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500 ans derayonnement

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L’Auditoire de Calvin, Genève.

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Jean Calvin en bref

L’importance de Calvin pour le protestantisme 5Focus: Le tournant d’une époque 7

La théologie de Calvin – la grâce et le secret 9Focus: Les quatre vérités de la Réforme 11Focus: La prédestination 13

L’éthique de Calvin 15Focus: Calvin et Genève 17

Calvin et l’Église – mère des croyants 19Focus: La querelle de la communion 21

Calvin – un théocrate? 23Focus: Le cas de Michel Servet 25

Calvin – le père de la modernité? 27Focus: Calvin et le capitalisme 29Focus: Calvin et la démocratie 31

L’héritage de Calvin – calvinistes, huguenots, puritains 33

Tableau chronologique 36

Sommaire

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Cathédrale Saint-Pierre, Genève.

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Le Français Jean Calvin a été l’un des théologiens lesplus influents de l’époque de la Réforme et destemps modernes en général. C’était un réformateurde la deuxième génération: il s’est appuyé sur lesidées de Martin Luther, qu’il a travaillé à diffuser et àmettre en application. Tandis que la Réforme deMartin Luther s’est surtout propagée dans lesrégions de langue allemande, que celle de Zwingli aagi à Zurich, Berne et Bâle, Calvin a porté la Réformeen France, en Hollande, en Angleterre, en Écosse, enPologne, en Hongrie et en Italie. À sa mort, ondénombrait déjà 100 000 réformés à tendance calvi-niste. Et comme le puritanisme anglais a essaiméplus tard dans le Nouveau Monde, Calvin a indi-rectement influencé aussi les États-Unis naissants(u L’héritage de Calvin, p. 33).

Humaniste et réformateurCalvin avait surtout acquis une formation de juris-te, mais il jouissait d’une vaste érudition et d’uneextraordinaire connaissance des textes de laBible. Durant ses études, il était entré en contactavec les idées de Martin Luther et avait adhéré auxvaleurs de l’humanisme. Comme la plupart deshumanistes, il s’était occupé de rhétorique et maî-trisait l’art de l’éloquence. Autant d’aptitudes qu’ila utilisées pour convertir les Genevois aux idéesde la Réforme et pour faire de Genève l’exempleéclatant d’une société véritablement renouvelée(u Focus: Calvin et Genève, p. 17).

La Réforme ramenée à l’essentielSon œuvre principale, la Christianae religionis institu-tio (Doctrine de la religion chrétienne), ou plus sim-plement Institutio, a été le premier ouvrage à donnerune explication approfondie de la foi évangélique.Calvin l’a remaniée à plusieurs reprises et traduiteplus tard en de nombreuses langues. À côté de laversion originale latine, il en a aussi publié une ver-sion française, sa préoccupation première ayanttoujours été de propager la Réforme avant tout dansson pays d’origine, la France. Par la clarté et la sim-plicité de son style, cette traduction a largementcontribué à l’évolution de la langue française.

L’importance de Calvin pour le protestantisme

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Une diffusion ciblée de la doctrineEn raison, notamment, de l’afflux de réfugiésvenus de France et d’ailleurs, Genève est devenueun important centre du protestantisme (u Focus:Calvin et Genève, p. 17). Par la fondation del’Académie genevoise de théologie, Calvin a large-ment contribué à la propagation du protestantis-me réformé. Il était en contact avec d’importantsréformateurs et érudits de toute l’Europe. Sonami, l’entrepreneur Laurent de Normandie, a faitdiffuser ses sermons et ses écrits partout enFrance par le biais d’un réseau de commerçantsitinérants.

Une nouvelle branche du protestantismeEn parvenant à s’entendre sur une vision commu-ne de la communion (u Focus: La querelle de lacommunion, p. 21), Calvin et le réformateur zuri-chois Heinrich Bullinger ont posé les fondementsd’un protestantisme suisse unifié, tout en justifiantla branche réformée du protestantisme.

Martin Luther(1483–1546).

Heinrich Bullinger(1504–1575).

Ulrich Zwingli(1484–1531).

Guillaume Farel en discussion avec Jean Calvin ©LIFE.

Laurent deNormandie (env. 1510–1569).

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FOCUS

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La Réforme a été le point culminant de plus dedeux cents ans d’efforts de refonte de la foi chré-tienne. Impensable sans l’invention de l’imprime-rie, elle a été très marquée par les humanistes quivoyageaient beaucoup et s’entretenaient les unsavec les autres au-delà des frontières culturellesdans la langue universelle qu’était alors le latin.

Deux cents ans d’efforts de réformeAu XIIe siècle déjà, les disciples de Valdo ont affir-mé l’autorité unique de la Bible, rejetant le culte deMarie, des saints et des reliques, le commerce desindulgences et le purgatoire. Au XIVe siècle, lenombre d’adeptes de Wyclif a doublé; eux aussidéfendaient des principes strictement fondés surl’Écriture. Opposés au célibat, ainsi qu’à la viemonacale, ils favorisaient en outre les traductionsde la Bible en langage populaire. Les efforts deréforme s’étendaient même aux ordres spirituels,car les idéaux des fondateurs de l’ordre étaient lar-gement tombés dans l’oubli. La vie communautai-re monacale avait souffert de la peste et du GrandSchisme et les mœurs s’étaient assouplies. Lemouvement de l’Observance s’est formé en réac-tion à ce relâchement. Emanation de l’Ordre fran-ciscain, il désirait renouveler de fond en comble lavie des ordres et amener les moines et les nonnesà s’en tenir à nouveau aux règles originelles.D’autres ordres se sont peu à peu joints au mou-vement. Martin Luther lui-même a longtemps vécudans l’un de ces cloîtres. Mais il n’est jamais venuà l’idée de ces réformateurs de se détacher de l’Église catholique-romaine. Ils voulaient seulementl’améliorer. La Réforme n’a pas réussi à s’imposerdans l’Église catholique-romaine, ce qui a finale-ment conduit à la fondation de nouvelles Églises.

