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LâANALYSE DU LANGAGE RELIGIEUX
Jacques Pierre
LE TITRE de ce chapitre ne prend son sens quâen regard du privilĂšge tout spĂ©cial que la philosophie de notre siĂšcle a accordĂ© au langage. Sans cela, il se ramĂšnerait Ă lâexamen des expressions verbales ou Ă©crites de lâexpĂ©rience reliÂgieuse â ce quâil nâest pas â et on ne comprendrait pas trop ce que cette problĂ©Â
matique a de spĂ©cifique par rapport Ă celle des autres chapitres. Il convient donc de bien situer celle-ci avant â et en vue de â prĂ©senter la contribution de la recherche quĂ©bĂ©coise Ă ce champ dâĂ©tude.
La problĂ©matique de lâanalyse du langage religieux
Le langage en est venu Ă occuper cette place centrale en sciences humaines, aprĂšs que les tentatives philosophiques des siĂšcles passĂ©s de fonder lâentreprise de la raison sur Dieu, sur le rĂ©el, sur le cogito ou sur lâesprit se soient toutes soldĂ©es par une impasse. Dieu, le rĂ©el, le cogito sont apparus comme nâĂ©tant pas ce donnĂ© indubitaÂble et premier sur lâassise duquel la raison pourrait se fonder en toute certitude pour construire lâintelligibilitĂ© du monde. Au contraire, la critique a montrĂ© quâil sâagisÂsait dâun donnĂ© construit et dĂ©rivĂ©, dĂ©pendant de dĂ©terminations plus originelles et fondamentales â qui lâinconscient, la volontĂ© de puissance ou les forces de producÂtion Ă©conomiques. Le travail mĂȘme de la pensĂ©e a cessĂ© dâaller de soi dans la mesure oĂč il a cessĂ© dâĂȘtre transparence du sujet Ă lui-mĂȘme. De toutes parts, des mĂ©diaÂtions sont donc survenues qui ont aliĂ©nĂ© la pensĂ©e et lâont dĂ©possĂ©dĂ©e dâelle-mĂȘme. En sorte quâil a fallu trouver une alternative aux fondements successivement mis en examen. Pour diverses raisons et de diverses façons, le langage est apparu comme cette alternative thĂ©orique. Outre le fait quâil soit susceptible dâune analyse immaÂnente â ce qui marquait une rupture qualitative importante par rapport aux procĂ©Âdures introspectives et spĂ©culatives de la mĂ©taphysique classique â, le langage apparaissait de plus en plus comme ce quâil y a de plus caractĂ©ristique et de plus spĂ©cifique Ă la condition humaine ; il devenait du coup le rĂ©servoir de dĂ©terminaÂtions homogĂšnes Ă partir desquelles reconstruire lâensemble de lâexpĂ©rience
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humaine. Ce qui signifiait que le langage cessait dâĂȘtre une mĂ©diation instrumentale donnant accĂšs Ă la pensĂ©e pour devenir la forme mĂȘme de lâexpĂ©rience.
Ă cela sâajoute le fait que les sciences du langage ont, pour des raisons Ă©pistĂ©Âmologiques, connu un prodigieux essor au dĂ©but du XXe siĂšcle. Lâimmanence de celui- ci, qui mettait la raison Ă la portĂ©e dâun travail dâanalyse non plus introspectif mais souÂmis Ă une procĂ©dure de contrĂŽle empirique, a coĂŻncidĂ© en effet avec le dĂ©veloppement fulgurant des sciences du langage au dĂ©but du siĂšcle. En proclamant lâautonomie heuÂristique du langage, en donnant Ă la linguistique un jeu de dĂ©terminations suigeneris et synchroniques, Ferdinand de Saussure1 a assaini les fondations de la discipline, dĂ©limitĂ© son objet, dĂ©gagĂ© ce dernier des enchevĂȘtrements de causalitĂ©s exogĂšnes et cadrĂ© avec clartĂ© le champ dâinvestigation empirique. Ce qui eut un immense et salutaire retentisÂsement sur la recherche qui disposa dĂ©sormais dâune assise conceptuelle lui permettant de cerner les problĂšmes avec plus dâacuitĂ© et de les rĂ©soudre.
1. Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1996, 520 p.2. Friedrich Schleiermacher, Herméneutique, GenÚve, Labor et Fides, 1987, 224 p. ; Discours sur la
religion, Paris, Aubier-Montaigne, 1944, 325 p.
Câest donc de diffĂ©rents points de lâhorizon intellectuel que sâest construite la problĂ©matique du langage ; mais, en ce qui concerne lâĂ©tude du phĂ©nomĂšne reliÂgieux, cette problĂ©matique eut partout le mĂȘme effet : elle transporta la rĂ©flexion fondationnelle dâune spĂ©culation sur lâessence de la religion Ă une dĂ©construction de son langage. Mythes, rituels, tabous Ă©taient des objets et des opĂ©rations langagiĂšres dont il fallait cerner les propriĂ©tĂ©s. Cela Ă©tant, cette problĂ©matique commune nâen resta pas moins marquĂ©e par la diversitĂ© des prĂ©misses et des provenances thĂ©oriques et, la communautĂ© dâappartenance admise, se ramifia en autant dâĂ©coles de pensĂ©e diffĂ©rentes quâil importe maintenant de scruter pour elles-mĂȘmes.
Le courant hermĂ©neutiqueDans cette problĂ©matique langagiĂšre, lâhermĂ©neutique occupe une place privilĂ©giĂ©e. HĂ©ritĂ©e de lâAntiquitĂ© classique et relayĂ©e par la chrĂ©tientĂ© Ă travers le Moyen-Age, lâhermĂ©neutique a commencĂ© par ĂȘtre une discipline auxiliaire consacrĂ©e Ă la lecture et Ă lâinterprĂ©tation des textes que le christianisme appliqua Ă©videmment au dĂ©chiffrement du texte biblique mais quâil employa aussi Ă lâinterprĂ©tation de son propre hĂ©ritage juridique dont on sait quâil est aujourdâhui encore dâorigine romaine. Il fallut attendre la Renaissance pour que, sortant peu Ă peu du giron ecclĂ©siastique, lâhermĂ©neutique sâintĂ©resse Ă nouveau Ă la littĂ©rature profane de lâAntiquitĂ© et redĂ©Âcouvre lĂ les instruments historicisants quâavait dĂ©veloppĂ©s la philologie classique.
De lĂ , Ă travers lâĆuvre de Friedrich Schleiermacher1 2 au XIXe siĂšcle, lâhermĂ©neuÂtique sâĂ©mancipa de cette fonction instrumentale et prĂ©alable Ă la lecture pour prendre le premier rĂŽle, en se donnant dĂ©sormais pour lâacte de lecture lui-mĂȘme. LâhermĂ©Â
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neutique valait pour tous les textes dĂšs lors que lâhistoire ou la distance en avait obsÂcurci la signification et rendait nĂ©cessaire la mise Ă jour de lâintention originelle de leur auteur. LâhermĂ©neutique proposait de remonter jusquâĂ lâorient du texte vers la totalitĂ© de sens â qui lâĂ©poque, lâauteur, le genre littĂ©raire, la vie â dont elle procĂ©Âdait, pour y sĂ©journer. Le sens nâĂ©tant Ă vrai dire que lâenveloppe dâune subjectivitĂ©, lâacte de comprĂ©hension suppose ici que lâon puisse se plonger dans cette subjectiÂvitĂ© instauratrice.
Moins dâun siĂšcle plus tard, Wilhem Dilthey3, qui voulait pour les sciences humaiÂnes une lĂ©gitimitĂ© Ă©pistĂ©mologique comparable Ă celle dont jouissaient les sciences de la nature Ă son Ă©poque, donna un nouveau tour Ă la gĂ©nĂ©ralitĂ© du projet hermĂ©neuÂtique en en faisant Xorganon mĂ©thodologique de toutes les sciences humaines. CaracÂtĂ©risĂ©e par ce que Dilthey et Droysen avant lui appelaient la «comprĂ©hension», lâhermĂ©neutique, en posant la question du sens comme spĂ©cifique aux sciences humaines, offrait une alternative Ă la dĂ©marche « explicative » des sciences de la nature.
3. Wilhem Dilthey, Le monde de lâesprit, 2 vol., Paris, Aubier-Montaigne, 1947, 421 et 322 p.4. Martin Heidegger, LâĂȘtre et le temps, Paris, Gallimard, 1964, 324 p.5. Paul RicĆur, Le conflit des interprĂ©tations, Paris, Seuil, 1969, 505 p.
