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1 Jessica PAILLART Sciences Po Toulouse 5A D2P2 2015/2016 Mémoire préparé sous la direction de M. Décaudin Rédigé par Jessica Paillart Le marketing genré

Jessica PAILLART Sciences Po Toulouse 5A D2P2 … · La première partie de ce mémoire sera dédiée à l’étude de l’effectivité du marketing genré dans les pratiques des

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Jessica PAILLART Sciences Po Toulouse 5A

D2P2

2015/2016

Mémoire préparé sous la direction de M. Décaudin

Rédigé par Jessica Paillart

Le marketing genré

2

Remerciements 4

Résumé 4

Introduction 6

I- Le phénomène de marketing genré à l’épreuve du genre 9

A- L’intérêt des marketers à « genrer » les produits 9

1- La segmentation liée à la volonté d’accroissement des ventes 9

a- Le marketing facteur de création de nouveaux besoins 9

b- Le marketing permet la multiplication des ventes 13

c- La théorie du marketing relationnel 14

2- Absence ou mauvaise segmentation conduisant au déclin des ventes 15

3- Une segmentation parfois décriée 16

a- Une segmentation liée à l’accroissement des prix - la woman tax 16

b- Les accusations de stigmatisation et de sexisme 18

B- Le rôle sociologique de la publicité 21

C- Le genre des marques 22

1- La construction de l’identité des marques 23

2 - Le genre perçu des marques 25

a- La perception genrée des marques 25

b- Le genre exclusif 26

c- Le genre ouvert 27

d- Le genre neutre 27

3- Les techniques de cross gender extension 27

a - Qu’est ce que les cross gender extension ? 27

b- Les difficultés de changement de sexe d’une marque 28

3

II- Les évolutions de la notion de genre dans la société française 30

A- Les débats liés au genre 30

1- Les thèses essentialistes 30

2- Les thèses constructivistes 31

B- Les débats autour du genre et du marketing 32

1- Le marketing comme renforcement des stéréotypes de genre dans la société 32

2- Une situation qui tend à changer par certains égards 33

a- Le développement de campagnes féministes 34

b- La stratégie marketing de renversement des rôles 36

Conclusion 38

Annexe 2 : Les réponses au questionnaire 43

Table des illustrations 47

4

REMERCIEMENTS

Je n’aurais jamais pu rédiger ce mémoire sans l’aide précieuse de mon directeur de mé-

moire qui m’a accompagnée tout au long de ces presque deux années de réflexion et de

rédaction.

Merci également à tout ceux qui ont participé à mon enquête terrain, les résultats recueillis

ont été des données précieuses, qui ont alimenté ma réflexion.

Et finalement un grand merci à mes proches qui m’ont aidée lors de la rédaction de ce

mémoire de par leurs conseils.

RESUME

Le marketing genré, c’est-à-dire différencié en fonction des hommes et des femmes, est

une tendance forte de la stratégie mise en place par les marques. Cette stratégie fait écho

aux évolutions de la société. En effet, les marques ont tendance à suivre ces évolutions afin

d’adapter leur message et de correspondre au mieux aux attentes des consommateurs qui

sont de plus en plus exigeants compte tenu de la forte concurrence.

Mots clés : marketing, genre, société, segmentation, consommation

5

6

INTRODUCTION

Le marketing genré est une tendance forte de ces dernières années et consiste à segmen-

ter l’offre produit en fonction du genre des consommateurs. Né aux USA dans les années

70/80, suite à la révolution sexuelle, le gender marketing va s’appuyer sur les références

culturelles connotées par tel ou tel genre. De manière générale, le marketing est l’ensemble

des moyens dont dispose une organisation pour influencer dans un sens favorable à la réa-

lisation de ses propres objectifs, les attitudes et les comportements des publics auxquels

elle s’intéresse. Ainsi par ce biais, les marques vont faire passer des messages destinés à

une cible marketing qui est un groupe de consommateurs ou d’acheteurs visés par

l’entreprise. Effectivement, le marketing consiste à choisir une cible donc impose de seg-

menter le marché, c’est-à-dire à le décomposer en groupes homogènes et distincts pour

cela il est nécessaire d’utiliser des critères de segmentation pertinents et opérationnels.

La segmentation en deux grands ensemble que seraient les hommes et les femmes est

l’une des segmentations les plus aisée. En effet, cette segmentation permet de séparer la

population en deux groupes distincts et de taille à peu près égale.

Ce sujet suscite de plus en plus d’intérêt notamment par les actions menées par le col-

lectif Georgette Sand qui a mis en avant les pratiques liées au marketing genré et notam-

ment les écarts de prix pratiqués entre les produits « féminins » et « masculins ». Le terme

qu’elles utilisent est celui de « taxe rose » (ou « women tax » dans les pays anglo-saxons)

montrant qu’à produit ou à service égal, ceux destinés aux femmes ont un coût supérieur.

Cette campagne de sensibilisation a eu un écho fort dans la société civile mais aussi dans la

classe politique qui s’est saisie de ce sujet. En effet par le biais d’un amendement déposé

en janvier 2015, le Parlement a demandé au gouvernement de lui rendre un rapport « por-

tant sur les conséquences du marketing différencié en fonction du sexe, les écarts de prix

selon le sexe du consommateur et les inégalités pesant sur le pouvoir d’achat des femmes

et des hommes » . Ce rapport a effectivement été rendu en décembre 2015 et bien qu’il ne

mette pas en lumière l’existence d’une « woman tax » il reconnait l’existence d’un marke-

ting différencié selon le genre contre lequel il appelle à lutter.

7

Nous allons tout d’abord définir ce qu’est le genre et en quoi est-il différent du sexe ? Il

faut savoir que le genre est un concept de sciences humaines et sociales d’origine anglo-

saxonne (« gender ») qui permet de mettre en exergue la construction sociale de la diffé-

rence des sexes. Ainsi, de par la dissociation du culturel et du biologique, le concept de

genre permet d’étudier l’identité sexuelle indépendamment du sexe biologique.

Le concept de gender marketing repose donc sur l’identification, par les spécialistes du

marketing, des opportunités de segmentation par genre. Le marketing genré ne se situe pas

seulement au niveau des marques « féminines » répondant à des besoins « naturellement »

féminins tels que les protections hygiénique et certains sous-vêtements.

Cependant, il convient de s’interroger sur la pertinence d’une telle segmentation et

d’une telle stratégie des marques. En effet, une étude marketing menée auprès de 500 per-

sonnes a prouvé que seulement 17% d’entre elles disent acheter ces produits genrés pour

affirmer leur masculinité ou leur féminité. Et 60% d'entre elles pensent que ces produits ou

services ne répondent pas à de vrais besoins aujourd'hui.

Nous verrons au cours de ce mémoire dans quelle mesure le marketing exerce une in-

fluence sur la définition du genre en France ? Dans quelle mesure les consommateurs sont-

ils impactés par les politiques marketing des marques ? En quoi la taxe rose est une réalité

?

Afin d’illustrer les propos de ce mémoire, un questionnaire a été réalisé, validé par mon

directeur de mémoire Monsieur Décaudin et passé sur internet auprès de 111 personnes de

mon entourage (78 femmes et 33 hommes). Le but de ce questionnaire était d’étudier leur

perception et leur connaissance du marketing genré. Il s’agissait d’un questionnaire avec

des questions fermées et des questions ouvertes qui me permettront d’illustrer mes propos

et mes déductions tout au long de ce travail de recherche. La principale limite de cette

étude est le nombre de participants qui est trop faible pour être véritablement représentatif

mais qui me permettra de confirmer ou d’infirmer mes hypothèses. De plus, nous avons

volontairement choisi de nous concentrer sur un public majeur pour des raison de facilité

de passation.

8

La première partie de ce mémoire sera dédiée à l’étude de l’effectivité du marketing

genré dans les pratiques des marques, la deuxième partie permettra d’observer les liens

existants entre le marketing et les définitions des genres dans la société française.

9

I- LE PHENOMENE DE MARKETING GENRE A

L’EPREUVE DU GENRE

La segmentation de la population en deux groupes distincts apparait effectivement la

plus aisée à effectuer et dont les résultats pourraient être les plus importants. Les marketers

ont donc des intérêts conséquents à segmenter leurs cibles (A), cette segmentation produit

des conséquences sociologiques au sein de la population (B). Finalement le genre des

marques n’est pas un concept monolithique et il va s’agir de le définir et de l’étudier (C).