L’humanisme et la RéformeLes humanistes aussi appelaient de leurs vœux unrenouvellement moral. Ils voyaient la réponse auxproblèmes de leur époque dans le retour à la cultu re classique de l’Europe. Pour redécouvrirces racines, ils ont développé des méthodes litté-raires et historiques sophistiquées, visant parexemple à mettre à jour la forme originelle du droitromain et à en démontrer les modifications etdéveloppements. Les réformateurs ont appliqué

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L’importance de Calvin pour le protestantisme

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cette re cherche des racines non falsifiées à laBible. Ils l’ont traduite et ont osé de nouvellesinterprétations.

Un précurseur en relation avec beaucoupde personnalitésLes réformateurs à tendance humaniste seconnaissaient et entretenaient des contacts danstoute l’Europe. Guillaume Farel (1489–1565), parexemple, était membre de l’École de Meaux, enFrance avec le théologien et érudit JacquesLefèvre d’Étaples. C’est lui qui a incité Calvin àrester à Genève (u Focus: Calvin et Genève, p. 17). Quant à Lefèvre d’Étaples, il a publié unetraduction française du Nouveau Testament. Trèsproche de Luther dans la doctrine de la justifica-tion, il avait séjourné plusieurs années à Florenceoù il avait fait la connaissance d’influents humanis-tes italiens. Mais les esprits réformateurs n’étaientpas tous prêts à aller aussi loin. Après quel’Université parisienne conservatrice eut vivementpris position contre Luther et que le groupe se futdivisé, Farel et Lefèvre d’Étaples partirent àStrasbourg d’où Farel finit par gagner Genève.C’est à Neuchâtel qu’il termina sa carrière en tantque réformateur.

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Dieu est excellent. Pour Calvin, la gloire de Dieuapparaît dans la création, dans l’homme, dans lanature. C’est une œuvre que nous devons contem-pler avec étonnement et respect. «De quelquecosté que nous jettions la veue, il n’y a si petite por-tion où pour le moins quelque estincelle de sa gloi-re n’apparoisse», écrit-il dans l’Institutio (I,5,1).

La grâce, la justification et la sanctificationDieu est amour inconditionnel. L’homme reçoit dela communauté avec le Christ un double cadeau:la grâce de la justification et la grâce de la sancti-fication. L’homme est accepté sans réserve danstoute sa condition de pécheur (justifié) et ne peutpas gagner le salut par ses propres œuvres. À tra-vers la foi, l’orientation sans réserve de sa condui-te à la voie décrite par Jésus-Christ dans la Bibleet avec l’aide du Saint-Esprit, l’homme se rappro-che de plus en plus du Christ – il est sanctifié (u L’éthique de Calvin, p. 15).

«En effet, c’est par la grâce que vous êtes sauvés,par le moyen de la foi, et cela ne vient pas de vous,c’est le don de Dieu! Ce n’est point par les œuvres,afin que personne ne se glorifie; car nous sommesson ouvrage, et nous avons été créés en Jésus-Christ pour les bonnes œuvres que Dieu a prépa-rées d’avance afin de nous y entraîner» (Paul dansÉphésiens 2.8–10).

La consolation dans les périodes de douteAvec la Réforme, les gens ont perdu des certi -tudes spirituelles vieilles de plusieurs siècles etsouvent aussi leur pays, car beaucoup ont étécontraints de fuir au cours des confrontationsentre les confessions naissantes. Calvin était à lafois théologien et aumônier: il voulait aider les gensà trouver un nouvel appui dans la foi. Pour Calvin,les gens sont protégés par la main de Dieu – toutcorrespond à la Providence de Dieu, rien n’arriveindépendamment de sa volonté, même le mal (u Focus: La prédestination, p. 13).

La théologie de Calvin – la grâce et le secret

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L’importance centrale du Saint-EspritComme Jésus-Christ siège au ciel à la droite deDieu, il sert de médiateur entre Dieu et les hom-mes sous la forme du Saint-Esprit. Le Saint-Espritjoue pour Calvin un rôle central dans la compré-hension de la parole de Dieu dans la Bible: on peutdisserter sans fin et citer tant qu’on veut desexemples attestant la crédibilité de l’Écriture; en finde compte, il faut y croire. Et seul le Saint-Espritpeut procurer cette foi: «Jamais nous n’aurons ferme foy à la doctrine,jusques à ce qu’il nous soit persuadé sans douteque Dieu en est l’auteur. Parquoy la souverainepreuve de l’écriture se tire communément de la per-sonne de Dieu qui parle en icelle» (Institutio I,7,4).

Calvin et la BibleLa Bible était pour Calvin la «clé qui nous ouvre leroyaume de Dieu», «l’école de Dieu». Contrairementà Luther, Calvin estimait que les deux parties de laBible étaient pareillement inspirées par le Saint-Espritet attribuait de ce fait plus d’importance à l’AncienTestament que les autres réformateurs. Calvin inter-prétait la Bible avec toutes les méthodes modernesde son époque. Il se défendait de la spéculationthéologique alors très répandue et se refusait obsti-nément à chercher une signification spirituelle plusprofonde derrière les textes de la Bible. Il voulaitmaintenir le lien entre la parole et le texte, mais inter-prétait les textes dans le contexte historique de leurorigine (u L’héritage de Calvin, p. 33).

Autographe deJean Calvin

(22 décembre1559). Musée

Calvin de Noyon.

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La Réforme voulait libérer les gens de la tutelle dela hiérarchie ecclésiastique romaine. Ce n’est plusen assistant à la messe, en achetant des indulgen-ces et en accomplissant de bonnes œuvres queles croyants devaient obtenir la justification et laréconciliation avec Dieu, le renouvellement de leurvie. Les grands réformateurs n’étaient certes pastous du même avis sur le plan de la théologie, dela pratique de la piété, de l’éthique chrétienne etde la position politique, mais tous étaient convain-cus que les croyants gagnent leur salut par le qua-druple «seulement».

