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jf ttpjujwf - APHCQ · 2020. 10. 22. · s’il y a lieu,téléphone,télécopieur,courriel) et un chèque de 50 $ à l’ordre de l’APHCQ, à Jean-Louis Vallée, Centre d’études

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  • Association des professeures et des professeurs d’histoiredes collèges du Québec

    L’Association des professeures et professeursd’histoire des collèges (APHCQ) est uneassociation sans but lucratif incorporée en vertude la loi sur les compagnies. L’APHCQ regroupedepuis 1994 les professeures et les professeursd’histoire des collèges et des cégeps du Québec,qu’ils soient publics ou privés. On peut devenirmembre associé de l’APHCQ même si onn’enseigne pas dans un collège.

    Pour devenir membre, il suffit d’envoyerses coordonnées (nom, adresse, institutions s’il y a lieu, téléphone, télécopieur, courriel)et un chèque de 50 $ à l’ordre de l’APHCQ,à Jean-Louis Vallée, Centre d’études collégialesde Montmagny, Cégep de La Pocatière,115, boulevard Taché Est,Montmagny (Québec) G5V 4J8 ;courriel : [email protected]

    Pour rejoindre l’association ou pour faire paraître un article,prière d’adresser toute correspondance à Martine Dumais, Cégep Limoilou,8e avenue, Québec (Québec) G1S 2P2 ;téléphone : (418) 647-6600, poste 6509 ;télécopieur : 647-6695 ;courriel : [email protected]

    Adresse courriel du site de l’APHCQ :[email protected] électronique du site web :http://www.aphcq.qc.ca

    EXÉCUTIF 2006-2007 DE L’APHCQ:Présidente et responsable du bulletin :Martine Dumais(Cégep Limoilou)Directrice et secrétaire : Julie Gravel-Richard(Collège François-Xavier-Garneau)Directeur et webmestre : Gilles Laporte(Cégep du Vieux Montréal)Directeur : Bernard Olivier(Collège Jean-de-Brébeuf)Directrice : Emmanuelle Simonetti(Collège Dawson)Directeur et trésorier : Jean-Louis Vallée(Centre d’études collégiales de Montmagny,Cégep de La Pocatière)

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    TpnnbjsfVie associative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1Dossier : Femmes et histoire

    • La chasse aux sorcières en Europe (XVIe-XVIIe siècles) : un moyen d’appréhender les temps modernes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

    • Aspasie : une intellectuelle dans l’ombre de Périclès . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6Nous nous souvenons…

    • Voir Hiroshima et Nagasaki en 2007 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7Bulletin spécial, 12e congrès de l’APHCQ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . S1

    • Mot du directeur du Centre d’études collégiales de Montmagny . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . S2• Mot de la présidente de l’APHCQ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . S2• Mot du comité organisateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . S3• Programme des activités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . S4• Présentation des conférences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . S5• Hébergement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . S8• Accès au CÉC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . S8• Fiche d’inscription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . feuille volante

    L’Histoire passe au grand écran• Les portes chaudes… ou 300 ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

    D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?• Pour un apprentissage actif de l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

    Dans les classes et ailleurs• Les jeunes apprennent de l’histoire en 5e année du primaire…

    et ils aiment ça ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

    Association des professeures et des professeurs d’histoiredes collèges du Québec

    Comité de rédactionMarie-Jeanne Carrière (Collège Mérici)

    Jean-Pierre Desbiens (Collège François-Xavier-Garneau)

    Andrée Dufour (Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu)

    Martine Dumais, coordonnatrice(Cégep Limoilou)

    Linda Frève (Cégep Limoilou,Cégep de Sainte-Foy et Collège François-Xavier-Garneau)

    Julie Gravel-Richard (Collège François-Xavier-Garneau)

    Mario Lussier (Cégep Lévis-Lauzon)

    Bernard Olivier(Collège Jean-de-Brébeuf)

    Jean-Louis Vallée (Centre d’études collégiales de Montmagny,Cégep de La Pocatière)

    Collaborateurs spéciauxKatherine Blouin(Historienne)

    Frédéric Bonin (Librairie Zone)

    Vincent Demers (Médecin)

    Daniel Dubé (Centre d’études collégiales de Montmagny)

    Lorne Huston(Collège Édouard-Montpetit)

    Linda Lamontagne(École primaire L’Accueil)

    Conception et infographieOcelot communication

    ImpressionCopieXPress

    PublicitéMartine Dumaistél. 418-647-6600, poste [email protected]

    BULLETIN

    Format des textes à être publiés.• Fichier (MAC ou IBM PC) en Word ou Word Perfect, sauvegardé en format Word ou RTF.• Le texte doit être saisi à double interligne, en caractères Times 12 points, à raison de 25 lignes par page,

    avec le moins de travail de mise en page possible.• Une version imprimée ou un PDF correspondant à la version finale du fichier, doit obligatoirement accompagner

    tout texte fourni sur disquette ou par courriel.Les auteurs sont responsables de leurs textes. Si vous avez des illustrations à proposer, faites-nous les parvenirou faites-nous des suggestions appropriées.

    ISSN 1203-6110

    Dépôt légal : Bibliothèque du Québec et Bibliothèque nationale du Canada

    Prochaine publication : automne 2007Date de tombée pour les articles et les publicités : 1er août 2007

  • Vous retrouverez donc dans ce bulletin toutela programmation que le maître d’œuvre,Jean-Louis Vallée, a concoctée avec soin afinde nous accueillir chez lui fin mai au Centred’études collégiales de Montmagny. Cettecité de la côte du Sud, sise sur les bords dumajestueux fleuve Saint-Laurent, a inspiréle thématique qui se veut un appel à recon-sidérer la place et l’importance de l’eau dansnotre mémoire historique à court, moyen oulong terme. «De l’Odyssée à l’or bleu » esttout un programme qui nous permettra devoyager dans le temps et l’espace, petit pré-lude avant les vacances.

    Notre rencontre nous permettra aussid’aborder un autre sujet de préoccupation,soit l’arrimage avec le renouvellement del’enseignement de l’histoire au secondaire,et plus particulièrement avec la réalitévécue actuellement au 1er cycle du secon-daire (sec. 1 et 2). Ce programme a subi biendes changements comparativement à ce qu’ilétait, du moins sur papier… Mais quelle estla réalité dans les écoles? dans les manuels?Cette situation va-t-elle influencer notrecours de civilisation occidentale? Comment?Voilà donc plusieurs questions qui serontl’objet de discussions intéressantes, nous ensommes certains. Par ailleurs, vous trouve-rez dans le présent numéro un court textesur l’enseignement de l’histoire au primaire…Je vous invite à aller plus loin, si vous con-naissez des élèves ou des enseignants oudes enseignantes du primaire et à les ques-tionner… Il y a des bonnes chances pour quevous soyez étonnés… On est bien loin de« l’histoire de mon quartier »…

    Notre bulletin du printemps, s’il vous per-met d’obtenir la programmation du congrès(un peu plus tard que nous aurions aimé…mais des impondérables ont surgi au fil dessemaines…), est aussi l’occasion d’enta-mer un dossier qui s’étendra sur plus d’unnuméro : les femmes et l’histoire. Quelleplace donnons-nous aux femmes dans noscours ? Comment abordons-nous cette thé-matique ? Quelles sont les réactions desélèves à cette question en 2007? Je remercieparticulièrement Julie Gravel-Richard (Col-lège F.-X. Garneau) et Linda Frève (Cégepde Sainte-Foy et Cégep Limoilou) qui ontécrit les articles qui nous permettent de

    commencer cette réflexion qui se poursui-vra au prochain numéro. Et si vous avez desréflexions ou des expériences pédagogiquessur ce thème, nous sommes très intéressésà vous lire sur ce sujet.

    Car nous vous rappelons que le bulletinse veut un moyen de communication et departage d’expertises entre les membres del’APHCQ. N’hésitez pas à nous faire part devos réflexions historiques ou pédagogiques,de vos activités, comme le fait très bien iciLorne Huston (Cégep Édouard-Montpetit)avec son article qui reprend certainesidées de sa présentation à l’APOP de jan-vier dernier.

    Vous trouverez aussi un reportage surHiroshima et Nagasaki en 2007 par unejeune historienne qui rentre d’un voyage aupays du Soleil Levant et qui, un jour, a euun cours de Temps présent au collégial oùon lui avait parlé de ce sujet ! Et nous ter-minerons avec une critique du film «300»pour lequel l’APHCQ avait eu des billets pourses membres… Une chose est certaine, nousn’avons plus les Perses que nous avions… LesImmortels avaient parfois l’airdavantage de «Ninja Turtles » !Mais n’oublions pas que le véhi-cule de départ est une bandedessinée…

    En terminant, permettez-moide vous remercier, et tout par-ticulièrement chacun des mem-bres de l’exécutif, pour votreconfiance et votre collaborationau fil des semaines et des moisde 2006-2007. C’est un véri-table plaisir de pouvoir vouscôtoyer et partager avec vous aufil des rencontres. Si l’Associa-tion des professeurs et profes-seures d’histoire des collègesdu Québec demeure un groupedynamique et actif, elle le doitprincipalement à ses membresqui répondent présents auxdifférentes interpellations pourdes activités : brunch, visite,visionnements de films, congrès,écriture d’articles pour le bulle-tin, participation au forum…Nous le voyons au fil des mois :

    nos membres désirent se perfectionner auxpoints de vue historique et pédagogique,désirent partager et échanger avec leurscollègues leurs «bons coups», leur exper-tise, leurs coups de cœur… Et l’APHCQ seratoujours riche de votre participation quimotive l’exécutif à créer des moments faci-litant ces rencontres entre collègues deMontréal, de Québec et des régions, entreles gens d’expérience et la relève, entre lespassionnés de questions historiques et ceuxqui ont tout saisi (ou presque) de la notionde compétence et de son évaluation, entredes gens parfois bien différents, mais quitous un jour ont décidé que l’Histoire tra-cerait le chemin de leur carrière et qui ontsouhaité que des jeunes du collégial soient« contaminés » par leur passion…

    Nous vous souhaitons donc un bel étéet des vacances ressourçantes bien méri-tées, peu importe où vos pas vous mène-ront, nous sommes certains que l’Histoirene sera jamais très loin…

    Martine DumaisCégep Limoilou

    Pour l’exécutif 2006-2007 de l’APHCQJulie Gravel-Richard (Collège François-Xavier-Garneau),

    Gilles Laporte (Cégep du Vieux-Montréal),Bernard Olivier (Collège Jean-de-Brébeuf),

    Emmanuelle Simonetti (Collège Dawson) et Jean-Louis Vallée (Centre d’études collégiales

    de Montmagny)

    Mot de la présidente

    Bulletin de l’APHCQ ◆ Printemps 2007 2

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    Que vous dites-vous actuellement : déjà la fin de la session ou enfin la fin de la session?Peu importe votre point de vue, le mois de mai est à nos portes et avec lui, les dernierscours, les examens… et les corrections… et bien évidemment le congrès annuel de l’APHCQpour 2007.