Et finalement, prenant le relais, Martin Heidegger4, Ă travers son hermĂ©neutique de la facticitĂ© (analytique du Daseiri), acheva dâĂ©tendre la portĂ©e de lâhermĂ©neuÂtique. LâinterprĂ©tation nâest plus une mĂ©thode localisĂ©e au service du sens mais la caractĂ©ristique la plus essentielle de lâhumain, câest-Ă -dire dâun ĂȘtre qui existe en tant quâinterprĂ©tant. Lâhomme Ă©tant une crĂ©ature de sens toujours-dĂ©jĂ immergĂ©e dans le langage, lâhermĂ©neutique devient le mode dâĂȘtre du Dasein et se confond dĂ©sormais avec lâontologie. En sorte que lâopposition entre le sujet et lâobjet â si caractĂ©ristique des sciences positives â nâĂ©tant plus originelle et apparaissant du mĂȘme coup comme un dĂ©veloppement tardif et une spĂ©cialisation dans lâhistoire de la pensĂ©e, les sciences de la nature ne peuvent plus revendiquer lâhĂ©gĂ©monie ni mĂȘme lâexemplaritĂ© intellectuelle et rĂ©trogradent au statut dâontologie rĂ©gionale.
La conscience ne peut prĂ©tendre Ă une souverainetĂ© par rapport au monde. Elle y est depuis toujours immergĂ©e ; et câest depuis ce lieu qui la constitue quâelle comÂprend le monde. Aussi, la dĂ©marche hermĂ©neutique a-t-elle une forme circulaire. Câest Ă partir de lui-mĂȘme que le sujet comprend le monde ; et rĂ©ciproquement, le sujet ne se comprend lui-mĂȘme quâĂ travers le monde. La comprĂ©hension part de quelque part, est interminable et, Ă chaque retour de la boucle, ne laisse jamais le sujet intact. Câest ce que Heidegger, reprenant lâexpression Ă ses prĂ©dĂ©cesseurs, appellera lui-mĂȘme le « cercle hermĂ©neutique ».
Plus prĂšs de nous, Paul RicĆur5 a donnĂ© une tournure plus Ă©pistĂ©mologique Ă la rĂ©flexion hermĂ©neutique en entreprenant de montrer que les diffĂ©rentes thĂ©ories et
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disciplines en sciences humaines contribuaient toutes dâune façon ou dâune autre Ă la question du sens et Ă lâintelligence narrative du monde. Explication et comprĂ©Âhension ne sont plus deux domaines sĂ©parĂ©s de la pensĂ©e mais deux moments obliÂgĂ©s du processus interprĂ©tatif, lâalternance entre la distanciation critique et lâappropriation existentielle du sens.
Dans cette perspective, lâanalyse du langage religieux que Paul RicĆur ne sâest pas fait faute de pratiquer lui-mĂȘme sur sa propre tradition, sâintĂ©ressera Ă la signifiÂcation en tant quâelle renvoie Ă un sujet intentionnel, Ă un sujet de la parole qui cherche Ă sâapproprier son existence Ă travers les signes Ă sa disposition. Lâapproche hermĂ©neutique aura donnĂ© naissance Ă une postĂ©ritĂ© aussi nombreuse que diversiÂfiĂ©e. Elle va dâhistoriens des religions comme Mircea Eliade6 ou Joseph Campbell7 Ă la thĂ©ologie narrative, en passant par le courant de la dĂ©mythologisation autour de Rudolf Bultmann8.
6. Mircea Eliade, TraitĂ© dâhistoire des religions, Paris, Payot, 1968, 393 p.7. Joseph Campbell, Myths, Dreams and Religion, Dallas, Spring Publ., 1988, 255 p.8. Rudolf Bultmann, Foi et comprĂ©hension, Paris, Seuil, 1969, 412 p.9. Claude LĂ©vi-Strauss, Structures Ă©lĂ©mentaires de la parentĂ©, Paris, Mouton, 1967, 591 p.
Le courant structuralisteSe fondant sur la distinction langue/rĂ©el, langue/parole et synchronie/diachronie, Ferdinand de Saussure a posĂ© pour la premiĂšre fois que la langue renvoie non pas au rĂ©el mais Ă la langue elle-mĂȘme. La signification est donc fondĂ©e sur un rĂ©seau conventionnel de traits diffĂ©rentiels renvoyant les uns aux autres Ă lâintĂ©rieur de la langue, câest-Ă -dire sur ce que F. de Saussure appellera une « structure ». Par ailleurs, la langue constitue un systĂšme antĂ©rieur Ă son effectuation dans un acte individuel de parole, lequel ne rĂ©alise que certaines virtualitĂ©s du systĂšme aux dĂ©pens de toutes les autres â comme il en est de la partie dâĂ©chec qui se distingue du jeu en tant que tel et qui nâen Ă©puise pas toutes les combinaisons. La linguistique structurale sâintĂ©Âresse aussi au systĂšme et non Ă lâĂ©vĂ©nement. Enfin, ce systĂšme est intelligible comme totalitĂ© actuelle et non par rapport aux Ă©tats qui lâont prĂ©cĂ©dĂ©.
Ce changement de paradigme eut une influence considĂ©rable dâabord en linguisÂtique puis dans lâensemble des sciences humaines oĂč le courant structural crut reconnaĂźtre dans la culture un analogon du langage. Ce qui caractĂ©rise le plus essenÂtiellement la culture, pour le structuralisme, câest le statut symbolique des objets quâelle fait circuler et la signification quâils reçoivent de par leur position Ă lâintĂ©Ârieur du systĂšme.
On se souviendra du retentissement que provoqua Claude Lévi-Strauss9 avec sa démonstration que les systÚmes de parenté sont une telle structure symbolique. De là , le structuralisme gagna rapidement toutes les autres disciplines, en psychanalyse
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avec Jacques Lacan10 11, en histoire avec Michel Foucault11, en psychologie gĂ©nĂ©tique avec Jean Piaget12, en critique littĂ©raire avec Roland Barthes13, en sĂ©miotique avec Louis Hjelmslev14 et Algirdas J. Greimas15 et dans le marxisme avec Louis Althusser16. Par ailleurs, la sĂ©miotique greimassienne donna aussi naissance Ă un courant dâexĂ©ÂgĂšse structurale au premier plan duquel on distingue lâĆuvre de Jean Delorme17, spĂ©cialiste de lâĂ©vangile de Marc, et les travaux des chercheurs du CADIR (Centre dâAnalyse du Discours Religieux)18.
10. Jacques Lacan, Ecrits, Paris, Seuil, 1966, 923 p.11. Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Seuil, 1966, 400 p.12. Jean Piaget, Le langage et la pensĂ©e chez lâenfant, Paris, DenoĂ«l-Gonthier, 1984, 292 p.13. Roland Barthes, Le degrĂ© zĂ©ro de lâĂ©criture, Paris, Seuil, 1972, 187 p.14. Louis Hjelmslev, ProlĂ©gomĂšnes Ă une thĂ©orie du langage, Paris, Minuit, 1971, 231 p.15. Algirdas Julian Greimas, SĂ©mantique structurale, Paris, Presses Universitaires de France, 1986,
262 p.16. Louis Althusser, Ăcrits philosophiques et politiques, Paris, Librairie gĂ©nĂ©rale française, 1999, 605 p.17. Jean Delorme, Parole, figure, parabole, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1987, 394 p.18. Jean Delorme, Jean Calloud, François Martin, Louis Panier, François Genyuit, Jean-Claude
Giroud. Le CADIR sâest Ă©galement donnĂ© un organe de diffusion, la revue SĂ©miotique et Bible.19. Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus suivi de Investigations philosophiques, Paris,
Gallimard, 1986, 364 p.20. Rudolf Carnap, Alfred Jules Ayer, Moritz Schlick.
La philosophie analytiqueLudwig Wittgenstein19 consacrera la deuxiĂšme partie de son Ćuvre Ă ce quâil est convenu aujourdâhui dâappeler la « philosophie analytique». Pour Wittgenstein, les diffĂ©rentes sphĂšres de la culture sont autant de jeux de langage assortis soumis dans chaque cas Ă des rĂšgles particuliĂšres, valant pour une aire circonscrite de langage et correspondant aussi Ă une « forme de vie » singuliĂšre. Science, art, Ă©thique, religion sont autant de ces jeux de langage pour lesquels la tĂąche de la philosophie est alors dâĂ©lucider les rĂšgles. Pour Wittgenstein, aprĂšs la fin de la mĂ©taphysique, câest mĂȘme la seule utilitĂ© qui reste Ă la philosophie que dâĂ©lucider ces rĂšgles et ces formes de vie Ă dessein de dĂ©construire les effets de sens spĂ©cifiques Ă ces diffĂ©rents jeux, de cirÂconscrire leur domaine de validitĂ© et de dĂ©senchevĂȘtrer les faux problĂšmes consĂ©cuÂtifs Ă une mauvaise intelligence de ces rĂšgles.