1. Solus Christus – seulement par le Christ La Rédemption de l’homme pécheur ne s’obtientque par l’œuvre sainte du Christ; d’autres intermé-diaires (prêtres, saints) ne sont pas nécessaires.

2. Sola gratia – seulement par la grâce deDieu C’est uniquement par la grâce que l’homme estaccepté par Dieu sans condition (justifié).

3. Sola fide – seulement par la foi C’est uniquement par le Dieu auquel nous croyons,dans la parfaite sollicitude envers Dieu que nous som-mes acceptés. Les bonnes œuvres et les conces-sions ne sont pas nécessaires, mais découlent de lafoi.

4. Sola scriptura – seulement par la BibleL’Écriture sainte est le seul jalon de la prédication,de la doctrine et de la pratique de l’Église. À côtéde l’Écriture, on ne peut faire valoir ni la traditionecclésiastique, ni le professorat, ni la raison humai-ne. L’Église doit toujours se jauger elle-même d’unœil critique d’après la Bible. Elle est en perpétuelleréforme (ecclesia semper reformanda).

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La théologie de Calvin – la grâce et le secret

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Le Jardin des délices,Jérôme Bosch(1453-1516)(extrait).

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Dieu a déterminé à l’avance quels hommes ob -tiendront le salut en Jésus-Christ et lesquelsseront perdus. Cette doctrine dite «de la doubleprédestination» est l’un des héritages les plusconnus et les plus controversés de Calvin. C’estl’une des raisons pour lesquelles beaucoup depersonnes sont mal disposées vis-à-vis de Calvin.

Une vieille doctrineLa doctrine de la prédestination ne provient pas deCalvin, mais remonte au théologien Augustin(†430) qui se réclame à son tour de la Lettre auxRomains, de Paul. Augustin avait cherché uneréponse à la question de savoir pourquoi il a étédonné à quelques hommes d’ouvrir les yeux sur lafoi chrétienne et pas à d’autres. Luther et Zwinglise sont aussi penchés sur cette question. En 1577,les luthériens ont toutefois rejeté la double prédes-tination dans la formule du Concordat et Zwingli nel’a défendue que sous une forme affaiblie.

Les élus et la réussite économiqueLa doctrine des élus place l’être humain face à unproblème fondamental: comment peut-on être sûrde figurer parmi les élus et non parmi les damnés?En réponse à ce doute, les successeurs de Calvinont commencé à affirmer qu’on peut reconnaîtreles élus à leur réussite économique (u L’héritagede Calvin, p. 33). En même temps, cette théorie aconduit au mépris des pauvres. Apparem ment, lespauvres étaient condamnés par Dieu qui avaitvoulu leur pauvreté.

Un soutien pour les réfugiés de la foiUn tel mépris des pauvres ne correspond certai-nement pas à l’esprit de la Bible et même Calvinavait une interprétation beaucoup plus positive dela doctrine de la prédestination. Pour lui, le statutd’élu ne se manifestait pas par la réussite, maispar la foi. C’est le Christ et non le royaume tempo-rel qui est le reflet de ce privilège. Par la doctrinede la prédestination, Calvin voulait donner unecertitude aux réfugiés de la foi et les consoler despersécutions qu’ils enduraient: «Tenez bon! Il nepeut rien vous arriver qui ne soit pas voulu parDieu, car les voies du Seigneur sont impénétra-

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La théologie de Calvin – la grâce et le secret

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bles. Même la souffrance, la mort et la faiblesse del’être humain face à la torture et à la persécutionont un sens caché.» Mais la doctrine de la prédes-tination peut aussi être vue comme l’expressionde l’étonnement et de la reconnaissance pour lecadeau de la foi: «J’ai été choisi, je n’ai aucunmérite à cela, c’est la volonté de Dieu!»

Musée international de la Réforme, Genève.

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Calvin passe souvent pour un sec apôtre de l’aus-térité, rongé par les soucis, ennemi du plaisir et dela chair. Une réputation à laquelle la véhémentecroisade morale qu’il a menée à Genève contre ladébauche et le péché n’est pas étrangère.

Un ascétisme mesuréMais on lit aussi dans l’Institutio, à propos de l’usage des choses de ce monde, que «l’ivoire, l’oret les richesses sont bonnes créatures de Dieupermises et même destinées à l’usage des hom-mes, et n’est en aucun lieu défendu, ou de rire, oude se saouler [...], ou de se délecter avec instru-ments de musique, ou de boire vin.» Se délecteroui, estimait Calvin, mais avec mesure. Les hom-mes devraient «oster leur mauvaise cupidité, leursuperfluité outrageuse, leur vaine pompe et arro-gance pour user des dons de Dieu avec pureconscience» (Institutio III,19,9).

L’assurance du salut et la libertéUne tension fondamentale a marqué toute laRéforme: la théologie protestante voulait libérerl’homme de la peur et lui donner l’assurance dusalut. Les hommes ne devaient plus avoir à s’as-surer sans cesse leur salut par leurs propres pres-tations et indulgences. Mais si les hommes sontde toute façon sauvés (ou damnés), ils n’ont plusaucune raison de faire des efforts. Si tout est entreles mains de Dieu, l’homme est voué au fatalisme.Ce n’était naturellement pas l’idée de Calvin. Pourlui, une vie morale, axée sur les commandements deDieu, n’avait rien à voir avec la contrainte; elle dé -coulait naturellement de l’amour et de la confiancede l’homme envers ce Dieu miséricordieux. Il n’étaitdonc pas question de résignation, mais de motiva-tion: les bonnes œuvres devraient être des actesvolontaires, inspirés par l’amour et non par la peur.