  • Depuis le siècle de Michelet, la chasse auxsorcières est devenue un thème fécond etcontroversé de la recherche historique.L’historiographie sur le sujet est un véri-table casse-tête, le texte qui suit ne possèdeaucune prétention en cette matière. Parailleurs, des recherches récentes en anthro-pologie et en psychologie viennent contri-buer à l’avancement des connaissances surce sujet aux multiples facettes. C’est l’aspectglobalisant du sujet qui le rend si attrayantdans le cadre d’un cours d’histoire de lacivilisation occidentale. Thème accrocheurs’il en est un, mais qui permet par ses fon-dements mythiques, sociaux, politiques,religieux et juridiques d’embrasser d’un seulcoup toute une période et de rendre encoreplus signifiant les enjeux qui s’y jouent.J’aborde le thème de façon pédagogique.L’idée est d’appliquer plusieurs notionsessentielles de l’histoire occidentale à l’étuded’une thématique fortement liée, disons-le,à l’histoire des femmes. En première partieon reverra certaines notions liées au Moyenâge, permettant ainsi de revenir sur lapériode et d’établir des comparaisons avecla suivante. Une deuxième partie procèderaà l’étude d’une construction intellectuellesoit celle de la sorcière à travers l’analysede quelques extraits du Malleus Maleficarumafin de mieux dresser le portrait-type desprincipales accusées. Nous terminerons parun aperçu des différentes causes attribuéesà cet événement majeur de l’histoire de lacivilisation occidentale brossant ainsi untableau-synthèse des temps modernes.

    MAGIE ET SORCELLERIE AUMOYEN ÂGE: QUELQUES ÉLÉMENTSDE CONTEXTELes pratiques liées à la magie revêtent unemultitude de croyances et de formes dont lesorigines sont parfois fort lointaines. L’Europemédiévale est fortement marquée par lesdiverses influences culturelles qui relèventd’un passé celte et gréco-romain, et d’unprésent germanique en partie christianisé.

    Au plan des mentalités et des croyances cepassé-présent offre une grande diversité depratiques parfois difficiles à qualifier : Paga-nisme? Sorcellerie ? Magie ? Superstition ?Religion ? Science ? Cette confusion desgenres est peut-être à la base de l’explica-tion de la relative tolérance de l’Église catho-lique face à certaines pratiques, y compriscelle reliée à la magie.

    ◆ ◆ ◆

    Thème accrocheur par ses fondements mythiques, sociaux,

    politiques, religieux et juridiques.◆ ◆ ◆

    Il est généralement admis de diviser lespratiques de magie médiévale en deux prin-cipales formes. L’une relève plutôt d’unemagie savante (nigromancie, alchimie, astro-logie) pratiquée par des lettrés et qui seconfond parfois avec la science. Cette magieest souvent appelée magie blanche. L’autrepratique, dite populaire, repose sur une tra-dition orale et occupe un très vaste registre.Cette magie des campagnes basée sur latradition orale est tout aussi diversifiée.Pourvus de pouvoirs maléfiques et béné-fiques, les guérisseuses ou guérisseurs quisavent les vertus des plantes, les sages-femmes, les magiciennes, les diseuses debonne aventure et les nécromanciennes enfont partie. C’est cet aspect du pouvoir béné-fique ou maléfique détenu par une personnequi va contribuer à la transformation desperceptions liées aux pratiques magiques.On parlera bientôt d’une magie noire. Dansdes périodes de troubles et de crises intensesles pouvoirs maléfiques vont faire craindrele pire et créer un climat de frayeur. À lafin du Moyen âge, la magie noire fournitl’explication aux malheurs du temps1.

    Jusqu’au XIVe siècle à tout le moins,l’Église réfute et condamne la notion mêmede sorcellerie. Pour celle-ci, les croyancespopulaires, tel que le vol nocturne dessorcières, sont des supercheries ou des

    tromperies du diable. C’est plutôt le fait decroire à ces superstitions païennes qui estperçu comme une hérésie que les pratiqueselles-mêmes, niées par les autorités reli-gieuses2. À cet égard, le Canon Episcopiédicté au Xe siècle par l’archevêque deTrèves qui dénonce la croyance populaireau vol nocturne des sorcières fournit un belexemple de la vision chrétienne de l’époque:

    Quelques femmes scélérates, perver-ties par le diable, séduites par les illu-sions et les fantasmes des démons (qui)croient et soutiennent chevaucher desanimaux la nuit en compagnie deDiane, la déesse des païens, et d’unefoule innombrable de femmes et dansle silence de la nuit profonde croientparcourir de grandes distances sur laterre obéissant à ses ordres comme àleur maîtresse et pensant avoir étéappelées à la servir certaines nuits3.À la fin du XIIe siècle, le pape Innocent III

    crée le tribunal de l’Inquisition pour chas-ser les hérétiques et les cas de sorcellerieissus de vieilles pratiques païennes. Dansles faits, l’Inquisition médiévale s’attaquerasurtout aux hérésies : albigeoise, cathare,vaudoise. Mais c’est à travers ces procèsque les premières accusations de sorcellerieseront formulées.

    La montée de l’intolérance se produit àla toute fin du Moyen Âge alors que l’Églisedéveloppe un discours qui assimile touteforme de magie au démon. Selon JeanPalou, la rupture qui survient alors dans lapensée de l’Église catholique coïncide dansle temps avec la formation des hérésies

    La chasse aux sorcières en Europe (XVIe-XVIIe siècles) Un moyen d’appréhender les temps modernes

    Bulletin de l’APHCQ ◆ Printemps 20073

    Au tournant du Moyen âge, l’Occident s’embrase. Sur une période de près de deux siècles,par milliers sont mis au bûcher des hommes, mais surtout des femmes. Ces sorcières,qui selon la rumeur du village sèment la terreur en jetant partout des sorts, sont tra-duites en justice et mises à mort sous l’accusation formelle des magistrats d’avoir par-ticipé au sabbat et de pactiser avec le diable. La grande majorité des accusations desorcellerie qui ont été portées entre 1450 et 1750 l’ont été dans 80% des cas contredes femmes, le pourcentage variant selon les régions.

    Mère Shipton (1488-c1560). Sorcière anglaiseprésentée avec son animal familier, un singe.

    Epttjfs

  • orientales mais aussi avec le durcissementdes exigences en matière de célibat ecclé-siastique4. Les femmes qui vont devenir lessorcières vont être associées aux apostats etreprésenter un danger moral pour l’ensem-ble des clercs. C’est cette rupture fonda-mentale qui va conduire à la théorisationde la sorcellerie et à sa féminisation. L’épo-que moderne s’ouvre donc sur une inven-tion religieuse, celle de la sorcière, fiancéede Satan.

    LE MALLEUS MALEFICARUM OUL’INVENTION DE LA SORCIÈRE

    Abracadabra ! Pouf ! Et Ève devint sorcière !L’invention de la sorcière ne fut pas un phé-nomène si simple et si magique. La construc-tion intellectuelle de la sorcière sataniqueet maléfique prend naissance au XVe sièclemais continue de se développer tout aulong des XVIe et XVIIe siècles à travers unenouvelle discipline que l’onnomme la démonologie5. L’unedes toutes premières formula-tions théoriques de la sorcel-lerie et son association audémon survient en décembre1484, au moment où le papeInnocent VIII promulgue labulle Summis desiderantesaffectibus devenue plus tardla charte constitutive de lachasse aux sorcières.

    Deux inquisiteurs domini-cains et théologiens, HenryInstitoris et Jacques Sprenger,vont reprendre cette bullepapale en préfacé de leurretentissant ouvrage édité en1487 le Malleus maleficarumou Le Marteau des sorcières.

    Selon les experts, Henry Institoris, de sonvrai nom Heinrich Kramer, est l’unique etvéritable auteur de ce qui deviendra leguide officiel pour débusquer les sorcierset sorcières et les punir6. Jusqu’à la fin duXVIIe siècle, de nombreuse éditions totalisantquelques trente mille exemplaires ont étémises en circulation à travers toute l’Europe.Le Malleus, principalement publié dansun format rare pour l’époque, le petit in-octavo, a probablement servi de guide auxprofessionnels de l’Inquisition. Sa premièreédition de poche coïncide avec le temps despremiers bûchers. Les maisons d’éditionsdans des villes telles que Lyon, Paris, Venise,Nuremberg et celles des villes rhénanes ontrendu possible la propagation des idéesdéfendues par les auteurs, contribuant ainsià augmenter la frayeur des populations ainsique la psychose de la sorcellerie auprès desélites cultivées.

    Le Marteau des sorcières, dans lequel lesauteurs exposent les raisons qui poussent

    naturellement les femmes à pactiser avec lediable, est connu pour sa charge virulenteet misogyne. Dans la première partie, lesauteurs procèdent à la démonstration del’existence réelle des sorcières revisitantainsi le Canon episcopi en le détournant deson sens initial afin de servir leur propos.La deuxième partie se veut empirique. Lesauteurs réfèrent à leur expérience d’inqui-siteurs pour relater des faits concernant levécu maléfique des sorcières et de leurs vic-times. La dernière partie se présente commeun code criminel abrégé à l’usage des pra-

    ticiens de l’Inquisition. On yenseigne avec minutie com-ment diriger les procès poursorcellerie.

    À travers leur discours onassiste à la féminisation de lasorcellerie en même tempsqu’à la criminalisation dessorcières. D’une nature faibleintellectuellement et morale-ment, les femmes sont lesprincipales responsables desphénomènes de sorcellerie.C’est aussi l’insatiable passioncharnelle des femmes qui lespousse à pactiser avec le dia-ble et à participer au sabbat.Ces femmes méchantes sonttrès nombreuses, elles repré-sentent, selon eux, une réelle

    Bulletin de l’APHCQ ◆ Printemps 2007 4

    1. Voir Antonin Mérieux, «La nigromancie, entre science et magie»,Histoire et images médiévales, no 9,Aout-septembre 2006, pp. 42-47.

    2. Avant d’être récupéré au XVe siècle par les théologiens, le mythe du volnocturne des sorcières a été une croyance médiévale qui tire ses originesau sein de deux mythes issus de l’antiquité gréco-romaine. Le premier vientde la croyance ancienne que les femmes peuvent se transformer la nuiten chouette ou en strigae – nom latin donné aux sorcières – pour dévorerles enfants. On les appelait aussi lamiae, du nom de la reine mythique deLibye aimée de Zeus qui buvait le sang des enfants par vengeance pour Héra,femme de Zeus. Le deuxième mythe se rapporte à Diane la chasseresse,déesse romaine de la fertilité souvent identifiées avec Hécate (déesse dumonde souterrain et de la magie) qui participait à des voyages nocturnes.À la fin du Moyen âge, ces deux mythes auraient contribué à la formation decelui du sabbat des sorcières.Voir Brian P. Levack, La grande chasse aux sorcières,Champ Vallon, 1991, pp. 54-55.