En ce qui concerne lâĂ©tude de la religion, la philosophie analytique a Ă©videmÂment voulu Ă©claircir le statut Ă©pistĂ©mologique des Ă©noncĂ©s de foi et du rĂ©gime de vĂ©ritĂ© auquel il prĂ©tend : vĂ©ritĂ© dont on sait par ailleurs quâelle avait Ă©tĂ© sĂ©rieusement mise Ă mal par le positivisme en gĂ©nĂ©ral et celui de lâĂ©cole de Vienne20 en particuÂlier, et la nĂ©cessitĂ© quâon y fait Ă tous les Ă©noncĂ©s dâavoir un rĂ©fĂ©rent empirique pour pouvoir prĂ©tendre Ă un sens. On sâest donc penchĂ© sur le fonctionnement des Ă©nonÂcĂ©s de foi, sur le rapport entre la croyance et le savoir, entre la vĂ©ritĂ© et la pratique.
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Pour autant donc que lâĂ©tude du langage religieux soit seule concernĂ©e, la philosoÂphie analytique a, du cĂŽtĂ© anglo-saxon, donnĂ© lieu par exemple aux travaux de Ian Thomas Ramsey21, de Richard Bevan Braithwaite22, de Richard Mervyn Hare23. Du cĂŽtĂ© francophone, la philosophie analytique aura le sort moins heureux et connaĂźtra une diffusion beaucoup plus modeste surtout en ce qui concerne lâanalyse du langage religieux. LâĆuvre de Jean LadriĂšre24 et, dans une moindre mesure, celle de Jacques Bouveresse25 feront toutefois exception Ă cette rĂšgle.
21. Ian Thomas Ramsey, Religious Language. An Empirical Placing of Theological Phrases, London, SCM Press, 1973, 191 p. ; Words About God: the Philosophy of Religion, New York, Harper & Row, 1971, 244 p. ; Religion and Science: Conflict and Synthesis, some Philosophical RĂ©fections, London, Society for Promoting Christian Knowledge, 1964, 98 p.
22. Richard Bevan Braithwaite, «An Empiricistâs View of the Nature of Religious Belief », dans S.M. Cahn (dir.), Philosophy of Religion, New York, Harper & Row, 1970, p. 140-163.
23. Richard Mervyn Hare, Sorting out Ethics, Oxford, Clarendon Press, 1997, 191 p.; Applications of Moral Philosophy, Berkeley, University of California Press, 1972, 115 p. ; Essays on the Moral ConÂcepts, Berkeley, University of California Press, 1972, 109 p. ; Practical Inferences, Berkeley, UniÂversity of California Press, 1972, 120 p.; The Language of Morals, Oxford, Clarendon Press, 1952, 202 p.
24. Jean LadriĂšre, Discours scientifique et parole de la foi. Lâarticulation du sens, Paris, Cerf, 1984, 256 p. ; La science, le monde et la foi, Tournai, Casterman, 1972, 225 p.
25. Jacques Bouveresse, Wittgenstein : la rime et la raison â science, Ă©thique et esthĂ©tique, Paris, Minuit, 1973,239 p.
*
VoilĂ qui campe la portĂ©e de ce quâil faut entendre ici par «analyse du langage religieux». On ne sâĂ©tonnera donc pas que nây figurent pas les Ă©tudes exĂ©gĂ©tiques traÂditionnelles fondĂ©es sur la philologie, la doxographie Ă©rudite et les prĂ©misses histo- rico-critiques. Ces Ă©tudes, mĂȘme si elles portent sur le langage religieux, considĂšrent ce dernier comme une « expression » ; seconde donc â et en quelque sorte dĂ©rivĂ©e â par rapport Ă la vĂ©ritĂ© de lâexpĂ©rience, celle de lâintention de lâauteur ou de lâĂ©poque. Et le travail de comprĂ©hension du texte sâĂ©puise ainsi dans la recherche de son acte de naissance, lequel est investi dâune autoritĂ© positive, dâune Ă©vidence indubitable de la signification qui tient lieu de tout commentaire.
Compte tenu aussi de la portĂ©e que ces trois Ă©coles donnent Ă leur projet dâintelÂligibilitĂ© du langage religieux, on comprendra quâil dĂ©borde largement les formes verbales ou Ă©crites du religieux. Une architecture religieuse est une totalitĂ© signiÂfiante et appartient au langage au mĂȘme titre quâun Veda ou quâune Ă©pĂźtre de Paul. La physiologie mystique, Ă son tour, peut ĂȘtre homologuĂ©e Ă la structure du cosmos dans lâhindouisme, et la nomenclature vĂ©gĂ©tale peut ĂȘtre isomorphe Ă la structure clanique dâune tribu dâAmazonie. Ce sont tous des systĂšmes symboliques dont le fonctionnement calque celui des langues naturelles.
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LâANALYSE DU LANGAGE RELIGIEUX
Par ailleurs, le langage ici nâest pas un auxiliaire expressif et second par rapport Ă la chose ; en sorte quâanalyser le langage religieux câest entreprendre dâexpliquer la chose mĂȘme. Il nây a pas dâune part une expĂ©rience et dâautre part son expression dans des Ă©crits, des rituels ou des institutions religieuses. Le langage Ă©tant structuÂrant en regard de lâexpĂ©rience, il est la forme de celle-ci. MĂȘme la mystique, qui invoque si volontiers lâexpĂ©rience de lâindicible et lâimpossibilitĂ© de la traduire dans des mots, est une expĂ©rience langagiĂšre en ceci que lâinfini auquel prĂ©tendent les mystiques est corrĂ©latif dâune expĂ©rience langagiĂšre de la finitude. Lâindicible nâest pas un au-delĂ du langage mais lâexpĂ©rience de son Ă©vĂ©nement et, par lĂ , dâune limite qui, dâun cĂŽtĂ©, donne certes sur le patrimoine du sens, sur la socialitĂ© de toutes les paroles dites et dĂ©jĂ Ă©changĂ©es mais, de lâautre, donne sur lâinaccompli, sur lâouvert. Or, câest dans/par lâexpĂ©rience du langage seul que sâouvre cet espace virÂtuel et indĂ©fini de lâimpensĂ©. Câest dans la mesure oĂč le langage, par son Ă©vĂ©nement, ne peut coĂŻncider avec lui-mĂȘme, et par consĂ©quent ne peut totaliser lâexpĂ©rience, que se creuse en lui lâespace de lâAutre26. LâexpĂ©rience mystique nâintervient donc que pour autant que les mystiques sont des ĂȘtres de langage. Dit autrement : nâont une « Ăąme » que les ĂȘtres de langage.
26. Michel de Certeau, La fable mystique, Paris, Gallimard, 1982, 414 p. ; Steven Katz, « Language, Epistemology and Mysticism », dans S. Katz (dir.), Mysticism and Philosophical Analysis, Oxford, Oxford University Press, 1978, p. 22-74 ; «The Conservative Character of Mystical Expérience », dans S. Katz (dir.), Mysticism and Religious Traditions, Oxford, Oxford University Press, 1983, 279 p. ; S. Katz, Mysticism and Language, Oxford, Oxford University Press, 1992.
Lâanalyse du langage religieux au QuĂ©bec
Nous diviserons lâensemble des travaux sur lâanalyse du langage religieux en deux pĂ©riodes, de 1970 Ă 1985 et de 1985 Ă lâan 2000. Cette pĂ©riodisation a Ă©videmment quelque chose dâarbitraire comme toutes les frontiĂšres, dâautant plus que le travail de nombreux chercheurs a rĂ©solument enjambĂ© cette limite pour sâĂ©chelonner sur toute la pĂ©riode visĂ©e de trente ans. Mais elle nâest pas non plus complĂštement graÂtuite dans la mesure oĂč lâannĂ©e charniĂšre 1985 clĂŽt une pĂ©riode de baisse dans le recrutement universitaire et en ouvre une autre â de reprise â dans lâembauche de chercheurs, marquant ainsi un clivage gĂ©nĂ©rationnel.