La loi et la vertuToute l’éthique de Calvin peut être ramenée à lanotion de reconnaissance. Les hommes devraienthonorer Dieu et respecter ses commandements,parce qu’il les a justifiés et leur a offert une nouvellevie. Ils devraient agir de manière parfaitementresponsable, comme si tout dépendait d’eux-

L’éthique de Calvin

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mêmes, tout en sachant que, en fin de compte,tout est entre les mains de Dieu. Ils ne seront pasdélivrés par leurs œuvres, mais il en va commed’un arbre dont la qualité des fruits révèle la nature.

La responsabilité et l’équitéLa promesse de salut de Dieu entraîne donc uneresponsabilité de l’homme. Les hommes ne sontpas seulement responsables d’eux-mêmes, maisaussi de mener une vie politique et sociale équita-ble. Aucun autre réformateur n’est intervenu dansles affaires économiques et politiques avec autantde détermination. Qu’il ait défendu un usage légi-time des dons de la création ou des intérêts sup-portables pour les pauvres aussi. Qu’il ait luttépour l’égalité de tous devant la loi ou pour la res-triction du despotisme du roi, Calvin s’est toujoursréféré à la vie de Jésus-Christ qui, à côté de la loi,lui servait de modèle pour une action équitable.

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Jean Calvin arrive à Genève en 1536. C’est unmoment décisif: une année auparavant, lesGenevois avaient accepté la Réforme et chassél’évêque après des années de combat. Une victoi-re rendue possible par leur alliance avec lesConfédérés. Genève était devenue une Républiqueautonome.

Genève – Strasbourg – GenèveLorsque le prédicateur protestant Guillaume Farela appris que l’auteur de l’Institutio séjournait àGenève, il a tout fait pour l’inciter à rester. Car il fal-lait à la fois y réorganiser le pouvoir temporel et lavie spirituelle. Calvin est resté, mais un conflit n’apas tardé à éclater au sujet des compétences dupouvoir temporel et du pouvoir ecclésiastique.Chassé de Genève, Calvin a passé trois ans àStrasbourg. En 1541, le Conseil genevois l’aimploré de revenir. Les rapports de pouvoir s’é-taient déplacés à l’intérieur du gouvernement de laville et personne d’autre n’était capable de répon-dre à un pamphlet du cardinal Sadoleto qui som-mait Genève de retourner à l’ancienne foi. Jusqu’à sa mort en 1564, Calvin s’est efforcéautant que possible de faire de Genève une com-munauté modèle de personnes pieuses et ver-tueuses devant contribuer par son exemple écla-tant à la propagation de la foi réformée. Par lesermon, une discipline stricte de l’Église et denouvelles lois, il a réformé les institutions ecclé-siastiques de Genève et le comportement descitoyens.

Un lieu de refugeUn groupe de Genevois est entré en rébellion en1555. Ils s’opposaient au régime strict des mœurset aux nombreux étrangers présents dans la ville,les réfugiés de la foi constituant par moments lamoitié de la population. L’insurrection fut répriméeet quatre chefs de file furent exécutés. Mais lesréfugiés n’étaient pas seulement source d’agita-tion. Il y avait parmi eux de riches commerçantsitaliens et d’habiles artisans français qui ont déve-loppé l’industrie textile, l’imprimerie et l’industriehorlogère, assurant par là la prospérité de la villepour les générations suivantes. En moins de trois

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L’éthique de Calvin

Montre ronde àhuit lobes, débutdu XVIIe siècle.Mouvement signé:Martin Duboule,Genève. Lecadran en argentse détache surune fausse-plaqueen laiton doré,finement gravéede rinceaux fleurisparmi lesquelssurgissent deuxenfants, un oiseauet un mascaron,dans le style desmodèles proposéspar les ornema -nistes commeAntoine Jacquard.Le centre estgravé d'une vuede la cathédraleSaint-Pierre deGenève. Source:MIH, La Chaux-de-Fonds.

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décennies, l’insignifiante ville de province qu’étaitGenève a connu une expansion fulgurante et s’esttransformée en une place économique florissanteet en un des centres européens du mouvementreligieux.

Une nation corrompue ou la parfaite écoledu Christ?À la fin de sa vie, Calvin semblait toutefois dés-espérer des Genevois. Sur son lit de mort, il lesqualifie encore de «nation corrompue et malheu-reuse». Il avait pourtant obtenu quelques résultats:le nombre de naissances illégitimes et prénuptia-les se situait au niveau le plus bas jamais recenséen Europe. Les visiteurs pieux étaient charmés parle comportement des Genevois. Le réformateurécossais John Knox va jusqu’à qualifier la nouvel-le Genève «de parfaite école du Christ depuis lesjours des apôtres». La parole du Christ est aussiproclamée à d’autres endroits, mais nulle part lecomportement et la religion n’ont été aussi sérieu-sement renouvelés qu’à Genève.

«Les adieux de Calvin» par Joseph Hornung vers 1831. © Musée historique de la Réformation, Genève.

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Comment le juriste Calvin voyait-il l’Église? D’uncôté, elle n’était pour lui ni plus, ni moins qu’unmoyen utilisé par Dieu pour conduire les hommesvers le Christ par le sermon de l’Évangile et par lessacrements. Mais, d’un autre côté, Calvin pouvaitaussi utiliser des images plus affectueuses, parexemple celle de mère de tous les croyants.

La nature visible de l’ÉgliseCalvin était bien conscient que Dieu est certes lefondement de l’Église, mais que ce sont les hom-mes qui doivent la façonner. La nature invisible del’Église doit apparaître dans la vie ecclésiastique.C’est pourquoi le réformateur a consacré beau-coup d’énergie à l’organisation de l’Église. Aucours de son action, le quatrième chapitre de sonInstitutio «Des moyens extérieurs ou aides, dontDieu se sert pour nous convier à Jésus-Christ, sonFils, et nous retenir en lui» a pris beaucoup d’am-pleur.

