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JEANNE D’ARC PAR ELLE- MÊME Œuvre médiumnique dictée par l’Entité Jeanne d’Arc au médium psychographe Ermance Dufaux 1

Jeanne d'Arc par elle-même Médium Hermance Dufaux yjsp.doc

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jeanne dArc par elle- mme

uvre mdiumnique dicte par lEntit Jeanne dArc

au mdium psychographe Ermance Dufaux

jeanne dArc DICTEE PAR ELLE-MEME

uvre mdiumnique dicte par lEntit Jeanne dArc

au mdium psychographe Ermance Dufaux

histoire de jeanne dArc dicte par elle-mme au Mdium Ermance Dufaux

TABLE DES MATIERES

PREFACE

5INTRODUCTION

8CHAPITRE I

10CHAPITRE II

22CHAPITRE III

34CHAPITRE IV

46CHAPITRE V

56CHAPITRE VI

69CHAPITRE VII

76CHAPITRE VIII

84CHAPITRE IX

106CHAPITRE X

141CHAPITRE XI

150APPENDICE

157PREMIERE LETTRE

157DEUXIEME LETTRE

159TROISIEME LETTRE

161ANNEXE OMD

164

prfaceL'Union Spirite Franaise et Francophone se fait un scrupule de prfacer la nouvelle dition de Jeanne d'Arc par elle-mme , obtenue grce une jeune fille de 14 ans : Ermance Dufaux.La prcoce mdiumnit de cette mdium fut observe et contrle par Allan Kardec, lequel crivait dans la Revue Spirite de mars 1858 : En parlant de l'histoire de Jeanne d'Arc, dicte par elle-mme, nous avons dit que Mlle Dufaux avait crit de la mme manire l'histoire de Louis XI. Ce travail, l'un des plus complets en ce genre, contient des documents prcieux au point de vue historique.Au point de vue spirite, c'est l'un des plus curieux chantillons des travaux de longue haleine produits par les Esprits. A cet gard, la rapidit de l'excution (quinze jours on suffit pour dicter ce rcit) ; secondement, le souvenir prcis qu'un Esprit peut conserver des vnements de la vie terrestre. A ceux qui douteraient de l'origine de ce travail et en feraient honneur la mmoire de Mlle Dufaux, nous rpondons qu'il faudrait en effet d'une enfant de 14 ans une mmoire bien phnomnale, d'un talent d'une prcocit non moins extraordinaire, pour crire d'un seul trait un ouvrage de cette nature ; mais supposer que cela ft, nous demandons o cette enfant aurait puis les explications indites de cette fabuleuse pope. Des diverses histoires crites par son entremise, celle de Jeanne d'Arc est la seule qui ait t publie. Nous faisons des vux pour que les autres le soient bientt et nous leur prdisons un succs d'autant plus grand que les ides spirites sont aujourd'hui infiniment rpandues. Il faut donc considrer que la dicte reue par Ermance Dufaux est une des ces nombreuses interventions de l'au-del au cours de notre longue histoire franaise. Ce qui veut dire aussi que jamais notre humanit n'est reste sans direction, sans point de repres. C'est dans tous les temps et dans tous les pays que l'on retrouve sous diffrents aspects le souvenir ou les traces incontestables de ces interventions. C'est un constat plus qu'une loi que d'observer ce genre de faits, car c'est en gnral dans la seconde moiti de chaque sicle que se manifestent le plus clairement ces bienveillantes interventions des guides invisibles qui prsident nos destines.La sublime Jeanne d'Arc qu'aurolent nos souvenirs de sympathie douloureuse et de profonde reconnaissance, a sans aucun doute t une dlgue autorise par Dieu se manifester du monde spirituel aux hommes de notre terre.

Quant Ermance Defaux, son travail mdiumnique fut l'aube des capacits de sa facult hors du commun. Qu'une adolescente sans presque aucune connaissance en histoire de France, ni encore bien moins capable de formuler des critiques ou des jugements philosophiques, puisse crire avec tant d'indits la vie de Jeanne d'Arc, cela relve soit de la supercherie, soit du mystre du miracle.

Il y a dans ce fait ni l'une ni l'autre de ces hypothses, mais une simple corrlation avec F avnement prodigieux du Spiritisme, de son but unique, son but sacr : Donner aux hommes des vrits nouvelles, afin de les aider s'amliorer, pour que leur destine soit de plus en plus heureuse dans la paix et la flicit divine...L'toile de vrit brille aux clestes sommets bien au-dessus de notre humanit, et les sentiers qui y conduisent sont ardus et difficiles. Mais qu'import puisque l'homme, de par la misricorde divine sera toujours clair par les signes du pass, du prsent et du futur.Jeanne est le symbole vivant de la misricorde divine, de l'abngation et du sacrifice. Nous ne doutons pas que ce rcit, dicte par elle-mme, ne pntre dans l'intelligence du cur des lecteurs de par son origine mdiumnique, grce aux facults d'une humble jeune fille.Ce rcit tablit une relation avec le fait historique tant dans sa prcision chronologique que de par l'union permanente du mdium avec l'esprit de l'hroque Jeanne d'Arc, en raison de l'accomplissement de sa sublime mission terrestre.

Jsus le Christ disait selon des exgtes : Si j'ai mal parl, montrez-moi en quoi j 'ai err . Jeanne a bien parl, et elle n'a en aucun point, aucun moment err, car les voix de ses guides invisibles l'ont toujours aide jusqu'au stade ultime et sublime de sa mission, comme l'a fait pour sa part le matre de Galile au regard du gomtre du monde, ternellement agissant pour le bonheur de ses cratures...

La vie de Jeanne d'Arc dicte par elle-mme est la dmonstration de l'harmonie qui prside aux actions quotidiennes des hommes comme des peuples avec le monde invisible, laquelle maintient l'ordre tabli par l'unit et la puissance du crateur et de sa loi de justice, de bont, de charit.Jeanne, par intermdiaire de la jeune mdium Ermance Dufaux, a ralis son testament spirituel unique en vrit et en amour pour le genre humain afin que ce dernier ne puisse retomber dans les horreurs du pass, comme du prsent, afin que l'avenir nous garde des fausses vrits. Pour elle, chercher Dieu est d'un effet efficient dans tout ce que la nature a de vie et d'action. Cherchons-le donc comme Jeanne le cherchait et arrivait entendre ses voix, pour lui montrer que jamais rien de ce qu'il fait n'est inutile. Il a t donn, nous disent les Esprits instructeurs, ceux qui cherchent la vrit, le pouvoir de soulever le voile des mystres. Jeanne serait encore un mystre si elle n'avait soulev de par sa mission le voile du mystre de son incarnation.Ne pensait-elle pas que :Les cieux pour les mortels sont un livre entrouvertLigne ligne, leurs yeux, par la nature offertNous ne saurions dans cette prface ngliger ce qu'a crit Lon Denis dans son livre magistral Jeanne d'Arc mdium : la mission de Jeanne d'Arc est une des plus belles qui s'offre aux recherches du penseur. Captivante entre toutes, c'est ce caractre admirable o s'unissent et se fondent les qualits en apparence les forces les plus contradictoires : la force et la douceur, l'nergie et la tendresse, la prvoyance, la sagacit, l'esprit vif ingnieux, pntrant, qui sait en peu de mots, nets et prcis, trancher les questions les plus difficiles, les situations les plus ambigus.

L'Union Spirite Franaise et Francophone remercie la maison d'dition dirige par Philippe Hnault d'avoir judicieusement choisi comme grande premire de faire rditer ce livre que beaucoup de spirites, et fortiori les non spirites, ignoraient jusqu'alors.Roger FEREZ

Prsident de l'Union Spirite Franaise et Francophone U.S.F.F.

- 1, rue du Docteur Fouraier -37000 Tours

introduction

Ne d'un simple laboureur, ma vie et d tre calme et paisible comme le ruisseau inconnu qui coule sur le gazon ; il n'en fut pas ainsi : Dieu ne le voulut pas ; Ce ne fut pas l'ambition, mais les ordres imprieux du Ciel qui me firent sortir de mon humble condition. A mes yeux les fleurs des champs taient mille fois plus belles que les pierreries des rois, et je considrais la gloire comme un flambeau qui brle le papillon qui ose s'en approcher.Je ne m'enorgueillis pas de ma mission, la regardant comme une goutte de rose chue par hasard un brin d'herbe qui la laisserait bientt tomber, pour se scher comme ses semblables. A peine cette carrire m'eut-elle t ouverte, que mille obstacles surgirent pour me dcourager : je doutai alors du Ciel et de moi-mme, mais Dieu ne m'abandonna pas, de nouvelles apparitions vinrent me rassurer : II voulait seulement me montrer que, sans lui, je ne pouvais rien ; que jtais comme les roues qui font marcher le char, mais qui sont inutiles si une force trangre ne leur donne pas le mouvement. Il voulait chasser de mon me l'orgueil qui s'en ft indubitablement empar, si sa prvoyante sollicitude ne m'eut pas dvoile ma faiblesse. Voir ma patrie libre des fers honteux qui la retenaient captive, c'tait le plus doux rve de ma jeune vie ; une vague tradition du foyer paternel disait qu'une femme le raliserait, et le Tout-Puissant, par un miracle, m'apprenait que cette femme c'tait moi ! ... moi l'humble vierge de Domrmy * ! ... Quel tre si parfait n'et senti cette pense son me tressaillir d'orgueil ? La rvlation m'anantit ; le Dmon m'attaqua ; Dieu le vainquit pour moi.

*Aujourd'hui Domrmy-la-Pucelle (note de l'diteur)Je m'attendais trouver une route large et facile qui me mnerait au but, au milieu de mille fleurs : mais hlas ! des rochers, des prcipices chaque pas me barraient le passage. Tous mes efforts, toutes mes tentatives demeuraient inutiles : Dieu alors me prenait par la main ; II me faisait gravir les uns et franchir les autres. Je reconnus mon impuissance, et j'appris tout attendre de Lui, de Lui seul. Je trouvais des pines l o j'attendais de fleurs ; elles m'taient bien pnibles, mais elles loignaient mes pas de l'abme que je ctoyais. Toujours le vent me faisait ployer, quand je croyais tre assez forte pour le braver ; mais la main qui m'avait place au milieu de l'orage m'empchait d'tre brise.Pour que je ne devinsse pas inutile pour ne pas dire nuisible aux projets du Ciel, il fallait qu'un guide sr me maintnt dans la bonne voie : Dieu permit ses saints de tomber sous mes sens, en prenant des formes visibles. Ces visions taient pour moi comme l'aimant qui dirige toujours vers le nord l'aiguille de la boussole ; j'tais sre de ne pas m'garer en suivant leurs conseils ; que ne les ai-je toujours couts !Devenue l'mule des Dunois, de La Hire, des Xaintrailles, je n'en fus pas plus heureuse ; le bonheur ne se trouve pas dans les palais, comme les hommes le pensent, mais plus souvent dans les chaumires et dans le cur des humbles. Les plaisirs mondains sont comme les fleurs de l'Ephmre ; mais ceux que donne le devoir sont comme celles de l'Immortelle, qui ne se fanent jamais.La leve du sige d'Orlans, la journe du sacre et les victoires remportes par les Franais taient pour moi des vnements heureux ; mais ils ne me donnaient pas ce bonheur pur que je gotais dans la chaumire ; je regrettais mes couronnes de bleuets et de noyers. J'esprais revoir mes riantes montagnes... Hlas ! ma mission accomplie, il fallut encore rester: les vux du Roi et de la France me retinrent... peut-tre aussi les miens.Prires, avis, menaces, mes clestes protecteurs n'pargnrent rien pour me sauver : hlas ! on et dit qu'un fatal bandeau drobait ma vue le gouffre qui devait m'engloutir. Mon imprudence me donna de nouveaux droits la gloire : au titre de libratrice je joignis celui d'infortune ; j'achetai l'un au prix de mon bonheur et l'autre au prix de ma vie. Le malheur sacre les hros comme le sang sacrait les lus du cirque ; sous un buisson d'pines, la gloire, comme la violette, parat plus belle aux yeux de tous ; pure par le malheur, elle est pour ainsi dire entoure d'un cercle de feu que le serpent de l'envie n'ose approcher.Si j'ai perdu sur la terre un bonheur passager, l'innocence de ma vie, les chanes de la prison et les flammes du bcher m'en ont acquis un qui ne passera jamais.CHAPITRE I

