6
MONTAGNES MAGAZINE HORS SERIE Date : MAI 16 Pays : France Périodicité : Annuel Journaliste : Jean-Michel Asselin Page 1/6 PAULSEN 1249977400508 Tous droits réservés à l'éditeur interview ; L JeanTroillet JEAN TROILLET OU LESPRIT DE L'AVENTURE Avant d interviewer Jean Troillet j ai mis la mam sur ce livre que j avais conserve Jean Troillet, L'aventure absolue* Jean me I avait dedicace avec cette belle pensée « Bons reves et bons vents sur ces c/mes ou tes souvenirs rejoindront certainement 'es miens amicalement 1 » Propos recueillis par Jean-Michel Asselin D e tous ces souvenirs,j'ai garde cette rencontre apres son ascension de la face nord de l'Everest avec Erhard Loretan Une course folle qui I avait mené au sommet du toit du monde dans un aller retour express de quarante-trois heures Même Pierre Béghin n'avait pu suivre le rythme etfrene des deux Suisses Je reverrai toujours ce grand geant aux yeux bleus qui me racontait les hallucinations qui l'avaient habité lors de la descente, accomplie en partie en glissant sur les fesses, le 29 août 1986, quèlques semaines avant que Reinhold Messner n en termine avec sa course aux quatorze huit mille Les deux hommes étaient restes une heure et demie au sommet sans oxygène « Je voyais les rochers prendre de f teintes extraordinaires puis j'aper- cevais des clowns surgis de cavernes enfouies sous la neige, il y avait aussi un trans formateur electrique sur un nuage et des majorettes traversaient mon corps » L'exploit était magnifique, et Jean se souvient encore de l'effet Everest « Au début, je n avais rien a dire aux journalistes, ou si peu ' J'étais parti me reposer chez un copain en Thailande, je n 'étais pas presse de rentrer, mats je voyait bien qu'on n'arrêtait pas de me poser des questions sur cette ascension A dire vrai, cela a ete un grand moment J'ai eu le sentiment avec Erhard que nous touchions I au-delà Nous avions la conscience d'approcher quelque chose qui nous dépassait, e était tres mystique » Aujourd'hui, Jean a soixante-huit ans, il est né le lOmars 1948 à La Fouly en Suisse. Je lui ai demande si, comme il l'avait écrit dans un livre, « àquatre-vingts ans, j'irai encore sur un huit mille»! Non, c'est une aventure qui est désormais derrière moi Je suis pere de famille, ma fille Justine a quinze ans, mes jumeaux Jules et Alice en ont onze et j'ai promis a ma femme, Mireille, apres mon accident vasculaire cérébral (en 2011) que je n'irais plus sur les huit mille Je vis donc a la Fouly, dans une maison que j'ai bâtie a\ec des copains en quatre ans et j'exerce la profession de guide et de conférencier Mon amour de la montagne est intact, et je reste passionné par ces cinq grands elements ou l'aventure peut s'exercer la montagne, la mer, l'air, les volcans et les deserts J'aime toujours skier sur les neiges du monde de la Turquie au Canada, j'aime faire des randos ou effectuer de belles tiaversees en voiliei maîs il n'y a pas que cette chaîne hima- layennequimemotive J'ai vécu des moments extraordinaires là- bas maîs I ambiance hima- layenne a bien change, et je ne croîs pas que j'aimerais vivre ce qui se passe aujourd'hui sur les grands sommets J'ai le sentiment qu'on a apporté la bas tout ce qu'on voulait fuirde laville Alors qu'on devrait se battre pour proteger ce monde tres fragile

JEAN TROILLET - Editions Paulsen · cavernes enfouies sous la ... sur les neiges du monde de la Turquie au Canada, j'aime faire de s rando ou effectuer de belle tiaversees en voiliei

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: JEAN TROILLET - Editions Paulsen · cavernes enfouies sous la ... sur les neiges du monde de la Turquie au Canada, j'aime faire de s rando ou effectuer de belle tiaversees en voiliei

MONTAGNES MAGAZINE HORSSERIE Date : MAI 16Pays : FrancePériodicité : Annuel

Journaliste : Jean-Michel Asselin

Page 1/6

PAULSEN 1249977400508Tous droits réservés à l'éditeur

interview ; L JeanTroillet

JEAN TROILLETOU LESPRIT DE L'AVENTURE

Avant d interviewer Jean Troillet j ai mis la mam sur ce livre que j avaisconserve Jean Troillet, L'aventure absolue* Jean me I avait dedicaceavec cette belle pensée « Bons reves et bons vents sur ces c/mes ou

tes souvenirs rejoindront certainement 'es miens amicalement1 »