Quatre servicesPour Calvin, le Christ était le chef de l’Église qui,par ses représentants, présidait à la configurationde quatre services différents: celui de pasteur,celui de docteur, celui de diacre et celui d’ancien.C’était un point de vue moderne que de ne pasconsidérer d’emblée le pastorat comme pointculminant de la fonction ecclésiastique, les diver-ses tâches requérant une multitude de services.Avec le service des anciens, Calvin a aussi accor-dé un rôle important dans la conduite spirituellede l’Église à des gens sans formation théolo-gique: ceux-ci étaient responsables, avec lespasteurs, de la discipline de l’Église et de l’exhor-tation spirituelle des paroissiens dont les mœursfaisaient publiquement scandale. Il en est résultéplus tard le service d’entretien de l’Église, appeléaussi présidence de l’Église ou conseil paroissial(u Focus: Calvin et la démocratie, p. 31).

Un culte impliquant tous les sensLe centre de la vie ecclésiastique était pour Calvinle culte réunissant ceux qui se réclament du Christ.

Calvin et l’Église – mère des croyants

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C’est là que se renforcent l’Église et ses membres.«Car nous devons d’abord être incorporés dans leChrist, afin de pouvoir être unis.» (CO 49.464 à pro-pos de I Cor. 10.16) Les participants au culte n’é-coutent pas seulement la parole dispensée dans lesermon, ils chantent aussi les psaumes et s’asso-cient à la présence du Christ dans la communion parle pain et le vin. Calvin accordait aussi une placeimportante dans le culte à la musique, ce qui ne cor-respond pas du tout à son image austère. Il laconcevait comme un don de Dieu qui procure auxhommes détente et plaisir, qui anime leurs cœurs etles stimule à louer Dieu. Le psautier genevois, uneadaptation musicale des 150 psaumes, est l’un desprincipaux trésors culturels laissés par Calvin.

Dix océans pour l’unité de l’ÉgliseCalvin avait très à cœur l’unité de l’Église. Il se ditmême prêt à traverser dix océans pour assurer l’u-nité de l’Église. C’est pourquoi il était aussi dispo-sé à tolérer différentes interprétations. En lien avecla querelle de la communion (u Focus: La querellede la communion, p. 21), il écrivit à Bullinger:«Bien que je sois maintenant fermement convain-cu d’une communauté avec le Christ dans lesacrement plus profonde que tu ne l’exprimesdans tes paroles, nous ne voulons pas cesserpour cela d’avoir le même Christ et d’être unis enlui. Peut-être nous sera-t-il une fois donné de nousentendre plus parfaitement» (CO 14.314).

Chœur universitaire de Lausanne © P. Blotti.

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FOCUS

La querelle de la communion a été le plus importantpoint d’achoppement entre réformateurs. MartinLuther et le Zurichois Huldrych Zwingli n’avaient pas lamême conception de la communion. Ils n’ont pasréussi à se mettre d’accord lors du débat sur la religionqui a eu lieu à Magdebourg en 1529. Jean Calvin étaitpréoccupé par ce fossé. Il a espéré en vain que soninterprétation permettrait de réconcilier les deux posi-tions. En 1549, Calvin a certes réussi à s’entendreavec Heinrich Bullinger, le successeur de Zwingli, dansle Consensus Tigurinus, mais il s’en est suivi en 1552la deuxième querelle avec les luthériens au sujet de lacommunion. Un type d’Église protestante autonomeest apparu à côté du luthéranisme, l’Église réformée.

Comment le Christ est-il présent parmi nous?La querelle était très passionnée, parce qu’elle tou-chait une question au centre de la foi: comment peut-on se représenter la divinité et l’humanité du Christ?Avec son interprétation de la communion, MartinLuther est resté plus proche de la doctrine catholique-romaine. Pour lui, le Christ était réellement présentdans le pain et le vin et les croyants s’appropriaientdonc Jésus-Christ par la communion. Pour HuldrychZwingli, Jésus-Christ ne pouvait toutefois pas êtreprésent physiquement dans la communion, parceque sa nature humaine siège à la droite du Père dansles cieux. C’est pourquoi la communion n’était pourZwingli qu’un rappel du sacrifice de Jésus-Christ.

Le consensus zurichoisLe Consensus Tigurinus était un compromis. MêmeCalvin était à l’origine convaincu que Jésus-Christ n’était certes pas présent dans la communion phy-siquement, mais par le Saint-Esprit. Il a dû s’écarterde cette position. Le consensus a toutefois maintenuque la communion n’est pas seulement un repas decommémoration, mais un rite par lequel le Saint-Esprit amène les croyants dans la communautéavec le Christ. On a ainsi pu conserver quelquechose du secret spirituel de la cérémonie.

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Calvin et l’Église – mère des croyants

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Institutio Christianae religionis nunc uere demumsuo titulo respondens.Strasbourg: Vuendelinus Rihelius, Mars 1545.

Mur des réformateurs, Genève.

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Quel rôle Calvin a-t-il endossé dans la Républiquegenevoise? A-t-il été le tyran religieux qu’on décritparfois?

Des domaines d’influence séparésLes Églises évangéliques du temps de la Réformeconnaissaient deux modèles de rapports avec l’État: soit elles s’appuyaient tellement sur lui quele prince (ou les autorités municipales comme àBerne et à Zurich) était pratiquement le chef del’Église, soit elles renonçaient explicitement àtoute implication dans l’État. Calvin défendait uneposition intermédiaire: d’un côté, il faisait trèsattention à l’indépendance de l’Église dans sespropres affaires. De l’autre, il concevait l’Étatcomme une puissance protectrice de l’Église.L’État devait aider l’Église réformée à accomplir samission, en la protégeant et en luttant contre leshérétiques (u Focus: Le cas de Michel Servet, p. 25).

Voilà pour la théorie. Mais comment Calvin s’est-ilcomporté effectivement à Genève? Après la défai-te de l’insurrection de 1555 (u Focus: Calvin etGenève, p. 17), il n’avait plus aucune résistance àcraindre à Genève. Il ne s’est toutefois pas érigé aurang d’évêque et n’a exercé aucun pouvoir tempo-rel, se contentant du rôle de président du collègepastoral. Genève n’est donc jamais devenue unethéocratie; les autorités consultaient le collège pas-toral dans les questions importantes, mais défen-daient âprement leur propre domaine de compé-tences.

