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Jean-Charles de Quillacq Press

Jean-Charles de Quillacq Press - Marcelle Alix

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Page 1: Jean-Charles de Quillacq Press - Marcelle Alix

Jean-Charles de Quillacq Press

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Crash Magazine 02.2018 1/1

Hospitalité et jeux de langue Les temps sont à l’art politique. Les grands gestes, les slogans, banderoles, peintures d’histoires et objets historiquement signifiants placés sous vitre. Tel est le panorama, bien que soumis à relecture critique, que propose la saison en cours du Palais de Tokyo avec le duel des titans qui fait voisiner l’exposition de Neïl Beloufa et celle conçue par Kader Attia en collaboration avec Jean-Jacques Lebel. Aux artistes se saisissant directement de l’histoire ou de l’actualité et de ses zones d’ombres, la Galerie-Centre d’Art Contemporain de Noisy-le-Sec propose une approche pour ainsi dire de biais. En plaçant l’intégralité de la programmation annuelle sous le thème de l’hospitalité, chacune des expositions vient apporter un éclairage à cette problématique sans cependant prendre directement position. Ainsi de l’actuelle exposition La langue de ma bouche conçue comme un duo entre deux jeunes artistes, Hedwig Houben et Jean-Charles de Quillacq. Si l’on avait déjà vu l’une au détour de conférences-performances au FRAC Île-de-France et que l’on se rappelle des cigarettes-baguettes de pain de l’autre colonisant les espaces de sa galerie bellevilloise Marcelle Alix, les réunir fait ressentir le pari sur l’impermanence de toute choses qui les réunit l’un et l’autre. Un certain animisme où objets dialogues et les organes se dupliquent indépendamment du corps qui les accueille. Obligeant les regardeurs à se remettre à l’échelle d’une réalité fragmentée et poreuse où aucune identité ni appartenance n’est fixée, pas même la sienne. • La langue de ma bouche. Hedwig Houben and Jean-Charles de Quillacq, jusqu’au 24 mars à La Galerie – Centre d’Art Contemporain à Noisy-le-sec

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Crash Magazine 2017 1/1

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Le Quotidien de l’Art 27.11.2015

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Ca respire, ça chauffe, ça mange. Ca chie, ça baise.

Lors de mon passage dans l’atelier de Jean-Charles de Quillacq à la Villa Arson il y a

quelques mois, j’ai naturellement associé ses sculptures à l’idée d’abstraction excentrique1. Je

n’y pensais pas comme à une référence qui écraserait le travail du jeune sculpteur mais plutôt

comme à une espèce de tradition qu’il viendrait actualiser, une famille artistique.

L’abstraction excentrique apparaît toujours aujourd’hui comme le côté obscur d’un

Minimalisme étincelant, comme l’intérieur innommable d’un corps lisse. C’est aussi une force

de subversion, contemporaine à la théorisation du Minimalisme, et qui se fonde sur des

présupposés radicalement opposés. Là où certain-e-s critiques d’art voient dans le

Minimalisme un art dénué de subjectivité, en miroir à la mort de l’auteur dans la pensée

structuraliste, l’abstraction excentrique met l’accent sur la matière sculpturale comme

continuation du corps, comme expérience sensuelle héritée du Surréalisme. L’humour des

sculptrices et sculpteurs de l’abstraction excentrique s’oppose au sérieux présupposé des

objets du Minimalisme. Lucy Lippard décrit cette sculpture comme capable de brouiller la

limite entre l’art et la vie, elle évoque un « désir de caresser » 2, un rapport d’attraction-

répulsion aux formes et aux matériaux utilisés par ces artistes. C’est une sculpture tournée

vers le corps : non pour le représenter, mais plutôt pour s’adresser au désir sensuel et sexuel

des spectateurs/trices. De véritables fétiches qui appellent le toucher et auxquels on aurait

envie de se frotter.

J’ai cette sensation en regardant les œuvres de Jean-Charles de Quillacq. Les sculptures en

epoxy évoquent pour moi à la fois des organes ablatés et de vulgaires tuyaux dont l’usage

serait à présent méconnu. Comme ces canalisations vétustes qu’on trouve parfois dans de

vieux bâtiments, coupées au-dessus du sol, couvertes de plâtre et de peinture, et qui

témoignent d’un usage domestique antérieur. L’ambivalence visible de ces objets/sculptures

nous conduit à interroger leur possible usage actuel, éventuellement masturbatoire. Alors

qu’on pouvait découvrir, enfant, un plaisir surprenant à chevaucher le rebord d’un canapé ou

la rigidité d’une selle de vélo, les objets de Jean-Charles de Quillacq figurent simultanément

l’objet qui donne du plaisir et l’organe qui le reçoit et permet de le propager dans le corps. Le

tube, le tuyau domestique connecté aux tuyaux intérieurs de nos corps dans une relation

érotique que le fétiche sculptural représente.

