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HI STOIRE DE LA MIEDECINE Jean-Jacques Monsuez Jules Fontan et les premières interventions de chirurgie cardiaque Au matin du 1 er janvier 1900, le chirurgien de la Marine Jules Fontan réalise avec succès la première suture d'une plaie du coeur en France. N é à Toulon le 20 octobre 1849, Jules Fontan restera toute sa vie attaché à sa ville natale, où se déroule la majeure partie de sa car- rière, et où aussi, en marin, il revient régulièrement à chacune des étapes de sa vie, comme à son port d'at- tache. C'est là qu'il acquière la noto- riété, et où le port d'attache l'y fait membre de l'Académie du Var. C'est là aussi qu'il meurt, le 9 janvier 1931 et où une rue de la ville prend son nom [l -31. Fontan entre à I'école de médecine navale de Toulon en 1869 et, très vite, se trouve pris dans l'action. II vient juste de passer en deuxième année de I'école de médecine, qu'il est engagé dans les tirailleurs toulonnais », compagnie de volontaires formée dans sa ville, après les désastres de Sedan, Saint-Privat, Gravelotte, Metz, et l'anéantissement de l'armée impé- riale. Très rapidement aussi, en partie dans l'adversité de la situation mais aussi du fait des aptitudes qu'il témoigne dans les soins aux blessés, il est nommé médecin aide-major de la compagnie, le 12 novembre 1870. Engagé face aux Allemands à Orléans, il y est fait prisonnier le 6 décembre. Libéré un mois plus tard, il rejoint son unité dans laquelle il est réaffecté. Pri- sonnier de nouveau le 13 janvier 1871, il s'évade trois jours après, regagne son unité et y reprend son poste jus- qu'à ce que la compagnie de volon- taires toulonnais soit dissoute, le 28 janvier 1871, date à laquelle il repart pour Toulon et reprend ses études. En bref, dès son plus jeune âge, plutôt un homme d'action. Nommé chirurgien à la sortie de I'école de médecine navale, il prend ses fonctions en Nouvelle-Calédonie en 1878, au bagne de l'île de Nou, où il opère et complète son expérience débutante : c je m'étais réservé la chi- rurgie, etj'y eus un champ d'activité et de travail qui me rendit très sûr de moipour le reste de ma carrière ». A son retour à Toulon en 1880, il bénéficie d'un congé de six mois, qu'il met à profit pour suivre I'enseigne- ment de chirurgie à Paris. II fréquente les services de Tillaux, Verneuil, Ter- rillon et Terrier. Un second congé de six mois, de nouveau à Paris, lui permet l'année suivante de se former aux débuts de l'asepsie chirurgicale dans le service de Terrier. Après avoir soutenu sa thèse, il est affecté à Toulon, dans le service de chi- rurgie de Béranger-Ferraud « qui le juge trop téméraire 2, tandis que son successeur dans la chefferie du même service, Barthélemy, souligne d'em- blée ses qualités et ne tarit pas d'éloges sur ses capacités opératoires [2]. Fontan travaille alors surtout sur les plaies articulaires, dont il propose la fermeture primitive. II publie aussi un livre sur les « abcès tropicaux du foie » (amibiens), avec Bertrand, en 1895 [2]. Ceux qui le côtoient et ses pairs soulignent sa vivacité d'esprit, sa connaissance parfaite de l'anatomie, et sa dextérité. c Fontan est d'une extrême habileté manuelle ; il connaît l'anatomie comme on a l'habitude de la connaître dans la marine qui a pro- duit Jules Roux, maître des désarticu- lations du pied, ami de Farabeuf, et que Fontan a vu opérer, Marcellin Duval (de Brest), à qui Farabeuf a dédié le traité des ligatures, Eugène Rochard, qui devint chirurgien des Hôpitaux de Paris B [2]. En 1896, Fontan succède à Barthé- lemy comme professeur de chirurgie à I'école d'application de Toulon, où sa notoriété ne cesse de croître. II fait I'ob- jet de descriptions impressionnantes, parfois caricaturales. K Sous ses verres de myope, il y a un regardpénétrant, dominateur. L'homme est calmeparce qu'il veut être calme, mais parfois la vivacité native se laisse voir. Sa langue est précise e t claire, c'est celle d'un homme très cultivé D [21. Le ler janvier 1900 au matin, Jules Fontan est appelé pour un soldat pré- sentant une plaie de la région car- diaque secondaire à une blessure par ciseaux survenue six heures plus tôt. AMC pratiquel no 160 / septembre 2007 1 29

Jules Fontan et les premières interventions de chirurgie cardiaque

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Page 1: Jules Fontan et les premières interventions de chirurgie cardiaque

HI STOIRE DE LA MIEDECINE Jean-Jacques Monsuez

Jules Fontan et les premières interventions de chirurgie cardiaque Au matin du 1 er janvier 1900, le chirurgien de la Marine Jules Fontan réalise avec succès la première suture d'une plaie du cœur en France.

N é à Toulon le 20 octobre 1849, Jules Fontan restera toute sa vie

attaché à sa ville natale, où se déroule la majeure partie de sa car- rière, et où aussi, en marin, il revient régulièrement à chacune des étapes de sa vie, comme à son port d'at- tache. C'est là qu'il acquière la noto- riété, et où le port d'attache l'y fait membre de l'Académie du Var. C'est là aussi qu'il meurt, le 9 janvier 1931 et où une rue de la ville prend son nom [l -31.