Calvin – un théocrate?

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Michel Servet, 1511-1553.

Jean Calvin, reconstitution 2008.

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FOCUS

La Réforme genevoise a aussi fait son lot de victi-mes, dont l’Espagnol Michel Servet qui a péri surle bûcher en 1553. Que s’est-il passé?

Le médecin, géographe et théologien MichelServet (né en 1511) s’est opposé à la doctrine dela trinité dans plusieurs publications anonymes.Pour lui, Jésus-Christ n’était pas le fils éternel deDieu, mais la parole émanant de Dieu. Servet atenté sans succès de convaincre Calvin et d’au -tres réformateurs de la véracité de sa doctrine.Après avoir été accusé en France en 1553, il a fuià Genève où il a aussi été arrêté. Il a demandé àpouvoir être jugé à Genève. Le tribunal laïc arequis l’avis de Calvin; il s’est aussi adressé àZurich et à Berne. Tous ont approuvé la peine demort et Servet a été exécuté au cours de la mêmeannée.

On ne peut nier que Calvin ait largement contribuéà la mort de Servet. Le renseignement par lequelServet a été identifié en tant qu’auteur des publi-cations anonymes venait de Genève et les lettresque Servet avait adressées à Calvin ont servi depreuve durant le procès. Enfin, c’est Calvin qui afait arrêter Servet à Genève. Pour être juste, il fauttoutefois replacer le cas dans le contexte de l’époque. La situation juridique était sans équi-voque: contester la doctrine de la trinité entraînaitla peine de mort. Servet aurait été exécuté dansn’importe quelle ville d’Europe. Genève était déjàtombée en discrédit dans toute l’Europe en tantque lieu de refuge des hérétiques les plus dange-reux, ce qui préoccupait beaucoup les autoritésde la ville. Et Calvin lui-même était tellement souspression sur le plan politique qu’il craignait dedevoir repartir. Il voyait la Réforme gravementmenacée et a tout fait pour empêcher son échec.

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Nébuleuse de l’Aigle.

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Un regard critique sur le mondeAu XVIe siècle, beaucoup de personnes, dont MartinLuther, étaient convaincues qu’on était proche de lafin des temps. Pas Calvin. Une éthique centrée surla responsabilité personnelle et un regard critique surle monde sont devenus les caractéristiques mar-quantes des réformés. L’éthique professionnelle deCalvin a en outre favorisé une implication dynamiquedes calvinistes dans la vie économique, sociale etpolitique. Elle explique d’ailleurs pourquoi ces der-niers ont joué un rôle considérable dans l’organisa-tion de la culture occidentale des temps modernes,même quand ils étaient minoritaires.

Capitalisme et démocratieCalvin a laissé une œuvre très vaste. Il a réfléchiaussi bien à des questions théologiques quelaïques. Et, bien qu’on puisse tirer de ses écrits despositions très contradictoires (u L’héritage deCalvin, p. 33), Calvin a fourni des impulsions impor-tantes aussi bien pour la conception de la nouvelleforme d’économie capitaliste (u Focus: Calvin et lecapitalisme, p. 29) que pour la démocratie qui s’estdéveloppée par la suite (u Focus: Calvin et ladémo cratie, p. 31).

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1529, Zwingli et Luther au colloque de Marburg.

La chaise de Calvinà la cathédrale deGenève.

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Quelle a été l’importance de la contribution deCalvin au développement du capitalisme? On estlongtemps parti du principe qu’elle a été significa-tive. Cette idée s’appuie surtout sur un ouvrage deMax Weber intitulé L’éthique protestante et l’espritdu capitalisme (1905/1920). Pour Weber, l’attitudede Calvin a grandement favorisé le développe-ment du mode économique capitaliste: les calvi-nistes voyaient dans le travail une valeur importan-te, parce qu’ils espéraient trouver dans la réussiteéconomique le signe qu’ils figuraient parmi les élus(u Focus: La prédestination, p. 13). Mais loin degaspiller les bénéfices de leur activité économiquedans des biens de luxe, ils les plaçaient dans leursentreprises et cultivaient un mode de vie simple etaustère. Chasteté, pauvreté et obéissance, lescalvinistes ont, d’après Weber, transposé lesidéaux ascétiques des monastères dans leur quotidien temporel. C’est pourquoi Weber parled’«ascétisme intramondain».

Les puritains, les banques et les intérêtsQuelques arguments importants plaident toutefoiscontre la vision de Calvin en tant que père du capi-talisme. D’une part, il avait lui-même expressé-ment exclu l’idée qu’on puisse estimer son propreétat de grâce sur la base de ses biens (commentai-re de I Thess. 2.9). Max Weber ne s’est d’ailleurs pasréclamé de Calvin, mais des témoins puritainsultérieurs du XVIIe siècle (u L’héritage de Calvin, p. 33). D’autre part, il y avait des régions, parexemple en Italie ou en Rhénanie, où on observaitune économie capitaliste florissante, alors que laRéforme ne s’y était pas imposée. Les origines dusystème bancaire moderne nécessaire au capita-lisme ne se trouvent pas non plus dans le calvinis-me, mais dans le nord de l’Italie catholique.

Par rapport à la perception d’intérêts, Calvin avaitcependant adopté une attitude pragmatique. À son époque, l’artisanat (impression de livres,orfèvrerie) et le commerce généraient à Genèvedes flux de capitaux de plus en plus importants.C’est pourquoi les commerçants et les artisansont commencé à se prêter de l’argent contre inté-rêts. L’Église médiévale rejetait la perception d’in-térêts comme une exigence indigne des chrétiens

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et Luther la condamnait également. Calvin a étél’un des premiers théologiens à permettre le prêtd’argent contre intérêts dans un cadre soigneuse-ment soupesé. Mais il n’a nullement cautionné leprêt d’argent à but lucratif et recommandé d’exigerdes intérêts supportables de la part des pauvres.Les banques à proprement parler n’ont pu sedévelopper à Genève qu’à partir du XVIIe siècle,lorsque le pastorat a cessé d’exiger la régulationde l’économie monétaire.