SchĂ©matique, aussi, le portrait que nous ferons des chercheurs dans la mesure oĂč nous ne retiendrons de leur oeuvre que ce qui correspond Ă notre problĂ©matique â en passant sous silence tout le reste ; dans la mesure aussi oĂč nous les cataloguerons en compagnie dâautres chercheurs avec lesquels ils sâĂ©tonneront peut-ĂȘtre quâon leur trouve quelque chose de commun.
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Les annĂ©es 1970 Ă 1985Les chercheurs francophones de cette pĂ©riode, issus pour la plupart de la filiĂšre catholique, doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s, en ce qui concerne les sciences des religions et lâanalyse du langage religieux, comme une gĂ©nĂ©ration fondatrice. Pour les uns, lâespace nouveau et libre crĂ©Ă© par le concile Vatican II a permis de sâĂ©manciper de la thĂ©ologie scolastique et de sâouvrir aux mĂ©thodes exĂ©gĂ©tiques du monde protestant et de la nouvelle critique littĂ©raire. Pour les autres, la requĂȘte dâĆcumĂ©nisme et dâouverture aux autres religions va signifier plus radicalement une sortie du monde de la thĂ©ologie, lâadhĂ©sion aux mĂ©thodes et aux problĂ©matiques des sciences des reliÂgions (ReligionswissenschafĂź) et la revendication dâun lieu institutionnel ad hoc pour une telle approche. On assistera ainsi, dans les facultĂ©s de thĂ©ologies catholiques, Ă une dĂ©rive libĂ©rale, comparable Ă maints Ă©gards, bien quâavec un siĂšcle de retard, Ă celle intervenue plus tĂŽt dans les facultĂ©s protestantes en AmĂ©rique du Nord et en Europe (Angleterre et Allemagne, principalement) ; avec pour consĂ©quence une ouverture aux sciences humaines en gĂ©nĂ©ral et un intĂ©rĂȘt fluctuant et circonstanciel pour les sciences des religions. On verra donc Ă certains endroits, bien que minoriÂtaires, toujours Ă la merci dâun recentrage des prioritĂ©s thĂ©ologiques de lâinstitution, quelques noyaux de chercheurs autour de la problĂ©matique visĂ©e.
En 1969, on assistera Ă©galement Ă la naissance de lâU. du QuĂ©bec Ă MontrĂ©al et Ă la crĂ©ation dâun dĂ©partement des sciences religieuses libre de toute attache confesÂsionnelle, vouĂ© Ă lâĂ©tude des diffĂ©rentes traditions religieuses ainsi que des nouvelles formes de religiositĂ© dans le monde moderne, et dont les chercheurs, pour la pluÂpart, se rĂ©clameront, Ă un titre ou un autre, de la filiĂšre hermĂ©neutique.
a) Le dĂ©partement des sciences religieuses de lâUniversitĂ© du QuĂ©bec Ă MontrĂ©al Câest sans doute la filiĂšre hermĂ©neutique qui, au Canada français en gĂ©nĂ©ral, et Ă lâUQĂM en particulier, a Ă©tĂ© la plus prolifique. FormĂ© Ă lâĂ©cole de la sociologie dâEmile Durkheim27 et de Max Weber28, Ă lâĂ©cole phĂ©nomĂ©nologique en histoire des religions29, Ă la thĂ©ologie de Paul Tillich30 ou Ă la psychologie humaniste31, ce groupe de chercheurs32 sâintĂ©ressa dâentrĂ©e de jeu Ă la question du sens. Câest dans
27. Ămile Durkheim, Les formes Ă©lĂ©mentaires de la vie religieuse, coll. « Livre de poche », Paris, 1991, 758 p; Sociologie et philosophie, Paris, Presses Universitaires de France, 1974, 121 p. ; Religion, morale, anomie, Paris, Minuit, 1975, 507 p.
28. Max Weber, LâĂ©thique protestante et lâesprit du capitalisme, Paris, Flammarion, 1967, 394 p.; Sociologie des religions, Paris, Gallimard, 1996, 545 p.
29. Mircea Eliade, Joachim Wach, Gerardus van der Leeuw, Raffaele Pettazoni.30. Paul Tillich, Philosophie de la religion, GenĂšve, Labor et Fides, 1971, 129 p. ; Le christianisme et les
religions, précédé de Réflexions autobiographiques, Paris, Aubier-Montaigne, 1968, 172 p.31. Cari Rogers, Abraham Maslow.32. Raymond Bourgault, Yvon Desrosiers, François Rousseau, Anita Caron, Louis Rousseau, Roland
Chagnon, Denis Savard.
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LâANALYSE DU LANGAGE RELIGIEUX
une perspective hermĂ©neutique et non plus seulement historiographique ou Ă©rudite que les diffĂ©rentes confessions religieuses y furent abordĂ©es et Ă©tudiĂ©es. Les tradiÂtions Ă©taient autant de totalitĂ©s de sens cohĂ©rentes en elles-mĂȘmes, ancrĂ©es chez lâĂȘtre humain dans un souci pour lâ« ultime» et lâ« inconditionné» et qui prĂ©senÂtaient une morphologie dâune Ă©tonnante rĂ©gularitĂ© dont la rĂ©manence dans des manifestations culturelles, politiques ou artistiques rĂ©solument sĂ©culiĂšres permetÂtaient de conclure, en ce qui concerne le monde moderne, Ă un « dĂ©placement du sacrĂ©33 ». A lâĂ©poque, la thĂšse rencontra, Ă lâexception de thĂ©oriciens comme Peter Berger, Thomas Luckman34, Robert Bellah35 ou Mircea Eliade, un scepticisme assez gĂ©nĂ©ralisĂ©, tout particuliĂšrement chez les sociologues europĂ©ens de la religion. Or, force est dâadmettre que la thĂšse est aujourdâhui largement admise chez les cherÂcheurs en sciences des religions36 et que cette Ă©quipe eut le simple tort de le soutenir avec trente ans dâavance.
33. Voir, dans ce collectif, lâarticle de G. MĂ©nard consacrĂ© Ă lâĂ©tude de cette derniĂšre perspective.34. Peter L. Berger et Thomas Luckmann, La construction sociale de la rĂ©alitĂ©, Paris, MĂ©ridiens-
Klincksieck, 1996, 288 p.35. Robert N. Bellah, The Broken Covenant: American Civil Religion in Time of Trial, New York,
Seabury Press, 1975, 172 p.36. Ă ce propos, voir lâouvrage de Danielle Hervieux-LĂ©ger, La religion pour mĂ©moire, Paris, Cerf,
1993,273 p.37. Notamment Manon Lewis, Lâenfer de lâenvers, mĂ©moire de maĂźtrise (sciences des religions), U. du
Québec à Montréal, 1987, 165 p.
CorrĂ©lativement Ă cette thĂšse du dĂ©placement, cette Ă©quipe plaida aussi pour la crĂ©ation dâune discipline sui generis quâelle appela la « religiologie», transversale Ă toutes les manifestations « traditionnelles » aussi bien que « sĂ©culiĂšres », et consacrĂ©e Ă lâĂ©tude de ces structures intentionnelles du religieux, quâelle appliqua Ă lâanalyse des manifestations contemporaines du langage religieux.
âą Yvon DesrosiersOn pense ici aux travaux de Yvon Desrosiers sur la littĂ©rature quĂ©bĂ©coise (voir bibliographie) qui, avec des moyens hermĂ©neutiques, parfois sĂ©miotiques, ont monÂtrĂ© que certaines oeuvres majeures et exemplaires de la littĂ©rature quĂ©bĂ©coise sont traversĂ©es par des structures initiatiques, que le thĂ©Ăątre de Michel Tremblay, par exemple, est travaillĂ© de bout en bout par une sotĂ©riologie collective, par des figures avortĂ©es de messie qui augurent du drame identitaire Ă lâĆuvre dans le peuple quĂ©ÂbĂ©cois. Il faut toutefois prĂ©ciser que lâessentiel de lâinfluence quâYvon Desrosiers exerça sur les sciences religieuses au QuĂ©bec et tout particuliĂšrement sur le projet religiologique de ce dĂ©partement passa par lâenseignement quâil dispensa Ă plusieurs gĂ©nĂ©rations dâĂ©tudiants et par lâenthousiasme et les vocations de chercheurs quâil suscita chez plusieurs dâentre eux37. Lui qui eut toujours une conscience aiguĂ« de la
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limite des moyens avec lesquels il avait abordĂ© tardivement le nouveau continent, nâeut de cesse dâindiquer la voie en encourageant les plus jeunes Ă aller chercher les instruments thĂ©oriques nĂ©cessaires Ă lâĂ©tablissement rigoureux des bases Ă©pistĂ©Âmologiques de notre discipline.
