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9 INTRODUCTION POURQUOI CETTE RECHERCHE? Étrange idée de s’intéresser à l’internat alors que, comme le montrent les statistiques, il ne concerne globalement qu’une minorité d’élèves, minorité infime dans les collèges publics (où moins de 0,4 % des collégiens sont internes), toute petite minorité dans les collèges privés (4 % d’internes), et encore minorité dans les lycées généraux ou professionnels dans lesquels, cependant, les internes sont proportionnellement un peu plus nombreux (7 % en LG, 12 % en LP) ! Objet empiriquement marginal, l’internat présente-t-il un autre intérêt pour la recherche que celui d’être encore peu exploré par la sociologie ? On est cependant plus disposé à y prêter attention si l’on note d’abord que, en termes d’effectifs, la faible proportion d’internes représente tout de même, en 2008, environ 230 000 collégiens et lycéens, 170 000 élèves dans le secteur public, près de 60 000 dans le secteur privé 1 . Proportion presque dérisoire, mais chiffre conséquent. Et peut-être est-on davantage convaincu en constatant qu’environ un élève sur six (17 % des élèves, soit 14 % des filles et 20 % des garçons) a été interne au moins une année à un moment ou à un autre de sa scolarité secondaire 2 . La question demeure cependant : pourquoi s’intéresser à l’internat ? La réponse tient en quelques points. D’une part, on n’aura pas manqué de constater, au fil des dix dernières années, le retour récurrent du thème de l’internat dans le débat public, et plus précisément dans les interventions publiques de tel ou tel responsable politique. À l’occasion des mouvements qui, périodiquement, agitent certains quartiers populaires et mettent en émoi une partie de la population, revient sur le tapis l’idée qu’il faudrait placer en internat certains des jeunes qui s’y trouvent impliqués 3 . 1. Données établies à partir du fichier scolarité Élèves 2008 et du fichier scolarité Établissements 2008. 2. Données établies à partir du panel d’élèves entrés en 6 e en 1995. 3. Voir CARON A., L’internat dans le débat public, mémoire de licence de sociologie, sous la direction de GLASMAN D., université de Savoie, année 2005-2006. [« L’internat scolaire », Dominique Glasman] [ISBN 978-2-7535-1793-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr]

introduction L'internat scolaire · assiettes de métal, et des nuits dans d’immenses dortoirs – glaciaux en hiver – où les lits voisinent à deux mètres l’un de l’autre

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INTRODUCTION

POURQUOI CETTE RECHERCHE ?

Étrange idée de s’intéresser à l’internat alors que, comme le montrent les

statistiques, il ne concerne globalement qu’une minorité d’élèves, minorité

infi me dans les collèges publics (où moins de 0,4 % des collégiens sont internes),

toute petite minorité dans les collèges privés (4 % d’internes), et encore minorité

dans les lycées généraux ou professionnels dans lesquels, cependant, les internes

sont proportionnellement un peu plus nombreux (7 % en LG, 12 % en LP) !

Objet empiriquement marginal, l’internat présente-t-il un autre intérêt pour la

recherche que celui d’être encore peu exploré par la sociologie ?

On est cependant plus disposé à y prêter attention si l’on note d’abord que,

en termes d’effectifs, la faible proportion d’internes représente tout de même,

en 2008, environ 230 000 collégiens et lycéens, 170 000 élèves dans le secteur

public, près de 60 000 dans le secteur privé 1. Proportion presque dérisoire, mais

chiffre conséquent.

Et peut-être est-on davantage convaincu en constatant qu’environ un élève

sur six (17 % des élèves, soit 14 % des fi lles et 20 % des garçons) a été interne au

moins une année à un moment ou à un autre de sa scolarité secondaire 2.

La question demeure cependant  : pourquoi s’intéresser à l’internat ?

La réponse tient en quelques points.

D’une part, on n’aura pas manqué de constater, au fi l des dix dernières années,

le retour récurrent du thème de l’internat dans le débat public, et plus précisément

dans les interventions publiques de tel ou tel responsable politique. À l’occasion

des mouvements qui, périodiquement, agitent certains quartiers populaires et

mettent en émoi une partie de la population, revient sur le tapis l’idée qu’il

faudrait placer en internat certains des jeunes qui s’y trouvent impliqués 3.

1. Données établies à partir du fi chier scolarité Élèves 2008 et du fi chier scolarité Établissements 2008.

2. Données établies à partir du panel d’élèves entrés en 6e en 1995.3. Voir CARON A., L’internat dans le débat public, mémoire de licence de sociologie, sous la

direction de GLASMAN D., université de Savoie, année 2005-2006.

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L’INTERNAT SCOLAIRE

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Or, il se pourrait bien que, au moins pour une part de ceux qui évoquent

une telle solution, celle-ci repose sur une représentation de l’internat renvoyant

plus à ce qu’il fut naguère qu’à ce qu’il est aujourd’hui ; si – la suite de ce texte

le montrera – on ne peut qu’avec précaution parler de manière générale voire

générique de « l’internat », si, en d’autres termes les internats se déclinent au

pluriel, il reste que ce type de structure présente aujourd’hui de fortes diffé-

rences avec ce qu’il en était il y a encore quarante ans. D’autres, au contraire,

insistent sur les transformations qui l’ont affecté et le rendent acceptable et

adapté aux adolescents et adolescentes d’aujourd’hui. Alors qu’il semblait, dans

de larges secteurs de l’opinion, lesté de nombreuses appréciations et jugements

négatifs, voilà qu’il semble être rentré en grâce auprès d’hommes politiques, mais

aussi de responsables du système éducatif et, selon ces derniers, aux yeux de

nombreux parents, chez lesquels ils affi rment déceler une demande pour cette

forme d’accueil. Mettant en avant les transformations profondes qu’a connues

l’internat depuis l’époque des pensionnats aux couloirs austères et à la disci-

pline féroce, les discours insistent plutôt aujourd’hui sur la ressource qu’il peut

représenter, tant pour les parents que, plus largement, pour ceux qui assument,

dans les collectivités locales et territoriales, des responsabilités en matière d’édu-

cation 4. N’ont pas toujours été clairement distingués dans les discours les diffé-

rents internats qui pourtant, à nos yeux, doivent impérativement l’être : seuls

les internats scolaires nous intéresseront ici, mais on sait qu’existent aussi des

internats de suppléance familiale (recevant des élèves handicapés, par exemple,

ne pouvant bénéfi cier de soins en restant à domicile), et des internats à visée

coercitive (dont l’exemple est le « centre éducatif renforcé », le « centre éduca-

tif fermé » ou encore l’« établissement de réinsertion scolaire » des années

récentes). Ce qui justifi e donc l’intérêt porté dans ce travail à l’internat, c’est le

besoin de comprendre ce qu’il est aujourd’hui, et d’interroger par là la faveur

dont il semble jouir dans le champ politique.

D’autre part, l’internat présente cette particularité de placer, de manière

régulière et pour un temps donné, un adolescent ou une adolescente sous la

responsabilité légale d’une institution et d’autres adultes que ses parents, de

le confronter à un autre cadre de socialisation, et ceci en lien étroit avec la

poursuite d’un cursus scolaire dont il n’est plus nécessaire aujourd’hui de souli-

gner à quel point les enjeux se sont alourdis. On peut donc conjecturer que,

dans la fréquentation d’un internat par un jeune, sont engagés les rapports et

l’évolution de ces rapports avec ses parents, avec sa scolarité (à laquelle les

4. Quelques émissions de télévision, dites, fort curieusement, de « télé-réalité », ont égale-ment contribué à populariser ce thème de l’internat, mais avec, cette fois, une présentation d’internats très « traditionnels » ou plutôt reprenant sans vergogne les stéréotypes les plus éculés sur les pensionnats de naguère. Le propos n’est pas ici de faire la critique de ces émissions mais de souligner qu’elles ont pu contribuer à faire revenir l’internat sur le devant de la scène.

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INTRODUCTION

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parents tendent à accorder une grande importance), avec son cercle de socia-

bilité juvénile, et au bout du compte avec lui-même. Autrement dit, même s’il

intéresse de fait une part réduite des élèves, l’internat pourrait constituer un

bon poste d’observation et d’analyse des relations qui se tissent aujourd’hui

entre parents et enfants, dans lesquelles interfère fortement la préoccupation

scolaire. S’intéresser à l’internat, c’est se donner un moyen – parmi d’autres –

d’entrer dans la question de l’éducation des adolescents d’aujourd’hui. Mais dire

cela conduira nécessairement à distinguer le collège et le lycée, puisqu’on n’y a

affaire ni aux mêmes élèves ni aux mêmes adolescents. Les préoccupations des

parents ne sont à l’évidence pas les mêmes quant à leurs enfants de 12 ans ou

de 17 ans, pas plus que leur interprétation des contraintes et leurs attentes en

termes de scolarité.