A- L’intérêt des marketers à « genrer » les produits

Les marketers ont tout intérêt à segmenter leurs cible en fonction de deux grandes caté-

gories, cette segmentation peut conduire à la volonté d’accroissement des volumes de

ventes de ces marques (1) car nous allons voir dans un deuxième temps que l’absence ou

une mauvaise segmentation peut avoir des conséquences négatives sur la marque (2) mais

ceci est parfois mal perçu de la part des consommateurs (3).

1- La segmentation liée à la volonté d’accroissement des ventes

a- Le marketing facteur de création de nouveaux besoins

a-i La segmentation des produits d’hygiène et cosmétique

Le secteur des cosmétiques est l’un des secteurs dans lequel la segmentation genrée est

la plus fréquente et où la différence homme/femme est la plus flagrante. Il existe souvent

dans les supermarchés des rayons dédiés aux cosmétiques masculins et des rayons pour les

cosmétiques féminin. Cette segmentation permet de créer de nouveaux besoins chez les

consommateurs qui s’identifient à l’un ou l’autre genre. Ainsi, de nouveaux produits font

leur apparition, produits pour lesquels il y a quelques années il n’aurait pas été possible de

s’imaginer que des besoins différents existeraient pour les hommes et les femmes.

10

Il est possible d’évoquer à titre

d’illustration ce qui est décrit comme « le

premier dentifrice spécialement conçu

pour les hommes ». Ce dentifrice, baptisé

Signal White Now Men, vise une cible

exclusivement masculine et assez jeune,

entre 25 et 49 ans. Ce produit est la consé-

quence d’une nouvelle tendance chez les consommateurs d’après Alice Jactel, responsable

de la marque Signal chez Unilever : « ce lancement est lié au fait que les hommes, surtout

les plus jeunes, s’intéressent de plus en plus aux produits d’hygiène beauté ». Selon la

marque, les hommes auraient des habitudes de vie assez différentes de celles de la gente

féminine pour justifier l’arrivée d’un dentifrice spécifique. « Ils fument plus, boivent en

général plus d’alcool, notamment du vin en France. Ils ont aussi une consommation supé-

rieure de café, ce qui provoque des taches », précise Delphine Leroyer, une responsable de

la gamme chez Unilever, dans Les Echos.

L’étude terrain réalisée montre que seulement 33,3% des hommes interrogés seraient

prêts à acheter ce dentifrice soit un tiers du panel masculin pour qui un dentifrice spécia-

lement destiné aux homme semble utile. Nous reviendrons dans une prochaine partie sur

les problématiques liées au prix dans la partie I-A-3-a.

Les produits cosmétiques sont fortement liés à la définition du genre dans la mesure où

ils sont en grande partie destinés exclusivement à un sexe ou un autre de part leur position-

nement marketing.

Illustration 1 - Publicité pour Signal White

Now Men

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a.ii- Les produits alimentaires différenciés :

A coté des cosmétiques qui est le domaine dans lequel la segmentation est la plus fré-

quente, l’industrie alimentaire s’appuie également sur ce phénomène. En effet, afin

d’accroitre la segmentation de la population et de diversifier ses produits, certaines

marques vont faire des campagnes de marketing genré.

L’exemple le plus connu est celui de Coca-cola, en ef-

fet dans un but de générer plus de ventes l’entreprise

avait lancé le Coca-Cola Light, destiné initialement aux

femmes qui souhaitaient faire attention à leur poids

comme l’illustre l’image . Cependant, ici nous ne

sommes pas dans la caricature mais dans la création de

territoires différents qui connotent une segmentation par

genre mais qui n’excluent pas.

Le coca-cola Light évoque le plaisir la légèreté et l’élégance et tandis que le Coca-cola

Zéro évoque la robustesse et le dépassement de soi pour les hommes.

Malgré des messages et des identités de marques différentes, on va voir grâce à l’étude

terrain que les deux produits sont tout autant acceptés par l’un et l’autre des genres. En

effet, les hommes et les femmes ont les mêmes habitudes d’achat de coca-cola light avec

des pourcentages quasiment identiques ; 9,1% des hommes interrogés déclarent acheter du

Coca-Cola light et 9% des femmes interrogées déclarent en acheter.

Le Coca-Cola Zéro qui avait été quant à lui lancé dans une visée marketing à destination

des hommes : packaging noir et rouge, slogan, campagnes de pub « masculines ». L’étude

terrain nous a montré que les habitudes d’achat en matière de Coca-Cola Zéro sont relati-

vement similaires pour les hommes et les femmes. Effectivement, près de 27% des

hommes ont déclaré acheter prioritairement du Coca-Cola Zéro, contre 23% des femmes.

Illustration 2 - Publicité pour Coca-cola light

12

Compte tenu des réponses obtenues lors de l’enquête terrain, la campagne marketing

différenciée ne semble pas avoir fonctionné dans la mesure où les habitudes d’achat ne

sont pas différentes en fonction du genre. Cela se vérifie par les habitudes de consomma-

tion en France qui ont montré que le Coca-Cola Zéro était consommé à 50% par des

femmes.

Cela peut être une des raisons pour laquelle cette campagne a été abandonnée le 12 mai

2015 en France. Dorénavant, Coca-Cola ne mettra en avant qu’une stratégie de communi-

cation/marketing lors de ses campagnes. Cette stratégie a été présentée comme «une évolu-

tion pour les consommateurs, une révolution pour les marketeurs», par Céline Bouvier,

directrice marketing de Coca-Cola France. En effet, cette nouvelle stratégie consiste à

mettre de côté les marques filles aux côtés de Coca-Cola Classic: Light (lancée en 1988),

Zéro (2007) et Life (2014), et ce, afin de mieux mettre en lumière la marque mère, qui re-

prend le pouvoir et accède au statut de «masterbrand».

Au mois de mai 2015, une controverse a éclaté au sujet des pots à tartiner présentés ci-

dessus. En effet, les pots à tartiner pour femmes auraient pour vertu de donner un « ventre

plat assuré » tandis que les pots à tartiner pour homme « aident à la virilité ». Ainsi, des

stéréotypes de genre sont utilisés, tels que le fait que les femmes soient perpétuellement au

régime tandis que l’homme serait pour sa part en perpétuelle quête de satisfaction sexuelle.

Les exemples de produits alimentaires genré sont fréquents ; on peut également citer les

cornichons pour femmes présentés comme étant plus doux, les saucisses pour femmes al-

légées en matières grasses ou le « Macho Muesli » de Jordans sorti en 2008.

Illustration 3 - Tartines genrées de la marque

« Rue de la Traversette »

13

b- Le marketing permet la multiplication des ventes

Une fois que les marketers ont créé un nouveau besoin auprès des consommateurs, la

vocation des marques est d’accroitre le volume de ventes desdits produits. Selon le rapport

remis au Sénat en décembre 2014, Mona Zegaï, sociologue française, a mis en avant le fait

que le marketing genré permet aux marques d’augmenter le volume de vente. La socio-

logue a démontré ceci en s’appuyant sur l’exemple des enfants et notamment des fourni-

tures scolaires. Ainsi, si les parents d’une petite fille font l’acquisition de fournitures sco-

laires genrés (par exemple : un cartable Hello Kitty, ou des classeurs ou cahiers de couleur

rose …) son petit frère n’acceptera pas que l’on lui transmette ces affaires l’année d’après.

Ainsi, les parents devront faire l’acquisition de nouvelles fournitures scolaires pour le petit

garçon et cela empêchera donc une transmission inter-générationnelle. Dans ce cas, cela

renforce dès le plus jeune âge le sentiment d’identité genrée chez les enfants et le marke-

ting favorise donc directement cette construction sociale. Le fort ancrage des stéréotypes

enferme les enfants dans un déterminisme genré.