Propos recueillis par Jean-Michel Asselin

D e tous ces souvenirs,j'ai garde cetterencontre apres son ascension dela face nord de l'Everest avec

Erhard Loretan Une course folle qui I avaitmené au sommet du toit du monde dans unaller retour express de quarante-troisheures Même Pierre Béghin n'avait pusuivre le rythme etfrene desdeux Suisses Je reverraitoujours ce grand geant auxyeux bleus qui me racontaitles hallucinations qui l'avaienthabité lors de la descente,accomplie en partie en glissantsur les fesses, le 29 août 1986,quèlques semaines avant queReinhold Messner n entermine avec sa course auxquatorze huit mille Les deuxhommes étaient restes uneheure et demie au sommetsans oxygène « Je voyais lesrochers prendre de f teintesextraordinaires puis j'aper-cevais des clowns surgis decavernes enfouies sous laneige, il y avait aussi un transformateur electrique sur unnuage et des majorettestraversaient mon corps »

L'exploit était magnifique,et Jean se souvient encore del'effet Everest « Au début,je n avais rien a dire auxjournalistes, ou si peu 'J'étais parti me reposer chezun copain en Thailande, jen 'étais pas presse de rentrer,mats je voyait bien qu'on

n'arrêtait pas de me poser des questionssur cette ascension A dire vrai, cela a eteun grand moment J'ai eu le sentimentavec Erhard que nous touchions I au-delàNous avions la conscience d'approcherquelque chose qui nous dépassait, e étaittres mystique »

Aujourd'hui, Jean a soixante-huit ans, il estné le lOmars 1948 à La Fouly en Suisse. Je luiai demande si, comme il l'avait écrit dans unlivre, « à quatre-vingts ans, j'irai encore surun huit mille»!Non, c'est une aventure qui est désormaisderrière moi Je suis pere de famille, ma fille

Justine a quinze ans, mesjumeaux Jules et Alice en ontonze et j'ai promis a ma femme,Mireille, apres mon accidentvasculaire cérébral (en 2011)que je n'irais plus sur les huitmille Je vis donc a la Fouly,dans une maison que j'ai bâtiea\ec des copains en quatre anset j'exerce la profession de guideet de conférencier Mon amourde la montagne est intact, et jereste passionné par ces cinqgrands elements ou l'aventurepeut s'exercer la montagne, lamer, l'air, les volcans et lesdeserts J'aime toujours skiersur les neiges du monde de laTurquie au Canada, j'aime fairedes randos ou effectuer de bellestiaversees en voiliei maîs il n'ya pas que cette chaîne hima-layennequimemotive J'ai vécudes moments extraordinaires là-bas maîs I ambiance hima-layenne a bien change, et je necroîs pas que j'aimerais vivre cequi se passe aujourd'hui sur lesgrands sommets J'ai le sentimentqu'on a apporté la bas tout cequ'on voulait fuirde laville Alorsqu'on devrait se battre pourproteger ce monde tres fragile

Page 2: JEAN TROILLET - Editions Paulsen · cavernes enfouies sous la ... sur les neiges du monde de la Turquie au Canada, j'aime faire de s rando ou effectuer de belle tiaversees en voiliei

MONTAGNES MAGAZINE HORSSERIE Date : MAI 16Pays : FrancePériodicité : Annuel

Journaliste : Jean-Michel Asselin

Page 2/6

PAULSEN 1249977400508Tous droits réservés à l'éditeur

Jean Troillet auShishapangma en 2009.