Fontan entre à I'école de médecine navale de Toulon en 1869 et, très vite, se trouve pris dans l'action. II vient juste de passer en deuxième année de I'école de médecine, qu'il est engagé dans les tirailleurs toulonnais », compagnie de volontaires formée dans sa ville, après les désastres de Sedan, Saint-Privat, Gravelotte, Metz, et l'anéantissement de l'armée impé- riale. Très rapidement aussi, en partie dans l'adversité de la situation mais aussi du fai t des aptitudes qu'il témoigne dans les soins aux blessés, il est nommé médecin aide-major de la compagnie, le 12 novembre 1870. Engagé face aux Allemands à Orléans, il y est fait prisonnier le 6 décembre. Libéré un mois plus tard, il rejoint son unité dans laquelle il est réaffecté. Pri- sonnier de nouveau le 13 janvier 1871, il s'évade trois jours après, regagne son unité et y reprend son poste jus- qu'à ce que la compagnie de volon- taires toulonnais soit dissoute, le 28 janvier 1871, date à laquelle il

repart pour Toulon et reprend ses études. En bref, dès son plus jeune âge, plutôt un homme d'action.

Nommé chirurgien à la sortie de I'école de médecine navale, il prend ses fonctions en Nouvelle-Calédonie en 1878, au bagne de l'île de Nou, où il opère et complète son expérience débutante : c je m'étais réservé la chi- rurgie, etj'y eus un champ d'activité et de travail qui me rendit très sûr de moi pour le reste de ma carrière ».

A son retour à Toulon en 1880, i l bénéficie d'un congé de six mois, qu'il met à profit pour suivre I'enseigne- ment de chirurgie à Paris. II fréquente les services de Tillaux, Verneuil, Ter- rillon et Terrier. Un second congé de six mois, de nouveau à Paris, lui permet l'année suivante de se former aux débuts de l'asepsie chirurgicale dans le service de Terrier.

Après avoir soutenu sa thèse, il est affecté à Toulon, dans le service de chi- rurgie de Béranger-Ferraud « qui le juge trop téméraire 2, tandis que son successeur dans la chefferie du même service, Barthélemy, souligne d'em- blée ses qualités et ne tar i t pas d'éloges sur ses capacités opératoires [2]. Fontan travaille alors surtout sur les plaies articulaires, dont il propose la fermeture primitive. II publie aussi un livre sur les « abcès tropicaux du foie » (amibiens), avec Bertrand, en 1895 [2]. Ceux qui le côtoient et ses pairs soulignent sa vivacité d'esprit, sa connaissance parfaite de l'anatomie, et sa dextérité. c Fontan est d'une

extrême habileté manuelle ; il connaît l'anatomie comme on a l'habitude de la connaître dans la marine qui a pro- duit Jules Roux, maître des désarticu- lations du pied, ami de Farabeuf, e t que Fontan a vu opérer, Marcellin Duval (de Brest), à qu i Farabeuf a dédié le traité des ligatures, Eugène Rochard, qui devint chirurgien des Hôpitaux de Paris B [2].

En 1896, Fontan succède à Barthé- lemy comme professeur de chirurgie à I'école d'application de Toulon, où sa notoriété ne cesse de croître. II fait I'ob- jet de descriptions impressionnantes, parfois caricaturales. K Sous ses verres de myope, il y a un regard pénétrant, dominateur. L'homme est calme parce qu'il veut être calme, mais parfois la vivacité native se laisse voir. Sa langue est précise e t claire, c'est celle d'un homme très cultivé D [21.

Le ler janvier 1900 au matin, Jules Fontan est appelé pour un soldat pré- sentant une plaie de la région car- diaque secondaire à une blessure par ciseaux survenue six heures plus tôt.

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L'homme est en très mauvais état, sem- blant proche de la fin. Fontan décide d'opérer sur le champ, ouvre un lam- beau costal, la plèvre, le péricarde et fai t un double surjet sur la plaie du ventricule gauche qu'il met en évi- dence. Le blessé guérit.

Le compte rendu de l'intervention que présente Fontan devant la Société de chirurgie le 9 mai 1900 à Paris, impressionne considérablement. II cite les trois interventions analogues de suture de plaie cardiaque qui ont été réalisées en dehors de France depuis

1895, elles aussi avec succès : celle de Ludwig Rehn à Frandort (1897), celle de Del Vecchio (1895) et de Guido Farina (1897), en Italie [4] et la toute première (plus longtemps méconnue), que pratique Daniel Hale Williams (1893), qui a la particularité d'être le premier chirurgien noir américain, membre du prestigieux American Col- lege of Surgeons [SI.

La postérité retiendra néanmoins, au delà de nos propres frontières, la contribution de Jules Fontan dans la naissance de la chirurgie cardiaque [6].

Références

1. De Saint Julien J. Jules Fontan (1849- 193 1). chiruraien de la Marine. chirÜrgie 1999, 124 : 577-82.

2. Pewes J. De la première intervention cardiaque à l'hibernation artificielle. Revue historique del1Armée 1972, Nol : 186-200.

3. De Saint Julien I II y a un siècle, Jules Fontan et les plaies du cœur. Bull Acad Natl Med 2000,184 : 651 -8.

4. Jarcho S. Del Vecchio (1895) on suture of the heart. Am J Cardiol 1976,37 : 309-10.

5. Olivier AF. Classics in thoracic surgery. In proper perspective : Daniel Hale Williams, MD. Ann Thor Surg 1984,37 : 96-7.

6. Aris A. One hundred years of cardiac surgery. Ann Thor Surg 1996,62 : 636-7.

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