Jean Epstein Et La Première Avant

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Jean Epestein e a vanguarda

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Jean Epstein et la premire avant-garde franaise

Jean Epstein et la premire avant-garde franaise Lors du semestre dernier, j'ai rendu un travail sur Jean Epstein et donc ncessairement sur l'Impressionnisme au cinma franais des annes vingt. Je le publie ici tout simplement pour sortir du cadre universitaire ce qui a pu tre crit (et je pense que ce ne sera pas la dernire fois que je fais a). J'invite d'ailleurs tous les tudiants en cinma qui passent ici venir me contacter s'ils souhaitent mettre en ligne quelques uns de leurs travaux. Mme si ces dossiers sont gnralement courts et restent au stade d'esquisse de rflexion (du moins au niveau auquel je suis), ces textes auront je l'espre, le mrite de faire dcouvrir des cinastes, des mouvements, de susciter toujours cette envie de voir des films. Ce travail aborde donc Jean Epstein et le mouvement auquel on le rattache, la premire avant-garde franaise, et je m'appuie notamment sur un de ses grands succs : Coeur fidle.Ses images taient comme en relief, elles crevaient littralement lcran au point que dans les salles, les spectateurs taient physiquement saisis de vertige, avaient la nause en voyant tourbillonner le mange de Cur Fidle.

Henri Langlois

La premire avant-garde franaise porte le nom dimpressionnisme comme une antithse lexpressionnisme allemand et elle se distingue de la seconde avant-garde franaise: le surralisme. Le cinma franais des annes vingt se situe dans un contexte historique bien particulier. Cette priode dite annes folles ou encore folle poque, baptise ainsi pour une nergie et une vivacit neuve rsultant dune Premire Guerre tout juste acheve, tmoigne dun rayonnement culturel et artistique Paris. Suite aux dgts conomiques considrables et le traumatisme physique et psychologique que la Grande Guerre a provoqu, ces annes vingt sorientent vers activit cratrice fertile en rponse au poids extrmement lourd qui pesait sur le pays quelques annes auparavant. Cette dcennie fut sujette une volution permanente du paysage cinmatographique franais, les cinastes font preuve dune cration prolifique. Jusquen 1914 la France tait le premier producteur de films dans le monde. A la fin de la guerre 14-18 de nombreux pays producteurs concurrents mergent et cest une situation de crise pour le cinma franais, ce qui implique une remise en question et donne lieu la naissance de multiples thories. Nous nous concentrerons entirement sur celle de Jean Epstein (1897-1953) cinaste mais aussi thoricien, penseur et philosophe, qui a laiss derrire lui de nombreux crits sur le septime art. Il fait partie de lcole impressionniste franaise ainsi quavec quelques autres personnalits tels que sont Abel Gance, Germaine Dulac, Marcel LHerbier et Louis Delluc.Nous verrons que cette premire avant-garde constitue une tape fondamentale et charnire dans le cinma muet. La manire denvisager un tel sujet peut varier et nous adopterons ici le point de vue de Jean Epstein (et principalement la photognie dont il est le thoricien) en sappuyant sur un film qui fait office de parangon pour cette cole: Cur Fidle.Dans un premier temps nous verrons en quoi Epstein est au cur de la premire avant-garde franaise. Ensuite nous tudierons le concept de photognie et quelle porte elle atteint dans le cinma impressionniste en sappuyant sur Cur Fidle.