Concernant la multiplication des ventes, on peut également évoquer tout l’univers des

produits d’hygiène et de cosmétique, qui sont genrés et qui n’auront plus vocation à être

partagés au sein d’un couple hétérosexuel comme l’illustre cette image. Ainsi les volumes

pour chaque produit pris individuellement sera plus important car l’achat de deux produits

sexués se substituera à l’achat d’un seul produit mixte. Au sein d’une même famille il sera

désormais possible de trouver des produits d’hygiène différents selon les hommes et les

femmes ce qui met en exergue les différences hommes et femmes au-delà des différences

biologiques.

Illustration 4 - Image représentant

des produits d’hygiène bucco-

dentaire genrés

14

c- La théorie du marketing relationnel

La stratégie des marques de cibler plus spécifiquement les hommes ou les femmes pour-

rait trouver sa justification au travers de la théorie du marketing relationnel qui est plus

particulièrement puissant lorsqu’il s’adresse aux femmes. Ainsi, en marketing relationnel,

on se préoccupe de créer, de maintenir et de valoriser une relation commerciale avec les

clients sur une longue période de temps. Cette théorie semble tout à fait s’appliquer au

contexte du marketing genré car selon Susan Fournier (Fournier 1993) « women are more

likely to engage in relational market behavior with firms, products or brands ». On re-

trouve ainsi l’intérêt certain qu’auraient les marques à segmenter leurs produits en direc-

tion des femmes dans la mesure où celles-ci seraient plus enclines à s’engager sur un temps

plus long avec les marques.

Le marketing relationnel s’appuyant sur des valeurs féminines serait une réelle tendance

du XXIème siècle (Gavard-Perret 2000). Il y a une prévalence du marketing « one-to-one »

qui induit une prédominance du lien social sur la stricte transaction commerciale.

Les marques engageraient une relation plus personnelle et plus profonde à l’égard de leur

clientèle féminine qui en retour s’investirait plus vis-à-vis de la marque.

Ainsi, les marques dites féminines mettent beaucoup plus en oeuvre des événements et

actions visant à ce que les clientes se sentent privilégiées.

La cible des femmes est-elle davantage ou moins réceptive que les hommes au marke-

ting relationnel ? Quelles sont les différences ? Selon Patrick Hetzel, professeur à

l’Université Panthéon-Assas, les femmes sont plus expertes que les hommes dans la rela-

tion avec autrui. Dans le cadre des relations vis à vis des marques, les femmes font preuve

de plus de discernement quant aux vraies et fausses pratiques relationnelles. Tandis que

selon le professeur, les hommes sont plus habitués à être dans des relations de pouvoir et

sont facilement séduits par des approches marketing qui leur donnent un pouvoir et un

prestige.

Cette théorie est fortement liée avec ce qui est développé par la doctrine de Serge Gin-

ger selon lequel les hommes et les femmes ont des différences intrinsèques qui sont insur-

montables, théorie essentialiste que nous verrons plus en détails dans la partie II-A-1.

15

2- Absence ou mauvaise segmentation conduisant au déclin des

ventes

On a vu dans cette première sous-partie que la segmentation était un phénomène vers

lequel les marques se dirigent de plus en plus. Cependant, ce n’est pas seulement une ten-

dance, cela peut être également une stratégie incontournable pour des marques. En effet,

les femmes représentent la moitié de la population mondiale, ainsi une segmentation en

fonction des sexes apparait comme la segmentation la plus simple en ce qu’elle divise la

population en deux catégories. Des marques qui adresseraient un message dit « gender

neutral » se couperaient des consommateurs qui s’attendent à ce que l’on cible plus spéci-

fiquement leur genre. S’agissant du domaine des cosmétiques, certains consommateurs ou

consommatrices attendent des produits qu’ils achètent qu’ils leur soient totalement adaptés.

Cette conformité passerait pour certains consommateurs d’un message marketing en adé-

quation avec leur personne et donc spécifiquement orienté vers leur genre.

Le second risque dans la segmentation genrée des produits serait de s’adresser à une

cible en faisant abstraction de la seconde moitié de la population et donc des éventuels

consommateurs ou consommatrices. Cela s’illustre par une étude menée par She-conomy

qui remet en perspective les clichés habituels autour des femmes. Alors qu’elles comptent

pour 85% dans les décisions d’achat aux Etats-Unis, le sondage révèle également que leur

périmètre ne se limite pas aux achats de cosmétique ou d’appareils électroménagers. En

effet, en ce qui concerne les achats automobiles, les femmes représentent près de 65% des

achats de nouveaux véhicules. C’est un phénomène analogue qu’évoque Bridget Brennan

(Brennan 2009), dans son ouvrage Why she buys, qui met en avant le déclin de l’industrie

automobile américaine en raison du manque de marketing à direction des femmes contrai-

rement à l’industrie automobile asiatique.

Des produits dont le message marketing est exclusivement destiné à l’un ou l’autre des

sexes se priveraient de l’autre partie des consommateurs. Ceci est particulièrement dange-

reux quand le produit a pour vocation d’être utilisé conjointement par les deux sexes. C’est

la raison pour laquelle certains produits dont l’usage était auparavant plutôt destiné à l’un

ou l’autre des genres mais dont l’utilisation a évoluée au cours du temps a vu son discours

marketing évoluer. C’est le cas des produits d’entretien ménagers, sur lesquels nous re-

16

viendrons plus en détails dans I.B.1, dont les campagnes marketing ont évolué afin d’être

plus en phase avec la réalité et les habitudes culturelles des consommateurs.

Selon le produit que la marque veut promouvoir il s’agira de procéder à une segmenta-

tion pertinente afin de ne pas perdre des consommateurs potentiels.

3- Une segmentation parfois décriée

a- Une segmentation liée à l’accroissement des prix - la woman tax

La woman tax correspondrait à un surcoût appliqué sur des produits identiques mais

présentés dans des formats ou des présentations qui les destinaient aux femmes plutôt

qu’aux hommes. Ainsi, le prix des produits estampillés « femme » seraient dans certains

cas, plus chers que les produits destinés aux hommes. Il existe de nombreux exemples sur

le Tumblr Georgette Sand qui mettent en exergue les différences de prix pratiqués en défa-

veur des femmes. Le principal problème lié à cette différence de traitement réside dans le

fait que les femmes gagnent en France entre 10 et 27% de moins que les hommes à travail

égal. Cette différence de traitement est donc d’autant plus injustifiée.

Ainsi, le rapport remis au Parlement le 15 décembre relatif au marketing genré montre

la réalité de cette segmentation : « la segmentation des marchés en produits plus spécifi-

quement adressés aux femmes ou aux hommes au-delà d’entretenir les stéréotypes, sont à

l’origine d’un surcoût (achats de plusieurs produits, différenciation produisant un prix su-

périeur). ». Ainsi, suite à ce rapport le gouvernement s’engage à se concerter avec les ac-

teurs afin de lutter contre ce phénomène de segmentation.

Etant donné le fait que c’est dans le secteur des cosmétiques et de l’hygiène que le mar-

keting genré est le plus important c’est sans surprise que c’est là que les écarts de prix sont

les plus importants. En effet, les marketers auraient tout intérêt à fixer des prix plus élevés,

car on a vu que les femmes sont prêtes à payer d’avantage en ce qui concerne les produits

d’hygiène et de cosmétique.

Le rapport au parlement relatif à la woman tax met en exergue trois analyses des diffé-

rences de prix sur trois familles de produits que sont les déodorants, les crèmes hydratantes

ainsi que les rasoirs jetables. Il ressort de la première enquête relative aux déodorants que

sur le coeur de gamme hommes (flacons de 150 ml) les femmes payent en moyenne 16%

17

de plus que les hommes tandis que pour le coeur de gamme femme (100 ml et 200 ml) les

hommes payaient en moyenne 9,5% de plus. Ainsi pour les deux sexes le prix est plus éle-

vé sur leur coeur de gamme bien que cela soit plus marqué pour les femmes. Concernant la

deuxième enquête relative aux soins hydratants en supermarché le surcoût apparait comme

indéniable pour les femmes car il est de 1,17 à 8,66 euros de différence pour la même unité

de besoin. Finalement, concernant les rasoirs jetables, les marques distributeurs sont en

moyenne 6% moins chères pour les femmes tandis que les femmes payent 19% de plus que

les hommes pour l’entrée de gamme des grandes marques. Ainsi, on peut conclure que

bien que les différences de prix soient tour à tour du coté des hommes ou de celui des

femmes, les différences de prix sont bien plus importantes pour le sexe féminin.