E LoretanetJ Troilletau depart vers leLhotse en 1994

Page 3: JEAN TROILLET - Editions Paulsen · cavernes enfouies sous la ... sur les neiges du monde de la Turquie au Canada, j'aime faire de s rando ou effectuer de belle tiaversees en voiliei

MONTAGNES MAGAZINE HORSSERIE Date : MAI 16Pays : FrancePériodicité : Annuel

Journaliste : Jean-Michel Asselin

Page 3/6

PAULSEN 1249977400508Tous droits réservés à l'éditeur

Tu as souvent évoqué deux valeurs : la libertéet l'indépendance.Oui, car j ai eu cette chance de pouvoirvivre comme je l'entendais Mon épouse aété formidable, je pou vais du jour au tendemain sauter dans un train parce qu'uncopain comme Laurent Bourgnon meproposait de traverser l'Atlantique

Qu'est-ce qui est important dans l'aventure?Avant tout ce sont les amis, quand je regardece que j'ai fait, ce sont d'abord des visages,des amitiés qui apparaissent En réalisant celivre* et ce film*, s'il est une chose dont jesuis très fier, ce sont les témoignagesd'amitié qui me sont prodigues Un visageami en fait naître un autre et rien ne peutremplacer cette force de l'amitié Bienévidemment avec l'âge je vois combiennombreux sont ceux qui ont quitte ce mondetrop tôt II y a ce côte dur de la vieillesse quifait qu'on enterre parfois des jeunes et cela,ça marque, on ne peut pas se sentir bienquand on enterre quelqu'un de jeunePourtant la montagne m'a prépare à cela Jeme souviendrai toujours quand j'ai rejointErhard, suite a l'accident qui avait coûté lavie a Pierre Alain Steiner sur les pentes dela face sud ouest du Cho Oyu, juste aprèsl'Everest J'étais parti avec la sœur dePierre-Alain et son amie et c'était uneépreuve douloureuse Pierre-Alain était unêtre vrai, tres pur, qui avait beaucoupsouffert dans sa jeunesse, et la, tout sebrisait J'aurais pu le croire invinciblecar nous avions vécu sur les pentes del'Annapurna une chute qui aurait norma-lement dû avoir raison de nous Nous étions

dans la tempête en train deredescendre de 7 500 metresquand j'ai chute je suispasse sur le dos près dePierre Alain qui n'a puenrayer la chute, il est parti ason tour, quand j'ai enfin puarrêter cette chute, arc boutesur mes piolets, c'étaitinespéré Je croîs que, cejour-la, il y avait deuxbonnes etoiles qui veillaientsur nous et je me demandeencore et encore commentmon piolet a pu tenir '

Le risque est toujours présenten montagne, c'est un compa-gnon indispensable?Personnellement, je n'ai jamais pensé à lamort, je ne vais pas en montagne pour celaJ'ai en revanche eu cette chance de savoirrenoncer Avant ma premiere réussite surun huit mille, le K2,j'avais essuye quèlqueséchecs, et j'ai toujours su qu'il fallait savoirrenoncer J'ai eu la chance que mon sponsorne me pousse jamais au-delà de ce que jesentais possible Quand je partais pour unsommet, je lui disais toujours que j'avaisseulement cinquante pour cent de chance deréussir, que le sommet n'avait rien d'automanque Et mon sponsor avait eu cetteréponse « Ce qui m'importe e'est que turentres » J'ai pu voir combien la pressionmediatique pouvait être dangereuse AuKangchenjunga lorsque Erhard accom-plissait son quatorzième huit mille, BenoîtChamoux, qui le talonnait et qui espérait

UNE CHOSE DONT JESUIS TRÈS FIER, CE SONTLES TÉMOIGNAGESD'AMITIÉ QUI ME SONTPRODIGUÉS UN VISAGEAMI EN FAIT NAÎTRE UNAUTRE ET RIEN NE PEUTREMPLACER CETTEFORCE DE L'AMITIÉ

lui aussi réussir ce challenge, avait lapression des medias sur ses épaules Lesjournalistes essayaient de jouer la-dessusavec Erhard, il n'aimait pas du tout cela etil se refermait complètement

Vous aviez croisé Benoît Chamoux et PierreRoyer alors que vous redescendiez du sommet ?En fait,j'avais repere à la montee un couloirqui allait nous permettre de redescendreplus vite en nous laissant glisser sur lesfesses comme a l'Everest Et du coup, onétait un peu lom des Français, on leur a faitdes signes de ia main auxquels ils ontrepondu Ce n'est que le lendemain quej'ai pu avoir une derniere conversation avecBenoît Chamoux par radio Ce jour desommet, Erhard qui avait la cornée gelées'est arrêté dans un camp intermédiaire, etmoi je suis descendu jusqu 'au camp debase normal, je savais que Mireille venaitd'arriver1