âą Louis RousseauOn pense Ă©galement aux travaux de Louis Rousseau sur lâhistoire religieuse du QuĂ©Âbec. LâenquĂȘte de Louis Rousseau, appuyĂ©e tantĂŽt sur des instruments phĂ©nomĂ©noÂlogiques et sĂ©miologiques tantĂŽt sur des instruments quantitatifs comme lâanalyse des correspondances, sâest attachĂ©e successivement Ă analyser lâorganisation symboÂlique de lâespace dans une paroisse quĂ©bĂ©coise (1983), celle du temps liturgique (1989), Ă dĂ©crire les constellations thĂ©matiques dans les reprĂ©sentations de Dieu (1971), dans la prĂ©dication Ă MontrĂ©al (1977) ou dans la rĂ©flexion des thĂ©ologiens (1976). En parallĂšle Ă ce travail, Rousseau sâest aussi intĂ©ressĂ© Ă la « fabrication » pasÂsĂ©e de lâhistoire religieuse et Ă la construction du mythe dâorigine des QuĂ©bĂ©cois (1973) dans notre propre historiographie. Et enfin, plus rĂ©cemment, de 1990 Ă 2000, il sâest consacrĂ© avec dâautres chercheurs (Remiggi et Rousseau, 1998) Ă la prĂ©Âparation dâun atlas religieux du XIXe siĂšcle montrĂ©alais en vue dâĂ©claircir quelque peu lâĂ©nigme dâun brutal renouveau religieux dans la sociĂ©tĂ© canadienne-française de cette Ă©poque et de dĂ©gager un sol empirique pour les travaux dâanalyse et dâinterÂprĂ©tation en histoire et en sociologie religieuse.
b) La facultĂ© de thĂ©ologie de lâUniversitĂ© de MontrĂ©alĂ la mĂȘme Ă©poque, Ă la facultĂ© de thĂ©ologie de lâU. de MontrĂ©al, un groupe de profesÂseurs lança une initiative pĂ©dagogique qui, en dĂ©pit de sa relative briĂšvetĂ©, marquera durablement toute une gĂ©nĂ©ration de jeunes thĂ©ologiens. NIET (Nouvelle introducÂtion aux Ă©tudes thĂ©ologiques), comme on lâappela, Ă©tait une dĂ©marche thĂ©ologique essentiellement fondĂ©e sur la pratique dialectique et rĂ©flexive de lâinterprĂ©tation â interprĂ©tation des Ă©critures, de la tradition et de la culture ambiante, rĂ©troagissant les unes sur les autres, en vue dâen arriver Ă une lecture chrĂ©tienne de lâexpĂ©rience et Ă un agir correspondant dans le monde. Bien quâassez isolĂ©e dans lâinstitution, la rĂ©flexion qui se pratiquait lĂ , en ce qui concerne au moins lâhermĂ©neutique de la culture ambiante, Ă©tait Ă maints Ă©gards comparable Ă celle qui se faisait Ă lâUQĂM, en empruntant semblablement ses fondements Ă la thĂšse dâun dĂ©placement du sacrĂ© dans le monde contemporain. Malheureusement, le manque de discernement des autoritĂ©s ecclĂ©siastiques contribua Ă mettre fin prĂ©maturĂ©ment Ă lâexpĂ©rience avant quâelle nâeĂ»t donnĂ© sa pleine mesure intellectuelle et portĂ© tous ses fruits.
âą Pierre LucierPierre Lucier, membre de cette Ă©quipe fondatrice de NIET, sâintĂ©ressa dâemblĂ©e aux problĂšmes fondationnels et Ă la spĂ©cificitĂ© du langage religieux dans la perspective
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LâANALYSF. DU LANGAGE RELIGIEUX
de la philosophie analytique. Sa thĂšse de doctorat dâĂtat (Lucier, 1976), soutenue Ă lâU. des sciences humaines de Strasbourg, portait sur lâempirisme logique. Elle visait, dâune part, Ă intĂ©grer dans la rĂ©flexion thĂ©ologique les apports critiques de lâempirisme logique et, dâautre part, Ă situer la pertinence du langage religieux en Ă©largissant le domaine de recevabilitĂ© des propositions assignĂ©es par lâempirisme, Ă savoir la consistance logique et la vĂ©rifiabilitĂ© empirique. Câest ainsi que Pierre Lucier fit valoir la nĂ©cessitĂ© dâune thĂ©orie gĂ©nĂ©rale de lâinterprĂ©tation (Lucier, 1972a, 1972b) dont lâempirisme logique et sa conception du fait ne seraient quâun cas de figure particulier et local. De la mĂȘme façon, la conception de la vĂ©rification et de la rĂ©fĂ©rence dâune proposition dans lâempirisme demanderait Ă ĂȘtre Ă©largie pour incorporer une dimension praxĂ©ologique (Lucier, 1973, 1974) â laquelle permettrait de situer la vĂ©ritĂ© dâune proposition dans lâavenir dâun agir quâelle comÂmande et oriente. Enfin, la conception beaucoup trop restrictive de la raison dans lâempirisme logique demanderait, Ă son tour, Ă ĂȘtre repensĂ©e pour y inclure dâautres formes de raisonnement (affectif, intuitif) dont il nous appartiendrait toutefois de dĂ©terminer les rĂšgles.
âą Michel-M. Campbell38
38. Il convient aussi de souligner la thĂšse doctorale de Georges Tissot (1978), rĂ©digĂ©e sous la direction de M. Campbell. Cette thĂšse dâinspiration structurale dĂ©construit le systĂšme interprĂ©tatif du jĂ©suite Joseph-François Lafitau concernant les AmĂ©rindiens et montre lâisomorphie rigoureuse quâil Ă©tablit entre la religion amĂ©rindienne et la religion grĂ©co-romaine, tout particuliĂšrement la place centrale quâil attribue au calumet de paix dâune part et au caducĂ©e dâautre part dans les disÂpositifs religieux respectifs.
Michel Campbell, Ă©galement membre de cette Ă©quipe pĂ©dagogique, et prĂ©occupĂ© quant Ă lui par lâopĂ©rationalisation des thĂšses fondationnelles Ă©voquĂ©es plus haut, contribua Ă©troitement Ă la conception dâune dĂ©marche mĂ©thodique de la praxĂ©olo- gie en contexte pastoral et Ă la mise en Ćuvre dâune telle thĂ©orie de lâinterprĂ©tation. Ce dernier sâattacha en effet Ă une hermĂ©neutique du temps prĂ©sent en procĂ©dant Ă lâanalyse du langage religieux sous-jacent Ă des Ćuvres cinĂ©matographiques ou musicales de la culture ambiante (Campbell, 1972, 1977) pour montrer chaque fois la perdurance, sous lâhabillage sĂ©culier, dâune quĂȘte de salut. Comme Yvon Desrosiers dont nous Ă©voquions le travail un peu plus haut, Michel Campbell a eu sur lâorienÂtation intellectuelle de sa facultĂ© une influence qui dĂ©passe largement le cadre de sa production Ă©crite. On peut dĂ©plorer toutefois quâĂ une Ă©poque oĂč la rĂ©flexion sur le rapport Ă la pratique et Ă lâintervention dans les sciences humaines nâen Ă©tait quâĂ ses premiers balbutiements, celui-ci nâait pas publiĂ© avec vingt ans dâavance les rĂ©sultats de sa rĂ©flexion et nâait pas pris dans la mĂ©moire Ă©crite la place qui lui revient de droit.
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âą Maurice Boutin
Dans la mĂȘme institution, Maurice Boutin (qui est par la suite devenu professeur Ă la facutltĂ© des sciences religieuses de lâU. McGill) a travaillĂ© dans la filiation de penÂseurs comme Heidegger et Gadamer Ă la question hermĂ©neutique. Ses nombreux travaux (voir bibliographie), dialoguant avec Rudolf Bultmann, Paul RicĆur, Enrico Castelli et dâautres, ont dâabord voulu prendre en compte les critiques de Heidegger Ă lâĂ©gard de ce que ce dernier appelait lâonto-thĂ©ologie et y rĂ©pondre en pensant autrement â et plus originellement â la dĂ©marche thĂ©ologique en rapport avec la condition fondamentalement langagiĂšre de lâĂȘtre humain. Plus spĂ©cifiqueÂment, Boutin a rĂ©flĂ©chi Ă la question de lâaltĂ©ritĂ© de Dieu, non plus dans les termes habituels de la mĂ©taphysique, câest-Ă -dire dâun au-delĂ de la parole qui rĂ©voque Ă lâavance toute prĂ©gnance des signes dans lâexpĂ©rience de lâindicible, mais dans ceux dâune pragmatique du langage (selon la distinction classique de Charles Morris entre syntaxe, sĂ©mantique et pragmatique) attachĂ©e plutĂŽt Ă la question de lâĂ©nonÂciation et de lâĂ©vĂ©nementialitĂ© de la signification.