Troisième considération de nature à justifi er cette attention à l’internat :

inscrire le « local » dans le « global ».

Pour les besoins de la recherche, ou encore dans une visée d’action publique

de la part d’une collectivité territoriale, on peut être amené à prêter attention

à l’évolution et au développement de tel internat précis, situé. Mais comment

comprendre alors ce qui s’y joue, pour les élèves, pour le personnel éducatif,

pour les parents ? La tentation pourrait être de ne considérer que cet établis-

sement singulier, dans toutes ses dimensions : statut, localisation, inscription

dans l’espace local, structure pédagogique, histoire… S’il s’agit là d’une investi-

gation utile et pertinente, on risque de perdre beaucoup à s’y limiter : on peut,

au moins par hypothèse, penser qu’analyser l’usage de l’internat implique non

seulement de tenter de comprendre l’inscription dans tel établissement particu-

lier, mais aussi d’analyser l’usage d’une structure extra-familiale qui mérite d’être

éclairé de manière plus générale, au-delà de la singularité des situations locales.

Car on peut alors rapporter des observations, sur les manières dont les élèves

vivent (à) l’internat, sur le recours ou le non recours à cette offre d’accueil des

adolescents, à des processus qui débordent amplement un contexte strictement local.

Ce qu’ils y font, ce qu’ils y construisent, le sens que cela revêt pour la petite

centaine d’internes de tel établissement ou pour leurs parents, mérite d’être

rapproché, pour être dé-singularisé et ainsi mieux compris, d’observations plus

largement pratiquées, que ce soit dans les données statistiques ou dans divers

autres établissements.

Il reste que, même si la part d’internes peut être très substantielle voire impor-

tante dans tel établissement précis, la part d’internes est faible dans l’ensemble

des élèves des établissements français ; l’offre de places varie elle-même selon

les niveaux et les régions 5. Surtout, les internes sont très inégalement répartis

sur le territoire, du fait de la distribution très variable des internats et des écarts

dans leurs taux d’occupation. Et les raisons pour lesquelles les internes sont

5. « Parc immobilier et capacité d’accueil des établissements publics du second degré », note d’information de la DEPP, n° 08-04, janvier 2008.

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L’INTERNAT SCOLAIRE

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nombreux ici pourraient être exactement de même nature que les raisons qui

les rendent rares ailleurs.

Établissements pourvus d’un internat et taux d’occupation – Secteur public (2006-2007) 6

Collèges LEGT LP EREA Cités scol. Ensemble

Part des ensembles dotés d’un internat

4,8 % 50 % 53,4 % 93,8 % 73,4 % 22 %

Taux d’occupation 59 % 80,6 % 78 % 71,6 % 75,6 % 77 %

On y reviendra plus en détail. Notons seulement, pour l’instant, que l’on

trouve beaucoup moins d’internats dans les établissements des académies à forte

densité urbaine (de 4,5 % à 5,4 % dans les académies de Versailles, Créteil et

Paris) que dans ceux des académies à dominante rurale (47,2 % pour Limoges,

36,7 % pour Toulouse, de 32 % à 33 % pour Reims, Besançon et Bordeaux). Le

taux d’occupation varie, presque en sens inverse : très élevé dans les académies

de Paris ou Grenoble, où les internats peuvent presque arriver à saturation, il

est nettement plus faible dans d’autres académies, comme Besançon, où le taux

n’atteint pas 75 %.

C’est sur une toile de fond d’ensemble qu’il peut être utile de se pencher, de

manière plus monographique, sur tel établissement précis.

À QUOI RESSEMBLE UN INTERNAT AUJOURD’HUI ?

De l’internat d’hier…

L’imagerie héritée des générations antérieures, des romans ou de quelques

productions cinématographiques –  Les disparus de Saint-Agil, Les désarrois

de l’élève Toërless, Les amitiés particulières, Les choristes, pour ne pas parler

d’Harry Potter – représente l’internat comme un lieu entouré de hauts murs gris,

dans lesquels les internes vivent au rythme des cours, des repas pris dans des

assiettes de métal, et des nuits dans d’immenses dortoirs – glaciaux en hiver – où

les lits voisinent à deux mètres l’un de l’autre. Au-delà de l’imagerie, que peut-on

souligner concernant les internats d’hier, qui serait pertinent pour penser ce

qu’il en est aujourd’hui ?

L’internat, condition de scolarisation

Selon A. Prost 7, avant la Monarchie de Juillet, les internes représentaient

une petite moitié des élèves du secondaire. Ils deviennent la majorité à partir de

1842 et jusqu’à la fi n du siècle. F. Mayeur précise quant à elle que « c’est sous

6. « Parc immobilier… », op. cit.7. PROST A., Histoire de l’enseignement en France (1800-1967), Paris, Armand Colin, 1968,

p. 48-52.

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INTRODUCTION

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le Second Empire que le nombre de lycéens internes l’emporte sur celui des

externes, ce qui ne sera jamais le cas dans les collèges 8 ».

On mettait le jeune à l’internat pour le scolariser (lui permettre d’être scola-

risé), et donc la sélection des internes était déterminée par la sélection sociale

devant l’école. En d’autres termes, l’internat était la condition sine qua non de la

scolarisation, mais encore fallait-il avoir accès à ce niveau de scolarisation, ou

souhaiter y avoir accès : la sélection devant l’école conditionnait de fait large-

ment la sélection du public des internats.

À partir du moment où l’École s’est ouverte, (gratuité de l’enseignement

secondaire à partir des années 1930, relâchement de la sélection du fait de l’arri-

vée des classes creuses à l’entrée en 6e à partir de 1925 9) sans que l’offre de

places, par construction d’établissements scolaires de proximité, augmente aussi

rapidement, l’internat a diversifi é son public.

La circulaire du 10 septembre 1964, au moment de l’explosion scolaire,

suggère d’augmenter la capacité des internats en adoptant des lits superposés 10.

Elle précède la politique de construction à marche forcée, dite « un collège par

jour » entre 1968 et 1975 : on bâtit alors, d’après A. Prost, 230 collèges par an. Le

territoire national se couvre d’établissements de second degré premier cycle, et il

sera donc de moins en moins nécessaire d’être interne pour être collégien. Dans

les années 1980 et 1990, la construction de lycées généraux et professionnels par

les régions auxquels les lois de décentralisation ont dévolu cette responsabilité,

aura des effets analogues, bien que moins intenses : la part de lycéens internes

reste nettement supérieure à la part de collégiens.

Une « pédagogie de l’étude »

Le modèle pédagogique qui prévaut longtemps, c’est une articulation parti-

culière entre la classe et l’étude. C’est en étude que se fait l’essentiel du travail

d’apprentissage, sous la houlette de répétiteurs ou de maîtres d’études 11. En

classe, l’enseignant corrige, explique le travail qui suivra. De la sorte, « la classe

est un relais entre deux études 12 ». Ce modèle pédagogique, installé dans les

collèges d’Ancien Régime, perdurera jusqu’au XXe siècle. L’étude en journée

concerne tous les élèves, externes comme internes, mais ces derniers bénéfi cient

en outre de l’étude du matin et de celle du soir 13. Ce n’est que progressivement,

8. MAYEUR F., « L’enseignement secondaire », Histoire générale de l’éducation, tome III, p. 453 et s.

9. PROST A., Histoire générale de l’éducation, tome IV, p. 219.10. Ibid., p. 262.11. SAVOIE P., « L’association de la classe et de l’étude : retour sur un modèle pédagogique

disparu », Éducation et Formations, n° 65, janv.-juin 2003.12. PROST A., Histoire de l’enseignement, op. cit., p. 51.13. CHARTIER A.-M., « Devoirs et aide aux devoirs. Éclairage historique sur un processus d’exter-

nalisation », intervention au Colloque de l’APFEE, Lyon, ENS Sciences, 21 novembre 2009. Publié dans les Actes du Colloque, Accompagnement à la scolarité : à quelles conditions est-il effi cace en termes de réussite scolaire ?, Lyon, Aléas, 2010.

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L’INTERNAT SCOLAIRE

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et de fait jusqu’aux années 1950 – où la croissance des effectifs secondaires dus à

la fois au « baby-boom » et à la relative démocratisation conduit à la disparition

des répétiteurs par leur intégration dans le corps professoral – que s’opère une

véritable externalisation des devoirs des élèves, qui sont alors contraints de les

faire « à la maison 14 ».