Tu sais, le risque en montagne, il y en aautant qu'en bas quand tu prends la routeentre Geneve et Lausanne, tu risques tapeau La difference c'est qu'en ville ou surles routes on ne choisit pas En montagneon choisit et pour ce qui est des séracs parexemple, encore faut-il aller se mettredessous i Et les alpinistes évitent ce genrede situation au maximum Quant auxpierres qui tombent, je dis toujours qu'onest bien petit en montagne et que les pierresont quèlques difficultés a viser la tête desalpinistes ' Ce qui est risque, c'est l'exercicedu metier de guide car on ne connaît pastoujours les capacites du client avec lequelon est encordé, et puis on est dans laroutine Les seuls accidents que j'ai euse ' est en étant encordé Avec Erhard, noussortions rarement la corde, et c'était unequestion de rapidité et de securite, nousgrimpions souvent de nuit avec cette idée

Page 4: JEAN TROILLET - Editions Paulsen · cavernes enfouies sous la ... sur les neiges du monde de la Turquie au Canada, j'aime faire de s rando ou effectuer de belle tiaversees en voiliei

MONTAGNES MAGAZINE HORSSERIE Date : MAI 16Pays : FrancePériodicité : Annuel

Journaliste : Jean-Michel Asselin

Page 4/6

PAULSEN 1249977400508Tous droits réservés à l'éditeur

Au sommet de l'Everesten 1986.

E. Loretan et J. Troilletau retour de l'Everesten 1986.

d'être toujours rapide et de disposer du jourpour descendre ce qui est souvent la partiela plus délicate de l'aventure Je n'ai jamaiséte un partisan du « ça passe ou ça casse »

Tu as fait un AVC sur les pentes de l'Annapurnaen 2011, alors que tu grimpais en compagniede Blutch (Jean-Yves Fredriksen), que s'est-il passé?J'étais parti pour cette face ouest del'Annapurna avec Jean-Yves (vingt-septans à l'époque) et j'avais bien pris soin dèdire à ma famille que je rentrerai ' Or nousétions à plus de six mille mètres pres denotre bivouac quand j'ai vu tout tournerautour de moi, j 'avais l'impression detourner moi-même autour de la broche àglace sur laquelle j'étais vache Et puisj'étais tout blanc Je ne pouvais plus tenirdebout, il a fallu que je descende à quatrepattes Nous avons dû bivouaquer unenouvelle fois avant le camp de base, Jean-Yves se moquait de moi, c'est comme sij'étais saoul Mentalement,j'allais très bienmaîs physiquement, c'était très dur Nousavons passé une nuit sous la neige quitombait et le lendemain toujours à quatrepattes, j'ai pu rejoindre le bas de la face etensuite, en m'appuyant sur un bâton et surl'épaule de Jean-Yves, j 'ai pu atteindre lecamp de base Nous avons ete héliportéssur Katmandou et j'ai attrapé une bactériequi m'a encore fait perdre plus de dix kilos,je n'étais pas beau à voir et ce n'est quedes semaines plus tard, en Suisse, que des

examens ont révélé que j'avais fait un AVC,c'est la première fois que je faisais uncheck-up ' Pour moi le message était clairil fallait que j'arrête Et quand la familleest arrivée dans ma chambre, ça a étéunanime maintenant, les huit mille, tuoublies ' Alors j 'ai arrêté, bien conscientde toutes ces très belles années que j'aivécues Je croîs qu'en termes de montagne,j'ai fait de très belles choses, maintenantje ne peux plus faire mieux, maîs il n'y a pasque l'Himalaya sur cette planete, d'autresaventures m'attendent, différentes, maîstout aussi belles L'histoire de ce film JeanTroillet, toujours aventurier et de ce livre"que m'a proposé Christophe Raylat, deséditions Paulsen-Guénn, entre dans ceprocessus II est clair qu'il était bon de serepencher sur cette ascension de l'Everesttrente ans en arrière, maîs aussi de sesouvenir de cette descente en snowboardde la face nord de l'Everest depuis8700 mètres, après une ascension menéetambour battant en compagnie de ApaSherpa qui, en 1997, avait déjà gravi huitfois l'Everest Je me souviens surtout decette indolence au sommet avec Erhard,nous étions si bien sur ce toit du mondeNous n'avions même pas les mots pourexprimer notre bien-être, dans le dtctaphonej'avais juste enregistre « Nous sommes ausommet de l'Everest, il fait grand beau ' »