De plus, l’enquête terrain nous révèle que très peu de personnes comparent les prix

entre les rayons femmes et les rayons hommes. Ainsi 69,2% des femmes interrogées ne

comparent jamais les prix, 20,5% les comparent parfois et seulement 10,3% comparent

toujours les prix entre les deux rayons. En ce qui concerne les hommes, cette proportion est

beaucoup plus importante. 90,9% des hommes déclarent ne jamais comparer les prix entre

les rayons femmes et les rayons hommes et 9,1% déclarent comparer les prix entre les

deux rayons.

On pourrait en tirer les enseignements suivants, la majorité des consommateurs (environ

80% si l’on prend la moyenne entre les hommes et les femmes) ne compare pas les prix

entre les deux rayons. Ainsi les femmes pour lesquelles les produits sont les plus chers

auraient tout intérêt à comparer et à acheter les crèmes de jour au rayon homme ou les ra-

soirs.

Ainsi, nous pouvons nous appuyer sur l’étude terrain réalisée dans laquelle une question

était posée « Au regard des prix pratiqués par l'enseigne Auchan et de vos préférences,

quel dentifrice choisiriez-vous entre les trois ? », il était proposé trois réponses avec les

prix à l’unité et les prix au litre. Les résultats de cette étude révèlent que 85,6% des per-

sonnes interrogées choisiraient le dentifrice le moins cher. Seules 10,8% choisiraient le

dentifrice White Now Men et seulement 4,5% le dentifrice Signal Glossy Chic. On peut

constater que lorsque les individus ont la possibilité de comparer les prix, le choix se fait le

18

plus souvent vers le produit le moins cher dans la mesure où il est perçu de qualité équiva-

lente.

De plus, dans l’étude terrain réalisée, il a été demandé aux sondés s’ils pensaient que

l’écart de prix entre le dentifrice destiné aux femmes et le dentifrice destiné aux hommes

était justifié. Du point de vue des hommes et des femmes interrogés, ceci n’est pas justifié.

Il y a eu 3 femmes sur 78 interrogées qui ont justifié cet écart par « des coûts de R&D plus

importants pour les produits féminins » et par le fait que les femmes soient plus « enclins à

payer plus cher leurs produits ». Les 75 autres réponses sont opposées à ces écarts de prix

: « non, je pense que le contenu est le même! » , « Pas du tout. les hommes et les femmes

ont les mêmes dents donc le dentifrice ne devrait pas être différencié » , « Non. Je pense

que ce sont les mêmes dentifrices et que le prix devrait être le même. Je pense surtout qu'il

ne devrait pas y avoir 2 dentifrices différents. » , et certaines réactions sont plus fortes

telles que « Non évidemment. J'ai lu plusieurs articles prouvant que les produits destinés

aux femmes sont vendus plus chers car apparemment les femmes seraient plus volontaires

et enclines à débourser plus pour les soins, la beauté, l'hygiène.. je trouve ça honteux. » ,

« NON !! Je suis outrée !! ». On voit ainsi que les femmes sont opposées à ce que les

marques les cantonnent à leur identité de genre et les taxe sous couvert de la segmentation

de genre.

b- Les accusations de stigmatisation et de sexisme

L’utilisation à outrance du marketing genré dans une logique de segmentation peut con-

duire à des excès et à la condamnation par les clients de telles campagnes. On peut mettre

en avant deux produits pour illustrer cela, le premier : Bic for her, sorti en 2012. La cam-

pagne au moment de sa sortie mettait en avant des stylos aux teintes pastel et plus fins pour

une meilleure prise en main des femmes. Les publicités très genrées, ont également dé-

clenché un grand nombre de réaction critiques.

Deux ans après la sortie de ces stylos, c’est au tour de Stabilo de pratiquer sur un pro-

duit le marketing genré. En effet, la sortie des surligneurs pour femme Stabilo’ Neon a

déclenché beaucoup de critiques notamment après la sortie de ce communiqué de presse

expliquant que les surligneurs « classiques » de la marque étaient « des surligneurs

d’hommes dans un monde d’hommes ».

19

Illustration 5 - Communiqué de presse de Stabilo pour la sortie du Stabilo Neon

Ainsi, dans l’étude terrain qui a été réalisée, l’échantillon a été interrogé sur ce produit

dans la question suivante : « Que pensez-vous de ce surligneur qui "s’affranchit des codes

masculins et revendique un style délibérément féminin" ? ». Il s’agissait d’une question

ouverte et les réponses ont été dans leur grande majorité, hostiles à ce produit. Ainsi, près

de 80% des femmes ont souligné l’aspect ridicule voire inutile d’un tel produit et parmi ces

dernières, près de 10% ont même dénoncé l’aspect discriminant envers les femmes. En

effet, une telle démarche a pu être interprétée comme « ridicule, c'est pousser les stéréo-

types jusque dans des objets qui étaient encore neutres » ou comme de « la discrimina-

tion » voire « une forme de domination puisque l'on ne s'affranchit pas du tout des codes ».

Des réactions similaires ont pu être relevées chez les hommes qui ont pointé pour la moitié

l’aspect « ridicule » et l’utilité strictement « marketing » d’une telle démarche. Cependant,

ils ont été moins virulents que les femmes sur l’aspect discriminant et sexiste du produit.

20

On peut également noter que seule six réponses de femmes soit moins de 8% déclarent

cautionner ce type de produit « Je serais néanmoins prête à les acheter s'ils sont pra-

tiques » ou « cela ne pose pas de problème » tandis que 15% des hommes trouvent relati-

vement normal ces stabilos « Cela peut paraître compréhensible dans le sens où les

femmes peuvent apprécier ce produit qui pourrait mieux leur correspondre » ou « c'est le

marché qui décide, si il y a de la demande, c'est une bonne idée ». Néanmoins, la question

suivante interrogeait la possibilité d’acheter ces surligneurs. Près de 15,3% des personnes

interrogées étaient prêtes à acheter ces surligneurs. Ce chiffre est relativement le même

selon le sexe interrogé malgré les différences dans les réponses. Ainsi, on pourrait en con-

clure que bien que la population féminine interrogée se soit offusquée de la pratique com-

merciale de stabilo, elles sont tout de même prêtes à en faire l’acquisition. Ceci peut pa-

raitre assez paradoxal dans la mesure où les femmes ne veulent pas être réduites à leur

identité genrée mais sont prêtes à acquérir un produit dont le message marketing est qu’elle

ne peuvent pas utiliser des stabilos classiques dits d’hommes.

21

B- Le rôle sociologique de la publicité

La publicité apparait comme le reflet d’une société à un moment donné car la publicité

s’adapte afin de correspondre au mieux avec les modes de vie des consommateurs. Les

campagnes publicitaires pour les produits ménagers mettaient le plus souvent en avant des

femmes - « la ménagère de moins de 50 ans » . Cependant, ces publicités correspondaient à

une certaine une réalité quant à la division des tâches ménagères au sein des foyers.

Effectivement, selon un rapport du CREDOC (centre de recherche pour l’étude et

l’observation des conditions de vie) de mars 2015, nous apprenons que beaucoup

d'hommes en couple gardent encore résolument leurs distances avec les tâches ménagères :

91% avouent ne pas repasser, 60% ne pas faire le ménage ni la vaisselle (48%), 50% ne

pas toucher aux fourneaux et 36% ignorer les courses. La situation est différente du côté

des femmes, 93% des femmes en couple font le ménage, 93% la cuisine, 85% les courses

quotidiennes, 83% la vaisselle et 73% le repassage. De plus, les mères passent deux fois et

demi plus de temps que les hommes à s'occuper des enfants.

Ainsi, à partir des années 1990, il y a le constat de changements progressifs (Perret

2003) des rôles dits traditionnels dans la publicité et ceci va de pair avec les évolutions

sociétales constatées. Ainsi il est de plus en plus rare d'apercevoir une femme tenir essen-

tiellement un rôle de ménagère dans la publicité. L'image de la ménagère est de moins en

moins utilisée par les publicitaires. On ne voit plus de femmes vantant les mérites d'appa-

reils ménagers comme c'était le cas dans les années 1950.