L’internat était particulièrement propice à l’épanouissement de ce modèle

pédagogique, il était un réel lieu de travail, où le collégien ou le lycéen accom-

plissait ce que l’on n’appelait pas encore son « métier d’élève ».

Une institution « éducative » ?

Les travaux des historiens montrent que les internats publics sont généra-

lement pensés comme des collèges ou des lycées où les élèves sont hébergés,

mais où cette condition même (la présence continue des élèves) n’est pas empoi-

gnée comme une question spécifi que en termes éducatifs, en termes de « prise

en charge » de la vie quotidienne, de la nourriture, des soins du corps, de la

solitude, etc. (Pensons aux chefs d’établissement « marchands de soupe » du

XIXe siècle, intéressés matériellement au fonctionnement de l’internat.) L’offre

d’animation et de loisirs semble parfois (souvent ?) constituer l’alpha et l’oméga

de la prise en charge en internat. La critique déborde du reste les internats : « On

reproche aux établissements de l’État de négliger la direction et l’éducation des

enfants pour ne s’occuper que de leur instruction 15. »

C’est dans les internats du secteur privé qu’est affi rmée et mise en œuvre une

visée éducative explicite. « Il est certain que l’enseignement catholique reven-

dique et assume une responsabilité éducative globale que l’enseignement public

a du mal à soutenir », écrit A. Prost 16. F. Mayeur évoque la confi ance faite par

les parents au privé, et considère que « la plus grande spécifi cité jésuite réside

dans les préfets et les surveillants », et que « les lycées, pour leurs internats,

n’ont pas su trouver l’équivalent du préfet jésuite » 17.

Les internats pouvaient aussi se voir assigner une fonction de protection. « Si

nous demandons que les internats soient placés hors des villes, c’est, entre autres

raisons, dans une visée de préservation morale. Nous voudrions que, d’accord

avec nous, le seuil des lycées fût protégé contre les émotions du dehors par la

sagesse des familles et par la sollicitude publique 18. »

14. Ibid.15. Document des Archives nationales, cité par PROST A., «  De l’enquête à la réforme.

L’enseignement secondaire des garçons de 1898 à 1902 », Histoire de l’éducation, n° 119, juillet-septembre 2008.

16. PROST A., « De l’enquête à la réforme. L’enseignement secondaire des garçons de 1898 à 1902 », art. cit.

17. MAYEUR F., « L’enseignement secondaire », op. cit.18. Cité par MAYEUR F., op. cit.

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INTRODUCTION

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La vie à l’internat

Durant tout le XIXe siècle, la vie de l’interne est rude. Non seulement parce

que, comme tout collégien ou lycéen, il est soumis à une discipline rigoureuse

qui, en cas de manquement, peut lui valoir la « prison ». Mais aussi parce que, à

l’internat lui-même, les conditions de vie – la nourriture, le froid des chambres,

etc. – ne sont pas faciles, en particulier quand le principal est intéressé lui-même

pour avoir pris le pensionnat à son compte 19. Le régime d’internat – que ce soit

dans le secteur public ou privé – fait d’ailleurs l’objet, dans la seconde moitié

du XIXe siècle, de critiques féroces de la part d’un certain nombre de penseurs,

parce que plus soucieux de dressage que d’éducation, parce qu’ignorant de

l’individualité de chaque élève, parce qu’il fait subir aux internes une violence

physique et morale 20. Plus près de nous, le témoignage de P. Bourdieu présente

l’image d’un internat de province des années 1940 aux locaux inconfortables et

à l’équipement sommaire, où les rapports de force avec les autres élèves et avec

les surveillants tissaient le quotidien des internes 21. « Les mœurs des internes

sont dures », écrit A. Prost en évoquant le début du XIXe  siècle, et des révoltes

éclatent parfois. Mais, à lire les évocations plus récentes, la vie en internat n’est

pas non plus très tendre pour les adolescents du milieu du XXe siècle.

… à l’internat d’aujourd’hui

Un contexte différent

Ce qui distingue d’abord les internats d’aujourd’hui de ceux d’hier, c’est le

contexte dans lequel ils prennent place. Celui-ci, en quelques mots, se carac-

térise ainsi. On a assisté depuis la Seconde Guerre mondiale à « l’explosion

scolaire », à une entrée nettement plus massive de toutes les catégories sociales

au collège puis au lycée. Sans entrer ici dans la discussion consistant à se deman-

der s’il y a là démocratisation ou « démographisation » (le terme est proposé

par G. Langouët) de l’école, on ne peut que constater que l’évolution conjointe

du système scolaire (« mise en système de l’éducation », selon l’expression

d’A. Prost) et des conditions d’entrée sur le marché du travail a considérable-

ment alourdi les enjeux scolaires. Le territoire national s’est couvert de collèges

rendant nettement plus facile la scolarisation secondaire massive que le légis-

lateur visait dès la fi n des années 1950. De plus, les moyens de transport ont

contribué à raccourcir les distances entre établissements scolaires et lieux de

résidence. Les moyens de communication (téléphone portable, SMS…) rendent

19. PROST A., Histoire de l’enseignement, op. cit., p. 49 ; MAYEUR F., op. cit., p. 480.20. CLASTRES P., « L’internat public au XIXe siècle », in CASPARD P., LUC J.-N. et SAVOIE P. (dir.),

Lycées, lycéens, lycéennes. Deux siècles d’histoire, Lyon, Institut national de la recherche pédagogique, 2005.

21. BOURDIEU P., Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Éditions Raisons d’agir, 2004, p. 117-127.

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L’INTERNAT SCOLAIRE

16

possibles à ceux qui le souhaitent des contacts plus continus avec ceux dont ils

se sont physiquement éloignés.

Le partage du temps des élèves s’est de plus en plus établi ainsi : à l’école les

cours, à la maison le travail d’exercice et d’appropriation. Alourdissement des

enjeux et externalisation du travail vers le foyer familial ont contribué à faire

de la question scolaire un thème de confl its dans les relations entre parents et

enfants. Celles-ci se sont modifi ées, tendant à passer progressivement vers un

mode plus « contractuel », sans pour autant que l’attente parentale d’engagement

dans le travail scolaire se relâche.

Changements dans l’organisation et les modalités de fréquentation des internats

De façon très générale, et autant qu’on ait pu s’en rendre compte au cours de

l’enquête, la réalité présente n’est pas identique à celle qui a longtemps prévalu.

« Quoi de commun en effet, écrit P. Clastres, entre les libertés qui prévalent dans

les actuelles résidences scolaires et la discipline militaire des lycées-casernes

du XIXe siècle 22 ? » Avec des variations bien entendu, le modèle est le suivant.

Les internes vivent dans des chambres de quatre à six personnes, y disposent

chacun d’un lit, d’un espace de rangement fermé, d’un bureau. Parfois les salles

d’eau et les toilettes sont attenantes aux chambres, parfois elles sont à l’écart,

et c’est le cas en particulier quand les élèves sont installés dans des box, à un

ou à plusieurs, box fermés par un rideau. Les internats se sont « modernisés »,

rénovés, et, suivant en cela une évolution qui a marqué tous les domaines de la

vie sociale, prennent en compte, davantage qu’ils ne le faisaient, les individus

comme personnes singulières plus que comme individus dont il faudrait avant

tout s’assurer de la normalité et de la conformité sociale.

En fait, dans l’organisation matérielle des internats, les normes se sont

modifi ées : non seulement les normes légales de sécurité ou d’habitabilité de

locaux recevant du public – concernant les ouvertures et évacuations, et plus

généralement toutes celles liées au bâti et à l’équipement –, mais aussi les normes

socialement admises en termes de commodités jugées minimales et indispen-

sables  : on porte une certaine considération au bien-être physique et moral

de l’adolescent, l’ascétisme n’y est plus valorisé ni par l’encadrement, ni par

les parents.

Il est rare aujourd’hui que les élèves demeurent à l’internat sans disconti-

nuer pendant une période qui excède la semaine. La très grande majorité des

internats, publics ou privés, présentés dans le site « ORELIE 23 », est fermée le

week-end. Très généralement – même s’il existe des exceptions dans tel inter-

nat pour tous les élèves, et dans tel autre pour quelques élèves très ciblés –, les

internes retournent chez eux chaque week-end, celui-ci commençant parfois dès

22. CLASTRES P., op. cit.23. Il s’agit d’un site internet du ministère de l’Éducation nationale présentant, établissement

par établissement, les internats de chaque département.