Je reus le jour Domrmy, pauvre village prs de Vaucouleurs, de Jacques d'Arc et Isabeau Daix, sa femme. Ma mre n'tait connue Domrmy que sous le nom de Rome, voici pourquoi : Jean Rome tait un honnte laboureur de Domrmy. Un jour qu'il allait ramasser des rames au bois Chesnu, il rencontra une petite fille abandonne, qui avait environ six ans. Il apprit d'elle, non sans peine, qu'elle se nommait Isabeau Daix, et que les Bourguignons l'avaient chass du village de Macey, aprs avoir massacr ses parents, qui taient Armagnacs. Touch de piti pour le sort de cette enfant, et ne pouvant se rsoudre l'abandonner, tandis que le Ciel lui confiait d'une manire si vidente, il l'emmena chez lui et Fleva comme si elle lui et appartenue, quoiqu'il et dj deux filles : Jeanne et Ameline. Quand elle fut en ge de s'tablir, il la maria mon pre qui s'tait fix Domrmy depuis quelque temps, et lui donna pour dot la chaumire dans laquelle je suis ne. J'avais dj trois frres : Jacquemain, Jean et Pierre, et une sur nomme Isabeau.Mes parents, pauvres et honntes, ne me donnrent qu'une ducation convenable leur tat : j'appris coudre, et je filais, quand je ne gardais pas les btes avec ma sur. Ds mon enfance j'avais t nourrie dans les grands sentiments de pit et d'amour pour mon lgitime souverain, ainsi que dans une forte haine pour les Anglais, haine que n'augmentaient pas peu les ravages de la guerre et les rcits, trop souvent exagrs, des cruauts qu'ils exeraient continuellement contre ceux qui n'avaient pas trahi leur patrie et qui taient rests fidles leurs souverains ; surtout contre les malheureux paysans, toujours les premires victimes de la guerre. Hommes, femmes, vieillards, enfants mme, tous s'entretenaient journellement des malheurs de l'infortun Charles VI, que l'on tait loin de rendre responsable des maux qui affligeaient la France, maux qu'on attribuait surtout la coupable Isabeau de Bavire, femme dnature, qui sut affranchir son cur des sentiments que les animaux les plus froces ne peuvent touffer, et qui s'oublia au point d'arracher du front de son fils un diadme dont il tait le lgitime hritier. Les infortunes sans nombre qu'prouvaient les Franais ne purent diminuer l'attachement qu'ils avaient pour Charles VI, ni lui faire perdre le titre de roi bien-aim, titre le plus noble qu'un souverain puisse envier, qu'il garda toujours. On ne cessait non plus de clbrer les mille vertus du jeune dauphin Charles et ses grandes qualits, qui semblaient prsager la France un brillant avenir, s'il montait un jour sur le trne de son pre. Ma famille, mes compagnes, et moi en particulier, nous ne cessions d'adresser au Ciel de ferventes prires pour flchir sa colre, obtenir l'expulsion des ennemis et le rtablissement du lgitime souverain.

Un jour, j'tais alors ge de treize ans, je filais assise sous un chne, dans le jardin de mon pre, lorsque j'entendis une voix qui m'appelait. Ne voyant personne, je crus avoir t le jouet de mon imagination ; la mme voix se fit entendre quelques secondes aprs. Je vis alors, dans une nue tincelante, saint Michel accompagn d'anges du Ciel. Il me dit de prier, d'esprer que Dieu dlivrerait la France, et que bientt une jeune fille, sans toutefois me dire son nom, serait l'instrument dont II se servirait pour chasser les Anglais et remettre la France sous l'autorit de ses rois lgitimes. A ces mots ils disparurent, me laissant dans un profond tonnement et fort effraye d'une telle apparition ; je vouai sur-le-champ ma virginit Dieu. Me voyant rveuse, ma sur Isabeau, qui venait de me rejoindre, me dit en riant :- Que fais-tu l, paresseuse, regarder en l'air ? Que ne t'occupes-tu plutt de ton ouvrage ? Ma sur tait plus ge que moi de quelques annes ; elle tait doue d'un caractre ferme et d'un rare bon sens. Je n'avais jamais eu de secret pour elle ; aussi n'hsitai-je pas lui confier ce qui venait de m'arriver, avec la ferme rsolution de suivre ses conseils. Aprs m'avoir coute, elle me dit que j'tais folle ; que, sans doute, je m'tais endormie, l'esprit fortement proccup des affaires de la France ; que cette vision n'tait qu'un jeu de mon imagination trop ardente. Voyant que je persistais nier toutes les suppositions qu'elle put faire pour branler ma conviction, elle me dit qu'elle me croyait de bonne foi, mais qu'elle me conseillait de ne parler personne de cette aventure. Je suivis son avis ; nous n'en parlmes plus et ce fait tomba bientt dans l'oubli ; mais ce ne fut pas pour longtemps.A environ un mois de l, je revis l'archange et ses anges. Il me donna de bons conseils, et me dit diffrentes choses sur les affaires de la France. Ses visites devenaient assez frquentes ; un jour il me dit que je verrais bientt sainte Catherine et sainte Marguerite.- Fille de Dieu, ajouta-t-il, suis leurs conseils, et fais ce qu'elles te diront ; elles sont vritablement envoyes par le roi du Ciel pour te conduire et te diriger ; obis-leur en tout.Bientt je vis avec lui deux jeunes femmes d'une radieuse beaut. Elles taient magnifiquement vtues ; elles portaient sur la tte des couronnes d'or ornes de pierres prcieuses. Je m'agenouillai, et je leur baisais les pieds. L'une d'elles me dit qu'elle se nommait Catherine et l'autre Marguerite. Elles me rptrent ce que saint Michel m'avait dit sur la France, et disparurent. Saint Michel, les anges et elles m'apparaissaient rarement, mais j'entendais frquemment leurs voix accompagnes d'une grande clart.Un an aprs, je vis encore les trois saints, que me dirent la mme chose, en m'ordonnant toutefois de le rvler le soir la veille. Le soir, toute la famille et quelques voisins taient runis autour du fauteuil de ma grand'mre ; la conversation tomba, comme de coutume, sur les malheurs prsents. Charles VI avait, depuis quelques annes, termin sa malheureuse existence ; les affaires de la France n'en taient que plus dsespres, et la perte de ce malheureux royaume semblait invitable ; car, chaque jour, chaque heure, les Anglais remportaient de nouveaux avantages sur les Franais dcourags. Le seul remde ces maux tait le rtablissement de Charles VII, que les ennemis appelaient par drision : le roi de Bourges. J'obis l'ordre des saints, qui m'avaient prescrit de rvler la prochaine dlivrance de la France ; mon pre, en m'entendant parler ainsi, m'imposa silence svrement ; ma sur Isabeau, qui l'avait entendu par elle-mme, me soutint vivement, et chacun, car il tait tard, se retira rveur.Quelques mois aprs, tant garder les btes, j'entendis une voix qui m'appelait par mon nom ; je revis encore une fois saint Michel, sainte Marguerite et sainte Catherine, qui, cette fois, me dirent que la jeune fille, dont ils m'avaient dj parl, serait moi. Ils disparurent aussitt, me laissant immobile et ne sachant que penser d'une rvlation aussi peu attendue. Je m'en allai bien rsolue de le dire mon pre, afin de prendre ses conseils. Comme la fois avant, il fut incrdule ; mais une voix dit tout coup :- Ce que Jeanne dit, tu dois le croire ; car c'est la vrit.Un de mes oncles, nomm Raymond Durand, dit, Laxart, beau-frre de ma mre, ayant appris cela, dit qu'il fallait laisser agir la Providence ; qu'elle ne pouvait manquer de bien faire.Il y avait Domrmy un laboureur nomm Conradim de Spinal. C'tait le seul Bourguignon qu'il y et dans mon village. J'prouvais pour lui une forte antipathie (1) ; j 'en triomphai cependant jusqu' tenir avec lui un enfant sur les fonts de baptme ; ce qui tablissait cette poque, une sorte de parent entre les parrain et marraine.

(1) On m'accusait d'avoir dit diffrentes fois que je voudrais qu'il ait la tte coupe ; ce souhait tait trop incompatible avec ma pit, pour que je ne l'eusse jamais form ; j'ai seulement dit, plusieurs reprises, que je dsirais que Conradim changet de parti (note de Jeanne)

Les habitants de Domrmy n'avaient connu les maux de la guerre que par ou-dire ; on apprit bientt que les Bourguignons ravageaient les environs et avanaient mme sur le village ; tous les habitants prirent la fuite, emmenant leurs troupeaux et leurs effets les plus prcieux ; ils allrent se rfugier Neufchtel (1) en Lorraine. Ma famille et moi nous logemes chez une bonne femme, je menai les btes de mon pre dans les champs, avec ma sur Isabeau ; le reste de mon temps, j'aidais notre bonne htesse dans les soins du mnage, avec ma mre et ma sur. C'tait une bien triste chose que Domrmy, quand nous y revnmes: l'glise avait t livre aux flammes ; les bls, les grains taient dvasts ; les arbres fruitiers coups ou renverss ; les vignes arraches et les maisons pilles ; en un mot, on et dit qu'un torrent dvastateur tait pass par ce hameau jusque-l si calme et paisible. Ce ne fut qu'avec un serrement du cur que je revis ces lieux chris, encore si riants quelques jours auparavant. La dsolation tait encore plus grande dans l'enceinte sacre : les autels taient profans, les statues des saints et les crucifix briss ou couverts d'immondices ; les images sacres, devant lesquelles j 'avais si souvent allum des cierges ou dpos des fleurs, avaient t la proie des flammes ; les murs, noircis par la fume de l'incendie, semblaient tre revtus d'un linceul de deuil et de dsolation ; un silence lugubre rgnait partout o l'on entendait auparavant les chants des femmes et des jeunes filles, les mugissements des bestiaux, les cris des volailles et les bruits du travail. Qu'elles furent ferventes ce jour-l mes prires, et que de fois je suppliai Dieu de prendre tout mon bonheur, tous les jours de ma vie, pour dlivrer ma patrie de ces terribles calamits ! Quand mon pre et mes frres revinrent des champs, ils nous apportrent la triste certitude que nos moissons taient perdues et que toutes les horreurs de la misre allaient svir o, quinze jours auparavant, rgnaient l'aisance et la prosprit. Le cur humain est une bien triste chose ! Non content des maux qui nous accablaient, chacun de nous cherchait avec une sorte de plaisir soulever le voile de l'avenir, pour y chercher quelque nouveau sujet d'alarmes, comme si Dieu n'tait par toujours l pour pourvoir tout.(1) Aujourd'hui Neufchteau (note de Jeanne)Etant Neufchtel, un jeune homme de Toul, qui y tait venu pour affaire, me vit tandis que je priais dans l'glise ; touch de ma beaut et de ma pit, il conut le projet de me prendre pour femme. Il prit sur moi et sur ma famille des renseignements qui l'affermirent encore dans sa rsolution. Quand nous fumes de retour Domrmy, il vint me demander mon pre, qui m'accorda sans peine. Le jeune homme tait bien sous tous les rapports, et il possdait une petite aisance. Mon pre ne savait trop ce qu'il devait croire de mes visions, un songe qu'il avait eu, o il me voyait partir avec des gens d'armes, lui faisait souhaiter vivement mon tablissement, malgr mon jeune ge ; comme je lui avais toujours obi, ainsi qu' ma mre, avec une soumission aveugle, il crut que je consentirais sans peine ce qu'on attendait de moi ; il fut donc aussi surpris que furieux, quand je rpondis simplement, mais avec fermet, que je ne voulais pas me marier. Il me menaa de me battre, et m'enferma dans une chambre pour que je fisse mes rflexions. Le lendemain je rptai la mme chose ; il eut recours alors un moyen qu'il crut efficace : ce fut d'engager le prtendant m'assigner devant le juge. Il le fit en effet ; mais quand je sus que j'tais cite comparatre, je dclarai en face mon pre et au jeune homme que, si je me mariais jamais, ce ne serait pas avec lui, et que je prfrerais labourer la terre avec mes ongles plutt que d'tre sa femme. Mon pre, ma mre, ma famille, mes amis, tous s'entremirent pour me faire changer d'avis ; leurs instances m'irritaient, mais elles affermirent encore ma rsolution. Lorsque je partis pour Toul, mon pre me dit que, puisque j'tais si ttue, je n'avais qu' me tirer d'affaire comme je pourrais ; qu'il tait bien dcid ne pas m'aider le moins du monde. Je jurai devant le juge de dire la vrit, et je protestai que je n'avais fait aucune promesse au jeune homme ; celui-ci soutint obstinment le contraire.