âą Olivette Genest39
39. Olivette Genest a aussi dirigĂ© un certain nombre de mĂ©moires de maĂźtrise et de thĂšses doctorales dans le domaine de lâexĂ©gĂšse structurale. Voir Mailhot, 1993 ; Poitvin, 1991 ; Lamarre, 1990; Doutre, 1982; Ladouceur, 1982.
Dans le domaine de lâexĂ©gĂšse structurale, il faut citer aussi les travaux dâOlivette Genest (voir bibliographie). Venue Ă la sĂ©miotique structurale (Algirdas Julian Greimas) Ă travers la frĂ©quentation des travaux de Roland Barthes pendant sa thĂšse doctorale, Genest a Ă©tĂ© associĂ©e aux travaux du CADIR (Centre dâanalyse du disÂcours religieux â voir plus haut) et fut lâune des membres fondateurs au QuĂ©bec du groupe ASTER (Atelier de sĂ©miotique sur texte religieux â voir ci-aprĂšs). SâĂ©tant rendu compte des insuffisances du paradigme historico-critique dans lâĂ©tude du texte biblique, Genest a introduit dans sa recherche les modĂšles thĂ©oriques de la critique littĂ©raire pour ĂȘtre en mesure de poser vĂ©ritablement la question du sens. En effet, ou bien le paradigme historico-critique diffĂšre indĂ©finiment la question du sens du texte en le renvoyant Ă un contexte historique proprement inĂ©puisable ; ou bien il le considĂšre naĂŻvement comme allant de soi et, de lĂ , le refile en sous-main Ă une lecture thĂ©ologique naĂŻve. Incapable de rĂ©tablir la continuitĂ© entre lâinterprĂ©taÂtion et son fondement textuel, et parce quâelle dispose du texte Ă sa guise, la thĂ©oloÂgie peut alors continuer de fonctionner sur des a priori thĂ©ologiques non critiquĂ©s tout en pensant par ailleurs sâappuyer sur les fondements exĂ©gĂ©tiques les plus solides. Or, câest le rĂ©tablissement de la question du sens qui permet dâassurer le trait dâunion entre la rĂ©flexion thĂ©ologique et son fondement scripturaire tout en sauveÂgardant altĂ©ritĂ© du texte. Olivette Genest a donc appliquĂ© la mĂ©thode structurale
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LâANALYSE DU LANGAGE RELIGIEUX
sur les textes de la mort de Jésus pour en renouveler la lecture et en déplacer la problématique.
c) La facultĂ© de thĂ©ologie et de sciences religieuses de lâUniversitĂ© Laval
âą Raymond LemieuxDâentrĂ©e de jeu, il faut souligner lâabondance de la production de Raymond Lemieux (voir bibliographie) sur les croyances religieuses au QuĂ©bec, sur lâĂ©thique de la recherche, sur lâĂ©pistĂ©mologie des sciences des religions. Il faut Ă©galement souÂligner le rayonnement de ce dernier dans notre discipline. Outre le fait quâil ait fondĂ© et animĂ© (avec RĂ©ginald Richard et Jean-Paul Rouleau) les Cahiers de recherche en sciences de la religion, quâil ait Ă©tĂ©, avec Arthur Mettayer, parmi ceux qui ont introduit la psychanalyse lacanienne dans la rĂ©flexion de notre discipline, la thĂ©oloÂgie quĂ©bĂ©coise lui doit aussi dâavoir fait entendre jusquâau cĆur de sa dĂ©marche la radicalitĂ© du questionnement en sciences humaines. De cette production abonÂdante, nous ne retiendrons cependant que ce qui concerne plus Ă©troitement notre problĂ©matique.
La rĂ©flexion Ă©pistĂ©mologique et fondationnelle de Raymond Lemieux, largement inspirĂ©e par lâĆuvre de Michel de Certeau et, au-delĂ de cette derniĂšre, par la psyÂchanalyse lacanienne, considĂšre la religion comme un opĂ©rateur sĂ©mantique dont la fonction dans le langage est moins de fournir des contenus de croyance particuliers que de « produire de la valeur, câest-Ă -dire de la coexistence entre les humains40 ». La religion se trouve de la sorte adossĂ©e Ă lâimaginaire oĂč sa position limitrophe la desÂtine Ă la fois Ă assurer la sauvegarde de lâordre symbolique par les rĂ©cits fondateurs de la mythologie et Ă rĂ©itĂ©rer indĂ©finiment lâimpossibilitĂ© de ceux-ci Ă saisir vraiÂment le rĂ©el. La religion est alors Ă la fois lieu dâinstauration, dâexpression et dAssomption du sujet pour ce quâil est, un ĂȘtre dont la fĂźnitude le destine Ă la libertĂ© dans la parole avec lâautre.
40. Raymond Lemieux, « Foi et religion : une relecture sĂ©miologique », dans La religion dans lâhistoire. Le mot, lâidĂ©e, la rĂ©alitĂ©, Waterloo (Ont.), Wilfrid Laurier University Press, 1992, p. 176.
41. Notamment RĂ©mi Savard (1973).42. JĂ©rĂŽme Rousseau, « Quel est lâobjet de lâanthropologie religieuse ? », Recherches amĂ©rindiennes au
Québec, 3, 2, p. 99-101.
d) Lâanthropologie de la religionIl ne faut sans doute pas attribuer au hasard le fait que, Ă quelques exceptions prĂšs41, lâanthropologie de la religion ait Ă©voluĂ© en parallĂšle aux sciences des religions et quâelle nâen ait guĂšre frĂ©quentĂ© les lieux. Le fait quâen anthropologie le terme « religion » soit le plus souvent absent du vocabulaire42 et quâon lui prĂ©fĂšre les terÂmes de « mythe » ou de « rituel » trahit bien les prĂ©supposĂ©s de la discipline et le staÂtut accordĂ© ici au religieux. Il nây a ni unitĂ©, ni autonomie, ni spĂ©cificitĂ© du champ
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religieux par rapport au reste du social. PlacĂ© le plus souvent Ă la place de la variable dĂ©pendante, ce que nous appelons le « champ religieux » nâest quâune facette parmi dâautres du social et ne saurait en tant que tel se mĂ©riter pour lui-mĂȘme une appellaÂtion sui generis. Par ailleurs, sciences des religions et anthropologie sont issues, au Canada, et plus particuliĂšrement au QuĂ©bec, de traditions acadĂ©miques diffĂ©rentes et ont, jusquâĂ un passĂ© rĂ©cent43, consacrĂ© cette diffĂ©rence par des appartenances corporatives distinctes. NĂ©es pour lâessentiel des humanitĂ©s, les sciences des reliÂgions appartenaient en effet Ă la FĂ©dĂ©ration des sciences humaines, et lâanthropologie, dâorientation plus « scientifique », avait choisi quant Ă elle la FĂ©dĂ©ration des sciences sociales. NĂ©anmoins, pour autant quâil sâagisse de la problĂ©matique ici discutĂ©e, sciences des religions et anthropologie ont un certain nombre de choses en comÂmun. Largement influencĂ©es par lâanthropologie culturelle et linguistique amĂ©riÂcaine44 et lâanthropologie structurale europĂ©enne45, les recherches ont donnĂ© en effet une place absolument centrale au langage. Ici encore, le langage nâĂ©tant pas conçu comme un moyen dâexpression de la pensĂ©e et de la culture mais comme la matrice de toutes les significations, lâanthropologie a conçu sa tĂąche dâintelligence de la culture comme la reconstruction dâun systĂšme symbolique. Les limites de cet exposĂ© ne nous permettant pas de nous attarder trĂšs longtemps au compte rendu des recherches en ce domaine, nous tenons nĂ©anmoins Ă citer quelques noms et quelques titres pour au moins maintenir intacte sinon faire valoir lâidĂ©e dâune collaboration beaucoup plus Ă©troite entre nos deux champs disciplinaires46.
43. Suite aux coupures gouvernementales dans le financement de la recherche, la Fédération des sciences humaines du Canada et la Fédération des sciences sociales du Canada ont dû fusionner leur activité à partir de 1995.