Quel est le sens profond de ton alpinisme?Je croîs que je grimpe des montagnes tout

JEAN TROILLETTOUJOURS AVENTURIER

Sur les flancs du mont Dolent en Valais a3040 metres d altitude un petit bivouac

est le theatre degrandes rencontresPendant dix jours soustente dans descend -tions de vie simila ras acelles de ses expedilions Jean Troillet estinvite par son ami leréalisateur SebastienDevnent a revisiter lesmoments forts de sa

vie cinquante ans d alpinisme quaranteans d expéditions trente ans d Himalaya aplus de 8 000 metres Au fil des jours et desrécits vingt-six invites-surprises rendentvisite a Jean Troillet Certains marchentlusqu a lui pour partager vingt quatre heuresau bivouac d autres s immiscent virtuelle-ment dans I intimité du camp par le biaisd nterviews projetées sur la toile de la tente

Page 5: JEAN TROILLET - Editions Paulsen · cavernes enfouies sous la ... sur les neiges du monde de la Turquie au Canada, j'aime faire de s rando ou effectuer de belle tiaversees en voiliei

MONTAGNES MAGAZINE HORSSERIE Date : MAI 16Pays : FrancePériodicité : Annuel

Journaliste : Jean-Michel Asselin

Page 5/6

PAULSEN 1249977400508Tous droits réservés à l'éditeur

simplement parce qu'elles sont la, commele soulignait Georges Mallory, un pionnierde l'Everest Mon pere, Paul, n'était pasguide maîs avec ma mere, Adnenne, ilaimait profondement la montagne et dansnotre famille, nous descendions d'unelignée de guides célèbres en Suisse lesCrettex Mon pere avait un petit magasin aOrsieres, la capitale du val Ferret, il vendaitde tout des skis, des outils pour la ferme,et même des cercueils C'était un hommequi parlait peu maîs vrai, et qui était tressimple Avec mes quatre freres, nous passions du temps dans les alpages ou notregrand-père et mon oncle possédaient destroupeaux J'ai commence l'alpinisme avecmon grand frere Daniel, qui est le premiera être devenu guide A dix-sept ans, avec lui,j'avais gravi la Bonatti au Grand CapucinNous avions une journee de retard sur notreprogramme et les parents étaient tresinquiets, mon pere qui s'occupait dessecours en montagne savait malheureusement qu il faut parfois craindre le pire Moije n'étais pas inquiet, a partir du moment ouj'étais avec mon grand frere, je pensaisqu'il ne pourrait rien m'amver C'était monmodele j'avais une totale confiance en luiLa montagne m'adoucissait En revanche,je n ai jamais aime la compétition du style« patrouille des glaciers » Je m'imaginemal passer des heures derrière celui qui meprécède Ce sont surtout les medias quiaiment cet aspect de la montagne, moij'aime lajoie de me surpasser, maîs mêmesi je souffre a certains moments, c'est lesourire qui importe Tu vois, il y a troismoments qui sont fantastiques quand onva gravir des montagnes lointaines lemoment du sommet, le moment de l'arrivéeau camp de base et puis celui de l'arrivéeà l'aéroport quand tu franchis le dernierportillon et que ta famille court se jeter dans

MOI J'AIME LAJOIE

DE ME SURPASSER,

MAIS MÊME Sl JE

SOUFFRE À CERTAINSMOMENTS, C'EST LESOURIRE QUI IMPORTE

tes bras La montagne nous rend modestes '

La famille compte beaucoup pour toi ?La famille est un element essentiel Quandje suis devenu papa,j'ai su que c'était bienplus fort, plus impressionnant, que n'importequel Everest ou autre traversee des oceansAvoir des enfants, c'est vivre une aventurequi ne finira jamais J'ai de la chance d'avoirdes enfants qui aiment la nature, qui veulentaller de l'avant II faut évidemment les tenirun peu, leur donner des limites maîs c'est unregal Je les ai emmenés au Nepal et nousirons aussi dans le grand Ouest canadien(leur seconde patrie ')

Ton père te disait : «Fais ce qui te plaît, maisfais le bien ». Est-ce une parole que tut'efforces de transmettre?Oui, il faut apprendre a être content de ceque l'on fait Mon pere détestait la tricherie,sauf aux cartes, ce qui nous valait de bellespartie de rire, alors oui il faut ne pas tricheret être meilleur dans ce que I on entreprend