    3. Cité dans Brian P. Levack, op.cit., p.55.

    4. Jean Palou, La sorcellerie, Paris, PUF, 1992.

    5. Il est intéressant de constater que certains mythes qui concernentles sorcières apparaissent graduellement pendant l’époque moderne.Par exemple, la croyance qui veut que le diable ait laissé sa marque surles sorcières ne serait apparue qu’au XVIe siècle, sous l’impulsion desdémonologues protestants. La recherche de la marque du diable avaitentraîné l’usage de techniques très douloureuses pratiquées sur le corpsdes sorcières.

    6. Lire la préface d’Amand Danet, «L’Inquisiteur et ses sorcières», d’uneréédition de Institoris et Sprenger, Le Marteau des Sorcières, Malleus Maleficarum,Grenoble, Éditions Jérôme Million, 2005.

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    Elizabeth Sawyer exécutée en Angleterre en 1621 pour sorcellerie.

    ◆ ◆ ◆

    La construction intellectuelle de la sorcière satanique et maléfiqueprend naissance au XVe siècle mais

    continue de se développertout au long des XVIe et XVIIe siècles

    à travers une nouvelle disciplineque l’on nomme la démonologie.

    ◆ ◆ ◆

  • menace. Pour les auteurs, l’histoire adémontré maintes fois que les femmesméchantes sont nombreuses :

    Le royaume des Romains souffrit degrands maux à cause de Cléopâtre,reine d’Égypte, la pire de toutes lesfemmes. Et ainsi des autres… Il n’estpas étonnant alors si le monde souffreencore de la malice des femmes7.Outre les exemples de femmes tirés de

    l’histoire occidentale ou de la traditionbiblique, les auteurs réservent leur plus grandfiel pour les sages-femmes une catégoriesociale détentrice d’un contre-pouvoir et quel’on sait avoir été ciblée par la chasse auxsorcières : personne ne nuit davantage à lafoi catholique que les sages-femmes8. On lesaccuse aussi de faire avorter les femmes,de dévorer les enfants ou d’en faire l’offrandeau démon9. À la question qu’en est-il des sor-cières qui se livrent aux démons? Les auteursidentifient certains types de femmes plus por-tées à la superstition et au maléfice celles

    qui ont été abandonnées par les hommes, lesveuves et encore une fois les accoucheusesqui surpassent toutes les autres en malice10.

    Il est impossible de mesurer avec exac-titude l’impact qu’a eu cet ouvrage sur lesmentalités de l’époque. La dernière partiequi traite des procès fournit tous les détailssur les méthodes à utiliser pour bien menerun procès et obtenir aveux et dénonciations.La torture ou la question, pour utiliser lelangage de l’Inquisition, est longuement évo-quée. Cette procédure pouvait s’étendre surplusieurs jours.

    Après le Marteau des sorcières suit unesérie d’ouvrages de démonologie qui marquele monde de l’édition pendant toute l’époquemoderne. Ces livres de démonologie écritspar et pour des élites permettent de diffusercertaines croyances inspirées de pratiquespopulaires mais retraduites dans un lan-gage savant. Ce discours savant sera adoptéà la fois par les inquisiteurs professionnelset par les juristes. La transmission de leurs

    idées parmi les populations analphabètess’effectue par les juges au moment desprocès et par les feuilles volantes, contri-buant aussi peut-être à l’augmentation desdénonciations.

    ◆ ◆ ◆

    Les auteurs identifient certainstypes de femmes plus portées

    à la superstition et au maléficecelles qui ont été abandonnées parles hommes, les veuves et encore

    une fois les accoucheuses.◆ ◆ ◆

    LA CHASSE AUX SORCIÈRES,XVIe ET XVIIe SIÈCLES :UN PHÉNOMÈNE MODERNE?La chasse aux sorcières se produit princi-palement entre les XVIe et XVIIe siècles. Laplupart des bûchers allumés pendant lapériode la plus meurtrière, soit entre 1580

    Bulletin de l’APHCQ ◆ Printemps 20075

    Epttjfs

    POUR ALLER PLUS LOIN…

    • Delumeau, Jean, La peur en Occident, XIVe-XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1978. 485p.• Institoris, Henry et Jacques Sprenger (1486, rééd. 1990), Le Marteau des sorcières, traduit et présenté

    par Armand Danet, Grenoble, Jérôme Million. 539 p.• « Idôlatarie et magie noire», numéro spécial de la revue, Histoire et images médiévales, No 9, Août-septembre 2006.• Levack, Brian P. La grande chasse aux sorcières en Europe aux débuts des temps modernes, Paris, Champ Vallon, 1991. 283 p.• Levack, Brian P. ed. by, New Perspectives on Witchcraft, Magic and Demonology, volume 4, Gender and Witchcraft,

    New York/London, Routledge, 465 p.• Muchembled, Robert, La sorcière au village, XVe-XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1979. 310 p.• Sallmann, Jean-Michel, Les sorcières fiancées de Satan, Paris, Découvertes-Gallimard, 1987. 192 p.• Snyder, Patrick, Représentations de la femme et chasse aux sorcières XIIIe-XVe siècles, Montréal, Fides, 2000, 123p.

    20-22 avril2007Jeunes Démocrates

    Tournoi

    Bravo aux deux équipes finalistesCollège Jean-de-Brébeuf (médaille d’or)et Collège François-Xavier-Garneau(médaille d’argent) !

    Félicitations aussi au Collège Bois-de-Boulogne qui s’estmérité la médaille de bronze.

    Nous voudrions souligner aussi la présence de membres(actuels ou anciens) de l’APHCQ, responsables d’équipe,durant la fin de semaine :

    Hélène Dupuis (Collège Bois-de-Boulogne), Nicolas-Hugo Chebinet Michael Rutherford (Cégep Gérald-Godin), Mario Lussier(Cégep Lévis-Lauzon), Patrick Poulin (Collège André-Grasset)et Marie-Jeanne Carrière (Collège Mérici).

  • et 1670, est l’œuvre des tribunaux civils(seigneuriaux, princiers, royaux)11. C’est à cemoment que le crime de lèse-majesté divineapparaît. La sorcellerie devient à la fois unemenace à la religion et à l’ordre établi.

    Pour l’ensemble de l’Europe, on comp-tabilise 110 000 procès de sorcellerie dontprès de la moitié se sont terminés par desexécutions. Certaines régions d’Europe sontpresque totalement exemptes de ces per-sécutions. C’est le cas par exemple, del’Espagne catholique et de l’Italie du Sud quin’ont à peu près pas connu de vague depersécution contre les sorcières. Les Étatsles plus concernés sont ceux des régionsgéographiques touchées par la Réformeprotestante. Cette grande disparité régionaleconduit à une constatation, la chasse auxsorcières ne s’est pas déroulée strictementen terre catholique, bien au contraire.

    Les chiffres démontrent que près de lamoitié de tous les procès de sorcellerie onteu lieu en Allemagne, soit 50 000 d’entreeux. Les autres régions les plus touchéessont la Pologne qui comptabilise 15 000 pro-cès, la Suisse qui en compte 9 000 et lesrégions situées le long du corridor du Rhinqui en totalisent 10 000. Ailleurs, ce sont lesîles britanniques et les royaumes scandi-naves qui affichent l’un et l’autre 5 000 pro-cès. Des États comme la Hongrie, la Russie12

    et la Moldavie connaissent autour de 4 000procès chacun et les pays méditerranéensqui sont très peu touchés par cette criseavec leur 10 000 procès ne comptent quetrès peu de condamnations à mort. C’estdonc l’Allemagne réformée qui a conduit leplus de procès mais qui a aussi le plus sévi.Plus de 50% de ceux qui ont eu lieu enAllemagne et en Pologne se sont terminéspar des exécutions. Ce sont donc en ceslieux profondément marqués par la Réformeet la Contre-Réforme que la majorité desbûchers ont été allumés13.

    Conjugué aux malheurs du temps, cessiècles ayant aussi amené les intempéries,les crises et les guerres multiples, le climatreligieux des XVIe et XVIIe siècles et la craintedes individus pour leur propre Salut ont doncnourri un sentiment de méfiance au sein despopulations et ont aménagé un terrain pro-pice au déroulement de la chasse aux sor-cières. Comme l’ont été les juifs au tempsde la peste et en Espagne, la sorcière sert debouc émissaire et permet d’expliquer l’inex-plicable. En ces temps de misère, il faut trou-ver une explication à la mauvaise récolteet au veau mort-né. Une simple dénoncia-tion permet d’enclencher toute la procédureinquisitoriale. Selon Jean Delumeau, sans lepeuple et les campagnes, la chasse aux sor-cières n’aurait pu exister.

    ◆ ◆ ◆

    C’est donc l’Allemagne réforméequi a conduit le plus de procès

    mais qui a aussi le plus sévi.◆ ◆ ◆

    La procédure inquisitoriale est alors impi-toyable. D’une simple accusation de jeteusede sort, l’accusée sera alors confrontée audiscours savant de ces juges qui sont plu-tôt préoccupés par le diable que par le sortdes récoltes et des animaux. L’accuséedevient alors l’alliée du démon et celle quiparticipe au sabbat14.

    L’Église catholique, et parfois celle luthé-rienne, fournissent les justifications théo-riques de la chasse aux sorcières et lemodèle inquisitorial, mais son applicationréelle vient des pouvoirs séculiers. Ce sontdonc les États eux-mêmes qui procèdent auxpoursuites. La psychose de la chasse auxsorcières a provoqué la mise en relation deplusieurs entités sociales. Le peuple, surtoutcelui des campagnes, reconnaît les signesdu Mal qui ronge sa communauté (la mort,

    les intempéries, l’infertilité, la maladie) etveut le purger. Les autorités religieuses quiconduisent certains procès vont surtout défi-nir les contours des notions de Bien et deMal et dresser le portrait-robot de la sorcière.Les représentants de l’État, par le biais destribunaux civils, vont reformuler les accu-sations dans un langage savant, celui desdémonologues, et livrer les accusées auxflammes. Ces trois mondes convergent dansun but commun pour des raisons différentes.Les États modernes tentent de préserver lapureté morale de la société en s’appuyantsur une rationalité nouvelle pour justifierleurs interventions. Cet état de fait conduità rejeter la nature et les vieilles traditionsvillageoises. C’est ainsi que la femme duvillage (la vieille, la sage, la célibataire, lagitane), détentrice d’un savoir ancien etd’une médecine empirique, représente unemenace au nouvel ordre de la Raison.

