont en quelque sorte empruntée aux
esclaves...
Sénèque affirme que « les effronteries de nos esclaves nous amusent
» même si elles ont une apparence d'offense — car l'esclave est si
loin, si bas que rien de ce qu'il dit ne peut atteindre jusqu'au
maître. Lorsque des enfants se mettent à tirer les cheveux de leurs
parents ou « découvrent devant eux ce que la pudeur veut qu'on
cache », l'adulte ne va pas s'en formaliser. Et notre auteur nous
affirme que la situation est semblable dans les deux cas :
l'honneur d'un homme libre ne peut pas être plus touché par les
dires de l'esclave que par les gestes de l'enfant, ils sont « trop
au-dessous de lui ». Ainsi l'un et l'autre, l'un à partir de
l'autre sont renvoyés vers une sorte d'inconsistance et
d'irréalité.
Enfin chez les deux grands philosophes grecs, des justifi- cations
théoriques :
Platon, parfois, va jusqu'au bout de l'assimilation entre enfants
et esclaves : « Les enfants ne peuvent se passer de gens qui les
conduisent, pas plus que les esclaves ne peuvent se passer de
maîtres » Parfois c'est comme s'il en avait peur et essayait
désespérément, au dernier instant, d'établir une distinction entre
les deux termes qu'il vient d'unir : par exemple, il nous explique
qu'il faut savoir « corriger les enfants », mais en pre- nant de
nombreuses précautions ; il renvoie alors de façon explicite le
lecteur à ce qu'il a dit auparavant sur la correction des esclaves
; et cela aboutit à une phrase complexe, où l'équi- valence
enfant-esclave est à la fois proposée, acceptée et refusée : «
C'est, dis-je, de la même façon qu'il faut se comporter aussi
envers les enfants, en se rappelant du reste qu'on a affaire à des
sujets de condition libre »
Aristote sait fort bien, à certains moments, poser la différence
entre l'enfant et l'esclave : dans l'autorité du maître sur son
esclave, « seul l'avantage du maître se trouve engagé » ; au
contraire, « le père prend soin de son enfant », même lorsqu'il le
commande. Il y a donc « déviation »... corruption « si un père se
sert de ses enfants comme d'esclaves » Le fondement de la
1. SÉNÈQUE, De Constantia sapientis, XI. 2. PLATON, Lois, VII, 808
d. 3. Ibid., 793 e - 794 a. 4. ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, VIII,
12, 1660 a.
différence, c 'est que l 'esclave est « to t a l emen t privé de la
par t ie dél ibérat ive de l ' âme », celle qui commande — et qu
'en ferait-il, lui qui est toujours commandé ? L 'enfan t la
possède, simple- m e n t elle n 'es t pas encore « développée
».
Mais dans certains passages essentiels, l ' enfant e t l 'esclave v
o n t connaî t re une bien é t range proximité. Aristote soutient
qu' i l n 'exis te pas de droi t rég lementan t les rappor t s
entre le père et l ' enfant , ni ent re l 'esclave et le maî t re ;
pour écarter t o u t r isque d ' abus de pouvoir , le philosophe
pense qu' i l suffit de se rappeler que « personne ne se fai t du t
o r t à soi-même, ne commet d ' injust ice envers soi-même » ; met
t re à mal son esclave ou son enfant , ce serait pour le maî t re ,
pour le père, se créer son propre dommage ; il y aura i t là une
conduite absurde, qui n ' a même pas besoin d 'ê t re interdi te p
a r la loi.
Ainsi une communau té de sort est affirmée entre l 'enfant ,
t o u t a u moins « j u s q u ' à ce qu' i l a i t a t t e in t un
certain âge », et l 'esclave, pou r t o u t e sa vie : ils « appar
t i ennen t en propre » au maî t re , au père, ils « font par t ie
», ils sont « une par t ie » du maître , d u père.
L'enfant et l'esclave ont-ils une vie propre ?
Appa ra î t donc le thème d 'une non-individualisat ion de l '
enfan t comme de l 'esclave : ils ne sont pas détachés d ' un au t
re qui a puissance sur eux ; leur vie ne se distingue pas de l ' ac
t ion qu'exerce à leur égard celui dont ils dépendent . Le sort de
l 'esclave et l 'assimilat ion enfant-esclave inci tent à ne pas
considérer l ' enfan t comme personne originale, ayan t déjà valeur
en elle-même. P o u r l 'un comme pour l 'autre , leur « ve r tu »,
ce qu'ils ont de ve r t u à t ravers les lacunes indiquées
précédemment « ne se r appor t e pas » à eux-mêmes mais est «
ordonné à... re la t i f à celui qui dirige leur conduite » : le
maître , le père.