- Eh bien ! Alors, lui dis-je, montrez vos preuves.

Comme il n'en avait pas, il se trouva fort embarrass, et il avoua que je ne lui avais jamais fait de promesse de mariage, et que, s'il l'avait dit, c'tait pour me contraindre l'pouser.Pendant plusieurs annes mes rvlations ne transpirrent pas au-del du cercle habituel d'amis. Un jour les voix me dirent :- Jeanne, va trouver le sire de Baudricourt, commandant de gentilshommes pour te conduire au roi, qui, son tour te donnera des gens d'armes pour faire lever le sige d'Orlans; tu le mneras ensuite Rheims, pour tre sacr. Tu trouveras Sainte-Catherine-de-Fierbois, dans le tombeau d'un vaillant chevalier, qui repose derrire le matre-autel, une pe sur la lame de laquelle il y a cinq croix. Ce que nous venons de te dire, et ce que nous t'avons rvl auparavant, nous l'avons fait par ordre de Dieu et par celui de saint Louis, protecteur de la France.J'avais demand aux saints si je devais dire cela mes parents ; ils me rpondirent que je fisse comme je voulais, mais que cependant ils ne m'en donnaient pas le conseil, de crainte que mes parents ne missent obstacle mon voyage. C'tait bien ma pense ; l'espce d'incrdulit de mon pre, touchant mes voix, ne m'encourageait pas lui confier qu'elles me disaient de partir ; je n'osai mme pas en parler ma mre ni mes frres ; mais je dis tout ma sur Isabeau. Les voix me pressaient sans cesse de partir ; je ne pouvais plus durer o j'tais ; il y avait prs d'un mois que je cherchais inutilement une occasion pour aller Vaucouleurs, F insu de mes parents, lorsque mon oncle Durand, qui demeurait au Petit-Burey, village entre Domrmy et Vaucouleurs, vint passer quelques jours la maison. J'avais beaucoup de confiance en lui, et d'ailleurs il avait dclar formellement mon pre qu'il croyait ma mission cleste. Je lui racontai ce que les voix m'avaient dit, en le priant de me fournir les moyens d'excuter ce voyage. Il me promit de se rendre chez messire Robert de Baudricourt et de lui parler de moi. Il y alla en effet ; mais messire Robert lui dit que j'tais une extravagante, qu'il fallait m'administrer une bonne vole de claques et de coups de bton pour me gurir de ma folie. Je recommandai bien mon oncle de n'en rien dire mon pre, qui et fort bien pu mettre la recette en pratique.Quelque temps aprs, je trouvai le moyen de me rendre Vaucouleurs avec Pierre, le plus jeune de mes frres. J'allai trouver le sire de Baudricourt, qui, aprs m'avoir entendue, ne fit que rire de ce qu'il appelait un rve djeune fille.Comme mon frre tait charg d'une commission pour mon oncle Durand, je retournai seule Domrmy, assez dcourage du peu de succs de cette dmarche. Il y avait, prs du village, une belle fontaine ombrage par un vieux tilleul ; tout le village y venait puiser l'eau ncessaire ses besoins ; je m'assis au pied de l'arbre, et je me mis rflchir tristement au mauvais succs de cette visite, doutant quelque peu de la vrit de ma mission ; car je trouvais extraordinaire que Dieu, s'il m'en avait rellement charge, m'et ainsi abandonne, dans une dmarche d'o dpendait le succs.- N'ai-je pas t le jouet d'un songe ou plutt de quelques mauvais esprits ?Telles taient les questions que je m'adressais intrieurement, lorsque tout coup je vis sainte Marguerite ; elle tait d'une admirable beaut, ses cheveux blonds tombaient en grosses boucles sur ses paules blanches comme de l'albtre ; la blancheur immacule de sa robe et la nue tincelante qui l'environnait n'ajoutaient pas peu l'clat de son blouissante beaut. Elle me dit, avec un anglique sourire :- Jeanne, pourquoi te dcourager ainsi ? Pourquoi te rebuter de ce mauvais succs ? Dieu te protge. Va, retourne chez tes parents inquiets de ton absence ; la lune de son front radieux clairera ton chemin.En effet, jusqu' cet instant l'obscurit avait t profonde ; mais sa parole, l'astre des nuits la dissipa. Aprs que la douce vision eut disparue, je restai encore quelque temps rveuse regarder la lune argente se mirer dans le cristal de la fontaine ; je repris enfin le chemin de notre chaumire, assez inquite de l'accueil qui me serait fait. Comme je m'y attendais, je fus fort mal reue par mes parents, que ma disparition avait plongs dans une inquitude mortelle. Mon pre me demanda d'o je venais, et qui m'avait permis de m'absenter ainsi trois jours sans prvenir personne. Je lui rpondis que je venais de Vaucouleurs, de chez messire Robert de Baudricourt, et que je n'avais fait qu'obir aux voix qui m'avaient ordonn de lui exposer ma mission. Comme il connaissait mon obstination soutenir la vrit de ces visions, il se rendit mes paroles et ne me battit pas. Il ne fut plus parl de ce voyage, entre ma sur et moi, que pour en dplorer la mauvaise issue.J'allai Saint-Nicolas, prs de Nancy, en Lorraine, plerinage extrmement clbre, cause des miracles du saint. Le duc de Lorraine tait ce moment trs malade ; on dsesprait mme de sa vie. Instruit de la renomme des visions dont j'tais favorise, il me demanda un remde qui put le gurir. Je lui rpondis qu'il ne pouvait se rtablir qu'en se rconciliant avec la duchesse, sa femme qui, lasse de ses dsordres, s'tait spare de lui. Il passa un anneau enrichi de diamants mon doigt, me donna un peu d'argent dont je fis prsent aux pauvres, et me congdia, assez mcontent de ma rponse.Comme mes parents me tenaient en grande dpendance et veillaient sur moi avec une grande svrit, pour m'empcher de retourner Vaucouleurs, je priai mon oncle de leur demander de me permettre d'aller passer quelque temps chez lui. Mon pre eut d'autant moins de peine me laisser partir, qu'il savait que j 'tais aussi bien chez lui que dans la maison paternelle. Il y avait peine huit jours que j'tais arrive au Petit-Burey, quand mon oncle cda mes instances et me mena Vaucouleurs. Nous logemes chez une nomme Catherine, femme d'un charron de Vaucouleurs, appel Henri. Je fus plusieurs jours sans pouvoir parvenir au commandant ; il consentit enfin me recevoir ; mais, aprs m'avoir fait diffrentes questions, il me congdia, en m'envoyant tous les diables. Je retournai nanmoins quelque temps aprs. Cette fois, ennuy de mon importunit, il m'envoya le cur de Vaucouleurs, me croyant possde du Dmon. Mais le pauvre homme, aprs maintes prires, ne put me gurir. Je revins au Petit-Burey, puis Domrmy, chez mes parents, qui ne se doutrent de rien. Je retournai bientt avec mon oncle chez le commandant, qui se croyait bien dbarrass de moi pour toujours ; il ne voulut pas me recevoir. Je restai trois semaines Vaucouleurs, y allant tout instant. Il prit enfin son parti, et me fit venir en sa prsence. Le peu de succs des exorcismes du cur l'avait mis en trs mauvaise humeur. Avant d'y aller, j'avais demand aux saints ce qu'il fallait faire pour le convaincre ; ils me rpondirent de lui dire que les Franais venaient d'prouver un chec devant Orlans ; qu'il serait connu dans l'histoire sous le nom de journe des Harengs. Le commandant, tonn de l'assurance avec laquelle je lui prdis ce revers, me dit qu'il me ferait appeler. On apprit peu de temps aprs la vrit de ce que je lui avais dit ; ds lors il n'y avait plus moyen de refuser de m'envoyer au Roi. Il me fit armer de pied en cap, me donna un cheval et deux gentilshommes champenois, nomms Jean de Metz et Bertrand de Poulenguy, qui ne consentirent m'accompagner qu'aprs bien des difficults, le chemin tant occup par les Anglais. Ces deux gentilshommes et cinq personnes composaient toute mon escorte ; c'taient mon frre Pierre, Collet de Vienne, un archer nomm Richard et deux valets, Jean de Honnecourt et Julien. La ralisation de ce que j 'avais prdit me faisait regarder partout, mme dans mon village, comme une prophtesse inspire par Dieu ; je n'en eus donc qu' promettre que nous ne rencontrerions aucun empchement srieux, pour vaincre leur rpugnance.Nous nous mmes en marche pour aller Chinon, rsidence actuelle du Roi. Comme je l'avais dit, nous ne trouvmes aucun obstacle. En route, nous couchmes dans les glises, refuges malheureusement peu souvent inviolables des infortuns paysans dont on avait brl les humbles chaumires. Nous passmes aussi par Sainte-Catherine-de-Fierbois, o nous restmes trois jours. J'crivis de l Charles VII pour lui mander ma mission et le prier de me faire savoir si je pouvais me rendre Chinon. Sur sa rponse affirmative, je continuai ma route, et j'arrivai enfin Chinon avec ceux qui m'accompagnaient, le 24 fvrier. J'envoyai aussitt au Roi les lettres du sire de Baudricourt, par lesquelles il annonait Charles ma mission et le priait de m'accorder une audience, bien qu'il dsesprt de m'obtenir cette faveur.Le Roi, toujours entour par ses favoris, tait inabordable et semblait oublier, dans une lche indolence, que tant de braves gens sacrifiaient, pour le rtablir sur son trne, leurs fortunes et leurs vies. Je restai trois jours Chinon sans pouvoir lui parler. Ds le second jour, il m'ordonna de me rendre chez lolande d'Aragon, reine de Sicile, sa belle-mre, afin d'tre visite par elle ; car un des prjugs de l'poque tait qu'une sorcire ne pouvait tre vierge ; cependant plusieurs exemples rcents en avaient dj dmontr le peu de fondement. L'examen tourna mon avantage, et, depuis ce jour, je portai le nom de Pucelle. Enfin, aprs trois jours, pendant lesquels le conseil flotta entre la crainte et la curiosit, cette dernire triompha, et Charles m'appela en sa prsence, aprs m'avoir fait interroger et examiner. En me rendant chez le Roi, je rencontrai un homme d'armes qui demanda en me dsignant du doigt :- Est-ce l la Pucelle ?- Oui, lui rpondit un de ceux qui m'accompagnaient.Il s'cria alors :- Je renie Dieu ; si je l'avais seulement une nuit, elle ne me quitterait pas vierge !En l'entendant parler ainsi, je me retournai et je lui dis :- Comment pouvez-vous renier Dieu, quand vous tes si prs de mourir.Il s'en alla en riant de la prdiction ; mais une heure aprs, il tomba dans l'eau et se noya.Le Roi, pour m'prouver, se dguisa et se mla dans la foule des courtisans ; mais depuis longtemps les portraits vendus par des colporteurs et des effigies empreintes sur des monnaies m'avaient fait connatre les traits de celui que j'tais appele rtablir sur son trne ; d'ailleurs les voix me le dsignrent ; ce fut donc sans peine que je le distinguai de ceux qui l'entouraient ; je lui dis, entre autres choses :- Monseigneur le Dauphin, je me nomme Jeanne la Pucelle ; je suis envoye par Dieu pour mettre la couronne sur votre tte et pour chasser les Anglais de ce royaume auquel ils n'ont aucun droit.Charles et ceux qui l'entouraient ne purent dissimuler la profonde surprise que leur causait la distinction que j'avais faite du Roi, sans l'avoir jamais vu. Charles cependant me dit qu'il ne pouvait ajouter foi mes paroles sans que je lui eusse donn un signe de la vrit de ce que je disais. Aprs avoir fait retirer tout le monde, je lui dis qu'il s'tait introduit masqu, quelque temps auparavant, chez la duchesse de Bourgogne, pour des motifs que la gravit de l'histoire ne me permet pas de rvler et qui auraient pu avoir pour lui les suites les plus funestes. Le Roi, en m'entendant parler ainsi, ne put s'empcher de rougir ; il me fit jurer sur mon me de ne jamais le rvler qui que ce ft. En effet, cette rvlation, en quelque temps qu'elle ft faite, et pu lui causer les plus grands malheurs, en lui suscitant chez le duc, qui penchait quelque peu pour lui, un ennemi mortel. Charles, depuis ce temps, fut convaincu de la vrit de ma mission ; il dcida toutefois qu'on me mnerait Poitiers, pour tre examine par le parlement qui rsidait dans cette ville, et qu'il s'y rendrait aussi lui-mme. D ordonna Guillaume Bellier, bailli de Troyes, son matre d'htel, de me loger chez lui. La femme de cet officier, aussi remarquable par son mrite que par ses vertus, fut charge de prendre soin de moi pendant qu'on prendrait des renseignements sur moi Domrmy, Vaucouleurs et Greuse.Etant chez le Roi, je vis entrer un seigneur. Le Roi me demanda, pour m'prouver, qui il tait. Je rpondis :- Gentil Dauphin, c'est le duc Jean d'Alenon.Je ne l'avais cependant jamais vu.Le Roi avait nomm des commissaires pour m'interroger ; je fus questionne tous les jours, en attendant que tout ft prt pour mon dpart. De temps en temps, le Roi s'amusait me faire courir la lance devant lui ; je m'acquittai de cet exercice de manire obtenir tous les suffrages.J'allai visiter les duchesses d'Alenon, mre et femme du duc, l'abbaye de Saint-Florent, prs de Saumur, o elles habitaient alors. Je restai prs d'elles quatre jours, pendant lesquels je n'eus qu' me louer de leur bonne amiti.Pendant la route, je demandai un de ceux qui m'accompagnaient o l'on me menait ; il me rpondit que nous allions Poitiers, o je devais soumettre ma mission au jugement de ce que la France avait d'hommes sages et clairs ; je ne pus m'empcher de dire :