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INTRODUCTION

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le vendredi après-midi. Il est aussi des internes qui rentrent le mercredi après-

midi et reviennent pour les cours du jeudi matin, en sorte qu’ils dorment quatre

nuits au maximum à l’internat. Le temps n’est plus où les élèves ne regagnaient

le domicile familial qu’une fois par trimestre, pour les vacances de Noël ou de

Pâques. Affaire de maillage scolaire, affaire également de conception de l’éduca-

tion, cette évolution aide encore à comprendre pourquoi les élèves ou les parents

s’efforcent de trouver un internat à distance « raisonnable », permettant le retour

au bercail hebdomadaire. Et cela permet aussi de comprendre pourquoi, malgré

une demande que certaines autorités affi rment croissante en matière d’internat,

en particulier à Paris, les internats du Massif central, situés dans des villages mal

desservis par les réseaux de transports publics permettant de retourner rapide-

ment vers la capitale, demeurent amplement sous-occupés.

À certaines heures bien circonscrites, ou le mercredi après-midi, les internes

– plus souvent les lycéens que les collégiens, et avec l’aval parental s’ils sont

mineurs – peuvent être autorisés à sortir de l’internat. Les occasions de quitter

les lieux ne se réduisent donc pas à l’antique « promenade » effectuée sous la

houlette d’un régent de discipline.

Les surveillants ont largement remplacé les régents et maîtres d’internat. En

général, un « conseiller principal d’éducation » (dans le secteur public), qui

peut être nommé « cadre éducatif » (dans le secteur privé) a la responsabilité

éminente de l’internat, au nom du chef d’établissement. Mais les internes ne

sont en contact de façon quotidienne qu’avec des surveillants, pour la plupart

étudiants et encore eux-mêmes dans la période de « latence » de la post-adoles-

cence 24 ; remplissant une fonction au nom de l’institution, mais n’en étant pas

membres à part entière, ils entrent avec les internes dans des rapports différents

de ceux que nouent les personnels plus installés dans la vie et dans un statut les

identifi ant à l’institution.

Seule constante depuis un siècle, à en croire élèves et parents : la nourriture

est toujours aussi immangeable. Mais on n’a pas affaire aux mêmes commensaux.

Dans les générations d’internes des années 2000 les enfants ont, beaucoup plus

que dans celles qui les ont précédées, été autorisés voire accoutumés à choisir

ce qu’ils mangeaient, y compris à la table familiale 25, et l’argent de poche dont

ils disposent leur donne accès à ce que proposent les diverses « sandwicheries »

quand il en existe à proximité de l’internat.

Ceci dit, si les formes ne sont plus celles d’hier, il n’est pas d’emblée certain

que, sous ces formes nouvelles, ne perdurent ou se recomposent quelques

tendances vivaces. On aura l’occasion de voir, au fi l de ce travail, que l’inter-

nat est aujourd’hui encore nécessaire pour favoriser la scolarisation de certains

élèves, qu’il prend en charge d’une certaine manière le travail des élèves hors

de la classe, qu’il peut être attendu comme un lieu de protection par certains

24. Selon l’expression d’O. Galland.25. SINGLY F. de, Les adonaissants, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 2007.

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L’INTERNAT SCOLAIRE

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adolescents et certains parents, que l’opposition entre secteur public et secteur

privé quant à l’affi chage de leur ambition éducative demeure. Mais l’internat

ne semble plus recouvrir les mêmes réalités et n’être plus porteur des mêmes

connotations que le « pensionnat ». Et, on le verra en conclusion, il n’est pas

certain, au terme de la recherche, qu’on puisse encore aujourd’hui considérer

l’internat comme une « institution totale ».

L’INTERNAT OU LES INTERNATS ? QUEL OBJET DE RECHERCHE ?

L’objet empirique de recherche : l’internat « ordinaire »

Sous un terme générique, « l’internat », on trouve des établissements extrê-

mement divers, par leur statut (public ou privé), par leur taille (de quelques

petites dizaines de jeunes à plusieurs centaines), par leur implantation (centre-

ville ou campagne reculée), et bien entendu par le niveau scolaire auquel ils

correspondent (collège, lycée général, lycée professionnel). Il y aurait alors lieu

d’user plutôt de l’expression « les internats », afi n de ne pas être piégé par la

connotation d’homogénéité que comporte le terme au singulier.

Cette recherche s’intéresse à l’internat scolaire, c’est-à-dire recevant des

élèves dans l’objectif premier de leur permettre de suivre leurs études. Cela

signifi e que sont d’emblée écartés les divers « centres éducatifs fermés », où sont

accueillis de jeunes envoyés par décision de justice.

Malgré leur objectif scolaire, on écartera aussi les internats, ou plutôt leur

fraction, hébergeant les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles

(CPGE) ou préparant un brevet de technicien supérieur (BTS) ; ce sont en

effet des fi lières où l’on entre après obtention du baccalauréat, qui marque un

tournant important, une scansion dans le processus de l’adolescence ; même

si leurs parcours scolaires et leur manière de s’inscrire dans l’avenir diffèrent

de ceux des étudiants de l’université, ils jouissent comme eux d’un statut de

« jeune » – il est plus rare que l’on parle à leur propos d’« adolescents » –, et leur

installation hors de leurs familles n’a pas le même sens que pour des collégiens

ou des lycéens. (C’est la raison pour laquelle tous les tableaux dans la suite de

ce texte, quelle que soit la base de données sur laquelle ils sont établis, excluent

les CPGE et les BTS, pour ne conserver que les élèves du second degré.)

Enfi n, n’ont pas été envisagées ici les écoles régionales d’enseignement adapté

(EREA). Bien que leurs objectifs soient scolaires, elles reçoivent des élèves qui

leur sont envoyés par des commissions spécifi ques, soit la commission des droits

et de l’autonomie des personnes handicapées quand il s’agit d’élèves présentant

un handicap moteur ou sensoriel, soit la commission départementale d’orienta-

tion vers les enseignements adaptés du second degré, pour les élèves présentant

des diffi cultés graves et durables 26. En fait, les élèves reçus en EREA sont, depuis

26. Site du ministère de l’Éducation nationale, rubrique EREA.

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INTRODUCTION

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le milieu des années 1980, de moins en moins des « défi cients intellectuels » et

de plus en plus des « élèves diffi ciles », présentant des problèmes de comporte-

ment ou des cas sociaux dits « lourds » 27. Ce choix de ne pas les retenir est dû

au fait que l’affectation en EREA ne procède pas d’une décision parentale mais de

celle d’une administration, que les parents avalisent ou pas. On concédera que

ce choix peut être dommageable, parce que les élèves des EREA sont, pour la

moitié d’entre eux, internes – il y a donc presque autant d’internes en EREA que

dans les collèges publics (environ 5 100 contre 7 300) – ensuite parce que, parmi

eux, la part d’enfants de milieux populaires est très majoritaire, et enfi n parce

que l’objectif affi ché y est clairement « éducatif ».

Autrement dit, on s’intéresse ici à l’internat que l’on pourrait dire « banal » ou

« ordinaire », c’est-à-dire un internat ni organisé offi ciellement pour la sanction

(d’actes délictueux), ni imposé par l’institution (comme l’est l’EREA), ni même

à visée reproductrice très claire (comme l’est par exemple l’École des Roches,

déjà étudiée par certains auteurs 28). On s’intéresse ici là l’internat « ordinaire »,

en faisant l’hypothèse que les usages qui en sont faits disent quelque chose de

l’éducation parentale et de ce qui est attendu d’un dispositif public.

Internat en collège, internat en lycée

Ayant délimité le champ d’investigation, il faut s’arrêter un instant sur la

distinction entre internat au niveau du collège et au niveau du lycée. L’inscription

en internat d’un lycéen relève souvent d’une contrainte de scolarisation : le

lycée, la fi lière, la spécialisation souhaitée ou imposée par l’orientation scolaire

n’étant pas disponibles à proximité du domicile ou dans le réseau des transports

scolaires, il n’y a pas vraiment le choix, l’élève se voit contraint d’être interne,

ou de trouver une solution alternative satisfaisante. Cette contrainte existe aussi

au collège, mais elle est beaucoup plus rare, puisque le maillage territorial en

établissements de premier cycle est aujourd’hui assez serré, plus serré que dans

le second cycle où il s’est cependant également développé. Ce qui a contribué à

la baisse de la proportion d’internes depuis quarante ans.