Une vision collectiveEn dépit de ces quelques concessions, l’éthiqueprofessionnelle protestante à tendance réforméerecelait d’emblée un potentiel critique à l’égard del’économie capitaliste. La doctrine sociale calvinis-te avait toujours en vue le bien-être de la collecti-vité et non le bonheur égoïste du particulier. C’estl’amour du prochain et non l’appât du gain quimotivait la conception réformée du travail et de laprofession, ainsi que les rapports à l’argent et à lapropriété.

Calvindrier 2009© Zep

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«Il est maintenant établi que la loi de Dieu quenous appelons morale n’est autre que [...] cetteconscience que Dieu a gravée dans le cœur del’homme [...]. C’est pourquoi elle doit aussi être leseul point de référence, la seule règle et la seulelimite de toutes les lois.» (Institutio IV,20,16)

Calvin n’était pas un défenseur de la démocratie.Mais ses idées ont ouvert des portes menant versce mode de vie. Des portes qu’il n’a certes pasfranchies lui-même, mais que d’autres ont pu fran-chir par la suite.

Le droit à la résistanceQue signifie obéissance à Dieu pour les membresde l’Église qui sont en même temps les sujetsd’une autorité temporelle à qui ils doivent aussiobéissance? En tant que chef de l’Église àGenève, Calvin était directement confronté à cettequestion. Il en est venu à penser que toutes lesaffaires politiques doivent être subordonnées auxlois de Dieu. On doit certes se soumettre auxautorités temporelles, même quand elles sontcruelles et cupides. Tout ce qu’on peut faire, c’estimplorer l’aide du Seigneur entre les mains de quise trouvent en fin de compte les cœurs des rois.En même temps, il était clair pour Calvin quel’homme doit davantage obéissance à Dieu qu’àn’importe quelle autorité humaine. C’est pourquoiil accordait aux sujets un droit de résistance,quand leur obéissance les aurait amenés àenfreindre les commandements de Dieu. Calvin necontestait donc pas l’autorité des dirigeants poli-tiques, mais il la relativisait. Cela signifie que l’idéed’un État de droit dans lequel tous doivent se plieraux mêmes lois apparaît déjà chez lui. De là à l’idée que tous sont égaux devant la loi, il n’y aqu’un pas.

Répartition des pouvoirsCalvin a aussi réfléchi à la bonne attitude à obser-ver avec le pouvoir s’agissant de l’organisation del’Église. Il a volontairement construit la hiérarchieecclésiastique, avec ses différents services etconseils, de manière à éviter une concentration dupouvoir entre les mains de quelques-uns. Commetous les êtres humains sont fondamentalement

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pécheurs à ses yeux, il est nécessaire qu’ils secontrôlent, se critiquent et s’améliorent mutuelle-ment. Ses Ordonnances ecclésiastiques renvoientdonc à un système gouvernemental où les pou-voirs se surveillent et se maintiennent mutuelle-ment en équilibre.

Conscience et liberté de croyanceLa conscience était pour Calvin le tribunal intérieurde l’être humain. Cependant, elle ne devait pas sefonder comme aujourd’hui sur des critères indivi-duels, mais sur les lois morales de Dieu. Calvin aaussi exigé la liberté de croyance pour ceux qui se réclamaient de la «vraie religion», à savoir leprotestantisme à caractère réformé. À la grandecontrariété de Calvin, son ancien confrère SébastienCastellion a revendiqué la liberté de croyance pourtous, surtout avec le cas Servet ( u Focus: Le casde Michel Servet, p. 25). Pour Calvin, cette attitu-de ouvrait à deux battants la porte à toutes leshérésies, car elle aurait aussi protégé les adeptesd’une «fausse» foi. Le fait de souligner la conscien-ce et la liberté de croyance a toutefois favorisé,pour les réformés, l’émergence d’une attitude cri-tique à l’égard des ordres humains, dont on a pudéduire un droit de résistance et qui a plus tardsoutenu l’idée de tolérance.

«Le Jardin des délices»,

Jérôme Bosch(1453-1516)

(extrait).

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Il était à la fois l’humaniste qui critiquait les dog-mes figés et stériles de son époque, qui appelait àla souplesse et à la tolérance et qui argumentaitpour une ouverture à l’égard du mystère, et unhomme effrayé par une époque chaotique sansstructures d’ordre, un conservateur qui a âpre-ment lutté pour imposer un ordre au monde indis-cipliné.

Christopher Elwood

L’orthodoxie calvinisteAprès la mort de Calvin, le calvinisme a progressive-ment été condensé en un système de pensée théo-logique fermé. Il n’est pas sûr que Calvin aurait étéd’accord avec ces développements. Alors qu’il avaittoujours tenté d’atteindre aussi les cœurs des hom-mes, ses successeurs s’en sont davantage remis aumode d’argumentation strictement logique de lascolastique dont Calvin s’était autrefois détourné.Les fondements du calvinisme orthodoxe ont étéposés en 1618–1619, lors du Synode de Dordrecht(Hollande). La doctrine de la prédestination a été pla-cée au centre. On a ainsi abandonné l’idée que leshommes sont libres, afin de coopérer avec la grâcede Dieu.

Théologie libérale et fondamentaliste L’héritage de Calvin est contradictoire. D’un côté,Friedrich Schleiermacher (1768–1834), le «père dela théologie moderne», se voyait comme le descen-dant de Calvin. D’un autre côté, des courants théo-logiques fondamentalistes se sont aussi réclamésde lui. Comme Calvin autrefois, les fondamentalistessoulignent l’importance des commandementsbibliques. Mais, pour eux, les saintes Écritures sontsans erreur, c’est pourquoi il faut les appliquer à lalettre.