    C’est donc au nom de la rationalitémoderne que les bûchers sont allumés. C’estpour cette même raison qu’ils vont s’éteindreà la toute fin du XVIIe siècle15. Mais cettefois-ci elle sert à déclasser la démonologie,à remettre en cause les pratiques judiciaires,à revendiquer les droits humains et l’abo-lition de la torture. Un siècle plus tard, celuides Lumières, pour certains comme Voltaire,la sorcière ne sera plus qu’une vulgairesuperstition, mais pour d’autres, commeJean Wier le suggéra déjà au XVIe siècle, leproduit d’une féminité souffrante à traiter.

    Linda FrèveCégep de Sainte-Foy et Cégep Limoilou

    Bulletin de l’APHCQ ◆ Printemps 2007 6

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    7. Sprenger et Institoris, op.cit., p. 164.

    8. Ibid., p.197

    9. Ibid., p.196

    10. Ibid., p.157

    11. Certaines interprétations de la chasse aux sorcières ciblent par ailleursl’absolutisme comme une cause de la chasse aux sorcières. Le roi meten place un gouvernement central fort dans l’espoir de limiter les pouvoirsde la noblesse et tente d’élargir le domaine juridique des cours centrales.La chasse aux sorcières permettrait alors de rassembler la population autourdes officiers royaux.Toutefois, la chasse aux sorcières se produit en des lieuxoù l’absolutisme ne s’imposera jamais.

    12. La Russie est la seule région d’Europe à avoir principalement condamnédes hommes.Voir le travail de Valerie A. Kivelson dans Brian P Levack, op.cit.,pp. 66-86.

    13. Levack, op.cit., p.32.

    14. Plusieurs études ont démontré cet écart de langage entre les accusationspopulaires et le discours judicaire. Robert Muchembled a notamment faitla preuve des transformations du discours de la sorcière dans les procèsavant et après l’usage de la torture. Selon ses études, les témoins parlentde maléfices, d’infertilité, de mauvaises récoltes en n’évoquant à peu prèsjamais le diable. Les juges, pourchassant le démon, vont à travers leur discourssavant traduire les maléfices en manifestations du diable. Muchembled voitlà une importante opposition historique entre le folklore rural imprégnéd’une conception du monde magique témoignant d’un certain rapportà la nature et une force religieuse et étatique qui veut l’enrayer.

    15. Pour une synthèse des interprétations relatives au déclin de la chasse auxsorcières, voir la conclusion de Levack, op.cit.

  • On sait qu’Aspasie était originaire de Milet,cité grecque d’Asie mineure, et que sonpère se nommait Axiochus. Les raisons quil’amenèrent à Athènes ne nous sont pasconnues mais on estime que sa relationavec Périclès, préalablement divorcé d’unepremière femme, commença un peu avant447 avant Jésus-Christ, date à laquelleAspasie lui donna un fils : Périclès le Jeune.On qualifie Aspasie d’ «hétaïre », terme qui,en grec, signifie « compagne» mais qui dési-gnait surtout des courtisanes de très hautrang qui bénéficiaient d’une grande consi-dération sociale. Certains rapportent que laMilésienne entretenait chez elle d’autrescourtisanes qu’elle formait. Mais les histo-riens sont divisés à savoir si Aspasie a étéou non une hétaïre. Toutefois, cette imageest rapportée et utilisée avec emphase parles auteurs comiques qui en font même uneprostituée de bas niveau pour ternir sonimage, mais surtout, de façon détournée,celle de Périclès. À travers ce reflet déformé,quel portrait dresser d’Aspasie ?

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    C’est en devenant l’amante et la concubine de Périclès,

    le plus grand politicien, l’homme le plus influent de l’Athènes du Ve siècle

    qu’elle retint le plus l’attention…et qu’elle se fit le plus d’ennemis.

    ◆ ◆ ◆

    UNE ENSEIGNANTE COMPÉTENTED’abord, Aspasie était une femme d’unegrande intelligence. Socrate, sous la plumeironique de Platon, affirme dans le Ménexèneque c’était d’elle qu’il tenait l’art de l’élo-quence et de la rhétorique. Le philosophela qualifie à cet effet de didaskalos, c’est-à-dire de «maître», de « savante». Un adjectifqui, il faut le souligner, n’a pas d’équivalentféminin en grec. Ainsi, sciemment, Platonutilise un terme masculin pour décrire

    Aspasie, sans doute pour insister sur le faitqu’en tant que femme, elle présente descaractéristiques hors du commun. Il sembleà cet effet qu’Aspasie tenait une école derhétorique où les grands hommes d’Athènes,encouragés par Périclès, amenaient leursfemmes. Celles-ci pouvaient ainsi apprendre,au contact de la brillante Aspasie, l’art dediscuter. Le cercle des fréquentationsd’Aspasie était impressionnant. À sa tableétaient conviés les esprits les plus brillantsde l’époque. Mis à part Périclès et le jeuneSocrate (il a, à l’époque, une trentained’années !), elle fréquentait, entre autres, lephilosophe Anaxagore et des artistes commePhidias et Sophocle. On sait aussi qu’aprèsla mort de Périclès, Aspasie prit pour amantLysiclès, de naissance modeste, mais qui,avec les leçons de politique et d’éloquencede sa belle devint un homme politique puis-sant. Les talents et la réputation d’Aspasieétaient tels que certains allèrent mêmejusqu’à prétendre que les discours de Périclèsétaient composés par elle !

    UNE FEMME DE CHARMEQu’Aspasie ait été une femme savante, une«enseignante compétente», cela semble clair.Toutefois, c’est à travers ses amants qu’onla connaît le mieux. C’est en effet par sonart de plaire qu’elle se distinguait des autresfemmes. Socrate lui-même semble avoir subile charme de la Milésienne. Cependant, c’esten devenant l’amante et la concubine dePériclès, le plus grand politicien, l’homme leplus influent de l’Athènes du Ve siècle qu’elleretint le plus l’attention… et qu’elle se fit leplus d’ennemis.

    Le philosophe Antisthène a décrit l’atta-chement que Périclès avait pour Aspasie.Cependant, pour cet auteur austère, un telattachement était déplacé et dicté par le plai-sir. Il va jusqu’à déplorer qu’un homme sensécomme Périclès se soit laissé emporter aupoint d’être incapable de quitter la maison lematin ou d’y revenir le soir sans embrasser

    sa compagne. L’historien Plutarque, dans saVie de Périclès, reprend ces réflexions touten ajoutant qu’en plus, cet amour lui auraitfait verser des larmes de désespoir quandil prit la défense d’Aspasie lors d’un procès.En effet, accusée d’impiété par des enne-mis politiques de Périclès, Aspasie avaitalors été défendue avec brio par son ora-teur d’amant.

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    En fait, il semble justement quecet attachement profond, cet amour

    entre Aspasie et Périclès ait étéexceptionnel au point de choquer lesesprits bien pensants. Car n’était-ilpas dangereux que l’homme le plusinfluent d’Athènes soit sous l’empire

    d’une femme, d’une étrangère qu’on soupçonnait même

    de sympathie pour les Perses ?◆ ◆ ◆

    En fait, il semble justement que cet atta-chement profond, cet amour entre Aspasieet Périclès ait été exceptionnel au point dechoquer les esprits bien pensants. Car n’était-il pas dangereux que l’homme le plus influentd’Athènes soit sous l’empire d’une femme,d’une étrangère qu’on soupçonnait mêmede sympathie pour les Perses ? Il ne fautdonc pas s’étonner qu’Aspasie ait surtoutfait parler d’elle dans des comédies qui l’ontmontrée comme une arriviste prête à toutpour s’emparer du pouvoir. C’est donc à tra-vers Périclès qu’on connaît le plus Aspasie,car les ennemis politiques du premier descitoyens d’Athènes, faute de pouvoir s’enprendre directement à lui, s’en sont pris àcelle qui partageait sa vie. L’estime dontjouissait Aspasie n’échappait à personneet, peut-être, est-ce une des raisons qui avalu tant d’attention à la belle intellectuelle.

    UNE EXCLUSION CIVIQUE GAGEDE LIBERTÉ SOCIALEAspasie ne correspond pas, à l’époque, aumodèle de la «citoyenne» athénienne. En fait,son statut de métèque, d’étrangère rési-dente, la place à l’écart. Elle ne peut mêmepas espérer mettre au monde des enfants

    Bulletin de l’APHCQ ◆ Printemps 20077

    (Suite à la page 16 : Aspasie)

    Aspasie est une des figures féminines les plus intéressantes du monde grec ancien. Sesrelations avec des hommes marquants comme Périclès et Socrate ont frappé l’imagina-tion des lettrés de l’époque. Les sources mentionnant le nom d’Aspasie sont assez nom-breuses pour que le personnage ait une réelle consistance historique. Platon, Xénophon,Plutarque, notamment, en parlent abondamment. Mais ce sont les auteurs comiquesqui feront d’elle le portrait le moins flatteur, le plus incisif, et qui ont contribué à défor-mer l’image de cette femme. Miroir grossissant de l’Histoire, qui dessine le profil d’uneintellectuelle intelligente et influente qui forçait l’admiration.

    AspasieUne intellectuelle dans l’ombre de Périclès

    Epttjfs

  • IHIROSHIMAHiroshima, où nous sommes depuis deuxjours, est une ville souriante et dynamiquesise dans l’ouest de l’île de Honshu et peu-plée d’un million et demi d’habitants. Onpeut aisément la joindre via le shinkansen,TGV japonais roulant de Tokyo à FukuokaHakata au nord de l’île de Kyushu. La villes’est développée sur les levées de sable cons-tituant le delta du fleuve Ota, ce qui en faitun terrain à la fois particulièrement sensibleaux tremblements de terre et intéressantdu point de vue des communications. Celaexplique d’ailleurs pourquoi dès l’époqueMeiji et jusqu’à la Deuxième Guerre mon-diale, Hiroshima constitua un centre militairede première importance. La présence de cesbras fluviaux au cœur de la ville alliée aupanorama montagneux qui la ceint et auxnombreux parcs qui y ont été aménagés enfont une métropole aux dimensions humai-nes. La présence d’un réseau de tramway etla popularité du vélo comme mode de trans-port ajoutent de leur côté un charme agréa-blement suranné aux balades urbaines,aient-elles lieu au milieu d’allées de néons.

    Un peu partout, et notamment le longdes bras du fleuve Ota, à l’entrée des pontset aux carrefours des grands boulevards, lamunicipalité a installé de gros bacs à fleursronds. Les kiosques offrant de la crème gla-cée molle à la vanille ou au thé vert abon-dent, ainsi que les restaurants de sushi, denouilles et de poisson. Dans un tout autreordre d’idée, son musée d’art contemporain,qui s’élève sur une des collines du parcHijiyama, est célèbre tant pour son archi-tecture que pour l’intérêt de ses expositionspermanentes et temporaires.

    Pour un étranger ignorant de l’épisodesordide dont furent victimes la ville et seshabitants il y a de cela 62 ans (donc pourun Martien), Hiroshima a tout d’une villeagréable et sans histoire. Comme vous lesavez tous, ce n’est cependant pas le cas,

    et la visite du parc de la Paix aménagé aucentre-ville, de son musée, de son mémorialet de ses jardins commémoratifs est l’occa-sion pour les visiteurs comme pour leslocaux de regarder l’horreur en face et deprendre conscience de l’absurdité éhontéede la guerre.