- J'y aurai bien faire ; mais, avec l'aide de Dieu qui m'a conduite jusqu' prsent, j'espre triompher de tous les obstacles qu'ils me susciteront.Je descendis Poitiers chez un nomm Jean Rabateau, la femme duquel on confia ma garde.Ds le lendemain, une quantit de docteurs en thologie et de bacheliers vinrent me trouver ; quand je les vis, j'allai m'asseoir sur un banc, en leur demandant ce qu'ils voulaient. L'un d'eux me rpondit qu'ils venaient, de par le Roi, pour examiner si l'on devait ajouter foi mes paroles, et pour me prouver, par de bonnes raisons, que l'on ne devait pas me croire. Ils commencrent alors me poser sur la religion les questions les plus embarrassantes qu'ils purent trouver ; mais, avec l'aide de Dieu et de ses saints, je leur rpondis si bien, que je leur fermai la bouche. Ils se retirrent en se demandant entre eux comment il pouvait se faire qu'une jeune fille de mon ge et pu rsoudre des questions qui eussent embarrass les plus clairs d'entre eux ?Le lendemain, deux docteurs en thologie, un carme et un frre prcheur, vinrent encore me trouver. Le carme me dit aigrement :- Jeanne, vous devez bien savoir que l'Ecriture Sainte dfend d'ajouter foi de telles absurdits, quand on ne donne pas de signes.Je lui rpondis sans me troubler :- Je ne veux pas tenter Dieu ; le signe que je donnerai de la vrit de ce que j 'avance sera de faire lever le sige d'Orlans et de mener le Dauphin Rheims pour y tre sacr. Je lui dis aussi qu'ils n'avaient qu' y venir et qu'ils le verraient. Il me dit alors :- Pourquoi appelez-vous Dauphin le Roi notre sire ? Je rpondis :- Je ne le nommerai roi que quand il aura t sacr et couronn Rheims, o je dois le conduire.Le frre prcheur reprit peu prs sur le mme ton que le premier :- Jeanne, vous demandez des gens d'armes, et vous dites que la volont de Dieu est que les Anglais soient chasss de ce royaume ; mais, si ce que vous dites est vrai, la volont ne peut-elle pas suffire ? Qu'avez-vous besoin de gens d'armes ?Je lui rpondis :- Les gens d'armes combattront, et Dieu leur donnera la victoire sur les ennemis.Aprs m'avoir mrement examine, les docteurs s'assemblrent et conclurent que le Roi pouvait me mettre Fessai, et que je ne pouvais manquer d'tre envoye par Dieu, en juger par mes rponses qui taient toutes conformes la pit la plus ardente et la plus claire. Il fut rgl qu'on me chargerait de faire entrer dans Orlans le convoi de vivres, d'armes et de provisions de toutes espces qu'on prparait Blois. Ce fut le matre des requtes de l'htel du Roi qui vint m'annoncer cette nouvelle.- Jeanne, me dit-il, vous allez tre charge de faire entrer le convoi dans Orlans. Je crois que vous ne le ferez pas sans peine, car il faudra passer la vue des Anglais qui sont forts et puissants.Je lui rpondis :- Nous l'y mnerons notre aise, sans qu'aucun Anglais n'ose s'y opposer.Le Roi me fit donner le meilleur cheval qu'on pt trouver et des armes faites exprs pour moi, puis m'envoya Tours. Je fis chercher l'pe qui tait Sainte-Catherine-de-Fierbois ; on la trouva dans le tombeau du chevalier inhum prs de l'autel. Elle tait vieille et rouille ; on la ft aussitt nettoyer et placer dans un fourreau enrichi de fleurs de lys. On m'avait demand si j'avais vu cette pe ; je rpondis que non, mais que les saints m'avaient rvl son existence et sa prsence dans le tombeau. Ce fut encore un nouveau sujet d'tonnement pour tout le monde.On me donna une suite conforme l'tat d'un chef de guerre : j'eus des pages, des cuyers et des gens d'armes. Dans les premiers, il y avait un gentilhomme nomm Louis de Comtes, et parmi les seconds, un cuyer nomm Jean Dolon, qui furent chargs spcialement par le Roi de me conduire et d'tre toujours avec moi ; j'eus aussi un chapelain. Je chargeai mon frre Pierre et quelques personnes en lesquelles j'avais confiance, de le choisir parmi les prtes les plus vnrables et les plus renomms par leur pit. Mon frre fit tomber mon choix sur un bon et saint prtre, nomm Jean Pasquerel. Je fis faire une bannire blanche, seme de fleurs de lys, sur laquelle tait reprsent le Sauveur, assis sur un trne, dans des nues ; tenant un globe figurant le monde, dans sa main gauche ; de la main droite il semblait bnir une branche fleurie de lys, qu'un ange portait dans ses mains, tandis qu'un autre ange paraissait prier la gauche de notre Seigneur ; les noms de Jsus et de Marie taient brods en lettres d'or.Je comparus devant le conseil du Roi pour discuter la manire de chasser les Anglais du royaume. Inspire par les saints, j 'en exposai si bien les moyens, qu'aucun des chefs de guerre qui taient prsents, mme les plus clbres, n'aurait pu mieux le faire. Le rsultat des entrevues frquentes que j'avais avec le Roi et son conseil fut d'inspirer tous une entire confiance, et de porter l'pouvante parmi les Anglais, auxquels la renomme avait dj fait connatre mon nom en exagrant toutefois mon mrite.Je pris enfin cong du Roi pour aller Blois, o l'on prparait le convoi que je devais conduire, et o devaient venir me joindre les hommes d'armes qui devaient l'accompagner et entrer avec moi dans Orlans, pour dfendre cette ville, de la conservation de laquelle dpendait le sort de la France.Ce fut dans l'glise Saint-Sauveur de Blois que fut bnie ma bannire. En attendant ceux qui devaient m'accompagner, j'envoyai aux Anglais, par un hraut nomm Guyenne, une lettre ainsi conue :+ Jsus Maria +Vous, Roi d'Angleterre, vous duc de Bedford, qui vous dites rgent du royaume de France, vous Guillaume de la Poule, comte de Sufolk, Jean sire de Talbot et vous Thomas sire de Scales, qui vous dites lieutenant dudit duc de Bedford, obissez au Roi du Ciel /Rendez au Roi de France les clefs de toutes les villes que vous avez prises sur ledit Roi Charles, unique et lgitime hritier de la couronne de France. Jeanne la Pucelle est envoye par Dieu pour rtablir sur le trne Charles, Dauphin du Viennois, son vritable possesseur. Elle est prte vous accorder paix, si vous lui faites raison ; si au contraire Roi d'Angleterre, vous refusez d'vacuer le royaume, sachez quelle combattra vos gens en quelque lieu qu 'ils soient. Si, parmi eux, il y en a qui demandent retourner dans leur pays, elle les laissera passer sans leur faire aucun mal. Soyez persuad que la Pucelle est envoye par le Roi des rois pour vous chasser ainsi que vos gens du royaume de France, et que les siens feront un si grand carnage de vos Anglais, qu 'on n 'aura jamais ou une telle chose. Mais elle vous prie d'avoir piti de vous et d'eux et de ne pas vous faire tuer ; soyez bien convaincu que Dieu veille sur elle et sur les siens ; qu'il leur donnera plus de force eux seuls, que vous n 'auriez avec toutes les troupes du monde. Quant vous, soldats anglais, qui tes devant Orlans, elle vous somme de par Dieu de vous retirer dans votre pays ; si vous nobissez, redoutez la colre de Dieu et les maux qui vous surviendront de votre dsobissance Ses ordres. Soyez bien persuads que le royaume de France nest pas vous, et qu 'il n 'appartient qu ' Charles, Dauphin du Viennois, seul fils du feu Roi Charles VI, de bonne mmoire, lgitime hritier de la couronne de France, et qui la tient du Roi du Ciel ; sachez que bientt il entrera triomphant dans Paris. Si vous n 'coutez ce qu 'elle vous dit, de par Dieu, rappelez-vous qu 'en quelque lieu que nous vous rencontrerons, nous vous ferons repentir de votre opinitret, et vous montrerons qui a meilleur droit de Charles, ou de vous. Jeanne la Pucelle vous somme, Guillaume de la Poule, comte de Sufolk, Jean sire de Talbot et Thomas sire de Scales, lieutenant du duc de Bedford, soi-disant rgent de la France pour Henri VI, Roi d'Angleterre, de rpondre si vous voulez accorder la paix la cit d'Orlans ; souvenez-vous que, si vous ne le faites ainsi, il vous reviendra beaucoup de maux. Duc de Bedford, qui vous dites rgent pour votre neveu du royaume de France, la Pucelle vous prie de ne pas vous faire dtruire ainsi par vos gens. Si vous nobissez sa prire, elle fera tant que les Franais feront les plus beaux faits darmes dont la chrtient ait t le tmoin, et quils vous chasseront de ce royaume auquel vous n'avez aucun droit. Ecrit le mardi de la semaine sainte, sous la dicte de Jeanne la Pucelle.Sur l'adresse je fis mettre : Ecoutez de par Dieu et la Pucelle ensuite : Au Duc de Bedford, qui se dit rgent du royaume de France pour le Roi d'Angleterre. Je voulais qu'on conduist le convoi par la Beauce, endroit o la puissance des Anglais tait plus considrable que partout d'ailleurs ; mais les capitaines qui devaient le conduire avec moi dans la ville d'Orlans, de concert avec le comte de Dunois, conclurent qu'on irait par la Sologne. Nanmoins ils ne m'avertirent de rien, et me laissrent croire que nous suivions le chemin de la Beauce, tandis que c'tait celui de la Sologne. Les capitaines taient : le marchal de Boussac, Gilles de Rais, l'amiral de Culant, Ambroise de Lore et La Hire. L'escorte tait d'environ six mille hommes.Je rassemblai tous les prtres et les religieux de la ville, et j 'en formai un bataillon sacr qui se mit la tte du convoi, faisant retentir l'air d'hymnes sacrs que les soldats, transports de joie et certains de la victoire, rptaient avec ferveur et enthousiasme. Avant de partir, j'avais ordonn de chasser toutes les femmes publiques, dont il y avait toujours un grand nombre la suite des armes ; j'avais aussi fait confesser tous les soldats, et on leur avait donn la sainte communion, la veille du dpart. Pour la premire de ces deux choses, ils firent quelques difficults ; mais j'en triomphai plus facilement que je ne l'esprais.En apprenant notre approche d'Orlans, les habitants de cette ville envoyrent des vaisseaux sur la Loire pour prendre les vivres et les personnes, qui devaient entrer avec elles dans la ville ; mais on vint me dire que le vent tait contraire, et que les troupes taient dcourages par cet obstacle imprvu. Je dis de prendre patience ; qu'il changerait bientt, et que tout entrerait le jour mme. En effet, quelque temps aprs, on vit les vaisseaux arriver pleine voile, monts par le comte du Dunois et par les principaux de la ville qui, ne pouvant matriser l'impatience qu'ils avaient de me connatre, taient venus ma rencontre pour voir plus tt celle qui les habitants d'Orlans, ds que les navires eurent jet l'ancre, s'empressa de descendre, suivi de bourgeois ; il m'aborda en me disant :- Etes-vous Jeanne la Pucelle, envoye par Dieu pour dlivrer la bonne ville d'Orlans, et mettre le diadme sur le front de Charles de France ?- Oui, lui rpondis-je ; tes-vous le comte du Dunois, Btard d'Orlans ?- Oui, Jeanne, rpondit-il.- Eh bien ! alors, pourquoi nous avez-vous fait venir par la Sologne, au lieu de nous faire passer par la Beauce ? N'avais-je pas dit que les Anglais, avec toute leur puissance, n'oseraient nous attaquer ?Le comte, dconcert par cette question, dit qu'il n'avait fait que suivre le conseil de tous les capitaines. Je repris :- Comte de Dunois, ignorez-vous donc que je n'agis que par les ordres de Dieu ? Le croyez-vous moins sage que les hommes ? Vous avez cru sans doute m'embarrasser, et rendre vaines mes promesses ; mais, avec l'aide de Dieu, j'ai triomph de tous les obstacles, et je vous amne le meilleur secours que ville assige puisse jamais esprer.J'entrai bientt dans Orlans, ayant ma bannire la main, le Btard ma droite et La Hire ma gauche, suivie de mes soldats, des bourgeois de la ville et d'une quantit de peuple qui se pressait en foule sur mon passage, me saluant de cris de joie et d'acclamations les plus enthousiastes. Je descendis dans l'htel de Jacques Boucher, trsorier du duc d'Orlans. Je me fis aussitt dsarmer, car, peu habitue porter des armes, je me sentais horriblement gne. On m'avait prpar, celle de la fille du trsorier, laquelle partagea toujours mon lit pendant mon sjour Orlans. J'allai dans l'glise rendre grce Dieu de sa protection, et, en rentrant, je n'eus rien de plus press que de me coucher, extrmement fatigue d'un pareil voyage.Le lendemain au matin, le Btard me fit prier de me rendre chez lui. J'y trouvai rassembls La Hire, Florent d'Illiers, Jean de Gamaches et tous les chefs de guerre qui taient Orlans. J'tais d'avis qu'on attaqut sur-le-champ les bastilles anglaises ; mais tous les capitaines voulurent attendre l'arme, qui devait passer la Loire Blois ; je combattis cette opinion, et je leur rappelai les suites que le mpris de mon avis avait eues quand j'avais voulu passer par la Beauce. Gamaches, piqu de mes rflexions et surtout de voir que mes avis allaient l'emporter, se plaignit vivement.- Puisque vous prfrez, chevaliers, dit-il d'un ton aigre, l'avis d'une pronnelle de bas lieu celui d'un noble chevalier tel que moi, je ne dirai plus rien de contraire ; mais je ferai parler en temps et lieu mon pe. Je serai peut-tre tu, mais je le veux ainsi pour le Roi et mon honneur ; je dfais ici ma bannire, et je ne suis plus qu'un pauvre cuyer prfrant servir un noble homme d'armes, plutt que d'avoir pour matre une femme qui fut peut-tre on ne sait quoi.En disant ces mots, il plia sa bannire et la remit au Btard d'Orlans qui tait fort pein de la discorde survenue entre les chefs et moi. Tous les bons Franais qui taient l s'entremirent pour nous rconcilier ; on parvint nous dcider nous embrasser, ce que nous fmes du bout des lvres et contrecur. On nous mit peu prs d'accord en dcidant qu'on attendrait l'arme, mais que quelques notables chefs iraient Blois en presser l'arrive. J'tais furieuse de cette dcision, mais il fallut bien me rsigner.Les Anglais, violant le droit des gens, avaient retenu prisonnier Guyenne et l'avaient charg de chanes. Ce Guyenne, comme je l'ai dj dit, tait le hraut que j 'avais envoy porter la lettre dicte par moi, Blois. Le 30 avril, lendemain de mon arrive, de concert avec le comte de Dunois, commandant d'Orlans, j'envoyai un homme pour le redemander ; c'tait Ambleville, mon second hraut. Le Btard lui donna un de ses hrauts pour l'accompagner et ordonna tous le deux de dire aux ennemis que, s'ils me refusaient cette satisfaction et excutaient leur menace (ils avaient dit qu'ils feraient brler Guyenne, ainsi que tous ceux qui ajouteraient foi mes paroles, comme tant des hrtiques), il userait de reprsailles sur tous les prisonniers qu'il avait en ce moment. Quelques personnes, parentes ou amies de ce hraut, m'ayant tmoign leurs inquitudes sur son sort, je les rassurai, en leur disant qu'on me le renverrait sans lui faire aucun mal. En effet les Anglais, intimids par la menace du comte, renvoyrent son hraut, ainsi que le mien.Ce dernier tait porteur d'une lettre qui m'tait adresse de la part des Anglais, et qui renfermait toutes les injures qu'ils avaient pu trouver. Je demandai Guyenne ce que les ennemis pensaient de moi ; il me rpondit qu'ils me croyaient sorcire, et que mon nom les remplissait d'une terreur panique.- Que dit Talbot ? repris-je encore.- Ce qu'il dit ! Il vous accable d'injures et menace de vous brler vive, s'il peut jamais vous faire prisonnire.Je lui dis :- Retourne vers Talbot ; tu ramneras ton compagnon qui est rest prisonnier, et tu diras au gnral anglais que je ne me soucie gure des ses injures ; dis-lui aussi que s'il nous attaque, nous saurons le recevoir de telle manire qu'il n'y reviendra plus ; que s'il peut me prendre, il fera de moi ce qui lui semblera bon ; mais que, si je le dfiais, qu'il fasse lever la sige et retourne dans ses foyers, avec ses Anglais, afin de s'pargner et eux aussi, toutes sortes de maux. Guyenne m'obit, et ramena son camarade.