I - Epstein: au cur de la premire avant-garde franaiseLe terme davant-garde, qui originellement dsigne la premire ligne de larme, le dtachement qui permet dexplorer le terrain, du point de vue militaire, est trs explicite pour apprhender la dimension artistique de la notion. Les avant-gardistes sont les prcurseurs, ceux qui ouvrent la voie, innovent et permettent aux artistes qui suivent dapprofondir ce qui a t mis en place. Jean Epstein est un de ceux dont la passion cinphilique a permis le passage la pratique. Son troisime long-mtrage, Cur Fidle, est son premier succs et lui vaut une reconnaissance. Si ce grand mlodrame constitue le nud de sa filmographie et de la premire avant-garde dans sa globalit, avec La Roue dAbel Gance, cest moins pour le drame sentimental quil constitue que pour cette incroyable capacit Epstein de crer un rythme, une qualit photographique et de creuser lintriorit des sujets par des procds cinmatographiques. Jean Epstein estime que le cinma tient toute son essence dans la captation de limage et cette manire dont lobjectif peut rvler la ralit des choses en la saisissant.Jean Epstein pourrait tre qualifi de cinaste-pote tant il confre ses films un lyrisme par le biais des moyens cinmatographique. Il explora les possibilits de la machine cinmatographique, variant sans cesse avec les diffrents usages (ralentis, acclr, inversion chronologique, surimpression) qui sont encore utiliss de nos jours. Les films de Jean Epstein tentent de conqurir le mystre de la posie, et ce par le cinma. Comme lexplique Gilles Deleuze au cours dune confrence: Quest-ce que lacte de cration ?, avoir une ide est insparable du domaine au sein de laquelle elle se trouve. Reprendre les ides et les impressions obtenues dans la posie pour les retranscrire au cinma dpasse le cadre simpliste de la transposition, il sagit demployer des ides qui sont engages dans un processus cinmatographique selon Deleuze. Epstein et la premire avant-garde souhaitent obtenir travers le cinma les impressions propres la musique, la littrature ou la posie. Raoul Ploquin parle ainsi du cinaste: Jean Epstein qui aime le cinma et croit en lui, parce quil a sond toute la puissance animiste de cette langue nouvelle, veut faire de lobjectif, dsormais, un engin dintrospection miraculeusement lucide, capable de saisir au vol llment affectif ou mental le plus fugitif, le plus furtif, capable aussi de discerner et de nous rvler ces lacrimae rerum qui ne semblaient jusqualors perceptibles qu lhyper-sensibilit des grands potes 1 Il convient de sattarder sur deux aspects points dans cet extrait. Outre lintrospection que nous avons dj aborde, Raoul Ploquin expose lhyper-sensibilit et le furtif. Dune certaine manire on retrouve lide de Friedrich Schiller auteur dune phrase essentielle: La fin ultime de lart est la prsentation du suprasensible 2. Le philosophe nous donne ici le but, le dessein final de lart selon lui, qui serait lexposition de ce qui va au-dessus des sens. Et cela corrobore avec la vision sotrique de Jean Epstein du cinma comme moyen daccs non pas au surnaturel mais une autre ralit, celle que le cinma nous montre, et tend ce rsultat travers la photognie principalement. Autre terme: le furtif. Selon Epstein, la photognie est fugace, elle ne dure pas quelques minutes pleines, encore moins un film entier. Elle est une exception et fonctionne comme une vague qui simpose et repart aussitt. Les ambitions de Epstein et travers lui de la premire avant-garde sont dlargir le champ figuratif du cinma, de lui permettre datteindre aux subtilits psychologiques ou potiques jusque l rserves la littrature ou la musique. Le cinma est le seul art qui prenne en compte la notion de la quatrime dimension: le temps. Jean Epstein pense que cet art sert modeler le temps, le transformer, crer des espaces temporels diffrents de la ralit: do lusage de ralentis notamment, ou les surimpressions qui combinent deux espaces-temps diffrents. Le cinma est selon lui loutil le plus manifeste pour repenser le temps, le recrer sa manire.

II - La photognie de limpondrable ou le concept esthtique de la premire avant-garde franaiseLa photognie est un terme dlicat car extrmement difficile dfinir prcisment. Or ce concept est lmentaire pour le cinma des annes vingt mais aussi laune du septime art dans son ensemble, et il convient dexpliquer en quoi il consiste. Il faut entendre par photognie lalliance de la photographie et du cinma (et non pas lun sans lautre): il sagit de dire davantage sur la chose daprs la capture que la chose elle-mme. Le cinma est un art qui a priori est purement objectif, mais cest sans compter lartiste qui imprime sa vision des choses lorsquil saisit limage. La photognie est affaire de rvlation, de dvoilement de la chose par sa reprsentation, car la machine voit mieux. Selon lexpression de Jean Epstein, la photognie permet de voir sous le derme des choses, nat alors une fascination envers la chose qui devient autre une fois reprsente. Etroitement lie la photognie, lide de Epstein selon laquelle le cinma dvoile le dessous des choses en rsulte une consquence pour le moins surprenante: on ne matrise pas mieux le monde avec cet art mais on rvle ltrange et lextraordinaire. Cest certainement ce qui fait la plus nette distinction entre la dcouverte scientifique et lart que le cinma est devenu, ce qui tait loin dtre vident lors de son apparition. Le terme de photognie est propos par Louis Delluc puis trs largement thoris par Jean Epstein. Jacques Aumont prciseque la photognie est de lordre de lineffable, presque dune sorte de magie 3. Car en effet il existe une dimension magique, une certaine croyance qui sapproche de la notion de photognie et qui tmoigne non pas de son imprcision mais de son aspect subtil et impondrable pour reprendre le vocabulaire epsteinien. Avec la notion de photognie nat lide du cinma-art. Car comment mieux dfinir lindfinissable photognie quen disant: la photognie est au cinma ce que la couleur est la peinture, le volume la sculpture: llment spcifique de cet art 4, explique Epstein. Voil qui dmontre concrtement en quoi la photognie constitue un enjeu essentiel du septime art, elle en est le fondement. La photognie rvle le dessous des choses et se rvle elle-mme comme soubassement de lart qui la fait natre.