Les huguenots«Huguenots» était un surnom, à l’origine péjoratif,donné par les catholiques aux calvinistes français. Ilse peut que le nom remonte aux dérivés en vieuxfrançais du mot allemand Eidgenossen (confédérés)qui renvoie à Genève dans sa lutte contre la Savoie.

L’héritage de Calvin – calvi n istes, huguenots, puritains

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Mais il pourrait aussi s’être inspiré du GenevoisBesançon Hugues qui a lutté pour la liberté, ou tirerson origine de l’appellation Huis Genooten (compa-gnons de maisonnée) utilisée pour désigner les pro-testants flamands qui lisaient ensemble la Bible ensecret. Les guerres dites des huguenots ont com-mencé en France en 1562. Elles ont connu un tra-gique point culminant dans la nuit de la Saint-Barthélemy, un massacre des huguenots orchestréà l’échelle du pays, et ne se sont achevées qu’en1598 par la signature de l’Édit de Nantes qui assu-rait la liberté de croyance aux huguenots. L’Édit deNantes fut toutefois révoqué en 1685 et il fallut atten-dre encore une centaine d’années pour que l’Éditsur la tolérance, de Louis XVI, rétablisse la liberté decroyance.

Les puritainsLes puritains étaient des calvinistes anglais qui trou-vaient l’Église anglicane trop catholique-romaine etpas assez réformée. Ils sont devenus par momentsune importante force politique en Angleterre, maisn’ont pas réussi à se maintenir longtemps au gou-vernement. Beaucoup de puritains ont migré vers leNouveau Monde au début du XVIIe siècle pour s’é-tablir surtout en Nouvelle-Angleterre. Avec le temps,le puritanisme s’y est fractionné en plusieurs déno-minations (presbytériens, congrégationalistes, etc.).Les puritains représentaient environ un tiers descolons du nouveau pays, mais ils exerçaient uneinfluence considérable sur l’évolution de la politique,des universités et de l’identité nationale des États-Unis. Le sentiment d’être une nation élue qui doitservir d’exemple au monde, le pragmatisme réalisteet la piété chrétienne très répandue qui se met auservice du bien collectif reflètent les racines calvinis-tes puritaines.

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Parvis de la cathédrale Saint-Pierre, Genève.

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1176 début du mouvement des valdésiens (repas des pauvres par Pierre Valdès)

1330–1384 John Wyclif – réformateur anglais

1347–1352 grande épidémie de peste en Europe (mort noire)

1368 début du mouvement de l’Observance (l’ordrefranciscain se divise)

1378–1417 Grand Schisme (deux papes; un à Rome et un àAvignon)

1509 10 juillet: naissance à Noyon (Picardie)

1517 Luther placarde ses thèses à Wittenberg – début dela Réforme

1520 l’Édit de Worms condamne la doctrine de Luther

1525 guerre des paysans/apparition du baptême/querelleentre l’humaniste Erasme de Rotterdam et le réforma-teur Martin Luther sur la liberté de la volonté

1528 études de jurisprudence à Orléans

1529 Colloque de Marbourg – Luther et Zwingli ne parvien-nent pas à s’entendre sur la question de la communion

1530 Confession d’Augsbourg

1531 Huldrych Zwingli meurt à la deuxième bataille de Kappel

1533 détachement de l’Église romaine

1534 affaire des placards en France – persécution des protestants; première vague de réfugiés

1534 fondation de l’Église anglicane (l’Église se désolidarisede Rome)

1535 fuite de France; séjours à Bâle et à Ferrara

1536 Concordat de Wittenberg du luthéranisme; premièreconfession helvétique de Zwingli

1536 doctrine de la religion chrétienne (Institutio religionischristianae), première édition

1536 premier poste de pasteur à Genève

1538 expulsion de Genève suite à un litige avec le Conseil de ville au sujet des compétences de l’État et de l’Église

Tableau chronologique de la Réforme / Calvin: brève biographie

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1538 pasteur de la paroisse des réfugiés français àStrasbourg

1540 mariage avec Idelette de Bure

1541 début de sa deuxième activité de pasteur à Genève

1541 ordonnances ecclésiastiques

1545–1563 Concile de Trente

1546 décès de Martin Luther

1546/47 guerre contre la Ligue de Smalkalde – défaite des princes protestants

1547 début de la Contre-Réforme

1548 nouvelle vague de persécutions des protestants enFrance; deuxième vague de réfugiés

1549 Consensus tigurinus

1549 décès d’Idelette de Bure

1555 paix d’Augsbourg en l’absence des réformés.Principe de base: les princes choisissent la religion de leur territoire

1559 premier synode national secret des protestants français «Confession de Foy» (Confessio Gallicana)

1559 fondation de l’Académie, version définitive del’Institution

1562–1598 guerres des huguenots en France

1564 25 mai: Calvin meurt à Genève après des annéesde maladie. Pour éviter le culte commémoratif, il estinhumé en toute simplicité, selon son souhait, dans une tombe anonyme

1566 seconde Confession helvétique de Heinrich Bullinger

1572 nuit de la Saint-Barthélemy – massacre des huguenotsà Paris et dans d’autres villes de France

1598 Édit de Nantes – liberté de croyance pour leshuguenots (révoqué en 1685)

1618–1619 Synode de Dordrecht

Période de pré-Réforme

Durée du Concile de Trente

Durée des guerres des huguenots

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© Fédération des Églises protestantesde Suisse SEK-FEPS, 2009www.calvin09.orgRédacteur responsable: Simon WeberTexte «Jean Calvin en bref»: MonicaJeggliCrédit photographique: MIH, La Chaux-de-Fonds. P. Bohrer. Fotolia. L.Donner.MIR, Genève. P. Blotti. LIFE. Zep.Conception graphique: adequa.ch

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Jean Calvin, Mur des réformateurs, parc des Bastions, Genève.