    Petit rappel des faits : 6 août 1945, 8h15du matin. Un avion étasunien largue unebombe atomique sur Hiroshima. Le choixdes États-Unis de lancer la bombe sur uneville japonaise n’a jamais été clairementexpliqué. L’argument officiel du danger quereprésentait alors l’empire nippon, qui étaitpourtant à cette date en pleine déconfiture,ne tient nullement la route. En fait, les États-Unis, sentant que l’URSS était sur le pointde déclarer la guerre au Japon afin d’étendreéventuellement son influence sur l’archipelvaincu, semblent avoir été désireux de signi-fier à Staline et à ses acolytes qu’ils étaienten mesure de contrecarrer leurs plans. Legouvernement étasunien désirait aussi parcette attaque atomique justifier auprès deson opinion publique les astronomiquessommes jusque-là englouties dans le pro-gramme de recherche nucléaire.

    Bien qu’ayant été prévenus par nombrede scientifiques des effets potentiellementcatastrophiques de l’arme nucléaire sur lescivils, les États-Unis ont délibérément choiside ne lancer aucun ultimatum au Japon nide l’avertir de l’imminence de l’attaque afinque soient évacués les civils. Au lieu de cela,ils ont pris soin de larguer avec la bombedes parachutes contenant divers instru-ments scientifiques destinés à analyser leseffets de cette nouvelle « arme de destruc-tion massive». Ils ont également envoyé desphotographes aériens prendre des clichésau-dessus de la ville juste après l’attaque.

    Une fois le Japon occupé par les forcesaméricaines au terme de la guerre, le sortréservé aux civils et à la ville en général futdocumenté par des films et des photos pourle compte des autorités étasuniennes (lesinformations de ce type furent cependantsévèrement censurées dans les médias japo-nais tout au long de l’occupation américainequi dura jusqu’en 1952). On peut voir unsoldat américain tout souriant montrer lesombres laissées sur les murs et les pavésde la ville par l’explosion dans le musée.Un bel exemple de tact.

    Cela semble donc assez clair, Hiroshimaet Nagasaki furent les victimes en mêmetemps que les cobayes des États-Unis dans

    les jeux politico-militaires qui préfiguraientle début de la guerre froide.

    Le sort subi par les habitants d’Hiroshimaest indescriptible. Partout sous l’onde dechoc directe de la bombe, les victimes furentlittéralement pulvérisées. Dans maints cas,les proches n’ont retrouvé que des objetspersonnels. Beaucoup de ces victimes étaientdes adolescents et des adolescentes char-gés par le gouvernement de détruire desédifices au centre-ville afin de prévenir desattaques aériennes.

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    Bien qu’ayant été prévenus parnombre de scientifiques des effetspotentiellement catastrophiquesde l’arme nucléaire sur les civils,

    les États-Unis ont délibérément choiside ne lancer aucun ultimatum au

    Japon ni de l’avertir de l’imminencede l’attaque afin que soient

    évacués les civils.◆ ◆ ◆

    Une femme assise sur le seuil d’unebanque située tout près du point d’impactdans l’attente de son ouverture s’est enquelque sorte dissoute. La chaleur dégagéepar l’explosion ayant été telle que les mursde pierre pâlirent, il ne subsiste commetrace de son passage sur terre que l’ombrelaissée par sa silhouette avant qu’elle nedisparaisse.

    L’impact de l’explosion nucléaire produisiten effet une chaleur de plusieurs milliers dedegrés Celsius qui fit littéralement fondreles tuiles des toitures et le verre et se vitri-fier le gravier, tandis que des kilomètres àla ronde, la ville fut soufflée dans sa quasientièreté (en témoignage de la tragédie, l’undes seuls édifices à ne pas avoir été com-plètement détruits par la bombe, le «Dôme»,trône encore aux abords du parc de la Paix).

    Nombre des survivants des premiersjours moururent dans les journées qui sui-virent des suites de leurs brûlures. La peaucalcinée et ensanglantée, les vêtements enlambeaux, les cheveux hirsutes et poussié-reux, ils étaient en proie à une déshydrata-tion telle qu’un grand nombre d’entre euxse ruèrent dans les flaques d’eau radioac-tives qui se formèrent à la suite de la pluienoire qui se déversa sur la ville dans lesheures qui suivirent l’impact.

    Un adolescent tenta même de soulagersa soif en absorbant le sang qui coulait de

    Voir Hiroshima et Nagasaki en 2007

    Bulletin de l’APHCQ ◆ Printemps 2007 8

    NDLR. L’auteur, Katherine Blouin, nouvel-lement docteure en histoire, qui rentred’un séjour au Japon en avril 2007, a bienvoulu nous communiquer ses impressionssur son passage à Hiroshima et Nagasaki,villes martyres de la fin de la DeuxièmeGuerre mondiale. 62 ans après août 1945,comment se présentent ces villes…

    Opvt opvt tpvwfopot///

  • ses doigts à moitié arrachés. Il mourut lesoir même. Sa mère conserva ces bouts dedoigts mutilés afin de montrer à son marice dernier témoignage de leur fils lorsqu’ilreviendrait du front.

    Un petit garçon de trois ans fut brûlé parla bombe alors qu’il jouait sur son tricycledans la ruelle devant chez lui. Son pèredévasté refusa de l’enterrer seul à un si jeuneâge et déposa dans son caveau son tricycleainsi que le casque avec lequel il aimaits’amuser. 40 ans après les événements, ildéterra le corps de son fils pour le déposerdans le caveau familial et confia à cetteoccasion le tricycle et le casque au muséed’Hiroshima.

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    Au total, 140000 personnessont décédées au cours de la seule

    année de 1945 des suites dubombardement d’Hiroshima.

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    Des parents, dont la fille de 13 ans mou-rut alors qu’elle se rendait sur le lieu dedémolition qui lui avait été assigné, neretrouvèrent rien de son corps. Après avoirentendu à la radio que quelques effets d’éco-liers avaient été retrouvés près de l’endroitde disparition, il se rendirent à leur lieud’entreposage et récupérèrent pour seuletrace de leur fille son porte-monnaie et sabesace.

    Après avoir cherché son fils en vain dansles décombres pendant plusieurs jours,une mère eut la certitude qu’il était mort

    lorsqu’elle trouva sa sandale, qu’elle recon-nut parce qu’elle en avait elle-même confec-tionné les lanières avec le tissu d’un de seskimonos.

    Les quelques civils qui survécurent àleurs brûlures moururent le plus souventde diarrhées, de cancers, d’hémorragiesinternes diverses ou d’autres effets pervers.Ces « complications » s’échelonnèrent surplusieurs décennies. Au total, 140000 per-sonnes sont décédées au cours de la seuleannée de 1945 des suites du bombar-dement d’Hiroshima. À celles-ci s’ajoutenttoutes celles qui moururent au coursdes années suivantes, de même que les 2e

    et 3e générations victimes de séquellescongénitales. Quelques dizaines de milliersde survivants sont encore vivants.

    La visite du musée consacré à cet événe-ment tragique est fort émouvante. PlusieursJaponais qui le visitèrent au même momentque nous pleuraient, et nous avions nous-mêmes la gorge nouée. Il est particulière-ment admirable de voir comment lesJaponais, et de façon particulière les habi-tants d’Hiroshima et de Nagasaki, firentpreuve de résilience et reconstruisirent lesvilles bombardées avec ardeur et dyna-misme. Il est encore plus admirable d’êtretémoin du réel engagement de ces deuxvilles pour la promotion de la paix et dela lutte contre la prolifération nucléaire(soulignons à cet effet l’engagement pacifistedu maire sortant de Nagasaki, lâchementassassiné le 17 avril dernier par un membrede la mafia japonaise).

    En cette période où l’actualité nous rap-pelle souvent les menaces toujours vives duspectre nucléaire sur la planète, il est cepen-dant difficile de ne pas sortir de ce muséeet du parc de la Paix sans ressentir un pro-fond dégoût et une vive frustration. Contreles États-Unis qui, jouissant de la justice duvainqueur, n’ont jamais été punis pour lescrimes de guerre qu’ils ont commis au Japon,contre les forces machiavéliques qui sem-blent toujours motiver les dynamiques géo-politiques internationales et, au final, contrela nature humaine.

    IINAGASAKINagasaki est aujourd’hui une ville popu-leuse d’environ 600 000 habitants. L’agglo-mération est sise dans le sud-ouest de l’îlede Kyushu, la plus méridionale des grandesîles de l’archipel japonais, à deux heures detrain de Fukuoka-Hakata, et remplit touteentière la mince et longiligne plaine ceintu-rée de montagnes qui borde l’embouchure

    du fleuve Urakami-Gawa. Un emplacementstratégique enviable, un climat qu’on senttout de suite plus tropical que celui qui pré-vaut dans le Kansai et à Hiroshima, despetits ponts de pierre, des pots de fleur etdes affiches rigolotes, des avenues mar-chandes couvertes et des ruelles pavées,bref une douceur tranquille qui revigoreaprès la jungle urbaine d’Osaka et la fouletouristique de Kyoto.

    Nagasaki fut longtemps la seule ville japo-naise ouverte aux étrangers et, par consé-quent, la cité la plus cosmopolite du pays.Cette ouverture de la ville sur l’Occident seproduisit un jour de 1542 au cours duqueltrois lurons (lire marchands portugais d’appa-rence singulière en ce que, à la grande cons-ternation des Chinois comme des Japonais,mangeaient avec leurs mains) en route versla Chine méridionale mais pris dans unetempête échouèrent à Tanegashima, sur lacôte du Kyushu. Pour la première fois, desEuropéens accostaient en terre japonaise.

    ◆ ◆ ◆

    Il est encore plus admirable d’êtretémoin du réel engagement de

    ces deux villes pour la promotionde la paix et de la lutte contre

    la prolifération nucléaire.◆ ◆ ◆

    Voici, en résumé, quelles furent les vicis-situdes de la présence occidentale dans leJapon de l’avant Deuxième Guerre mondiale.D’abord, les trois « lurons » portugais débar-quèrent avec leurs fusils, instruments jusque-là inconnus du Japon des samouraïs et desshoguns, mais qui furent, échanges de bonsprocédés aidant, rapidement copiés et dif-fusés à travers tout l’archipel. Et comme unmal ne vient jamais seul, ce déversementde marchands armés fut suivi de jésuitesqui, à la suite du père François Xavier(1560), étaient convaincus que la foi chré-tienne pouvait et devait balayer de la cartejaponaise plus de mille ans de réflexion, dephilosophie et de tradition shintoïste etbouddhiste. Si le Christ en croix connut unepopularité certaine sur l’île du Kyushu (uneimportante communauté chrétienne habiteencore la région et il n’est pas rare d’y repé-rer des clochers), l’excès de zèle de certainsde ces monothéistes barbus allié aux mala-dresses et aux conflits intestins croissantsqui divisèrent bientôt jésuites et franciscainsencouragèrent les autorités à mettre unterme à cette « fanfaronnade» monothéiste.