A partir des années 1990, la publicité montre alors progressivement des personnages

masculins qui s’investissent plus dans la sphère d’activité traditionnellement considérée

comme « féminine », on peut par exemple citer les relations intimes et le soin de soi. Ainsi

dans certaines publicités des hommes bercent leur bébé (Danone) ou s’occupent de leur fils

(Dim). Quant aux femmes, elles adoptent des attitudes, des mots et des gestes traditionnel-

lement réservés aux hommes : la réussite professionnelle et financière, l’autonomie senti-

mentale et sexuelle, voire le goût de la compétition. Dans des publicités elles sont mon-

trées en train de travailler, elles conduisent de grosses voitures (Peugeot, Audi) font du

22

sport (Rexona, Veet), déshabillent du regard les beaux garçons (Coca Light), voire en

usent comme d’objets sexuels jetables (Kookaï) (Perret 2003).

Cependant, il y a de nombreux exemples dans des publicités où l’on peut constater des

difficultés qu’a la société dans la répartition des rôles hommes/femmes. La publicité

montre ainsi des personnages hésitant entre des valeurs et des rôles contradictoires (Ville-

neuve 1997).

Les médias ont un certain rôle dans cette vision très différenciée des hommes et des

femmes. Ainsi, un rapport du haut conseil à l’égalité sur l’image des femmes dans les

médias de 2011 critique la moindre présence de femmes à la télévision française et encou-

rage les chaines à favoriser l’ascension des femmes dans les médias. Cette mise en avant

des femmes à des postes d’animatrice et de présentatrice d’émissions « sérieuses » favori-

serait la fin des clichés hommes/femmes et serait plus en adéquation avec le rôle des

femmes dans la société française. En effet, il est intéressant de noter que la part de femmes

dirigeantes a progressé de manière significative, de 3,5 % à 7,5 %, soit +4 points en 10 ans.

De plus, en 2013, le CSA (conseil supérieur de l’audiovisuel) avait appelé toutes les

chaînes de télévision à améliorer la représentation des femmes, en estimant qu’en moyenne

la part des expertes intervenant à l’antenne était inférieure à 20 %. Et quand elles sont invi-

tées sur des plateaux, c’est la plupart du temps pour parler de sujets dits « féminins »

comme les violences faites aux femmes, les enfants, la famille, l’école, etc. Ces comités

d’experts strictement masculins ont été mis en lumière par le tumblr

http://allmalepanels.tumblr.com/ qui dénonce les émissions et les conférences où seule-

ment des hommes sont montrés comme experts dans leur domaine de compétence.

C- Le genre des marques

La plupart des marques ont mis en place une stratégie marketing à destination de l’un ou

l’autre des sexes. Cette identité genrée doit tout d’abord être construite (1) et les consom-

mateurs vont l’identifier à ce moment-là comme associée à tel ou tel genre (2) , cependant

cette association peut être modifiée grâce à une cross gender extension que peut opérer la

marque (3).

23

1- La construction de l’identité des marques

La personnalité de marque ou brand personality, se réfère selon Jennifer Aacker (Aack-

er 1997), à l’ensemble des caractéristiques humaines associées à une marque. Ainsi,

l’auteure met en exergue le fait que la stratégie des marketers est d’imprégner une marque

avec des traits de personnalité.

La mise en oeuvre de cette identité de marque est une stratégie qui est construite par les

marketers. Ainsi, trois stratégies principales sont citées telles que l’anthropomorphisation

qui est le fait de donner un aspect ou un comportement humain à une chose ou un objet.

Il conviendra de prendre l’exemple de la lessive St-Marc qui

« anthropomorphisme » sa lessive sous la forme d’une fée.

La fée étant un personnage féminin qui représente la douceur

et également la magie liée au produit.

La seconde stratégie qui est mise en exergue est la personnification des marques. Cette

dernière est définie par Richard Ladwein dans son blog « comme un procédé qui consiste à

créer des visuels ou plus généralement des productions visuelles, dans lesquels l'objet pu-

blicisé ou l'un des éléments de contenu se voit attribuer des caractéristiques humaines ».

On observe alors que ce procédé génère des émotions positives chez les consommateurs

qui éprouvent une sorte d’attachement au produit. Ainsi, la publicité pour l’Alfa Roméo

Guiletta illustre ceci en ce que la bande son de cette publicité est une voix féminine qui

personnifie la voiture, en effet à la fin de la publicité elle dit « Je suis Guiletta ». Cette voix

"Regarde-moi, touche-moi, […] quitte-moi, aime-moi, retiens-moi. Je suis Giuletta, mieux

que des mots, essaie-moi ». Le parallèle est ainsi fait entre la voiture et la femme.

Illustration 6 - Exemple d’anthropomorphisation avec la marque de lessive St Marc

24

La troisième stratégie qui est montrée par Aacker est la création d’un imaginaire du

consommateur. Cet imaginaire est essentiel dans la mesure où l’on parle d'enveloppe sym-

bolique qui transcende le produit lui-même. L’imaginaire du consommateur est ainsi défini

comme l’ensemble des caractéristiques humaines associées avec un consommateur repré-

sentatif de cette marque. On pourrait alors citer à ce propos Nespresso, marque pour la-

quelle Georges Clooney est l’égérie. Ainsi, les caractéristiques humaines associées au con-

sommateur sont celle d’un bel homme, puissant et ayant du succès.

Par le biais d’une étude auprès d’un panel de consommateur Jennifer Aacker a mis en

exergue cinq traits de personnalité des marques (« Big Five ») qui sont la sincérité,

l’excitation, la compétence, la sophistication et la rudesse. Cependant ces cinq traits de

personnalité interagissent différemment avec les consommateurs. Tandis que la sincérité,

l’excitation et la compétence semblent être innées chez des individus, la sophistication et la

rudesse correspondent plus à des aspirations individuelles que les consommateurs n’ont

pas forcément. Par exemple, des marques associées à la rudesse telles que Harley-

Davidson ou Malboro s’appuient sur la force et la masculinité de l’image qu’elles ren-

voient.

Illustration 7 - les composants de la personnalité de marque selon Aacker

25

2 - Le genre perçu des marques

a- La perception genrée des marques

Au-delà des caractéristiques liées à la personnalité des marques, des chercheurs (Levy

1959) ont montré que la personnalité d’une marque incluait également des caractéristiques

démographiques telles que le genre, l’âge et la classe.

Ces dernières interfèrent directement avec l’imaginaire du consommateur de la marque.

Ainsi nous allons présenter les différents genres perçus des marques. En effet, certaines

sont perçues comme hautement masculines ou féminines et d’autres plus modérément

masculines et féminines (Neil et al.1980). On peut noter que les marques ont un genre per-

çu en fonction de l’usage du produit, ses attributs et les traits de personnalité féminins ou

masculins de la marque ainsi que son nom. C’est ce qu’a mis en exergue Isabelle Ulrich

dans sa thèse (Ulrich 2010) lorsqu’elle va mesurer la masculinité/féminité des marques par

le biais de trois indicateurs que sont le sexe de l'utilisateur majoritaire associé à la marque

et le genre du nom de marque, les attributs/design sexués des produits, les traits de person-

nalité masculine/féminine de la marque.

Un autre article d’Ulrich, Tissier-Desbordes et Dubois met en exergue quant à lui sept

dimensions du genre d’une marque. Cela consiste en : le logo et le nom, la catégorie de

produit, les attributs du produit, les individus associés au produit, les consommateurs régu-

liers, la personnalité perçue et les attributs de communication.

Illustration 8 - les sept dimensions de la personnalité de marque selon Ulrich, Tissier-

Desbordes et Dubois

26

Il conviendra ainsi étudier trois genres de marques qui illustrent ce phénomène.

b- Le genre exclusif

Le genre exclusif correspondrait aux archétypes absolus attribués aux hommes et aux

femmes. Pour la femme cela peut s’apparenter à la sensualité et la séduction tandis que

pour les hommes, cela s’apparentera à la force physique et la puissance. Ainsi le terme

genre exclusif s’applique lorsque les valeurs éthiques sont seulement désirables par les

hommes ou par les femmes. Afin d’illustrer ce terme, nous pourrions nous appuyer sur le

secteur de l’habillement dont certaines enseignes sont spécialisées dans la vente de vête-

ments destinés seulement à un genre. C’est le cas de Naf Naf (voir photo ci-dessous) dont

les boutiques ont des couleurs pastels, une prédominance de rose et de beige, couleurs dites

« féminines ».