Parler de fétiche pourrait nous amener (trop) automatiquement à évoquer la dimension

phallique de certaines sculptures. Les orifices présents dans untitled (No Devil Beneath the

Sea), 2011, Bread or Cigarettes, 2012 et In Search of a Good Stimulant, 2011 par exemple,

sont pourtant de nature équivoque. Ces sculptures rappellent plutôt la position allongée du

repos, comme si elles figuraient un intérieur du corps alangui, ouvert au plaisir. L’affiche de

cinéma repeinte et sérigraphiée Quillacq ouverte nous donne un indice quant à la sexuation

possible de ces objets. Quillacq est « ouverte » et non « ouvert ». La féminisation de l’adjectif

semble illustrer l’universalité d’un orifice dans un corps mâle ou femelle et du plaisir qui peut

découler de sa pénétration. L’aspect informe des volumes me rappelle certaines œuvres de

l’artiste américaine Lynda Benglis, proche de Lucy Lippard et de l’abstraction excentrique,

comme l’intrigante scultpure en bronze Come (1969-1974) qui évoque à la fois les sécrétions

de la jouissance et l’excrément, alors que sa patine lui donne un côté très précieux. Chez de

Quillacq comme chez Benglis, la sexuation du corps est secondaire, on considère plutôt les

1 Terme inventé par la critique d’art américaine Lucy Lippard en 1966 pour qualifier des pratiques sculpturales

nouvelles, abstraites mais conservant une certaines sensualité dans l’utilisation des matériaux (Louise Bourgeois,

Eva Hesse ou Bruce Nauman en sont les principaux représentants). 2 ‘Eccentric abstraction’, Changing: Essays in Art Criticism, New York: Dutton, 1971, p.102

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tuyaux et les substances qui sont communs à tous les corps. Le corps est une machine

désirante, équivalente à d’autres machines (par exemple le radiateur de Sister Circle Foot on

Radiator, 2011) et qui entre en contact avec elles. La division binaire intérieur / extérieur est

moins importante que les différents continuums que le corps produit à travers le désir.

Ces continuums prennent aussi pour forme des jeux d’équivalence qui remettent en cause les

différences d’identités et de rôles assignés, notamment dans un contexte familial. On voit

ainsi apparaître la sœur de l’artiste dans plusieurs photographies : My complice I, 2011 et My

sister like I am, 2011. My complice I est un double portrait au masque de plongée de l’artiste

et de sa sœur, dans une pose symétrique qui pousse à chercher les ressemblances entre les

visages, par-delà leur obstruction. De Quillacq prolonge ce jeu des sept erreurs dans l’œuvre

plus récente Les Petites Filles, 2015, pour laquelle un troisième portrait est ajouté aux deux

précédents, imprimés sur un support unique.

Ainsi, même lorsque l’artiste se risque à la représentation humaine, à la figuration, le principe

d’équivalence à l’œuvre rend les images à l’abstraction. Il ne s’agit pas tant de représenter

l’artiste ou sa sœur que de pratiquer la série, mettant en avant les correspondances plus que les

différences. Alors qu’il rejoue la photographie My sister like I am avec un autre de ses

proches dans Le garçon comme ma sœur comme je suis, 2015, l’identité du garçon passe au

second plan. Le corps dénudé de la sœur et celui du garçon s’équivalent comme motifs,

pourtant loin du décoratif : ils ne sont pas idéalisés, photographiés sous la lumière crue de

vacances méridionales. Les liens familiaux avoués dans le titre compliquent la possibilité de

s’approprier le corps de la jeune femme dans une dynamique voyeuriste hétérosexuelle. C’est

justement en donnant une indication sur l’identité de la jeune femme et en n’en donnant pas

sur l’identité du jeune homme qu’il rend leurs corps équivalents dans un système de

production des images où la nudité féminine est traditionnellement lue comme disponibilité

sexuelle.

On pourrait ainsi se risquer à parler d’universalité dans le travail de Jean-Charles de Quillacq.

Une universalité produite par des jeux d’équivalence raffinés. Contrairement à l’universalisme

qui tend à neutraliser, à fondre dans un même moule les particularismes individuels, à faire en

sorte que le masculin passe pour la norme, l’universalité de ce travail plastique revient à

relever le désir et le plaisir qui nous sont communs, malgré les aspects différents de leurs

manifestations. Le plaisir de se sentir chez soi comme à l’intérieur d’un corps, dans un cocon

domestique évoqué par la présence du radiateur qui rappellerait une douceur in utero. Le

plaisir aussi de trouver un double à soi dans l’existence d’un frère ou d’une sœur, avec lequel

on pourrait désirer ne faire qu’un, comme à un stade pré-natal de la gémellité. Le plaisir enfin

de trouver en l’autre la proximité et l’entente qui permettent la circulation fluide des désirs.

La famille esthétique de Jean-Charles de Quillacq est celle de l’abstraction excentrique. Plus

largement, la famille de l’artiste est celle qui regroupe les corps désirants, c’est-à-dire

l’humanité entière ramenée à ce qu’elle a en commun avec la machine. « Ca respire, ça

chauffe, ça mange. Ca chie, ça baise »3

Isabelle Alfonsi, juillet 2015

3 DELEUZE, Gilles et GUATTARI, Félix. L’Anti-Œdipe. Capitalisme et schizophrénie. Paris : Editions de

Minuit. 1972. p.7