44. Edward Sapir, Le langage: introduction à l'étude de la parole, Paris, Payot, 1967, 232 p. ; Benjamin Lee Whorf, Linguistique et anthropologie, Paris, Denoël-Gonthier, 1971, 228 p.
45. Claude LĂ©vi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1985, 450 p. ; Edmund Ronald Leach, The Structuralstudy ofMyth and Totemism, London, Tavistock, 1967, 185 p. ; Mary Douglas, De la souillure, Paris, La DĂ©couverte, 1992, 193 p.
46. Voir notamment les travaux de Marie-Françoise GuĂ©don (U. dâOttawa), Robert CrĂ©peau (U. de MontrĂ©al), Guy Lanoue (U. de MontrĂ©al), John Leavitt (U. de MontrĂ©al), Kevin Trite (U. de MontrĂ©al), Pierre Maranda (U. Laval), dont certains apparaissent en bibliographie.
Les annĂ©es 1985 Ă 2000Dans la mesure oĂč les problĂ©matiques mises en place par la gĂ©nĂ©ration fondatrice ont pris racine dans lâinstitution, on doit sâattendre Ă ce que la relĂšve formĂ©e reprenne les intuitions inaugurales lĂ oĂč lâautre les a laissĂ©es et, en fonction de ses nouvelles spĂ©cialisations et de sa sensibilitĂ© propre, leur donne sa propre inflexion. La thĂšse dâun dĂ©placement et dâune recomposition du religieux Ă©tant maintenant largement admise, la relĂšve peut se consacrer Ă la consolidation Ă©pistĂ©mologique et thĂ©orique de cet acquis de mĂȘme que, lâaccĂ©lĂ©ration de cette recomposition aidant,
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LâANALYSE DU LANGAGE RELIGIEUX
vouer une part grandissante de ses Ă©nergies Ă suivre ces nouvelles formes dĂ©sormais prolifĂ©rantes. Sur le plan institutionnel, on eĂ»t pu sâattendre Ă ce que la place de lâĂ©tude scientifique de la religion et le principe dâun lieu acadĂ©mique ad hoc soient enfin Ă©tablis. Il nâen est rien. La conjoncture Ă©conomique aussi bien que sociocultuÂrelle menace lâensemble du dispositif dĂ©partemental et facultaire, dans les collĂšges aussi bien que dans les universitĂ©s, qui subit Ă partir des annĂ©es quatre-vingt-dix des replis importants. On assiste Ă©galement Ă des rĂ©gressions Ă©pistĂ©mologiques tout aussi importantes dans la mesure oĂč, la conjoncture poussant certaines institutions Ă un clientĂ©lisme tout azimut, on gomme opportunĂ©ment la diffĂ©rence entre sciences des religions et thĂ©ologie en prĂ©tendant faire lâune quand on fait lâautre.
a) Le dĂ©partement des sciences religieuses de lâUniversitĂ© du QuĂ©bec Ă MontrĂ©al Dans la mesure oĂč la thĂšse dâun dĂ©placement du sacrĂ© reposait sur une apprĂ©henÂsion plutĂŽt intuitive de ce quâest le religieux, les travaux engagĂ©s ici ont voulu asseoir du cĂŽtĂ© de lâĂ©pistĂ©mologie ce que la conjoncture socioculturelle avait comÂmencĂ© Ă confirmer de son cĂŽtĂ© par une abondance de faits. Or, lâassise recherchĂ©e se trouve ici dans le langage.
âą Jacques PierreIl nâest pas toujours possible de dĂ©linĂ©er les avenues de la filiation intellectuelle, tant leur intrication est parfois complexe. Pour autant ici que la personne concernĂ©e est aussi auteur du texte, elle peut assumer le risque de la simplification en hasardant quelques Ă©clairs rĂ©trospectifs de luciditĂ© reconnaissante. Sâil faut parler ici dâascenÂdance, il convient de mentionner les noms47 de Michel Campbell, de Pierre Lucier, de Maurice Boutin et dâOlivette Genest Ă qui lâauteur doit Ă la fois sa sensibilitĂ© hermĂ©neutique et sa rencontre prĂ©coce avec la sĂ©miotique et la philosophie analytiÂque. DâentrĂ©e de jeu donc, la recherche doctorale de Jacques Pierre sâest placĂ©e Ă lâintersection de la tradition hermĂ©neutique française et de la thĂ©orie sĂ©miotique de A.J. Greimas, Ă la fois pour donner une assise formelle et textuelle plus rigoureuse Ă lâhermĂ©neutique du langage religieux et pour montrer en retour ce qui, de cette derÂniĂšre, excĂšde le cadre de la sĂ©miotique standard. Câest ainsi que la recherche sur lâĆuvre de Mircea Eliade (Pierre, 1989), butant dans lâĂ©tude de la structure sur la compacitĂ© irrĂ©ductible de lâĂ©vĂ©nement, en est venue Ă penser celle-ci Ă la fois, et paradoxalement, comme limite instauratrice du MĂȘme et bĂ©ance de lâAutre, ce par quoi le langage laisse entendre en lui le flux de la temporalitĂ© et ouvre sur lâaffect.
47. Ătendant le cercle des influences en direction de lâEurope, nous y ajouterions les noms de Algirdas Julian Greimas et Gilbert Durand.
Ă partir de lĂ , la recherche (voir bibliographie) sâest attachĂ©e Ă montrer en quoi le religieux, dans lâensemble du langage et de la culture, avait en propre la fonction de
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gĂ©rer le rapport de la signification avec son propre Ă©vĂ©nement (dafĂź), câest-Ă -dire dâĂ©tablir et dâen maintenir les conditions de possibilitĂ©.
LâĂ©vĂ©nement se trouve en effet placĂ© Ă la jointure du MĂȘme et de lâAutre, Ă la croisĂ©e de la signification et de tout ce qui Ă la fois la fonde, la traverse et lâinquiĂšte. En tant que tel, lâĂ©vĂ©nement marque lâintersection de la forme et de la substance du langage (substance et forme du contenu, substance et forme de lâexpression) et requiert des modes spĂ©cifiques dâexpression (mythe, rituel, symbole) pour asseoir le fondement et faire bord par rapport Ă lâimpensable.
La derniĂšre partie de la recherche sâattache prĂ©sentement Ă dĂ©crire la morpholoÂgie de ces conditions de possibilitĂ© de la signification, Ă montrer en quoi elles font systĂšme et rĂ©capitulent les caractĂ©ristiques les plus essentielles du religieux.
âą Eric VolantEric Volant sâest surtout fait connaĂźtre au QuĂ©bec par ses travaux en Ă©thique appliÂquĂ©e et son implication Ă lâU. du QuĂ©bec Ă MontrĂ©al dans le programme dâĂ©tude sur la mort. Il a toutefois poursuivi pendant quelques annĂ©es, avec une Ă©quipe de chercheurs travaillant sous sa direction, une recherche sur les lettres de suicidĂ©s (Volant, 1990). Cette recherche reposait sur lâintuition inaugurale que la lettre laisÂsĂ©e par le suicidĂ© Ă©tait un dispositif performatif Ă maints Ă©gards comparable Ă un objet religieux et qui induisait autour de lui des comportement similaires. En dâautres mots, la lettre avait quelque chose de sacrĂ© pour les survivants Ă qui elle Ă©tait adressĂ©e. La recherche fondĂ©e en partie sur lâanalyse sĂ©miotique dâun large corÂpus de lettres a permis de cerner un certain nombre de procĂ©dĂ©s langagiers par lesÂquels le statut de la lettre devient proprement paradoxal et, ce faisant, aurĂ©olĂ© dâune autoritĂ© et dâun prestige Ă©nigmatique qui ressort habituellement aux ĂȘtres sacrĂ©s. Dans un certain nombre de cas, par exemple, un processus dâembrayage et de dĂ©brayage aux niveaux des temps verbaux donne au destinateur de la lettre une ubiÂquitĂ© temporelle dans laquelle, anticipant la position Ă©nonciative qui sera la sienne au moment oĂč le destinataire recevra la lettre, le prĂ©sent aliĂ©nĂ© et souffrant de la personne qui va mourir coĂŻncide avec lâavenir post mortem de lâau-delĂ . En sorte que, pour le destinataire de la lettre, celui qui lui envoie le message le lui fait parveÂnir dâoutre-tombe et, de ce fait, est lui-mĂȘme Ă la fois mort et vivant.
b) La facultĂ© de thĂ©ologie de lâUniversitĂ© de MontrĂ©al
âą Guy-Robert Saint-Arnaud
FormĂ© Ă la psychanalyse et intĂ©ressĂ© aux problĂšmes de la thĂ©ologie fondamentale, Guy-Robert Saint-Arnaud a introduit dans la rĂ©flexion christologique et trinitaire (1998) ce que la perspective langagiĂšre de la thĂ©orie lacanienne apporte sur la conÂnaissance du sujet, sur lâindĂ©passable et inaugurale division de celui-ci oĂč lâimposÂsible Ă dire (le RĂ©el), sur lâĂ©vĂ©nement duquel viennent achopper les figures du
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LâANALYSE DU LANGAGE RELIGIEUX
discours (Symbolique), travaille le langage et lâouvre Ă lâimaginaire, reconduisant du mĂȘme coup la possibilitĂ© du dĂ©sir et du sujet. Il va sans dire que cette rĂ©flexion est susceptible dâapporter des Ă©clairages extrĂȘmement intĂ©ressants, notamment sur la question de la conscience divine de JĂ©sus-Christ mais aussi et surtout sur le foncÂtionnement dâun dispositif symbolique comme celui de la TrinitĂ©, sur lâĂ©tablisseÂment des conditions de possibilitĂ© du sujet et de la communautĂ© intersubjective des croyants.