CHAPITRE II

La Hire jurait sans cesse, ce qui m'affligeait fort ; j'avais beau le rprimander, cela n'y faisait rien ; il me faisait de belles promesses aussi vite oublies que faites ; un jour que je le grondais, il me dit :- Ah ! Dame Jeanne, je voudrais bien vous y voir ; cela vous est facile dire, mais si vous aviez t leve comme moi au milieu des gens d'armes, vous jureriez comme un diable; vous me faites vraiment marcher comme un enfant ; grce vous, j'ai vid mon vieux sac (1) ; mais, par tous les diables d'enfer...(1) J'tais parvenue le faire confesser (note de Jeanne).Il vit mon mouvement qu'il lui tait encore chapp une maladresse ; il s'cria aussitt :- Excusez-moi ! Ce n'est pas ma faute ; a part, voyez-vous, sans que j'y pense. Mais l! Calmez-vous, ajouta-t-il, voyant que ses explications commenaient m'impatienter, par tous les diables ! Je serai muet comme un poisson.- Vous n'avez pas besoin, interrompis-je impatiente, de faire un jurement pour me promettre de ne plus jurer ; mais, puisqu'il vous en faut absolument, que ne jurez-vous par votre bton ?- Vous l'avez trouv, s'cria-t-il, charm de cet accommodement ; vous tes une fille habile; je vous en fais mon compliment par tous les dia... par mon bton, je veux dire ; je ne vous croyais pas si avise.Pendant les deux premiers jours de mai, il nous arriva de nouveaux convois et de nouvelles troupes. Je me tenais toujours la tte d'un corps de troupes, entre la ville et les ennemis, pour empcher ceux-ci de se jeter dans la premire et pour protger l'entre des vivres et des soldats ; mais je n'eus rien faire ; les Anglais ne bougrent pas, et continurent de les laisser tranquillement passer en les regardant faire du haut de leurs forts.Ds que les vivres furent entrs dans la ville avec moi, les capitaines prirent cong de moi pour retourner Blois, o ils tinrent un conseil avec l'archevque de Rheims, chancelier de France, et avec d'autres notables personnages, pour savoir ce qu'on devait faire. Ils envoyrent, comme je l'ai dit plus haut, des convois chaque jour, tout en en prparant un beaucoup plus considrable, que les capitaines, qui m'avaient accompagne, dcidrent qu'ils mneraient, afin de rester avec moi pour dfendre Orlans. Je leur fis dire de passer par la Beauce, ce qui pargnerait lembarras d'avoir des vaisseaux et les obstacles imprvus que ce genre de transport suscitait toujours. Cette fois, ils m'coutrent et vinrent par ce passage, qui tait dfendu par la plus grande forteresse que les Anglais eussent ce sige ; elle portait le nom de Londres. Le convoi arriva Orlans le 3 mai au soir, sans avoir prouv aucun obstacle ; cependant, quoique sachant bien que les Anglais ne bougeraient pas, j 'tais alle sa rencontre avec le comte de Dunois et quelques troupes. Plusieurs mots chapps au comte de Dunois me firent souponner que l'on me cachait quelque chose d'important ; je crus que c'tait le moment de l'arrive de Fastol, chef Anglais qui devait amener des renforts aux assigeants ; je dis vivement au Btard :