Nous nous t rouvons au cœur de rappor t s très complexes : pour
justifier, pour t en t e r de justif ier que l 'esclave n ' a i t
droit à aucune protect ion, on soutient qu'il fai t par t ie du maî
t re ; il est moins malaisé, puisque cela a t o u t de même une
base physiologique, de soutenir que l 'enfant fai t par t ie de ses
parents. Dès lors l ' immatur i t é de l 'enfant sert d ' a rgument
pour nier
1. ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, V, 10, 1134 b. 2. ARISTOTE,
Politique, 1254 b.
l'autonomie de l'esclave et l'assimilation à l'esclave aggrave la
méconnaissance de la personnalité enfantine.
Une des multiples raisons de refuser à l'enfant participation
pleine et entière aux valeurs humaines, c'est qu'il se trouve dans
la même région d'existence — ou d'inexistence — que
l'esclave.
Enfin l'esclave est un être dont on se méfie, les vengeances, les
révoltes d'esclaves sont bien souvent évoquées — et cela n'est pas
sans rapport avec une méfiance de l'Antiquité envers l'enfance et
aussi avec ce fait qu'elle s'aggrave encore lorsqu'il s'agit
d'adolescents. Par exemple, Plutarque soutient que les jeunes gens
ont besoin d'être « bridés » de beaucoup plus près que les enfants,
à la fois parce que les fautes qu'ils risquent de commettre peuvent
avoir une plus grande portée et parce que leur appétit de plaisirs
« ne connaît plus de bornes » L'esclave- enfant est moins à
craindre que l'esclave plus âgé. A partir du moment où derrière
l'enfant se profile la silhouette de l'esclave, il est inévitable
que l'adolescent apparaisse plus inquiétant encore que
l'enfant.
Dans une société esclavagiste, l'amour que l'on a, que l'on
voudrait avoir pour l'enfant, les sentiments à l'égard de l'enfant
sont traversés et finalement minés par les dégradations et le
trouble (dans tous les sens du mot) qui se jouent autour de
l'esclave.
N..B. — Il est intéressant de remarquer qu'au XVII siècle Spinoza
lui- même se débat encore dans le rapprochement enfant-esclave.
Certes, il met en évidence la supériorité du statut du fils par
rapport à l'état de l'esclave : l'esclave correspond à une «
domination intégrale », il est physiquement dans la « barbarie » et
moralement dans le « désert » ; le fils, lui, réalise « l'union des
âmes » (Tractatus politicus, chap. VI, § 4).
Plus précisément, le contraste entre l'esclave et le fils, c'est
que « l'esclave est obligé de se soumettre à des ordres fondés sur
le seul intérêt du maître ; le fils accomplit, sur l'ordre de ses
parents, des actions qui sont dans son intérêt propre » (Tractatus
theologico-politicus, chap. XVI).
Malgré tout, ce texte donne l'impression que, pour Spinoza, le type
d'obéissance, la façon d'obéir n'est pas fondamentalement
différente dans le cas de l'esclave et dans celui de l'enfant ;
c'est à l'autre pôle, et à l'autre pôle seulement, que se joue la
dissemblance entre les intentions égoïstes du maître et le désir
altruiste des parents.
Et c'est pourquoi, confrontant les rapports filiaux et les rapports
de
1. PLUTARQUE, Sur l'éducation des enfants, 34.
servitude, le philosophe estime que les premiers comportent quelque
contre- partie fâcheuse au regard des seconds : « Les discussions
sont plus fréquentes et plus violentes entre les parents et les
enfants qu'entre les maîtres et les esclaves » ; il ajoute
d'ailleurs aussitôt : « Cependant la vie familiale ne serait pas
améliorée si on traitait les enfants comme des esclaves »
(Tractatus politicus, chap. VI, § 4).
II | LE NOIR EST UN ENFANT, UN GRAND ENFANT
C'est là un thème qu'on retrouve de cent façons et nous voulons
l'envisager d'abord au XIX siècle et au début du XX siècle,
c'est-à-dire à l'époque d'épanouissement de la colonisation.
Il y a des « peuples primitifs » qui sont des « peuples-enfants »,
affirme Taine [ 1 ] Abel Hovelacque, professeur à l'Ecole
d'Anthropologie de Paris, nous invite à considérer avant tout la «
disposition enfantine » du Noir [2]. Ou encore, dit un mis-
sionnaire : « La meilleure définition du Noir est que c'est un
enfant, un enfant qui reste tel jusque sous les cheveux blancs »
[3].