Plus rĂ©cemment, Saint-Arnaud (1996a, 1996b) sâest intĂ©ressĂ© aux figures discurÂsives du croire dans le rituel et dans les nouveaux mouvements religieux. Se dĂ©marquant des approches normatives qui, Ă un titre ou Ă un autre (lĂ©gal, politique, psychologique), fondent leur dĂ©nonciation ou, au mieux, leur suspicion Ă lâĂ©gard de ces mouvements sur une conception idĂ©ologique de la pathologie comme dĂ©viance que rien dans la rĂ©flexion Ă©pistĂ©mologique ne vient Ă©tayer, Saint-Arnaud prĂ©fĂšre essayer de comprendre les discours des croyants et les bifurcations que leur impose lâĂ©vĂ©nement de conversion (entrĂ©e ou sortie des groupes religieux) comme des modifications du rapport Ă la satisfaction du dĂ©sir. Ă charge pour la recherche, par la suite, de montrer dans le processus des transformations figuratives une forme ou lâautre de pathologie.
c) La facultĂ© de thĂ©ologie et de sciences religieuses de lâUniversitĂ© Laval
âą Anne FortinRĂ©flĂ©chissant aux conditions de possibilitĂ© de lâacte thĂ©ologique, les recherches dâAnne Fortin envisagent de renouveler lâabord des problĂšmes en thĂ©ologie fondaÂmentale Ă partir dâune perspective langagiĂšre. Venue Ă cette prĂ©occupation depuis lâhorizon de lâhermĂ©neutique allemande (voir bibliographie), Anne Fortin a comÂmencĂ© par interroger le rapport de la rĂ©flexion thĂ©ologique Ă son fondement exĂ©gĂ©Âtique traditionnel pour se rendre compte que ce rapport sâĂ©laborait sur un double aveuglement : occultation, dâabord, du travail de lecture des thĂ©ologiens comme si le sens qui leur Ă©tait retransmis par lâexĂ©gĂšse historico-critique Ă©tait transparent et allait de soi ; occultation, ensuite, du travail de lecture des exĂ©gĂštes, comme si les faits quâils exhumaient de lâhistoire Ă©taient Ă©vidents et avaient dâemblĂ©e du sens. Double conception rĂ©fĂ©rentielle et instrumentale du sens, oĂč ce dernier Ă©tait destinĂ© Ă sâeffacer au-devant de la pensĂ©e quâil exprime et du fait quâil relate : conception positiviste, donc, et extra-langagiĂšre du rapport sujet/objet qui mĂ©ritait dâĂȘtre quesÂtionnĂ©e justement par une rĂ©flexion sur les conditions dâĂ©mergence du sujet et du sens dans le langage. DĂšs lâabord appuyĂ©e sur la thĂ©orie hermĂ©neutique de J. Habermas, plus philosophique, toutefois, que linguistique et technique, cette rĂ©flexion a ensuite trouvĂ© dans la sĂ©miotique de A.J. Greimas les modalitĂ©s concrĂšÂtes de son entrĂ©e dans le texte lui-mĂȘme. Sous lâimpulsion des travaux de Louis Panier et de François Martin dans le CADIR (voir plus haut) qui ont permis dâintĂ©grer
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lâapport de la psychanalyse lacanienne et les recherches sur la pragmatique de lâĂ©nonciation dans une thĂ©orie de lâacte de lecture, cette sĂ©miotique a permis de montrer en quoi les Ecritures mettent moins en Ćuvre un contenu de sens quâune dĂ©marche salutaire, voire salvifique, de lecture et de parole Ă travers laquelle le sujet advient par lâassomption du manque au commencement de la chaĂźne signifiante â le renoncement Ă ĂȘtre tout, qui fait dire â et par lâexercice dâun dĂ©sir quâil ne posÂsĂšde pas et qui le traverse depuis le mystĂšre dâune origine indĂ©chiffrable. Double mouvement de flux et de reflux oĂč le sujet se constitue par le manque et sâĂ©vanouit par le dĂ©sir.
d) Le groupe ASTERLe groupe ASTER (Atelier de SĂ©miotique sur TExte Religieux) a pris naissance en 1982 autour de lâidĂ©e de rĂ©unir des chercheurs de divers horizons disciplinaires pour faire en commun lâanalyse de textes religieux. RattachĂ© Ă ce que dâaucuns ont appelĂ© lâEcole de Paris, câest-Ă -dire lâĂ©quipe de chercheurs rĂ©unis autour de la personne et du projet thĂ©orique de Greimas, le groupe ASTER a nĂ©anmoins cultivĂ© des affinitĂ©s beaucoup plus Ă©troites avec le CADIR Ă Lyon, avec lequel il partageait une double prĂ©dilection Ă la fois pour la mĂ©thode greimassienne et pour le langage religieux. Ce groupe dâexĂ©gĂštes et de thĂ©ologiens de lâU. de Lyon, extrĂȘmement dynamique dans le domaine de la sĂ©miotique, a durablement influencĂ© en effet les recherches en sĂ©mioÂtique â Ă telle enseigne que Greimas se plaisait parfois Ă dire Ă leur propos quâils lui avaient enseignĂ© le bon usage de sa propre mĂ©thode â et en exĂ©gĂšse oĂč ils ont donnĂ© Ă lâexĂ©gĂšse structurale ses lettres de crĂ©ance. Câest donc en Ă©troit dialogue avec le CADIR que deux gĂ©nĂ©rations de chercheurs et de chercheuses48 se sont relayĂ©es au groupe ASTER pour travailler autour de divers objets comme les figures de femmes dans les Ă©vangiles (ASTER, 1987), lâĂ©pĂźtre aux Colossiens (ASTER, 1991), les rĂ©cits de vocation (ASTER, 1999) et le thĂšme du dĂ©luge dans la littĂ©rature.49
48. AdĂšle ChenĂ© (pĂ©dagogie, 1982-1985), Pierrette Daviau (communications, 1982- -), Marcel Dumais (1982-1988), Frances Fortier (Ă©tudes littĂ©raires, 1994- -) Anne Fortin (thĂ©ologie, 1994- -), Olivette Genest (exĂ©gĂšse, 1982-1995), ClĂ©ment LĂ©garĂ© (Ă©tudes folkloriques, 1982-1994), Sylvain Mailhot (thĂ©ologie, 1994-1999), AndrĂ©e Mercier (Ă©tudes littĂ©raires, 1994- -), Jean-Paul Michaud (exĂ©gĂšse 1982-1996), Louise Milot (Ă©tudes littĂ©raires, 1982-1996), Jacques Pierre (sciences des religions, 1986-1994, 1999- -), Maryse Poirier, (Ă©tudiante en Ă©tudes littĂ©raires, 1999â), Ătienne Pouliot, (Ă©tudiant en thĂ©ologie, 1999- -), Richard Rivard (exĂ©gĂšse, 1982-1996), Jean-Yves ThĂ©riault (exĂ©gĂšse, 1982- -), Walter Vogels (exĂ©gĂšse, 1982-1988).
49. Voir Ă©galement, en bibliographie, les travaux de François Nault (1995, 1998, 2000), rĂ©cemment arrivĂ© Ă la facultĂ© de thĂ©ologie et de sciences religieuses de lâU. Laval. Ceux-ci portent notamment sur la possibilitĂ© du discours sur Dieu aprĂšs la « dĂ©construction » 0. Derrida, etc.)
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