- Btard, je vous recommande, au nom de Dieu, de me faire savoir le moment prcis o Fastol viendra ; car, s'il passe sans que je le sache, je vous ferai couper la tte.Cette menace, que je n'eusse pas mise excution, tait ncessaire pour dompter l'insubordination des chefs qui agissaient selon leurs caprices, compromettant souvent par-l les intrts du Roi et de la France. Elle eut pour rsultat d'en imposer au Btard et aux capitaines, qui eurent depuis plus de dfrence pour moi.Le lendemain, les capitaines, qui taient arrivs le 3, firent une sortie sans me prvenir. Ils allrent attaquer la bastille de Saint-Loup, que le sire de Talbot avait bien munie de soldats et de vivres et qui tait extrmement fortifie. Accable des fatigues des jours prcdents, je dormais en ce moment ; sainte Catherine m'veilla et me dit :- Jeanne, arme-toi vite et va au fort de Saint-Loup, que les Franais ont attaqu mal propos ; ils portent en ce moment la peine de leur imprudence ; quelques-uns d'entre eux sont dj blesss mort ; va leur secours, et tu les ramneras triomphants.Elle m'indiqua en mme temps le chemin que je devais suivre.Il n'y avait en ce moment d'autres personnes l'htel que la fille des matres et mon page.J'appelai ce dernier, qui ne jugea pas propos de me rpondre, prfrant sa dame mon service. Impatiente de ne pas le voir venir, je pris le parti d'aller le chercher ; on peut se figurer facilement l'effroi que mon apparition dans la salle causa Louis et la fille de Jacques Boucher ; l'une s'enfuit, et l'autre balbutia quelques excuses que je n'coutai pas longtemps ; je lui dis d'aller vite seller mon cheval, et de me l'amener. Aprs avoir inutilement cherch endosser mon armure, je pris le parti d'appeler Charlotte (c'tait le nom de la fille du trsorier), afin qu'elle m'aidt dans cette besogne qui tait extrmement importante, car de la manire dont elle tait faite dpendait souvent la vie de celui qui la portait. Voyant qu'elle s'y prenait encore plus gauchement que moi, et que nous n'en viendrions pas bout, l'impatience commenait me gagner, quand Louis, qui m'amenait mon cheval, vint mon secours et me rendit ma bonne humeur.Je montai aussitt cheval et je me htai de le lancer au grand galop, en suivant la direction que m'avait indique sainte Catherine. J'arrivai ainsi, tendard dploy, vers les Franais que ma vue enflamma d'un nouveau courage. Nous formes bientt les Anglais du fort se retirer dans le clocher, dont nous commenmes aussitt l'assaut. Talbot fit sortir une quantit d'Anglais des autres forts pour secourir celui de Saint-Loup ; mais les chefs de guerre, qui taient rests dans la ville, veillaient sur nous ; voyant le danger que nous courions, ils sortirent aussitt d'Orlans, avec des troupes qu'ils rangrent en bataille. Talbot, voyant qu'on tait bien prts le recevoir, fit entrer ses Anglais et abandonna la bastille qui fut, avant trois heures, entirement en notre pouvoir.Quelques-uns des ennemis, qui taient retirs dans le clocher, voyant qu'ils ne pouvaient se dfendre davantage, prirent des vtements de prtres ou de religieux, esprant qu'ils leur serviraient de sauvegarde contre la fureur de leurs ennemis, qui nanmoins voulurent les tuer ; mais je les sauvai en dmontrant aux Franais qu'il tait prfrable de les garder prisonniers. Cent soixante-quatorze Anglais prirent cette attaque, deux cents furent faits prisonniers. Tous les Franais, ds que la forteresse fut conquise, se mirent l'oeuvre pour la dmolir ; il ne resta pas pierre sur pierre. Nous y mmes le feu, aprs avoir enlev les vivres et tout ce qui pouvait nous tre utile. Nous y trouvmes une grande quantit des premiers, le sire de Talbot l'en ayant fait pourvoir abondamment quelques jours auparavant. Nous les emportmes en triomphe dans Orlans ; nous allmes aussitt dans les glises rendre grce Dieu de ce brillant succs ; les cloches, de leurs sons joyeux, clbrrent aussi cette victoire et achevrent de porter le dcouragement dans le coeur des Anglais, que cette perte avait consterns .Le lendemain, 5 mai et jour de l'Ascension, les chefs de guerre tinrent un conseil dont je fis partie. Quand je fus rentre dans la ville, je dictai une seconde lettre qui tait ainsi conue : Aux Anglais.De par le vrai Dieu, je vous ordonne d'abandonner vos forts et de retourner dans vos foyers. Rappelez-vous que vous n 'avez aucun droit au royaume de France, et que Jeanne la Pucelle vous fera repentir de votre tmrit si vous dsobissez ses ordres. Je vous enverrais mes lettres d'une manire plus convenable, si vous ne reteniez prisonnier les hrauts qui vous les portent, ce qui m'oblige de charger une flche de ce soin.Ils ne rpondirent que des injures ; j'envoyai une troisime lettre par le mme moyen ; mais elle n'eut pas un meilleur succs . J'ai dit, quelque ligne plus haut, que les chefs de guerre avaient tenu un conseil dont j'avais fait partie. On y discuta longtemps si l'on irait attaquer Fastol, qui amenait un renfort considrable aux ennemis, avant sa jonction avec l'arme anglaise, trs affaiblie en ce moment par la retraite du duc de Bourgogne. Le plus grand nombre voulait qu'on attaqut les forts ; leurs avis, qui tait le mien, prvalut. Cependant je voulais qu'on marcht avec toutes les forces dont on pouvait disposer sur la bastille Saint-Laurent, o taient le sire de Talbot et les principaux chefs de guerre anglais avec l'lite des leurs ; mais les chefs de guerre loin de suivre mon conseil, ne voulurent rien faire ce jour-l, cause de sa saintet, c'tait la fte de l'Ascension. Bien que je les eusse assurs de la victoire, et que je leur eusse dit qu'il tait temps d'assiger ce fort, ils conclurent qu'on commencerait par attaquer les forteresses qui dfendaient la Sologne, afin de pouvoir recevoir sans difficult des vivres du Berry et d'autres pays. En mme temps, ils levrent sance.Je retournai chez moi, extrmement mcontente d'eux et du peu de cas qu'ils faisaient de mon opinion. J'allai, ce jour-l, dfier les Anglais qui taient dans le fort des Tourelles ; je dsirais depuis longtemps les sommer moi-mme de lever le sige d'Orlans et de retourner chez eux ; ils ne rpondirent mes paroles que par les injures plus grossires, qui me firent fondre en larmes, mais qui excitrent encore mon courage.Le vendredi, 6 mai, je passai la Loire la tte de quatre cents Franais, la vue de Glacidas qui commandait dans le fort des Tourelles. Cette forteresse tait dfendue par cinq cents hommes, l'lite des troupes anglaises. Aussitt il fit retirer les troupes qui taient dans le fort de Saint-Jean-le-Blanc, et elles allrent augmenter la garnison qui dfendait la bastille des Augustins. Pour viter qu'ils le reprissent une seconde fois, je fis mettre le feu Saint-Jean-le-Blanc.Quoique la plupart de mes gens n'eussent pas encore pass le fleuve, je ne marchai pas moins droit au fort des Augustins, et, l'aide de ceux qui m'accompagnaient, je parvins planter mon tendard sur cette bastille. Les Anglais du fort poussrent un cri qui fut entendu par ceux de la forteresse de Saint-Priv et ceux-ci sortirent en grand nombre pour aller leur secours. Tous les ennemis qui venaient de la forteresse de Saint-Priv jetrent un cri pour avertir ceux des Augustins. Mes gens, effrays par ce cri, prirent aussitt la fuite. Force de les suivre, je formai l'arrire-garde; voyant que nous abandonnions l'attaque, les Anglais sortirent en grand nombre pour nous poursuivre, ce qu'ils firent en poussant de grands cris et en m'accablant d'injures de toutes espces. Tout coup je fis volte-face avec quelques-uns de mes gens, les plus braves de ma troupe ; je fondis sur eux et je les attaquai vigoureusement. Epouvants de voir que je tournais bride, ils prirent la fuite. Je parvins enfin rallier tous mes Franais, qui, honteux d'avoir pris la fuite pour si peu de chose, les poursuivirent avec fureur jusque dans la forteresse des Augustins, o ils se rfugirent comme ils purent.Je plantai mon tendard sur les fosss ; j'exhortai mes gens faire leur devoir et effacer, par leur courage et prise du fort, la honte dont ils venaient de se couvrir. Aprs avoir combattu longtemps et sans le moindre succs, on parla de se retirer ; mais je parvins les faire rester, et, aprs un combat sanglant, nous emportmes la forteresse. J'y fus blesse au pied par une chausse-trappe. Les Anglais taient en trs grand nombre dans ce fort ; ils furent tous massacrs, malgr mes ordres et mes prires. Nous y trouvmes une grande quantit des vivres et de richesses de toutes espces ; je fis tout prendre pour tre emport Orlans, et je fis mettre le feu la bastille des Augustins.Il ne restait plus, du ct de la Sologne, que le boulevard et le fort des Tourelles qui dfendaient l'entre du pont, construit sur la Loire cet endroit ; j'y envoyai la plus grande partie de mes gens pour en former le sige, et je revins Orlans contre mon gr : j 'eusse voulu rejoindre mes gens des Tourelles pour partager leurs dangers et les encourager ; mais les capitaines s'y opposrent. A mon arrive dans mon htel, je fis mettre un appareil sur ma blessure qui, d'ailleurs, tait lgre. Inquite pour les gens que j 'avais laisss devant les Tourelles, je ne pus fermer l'il de toute cette nuit, pendant laquelle les Anglais, qui taient dans le boulevard de Saint-Priv, passrent la Loire dans des vaisseaux, aprs avoir mis le feu au fort qu'ils abandonnaient ; ils se retirrent dans la bastille Saint-Laurent. La vive lueur que jetait l'incendie du fort de Saint-Priv n'augmentait pas peu mes alarmes ; je craignais que les Anglais qui taient dans ce boulevard n'attaquassent les Franais qui taient aux Tourelles.A peine avais-je fait mettre l'appareil de ma blessure, que les chefs de guerre d'Orlans et ceux qui taient dans cette ville, de par le Roi, vinrent me trouver pour dlibrer de ce qu'on devait faire. Ceux du Roi n'taient venus que parce qu'ils n'avaient pas cru pouvoir s'en dispenser ; car ce n'tait qu' regret qu'ils suivaient les avis d'une femme, prfrant les leurs aux miens. Mon opinion fut d'aller attaquer le fort des Tourelles le lendemain, la pointe du jour, et de passer la Loire avec tous les gens dont nous pourrions disposer. Les capitaines d'Orlans applaudirent vivement ce projet ; mais ceux du Roi le trouvrent mauvais comme d'habitude.A minuit, j'tais dj sur pied pour donner mes ordres. Pendant que je m'apprtais monter cheval, Jacques Boucher, mon hte, vint me dire qu'il venait d'acheter une alose, et m'invita en manger avant mon dpart, avec lui et sa famille. Je lui rpondis :- Matre Jacques, on ne la mangera qu'au souper, pour lequel je reviendrai par le pont, blesse la vrit, mais vainqueur des Anglais et matresse des Tourelles ; nous amnerons un Goddon qui en mangera sa part.Pendant la nuit, les bourgeois d'Orlans avaient fait prparer l'appareil ncessaire pour l'attaque que je mditais et avaient donn ordre aux personnes qui devaient m'accompagner, de se tenir prtes partir au soleil levant. Je me mis enfin la tte de mes troupes, certaine de la victoire que je leur avais promise. Derrire nous venait un corps de troupes portant des planches, du bois, enfin tout ce qu'on avait pens devoir nous tre utile, tant pour rparer la hte le pont, pour passer la Loire, que pour former le sige.J'avais sous mes ordres cinq cents Franais. Nous attaqumes les Anglais vigoureusement, et ils se dfendirent de mme. Nous combattmes jusqu' quatre heures de l'aprs-midi, sans que le moindre succs vint nous encourager. Le Btard d'Orlans et les capitaines, voyant que nous n'avancions pas et qu'il tait dj tard, dcidrent qu'on se retirerait avec l'artillerie dans la ville, jusqu'au lendemain. A ce moment un trait vint me blesser grivement la gorge, je me retirai aussitt l'cart, je me dsarmai et j'tanchai le sang qui coulait abondamment de ma blessure ; tout--coup je vis sainte Catherine qui me dit :- Jeanne, les Franais ont jusqu' prsent combattu sans succs, mais courage ! ils emporteront aujourd'hui le boulevard et la forteresse, et ils rentreront victorieux dans Orlans.Je remontai aussitt cheval et jallai demander en grce au Btard d'Orlans de rester encore quelques heures, en l'assurant de la victoire. Je courus ensuite au pied du fort et j 'y plantai mon tendard en criant :- Courage, Franais, ils sont nous !En m'entendant parler ainsi, ils redoublrent d'efforts. Les Anglais, saisis d'une terreur panique, abandonnrent le boulevard et se retirrent dans les Tourelles, mais nous en fmes bientt matres.Glacidas, les autres seigneurs anglais, et tous ceux qui n'avaient pas t tus ou fait prisonniers, voulurent se retirer dans les forts ; mais le pont-levis s'abma dans la Loire, qui engloutit dans ses eaux tous les ennemis. Sur cinq cents Anglais, trois cents furent tus et deux cents furent faits prisonniers. Cette importante conqute acheva de rendre libre le passage de la Sologne et de porter la consternation dans le cur des Anglais. Matresse des Tourelles, j'y fis mettre le feu et je fis rparer de suite le pont, afin de passer la Loire plus facilement. Nous rentrmes triomphants dans Orlans, six heures du soir. On ne peut s'imaginer la joie des habitants de cette ville ; ils vinrent en foule mon htel, en m'accablant de remerciements et d'actions de grces.Ds que je fus arrive, je me fis dsarmer et je fis panser ma blessure, qui, heureusement, n'tait pas dangereuse ; cependant elle n'en tait pas moins assez grave. Je ne pris qu'un peu de vin, et j'allai me coucher, aprs avoir ordonn de retirer de la Loire les corps de Glacidas, celui des Anglais qui m'avait le plus injurie, et de le rendre ses compatriotes.Les Anglais, pendant la nuit du 7 au 8, tinrent un grand conseil, ils dlibrrent s'ils devaient rester ou lever le sige. Ce dernier avis prvalut ; le lendemain dimanche, 8 mai, ils sortirent de leur bastille, avec les prisonniers qu'ils avaient faits, et se rangrent en bataille du ct de la Beauce. De concert avec le Btard d'Orlans, les capitaines et chefs de guerre, je fis sortir nos troupes et je les rangeai en bataille dans le mme ordre que les troupes anglaises ; ces dernires n'attendirent pas que nous les attaquassions ; elles s'enfuirent prcipitamment, une partie vers Jargeau et le reste vers Meung-sur-Loire, abandonnant leurs malades, leurs vivres, leur artillerie, etc. Les chefs de guerre voulurent les poursuivre ; mais j 'avais horreur de rpandre le sang humain inutilement, ce qui fit que je dfendis la poursuite et que je voulus qu'on les laisst libres pendant toute cette journe. Ainsi Orlans fut dlivre le 8 mai 1429. Les Anglais avaient perdu, en trois jours, de six huit mille hommes.J'envoyai, aussitt que je vis qu'ils partaient, Etienne sire de Vignolles, surnomm La Hire, et Amboise, sire de Lor, accompagns d' peu prs cent vingt lances, pour observer leur conduite, afin d'en rendre compte au Roi. Ils les suivirent trois lieues et revinrent dans la ville me dire que les ennemis se rfugiaient dans Jargeau, dans Meung-sur-Loire, dans Beaugency, et dans toutes les villes qu'ils possdaient encore du ct de la Loire.Le comte de Suffolk fit partir aussitt des courriers pour prvenir Jean, duc de Bedford, de ce qui venait de se passer. Le duc, qui tait alors Paris, craignant que la nouvelle des victoires remportes par les Franais n'engageassent les Parisiens rentrer sous l'obissance du Roi et se soulever contre les Anglais, partit aussitt de Paris et alla au bois de Vincennes, o il manda sur-le-champ des gens d'armes de toute part ; il en vint peu, car les Picards et bien d'autres qui taient de leur parti les abandonnrent.Ds qu'il n'y eut plus rien craindre de la part des Anglais, tous les habitants d'Orlans sortirent de la ville et allrent dans les bastilles qu'ils venaient d'abandonner. Ils les brlrent ainsi que les boulevards. Nous y trouvmes une grande quantit de vivres et des richesses de toutes espces, surtout de l'artillerie et des munitions de guerre. Je les fis transporter dans la ville. On mit le feu aux bastilles et boulevards avec de grands cris de joie.Un capitaine, nomm Bourg-le-Bar, avait t fait prisonnier par les Anglais ; le sire de Talbot en avait confi la garde un Augustin, son confesseur, Anglais de naissance ; celui-ci voulut l'emmener la suite de l'arme anglaise, mais Bourg-le-Bar ne l'entendait pas ainsi ; profitant d'un moment qu'il tait seul avec lui, il lui proposa de le porter sur ses paules jusque dans Orlans. Le bon moine ne gotait pas cette fantaisie, mais voyant qu'il ne pouvait rsister ses pressantes instances et encore moins ses poings, il prit le part d'obir et de le charger sur ses paules. Je reus parfaitement le capitaine, qui arriva chez moi sur sa monture de nouvelle espce, et je fis enfermer l'Augustin, qui nous fut bien utile dans la suite, en nous dcouvrant des secrets importants.Charles, pendant cet heureux changement de fortune, tait rest Loches, dans son indolence habituelle. Il tait d'ailleurs retenu par Agns Sorel et par ses favoris, auxquels je dplaisais infiniment. Aprs quelques jours de repos, je partis d'Orlans, malgr mes htes qui voulaient me retenir. Ma blessure n'tait pas encore gurie, mais je ne m'en mis pas moins en route, le 13 mai, accompagne du Btard d'Orlans, d'Etienne de Vignolles, dit La Hire, enfin des principaux chefs de l'arme, pour me rendre Loches, afin de rendre compte au Roi Charles du succs de nos entreprises.On me fit la cour une rception splendide. Je voulais qu'on se mt en marche aussitt pour chasser les Anglais des places qu'ils possdaient et mener le Roi Rheims o il devait tre sacr. Jusqu'alors le succs avait toujours couronn mes entreprises, et mes promesses s'taient toujours ralises ; cependant le Roi et son conseil balanaient encore se mettre en marche pour Rheims. Cette hsitation tait en quelque sorte justifie par la tmrit de l'entreprise : il fallait, pour arriver jusqu' la capitale de la Champagne, alors au pouvoir des ennemis, traverser avec des forces peu considrables un pays rempli d'Anglais.Le Roi tint plusieurs conseils Tours ; le rsultat de ces confrences fut de mander des nobles et des gens d'armes de toute part. On donna le commandement de ces troupes au duc Jean d'Alenon, de concert avec moi. Nous avions ordre de chasser les Anglais des bords de la Loire. Aprs la fermeture des conseils, le Roi me fit appeler prs de lui en audience particulire ; il me parla longtemps de la guerre et des affaires de la France, en me louant de ce qu'il appelait mes hauts faits. Je remarquai que sa contenance tait embarrasse ; je devinai facilement le motif de la faveur qu'il me faisait de m'appeler ainsi en audience particulire. C'tait alors une marque d'estime assez peu usite ; mais je n'eus garde de le presser de s'expliquer, ni mme de lui en laisser saisir l'occasion ; pendant prs de deux heures je fus seule avec lui.Avant de partir, les capitaines prirent cong du Roi ; je les accompagnai malgr ce qu'avait pu faire Agns Sorel pour empcher le Roi d'avoir une nouvelle entrevue avec moi, ce qu'elle craignait par-dessus tout. Le duc d'Alenon allait monter cheval, lorsque la duchesse sa femme vint, baigne de larmes, se jeter dans ses bras, en le suppliant de ne pas partir ; je la rassurai en lui promettant de lui ramener son mari sain et sauf.Nous nous mmes en route pour Jargeau, par la prise de laquelle devait commencer la campagne. Nous y arrivmes le samedi 22 mai 1429, vers une heure du matin ; et nous en commenmes aussitt le sige. L vinrent nous rejoindre le comte de Dunois, le sire de Boussac, marchal de France, le seigneur de Graville, matre des arbaltriers, le sire de Culant, amiral de France, Ambroise, sire de Lor, Etienne de Vignolles, dit La Hire, Gauthier de la Boussac et bien d'autres capitaines. Il y avait dans la ville sept huit cents Anglais, sous les ordres de Guillaume de la Poule (1), comte de Suffolk et de ses deux frres : Jean et Alexandre. Huit jours se passrent en fortes escarmouches, qui n'aboutirent rien, mais pendant lesquelles il y eut un pisode que je crois devoir rappeler, et qui n'augmenta pas peu ma rputation.(1) Le vrai nom de ce chevalier tait la Poole, quoiqu'on appelt toujours la Poule (note de Jeanne).Un jour le duc d'Alenon tait devant la ville, donnant des ordres ; je vins en toute hte lui dire :- Duc d'Alenon, retirez-vous de la place o vous tes ; elle vous serait fatale, car cette machine (je lui dsignais du doigt une bombarde qui tait sur les remparts) vous tuerait. - On ne peut rien vous refuser, dit-il en riant ; allons ! il faut que je vous obisse.A peine se fut-il retir l'cart, qu'un boulet ennemi vint frapper mort un gentilhomme d'Anjou, qui tait l'endroit mme que le duc venait de quitter. Quand il sut que l'autre avait t tu, il jura bien de prendre note de mes avis, toutes les fois qu'ils le toucheraient de si prs.Il y avait dans la place une espce de gant, nomm Guillaume l'Anglais, objet de terreurs de mes Franais, dont il faisait un grand carnage. J'ordonnai un homme appel Jean le canonnier de tirer sur lui ; il rpondit :- Je l'ai fait jusqu' prsent inutilement ; il est invulnrable. C'tait aussi l'opinion des troupes.- Je le sais ; mais cette fois, rpliquai-je, vous russirez.En effet la tte du terrible gant vint rouler aux pieds du comte de Suffolk, qui excitait ses gens.Je priai le duc, alors, prs de moi, de rappeler La Hire, qui cherchait parlementer avec le commandant de la ville. Ds que son ordre eut t excut, je lui dis :- En avant, duc d'Alenon ! Montons tous l'assaut.Les batteries, qui avaient t dresses depuis plusieurs jours, avaient rendu la brche assez praticable. J'y montai et parvins bientt y planter mon tendard ; mais les ennemis m'accablrent de traits, dont un dchira ma bannire, fit clater mon casque en morceaux, et me renversa dans le foss ; aussitt une foule de chevaliers me firent un rempart de leurs corps et m'aidrent me relever. Je reparus bientt sur la brche aux yeux des Anglais consterns ; la violence du coup leur avait fait esprer que je ne les tourmenterais plus sur cette terre. Je criai mes gens :- Courage, compagnons ! La ville est nous.En effet, bientt nous en fumes matre. II y avait dans cette place douze cents Anglais dont huit cent furent tus, ainsi qu'Alexandre de la Poule, le plus jeune des frres de Suffolk; quatre cents furent faits prisonniers, et parmi eux Guillaume et Jean de la Poule ; ainsi fut pris Jargeau, le 30 mai. Cette ville fut pille, et l'glise qui renfermait des richesses immenses eut le mme sort.Nous nous mmes aussitt en route, pour aller Orlans. Les Franais, oubliant leur gnrosit, massacrrent en chemin tous les prisonniers. Ce fut avec peine que le duc d'Alenon et moi pmes sauver la vie du comte de Suffolk et d'autres grands seigneurs. Nous restmes dans cette ville quelques jours, pendant lesquels nous envoymes des courriers au Roi, pour l'avertir de cette conqute. L, les seigneurs de Rais, de Chauvigny, de Laval et bien d'autres nous amenrent des renforts.Pendant ce temps, Arthur de Richemont, conntable de France, frre du duc de Bretagne, ennuy de l'inaction dans laquelle il vivait depuis quelque temps Parthenay, vint Blois, avec douze cents hommes, offrir ses services au Roi qui, gouvern par la Trmolle, l'ennemi du conntable, les refusa et lui ordonna de se retirer.Pendant notre sjour Orlans, nous fmes faire des machines propres entreprendre les siges de Meung et de Beaugency. Les sores de Scales et de Talbot, qui taient dans cette dernire place, avertis de ces prparatifs, mandrent des gens de toutes part, pour renforcer les garnisons de ces villes. Les Anglais de la Fert-Hubert eurent ordre de venir Beaugency. En se retirant, ils mirent le feu au chteau ; nos gens purent cependant en sauver une partie. Un contrordre les ft partir au devant de Fastol, qui devait quitter Paris le jour mme, avec un convoi escort par un grand nombre d'Anglais.Le mercredi, 15 juin, je partis d'Orlans, accompagne du duc d'Alenon, lieutenant-gnral de l'arme du Roi, de quelques hauts seigneurs, barons et nobles, ainsi que d'un grand nombre de gens de pied. Nous allmes Beaugency. Nous nous arrtmes au pont de Meung, que les Anglais avaient mis en tat de se bien dfendre ; cependant, aprs un combat qui ne dura pas moins d'une journe, nous l'emportmes, et nous y mmes une bonne garnison.Le lendemain, nous allmes Beaugency, que les sires de Scales et de Talbot venaient de quitter, pour se retirer dans Yenville, o Fastol, effray par la prise de Jargeau, vint les trouver, aprs avoir laiss Etampes le convoi qu'il amenait. A notre vue, les Anglais abandonnrent la ville de Beaugency, pour se retirer dans le chteau et sur le pont. Nous prmes aussitt possession de la ville, et nous formmes de suite les siges du chteau et du pont, du ct de la Beauce.Le lendemain de notre arrive Beaugency, le comte de Richemont vint nous y joindre, accompagn de plus grands seigneurs, parmi lesquels on remarquait Jacques de Dinan, frre du seigneur de Chteaubriant, le sire de Beaumont et le comte de Perdriac. Le Roi, sachant que le conntable, malgr ses ordres, avanait toujours, avait fait dfendre au duc d'Alenon de le recevoir, ce qui nous mettait lui et moi dans un grand embarras. Il courait sur le comte des bruits sourds de trahison, dont la Trmolle s'tait habilement servi auprs du Roi. Parmi nous, les uns, entre autres La Ffire et le Btard de Orlans, voulaient se servir de lui ; les autres, c'tait le plus grand nombre, voulaient obir au Roi. J'tais du premier avis, mais le second, qui avait la majorit, semblait devoir l'emporter. De concert avec le duc, que j'tais parvenue mettre de mon avis, je pris le parti de le recevoir ; je craignais les suites funestes que cette division aurait eues pour nous. Les murmures qui clatrent de toute part m'engagrent faire rassembler tous les capitaines ; ceux-ci se rendirent mes raisons et promirent d'employer leur mdiation entre le Roi et le comte.Ce dernier sacrifia une partie de sa hauteur, et le Roi, sur nos instances, et malgr l'opposition de la Trmolle, consentit recevoir les services de Richement, qui joignait ses troupes aux ntres. Quand le conntable m'aborda, il me dit.- Jeanne, on prtend que vous voulez me combattre ; je ne sais pas qui vous tes, ni par qui vous tes envoye ; si c'est par Dieu ou par le Diable ; si c'est par Dieu, je ne vous crains pas ; car II connat mes intentions comme les vtres ; si c'est par le Diable, je vous crains encore moins.Je l'assurais de mon dvouement, tant qu'il serait fidle au Roi. Il fut convenu que le conntable formerait le sige du ct de la Sologne. Mais le lendemain, vendredi 17 juin, le bailli d'Evreux, qui tait dans Beaugency, demanda me parler : c'tait pour dlibrer d'un trait. Je fis aussitt assembler le conseil, et, midi, il fut sign ; Les principaux articles taient : qu'ils remettraient le chteau et le pont entre mes mains ; qu'ils auraient la vie sauve ; qu'ils partiraient le lendemain au soleil levant, laissant dans le chteau leurs chevaux, leurs vivres, leurs habillements, etc. ; que chacun ne pourrait emporter de meubles que pour un marc d'argent ; qu'ils pourraient s'en aller o ils voudraient ; mais qu'ils ne pourraient reprendre les armes contre les Franais qu'aprs un dlai de dix jours. Le samedi, 18 juin, au soleil levant, tous les Anglais, qui taient au nombre de cinq cents, partirent.Une nuit, le sire de Talbot, le sire de Scales et Fastol, croyant nous faire quitter Beaugency, allrent attaquer le pont de Meung ; mais ils s'y taient pris un peu tard car, le lendemain, 18 juin, aprs le dpart des Anglais, l'avant-garde vint au secours de ceux de Meung mais les autres les suivirent de prs, et nous nous rangemes aussitt en bataille devant cette ville. Les Anglais, cette vue, n'eurent rien de plus press que d'abandonner la ville et leurs richesses ; ils s'enfuirent du ct de la Beauce.Je partis, en toute hte, accompagne du duc d'Alenon, du comte de Vendme, du sire de Saint-Svre, de Boussac, marchal de France, de Louis de Culant, amiral de France, des sires d'Albret, de Laval, de Lohac, de Chavigny, etc. Nous poursuivmes vivement les ennemis, que nous joignmes prs de Patay, dans un lieu appel les Cognes. Le duc d'Alenon me dit, ds qu'il les aperut :