A l’instar de Devred, magasin d’habillement pour hommes dont les boutiques ont des cou-

leurs sombres, alliants le noir et le rouge. Ces couleurs représenteraient la virilité et la

puissance.

Illustration 9 - Magasin Naf-Naf aux codes dits « féminins »

Illustration 10 - Magasin Devred aux codes dits « masculins »

27

c- Le genre ouvert

Il s’agit ici de marques dites féminines ou masculines mais qui intègrent dans leur

image des valeurs éthiques qui sont souhaitées par les hommes et les femmes telles que la

réussite sociale, l’importance du travail.

Il conviendrait de mentionner l’exemple de Rolex qui était à l’origine une marque

d’horlogerie de luxe destinée aux hommes mais ces derniers ont élargi leur cible marketing

afin de toucher les femmes. Pour ces dernières, plus qu’une marque masculine, Rolex est

un gage de luxe et de haute qualité.

d- Le genre neutre

Les marques de genre neutre ne s’appuient pas sur des valeurs associées aux femmes ou

aux hommes. Il est également le reflet d’une démarche marketing. Ainsi, dans le but de

toucher l’ensemble de la population, un grand nombre de marques n’a pas intérêt à ce que

les consommateurs perçoivent un genre de leur marque. Il conviendrait à cet effet de citer

Ikea. En effet, l’enseigne suédoise n’est pas perçue comme féminine ou masculine, les va-

leurs qu’elle promeut transcende les stéréotypes de genre et cela a pour but de toucher le

plus de monde possible.

3- Les techniques de cross gender extension

a - Qu’est ce que les cross gender extension ?

Le concept d’ouverture des marques est issu des travaux de Rokeach dans le domaine de

la psychologie du dogmatisme. Ce concept met en oeuvre une analyse des marques à inté-

grer leurs produits à un nouvelle cible en fonction de leur discours et de leur genre. Les

cross gender extension peuvent être définis (Nyeck et Veg 2007) comme l’ouverture d’une

marque du féminin vers le masculin ou du masculin vers le féminin. Il y a un fort intérêt

pour les marques dont le genre est ouvert de faire une cross gender extension dans la me-

sure où cela représente un réel relais de croissance. Le genre est l’une des caractéristiques

les plus intrinsèque et invariante de l’identité d’une marque (Remaury, 2004), donc

d’autant plus difficile à modifier.

28

Le genre d’une marque est inclus dans les valeurs de la marque (Nyeck et Veg 2007 ),

dans le cas d’une cross-gender extension, les valeurs renvoyées doivent changer afin d’être

plus adaptées à l’un ou l’autre des genres.

Les valeurs doivent se trouver en adéquation avec les stéréotypes liés aux hommes et

aux femmes. Ainsi, on peut voir sur le tableau ci-dessous que des auteurs ont tenté de défi-

nir les valeurs éthiques associées aux femmes telles que la famille, la séduction et aux

hommes telles que la compétition et la virilité. Les auteurs ont également défini les stéréo-

types liés à l’esthétisme telles que les couleurs pastels et les produits de petite taille pour

les femmes contre des couleurs foncées et des produits de taille plus grandes pour les

hommes. C’est sur ces stéréotypes qu’un certain nombre de marques appuient la définition

de leur stratégie marketing.

b- Les difficultés de changement de sexe d’une marque

Certaines marques peuvent éprouver des difficultés à mettre en oeuvre cette cross gen-

der-extension du fait de leur image très féminine ou masculine. Afin de limiter les risques

d’échec d’ouverture de marques il est possible d’utiliser des stratégies de marquage diffé-

rent ou de créer une sous marque avant de pouvoir évoluer de façon définitive le genre

d’une marque.

Il convient à cet effet, de s’appuyer sur l’exemple de Narta et Rexona qui sont deux

marques ayant une image féminine auprès des consommateurs. Afin de réussir leur cross

gender extension, elles ont créés qui « marques-filles » s’appellant Dove for Men et Rexo-

na for Men en s’appuyant sur un marketing aux codes plus masculins. Les couleurs ainsi

Illustration 11 - Tableau des stéréotypes culturels associés à la féminité et masculinité

29

utilisées sont le noir pour les flacons qui évoquent la virilité ainsi que les couleurs bleu,

vert et rouge.

On a pu ainsi étudier dans cette première partie l’effectivité du phénomène de marketing

genré dans un certain nombre de secteurs. Il correspond à une stratégie spécifique des

marques qui permettent de segmenter facilement les consommateurs en deux grandes caté-

gories. Cependant ceci n’est pas sans conséquence sur la construction des identités de

genre au sein de la société française. En effet, le vingtième siècle a été fortement marqué

par les débats relatifs au genre au sein de la société française et on va constater les liens

étroits qui existent entre le marketing et la définition du genre.

30

II- LES EVOLUTIONS DE LA NOTION DE GENRE DANS

LA SOCIETE FRANÇAISE

En France, les différences femmes/hommes est un sujet qui reste relativement tabou. Un

ministère lié aux droits des femmes n’a été créé qu’en 2012 sous la présidence de Francois

Hollande. Les gender studies, quant à elles, sont que peu développées en France, contrai-

rement aux pays anglo-saxons où ces thèmes sont très présents, il s’agit d’une « singularité

française » (Collin 1995). En effet, la culture égalitaire française est peu sensible à ces

sujets, niant souvent les différences et inégalités existantes. Il s’agira dans cette seconde

partie, de voir les débats existants et leurs implications sur le gender marketing. Nous ver-

rons donc dans une première partie (A) les débats étant liés au genre en France puis dans

une seconde partie les débats relatifs au genre et au marketing (B).

A- Les débats liés au genre

Les débats liés au genre n’ont cessé d’être exacerbé au fil des années. En témoi-

gnent les débats qui ont eu lieu en 2014 autour des « ABCD de l’égalité » mis en place par

le ministère de l’éducation nationale et qui visait à promouvoir l’égalité genrée dès le plus

jeune âge au sein de l’école. Ainsi, les thèses existantes sont importantes afin de com-

prendre les enjeux liés à la définition du genre en France et ses conséquences sur la straté-

gie marketing des marques. Nous présenterons alors les thèses essentialistes (1), et les

thèses constructivistes (2). Il s’agit en effet de deux thèses majeures qui alimentent la ré-

flexion et les débats autour du genre.

1- Les thèses essentialistes

Cette théorie a été plus particulièrement développée en France par Serge Ginger

(Ginger 1995), psychologue et psychothérapeute, qui a mis en exergue les différences de

comportements des petites filles et des petits garçons qui sont selon lui liées à des diffé-

rences intrinsèques entre les sexes. Pour ce dernier, hommes et femmes sont presque deux

espèces différentes.

31

Les différences les plus importante entre les deux seraient selon lui le fait que les

cinq sens sont globalement plus affûtés chez la femme, notamment parce qu’elle devait

autrefois protéger ses enfants des prédateurs grâce à ses seules perceptions sensuelles. Ain-

si, les femmes ont une propension à plus utiliser les deux hémisphères de leur cerveau en

même temps, ce qui induit une vision plus globale de leur environnement. De ce fait, elles

seraient plus sensibles à l’ambiance générale des publicités tandis que les hommes se foca-

lisent sur le message principal et quelques détails. Ce que le psychologue remarque, c’est

que chez les hommes, la production de testostérone rend également plus enclin à un esprit

de compétitivité, alors que les femmes ont un instinct maternel d’empathie.

De plus, des études (Hasset et al., 2008) ont montré que des bébés singes femelles

ou mâles ont des préférences avérées pour des jouets dits pour filles ou pour garçons. Ces

auteurs revendiquent ainsi le fait que ces identités sont le reflet d’une certaine réalité bio-

logique, inhérentes aux individus, éternelles et inaltérables.

2- Les thèses constructivistes

Selon ces thèses, il s’agirait de la culture qui déterminerait l’identité de genre des indi-

vidus comme l’a écrit Simone de Beauvoir « On ne nait pas femme on le devient ». Un

certain nombre de sociologues ont écrit des travaux relatifs aux thèses constructivistes.