Dans Cur Fidle, plusieurs gros plans sur les visages permettent de creuser lintriorit des protagonistes. Dplacement la fois simple et radical. Le cinma nous fait voir une image plus vraie de ltre reprsent: cest tout, et cest norme 5, crit Jacques Aumont. Cest--dire quau moyen du gros plan sur le visage nous percevons ce que le personnage ressent, plus encore, nous captons le psychisme et la psychologie du sujet. Epstein fait du gros plan un lment essentiel du cinma: Le gros plan est lme du cinma 6. Dans Cur Fidle, Marie, filme en gros plan derrire une vitre, est au paroxysme de son inquitude et de son dsir de senfuir, dchapper la destine qui lui semble trace: amour et travail. Ajoutant lusage du flou, Epstein russit soulever une volont et un mal-tre intrinsque - un cinaste qui cultive rsolument un art dobserver, de voir, de regarder et de dvoiler. A loccasion dun hommage posthume dans les Cahiers du Cinma, Alexandre Kamenka parle ainsi du cinaste et de son film: Ce qui frappait dans ses films et en particulier dans Cur Fidle tait la manire dont il dvoilait lme des choses et de la nature qui prenaient dans le droulement de laction cinmatographique une place aussi importante que celles des personnages. La simple image cinmatographique des objets devenait une analyse psychologique 7. Car dans Cur Fidle, comme ailleurs, la photognie ne se concentre pas uniquement sur lhumain mais on lintercepte aussi dans un dcor, dans un paysage ou sur un objet particulier. La squence maintenant classique de la fte foraine de Cur fidle ne lest pas pour rien. On assiste une alternancede visions: subjectives lorsque cest le couple qui regarde cette fte foraine, et objective lorsquelle est filme depuis un point de vue anonyme et omniscient. Les deux protagonistes sont dans le mange Petit Paul, vil personnage, impose Marie un baiser. Soudain le montage sacclre, semballe la manire de la locomotive de La Roue dAbel Gance et la longueur des plans diminue de faon vertigineuse. Lintrigue nest pas limportant mais cest son traitement qui devient central. Deleuze parle ainsi de cette squence: Dans Cur Fidle, ctait la fte foraine o tout tend vers la simultanit du mouvement de celui qui voit et du mouvement vu, dans la perte vertigineuse des points fixes. Et sans doute ici, limage-perception se trouvait dj transforme par une conscience esthtique (cf la clbre photognie de lcole franaise).. 8Nous avons vu travers la photognie et Cur Fidle en quoi Epstein est un cinaste qui inscrit aisment son nom dans lHistoire du cinma, par ses films, ses crits et sa pense. Irriguant le septime art de sa conception novatrice, il continue aujourdhui dinsuffler des principes et thories aux cinastes, commencer par Jean-Luc Godard, avec un pont indirect, celui de la nouvelle dEdgar Poe,Le portrait ovale, dans Vivre sa vie pour lun et La Chute de la maison Usher pour lautre. La photognie galement est un concept esthtique que lon retrouve dans des films comme La Graine et le mulet par exemple, dAbdellatif Kechiche. Alors oui, le cinma franais muet des annes vingt, sur les traces de Griffith, a permis plus que jamais de faire natre le cinma comme Art et lcole impressionnisme reste toujours source de dploiement de penses et de conceptions pour le cinma. Ce nest pas innocent si la Cinmathque franaise, lieu rv du septime art, une salle porte son nom Jean Epstein.

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1. Raoul Ploquin, Jean Epstein, Cin Cin pour tous, n52, 1926, p. 14

2. Friedrich von Schiller, Sur le pathtique, Textes Esthtiques, Vrin, 1998, p. 151

3. Jacques Aumont, Les thories des cinastes, Armand Colin Cinma, 2005,4. Jean Epstein, Ecrits cinmatographiques, tome I, p. 145

5. Jacques Aumont, Les thories des cinastes, Armand Colin Cinma, 2005

6. Jean Epstein, Grossissement, Bonjour Cinma, 1921

7. Alexandre Kamenkia, in Cahiers du Cinma, n 24, p. 6

8. Gilles Deleuze, Limage-Mouvement, Collection Critique, p. 112