- Jeanne, voil les Anglais en bataille ; combattrons-nous ? Je lui demandai, sans rpondre sa question :- Avez-vous de bons perons ?- Comment, interrompit-il vivement en reculant, faudrait-il donc fuir ?- Non, lui dis-je, c'est pour les poursuivre ; car bientt nous les vaincrons sans que nous ayons regretter beaucoup de monde.L'avant-garde courut toute bride sur les ennemis qui ne s'attendaient rien moins qu' cette attaque ; en peu d'heures les Anglais qui n'avaient pas pu se ranger en bataille, furent entirement dfaits. Leur perte fut value deux mille deux cents hommes ; cinq mille furent faits prisonniers, ainsi que les sires de Talbot, de Scales, messire Thomas Rameston, Hugues Foie, et bien d'autres nobles anglais qu'il serait trop long de nommer.Les fuyards furent poursuivis jusqu'au fort d'Yenville, dont les habitantes fermrent la porte aux Anglais. Ils montrent mme aux murailles et tirrent sur eux. Le capitaine qui commandait dans le chteau d'Yenville tait sorti pour voler la dfense des Anglais avec la plupart des siens, laissant dans le chteau son cuyer et lieutenant avec trs peu de gens. Ds que le lieutenant connut la dfaite des siens, il rendit le chteau et fit le serment d'tre bon et loyal Franais pendant toute sa vie. Les habitants d'Yenville nous ouvrirent aussitt les portes de leur ville, o nous trouvmes une quantit innombrable d'artillerie et de richesse de toutes espces. Un franais avait fait plusieurs prisonniers ; l'un d'eux ne pouvait le suivre cause d'une blessure qu'il avait reue et qui lui permettait peine de se tenir debout ; son conducteur, ne pouvant le faire marcher assez vite, le frappa d'un bton sur la tte avec tant de violence, que le malheureux captif tomba presque inanim. Justement indigne, je sautai de mon cheval et je fis arrter et punir le Franais ; je courus l'Anglais pour tcher de le rappeler la vie voyant qu'il allait mourir, je fis venir un prtre qui le mit en tat de paratre devant le tribunal du Juge suprme. Bientt il rendit le dernier soupir dans mes bras en me comblant de bndictions. J'ordonnai de traiter les prisonniers avec humanit, menaant de peines svres ceux qui ne le feraient pas.La Hire vint me dire que, malgr mes dfenses ritres, il s'tait gliss dans le camp quelques femmes de mauvaise vie. J'allai aussitt l'endroit o elles taient et je les chassai, en frappant de toutes mes forces sur leurs dos et leurs paules avec le plat de mon pe ; j'tais tellement exaspre que je la brisai en morceaux ; heureusement que ce n'tait pas celle de Sainte-Catherine-de-Fierbois, mais une que l'on avait prise sur un Bourguignon.Apprenant la dfaite des Anglais, la garnison franaise du pont de Meung entra dans la ville, qui fut pille. Messire Jean Fastol et bien d'autres qui s'y taient rfugis aprs la dfaite de Patay, s'enfuirent de nouveau et allrent Corbeil. Les ennemis abandonnrent galement les places qu'ils occupaient du ct de la Beauce et les livrrent aux flammes. Ainsi la bataille de Patay termina glorieusement notre campagne.Toute l'arme retourna le jour mme, 18 juin, Orlans. Les bourgeois de cette ville avaient tendu les murs de riches draperies. Des bannires, sur lesquelles on lisait le nom de Jeanne la Pucelle ou ces mots : A notre libratrice ! taient toutes les fentres ; des dmes et des guirlandes de fleurs cachaient l'azur du ciel nos yeux blouis ; les rues taient jonches de fleurs et de verdure ; il est vrai de dire aussi qu'on esprait la visite du Roi, qui ne vint pas, retenu Sully par Agns Sorel.Charles, la vielle de mon entre, qui eut lieu le 20, m'avait envoy une magnifique robe de damas blanc, parseme de fleurs de lys en diamants ; une lgre armure de femme (je n'en avais que d'homme), un casque orn de six plumes blanches, l'charpe assortie la robe, et un superbe cheval blanc carapaonn de velours bleu de ciel parsem de fleur de lys d'or. L'effet que je produisis ainsi est dpeint dans ce passage d'une lettre du duc d'Alenon au Roi (1)... Quant notre belle inspire, Votre Majest ne peut simaginer l'admiration qu 'elle a excite partout sur notre passage. La jeune fille portait le riche costume dont Votre Majest lui af ait prsent ; ses bruns cheveux tombaient en grosses boucles sur ses paules ; notre soleil de printemps, rarement galant, na pourtant pas os porter atteinte la fracheur de son charmant visage ; son armure cachait peine sa taille si lgante et si souple. Elle tenait dans sa main la bannire qui, si souvent, a relev notre courage et nous a guids dans le chemin de la gloire. Les blanches plumes de son casque et sa riche chevelure, doucement agites par le vent, semblaient former dans l'air un glorieux panache. Quand je la vis si belle, si gracieuse ; quand son doux regard s'arrta sur moi, un trouble inconnu pntra mon me ; je restai immobile ma place ; j'oubliai mme de lui offrir la main pour monter sur son palefroi. Quavez-vous, duc d'Alenon ? me dit-elle en me dcouvrant deux rangs de perles ; vous paraissez me trouver laide ! ajouta-t-elle en me jetant un regard moqueur. Je ne rpondis pas, et bientt, mont sur mon cheval, je pris places ses cts. Mais, en grce, Sire, ne montrez pas la prsente ma belle duchesse ; car, avant mon dpart, elle semblait craindre que les beaux yeux de Jeanne ne me rendissent infidle...