Cette assimilation Noir-enfant, on s'efforcera de la présenter
comme scientifiquement fondée ; on s'appuie entre autres sur la
fameuse théorie propagée par Haeckel : le développement de
l'individu (ontogenèse) reproduit le mode de formation, les formes
d'évolution des espèces (phylogenèse). Et on le transpose sur le
plan psychologique : « L'enfant présente à l'état passager les
caractères mentaux qui se retrouvent à l'état fixe dans des
civilisations primitives » [1]. Et il ne reste plus qu'à conclure
que le nègre est l'être qui n'a pas réussi à mener ce mouvement
jusqu'à son terme : « L'intelligence du nègre adulte est restée,
par une sorte d'arrêt de développement, au point où nous
l'observons chez les adolescents de race blanche » [5].
Sans se soucier le moins du monde de relier les résultats scolaires
aux conditions de vie des élèves ni à leurs valeurs culturelles
propres, de Quatrefages se croit en droit d'affirmer : « Dans les
écoles où l'on élève à la fois les jeunes nègres et les jeunes
blancs, on voit que les uns et les autres ont jusque
1. Les chiffres entre crochets renvoient aux Références
bibliographiques grou- pées en fin de chapitre.
vers 12 ans la même intelligence et les mêmes aptitudes ; puis
l'inégalité se prononce de plus en plus au-delà de cet âge. Le
nègre conserve toute sa vie la légèreté, la versatilité et l'étour-
derie de l'enfant » [5].
A partir de cette première affirmation, de cette première
assimilation Noir-enfant, qu'allons-nous apprendre ? D'abord la
faiblesse de l'intelligence — et sur ce thème nos auteurs sont
intarissables : « pauvreté intellectuelle » (Letourneau) [7], « peu
d'aptitude aux travaux intellectuels » [6], « infériorité intellec-
tuelle... incapacité d'attention soutenue... le Noir réfléchit
difficilement » [2]. Certains voudront avancer des arguments
d'apparence physiologique : « Dans l'espèce nègre, le cerveau est
moins développé que dans l'espèce blanche » [6].
Il est étonnant de remarquer à quel point ces ethnologues sont
persuadés qu'il ne peut subsister qu'une seule forme d'intel-
ligence, qu'un seul type d'habitudes intellectuelles, et dès qu'ils
ne les retrouvent pas identiques chez les Noirs, ils concluent,
sans hésiter, à leur sottise. Hovelacque considère comme une preuve
évidente de non-intelligence que beaucoup d'Africains ne
connaissent pas leur âge avec précision ou qu'ils aient une notion
« fort vague » du temps, c'est-à-dire qu'ils ne le décou- pent pas
comme les Européens [2].
Cette intelligence « fruste » des Noirs, on va explicitement la
rapprocher de l'intelligence enfantine, ou plutôt du peu d'in-
telligence enfantine. Le Noir ne parvient guère au raisonnement, à
la pensée abstraite : pas davantage l'enfant.
C'est avant tout du point de vue de l'intelligence que l'adulte
noir s'est arrêté au stade de l'enfant, au mieux de l'adolescent,
et c'est donc de ce point de vue qu'il est le plus semblable à un
enfant. Si Hovelacque reconnaît à l'Africain une « mémoire
prodigieuse » et une « curiosité très vive », c'est pour ajouter
aussitôt que ce sont là des « caractères puérils » [2].
N'y a-t-il qu'une seule façon d'exister ?
Ainsi, le thème Noir-enfant contribue à renforcer l'idée que
l'intelligence répond à un modèle unique et qu'il y a des êtres,
les Noirs, les enfants qui n'y participent que de façon rudimen-
taire ; l'intuition de modes de pensée habituels à l'enfant (ou au
Noir) qui auraient leur validité, leur ordonnance, qui forme-
raient un équilibre propre, même s'il est différent de celui des
adultes (Blancs), est entravée par la dévalorisation inhérente à un
des termes de ce rapprochement ; et elle ne peut que conta- miner
l'autre. Dès lors, accorder plénitude de signification à l'enfance
devient impossible.
Un deuxième trait commun est que l'enfant et le Noir vivent de la
vie des sens, sens désignant ici simultanément les sensations, la
sensibilité et la sensualité, les joies sensuelles. Il s'agit
naturellement avant tout des danses africaines : on ne dira pas
qu'ils dansent, mais qu'ils sont « en proie à la danse », et cela
jusqu'à une « espèce de fureur » [6]. Lorsqu'ils dansent et font
résonner le tam-tam, l'idée d'un rapport avec l'art ou la
chorégraphie n'est même pas envisagée : ce n'est que du « bruit »,
et notre auteur le donne précisément comme l'équivalent du « chahut
», du « boucan » où se complaisent les enfants [4].
Ici encore l'assimilation Noir-enfant amène à, contribue à, nous
dirions volontiers aide à méconnaître tout art qui ne répondrait
pas aux canons classiques — et la dévalorisation de l'art nègre
bloque toute valorisation de l'enfant, par son art propre, son
dessin notamment.