Évolution de la part d’élèves internes dans le second degré, pour chaque secteur

1970 1980 1990 2000 2008

Public 11 % 7 % 5 % 4 % <4%

Privé 22 % 13 % 9 % 6 % 5 %

27. Rapport de l’inspection générale, Analyse de l’organisation et du fonctionnement des EREA, rédigé par CREMADEILLS J. et al., juin 2002.

28. L’école des Roches est présentée, dans son rôle d’institution de reproduction de la bourgeoisie, par BOURDIEU P. et SAINT MARTIN M. de, « Le patronat », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 20-21, mars-avril 1978, p. 3-82. Elle a fait plus récemment l’objet d’une recherche par DUVAL N., L’école des Roches, Paris, Belin, 2009.

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L’INTERNAT SCOLAIRE

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Placer un enfant en internat quand il est collégien relève parfois d’une obliga-

tion pratique, mais elle renvoie aussi à une gestion de l’adolescence au sein de

la famille. Or, celle-ci diffère selon l’âge, il n’en est pas de même pour un jeune

de 12 ans et un autre de 17 ans. Cette différence s’accompagne d’une attente

distincte tant vis-à-vis de l’internat comme structure à laquelle est déléguée

une part de la prise en charge de l’adolescent, que vis-à-vis des offres proposées

par les internats, dans leur diversité, accessibles dans un territoire donné. On

pourrait objecter que, certes entre 12 et 17 ans les pratiques parentales diffèrent,

mais qu’elles ne le font pas nécessairement entre 14 ans, âge où (modalement)

on est encore au collège, et 15 ans, où l’on rentre au lycée. Ce serait ne pas accor-

der assez d’importance à la fonction de scansion que joue le système scolaire

dans le découpage des âges et des regards portés sur la jeunesse : ce qui fait

l’âge d’un jeune, ce n’est pas seulement son âge biologique ou ses centres d’inté-

rêt enfantins ou juvéniles, c’est le stade auquel il est rendu dans son parcours

scolaire 29. Et cela est vrai y compris pour ses parents, qui l’ont vu naître et

grandir. Ils ne regardent pas leur fi ls lycéen ou leur fi lle lycéenne exactement

de la même manière que lorsqu’ils étaient au collège. Et les enjeux scolaires se

modifi ent aussi avec le passage d’un cycle à l’autre : ce qui pour certains parents

allait de soi au collège requiert à présent une vigilance plus soutenue auprès

de leurs enfants lycéens. Et quand ils sont en mesure d’élaborer et mettre en

œuvre des stratégies scolaires, celles-ci se spécifi ent ou se précisent avec l’entrée

en seconde. L’inscription en internat, dans tel établissement plutôt que dans

tel autre, tel secteur de préférence à l’autre secteur, ne se fait pas en pesant les

arguments avec le même trébuchet.

Par ailleurs, se décider ou se résigner à mettre tel ou tel de ses enfants à

l’internat, c’est en fait en confi er l’éducation et la prise en charge à d’autres :

autant cela paraissait « naturel » voire valorisé dans les familles bourgeoises

jusqu’au milieu du XXe siècle, à un moment où de surcroît les établissements

scolaires n’étaient pas toujours disponibles à proximité, autant cela tend à

contrevenir à ce qui est devenu l’image sociale du « bon parent » ; aujourd’hui,

le « bon parent », ce n’est pas celui qui, comme naguère, « fait donner » une

bonne éducation à ses enfants, c’est celui qui écoute, qui est proche de ses

enfants, qui les accompagne ; il est donc plus diffi cile, ou il va moins de soi, de

mettre ses enfants en internat, surtout si d’une part il n’y a pas nécessité pratique

et si d’autre part, comme c’est souvent le cas en particulier du côté des familles

populaires, on se sent, confusément ou clairement, soupçonné d’être des parents

« démissionnaires ». Déjà, comme on a pu le constater dans d’autres enquêtes,

quand les parents confi ent leurs enfants, grands ou petits, aux structures de

29. Voir CHAMBOREDON J.-C., « Adolescence et post-adolescence : la “juvénisation” : remarques sur les transformations récentes des limites et de la défi nition sociale de la jeunesse », in MORVAN O., ALLÉON A.-M. et LEBOVICI S. (dir.), Adolescence terminée, adolescence inter-minable, Paris, PUF, 1985.

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INTRODUCTION

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prise en charge que sont les centres aérés ou les dispositifs d’accompagnement

scolaire, il n’est pas rare d’entendre dire que « les parents se déchargent », alors

qu’ils n’ont fait que saisir l’offre qui leur était faite 30. Que peut-il en être quand

il devient question de mettre un de ses enfants à l’internat, et donc de les faire

vivre à l’écart du cercle familial pendant la durée de la semaine ?

Il reste cependant, comme on le verra dans le cours de ce travail, que

certaines préoccupations parentales quant au travail scolaire peuvent traverser

les cycles, et que les attentes vis-à-vis d’une structure comme l’internat peuvent

demeurer assez voisines concernant des collégiens et des lycéens.

L’objet de recherche sociologique : les usages sociaux de l’internat

Internes : la diversité sous l’appellation commune

Si, comme on l’a vu plus haut, on peut par l’analyse de l’internat repérer des

questions de rapports éducatifs, il y a de fortes chances pour que, les processus

éducatifs étant différenciés, selon l’âge (collégiens ou lycéens), le sexe ou le

milieu social, la manière dont l’internat est utilisé, ou non utilisé, soit également

diversifi ée socialement. Comme il y a de fortes chances pour que les trajectoires

scolaires infl uent sur l’usage de l’internat.

On pourra, il est vrai, mettre en doute la légitimité d’un tel parti pris, qui

revient sinon à faire éclater cette notion d’« interne » du moins à y traquer la

diversité. Car, tout de même, dira-t-on, ce sont parfois des contraintes similaires

(en particulier de distance) qui, quels que soient leurs milieux d’appartenance,

conduisent les élèves vers l’internat, dans lequel ils vivent une existence d’ado-

lescents au milieu d’autres adolescents, et saisissent peu ou prou l’occasion qui

leur est donnée de travailler et de se construire ; et l’offre d’internat scolaire,

si diversifi ée soit-elle, on le verra, ne l’est pas, explicitement du moins, selon

les élèves et leurs caractéristiques sociales 31. Quant aux responsables, ils ont

bien affaire à des internes, sans les distinguer selon ce critère de l’origine

sociale ; quand ils sont en situation d’interaction, les chefs d’établissements ou

les conseillers d’éducation chargés de l’internat n’adoptent pas cette grille de

lecture. En sorte que les différences entre les internes dans leur manière de vivre

l’internat pourraient apparaître comme relevant davantage de caractéristiques

personnelles, voire psychologiques, et ne rien devoir à leur appartenance à tel

ou tel groupe auquel il est possible de les rattacher. Cela peut émerger davantage

dans les entretiens avec ces professionnels, où l’appartenance à un genre, mais

aussi les « problématiques familiales », peuvent se trouver mobilisées comme

facteurs explicatifs de différences.

30. GLASMAN D., L’accompagnement scolaire. Sociologie d’une marge de l’école, Paris, PUF, 2001.31. Sinon dans les dispositifs récents que sont les internats de réussite éducative et les internats

d’excellence.

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L’INTERNAT SCOLAIRE

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Des raisons de distinguer les internes

Les internes sont là en tant qu’élèves scolarisés. Or, les rapports à l’école

et le sens de la scolarisation ne sont pas identiques, la place de l’école dans le

processus de reproduction familiale ou dans la transmission et la modifi cation

des statuts sociaux, en un mot dans les trajectoires sociales, n’est pas, chez

les agriculteurs propriétaires d’une petite exploitation, ce qu’elle est chez des

employés dépourvus de capital économique, chez des ouvriers d’une indus-

trie en déclin, chez des petits commerçants en reconversion, chez des descen-

dants d’une lignée de chefs d’entreprises ou de fonctionnaires publics. L’usage

de l’internat, qui relève d’un « cela va de soi » indiscuté dans certains espaces

sociogéographiques, fait ailleurs l’objet d’une délibération minutieuse au cours

de laquelle sont longuement explorés les tenants et aboutissants de la décision.

L’inscription en internat en raison d’une contrainte géographique, le domicile

étant à grande distance de l’établissement scolaire, intervient à la suite d’un

processus d’orientation ; telle fi lière dans laquelle on est affecté n’est pas dispo-

nible à proximité, alors qu’une autre fi lière, à laquelle un autre parcours scolaire

aurait permis d’accéder, l’est et n’imposerait donc pas le recours à l’internat. Ce

qui suggère que le sens de la présence à l’internat sera marqué par ce processus

en amont et ne sera pas identique pour tous : on peut aisément l’imaginer en

faisant référence à ce qu’il peut en être pour les élèves de bac pro d’un côté, et

ceux de classes préparatoires d’un autre 32.

