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ans l'article qui prècède. "Retour au Big Freud Show", l'auteur lie la contro- verse sur l'exposition àWashington, "Sigmund Freud, Conit et culture",à l'accent mis par les philosophes nord- américains sur le "consensus" et la "conversation". Ces termes, récurrents à tra- vers une grande partie de la philosophie amé- ricaine, proviennent d'une préoccupation croissante de la fonction publique de la phi- losophie : son rôle dans la formation des groupes est de les inciter à l'action. Richard Rorty. le néo-pragmatiste américain le plus connu, a commencé à s'intéresser à ces questions en faisant face à une impasse concer- nant le savoir. Dans L'homme spéculaire, il avait argumenté que l'épistémologie. en dénissant le savoir en termes de précision dans la représen- tation, conduit inévitablement vers une impasse, et elle doit donc être remplacée par une conception de la philosophie comme une conversation sans n. Bien que d'habitude, avec un esprit joyeux d'auto-libérateur, l'auteur s'es- quive face à ces problèmes, un passage de Contingence, lronie et Solidarité suggère que cet abandon des vieilles certitudes a créé les diffi- cultés plus sérieuses qu'il voudrait bien accepter. Une personne qui a expérimenté les doutes concernant ses valeurs et son savoir "a désespé- rément besoin de parler à d'autres. . . parce que seule la conversation lui permet de. . . garder à sa toile de croyances et de désirs une cohérence sufsante pour lui permettre d'agir." Pour rendre possible ce genre de conversation, Rorty essaye de localiser un consensus minimal, qui servira comme base d'un lien social. ll définit son groupe dans les termes masculins, par le biais d'une caractéristique que tout le monde partage sans ambiguïté ou paradoxe. La base de ce consensus sera l'idée que "Tous [ces êtres humains] peuvent se voir iniger une forme de souffrance bien particulière : ils peuvent se faire humilier à travers le démantèlement forcé des structures de croyances et de langages dans les- quels ils ont été socialisés"? An de donner une fondation apparemment invulnérable de consen- sus et de conversation, le sceptique névrotique, aura donc recours à la certitude du fantasme pervers. "La pire chose que l'on puisse faire à quelqu'un, ce n'est pas de le faire hurler de dou- leur et d'angoisse. mais d'employer cette dou- leur de telle manière que, la souffrance étreinte. la victime n'est plus capable de se rétablir. L'idée est de l'obliger à faire ou à dire des choses. . . voire à concevoir certaines pensées qu'elle ne pourra ensuite supporter d'avoir faites ou pensées. (. . .) On peut ainsi ‘défaire l'univers' de quelqu'un en le mettant dans l'impossibi- lité de se servir du langage pour décrire ce qu'il a été."3 Dans son séminaire. "L'Autre qui n'existe pas et ses comités d'éthique", Jacques-Alain Miller a suggéré que la perversion arrive à fonctionner comme une nouvelle forme sociale ;dans ce cas, la certitude qui accompagne le fantasme sadique constituera la base d'une nouvelle commu- nauté.‘ Le sadique, étant sûr que la barre de castration a été placée sur la victime, contraint cette dernière à faire manifeste son aliénation en proférant un morceau de "non-sens" d'exemple de Rorty est le moment dans le roman d'Orwell, l 984, O'Brien oblige Winston Smith à énon- cer que 2+2=5. Le sujet barré apparaîtlorsqu'il vient à être représenté par cet énoncé insensé, qu'il utilise comme Sl. Les sceptiques névro- tiques, répondant à cette scène avec un mélange de fascination et de rejet horrié de cette divi- sion, découvriront. dans leur réac- tion commune. un sens de f‘ solidarité et de consensus. f’ et peuvent donc commen- cer leurs conversations. l Ce spectacle de torture permet à Rorty de -. construire un groupe, et ainsi répondre aux diî- cultés qui ont hanté son travails ‘Rorty Richard, Contingence, ironie et Solidarité. Traduit par Pierre-Emmanuel Dauzat (PariszArmada Colin. I993). p. 244. îaony, lbid. 3mm. lbid., p. 244. "Miller j-A. et E Laurenc, "L'Autre qui n'existe pas et ses comités d'éthique" . séance du 23 avril I997. lllPllSSE il llfllllll john Holland Î r LËNVÊIŸ ne PlllilSA IMŒ