Ces thèses sont directement liés au concept de « construction sociale » qui a émergé dans

les années 1960 et s’inscrit dans l’opposition avec la thèse essentialiste vue précédemment.

Une définition de cette thèse que l’on peut mettre en avant est la mise en avant de la ma-

nière dont les acteurs sociaux, à travers leurs discours et leurs actions, opèrent une cons-

truction de la réalité sociale. Ainsi, le genre est une construction sociale car bien que le

sexe soit une construction biologique, s’y sont rajoutées des divisions sociales relatives aux

comportements, à l’habillement et aux rôles sociaux qui sont des constructions et c’est cela

que l’on appelle le genre.

De plus, ce concept de genre tel qu’il est décrit comme construit par les auteurs im-

plique que la hiérarchie qui est imposée par le genre, induisant une supériorité masculine,

n’est pas un fait immuable mais une construction variable selon le lieu et l’époque et donc

qu’il est tout à fait possible de remettre en cause cela voire de renverser cette supposée

domination

32

Il convient de citer la sociologue Judith Bulter (Lowy et Rouch 2003) pour qui le genre,

en tant qu’idéal normatif orientant la perception du sexe, ne peut être compris qu’à travers

une grille interprétative, la matrice hétérosexuelle, qui a vocation à naturaliser corps,

genres et désirs. Dans ce cadre, les corps doivent posséder un sexe stable, exprimé par un

genre stable. Le genre est alors défini comme exclusif (on ne peut pas être mâle et femelle)

et hiérarchique (le mâle est supérieur à la femelle) dans une vision l’hétérosexuelle. Le

genre tel que décrit dans les thèses constructivistes est performatif et indissociable des pra-

tiques sexuelles présentées comme « normales ».

B- Les débats autour du genre et du marketing

Comme nous avons pu le voir dans les précédentes parties, le marketing intervient

comme catalyseur des débats sociétaux relatifs au genre. Les stratégies des marques peu-

vent ainsi se concrétiser par un renforcement des stéréotypes genrés déjà existants et can-

tonnant l’un ou l’autre sexe dans un rôle défini (1). Cependant, ce phénomène est à relati-

viser avec l’apparition de stratégies s’inscrivant dans une démarche féministe ou

d’inversion des clichés liés aux rôles sociaux (2).

1- Le marketing comme renforcement des stéréotypes de genre

dans la société

Il existe des courants de recherche liés à la publicité comme véhicule des modèles de

genre. A ce propos Jean Baudrillard a émis une thèse critique relative au marketing, selon

lui « Féminité et masculinité sont comme des constructions idéologiques correspondant à

des pratiques & comportements de consommation liés aux intérêt de l’appareil productif »

.

Un certain nombre de travaux mettent en exergue l’existence de rôles spécifiques

selon le genre dans la publicité (Lavoisier 1978). L’auteure a réalisé une étude sociolo-

gique afin d’étudier l’analyse des messages publicitaires relatifs au corps féminin. Elle

dénonce dans ce livre une représentation de la femme qui en fait un personnage cantonné

aux tâches subalternes, dans une position passive, représenté tel un objet dénudé soumis au

regard masculin à la fois dans le récit même des annonces et vis-à-vis de leur public réel. Il

33

est possible de citer à ce propos Brigitte Grésy (Grésy 2014) qui dénonce les stéréotypes

présents dans la publicité ; l’image faussée des femmes qui sont véhiculées dans les publi-

cités et dans les médias tendent à produite un sentiment d’insécurité chez les femmes. Les

modèles féminins renvoient à une norme unique du corps féminin et centrée sur

l’apparence physique.

Nous pouvons donc voir que ces publicités produisent un double effet par le renfor-

cement des tendances. Il existe un sexisme latent qui renforce ces stéréotypes et qui nie

souvent les capacités intellectuelles des femmes et les rabaisse à un statut inférieur. Il

s’agit du phénomène de femme objet. Ainsi dans le but d’augmenter les ventes d’une

marque, les femmes en sont réduite à un rôle de femme objet ou rabaissées à un statut infé-

rieur. Il y a pléthore d’exemples qui illustrent de telles campagnes à l’image de la cam-

pagne de 2015 des Galeries Lafayette qui a été vivement critiquée. Cette campagne a été

affichée dans le métro et cantonne sur ce cliché la femme à un objet.

2- Une situation qui tend à changer par certains égards

Il est à noter qu’en dépit des convictions de certaines marques, certains experts en marke-

ting tirent la sonnette d’alarme à propos de cette stratégie. Fera Warner montre que le mar-

ché des femmes est tout sauf monolithique, en effet, il est varié et en évolution permanente

(Warner 2005). Les stéréotypes associés aux femmes sont dépassés et la vision tradition-

nelle qu’ont certains marketers n’est plus pertinente. Nous allons voir dans cette partie que

Illustration 12 - Publicité des Galeries Lafayettes de l’été 2015

34

des évolutions sont en cours notamment par des campagnes renversant les messages genrés

traditionnels.

a- Le développement de campagnes féministes

Certaines marques mettent en oeuvre des campagnes féministes toujours dans une optique

d’augmenter ses ventes et de gagner des parts de marché. On peut noter à cet effet plu-

sieurs campagnes significatives à l’égard de femmes ou des jeunes filles.

Il convient notamment de citer la campagne #GirlsCan de la marque CoverGirl

appartenant au groupe Procter & Gamble. Le but de cette campagne est « d’aider les jeunes

femmes à repousser les limites, et à leur donner les outils qui leur permettront de changer

le monde ». Dans le cadre de cette campagne, Procter &Gamble ont annoncé par un com-

muniqué de presse que 5 millions de dollars sur 5 ans seraient alloués à des projets aidant

les femmes à se dépasser. Ainsi, la marque CoverGirl et plus généralement le groupe Proc-

ter & Gamble, bénéficient largement de cette couverture médiatique et de ses retombées

positives. En effet, les jeunes femmes clientes ou non de cette marque verront probable-

ment d’un regard très positif les actions menées par le groupe en faveur des femmes.

La dernière campagne lancée par la marque de protections périodiques Always va

dans le même sens que celle de P&G. Par le biais du hashtag comme une fille, la marque

met en avant les stéréotypes liés aux femmes. La dernière campagne datant d’avril 2016

dénonce le sexisme lattant des émojis car seules 63% des femmes pensent que ces petits

personnages suggèrent que les femmes ont des capacités limitées dans la mesure où ils

représentent les femmes en danseuses, mariée ou chez le coiffeur. Dans cette vidéo, des

jeunes telles témoignent sur les émojis qu’elles souhaiteraient voir sur leurs téléphones. Il

n’est à pas douter qu’il s’agit d’une stratégie de communication de la part d’Always dont

les consommateurs sont exclusivement féminins cependant cela dénote d’une réelle ten-

dance de la part d’un certain nombre de marques.

Illustration 13 - Campagne promotionnelle Hashtag Girls Can de Sport England

35

La marque Légo s’est également adaptée à cette

tendance de campagne féministe. En effet, ils ont effectué

un véritable « coup de com’ » grâce à la sortie de la figu-

rine de la femme ingénieur représentée ci-dessus. Bien

que ceci soit conforme à la réalité dans la mesure où les

femmes exercent des métiers scientifiques de nos jours,

cela n’avait pas encore été développé par la marque.

On peut également citer les campagnes de la marque de produits de beauté Dove de

2005-2006 qui marquent un retour à la femme "normale". Cette campagne intitulée "Real

beauty" met en scène des femmes de tous types : brunes, blondes, rondes, minces, jeunes,

ou âgées, préférant représenter le "naturel" au "superficiel". Chacune des femmes peut s'y

reconnaître. Il s’agit d’une provocation par rapport aux codes publicitaires traditionnels.