Que penses-tu du solo?J'en ai fait pour savoir ce que cela signifiaitmaîs ce n'est pas mon truc, j'aime être enmontagne avec des copains et partager cesmoments exceptionnels Et si j 'avais unmessage a passer auprès des jeunes, çaserait de leur dire grimpez avec des potes,partagez vos passions Ne soyez pas desmoutons, choisissez des endroits ou vouspourrez vivre vos aventures, lom desfoules II est inutile d'aller au Cervin ouau mont Blanc en plein ete, préferezd'autres moments, n'amenez pas enmontagne les défauts de la ville sa pollu-tion et ses comportements

Comment comprends-tu le monde d'aujour-d'hui avec ses cortèges de violence?

Je croîs que I on ne sait pastoujours ce que certains ontvécu, maîs je croîs aussi queles religions et les politiquesne font pas toujours du bienElles abritent trop de tri-cheurs et de menteurs Quandtu penses, par exemple, quenotre religion nous dit quel'on naît avec le pecheoriginel alors que c'est uneinvention du XIIe siecle etje ne parle pas de lapedophilie ' Bref les pohticiens et les religieux ontsouvent un vrai manque derespect pour les êtres humainsTu sais, je m'occupe degamins qui sont en prison, et

REPERES

Jean Tra Ilet det ent avec Erhard Loretan lerecord de v tesse de I ascens on de I Everesten 1986 par la face nord 43 heures aller etretour Guide de montagne (depuis 1969)marin il a ete I equip er de Laurent Bourgnonsur PrimagazPhotographe pour la revue Amman et gu dede ski héliporté il a partage plusieursaventures avec Nike Horn dont une tentative de la traversee du Groenland et I ascension des Gasherbrum I et ll au Pak stanLes « huit mille » de JeanK2 8611mDhaulagir 8167mEverest 8 848 mChoOyu 8201 mShishapangma 8046mMakalu 8463 mLhotse 8516mKangchenjunga 8586mGasherbrum I 8068 mGasherbrum ll 8035m

ils me disent « Nous, on a vole des portables, on paye notre dette maîs on a I impres-sion que ce n est pas le cas de tout lemonde » Alors j essaye de leur dire qu'il nefaut pas toujours regarder à l'extérieur maîsbien en eux-mêmes et je les emmené enmontagne, on fabrique des igloos, on vasur des sommets, ils adorent ça, ils sont toutfous d'être la haut, puis on redescend et làils prennent le bus pour retrouver la prisonCertes ils doivent payer pour les connenesqu' i ls ont faites maîs il faut aussi leurdonner les moyens de se racheter Je necroîs pas aux religions maîs je croîs auxforces de l'esprit Je ne peux l'expliquermaîs c'est vrai qu'avec Erhard, au sommetde l'Everest, on sentait une presence, peut-être que notre cerveau était dérange, maîscela ne suffit pas pour décrire ce que nousressentions

Tu songes à la mort?Oh la mort, c'est quand on arrête de rêver,et c'est vrai que je connais des gens quin'ont plus de rêves, ce sont des mortsdebout, ils subissent leur vie II faut avoirdes rêves, il faut aussi faire en sorte de lesrealiser C'est ce que je fais et ferai tout letemps qui me sera donne •

* [aventure absolue de Jean Troillet et Pierre Rouyer (EditionsFavre et le Mat n) paru en 2001** Jean Troillet une vie a 8000 metres Editions Guerin (avecPierre Dominique Chardonnens)

Page 6: JEAN TROILLET - Editions Paulsen · cavernes enfouies sous la ... sur les neiges du monde de la Turquie au Canada, j'aime faire de s rando ou effectuer de belle tiaversees en voiliei

MONTAGNES MAGAZINE HORSSERIE Date : MAI 16Pays : FrancePériodicité : Annuel

Journaliste : Jean-Michel Asselin

Page 6/6

PAULSEN 1249977400508Tous droits réservés à l'éditeur

Le livre Jean Troillet,une vie à 8000 mètres,Buffet-Chardonnens,sorti aux ÉditionsGuérin en 2016.

Jean Troillet, ErhardLoretan et VoytekKurtyka aprèsleur ascension duShishapanqma en 1990,

Pierre Morand etJean Troillet au sommet 't **

du K2 en 1985.

Pendant la tentativeen snowboard à

l'Everest en 1997.

•SAV