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ans l'article qui prècède. "Retour auBig Freud Show", l'auteur lie la contro-verse sur l'exposition àWashington,"Sigmund Freud, Conit et culture",àl'accent mis par les philosophes nord-américains sur le "consensus" et la

"conversation". Ces termes, récurrents à tra-vers une grande partie de la philosophie amé-ricaine, proviennent d'une préoccupationcroissante de la fonction publique de la phi-losophie : son rôledans la formation desgroupes est de les inciter à l'action.Richard Rorty. le néo-pragmatiste américain leplus connu, a commencé à s'intéresser à cesquestions en faisant face à une impasse concer-nant le savoir. Dans L'homme spéculaire, il avaitargumenté que l'épistémologie. en dénissantlesavoir en termes de précision dans la représen-tation, conduit inévitablement vers une impasse,et elle doit donc être remplacée par uneconception de la philosophie comme uneconversation sans n. Bien que d'habitude, avecun esprit joyeux d'auto-libérateur, l'auteur s'es-quive face à ces problèmes, un passage deContingence, lronie et Solidarité suggère que cetabandon des vieilles certitudes a créé les diffi-cultés plus sérieuses qu'il voudrait bien accepter.Une personne qui a expérimenté les doutesconcernant ses valeurs et son savoir "a désespé-rément besoin de parler à d'autres. . . parce queseule la conversation lui permet de. . . garder à satoile de croyances et de désirs une cohérencesufsante pour lui permettre d'agir."Pour rendre possible ce genre de conversation,Rorty essaye de localiser un consensus minimal,qui servira comme base d'un lien social. ll définitson groupe dans les termes masculins, par lebiais d'une caractéristique que tout le mondepartage sans ambiguïtéou paradoxe. La base dece consensus sera l'idée que "Tous [ces êtreshumains] peuvent se voir inigerune forme desouffrance bien particulière : ils peuvent se fairehumilier à travers le démantèlement forcé desstructures de croyances et de langages dans les-quels ils ont été socialisés"? Ande donner unefondation apparemment invulnérable de consen-sus et de conversation, le sceptique névrotique,aura donc recours à la certitude du fantasmepervers. "La pire chose que l'on puisse faire àquelqu'un, ce n'est pas de le faire hurler de dou-leur et d'angoisse. mais d'employer cette dou-leur de telle manière que, la souffrance étreinte.

la victime n'est plus capable de se rétablir. L'idéeest de l'obliger à faire ou à dire des choses. . .voire à concevoir certaines pensées qu'ellene pourra ensuite supporter d'avoir faites oupensées. (. . .) On peut ainsi ‘défaire l'univers'de quelqu'un en le mettant dans l'impossibi-lité de se servir du langage pour décrire cequ'il a été."3Dans son séminaire. "L'Autre qui n'existe pas etses comités d'éthique", Jacques-Alain Miller asuggéré que la perversion arrive à fonctionnercomme une nouvelle forme sociale ;dans ce cas,la certitude qui accompagne le fantasme sadiqueconstituera la base d'une nouvelle commu-nauté.‘ Le sadique, étant sûrque la barre decastration a été placée sur la victime, contraintcette dernière à faire manifeste son aliénation enproférant un morceau de "non-sens" d'exemplede Rorty est le moment dans le roman d'Orwell,l 984, où O'Brien oblige Winston Smith à énon-cer que 2+2=5. Le sujet barré apparaîtlorsqu'ilvient à être représenté par cet énoncé insensé,qu'il utilise comme Sl. Les sceptiques névro-tiques, répondant à cette scène avec un mélangede fascination et de rejet horriéde cette divi-sion, découvriront. dans leur réac-tion commune. un sens de f‘solidarité et de consensus. f’et peuvent donc commen-cer leurs conversations. lCe spectacle de torturepermet à Rorty de -.construire un groupe, et

ainsi répondre aux diî-cultés qui ont hanté sontravails

‘Rorty Richard, Contingence, ironie et Solidarité. Traduit

par Pierre-Emmanuel Dauzat (PariszArmada Colin.

I993). p. 244.

îaony, lbid.3mm. lbid., p. 244."Miller j-A. et E Laurenc, "L'Autre qui n'existe pas et ses

comités d'éthique" . séance du 23 avril I997.

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