Les publicités Dove s'appuient sur une étude, réalisée par la Harvard University et la Lon-

don School of Economics, selon laquelle 68% des femmes estiment que du changement est

nécessaire à propos de l'image des femmes dans la publicité, trouvant les publicités trop

éloignées de la réalité

Illustration 14 - Figurine LEGO d’une femme ingénieur

Illustration 15 - campagne publicitaire 2005-2006 Dove

36

b- La stratégie marketing de renversement des rôles

Cependant, il est à noter que certaines marques ont eu une prise de conscience et ont

renversé leur stratégie marketing. Effectivement, en 2014, les femmes ont représenté la

moitié des cibles de communication pour des secteurs qui étaient auparavant dépeints

comme masculins. Dans ce cadre, se sont développées des opérations marketing dans

l’automobile, avec la commercialisation de la Peugeot 1007, ou plus récemment l’Audi A1

et la Fiat 500 dont la cible est particulièrement orientée à destination d’un public féminin.

Il est également possible d’évoquer ce qui se passe dans le domaine bancaire, avec par

exemple la carte bleue Affinity conçue spécialement pour les femmes par La Poste.

La stratégie des marques peut être également de prendre la société à contre-pied : c’est à

dire de procéder à un renversement des rôles dits traditionnels entre les genres qui peut

accroitre la visibilité d’un produit ou d’une marque. Ce procédé sera interprété par les con-

sommateurs comme le symbole de la modernité de la marque ou du produit qui est promu

(Perret 2003). Pour l’auteur, le fait de communiquer de manière novatrice et créer par un

type d’humour « décalé » permet de créer une connivence spécifique avec une part de

l’audience, ou encore exprimer un positionnement idéologique sur le rôle des hommes ou

des femmes dans la société.

La lessive pour homme de marque

Antoine revendique ceci : « Vous avez déjà

lavé du linge ? Bien. En fait non, vous n'aviez

jamais lavé votre linge avant Antoine... Car

qui d'autre laisserait sur les chemises, les

draps, les affaires de sport un parfum aussi

incroyable ? Fini la lavande ou la pêche et

place à un véritable parfum avec des accords

aussi osés que : cèdre, santal, ambre, musc,

patchouli, cuir… »

Illustration 16 - Publicité d’une lessive pour homme de la marque Antoine

37

Surfant sur de réels phénomènes sociétaux tels que le fait que les hommes se ma-

rient de plus en plus tard, et participent de plus en plus au tâches ménagères, la marque

joue sur de réels stéréotypes et clichés masculins afin de promouvoir cette lessive.

La chaine de vêtements Kookai a également mis en place une campagne où les

femmes « dominent » des hommes miniatures. C’est ce type de publicité qui va influencer

et accélérer l'émancipation grandissante des femmes. Ce genre de campagne peut permettre

d’aider les femmes à se construire une personnalité contraire aux stéréotypes où la femme

est soumise. Cela intervient en contradiction avec les publicités où les femmes sont mon-

trées comme des objets.

Illustration 17 - Campagne publici-

taire féministe de Kookai

38

CONCLUSION

A travers ce mémoire, nous avons pu constater toute l’effectivité du marketing genré

dans la société française. Bien plus qu’une tendance passagère, il s’inscrit comme un phé-

nomène de fond et dénote d’une stratégie marquée des entreprises. La segmentation de la

population dans deux catégories peut amener à parfois simplifier à l’extrême et tomber

dans les travers des clichés. Cependant, nous avons pu voir que cette stratégie n’est pas

purement monolithique car des marketers prennent cette tendance à contre-courant et mi-

sent par exemple sur des stratégies « d’empowerement » des femmes.

Ce phénomène de société n’est pas sans influence sur la construction des identités de

genre en France. En effet, la segmentation des consommateurs les conduits à s’identifier à

l’un ou l’autre des genres ce qui peut être perturbant pour des agents dont l’identité est en

construction. Nous nous sommes volontairement concentrés sur l’étude de la population

adulte dans la mesure où l’étude terrain était trop compliquée à déployer à destination d’un

public jeune. Cependant, c’est bien pour les publics les plus jeunes que cela est le plus

compliqué en termes de construction d’identité et de vision des genres.

Le marketing peut exercer un réel rôle d’agent de socialisation qu’il ne faut pas négliger

car cela représente l’une des cause des inégalités homme/femme qui persistent. Il est aisé

de comprendre que la représentation des hommes virils, forts dans un rapport de domina-

tion vis à vis d’une femme objet conduit à l’inscription de telles images dans l’imaginaire

collectif. Il conviendrait de lutter contre ces clichés instaurant des rapports de domination,

aussi bien homme/femme que femme/homme, afin d’arriver à une véritable égalité des

genres.

39

Le marketing genré oblige les consommateurs à s’identifier comme un homme ou une

femme et à développer une sorte de « sentiment d’appartenance à un genre ». Néanmoins,

de plus en plus de pays reconnaissent le sexe neutre de ce qu’on appelle les intersexes pour

des individus qui sont nés avec les deux sexes. Au delà de cette particularité médicale, il

existe des individus qui ne se sente ni homme ni femmes et pour lesquels il est difficile à

une seule identité de genre. Le marketing genré est néfaste dans le sens où il créé des caté-

gories qui, certes correspondent à une certaine réalité mais qui est bien trop simpliste pour

représenter la réalité.

De plus, les dénonciations de la « women tax » ou taxe rose dans un certain nombre de

pays montre qu’il y a une réelle préoccupation quant à l’application du marketing genré et

sa traduction au niveau financier pour les femmes. Le rapport émis par le gouvernement

français en 2015 n’est pas parvenu à prouver l’existence de cette taxe rose mais a déclaré

vouloir mettre en oeuvre des mesures correctives quant aux différences existantes sur le

traitement commercial des consommateurs féminins et masculins. Au regard de l’actualité

forte du marketing genré, cela va devenir un sujet qui va prendre une place croissante.

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Annexe 1 - Le questionnaire

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Annexe - Etude terrain

Le questionnaire ci-dessous a été élaboré en mai 2015 et a été réalisé en collabora-

tion avec mon directeur de mémoire M Décaudin. Il est composé de 17 questions, certaines

ouvertes et d’autres questions fermées.

Ce questionnaire a été distribué sur internet par le biais d’e-mails et de réseaux

sociaux à des personnes mon entourage entre le mois de juin et le mois de septembre 2015.

Il y a eu 111 personnes qui ont participé à cette enquête. Compte tenu de mon statut

d’étudiante, il y a une majorité d’étudiants qui ont participé qui représentaient 66,7%, puis

22,5% d’employés, 4,5% de professions intermédiaires, 5,4% de cadres et professions in-

tellectuelles supérieures et 0,9% d’artisans, commerçants et chefs d’entreprise. Parmi les

sondés il y a eu 70,3% de femmes et 29,7% d’hommes.

Les résultats globaux du questionnaires correspondent relativement bien aux hypo-

thèses de départ formulées. Cependant, le biais qui pourrait exister est que les sondés sa-

chant que le mémoire portait sur le marketing genré donc ont probablement nuancé voire

modifié leur réponses de façon inconsciente. Ceci ne peut pas être prouvé, néanmoins c’est

une variable à prendre en compte dans la lecture des résultats de cette étude.

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ANNEXE 2 : LES REPONSES AU QUESTIONNAIRE

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Illustration 1 - Publicité pour Signal White Now Men

Illustration 2 - Publicité pour Coca-cola light

Illustration 3 - Tartines genrée de la marque « Rue de la Traversette »

Illustration 4 - Image représentant des produits d’hygiène bucco-dentaire genrés

Illustration 5 - Communiqué de presse de Stabilo pour la sortie du Stabilo Neon

Illustration 6 - Exemple d’anthropomorphisation avec la marque de lessive St Marc

Illustration 7 - Les composants de la personnalité de marque selon Aacker

Illustration 8 - Les sept dimensions de la personnalité de marque selon Ulrich, Tissier-

Desbordes et Dubois

Illustration 9 - Magasin Naf-Naf aux codes dits « féminins »

Illustration 10 - Magasin Devred aux codes dits « masculins »

Illustration 11 - Tableau des stéréotypes culturels associés à la féminité et masculinité

Illustration 12 - Publicité des Galeries Lafayettes de l’été 2015

Illustration 13 - Campagne promotionnelle Hashtag Girls Can de Sport England

Illustration 14 - Figurine LEGO d’une femme ingénieur

Illustration 15 - Campagne publicitaire 2005-2006 Dove

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Illustration 16 - Publicité d’une lessive pour homme de la marque Antoine

Illustration 17 - Campagne publicitaire féministe de Kookai

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