Au sein de l’internat un processus d’entre-soi peut rassembler des élèves

qui, à certains égards, se ressemblent et se distinguent d’autres internes. C’est

le cas en particulier des internats des lycées agricoles ou des maisons familiales

rurales (MFR), même si c’est moins vrai aujourd’hui que ça ne l’était naguère

car le déclin de l’agriculture a conduit à y diversifi er les formations et, partant,

vraisemblablement le public. Ce qui se vit dans une telle structure, ce qui est

demandé par les adultes qui l’encadrent, fait plus ou moins fortement écho aux

pratiques familiales ; et les parents, selon les contextes dans lesquels ils vivent

ou selon les conceptions éducatives qui les animent et contribuent à informer

leurs pratiques, expriment des attentes distinctes à l’égard de l’institution, et

réagissent différemment aux appels et aux injonctions institutionnelles qui leur

sont adressées par l’établissement.

Enfi n, être séparé de ses enfants pendant le temps qu’ils passent à l’internat

est doté de signifi cations qui ne sont pas identiques, et qui peuvent du reste

varier fortement entre parents et enfants.

Autrement dit, il se pourrait bien que ce qui diversifi e les internats, ce ne

soit pas seulement leurs caractéristiques administratives, organisationnelles ou

32. De fait, dans ce travail, les élèves des CPGE ne nous intéresseront pas en tant que tels, on vient de le dire, puisqu’il s’agit d’élèves d’une fi lière post-baccalauréat. On n’évoquera occasionnellement leur cas que pour éclairer, par contraste, les rapports des élèves du secondaire à l’internat.

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INTRODUCTION

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pédagogiques, mais ce qu’ils représentent pour les familles qui les utilisent – ou

évitent de le faire.

Qu’entendre ici par cette expression, les « usages sociaux » ?

Elle cherche à désigner le fait que tous les élèves ou tous les parents ne font pas

le même usage de cette structure d’accueil qu’est l’internat. Cet usage diffère selon

l’appartenance sociale, selon le genre de l’élève, son niveau et sa fi lière d’études,

la structure familiale, la zone de résidence habituelle qui est la sienne. Ce qui

fait que, au-delà de l’appellation administrative, commode et indispensable en

termes de gestion, les « internes », l’analyse sociologique invite à distinguer,

selon les critères sociologiquement pertinents, les populations de parents et

d’élèves qui ont recours à l’internat. L’« usage » commence avant même l’ins-

cription, dès qu’émerge et se pose la question d’y envoyer l’un des enfants ; il se

poursuit avec le choix de l’établissement, les raisons, les attendus, les modalités

de ce choix ; il se manifeste encore dans la manière dont s’organise le passage

des personnes entre l’espace domestique et l’espace scolaire, ainsi que dans le

vécu quotidien des élèves internes pour ce qui est de leur travail scolaire, de la

sociabilité juvénile, des relations avec les adultes, de la construction de soi ; sont

encore à ranger dans ces usages sociaux les pratiques plus ou moins élaborées

de « collaboration » entre parents et encadrement de l’internat, ou de contrôle

exercé par les parents sur son fonctionnement ou son recrutement.

Si l’objet empirique de cette recherche est bien constitué par « les internats »,

l’objet sociologique est le rapport que les parents et les élèves, différenciés selon

toute une série de variables sociologiquement pertinentes, entretiennent avec ce

type de structure éducative et scolaire, et peut être exprimé plus spécifi quement

sous l’expression « les usages sociaux de l’internat ». Des modes de socialisation

différents induisent une confrontation diversifi ée à l’internat. S’intéresser à ces

usages sociaux, c’est aussi une façon de regarder l’éducation de l’adolescence

dans un monde marqué par l’hégémonie de la forme scolaire de socialisation,

c’est porter un regard sur les variations de l’éducation parentale, c’est encore

réfl échir aux institutions et aux rapports que les membres de la société entre-

tiennent avec elles.

On procédera par moments à une tentative de grossissement concernant les

usages qu’en font les familles populaires. Pourquoi cela ?

Quand est préconisée l’ouverture ou la réouverture des internats, dans la foulée

des soulèvements évoqués plus haut, ce sont implicitement ou explicitement les

jeunes des milieux populaires, plus volontiers mais non exclusivement les garçons

adolescents, et « issus de l’immigration », qui sont visés. C’est à eux que cette

structure semblerait destinée et adaptée, tant pour les contenir que pour les mettre

à l’écart. Mais qu’en est-il pour eux, et pour leurs parents ? Que signifi e, que signi-

fi erait, l’inscription plus ou moins contrainte de leur fi ls ou de leur fi lle dans un

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internat, c’est-à-dire ce dessaisissement de fait de la famille ? Peut-elle avoir le

même sens, recouvrir les mêmes espérances, coûter le même prix, matériel ou

symbolique, dans une famille populaire que dans une famille plus favorisée ?

Ces questions se posent également quand l’accent mis sur l’internat procède

d’une tout autre logique. Il est au moins une région, la région Rhône-Alpes

– mais elle n’est peut-être pas la seule – où la collectivité territoriale, convain-

cue que l’internat favorise la réussite scolaire, entend développer les internats

comme moyen de promotion des jeunes de milieu populaire.

Quelle que soit la raison qui conduit les responsables politiques à agir en

faveur de l’internat, on est conduit, d’un point de vue sociologique, à porter

l’attention sur les usages sociaux différenciés de l’internat, et, sur ce fond, à régler

parfois la focale, autant que possible et que nécessaire, sur les milieux populaires.

Dernière précision, afi n de lever une ambiguïté possible : l’objectif n’est pas

de travailler ici sur le fonctionnement ou les dysfonctionnements des internats, ni sur

leur « réussite » ou leur « échec » ; ce travail se situe dans le champ de la sociolo-

gie de l’éducation, non dans la sociologie des organisations. Par ailleurs, il s’agit

bien d’un travail sociologique, pas d’une recherche en psychologie de l’enfant et

de l’adolescent, même si la collaboration délibérée avec un psychologue praticien

travaillant depuis de nombreuses années avec des adolescents et en collaboration

avec des internats, a fourni à plusieurs moments un éclairage fécond.

LES DONNÉES MOBILISÉES OU CONSTRUITES POUR CETTE RECHERCHE

L’élaboration de ce texte se base sur plusieurs sortes de données, recueillies

sur trois années.

Des données quantitatives

Données produites par l’administration de l’Éducation nationale :

–  d’une part, le « fi chier scolarité » pour les années 2004, 2005, 2006, 2007

et 2008 fournit les informations (âge, sexe, classe, CSP du responsable de

l’élève, etc.) pour tous les élèves scolarisés dans l’enseignement secondaire

public ou privé (sous contrat) dépendant du ministère de l’Éducation natio-

nale (5 593 680 élèves en 2008). En fait, le fi chier scolarité Élèves a été chaque

fois concaténé avec le fi chier scolarité Établissements, afi n de permettre des

croisements plus riches, incluant par exemple le type d’établissement fréquenté

par l’élève, son statut, etc. En sorte que, lorsque dans ce texte sera évoqué le

« fi chier scolarité 2008 », il s’agira de la concaténation des deux fi chiers, le

fi chier scolarité Élèves et le fi chier scolarité Établissement de l’année 33 ;

33. Pour des raisons pratiques, c’est parfois le fi chier 2007 qui sera mobilisé, et le plus souvent le fi chier 2008 : ce dernier n’a été disponible que récemment, et il n’a pas été possible de

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– d’autre part, on dispose du « panel des élèves entrés en 6e en 1995 »,

soit 17 830 élèves, suivis tout au long de leur scolarité secondaire. Leur

parcours scolaire, leur inscription dans tel ou tel secteur, leur éventuel

changement d’établissement, et bien entendu le régime – externe, demi-

pensionnaire, interne – sous lequel ils sont scolarisés chaque année, bref,

tout ce qui advient aux élèves de ce panel est consigné dans ce fi chier et

peut donc faire l’objet d’une analyse et d’un croisement avec leurs caracté-

ristiques d’âge, d’origine sociale, d’entourage familial, etc.

Ces deux ensembles, le « fi chier scolarité » et le « panel » représentent

une mine de renseignements et donc un impressionnant matériau à travailler.