Ces êtres qui sont restés à l'écart des raffinements intellec-
tuels et artistiques ne connaissent pas les états nuancés,
complexes. Le Noir est d'une seule pièce, certains tout bons,
d'autres tout mauvais — et le même qui, un jour, était tout bon va
devenir, pour des raisons complètement non raison- nables, tout
mauvais le lendemain : « Ils sont extrêmes en toutes choses » [6]
et passent d'un extrême, d'un excès à l'autre : tout résignés ou
tout agressifs ; tout généreux ou tout cruels, tout désespérés ou
tout heureux ; sans que le Blanc, sans que l'adulte puisse en
saisir le motif, ce qui est destiné à prouver qu'il n'y a, dans un
cas ni dans l'autre, aucun motif. Hove- lacque explique que le Noir
est « l'homme du premier mouve- ment » : cela a comme conséquence
que, « abattu au moindre échec, il reprend courage pour un rien »
[2].
On veut affirmer ainsi que leurs protestations, leurs reven-
dications ne sont que sautes d'humeur — et il ne faut surtout pas
envisager qu'elles puissent être une réponse aux conditions de vie
qui leur sont imposées, encore moins quelque chose qui mériterait
le nom de résistance.
Quand je disais à mes amis le sujet de ce livre, ils me répondaient
que j'étais dans les nuages — et qu'en tous les cas, eux n'avaient
jamais éprouvé de difficulté à aimer leurs enfants.
Tant de livres, de films nous disent combien il est malaisé de
réussir un amour entre une femme et un homme ; comment croire
qu'aimer un enfant ne pose aucun problème ?
Ce n'est pas innocemment que le dix-neuvième siècle a répété que
les Noirs colonisés, les domestiques, le peuple, les femmes étaient
des enfants : les assimilations n'étaient pas flatteuses et ne
facilitaient l'amour d'aucun des termes en présence.
Après un chapitre visant à mettre en lumière la richesse
ambivalente de Freud sur ce thème, on cherche à montrer comment
Maud Mannoni et Mendel en viennent aujourd'hui à déclarer illusoire
l'amour entre parents et enfants : ce ne serait qu'une exploitation
affective des enfants par des adultes incapables de fonder leurs
joies propres ; on dira la crainte que l'histoire interprétée par
Ariès ou Donzelot ne réduise la famille à être un refuge contre la
vie sociale ou un instrument de surveillance aux mains de la classe
dominante.
Au-delà du tabou social qui oblige à dire « les parents aiment
leurs enfants », c'est un effort pour apporter justification à cet
amour qui est tenté ici : en évoquant l'avenir possible du mariage
monogamique ; en prenant appui sur les psychanalystes qui
prolongent l'autre versant de Freud : Bettelheim, Winnicott,
Erikson découvrent comment les parents peuvent être ceux qui
soulagent l'enfant de ses soucis, de sa culpabilité — et lui
apprennent à aimer ; en soutenant une vue dia- lectique de
l'histoire où la continuité contradictoire ouvre à mon enfant et à
moi-même un présent-avenir commun, lieu commun de nos projets et de
nos rêves.
22403488/6/82 72 FF
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l’Écrit
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Couverture
Est-ce que je suis capable de bien l’aimer ?
Amour et autorité
Avec mes amis, c’est tout de même plus facile
Et lui ?
PREMIÈRE PARTIE - PÉRILS D’AMOUR
CHAPITRE PREMIER - Les cinq assimilations. L’amour dévalorisé
I | L’ESCLAVE ANTIQUE EST UN ENFANT
PREMIER THÈME : PROXIMITÉ ESCLAVE-ENFANT
C’est à un esclave que l’enfant est confié
On frappe les enfants comme on frappe les esclaves
Un même nom pour l’esclave et pour l’enfant
L’enfant est et n’est pas un esclave
L’enfant est esclave de l’esclave mais il en est aussi le maître —
du moins par personne interposée
DEUXIÈME THÈME : IL SERAIT FAUX DE CROIRE QUE L’ANTIQUITÉ N’A PAS
CONNU L’AMOUR DES PARENTS POUR L’ENFANT
TROISIÈME THÈME : ET POURTANT CET AMOUR SE HEURTE À DE NOMBREUX
OBSTACLES — À QUOI L’ASSIMILATION DE L’ENFANT À L’ESCLAVE N’EST
CERTAINEMENT PAS ÉTRANGÈRE
L’enfant et l’esclave ont-ils une vie propre ?
II | LE NOIR EST UN ENFANT, UN GRAND ENFANT
N’y a-t-il qu’une seule façon d’exister ?
Quatrième de couverture
Achevé de numériser