(1) Ce n'est qu'aprs une longue insistance de notre part qu'elle nous a fait la description de sa toilette et de sa beaut (note de la mdium psychographe, Ermance Dufaux).

Le peuple vint en foule au devant de nous, par de ses habits de fte ; tout le clerg vint en costume de crmonie, bannire en tte, nous recevoir la porte de la ville. Nous descendmes, midi, dans l'glise, o il fut chant un cantique d'action de grces.J'allai ensuite chez matre Jacques Boucher, mon ancien hte, o je ne passai qu'une nuit. Le lendemain, une heure du matin, jtais dj en route pour Sully. Le Roi s'y trouvait ; je parvins le dcider venir Chteau-Neuf-sur-Loire. Tous les capitaines et chefs de guerre vinrent l'y rejoindre. Il tint dans cette ville plusieurs conseils, aprs lesquels on retourna Sully.Aprs son dpart, je revins Orlans, d'o je fis partir les troupes, les munitions de guerre et tout ce dont les habitants n'avaient pas besoin. J'envoyai le tout Gien, et je suivis de prs. Le Roi m'y joignit bientt, avec ce qu'il avait pu rassembler de troupes. Il envoya des hrauts pour sommer les commandants des villes et forteresses de Bonny, de Cosne et de la Charit de remettre leurs places sans rsistance, ce qu'ils refusrent.Aprs que nous emes conquis les places des bords de la Loire, le conntable Arthur de Richemont tait rest Beaugency, ayant ordre de ne pas paratre devant le Roi. Le conntable, quoique vivement piqu des affronts qu'il recevait sans cesse, sut, inspir par le vritable amour de la patrie, sacrifier son ressentiment la libert de la France. En partant, le j'assurai, ainsi que les