Il est utile cependant de noter que ce sont deux fi chiers de nature différente. Le

« fi chier scolarité » est un fi chier administratif, alimenté par les données remon-

tées de l’ensemble des établissements publics et privés sous contrat. À ce titre,

son contenu est tributaire des conditions de remplissage des rubriques au sein

de chaque établissement. D. Merllié 34 a bien montré comment les conditions

de la construction statistique pouvaient avoir des effets sur les données trans-

mises ; dans un travail qui relève fi nalement de la sociologie administrative,

il met en évidence les biais qui s’introduisent dans un fi chier de ce type (par

exemple l’interprétation par l’agent chargé de remplir cette rubrique de ce qu’est

la « profession du père »). Une illustration des imprécisions qui peuvent s’intro-

duire dans ce fi chier a pu nous être donnée quand, comparant les données du

fi chier ORELIE (indiquant les capacités d’accueil des internats) et les internes

par établissement, on a pu constater que certains établissements ne fi guraient

pas dans le fi chier scolarité alors qu’ils auraient dû y fi gurer, ou encore que

certains étaient déclarés sans aucun interne alors que l’autre fi chier mentionne

leurs capacités d’accueil.

Le « panel 1995 », lui, est un fi chier d’étude, qui a toutes les chances d’être

suivi de beaucoup plus près par le service qui le commande, la DEPP, et par

ses spécialistes des relevés de données. Il n’est pas épargné par les aléas qui

marquent le processus de construction statistique, mais la qualité des données

en est vraisemblablement moins affectée.

refaire sur le nouveau fi chier les traitements opérés sur celui de l’année précédente. Ceci dit, le dommage est faible : pour autant qu’on ait pu le vérifi er, les grandes tendances que fait émerger la lecture des tableaux ne se modifi ent guère d’une année sur l’autre, en sorte qu’une observation fondée sur le fi chier scolarité 2007 n’est pas démentie par une autre s’appuyant sur le fi chier de l’année suivante.

34. MERLLIÉ D., SOULIÉ C. et PROTEAU L., De la profession du responsable à l’origine sociale des élèves. Étude méthodologique, rapport pour le ministère de l’Éducation nationale (DEP), Maison des sciences de l’homme, Centre de sociologie de l’éducation et de la culture, Paris, mai 1997, polycopié, 100 pages.

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Dernière distinction, le fi chier scolarité est un fi chier de stock (combien

d’élèves telle année scolaire précise ?), le « panel » est un fi chier de fl ux, puisqu’il

suit les mêmes élèves sur dix ans de leur scolarité.

L’exploitation de ces fi chiers, à l’aide d’un logiciel (SAS) permettant

de traiter des fi chiers de cette importance, fournit ici un certain nombre de

tableaux conduisant à un constat ou venant à l’appui d’un raisonnement. Elle

est complétée par l’analyse des données du panel 1989 à laquelle s’est livrée

Sophie O’Prey 35.

Un certain nombre de tableaux ont donc été construits, à partir de l’exploita-

tion des bases de données évoquées plus haut. Un cartouche de lecture fournit,

chaque fois que cela paraît nécessaire, l’indication sur la manière de lire les

chiffres présentés. Le sens que l’on peut retirer des chiffres du tableau est indiqué

à côté, en sorte que le lecteur moins familier ou peu friand des tableaux de

chiffres peut se dispenser de s’y plonger trop longtemps. Le lecteur soucieux de

données plus approfondies trouvera en annexe un certain nombre de tableaux

plus détaillés.

Dernière source de données quantitatives : la région Rhône-Alpes a produit,

au cours des années récentes, des documents dont nous avons été destinataire

à titre de personne extérieure associée aux réfl exions du groupe de travail sur

l’internat. Entre autres, une enquête a été réalisée auprès d’environ 500 lycéens

internes (dans le secteur public) sur leurs conditions matérielles d’hébergement.

Des données qualitatives

Un travail d’enquête a été conduit auprès d’une trentaine de lycéens internes

dans des lycées publics de la région, ainsi qu’auprès d’une dizaine de parents

d’internes de ces lycées 36. Ce travail a fourni le matériau d’un riche rapport dont

l’écriture a donné l’occasion de nombreux échanges, et auquel il sera plusieurs

fois fait référence ici 37.

Plusieurs étudiants ont, dans le cadre de leur mémoire de licence ou de

master de sociologie, mené l’enquête dans un collège, un lycée, du secteur

public ou privé, ou une maison familiale rurale, auprès du personnel ainsi

35. O’PREY S., « L’internat au cours des études secondaires », Éducation et formation, n° 65, janvier-juin 2003.

36. Ce travail a été accompli par Odile Joly-Rissoan, aujourd’hui maître de conférences au département de sociologie, quand elle était chargée de mission internat de novembre 2006 à août 2007 à la région Rhône-Alpes.

37. JOLY-RISSOAN O., Les petits mondes des internats des lycées en région Rhône-Alpes, rapport de recherche réalisé pour le compte de la région Rhône-Alpes, université de Savoie, labora-toire LLS, mars 2008.

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qu’auprès des élèves ou de parents 38. Ont ainsi été recueillis 256 entretiens avec

des élèves internes, 113 entretiens avec des parents d’internes, ainsi qu’une

quinzaine d’entretiens avec des élèves qui pourraient être internes et ne le sont

pas, et autant avec des parents de non-internes. Les données rassemblées et

les réfl exions nées de ces travaux de recherche seront bien entendu, ici ou là,

mobilisées dans ce texte.

Dans l’un et l’autre cas, il s’agit essentiellement d’entretiens semi-directifs, sans

constitution préalable d’échantillons « représentatifs » d’élèves ou de parents

à rencontrer, mais avec le souci de diversifi er le niveau (collège, lycée général,

lycée professionnel), les fi lières d’études, les appartenances sociales des parents

ou les lieux de résidence, le secteur de scolarisation. Par ailleurs, quelques entre-

tiens ont été réalisés auprès de CPE ou de surveillants. Et certains étudiants

se sont livrés à un minutieux travail d’observation de la vie quotidienne dans

un internat.

Un mot doit être dit des avantages et des coûts associés à la mobilisation

d’étudiants et d’étudiantes. Au chapitre des avantages, ils ont un âge proche

de celui des élèves, et, même si pour un collégien de 6e un jeune de 20 ans est

assurément un « grand », ils n’ont en tout cas pas l’âge d’être leurs parents et

surtout sont dans une instabilité statutaire qui les situe du côté des jeunes, bien

plus que ne le seraient des professionnels, universitaires ou chercheurs dans la

quarantaine… ou davantage. Ce qui a permis, semble-t-il, une expression assez

libre des élèves qui ne paraissaient pas craindre d’être l’objet d’un jugement

ou de se trouver implicitement confrontés à quelqu’un porteur d’une norme.

Et des observations in situ n’auraient sans doute pas été possibles de la même

manière si elles avaient été tentées par un chercheur ayant l’âge de leur père…

ou de leur grand-père. Au chapitre des inconvénients, ou plutôt des limites,

on doit assumer le fait que les élèves qui ont bien voulu accepter – car nul n’y

était contraint – de rencontrer les enquêteurs et les enquêtrices sont sans doute

des élèves portés à accepter une demande qui leur est adressée par le relais de

l’institution ; il est donc vraisemblable que l’on enregistre une sous-représenta-

tion, parmi les élèves enquêtés, de ceux qui sont les plus en dissidence vis-à-vis

de l’institution. Même si l’on voit mal comment on aurait pu contourner un tel

risque, il est là, et il faudra donc en tenir compte dans les analyses. Par ailleurs,

comme certains étudiants ont joué de leur position de surveillants, d’assistants

d’éducation, pour accéder aux élèves, un biais a pu se produire car, même s’ils

ont veillé à ne pas interroger les élèves dont ils avaient la charge, il n’est pas

38. Dans le cadre de sa thèse, Anne-Claudine Oller a réalisé un certain nombre d’entretiens tant avec des élèves, internes ou non, qu’avec des parents ou du personnel de l’établis-sement. OLLER A.-C., Coaching scolaire, école, individu. L’émergence d’un accompagnement non disciplinaire en marge de l’école, thèse de doctorat de sociologie, sous la direction de GLASMAN D., université de Grenoble, novembre 2011.

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certain que les élèves aient toujours pu faire le départ entre l’étudiant venant

les interroger dans le cadre d’un travail universitaire et le surveillant chargé

d’assumer une fonction professionnelle ; d’où une retenue possible des propos

sur tel ou tel sujet.