    La riposte fut simple mais efficace : oncrucifia une vingtaine de pauvres diables

    Bulletin de l’APHCQ ◆ Printemps 20079

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  • chrétiens (un monument élevé à leurmémoire trône de nos jours près de la gare),on interdit le christianisme en terre japo-naise (1587) et on se paya le luxe de quel-ques persécutions (1597). Pendant ce temps,soit à partir du moment où elle fut décla-rée port international (1571), Nagasaki étaitdevenue un port maritime marchand ouvertsur l’Europe et le reste de l’Asie. La villeprospérait lorsque, en 1635, sous le shogu-nat des Tokugawa, ces derniers, jugés res-ponsables de l’afflux de missionnairesfanatiques et des troubles séditieux dont ilsavaient été les colporteurs, furent expulsés.Désormais, seuls les Hollandais et les Chinoisfurent permis de séjour au Japon, et celauniquement sur la petite île artificielle deDejima à Nagasaki, où de nombreux édi-fices ainsi qu’un dynamique Chinatowntémoignent encore de ce pan de l’histoirede la ville.

    L’isolement nippon, qui fut paradoxa-lement synonyme de dynamisme pourNagasaki, perdura jusqu’à ce qu’en 1853,une flotte américaine pénètre dans le portd’Edo (Tokyo) afin de forcer le pays à ouvrirses ports aux étrangers. À la suite de cetévénement, des délégations commercialesbritanniques, américaines, françaises, alle-mandes et prussiennes vinrent s’établir àNagasaki, qui n’en fut que plus internatio-nale. Au sud de la ville, sur des hauteurssurplombant celle-ci, sa baie et son port,

    un grand parc couvert de jardins et de mai-sons aux allures européennes rappelle cetteépoque faste. (On y trouve même un grandétang à carpes autour duquel sont installésun kangourou, des pingouins, des lapins etun écureuil en fil de fer couverts de petitesampoules où les Japonais aiment à se fairephotographier…)

    Puis, près d’un siècle plus tard, il y eutla guerre de Mandchourie et le conflit sino-japonais. Puis la Deuxième Guerre mondiale.Puis la bombe nucléaire. Le 9 août 1945, à11h02. Puis un grand feu qui dura tout lejour, des cris, des souffrances. Et d’autresinnombrables souffrances. Et une incom-préhension. Qui dure toujours.

    Le parc de la paix, le mémorial du bom-bardement nucléaire de Nagasaki et lemusée de la bombe sont situés à Urakami,banlieue nord de la ville et lieu de l’hypo-centre. Lorsque nous avons visité le parc,le ciel était gris et, encouragés par la brisefranche qui balayait l’air matinal, les ceri-siers en fleurs laissaient échapper leurspétales. En comparaison avec Hiroshima, lesite nous a semblé bien peu fréquenté. Peude gens en effet hormis quelques groupesde touristes japonais venus se recueillirquelques instants sur les lieux du drameavant d’y déguster des cornets de crèmeglacée à la vanille, tous enlignés en rangd’oignons, la caméra en bandoulière etle regard perdu dans le vide. Autrement,

    quelques badauds venus admirer les arbresen fleurs et un chapelet d’Occidentaux enduo, trio ou quatuor. C’est tout.

    En bordure du parc de la paix coule unpetit ruisseau. Il y a peu de bruit, on entendquelques oiseaux et le bruissement desfeuilles. Clouée sur le mur de pierre déli-mitant le cours du ruisseau, une plaquecommémorative rappelle le témoignage d’unsurvivant de la bombe : le lendemain del’explosion atomique, il avait marché dansce secteur et avait été effrayé de constaterque le cours entier du ruisseau, à la hauteuroù je me trouvais en lisant ces lignes, étaitcomblé de corps carbonisés. Il s’agissaitdes cadavres de victimes qui, déshydratéesen raison de leurs brûlures, y étaient accou-rues dans l’espoir de s’y abreuver. Ces gensbien vivants la veille au matin formaient parleur nombre une digue qui empêchait litté-ralement le ruisseau de poursuivre sa coursevers la mer toute proche.

    Après avoir largué «Little Boy» sur Hiro-shima le 6 août 1945, les États-Unis déci-dèrent de récidiver en larguant « Fat Man»(un autre engin atomique beaucoup plusgros que le premier ; ceci dit, de Little Boyà Fat Man, la logique progressive ne pour-rait être moins subtile). La cible ? Non pasNagasaki mais Kokura, ville située un peuplus au nord de l’île de Kyushu. De touteévidence, même si le Japon était en voiede reddition, l’opération justifions-auprès-de-notre-opinion-publique-nos-folles-dépenses-militaires, faisons-peur-aux-Russeset poursuivons-les-tests-sur-sujets-vivantsdevait être menée à terme.

    ◆ ◆ ◆

    Ces gens bien vivants la veilleau matin formaient par leur nombreune digue qui empêchait littéralement

    le ruisseau de poursuivre sa coursevers la mer toute proche.

    ◆ ◆ ◆

    Ainsi en ce 9 août au matin, un B29 quittala base américaine de Guam chargé de safuneste cargaison et fila vers Kokura :— Pilote du B29 appelle Roger.— Oui pilote.— Il y a des nuages sur Kokura et je ne

    vois rien.— Attends un peu, ça va peut-être se

    dégager.— Mais, ça fait trois fois que je fais le tour

    et rien ne se dégage. En plus, je com-mence à manquer d’essence.

    — Bon. Attends, on va trouver une solu-tion de rechange. Tiens, va donc larguer

    Bulletin de l’APHCQ ◆ Printemps 2007 :

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    Fleuve Ota à Hiroshima

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    Bulletin de l’APHCQ ◆ Printemps 200721

    Fat Man sur Nagasaki. La température ya l’air plus clémente.

    — Mais, il n’y a pas un camp de prisonniersalliés à Nagasaki ?

    …11h02 :

    — Pilote du B29 appelle Roger.— Oui pilote.— Y’avait un trou dans les nuages. J’ai pu

    larguer notre Fat Man ainsi et mes aco-lytes les appareils scientifiques requis.Y’a juste un petit problème.

    — Quoi pilote ?— Au lieu de tomber sur l’usine Mitsubishi,

    la bombe est tombée sur l’église d’Ura-kami, la plus grande église d’Asie. Aprèsavoir largué Little Boy sur un hôpital aulieu d’une usine.Et c’est ainsi que le sordide qui devait

    s’abattre sur Kokura éventra finalementNagasaki. La bombe explosa à 500 mètresdu sol afin que l’impact soit maximisé. Dansun rayon de 1,5 kilomètres, tous les êtresvivants (soit principalement des femmes,des enfants et des vieillards, les hommesétant déployés au front) moururent et tousles édifices furent rasés et carbonisés. Ungrand feu sévit ensuite pendant tout le jouret dura jusqu’au lendemain. Pour la seuleannée de 1945, le bombardement atomiquede Nagasaki tua, sur une population totaleestimée à 240 000 personnes, 73 884 per-sonnes, et en blessa autant.

    ◆ ◆ ◆

    Dans un rayon de 1,5 kilomètres, tousles êtres vivants (soit principalement

    des femmes, des enfants et desvieillards, les hommes étant déployés

    au front) moururent et tous lesédifices furent rasés et carbonisés.

    ◆ ◆ ◆

    Partout, la même désolation et les mêmesagonies qui s’étaient abattues sur Hiroshimatrois jours plus tôt. Sur de petits écrans dis-posés dans le musée de la bombe, des sur-vivants racontent l’odeur insupportable desmorts en décomposition, la vue insoutena-ble des vivants carbonisés rongés par lesvers (les mouches venaient pondre dans lesplaies humides), l’affreuse déshydratation etle manque d’eau, la pluie noire, l’incompré-hension devant ces corps épargnés par labombe mais qui pourtant, quelques jours ousemaines plus tard, vomissaient un liquidejaune, perdaient leurs cheveux, saignaientde l’intérieur pour le plus souvent trépasser,et trop rarement survivre. Il y a aussi tousceux et celles qui moururent dans les mois

    et les années qui suivirent de cancers oud’autres complications. « Plus de 40 ansaprès, je ne peux oublier ni pardonner lamort de mes amis », dit une vieille dameà ce propos en 1991. Ses yeux humidescachent mal la vivacité toujours aiguë deson traumatisme. Une autre survivante atrouvé coup sur coup les cadavres brûlésde sa mère et de sa sœur. Puis son père estmort des suites des radiations, suivi de sonfrère, de sa voisine, du nourrisson de cettedernière et de tant d’autres. Elle avait 10 ansà l’époque. « J’étais persuadée que mon tourallait venir», se rappelle-t-elle, «et je ne com-prends pas pourquoi j’ai survécu». Quant àun vieil homme lui aussi rescapé de l’héca-tombe, il avoue n’être toujours pas parvenuà trouver de mots justes pour décrire ledrame dont il a été le témoin. Et ce fléaude s’abattre aussi sur les nouveaux-nés irra-diés, les enfants de survivants, voire mêmeleurs petits-enfants.

    C’est ainsi que le passé cosmopolite deNagasaki fut balayé et que lui succéda dansl’imaginaire moderne l’image d’un passébeaucoup moins luxuriant, celui de labombe. Pourtant, comme les habitantsd’Hiroshima, ceux de Nagasaki ont recons-truit leur ville et ont mis tous leurs effortsà promouvoir la paix et à lutter contre laprolifération des armes nucléaires. Leurcourage est admirable.

    Un monolithe noir (qui ressemble trèsétrangement à celui que l’on voit dans la

    scène d’ouverture de « 2001 : The SpaceOdyssey ») se dresse aujourd’hui à l’empla-cement de l’hypocentre. Devant lui sontposées des couronnes et des gerbes de gruesen origami.

    ◆ ◆ ◆

    C’est ainsi que le passé cosmopolitede Nagasaki fut balayé et que lui

    succéda dans l’imaginaire modernel’image d’un passé beaucoup moins

    luxuriant, celui de la bombe.◆ ◆ ◆

    On dit que qui voit une grue vit mille ans.Puisse le souvenir de ces jours horrifiantsnous hanter à jamais et puissent les ins-tances et ce qu’il reste d’individus concernésdaigner un jour esquisser un sincère repentir.

    En conclusion, une édifiante déclarationdu président Harry S. Truman au lendemaindes bombardements atomiques, reproduitesur un mur du musée de la bombe, et qui sepasse de commentaire : «We have used itin order to shorten the agony of war, in orderto save the lives of thousands of thousandsof young Americans ».

    Katherine BlouinDocteure en histoire

    Collaboration spéciale

    Statue commémorative du bombardement d’Hiroshima.

  • 300 est le dernier film épique en liste fondésur un fait historique, la bataille de Thermo-pyles (les portes chaudes), qui a eu lieu en480 avant Jésus-Christ entre les forces per-ses sous Xerxès 1er et une coalition grecquesous l’égide de Léonidas roi de Sparte. Il estimportant de préciser que le film a été ins-piré par la bande dessinée de Frank Miller(Sin City, Daredevil), donc outre le nom desprotagonistes, le côté historique y est par-ticulièrement malmené. À la défense de cefilm, il faut préciser qu’il ne s’affiche pascomme une relation historique réelle des évé-nements. D’ailleurs, lors d’une recherche parmots-clés sur le fil, le terme historique vienten 86e place.

    En ce qui a trait au divertissement, 300est un très bon divertissement de 1 heure et57 minutes qui nous permet de mettre noscapacités intellectuelles en veilleuse pourla durée du film. À l’instar des autres filmsinspirés par le bédéiste Miller, la majoritédes scènes sont sombres et mélancoliques.La mort y est abordée de façon glorieuse etelle y est même vénérée à la toute fin. Lespersonnages qui y sont dépeints sont assezcaricaturaux, soit des Grecs aux corpsd’Adonis, un traître difforme, un roi desPerses plus grand que la norme et possédantune voix discordante, etc. Les scènes decombat y sont très violentes et très actives.Il n’y a peu ou prou de temps morts entreles événements qui y sont dépeints et, pourterminer sur l’aspect divertissant du film, labande sonore s’harmonise magistralementavec les effets visuels recherchés.

    Pour ce qui est du côté historique, dès lapremière demie heure du film certainesséquences « titillent» déjà l’historien. Le pre-mier émissaire envoyé au roi Léonidas deSparte est un noir. Sans être puriste il estpossible de concevoir qu’il y ait eu des noirsdans l’armée perse de Xerxès, celui-ci régnaitsur un vaste territoire incluant l’Égypte, leProche-Orient et la majeure partie de l’Asiemineure, cependant le poste d’émissaire oude diplomate était rarement attribué auxpeuples vaincus des confins de l’empire aché-ménide. Petit écart historique, s’il en est un,qui serait passé inaperçu si ce n’était qu’ilse répète lors de la première proposition depaix des Perses auprès des Spartiates.

    Chemin faisant vers les Portes chaudes– en effet, le nom des Thermopyles estfranciser tout le long du film – la troupe

    de 300 Spartiates rencontre une poignéed’Achéens qui se sont pratiquement enrôlésde force pour combattre l’envahisseur. Or,selon le film ce sont ces quelques hommesseulement qui vont défendre le territoiregrec, alors que les forces grecques ont étéestimés à environ 10 000 hommes. Alors quedu côté perse on allègue plus d’un millionde soldats aguerris, l’estimation historiqueavance le nombre de 500 000 dont plus dela moitié périssent dans la tempête del’Artémision qui est relatée dans le film etillustrée par la placidité du roi Léonidas.1

    Rendus sur le lieu de la bataille, lesSpartiates ont l’ordre de construire un muretqui aura une fonction de goulot d’étrangle-ment afin de forcer les troupes perses às’aventurer dans les gorges des Thermopyles.Que ce soit attesté ou pas, il serait fortimprobable que les corps des guerriers per-ses aient servi de mortier tel que présentédans le film. Il est vrai qu’à l’époque, la mortn’avait pas la même répercussion psycho-logique qu’aujourd’hui. Cependant, pour lesGrecs, qu’ils soient Spartiates, Athéniens ouautres, le fait de profaner un corps était unacte qui venait à l’encontre de la morale.

    Lors des différentes batailles constituantle film, on peut voir les éléments qui cons-tituent l’armée de Xerxès. Outre quelqueséléments inspirés de Tolkien, hommes dif-formes à la force herculéenne et soldatsdont les membres supérieurs ont été greffésà des lames, tous les moyens techniques del’époque sont assez bien dépeints. Il y a descharges de cavalerie, des archers qui fontpleuvoir les flèches (oubliez le design gra-phique des pointes de flèches), des fantas-sins se battant tant bien que mal, des

    éléphants de guerres, un rhinocéros deguerre… Eh oui, un rhino !!! En plus qu’ilsoit presque techniquement impossible dedresser un rhinocéros, aucun documenthistorique ne peut appuyer l’existence derhinocéros au sein des armées de l’Antiquité.

    Dernier petit accroc historique notoirequi consiste en une partie majeure de l’équi-pement du soldat spartiate, le bouclier. LesSpartiates, dans le film, utilisent des boucliersde métal. Il faut tout d’abord se rappeler quel’exploitation du fer chez le Grecs remonteà seulement 200 ans avant cette bataillequ’il était d’une qualité médiocre comptetenu de sa faible teneur en carbone. En outre,le bouclier des Grecs est l’hoplon d’où lenom d’hoplites que portait le soldat grec.L’hoplon était un bouclier de bois recouvertde cuir dont le pourtour était parfois bardéde bronze, donc aucunement constitué demétal.

    Tout compte fait, 300 est, pour certains,un excellent divertissement de deux heurescomportant des batailles épiques entre desguerriers de l’Antiquité. Il comporte unecertaine base historique en ce qui a traitaux noms des lieux et des personnagesimportants, à la trame de fond que sont lesguerres médiques et pour l’issue finale dela bataille des Thermopyles : victoire desPerses sur 300 Spartiates. Par contre, il nefaut surtout pas s’attendre à une relationjuste et historique de ces événements. Il fautreconnaître que les textes employés dansle film ne dérogent pas vraiment d’un cadrehistorique, il y en a si peu. Or tout l’aspectvisuel et graphique, qui justifient la qualitédu divertissement, va à contre sens de l’his-toricité de la bataille des Thermopyles. Cecipourrait résulter en une conception biaiséede l’Antiquité grecque de la part des spec-tateurs, donc il y aurait nécessité d’un tra-vail de ré-enseignement de l’histoire avec ungrand «H» auprès des élèves ayant visionnéle film.

    Frédéric BoninDiplômé en histoire

    Collaboration spéciale

    Les portes chaudes… ou 300!ΛΛεεσσ πποορρττεεσσ χχηηααυυδδεεσσ...... οουυ 330000!!

    Bulletin de l’APHCQ ◆ Printemps 2007 22

    1. Aux forces grecques, il faut ajouter la plusimportante flotte athénienne de l’histoireconsistant en environ 380 trières qui futvictorieuse à la bataille de Salamine quelquesjours plus tard.

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  • Au cours du printemps 2006, on a assisté à un débat passionnésur l’enseignement de l’histoire. Notre collègue, Gilles Laporte ducégep du Vieux-Montréal, s’est vivement intéressé à la question,mais je n’ai pas entendu beaucoup d’autres échos des professeursd’histoire du collégial.

    C’est, en partie, compréhensible. Le débat porte essentiellementsur la réforme du programme au secondaire et sur la vision de l’his-toire nationale qui y était sous-jacente. À première vue, puisque ledébat porte sur un autre ordre d’enseignement et sur une matièrepeu enseignée au collégial, on pourrait penser que le débat ne nousconcerne pas au premier chef.

    Ce en quoi, on a tort. Le débat sur le contenu à enseigner estintéressant et essentiel, mais il n’évacue pas pour autant le débatpédagogique qui y est sous-jacent. J’aimerais mettre l’accent ici surles questions pédagogiques. Bien sûr, on ne peut jamais complè-tement séparer ces deux dimensions. On y reviendra. Mais on peutespérer profiter de ces débats pour sortir de l’opposition stérile àl’approche par compétences et pour proposer quelques pistes pourfavoriser l’apprentissage actif de l’histoire au collégial.

    1.0LES TERMES DU DÉBAT SUR L’ENSEIGNEMENTDE L’HISTOIRELe débat pédagogique est présent dès le début de la controversequi est soulevé sur l’enseignement de l’histoire à la fin du moisd’avril 2006.

    Des représentants du CEQ soulignent que l’accent mis sur l’acqui-sition des compétences se fait aux dépens de l’apprentissage desconnaissances en histoire.

    Ce nouveau programme s’inscrit tout à fait dans la perspec-tive « socio-constructiviste » au cœur de la réforme scolaire, etque nous dénonçons. Pour les auteurs du document, les « con-naissances factuelles de type encyclopédique » n’ont aucunintérêt ; ce qui importe avant tout, c’est « interpréter les réalitéssociales» d’aujourd’hui. Idem pour les méthodes d’investigationdu passé, propres à la discipline historique ; l’histoire est utileseulement dans la mesure où elle «apprend à chercher del’information», «mobilise les compétences langagières ».2

    Les «pédagogues », notamment par la plume de Jean-FrançoisCardin, professeur de didactique de l’histoire à l’Université Laval,répliquent :

    « Il faudrait bien un jour arrêter d’opposer connaissances et com-pétences. Tout le monde s’entend pour dire que pour dévelop-per des compétences (par exemple, « interpréter le passé à l’aidede la méthode historique», compétence 2 du programme), celanécessite un long détour par les connaissances (celles émisespar le prof, celles qu’on peut trouver dans les manuels ou surInternet, celles qu’on trouve dans les études d’historiens, etc.).Au lieu d’y voir une mise en retrait desconnaissances, il s’agit au contraire d’unemise en valeur de celles-ci ! »3

    Faux débat ? Dialogue de sourds ?Je veux dire, au préalable, que je souscrisà beaucoup de critiques qui sont formuléesà l’égard de l’enseignement traditionnel del’histoire. Je ne crois pas qu’une approche

    qui voit l’histoire seulement comme un corpus de connaissances àtransmettre aux élèves favorise l’apprentissage de l’histoire – quelque soit son contenu. Une telle approche ne laisse pas assez detraces durables chez l’élève. On peut discuter du corpus, mais sil’élève ne l’approprie pas de toute façon, où est le sens ?

    ◆ ◆ ◆

    La mission de l’histoire au niveau collégial devraitêtre axée sur deux enjeux :

    • l’appropriation critique d’un récit sur nos origines ;• un encouragement à la réflexion sur le changement.

    ◆ ◆ ◆

    Je suis tout aussi convaincu que ce n’est pas «n’importe quoi »comme contenu qui fera l’affaire. Les pédagogues ont beau insisterque les connaissances sont valorisées par une approche par com-pétences, comment les croire lorsque celles-ci sont peu ou malidentifiées ?

    S’il faut donc engager ce débat entre enseignement et appren-tissage, on aura beaucoup à gagner si on cesse de parler de con-naissances et compétences de manière abstraite et si on commenceà poser les problèmes dans le contexte des rapports spécifiquesentre connaissances et compétences en histoire.