Tant avec les élèves qu’avec les parents, les entretiens ont été conduits

en veillant de très près à éviter, autant que faire se peut, toute induction de

réponse. Par exemple, nous avons décidé ne pas poser directement la question de

savoir si, pour l’adolescent, être à l’internat avait (eu) pour effet d’améliorer les

relations avec sa famille ; car cela nous paraissait tendre à l’interviewé une perche

qu’il avait de grandes chances de saisir quelle que fût l’intensité avec laquelle il

ressentait une telle amélioration. Nous avons donc préféré venir de manière plus

vague à un certain nombre de thèmes, en comptant sur le fait que, s’il l’estimait

nécessaire, ou plutôt porteur de sens pour lui, l’enquêté préciserait les choses.

C’est ainsi qu’on a posé la question : « Est-ce que ça a changé quelque chose dans

tes relations avec tes parents, d’être à l’internat ? » plutôt que : « Est-ce que les

relations avec tes parents se sont améliorées ? » Certains ont répondu que cela

n’avait rien changé, d’autres que les rapports s’étaient pacifi és, d’autres qu’il y

avait moins de disputes au retour le week-end… Pour la même raison, d’autres

thèmes n’ont été évoqués que quand, dans le fi l du propos, l’enquêté les abordait

d’abord de lui-même : c’est le cas, par exemple, de la prise de distance avec les

parents. Le coût de ce choix de méthode, c’est le fait que certains thèmes n’ont

pas été abordés par la totalité des parents et des jeunes interrogés.

En tout état de cause, il s’agit des déclarations des enquêtés, qu’il n’a pas été

possible de croiser avec les données « objectives ». Cela est assez évident pour

tout ce qui concerne leur existence familiale, ou, bien entendu, pour la façon

dont ils vivent l’internat ; c’est vrai aussi concernant leur mise au travail ou leurs

résultats, qu’on ne pouvait vérifi er auprès de l’administration sans risquer de

briser l’anonymat ou de trahir la confi dentialité promise aux enquêtés.

Le travail reposant amplement sur des entretiens, se pose le problème

classique de savoir ce que dit un entretien, de ce que, dans cette situation parti-

culière, en fonction aussi de son interlocuteur et de la manière dont ils ont été

mis en relation, un enquêté est disposé à dire, ou en position de ne pas dire ; si

des précautions ont été prises pour éviter les biais les plus fl agrants, ils n’ont

sans doute pas toujours été évités 39.

Dans les pages qui suivent, les entretiens seront convoqués de la manière

suivante. On citera un certain nombre d’extraits d’entretien, qui ont permis

de formaliser une idée ou de valider une hypothèse initiale. Le choix a été fait

39. Que ce soit dans l’entretien avec les professionnels, les élèves, ou les parents. Pour ce qui concerne les diffi cultés plus spécifi ques concernant les familles populaires, voir MAUGER G., « Enquêter en milieu populaire », Génèses, n° 6.

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d’extraits paraissant illustrer le propos, mais tous ne seront évidemment pas

reproduits ici. Parfois, on se contentera de mentionner le prénom d’une personne

interrogée dont le propos va dans le même sens, de manière à éviter de multiplier

de manière fastidieuse les citations tout en montrant que les personnes dont

les propos sont reproduits ne sont pas les seules à manifester telle position ou

à émettre tel point de vue. Aussi souvent que cela est possible sans rendre la

lecture fastidieuse, nous avons procédé à des décomptes d’occurrences dans les

entretiens, afi n d’éviter le recours à ce que J.-C. Passeron appelle joliment des

« quantifi cateurs vagues » : « la plupart », « quelques », « certains », etc.

Tous les noms et prénoms des personnes et, quand nécessaire, des établis-

sements et des lieux, ont été modifi és, afi n de respecter l’anonymat auquel les

enquêteurs se sont engagés. Cela a été fait toutefois en choisissant un nom fi ctif

permettant de situer individus et établissements (prénoms féminins/masculins,

prénoms ou noms indexés à une origine culturelle, noms d’établissements privés

avec référence à un « saint », etc.).

Mais des indications sont données chaque fois pour permettre de situer les

personnes qui s’expriment et donc leur propos. On trouvera donc très généra-

lement à la suite d’une citation une parenthèse (Prénom ou Nom, âge, classe,

établissement et secteur, profession du père, profession de la mère, éventuelle-

ment indication de la situation familiale et de la profession d’un beau-parent).

Les extraits d’entretiens seront présentés sous une typographie différente,

afi n de permettre au lecteur de les distinguer aisément du texte. Quand un

entretien nécessite une précision, celle-ci est donnée entre parenthèses avec

l’indication NdE, c’est-à-dire « note de l’enquêteur ». Des points de suspen-

sion en cours de citation indiquent que l’extrait est tiré de moments différents

de l’entretien, parfois simplement parce qu’on n’a pas reproduit la question

posée par l’enquêteur, qui n’était pas indispensable pour la compréhension du

propos. Des parenthèses, par exemple en début de citation, indiquent le sens en

substance mais pas la formulation littérale utilisée par l’enquêté.

Un biais régional ?

En quelques mots, car on y reviendra plus loin, il faut préciser ceci : la plus

grande partie des enquêtes de terrain concerne l’Isère, la Savoie, la Haute-Savoie,

et plus largement la région Rhône-Alpes. Il n’est pas à exclure que les caracté-

ristiques de ces territoires (vastes zones de montagne, place de l’agriculture,

développement industriel, PIB par habitant, proximité de la Suisse, etc.) concou-

rent à rendre un peu spécifi ques les situations rencontrées, et, pour le moins,

à les distinguer nettement de celles que l’on pourrait rencontrer en enquêtant

essentiellement dans le département du Rhône, celui du Nord, ou encore dans

la région parisienne. Quelques investigations ont été poussées également dans

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des établissements privés de la région Midi-Pyrénées, où se donnent à voir des

stratégies de reproduction de familles d’agriculteurs par la fréquentation du

collège et du lycée, ainsi qu’à Clermont car cette académie fait partie de celles

où l’on trouve la plus forte densité d’internats y compris au niveau du collège.

L’internat, dans les régions à dominante rurale, fait partie, pourrait-on dire, du

« paysage », parents et grands-parents y ont eux-mêmes vécu quand ils ont suivi

des études secondaires, et il continue à aller de soi, bien davantage que dans des

régions très urbanisées, que faire des études c’est fréquenter l’internat.

ORGANISATION DE L’OUVRAGE

L’analyse des usages sociaux de l’internat se fera en avançant de plus en plus

vers le cœur de la vie à l’internat. On commencera par s’interroger sur l’offre

d’internat, et par mettre en évidence ses variations par région et par secteur. Sur

cette toile de fond, on s’efforcera de cerner ce qui conduit un élève à devenir

interne, et de repérer, au-delà des arguments volontiers avancés – l’éloignement

géographique – que d’autres éléments entrent vraisemblablement en jeu. On

ressaisira les réfl exions des deux précédents chapitres en resserrant la focale

sur les familles populaires quand il est question, pour elles, d’inscrire un enfant

à l’internat.

L’effort consistera ensuite à tenter de comprendre ce qui se joue pour les

élèves, pour leurs parents, ou entre eux, dans le séjour à l’internat, ce qu’ils en

attendent et ce qu’ils en retirent. On constatera que certains usages semblent

traverser les différents milieux sociaux, tandis que d’autres sont plus spécifi ques,

ou plutôt ont davantage de chances d’être rencontrés chez certaines familles, par

exemple les familles populaires, que dans d’autres familles. L’internat représente

un moment dans le parcours scolaire d’un élève. L’entrée à l’internat advient à

un certain moment d’un parcours, mais celui-ci se poursuit au sein de l’internat,

et le travail qui, dans ce cadre, est accompli par l’interne, peut être le signe de

l’établissement par le jeune d’un autre rapport à ses études, assorti de résultats

parfois plus favorables. On s’appesantira ensuite sur l’internat comme « cadre »,

en explorant les signifi cations que, plus ou moins explicitement, parents et

adolescents mettent sous ce terme. Et en se demandant aussi quelles disposi-

tions permettent à des adolescents de vivre dans un tel cadre, pour certains d’y

survivre, ou d’en tirer parti, tandis que d’autres ne s’y adaptent jamais. Ce cadre

est régi par des règles, et il s’y déroule aussi une « vie clandestine » ; on exami-

nera la manière dont les internes se soumettent aux règles ou les contournent.

L’ouvrage se terminera en envisageant l’internat comme espace de construction

de soi pour l’adolescent vivant au milieu de ses pairs, s’efforçant peu ou prou de

préserver les « territoires du moi », et conduisant, de fait, à passer d’un univers,

celui de sa famille, à un autre, celui de l’internat.

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