    2.0QU’EST-CE UNE «COMPÉTENCE» EN HISTOIRE?Lorsqu’on parle de compétences, on ne réfléchit pas assez, mesemble-t-il, sur les différences entre les disciplines. Comparons, parexemple, la situation dans le programme de soins infirmiers aveccelle pour les cours d’histoire en sciences humaines (voirtableau 1).

    L’importance de bien comprendre la question des infections afind’exercer sa profession d’infirmière est évidente. Mais la capacitéde « reconnaître, dans une perspective historique, les caractéris-tiques essentielles de la civilisation occidentale » n’est pas au coeurde beaucoup de professions. Même si l’élève finit un jour par exer-cer au Québec une profession connexe à l’histoire (destin d’uneinfime minorité des élèves en sciences humaines au cégep), j’ima-gine avec difficulté une situation précise où il serait appelé à faireune telle chose. Il faut dire les choses clairement : l’utilité de cecours n’est pas d’abord d’ordre professionnel.

    3.0LA PLACE DES CONNAISSANCES DANS L’APPRENTISSAGE DE L’HISTOIREMême parmi les sciences humaines, l’histoire constitue un cas àpart. J’ai longtemps enseigné la sociologie au même cégep et auxmêmes étudiants où j’enseigne maintenant en histoire.

    Pour un apprentissage actif de l’histoire1

    Bulletin de l’APHCQ ◆ Printemps 200723

    Epv wfopot.opvt@Rvj tpnnft.opvt@Pv bmmpot.opvt@

    Relier des désordres immunologiques etdes infections aux mécanismes physiologiqueset métaboliques.

    Reconnaître, dans une perspective historique,les caractéristiques essentielles de la civilisationoccidentale.

    Soins infirmiers4 Histoire5TABLEAU 1

  • Je vois d’emblée deux différences fonda-mentales :a) la place des faits précis dans la construc-

    tion des connaissances ;b) le rôle des connaissances dans la com-

    préhension de la discipline.Comparons deux interrogations discipli-

    naires que l’on peut considérer de niveaucollégial équivalent (voir tableau 2).

    Voilà deux questions utiles pour la for-mation générale des élèves. Mais le rapportentre les informations dont on dispose et lesconclusions que l’on peut tirer n’est pas dutout le même (voir tableau 3).

    En sociologie, l’intérêt porte principale-ment sur le rapport entre les deux varia-bles. Y a-t-il une corrélation forte ou faible ?En histoire, la réflexion doit d’abord porter sur faits. Qu’est-ce quis’est passé? Qui a fait quoi ? Quand? Comment le sait-on? La quan-tité d’information à maîtriser est beaucoup plus grande.

    En supposant même que l’on puisse assimiler les faits concretsnécessaires pour réfléchir sur cette question historique, il reste tou-jours le problème de leur intérêt général pour la matière. Une réflexionsur l’effet de l’origine sociale des parents par rapport à la réussitescolaire de leurs enfants, que cela soit au Québec, en France ouÉtats-Unis, initie bien à la réflexion sociologique. Faire travailler lesélèves sur le rôle de la bourgeoisie dans la Révolution françaisene joue pas un rôle analogue d’initiation à la réflexion historique.Les conclusions restent beaucoup plus circonstancielles. Elles sontpeut-être valables pour la France au XVIIIe siècle, mais sont-ellesgénéralisables ?

    4.0L’UTILITÉ DES COURS D’HISTOIREAlors s’il ne s’agit pas de favoriser l’apprentissage de compétencesprofessionnelles, ni de survaloriser l’acquisition de connaissancesprécises, qu’est-ce qu’on apprend dans les cours d’histoire ? Aurisque de paraître prétentieux, je voudrais tenter de formuler uneréponse. La mission de l’histoire au niveau collégial devrait être axéesur deux enjeux :• l’appropriation critique d’un récit sur nos origines ;• un encouragement à la réflexion sur le changement.

    On apprend l’histoire au collégial, non pas pour devenir deshistoriens, mais pour prendre connaissance d’un récit sur nos ori-gines, pour se confronter à ce récit, à l’explorer, se l’approprier,le critiquer, l’adapter.

    On apprend l’histoire aussi, pour réfléchir sur le changement,c’est-à-dire sur ce qui change dans une société et sur les proces-sus et les rythmes de transformation en cours. Le monde que lesélèves de 18 ans confrontent aujourd’hui s’érige devant eux commeun bloc inerte, un héritage indifférencié du passé. Or, c’est l’histoire

    qui fournit le moyen de transformer ce bloc homogène du passéen une forêt grouillante de vie. C’est l’histoire qui nous permet devoir des réalités qui sont en train de naître, de prendre de l’ampleurou de mourir. C’est l’histoire qui nous permet de distinguer lesréalités qui évoluent lentement de celles qui sont passagères.

    En fait, plus qu’à une autre science humaine, l’apprentissagede l’histoire au collégial, surtout dans le cours de civilisation occi-dentale, ressemble davantage à l’apprentissage de la littérature oude la philosophie. Ce n’est certainement pas un hasard si, parallè-lement à ce débat en histoire, on assiste également à un débat surla place de ces matières au collégial.6 Je crois qu’il y a là une pistede réflexion à explorer et des solidarités à développer que nous avonstrop longuement négligées.

    ◆ ◆ ◆

    En fait, plus qu’à une autre science humaine,l’apprentissage de l’histoire au collégial, surtout dans

    le cours de civilisation occidentale, ressemble davantageà l’apprentissage de la littérature ou de la philosophie.

    ◆ ◆ ◆

    La question de l’apprentissage de l’histoire fait partie de l’acqui-sition d’une culture générale. Ce n’est pas une compétence quel’on est appelé à exercer dans un contexte précis. Ce n’est pas uncorpus de connaissances que l’on vénère comme un texte sacré.Un cours d’histoire doit aider les élèves à puiser dans les connais-sances du passé pour enrichir leurs réflexions personnelles sur la vie.

    5.0QU’EST-CE QU’UNE RÉFLEXION DE NATURE HISTORIQUE?Si l’on veut faire du cours d’histoire une occasion pour les élèvesd’enrichir leur culture générale, il faut trouver le moyen de rendrecet apprentissage actif. Mais il ne suffit pas d’aider les élèves à

    Epv wfopot.opvt@Rvj tpnnft.opvt@Pv bmmpot.opvt@

    Origines sociales et réussite scolaire au Québec

    Bourgeoisie et révolutions démocratiquesen France

    Grande en sociologie

    Limitée en histoire

    Question disciplinaireInfluence sur la compréhension générale

    de la démarche disciplinaire

    TABLEAU 3

    Le rôle des connaissances dans la compréhension de la discipline

    Quelle est l’influence de la classe socialedes parents sur la réussite scolaire des élèves ?

    Quel est le rôle de la bourgeoisiedans les révolutions démocratiques ?

    Sociologie Histoire

    TABLEAU 2

    Place des faits dans la construction des connaissances

    1. Une version préliminaire de ce texte a été présenté au colloque de l’APOPle 11 janvier 2007 : «L’enseignement de l’histoire et les TIC».

    2. «Réactions du CEQ au projet de programme d’«Histoire et éducation à la citoyenneté» Le Devoir, le 27 avril 2006

    3. Jean-François Cardin, «Enseignement de l’histoire – Les programmesd’histoire nationale : une mise au point», Le Devoir, 29-30 avril, 2006.

    4. Voir énoncé de la compétence «01Q7» du programme de soins infirmiers :http://www.meq.gouv.qc.ca/ens-sup/ens-coll/cahiers/program/180A0.asp

    5. Voir énoncé de la compétence «022L» du programme de sciences humaines :http://www.meq.gouv.qc.ca/ens-sup/ens-coll/cahiers/program/300A0.asp

    6. Louis CORNELLIER et al., Lettre à mes collègues sur l’enseignement de lalittérature et de la philosophie au collégial, Québec, Éditions Nota bene, 2006,124p.

    Bulletin de l’APHCQ ◆ Printemps 2007 24

  • Epv wfopot.opvt@Rvj tpnnft.opvt@Pv bmmpot.opvt@

    6.0TRANSFORMATION DU RAPPORT PROFESSEUR/ÉLÈVEEn axant un cours sur l’exploration de ces deux types de rapports,il est possible, me semble-t-il, de concevoir un apprentissage del’histoire où l’élève n’est ni un récipient passif de connaissances,ni un technicien de l’apprentissage.

    De ce point de vue donc, on peut cerner le champ d’action duprofesseur d’histoire à trois moments précis :• Rôle de maître : délimiter le terrain de recherche ;• Rôle de pédagogue : soutenir les démarches de recherche des

    élèves ;• Rôle d’évaluation : poids prépondérant du maître.

    6.1 Rôle de maître : délimiter le terrain de rechercheC’est le rôle du maître de faire en sorte que les recherches desélèves en histoire portent sur des questions significatives, perti-nentes et actuelles. Certes, ces questions ne relèvent pas unique-ment du maître en tant qu’individu. Même s’il ne constitue pas unesimple courroie de transmission, le professeur reste porteur devaleurs et de savoirs d’une société. Il constitue donc l’un des moyenspar lesquels les jeunes d’une génération s’approprient l’héritageque leur laisse la génération précédente. C’est vrai dans toutes lesmatières, mais c’est particulièrement vrai en histoire.

    ◆ ◆ ◆

    Face à ces débats, je me réjouis surtout de vivredans une société qui pose des questions

    sur l’enseignement de son histoire.◆ ◆ ◆

    C’est là tout l’intérêt des débats publics, voire politiques, commecelui que nous avons connu l’an dernier sur les enjeux des coursd’histoire. Face à ces débats, je me réjouis surtout de vivre dans unesociété qui pose des questions sur l’enseignement de son histoire.Faut-il une histoire plus nationaliste ou plus économiste, plus poli-tique ou plus anthropologique, plus lucide ou plus solidaire ? Sanscautionner un relativisme à l’outrance, je peux dire que je me sensà l’aise de travailler dans le cadre de différents types de récits histo-riques en autant qu’il ne s’agit pas d’une catéchèse. En autant donc,que l’on peut examiner, questionner, débattre de la constructionmême du récit.

    6.2 Rôle de pédagogue : soutenir les démarches de recherche des élèves

    C’est le rôle du pédagogue de faire en sorte que l’élève soit con-fronté à une situation optimale pour apprendre. Cela veut dire quel’élève doit avoir un accès à des ressources et à des outils. Encoreune fois, le professeur en tant que pédagogue n’est pas le seul res-ponsable de ces questions. Les choix qui sont faits en termes d’inves-tissements en éducation, en conditions de travail et en organisationmatérielle de l’enseignement ont beaucoup d’importance. Toutefois,il reste utile de réfléchir dans le cadre d’une situation donnée. Celan’enlève rien à l’urgence de mener des luttes sur des enjeux poli-tiques ou sectoriels en matière d’éducation, mais cela permet d’élar-gir l’horizon d’une action concrète et immédiate. Je dirais même quece sont des actions de ce genre qui peu